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 Jean Cazeneuve La fabrication de l'opinion In: Les Cahiers de la publicité. N°1, pp. 33-58. Citer ce document / Cite this document : Cazeneuve Jean. La fabrication de l'opinion. In: Les Cahiers de la publicité. N°1, pp. 33-58. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_1268-7251_1962_num_1_1_4735

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Jean Cazeneuve

La fabrication de l'opinionIn: Les Cahiers de la publicité. N°1, pp. 33-58.

Citer ce document / Cite this document :

Cazeneuve Jean. La fabrication de l'opinion. In: Les Cahiers de la publicité. N°1, pp. 33-58.

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la fabrication

de l'opinion

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure,grégé de philosophie, Docteur es-Lettres, Maîtree Recherches au C.N.R.S., M. Jean CAZENEUVEst aussi Secrétaire Général des Groupes deecherches sur la Sociologie de la Connaissance eta Sociologie de la Vie Morale.l fait actuellement un cours à l'Ecole des Hautestudes (Sorbonne) sur la diffusion des connais

sances ar la Radio et la Télévision, et dirige à cesujet une vaste enquête. Il était donc bien placépour appréhender l'opinion publique et les moyensde l'influencer en 1962.

GENERALITES

De tout temps, pour obtenir certaines sortes de succès, les hommesont su qu'il fallait s'appuyer sur l'opinion et qu'il existait des moyenspour gagner plus sûrement ce soutien. Dans l'Antiquité, par exemple,Alcibiade fit couper la queue de son chien pour attirer sur lui-mêmel'attention de ses concitoyens et devenir un personnage célèbre. Mais

il ne semble pas qu'on ait très tôt songé à considérer l'opinion publique omme un objet d'étude. Jean Stoetzel (1) ne trouve pas avantMachiavel et Shakespeare d'allusions précises à cette force envisagéecomme une entité, et c'est à William Temple qu'il attribue le mérited'avoir été, en 1672, le premier à esquisser une théorie des opinions.

Qu'est-ce que l'opinion?Le concept en question est malaisé à définir. D'abord, il ne peut

appartenir en propre ni à la psychologie ni à la sociologie, car l'opinion des individus compose l'opinion publique mais est façonnée parelle. H s'agit donc bien, comme le dit J. Stoetzel, d'un processus

d'interaction sociale. Il faut, d'autre part, faire des distinctions entreles positions permanentes et les courants d'opinion, entre les opinionspartielles, nationales, mondiales. Alfred Sauvy(2), en décrivant cesnuances et quelques autres encore, est amené à conclure que la notionne peut guère être délimitée à priori et doit se préciser à l'usage.Gabriel Tarde (3), moins circonspect, définissait l'opinion comme unensemble de jugements répandus dans le public et concernant desproblèmes actuels.

(1) Jean Stoetzel : Théorie des opinions (P.U.F., 1943), p. 9.(2) A. Sauvy : L'opinion publique (P.U.F., 1961).

(3) G. Tarde : L'opinion et la foule (Alcan, 1901).

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Lorsqu'on veut étudier scientifiquement l'opinion, la sonder, l'évaluer, apprécier les moyens d'action sur elle, on ne peut ni se contentere définitions inopérantes ni refuser de définir. La formulesuivante que propose Jean Stoetzel tient compte des exigences de lapsychologie sociale : Les opinions d'un sujet sur une question déterminée, ou, si l'on préfère, son opinion au sens collectif, sont lesmanifestations, consistant dans l'adhésion à certaines formules, d'une

attitude qu i peut être évaluée sur une échelle objective. Et il y a uneopinion publique quand apparaît, dans la répartition des individussur les différentes nuances possibles de cette attitude, un facteur deconformité. En définitive, on retient, en la précisant, en la rendantutilisable scientifiquement, la conception de Tarde et surtout aussi,ce qui est important, on reste fidèle à l'acception la plus courante dumot, lorsqu'on entend par opinion publique le sentiment dominant ausein d'une certaine communauté sociale, accompagné plus ou moinsclairement, chez les sujets, de l'impression que ce sentiment leur estcommun (4).

D'où peut venir la conformité, la convergence dont il s'agit ici?Un esprit cartésien aimerait pouvoir répondre que, la raison étant lachose la mieux partagée, l'opinion publique représente ce que lacommunauté juge raisonnable. Sans aller aussi loin dans l'optimisme,on pourrait penser en tout cas que le libre examen et le libre arbitrede chacun déterminent son adhésion à un jugement, et que la convergence s'explique uniquement par des processus intérieurs dans lepsychisme individuel.

La technique.

Mais nous savons bien, aujourd'hui, qu'il est possible de créerdans certains cas la conformité par des actions extérieures, par unetechnique, une manipulation de l'opinion. Autrement dit, il arrive quecelle-ci soit « fabriquée ». Dans ce cas, les individus peuvent bienavoir l'impression que le sentiment dominant leur est commun, et parconséquent savoir que leur opinion privée s'intègre dans une opinionpublique; mais ils n'ont pas conscience des raisons véritables de leurconformisme dans la mesure où ils s'imaginent que leur attitudeémane d'un choix libre et raisonnable. La fabrication de l'opinion estun cas très particulier de sa simple formation. Elle se caractérise par

une technique masquant à l'individu les raisons de son option personnelle t lui imposant de l'extérieur son attitude, tout en lui laissantl'illusion d'une libre décision. Cela n'est évidemment possible quepar une action sur les mobiles inconscients, sur les forces uon-ration-nelles qui peuvent incliner la volonté dans le sens désiré par l'auteurde Gette manipulation. Publicité et propagande sont les deux nomsque l'on donne en général à l'action sur l'opinion, suivant qu'elles'exerce par rapport à des objets ou des personnes ou bien par rapport

(4) J. Stoetzel, op. cit., p. 80 et p. 147.

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à des idées. Dans le sens propre du mot, la publicité consiste simplement faire connaître, à c rendre public» (5), et la propagande faitcirculer, diffuse, « propage ». On les peut ainsi comprendre commemoyens d'éclairer l'opinion, d'augmenter le savoir, et par conséquentde rendre l'option personnelle plus libre parce que plus rationnelle.

Mais, le plus souvent, ces termes impliquent une orientation dirigéedes esprits, une pression sur eux, une persuasion qui ne se réduit pasà la simple exposition des faits et des idées. Et l'idéal kantien dujugement qui puise son universalité dans sa seule rationalité risqued'être compromis s'il est vrai que l'on peut déterminer la convergencedes choix et des attitudes par autre chose que l'évidence du vrai et leprogrès du savoir. La perspective d'une civilisation de robots qui secroient libres devient d'autant plus inquiétante que se perfectionnentles techniques pouvant concourir à la fabrication de l'opinion.

Ce n'est pas nouveau.

Mais, comme ces maladies qu i paraissent plus redoutables et plusmeurtrières maintenant pour la seule raison que nous savons mieuxles identifier, la pression sur l'opinion n'est pas un fléau propre à lacivilisation moderne. Certes, les moyens sont plus puissants, et , surtout, ceux qui les emploient en sont mieux conscients. Cela n'empêcheque toute société humaine, en tout temps et en tout lieu, est soumiseà des actions qui, même rudimentaires, peuvent peser sur les individus,modeler leurs esprits et leur imposer une conformité dont eux-mêmes ne connaissent pas clairement les forces déterminantes.

Chez les « primitifs ».

On pourrait même soutenir que dans les sociétés archaïquesl'opinion publique est moins librement élaborée dans le for intérieurde l'être raisonnable et par conséquent plus « fabriquée » qu'elle nel'est dans les Etats modernes où pourtant la publicité et la propagandesont sciemment organisées. Certes, les ethnologues contemporains ontété amenés à corriger quelque peu la description des primitifs que .

l'on nous présentait naguère et qu i supposait une fusion totale de tl'individu dans le groupe. Les travaux de Lévy-Bruhl avaient forte-iment contribué à faire croire que le « sauvage », dominé par lesreprésentations collectives, ne pense guère par lui-même et se conforme

au modèle anonyme d'une mentalité dominée par l'affectivité. Cettethéorie, souvent mal interprétée, comportait des exagérations, etMalinowski a bien montré que, chez les peuples archaïques, il y a descas de non-conformisme. Mais ce qui reste vrai, et qui nous importeici, c'est que, dans ces sociétés qu'on appelait jadis < inférieures »,toutes les conditions sont, en fait, réunies pour que l'opinion publique,c'est-à-dire la convergence des options individuelles, soit assurée bienplus par la pression de l'extérieur que par le choix libre, conscient etréfléchi des opinions personnelles réunies dans l'universalité du vrai

(5) Cf. A. Sauvy : Les faits et les opinions (Les cours de droit, fascicule L

1954-1955), p. 218.

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et du rationnel. Lévy-Bruhl l'avait bien vu : ce qui domine dans lamentalité archaïque, c'est l'affectivité, le sentiment, l'émotionnel, laparticipation vécue à des forces obscures. Et ce qui agit sur. cesaspects du psychisme dans les sociétés sans écriture, ce sont desmoyens purement audio-visuels, avec pour médiation le symbole bienplus que le concept. Mythes et rites sont les véhicules de tout ce quipeut exercer une influence sur l'opinion. Les croyances et même tout

ce qu i constitue pour l'homme, selon l'expression chère aux philosophes modernes, son « être-dans-le-monde », tout cela est imposé auprimitif par son intense et inconsciente acceptation des actions symboliques qui s'exercent sur lui quand il s'associe aux cérémonies duclan ou de la tribu pour se plonger dans l'atmosphère mythique. Lesrituels d'initiation, notamment, sont de véritables séances de dressage,qui façonnent les individus au plus profond de leurs âmes selon lemodèle ancestral, l'archétype sacré. Mais ce n'est pas seulement legroupe total qui peut modeler ainsi son opinion; celle-ci peut êtreaffectée aussi par des pressions plus particulières venant des sociétéssecrètes, des magiciens ou des shamans qui savent user de tous lesprocédés pour orienter les esprits : intimidation, répétition, emploides symboles et slogans mythiques, dramatisation des croyances,recours aux effets hallucinatoires.

I

J

A travers l'histoire.

Dans l'Antiquité classique, le groupe a continué de peser, toutcomme dans les sociétés archaïques, sur les opinions au moyen descérémonies rituelles. A cela s'ajoutait la littérature écrite ou orale desaèdes et des poètes épiques chantant les hauts faits des seigneurs et

la puissance des divinités. Outre la société globale, des collectivitésplus restreintes, des sectes cherchaient à exercer une influence pourréaliser à leur profit une certaine convergence des attitudes. Parexemple, l'Orphisme et les Mystères ont certainement dû leur succèsà une certaine forme de propagande. En même temps, les doctesétudiaient l'art de persuader par la parole. Sophistes et rhéteurscherchaient à agir sur une opinion publique fort sensible aux arguments spécieux : la condamnation de Socrate en est la preuve.

Certes, l'invention de l'écriture, puis, bien plus tard, celle del'imprimerie, en faisant triompher le concept sur le symbole, en

substituant finalement la civilisation du livre à celle du mythe, éloignent de plus en plus l'humanité de la mentalité archaïque. Est-ce àdire que le « miracle grec » marque le début d'un progrès réguliervers le triomphe des éléments rationnels dans la convergence desattitudes et des jugements? En fait, les éléments de pression, sous uneapparence plus intellectuelle, continuent d'être efficaces. Dans lemonde hellénique, des hommes politiques aussi habiles que Philippeet Alexandre ont su employer des procédés qui réveillaient dansl'opinion publique une sentimentalité profonde et parlaient aussi àl'imagination. A Rome, les Grands se disputaient les « clientèles » en

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flattant les plus bas instincts. Dans notre Moyen-Age, l'Eglise a souventexercé sur l'opinion publique une emprise telle que les souverains,pour ne pas s'exposer à la vindicte publique, hésitaient à entrer en

conflit avec elle. Il serait certes intéressant, mais trop long, de suivreau fi l des ans l'histoire des pressions, publiques ou clandestines,matérielles ou spirituelles, religieuses ou profanes, utilitaires ou désin-

** téressées, qui se sont exercées sur l'opinion publique. Evolution lenteen vérité, jusqu'au xxe siècle où, tout à coup, l'humanité semble découvrir ne puissance nouvelle, celle de la propagande et de la publicité,alors qu'en réalité depuis les temps les plus reculés elle la maniait ouétait maniée par elle. Les raisons de cette prétendue révélation et dela stupeur répandue par elle sont de deux sortes. D'une part, lesprogrès rapides réalisés dans les techniques de diffusion collectivemettent à la disposition des groupes de pression des moyens d'ac

tion massive dont on ne peut prévoir exactement les effets. D'autrepart, pour la première fois dans le devenir humain, des théoriciensde la propagande ont, avec d'incontestables succès, mis entre lesmains des partis et chefs politiques un instrument destiné à orienterl'opinion publique. < Il est incontestable, écrit J.-M. Domenach, que lapropagande politique sous sa forme moderne a été inaugurée par lebolchévisme et spécialement par Lénine et Trotsky » (6).

Le viol des foules.

Mais c'est une.propagande d'un autre type qu i a jeté l'alarme, carelle a conduit un peuple à suivre son Fûhrer dans une entreprise de

destruction à l'échelle mondiale et s'est même parfois exercée sur lesnations voisines. Goebels, le grand promoteur de la propagande nazie,a froidement et savamment utilisé tous les moyens pour tromper lesmasses, dévoyer les esprits. C'est cette prodigieuse entreprise de fabrication de l'opinion qui a inspiré à Serge Tchakotine un livre célèbre :Le viol des foules par la propagande politique. Depuis lors, nous avonsencore entendu parler de nouvelles méthodes pour imposer à desindividus ou à des groupes des opinions auxquelles ils étaient d'abordréfractaires : lavage des cerveaux, action psychologique. Et maintenant, n se demande jusqu'où peut aller cette violence faite à la personnalité, et si l'homme de demain ne sera pas le jouet des instruments

de pression qui, à son insu, lui dicteront ses convictions et guiderontses choix. .

En faisant son entrée dans la science, ou plutôt en devenant lefruit d'un calcul délibéré, l'action sur l'opinion, qui, en soi, estvieille comme le monde, est devenue un sujet d'angoisse pour l'aveniret même le présent. Pour mesurer le danger, examinons d'abord lesprincipes et les procédés généraux de la fabrication de l'opinion, puisles obstacles qu'elle rencontre et les possibilités qu'elle peut avoirde les surmonter. Il restera ensuite à apprécier plus spécialement lanature et la portée des différents moyens employés à cet effet dansles sociétés modernes.

(6) J.-M. Domenach : La propagande politique (P.U.F., 1959), p. 29.

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PRINCIPES ET PROCEDES

Il faut d'abord faire une distinction entre deux formes de propagande, suivant le contexte social. A l'intérieur des Etats totalitaires,l'opinion est l'objet d'une pression globale, à sens unique; dans les \

régimes où règne un certain libéralisme, les courants divers qui seconjuguent ou s'affrontent ne peuvent pas s'ignorer les uns les autres,et leurs modes d'action en sont directement affectés. L'efficacité,surtout, est différente dans l'un et l'autre cas. Plusieurs sociologues,comme Lazarsfeld et Merton, ont montré à l'aide d'exemples précisque la propagande monopolisée peut entraîner la persuasion d'unemanière qu i est absolument impossible lorsqu'il y a une concurrence.Tchakotine, dans le même sens, fait état des succès obtenus par leFront d'Airain dans sa lutte contre le nazisme grâce à l'emploi deprocédés semblables à ceux qu'utilisaient les hitlériens.

Dans tous les régimes.Il ne faudrait pas croire, cependant, que les nations dites libéralessoient à l'abri de toute propagande à sens unique. De nombreuxsociologues américains (7) ont noté qu'aux Etats-Unis la radio et latélévision, du fait précisément qu'elles sont gérées par des firmesprivées et cherchent par conséquent à plaire au public, sont amenéesà conformer leurs programmes aux goûts de celui-ci, et contribuentà renforcer l'état d'esprit existant. Il se produit alors une convergencedes moyens de diffusion massive en faveur d'un certain conservatisme.t cet accord sur le maintien du « statu quo », dans le domainede l'esthétique ou de la morale des classes moyennes, conduit en fait

à une sorte de propagande à sens unique tendant à uniformiser lesesprits. On voit donc que l'effet des contextes sociaux sur les typesde propagandes est parfois complexe.

Qu'il y ait ou non monopole, et que celui-ci vienne d'une impulsion >

unique, d'un pouvoir autoritaire ou bien de la convergence des initiatives concurrentes, les modes d'action peuvent varier; mais, au fond,ils se réduisent tout de même à la mise en uvre de quelques procédés.

Action directe sur les esprits.

Toute publicité et toute propagande comportent une certaine part

d'information, vraie ou mensongère, et par conséquent s'adressent à cetitre à l'intellect. Il faut éveiller son attention, mais aussi, dans unecertaine mesure, le laisser passif si l'on veut le mobiliser tout en paralysant l'esprit critique. Les moyens de diffusion collective, ceux qu'onappelle dans le jargon sociologique les « mass-media » (radio, télévision, cinéma, presse à gros tirage) et surtout ceux qui sont purementaudio-visuels réalisent assez bien cette synthèse d'éléments contraires,car ils s'adressent au public dans ses moments de détente, de loisir,et l'inclinent à la facilité tout en accaparant ses sens.

(7) Cf. Schramm : Th e process and effects of mass communications (Univ. of

Illinois, 1960), p. 301. ,

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Des procédés plus particuliers permettent de compléter cet effet.D'abord, la répétition, qui, si elle s'accompagne de quelques légerschangements, peut favoriser la persuasion. Le rabâchage pur et simplepeut même produire des effets spectaculaires s'il s'exerce sur des

individus en état de déficience physique et « mis en condition ». Ceserait, dit Klapper, le principe du lavage des cerveaux (8) Un autremoyen important de manipuler l'opinion c'est, selon Steinberg, lerecours à des jugements très généraux, incontrôlables et définitifs,du type : Tous les politiciens sont vénaux (9) . Ne parlons pas du mensonge pur et simple, qui peut être une arme de la propagande monopolisée, ou de la calomnie dont tout le monde connaît le « grand air ».Plus subtile est la méthode par prétention, c'est-à-dire l'informationfiltrée, tronquée.

Moyens détournés.Cependant, l'esprit critique ne s'endort pas toujours facilement.

Il est recommandé parfois de lui donner satisfaction. Au cours de laseconde guerre mondiale, un service de recherches de l'armée américaine a comparé, à l'aide de tests, l'effet de quelques émissions depropagande sur des soldats. L'un des résultats de cette enquête fu t demontrer que pour obtenir l'adhésion à une certaine thèse, il est parfois opportun de la présenter dans un débat contradictoire où estexposée également l'antithèse (10). Cela, d'ailleurs, ne semble se vérifier que pour des sujets ayant une assez bonne instruction. L'appa

rence 'impartialité peut, évidemment, s'intégrer dans une propagandemonopolisée.

Elle a l'avantage de faciliter les processus de projection et d'identification qui sont parmi les ressorts les plus puissants de l'action surles esprits. Ce sont les psychanalystes qui ont mis ces notions à lamode. Elles sont d'une application courante. Tout le monde sait bienque nous sommes d'autant plus captivés et même conquis que nousarrivons à nous retrouver nous-mêmes dans la personne qui s'adresseà nous. A la radio et à la télévision, les vedettes les plus populairessont celles qui peuvent être l'objet de telles identifications. On citesouvent l'exemple de la star Kate Smith qui, à la radio américaine,

fu t chargée de parler en faveur des bons de la Défense Nationale.Elle en fit vendre une quantité surprenante. Une enquête faite parMerton permit d'établir que les auditrices avaient vu en elle le typeidéal de la mère de famille américaine. En réalité, elle n'était pasmariée; mais peu importe! *

L'identification et la projection ne sont, à vrai dire, que des corollaires d'un principe plus général ; nous ne nous intéressons pas à cequ i nous est totalement étranger, et la propagande ne peut être efficace

(8) J.-T. Klapper : The effects of mass communication (Free Press, 1960), p. 96 .(9) Steinberg : The mass communicators (Harper, 1958), p. 61 .(10) Hovland, Lumsdaine, Sheffield : Experiments on Mass Communications (in

« Studes in social psychology in World War II, vol. IIL Princeton Univ., 1940).

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que si elle s'accroche d'une manière ou d'une autre à quelque chosede notre individualité. Plus précisément, selon Tchakotine, elle doitéveiller fortement l'une ou l'autre, ou plusieurs des pulsions fondamentales de l'être humain : la pulsion combative, la pulsion alimentaire ou plus généralement l'appétit des avantages matériels), la

pulsion sexuelle, la pulsion parentale. Cette classification paraîtrapeut-être simpliste aux psychologues; mais elle est commode; ellepermet de voir par quels biais on peut atteindre les mobiles essentiels de la décision. Encore serait-il, à vrai dire, utile d'ajouter aussià cette enumeration les intérêts d'ordre moral ou intellectuel. En toutcas, les pulsions fondamentales de Tchakotine sont celles qui permettent d'agir sur l'opinion d'une manière quasi-instinctive, et parconséquent de faire violence à la libre délibération, de faire échec àl'examen purement intellectuel et rationnel des informations et desarguments.

I Symboles et réflexes.

Nous retrouvons ici la prédominance de la valeur émotionnelle etaffective qui nous avait paru caractériser la mentalité archaïque. Il nefaut point s'en étonner. La « fabrication » de l'opinion, telle que nousl'avons définie, implique une mise hors circuit de la pensée claire etdistincte, et par conséquent une sorte de régression vers les représentationsollectives où régnent plutôt les symboles et les mythes que lesconcepts et les raisonnements. La propagande hitlérienne l'avait fortbien compris. L'action sur l'opinion publique réalisée par de telsmoyens et selon ce schéma quasi-primitif s'expliquerait, selon Tchakotine (11), par le jeu des réflexes conditionnés. On sait quel est leprincipe de ce phénomène psychique dont Pavlov a exposé la théorie.Il consiste dans l'association, puis la substitution d'un symbole à unobjet qui normalement déclenche une réaction par réflexe simple,c'est-à-dire sans intervention de la volonté. Le point de départ dePavlov a été l'étude des réactions glandulaires chez les animaux : sil'on met un morceau de viande dans la bouche d'un chien, il salive;si on lui donne l'habitude d'entendre toujours une sonnerie à cemoment-là, il arrive à la longue que la sonnette seule suffise à déclenchera salivation, -en l'absence même de toute nourriture. Il est facilede deviner comment ce genre de mécanisme physiologique peut être,étendu au domaine de l'action des symboles et autres signaux de propagande sur les esprits. Des expériences ont montré qu'il est possiblede créer des automatismes psychiques sur lesquels la volonté du sujetpeut difficilement avoir prise et qui, en tout cas, sont relativementfaciles à imposer s'il est dans un état de réception passive. Les « mass-media », avons-nous dit, atteignent souvent l'individu dans un étatpropice à la réceptivité sans esprit critique. En outre, ces moyens dediffusion, surtout ceux qui procèdent par images (télévision, cinéma,magazines illustrés), habituent le public à réagir plutôt à des symboles

(11) Tchakotine : Le viol des foules... (Gallimard, 1952), chap. II et III.

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qu'à des concepts. L'Américain moyen, soumis intensément à l'influence des « mass-media », finit, selon Steinberg, par régler saconduite et ses attitudes sur les symboles des choses et non plus surles choses elles-mêmes (12). Il se trouve donc dans les conditions

idéales pour que ses opinions obéissent aux suggestions de l'extérieurpar des associations symboliques hors du contrôle de sa volonté.

Archétypes.

La manipulation de l'âme par les associations d'idées, d'images,de sentiments, est encore facilitée par l'emploi des thèmes, figurations,formules, symboles, auxquels certaines valeurs sont d'avance attachées. C'est en particulier le cas pour ce que les psychanalystes del'école jungienne appellent les archétypes de l'inconscient collectif.

Il faut entendre par là des virtualités d'images, des possibilités dereprésentation, des à-priori de l'expérience (13) qui en valorisentd'avance certaines données, aussi bien sur le plan affectif qu'intellectuel. L'archétype est une prédisposition innée que nous avons àenregistrer les expériences de telle ou telle façon et c'est un « principe régulateur » de l'inconscient et de l'imagination. Il faut le concevoir omme étant, dans ses couches les plus profondes, un héritagede possibilités représentatives qui n'est pas individuel, mais généralementumain, même généralement animal (14). Les organes de grandediffusion, comme la radio, la télévision, la presse, le cinéma, afin desatisfaire un public qui est une « masse », sont amenés naturellement,

comme on l'a déjà dit, à se plier aux goûts et aux systèmes de valeurnon pas de l'individu en tant que personnalité mais de l'êtreabstrait moyen qui compose cette masse et s'y conforme. Dans cettevoie, ils rencontrent évidemment les archétypes, et cela leur donneune influence sur l'inconscient collectif, c'est-à-dire ce qui, en nous,est le plus éloigné du Moi conscient et volontaire.

\) Stéréotypes.

Moins profonds que les archétypes, dont les racines plongent dans

l'humanité la plus primitive, sont les stéréotypes forgés par lesgroupes sociaux. Mais leur emprise sur le jugement individuel peutêtre très forte. Les < mass-media » font également grand usage de cesstéréotypes populaires, familiaux, nationaux, ce qui contribue à maintenir les individus dans le conformisme par rapport aux groupes età orienter vers le « statu quo » cette convergence des jugements etdes attitudes qui, selon la définition que nous avons retenue, constituel'opinion publique (15).

(12) Steinberg, op. cit., p. 128.(13) C.-G. Jung : Ueber die Psychologie des Vnbewussten (Zurich, 1944), p. 170.(14) C.-G. Jung : Essais de psychologie analytique (Stock, 1931), p. 75 .(15) Cf. Adorno (in Schramm : Mass Communications - Univ. or Illinois, 1960),

pp. 594 sq.

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En définitive, les moyens de diffusion modernes tendent à mettreen uvre tous les moyens et procédés permettant éventuellement defabriquer ou de manipuler cette opinion, soit en contrôlant la manièredont l'information atteint l'intellect, soit en débordant celui-ci par leflot des représentations collectives se rattachant à la catégorie affective, au sentiment, comme cela se produit dans la mentalité archaïque,

soit, ce qui d'ailleurs va dans le même sens, en mobilisant les instinctset pulsions, soit en créant ou utilisant des automatismes branchés surdes symboles, soit enfin en ayant recours aux archétypes et aux stéréotypes qui attirent vers l'indistinction de la masse les valorisationsintellectuelles et émotionnelles.

LIMITES ET POSSIBILITES

Ces modes d'action, on le voit, sont puissants et variés. Dans lapratique, quelle est leur portée? Les esprits peuvent opposer une

résistance à leur aliénation. Quels sont donc les obstacles à la fabrication de l'opinion, et quelles sont les possibilités de les surmonter?

A long terme.

Nous avons cité certaines expériences faites par l'armée américaine pour apprécier l'effet de films et d'émissions sur les soldats.Dans l'ensemble, on a constaté que le résultat était fort médiocre.Quels que soient les procédés employés, le pourcentage des sujetsamenés à changer d'opinion, à adopter une position qu'ils n'avaientpas auparavant était extrêmement faible. Mais on avait testé l'effet

des films et émissions quelques jours seulement après les avoir faitvoir ou entendre aux soldats. Des expérimentateurs eurent l'idée dereprendre le test après un délai de neuf semaines, et ils constatèrentque le résultat, sans être très satisfaisant en ce qui concerne les changements d'opinion, était nettement meilleur. Les effets à long termesemblent donc plus puissants que les effets immédiats. Ainsi s'expliquerait également la conclusion d'une étude importante faite parLazarsfeld quant à l'action de la radio et de la presse sur le choix desélecteurs pendant un scrutin. D'autres sociologues ont observé, eneffet, que l'enquête en question n'avait mesuré que l'effet des émissions et articles diffusés juste avant le vote, alors qu'en réalité l'influence des « mass-media » était sans doute plus forte si l'on tenaitcompte de l'action qu'ils exerçaient lentement et bien avant surl'esprit des électeurs (15).

Cette importance de l'effet à long terme permet précisément devaincre un obstacle qui a été signalé au cours de plusieurs recherches,à savoir une régression partielle à l'état d'esprit antérieur, tout desuite après la réception d'un message persuasif qui avait entraîné une

(15) Cf. Lazarsfeld, Berelson, Gaudet : The people's choice (Columbia Univ.,1944), et Kurt et Gladys Lang : The mass-media and voting (in « American votingbehavior», édité par Burdick et Brobeck - Free Press, 1959).

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certaine modification de l'opinion. Les « mass-media » ne peuvent pasprétendre à une efficacité immédiate; mais le fait d'être exposé longtemps et de façon continue à leur action peut au contraire entraînerdes conséquences importantes et durables.

Renforcement et déplacement.

De quelle nature sont-elles? Les nombreuses enquêtes qu i ont étéfaites à ce sujet permettent d'affirmer que la persuasion s'exercerarement et difficilement dans le sens d'une conversion totale, d'unchangement d'avis radical, mais plutôt en faveur d'un renforcementdes croyances et attitudes préexistantes, ou d'une évolution par déviation t déplacement lent de celles-ci, ou encore d'une adhésion à uneinnovation qui ne les renverse pas.

La cause principale de ce fait doit être cherchée dans ce que lesspécialistes de la psychologie sociale nomment l'attention sélective.On a noté que le téléspectateur, le lecteur des journaux, l'auditeur dela radio, sont enclins, plus ou moins inconsciemment, à n'enregistreret à ne retenir que les messages s'harmonisant avec leurs convictionset à rester imperméables au contraire à ceux qui les heurtent. Celapeut entraîner un rejet de l'information (16). Il faut voir dans ce phénomène une conséquence de la tendance générale déjà signalée àprêter attention surtout à ce qu i permet au sujet, notamment grâce auprocessus d'identification, de se retrouver un peu lui-même dans la

source du message. Cela peut même, dans certains cas, produire cece que l'on nomme « l'effet boomerang ». Une propagande maladroitequi s'attaque de front aux opinions admises se retourne contre sesauteurs. On évitera ces dangers en ayant recours plutôt à l'appelconstructeur qu'à l'action de destruction contre les prédispositions etles préconceptions du public. Une conviction que l'on veut inculquersera mieux accueillie si elle se présente comme une vue entièrementnouvelle que comme une critique des idées déjà adoptées. Un moyenplus sûr encore pour contourner les obstacles de l'attention sélectiveconsiste à utiliser les opinions courantes, pour les diriger dans uneautre direction. Aldous Huxley disait très justement que le propagandiste

st un homme qui canalise un courant préexistant, et qu'il creuserait en vain dans un terrain sans eau. Certes, la persuasion par les« mass-media » peut revêtir parfois, mais assez exceptionnellement,le caractère d'une conversion pure et simple. Mais ou bien il s'agit ducas très particulier des « lavages de cerveaux », qui suppose desconditions peu normales, ou bien l'on a affaire à une situation conflictuelle ntre les normes de différents groupes, et , finalement, c'est enrenforçant l'une des tendances opposées et jusqu'alors refoulées qu'onparvient à renverser l'ordre des choix.

(16) Cf. Cooper et Johada, in Public Opinion and propaganda (édité par Katz, etc.- Hoh\ 1960), pp. 313 sq., et B. Blin, qui rappelle à ce sujet la théorie de s dissonances de L. Festinger, in La Télévision (Institut Solvay, Bruxelles, 1961), p. 185. .

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Conformisme et renouvellement.

En définitive, tous les sociologues semblent d'accord pour affirmerque l'action des moyens de diffusion massive dans la fabrication del'opinion est surtout efficace dans le renforcement des convergencesdéjà existantes qui, justement, constituent cette opinion. C'est d'ail

leurs en cela que consiste le phénomène auquel certains auteursont donné le nom de « massiflcation » (17), et qui n'est pas l'aspect lemoins inquiétant du genre de pression auquel se trouve soumisl'homme moderne, car il tend à éliminer l'originalité, à dissoudreles individualités dans un conformisme médiocre.

Comment en arrive-t-on à ces extrémités? Prenons l'exemple de latélévision américaine, qui a fait l'objet de nombreuses études, concordantes sur ce point. Les producteurs des différentes chaînes, pourtriompher dans la concurrence que se font celles-ci, s'efforcent de seconformer aux goûts du public. Pour les connaître, ils ont recours aux

sondages. Ils voient quelles sont les émissions passées qui ont eu leplus de succès et ils les prennent pour modèles. Ce système du« rating », de l'évaluation de l'opinion, conduit inéluctablement à laroutine, à l'enlisement dans les normes de « l'Américain moyen ».Celui-ci aime-t-il les sketches présentant une certaine image de la viefamiliale, ou bien les émissions de variété faciles? On lu i en donneradavantage encore, et alors se produira l'effet de renforcement. Habitué ces spectacles, soumis à l'effet à long terme, le plus efficace, lepublic se ralliera de plus en plus nombreux aux valeurs esthétiqueset morales de la moyenne; les sondages montreront qu'il s'y incruste,et les producteurs tiendront compte de ce succès grandissant. Voilà

le cercle vicieux dans lequel risquent de s'enfermer les « mass-media ». Car, bien sûr, à quelques nuances près, il en est de mêmeen ce qui concerne la radio, le cinéma, la presse.

Fort heureusement, l'homme du xxe siècle, aussi exposé qu'il soitaux techniques de diffusion massive, garde encore, surtout dans sonélite, des aspirations moins réductibles, et, parmi les producteurs, ontrouve aussi des esprits qui ne se laissent pas réduire en esclavage parle « rating ». Enfin, le monde change, il se produit des événements quisecouent l'opinion. Le conformisme n'est pas toujours une voie facile.

Anticipations.Il faudrait donc, pour que la manipulation des âmes pût aller

jusqu'au bout de ses possibilités, qu'on eût le moyen de prévoir à toutmoment les réactions du public, d'adapter à ses évolutions les arguments et les procédés. Peut-être ne sommes-nous pas éloignés de voirles machines électroniques réduire l'opinion en formules mathématiquest la livrer comme un objet à ceux qui font métier de lamodeler.

(17) G. Cohen-Seat et P. Fougeyrollas : L'action sur l'homme : cinéma et télévi-'sion (Denoël, 1961), pp. 58 sq.

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Dans ce domaine, une tentative a été faite récemment aux Etats-Unis, pendant la campagne électorale de 1960 qui aboutit à l'électionde J.-F. Kennedy (18). On a dépouillé de nombreux documents concernantes scrutins précédents pour en extraire toutes les indicationspossibles sur le corps électoral. Et, avec une machine électronique

qui, en somme, se substituait à celui-ci, on a pu tenter de prévoirquels seraient les gains ou les pertes de voix pour le parti démocrate si tels arguments (par exemple la question religieuse) étaientutilisés à tel ou tel moment de la campagne. Précisons tout de suitequ'il s'agissait là d'une expérience de laboratoire qui, en fait, n'a pasété utilisée par les candidats. Mais elle ouvre de nouveaux horizons,et a de quoi laisser perplexe. Quousque tandem...* Ainsi, une étudecompliquée mais scientifique du champ opératoire pourrait permettreà de futurs Machiavel de réduire l'opinion publique en fiches perforées t d'aiguiller avec le maximum d'efficacité la convergence desesprits. A moins, cependant, que la nature humaine ait quelque liberté

secrète d'échapper aux machines et à la « massification ».

LES DIFFERENTS «MOYENS»

Leaders d'opinion.

Nous avons jusqu'à présent envisagé dans leur ensemble les divers

facteursqui

peuvent contribuerà

fabriquerl'opinion. Ils ne

sontcependant pas tous semblables dans leur nature et dans leurs possibilités. Quels sont leurs rôles et leurs portées spécifiques?

L'une des grandes découvertes des sociologues, et particulièrementde l'équipe groupée autour de Lazarsfeld, en ce qui concerne l'actiondes « mass-media », c'est que celle-ci n'est pas directe, mais plutôtmédiatisée par ce que les Américains nomment le « face-to-facecontact », c'est-à-dire les relations de personne à personne. La massedu public n'est pas aussi indistincte et amorphe qu'on l'avait crulongtemps. Elle est plus ou moins structurée, hiérarchisée par le rôleque jouent certains individus auxquels on donne le nom de c leaders

d'opinion ». Ces derniers, d'ailleurs, ne sont pas les mêmes dans tousles domaines. Dans un groupe donné, celui qui joue ce rôle en matièrede mode, par exemple, n'est pas celui qui guide les tendances politiques. Il faut qu'on lui reconnaisse une compétence particulière.D'autre part, ces leaders sont toujours fortement intégrés au groupeconsidéré et en sont des échantillons représentatifs. Enfin, ils sontplus que les autres soumis à l'influence des « mass-media », tout aumoins dans le domaine en question.

(18) Cf. Sola Pool et Abelson : The simulmatics project (in « Public Opinionlarterly - Summer, 1961, " "~ *" "" " '

simulator (ibidem, pp. 184-uarterly

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Tout cela a été mis en évidence par de nombreuses enquêtes, enparticulier celle de Lazarsfeld déjà citée sur une campagne électoraleet celle de Katz et Menzel sur l'adoption d'un nouveau remède par lesmédecins (19). Ce sont les docteurs les plus influents dans le groupeprofessionnel et en même temps les plus ouverts aux sollicitations del'extérieur, ceux qui lisent les journaux et écoutent les émissions médicales, qui adoptent et font adopter par leurs collègues les nouvelles

thérapeutiques. Mais c'est en conversant avec les autres médecinsqu'ils sont amenés à prendre cette décision. La circulation des informations est donc très complexe, et les « mass-media » ne jouent plusun rôle décisif dans la conversion; ils ont plutôt pour effet de renforcern choix, de confirmer une attitude déjà adoptée. Cependant unetelle conclusion ne doit pas conduire à minimiser le rôle des moyensde diffusion massive. Elle démontre seulement une fois de plus queleur action s'exerce plutôt dans le sens du renforcement que danscelui du changement d'opinion. Et le fait que les « leaders » soienttoujours les gens les plus exposés aux « mass-media » nous renvoiefinalement à l'effet à long terme de ceux-ci, pourvu simplement qu'onle situe dans ce processus à plusieurs phases (20) . La fonction des« leaders d'opinion » est de mettre le groupe en contact avec l 'environnement extérieur grâce aux moyens de communication appropriés.

Rumeur.

Les relations interpersonnelles directes, qui ont pour forme laconversation, n'ont pas toujours, dans leur action sur l'opinion,l'allure d'une transmission organisée et hiérarchisée. Elles peuventêtre beaucoup plus diffuses, et l'on a affaire alors à ce que les psychosociologues nomment la « rumeur ». En fait, celle-ci est probablement

stimulée aussi par les « mass-raedia » et par l'autorité des leadersd'opinion. La rumeur, dit Allport, qui a consacré à ce sujet une importante étude, circule d'autant mieux qu'elle peut remplir une doublefonction : expliquer et défouler les tensions émotionnelles des individus. 'autre part, elle est caractérisée par une tendance à réduire lesstimulus, c'est-à-dire l'information transmise, à une structure simplifiéeui s'adapte aux intérêts et aux expériences préalables de l'individu (21). Elle risque donc fort, dans la plupart des cas, d'agir dansle même sens que les < mass-media »,

Educateurs.

Parmi les types de diffusion par contact personnel, il faut citerd'une part ceux qu'on peut observer dans les réunions, rassemblementst foules où, comme l'avait bien vu Gustave Le Bon, se produitgénéralement une régression vers la mentalité archaïque, une prédominance de l'affectif et de l'émotionnel, et d'autre part l'enseignementtraditionnel, les conférences, les prêches dans les communautés reli-

(19) H. Menzel et E. Katz : Social relations and innovation in the medical profession (in «Public Opinion Quarterly», 1955, pp. 337-352).

(20) Cf. E. Katz : The two-step flow of communication (ibidem, 1957, pp. 61-78).(21) Allport et Postman : The psychology of rumor (Holt, 1947).

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gieuses. Dans ces derniers cas, on peut, certes, avoir affaire à unf exemple particulier du rôle des leaders d'opinion, mais il faut tenir

compte aussi de deux circonstances spécifiques. D'abord, même si, lai plupart du temps, professeurs, instructeurs et prédicateurs tendent àf se conformer à une culture traditionnelle ou à renforcer une morale

i déjà admise par leurs auditeurs, leur action personnelle peut se mani-', fester d'une manière originale, et faire contrepoids à tous les élémentsl de « massiflcation ». Secondement, ils se trouvent en face d'un

toire rassemblé pour les entendre, ce qu i n'est pas le cas, en général,dans l'action des leaders d'opinion. Ils disposent, de ce fait, de certains avantages des « mass-media », tout en n'étant pas soumis auxmêmes servitudes. On peut donc les ranger parmi ceux qui, en un

[ sens, contribuent à fabriquer l'opinion, à titre d'éducateurs publics;1 mais, d'un autre point de vue, c'est sur eux que l'on peut le plus

compter pour réduire, s'ils veulent assumer cette mission, les effetsdes moyens de diffusion massive dans la mesure où ceux-ci imposent

la convergence des esprits dans la médiocrité.Les c mass-media », nous les avons déjà énumérés. Ce sont princ

ipalement : l'imprimé, le cinéma, la radio et la télévision.

Imprimés.Les livres, souvent, prolongent l'enseignement des maîtres. Ils

peuvent également s'y opposer. De toute manière, leur action, bonneou néfaste, est essentiellement personnalisée. C'est seulement en étantretransmis par les autres moyens de diffusion qu'ils risquent de s'intégrer dans le mouvement de « massiflcation ». Autrement, la culturedu livre peut contribuer à maintenir le goût de l'originalité dans

notre civilisation. L'influence d'un ouvrage, d'un roman à thèse parexemple, peut être grande dans certains milieux; mais elle pénètrerarement dans toutes les couches de la société.

La presse a une action plus continue et plus large. On pourraitcroire- -«fue- la- concurrence entre journaux de tendances différentesrend impossible, dans ce domaine, la propagande monopolisée. Mais,eu fait, la plupart des gens lisent un quotidien et non pas ceux duparti adverse; ils sont donc soumis à une pression à sens unique oùpeut même s'exercer à loisir le procédé de la répétition dans le changement. La presse, d'ailleurs, est moins diversifiée qu'on ne croiraitau

premierabord : elle est

concentréeentre

les mainsde quelques

groupes. D'une manière générale, elle est soumise, comme la plupartdes « mass-media », à la servitude du « rating ». Il lui faut plaire à saclientèle pour la conserver, et, par conséquent, flatter le goût du plusgrand nombre. Jacques Chastenet, certes, a raison de dire que « lesjournaux seraient différents si le public les voulait différents ». Maisl'argument peut se retourner : les rédacteurs donnent aux lecteurs cequ'ils demandent et les empêchent ainsi de devenir différents. Il étaitd'ailleurs inévitable que les journaux finissent par chercher le sensationnel qui assure les gros tirages, et par conséquent l'appel auxpulsions instinctives. Les inventeurs de ce procédé, les Bennett et les

Pulitzer, n'ont fait que hâter un processus de dégradation qui tient

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à la nature même du journalisme. Le cas des « magazines » est le plusinstructif. Ils en arrivent non seulement à renforcer les options diffuses dans l'opinion publique, mais à en faire une sorte de mythologienouvelle, grâce à l'imagerie et à une prédilection pour les archétypeset stéréotypes populaires. On pourrait, à ce sujet, citer le rôle desjournaux dans deux domaines bien différents : la violence et, d'autrepart, les intrigues sentimentales des souverains étrangers (22) .

Cinéma.

Le cinéma a fait l'objet de plusieurs études qui ont à juste titreinsisté sur les interférences qu'il peut produire entre le fictif et leréel. En tant que création imaginaire, le film réalise toutes les conditions que nous avons analysées quant à la fabrication de l'opinion parl'action sur les instances psychiques échappant le plus aisément aucontrôle de la conscience claire et de la raison. Mais, dans ce contextepresque onirique, l'écran nous renvoie aussi une représentation ouplutôt une interprétation du monde, et par conséquent il nous com

munique des informations. Que l'on songe par exemple à la présentation de la jeunesse qui était faite dans « Les Tricheurs », à celle dela société italienne dans « La dolce vita ». D'autre part, la salleobscure est le lieu idéal des phénomènes d'identification. Les vedettesimposent dans l'opinion certains types d'homme ou de femme, certaines manières d'être et de vivre. Il suffit, à ce sujet, de citer lesnoms de James Dean, de Brigitte Bardot. Bien entendu, le cinéma,comme les autres « mass-media », renforce les préjugés de groupe, lesgoûts du spectateur moyen, pris comme étalons du succès. La violence,la sexualité, s'il les réclame, on ne l'en prive pas, et l'on contribue,comme par un réflexe conditionné, à lui en faire souhaiter davantage.

Radio et T.V.

Tout cela, nous pourrions évidemment le répéter pour la radio e>pour la télévision, la première étant, comme l'imprimé, plus enchaînéeaux concepts et aux abstractions, la seconde partageant avec le cinémale privilège d'agir directement sur l'imagination, l'une et l'autre ayantune tendance à renforcer les goûts de la masse, l'une et l'autre aussiayant des effets plus directs que la presse ou le cinéma grâce aucaractère instantané de leur transmission et aussi par le fait qu'ellessont des voix et des images à domicile.

Le cas de la télévision mérite une attention particulière, car, sansconteste, sa force de suggestion est la plus grande. On a parfois exagéré l'attitude passive qu'elle semble imposer au spectateur. Des étudescomme celle de Mme Himmelweit, en Angleterre, ont apporté à cesujet d'utiles corrections. Mais, s'il n'est pas purement passif, le publicdu petit écran est du moins réceptif et, le plus souvent, sensible à unsentiment d'intimité qui favorise les processus de projection et d'identification. Plus encore qu'à la radio, le prestige de la vedette peut ici

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(22) Le journal « Paris-Match » a consacré plus de 70 articles à Peter Townsend,vec 339 photos, dont 7 couvertures.8

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contribuer à forcer la conviction. Mais le plus grave, c'est le mélangede fiction et de réalité qui, bien plus qu'au cinéma, peut faire illusion.La télévision se présente comme une ouverture sur le monde réel. Orelle ne peut le restituer intégralement. La radio en est plus encore

incapable (23), mais l'appel qu'elle fait à l'imagination pour construireà partir du son ce que l'il ne voit pas (24) est, du moins, flagrant. Lecaractère irréel ou surréel du spectacle télévisé n'est, au contraire, pasmanifeste. Et pourtant, la camera ne peut saisir qu'une face deschoses; elle nous impose un angle de vue. Surtout, la télévision resserre la durée, raccourcit l'espace et dramatise l'action. Kurt et GladysLang ont montré, par exemple, combien le spectacle du retour triomphalde Mac Arthur à Chicago était différent pour le téléspectateuret pour le badaud dans la rue (25). Ainsi, même quand il n'y a pasde < truquages », le petit écran transpose la réalité, la rend spectaculaire.'illusion d'objectivité que donne la télévision, bien plus que

tous les autres « mass-media », contribue beaucoup, et sans doute parses effets à long terme plus que par une action momentanée, à affaiblir l'esprit critique, à désarmer l'intelligence devant les puissancesde l'imagination et de l'affectivité déchaînées presque à son insu.L'effet de « massiflcation », l'influence sur la convergence des espritsn'en sont que plus grands.

Hiérarchie et combinaisons.Quels sont respectivement les rôles de chacun des moyens de

diffusion massive dans cet immense et complexe processus de fabrication de l'opinion où se trouve engagé l'homme moderne?

Il résulte de diverses enquêtes que la présentation orale et visuelledes messages produit de meilleurs résultats pour faire retenir desdonnées simples. Pour les idées complexes, l'imprimé est plus efficace.Aussi bien est-il souvent plus apprécié par les intellectuels, dont on anoté, par ailleurs, la résistance à l'expansion de la radio, puis de latélévision. D'autre part, lorsqu'il s'agit de choix délicats, comme parexemple l'adoption d'un nouveau remède par les médecins, les organesde diffusion spécialisés, tels les journaux professionnels, ont plus devaleur persuasive que les autres.

Dans les expériences qu'on a faites en laboratoire pour mesurerla force de persuasion des différents « media », la hiérarchie est la

suivante. Après le contact personnel, ce sont les moyens visuels, télévision et cinéma, qui ont le plus de pouvoir; puis vient la radio etensuite le journal (26). Mais dans la réalité quotidienne les choses nesont pas aussi simples. Pour diverses raisons, notamment celles qu'onvient de dire, l'ordre de ces facteurs peut être modifié dans certainscas particuliers. Ce qui est sûr, c'est que le maximum d'efficacité est

(23) Cf. H. Schwitzkee : in Rundfunk un d Fernsehen, 1953, n° 4.(24) La force de suggestion de la radio peut être grande, quand elle renforce

l'anxiété. D'où les paniques provoquées en France par l'émission « atomique » deJean Nocher, et aux U.S.A. par celle d'Orson Welfes annonçant une invasion deMartiens, et qui a fait l'objet de nombreuses études de la part de sociologues américains, en particulier H. Cantril.

(25) Kt et G. Lang : The unique perspective of television and its effect (in« American sociological review», 1953, pp. 3-12).(26) Klapper, op. cit., p. 109.

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réalisé par la convergence de tous les moyens de diffusion. Or nousavons vu qu'ils s'accordent généralement dans le renforcement desopinions déjà admises (27), en fortifiant les stéréotypes (28) en greffant sur eux des héros et des mythes. C'est donc une sorte d'entreprisede conformisme, de réduction à la médiocrité des goûts que risquefort de représenter la fabrication de l'opinion par les organes de

diffusion à grand rendement, en vertu de ce que les cybernéticiensnomment le « feedback », c'est-à-dire l'influence du public sur l'émetteur29).

On objectera peut-être que si les groupes de pression qui détiennent es leviers de commande des « mass-media », que ce soient desentreprises privées, des partis ou des gouvernements, ont pour dessein de modifier l'opinion, de lui imposer des mystiques nouvelles,il ne peut plus en être de même. Cela n'est pas entièrement vrai.D'abord parce que, nous l'avons vu, il faut pour convaincre canaliserun courant déjà existant, et surtout parce que, même si les doctrineset les thèmes changent, les moyens d'action imposent une tactiquesemblable. Il faut, pour agir sur l'opinion et même la modifier, seconformer aux goûts, tenir compte de l'attention sélective, mobiliserles pulsions fondamentales, faciliter les processus d'identification, présenter au public les idoles qu'il souhaite, manier les archétypes del'inconscient collectif et les stéréotypes du groupe.

UNE ISSUE?

Nous disions que l'opinion publique se définit par la convergencedes jugements. Ce qui est grave, c'est que pour l'obtenir et, au besoin,l'accroître, on est toujours plus ou moins contraint, parfois d'ailleurs

innocemment, sans s'en rendre compte, de réaliser aussi la convergencedes goûts en sacrifiant les originalités au profit de la moyenne,et la convergence des esprits en noyant la réflexion raisonnée sous lapoussée des forces instinctives et affectives. Il faudrait, pour réagircontre cette dangereuse facilité et pour élever le niveau de l'opinionpublique, ne pas craindre son verdict et renoncer à lui obéir. Alors,au lieu d'être fabriquée, elle serait créatrice de valeurs, fût-ce au prixd'un déchirement. Elle serait peut-être moins publique mais davantage ne opinion dans le sens le plus riche du mot. Entre la propagande partisane et active qui utilise consciemment les moyens dediffusion et de pression pour asservir une masse qu'elle méprise, et,

d'autre part, un libéralisme qui, sans parti-pris doctrinal et sansvouloir expressément modifier le « consensus omnium », s'en faitl'esclave et ainsi l'abaisse, n'ayant d'autre but que le rendement mêmedes « mass-media », la voie est étroite, hélas, vers un humanismenouveau utilisant les moyens modernes pour éclairer et rendre pluslibres les esprits.

Jean CAZENEUVE.

(27) Meier et Saunders : The poils and public opinion (Holt, 1949), p. 144.(28) Berelson et Janowitz : Reader in public opinion and communication (Free

Press, 1953), p. 67 .(29) Cf. sur ce cas particulier du feed-back dans les communications de masse :

Merton, Broom et Cottrell : Sociology to-day (Basic books, 1961), pp. 56 5 sq.

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LA PUBLICITE SIMPLE PARTIE PRENANTE

Dans l'étude qu'il a réalisée pour « Les Cahiers de la Publicité »,ean Cazeneuve précise fort justement la distinction qu'il conviente faire entre la formation de l'opinion, phénomène spontané qui

amène, au sein d'une communauté, une conformité de pensée, et lafabrication de l'opinion, qu i créée délibérément cette conformité pardes moyens extérieurs.

La fabrication de l'opinion, dit-il, est un cas très particulier dela simple formation.

Au sortir de cette étude, force nous est de constater la réalité decette assertion. La fabrication n'est pas un élément essentiel dans

l'établissement du phénomène de conformité, et la publicité n'estqu'un des moyens de fabrication.

Pourtant, c'est toujours les avis couramment recueillis le confirment la fabrication, plus spécialement dans son expression publicitaire, qui retient l'attention des censeurs et polarise la critique.

Quelles sont donc les raisons qu i peuvent motiver cette conjonctiones accusations ?

Nous croyons pouvoir trouver deux explications à cet état de fait :

la publicité est accusée d'être un « acte commercial »,

la publicité prête le flanc parce qu'elle agit à visage découvert.La publicité est accusée d'être un « acte commercial ».

La publicité subit, en tant que facteur de fabrication d'opinion,la dépréciation qui s'attache aux choses ayant un caractère commercial.

Dans une excellente étude consacrée aux fabricants d'opinion,le R. P. Garett les accuse d'être à l'origine d'un malaise que l'onpeut attribuer à quatre facteurs :

les abus ;

la puissance des moyens ;

la nature commerciale de leur travail ;

l'importance de l'opinion publique dans les sociétés modernes.

Et concernant la nature commerciale de leur travail, le R.P. Garett précise :

Peut-être même ces abus et ce pouvoir ne seraient pas si troublants, n'était le fait que ces instruments mystérieux sont à vendresur le marché. Le caractère commercial de la formation modernede l'opinion publique signifie que l'opinion publique est devenue une

marchandise à acheter et à vendre, à la portée non pas du plus sageou de la majorité, mais du plus riche.

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Ce malaise latent entraîne une réaction de défense et de suspicionà l'encontre de tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à de lapublicité.

Les mêmes techniques, les mêmes méthodes, utilisées pour lavulgarisation et la diffusion d'idées, bonnes ou mauvaises, et la

promotion d'uvres, valables ou non, auront de fortes chances' den'être pas considérées comme un viol des foules et de bénéficierd'une mansuétude leur permettant de paraître actions éducatives auseul bénéfice de la communauté tout entière.

Tel slogan politique badigeonné à la peinture blanche sur lemacadam sera sans conteste pour nombre d'intellectuels le signetangible d'une exceptionnelle tolérance privilège d'une démocratiebien comprise.

Par opposition, au même endroit, en bordure de la route, unecitation indiquant que telle marque d'essence ou telle firme pneumat

iqueient d'aménager le carrefour qui suit, évitant du même coupplusieurs accidents chaque année, cette citation respectant tous lesrèglements de la protection des sites, risquerait fort d'être immédiatement considérée par les mêmes comme une insulte aux regardsune entrave à la liberté, à l'épanouissement de l'homme, etc..

La publicité prête le flanc parce qu'elle agit à visage découvert.

Cette qualité fondamentale de la publicité, agir à visage découvert, e retourne contre elle et contribue également à polariser lescritiques. La publicité se voit, se remarque ; elle est même toujours,

dans une très large mesure, conçue et réalisée dans ce but.Parmi tous les éléments qui contribuent à fabriquer l'opinion

et qui viennent d'être analysés, combien sont aussi personnalisés,combien sont aussi délimités dans leur forme et dans leur action ?

On ne critique pas ce que l'on ignore. Or, on ne peut pas ignorerla publicité.

Lorsque certain critique, traitant de publicité, parle de persuasionclandestine, il ne peut le faire qu'au stade de la conception, au stadedu laboratoire qu i a préparé la campagne. Au stade de la réalisation,la publicité telle que nous la définissons, agira à visage découvert.

Affiches, pages ou annonces dans les journaux, communiqués,films publicitaires, rien dans l'arsenal qui ne soit réglementé, répertorié, délimité, folioté, encadré, surtitré, présenté hors programme.

L'exemple des films d'entr'acte projetés en salles éclairées, pourspectaculaire qu'il soit, n'est pas unique en son genre.

La publicité, lorsqu'elle est exécutée par des professionnels, necherche pas à se cacher ; elle proclame toujours son objectif : faireconnaître, faire choisir, faire acheter.

Le lecteur, l'auditeur, le spectateur, est toujours prévenu qu'ils'agit de publicité.

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MAGICIENS : NON

TECHNICIENS : OUI

Après avoir défini le rapport entre la fabrication et la formatione l'opinion, Jean Cazeneuve s'attache à fixer les limites de la

fabrication. -

Les nombreuses enquêtes qui ont été faites à ce sujet permettentd'affirmer que la persuasion s'exerce rarement et difficilement dansle sens d'une conversation totale, d'un changement d'avis radical,mais plutôt en faveur d'un renforcement des croyances et attitudespréexistantes. .

// nous paraît très important de noter cette phrase dans un temps

où d'aucuns prétendent que les publicitaires possèdent, grâce àl'apport des sciences modernes, l'arme absolue, c'est-à-dire les instruments capables de modifier les dispositions sentimentales les plusprofondes.

Oui, il nous agrée vraiment, après les accusations qui ont étéportées au début de ces débats, que l'accent soit mis par un sociologue sur tous les obstacles, toutes les limitations, que rencontrenthabituellement les fabricants d'opinion, et partant, tes publicitaires.

Voilà un langage qui peut surprendre ici, mais il nous paraîtnécessaire, à nous aussi, de ne pas laisser s'accréditer des croyances

proclamant la toute-puissance de la publicité, et sur lesquellesJ.B. Eggens a mis l'accent avec beaucoup de juste sévérité.

Tous les obstacles, toutes les limitations rencontrées dans lafabrication de l'opinion, et parfaitement décrits par Jean Cazeneuve,sont applicables à la publicité. On peut même prétendre que, dansles pays de libre concurrence, la publicité suscite sa propre limitation n créant des contre-courants qui annulent aujourd'hui ce quiétait annoncé hier.

L'histoire économique contemporaine montre effectivement un

grand nombre de cas où la publicité, malgré la qualité des techniquesemployées et la puissance des moyens mis en uvre, s'est avéréeincapable de promouvoir le produit.

Les exemples américains cités par l'accusation démontrent amplement les insuccès de campagnes publicitaires pourtant savammentorchestrées.

Certains viennent montrer que, s'il peut être relativement aisé dechanger les habitudes des gens pour des produits de peu d'importance,ou que le public croit « similaires » (dentifrices ou savonnettes),l'affaire devient beaucoup plus délicate lorsqu'il s'agit d'objets de

valeur ou personnalisés (automobiles ou ameublement).

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Un des exemples français les plus caractéristiques nous paraîtêtre celui d'un apéritif d'origine italienne qui fut, aux environs de1950, lancé sur le marché français; Cet exemple est la démonstrationparfaite de l'échec provoqué par un refus des consommateurs.

Cet apéritif, à base d'artichaut, arrive sur le marché françaisfort de la deuxième place qu'il vient de réussir à prendre en Italie.

Le lancement sur la région parisienne est spectaculaire. Le principede la dégustation gratuite est choisis Un groupe important de représentants exclusifs visitent systématiquement les détaillants qu'ilsapprovisionnent en bouteilles offertes par la marque. Des pages entières ans les quotidiens annoncent les endroits où l'on peut goûterle nouvel apéritif. Le produit ne résiste pas à l'épreuve. Le goûttrès spécial donné par l'artichaut, qui vient de séduire les italiensrebute les français. Et malgré un très important effort publicitaire,qui va se prolonger 18 mois, utilisant tous les moyens traditionnels

larges annonces dans la presse, émissions radiophoniques, affichages massifs, films publicitaires, patronages de courses cyclistes

pour une dépense estimée à 140 millions de francs 1950, c'est l'échec.Quelques milliers de litres sont péniblement vendus chaque jour danstoute la France, contre 80 à 100.000 litres pour les grands apéritifsfrançais.

Certes, toutes les campagnes publicitaires et Dieu mercine connaissent pas cet insuccès, mais sans connaître d'aussi gravesdéboires, certaines opérations ont dû parfois être stoppées pourpermettre à leurs promoteurs de changer tout ou partie du produitou de l'argumentation primitive, afin d'avoir quelques chances desurmonter les objections, les refus, les hésitations du consommateur.

Il fallait que cela fût dit. Que cela le soit dans une revue de publicité, édigée par des publicitaires, n'atténue en rien la confiance quenous gardons dans les étonnantes possibilités de notre professionpuisque, nous allons maintenant le démontrer réfutant du même coupcertaines accusations, la publicité est par son dynamisme et sonefficacité, un exceptionnel facteur d'évolution sociale.

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RECONNAISSANCE

DE DETTES

La reconnaissance étant la chose du monde la moins bien partagée,l nous paraît nécessaire de rappeler avec quelque insistance lesspects positifs de la publicité.a publicité invite le consommateur à sortir de sesabitudes.e renforcement des convergences déjà existantes entraîne, toujours'après Jean Cazeneuve, le phénomène de massification qui tendéliminer l'originalité, à dissoudre les individualités dans un confor

misme médiocre. Et, citant Vexemple des chaînes de télévision américaines qui s'efforcent de se conformer au goût du public, JeanCazeneuve n'hésite pas à dire : le système du rating, de l'évaluationde l'opinion, conduit inéluctablement à la routine, à l'enlisement.

Cest ici que se situe, à notre avis, le premier point de divergence entre l'information et la publicité, car nous pensons quel'une des fonctions essentielles de la publicité consiste à sortir desgens de leur conformisme.

Le lancement d'un article nouveau est l'exemple le plus probantdu cas où les consommateurs sont appelés à sortir de leurs habitudes, l'appel publicitaire s'adressant personnellement à eux, les inviteà réagir, à se renseigner, à essayer, à désirer obtenir autre chose,en un mot, à rompre avec le conformisme, par opposition aux informations générales le plus souvent enregistrées passivement.

La publicité offre aux consommateurs pluralité de choixet d'opinions.

a) Pluralité de choix.

// est un autre élément qui ajoute au fait que la publicité contribue atténuer les risques de massification.

Contrairement aux entreprises d'information ou de loisir quis'efforcent de se conformer au goût du public, lui offrant ainsi toutesles mêmes choses, la publicité, par la diversité des produits ou desservices qu'elle propose, procure des possibilités de choix qui permettent à l'homme d'être, en définitive, plus rationnel dans son

comportement.

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b) Pluralité d'opinions.

Quand bien même l'entreprise d'information ne pratique pasle rating, elle est parfois partiale et risque de ce fait d'orienter saclientèle dans une direction donnée.

Vaxiome : c'était écrit dans le journal, garde à notre époque, malgré son caractère désuet, une force qui ne se dément jamais. Symbole de confiance, il est aussi la preuve de l'extrême vulnérabilitéde certains esprits non-éclairés devant les informations présentéespar « leur » journal.

Or, il s'avère en cette matière, très facile de dire ou de ne pasdire ce que Ton veut. L'exemple du costume gris, cité par AlfredSauvy, est fort significatif sur ce point :

« Votre veston est gris. Je peux vous démontrer qu'il est blancen prenant 40 ou 50 fils blancs. Et 5 minutes après, je vous démont

rerai u'il est noir, car je ne prendrai que les fils noirs ».Et Alfred Sauvy ajoute :

La sélection des informations est une puissante façon de tromper ;

au point que la vérité, de nos jours, est devenue la principale formedu mensonge.

Cette situation risque de s'aggraver si le journal ou l'émetteurest l'unique source de renseignements de l'individu. Toutes les étudessur la presse, réalisées en France à ce jour, ont amplement démontréque certains journaux comptaient un nombre respectable de lecteurs

uniques, et, qu'à l'opposé, bien des i' ^spectateurs ne regardaientjamais un journal.

Il y a, dans ce cas, de fortes chances pour que l'opinion émisepar la source d'information devienne, à la longue, celle du lecteur.

Et l'information, objective ou non, mais unique, risque de façonner sa manière les esprits. C'est alors que l'information écono

mique, sous forme de publicités, pour différentes marques, publiéesdans un même journal, va, se substituant à l'information pure, rendrepossible la pluralité d'opinions. Les exemples abondent, qui démontrenta réalité de cette pluralité. Grand écran ou petit écran, machi

nes tambours ou à batteurs, moteur avant ou moteur arrière, réfrigérateur à absorption ou à compression, graisse animale ou graissevégétale, enseignement de langues étrangères par livres, disques ouconversation...

D'aucuns ne manqueront pas de prétendre que toutes ces propositions ne formeront jamais que des opinions limitées.

Il nous agrée, quant à nous, qu'elles continuent d'être publiées,car elles garantissent une possibilité de choix et le choix n'est-il pasun élément déterminant de la liberté ?

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La publicité permet une vie plus facile et offre des garanties our le consommateur.a) Vie plus facile.

Si le choix librement effectué peut être réfléchi lorsqu'il s'agit

d'un bien d'équipement, il n'en est jamais de même pour les achatsde caractère banal. Le consommateur qui descend chaque jour s'approvisionner ne peut, même s'il en avait le désir, se livrer à une séancede dégustation avant de fixer sa préférence sur un produit jugémeilleur qu'un autre. C'est à ce stade que l'on peut le mieux mesurerl'avantage insoupçonné de pouvoir commander avec une réelle sécurité la marque que l'on aura au préalable eu l'occasion d'apprécier

le seul souci aura été de la retenir ; il suffit maintenant de commander : « Donnez-moi une bière X ou du café Y, pour être assuréde retrouver le goût, l'arôme, la qualité qu i nous avait précédemmentséduits. Cela fait partie, qu'on le veuille ou non, des facilités que

la publicité met à la portée de tous.Et tous ces perfectionnements de présentation, de conditionnement,

d'utilisation que la publicité a cherchés, a trouvés, a mis au pointpour la plus grande satisfaction du public 1

Essayez donc de proposer aux ménagères d'acheter de la lessiveen vrac, des savons de toilette en barre ou du shampoing en litre.Même pour un prix dérisoire, elles n'en voudraient pas, préférants'offrir, même en les payant, les facilités mises à leur dispositionpar les marques, considérant à juste titre que le temps perdu entracasseries diverses ne se rattrape jamais, et que le temps gagné

grâce aux procédés modernes sera mieux utilisé à des activités plusagréables ou plus nobles.

b) Garanties pour le consommateur.« Attendu qu'il est indéniable que pour l'acheteur, la marque est

une garantie de bonne qualité... (arrêt de la Cour d'Appel de Bordeaux).. .

Lancer une marque par la publicité, c'est assumer une lourde responsabilité. Le producteur, par la publicité, perd son anonymat ets'engage vis-à-vis de ses acheteurs. Ces derniers, par leur massemême, exercent en permanence une forte pression sur lui. Bon gré,mal gré, il est contraint de maintenir la qualité de ses produits.

Cest à partir de cette qualité rendue publique que le fabricantdevra chercher à transformer, améliorer, agrémenter sa productionpour que la publicité puisse donner de sa marque une vision toujoursplus séduisante. Et d'améliorations en transformations, rendues souvent nécessaires par celles de la concurrence, on s'acheminera versun service toujours meilleur au consommateur.

Un des exemples les plus saisissants d'évolution en ce domaineest, sans conteste, celui de l'appareillage ménager. En quinze années,les réfrigérateurs, machines à laver, cireuses et autres, ont réussià conquérir un très important marché, tandis que se perfection

naientes appareils.

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La publicité met le luxe à la portée de tous.

Nul ne conteste plus que le progrès technique est une réalitéirréversible et que le progrès social nait du progrès technique.

La fabrication de biens, en série de plus en plus grandes, avecson corollaire de l'abaissement des prix, et la découverte de produits

ou de procédés nouveaux, exigent la création de débouchés, la découverte d'acheteurs, de consommations.

Il y a nécessité de faire connaître au public le progrès technique,de l'informer et de le documenter. Cette prise de conscience lui donnera le désir de s'en procurer les fruits. Ainsi s'améliorera le niveaule vie par un profit étendu au plus grand nombre, des nouvellesrichesses créées.

Cette information et cette documentation indispensables sont laraison d'exister de la publicité : Dans le monde où nous vivons maintenant, il est impossible de se passer de publicité (Dr Fisher, archevêque de Cantorbéry) . Et, parce qu'elle a accéléré la vente en grandes

quantités, la publicité a permis à un nombre croissant d'individusd'acheter mieux et de vivre mieux.

Que l'on songe à l'amélioration de la consommation alimentairejusque dans les couches les plus modestes de la société, à l'extraordinaireprogrès de l'hygiène et du confort, au développement desloisirs, depuis le camp de vacances jusqu'à la photo-flash à la portéede tous 1

Et si toutes ces améliorations paraissent encore à certains tropproches des besoins fondamentaux de l'individu, la preuve est faitedésormais que la publicité peut tout aussi bien vulgariser les décou

vertes scientifiques : l'introduction récente de certains tissus enfibres synthétiques dans la haute-couture est la résultante d'une trèslongue action publicitaire.

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