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P-ISSN 1112-5020 / E-ISSN 2602-6945
Hawliyyat al-Turath, University of Mostaganem, Algeria N° 19, September 2019
ReprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne romanesque chez Leila Slimani
Antithetic representation of the novelistic heroine in Leila Slimani
Marcel Taibé
Université Ngaoundéré, Cameroun [email protected]
Reçu le : 15/4/2019 - Accepté le : 28/6/2019
19 2019
Pour citer l'article : Marcel TaibĂ© : ReprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne romanesque chez Leila Slimani, Revue Annales du patrimoine, UniversitĂ© de Mostaganem, N° 19, Septembre 2019, pp. 205-224.
http://annales.univ-mosta.dz
***
Revue Annales du patrimoine, N° 19, 2019, pp. 205 - 224 P-ISSN 1112-5020 / E-ISSN 2602-6945
Reçu le : 15/4/2019 - Accepté le : 28/6/2019 [email protected]
© Université de Mostaganem, Algérie 2019
ReprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne romanesque chez Leila Slimani
Marcel Taibé Université Ngaoundéré, Cameroun
RĂ©sumĂ© : Le prĂ©sent travail dĂ©montre la caractĂ©risation contrastĂ©e de lâhĂ©roĂŻne
romanesque chez Leila Slimani. En partant des approches thĂ©matique et psychanalytique, lâarticle inventorie les thĂšmes rĂ©currents Ă partir desquels se construit la reprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne romanesque et par consĂ©quent, saisit par le biais de lâĂ©criture, lâinconscient de lâauteure. En prenant appui sur le conflit psychique, lâapproche psychanalytique explore les Ă©tats de conscience de lâhĂ©roĂŻne, Louise. Lâanalyse en vient Ă dĂ©montrer lâimage ambivalente de lâhĂ©roĂŻne et explique lâaccomplissement de lâassassinat par lâhĂ©roĂŻne. La rĂ©flexion autour des particularitĂ©s de lâesthĂ©tique romanesque relĂšve chez Leila Slimani une Ă©criture novatrice du fĂ©minisme. En clair, la poĂ©tique du contraste par laquelle se dĂ©voile la figure de lâhĂ©roĂŻne criminelle renseigne sur lâobsession de lâauteure.
Mots-clés : représentation, contraste, héroïne, roman, Leila Slimani.
o Antithetic representation of the novelistic heroine
in Leila Slimani
Marcel Taibé Ngaoundéré University, Cameroon
Abstract: This work sheds light on the contrasting characterization of heroine of
Leila Slimaniâs novel. Through thematic and psychoanalytic approaches, this paper brings out recurrent themes on which is built the antithetical representation of the novelâs heroine and henceforth, apprehends through writing, the female authorâs unconsciousness. Focusing on psychical conflict, the psychoanalytic approach explores the heroineâs (Louise) states of mind. The analysis highlights her ambivalent image and, explains the modus operandi of the murder she has committed. Insight into particularities of novelistic aestheticism reveals in Leila Slimani an innovative writing of feminism. The contrasting poetry through which the heroinâs criminal character is disclosed shines light on the female authorâs obsession.
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Keywords: representation, contrast, heroine, novel, Leila Slimani.
o Introduction :
La caractĂ©risation contrastĂ©e du personnage fĂ©minin par Leila Slimani traduit lâĂ©cart entre lâĂȘtre et le paraĂźtre, et la dĂ©liquescence de la figure du personnage romanesque au XXe siĂšcle. Le dĂ©passement de lâidĂ©ologie fĂ©ministe qui sâensuit, illustre lâoriginalitĂ© du roman, "Chanson douce"(1). DĂ©sormais, la construction du rĂŽle actanciel relĂšve de la mise en Ćuvre de lâantithĂšse. Lâaperçu du corpus convainc de la pertinence du portrait ambivalent de lâhĂ©roĂŻne romanesque : "Chanson douce" lĂšve un pan de voile sur la vie conjugale du couple Paul et Myriam absorbĂ© par les occupations des pays dĂ©veloppĂ©s. Il faut au couple une nounou pour garder leurs deux enfants Mila et Adam. AprĂšs tant de cherche, le couple tombe enfin sur Louise qui rĂ©pond Ă tous leurs critĂšres. Louise est dâune bontĂ© maternelle sans reproches. "Ma nounou est une fĂ©e"(2), sâen fĂ©licite Myriam flattĂ©e. Soudain la vie de Louise bascule. Louise perd son mari Jacques, doit libĂ©rer lâappartement et payer les dettes laissĂ©es par le dĂ©funt. Sa fille StĂ©phanie lâabandonne. Paul et Myriam sâaperçoivent du moral de Louise et commencent Ă sâen mĂ©fier. Dans le mĂȘme temps, Louise comprend la barriĂšre qui la sĂ©pare du couple. Voyant les enfants grandir, Louise craint la perte de son travail chez le couple. Une solution sâimpose Ă elle : le meurtre et le suicide. Toutefois, Louise ne rĂ©ussit pas Ă sâinfliger la mort aprĂšs avoir tuĂ© les deux enfants du couple. La forme du texte obĂ©it Ă la reprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne.
De ce point de vue, comment la nouvelle Ă©criture traduit la dualitĂ© de lâhĂ©roĂŻne Ă partir des procĂ©dĂ©s romanesques ? En partant de lâanalyse psychanalytique et thĂ©matique, le travail dĂ©montre le conflit psychique se soldant par le triomphe des
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forces extĂ©rieures sur le moi du personnage. La premiĂšre partie prend appui sur la reprĂ©sentation contrastĂ©e de lâhĂ©roĂŻne romanesque. Quant Ă la deuxiĂšme partie, elle sâattarde sur les particularitĂ©s de lâesthĂ©tique romanesque chez Leila Slimani. 1 - Peinture ambivalente de lâhĂ©roĂŻne romanesque :
DĂ©signant le caractĂšre ou lâĂ©tat de ce qui est double en soi, la dualitĂ© dont il est question chez Leila Slimani est illustrĂ©e par le comportement du personnage fĂ©minin. En effet, Louise, lâhĂ©roĂŻne romanesque rĂ©unit en elle les traits de bienfaisance et incarne dans le mĂȘme temps le mal. Lâanalyse dĂ©montre la reprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne entre amour et haine, vertu et vice, maternitĂ© et criminalitĂ©. 1. Image contrastĂ©e du personnage fĂ©minin :
A premiĂšre vue, il sâoffre Ă lâapprĂ©ciation du lecteur deux formes de passions antithĂ©tiques : amour et haine. Leila Slimani se livre Ă la construction du visage contrastĂ© du protagoniste. Le jeu dâassemblage des rĂ©alitĂ©s antithĂ©tiques commence par le titre mĂȘme du roman Chanson douce dont lâentrĂ©e en matiĂšre sâouvre plutĂŽt sur une scĂšne dâhorreur : "le bĂ©bĂ© est mort"(3). En outre, lâauteure exploite les techniques de la construction contrastĂ©e des actants en attribuant Ă un mĂȘme personnage deux traits de caractĂšres antithĂ©tiques. Dans le cas dâespĂšce, la construction de lâhĂ©roĂŻne laisse transparaĂźtre deux formes de sentiments parallĂšles. Louise, personnage principal apparaĂźt Ă la fois comme incarnation de lâamour et de la haine. Lâamour est une disposition de lâĂąme Ă vouloir le bien du prochain ou dâune entitĂ© humanisĂ©e (la patrie, Dieu) Cela dit, lâamour porte lâĂąme Ă se dĂ©vouer Ă lâobjet de son attachement. La haine par contre dĂ©signe "le sentiment violent qui pousse Ă vouloir du mal Ă quelqu'un et Ă se rĂ©jouir du mal qui lui arrive"(4). Ainsi il est clair que lâamour et la haine sont deux passions antithĂ©tiques de par leur intention. Lâamour justifie son acte par le bien tandis que la haine vise Ă dĂ©truire autrui.
Dans la reprĂ©sentation de lâhĂ©roĂŻne romanesque, deux traits
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de caractĂšres contrastĂ©s sont mis en lumiĂšre : lâamour et la haine. En effet, dĂšs lâentame de lâintrigue, Louise est un personnage altruiste. Elle est une nounou irrĂ©prochable quant Ă lâamour quâelle manifeste Ă l'endroit des enfants dont elle a la charge. Câest ce qui explique dâailleurs lâattachement des enfants Ă cette figure idyllique de Louise. Face Ă cette immense bontĂ©, Myriam ne manque pas de reconnaĂźtre la qualitĂ© de sa domestique. Myriam sâen fĂ©licite et se montre trĂšs flattĂ©e. La narratrice ne passe pas sous silence la bontĂ© de cette femme de mĂ©nage : "Ma nounou est une fĂ©e. Câest ce que dit Myriam quand elle raconte lâirruption de Louise dans leur quotidien... Elle a fait entrer la lumiĂšre"(5). Dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es, la nouvelle nounou se comporte comme si elle connaissait les enfants auparavant. Elle sâhabitue trĂšs vite aux enfants, Mila et Adam. Le couple est au comble de lâĂ©motion. La narratrice rend compte de cette fĂȘte dans la famille de Paul avec lâarrivĂ©e de la nounou : "Myriam dĂ©crit cette scĂšne encore fascinĂ©e par lâassurance de la nounou. Louise a dĂ©licatement pris Adam des bras de son pĂšre"(6). Lâamour que Louise manifeste de par ses caractĂšres et ses gestes gagne la confiance du couple. La nounou cherche et obtient la confiance absolue du couple. Ainsi elle devient incontournable pour la famille. Le couple et les enfants restent dĂ©pendants de la nounou. Câest dâailleurs ce que tĂ©moigne la narratrice : "Pendant un instant, elle se met Ă croire que Louise est vraiment partie, quâelle les a abandonnĂ©s dans cet appartement oĂč la nuit va tomber, quâils sont seuls et quâelle ne reviendra plus. Lâangoisse est insupportable et Mila supplie la nounou"(7).
Que cache cette bontĂ© poussĂ©e Ă extrĂȘme ? La suspicion sâimpose autour de lâimage angĂ©lique de Louise. Câest suivant cette dĂ©marcation que lâauteur en vient Ă rĂ©vĂ©ler lâimage dĂ©moniaque. Câest le couple Paul et Myriam qui commence Ă se mĂ©fier des bonnes intentions de la nounou. De son cĂŽtĂ©, Louise sâaperçoit trĂšs vite de la barriĂšre qui la sĂ©pare du couple. La situation se dĂ©tĂ©riore avec la maturitĂ© des enfants qui
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grandissent. Louise devient de plus en plus irritable. Son travail chez le couple est en danger : "LĂ , elle se laissera engloutir dans une vague de dĂ©goĂ»t, dans la dĂ©testation de tout..., Elle sera Louise... qui saisit un couteau dans un placard. Louise qui boit un verre de vin"(8). Sous le prĂ©texte du jeu avec les enfants, Louise laisse Ă©chapper le sentiment de haine. La disposition Ă dĂ©truire lâĂȘtre ou Ă accomplir le mal se dĂ©gage de lâattitude de "Louise qui saisit un couteau dans un placard"(9).
Le geste de Louise est trĂšs suggestif. Le temps du jeu aide Ă renseigner sur la haine au cĆur de lâhĂ©roĂŻne. Louise choisit lâabsence du couple pour se livrer Ă ces formes de jeu dangereux. Lâon pourrait dire que Louise veut habituer les enfants avec lâimage du couteau. Ce geste nâest que le point de dĂ©part dâune Ăąme au cĆur de haine. Le point de dĂ©part est marquĂ© par lâamour et le point d'arrivĂ©e de toutes les pensĂ©es de Louise est la haine contre les enfants dont elle a la charge. Cette haine qui, se traduit par un incessant dĂ©sir de nuire, dĂ©bouche sur la haine du genre humain.
Perçu sous cet aspect, il reste Ă reconnaĂźtre le travail de lâart de contraste maniĂ© par la romanciĂšre. Lâauteure rĂ©ussit le jeu de masque. Le personnage au cĆur de haine prend la figure de lâamour. Le contraste entre lâĂȘtre et paraĂźtre est mis en lumiĂšre par cette Ă©crivaine franco-marocaine. Câest un vĂ©ritable travail esthĂ©tique. Câest du moins le point de vue du critique, Xavier Garnier : "Pourquoi lâinhumain prend-il le masque de lâhumain ? Pourquoi la figure se cache-t-elle derriĂšre le personnage ? VoilĂ prĂ©cisĂ©ment le travail de lâart du roman : habiller la figure en personnage pour nous permettre de la regarder Ă©voluer, suivre sa trajectoire inhumaine"(10).
En clair, force est dâadmettre que Leila Slimani recourt Ă la caractĂ©risation contrastĂ©e de lâhĂ©roĂŻne romanesque. La reprĂ©sentation du protagoniste oscillant entre vertu et vice confirme davantage cette hypothĂšse.
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2. Image ambivalente de lâactant narratif : En effet, considĂ©rĂ©e dâun point de vue des normes sociales
et des lois Ă©tatiques, Louise oscille entre vice et vertu. La conformitĂ© aux rĂšgles de la morale et lâĂ©cart vis-Ă -vis de celles-ci se dĂ©gagent du portrait que dresse Leila Slimani. Tendance au bien, la vertu est une force morale appliquĂ©e Ă suivre la rĂšgle, les normes, les lois morales dĂ©finies par la religion, lâEtat et la sociĂ©tĂ©. Quant au terme vice, il renvoie Ă la disposition habituelle Ă accomplir le mal, la tendance Ă transgresser les rĂšgles, les lois, les nomes et les interdits Ă©dictĂ©s par la sociĂ©tĂ©, lâEtat et la religion. Câest pourquoi le vice qualifie le comportement dâun homme qui s'adonne Ă des passions mauvaises, Ă des plaisirs dĂ©fendus. ConsidĂ©rĂ© comme Ă©cart de conduite, le vice est donc un mauvais penchant, un mauvais goĂ»t, un dĂ©faut grave que rĂ©prouvent la morale, la sociĂ©tĂ©, lâEtat et la religion.
"Chanson douce" est un roman qui pose la question du choix Ă travers lâimage de la femme vertueuse et vicieuse. Louise est peinte comme une figure pleine de vertus et de vices. Louise est capable de respecter les lois de la religion et celles de la sociĂ©tĂ©. Dans le mĂȘme temps, la femme de mĂ©nage exerce sa capacitĂ© Ă transgresser ces mĂȘmes lois. Elle tombe ainsi dans le vice. En effet, Louise est une incarnation du vice. Elle cache soigneusement cette tendance. Les lois Ă©thiques dĂ©finies par la religion ne sont pas toujours respectĂ©es par la femme de mĂ©nage. La narratrice recourt Ă la focalisation zĂ©ro pour rendre compte du monde intĂ©rieur de Louise. Dans le cas dâespĂšce, câest le dĂ©part de sa fille StĂ©phanie qui constitue lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur de vice. Se retrouvant seule, Louise regrette de nâavoir pas Ă©touffĂ© lâenfant dĂšs la naissance. Lâintention renseigne sur lâimage de cette femme. Câest pourquoi, il faudra sâen mĂ©fier : "StĂ©phanie pourrait ĂȘtre morte. Louise y pense parfois. Elle aurait pu lâempĂȘcher de vivre. LâĂ©touffer dans lâĆuf. Personne ne sâen serait rendu compte"(11).
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Toutefois, il faut convenir que le mĂȘme texte ne passe pas sous silence les vertus de la femme. Câest dans ce contexte quâapparaĂźt la figure de la femme vertueuse. Entendue comme la disposition de lâĂąme Ă obĂ©ir aux lois quâelle croit ĂȘtre bonnes, la vertu se traduit dans le comportement du personnage Louise. Dans cette dualitĂ© de lâhĂ©roĂŻne romanesque, la vertu est Ă prendre en considĂ©ration en dĂ©pit de son revers. La figure vertueuse se traduit dans la personnalitĂ© de Louise qui manifeste les qualitĂ©s morales. Les membres de famille qui lâont eue comme nounou ne sont pas indiffĂ©rents. Il sâagit notamment du tĂ©moignage livrĂ© par Hector. De toutes les nounous quâa connues Hector, Louise demeure lâunique femme vertueuse dont les qualitĂ©s morales restent insĂ©parables de ses souvenirs dâenfance. Hector sâen souvient : "Dans ses souvenirs, il apparaĂźt la figure de la femme pleine de vertu : Le goĂ»t de la sauce de tomate, sa façon de poivrer les steaks quâelle cuisait Ă peine, sa crĂšme aux champignons sont des souvenirs quâil convoque souvent. Une mythologie liĂ©e Ă lâenfance(12). A lâanalyse, la romanciĂšre lĂšve un pan de voile sur lâimage antithĂ©tique du personnage fĂ©minin. La figure de la femme entre vertu et vice se dĂ©gage de cet art de contraste. Le roman "Chanson douce" peint les qualitĂ©s et les dĂ©fauts dâune mĂȘme figure fĂ©minine. Par ailleurs, lâart du contraste se poursuit dans la reprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne entre maternitĂ© et criminalitĂ©. 3. ReprĂ©sentation antithĂ©tique de la force agissante :
Le visage contrastĂ© de la femme sâimpose davantage selon que lâon sâattarde sur le genre fĂ©minin considĂ©rĂ© comme une mĂšre cachant soigneusement la figure dâune force criminelle. Dans le cas dâespĂšce, les termes maternitĂ© et criminalitĂ© sont antithĂ©tiques en ce que le terme mĂšre est pris dans le sens dâune femme qui donne et entretient la vie. Par contre, le terme criminel est employĂ© dans le sens dâune rĂ©alitĂ© qui dĂ©truit plutĂŽt la vie. Dans "Chanson douce", Leila Slimani procĂšde Ă la caractĂ©risation antithĂ©tique de lâinstance narrative, câest le
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personnage principal du roman qui obĂ©it Ă cette construction textuelle. Louise Ă©chappe Ă tout enfermement dans un trait de caractĂšre prĂ©cis. Perçue sous lâangle de lâaffection maternelle, Louise apparaĂźt comme mĂšre accomplie. Le bonheur de Louise en tant que femme se rĂ©alise dans la maternitĂ©. Louise pratique les devoirs dâune mĂšre en vue dâassurer le bien-ĂȘtre aux enfants dont elle a la charge. Le mĂ©tier de nounou quâelle effectue dans les mĂ©nages traduit la figure maternelle du personnage. Câest pourquoi pour le couple Paul et Myriam, Louise est une mĂšre bienfaitrice pleine dâattention : "Cette nounou, elle lâattend comme le Sauveur... persuadĂ©e que personne ne pourrait les protĂ©ger aussi bien quâelle"(13). Il reste que la nounou va au-delĂ des tĂąches du mĂ©tier. Louise y met sa part dâhumanisme dans lâaccomplissement de cette tĂąche. Elle passe pour une mĂšre accomplie plutĂŽt quâune nounou en quĂȘte dâargent : "Elle est Vishnou, divinitĂ© nourriciĂšre, jalouse et protectrice. Elle est la louve Ă la mamelle de qui ils viennent boire, la source infaillible de leur bonheur familial"(14).
Toutefois, il faut reconnaĂźtre que Louise en tant que mĂšre intĂšgre la figure de femme criminelle. Par la criminalitĂ©, il faut entendre lâacte qui est coupable d'une grave infraction Ă la morale. Câest pourquoi les lois condamnent les actes criminels d'une peine afflictive ou infamante. LâĂ©criture romanesque sâapproprie lâacte criminel. LâintĂ©rĂȘt dâune telle Ă©criture sâillustre par la forme dâĂ©criture suggestive et la construction de lâhĂ©roĂŻne. Il surgit donc la figure de la femme assassine compte tenu de la prĂ©mĂ©ditation.
La prĂ©mĂ©ditation prend en compte le moment dĂ©cisif oĂč le personnage rĂ©flĂ©chit sur la faisabilitĂ© de son intention. Il faut indiquer que lâassassinat se distingue du meurtre par la prĂ©mĂ©ditation. Le roman "Chanson douce" prĂ©pare minutieusement la conscience du lecteur quant Ă lâimage de lâhĂ©roĂŻne et de ce dont elle est capable. La narratrice rĂ©vĂšle progressivement lâintention de la nounou si bien que la part de
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surprise du lecteur sâamoindrit. Louise est une nounou qui maĂźtrise lâemploi du temps du couple Paul et Myriam. RongĂ©e par les vicissitudes de la vie et la crainte de la rupture du contrat de travail, Louise rĂ©alise que tout est accompli : "Il faut que quelquâun meure. Il faut que quelquâun meure pour que nous soyons heureux"(15). Louise vit une vĂ©ritable expĂ©rience traumatique au cours de la laquelle elle perd toute attache avec le monde extĂ©rieur. Il nây a plus de repĂšre pour Louise. Louise est comme transfigurĂ©e et perdue dans lâabĂźme. Câest dâailleurs ce que reconnaĂźt le psychologue Croq en parlant de lâexpĂ©rience traumatique : "LâexpĂ©rience traumatique, dans son surgissement comme dans sa perpĂ©tuation, est un bouleversement profond de lâĂȘtre, dans son rapport avec le monde et avec lui-mĂȘme. PlongĂ© dans le chaos... le traumatisĂ© est celui Ă qui il a Ă©tĂ© donnĂ© de douter brusquement de la vie et de lâordonnancement du monde"(16).
Lâunivers psychique de Louise est rongĂ© par la mĂ©lancolie. LâhĂ©roĂŻne est Ă©crasĂ©e par les douleurs psychiques. LâĂ©tat de conscience et les mouvements de lâĂąme du protagoniste sont rĂ©vĂ©lateurs de la situation de lâauteure. Câest ce que confirment dâailleurs les propos de Leila Slimani recueillis par le critique Keram Farah : "A quinze ans, je broie du noir... Ma mĂšre me demande ce que jâai. Je lui rĂ©ponds que je nâen sais rien, que jâai des angoisses, que jâai peur. "Mais peur de quoi ?", me questionne-t-elle. Câest bien le problĂšme, je ne sais pas. Jâai peur et câest comme ça"(17).
Contre toute attente, Louise rĂ©alise ce dessein malsain câest pourquoi le roman, "Chanson douce" sâouvre sur une scĂšne macabre. Le premier chapitre, le bĂ©bĂ© mort, plonge le lecteur dans le choc. Câest la rĂ©alisation de lâintention criminelle de Louise. La nounou vient de tuer Mila et Adam. Le temps choisi et les moyens utilisĂ©s montrent comment le coupable a prĂ©parĂ© son coup. Câest dâailleurs ce que confirme le rĂ©cit de la narratrice tĂ©moin : "Le bĂ©bĂ© est mort. Il a suffi quelques secondes. Le
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mĂ©decin a assurĂ© quâil nâavait pas souffert... Les yeux exorbitĂ©s, elle semblait chercher de lâair. Sa gorge sâĂ©tait emplie de sang. Ses poumons Ă©taient perforĂ©s et sa tĂȘte avait violemment heurtĂ© la commode bleue"(18). Face Ă ces faits tragiques, il est difficile dâattribuer la responsabilitĂ© Ă la nounou surtout quand on se rappelle lâimage angĂ©lique de Louise. Myriam aimait rĂ©pĂ©ter fiĂšrement Ă lâendroit de ses amies que Louise est une fĂ©e. En outre, il faut mentionner que la situation est intenable pour la mĂšre : le deuxiĂšme enfant est sur le point de succomber : "Adam est mort. Mila va succomber"(19). Câest le ciel qui lui tombe dessus. Comment trouver des mots pour consoler Myriam ?
A lâanalyse, il reste que lâhĂ©roĂŻne accomplit lâacte criminel avec prĂ©mĂ©ditation. Leila Slimani invite Ă rĂ©flĂ©chir sur la part bestiale du personnage fĂ©minin contrastant manifestement avec son apparence angĂ©lique. Les enfants subissent des actes atroces avant de rendre lâĂąme. Le degrĂ© de violence contraste avec le sentiment maternel de la nounou. La rĂ©currence des thĂšmes autour de la femme nourrice et de la femme criminelle indique que Leila Slimani exploite lâart de la construction contrastĂ©e du personnage romanesque. Câest du moins ce que reconnaĂźt le critique Jean-Pierre Richard : "Le repĂ©rage des thĂšmes sâeffectue le plus ordinairement dâaprĂšs le critĂšre de rĂ©currence : les thĂšmes majeurs qui en forment lâinvisible architecture, ce sont ceux qui sây trouvent dĂ©veloppĂ©s le plus souvent, qui sây rencontrent avec une frĂ©quence visible, exceptionnelle"(20). Câest lĂ , nous semble-t-il, le caractĂšre ambivalent du portrait de lâhĂ©roĂŻne sous la plume de Leila Slimani. De cette forme de peinture romanesque surgissent les particularitĂ©s de lâesthĂ©tique romanesque chez Leila Slimani. 2 - ParticularitĂ©s de lâesthĂ©tique romanesque :
La forme classique du roman ne trouve pas dâĂ©cho chez la jeune romanciĂšre. Les particularitĂ©s de lâesthĂ©tique romanesque chez Leila Slimani qui, traduisent le dĂ©passement des frontiĂšres de la poĂ©tique du roman, sâillustrent par lâesthĂ©tique
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romanesque, un double jeu du roman noir ; par lâĂ©criture romanesque entre vie domestique et vie professionnelle de la femme, et par une nouvelle Ă©criture du fĂ©minisme. 1. EsthĂ©tique romanesque un double jeu du roman noir :
DâentrĂ©e de jeu, chez Leila Slimani, le discours sur le personnage fĂ©minin dĂ©bouche sur un double jeu empruntĂ© Ă lâesthĂ©tique du roman noir. Câest dĂ©sormais un discours complet en ce quâil met Ă nu les diffĂ©rentes figures fĂ©minines. La rupture est assumĂ©e par la romanciĂšre franco-marocaine en ce que "Chanson douce" se dĂ©marque de la reprĂ©sentation idyllique de la femme, avec la production dâune Ă©criture prenant la dĂ©fense de la femme, avec la construction du personnage fĂ©minin viscĂ©ralement dressĂ© contre le genre opposĂ©. Le discours sur la femme sâinscrit dans le dĂ©passement de lâimage que lâopinion se fait de la femme. Pour y parvenir, la romanciĂšre exploite lâart de contraste. Le lecteur tombe dans ce jeu et se laisse persuader par le caractĂšre humaniste de la femme. Le jeu est double en ce que dans lâunivers romanesque, les autres personnages se laissent berner par lâimage angĂ©lique de la femme si bien quâil devient difficile pour eux dâadmettre un simple Ă©cart de conduite dont est responsable un personnage fĂ©minin. Le cas le plus manifeste est celui du personnage Louise. En effet, en dĂ©pit de la rĂ©alitĂ© des faits, il est difficile pour lâentourage de comprendre lâacte criminel dont est responsable Louise. Câest le cas des enquĂȘteurs. Il a fallu : "Mille fois, le capitaine a repassĂ© lâenregistrement"(21). pour se laisser convaincre partiellement.
En outre, le pouvoir crĂ©ateur de Leila Slimani se rapproche de lâesthĂ©tique du roman noir. Il faut entendre la reprĂ©sentation romanesque dâune histoire cruelle dont lâissue nâĂ©chappe pas Ă lâeffusion de sang ou Ă la mort. Ainsi dans lâunivers du roman noir, les actants narratifs entretiennent des rapports tendus. Câest une vision du monde dâhorreur que tente de reproduire le roman. "Chanson douce", sâouvre par un constat de lâassassinat et plonge "in media res" le lecteur dans lâunivers sanglant oĂč
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fonctionne la loi de la jungle. Câest un monde oĂč dominent les monstres humains. Les personnages prĂ©sentent un double visage. Lâimage que la sociĂ©tĂ© a dâeux nâest quâun dĂ©cor qui cache soigneusement le monstre. Câest dâailleurs pour cette raison que le roman noir exploite lâart du contraste. Le jeu est maintenu entre lâĂȘtre et le paraĂźtre. Louise est un personnage Ă©nigmatique. Lâimage de mĂšre quâelle renvoie Ă la sociĂ©tĂ© sâoppose manifestement avec son vĂ©ritable ĂȘtre. Louise est un animal sauvage sous une forme humaine. Il suffit de considĂ©rer la correction quâelle administre Ă sa fille StĂ©phanie. Louise, la mĂšre fauve frappe sa vie dâune violence Ă dĂ©vorer sa propre fille : "Elle lâa frappĂ©e sur le dos dâabord, de grands coups de poing qui ont projetĂ© sa fille Ă terre... Toute sa force de colosse sâest dĂ©ployĂ©e et ses mains minuscules couvraient le visage de StĂ©phanie de gifles cinglantes... elle la griffait jusquâau sang"(22).
En outre, dans le roman noir mĂȘme les scĂšnes de rapport sexuel sont des moments de violence. Câest un vĂ©ritable moment oĂč le partenaire Ă lâimage des bĂȘtes sauvages lors de copulation, exerce une violence sur sa partenaire. Câest encore Louise qui est visĂ©e par la narratrice. MariĂ©e Ă Jacques, Louise mĂšne une vie dâadultĂšre avec le personnage HervĂ©. La narratrice choisit de dĂ©crire la scĂšne de rapport sexuel quâil compare Ă celui des animaux : "Ils font lâamour bĂȘtement"(23).
Les indices illustratifs du double jeu du roman policier abondent dans le roman de Leila Slimani. Il faut relever les scĂšnes de meurtre, les pĂ©ripĂ©ties et les enquĂȘtes. Lâassassinat commis par lâhĂ©roĂŻne entraĂźne des scĂšnes dâenquĂȘtes. Câest un vĂ©ritable film dâaction. Lâaction romanesque est si dramatique que lâintrigue dĂ©passe le cadre du roman pour prendre le reflet des films sanglants. LâenquĂȘte autour de lâaffaire Louise renseigne davantage sur lâesthĂ©tique du roman policier exploitĂ© par la romanciĂšre franco-marocaine : "Mais Louise nâest pas restĂ©e dans lâappartement... Une heure avant le meurtre. DâoĂč venait Louise ? OĂč Ă©tait-elle allĂ©e ? Combien de temps est-elle
ReprĂ©sentation antithĂ©tique de lâhĂ©roĂŻne romanesque chez Slimani
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restĂ©e dehors ? Les policiers ont fait le tour du quartier, la photo de Louise Ă la main. Ils ont interrogĂ© tout le monde"(24). Le lecteur est transportĂ© dans un univers oĂč rien ne lui rappelle les codes sociaux du monde dans lequel il vit. Cela est peut ĂȘtre rendu possible juste par le pouvoir de lâĂ©criture. Par lâĂ©criture, le romancier sâoffre la libertĂ© de transgresser les codes. Câest ce que reconnaĂźt le critique Cixous : "LâĂ©criture permet de dĂ©passer les codes. DĂšs que tu te laisses conduire au-delĂ des codes, ton corps plein de crainte et de joie, les mots sâĂ©cartent, tu nâes plus enserrĂ©e dans les plans des constructions sociales"(25).
En clair, de par ces éléments textuels, "Chanson douce" passe pour le roman policier. Par ailleurs, la poétique de contraste à laquelle recourt Leila Slimani dévoile le personnage féminin entre domesticité et professionnalisme. 2. Ecriture romanesque de la femme :
La singularitĂ© de lâĂ©criture romanesque chez Leila Slimani se traduit par le jeu entre vie domestique et vie professionnelle de la femme. En effet, "Chanson douce" dĂ©crit Ă la fois le quotidien de la femme de mĂ©nage et les rĂ©alitĂ©s dâune femme exerçant le travail professionnel. Câest une vision complĂšte de la condition fĂ©minine dont se rĂ©clame "Chanson Douce". La figure de la femme domestique est incarnĂ©e par Louise, lâhĂ©roĂŻne. Les mĂȘmes tĂąches, les mĂȘmes gestes et bien dâautres formes de routines susceptibles de renseigner sur lâunivers psychique du personnage sont explorĂ©s par la narratrice. La narratrice met lâaccent sur la vie domestique qui dĂ©finit et structure la mentalitĂ© du personnage Louise. Selon Escola, la domesticitĂ© correspond Ă : "tous les individus au service dâun autre dans un rapport de subordination, sans en ĂȘtre nĂ©cessairement la propriĂ©tĂ© (esclaves, serfs, fidĂšles, employĂ©s...), exerçant des fonctions diverses au sein dâune maison et de la sphĂšre domestique de celle-ci"(26).
Ainsi, il se trouve que Louise est une femme de ménage qui a presque suivi la voie de ses parents. A son tour, elle initie
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progressivement sa petite fille StĂ©phanie Ă bas Ăąge. Ătant femme de mĂ©nage, Louise passe son existence Ă exĂ©cuter les tĂąches et Ă remplier les commissions diverses de la part des patrons. Lâon dĂ©couvre dans le mĂȘme temps, lâinfluence du mĂ©tier de domestique dans sa vie privĂ©e et son morale. Câest pourquoi la narratrice compare Louise, la nounou Ă ces formes silhouettes : "La nounou est comme ces silhouettes qui, au thĂ©Ăątre dĂ©placent dans le noir le dĂ©cor sur la scĂšne. Elles soulĂšvent le divan, poussent dâune main une colonne en carton, un pan de mur"(27). Dâun point de vue narratif, lâhistoire centrale du roman se tisse autour de la fonction de domestique remplie par Louise.
En outre, le roman "Chanson douce" lĂšve un pan de voile sur la vie professionnelle de la femme dans les sociĂ©tĂ©s industrialisĂ©es. Câest Myriam, la patronne de Louise qui reprĂ©sente la figure de la femme moderne et civilisĂ©e. La sociĂ©tĂ© parisienne qui sert de cadre romanesque, est une sociĂ©tĂ© industrielle oĂč la femme moderne est absorbĂ©e par les tĂąches quotidiennes et dispose peu de temps pour sâoccuper de ses enfants. Les multiples occupations sollicitent Myriam si bien quâil lui est difficile de sâoccuper de ses deux enfants Mila et Adam. Câest du moins ce qui dĂ©coule de la description du quotidien vĂ©cu par le couple Paul et Myriam dans cette sociĂ©tĂ© industrialisĂ©e : "Myriam et Paul sont dĂ©bordĂ©s... Leur vie dĂ©borde, il y a Ă peine la place pour le sommeil, aucune pour la contemplation. Ils courent dâun lieu Ă un autre, changent de chaussures dans les taxis"(28).
La sociĂ©tĂ© industrialisĂ©e absorbe Myriam. Myriam ne disposant plus de temps pour la garde des enfants, est obligĂ©e dâengager une nounou pour assurer cette tĂąche. Le fait de confier la charge des enfants Ă un inconnu ne manque pas de risque. La mort des deux enfants Mila et Adam causĂ©e par une nounou en est une illustration. Par le choix de l'espace industrialisĂ©, la romanciĂšre attire lâattention des familles sur les types de nounous. Lâauteure critique dans le mĂȘme temps la
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figure de la femme dite civilisĂ©e. AbsorbĂ©e par les multiples occupations des sociĂ©tĂ©s industrialisĂ©es, Myriam dĂ©laisse ses enfants. Les enfants non seulement grandissent sans affection parentale, sont exposĂ©s aux dangers divers. De la vient que Myriam manque au vĂ©ritable bonheur dâune femme. VoilĂ , les deux visages de la femme Ă©mancipĂ©e et de la femme de mĂ©nage sous la plume de Leila Slimani. Câest en cela que lâĂ©criture romanesque sâinscrit dans une nouvelle Ă©criture du fĂ©minisme. 3. Discours romanesque vers un nouveau fĂ©minisme :
En dernier ressort, il sâobserve chez Leila Slimani un nouveau discours romanesque sur fĂ©minisme. A priori, les nouvelles Ă©critures fĂ©ministes se montrent Ă travers une Ă©criture objective. Il nâest plus question du parti pris pour la cause de la femme caractĂ©ristique du traditionnel fĂ©minisme. La romanciĂšre tente et rĂ©ussit Ă effacer dans lâĂ©criture toutes les formes de complaisance. Le lecteur se trouve devant les faits objectifs en ce que la narratrice retient toute sensibilitĂ© face aux faits quâelle expose. Pareille Ă un scientifique suivant lâordre des faits, la narratrice se dĂ©tache de tout sentimentalisme. Câest pourquoi la vie misĂ©rable de lâhĂ©roĂŻne est dĂ©crite sans parti pris. Le choix dâun personnage presque sans cĆur pour dĂ©crire le sort de Louise participe de cette forme dâĂ©criture objective. La nouvelle Ă©criture choisit Bertrand Alizard, un bailleur dur, qui nâĂ©prouve plus rien devant la misĂšre de Louise : "Bertrand Alizard... ne supporte plus ses excuses : Je reviendrai dans huit jours avec du matĂ©riel et un ouvrier pour les travaux. Vous devriez terminer dâemballer vos cartons"(29).
Dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es, le rĂ©cit confie le tĂ©moigne sur la vie de Louise dans les mĂ©nages Ă un personnage ayant cĂŽtoyĂ© Louise. Câest ce qui explique lâeffacement Ă©nonciatif de la narratrice. Le tĂ©moignage objectif est conduit par Hector Rouvier : "Il se souvient aussi, ou plutĂŽt il croit se souvenir, quâelle Ă©tait dâune patience infinie avec lui"(30). Louise selon quâelle est vue par Hector, apparaĂźt comme une nourrice
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parfaite. Le portrait dressĂ© par celui qui fut le fils de Louise insiste sur le choc provoquĂ© par le dĂ©part de Louise. Le lien Ă©tait si affectif que le dĂ©part de Louise entraĂźne une vĂ©ritable dĂ©chirure chez Hector. Hector ne sâen revient pas avec lâabsence de Louise. Pour Hector, le lien Ă©tabli avec Louise nâest autre que les : "serments de tendresse Ă©ternelle"(31). Câest ce qui explique toute la dĂ©chirure causĂ©e par le dĂ©part brusque de Louise : "Oui, son dĂ©part a Ă©tĂ© une dĂ©chirure"(32).
En outre, Le passĂ© qui renaĂźt avec ses diffĂ©rentes ramifications Ă©value la capacitĂ© mnĂ©monique du personnage, Hector. Lâesprit, en tant qu'il garde le souvenir du passĂ© reste encore vivant chez Hector : "Dix ans ont passĂ©, mais Hector Rouvier se rappelle parfaitement les mains de Louise"(33).
Par ailleurs, lâoriginalitĂ© de lâĂ©criture romanesque se traduit par la dimension militante du nouveau fĂ©minisme. En effet, le nouveau fĂ©minisme tel quâil se dĂ©gage de lâĂ©criture sâillustre par la dĂ©fense des valeurs humaines. Pour Leila Slimani, lâart nâa pas Ă tourner le dos Ă la sociĂ©tĂ©. Le respect de la lĂ©gislation et des droits de la femme et le personnage fĂ©minin en tant quâactrice du dĂ©veloppement constituent les points essentiels autour desquels porte le combat de la figure de lâĂ©crivaine engagĂ©e.
A premiĂšre vue, le respect de la lĂ©gislation et des droits de la femme est lâune des prioritĂ©s de la jeune romanciĂšre. En concentrant lâessentiel du discours romanesque sur lâhĂ©roĂŻne, lâĂ©criture romanesque dĂ©fend la place centrale quâoccupe la figure fĂ©minine dans la sociĂ©tĂ©. En faisant dâune nounou le personnage principal de son roman, la romanciĂšre franco-marocaine rĂ©habilite cette catĂ©gorie sociale. Leila traduit son humanisme Ă lâendroit des domestiques, elle reconnaĂźt dâailleurs la prĂ©caritĂ© de leur mĂ©tier. Câest un mĂ©tier pĂ©riodique dont la durĂ©e est fonction des humeurs des patrons. Ce sont souvent les caprices des familles qui mettent en danger leur travail. En partant de cette situation, la romanciĂšre met scĂšne le parcourus narratif de la nounou dâune famille Ă une autre. Par ce parcours
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le roman en profite pour dĂ©voiler lâintimitĂ© des familles. Cette prĂ©dilection pour cette thĂ©matique fonctionne comme une obsession pour lâauteure. Dans un entretien, lâĂ©crivaine rĂ©vĂšle que lâobsession de la nourrice et celle de la maternitĂ© deviennent une source dâinspiration pour son acte crĂ©atif : "Câest le fait divers qui mâa permis de dĂ©coller du rĂ©el. Jâavais une idĂ©e thĂ©orique mais je nâarrivais pas Ă trouver lâenclencheur concret qui me permettrait de trouver le rythme narratif. Jâai lu ce drame dans Paris Match. Il entrait en rĂ©sonance avec dâautres obsessions comme celle de raconter ce que câest que dâĂȘtre une nounou, personnage trĂšs romanesque ; ce que câest que dâĂȘtre mĂšre aujourdâhui"(34).
De ce qui prĂ©cĂšde, lâon comprend que lâhistoire de Louise doit beaucoup Ă la rĂ©alitĂ©. Ainsi la romanciĂšre insiste sur la rupture brusque du travail par le couple Paul et Myriam et la consĂ©quence qui sâen est suivie : lâassassinat. La romanciĂšre milite pour le respect de la lĂ©gislation notamment le contrat de travail. Câest la crainte de la perte de travail qui a poussĂ© la nourrice Ă commettre lâacte dâassassinat. La situation de Louise nâest quâun exemple parmi tant dâautres. Câest pourquoi, le roman revient sur le sort dâune autre nounou Wafa partageant avec Louise les mĂȘmes conditions de travail : "La jeune femme nâarrĂȘtait pas de pleurer, elle ne parvenait pas Ă articuler un mot et la policiĂšre a fini par perdre patience. Elle lui a dit quâelle se fichait bien de sa situation, de ses papiers, de son contrat de travail"(35).
En outre, la romanciĂšre milite en faveur de la femme en tant quâactrice du dĂ©veloppement. Dans le cadre restreint de cette rĂ©flexion, le dĂ©veloppement sâentend comme le progrĂšs socioĂ©conomique rĂ©alisĂ© grĂące Ă un ensemble des moyens mis en Ćuvre par des personnages. Le rĂŽle narratif de premier plan attribuĂ© Ă des figures fĂ©minines vise Ă montrer que les personnages fĂ©minins recĂšlent des atouts dont la sociĂ©tĂ© a besoin pour assurer son bien-ĂȘtre. La figure assassine ne suffit pas pour
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conclure de façon fatale sur le caractĂšre dĂ©moniaque de la femme. "Chanson douce" est un chant dâespoir. Câest par la femme, actrice principale du dĂ©veloppement que lâhumanitĂ© peut atteindre lâharmonie. Leila Slimani reste convaincue que la sociĂ©tĂ© industrielle dite civilisĂ©e ne peut se passer de la femme. Les parents nantis nâont plus de temps pour sâoccuper de leurs enfants et câest la nounou qui sâen occupe. La nounou est une vĂ©ritable mĂšre Ă©ducatrice. Louise est une nounou qui remplit cette fonction didactique. Câest dans ce sens quâil faut reconnaĂźtre lâeffort fourni par cette nounou pour lâĂ©ducation. Elle ne manque dâailleurs pas de lâavouer aux professeurs de sa fille StĂ©phanie : "Elle a dit quâelle avait des principes et une grande expĂ©rience dans lâĂ©ducation des enfants"(36).
De maniĂšre prĂ©cise, lâĂ©criture romanesque de Leila Slimani sâinscrit dans une modernitĂ© esthĂ©tique. LâĂ©criture fĂ©ministe chez cette jeune romanciĂšre est novatrice par sa dimension objective et la foi en la femme comme figure incontournable dans les sociĂ©tĂ©s industrialisĂ©es. Conclusion :
En somme, la rĂ©flexion autour de la construction antithĂ©tique de la figure fĂ©minine prĂ©sente un intĂ©rĂȘt considĂ©ration. Dâun point de vue esthĂ©tique. LâĂ©tude a relevĂ© que Leila Slimani exploite lâart de contraste pour construire les diffĂ©rentes figures des actants romanesques. Le personnage fĂ©minin paraĂźt comme une image angĂ©lique. Dans le mĂȘme temps, la romanciĂšre change de position en insistant sur le visage cachĂ© dâun mĂȘme personnage. Par cette dialectique, lâĂ©criture romanesque aide Ă rĂ©flĂ©chir sur lâĂ©cart quâil y a entre lâapparence et lâĂȘtre dâun individu et remet en question le regard social. Le double jeu du roman noir et lâĂ©criture objective particularisent lâesthĂ©tique romanesque du roman "Chanson douce". Dâun autre point de vue psychanalytique, lâart de la construction antithĂ©tique amĂšne Ă comprendre que câest la part cachĂ©e dĂ©moniaque de lâĂȘtre qui triomphe sur son image
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extĂ©rieure. Louise, lâhĂ©roĂŻne est en opposition manifeste avec son image extĂ©rieure. La rĂ©flexion conduit Ă cerner la mort du hĂ©ros. Câest une autre figure de lâhĂ©roĂŻne qui est proposĂ©e : lâanti hĂ©roĂŻne.
Notes : 1 - Leila Slimani : Chanson douce, Ed. Gallimard, Paris 2016. 2 - Ibid., p. 24. 3 - Ibid., p. 9. 4 - Alain Rey : Le Grand Robert de la langue française, Ed. SEJER, Paris 2017, p. 48. 5 - Leila Slimani : op. cit., p. 24. 6 - Ibid., p. 28. 7 - Ibid. 8 - Ibid., p. 127. 9 - Ibid. 10 - Xavier Garnier : 2002, p. 177. 11 - Leila Slimani : op. cit., p. 18. 12 - Ibid., pp. 166-167. 13 - Ibid., p. 13. 14 - Ibid., p. 59. 15 - Ibid., p. 13. 16 - Croq Louis : Les traumatismes psychiques de guerre, Ed. Odile Jacop, Paris 1999, p. 276. 17 - Keram Farah : Le dictionnaire intime de la langue française de LeĂŻla Slimani, p. 10. 18 - Leila Slimani : op. cit., p. 13. 19 - Ibid., p. 15. 20 - Jean-Pierre Richard : L'Univers imaginaire de MallarmĂ©, Ed. du Seuil, Paris 1961, pp. 24-25. 21 - Leila Slimani : op. cit., p. 123. 22 - Ibid., p. 123. 23 - Ibid., p. 143. 24 - Ibid., p. 76. 25 - H. Cixous : La venue Ă lâĂ©criture des femmes, Ed. Fayot, Paris 1986, p. 61. 26 - Marc Escola : Domestiques et domesticitĂ©s, Servirun maĂźtre de lâAntiquitĂ© Ă nos jours, p. 14. 27 - Leila Slimani : op. cit., p. 59. 28 - Ibid., p. 118.
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29 - Ibid., p. 78. 30 - Ibid., pp. 166-167. 31 - Ibid. 32 - Ibid. 33 - Ibid. 34 - Jean-Luc Bertini : LeĂŻla Slimani, rencontre avec la romanciĂšre de lâultramoderne solitude des femmes, 2001, p. 34, en ligne, http://www.elle.fr 35 - Leila Slimani : op. cit., p. 84. 36 - Ibid., p. 187.
RĂ©fĂ©rences : 1 - Bertini, Jean-Luc : LeĂŻla Slimani, rencontre avec la romanciĂšre de lâultramoderne solitude des femmes, 2001. 2 - Cixous, HĂ©lĂšne : La venue Ă lâĂ©criture des femmes, Ed. Fayot, Paris 1986. 3 - Escola, Marc : Domestiques et domesticitĂ©s, Servirun maĂźtre de lâAntiquitĂ© Ă nos jours. 4 - Farah, Keram : Le dictionnaire intime de la langue française de LeĂŻla Slimani. 5 - Louis, Croq : Les traumatismes psychiques de guerre, Ed. Odile Jacop, Paris 1999. 6 - Rey, Alain : Le Grand Robert de la langue française, Ed. SEJER, Paris 2017. 7 - Richard, Jean-Pierre : L'Univers imaginaire de MallarmĂ©, Ed. du Seuil, Paris 1961. 8 - Slimani, Leila : Chanson douce, Ed. Gallimard, Paris 2016.
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