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ECOLE DE CRIMINOLOGIE
UNIVERSITE DE MONTREAL
Equipe de Recherche en Innovation Criminologique auprès des .daltes
(E.R.I.C.A,)
classement des détenus:
Revue de litt('-rature/
NV 6025 C4 1978
Pierre M. Lagier, directeur du projet
Jean-Guy Desrosiers
Colette De Troy
Mictel Elfegoun
Luc Pariseau, assistants de recherche
F4vrier 1?7e
Recherche subventionnée par le Ministère du Solliciteur Général du Canada.
Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles des auteurs et ne sont
pas nécessairement celles du Solliciteur Cgnéral du Canada,
LIBR ARY boot,m,Tzv C !HE soucrioe
„
26 1981
1 elu11-iÈQuE
...:, U.c_ItEol GÉNÉRAL __._......._....."».....................
f
Copyright ot es document does not belon to the Grelin.
Pteet authorizgron must be *amui irom the aulhor ior
, any intended use.
Les des d'auteur du présent document ,6appeennent
pas a bute ut■iiseon
du contenu du présent
document doit être approuvée préalabtement
par auteur.
(0 o r_11.
/q7K
Avant-propos
La présente recherche est avant tout une revue de littérature.
Lorsque nous avons initialement présenté le projet au Ministère du Sol-
liciteur Général, nous envisagions une recherche appliquée qui nous aurait
permis d'apporter une solution alternative au systke de classement actuelle-
ment en vigueur au Centre Régional de Réception de Sainte-Anne-des-Plaines
(Québec) et dans la région pénitentiaire du Québec.
Le mandat que nous avons reçu du Ministère du Solliciteur Général,
mandat que nous avons accepté, a été d'effectuer un tour d'horizon de la
littérature sur le classement des détenus en vue dtélaborer un modèle crimi-
nologique de classification.
Tel que décrit dans le contrat de recherche l'objectif était double:
- d'une part, préparer une revue complète, critique et objective de tous
les systèmes dont font état les travaux et ouvrages en matière de classement
et de typologie des délinquants, et ainsi décrire clairement les systèmes ou
typologies, les méthodologies par lesquelles chaque système a été mis au point,
fournir une documentation sur la crédibilité et la validité de chaque système;
- d'autre part, comparer les systèmes afin de discerner les avantages et
les déficiences propres à chacun pour suggérer des recommandations quant à la
typologie ou au classement que devraient adopter le Service Canadien des
Pénitenciers ou les autres organismes correctionnels et en citer les consé-
quences.
Le mandat ajoutait une demande de recommandations sur la recherche
nécessaire à l'amélioration des systèmes de classement.
Eh cours d'opération un tel mandat s'est rapidement révélé, même dans
le cadre d'une revue de littérature, d'une portée très vaste, trop vaste
devons-nous avouer pour les modestes moyens que nous avions: budget limité,
donc personnel et temps comptés au minimum.
En conséquence nous prions le lecteur d'excuser notre présomption
initiale et faisant amende honorable de notre vanité de chercheurs, nous lui
livrerons ici les fruits de travaux qui indubitablement le laisseront sur sa
faim. Du moins essaierons-nous de rencontrer au mieux les termes de la der-
nière partie de notre mandat: avancer des recommandations sur la recherche
nécessaire.
Cependant, nous croyons avoir suffisamment examiné le panorama scienti-
fique en la matière pour que notre travail ne suscite pas une répétition; au
reste dans ce domaine, s'il n'est pas inutile d'effectuer un bilan comme nous
avons tenté de le faire, il est sans doute illusoire de l'imaginer définitif
mais tout autant de croire - comme nous le verrons - qu'un bilan plus complet
serait décisif.
Non licet omnibus adire
Corinthum...
Pour rencontrer les fins de clarté et de critique objective qu'on nous
demande, il nous est apparu efficace de scinder en deux la présentation de
notre travail.
Ainsi un premier volume présentera la méthodologie de notre recherche
et se consacrera à l'aspect théorique de l'étude du classement et des typologies
de délinquants et de détenus, alors qu'un second volume portera sur l'étude des
systèmes de classement actuellement applioués 01.1 des systèmes faisant l'objet
de projet d'application.
TABLE DES MATIERES ET PLAN DU VOLUME I
VOL. I. Méthodologie et perspective théorique
Paue
4
Chapitre I. Terminologie 5
A. Classement et classification 6
B. Classement, nomenclature et typologie e —d
C. Classement, taxinomie et systématique 17
D. Bilan terminologique 20
Chapitre II. Problématique (perspectives historiques) 22
A. Classement des délinquants et classement des détenus 23
10 Classement et évaluation 24
a) l'évaluation des délinquants 27
b) l'évaluation des détenus 30
20 Classement et intervention 33
a) intervention pénologique 34
b) intervention thérapeutique ou clinique 41
B. Les objectifs de la recherche 47
10 Le tour d'horizon de la littérature 48
20 Perspectives opérationnelles 49
Chapitre III. Méthodologie 50
A. Les techniques de recherche 52
1° La consultation des experts 52
2° L'inventaire bibliographique 53
3° L'analyse méthodique, répertoriante et critique 54
Introduction
B. Les données 54
10 Les données doctrinales 54
2o Les données théoriques 55
3o Les données expérimentales 55
4° Les données empiriques 56
C. Les sources des données 56
10 Les recueils bibliographiques 57
2° Les banques informatisées 57
3° Les périodiques 59
4° Les livres 62
50 Les rapports de recherches > monographies, tiras-à--part et thèses 62
6° Les publications officielles: rapports d'activités, rapports administratifs, rapports d'enquête, etc. 62
D. La procédure de recherche 63
10 Le recensement des articles de p4riodiques 63
20 La collecte des autres donnes 63
30 L'analyse des données 64
40 Les conclusions 65
E. Limites méthodologiques 65
1o Les limites spatiales 65
2° Les limites temporelles 66
3° Les limites budgétaires 66
Chapitre IV. Vue d'ensemble 69
A. Les modèles de classement orientés vers la théorie criminologique 72
10 Les typologies idéales 72
2° Les typologies empiriques 72
B. Les modèles de classement orientés vers la gestion pénale 75
10 Les classifications de défense sociale 75
2o Les classifications prédictives 76
30 Les classifications en tant que systèmes de contrôle de la gestion pénale 77
C. Les modèles de classement orientés vers l'intervention thérapeutique 79
Chapitre V Bibliographie s4.1ective 83
A. Références concernant les modèles de classement orientés par la théorie criminologique 85
B. Références concernant les modèles de classement appli-qués dans la gestion pénale 118
Références bibliographiques (des 4 premiers chapitres) 135
Conclusion 143
Introduction
La question du classement des délinquants et des détenus est sans doute
une des plus anciennes de la criminologie puisqu'on la trouve dès les premiers
travaux scientifiques sur les criminels et dans les essais sur l'organisation
des prisons. Ce n'est donc pas étonnant qu'elle ait déjà fait l'objet de
revues de littérature. Le contraire eut étonné, mais curieusement, même dans
les milieux avertis, c'est l'absence de revues de littérature sur la question
qui passe pour l'idée reçue.
Dès notre premier examen, quant à nous, nous nous sommes rendus compte
que les travaux bibliographiques en la matière pèchent par plusieurs points;
par exemple, ces études répondent rarement à un objectif déterminé d'avance,
elles ne paraissent guère suivre une méthodologie spécifique, elles ignorent
souvent de vastes pans de la littérature disponible sans que l'on sache pourquoi,
etc... Bref, la plupart des revues de littérature existantes se caractérisent
par leur incohérence. Nous avons souvent l'impression que leurs auteurs se sont
contentés de ce qui leur tombait sous la main et ne se sont guère interrogés
sur la pertinence ou sur la finalité de leur travail.
Pareil bilan devrait remplir d'aise le néophyte. Lui enfin va pouvoir
faire mieux. Mais le jeu de la revue de littérature est un jeu téméraire.
Chaque jour le sujet étudié s'enrichit de nouvelles publications. Du coup,
c'est un travail qui perd de son acuité au fur et à mesure qu'il avance. Voilà
bien quelque chose de déprimant pour un chercheur, même rat de bibliothèque.
Dans le présent travail nous avons tenté de sortir du dilemme en délimi-
tant un cadre de référence que nous allons exposer dans les premiers chapitres
de ce rapport: terminologie, problématique et méthodologie.
4.
1 6.
g Lorsqu'on parle de classement des délinquants ou des détenus, un
certain nombre de concepts sont utilisés tant en anglais qu'en français.
Il y a certes un problème de traduction d'une langue à l'autre mais il y a
d'abord un risque de confusion terminologique au sein même de la langue
utilisée et c'est ce premier risque qu'il convient d'éviter.
A. Classement et classification
La langue anglaise, généralement plus simple dans ses désignations,
est avare de mots mais du coup elle réduit les ambigultés. Pour classement
ou classification, elle n'a qu'un seul terme, qui, selon le Oxford English
Dictionary (Clarendon Press, Oxford, ed. in 1961), se définit comme suit:
Classification: 1) the action of classifying or arranging in classes,
according to common characteristics or affinities; assignement to the proper
class - 2) the result of classifying; a systematic distribution, allocation
or arrangement in a class or classes; esp. of things which form the subject-
matter of a science or of a methodic inquiry.
En anglais donc, la classification est à la fois une action et un résul-
tat, et dans les deux cas, ce terme désigne toutes les opérations consistant
à distribuer des individus ou des choses en catégories.
Cependant, en anglais, il y a deux verbes relatifs à ces opérations.
Mais il semble bien qu'il n'y ait guère de différences sémiotiques entre l'un
et l'autre puisque leurs définitions se lisent (in the Shorter Oxford English
Dictionary on Historical Principles, ed. by C.T. Onions, Oxford at the Clarendon
Press, 1969) ainsi:
7.
To class: 1) to classify; 2) to place in a class, or class-list;
3) to rank; to be classed.
To classifE: to arrange or distribute in classes according to a
method or system.
Nous pouvons tout de même ici sentir une nuance. To classify (classifier,
en français) suppose une méthode ou un système préexistant, ce qui n'est pas le
cas de to class (classer).
Or c'est justement la nuance que nous trouvons, cette fois-ci plus forte,
dans la langue française.
Selon la fiche numéro 70 des Observations grammaticales et terminologiques
du grammairien de l'Université de Montréal, Madeleine Sauvé (Secrétariat Général,
janvier 1977):
"Classer, c'est
Diviser en classes, en catégories et, par extension, assigner, attribuer une classe; ranger dans une catégorie. Met-tre au nombre, au rang (de). Mettre dans un certain ordre.
tandis que classifier, c'est
Faire, établir des classifications".
Et dans cette logique, la langue française propose deux substantifs
"classement" et "classification" qui dans la pratique courante font malheureu-
sement souvent l'objet d'une confusion.
8.
D'après la même fiche 70, le classement c'est:
"L'action de ranger effectivement d'après un certain ordre, ou encore le résultat de cette action".
alors que la classification c'est:
"L'action de distribuer par classes, par catégories ou, plus précisément, l'opération par laquelle on détermine idéalement ou théoriquement un ordre dans les objets à classer".
Cette différence se retrouve évidemment dans les définitions des ouvrages
qui font autorité. Ainsi le Grand Larousse encyclopédique (Paris, édition de
1960 en 10 volumes) nous donne au volume 3 les définitions suivantes:
Classement n. m. Action de classer. Ordre établi parmi les objets classés.
Classification n. f. Action de distribuer par classes, par catégories.
Système de classement.
Et le Dictionnaire encyclopédique Quillet (Paris, édition de 1968)
renchérit:
Classement n. m. Action de classer, de mettre dans un certain ordre.
Résultat de cette action, de ce travail.
Classification n. f. (de classe, et suffixe-fication du latin fieri,
être fait)-Distribution régulière et méthodique de diverses choses suivant un
certain plan.
1 9.
1
Pour quiconque n'est pas linguiste la distinction peut paraître subtile.
Il faut la comprendre, car comme nous le dit Madeleine Sauvé (op. cit.)
c'est un anglicisme que de ne pas la faire et d'employer le mot classification
là oû s'imposent les termes classe ou classement. En effet, la classification
est une opération en quelque sorte antérieure au classement. Elle consiste
à établir le système selon lequel sera effectué le classement.
Dans son Dictionnaire de la langue philosophique (P.U.F., Paris, 1969)
Paul Foulquié nous précise la distinction:
"Classement: Action de classer les choses ou les personnes, i.e. de les ranger dans un certain ordre. Dans la plupart de ses emplois n'est pas synonyme de classification: le classement a pour objet des êtres réels (des fiches, des idées,...); la classification, des idées ou des types d'êtres qui n'existent en tant que tels que dans l'es-prit (les espèces animales, les systèmes philo-sophiques,...). Le classement est essentiellement pratique, la classification est essentiellement théorique."
La fréquente confusion - l'anglicisme, peut-on dire - vient d'une sub-
tilité d'usage; en principe en effet, les termes "classer" et "classement"
sont utilisables d'une façon générale alors que traditionnellement on n'utilise
pas les mots "classifier" et "classification" pour des personnes.
Ainsi, l'expression anglaise "classification officer" utilisée dans le
Service Canadien des Pénitenciers ne devrait jamais être traduite par "officier
ou agent de classification" mais toujours par "agent de classement" car le rôle
de ces fonctionnaires est de "classer" les détenus selon une "classification"
antérieurement établie afin d'en constituer ainsi le "classement".
Les puristes peuvent donc trouver leur compte dans cette distinction qui
pour être linguistiquement importante n'apporte pas, avouons-le, une grande
1
10.
aide dans la pratique. Souvenons-nous qu'en français, il vaut mieux éviter
l'expression "classification des délinquants ou des détenus" pour lui substi-
tuer celle de "typologie des délinquants ou des détenus", typologie selon
laquelle sera effectué le "classement des délinquants ou des détenus".
En effet, pour suivre P. Foulquié (op. cit.), il faudrait seulement
réserver l'usage du mot classement à l'opération qui a une portée directement
pratique - par excellence donc le classement pénitentiaire - et celui du mot
classification à l'opération dont la portée est plutôt théorique - la classi-
fication criminologique.
On pourrait dire cependant que le classement des détenus (effectué à
tel endroit) correspond à leur classification criminologique, i.e. à une
typologie.
Cette difficulté linguistique levée, il convient encore de préciser la
signification opératoire des termes, afin de dessiner le cadre de référence
méthodologique des classements et des classifications. Ainsi la consultation
des mêmes dictionnaires encyclopédiques et des encyclopédies nous permet une
plus grande précision.
Le Grand Larousse encyclopédique, par exemple, nous apprend que la clas-
sification est une opération intellectuelle qui appartient à la logique; il y
est précisé:
"Elle suppose l'analyse, la comparaison, la faculté de faire abstraction des différen-ces individuelles. Classer est une des fonctions essentielles de l'intelligence humaine. La formation d'une idée générale quelconque est une classification. Dans toute science, il est nécessaire de classer les phénomènes et les objets que l'on veut étudier mais les classifications ont une im-portance toute particulière dans les sciences qui ont pour objet les êtres vivants."
Et le Dictionnaire encyclopédique Quillet ajoute à ce dernier propos:
"Depuis le transformisme (Lamarck) la classification n'est plus qu'un bilan provisoire, un arrêté de situation, un résumé de l'histoire des espèces. Elle cesse d'être un principe d'explication, elle est au contraire un effet, un résul- tat dont il faut rendre compte par des lois."
Voilà qui a des résonnances singulières en criminologie, et qui fait
mieux comprendre l'abondance sinon la pléthore, des classifications criminolo-
giques. D'ailleurs, la nouvelle Encyclopoedia Britannica (W. Benton Publisher,
Toronto, 1974) nous explique bien la présence des classifications en nous en
présentant la théorie. Dans son appréhension du monde, nous dit l'auteur de
l'article "Classification", l'homme utilise trois méthodes d'organisation:
- premièrement, la différenciation empirique entre les objets et leurs
attributs; par exemple entre un arbre et sa taille;
- deuxièmement, la distinction entre les objets entiers et leurs compo-
sants; par exemple entre l'arbre et ses branches;
- troisièmement, la formation de différentes classes d'objets et leur
distinction entre elles; par exemple, la classe de tous les arbres.
Comme on le comprend, la première méthode est présupposée par les deux
autres; c'est dire que fondamentalement nous observons et nous distinguons
toujours les attributs de leur possesseur. Ceci peut paraitre un truisme.
Mais à y regarder d'un peu plus près, l'évidence est moins certaine.
Bien des ethnologues ont décrit les modes de dénomination des sociétés
primitives comme essentiellement reliés à la qualité des objets dénommés. Il
en reste d'ailleurs beaucoup dans les langues modernes oirgious désignons des
12.
êtres vivants ou des choses par un de leurs attributs; par exemple: l'alouette
huppée (horned-lark), le serpent-è.-sonnette, etc... Claude Levi-Strauss
(1962-1) décrivant la logique des classifications totémiques a lui-même écrit:
"De tous ces menus détails, patiemment accumulés au cours des siècles et fidè-lement transmis d'une génération à l'autre, certains seulement sont retenus pour assigner à l'animal ou à la plante une fonction signifiante dans un système. Or, il faut savoir lesquels, cari, d'une société à l'autre et pour la même espèce ces rapports ne sont pas constants."
(P. 73)
Les mêmes détails peuvent recevoir des significations différentes et,
du coup, c'est toute la classification des objets qui s'en trouve modifiée.
Toutefois, dans cet ouvrage sur "La pensée sauvage", Levi-Strauss montre
bien que ce n'est pas la correspondance terme à terme entre l'individu ou le
groupe et son totem (animal ou plante) qui caractérise le totémisme, mais la
mise en rapport d'un système de différences dans une série naturelle avec un
système de différences dans une série culturelle.
Il y a donc dans la pensée sauvage un principe de classification qui ne
peut relever seulement de préoccupations utilitaires, comme l'ont cru beaucoup
d'ethnologues, mais qui relève bien plutôt d'une véritable spéculation intel-
lectuelle.
La pensée sauvage i.e. des sociétés primitives est donc beaucoup plus
proche qu'il ne parait de la pensée moderne. Si elle diffère de la pensée
scientifique, ce n'est pas, montre Levi-Strauss, parce qu'elle est sous l'empire
de l'affectivité ou d'un utilitarisme, mais par son mépris du principe d'éco-
nomie.
13.
Dans cette pensée, simultanément analytique et synthétique, tout peut
servir de terme à une classification. D'oû l'importance d'une compréhension
culturelle et historique des classifications observées.
Ces remarques sur la théorie de la classification nous paraissent ex-
trêmement pertinentes au regard de notre domaine.
Le foisonnement des classifications en criminologie et en pénologie
s'apparente plus, pourrait-on-dire, aux principes classificatoires de la
pensée sauvage qu'a ceux de la pensée scientifique moderne. Nous pourrions
presque paraphraser Levi-Strauss en disant qu'en notre domaine tout peut ser-
vir de critère à une classification. Il nous faudra donc déterminer les con-
ditions d'un classement scientifique.
Conditions d'une classification et méthodes
Dans l'Encyclopédie du XIXe (1877-2) le Dr. Pirard nous disait déjà
qu'il faut avoir toutes les parties de ce que l'on classifie, afin d'avoir
un ensemble parfait; "autrement, disait-il, la classification ne serait qu'un
système artificiel qui pourrait manquer en quelques points de sa contexture
et qu'une prochaine découverte scientifique pourrait ruiner".
Mais Boitard dans la même encyclopédie à l'article classification-histoire
naturelle (1877-3) ajoute qu'il y a deux sortes de classification:
- dans la classification méthodique on classe les êtres selon leurs ana-
logies naturelles;
- dans la classification systématique, on les classe de façon à "pouvoir
aisément chercher, retrouver et reconnaitre un individu au milieu de l'immensité
des corps qui composent l'oeuvre entière de la création".
Cette méthode soulève inévitablement le problème de la mémoire et ce
fut impossible au XIXe siècle de le résoudre, de même que de déterminer le
caractère le plue important dans le cas de la méthode artificielle.
Aujourd'hui des procédés mathématiques plus riches et le traitement
informatique des données permettent indubitablement de résoudre les deux diffi-
cultés. Nous ne les aurons donc pas pour ce qui noue préoccupe: le classement
des détenus.
D'ailleurs dans la nouvelle Encyclopoedia Britannica (édition de 1974)
nous apprenons que les principes de classification cofncident avec la théorie
mathématique des ensembles. En mathématique une classification devient une
partition, i.e. la division d'un ensemble d'objets en sous-ensembles à la con-
dition expresse que d'une part deux sous-ensembles n'aient aucun élément en
commun, d'autre part tous les sous-ensembles recouvrent tous les membres de
l'emsemble Partitionné, i.e. qu'ils soient mutuellement exclusifs et conjointe-
ment exhaustifs.
1 14
• 1
muler de caractères.
1
La première méthode a fait l'objet d'un grand engouement scientifique
après les travaux de Bernard de Jussieu en botanique. La méthode - dite
naturelle - reposait sur deux idées:
1) aucun être n'a de caractère simple ou ne peut être reconnu
par un seul trait de sa confirmation; c'est dire que pour le
distinguer il faut la réunion de plusieurs traits;
2) plus les êtres à comparer sont nombreux, plus il faut accu-
Néanmoins, à l'expérience, on constate qu'il y a toujours des cas-fron-
tières difficiles à classer. Il demeure donc, en dépit des progrès technolo-
15.
gigues, le problème du subjectif et de l'arbitraire dans le choix de ce que
l'on appelle alors une nomenclature.
B. Classement, nomenclature et typologie
Les termes "classement" et "classification" doivent être rapprochés
d'autres mots utilisés dans les sciences classificatoires.
Ainsi dans une science lorsque l'on effectue la classification à partir
d'une hypothèse (point-de-vue théorique) on fait nécessairement référence à
une certaine nomenclature.
En effet, la nomenclature est, selon le Grand Larousse encyclopédique
(Paris 1968) "la liste méthodique des mots en usage dans une science, un art,
ou relatifs à un sujet donné". Ce mot est synonyme de liste, de catalogue
détaillé. C'est à partir d'une nomenclature que l'on peut effectuer un clas-
sement ou une classification.
Par exemple en Statistique, poursuit le Larousse, la nomenclature est
"la liste ordonnée des modalités d'un caractère qualitatif qui permet de clas-
ser les personnes ou faits recensés selon ces modalités", alors qu'en Histoire
naturelle il s'agit de "la dénomination régulière des animaux et des plantes
établie selon des lois qui ont été adoptées dans le monde entier".
Le Nouveau Dictionnaire Pratique Quillet (Paris 1974) nous aide à préci-
ser davantage le rapport entre nomenclature et classification en nous donnant
la définition suivante:
"Ensemble de mots qui composent un dic-tionnaire. Collection de mots appliqués aux différents objets d'une science ou d'un art. Biologie: on désigne par no-menclature, l'ensemble des noms donnés aux unités de classification...
...La nomenclature est donc bien dis-tincte de la classification et de la systématique et ne s'occupe que de la forme et de la valeur des noms... Le but de la nomenclature est de définir le nom scientifique qu'il faut employer.
La nomenclature est donc essentiellement une opération de dénomination.
Nous nous rendons compte de l'intérêt de ces précisions, en criminologie,
brsque nous constatons les innombrables définitions que l'on trouve par ex-
emple pour les termes "psychopathes" et "sociopathes" ou encore pour des ex-
pressions comme "criminel dangereux", "criminel d'habitude", "multirécidiviste".
Si nous voulons donner et conserver à la criminologie et à la pénologie
leur caractère scientifique, nous devons répondre à une exigence de précision,
et par conséquent confectionner une nomenclature. Mais quand il s'agit d'êtres
humains, ce qui est le cas dans notre domaine, la langue française rejoint la
langue anglaise pour utiliser à la place de ce terme le mot "typologie". En
effet, les définitions de ce dernier mot sont les suivantes:
(Grand Larousse): de tupos, caractère, et logos, science. n. f.
méthode de caractérisation des types humains.
(Quillet): Partie de la psychologie qui étudie et classe les divers
types de caractère. Science qui étudie les différents
types humains.
Ainsi nous comprenons qu'à la base de toute classification, de tout
classement, il y a nécessairement une typologie. Celle-ci peut être d'origine
théorique, i.e. construite à partir d'une hypothèse ou elle peut être empiri-
quement élaborée à partir d'un échantillon d'individus; dans ce cas évidemment
16.
17.
elle doit reposer sur un échantillon suffisamment grand pour garder toutes
ses chances d'exhaustivité.
La typologie constitue donc une méthode d'observation des êtres humains;
au fur et à mesure des observations on constitue des types i.e. selon le
Larousse du XX e siècle (Paris 1929): "des modèles originaux réunissant à un
haut degré les traits, les caractères essentiels de tous les objets de même
nature".
Les types pourront être élaborés en mesurant les caractères observés,
i.e. en faisant dé la typométrie; ou inversement par la typométrie on peut
regrouper sous un même type les individus de même mesure.
Mais dans le langage scientifique les termes "nomenclature" et "typologie"
sont souvent remplacés par celui de "taxinomie".
C. Classement s taxinomie et systématique
Disons tout de suite qu'en frangais si l'orthographe initiale est bien
taxinomie, c'est plus souvent le mot taxonomie (en anglais, taxonomy) qui est
utilisé.
Lé Dictionnaire encyclopédique Quillet (Paris 1968) nous donne les dé-
finitions suivantes:
"Taxinomie ou taxonomie, n.f. du grec taxis, ordre et nomos, loi. Science de la classification en général. Etude de la classification des êtres vivants...Il faut distinguer la taxonomie de la nomenclature qui régit
- les appellations des différents taxons, et de la sys- tématique ou établissement d'un système de classement."
"Taxon, n.m. Nom générique donné à toute unité systé-matique."
"Systématique, n.f. Science de la classification des êtres vivants."
Ainsi, malgré le premier énoncé, ce dictionnaire rend "taxinomie"
et "systématique" synonymes. L'édition de 1974 est cependant plus précise:
"Systématique, n.f. Branche de la zoologie et de la botanique définissant et classant par groupes les diverses catégories d'êtres selon leurs affi-nités."
"Taxinomie, n.f. Démarche scientifique qui con-siste à observer les données propres à chaque science. Etude de l'arrangement des êtres vi-vants et de leur classification."
La nuance entre les deux termes nous est confirmée par l'Encyclopédie
Universalis (Paris, 1968) selon laquelle le terme "systématique" est réservé
à la tradition naturaliste; et l'auteur de l'article "Systématique" poursuit:
"Pour désigner exactement l'étude du classement des êtres vivants, un seul terme s'impose, c'est taxicologie, terme auquel on préfère taxinomie ou taxonomie."
Contentons-nous ici de ce dernier terme. La taxonomie, d'abord com-
mencée en botanique, cherche à proposer un ordre de classement. Elle corres-
pond, comme nous l'explique l'Encyclopédia Universalis (Paris, 1968, p.p.
679-680), à une étape première de la démarche scientifique:
"Devant la multitude des individus ob-servés, l'attitude spontanée de l'esprit consiste dans la découverte d'un concept les rassemblant selon leur similitude,
18.
19.
puis par une comparaison plus éten-due et plus fine, à envisager des concepts plus larges en extension et plus réduits en compréhension, qui représentent des classes supérieures et englobantes."
La classification est donc un procédé de connaissance qui, épistémo-
logiquement, fait appel à la description des individus et à une première
interprétation de leur situation les uns par rapport aux autres. Elle répond
à des règles taxonomiques que nous indique l'Encyclopoedia Britannica dans
sa section Macropaedia (Toronto, 1974):
111/ obtaining a suitable specimen (collecting, preserving and when necessary, making special prepara-tions);
2/ comparing the specimen with the known rank of variation of living things;
3/ correctly identifying the speci-men if it has been described, or preparing a description showing similarities to and differences from known forms, or, if the speci-men is new, naming it according to internationally recognized codes of nomenclatures;
4/ determining the best position for the specimen in existing classifica-tions and determining what revision the classification may require as a consequence of the new discovery;
5/ and using available evidence to suggest the course of the specimen's evolution."
Toutes ces opérations supposent toutefois l'existence préalable d'une
gystématique, i.e. d'un système de classes reconnu comme classificateur.
Elles supposent aussi une nomenclature, une typologie.
I . 20.
En définitive donc le but de toute classification, de tout classement
est l'identification des individus observés. Et la taxonomie doit nous
aider dans cette démarche.
D. Bilan terminologique
Qu'avons-nous appris dans ce tour d'horizon terminologique?
1/ Nous devons en français réserver le mot classement à la distribution
des détenus ou des délinquants en différentes catégories, que celles-ci aient
été ou non pré-établies, puisqu'il-s'agit d'êtres humains.
2/ Dans notre domaine la classification est l'opération qui porte, non
pas donc sur les délinquants ou les détenus, mais sur les types de délinquants
ou les types de détenus.
En ce sens par exemple au sein du Service Canadien des Pénitenciers
un bureau de classification pourrait se charger d'établir les catégories qui
serviront au classement. La classification serait en quelque sorte d'élaborer
théoriquement ou empiriquement les programmes ou les institutions correspon-
dant à chaque classe de détenus. Il s'agirait donc d'une classification sys-
tématique.
En revanche, le criminologue, clinicien ou non, par exemple pourrait
opérer une classification des types criminels; c'est ce qu'ont fait entre
autres auteurs MM. Clinard et Quinney (1967-6). Une telle classification
peut ensuite être utilisée par le clinicien pour le classement des délinquants
qu'il a à évaluer ou à traiter.
21.
3/ La classification conduit nécessairement à une typologie et
passe par une systématique, i.e. qu'elle doit répondre aux règles taxo-
nomiques des sciences et en l'occurence à celles des sciences humaines.
Reste à déterminer dans notre domaine une systématique qui soit sa-
tisfaisante tant du point de vue théorique (exhaustivité) que du point de
vue pratique (opérationnalité).
A partir de cette réflexion nous pouvons maintenant poser la problé-
matique de notre travail.
23.
Au début de ce rapport nous avons dit qu'il fallait éviter un cer-
tain nombre de lacunes imputées aux revues de littérature déjà existantes.
Une de ces lacunes, grave à notre sens, est de ne pas bien distinguer entre
détenus et délinquants quand on parle de classement ou de typologie. Si
l'on peut admettre, à la rigueur, que tout détenu est un délinquant, on ne
peut dire l'inverse. Classement des délinquants et classement des détenus
sont deux réalités bien différentes, quoique étroitement reliées qui méri-
tent notre attention. La problématique de cette recherche passe par l'examen
de leur relation.
A. Classement des délinquants et classement des détenus
Sans risque d'exagérer nous pouvons prétendre que la criminologie scien-
tifique a commencé avec la première typologie. S'il en a été ainsi c'est qu'à
vrai dire les auteurs n'avaient guère d'autre choix car, selon la maxime de
l'épistémologue Jean Piaget, "les trois moments distincts et successifs de
toute analyse méthodique sont la classification, la découverte des lois ou
rapports et l'explication causale."
En criminologie comme dans les autres sciences il fallait donc tout
d'abord isoler des "types", les décrire, les distinguer et établir leurs re-
lations. En expliquant la méthode de la criminologie, Jean Pinatel (1960-4)
définit quatre grandes règles:
10 la règle des niveaux d'interprétation, i.e. le choix du niveau d'étude,
lequel peut être la criminalité, le criminel, le crime ou encore, aujourd'hui,
la victime;
2o la règle de la primauté de la description, i.e. la description exhaus-
tive et précise des faits objectivement observés;
3° la règle de l'élimination des types définis, i.e. une procédure
par élimination de ce qui est connu au fur et à mesure;
40 la règle de l'approche différentielle, i.e. la comparaison entre
les types définis.
Indubitablement chacune de ces règles implique, à un degré ou à un
autre, le processus de classification. La première règle détermine notre
domaine: celle du criminel; la deuxième nous fait procéder à la description
systématique des individus recensés comme criminels; elle suppose donc une
double classification: d'abord celle des criminels et des non-criminels,
ensuite celle des criminels entre eux ou plus exactement l'élaboration d'une
typologie criminelle. La troisième est en soi une règle de classification,
puisqu'elle demande qu'à l'intérieur des typologies on retienne des types
spécifiquement criminels, i.e. non psychiatriquement définis comme le précise
J. Pinatel. Enfin la quatrième règle méthodologique réclame la comparaison
des individus classés afin de préciser les différences de degrés entre eux.
Ainsi donc les opérations classificatoires sont au coeur de la recherche
criminologique portant sur les individus. Mais, en la matière, le classement
a une double dimension soit la perspective évaluative soit la perspective
d'intervention.
10 Classement et évaluation
En criminologie le problème du classement des délinquants ou des dé-
tenus a été intimement lié à celui du pronostic. Comme le dit Julian B.
Roebuck (1967-5) au début de son livre sur la typologie criminelle:
"The guest for an all-inclusive typology by which criminal behavior can be pre-dicted or explained has long intrigued laymen, literarymen, lawyers, judges, penologists and scholars in the physical and social sciences."
(P. 3)
A vrai dire la question demeure cruciale: tel individu arrété, jugé
et condamné risque-t-il de commettre à nouveau une infraction à la loi
pénale? Plusieurs réunions savantes ont tenté d'y répondre et elle revient
périodiquement sur le tapis, ce qui montre douloureusement la faiblesse de
nos progrès. Cependant, assez tôt, les auteurs se sont contentés de faire
porter leurs recherches sur la première partie de la question: "tel individu".
Il fallait tout d'abord exactement savoir à qui on avait affaire. Ainsi
d'un souci de prédiction on est passé à un souci d'évaluation, et la crimi-
nologie clinique a suivi la méthode médicale de l'examen clinique: diagnostic
puis pronostic enfin traitement.
Sous ce jour, la question du diagnostic du criminel est devenue celle
de son état dangereux ou de sa témébilité selon le mot de Garofalo.
Grâce à plusieurs rencontres scientifiques qui ont suivi la IIe guerre
mondiale, nous avons quelques lumières sur ce délicat problème. Pour mémoire
rappelons les travaux du 2e congrès international de criminologie (1950-6),
du 2e cours international de criminologie (1953-7) ou encore ceux des deuxième
et troisième congrès français de criminologie (1963-9).
Incidemment il est opportun de dissiper une nouvelle fois la confusion
que bon nombre de praticiens font quand ils parlent d'état dangereux: entre
la dangerosité de violence et la témébilité. En criminologie le terme dan-
gerosité est synonyme de témébilité au sens défini par Garofalo. Il ne
25.
26.
s'agit pas nécessairement du risque de violence à subir de la part du
sujet examiné, mais du risque de récidive, que celle-ci soit bénigne ou
grave. Ce risque est apprécié sur un continuum de témébilité (ou de
dangerosité). Donc parler de l'état dangereux d'un délinquant ne signifie
pas du tout qu'il s'agit d'un délinquant dangereux au sens trivial de cet
adjectif.
I.
Le diagnostic de l'état dangereux débouche fatalement sur une typologie
ou sur un classement des individus évalués. En effet, tout continuum de dan-
gerosité permet une classification par degré de dangerosité. Il est donc
possible de regrouper les sujets présentant un même degré de dangerosité.
Cependant nous dit R.F. Sparks dans son rapport au Conseil de l'Europe
(1968-10):
"Classer les choses en catégories est généralement, semble-t-il, considéré comme quelque chose de plus que le fait de les disposer relativement à une va-riable unique (c'est-à-dire selon un continuum unique, comme une échelle de durée ou d'intelligence). En fait, si une variable unique est seulement uti-lisée pour classer les délinquants en catégories, on constatera probablement une perte d'informations, car les points de rencontre utilisés sont presque obli-gatoirement arbitraires et peuvent ne pas être les plus utiles."
(P. 159)
Et cet auteur poursuit:
"Une typologie n'est généralement utile par conséquent, que si un certain nombre d'attributs ou de qualités ou de traits illustrés par la population doit être pris en considération au moyen d'une classifi-cation unique; et une typologie n'est, au sens strict, nécessaire que s'il existe ou
27.
s'il peut exister une interaction entre ces attributs de sorte qu'ils ne sont pas indépendants ou ne s'ajoutent pas les uns aux autres selon un mode linéaire."
(P. 159)
Or ce sont ces conditions mêmes qui ont fondé la science criminologique.
Une idée fondamentale dans l'étude du crime et du criminel est à notre avis,
qu'on suppose une interaction entre un certain nombre de variables permettant,
selon le jeu de cette interaction, un découpage de la réalité et donc une clas-
sification des phénomènes observés.
a) L'évaluation des délinquants
Comme nous l'avons montré, il est bien compréhensible que la classifi-
cation des criminels soit apparue dès le début de la criminologie scientifique.
Mais dans une longue première période l'accent des études fut quasi exclusi-
vement placé sur l'étiologie du crime. L'objet de recherche et de théorisa-
tion était le criminel, qu'il ait été ou non condamné. Lorsque, avec les
positivistes, le penchant au crime a été reçu comme intrinsèque à la personne
du criminel, le classement des délinquants s'est tout naturellement fait selon
1 le degré de leur tendance délictueuse (le penchant au crime). Stephan Hurwitz
(1952-12) a fait une revue de la littérature la plus importante pour cette
période, et il nous signale les grands auteurs de classification mais nous
indique mal leurs buts; or, ce sont les objectifs des classifications qui
nous permettent de préciser une problématique de notre recherche.
Essayons de les dire sans tomber dans un inventaire.
(1) Cf. Blanc et Susini, 1968-11).
2e.
La première typologie scientifique des criminels est généralement
attribuée à Lombroso. En fait, il est difficile de savoir quelle fut sur
ce point la pensée définitive du père de l'Ecole positiviste, car sa classi-
fication varie selon les éditions de son livre "L'Uomo delinquenter. Dans
la 2e édition française traduite de la 5e édition italienne (1895-13), la
typologie est la suivante:
- le criminel fou moral (criminel né)
- le criminel épileptique
- le criminel par passion (ou par emportement)
- le criminel fou (ou aliéné)
- le criminel d'occasion
Cependant, chacune de ces catégories avaient, selon le vieux maitre,
quelque chose du caractère physiologique congénital du crime, i.e. du criminel
né. En particulier la première catégorie, celle du fou moral, recouvrait pra-
tiquement le concept de criminel né. Cette précision nous indique suffisamment
l'objectif de la classification. Il s'agissait pour Lombroso plus d'avoir
un outil d'analyse théorique qu'un instrument de classification, et ce en dépit
du constant esprit de système qu'il manifesta. Ses disciples ont poursuivi
essentiellement cet objectif. La classification de Ferri (1905-14) est une re-
formulation de celle de Lombroso; il distingue: le criminel aliéné, le cri-
minel né, le criminel d'habitude, le criminel d'occasion et le criminel par
passion, sans exclure toutefois des types intermédiaires (par exemple, celui
du fou moral). Garofalo (1905-15) ajoute peut-être un élément important en
tentant par sa typologie d'élaborer un diagnostic différentiel. Pour les po-
sitivistes donc la typologie est un instrument d'analyse scientifique qui sert
principalement à étudier l'anormalité que constitue le crime. L'économie de
29.
leurs classements est la même distinction fondamentale entre normaux et
anormaux.
Les détracteurs de la théorie lombrosienne n'ont guère eu d'autre éco-
nomie à proposer. Même si pendant près de cinquante ans les typologies de
criminels serviront de chevaux de bataille, elles ont toutes le même défaut
de rester très théoriques. En 1892, une commission internationale ad hoc
n'arrivera pas à recueillir des données comparatives expérimentales sur la
distinction entre criminels et honnêtes gens. On en reste à ce que nous
pourrions appeler aujourd'hui un naturalisme criminologique, dont le "London
Labour and the London Poor" de Henry Mayhew (1862-16) donne un magnifique
exemple. Pour les criminologues de cette époque il s'agit avant tout de réper-
torier, de classer comme les botanistes font avec les plantes, les zoologistes
avec les animaux. Mayhew et ses collaborateurs ont tenté de classer tous ceux
qui à Londres "ne travailleront pas": vagabonds et va-nu-pieds, mendiants pro-
fessionnels, escrocs et leurs dépendants, voleurs et leurs dépendants, prosti-
tuées et leurs dépendants; puis à l'intérieur de chaque classe ils ont opéré
des distinctions de plus en plus fines. La tentation positiviste par excellence
est l'entomologisme, et un critique de la théorie lombrosienne, Parmelee (1918-
17), l'a signalé, moins en proposant sa propre typologie, qui n'est pas si dif-
rérente, qu'en posant quatre règles de classification: 1) n'inclure aucun type
qui n'existe pas réellement et qu'on ne puisse décrire; 2) bien nommer les types
existants et décrits; 3) ne pas risquer par une classification trop simple d'o-
mettre un type qu'on pourrait clairement distinguer; 4) ne pas risquer par une
classification complexe et trop longue que les types ne ressortent pas distinc-
tement.
30.
L'évaluation des délinquants par leur classement demeurait néanmoins
utopique comme le vérifiait dans sa laborieuse recherche Ch. Goring (1919-18).
D'ailleurs, dès le début de la criminologie, certains auteurs n'étaient pas
dupes de cet idéalisme typologique et ils s'orientèrent vers une large utili-
sation des catégories légales. A la veille de la guerre de 1914, comme le
dit J. Pinatel (1970-19), il ne restait pratiquement rien de la typologie
lombrosienne; seule demeurait encore vivace l'idée de l'influence de l'hérédité.
On allait alors s'orienter vers les deux courants qui avaient fourni les
bases de la critique, à savoir le courant psychologique et le courant socio-
logique, pour trouver la cause et la nature de la délinquance. Ainsi dès le
premier quart du XX e siècle et même la fin du XIX e siècle, les typologies de
toutes sortes vont foisonner, sans parvenir au succès, se contredisant les
unes les autres et ne permettant nullement une synthèse évaluative.
Toutefois, de ce développement de la typologie criminologique et notam-
ment de sa naissance positiviste il restait une idée fondamentale qui allait
être reprise au niveau des condamnés: l'idée de l'individualisation de l'examen.
h) L'évaluation des détenus
On attribue généralement à Charles Goring (op. cit.) la principale réfu-
tation de la typologie lombrosienne. Or la recherche de Goring portait non
plus sur des délinquants théoriques, ou épisodiquement observés, mais sur
quelques 3,000 détenus des prisons anglaises et un bon nombre de non criminels.
Avec sa recherche on passait de l'évaluation du délinquant à celle du détenu.
D'ailleurs, le milieu du XIX e siècle venait de voir apparaitre la pénologie ou
la science pénitentiaire, qui avait pour caractéristique, en individualisant
les peines comme le proposait dès 1869 le pénologue autrichien W.E. Wahlberg,
31.
de donner à la prison une nouvelle finalité: le traitement ou la correction
(in: Hurwitz, op. cit.).
Certes déjà en 1764 Cesare Beccaria (1965-20) jetait les bases de la
pénologie moderne en opérant une distinction des peines selon les délits.
Jeremy Bentham (1811-21) allait un peu plus loin en proposant une certaine
catégorisation des condamnés, par une classification intrinsèque à celle
des peines, toujours proportionnée - aux délits; ainsi prévoyait-il des maisons
de sûreté ou custodie pour les débiteurs insolvables, des maisons de correc-
tion et de pénitence pour les condamnés à un emprisonnement temporaire et
des "maisons noires" pour ceux dont l'emprisonnement devait être perpétuel.
Mais c'est avec les no-classiques et l'école pénitentiaire que se sont
faits les premiers classements de détenus. Ainsi, comme le rapporte Hurwitz
(op. cit.), pour favoriser l'individualisation de la peine, Wahlberg mettait
l'emphase sur les différences psychologiques et sociologiques entre délin-
quants d'habitude et délinquants d'occasion; Franz Von Liszt distinguait entre
délinquants momentanés, délinquants permanents corrigibles et délinquants per-
manents incorrigibles, et il reliait cette classification à la politique cri-
minelle, discipline que par le fait même il fondait la définissant comme un
art tout autant qu'une science. Selon Liszt, il convenait d'appliquer au dé-
linquant momentané une punition dissuasive, au délinquant persistant corrigi-
ble une peine éducative et corrective mais au délinquant incorrigible, une
peine préventive, i.e. neutralisante. Cependant, même si Liszt attribuait
plus de clarté à sa terminologie qu'à celle de Ferri ou de Lombroso, la ques-
tion restait entière de diagnostiquer parmi les criminels prévenus à quel
type particulier chacun appartenait.
32.
Dans ses premiers pas, toutefois, la science pénitentiaire parvenait
à une évaluation minimale des prisonniers avec des critères extrêmement
simples: le sexe (séparation des hommes et des femmes), l'âge (séparation
des mineurs et des adultes). D'après Vernon Fox (1972-22) la première
séparation des sexes dans les prisons apparut en Espagne en 1519 et elle fut
reprise par les Quakers américains en 1790. Le même auteur relève l'appari-
tion de la séparation des enfants et des adultes en 1824 à Danzig dans les
"refuges" et dans le New York en 1825; les premiers établissements spécia-
lisés dans les mineurs apparurent entre 1846 et 1849 dans le New York, le
Massachusetts et le Maine. Stephen Schafer (1976-23) pense que la première
classification "élaborée" a été applique à la prison de Gand en Belgique
sous l'impulsion du Vicomte Hippolyte Vilain en 1773; les détenus y étaient
classés non seulement selon leur sexe et leur âge mais aussi selon des ca-
tégories légales et morales et selon leur potentiel de dangerosité. Cepen-
dant, selon ce même auteur, c'est probablement à la prison de la rue Walnut
à Philadelphie qu'est apparu le premier classement moderne en 1790; les pri-
sonniers étaient regroupés en quatre catégories:
- délinquants légers condamnés à une simple réclusion
- prisonniers disciplinés condamnés pour crime sérieux mais
ayant une conduite exemplaire
- prisonniers sans diagnostic i.e. au caractère inconnu
- prisonniers dangereux, ayant une conduite désordonnée et
le plus souvent récidivistes
En Europe la prison de Genève suivit ce modèle en y ajoutant des cri-11
tères de moralité et d'âge. L'exemple essaima ensuite en Espagne, en Alle-
magne.
33.
Il faut souligner que ces classements que nous sommes tentés de
qualifier d'embryonnaires étaient tout à fait novateurs et exceptionnels.
Schafer (op. cit.) rappelle que jusqu'en 1929 par exemple dans plus de la
moitié des états américains les femmes étaient encore incarcérées dans les
mêmes prisons que les hommes.
A la fin du siècle dernier cependant, avec le mouvement réformateur
des prisons et surtout après la première guerre mondiale, plusieurs législa-
tions introduisaient un classement des détenus dans leur système pénitentiaire.
Il s'agissait toujours de classement post sententiels même si le but de plus
en plus recherché était l'individualisation de la peine.
On passait alors du classement dans un souci d'évaluation au classement
pour fins d'intervention.
20 Classement et intervention
En continuant à préciser notre problématique sous un éclairage historique,
nous pouvons assez facilement constater que les différents systèmes pénaux ont
fait une double utilisation du classement des détenus.
La première, produit direct du mouvement de réforme des prisons, parti-
cipait à l'amélioration du système pénitentiaire; c'est une utilisation à des
fins d'intervention pénologique.
La seconde, tardivement révélée puisqu'on ne peut guère en parler avant
1950, venaii, en réaction à une conception "classique" de l'individualisation de
la peine, et tentait de participer à l'amélioration du détenu; c'est une utili-
sation à des fins d'intervention clinique ou thérapeutique.
t 34.
Expliquons davantage cette distinction qui prend aujourd'hui un intérêt
capital comme nous le verrons.
a) intervention pénologioue
Le mouvement réformateur des prisons a eu une origine très claire: les
premières décennies d'usage généralisé de l'emprisonnement comme moyen de
combattre le crime, n'avaient pas comblé les espoirs des "philosophes" du
siècle des Lumières. A elle seule, l'institution pénitentiaire ne suffisait
pas à transformer le délinquant en honnête homme. Le châtiment, distribué
proportionnellement au délit selon le principe de la "science pénitentiaire"
classique, ne suffisait pas, à l'évidence, à amender le coupable. Dès 1830,
l'Ecole no-classique proposant la mise en équation de la peine et de la res-
ponsabilité individuelle (cf. Merle et Vitu, 1973-24, P. 93 et suiv.), et
parallèlement, l'Ecole pénitentiaire tentait de trouver les moyens d'améliorer
l'efficacité thérapeutique de la peine, avec des réformateurs comme Charles
Lucas, Bonneville de Marsangy, Demetz. Cette école dont l'influence s'est
fait sentir dès 1830 a conduit en France â la création de la Société générale
des prisons en 1877.
Comme l'expliquent bien Merle et Vitu (op. cit., p. 96) dans le système
pénitentiaire no-classique, le souverain maître de la répression est le
législateur; c'est à lui de choisir la meilleur peine que devra prononcer le
juge. On ne peut donc pas prendre directement en considération la personnalité
du délinquant. En revanche, le type d'infraction que commet le délinquant
permet au législateur de se faire une idée de sa personnalité, d'oû une pre-
mière possibilité "d'individualisation" de la peine, le délinquant n'étant puni
ni plus qu'il n'est utile (doctrine classique), ni plus qu'il n'est juste (doc-
trine no-classique).
35.
Cette attitude d'esprit conduit donc directement â l'élaboration d'un
premier genre de classement des détenus, un classement directement calqué sur
la typologie des délinquants que la loi a "dans sa grande sagesse" prévue:
aux voleurs on appliquera telle peine, aux escrocs, telle autre, etc... et
dans l'institution pénitentiaire de la même manière, â telle catégorie de
criminels, on imposera tel régime pénitentiaire.
Grâce à Negley K. Teeters (1949-25) nous avons une bonne idée de l'évo-
lution de la pensée pénologique â travers les congrès internationaux pénaux
et pénitentiaires. Lors du ler Congrès tenu à Londres du 3 au 13 juillet 1872,
la question du classement des prisonniers trouvait encore une réponse néo-
classique traditionnelle (i.e. telle que l'aurait formulée une théorie de la
première école néo-classique). En effet, les congressistes se demandèrent
s'il convenait d'associer ou de séparer de leur caractère le classement des
prisonniers pour en faire la principale base d'un système pénitentiaire. Deux
points de vue furent exprimés: selon les uns, il était impossible de déter-
miner l'exacte valeur d'une quantité inconnue et d'une qualité si difficile
à juger avec assez de précision pour parvenir â une conclusion définitive
(caractère); selon les autres, le classement ne devrait pas être difficile
puisque le caractère d'un criminel est connu par son crime. Il y avait
consensus sur le principe de traiter autant que possible chaque individu
comme une entité, mais les partisans de l'emprisonnement cellulaire soutenaient
qu'hormis la séparation, aucun système de classement n'est adéquat; les par-
tisans du système irlandais en revanche, étaient convaincus des mérites d'un
classement regroupant les individus selon leur conduite.
Or, ne l'oublions pas, la conduite dont il s'agissait était le comporte-
ment criminel déduit d'après le type de crime commis. Peu à peu cependant,
36.
en raison même des impedimenta de la pratique du système irlandais, les
administrateurs pénitentiaires ont tenu compte de la conduite pendant l'in-
carcération c'est-à-dire après le prononcé de la sentence.
Il semble d'après Ruth S. Cavan (1962-26, p. 393) que le premier à avoir
fondé un classement des détenus sur leur conduite est Zebulon R. Brockway,
un des leaders de la réforr£ pénitentiaire aux Etats-Unis, alors qu'il diri-
geait en 1876 le Reformatory d'Elmira dans l'état de New York.
De fait, c'est dans le dernier quart du XIXe siècle qu'est apparue une
nouvelle version de la pensée néo-classique.
La première école néo-classique avait apporté un tempérament capital au
principe de rétribution de la peine selon le délit en introduisant l'idée
de son individualisation. Ainsi, demandait-on au juge d'adapter quantitati-
vement la peine à la responsabilité morale du délinquant et cela provoquait
au niveau judiciaire un second classement des délinquants, non plus seulement
au regard de leur crime, mais en considération d'autres éléments comme les
circonstances atténuantes ou aggravantes, le passé pénal, les facultés mentales.
La seconde école néo-classique, à la fin du XIXe siècle et au début du
e .‘ XX slecle, va aller plus loin en réclamant d'asseoir cette individualisation
de la peine sur l'étude de la personnalité du délinquant. Le grand artisan
de cette idée sera le juriste français Saleilles avec son livre "De l'indi-
vidualisation de la peine"(1898-27). Cette approche conserve à la condamna-
tion, son fondement rétributif par rapport à la responsabilité du criminel.
Mais au niveau pénitentiaire, elle ouvre la porte à l'utilisation de critères
scientifiques et notamment à la criminologie pour organiser le "traitement'
pénal. Dès lors, dans cette conception ce n'est plus le juge qui choisit le
traitement; il se contente de choisir son cadre. Le traitement pénitentiaire,
sous la surveillance judiciaire, par exemple tomme en France d'un juge de
37 .
l'application des peines, incombe aux autorités pénitentiaires. Celles-ci
en étudiant la personnalité du condamné instaureront le traitement le plus
approprié.
A ce point, c'est évidemment un rejet complet du principe rétributif
classique puisque désormais la quantité de la peine ne dépend plus du degré
de la responsabilité morale. Mais c'est surtout - en ce qui concerne notre
étude - une nouvelle occasion de fonder un classement des détenus, plus
scientifique celui-ci, à partir de leur personnalité, et dans un but précis:
l'exposition du délinquant à un traitement individualisé ou mieux personna-
lisé, jusqu'à sa resocialisation, i.e. son retour à la vie sociale, tout en
s'assurant la sauvegarde de la liberté individuelle contre les arbitraires
du "diagnostic" ou de la gestion pénitentiaires.
Malgré cette dernière étape qui rapproche considérablement les "classiques"
des partisans de l'école de défense sociale, toute la pensée pénitentiaire et
pénologique du XIXe siècle et du ler quart du Xe siècle s'est orientée vers
l'intervention pénologique; c'est dans l'esprit classique la peine qui demeure
fondamentalement le deuxième terme de l'équation de réaction sociale: d'un
côté le criminel moralement responsable, de l'autre sa peine aussi proportion-
née et individualisée que possible.
Ainsi, le grand débat qui anime tout le XIX e siècle en matière péniten-
tiaire se confine à la question de savoir si dans les prisons le détenu doit
vivre sous un régime d'emprisonnement cellulaire (isolation monastique) ou
s'il doit purger sa sentence en commun, comme -- Michel Foucault (1975-28)
le montre éloquemment -- un pensionnaire de collège ou un soldat en caserne.
Au second congrès international pénal et pénitentiaire tenu à Stockholm
du 15 au 26 août 1878, la question du classement des détenus est bien posée
dans le cadre de ce débat-là. Le rapport nad hoc" était le fruit de Richard
38.
Vaux, un américain de Philadelphie chaud partisan du système pennsylvanien
(isolement). On se demandait si le système cellulaire devait subir certaines
modifications par la prise en considération de la nationalité, de la situa-
tion sociale et du sexe des prisonniers. La réponse fut très claire dans
la Section des Etablissements pénitentiaires:
"Dans les pays où le système cellulaire prévaut, il doit être appliqué en principe sans distinc-tion de race, de situation sociale (paysans et citadins), ou de sexe, à moins que l'adminis- tration puisse tenir compte des détails des con-ditions spéciales de race ou d'état social. Au-cune réserve ne doit être faite, sauf en ce qui concerne les jeunes délinquants; et si le régime cellulaire leur est- étendu, il doit l'être de telle sorte qu'il ne nuise pas à leur développement physi-que ou moral (traduction libre)."
(in Teeters, op. cit. p.45-56)
On voit donc que dans cette perspective classique on ne peut plus ortho-
doxe, il ne peut être d'autre classement des détenus qu'un classement opéré
par la loi pénale elle-même. Cela est encore plus évident lorsqu'on consi-
dère un:deuxième question posée dans le même congrès sur la durée de l'encel-
lulement individuel.
A la question de savoir si la durée de l'isolement cellulaire doit être
sans exception déterminée par la loi et si l'administration pénitentiaire
peut admettre d'autres exceptions que la maladie, les congressistes répon-
dirent catégoriquement que, quelque soit le système pénitentiaire, la durée
de l'isolation doit être de façon absolue déterminée par la loi si le système
cellulaire pur est adopté; et si l'on adopte le système progressif, la loi
doit fixer les limites (maximum et minimum) de l'isolation.
39.
Les exceptions autorisées par la loi, ajoutèrent les congressites, ne
devraient concerner, sous certaines garanties légales, que les cas où la
prolongation de l'emprisonnement cellulaire risque de façon évidente d'af-
fecter sérieusement la santé physique ou mentale du prisonnier.
A cette époque donc, et ce fut confirmé au congrès de St. Petersbourg
(15-24 juin 1890), on ne conçoit guère d'autre classement que celui prévu par
la loi, laquelle permet un peu plus de flexibilité dans la gestion du trai-
tement pénal lorsque c'est le système progressif qui est en vigueur. En réa-
lité, pouvons-nous dire, le classement consiste surtout à aménager les excep-
tions au régime pénitentiaire et toujours dans les limites légales.
Au congrès de Paris (30 juin-9juillet 1895) on reconnut la nécessité de
prévoir des règles particulières pour les femmes: règlements plus doux, diète
appropriée, établissements ou quartiers réservés pour les femmes avec enfants.
On se demanda si dans l'intérêt d'une bonne discipline et de la réforme des
criminels, il était préférable de faire la sélection des meilleurs ou des
pires parmi les détenus; la réponse fut qu'il valait mieux choisir d'abord
les pires. Et on confirma l'impérieuse nécessité de quartiers ou d'établis-
sements spécialisés pour les prisonniers malades mentaux.
A Budapest du 3 au 9 septembre 1905, le 7 e Congrès international pénal
et pénitentiaire (1907-29) reposa la question du classement moral des prison-
niers en s'interrogeant sur ses moyens et ses conséquences. Quatre éléments
de réponses furent donnés: 1) le classement moral des détenus est nécessaire;
2) les détenus, reconnus à leur arrivée ou en cours de détention comme les
pires, doivent être en premier lieu séparés des autres; 3) les jeunes détenus
qui ne semblent pas être pervertis doivent être aussi classés séparément.
A cette fin, il faut que toutes les autorités ayant eu à connaître le détenu
fournissent les données nécessaires et que dans chaque cas un effort soit fait
40.
pour connaître le caractère du prisonnier grâce à son observation pendant
l'exécution de la sentence; 4) enfin, les autres détenus devraient être
classés en trois catégories: ceux dont la conduite est exemplaire, ceux
dont la conduite est bonne, ceux dont la conduite est douteuse.
Pour la première fois semble-t-il un congrès international décrivait
un classement plus précis fondé sur le comportement institutionnel du détenu.
On ajoutait d'ailleurs que les moyens du traitement, en particulier pour la
discipline, devraient différer en fonction de la catégorie.
Le Congrès de Londres, du 4 au 10 août 1925 (cf. Teeters, op. cit., p. 160)
devait encore ajouter ou confirmer le principe de la séparation pour des fins
préventives (non-contamination) des détenus les moins criminels et des détenus
les plus expérimentés dans le crime, ce principe constituant une des bases
essentielles du traitement pénitentiaire. Détail supplémentaire intéressant,
ce 9e congrès affirmait difficile d'appliquer le traitement individuel né-
cessaire dans les établissements recevant plus de 500 détenus...
Sur le classement les Congrès de Prague, de Berlin et de La Haye, n'ajou-
tèrent rien qui bouleversât cette idée d'un classement ayant pour ôbjectif
théorique la réforme du détenu et pour objectif pratique la meilleure inter-
vention en vue de cette réforme. Mais on ne voyait rien d'autre qu'une inter-
vention pénologique; on ne remettait aucunement en question l'idée que l'em-
prisonnement en lui-même constitue le moyen premier de la réforme du caractè-
re du criminel. Durant toute cette période (en gros jusqu'en 1950 avons-nous
dit) quand - on parle de traitement, même de traitement individualisé, on ne
parle jamais que d'un ensemble de mesures déterminées d'avance par le législa-
teur ou l'administrateur pénitentiaire, mesures qui consistent en fait à
gérer l'exécution de la sentence. Si on leur prête une faculté de réformer
le détenu, il faut bien dire que cette faculté leur vient par surcroît, car
1
41.
elles sont trop générales pour agir sur la personnalité.
Au demeurant, cette idée d'intervenir au regard de la personnalité
n'est venue que tardivement - l'évolution de la psychologie dynamique y est
sans doute pour quelque chose - et vraisemblablement jusque dans les années
1930, les réformateurs pénitentiaires n'avaient pas tout à fait comme objec-
tif le changement du criminel. Celui-ci demeurait, dans la perspective lar-
gement acceptée du système classique, un individu doué du libre arbitre; c'était
à lui de choisir entre le crime et l'honnêteté.
Voilà qui devenait tout de même bien paradoxal après les travaux de l'Ecole
positiviste. Lombroso et ses disciples ont proposé un classement des criminels
mettant l'accent sur les différences entre les individus. Ces différences
appelaient plus qu'un traitement pénal particulier; elles nécessitaient des
interventions cliniques spécifiques.
h) intervention thérapeutique ou clinique
Sans aucun doute, ce sont les positivistes qui ont avancé les premiers
l'idée d'un classement des criminels selon leurs caractéristiques humaines
propres, exactement comme les botanistes ou les minéralogistes avaient commencé
à classer les végétaux et les minéraux. La méthode, c'est-à-dire l'observation
et la description, déterminait seule le résultat de la classification sans
s'orienter vers un objectif particulier. Pour cette raison la typologie de
Lombroso donne un classement bio-anthropomorphique et c'est ce classement,
nuancé peu- à peu qui demeure à la base des idées positivistes sur les criminels.
Remarquons combien il est curieux que le classement anthropomorphique de Lombroso
et de ses disciples n'ait pas eu de succès dans le monde pénitentiaire, alors
qu'il conduisit au développement des sciences policières ou de la criminalis- e
tique à travers les travaux de Bertillon, Galton, Henry et bien d'autres (cf.
42.
Thorwald, 1967-30, vol. I). Sans doute fut-ce que le positivisme, en reje-
tant complètement le principe sacro-saint de la responsabilité morale du
délinquant, se heurtait de front aux idées reçues et remettait en question
finalement les fondements mêmes du système pénal en vigueur.
Pour Ferri et Garofalo la classification positiviste en cinq catégories
de criminels déterminait les sanctions pénales ou plus exactement les "mesures
de défense" à appliquer aux différents condamnés. Ainsi le ressort classifi-
catoire n'était plus la norme morale d'une intervention pénologique la plus
juste, mais la norme scientifique d'une intervention de politique sociale,
puisqu'il s'agissait avant tout de prendre à l'égard des criminels les mesures
protégeant la société proportionnellement à leur dangerosité. Les positivis-
tes déplaçaient l'attention du système pénal du crime au criminel. Cependant
ils ne le faisaient guère dans une perspective curative; dans leur vision
déterministe de l'atavisme, les délinquants ressemblaient à des animaux dont
il convient de disposer sans cruauté mais sans sensiblerie pour en protéger
la société.
C'est sans doute cette outrance qui a beaucoup limité l'épanouissement de
l'influence positiviste. Très rapidement -- dès 1880 en fait -- quelques
juristes tiraient les conclusions méthodologiques: il convenait de promouvoir
la recherche criminologique sans a priorisme i.e. en optant pour une neutra-
lité dans la querelle entre libre arbitre et déterminisme, en prenant en con-
sidération l'état dangereux du criminel et en ajoutant à l'arsenal des peines
classiques les mesures de sûreté positiviste. C'est avec cette base que
Prins e Von Liszt et Van Hamel fondaient l'Union Internationale de Droit Pénal,
et que Prins en particulier préparait le terrain pour l'Ecole de Défense
Sociale (cf. Merle et Vitu, op. cit., pp. 108 et suiv.).
43.
C'est bien à cette dernière école qu'à notre avis on doit le passage de
l'intervention pénologique à l'intervention clinique ou thérapeutique sur le
délinquant condamné, et par le fait même une nouvelle utilisation de la
classification criminologique.
En effet, dès 1934, Monsieur Gramatica (1963-31) donnait à la défense
sociale une toute nouvelle perspective: non plus défendre la société contre
les délinquants, mais plutôt les délinquants contre la société.
Toutefois, c'est après la deuxième guerre mondiale que M. Gramatica put
publiciser ses idées en fondant à Gènes en 1945, un Centre d'études de défense
sociale.
Pour cet auteur "la défense sociale s'identifie avec l'amélioration de
l'individu". Dès lors quand on va parler de traitements des criminels, il
s'agira de plus en plus d'un ensemble de mesures curatives (médico-psycho-
sociales) et de moins en moins de mesures pénales. L'intervention ne sera
plus pénale ou pénologique mais thérapeutique et clinique, puisqu'il ne s'agit
plus de sanctionner au plus juste une faute, mais de traiter au mieux un "mal"
social et individuel à la fois. Ceci apparaît très clairement dans les princi-
pes énoncés par F. Gramatica qui va jusqu'à bannir le droit pénal pour le rem-
placer par la "défense sociale" dont le champ d'application est beaucoup plus
vaste: ce n'est pas seulement le criminel mais aussi le déviant. Pour cet
auteur le sujet d'intervention est l'antisocial envers lequel la société a un
devoir de resocialisation et qu'il convient d'étudier, à travers tous les as-
pects de sa subjectivité, dans sa personnalité globale.
' Dans cette perspective le classement des criminels-doit.être opérationnalisé
pour appliquer à chaque sujet la "mesure de défense sociale" la plus adaptée
à son cas spécifique. Il s'agit d'autant plus d'une intervention clinique
(cas par cas) que d'après M. Gramatica les mesures de défense sociale,
45.
tisans de la défense sociale (surtout M. Gramatica) ou les néo-classiques
contemporains. Ce qui est remis en question en réalité c'est moins le prin-
cipe de la classification que la politique de classement des condamnés, i.e.
l'usage concret du classement.
Des théories comme celle de l'étiquetage de H.S. Becker (1963-33) ou de
la stigmatisation de Sh. Shoham (1970-34), en montrant l'interaction entre
délinquance et réaction sociale, ont mis le doigt sur les dangers de tout
classement criminologique. Ces dangers ont été encore précisés par la pensée
radicale avec des auteurs comme Denis Chapman (1968-35) et sa théorie du dé-
linquant bouc-émissaire ou E.M. Schur (1971-36). Mais si fortes soient-elles
allant même jusqu'à des principes de "non-intervention" comme avec E.M. Schur
(1973-37) ou à une nouvelle conception de la justice criminelle comme avec M.
Lopez-Rey (1976-38) par exemple, ces critiques ne conduisent pas à l'abolition
de tout classement des délinquants. Une telle issue serait, nous l'avons vu,
contraire à l'attitude scientifique. Même si d'aucuns veulent un retour aux
principes les plus stricts de la politique criminelle classique, ils n'en re-
connaissent pas moins, à l'intérieur d'un cadre juridique, la nécessité d'une
approche clinique des personnes en conflit avec le corps social. C'est là
la grande victoire des positivistes et des partisans de la défense sociale.
Aujourd'hui donc, nous sommes parvenus à une position de consensus sur
l'idée que le classement des délinquants doit être d'une part un classement
clinique, i.e. ayant pour objectif l'aide adéquate à une personnalité en dif-
ficulté, d'autre part effectué sous le contrôle de la loi et du juge afin
d'atténuer les risques de l'arbitraire et les conséquences de l'erreur, Néan-
moins, le bref bilan historique que nous venons de faire nous amène, quant à
la distinction entre classement des délinquants et classement des détenus, à
prendre une position claire. Il faut en effet choisir etre deux perceptions
44 •
lesquelles remplacent à la fois les peines et les mesures de sûreté, devraient
s'appliquer "partout, sauf en prison", leur pouvoir coercitif étant identique
à celui que connait le malade mental interné ou le malade contagieux hospita-
lisé.
Les opérations classificatoires dans une telle approche relèvent donc de
laséméiologie etla différence tend à s'estomper entre typologie et classement
puisque le condamné disparaît derrière l'antisocial: au demeurant il n'y a
plus de détenus mais seulement à la rigueur des "internés".
Avec l'Ecole de la défense sociale nouvelle, M. Ancel est venu en 1954,
nuancer les conceptions un peu extrémistes de M. Gramatica, surtout à l'égard
du droit pénal. Pour Ancel (1966-32) cependant, le problème criminel doit
toujours être envisagé comme un problème individuel à résoudre en fonction de
la personnalité du délinquant; mais pour ce faire, point n'est besoin de renier
le droit pénal ni le concept de responsabilité.
Au regard du corps doctrinal de la défense sociale, on pourrait penser
qu'elle rejette toute classification, pour s'en tenir à l'étude de chaque cas:
des délinquants diversifiés dans leurs personnalités propres. Mais il est
clair que dans une telle approche chaque cas "fait jurisprudence" et contribue
à l'élaboration d'une sémiotique et d'une typologie criminologiques, lesquelles
deviennent utiles pour l'intervention auprès du délinquant.
Les tendances contemporaines en politique criminelle n'ont guère boule-
versé cette attitude à l'égard du classement des délinquants sauf peut-être
les courants les plus récents que l'on regroupe sous l'expression de "crimi-
nologie critique" ou de "criminologie radicale" et qui remettent en cause aussi
bien tout notre système de réaction sociale que la façon traditionnelle d'étu-
dier le criminel. Toutefois, il ne semble pas que l'on aille plus loin dans
les propositions de changement organisationnel que ne l'ont proposé les par-
46.
de la doctrine actuelle, deux perceptions de l'évolution en politique crimi-
nelle.
Ou bien l'on considère qu'à la suite des critiques radicales notre sys-
tème de politique criminelle s'oriente plutôt vers un retour à un classicisme
strict c'est-à-dire à une application stricte de la règle pénale, la peine étant
alors définie complètement par la loi. Dans ce cas, le classement des délin-
quants n'a plus qu'un intérêt académique et théorique; le classement des détenus
est réduit à sa plus simple expression, selon des critères très stricts, léga-
lement définis. C'est donc apparemment un pur et simple retour au classement
pénologique du XIXe xiècle; en fait il y a deux modifications d'importance: tout
d'abord ce classement ne porte plus que sur un très petit nombre de gens puisque
le principe est de vider les prisons pour ne les réserver qu'à une minorité de
condamnés (par exemple trop dangereux), ensuite il n'est pas exclus que les
interventions psycho-sociales sur les autres personnes ayant des difficultés
de délinquance conduisent en pratique et en théorie à leur classement.
En somme dans cette orientation, il y aurait deux classements à considérer:
le classement des condamnés dont les uns sont incarcérés (la minorité), les
autres sont "traités" en milieu libre (la majorité) et le classement des ina-
daptés sociaux i.e. de ceux qui font l'objet d'une mesure déjudiciarisée.
Ou bien, en revanche, l'on considère qu'à la suite des propositions de dé-
fense sociale notre système de politique criminelle s'oriente plutôt vers une
déjudiciarisation de la réaction sociale face au crime, la loi venant simple-
ment garantir le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans
ce cas, la distinction entre classement des délinquants et classement des dé-
tenus perd beaucoup d'intérêt, parce que du point de vue pratique, il y a de
plus en plus recouvrement entre les deux. Il vaut alors mieux parler de clas-
sement des antisociaux, à l'instar de A. Gramatica.
.47.
S'il y a un "sens de l'histoire" dans l'évolution des idées contem-
poraines de politique criminelle, il nous semble aller vers la première
option. En effet, la faillite du système carcéral classique ou réformé
conduit à en restreindre l'usage le plus possible, et il en va presque de
même de l'utilisation de la justice criminelle. Mais la crainte du despo-
tisme politique et de l'arbitraire clinique conduit aussi les auteurs contem-
porains à éviter un système de défense sociale absolu.
Il nous semble donc que l'étude du classement des délinquants et des
détenus doit être envisagé dans un cadre socio-juridique ayant pour base le
système classique: légalité des crimes et des peines, mais ayant pour ambition
des objectifs de défense sociale: déjuridicisation ou déjudiciarisation et
intervention auprès de l'individu en difficulté avec la réaction sociale.
Nous arrivons ainsi à une problématique de recherche assez précise.
B. Les objectifs de la recherche
Dans la demande du commanditaire il y avait un double objectif:
- faire une revue de littérature sur les systèmes de classement des dé-
linquants et des détenus;
- proposer, par la comparaison de ces systèmes, une méthode classifi-
cati.ve la plus pertinente possible pour les organismes correctionnels canadiens.
La problématique de notre recherche se posait donc forcément dans ce cadre.
Il convient de voir maintenant comment nous pouvons la préciser à partir de notre
précédente réflexion.
48.
10 Le tour d'horizon de la littérature
Le premier problème indubitablement est celui de la délimitation du
champ de cueillette des données. Au départ, nous l'avons voulu le plus
vaste possible, de telle sorte qu'on puisse non seulement trouver les diffé-
rents systèmes de classement qui ont été élaborés, mais aussi recueillir les
simples idées ou principes classificatoires permettant éventuellement une
nouvelle élaboration.
A cet effet il nous paraissait indispensable de commencer par une appro-
che historique qui seule permet d'avoir une vision dynamique des différentes
théories et des différentes pratiques.
Rapidement nous avons été ébahis de la richesse des données; ce trésor
reflète certes la multidisciplinarité de l'approche criminologique, mais aussi
les échecs de cette démarche quant à la synthèse opérationnelle. Le plus sou-
vent l'orientation particulière d'une discipline l'emporte dans la présen-
tation d'un système de classement ou d'un principe classificatoire.
Quant à la revue de littérature en tout cas, notre objectif fut d'être
le plus exhaustif possible au départ, c'est-à-dire de considérer tout document
relatif de près ou de loin à un aspect du classement des délinquants, fut-ce
à un aspect purement méthodologique.
Au fur et à mesure de notre cueillette, nous nous sommes rendus compte
d'une grande redondance, beaucoup d'auteurs en effet, se consacrant à rappeler
des typologies anciennes ou à expliquer des systèmes de classement encore en
vigueur. Il faudrait donc opérer un tri sérieux pour parvenir à une synthèse
utile.
40 .
20 Perspectives opérationnelles
L'ampleur de la cueillette réalisable nous a vite rendus pessimistes
quant à nos chances d'aboutir en raison des difficultés méthodologiques gé-
nérées par la limitation de nos moyens. En cours de route nous en sommes
donc venus à penser que notre recherche devait sérier les objectifs et s'o-
rienter vers les plus réalistes. Ainsi, nous avons conclu pour maintenir
une double orientation de travail:
a) d'une part fournir un panorama des données disponibles sur le pro-
blème de la classification criminologique ou pénologique.
h) d'autre part, dégager des paradigmes (au moins une piste de recherche)
pour la préparation d'un nouveau système de classement à l'usage des organis-
mes correctionnels.
Le premier objectif conditionnait une méthodologie exploratoire et ana-
lytique, le second une méthodologie réflexive et synthétique.
51.
A cause de la problématique que nous venons de définir, ainsi que
des deux objectifs principaux que nous prêtons à notre étude, cette "revue
de littérature" s'inscrit dans la catégorie des recherches que M.-A. Tremblay
(1968-39, p. 55) nomme les recherches appliquées; elle doit en effet débou-
cher sur des recommandations. Cependant, et cet auteur le suggère lui-même,
notre étude peut quand même suivre une méthodologie propre aux études fonda-
mentales empiriques; et pour notre part, il nous semble qu'un tel modèle soit
approprié.
L'idée principale est alors de partir de la réalité, puisque la technique
de base d'une telle recherche est l'observation des faits.
En ce qui nous concerne, il s'agit 'd'observer" l'ensemble de la docu-
mentation relative au classement des délinquants et des détenus de même qu'aux
techniques de classification.
Ceci étant dit, notre recherche s'apparente alors aux études d'explora-
tion (par opposition aux études de vérification). Nous nous proposons en effet
de clarifier les divers éléments du problème du classement criminologique et
pénologique. Et nous devons ensuite rencontrer un des objectifs que M.-A.
Tremblay (op. cit. p. 64) avec A.H. Leighton attribuent aux recherches d'explo-
ration à savoir "juger si une étude particulière aurait avantage à orienter
les observations en fonction d'hypothèses préalables".
De fait, si nous parvenons à terme, nous devrions offrir à notre com-
manditaire des indications sur la façon de considérer les théories et les
pratiques' du classement pour lui permettre d'élaborer un système novateur.
Il découle de cette introduction que notre recherche n'est pas une revue
de littérature ordinaire. Elle va au-delà de la simple analyse critique d'une
documentation. C'est ainsi, qu'à travers les deux précédents chapitres, nous
•1
1
52.
avons pu définir un cadre théorique minimum, procurant du même coup au
lecteur un cadre conceptuel pour comprendre notre démarche et l'apprécier.
La mise au point de notre méthodologie proprement dite relevait de
questions somme toute très simples:
- quelles techniques de recherche pouvons-nous utiliser?
- quels types de données pourrions-nous ou devrions-nous recueillir?
- à quelles sources de données pouvons-nous recourir?
- quelle procédure de cueillette utiliserons-nous?
- quelles sont nos limites méthodologiques?
A) Les techniques de recherche
Nous avons puisé en bibliothéconomie notre instrumentation. Elle se
restreint essentiellement à l'emploi de trois techniques.
10 La consultation des experts
Nous avons prévu et procédé dès le début à la consultation de trois ca-
tégories d'experts: les bibliothécaires, les administrateurs et les chercheurs.
a) les bibliothécaires
Nous avons consulté des professionnels employés de l'Université rie
Montréal et spécialisés en criminologie, en psychologie et en éducation. Ces
personnes nous ont surtout permis d'orienter nos recherches, de les accélérer
et de découvrir l'éventail des sources de données.
h) les administrateurs
D'une façon systématique nous avons demandé aux administrateurs de la
Justice de divers pays, de nous adresser une documentation sur le modèle de
53.
classement en vigueur dans leurs systèmes pénitentiaires. Il faut avouer
tout de suite que ce fut la démarche la plus décevante. Ou bien nous n'ob-
t/nmes jamais de réponses ou bien les informations furent réduites au point
de nous amener à découvrir que les classements en vigueur le sont la plupart
du temps, au hasard de l'évolution administrative tout autant que de la pensée
pénologique. Nous y reviendrons dans le second volume de notre rapport.
c) les chercheurs
Nous avons enfin décidé de consulter directement (de personne à personne)
ou indirectement (par rapports et documents de recherche interposés) des cher-
cheurs ayant eu pour une raison quelconque à se pencher sur le problème du
classement criminologique. Cette dernière démarche nous a permis de nous faire
une idée des sources bibliographiques utilisées par nos prédécesseurs.
2o L'inventaire bibliographique
La technique de base d'une revue de littérature n'en demeurait pas moins
le coeur de notre instrumentation. C'est ainsi que nous avons planifié un in-
ventaire le plus systématique possible de la littérature criminologique, péno-
logique et méthodologique. Le problème essentiel de cet inventaire fut spatio-
temporel, i.e. l'accessibilité dans le temps et dans l'espace des sources de
documents.
Nous avons rapidement opté pour un inventaire classificatoire à deux
catégories:
- les documents de nature théorique, i.e. décrivant des propositions pour
un classement;
- les documents de nature empirique, i.e. décrivant une mise en pratique
d'un classement particulier.
1 , ..,...
I.....7
54.
II
30 L'analyse méthodique, répertoriante et critique
Enfin, face aux données recueillies par l'inventaire, nous avons pla-
nifié une analyse systématique sur un double modèle. Il s'agissait d'une
part, de répertorier les idées ou les faits exposés dans les documents,
d'autre part, de les examiner de façon critique afin de n'en conserver que
la - substantifique moelle", susceptible d'être utilisée dans une synthèse,
puis dans une proposition d'action.
A cet égard, l'exploration historique dont témoigne le chapitre sur la
problématique, nous a conduits àune critique selon deux critères:
- un critère théorique: le classement tel que décrit s'articule-t-il
sur une vision cohérente d'une politique criminelle?
- un critère pratique: le classement tel que décrit apporte-t-il une
garantie d'efficacité dans le changement du délinquant ou de sa situation?
L'emploi de ces trois techniques de recherche et en particulier de la
première permettait, avant même le moindre défrichage, de connaître d'une
part, les types de données que nous allions recueillir, d'autre part, les
sources où nous pouvions aller chercher ces données.
B. Les données
Surtout après la consultation des experts, nous savions que nos données
seraient de quatre catégories.
Io Les données doctrinales
Directement issues des différents courants de pensée en matière de po-
litique criminelle, un certain nombre de données devaient être de nature
doctrinale, c'est-à-dire tirées d'une vision de la réaction sociale face au
55.
t
â
crime et d'une compréhension particulière du phénomène criminel et de son
traitement. C'est par exemple le cas des données classificatoires que nous
pouvons recueillir d'un ouvrage comme celui de Laignel-Lavastine et Stanciu
à travers leur proposition d'application de la "défense sociale" (1950-40,
p. 240 et suiv.). Comme on le sait, par doctrine, il convient d'entendre
un ensemble des opinions d'une école de pensée, par exemple la doctrine de
l'Ecole positiviste.
20 Les données théorioues
Le deuxième type de données à envisager était la théorie. En effet s'il
est un domaine où les explications théoriques abondent, c'est bien celui de la
classification criminologique à tel point qu'on peut dire: "autant d'auteurs,
autant de classements". Cet ensemble de données recouvre tous les systèmes
classificatoires imaginés par les scientifiques. Donnons seulement un exemple:
la théorie du noyau central de la personnalité criminelle de J. Pinatel (1970-
41, p. 577 et suiv.) en effet l'application de cette théorie conduit à un
classement des délinquants en fonction de quatre grands traits de personnalité:
égocentrisme, labilité, agressivité et indifférence affective.
30 Les données expérimentales
Un troisième ensemble de données prévisibles est celui des expérimenta-
tions effectuées quant au classement des délinquants et des détenus. Il
s'agit des études menées soit en laboratoire, soit sur le terrain à partir d'un
schéma théorique ou au contraire, à partir d'un échantillon. Il y a donc deux
sous-types envisageables.
Un exemple du premier sous-type est la recherche de M. Warren (1967-42)
avec sa tentative de retrouver chez les jeunes délinquants californiens, les
catégories typologiques imaginées par Sullivan, Grant et Grant (1957-43).
56.
Un exemple de deuxième sous-type est la recherche de C. Jesness (1966-44)
au Fricot Ranch également en Californie par laquelle il tente de trouver les
divisions naturelles de personnalité dans un échantillon de jeunes délinquants.
4 Les données empiriques
Enfin, un quatrième type de données que nous appelons empiriques, re-
groupe des données qui ne sont pas vraiment les fruits de la théorie ni de
l'expérimentation scientifique mais plutôt les produits ou les sous-produits
de la pratique pénitentiaire et administrative. Il s'agit par exemple, des
données fournies par le classement tel qu'il est pratiqué dans une institution
ou dans un système pénitentiaire. Il est à noter ici que deux sous-ensembles
sont aussi à envisager dans cette catégorie, à savoir les données issues de la
norme administrative (le classement tel qu'il devrait se faire) et les données
issues de l'observation sur le terrain (le classement tel qu'il est pratiqué).
Un exemple du premier sous-ensemble est la description que donne Louis D. Carney
(1974-45, p. 124) du classement des détenus dans le système pénitentiaire cali-
fornien. En revanche, un exemple du second sous-ensemble (exemple beaucoup
plus difficile à trouver) est la description commentée de René Blain (1975-46)
sur le système des prisons provinciales au Québec.
Cette prévision étant faite, il restait à inventorier nos sources.
C. Les sources de données
Sur ce point encore, c'est la consultation des experts qui a été déter-
minante. Contentons-nous ici pour les fins méthodologiques, de brièvement
inventorier les sources que nous voulions utiliser et dont nous avons effec-
tivement fait usage.
57.
10 Les recueils bibliographiques
Nous avons consulté deux sortes de recueils bibliographiques:
- les "Excerpta Criminologica"
- les "Psychological Abstracts"
Les "Excerpta Criminologica" ont été examinés dans la collection complé-
tée de la Bibliothèque des sciences humaines et sociales de notre Université
donc, de 1961 à 1968 et de 1969 à 1975 sous le nouveau titre de "Abstracts
on criminology and penology".
Les "Psychological Abstracts" ont été examinés dans la collection dispo-
nible à la même bibliothèque et regroupant les volumes de 1960 à 1975.
L'examen de ces recueils bibliographiques nous a permis de dresser une
liste des mots-clés (descripteurs) concernant le classement des délinquants
et des détenus. Cette liste a été bien utile dans la consultation d'une
deuxième source.
20 Les banques informatisées
Grâce à un agent du service pédagogique de l'Université de Montréal,
nous avons pu avoir accès à un circuit de banques bibliographiques informati-
sées, c'est-à-dire à un ensemble de références traitées par ordinateur.
Pour ce faire nous avons utilisé une liste de 23 descripteurs que voici
(ces mots sont en anglais car le langage informatique utilisé est anglophone):
1- Personality
2- Classif (-y, -ication)
3- Typology
4- Inventory
5- Type 6- Measure
7- Select (-ion)
8- Predict (-ion)
58.
9- Evaluat (-e, -ion)
10- Taxinomy
11- Reception Center
12- Reception Centers
13- Inmate
14- Prison
15- Penitentiary
16- Crim (-e, mal, -inology, -inological)
17- Delinquen (-t, -ency)
- 18- Jail
19- Offender
20- Penal
21- Carcèral
22-Penology
23- Correction
Nous avons ensuite créé deux autres descripteurs en regroupant les des-
cripteurs précédents en deux sous-ensembles de la façon suivante:
24- descripteurs 1 à 12
25- descripteurs 13 à 22
Puis nous avons créé trois autres descripteurs en croisant nos précé-
dents descripteurs de la façon suivante:
26- descripteur 24 croisé avec descripteur 25
27- descripteur 26 en sujet majeur
28- descripteur 23 croisé avec descripteur 24
Ce système a été utilisé pour consulter 14 banques informatisées, à
savoir les banques:
- Eric
- Exceptional Child
- Dissertation Index
59.
- Federal Index
- Foundation Grants
- Psychological Abstracts
- Sociological Abstracts
- Social Sciesearch
- PAIS
- America
- Historical Abstracts
-CAB
- Agricola
Le tout a été fait sur les conseils de notre consultant, en fonction'
de la richesse et de la pertinenèe présumées des dites banques.
L'objectif de cette opération était de s'assurer une forte amplitude
de données, et donc de répondre à notre exigence d'exhaustivité optimale.
En deuxième objectif nous trouvions par ce moyen un contrôle de notre
recherche "manuelle" en bibliothèque.
3° Les périodiques
La troisième importante source de données que nous avons décidé de
consulter est l'ensemble des périodiques disponibles dans notre Université
relatifs au domaine criminologique. D'un point de vue pratique, il s'est agi
de systématiquement compulser les collections de revues dans notre biblio-
thèque universitaire et d'y répertorier tout article présumément pertinent à
notre étude. Cet examen systématique a été effectué sur quarante-six (46)
périodiques dont voici la liste:
- Acta criminologiae et medicinae legalis japonica (1975-76)
- Acta Criminologica
- American Behavioral (1970-75)
- American Journal of Comparative Law (1970-75)
- American Journal of Correction
60.
- Annales de Vaucresson (1970-75)
- Annales internationales de criminologie (vu depuis 1957)
- Behavior Therapy Journal
- British Journal of Criminology (1960-75)
- Bulletin de l'administration pénitentiaire
- Bulletin de Psychologie
- Bulletin du C.N.R.S. (rubrique Déviance et criminalité)
- Conseil de l'Europe (travaux)
- Correction Magazine
- Crime and Delinquency (1961-76)
- Crime and Social Justice
- Criminologica (1960-75)
- Criminologie
- Criminologie made in Canada
- Déviance et société
- Federal Probation
- Instantanés criminologiques (1967-75)
- International Journal of Criminology and Penology (1973-76)
- International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology (1960-75)
- International Journal of Social Psychiatry
- Issues in Criminology (1969-75)
- Journal de psychologie
- Journal international de psychologie
- Journal of Criminal Law, Criminology and Police Science
- Journal of Corrections
- Kriminalistik
Kriminologische Gegenwartsfragen
- Liaison
- Monatsschrift fur Kriminologie und Strafechtoreform
- Psychological Abstracts
- Rééducation
- Revue canadienne de criminologie (1960-75)
- Revue de droit pénal et de criminologie
- Revue de science criminelle et de droit pénal comparé (1965-75)
- Revue des Services de Bien-être à l'Enfance et à la Jeunesse (vu depuis 1960)
61.
- Revue internationale de police technique et de criminologie (vu depuis 1947)
- Revue pénitentiaire et de droit pénal
- Revue roumaine de science sociale et des sciences juridiques (1972-75)
- The Criminal Law Review (1965-75)
- The Criminologist (1970-75)
- Transition
Toutefois, nous n'avons examiné ces périodiques qu'à compter de l'année
1960, donc pour les quinze dernières années, ou pour la collection complète
lorsqu'il s'agissait d'un périodique fondé après 1960; nous avons estimé que
les références antérieures à 1960 se retrouveraient dans les citations des
auteurs et pourraient donc être éventuellement récupérées.
C'est d'ailleurs par cette procédure du renvoi à partir des citations
que nous avons consulté dix-huit (18) autres périodiques mais sans inventaire
systématique de leur collection; il s'agissait de renvois ponctuels pour quel-
ques références. Voici la liste de ces périodiques:
- American Journal of Sociology
- Criminal Justice and Behavior
- Criminal Justice Review
- Esprit
- International Social Science Journal
- Journal of Clinical Psychology
- Journal of Social Therapy
- Psychiatry
- Psychological Repertory
- Revue de psychologie appliquée
- Revue française de sociologie
- Social Forces
- Sociological Inquiry
- Sociological Quarterly
- Sociology and Social Research
- The Annals
- The Social Service Review
- Texas Law Review
Au total, l'analyse de ces périodiques nous a permis de recenser un
peu plus de 200 articles concernant le problème du classement.
40 Les livres
Notre quatrième source, et non la moindre, s'est constituée des fonds
de bibliothèque à notre disposition, à savoir ceux des bibliothèques de l'Uni-
versité de Montréal, celui du Centre de documentation de l'Ecole de Crimino-
logie et du Centre International de Criminologie Comparée, la bibliothèque
personnelle des chercheurs et de leurs collègues de l'Ecole de Criminologie.
Nous avons ainsi recensé et vérifié la pertinence pour notre étude,
de quelques 152 livres, concernant la science pénitentiaire, la pénologie ou
la criminologie.
5 ° Les rapports de recherches, monographies, tirés-à-part et thèses
Une cinquième source abondante était constituée par toutes les mono-
graphies, les mémoires de maîtrise, les thèses de doctorat inédites, les rap-
ports de recherches ainsi que les compte-rendus de colloques et congrès et
les textes de communication dans des réunions scientifiques.
Nous avons examiné environ 50 documents de cette sorte.
6° Les publications officielles
Enfin, nous avions une dernière source composée par tous les docu-
ments émanant des organismes internationaux ou étatiques et en particulier,
62.
63.
les rapports d'activité des administrations pénitentiaires. Nous avons
recensé un peu plus de trente documents de ce genre.
D. La procédure de recherche
Nous avons procédé en quatre temps:
10 Le recensement des articles de périodiques
Soucieux de rejoindre les dernières nouveautés, nous avons d'abord
fait porter nos efforts sur les périodiques. La consultation des diverses
sources ne nous donnait pas toujours un accès immédiat au contenu des réfé-
rences. Pour cette raison, nous avons préféré nous en tenir à une simple
collection de titres en apparence pertinents, et prévoir un tri ultérieur.
Cette opération a été menée par trois chercheurs qui se sont relayés dans
le temps.
Un contrôle de la cueillette a été ensuite fait par recours aux banques
bibliographiques informatisées. Ce contrôle permettait de recueillir les
dernières publications, puisque ces banques n'enregistrent les données que
depuis leur création respective, c'est-à-dire pour la plupart, depuis moins
de dix ans.
20 La collecte des autres données
La revue des périodiques étant effectuée, nous avons procédé à la revue
systématique des autres sources. Cette revue a été menée en consultant les
fichiers bibliographiques à notre disposition ainsi qu'au moyen des guides
bibliographiques tirés des index ou tirés d'ouvrages tels que ceux de:
64.
- AMERICAY CORRECTIONAL ASSOCIATION (1975-47)
- GAULIN (1972-48)
- JAYEWARDENE (1975-49)
- U.S.A. Department of Justice (1976-50)
- VETERE (1975-51)
- VILLENEUVE (1973-52)
Il est à noter que cette collecte de documents, contrairement à celle
des périodiques, n'a pas été restreinte aux seules quinze dernières années.
30 L'analyse des données
Pour analyser toute cette masse de documents, nous avons choisi d'opé-
rer une classification. Chaque document analysé a d'abord été classé selon
qu'il concernait essentiellement ou plutôt le classement d'un point de vue
théorique ou bien au contraire le classement d'un point de vue pratique.
Dans cette seconde catégorie, nous avons principalement regroupé les docu-
ments descriptifs d'un classement déjà appliqué, autrefois ou aujourd'hui.
La première classe en revanche, regroupe l'ensemble des documents descriptifs
d'une théorie ou d'un projet de classement, que ceux-ci aient été ou non déjà
essayés dans la pratique.
Cette première catégorie a été ensuite elle-même subdivisée puisque,
à travers ses données nous avons distingué d'une part les données décrivant
une typologie pénologique, d'autre part les données décrivant une typologie
clinique.
Il va sans dire, cependant, qu'un très grand nombre des documents con-
sultés et analysés contiennent des renseignements classifiables dans l'une
ou l'autre des catégories ci-dessus mentionnées. Nous les avons alors recen-
sés par un système de fiches multiples dans chaque catégorie.
65.
Cette première classification donc, somme toute assez àommaire, avait
pour but de faciliter l'analyse. De fait, nous avons ensuite procédé à une
analyse de contenu plus poussée, dans l'intention d'élaborer une deuxième
classification à partir des variables découvertes. Le principe que nous
voulions suivre dans cette seconde opération classificatoire était de re-
grouper les idées sur le classement en quelques thèmes à partir desquels
nous pourrions tirer des conclusions.
40 Les conclusions
En effet, dans ce cheminement méthodologique, nous voulions garder à
l'esprit un point capital de notre projet initial et du mandat qui nous était
confié, à savoir parvenir à des recommandations sur la pertinence de modifier
le classement pénitentiaire canadien ou sur l'opportunité d'en changer le
système.
Dans notre procédure, nous parvenons ainsi à une dernière étape divisée
en deux temps: tout d'abord, nous devons faire la synthèse de l'acquit cogni-
tif sur le classement, ensuite et enfin nous commenterons cette synthèse pour
le bénéfice de l'administration pénitentiaire.
E. Limites méthodoloRioues
La méthodologie à orientation exhaustive que nous avons voulu suivre
a malheureusement eu ses limites dans le temps comme dans l'espace.
10 Les limites spatiales
Comme nous l'avons déjà dit, notre intention fut de dépasser les sim-
ples limites nationales pour accumuler le plus de données possible. C'est
ainsi qu'en ce qui concerne les systèmes de .classement actuellement opéra-
66.
tionnels, nous avons cherché à obtenir les renseignements directement de
leur source originale à savoir, les différentes administrations péniten-
tiaires que nous pouvions rejoindre. Ce fut le cas pour quelques pays
occidentaux et pour les Etats-Unis.
En revanche, pour le reste, nous avons choisi de nous en tenir à ce
qui nous était accessible à partir de l'Université de Montréal grâce notam-
ment au prêt inter-bibliothèque et aux possibilités de photocopies.
Cette limite spatiale ne nous est pas apparue comme une variable trop
restreignante, puisque les moyens modernes de communication permettent de
dépasser aisément les frontières.
2° Les limites temporelles
En revanche la variable "temps" s'est révélée capitale. Sa première
contrainte est apparue dans le travail de localisation des données. La re-
cherche en bibliothèque est peu économique du point de vue temps. Et malheu-
reusement les banques informatisées sont encore trop récentes pour permettre
un tour d'horizon exhaustif sur notre sujet.
La seconde contrainte de temps, qui fut dirimante, est apparue au mo-
ment de l'analyse des données. Il faut dire franchement que la lecture ana-
lytique d'un si grand nombre de documents est extrêmement onéreuse du point
de vue temps, à moins de disposer d'un nombre suffisant de chercheurs, ce que
ne permettait pas notre budget.
3° Les limites budgétaires
Il faut dire un mot enfin de la limite de notre budget. Sans doute
devons-nous faire "mea culpa" en ce qui concerne nos prévisions et donc la
prise de responsabilité d'un tel contrat de recherche. Mais, pour le bé-
67.
néfice de ceux qui s'aventureraient dans une semblable recherche, nous
croyons devoir prévenir sur plusieurs dangers:
a) par définition, une revue de littérature n'a pas d'hypothèse
expérimentale; elle est donc extrêmement difficile à circonscrire dans un
cadre de référence, lequel est d'habitude le "garde-fou" du chercheur.
h) l'opérationnalisation d'une revue de littérature est extrêmement
difficile pour les raisons spatio-temporelles ci-haut mentionnées, mais
aussi et surtout pour la difficulté à trouver des chercheurs intéressés à
l'étude exclusivement livresque. Ici le "terrain" n'est rien d'autre qu'une
bibliothèque, une salle d'archives, un centre de documentation. Par consé-
quent, une telle recherche s'apparente probablement plus à la recherche his-
torique qu'à tout autre type d'études. Dans les disciplines des sciences
humaines et sociales, et tout particulièrement en criminologie, les jeunes
chercheurs préfèrent s'orienter vers la recherche appliquée ou du moins vers
une recherche dont les données traduisent plus directement et plus immédiate-
ment une réalité bien concrète.
c) une difficulté connexe à la précédente est de trouver des chercheurs
habiles dans ce type d'étude. Or, chacun sait que les revues de littérature
apparaissent le plus souvent pour ne pas dire toujours, comme la "croix" de
la recherche ou de la thèse. De ce point de vue, notre étude requiert autant
des qualités criminologiques que des compétences bibliothéconomiques et, à
l'épreuve, nous avons regretté de n'avoir pu engager un chercheur bibliothé-
conomiste dans notre équipe, laquelle avouons-le finalement eut une constante
tendance à se réduire comme la peau de chagrin, les différents chercheurs
trouvant une étude plus intéressante ou plus rémunératrice à faire.
68.
Au-delà de ces thèmes de jérémiades, la revue de littérature a ce-
pendant un grand mérite: elle fixe les idées, en montre le cheminement
historique et en révèle les succès ou échecs pratiques. C'est donc un
instrument indispensable à la fondation de toute bonne politique mettant
en jeu des connaissances scientifiques.
70.
Dans le chapitre terminologique introductif, nous avons vu les nuan-
ces, voire les différences, qu'il convient de faire à propos des concepts:
classement, classification, typologie, systématique, nomenclature, etc...
Un classement criminologique, avons-nous dit, doit se fonder sur une
systématique scientifiquement satisfaisante, c'est-à-dire qui réponde autant
à l'ampleur du champ théorique (exhaustivité des types criminels) qu'aux
nécessités de la pratique (opérationnalité des types délinquants).
Pour satisfaire le premier souci, la logique conduit à investiguer tout
le champ doctrinal et théorique de la criminologie puisque, aussi bien, dans
son développement cette science s'est attachée depuis le début à expliquer
et systématiser les phénomènes définis comme crimes, les comportements
étiquetés délinquants et les auteurs de ces comportements.
Malgré cet effort plus que centenaire, un hiatus demeure indubitable-
ment entre théorie et pratique. La pratique pénale, judiciaire et péniten-
tiaire semble n'être que peu influencée par le travail théorique de la cri-
minologie et des sciences connexes. Ou plutôt peut-on dire qu'on ne retrouve
dans cette pratique qu'une utilisation fragmentaire des connaissances acqui-
ses. Dans le processus correctionnel, à l'évidence, ces connaissances sont
soigneusement -- et administrativement -- filtrées...
Le présent travail nous a permis de vérifier que cette affirmation était
particulièrement vraie dans le domaine du classement des détenus.
Notre effort s'est porté à rechercher un lien entre les classifications
théoriques et les classifications appliquées. Dans les deux catégories pour-
tant, les types ou les classes d'individus réfèrent à des construits plutôt
qu'il des faits naturels.
71.
La question est donc de vérifier si un tel lien existe. Dans le
cas oà son existence n'apparaîtrait pas ou bien serait difficile à défi-
nir, il n'en restera pas moins à en trouver l'explication. Au surplus,
nous pourrons peut-être alors proposer un modèle de classement qui relie
théorie et pratique, enfin.
C'est dans cette perspective que nous avons opté pour une analyse en
deux parties. Dans une première partie, nous examinerons les travaux cri-
minologiques proposant des classifications ou des modèles de classement.
Dans une seconde partie en revanche, nous tenterons de voir quels types de
classement emploient différents pays, en étudiant les bases théoriques de
ces systèmes, ainsi que leurs buts avoués.
Cette seconde partie ne soulève en principe qu'une difficulté: l'obten-
tion des renseignements pertinents. L'analyse des documents et des infor-
mations peut très bien s'envisager sur le même modèle que pour les documents
théoriques. C'est à propos de ces derniers que vient tout de suite à l'es-
prit la question de leur finalité. A quoi doivent servir les systèmes de
classement proposés? La réponse serait-elle seulement dans une sorte de
"mode" méthodologique? Non, il faut espérer que par delà les idées du moment
cheminent la science et son application.
Cependant, avant de diviser, donc en deux volumes, notre rapport > nous
voulons dans le présent chapitre offrir une vue d'ensemble de nos données.
Leur survol général permet, à notre avis, de distinguer trois grands
courants regroupant les modèles de classement selon qu'ils sont orientés
vers la théorie criminologique. vers la gestion pénale ou vers l'intervention
thérapeutique.
i : 8
72.
A. Les modèles de classement orientés vers la théorie criminologique
Comme l'écrivent Clinard et Quinney (1967-53, p. 13):
"In the development of typologies, we cannot expect to achieve a typological system which can be agreed upon by all criminologists as being the most desirable. To be certain, there will be classifications which will at various time be more popular than others..."
Les classifications en effet diffèrent selon les buts qu'elles sont cen-
sées atteindre et nous pouvons les différencier selon ce critère.
Par modèles de classement orientés vers la théorie criminologique, nous
pouvons ainsi entendre les systèmes dont l'intention est surtout d'expliquer
les phénomènes liés au crime et à la délinquance. Parmi les typologies expli-
catives on peut distinguer:
1) les typologies idéales: celles-ci procèdent essentiellement des im-
plications d'une théorie particulière pour un schéma spécifique de criminalité.
Elles ne peuvent suggérer des explications que dans une optique unique (cf.
à ce propos la définition du 'type-idéal - de Max Weber).
2) les typologies empiriques: elles permettent de cataloguer les carac-
téristiques observées chez des types spécifiques d'individus et fournissent le
matériel à partir duquel on peut construire et parfaire les théories (cf. par
exemple: le système de classification de Roebuck).
T.N. Ferdinand (1966-54), qui explique très bien les différences entre
ces deux types de classifications et leurs limites respectives, propose, pour
sa part, une solution. Ce serait une typologie synthétique, fondée surtout
sur un rapprochement entre les conclusions des théories sur lesquelles repose
chacune des nombreuses et diverses typologies 'idéales".
73.
Mais cette proposition, qui rejoint celle de Warren (1967-55) nous ra-
mène à une conception univoque de la criminologie et des buts de celle-ci,
ce qui semble, comme l'écrivaient Clinard & Quinney (1967-53), impossible
à réaliser.
En effet, si une typologie des crimes doit être construite sur la base
d'une théorie générale du crime, il ne faut pas oublier que les phénomènes
associés au crime incluent le comportement criminel, le criminel et la cri-
minalité. Les typologies vont donc différer-en fonction du phénomène ou de
la perception du phénomène sur lequel elles sont basées.
C'est généralement dans le but de faciliter "un diagnostic criminolo-
gique' . qu'ont été élaborées les typologies de délinquants.
Malheureusement, chaque discipline intéressée au criminel a construit sa
ou ses propres typologies afin de correspondre à son propre besoin de diagnos-
tic. Roebuck (1971-56) décrit ainsi les quatre grandes approches typologiques:
les typologies légales ou juridiques, les typologies à la fois physiques, cons-
titutionnelles et héréditaires, les typologies psychologiques-psychiatriques
et les typologies sociologiques. De cette diversité, il tire des arguments
pour une approche multidisciplinaire. Il en donne un exemple par sa propre
typologie -- que nous aurons à étudier -- destinée à mieux rencontrer les be-
soins des différents praticiens de la criminologie. A ce propos, Roebuck ré-
fère explicitement aux propositions de Don C. Gibbons (1965-57). Pour ce der-
nier les typologies ont essentiellement deux fonctions: constituer la première
étape dans la construction d'une théorie explicative et fournir une base aux
systèmes de diagnostic à utiliser pour le traitement.
C'est ainsi que l'on peut distinguer dans la littérature plusieurs types
de classements spécifiques. Le terme classement réfère, rappelons-le, aux
individus criminels.
I I
74.
a) les classements léealistes
Ils sont généralement cachés derrière des classifications des actes
délinquants. Une telle classification, basée sur la gravité de l'acte par
la sévérité du châtiment semble à la fois peu utile et ambigfte, dans la
mesure où il est parfois difficile de faire des distinctions claires entre
deux types majeurs d'actes. On trouve souvent une identification de l'acte
criminel (ou du criminel) en termes de catégories légales. Les individus
sont alors référés en termes d'offenses spécifiques définies par le code cri-
minel. Cette méthode de classer les délinquants présente beaucoup de désavan-
tages:
- elle ne dit rien de la personne et des circonstances associées à
l'acte, ni ne considère le contexte de l'acte;
- elle crée une fausse impression de spécialisation en confinant le
criminel dans l'acte pour lequel il a été appréhendé (étiquetage). Une telle
classification n'identifie pas les types significativement différents.
- parce que les définitions légales varient d'un pays à l'autre, cela
pose des problèmes d'analyse comparative. Le titre légal sert davantage d'in-
dication de politique que de type de criminalité.
Le problème essentiel qui se pose avec la définition légale est celui
de' cerner les comportements et les actes considérés comme criminels (problème
de responsabilité).
b) les classements par individualités
Dans ces classements, l'importance des facteurs discriminants est ac-
cordée non plus à l'acte mais aux caractéristiques individuelles (suivant en
cela les théories des criminologues italiens tels que Lombroso, Garofalo,
Ferri...). Ce genre de classification peut avoir des possibilités limitées
75.
de diagnostic pour le traitement, mais de peu d'utilité pour la construction
de théories sociologiques du comportement criminel.
c) les classements par systèmes de comportement social
Ces classifications consistent en configuration ou "pattern" de varia-
bles reliées d'une certaine manière. Lindesmith & Dunham (1941-58) par exem-
ple, établissent des catégories allant de "individualized criminal" jusqu'au
"social criminal". Clinard (1967-53) établit un modèle théorique de classi-
fication basé sur un continuum de systèmes de comportements différents.
Gibbons (1965-57) a construit une typologie significative de délinquants en
termes de pattern d'offenses, d'image de soi, d'orientations normatives et
d'autres caractéristiques psychologiques. Sur cette base, il obtient 15 types
de délinquants adultes et 9 types de jeunes.
Mais d'autres modèles découverts dans la littérature s'orientent en
revanche en fonction des problèmes de l'administration pénitentiaire.
B. Les modèles de classement orientés vers la gestion pénale
Il s'agit ici de classifications qui jouent un rôle dans les décisions
concernant des prévenus ou des condamnés.
Nous pouvons aussi regrouper ces modèles par grandes catégories.
1 Les classifications de défense sociale
Ces modèles sont généralement établis dans le but précis de protéger
la population contre le danger public. Et général, le public exagère le dan-
ger et revendique le droit d'être protégé contre les détenus évadés, contre
les crimes commis par les libérés conditionnels ou d'autres dangers éventuels.
76.
1
Les responsabilités de l'administration doivent cependant en tenir
compte ne fut-ce qu'à cause de la publicité d'un échec. La classification
est donc créée et utilisée à des fins pratiques de protection (il faut mettre
en catégories le "risque d'évasion", la violence potentielle, etc...) [cf.
la classification de Mountbatten (1966-59) ou recommandations du Rapport
Radzinowicz (1968-60 )] . A cet égard, notons au passage, que n'importe quelle
classification fondée sur le critère "danger public" contient explicitement
ou implicitement des sous-entendus politiques que l'on perçoit quand on se
demande "ce qui est dangereux". De fait, s'il est pensable de regrouper les
individus présentant un même degré de dangerosité, ce regroupement, quelque
soit sa présentation revient généralement à une décision administrative, c'est-
à-dire finalement politique.
Les centres de réception des différentes administrations pénitentiaires
ont pour but, entre autres, d'évaluer la dangerosité des détenus, mais cette
dangerosité y est le plus souvent évaluée en fonction de l'incarcération plus
que de la récidive. Les critères de classement qui priment, sont: risque
d'évasion, risque de violence dans l'institution, risque de leadership anti-
institutionnel, etc... mais généralement jamais le critère: risque de récidive,
qui devrait par excellence, représenter les critères classificatoires de dé-
fense sociale (cf. Gaulin, 1972-61).
2o les classifications prédictives
Ce type de classification a une utilité potentielle dans les décisions
de mise en libération conditionnelle, dans les besoins de surveillance, ect...
Nous avons plusieurs exemples au Canada avec Ciale et al. (1967 et suiv...-62),
Cormier et al. (1959-63), Landreville (1969-64) ou en Angleterre avec Eysenck
(1974-65), Mannheim et Wilkins (1955-66) ou aux U.S.A. avec Sb. et El. Glueck
(1967-67). Et nous pourrions en citer bien d'autres.
77.
Il convient pourtant de noter que les typologies prédictives sont
elles aussi en réalité des classifications artificielles créées à partir
de la distribution continue des probabilités découlant de l'équation pré-
dictive.
Souvent, l'administration pénale responsable des décisions procède
à une évaluation préliminaire fondée sur la caractéristique prédictive et
modifie ensuite leur point de vue à la lumière du critère de dangerosité.
Actuellement, beaucoup de commissions américaines délaissent les
instruments donnés par les méthodes prédictives dans la mesure où elles trou-
vent important de tenir compte du phénomène sociologique des institutions et
organisations.
30 Les classifications en tant que systèmes de contrôle de la
gestion pénale
Ce type de classification, bien que de plus en plus réclamé, par Food
et Sparks notamment (1970-68, ch. 6 et 7, pp. 171-214) n'a pas encore une
grande importance pratique. Il devrait en avoir dans cette ère de planifi-
cation et de rationalisation budgétaire ou économique puisque son objectif
essentiel est de contrôler dans quelle mesure le système pénal ou bien tel
ou tel organisme de ce système est et demeure fidèle à ses rôles, à ses
buts. Les exemples de propositions d'une telle classification ne manquent
pas. Mentionnons simplement les travaux de M.Q. Warren (1967-69) ou de Carl
F. Jesness (1965-70) en Californie et ceux de A.E. Bottoms et F.H. McClintock
(1973-71) en Grande-Bretagne.
Mais en pénologie classique, la relation entre types de délinquants
et types de traitement a été tout de même assez peu étudiée. Les recherches
criminologiques sur ce sujet ont timidement commencé il y a à peine vingt ans
78.
et elles demeurent rares comme en témoignent R. Hood et R. Sparks (op. cit.).
Elles ont commencé par l'évaluation de l'efficacité des peines. MM.- Blanc
et Susini (1968-70) ont fait pour le Conseil de l'Europe l'historique de ces
études. Selon eux, il y a eu quatre étapes. Dansunier temps, on ne
s'intéressait pas à l'efficacité des systèmes pénitentiaires pour la bonne
raison qu'on estimait déraisonnable d'apprécier les effets de systèmes si
différents. Ensuite -- et c'est au cours de cette seconde étape que sont
apparues les typologies non seulement en criminologie mais aussi en psychia-
trie -- on a cherché surtout à raffiner le diagnostic par des tableaux dif-
férentiels; cette période a duré jusqu'au 4 e Congrès International de Crimi-
nologie de La Haye oû l'on réclamait des études de "follow-up" afin d'évaluer
l'efficacité différentielle des traitements. C'est avec la troisième étape,
notamment sous l'impulsion du professeur Di Tullio, que le lien a été fait
entre diagnostic, traitement et personnalité. Un des points culminants de
cette période fut le 5e Congrès International de Criminologie de Montréal, où
l'on réclamait un perfectionnement simultané des méthodes de traitement et
des méthodes quantitatives d'évaluation des résultats thérapeutiques etéduca-
tifs. Finalement, au 6e Congrès Français de Criminologie, à Toulouse, une
méthodologie évaluative triple était proposée: d'ordre statistique, d'ordre
expérimental et d'ordre clinique.
Mais c'est en psychiatrie que cette méthodologie a depuis lors été
essayée. Toujours selon MM. Blanc et Susini, cela a donné:
- la nosographie psychiatrique et le diagnostic par ordinateur
- une nouvelle méthode d'analyse mathématique de l'observation mé-
dicale utilisant les ordinateurs.
Dans ce courant méthodologique, quelques tentatives ont été faites
d'utiliser les mathématiques et l'informatique pour la classification des coin-
79.
portements; mais il ne semble pas encore y avoir d'exemples à propos des
délinquants ou des détenus bien que des travaux américainssoient en cours
dans cette veine.
Mais, une autre finalité peut émerger de ce même souci de vérifier
la portée de l'intervention.
C. Les modèles de classement orientés vers l'intervention
thérapeutique
Divers types de traitements "réformateurs", de resocialisation, sur
divers types de délinquants, ont fait profusion en criminologie. Aucun n'a
encore véritablement "passé la rampe... Toutefois, sur leur lancée sont ap-
parues, surtout depuis la deuxième guerre mondiale, des typologies qui, à
partir des années soixante ont été de plus en plus orientées vers la diffé-
renciation jumelée des traitements et des délinquants.
Une première façon d'aborder le traitement est de 3e préparer par un
diagnostic préalable. Beaucoup de typologies, de classements donc ont été
présentés dans la perspective d'offrir une nosologie criminelle.
Gibbons (1965-57) est sans doute l'auteur qui a mis le mieux en lumière
le rapport nécessaire entre classement et diagnostic. Il reprenait pour ce
faire les assertions d'Ernest Greenwood (1955-73) quant à la pratique profes-
sionnelle:
"...To diagnose a problem implies that, on the basis of certain factors observed in the problem situation, it is correctly placed within an already existing typology... A well-developed practice has at its disposal a highly refined diagnostic typology that embraces the entire gamut of problems confronted by that discipline..."
(P. 25)
80.
Puis Gibbons montrait comment la typologie est indispensable à la
pratique correctionnelle. Traditionnellement, dans le champ de la "cor-
rection", le praticien est mal formé, mal équipé. Un outil indispensable
pour qu'il puisse agir est une typologie de diagnostic qui servira de base
au traitement. Et Gibbons (op. cit.) nous en propose deux, une pour les
juvéniles une pour les adultes en nous indiquant les règles à suivre dans
leur application:
- le diagnostic n'est pas un processus mécanique mais un art;
- les actes du diagnostic mettent en jeu d'autres talents (juge-
ment, connaissance);
- les attributs d'une personne spécifique correspondent rarement
aux caractéristiques d'un type diagnostique.
En bref, tout diagnostic selon Gibbons dépend et du diagnosticien
et des typologies diagnostiques, mais plus tard, nous reviendrons sur la
typologie que lui-même nous propose.
Si le guérisseur de village a intérêt à "personnaliser" ses médecines,
il en vient tout de même dans la pratique à leur classification. Tels maux,
tels remèdes, dit le proverbe, ce qui suppose deux classifications jumelées.
A la typologie de diagnostic devrait donc correspondre une typologie de clas-
sement.
Il faut bien avouer qu'en matière correctionnelle cette évidence -est
rarement passée dans l'usage.
Avec la dernière période indiquée par MM. Blanc et Susini (1968-72)
est née enfin l'idée de faire correspondre au diagnostic différentiel (clas-
sement) le traitement différentiel (intervention). Nous verrons que plusieurs
typologies ont été élaborées dans ce sens, par exemple, celle de Grant, Grant
21.
et Sullivan (1969-74) qui en est le prototype en Amérique du Nord.
R.F. Sparks, dans son rapport au Conseil de l'Europe (1968-75)
s'est interrogé sur ce que devrait être une bonne typologie. Ainsi, dit-il,
"une typologie n'est utile pour traiter les délinquants que si:
1- elle est fondée sur des caractéristiques relativement stables
ou persistantes de la population considérée, et si
2- le nombre des possibilités d'action envisagées (par exemple, af-
fectation à différents types de traitement) est relativement restreint."
Cet auteur a passé en revue les travaux de langue anglaise parus jus-
qu'en 1967 et il concluait alors que leurs résultats étaient loin d'être
déterminants.
Bottoms (1973-76) a continué cette revue de littérature et il en vient
à préconiser une orientation des recherches sur le classement vers une "éla-
boration de profils", c'est-à-dire vers la recherche d'une classification
beaucoup plue multidimensionnelle. Cette perspective risque de faire aban-
donner l'optique prescriptive que certains auteurs ont si longtemps réclamée.
S'éloignant du modèle médical, cette réorientation met l'accent sur l'environ-
nement situationnel sans oublier de prendre en considération la réaction so-
ciale (étiquetage, par exemple).
Quoi qu'il en soit, il existe une grande différence entre les typolo-
gies criminelles traditionnelles, lesquelles sont articulées sur une théorie
et, avec cette théorie, tentent de comprendre ou de trouver l'étiologie de
la délinquance, et les nouvelles typologies qui cherchent à distinguer entre
les délinquants qui par hypothèse ont besoin d'un "traitement". Cette diffé-
rence est la suivante: à l'inverse des premières, les secondes typologies
peuvent être tout à fait inutiles pour expliquer la criminalité.
82.
Ainsi, les classifications orientées vers le traitement (quel
qu'il soit) s'apparentent beaucoup aux classifications orientées vers
la gestion pénale. Le problème est celui du consensus sur les buts des
praticiens, "thérapeutes" ou "administrateurs'. Nous essaierons d'examiner
les solutions à ce problème dans la partie réflexive de notre travail. Mais
auparavant, nous présenterons les résultats de l'analyse des données en exa-
minant tout d'abord les typologies issues de la doctrine, i.e. proposées
par les auteurs.
84.
Avertissement
Le présent cinquième chapitre, qui vient pour l'heure clore notre
rapport, est dû à une entente entre les signataires du contrat de recher-
che. Faute de moyens, nous ne parvenons pas à venir à bout de l'analyse
des documents recensés. En conséquence, nous proposons ici une bibliogra-
phie: la liste des données que nous avons estimées pertinentes pour étudier
le classement des délinquants et des détenus.
Nous présentons ces données selon la classification que nous en avons
faite pour les rendre opérationnelles, i.e. selon qu'elle concerne plutôt
la théorie du classement ou au contraire pluôt la pratique du classement,
division qui devait correspondre à celle de notre rapport comme nous le di-
sions en commençant.
Ce cinquième chapitre vient donc, pour le moment, remplacer les dévelop-
pements que nous avions prévus et qui auraient été les suivants:
Chapitre 5. Les typologies pénologiques
Chapitre 6. Les typologies cliniques
Volume II
Le classement des détenus
Chapitre 1. Vue d'ensemble
Chapitre 2. Les classements à fondement administratif
Chapitre 3. Les classements à fondement scientifique
Chapitre 4. Perspectives pénitentiaires
Chapitre 5. Propositions canadiennes
Conclusion
85.
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10, pp. 27-76.
143.
CONCLUSION
Comme le lecteur l'a constaté, notre projet initial a tourné court,
puisque d'une intention de faire des recommandations, nous avons abouti à
une bibliographie sélective.
Tout est en place cependant pour aller plus loin. Nous avons une
problématique et une méthodologie. Nous avons des données. Il ne reste
plus qu'à obtenir les moyens d'achever l'analyse de nos données et de tirer
les conclusions réclamées. Nous souhaitons ardemment que cela fasse l'objet
d'un projet de recherche complémentaire. Et c'est notre intention que de
soumettre un tel projet si le commanditaire et le lecteur du présent rapport
acceptent d'apprécier à leurs justes proportions les limites qui furent les
nôtres.
Montréal, Février 1978.
ISSUED TO DATE
DATE DUE
--, ! , ,
HV Le classement des détenus 16025 revue de littérature. !
__., , C4 h- 1978 1 .,--- ,
HV Le classement des détenus' : 6025 revue de littérature. C4 1978