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149 La compétence et le thème de l’activ ité : vers une nouvelle conceptualisation didactique de la formation  Jean-Michel Baudouin Université de Genève Nous voudrions indiquer dans notre contribution en quoi l’étude des com- pétences constitue en formation des adultes un programme de recherche fructueux, en particulier dans une perspective didactique. Certes, la notion ne va pas sans équivoque. Nous n’ignorons pas qu’elle fait l’objet de soupçons légitimes dès lors qu’elle prétend à la détermina- tion rigoureuse des qualités des personnes, en reproduisant d’ailleurs les impasses de la psychotechnique d’avant guerre et en épousant un souci humaniste que c ette dernière inaugurait déj à (Clot, 1998, pp. 189-206). Nous n’ignorons pas non plus ses ambiguïtés lorsqu’elle est portée au rang de modalité de gouvernement politique des pratiques d’enseignement, en paraissant disqualifier les dimensions formatives des sav oirs constitués (Ropé & Tanguy, 1994). Nous n’ignorons pas enfin que le soupçon peut devenir franche défiance lorsque la compétence est utilisée comme instrument de gestion du devenir des hommes et des femmes dans les organisations, en se substituant aux conventions d’ajustement collectivement négociées, lesquel- les portaient sur les qualifications  (Dubar, 1996 ; Strooban ts, 1998). Quelle position peut adopter le chercheur soucieux des prolongements sociaux et politiques des progr ammes de recher che auxquels il col labore ? Faut-il camper dans la perspective critique (une fois encore) ou assumer, toute honte bue, les ambiguïtés de la notion ? Faut-il prendre son tour dans la défense d’espaces protégés de formation, où des identités seraient au travail hors du travail et de ses contraintes, espaces déjà idéalisés par le geste même de les prémunir de l’emprise économique, pour mieux déno ncer

Baudouin 2002 - La Compétence Et Le Thème

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    La comptence et le thme de lactivit :vers une nouvelle conceptualisation

    didactique de la formation

    Jean-Michel BaudouinUniversit de Genve

    Nous voudrions indiquer dans notre contribution en quoi ltude des com-ptences constitue en formation des adultes un programme de recherchefructueux, en particulier dans une perspective didactique.

    Certes, la notion ne va pas sans quivoque. Nous nignorons pas quellefait lobjet de soupons lgitimes ds lors quelle prtend la dtermina-tion rigoureuse des qualits des personnes, en reproduisant dailleurs lesimpasses de la psychotechnique davant guerre et en pousant un soucihumaniste que cette dernire inaugurait dj (Clot, 1998, pp. 189-206).Nous nignorons pas non plus ses ambiguts lorsquelle est porte au rangde modalit de gouvernement politique des pratiques denseignement, enparaissant disqualifier les dimensions formatives des savoirs constitus (Rop& Tanguy, 1994). Nous nignorons pas enfin que le soupon peut devenirfranche dfiance lorsque la comptence est utilise comme instrument degestion du devenir des hommes et des femmes dans les organisations, en sesubstituant aux conventions dajustement collectivement ngocies, lesquel-les portaient sur les qualifications (Dubar, 1996 ; Stroobants, 1998).

    Quelle position peut adopter le chercheur soucieux des prolongementssociaux et politiques des programmes de recherche auxquels il collabore ?Faut-il camper dans la perspective critique (une fois encore) ou assumer,toute honte bue, les ambiguts de la notion ? Faut-il prendre son tour dansla dfense despaces protgs de formation, o des identits seraient autravail hors du travail et de ses contraintes, espaces dj idaliss par legeste mme de les prmunir de lemprise conomique, pour mieux dnoncer

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    les mfaits dun libralisme hgmonique imposant sa norme jusque dansles critres dapprciation des programmes de formation ? Certains y excel-lent, mais opposer lcole au monde de la production des biens et desservices est commode, car il reste dmontrer que lavnement contempo-rain du second soit possible sans le concours pass de la premire : cestune hypothse forte que nous ne soutenons pas. Que lon nous comprennebien. Nous sommes convaincus que les espaces dducation et de forma-tion, dans la perspective qui est la leur et qui est de faciliter des apprentis-sages, doivent prsenter des caractristiques spcifiques non rductibles celles qui prvalent dans le monde de la production des biens et des servi-ces (voir Bourgeois et Nizet, 1997, pp. 139 et ss.), prcisment pour rem-plir leur mission ducative. Mais dans le mme temps, ces espaces deformation sont aussi des espaces de travail dont on voit mal a priori pour-quoi il faudrait sinterdire de les penser la fois conjointement et distincte-ment. En particulier, pourquoi les conceptualits forges , si lon osedire, pour rendre compte de ce qui se noue dans le rapport des hommes etdes femmes au travail, et que la notion de comptence tente de saisir, se-raient brusquement inoprantes et inconsquentes ds lors que lon tentede comprendre ce qui ne se dnoue pas toujours dans les situations duca-tives ?

    Inutile de polmiquer. Pour notre part, nous aimerions dcrire, dansune perspective didactique, ce qui serait perdu comme question vive si lonrenonait au chantier thorique ouvert par le thme de la comptence de-puis quelques vingt ans, en particulier dans le champ de la formation desadultes.

    COMPTENCE, TRAVAIL ET ACTIVIT

    Ce nest pas le moindre paradoxe que ce soit dans la priode o les formesdu travail humain stabilises par le salariat se dlitent (Castel, 1995) quelactivit laborieuse ne soit plus aborde dans les seules figures de lalina-tion et de lexcution pure de prescriptions labores par dautres. Car cestbien leffort de description empirique et de comprhension systmatiquedes constituants multiples de lactivit au travail qui a conduit remettre encause le schma estim trop simpliste dune action pense dans lordre dela seule application de savoirs constitus et de procdures prtablies.

    Certes, la formation des adultes a mis quelques temps reconnatrecombien lnigme du travail polarisait son intervention (Jobert, 1993),au mme titre que lappropriation des savoirs par les adultes, appropriationqui est aux fondements de son action. Mieux comprendre ce qui est engagpar lactivit au travail constitue ainsi un enjeu susceptible de redployerles composantes ducatives propres la formation des adultes : la notion

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    de comptence, devenant le titre dun problme, dfinit prcisment lechantier thorique ouvert par le redimensionnement de lanalyse de lacti-vit. Observons que cette ouverture de la formation sur le travail ne dfinitpas que les seuls cursus techniques courts. Elle est trs reprable dans lesformations suprieures, en particulier lorsque celles-ci sadressent desadultes dj insrs professionnellement. On pourrait galement voquermaints cheminements de doctorants.

    Le modle dexpertise se dfinit ainsi par un mouvement de basculeirrversible, ds lors que la logique des savoirs elle seule ne suffit plus lefonder, parce quil senrichit des logiques daction qui trouvent leurs coursdans le champ pratique, lesquelles disposent de leurs rationalits propresquil reste honorer. Lexpertise apparat comme une combinaison de deuxrgimes de familiarit, des savoirs et des milieux dactivit. Les forma-teurs dadultes sont confronts en permanence dans leur intervention cettedouble logique de lexpertise, celle des registres des savoirs et celle desregistres de laction au principe mme de leur intervention et de ses finali-ts, et que recouvre nos yeux le thme de la comptence.

    Car tous les travaux propres la formation des adultes et ddis lana-lyse de la comptence insistent en permanence sur la composante activede la notion : Malglaive (1990) dfinit la comptence comme une totalitcomplexe et mouvante mais structure, opratoire, cest--dire ajuste lac-tion et ces diffrentes occurrences ou encore comme structure dynami-que dont le moteur nest autre que lactivit (p. 30). Gillet voque un systmede connaissances, conceptuelles et procdurales, organises en schmas op-ratoires et qui permettent, lintention dune famille de situations, lidentifica-tion dune tche-problme et sa rsolution par une action efficace (Gillet,1991, p. 69). Perrenoud (1996), de son ct et pour le domaine scolaire, noteque penser en terme de comptence, cest penser la synergie, lorchestra-tion de ressources cognitives et affectives diverses pour affronter un ensemblede situations prsentant des analogies de structure (p. 16). Si nous largis-sons lenqute la psychologie ergonomique, nous observons avec Leplat(1997) que si la notion de comptence reste peu aise cerner , elle pr-sente cependant quelques traits caractristiques , en particulier quunecomptence est toujours une comptence pour ; elles [les comptences]sont donc opratoires et fonctionnelles (p. 141, cest lauteur qui souli-gne). Enfin, ce tour dhorizon rapide et loin de prtendre lexhaustivit nepeut ignorer les recherches de Schwartz (1997), posant que le glissementqualification/comptence permet douvrir

    la bote de Pandore, par o seraient mieux apprcies les dramatiques quiconvoquent tous les tres industrieux () [ :] le registre de ce qui parat entreraujourdhui dans la comptence couvre un champ beaucoup plus large,humainement parlant, que les rfrents plus circonscrits, prcis, troits, lis une logique de postes de travail , caractristique du langage de la qualifica-tion (p. 11).

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    Ainsi les travaux portant sur la comptence sont-ils indissociables duneconfrontation majeure au thme de lactivit : totalit opratoire, ajuste laction, identifiant une tche-problme, affrontant un ensemble de situa-tions et permettant une rsolution par actions efficaces, dramatiques,convoquantes, etc. Cest cette thmatique de lactivit, enrichie et renouve-le par les recherches portant sur la comptence, que nous souhaitons trans-porter dans le champ didactique.

    DIDACTIQUE ET ACTIVIT

    En effet, lorientation didactique des disciplines affirme traditionnellementle rle central jou par les contenus de savoir et la marque quils imprimentaux processus dapprentissage et aux pratiques denseignement qui les con-cernent : le foyer du dveloppement des sujets est repr dans la confronta-tion aux connaissances constitues. Or, dans le champ dfini par lesrecherches didactiques en formation professionnelle, la rfrence nest pastant le savoir que lactivit, telle que les investigations portant sur le travailpermettent de lapprhender (Bouthier, Pastr & Samuray, 1995) : lana-lyse de lactivit constitue ainsi une dmarche de base dans lidentificationdes comptences effectivement mobilises par les agents.

    Ds lors, le triangle didactique classique savoir-apprenant-formateur ne peut suffire caractriser de manire satisfaisante les situations dap-prentissage propres la formation des adultes. Il est ncessaire dintgrer ladimension de lactivit et de transformer le fameux triangle en une figurepyramidale redistribuant les cadres standard de lanalyse didactique. Nousnous proposons deffectuer, dans le cadre de cet article, une premire ex-ploration systmatique des ressources descriptives de cette modlisationdidactique, laquelle prsente lintrt doffrir un cadre commun danalysedes situations de travail et des situations de formation et doffrir ainsi desperspectives de recherche sur lesquelles nous reviendrons.

    activit

    savoir

    apprenantformateur

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    Le tout premier commentaire tenir concerne lapproche de lactivitici retenue. Elle ne se confond pas avec le concept de pratiques sociales derfrence (Martinand, 1986) qui est dusage frquent dans les didactiquesdisciplinaires, lequel dsigne certaines dimensions professionnelles lasource de la transposition didactique et orientant les inflexions ducatives.Prfrer le vocable dactivit obit plusieurs motifs. Il sagit en premierlieu de prendre en compte les leons de lergonomie qui introduit une dis-tinction majeure pour notre rflexion entre travail prescrit et travail rel,entre tche codifie et planifie et activit effective dploye par un agentsingulier (Clot, 1995 ; Jobert, 1999 ; Leplat, 1997 ; de Montmollin, 1986).La prescription nourrit laccomplissement pratique sans jamais le recouvrirtotalement. Lanalyse de lactivit dans une telle perspective tente de mieuxcerner la contribution vritable des sujets qui permet lobtention ou la pro-duction de la performance attendue. Elle nexclut pas que cette obtentionsoit possible par la mobilisation de ressources non protocoles ou non pr-vues par le schma de planification ou la squence des tches. Elle invite une approche toujours situe et contextualise du cours dactivit, int-grant les caractristiques locales des environnements techniques et rela-tionnels, dont le traitement contribue dterminer les oprations mises enuvre. Le point essentiel tient donc en ce que lactivit est pense aussicomme le produit dune singularisation et dun localisme fort par son ca-ractre prcisment situ. Elle introduit une tension entre la dterminationdlments standards qui permettent sa conception et son organisation etlindtermination de toute ralisation en situation pratique comportant n-cessairement du contextuel, de lhistorique et de lalatoire (Schwartz, 1997).Lactivit peut ainsi tre pense comme leffort dajustement jamaisstabilisable en permanence entre dtermination (la tche codifie) et ind-termination (lments circonstanciels dun contexte daction). Les pratiquessociales de rfrence, videmment utiles pour la planification du curricu-lum, ne permettent pas une conceptualisation suffisamment fine des coursdactivit rels. Elles introduisent dj une sorte de totalisation de ce queprcisment lanalyse de lactivit tente de dissocier et de restituer dansune approche grain fin.

    On notera que la prise en compte du caractre situ de lactivit nereferme par le contexte sur lui-mme. Tout dabord parce que toute situa-tion est le produit de transactions antrieures ou concomitantes qui contri-buent sa structure particulire et qui la chargent dalternatives potentielles.Lactivit de la personne est toujours le contrepoint dautres activits, quece soit en synchronie, si lon peut dire, au plan dun collectif distribu,mais galement au plan des ressources matrielles disposition, des qui-pements prsents, qui sont eux aussi la rsultante de transactions antrieu-res et qui contribuent configurer les ralits du travail. Enfin, lactivitsollicite la personne en des dimensions multiples et qui ne sont pas sanslien avec son histoire propre, ses inclinations, ses expriences antrieures

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    et qui, au dtour dun problme inattendu ou dune difficult, peuvent con-natre de brusques potentialisations dans lexercice mme de laction. Lacomprhension de lactivit contribue ainsi une intelligence plus aigudes formes de sollicitation et de contribution du sujet, qui ne peut plus treabord comme rcepteur passif ou pur excutant.

    Cet article propose une analyse des diffrentes configurations produi-tes par le modle didactique soumis la rflexion. La dmarche retenueconsiste prendre en compte chacun des trois nouveaux triangles que d-finit notre figure pyramidale : il sagit denvisager celle-ci selon les diffren-tes perspectives quelle permet et dexaminer ainsi les structurationsnouvelles suscites par lintroduction de lactivit dans le modle didacti-que initial.

    LACTIVIT DANS SON RAPPORT AU SAVOIRET LAPPRENANT

    activit

    savoir

    apprenantformateur

    Il est important dobserver que lactivit nexclut pas le thme du savoir nine le dprime. Ce point est central. Tout dabord parce que lactivit nepeut tre comprise comme une sorte de rinvention permanente des d-marches de travail, des procdures, des manires de faire. Elle a besoindune conomie interne de ses ressources propres qui est aussi pour le sujetune manire de sconomiser dans la vise mme de lefficience. Les sa-voirs sont des repres pour laction, des prises de distance, des incitationsrflexives, des mises en lien permettant des apparentements dexpriencesdiffrencies. Lactivit ne dprime pas le savoir car elle lappelle quandelle ne le suscite pas. Mais elle le complique, elle lexcde, le critique, lesoumet leffort de la preuve ou de la discussion. Elle rattrape lancragepragmatique dont procde tout savoir formalis mais qui, par son proces-sus rgl de dcontextualisation, efface son pass daction : toute connais-sance est une action oublie (Rastier, 1998), que lactivit remmore en desformes renouveles, dplaces, dtournes. Insistons, tout savoir est mar-qu de lcho dun faire (Baudouin, 1993).

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    Je me suis beaucoup interrog sur loubli de lactivit dans la formalisa-tion de la situation ducative propose par le fameux triangle didactique.Fameux parce que prcisment cette modlisation continue dtre large-ment commente ou en arrire-plan des discussions techniques propres auchamp de la recherche didactique (par exemple Audigier, 1996 ; Chatel,1997 ; Jonnaert, 1996 ; Lenoir, 1996 ; Schubauer-Leoni, 1996) et nest doncaucunement tombe en dsutude. Lavantage indniable du triangle di-dactique est de porter laccent sur deux caractristiques fondatrices desapprentissages : elle suppose confrontation des savoirs constitus, elle estaffaire dacteurs, de personnes, dagents, (le vocabulaire ce plan de lana-lyse est indiffrent). Elle attire fondamentalement lattention sur le fait quele principe de la formation et du dveloppement (dans une acceptionvygotskienne) est dans lasymtrie.

    Lactivit dispose dune histoire ancienne dans la rflexion pdagogi-que qui couvre le sicle (Hameline, 1999). On comprend que lon hsite rveiller les controverses suscites par lengagement militant pour les m-thodes actives. Or, observons que les ouvrages didactiques traitent massi-vement dactivit, par le jeu des squences didactiques, la mise en uvrede situations-problmes, la planification de tches diverses. Mais tout sepasse comme si lactivit dans la conceptualisation didactique ne pouvaitprtendre la lgitimit scientifique accorde au savoir, alors mme quilny a pas daccs la connaissance sans la mdiation dactions effectues.Lactivit est un non-lieu dans la conceptualisation didactique et naccdepas la dignit des objets fondateurs de sa juridiction pistmique : le Sa-voir, le Professeur et llve, oui. Mais lActivit, non ( quelques excep-tions notables, voir par exemple Bautier, 1997, 1998 ; Bronckart, 1996 ;Dolz & Schneuwly, 1997).

    Or encore, cest prcisment lanalyse de lactivit qui peut fonder unebase commune entre situations de formation et situations de travail. Onpeut dcrire la conjonction de la manire suivante : les didactiques profes-sionnelles, dans le dveloppement de leurs recherches portant sur la com-ptence, rencontrent le thme de lactivit au travail comme un traitspcifique des formations quelles contribuent organiser. Ce thme peuttre cantonn son origine premire (les didactiques professionnelles) etfournir de multiples lments lanalyse. Il peut aussi faire retour sur lasituation ducative en tant quelle est aussi situation de travail et donc rede-vable de la mme enqute, du mme questionnaire et dune conceptualitsemblable. Lactivit, comme trait surplomb par lanalyse didactique dansle champ professionnel, est aussi un trait caractristique des situations du-catives.

    Ds lors, deux programmes de questionnement souvrent la rflexion.Le premier, dans la logique de ce qui vient dtre voqu, conduit analy-ser la formation comme activit, redevable dune approche identique

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    celle qui prvaut dans les champs professionnels, et prenant en compte ladistinction entre travail rel et travail prescrit. Elle invite, en premire ap-proximation, enrichir la spcification didactique dune perspective clini-que prenant en compte les rsidus de son laboration propre, de ce quiest tenu comme anecdotique, non pertinent ou hors du champ. Pourquoi ?Parce quil ny a pas apprentissage sans activit, cest--dire, par rapport la tche didactique prescrite, sans mobilisation dun sujet un certain mo-ment de son histoire, dans un horizon dattente particulier, et dans unecontextualit resingularise par les agents en prsence et lhistoire de leursrelations, tout lment hors de la spcification didactique.

    Ce propos ne vise pas disqualifier la prescription la tche prescrite base ncessaire toute rationalisation de laction en vue dune efficacitaccrue. Mais il sagit de prendre la mesure de ce quelle ne peut prtendrerecouvrir la totalit de lactivit, dans une sorte dasepsie illusoire et trom-peuse qui contrlerait ou loignerait tout ce qui ne ressort pas de son em-pan ou gnie propre. Il y a donc un programme de recherche reprendre et approfondir sur les situations didactiques et qui ambitionne dexplorerlactivit effective des apprenants . Nous songeons aussi bien aux entre-tiens dexplicitation de Vermersch (1994) permettant la mise en mots dac-tions passes, qu linstruction au sosie dOdonne que Clot (1995) portejusqu nous permettant un sujet de transmettre un sosie les infor-mations ncessaires pour quil puisse se substituer lui dans une squencedactivit sans que cette substitution ne soit reprable, ainsi quaux prati-ques dautoconfrontation (Clot, 1999b) o un agent commente lenregis-trement vido de son activit en situation relle, toutes ces dmarchesreposant sur des mthodologies disposant de rgles prcises.

    Cest alors le second programme de questionnement qui souvre ici, entant que lactivit est source de dveloppement (nul irnisme ce niveaude lanalyse, car lactivit peut tre source dinvolution du sujet : ce quiimporte ici est bien que lactivit est lespace mme de (re)constitution/formation du sujet). Sa dimension anthropologique donne la base duneproblmatisation commune aux situations formelles de formation et auxsituations de travail. Les genres dactivits (Clot, 1999a), leurs structu-res, leurs rationalits propres, les sens dans lesquels elles peuvent tre ap-prhendes ou reprises par les personnes sont prendre au moins autant ausrieux que les savoirs dont elles visent lappropriation ou dont elles susci-tent la dcantation, sue ou insue.

    Lactivit formelle de formation introduit toujours un dcrochage parrapport aux pratiques sociales de rfrence. Dans les dispositifs dalternanceou de formation sur le lieu de travail (Baudouin, Hellier, Mesnier & Ollagnier,1992), lactivit est comme mise distance, par lintroduction de nouveauxinterlocuteurs (les formateurs), et la substitution des critres de rgulationde lactivit o tendanciellement le souci du vrai, de lattest, des hypothses

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    multiples, du gnralisable (propre la situation denseignement) lemportesur celui de lefficacit immdiate (propre aux situations de travail).

    Plus gnralement, et nous tenons l un prolongement intressant pourles formateurs bien vu par Clot (1999b), les dmarches danalyse de la pra-tique professionnelle utilises comme dmarche de formation sont abor-der comme activit nouvelle, o laction des sujets entre dans le jeu dunedouble indexation, celle de la situation de rfrence objet de lanalyse, etcelle propre au dispositif de formation ou de recherche. La varit et lamultiplicit des interlocuteurs, selon leur degr dexpertise par rapport latche considre, contribue restaurer les choix latents correspondant tout cours dactivit, les actions esquisses ou esquives, les pondrationsretenues, les inflexions apportes : lactivit seconde de formation (secondemais absolument plnire comme la situation de rfrence) dplie les stra-tes constitutives de lactivit premire, laquelle, dans un tel contexte dereprise, apparat aussi comme une dition possible parmi dautres, aspectcaractristique du travail de choix permanent que le cours dactivit sus-cite. La mise au travail de lactivit premire dans un second systme dac-tivit, distance, avec les ressources dinterlocutions nouvelles, permet dedgager les significations luvre dans les cours daction et favorise unerelance des sens possibles de lactivit.

    LACTIVIT DANS SON RAPPORT LAPPRENANTET AU FORMATEUR

    activit

    savoir

    apprenantformateur

    Comme on vient de le voir, lanalyse de la formation comme activit ex-hibe le thme de linterlocution. La prise en compte de cette dimensioninvite aborder une face nouvelle de la pyramide didactique que noussoumettons la rflexion et qui met en avant les rapports entre formateurset adultes par rapport lactivit de formation. Deux points vont retenirlattention, car lactivit se joue ici dans linteraction de deux catgoriesdacteurs diffrencis. Il y a donc une caractristique de laction ducative dcrire par rapport dautres genres dactivit. Ensuite le thme de la

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    coordination est dans cette perspective regarder avec soin et conduit examiner laspect communicationnel propre lactivit considre.

    Structure de laction ducative

    En adoptant une perspective gnrale, on observera que lintervention for-mative relve dune action structure selon une double articulation. Elle estaction intentionnelle sur des sujets visant la formation de leur capacit defaire uvre, donc llaboration de leur propre puissance daction. Dansune approche davantage resserre, on peut dcrire leffort didactique par laproposition dactivits qui visent la matrise progressive de capacits op-ratoires et lappropriation de connaissances et de donnes. Laction du-cative prsente ainsi une duplicit constitutive, en tant que lefficace delintervention formative dpend principiellement et constitutivement (et nonpas de manire contingente) de laction de lapprenant.

    Lappropriation des savoirs passe par des activits rgles et organisesqui conduisent tablir que le primat de lapprentissage est du ct deleffectivit du faire. Les caractristiques de cet agir sont ds lors prendreen compte pour elles-mmes, et posent le problme de leur degr de rup-ture la formation est dans lasymtrie, la distance, la diffrence parrapport aux activits habituelles de ladulte apprenant. Le caractre exo-gne de laction ducative dfinit la condition mme de son potentiel for-mateur, tout en prsentant une fragilit indniable, puisque son assomptiondpend galement de facteurs de rgularit permettant lindispensable fa-miliarisation. Lefficace de laction ducative dpend ainsi des reprises quelapprenant peut en faire ou non, dans des contextes autres que ceux deleur initialisation premire. Cette observation trs coutumire est exacer-be en formation des adultes o les temporalits brves de linterventionformative appellent le redploiement ou la potentialisation des temps libreshors de lespace de formation formelle. Laction ducative est ainsi radica-lement dpendante, pour son efficace propre, dune temporalit qui ex-cde son moment mme deffectuation et qui appartient absolument lagestion et linitiative de lapprenant. On est ainsi amen un regard aval sur lapprentissage par la prise en compte de ces phnomnes de reprise,ncessairement dans dautres contextes de vie, qui apparaissent comme lecomplment indispensable leffort de formation.

    Mais on peut galement dvelopper un regard amont qui conduiraalors poser une question de possibilit de lapprentissage, ds lors quecelui-ci se dfinit comme rupture ncessaire seule mme de garantir undveloppement vritable dont les vertus dpendent de sa rduction auxproportions dun cart surmontable par rapport ce que lapprenant saitdj dune part et peut faire en autonomie dautre part. Une activit

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    nouvelle est impensable sans la potentialisation de ressources provenantdautres actions antrieures ou connexes propres au sujet. La rupture (struc-ture de lintervention vritablement formative) ncessaire au dveloppe-ment nest jouable que dans la rsolution dans lcart consenti de plusjustes proportions (conditions de possibilits de lintervention formative) :lintervention formative voit ainsi son influence dpendre dune sorte dinertieformative du biographique dans lequel elle sinsre (Bourgeois & Nizet,1997, 1999 ; Dominic, 1998). Sa puissance ne peut ainsi qutre lie unredploiement biographique que lapprenant consentira ou pourra consen-tir, et dont il reste apprcier la mesure.

    Action ducative et communication

    La duplicit interne lintervention ducative, analyse en termes de dou-ble articulation, conduit laborder comme coactivit, dont les dimensionscommunicationnelles vont ncessairement jouer un rle considrable dansla rgulation de sa ralisation en termes de coordination permanente. Lepoint important noter ici est que la coopration des personnes est la foisrgule et mdiatise par des interactions langagires (Bronckart, 1996,pp. 31 et ss.), lesquelles peuvent tre, sur la base des travaux de Habermas(1987), analyses comme un agir communicationnel.

    On peut reprendre ds lors le thme des prtentions la validit commeune entre dans les phnomnes pragmatiques (en situation effective) decommunication. On examine ainsi les rationalits diffrencies quellescontribuent dfinir dans tout cours dactivit et les interactions langagi-res auxquelles il donne lieu, en prenant en compte les dimensions plusspcifiques lintervention formative.

    En premier lieu, lanalyse de la coordination dans laction donne accsau plan des subjectivits, lesquelles se ngocient, se confrontent et contri-buent ainsi des inflchissements sensibles de lactivit et des significa-tions quelle recelle potentiellement, significations qui sont toujours leproduit dun travail subjectif des agents. Se dessine ainsi un premier plan la fois conatif et smantique de la mobilisation de soi dans laction quicontribue au dploiement toujours singulier de lactivit (et qui est repra-ble dans les recherches portant sur les comptences : de Terssac, 1996 ;Wittorski, 1998). Sans doute ici convient-il de rappeler aprs Lontiev (voirClot, 1999a, pp. 176 et ss.) la diffrenciation introduite entre la significa-tion de lactivit, qui renvoie la rationalit interne des savoirs constitusou des procdures dont on vise lappropriation, et le sens que lactivitprsente pour ladulte apprenant, lequel sens prend appui sur les reprsen-tations actuelles de ladulte, ses savoirs stabiliss, mais galement les va-leurs et les convictions qui contribuent la dtermination dune activit

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    significative, cohrente ou valorise ses yeux. Le formateur ou lensei-gnant proposent des activits dans des situations qui sont toujours par na-ture satures de subjectivits. Constater cela nest en aucun cas cder unsubjectivisme extravagant, mais au contraire tenir compte du fait que dessubjectivits sont toujours sollicites par laction et que dailleurs elles sontncessaires au dploiement de celle-ci. La subjectivit nest pas abordercomme une dimension radiquer dans la perspective des objectivationsdont on vise lappropriation ou la comprhension, mais plutt comme unplan crucial de la mobilisation de soi, soi dont on escompte la mise autravail et qui sera transform en retour. Laction

    ne change pas seulement un tat de chose extrieur, mais elle modifie celui quilaccomplit, [] elle est pour lagent une rvlation ; elle ne linstruit pas seu-lement sur le monde, elle lui fait dcouvrir une part de lui-mme que, sans elle,il aurait ignore (Saint-Sernin, 1995, p. 239).

    La formation exacerbe souvent les enjeux de reconnaissance pour lespersonnes confrontes aux vicissitudes des apprentissages (et sur ce point,observons que nulle taxonomie ne peut permettre de construire une chelledes enjeux de reconnaissance, qui sont relatifs aux sens quils prennentpour le sujet et non la difficult intrinsque des objets dapprentissage) ola subjectivit est prendre absolument comme une ressource plutt quecomme un obstacle : cest ici que se soutient le sujet, et cest cela qui seratransform par le dveloppement au fondement de leffort didactique. Pournotre part, nous avons cru pouvoir soutenir que dans de nombreux cas, enformation des adultes, il ne pouvait y avoir connaissance sans reconnais-sance (Baudouin, 1994).

    En deuxime lieu, lentre par la coordination conduit analyser lesformes de rgulation des manires de faire, des procdures mises en u-vre, du temps consenti, des ngociations conflictuelles permanentes entrediverses activits relles que lamnagement des espaces ncessaires laformation introduisent et requirent. Comment lire aprs 23 heures et avant50 ans ? sexclame un matin une participante dun cycle de longue durede formation continue de formateurs1, et laissant entendre ici que la miseen uvre de travaux universitaires dans le cadre dune vie professionnelleet familiale charge impose des choix quotidiens souvent douloureux. Com-ment concilier des impratifs investis et complmentaires dont la simulta-nit dans le temps les mtamorphose en exigences antagonistes et rivales ?

    Ces rgulations convoquent des rationalits mles par lagir que leschanges peuvent tenter de diffrencier. Parmi celles-ci, on observera toutparticulirement celles qui relvent de logiques dontiques , en tant

    1. Certificat de Formateur dAdultes (Cefa), Universit de Genve.

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    quelles sont productrices de normes daction sur ce quil convient de faireou ne pas faire, et qui sont en permanence potentialises dans lagir hu-main et objet de ngociation et de conflit. Elles contribuent solliciter lessubjectivits en des types dinvestissement, de dsinvestissement voire par-fois de souffrance qui sont clarifier et dcrire (Dejours, 1998). Se dessinealors un plan thique et normatif de lactivit qui configure les formes so-ciales de son dploiement. Son enjeu est considrable pour les espaces deformation et de travail car il est dans lexprience commune souvent rabat-tue sur le plan des subjectivits ( cest tout lui ), parce que les valeurs ouleurs transgressions sont toujours au quotidien portes nous, ainsi commeincarnes, par des personnes. Cette caractristique favorise une lecture af-fective ou psychologique de processus dont la logique nest pas que per-sonnelle, mais galement sociale ds lors que ces normes sont relies desformes de vie partages gnratrices de valeurs qui peuvent sexpliciter etse mettre en discussion. Lautonomisation de la sphre thique est lie untravail de distanciation subjective qui permet la comprhension de diff-rents rgimes de lgitimation et de normativit. Elle dfinit une dimensioncritique portant la fois sur le sujet, et la lgitimit propre de ses choix, etsur des rationalits normatives que lon peut dcrire et comprendre sansdailleurs ncessairement toujours les accepter ou les tenir commeraisonnables.

    Car la coordination de laction, dans les tches ducatives, qui mobi-lise des sujets et des rgles dontiques, des subjectivits et des normes,opre sur des plans concrets ou abstraits objectivs qui dterminent lafois le cadre et la vise de lactivit dapprentissage. Celle-ci porte sur du rel historique, symbolique, mathmatique, technique, etc. Elle nces-site des accords sur des plans de description, des tats de chose, des proc-dures, des mcanismes, des processus qui sont dune nature pouvant treradicalement diffrente des rationalits subjectives ou sociales. Ces plansde savoirs objectivs sont abords initialement par les sujets inexperts partir de ces valorisations subjectives et sociales, qui fonctionnent ds lorscomme des schmes indexant les savoirs selon leur hgmonie propre. Nepas tenir compte des dimensions subjectives et normatives dans les activi-ts de formation revient toujours leur donner un pouvoir exorbitant. Orlapprentissage porte sur des termes o les critres dexactitude et deffica-cit forment la base oprative de lactivit : il porte la plupart du temps surdes savoirs tenus pour vrais et/ou efficaces au moment de leur slection etde leur transmission.

    La perspective particulire de la figure que nous venons dexaminerconduit considrer le contrat didactique comme portant la fois sur lessavoirs et les activits retenues pour permettre leur appropriation. Il sup-pose une discussion effective dans la mesure o les significations de lacti-vit sapprhendent partir des subjectivits et des sens quelles dveloppentdans leurs logiques propres.

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    On ne saurait en cet endroit msestimer les ressources dune smanti-que ordinaire de laction (Anscombe, 1957 ; Ricur, 1977) qui semblepouvoir fournir la rationalit premire de tout effort de comprhension :pourquoi ? dans quel but ? Elle est en permanence en arrire-plan des ques-tionnements des apprenants lorsquon leur laisse la possibilit de formulerleur apprciation porte sur les objets denseignement et les activits pro-poses. Elle constitue en fait une sorte dhermneutique primitive et fonda-mentale qui est la racine de la mobilisation de soi. Lexplicitation et laclarification des intentions et des motifs conduit spcifier lagir en termede raison et laborder ainsi en des formes de causalit approprie.

    LACTIVIT DANS SES LIENS LENSEIGNANTET AUX SAVOIRS

    activit

    savoir

    apprenantformateur

    Cette nouvelle face de notre pyramide didactique nous confronte deux ten-sions majeures qui concernent les plans didactiques et pistmologiques.

    Au plan didactique, elle est marque par les rapports souvent antago-nistes entre logique des savoirs et logique de laction, entre rationalit con-ceptuelle et rationalit pratique. Les savoirs objet de formation sont pardfinition mis en mots, structurs, organiss. Ils visent tendanciellement lexhaustivit. Ils sont certes composites, de type dclaratifs ou procduraux,reposent sur des arrire-plans diffrencis qui peuvent tre typologiques ouhypothtico-dductifs, des degrs divers dabstraction, de spcificationou de gnralisation. Mais ils prsentent un caractre de systmaticit, decohrence logique ou de rgles dusages. Ils sont en principe toujours mar-qus par une vise dexactitude.

    Laction relve dune logique qui nest pas celle du concept (Barbier,1996 ; Schwartz, 1997). Elle vise avant tout lefficacit. Elle repose sur dessavoirs pratiques et tacites, lis aux rgimes de familiarit et lhabitude(Thvenot, 1998). Elle est compose dautomatismes, facilement mobilisa-bles, faciles faire, mais difficile dire pour le sujet concern tant ces

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    savoirs peuvent tre incorpors (Leplat, 1997), reposer sur lintuition, desformes dattention diffuses, lis des contextes particuliers et exercs surdes temporalits longues.

    Les formations en alternance confrontent les formateurs ces logiquesdiffrentes et qui le plus souvent se vivent subjectivement comme antago-nistes. Il faut dire quune conception par trop applicationiste de la forma-tion, et des rapports entre savoir et action ou thorie et pratique, a pu apportersa propre contribution ces oppositions qui sont davantage une forme delieu commun quun tat de ralit effective. Certes, il y a une analytique dusavoir qui souligne par contraste une synthtique de laction, laquelle tota-lise une situation, retient une orientation parmi dautres possibles etproduit de lirrversible. Mais de telles propositions sont grossires et fontpeu de cas des rapports infiniment plus intimes et intriqus qui prvalententre ces deux logiques. Lactivit humaine est inconcevable sans un retrai-tement permanent de savoirs incorpors, lis lexprience acquise dessituations et cette recherche de lconomie de soi productrice defficience.Laction relve toujours dune thorie en acte (Vergnaud, 1992), ceci ditsans sophisme, et dune systmatique qui nest pas celle du modle abstraitmais celui de la dcantation de lexprience.

    Les savoirs quant eux prsentent un versant pragmatique que lonaurait tort de rduire un seul principe dutilit. La didactisation des sa-voirs, dans le souci dune simplification facilitant leur systmaticit et leurtransmission, peut contribuer leffacement de leur histoire et donc de leurenracinement dans des pratiques passes ou prsentes mais effectives, desproblmes rsoudre, des horizons dattente, des espoirs ou des luttes.Parce que les savoirs ne sont pas rductibles aux contextes et aux person-nes, groupes sociaux ou institutions qui les faonnrent, parce quils rel-vent (le plus souvent, mais pas toujours) dune rationalit conceptuelle ouprocdurale qui est dune toute autre nature que les logiques smantiquesdans lesquelles se dbattaient leurs initiateurs, parce que les pratiques com-pliquent inutilement (du point de vue de lefficacit didactique) la com-plexit mme des savoirs, on y renonce. Et tant mieux sans doute. Maisrenoncer nest pas annuler. Les savoirs sont eux-mmes le produit de prati-ques disparues ou mconnues. Leur gense est impensable sans un substratpragmatique et smantique oubli.

    Le rapport entre activit et savoir introduit ainsi le formateur la naturecomposite des savoirs. Il linvite tenir compte de la dimension situe deleur inscription en des pratiques historiquement et socialement inscrites, et dvelopper une posture interprtative restituant les liens dialectiques en-tre connaissances et contextes, par lanalyse pragmatique des genres dac-tivit. Nous touchons ici la tension thorique majeure entre la cohrencelogique et conceptuelle des savoirs, qui contribue leur autonomie et leur affranchissement vis--vis des contextes relevant alors de la

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    contingence, et les conditions de leur mergence et de leur construction,qui sont le produit dactions mises en uvre en des cultures toujours mar-ques du sceau de lhistoricit. Lobservation de ce processus peut con-duire le formateur adopter une posture hermneutique, que traduit cetravail darticulation dialectique entre (re)contextualisation historique dessavoirs, dcontextualisation conceptuelle et rinscription dans un agir ac-tuel et contemporain (Brossard, 1998).

    Le rapport entre activit et savoir nest traitable de faon plnire quedans le cadre dune hermneutique que nous pourrions qualifier de prag-matique, posant que toute forme du comportement cognitif de lhommeslabore toujours comme rectification interprtative delle-mme (Rorty,1990, comment par Salanskis, 1997, p. 413). Cette perspective est la foiscritique et sceptique, et questionne le principe dexterritorialit quun cer-tain scientisme voudrait sauvegarder pour les sciences, lesquelles, en tantque formations culturelles ont tre pragmatiquement interprtes, et nepeuvent prtendre rgler toute interprtation (Rastier, 1996). Une telle orien-tation conduit prendre au srieux les ressources pistmiques de touteperformance smiotique, parmi lesquelles le rcit en premier lieu, en tantquelles permettent la rcupration de lexprience passe et fournissentdes supports de rflexivit.

    CONCLUSION

    Les tudes portant sur la notion de comptence en formation des adultes etdans le champ du travail, pour peu quon les examine avec soin, posent laquestion de lactivit et de ses contenus. Lanalyse de la contribution effec-tive des sujets en situation de travail montre que lactivit nest pas rducti-ble la tche prescrite. Elle est sollicitation subjective, laboration normative,confrontation au rel et autrui, intelligence pratique, foyer de dve-loppement. La conceptualisation du statut de lactivit dans une perspec-tive didactique permet desquisser une modlisation renouvele dessituations ducatives : telle est la thse de la figure pyramidale que nousproposons la rflexion.

    Au plan des horizons de recherche ainsi ouverts, nous aimerions rca-pituler les orientations voques. En premier lieu, les situations formel-les denseignement et de formation sont considrer comme des espacesde travail o des tches sont prvues et mises en uvre et suscitent delactivit : la comptence se dploie ou se dgrade dans la dialectique pos-sible ou non entre tche et activit. Les didactiques professionnelles et lesapproches cliniques ddies lanalyse et la comprhension des formesde dveloppement de la comptence peuvent apporter un concours pr-cieux ltude de laction des enseignants et des formateurs, aussi bien

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    dans une perspective de recherche que dans les prolongements de celle-cipour les formations de formateurs et denseignants. Au plan des mthodo-logies mettre en uvre, les dmarches voques plus haut (entretien dex-plicitation, autoconfrontation, instruction au sosie) permettent dapprocherla complexit et lampleur de ce que recouvre la contribution effective despersonnes en situation de travail : on voit mal en quoi leurs pertinencesseraient moindres pour les situations denseignement.

    Dautant plus que le thme de lactivit permet de rendre compte desspcificits de lespace considr. Le concept de double articulation delaction ducative montre la dualit structurelle et non contingente de celle-ci, puisque lactivit des apprenants est au principe mme de lactivitdes enseignants et des formateurs. La nature particulire de la coactivitainsi dfinie conduit examiner de prs les formes de coordination et decoopration que celle-ci dveloppe. Parmi celles-ci, nous avons indiqucomment les interactions langagires pouvaient tre analyses en premireapproximation partir des ressources du concept dagir communicationnelet comment des logiques ncessairement mles par laccomplissementpratique (en terme dauthenticit subjective, de justesse normative et dexac-titude objective) pouvaient tre prises en compte.

    La forme structurelle de la coactivit nest pas la seule spcificitdiscernable des situations denseignement et de formation par rapport auxautres situations de travail. Nous avons insist sur le fait que, dans uneperspective dveloppementale, la tche propose visant lappropriationde savoirs ou de procdures fait ncessairement cart par rapport aux acti-vits habituelles de ladulte. Ce point incite examiner les liens entre lemoment de la situation didactique et ce qui la prcde et lentoure : lob-servation est certes triviale, mais lefficacit didactique dpend des formesde reprise consenties par ladulte dans des espaces de vie qui chappent son contrle. Si lon pose lhypothse quune part de lefficace didactiqueou de son chec rsulte de ces reprises, alors il est ncessaire de prendre encompte le jeu de temporalits diffrencies. Les approches biographiquesdes processus de formation (Dominic, 1990 ; Josso, 1991) sont prcieusespour saisir mieux ce qui en amont des situations ducatives peut dtermi-ner lefficace didactique, tout comme (en synchronie) sa dpendance auxreprises de ladulte. Ce point est important en formation continue parceque les temps didactiques disposition sont toujours rduits par rapportaux autres temps de vie de ladulte.

    Enfin, la modlisation didactique que nous proposons conduit exa-miner les liens dialectiques entre savoirs et activits et ce que les recher-ches portant sur les comptences ont permis dapprofondir. Les propositionsthoriques de genres dactivit (Clot, 1999a) et dhermneutique pragma-tique des connaissances (Rastier, 1998) demeurent explorer et appro-fondir. Restituer par le geste critique et archologique les liens entre

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    connaissance et action ne conduit aucunement une dprciation des sa-voirs et de leurs puissances formatives, mais apprcier mieux ce quilsdoivent aux dimensions de lagir humain qui est aussi histoire. Notre mo-dlisation didactique invite considrer lactivit comme lieu de recher-ches promouvoir.

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