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170 Visage et transcendance. Essai sur l’altérité comme une contrephénoménologie RALUCA BĂDOI Resumé : L’auteur fait une analyse de la philosophie d’Emmanuel Levinas pour mettre en évidence sa conception sur le visage en tant que contre-phénomène. Selon Levinas, le Tu innéfable est incarné dans le visage, le seul qui rend compte de la relation directe à autrui. Le visage levinasien n’est pas le visage charnel, n’est pas une image, il ne peut pas être représenté, il est non plus un concept philosophique ou une catégorie. Le visage signifie. Il est l’ultime signification. Présent au monde, mais n’étant pas dans le monde ou du monde, le visage est une présence étrangèr e qui s’oppose au phénomène parce qu’elle est la trace de la transcendance, donc du Dieu. Mots-clé: visage, phénomène, contre-phénomène, présence- absence, trace, l’Autre, transcendance. L’œuvre pensée radicalement est en effet un Mouvement du Même vers l’Autre qui ne retourne jamais au Même. Au mythe d’Ulysse retournant à Ithaque, nous voudrions opposer l’histoire d’Abraham quittant à jamais sa patrie pour une terre inconnue et interdisant à son serviteur de ramener même son fils à ce point de départ . Emmanuel Levinas Derrière le Levinas de la mode il y a, en effet, un Levinas plus difficile, un Levinas problématique, un Levinas qui se cache derrière son propre visage justement puisqu’il ne peut être trouvé qu’au delà du visage. Je propose à faire un dévoilement sans

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    Visage et transcendance. Essai surlaltrit comme une

    contrephnomnologieRALUCA BDOI

    Resum: Lauteur fait une analyse de la philosophiedEmmanuel Levinas pour mettre en vidence sa conceptionsur le visage en tant que contre-phnomne. Selon Levinas, leTu innfable est incarn dans le visage, le seul qui rendcompte de la relation directe autrui. Le visage levinasiennest pas le visage charnel, nest pas une image, il ne peut pastre reprsent, il est non plus un concept philosophique ouune catgorie. Le visage signifie. Il est lultime signification.Prsent au monde, mais ntant pas dans le monde ou dumonde, le visage est une prsence trangr e qui soppose auphnomne parce quelle est la trace de la transcendance,donc du Dieu.Mots-cl: visage, phnomne, contre-phnomne, prsence-absence, trace, lAutre, transcendance.

    Luvre pense radicalement est eneffet un Mouvement du Mme vers lAutrequi ne retourne jamais au Mme. Au mythedUlysse retournant Ithaque, nousvoudrions opposer lhistoire dAbrahamquittant jamais sa patrie pour une terreinconnue et interdisant son serviteur deramener mme son fils ce point de dpart .

    Emmanuel Levinas

    Derrire le Levinas de la mode il y a, en effet, un Levinas plusdifficile, un Levinas problmatique, un Levinas qui se cachederrire son propre visage justement puisquil ne peut tre trouvquau del du visage. Je propose faire un dvoilement sans

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    conclusions travers une lecture loyale de la philosophielevinassienne jusqu tenter de trouver le visage.

    Si la phnomnologie est considre la mthode essentiellepour voir et dcrire les phnomnes qui se montrent, pour Levinascest dans lextriorit pure de labsolument lautre qui rside toutsens. la fin de Ltre et le nant Sartre annonce une futuremtaphysique de la nature. C est pour cette raison quil a tnomm le dernier philosophe. Levinas reprend ce terme de lamtaphysique en un sens totalement non critique. Le dsirmtaphysique devient ouverture vers lAbsolu qui est lAutre. Il aintensifi sa critique lgard dun e pense qui donne priorit auproblme de ltre sur la question de lhomme. Levinas sestdmarqu de lexistentialisme et de ses contemporains Merleau-Ponty et Sartre. Il sest dtach de la vision de lhomme promuepar le structuralisme et la psychanal yse aussi. Tmoin de larvolution russe, Levinas na pas voulu senfermer en aucun parti lidologie politique. Il a affirm le caractre fondamental delthique en la dclarant philosophie premire. Alors, penser laltrit signifie se plonge r sur la responsabilithumaine. Et penser la responsabilit cest mditer sur notre pensehistorique, faire un voyage dans le temps et se souvenir lesdsastres des vies dtruites au nome de causes barbares. La guerre,le jeu des forces en lutte les uns contres les autres, la fuite vers etpour le pouvoir, le dsir de domination et la servitude nousobligent souvent un retour la morale. Ainsi comme affirmeCatherine Chalier, Levinas rompt avec

    la tradition philosophique rflexive qui suppose qon vavers autrui sur la base dun soi pralable, ft -il pour soiresponsable du monde et sans cesse conqurir. Or, selonLevinas, il sagit de penser au contraire, comment le soiunique, la mesure mme de sa responsabilit tient tout

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    entier, hors essence, dans sa rponse faite lappel de lautrehomme. 1

    Quand la trace de lInfini rencontre lintentionnalit

    Hrite de Brentano mais aussi de Thomas dAquin,lintentionnalit est lopration grce laquelle Husserl romptavec la dualit du sujet et de lobjet, cette relation de type cartsienqui fait de lobjet ma propre reprsentation mentale. Lacomprhension de la connaissance en termes de reprsentationsdes choses en moi est mise hors champ. Les nouveauts de lacteintentionnel husserlien sont les suivantes :

    Lorsque je vise une chose, je peux latteindre elle mme.Alors, connatre cest pouvoir arriver la chose en -soi, non lachose reprsente dans lesprit.

    Toute intentionnalit est objectivante si lacte intentionnelconstitue la chose vise en objet. Mettant laccent sur la relation delobjet la conscience et non sur les termes substantialistes de cetterelation, lintentionnalit fait preuve du dynamisme de laconscience qui est toujours porte vers les choses et qui nest plusentendue comme une clture reprsentative.

    Lintentionnalit husserlienne est double dun processusplus complexe : la rduction ou lpoch. Par cette fameuse miseentre parenthses Husserl refait le mouvement cartsien partirdu monde peru au monde phnomnal. La rduction est uneconversion qui nous rend le vrai sens du monde. Lattitudenaturelle est suspendue et le monde nest plus simplementexistant, mais phnomne dexistence . Mais, lauthentiquesignification de lpoch consiste dans le fait qu elle apporte leregard de la conscience sur elle mme, quelle converti ce regard enme saisissant comme moi pur, comme un ego transcendantal. La

    1 Catherine Chalier, Prface du livre de Stphane Habib, La responsabilit chezSartre et Levinas, LHarmatan, Paris, 1998, p. 12

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    phnomnologie rend possible la transcendance danslimmanence, sans la dgrader. Pour Levinas aussi la dcouverte principale de Husserl a tlintentionnalit. La manire dont Levinas reprend cette thorieinsiste sur le fait que la conscience nest une substance statique quisoppose au monde lui aussi substantiel. Manifester la consciencecomme intentionnalit cest briser les cadres classiques dont seposent les problmes de la connaissance - sujet, objet,reprsentation. Franois David Sebbach affirme en ce sens que, siLevinas stait montr de plus en plus critique par rapport Husserl cest que lintentionnalit husserlienne ne fut pas assezradicale. Ce qui compte pour Levinas ce nest pas quelintentionnalit, soit clatement vers le monde , comme dit Sartre.Levinas brise la cellule de cet clatement solitaire, soumit aumonde. Pour Levinas ce qui est important cest lclatementcomme tel et pas le surgissement subordonn au choses.Mme si Levinas reste fidle lintentionnalit entendue commeclatement, il garde la transcendance mais pas dans limmanencecomme chez Husserl et Sartre. LAutre et lInfini ne sont pas des phnomnes. Ces

    constructions spculatives de Levinas crites avec majusculesignifient lAbsolu de lAu del. Franois Sebbach entend cettetrahison radicale, la perce au -del de lapparatre, comme la plusgrande fidlit. Lautre, qui excde la phnomnalit dsigne cequi fait apparatre tout ce qui apparat. Lautre est visage. Et levisage nest ni phnomne, ni anti -phnomne. Il est, selonlexpression de Jacques Rolland, contre-phnomne. Levinas raliseune vritable rduction phnomnologique dont le principe qui enrsulte va au-del du champ phnomnal. Si autrui prcde le moi,si le je est un autre et si la figure de laltrit radicale entenduecomme assumation dautrui est antrieure tout acte rflexive etintentionnel, alors il faut mieux dire quon ne se trouve pas dans lemonde, mais dans lthique.

    On doit se rappeler que lentre de Levinas dans laphnomnologie sest fait travers la traduction des Mditations

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    cartsiennes. Cest le livre dans lequel Husserl se confrontait avec lamenace du solipsisme transcendantal dans lintersubjectivit et oil laborait son concept dapprsentation. Cest dith Stein,lassistante de Husserl, qui a beaucoup travaill sur les questionsde lintersubjectivit et de lempathie qui deviendront le filconducteur de la pense de Husserl. Elle a marqu la rductionimpossible des vcus dautrui mes propres vcus en dsignantune notion de laltrit dautrui qui nest pas appesantie dans unedonation directe. Stein trouve une solution cette contradiction eninsistant sur le fait que lempathie ne signifie pas vivre le vcu delautre. Autrui ne peut pas tre donn dans une prsenceoriginaire. Elle sera rejointe par la doctrine husserlienne delaprsentation dautrui comme mode de donner suis generis de sontre, comme un mode de prsence nonprsente . Cest sur le conceptde prsence nonprsente que Levinas construira sa thorie sur latrace.

    II. Lasymtrie de lAutre

    Levinas cherchera une thique r adicalement au-del, ailleurs quedans le phnomne, dans un autre champ antrieur au monde quise phnomnalise. Pour comprendre ce principe de Levinas quibrise lordre phnomnologique par la notion de la rencontre, ilfaut dire que le philosophe a t influenc dans sa pensepar Martin Buber. Pour Buber, la relation est premire, ellecommande le tout. Chez Buber la relation du Je et du Tu est lespcifique de la rencontre entre deux personnes, elle prcde touteconnaissance et exprience.

    Je maccomplis au contact du Tu ; cest en devenant Je quedis Tu. Toute vie vritable est rencontre. Au commencementest la relation.1

    1 Martin Buber, La vie en dialogue, Aubier Montaigne, Paris, 1959, pp. 13 et 18

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    Le Je sveille grce au Tu qui parle puisque dans chaque Tu oninvoque le Tu ternel. Pourtant, Levinas a critiqu la dmarch ebuberienne du moins sur deux points. Dabord, Buber traite larelation Je - Tu comme un mode dtre. Or, leffort de la penselevinassienne cherche prcisment dshabiller la rencontrehumaine de toute soumission ltre. La rencontre est unautrement qutre, une interruption de ltre par la bont. Or, ilsemble que la relation autrui se fonde, chez Buber, sur unesymtrie entre un Je et un Tu responsables lun de lautre. Aucontraire, Levinas plaide pour une asymtrie, la seule capable prserver les chances de lhumain. Lasymtrie thique se fondesur lide que mon inquitude pour autrui ne dpend de son soucipour moi. Selon Levinas, lautre me concerne mme sil mignoreou me regarde avec indiffrence. Lthique moblige quitter leterrain de la rivalit et de la revanche. Le dnuement inscrit sur levisage de lautre me fait responsable, mobsde et me met enquestion mme sil refuse me reconnatre. Dans la relationdemeure la diffrence entre moi et autre. Mais la relation semaintient comme niant dans la proximit. La ngation et nonindiffrence de lun pour autre.1 Catherine Chalier remarque lefait que cette dissymtrie entre le moi et lautre sexprime par lacertitude que jai toujours une responsabilit son gard mmelorsquil se dtourne de moi. Levinas ne fonde pas son thique surlontologie. Il cherche une thique qui soit soumise la loi dunBien non contamin par le souci de ltre. Le Bien se trouve au delde ltre, ce Bien qui est nomm par Levinas lInfini ou Dieu. LeBien engage lhomme dans la responsabilit pour autrui.

    La priori de la relation est le Tu inn qui prcde la parole.Raphal Lellouche affirme que l a priori buberien de la relationremplacera pour Levinas la priori de la corrlation notico -nomatique de Husserl, qui est la structure de lintentionnalit dela conscience. Lautre nest pas un phnomne ; il est hors catgorieet il remplace lego transcendantal husserlien1 Emmanuel Levinas, AT, Fata Morgana, Paris, 1995

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    Lellcouche dit aussi quon peut trouver chez Levinas unprocessus de double individuation . Ce procs implique un rapportentre laltrit et la mort. Si pour Buber lindividuation seffectuepar la relation car le Tu nest jamais un objet de connaissance, pourRosenzweig, cest dans la mort que lindividuation se produit et ilsemble que Levinas prend lipsit par se sens premier. Devant lamort, comme irrductibilit individuelle, tous les systmesconceptuels sanantissent donnant lieu lindividualit radicale.La singularit de la mort est que chacun mort par son propr ecompte, personne ne peut mourir ma place. Devant la mort je metrouve toujours seul, dans un rapport face --face avec moi mme.Lhomme meurt pour soi, el ne meurt jamais comme exemplairedun concept gnral. Levinas appliquera ce procs quil nomedformalisation. La dformalisation est lopration inverse de laformalisation que Husserl considrait une des plus importantesconsquences de la raison thorique. On naccde jamais lipsitpar la pense conceptuelle. La dformalisation sera le modle pourla responsabilit aussi, irrvocable, parce que, comme ma mort,personne ne peut la charge ma place. Levinas introduira lanotion plus radicale de la substitution qui permet de penserlunicit au-del de la singularit. Par la substitution unemtamorphose se produit lintrieur, car laltrit prcde le moi,car la responsabilit pour autrui est antrieure tout acte rflexif.Je suis dans une thique qui simpose comme philosophie premireet lthique se trouve en moi comme unicit de la s ingularit.Lessence vritable de lhomme ne se rvle que dans la relationfondamentale au Tu.

    Toute pense est subordonne la relation thique, linfiniment autre en autrui et linfiniment autre dont jainostalgie. Derrire la venue de lhumain il y a dj lavigilance autrui. Le moi transcendantal dans sa nudit vientdu rveil par et pour autrui .1

    1 Emmanuel Levinas , AT, Fata Morgana, Paris, 1995, pp. 108 -109

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    III. Subjectivit et sparation

    Pour Levinas il ne faut pas dire que le Je est un Autre, mais quelAutre est avant moi. Chez Levinas lAutre est le vrai sujet, le soiabsolu.

    Le mme et lautre se tiennent en rapport et sabsolvent de cerapport, demeurant absolument spars .

    La sparation se rvle dans lexprience primordiale, irrductible la logique de lidentit. Lthique levinasienn e exprime lasujtion radicale et originaire lautre, celle de la passivit.

    Cette thique passive de lautre homme est la rvlation delobligation comme responsabilit, en tant que le sujet se veutotage de lautre. Lpiphanie du visage serait le fo ndement de cettepense. Robert Misrahi remarque le fait que, si la moralelevinasienne se noue autour des notions de visage, saintet,obissance sans tre justifie par un critre universel, cest quellerepose en fait sur un pseudo -fondement qui est un a priori.Laltrit de lautre saisie dans son visage peut tre aussi biensource de violence dans le monde empirique. Alors, le premier apriori cest le sujet mme qui rend possible cette morale. Le sujetentendu comme moi est dfinit par Levinas comme conatus. Lephilosophe emprunte ici le terme de Spinoza. Mais, pour Levinasle conatus est le lien des passions et des pulsions captativesdiriges contre lautre et contre le monde. Bref, le conatus cest lavitalit, source de toute violence. Laffirmat ion du moi par luimme constitue ce que Levinas appelle hypostase. Lhypostase cestle retour du mme au mme, soi mme en identifiant le monde lipsit du moi. Ce circuit de lipsit manifeste lantriorit dumoi, hypostase antrieure toute con science. Levinas identifie lemoi avec le sujet. Dans Lau del du verset la subjectivit estemploy pour dsigner la spontanit aveuglante des dsirs .

    On peut tirer deux conclusions :

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    1. La morale levinasienne se fonde sur lidentification du moiavec le sujet.2. Le moi et le sujet sont dfinis simultanment comme tantvitales, comme expressions irresponsable de lipsit, delhypostase originelle quest le moi.

    Pour Misrahi cest justement cette identification qui exprimeun a priori. La description du sujet-moi comme activit gosterepose sur un autre principe, celui de la critique de la philosophieoccidentale. Dans le livre de Lau del du verset la subjectivit estconfronte avec la subjectivit rationnelle. Une telle subjectivit necomporte pas la passivit identifie par Levinas la responsabilitpour autrui.

    La pense de Levinas se fonde sur la critique de larationalit car, pour lui le sujet traditionnel de la philosophie est lesujet de la rationalit, identique au sujet de lactivit. Laphilosophie occidentale fut pour Levinas une ontologie quirduisait lAutre au Mme en ramenant tout le rapport au monde un processus thorique de la connaissance de ltre. Un tel moisujet nest pas capable de fonder une thique de la responsabilit.Dans ce contexte, Levinas procde un retournement par larfrence du visage de lautre.

    Levinas dveloppe une nouvelle thorie qui nimplique plusla possession du soi, du monde et de lautre. Levinas plaide pour lerenoncement: elle est oblige avant tout engagement la responsabilitdans loubli de soi 1. Mais, cette responsabilit passive est uneresponsabilit dotage. Lthique de Levinas repose sur lapassivit. Dans Totalit et infini Levinas identifie le moi avec lasubjectivit qui, cette fois, est entendue comme bont et oubli desoi. Mme si Levinas dsire soumettre lontologie lthique, il y apourtant une relation ontologique quon peut trouver dans lidede la sparation. Cest la sparation qui dfinit la relation du Mmeet de lAutre et non pas lunit antrieure comme nostalgie deltre, ni lunit ultrieure comme unification. La sparation1 Emmanuel Levinas, Au del du verset , p. 154

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    saccomplit comme dsir de lInfini et non pas comme angoisse etsouci de soi. La catgorie de la sparation est totalement oppose celle de manque et de chute. La sparation permet dinscrire dansla subjectivit finie le mouvement de bont et de renoncement quiest la porte vers lautre. Ltre de la philosophie occidentale estremplac par lInfini est celui -ci, comme transcendance, dsign elau-del de ltre o se situe Dieu. De la passivit la sparation,la subjectivit se dvoile comme dsir de lInfini. Ce dsir doit treentendu comme obissance aux commandements, linjonction duvisage et la sanctification de la sparation et de la finitude commemanifestation de la transcendance et de lInfini.

    La signification de la sparation est mtaphysique, car elleindique la distance qui spare le Mme de lAutre dans larecherche de linfini et de la vrit.

    Lide de linfini, la relation entre le mme et lautrenannule pas la sparation. Celle -ci satteste dans latranscendance.1Le moi renonce soi par le dsir qui lui vient de la prsence

    de lautre. Cest ce dsir mtaphysique qui permet au moi de sortirde soi mme et de raliser une conversion sacrifiant son bonheur son dsir pour autrui. Lautre homme est alors, par son visage,ltranger, ltre spar de moi qui est plus important que le moi.

    IV. Le Me voici

    Il ne faut pas chercher, selon Levinas, lhumain dans unmouvement rflexif de soi sur soi, mais seulement dans lemouvement de la rponse autrui. Lhumanit du moi ne rsidepas dans lunit du Je pense, mais dans lappel que lautre exercesur moi.

    1 Emmanuel Levinas, TI, Livre de Poche, Paris, 2004, p. 31

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    Un tel appel drange ncessairement la quitude du moi, i llui interdit tout repos dans une essence bien dfinie commetout enracinement dans une terre, il lui signifie que sa patrienest pas ltre mais lautre ct de l tre 1Cette habitation justifie par le mouvement vers lautre est

    dessence juive. La pense levinassienne voque la ralit deshommes perscuts dans lhistoire, dans le quotidien, dont lamtaphysique na jamais retenu la dignit et le sens. Lhommelevinasien est un tranger qui ne serra jamais dfinit par aucuneracine car, se qui compte cest le mouvement vers lautre,mouvement qui lui interdit de sinstaller chez lui. Cet tranger nepeut abandonner le monde sa dtresse. La proximit est pr -phnomnale, elle prcde tout pour une conscience. La proximitest contact direct avec l autre, elle est la caresse, le dire quisimpose moi avant tout acte de la conscience qui peut lesthmatiser. Dans un autre point de vue, la proximit levinasiennedrange originairement le sujet car il doit subir lexposition totale laltrit. Lapprochement est donc un traumatisme originaire.Sapprocher de lautre se serait oblig rpondre de lui avant touterflexion par la seule mise en prsence de son visage do maneun commandement qui vient dun pass immmorial .

    La perception directe de lautre suppose la responsabilit.Levinas rattache la responsabilit la passivit radicale, lasensibilit mme. La responsabilit sprouve tre antrieure toutchoix. Le premier mouvement vers autre est pens comme unedouleur, comme une blessure qui jette la jouissance. Commentcomprendre cette contradiction ? Il faut dire que, pour Levinas, onnest vraiment responsables des autres que dpossds de nousmmes. Une substitution sopre lintrieur, le soi tant remplacpar lautre. Selon Michel Haar la proximit et lobsession de lautrerenvoient au caractre non naturel, non libre de la relation lautre. Levinas dit:

    1 Catherine Chalier, Levinas. Lutopie de lhumain , Albin Michel, Paris, 1993, p. 85

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    La responsabilit pour les autres ne peut jamais signifiervolontaire altruiste, instinct de bienveillance naturelle ouamour. 1Oblig tre responsable, perscut par les autres, le sujet

    levinasien, de mme que le sujet sartrien, dont il semblelinversion, revendique totalement sa libert et sa perscution.

    Le sujet est assign constantement rpondre duneculpabilit sans tre coupable. Je nai rien fait et jai toujourst en cause: perscut. Lipsit ... est otage. Le mot jesignifie me voici rpondant de tout et de tous .2Cette dfinition de la subjectivit nest -elle pas proche de

    celle sartrienne qui parle dune hmorragie qui provoquerait dansle pour-soi le regard de lautre ? Que signifie tre responsable desautres, de tout, comme chez Sartre?

    Lautre chappe la relation, parce quil est la fois hors demoi et mon moi le plus profond. Lemprise d e lAutre sur le Mmeest-elle vraiment une responsabilit ou elle est plutt unepossession ?

    La dictature de lAutre sur le Mme est si violente que lemoi se nie dans la prsence- absence de lautre. Le don repose surla perte du propre. Pourtant, le pr opre du moi nest pas une perte.Pour Levinas le je est un vritable je lorsquil sabandonne lautre, lorsquil rpond son appel. Le Je sveil quand lappel dela misre le perscute, lorsquil se sent somm de rpondre Mevoici ou, comme le dit Isae, Me voici, envoie moi . Le Moi est unerponse un appel qui le prcde. La rponse est son unicit. LeMoi ne choisit pas cette responsabilit, elle en est lotage. Le Moi,selon Levinas,

    se donne donc comme un point de dsintressement dansltre, ou encore comme un point de responsabilit, cest dire dhumanit, susceptible daller jusqu lexpiation pour

    1 Emmanuel Levinas, AE, Livre de Poche, Paris, 2005, p. 1422 Ibidem, p. 145

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    lautre. Il sveille lorsque la relation autrui met enquestion la fermet du Je et la voue rpondre sans prendreprtexte de son bon droit tre pour tergiverser encore et,en dpit de sa fatigue ventuelle, sans se prvaloir davoirmrit de se reposer.1

    Ce moi sans tre qui se tient en proximit dautrui donne sens labont. Ainsi, comme le dit Levinas, le moi est appel sarrache r lepain de la bouche et faire don de sa peau 2.

    V. Le visage

    Laltrit thique levinasienne devient diffrence commenonindiffrence, cest dire un engagement lautre qui ne peut seramener une diffrence formelle. Selon Levinas, le Tu innfableest incarn dans le visage, le seul qui rend compte de la relationdirecte autrui. En tout cas, il faut dire que le visage levinasiennest pas le visage charnel, nest pas une image, il ne peut pas trereprsent, il est non plus un concep t philosophique ou unecatgorie. Par lpoch thique le visage charnel quon peutregarder, toucher ou caresser tombe hors champ en laissant lieu ouvisage thique. Levinas sloigne de la paradigme husserlienne quinommait la donation directe charnelle, vivante, en chair et en os.Le visage signifie. Il est lultime signification. Prsent au monde,mais ntant pas dans le monde ou du monde, le visage est uneprsence trangre ; il se retire ; il est trace. La trace soppose ouphnomne, justement car il ne se phnomnalise pas tant uneprsence-absence. La trace levinasienne vient de la Bible : Dieu nelaisse pas Mose le voir passer mais lui met la main sur les yeux.Mose ne verra que sa trace, le retrait mme de Dieu. Cest par ceretrait hors de la phnomnalit que le visage excde lephnomne sauve laltrit de lautre nie par sa rduction lalter1 Catherine Chalier, Op. cit, p. 902 Emmanuel Levinas, AE, p. 176

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    ego. Devant le visage la violence cesse. La nudit du visage cest laparole originelle, le Verbe de Dieu qui minterpelle.

    Le visage qui manifeste laltrit de lautre nest pas un objetintentionnel. Son altrit est ce qui chappe lintentionnalit.Pour Levinas il ny a pas de reconnaissance dans laquelle laconscience en rcuprant ces objets irait son achvement. Lidede lInfini nous en conteste la corrlation de la nose et du nome.LInfini quon trouve en nous est ouverture qui est plutt lie lveil qu la conscience, mot qui renvoie au savoir.

    Comment entendre le visage, ce mot trop beau, trop pieux outrop vulgaire comme le nome Jean-Luc Marion ? Comment peut-oncomprendre le fait que la relation autrui cest labsence delautre ?

    Si le visage se trouve toujours dans un au -del peut-onjamais rencontrer lautre comme individu, comme personne ? Aveccette rduction thique perd-on autrui comme personne ?

    En ce sens, Marion parle de lanonymat du visage. Il sembleque le visage levinassien soufre un anonymat par luniversalit.Sil cache la trace de Dieu qui est ce quon peut trouver derrirecette expression ? Derrire la trace je rencontre toujours lorphelin,la veuve, le pauvre, mais jamais tel ou tel homme concret. Levisage souffre un anonymat par la duplicit aussi, car il peut seretirer dans son ouverture et mentir. Le mal trouve son lieu danslanonymat du visage lui mme. Le visage se rvle comme altritradicale mais il ne dit jamais quel autrui est -il. La question passede lautrui lego, puisque je deviens un moi lorsque je suisindividualis par lappel du visage.

    Comment le visage se rvle -t-il et que rvle-t-ilexactement sil ne se donne pas comme voir ?

    La rponse levinasienne est la suivante : autrui ne se donnepas voir, mais entendre.

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    Entendre la misre qui crie justice n e consiste pas sereprsenter une image, mais se poser commeresponsable.1

    Levinas ajoute :je ne sais pas si lon parler de phnomnologie du visage,puisque la phnomnologie dcrit ce quil apparat...levisage nest pas vu...le visage parle. Il parle en ceci que cestlui qui rend possible et commence tout disc ours et, plusexactement, la rponse ou la responsabilit, qui est cetterelation authentique.2 Le visage est une sorte de point darrt et dabsolu, lultime

    signification. Raphal Lellouche le nome expression.Le visage levinassien est la prsence q ui se prsente moicharnellement dans la rencontre ; mais le visage nereprsente rien, il signifie partir de soi et sans renvoi. Il estle signifiant concidant avec son signifi telle enseignequil ne veut rien dire hors sa pure, simple et imprdi cableprsence.3

    Il est la tautologie absolue du sens. Le visage soffre dans sa nudit,il est la seule catgorie qui ne soit pas catgorielle, prsence -absence, prsence dune absence, il est la trace divine.

    Expos mon regard, le visage est dsarm. Ce visage quicache laltrit, sans scurit, expos mon pouvoir est celui quimimpose de ne tuer pas. La suprme autorit du visage quicommande est la parole de Dieu. Le visage est le lieu de la paroledivine, la parole nonthmatis. Le visage es t piphaniqueprcisment car il est contradictoire ; il est faiblesse et autorit enmme temps. On peut dire que le visage suppose :

    Une rectitude de lexposition et de sous dfense.

    1 Emmanuel Levinas, TI, Livre de Poche, Paris, p. 1902 Emmanuel Levinas, TeI, Labor et Fides, Genve, 1984, pp. 79, 81, 823 Raphael Lellouche, Difficile Levinas, lclat, Paris, 2006, p. 39

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    Dans le visage, lhomme est le plus nu mais en mme tempsil fait face, il est tout seul dans son faire face quon mesure laviolence qui se perptue dans la mort.

    Il me demande. Le visage me regarde et mappelle. Il medemande de ne pas le laisser seul. Le visage nappartient pas lhistoire, il nest pas unphnomne. Le visage dautrui est une signifiance de sens qui nestpas thme, nest pas objet dun savoir, ni reprsentation, ni tredun tant. Levinas insiste sur le caractre vulnrable du visage, lapartie du corps humain la plus expose aux violences. La bsencede protection simpose celui qui le regarde comme une invitationau meurtre et comme interdiction absolue de cder cettetentation.

    VI. Ltranget du Visage

    Comment entendre le Visage contradictoire, vulnrabilit etautorit en mme temps ? Le visage propos par Levinas ne peuttre envisag qu la limite du croissement des deux traditionsreconnues comme telles dans sa panse : le judasme etlhellnisme. Chez Levinas, la philosophie ne peut pas tre sparede linspiration hbraque. La pense philosophique et la pensejuive crent un espace, un nulle part qui cache le visage et quireprsente son origine. Seulement cet espace qui nat delinsparabilit de la tradition philosophique et de celle hbraquepermet de comprendre le sens du visage qui se dessine comme nonappartenance au monde, comme un quelconque qui peut tretrouv dans un lieu non-lieu. On rencontre le visage levinassiendans un trange espace o le Dire rencontre le Dit, o latranscendance appelle limmanence. Le vi sage surgit lorsquonprend ensemble judasme et hellnisme, quand on coute sesparoles. Le visage du discours levinassien nest pas tel ou visage, ilest le visage par excellence qui se soustrait toute tentative dtre

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    fig dans un schma dualiste 1. Pourtant, Levinas reconnat le faitque lpiphanie du visage comporte deux niveaux. Dune part, levisage se manifeste dans un contexte culturel, historique, concret.La prsence du visage dans lhistoire concide avec la productionde la signification.

    Dans ce plan horizontal le visage se manifeste commeprsence et il reoit une signification en fonction de tel ou telcontexte historique. Lhorizontalit correspond avec laphnomnalit du visage, avec son apparition. Dautre part,Lpiphanie du visage est visitation2. Il ouvre une nouvelle dimension,une dimension verticale travers son dbordement, son surplus desens qui brise toute signification et qui chappe la manifestation.

    Le visage de Levinas est un visage vif et vide. Il dvoile lanudit du monde et sa propre nudit qui nest plus lieu demanifestation mais un lieu sans lieu, hors toute image, temps etespace. La prsence du visage dans le discours suppose lademande de par o, de quel ct comme tant rvlatrice pourlhumanit. Comme bine remarque Anne Dufoumantelle, elleressemble avec la demande du Sfynx, car elle sadresse lhommequi se trouve en marche, lhomme qui na pas un autre endroit endhors de son propre chemin. Pour lhomme cette question ne faitque dvoiller la prsence dun rapport difficile, ambivalent quil aavec son propre chez soi. Le secret humain devient ainsiindchifrable, lhomme se situant dans un topos de nulle part ,entendu, peut-tre comme un dehors-de-lieu. Ce topos atopyqueprovoque langoise et la preuve du secret, la prsence commeabsence intrieure et extrieure.

    1 La nudit du visage est un dpouillement sans aucu n ornement culturel- uneabsolution un dtachement de sa forme au sein de la production de la forme.Le visage entre dans notre monde partir dune sphre absolument trangre,cest--dire prcisment partir dun absolu qui est, dailleurs, le nom deltranget foncire. La signification du visage, dans son abstraction, est au senslittral du terme extraordinaire, extrieure tout ordre, tout monde. (E.Levinas, HAH, Fata Morgana, 1972, p. 48)2 Ibidem, p. 47

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    Levinas, lui mme le dit: Sa vidit comme nudit sans syrduire fait possible toute nudit dtermine dans le monde car levisage nest pas du monde (TI). Le visage est tranger puisquil estun quelconque. Le quelconque est un singulier qui chappe toutgendre et toute individualit dtermine, il est un exemplaire quireprsente une classe, qui inclut cette classe dans soi -mme sansque linclusion signifie labolition des individus dont la classe estforme.1 Horizontalement le visage ce dploie dans un contextehistorique et culturel mais qui, verticalement, surgit commepiphanie, dans la parole prophtique adresse par Autrui.Lentre du Visage dans le sens se produit partir de cettetranget qui annule le sens antrieur, horizontal pour le briserdans la ncessit de se faire couter par celui auquel le visageparle. Le visage comme altrit se passe toujours au del de latotalisation prcisment parce quil sinaugure part ir du passeimmmorial qui dfait la temporalit diachronique. Cependant,reste le problme du surgissement du visage dans la prsence pourfaire lappel qui provient de limmmorial. Le pass de l appel seproduit dans le maintenant et on rpond au proch ain danslimmdiatet. La parole du visage survient entre lappel et larponse. Lpiphanie du visage comme altrit se trouve justementdans cet cart, dans cet entre. Cest le non-lieu qui approche le Moiet le Visage dautrui, lappel et la repose san s les approprier.

    Pourtant, les mmes demandes restent : si le visage vient duHaut dun temps immmorial qui ne peut pas devenir lobjet dunsouvenir, comment y a t il une phnomnalisation du visagecharnel, culturel ? De plus, si cest la responsabili t qui nouschoisit, si le commandement de Dieu est antrieur au Moi et si nosactes subjectives dentendement ny ont pas laccs comment parlerdu visage sans savoir ce quil est vraiment ? Le discourslevinassien se joue dans cette ambivalence qui condu it vers une

    1 Giorgio Agamben , La communaut qui vient. Thorie de la singularit quelconque ,format lectronique, mis en ligne en mai 1990

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    aporie quon ne peut pas rsoudre en acceptant son trangetoriginaire.

    Le visage nest pas identifiable celui qui de lInfiniprofre lappel, il ne le signifie pas, mais il le fait surgir travers le trou, travers son insignifiance m me commenudit et tranget.1Il est un trou puisquil fait surgir lAutre. Le visage laisse

    lAutre se manifester et le surgissement de lAutre dans le mondese produit comme piphanie qui interrompt lordre brutalement.Linsignifiance du visage est signifie car elle brise lordre de ltrepar un au-del de ltre. La trace du visage signifie pour le monde,pour le moi une signifiance qui vient dun au -del de ltre2 .

    La trace est celle qui donne au sujet prisonnier danslimmanence de la totali t la possibilit de dcouvrir leprochain dans le visage, ce prochain qui simpose moicomme Infini. Le point final et la source de la trace estlternit comme irrversibilit du temps dans un passtoujours dj pass.3Le mystre demeure encore pui sque, en suivant Levinas, on

    peut dire que la trace rend impossible une corrlation entre lesigne et le signifi, entre la transcendance et limmanence parceque le philosophe, comme on la dj vu, garde la sparation.Linsignifiance signifiante du visa ge reprsente une coupure decette adquation, il reste dans une tranget foncire labri detout essayage immanent de signification ou appropriation. Enautre, si aller vers lInfini suppose rester dans ses traces quon les1 Emmanuel Levinas, HAH, p. 582 Le visage est prcisment lunique ouverture o la signifiance du trans -cendant nannule pas la transcendance pour le faire entrer dans un ordreimmanent, mais o, au contraire la trans -cendance se refuse limmanenceprcisment en tant que trans -cendance toujours rvolue du transcendant. Larelation entre signifi et signification est, dans la trace, non pas corrlation, maislirrectitude mme.(HAH, pp.58 -59).3 Ibidem, p. 59

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    trouve dans le visage appell ation, on pourrait dire quelimpersonnalit de lau del du non -lieu devient le regard dautruiqui signifie la vie mais qui garde ses origines dans le passimmmorial. Le sujet avanc par Levinas est un sujet sans ipsit,dont la seule permanence est l a permanence dune perte de soi .1

    Le sujet levinassien nest plus conu la ligne de lamodernit : la conscience est une perte de soi comme renoncementconstitutif du pouvoir, renoncement qui seul peut rendre au sujetson unicit en la constituant comme sujet lui mme. Ltranget duvisage comme insignifiance destitue le sujet de sa positionpremire en le faisant se perdre pour se retrouver la marge delaltrit, cest dire comme ouverture vers autrui. Seulement dansce pur mouvement vers autrui l e sujet se constitue commepersonne. Le sujet est la fois une personne et un vide. Lasubjectivit du sujet est une subjectivit dsapproprie 2.

    Au-del de ltre, est une Troisime Personne qui ne sedfinit pas par le Soi-mme, par lipsit. Elle est possibilit decette troisime direction dirrectitude radicale qui chappe au jeubi-polaire de limmanence et de la transcendance, propre ltre olimmanence gagne, tout coup, contre la transcendance. Le profilque, par la trace, prend le pass ir rversible, cest le profil du.Lau-del dont vient le visage est la troisime personne. Lepronom en exprime linexprimable irrversibilit, cest --diredj chappe toute rvlation comme toute dissimulation - etdans ce sens -absolument inenglobable ou absolue, transcendance1 AE, p. 552 Cette ide dun sujet desappropi on la trouve chez Sartre aussi. Sartre nouspropose un sujet vide qui saccomplit seulement comme nantisation, qui trouveson authenticit dans la prsence --soi comme distance soi. Le sujet sartrien seconstitue comme un sujet lui mme travers son projet existentiel qui peut treentendu comme une ouverture vers laltrit, vers ce quil nest pas. Mais, si ladsappropriation levinassienne dbouche dans lau-del de lInfini sansretournement au Mme, au Moi, la prsence--soi du pour-soi sartrien cherchetoujours la possession du Mme comme en -soi-pour-soi. Lhomme sartrien seveut Dieu, tandis que lhomme levinassien est la trace que Dieu a laisse sur levisage, il est lide laquelle Dieu ou lInfini advient.

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    dans un pass absolu. Lilite de la troisime personne - est lacondition de lirrversibilit. (HAH 59)

    Lau-del est une troisime personne qui reste dansltranget et qui refuse de se donner ou quon lui donne unesignification par le signe. Si lau -del est une personne, il lestjustement car il est absolument vide, justement car il est vid depersonne.

    Chercher le visage levinassien, chercher le visage de Levinasou le visage derrire lequel le philosophe se cache, cest mener unemditation entre le sensible et lintelligible. On ne peut trouver levisage de Levinas que dans ltranget du non -lieu, ou le Diresarticule avec le Dit laissant lieu un entre dit, ou la trace delInfini en nous fait dcouvr ir un autre radicalement autre, un autrequi vient de la transcendance.

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    EN

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