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André Magdelain L'inauguration de l'urbs et l'imperium In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 89, N°1. 1977. pp. 11-29. Résumé André Magdelain, L'inauguration de l'«urbs» et l'«imperium», p. 11-29. La dualité du pouvoir civil (domi) et militaire (militiae) est primordiale et se fonde sur la distinction augurale de l'urbs et de l'ager. Distinction des auspicia et des auguria. Valeur sacrale de l'inauguration de l'urbs, alors que l'ager n'est pas inauguré. Inauguration des temples (templa augusta). Le rite de l'inauguration s'ajoute pour la ville et les temples à ceux de l'effatio et liberatio. Etude des expressions auspicium auguriumque et auspicium imperium. Le sol urbain inauguré à l'intérieur du pomerium (en deçà des murs) ne tolère que le pouvoir civil exempt de souillure guerrière. Ce pouvoir s'appelle initialement iudicium par opposition à l'imperium extra-urbain. Citer ce document / Cite this document : Magdelain André. L'inauguration de l'urbs et l'imperium. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 89, N°1. 1977. pp. 11-29. doi : 10.3406/mefr.1977.1095 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1977_num_89_1_1095

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André Magdelain

L'inauguration de l'urbs et l'imperiumIn: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 89, N°1. 1977. pp. 11-29.

RésuméAndré Magdelain, L'inauguration de l'«urbs» et l'«imperium», p. 11-29.

La dualité du pouvoir civil (domi) et militaire (militiae) est primordiale et se fonde sur la distinction augurale de l'urbs et de l'ager.Distinction des auspicia et des auguria. Valeur sacrale de l'inauguration de l'urbs, alors que l'ager n'est pas inauguré.Inauguration des temples (templa augusta). Le rite de l'inauguration s'ajoute pour la ville et les temples à ceux de l'effatio etliberatio. Etude des expressions auspicium auguriumque et auspicium imperium. Le sol urbain inauguré à l'intérieur du pomerium(en deçà des murs) ne tolère que le pouvoir civil exempt de souillure guerrière. Ce pouvoir s'appelle initialement iudicium paropposition à l'imperium extra-urbain.

Citer ce document / Cite this document :

Magdelain André. L'inauguration de l'urbs et l'imperium. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 89, N°1. 1977.pp. 11-29.

doi : 10.3406/mefr.1977.1095

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1977_num_89_1_1095

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ANDRÉ MAGDELAIN

L'INAUGURATION DE L'URBS ET L'IMPERIUM

La distinction de Yurbs et de Yager représente une dualité topographique qui affecte profondément à la fois la religion et le droit.

Au point de vue religieux, la limite de Yurbs est en même temps celle des auspicia urbana (Varr. 1.1.5, 143; Gell. 13, 14, 1). De plus pendant la période archaïque, les divinités étrangères introduites à Rome recevaient un culte en dehors du périmètre sacré de la ville. La zone intrapomériale était réservée aux dieux nationaux. Quant au droit public le pomerium représente la frontière qui sépare Yimperium domi de Yimperium militiae. Ce dernier s'exerce hors de la ville à la suite de la cérémonie de départ au Capitole : les auspices de guerre y sont pris par le général, il prononce des vœux à Jupiter Optimus Maximus, il prend ainsi que les licteurs l'habit de guerre, les trompettes sonnent, la foule l'escorte jusqu'à la sortie de la ville au passage du pomerium1.

La compétence urbaine s'exerçait à l'origine jusqu'à cette limite. Par suite de l'extension de la ville au-delà de son enceinte, cette compétence par commodité fut étendue jusqu'à la première borne milliaire2. Son aspect le plus caractéristique est la iurisdictio civile : les iudicia légitima de la procédure formulaire doivent être institués à l'intérieur de cette zone. On a raison de penser que ce régime commença par être celui de la legis aedo3. De même les pouvoirs du tribun de la plèbe ne peuvent s'exercer que domi4.

On a coutume de disjoindre les deux aspects religieux et constitutionnel de la distinction de Yurbs et de Yager. Et, si on les tient pour complémentaires, on s'abstient d'établir entre eux une dépendance. La théorie constitutionnelle de Yimperium domi et de Yimperium militiae affirme habituellement son autonomie par rapport au droit sacré.

Le dogme de l'unité de Yimperium simplifie les choses5. D'après lui, le roi exerçait le même pouvoir dans la ville et hors de celle-ci. Domi et militiae

1 Sur la distinction domi-militiae, Mommsen, Staatsrecht 1, p. 61-75. 2 Karlowa, Intra pomerium und extra pomerium, 1896, p. 50-54. 3 Cf. Bonifacio, Studi Arangio-Ruiz Π, ρ. 222. 4 Lugli, Fontes ad topographiam veteris urbis Romae pertinentes, 1, p. 121. 5 La pensée de Mommsen sur ce point a été aggravée par Leifer, Die Einheit des

Gewaltgedank.es im römischen Staatsrecht, 1914.

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sont des locatifs. Dans cette perspective, domi peuvent intervenir des actes aussi civils (comme la justice) que militaires (comme le triomphe ou la résistance à un siège). Il ne faudrait pas distinguer entre un pouvoir civil et un pouvoir militaire : le même Imperium se manifesterait aussi bien domi que militiae. Cette vision dogmatique est ruineuse. Elle anéantit la dualité fondamentale du pouvoir civil et militaire. Elle oblitère les catégories de guerre et de paix qui fixent le rythme aussi bien de la vie publique que de la religion et séparent dans le panthéon romain les divinités guerrières comme Mars des divinités pacifiques comme Ops.

Dans le dogme de l'unité de Yimperium, la distinction des compétences domi et militiae, inconnue sous la royauté, serait l'œuvre de la constitution républicaine. La République apporta domi des restrictions à la compétence des magistrats, et ce sont ces restrictions seules qui auraient introduit par voie légale, abstraction faite du droit sacré, la séparation de la compétence urbaine et de la compétence militaire. L'annalité de la magistrature interdit la prorogation de Yimperium domi. Seul Yimperium militiae peut être prorogé, lequel s'exerce seulement hors du pomerium. L'attribution extraordinaire de Yimperium à un privatus (le privatus cum imperio, selon une formule d'ailleurs non romaine) ne concerne que le pouvoir militaire hors les murs. L'intercession collégiale a pour domaine d'élection Yurbs et sa banlieue immédiate. Il en va de même de l'intercession tribunitienne. La provocano ad populum contre les sentences capitales du magistrat n'est possible que jusqu'à la première borne milliaire. Il est exact que toutes ces règles sont républicaines, et elles ne sont pas nées d'un coup avec la République elle- même. L'intercession collégiale a sans doute mis un certain temps à s'établir6. L'intercession tribunitienne a vu ses manifestations s'élargir progressivement. Et la provocatio d'après l'opinion la plus probable n'est née qu'avec la loi Valeria de 300, à moins de lui prêter des précédents coutumiers par rapport à cette date.

Sur un point précis, on voit achopper le dogme de l'unité de Yimperium : c'est le régime constitutionnel de la zone qui sépare le pomerium de la première borne milliaire. Dans cette zone la provocatio et l'intercession tribunitienne ne s'exercent pas uniformément : elles paralysent le pouvoir civil jusqu'à la première borne, mais sont inopposables au général qui a pris les auspices de départ7. Ce double régime de la provocatio et de l'intercession tribunitienne, selon que le pouvoir est civil ou militaire, est la meilleure preuve que ce sont deux pouvoirs fondamentalement distincts. Ils ont des

6 Cf. Frezza, Studi Solazzi, p. 507-542. 7 Liv. 24, 9, 2; App. BC 2, 31; DH 8, 87; Mommsen, Staatsrecht 1, p. 70.

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L'INAUGURATION DE L'URBS ET VIMPERIUM 13

zones différentes, la ville et Yager, mais ils ont aussi une zone commune, celle qui sépare le pomerium de la première borne, par suite de l'extension de la compétence domi jusqu'à cette limite en raison de l'accroissement de la banlieue. Dans cette zone commune, l'un est soumis aux restrictions républicaines et l'autre pas, pour cette simple raison qu'ils sont d'essence différente.

Cette dualité du pouvoir civil et militaire se reflète dans le droit des auspices. Les auspicia urbana relèvent en général de la compétence urbaine et font défaut en principe aux promagistratures. L'ager Romanus a d'autres auspices; les augures le définissent comme un secteur auspicial qu'ils mettent en tête de la hiérarchie des divers types d'agri : Varrò 1.1.5, 33, ut nostri augures publici disserunt, agrorum sunt genera quinque : Romanus, Gabinus, pere- grinus, hosticus, incertus. Par un privilège particulier, Xager Gabinus a les mêmes auspices que Yager Romanus : quod uno modo in his servantur auspicia. L'urbs et ì'ager ont respectivement des auspices qui leur sont propres8. De même, sur ces deux secteurs, la ville et la campagne, s'exercent des imperia opposés, civil et militaire. Le droit constitutionnel et le droit sacré se rejoignent et on a tort de les tenir à distance. Les pouvoirs domi et militiae correspondent à des espaces qui ont des statuts religieux indépendants. La topographie constitutionnelle recouvre la topographie sacrale. La ligne de partage est elle-même religieuse, le pomerium.

Les deux espaces concentriques de Yurbs et de Yager Romanus ont en commun d'être des loci effati et liberati (Cic. leg. 2, 21). Mais ce qui les distingue, c'est que Yurbs seule est en outre un lieu inauguré. Et c'est cette inauguration qui lui confère un statut particulier, tant au point de vue religieux qu'au point de vue constitutionnel.

On a parfois cru que Yager effatus et liberatus était une bande circulaire de terrain entre Yurbs et Yager Romanus, si bien qu'il existerait trois zones concentriques. En réalité, une saine lecture des textes (Gell. 13, 14, 1; Serv. Aen. 6, 197; Varrò 1.1.6, 53) montre que Yager effatus s'identifie avec Yager Romanus antiquus; il n'existe que deux zones qui s'emboîtent l'une dans l'autre, Yurbs et Yager Romanus9.

L'effatio est la délimitation augurale par la parole; la liberano est l'élimination des servitudes religieuses qui grèvent le sol. Elles ne s'appliquent pas seulement à Yurbs et à Yager, mais aussi aux templa. Le templum est lui aussi un locus liberatus et effatus (Serv. Aen. 1, 446). Pour lui à l'intérieur de Yurbs on a raison de penser que la liberano est la désacralisation du lieu, principa-

8 Voir aussi : Varrò 1.1.6, 53; Serv. Aen. 6, 197 ager, post pomeria, ubi captabantur anguria, dicebatur effatus. Cf. Karlowa, cit., p. 10-11.

9 Magdelain, Recherches sur l'imperium, p. 59, 5.

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lement par Y exauguratio des sanctuaires préexistants. Tel fut le cas du temple de Jupiter Capitolin, dont la fondation requit l'élimination de divers sanctuaires (Liv. 1, 55). Mais à propos de Xurbs et de Yager Romanus la liberano est autre chose. Il ne s'agit guère au moment de la fondation d'exaugurer des édifices cultuels ou une ville antérieure (sur Y exauguratio des villes Serv. auct. Aen. 4, 212). La liberatio tend simplement à expulser du sol tous les esprits turbulents et malfaisants qui le hantent, comme l'a bien compris K. Latte10. Selon un lieu commun de la littérature latine les lieux sauvages (grottes, sources etc.) sont peuplés de numinan. Le rite augurai fait place nette pour permettre l'installation de l'homme dans Yurbs et Yager à l'intérieur de limites précises.

Cet animisme coexiste chez les anciens Romains avec un panthéon de dieux personnels, dont les principaux sont groupés dans la triade archaïque Jupiter, Mars, Quirinus. Ces deux types de croyance ne s'excluent pas. La langue augurale a un terme technique, souvent mal compris, pour désigner les lieux sauvages occupés par des esprits innommés, c'est le mot tesca (Varrò 1.1.7, 8)12. Des glossographes critiqués par Varron expliquent tesca par sancta dans le sens de lieux consacrés. / est falsum, dit-il (7, 10). Festus (488 L) cite différents auteurs qui sont d'accord sur le sens d'aspera, diffidila aditu, deserta etc. Varron définit correctement tesca comme des lieux champêtres hantés par une divinité : 1.1.7, 10 loca quaedam agrestia, quae alicuius dei sunt, dicuntur tesca.

A cet ordre d'idées appartient la célèbre prière, rapportée par Caton (agr. 139; cf. Plin. NH. 17, 267), qu'il convient d'adresser avec l'accompagnement du sacrifice d'un porc à la divinité d'un lucus, dans lequel on est sur le point d'ouvrir une clairière à l'intérieur d'un domaine privé. L'invocation «si deus, si dea es, quoium illud sacrum est» fait appel à une divinité dont on ignore à la fois le nom et le sexe13. Le même rite est ensuite répété, si on désire cultiver le sol (agr. 140). Ces prescriptions contenues dans un traité d'administration rurale devaient être d'une application assez fréquente14.

10 Latte Kl. Schrift. 103; R. Religionsgeschichte p. 42; Magdelain, REL, 47, p. 266. 11 Fugier, Recherches sur l'expression du sacré dans la langue latine, 1963, p. 69-87. 12 Magdelain, REL, 47, p. 263. 13 On trouve une formule analogue dans les Acta des Arvales pour l'année 183 ap.

J.-C. : sive deo sive deae, in cuius tutela hic lucus locusve est. Cf. Gell. 2, 28, 3; Liv. 7, 26, 4. 14 On a raison de penser que la fonction primitive du pontifex se rattache à ce type

de croyance : il trace un pons, c'est-à-dire chemin selon la valeur indoeuropéenne du mot, à travers les espaces sauvages, pleins de forces hostiles, notamment à l'occasion des expéditions guerrières (Latte, R. Religionsgeschichte, p. 196, 1; cf. Dumézil, Religion r. archaïque, 1974, p. 574).

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L'urbs et Yager ont la même condition de loci effati et liberati, qui à l'intérieur de leurs limites sont débarrassés des esprits encombrants. Mais Yurbs n'est pas seulement un locus effatus et liberatus. A l'intérieur du pomeriwn, elle possède une qualité qui la distingue de Yager qui l'entoure : elle est par surcroît un lieu inauguré.

Le mot inaugurare (ou augurare), insuffisamment étudié, possède divers emplois. Parfois il désigne d'une manière générale l'activité des augures, sans apporter par lui-même de précision technique15. Quand il a au contraire une valeur technique, il désigne le rituel par lequel on inaugure soit un prêtre (par ex. les flammes majeurs), soit un lieu. Mais quand il est question d'inaugurare locum (Cic. Vatin. 24, domo 137; Serv Aen. 7, 174, etc.), un doute a longtemps subsisté16, qu'il convient d'éclaircir. En fait, ou bien l'activité des augures se borne à la liberano et effatio du lieu, ce qui paraît être le cas du templum où l'on observe le vol des oiseaux; ou bien, s'il s'agit d'un édifice cultuel, le rite de liberano et effatio paraît complété par une prise d'auspices, destiné à l'approbation divine du lieu, le tout étant parachevé plus tard par le rite de la consécration (Serv. Aen. 1, 446). Cette auspication, mal assurée dans la science contemporaine, est bien attestée pour Jupiter Capitolin (Serv. Aen. 9,446; Liv. 8,5,8 in tuo, Jupiter, augurato tempio), et se déduit pour les temples des autres dieux (sinon celui de Vesta, Gell. 14, 7, 7) par le rite auspicial inverse de Yexauguratio qui les désaffecte (Liv. 1, 55, 2-3; Fest. nequitum 160 L; DH 3, 69, 5).

Un lieu simplement délimité par les augures mais non approuvé par une auspication17, est dit inauguré au sens large du mot18. Il existe différentes variétés de lieux délimités de la sorte : Yager Romanus antiquus (= ager effatus), auguraculum de Yarx (Varrò 1.1.7, 8) où officient les augures, et d'une manière générale le templum où intervient l'observation des oiseaux. Mais le mot inaugurare n'a sa pleine valeur technique que si la délimitation faite par les augures est accompagnée de l'approbation auspiciale du lieu, comme c'est le cas pour les temples.

Pour eux, l'exigence d'une auspication approuvant leur emplacement (effectuée peut-être sur celui-ci même, préalablement délimité) est confir-

15 Wissowa, Religion und Kultus, p. 524, 1; 528, 3; RE, II, 2325; cf. L. Iulius Caesar ap. Grammatici Keil lip. 380 certaeque res augurantur.

16 Wissowa, RE, II, 2338; Magdelain, Recherches sur l'imperium, p. 60. 17 Sur la curia Hostilia, Gell. 14, 7, 7; Varrò 1.1.7, 10 (le sénat ne peut se réunir que

dans un templum, auguralement délimité, mais pas nécessairement consacré). 18 Liv. 3, 20, 6 augures iussos adesse ad Regillum lacum. . . locumque inaugurari, ubi

auspicato cum populo agi posset; Cic. domo 137 in tempio inaugurato; cf. Catalano, Diritto augurale, 1960, p. 289. Particulièrement significatif Serv. auct. Aen. 3, 463 loca sacra, id est ab auguribus inaugurata, effata dici.

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mée par l'adjectif augustus, qui les qualifie dans divers textes, selon un emploi typiquement augurai du mot, confirmé par son étymologie19. Un locus augustus est un lieu approuvé auspicialement : Paul. Fest. 2 L augustus locus sanctus . . . quia ab avibus significatus est. Dans la définition de Suétone : Aug. 7 quod loca quoque religiosa et in quibus augurato quid consecratur augusta dicantur, malgré un emploi assez lâche de religiosus (terme appliqué techniquement aux tombeaux), le rite auspicial est correctement distingué de celui de la consécration subséquente (par le rite de la dedicano)20. Il est possible que des non spécialistes n'aient pas clairement perçu à propos des templa augusta (Liv. 1, 29, 5) si cette qualité leur venait d'une auspicatio ou de leur dédicace. Dans la rigueur du droit sacré, la première solution corroborée par l'étymologie est seule à retenir; le templum est augustum21, parce qu'il a fait l'objet d'une inauguration au sens précis du mot, c'est-à-dire d'une approbation auspiciale qui double la liberano et effatio.

L'inauguration de ïurbs, très fortement attestée22, est placée par la légende romuléenne sous le signe miraculeux des douzes vautours23. Comme la demeure des dieux (les templa augusta), ì'urbs est à la fois un locus libera- tus et effatus, et en outre un lieu inauguré. Bien entendu, le rite supplémentaire de la dedicano, qui réalise la consécration d'un temple à un dieu, fait ici défaut.

Un long passage des Annales d'Ennius (77-96 Vahlen), souvent commenté par les philologues24, mais négligé par les juristes, fournit un commentaire fort perspicace du rite de Yinauguratio urbis. Il n'y a pas lieu de s'attarder à certaines particularités du récit du poète. Il place Romulus sur l'Aventin, au lieu du Palatin, au moment des auspices primordiaux, contrairement à la version devenue canonique25. De même Ennius évite de parler de vautours,

19 Thés. 1.1. v. Augustus II, 1379-1380. 20 Moins correctement Ovide écrit : Fast. 1, 609 augusta vocantur templa sacerdotum

rite dicata manu, car il ne retient que la dédicace et sous-entend les auspices. Cf. Ser- vius, Aen. 7, 153 augurio consecrata (moenia); Georg. 4, 228 tectum augurio consecratum.

21 Pour d'autres considérations sur le mot augustus, Wagenvoort, Roman Dynamism, 1947, p. 12 suiv.; Erkell, Augustus, Félicitas, Fortuna, 1952.

22 Fasti Praen. 23 mars : Romulus urbem inauguraverit; Liv. 1, 18, 5 augurato urbe condenda; Lugli, Fontes 1, p. 23 suiv.; VIII p. 26 suiv.

23 Lorsque Tite-Live 1, 44, 4 déclare que le tracé du pomerium a lieu inaugurato, cette inauguration présentée de façon équivoque peut prêter à confusion (cf. Catalano, cit. p. 306) : partout ailleurs c'est l'urbs, non le pomerium, qui est inaugurée.

24 Pease, M. Tulli Ciceronis de Divinatione, 1963, p. 292-297; O. Skutsh, Studia Enniana, 1968, p. 62-85; Jocelyn, Proceedings of the Cambridge philological Society, 1971, p. 44-74.

25 Un passage de Servius {Aen. 3, 46 Romulus captato augurio hastam de Aventino in Palatinum iecit, quae fixa fronduit et arborent fecit) adopte la même localisation

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qui sont tenus habituellement pour des oiseaux défavorables, mais de : ter quattuor corpora sancta. Ce trait ambigu de la légende romuléenne est ainsi écarté, et divers savants se demandent s'il ne faut pas le ranger parmi les éléments antiromains qui s'introduisirent dans cette légende, sans qu'ils puissent après sa stabilisation en être expulsés26. Des aigles, l'animal préféré de Jupiter, auraient fait meilleure figure. Dans le monde grec et italique, il est fréquent qu'une fondation de ville soit associée à l'intervention miraculeuse d'un animal ou oiseau (ainsi une truie blanche pour Albe, un faucon pour Capoue)27. Le signe des douzes vautours pour Rome se distingue de ce groupe de présages, en ce qu'il relève typiquement de la science augurale. Romulus intervenant comme augur (Cic. div. 1, 107; cf. div. 1, 89 reges augures) et même optimus augur (div. 1, 3), il s'agit plus que d'un présage heureux, l'auspication romuléenne est une opération de droit sacré qui tend à conférer à i'urbs le statut de lieu inauguré.

Deux vers d'Ennius méritent une attention particulière :

curantes magna cum cura turn cupientes regni dont opérant simul auspicio augurioque.

L'expression auspicium auguriumque, employée pour définir l'activité rituelle des jumeaux, lorsqu'ils requièrent l'intervention de Jupiter, accouple deux mots que d'autres textes opposent ou qui, employés séparément, ont des domaines distincts.

\J auspicium est un attribut de la magistrature, il va de pair avec l'impe- rium pour les magistratures élevées, et l'on dit couramment dans les textes officiels auspicium imperiumque28 . Les auspices sont inséparables de l'exercice du pouvoir, lequel pour les actes les plus importants de la vie publique exige l'approbation de Jupiter, par exemple à l'instant de partir en guerre, de tenir une assemblée du peuple, une séance sénatoriale, de livrer une bataille. Le mot auspicium (auspicia) se prête à désigner tant le droit d'auspices, propre à la magistrature, que l'activité auspiciale elle-même. Les auspicia publica

qu'Ennius, et fait suivre l'auspication romuléenne du célèbre jet de la lance, qui fichée en terre se transforme miraculeusement en arbre. Ce jet de la lance doit être rapproché du rite du fétial et de celui qu'opèrent les généraux quand ils pénètrent en territoire ennemi (Varrò ap. Serv. auct. Aen. 9, 52 ut castris locum caper eni). Dans la légende romuléenne le rite a une valeur différente, mais marque aussi une prise de possession du sol.

26 Strasburger, Zur Sage von der Gründung Roms, S. B. Heildelberg Ak. Phil. hist. Kl. 1968; Jocelyn, cit. p. 52 suiv.

27 Serv. Aen. 10, 145. 28 RE, II, 2582; Versnel, Triumphus, 1970, p. 176, 313, 356.

MEFRA 1977, 1. 2

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sont un monopole de la magistrature29, ils sont a populo accepta (Cic. div. 2, 76). Les augures ne peuvent en principe (malgré une affirmation outran- cière de Cicéron, leg. 2, 21, lequel a pour leur collège une prédilection particulière)30 se substituer aux magistrats dans l'exercice de cette fonction, à laquelle ils ne participent qu'à titre consultatif (in auspicio esse)31 ou pour l'annonce des signes oblatifs, c'est-à-dire non demandés (Cic. Phil. 2, 83). Au contraire, les anguria des augures sont des rituels archaïques, dépourvus de valeur politique, dont le sens exact reste mystérieux. L'opposition des auspi- cia des magistrats et des anguria des prêtres correspond au partage de compétence entre la magistrature et le sacerdoce32.

Cependant, même si on fait abstraction des exégèses souvent déconcertantes que les antiquaires tardifs donnent de ces deux mots, les textes de bonne époque tendent souvent à brouiller au moins en apparence leur opposition, à vrai dire assez simple. Elle n'en subsiste pas moins, bien que certains savants tendent à la mettre en doute. Si les auspicia et anguria relèvent de deux compétences séparées, la magistrature et le sacerdoce, cette distinction radicale des deux mots d'un point de vue juridique cède la place dans d'autres textes à leur collaboration et, peut-on dire, à leur addition (auspi- cium angnrinmque) au regard de la technique rituelle. Selon le point de vue, juridique ou sacral, ces deux mots s'opposent ou se cumulent.

Certes â'augurium, augurari, selon le sain emploi de ces mots il n'est question que pour les augures et non pour les détenteurs du pouvoir politique, si ce n'est pour les reges augures^ (Cic. div. 1, 89 omnino apud veteres, qui rerum potiebantur, idem anguria tenebant). Inversement il est parfaitement correct de parler a'auspicia ou auspicari à propos des augures, sans que cela aille à Tencontre du monopole des auspicia publica au profit des magistrats : Paul. Fest. 17 L (auguraculum) quod ibi augures publice auspica-

29 Varrò ap. Non. 131 L de caelo auspicari ius nemini est praeter magistratum. 30 Wissowa, R. K. p. 529, 7; Magdelain, Hommages à J. Bayet, p. 441. 31 Ou sauf délégation expresse (Liv. 4, 48). 32 Varrò 1.1.6, 82 et quod in auspidis distributum est qui habent spectionem, qui non

habeant; et quod in auguriis etiam nume augures dicunt avem specere; 7, 8 in terris dictum templum locus augurii aut auspicii causa quibusdam conceptis verbis finitus; Cic. div. I, 28 multa auguria, multa auspicia. Sur ces textes, Wissowa, RE, 11,2580-81; Catalano, Diritto Augurale, p. 64.

33 Cf. Catalano, cit. p. 177, 180. Dans Cic. har. resp. 18 rerum bene gerendarum aucto- ritates. . . augurio contineri il s'agit des augures (trad. Wuilleumier, Belles Lettres; Lenaghan, Commentary on Cicero's oration de haruspicum responso, 1969, p. 107). Voir la paraphrase de Val. Max. 1, 1, 1 bene gerundarum rerum auctoritates augurum observa- tione. Chez Servius, Aen. 2, 178 l'emploi à' auguria est impropre : sì egressi male pugnas- sent, revertebantur ad captando, rursus auguria. Cf. Catalano, cit., p. 81, 180.

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rentur; Liv. 1,18, 10. turn peregit (augur) verbis auspicia quae mitti vellet (à propos de l'inauguration de Numa); Varrò 1.1.6, 82 et quod in auguriis etiam nunc augures dicunt avem specere34. Les auguria comme les inaugurationes35 , bien que cela ait été parfois contesté à tort, requièrent une observation auspiciale, comme Dion Cassius (37, 24) le précise avec soin à propos de Xaugurium salutis, et comme Varron le rappelle d'une manière générale : 1.1.6, 82 in auguriis etiam nunc augures dicunt avem specere. L'auspication des augures est une pièce essentielle de ceux de leurs rituels qui ont pour but de capter un signe divin. Le mot auspicia à ce propos a sa pleine valeur technique. Cela n'entame en rien l'exclusivité des auspicia politiques au profit des magistrats. L'activité auspiciale est commune aux magistrats et aux augures : aux auspicia des premiers comme aux auguria des seconds. Mais les auspicia populi romani, pris à l'occasion des principaux actes de la vie politique, sont uniquement l'affaire des magistrats. D'un point de vue de technique rituelle (l'observation des signes divins), on peut parler aussi bien des auspicia des augures que des magistrats. D'un point de vue juridique, quand il s'agit de distinguer la compétence politique de la compétence sacerdotale, les auspicia des magistrats s'opposent aux auguria des prêtres, ces rites étant dépourvus de toute valeur politique.

Ce partage de compétence entre la magistrature et le sacerdoce est sans doute une nouveauté républicaine, puisque pour les Romains le roi est rex augur (Cic. div. 1, 89; Virg. Aen. 7, 190) 36; cette qualité est primordialement reconnue à Romulus, sans que cela signifie cependant que le roi soit membre du collège des augures, lesquels sont ses assistants. C'est la République qui, en scindant la magistrature du sacerdoce, a été amenée à opposer les auspicia des uns aux auguria des autres. Mais cette opposition purement juridique ne peut rien contre la commune observation des oiseaux par les magistrats et par les augures, si bien que le mot auspicium sous l'angle rituel relève des deux ordres. Et cela se manifeste dans les deux expressions : 1) auspicium auguriumque, qui résume chez Ennius l'activité de Romulus augur, avant même qu'il ne soit devenu rex; 2) auspicium imperiumque, qui définit officiellement les deux attributions du général en chef.

34 II est question en outre dì auspicia à propos des augures pour définir d'une manière générale leur science des signes divins, laquelle concerne aussi les auspices pris par les magistrats : Cic. leg. 2, 21 signis et auspiciis postera vidento; nat. deor. 1, 122 auspiciis augures praesunt.

35 Varrò 1.1.5, 47 augures ex arce profecti soient inaugurare (à partir de l'auguracu- lum de Marx).

36 Catalano, cit., p. 530, 549.

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Le binôme auspicium auguriumque, qui n'a guère retenu l'attention que des philologues, n'est pas propre à Ennius. C'est une expression archaïque que l'on retrouve moyennant un renversement des termes chez Plaute Asin. 263 ex augurio auspici(oque) (Ernout)37. Ailleurs le poète associe encore les deux mots sans toutefois les accoupler : Stich. 459 auspicio hodie optimo exivi foras. . . augurium hac facit. Le binôme reparaît sous une forme légèrement différente chez Tite-Live à propos de la fondation de Rome : 5, 52, 2 urbem auspicato inaugurato conditam habemus (28, 28, 1 1 urbem auspicato dis auctoribus où dis auctoribus est une exégèse d'inaugurato) et au sein d'un discours dans un passage solennel sur la protection des dieux : 26, 41, 18 auguriis aus- piciisque. Cette formule devait survivre dans la littérature latine, sans que l'on soit certain que son sens initial fût encore compris (Min. Felix 26, 4; Amm. 21, 1, 9). Il n'est pas indifférent de retrouver une combinaison des deux termes chez Paul. Fest. 58 L: cubons auspicatur, qui in lecto quaerit augurium (Serv. Aen. 4, 200). On n'est pas livré à l'arbitraire pour tenter de comprendre la formule auspicium auguriumque, qu'il faut tenir pour technique en raison de son archaïsme et de sa présence chez les premiers poètes, où elle se présente comme un legs du plus lointain passé. Ce serait une erreur de voir en elle chez Ennius à propos de Romulus un cumul des fonctions auspiciales du roi (ou magistrat), auspicium, et des augures, augurium, puisqu'elle reparaît chez Plaute sans référence à la royauté ou magistrature. Elle ne renvoie pas à la distinction juridique des auspicia des magistrats et des auguria des augures. Il n'est pas plus heureux (avec Jocelyn cit.) de penser que les deux termes de cette formule se rapportent, lors de la fondation de Rome, à deux opérations augurales additionnées : la prise d'auspices et le tracé des regiones urbis, même si on admet que la Roma Quadrata fût divisée par deux axes perpendiculaires. Cette analyse ne se laisse pas non plus transposer chez Plaute. En réalité les mots auspicium et augurium font couple et doivent être entendus conformément à leur etymologic L'auspicium est l'observation des oiseaux (avis), Yaugurium est le signe qui est porteur d'un «accroissement» divin (augere), selon la signification première du mot encore parfaitement perçue par les Romains (Ovid. Fast. 1, 611 huius et augurium dependet origine verbi et quodcumque sua Jupiter auget ope; cf. Liv. 29, 27). Le signe répond à l'attente et fournit le potentiel demandé. Il y a collation par Jupiter et non constatation d'un potentiel déjà présent, selon une interprétation inexacte. Linguistes et historiens de la religion romaine, avec des nuances qui leur sont propres, sont en général d'accord sur cette valeur

37 Ex augurio auspicii codd.; cf. Flinck, Augur alia, 1921, p. 13.

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première de Yauguriwn, et retracent l'histoire du mot en remontant à la forme augura (pluriel archaïque) conservé chez Accius38.

Une partie du mystère des auguria est aujourd'hui levé. Par leur rite aus- picatoire (mis parfois à tort en doute), les augures obtiennent un accroissement dont bénéficie soit la végétation {auguria vernisera, messalia) soit la salus nationale {augurium salutis) etc. etc. De même, les auspices de Romulus augur, grâce au signe miraculeux des douzes vautours, ont assuré au sol urbain un potentiel divin, que l'on peut tenir pour une bénédiction en empruntant ce mot à une autre théologie. Et c'est en ce sens qu'il faut entendre que Yurbs est inaugurée. L'augurium (à l'origine augur d'après Accius) est l'accroissement octroyé par Jupiter à la végétation, à la salus populi, à la zone intrapomériale, et se confond dans l'esprit des Romains, dès le début de leur littérature, avec le signe auspicial qui le fournit. La formule technique auspi- cium auguriumque fait la somme de l'opération en associant à l'auspication {auspicium) le signe {augurium) qui apporte la grâce demandée.

La pratique auspiciale des magistrats, qui le plus souvent (mais non toujours, infra) ne demandent que l'approbation d'un acte (par ex. la tenue d'une assemblée comitiale), a contaminé le sens des auguria, qui s'est profondément altéré. Pour certains d'entre eux, le rite auspicial n'a plus été compris que comme la demande d'une simple autorisation. Ainsi Y Auspicium salutis n'apparaît plus que comme une sorte de divination, tendant à demander au dieu s'il permet que lui soit demandé le salut du peuple, cette prière ne pouvant lui être adressée sans autorisation préalable (Dio Cass. 37, 24; cf. Cic. div. 1, 105 addubitato salutis augurio)*9. Cette interprétation du signe auspicial le dénature au point d'aboutir à un véritable non-sens, comme si une prière devait être autorisée de la même manière qu'une bataille. Le plus grave est la dévalorisation totale des auspices pris lors de la fondation d'une ville, désormais des colonies. Varron (1.1. 5, 143), qui a présent à l'esprit l'exemple de ces dernières, item conditae ut Roma, perd complètement de vue le principe d'un potentiel divin incorporé au sol de Vurbs, pour ne plus parler que du choix d'un jour favorable, auspicialement approuvé {auspicato die) en vue du tracé du pomerium40. L'insignifiance du rite auspicial pour les

38 Ernout-Meillet, Diet. ν. augeo; Dumézil, Idées Romaines, 1969, p. 80-102; Wagen- voort, Roman Dynamism, p. 12 suiv.; Latte, R Religionsgeschichte, p. 67; Benvéniste, Vocabulaire des Institutions Indo-européennes, 1969, II, p. 150.

39 Dumézil (Idées Romaines, p. 98 note) remarque justement que « l'idée d'une demande d'autorisation de prière est totalement étrangère à la religion romaine, comme à la grecque, comme d'ailleurs à la védique».

40 Cic. Phil. 2, 102, colonia quae esset auspicato dedueta; Hygin. 170 Lachmann posita auspicaliter groma, ipso forte conditore praesente. Cf. Hinrichs, Die Geschichte der groma- tischen Institutionem, 1974, p. 78, 9; 81.

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colonies récentes a terni sa signification première. Et Varron ne parvient à cette dépréciation des auspices initiaux d'une ville que parce que pour Rome, à la manière de divers auteurs relativement récents (Ovid. Fast. 4, 810- 837; D.H.I., 86; 88), il dédouble sans doute les auspices romuléens, en distinguant le signe prestigieux des douze vautours, qui investit le fondateur, de celui qui plus modestement autorise le tracé du pomerium. La dénaturation des auspices de fondation rendit nécessaire ce dédoublement, car il était impossible de confondre le simple choix auspicial d'un jour favorable avec le miracle dont bénéficia Romulus (ainsi que plus tard Auguste). Et corrélativement les douze vautours ne furent plus interprétés que comme l'investiture du fondateur. Au lieu d'une bénédiction de la ville, il ne s'agissait plus que de celle du premier titulaire de Yimperium, dont le charisme servit de modèle à tous les détenteurs successifs du même pouvoir (sans qu'il y ait à parler de transmission, mais de renouvellement d'ailleurs atténué à chaque entrée en charge).

Dans ses Annales, Ennius conserve aux auspices romuléens toute leur valeur, qui est double. Les ter quattuor corpora sancta tranchent le débat entre les deux frères sur la collation de Yimperium (uter esset induperator) et en même temps inaugurent la ville, comme l'indiquent les derniers vers du fragment cité par Cicéron (div. 1, 107):

conspicit inde sibi data Romulus esse priora auspicio regni stabilita scamna solumque

Romulus l'a emporté {data. . . priora), il est devenu roi {induperator). De plus, le signe auspicial a « affermi » le sol de la ville qui reste à bâtir. Scamna (évidemment il ne s'agit pas d'escabeau ou de banc) ajoute selon un autre sens du mot à solum la nuance que la terre du Palatin est encore vierge41. Elle reçoit de Jupiter un « affermissement » {stabilita), qui la rend apte à devenir la Roma Quadrata, terme que connaît bien Ennius (Fest. 312 L). Le poète a défini avec bonheur l'accroissement ou potentiel divin conféré par Yaugu- rium. Il se fait de l'inauguration de Yurbs une idée conforme au plus ancien droit sacré, appelée ensuite à dépérir.

Dans un autre passage des Annales, appartenant vraisemblablement à un discours de Camille contre le projet d'émigrer de Rome après la catastrophe gauloise, Ennius rappelle la date qu'il attribue à la fondation de Rome en désaccord avec la chronologie postérieure:

501 Vahlen Septingenti sunt, paulo plus aut minus, anni, augusto augurio postquam incluta condita Roma est

41 Sur cette valeur du mot, Colum. 2, 2, 25; Plin. NH 18, 179; voir Jocelyn, cit., p. 74.

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Cet augustum augurium est l'écho de la formule auspicium auguriumque qui définissait au début des Annales les auspices primordiaux. Dans ce redoublement, à résonnance étymologique, du nom et de l'adjectif d'un type assez fréquent dans la poésie de ce temps (naevius trag. 35 acrem acrimo- niam; Pit. Capi. 774 amoenitate amoena; Epid. 120 pretio pretioso etc.)42, il y a plus qu'un effet esthétique et autre chose qu'un pléonasme. Sans ce jeu de mot étymologique, mais selon un rapprochement aussi frappant de termes de la langue augurale, Cicéron (Mil. 43) appelle Ma augusta centuriarum aus- picia les auspices du comitiatus maximus. L'augurium romuléen est augustum, parce qu'il est chargé du potentiel divin qui va s'incorporer au sol urbain43. L'augurium est le moyen qui va transformer Rome en locus augustus, selon l'expression technique qui désigne un lieu ab avibus significatus (paul Fest. 2 L), définition dans laquelle le mot significare a sa pleine valeur sacrale, propre aux signes divins, telle qu'elle apparaît aussi à propos de l'examen des exta44. L'augurium est augustum en ce sens qu'il rend augustus le lieu inauguré.

De lieu inauguré, au sens technique du mot, on connaît deux variétés essentielles: les demeures des dieux (templa augusta, supra), marquées d'un signe auspicial, auquel s'ajoute la dedicatio; et l'urbs, pour laquelle il n'est pas question de dedicatio, parce qu'elle n'est «consacrée» au sens propre du mot à aucune divinité. Cependant Yurbs n'est pas un templum, comme on l'a longtemps cru abusivement selon une interprétation qui tend aujourd'hui à être abandonnée. La division dite servienne (donc non primordiale) de Rome en quatre régions ou tribus, selon des lignes plus ou moins sinueuses, ne correspond pas aux axes perpendiculaires du templum qui sert à l'observation des

45 oiseaux Au contraire Vager Romanus antiquus, s'il est comme Yurbs un locus libe-

ratus et effatus, n'est pas un locus augustus, il n'a pas été inauguré comme elle. Il a été simplement délimité (effatus) et débarrassé des esprits malfaisants (liberatus) qui l'habitaient. C'est tout ce qu'il a de commun avec Yurbs. Elle seule a été dotée de la grâce particulière des auspices romuléens, qui fortifient son sol selon le mot juste d'Ennius. Ces deux zones concentriques

42 Jocelyn, cit., p. 48. 43 Jocelyn, cit., p. 49. 44 Forcellini, Lexicon ν. significo § 2. 45 Les axes du templum auspicial apparaissent clairement dans Γ 'auguraculum

découvert récemment à Bantia (Torelli, Rena Acc. Lincei, 1966, p. 293-315; 1969, p. 39- 48) sous la forme de cippes. Le templum auspicial est simplement un locus liberatus et effatus. Le templum qui sert de demeure à un dieu l'est également, mais il est en outre inauguré auspicialement et enfin consacré par dedicatio.

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sont également des loci liberati et effati, dont la pureté est maintenue par des lustrations homologues: l'Amburbium autour de Rome circum terminos urbis (Paul. Fest. 5 L) et les Ambarvalia le long des bornes de Yager antiquus, dont on finit par se dispenser de faire le tour complet (Strab. 5, 3, 2-230). Mais Yurbs par surcroît est un lieu inauguré, c'est-à-dire selon la définition de Fes- tus (2 L) un locus augustus. . . significatus ab avibus. Entre Yurbs et Yager, passe la différence de l'inauguration, qui fait de la ville à l'intérieur du pome- rium une zone élue de Jupiter au sein de son territoire.

Pour préserver l'intégrité de ce sol auspicialement privilégié, le droit sacré prescrit des interdits écartant des souillures qui sont rejetées sur Yager au delà du périmètre pomérial. Les morts sont exclus, sans qu'il y ait à distinguer l'incinération de l'inhumation (XII T. 10, 1; lex Urson. 73-74), moyennant des exceptions théoriques, difficiles à vérifier, au profit des Vestales, des triomphateurs et dans les temps les plus reculés de quelques grandes familles comme les Valerli46. Les tombes du forum datent de l'époque préurbaine. L'armée ne pénètre pas dans la ville, parce qu'elle est associée au tabou de la mort. Quand Rome eût à soutenir un siège (thème sur lequel l'annalistique est particulièrement discrète), le boulevard pomérial interne assurait aux défenseurs l'espace nécessaire à leurs opérations entre les fortifications et Yurbs proprement dite, qui ne commence qu'après la ligne du pomerium. Le triomphe apporte une déragation exceptionnelle à l'interdit guerrier, quand le général en chef vainqueur accompagné de son armée vient au Capitole rendre grâces à Jupiter. Mais le passage par la porta trium- phalis (dont l'emplacement reste incertain, peut-être sur la ligne pomériale elle-même)47 purifie les combattants, selon un rite semblable à celui du tigel- lum sororium au profit d'Horace vainqueur et assassin. A l'origine les couronnes de laurier des soldats, avant de devenir un symbole de victoire, avaient pour fonction de les purgare a caede (paul Fest 104 L).

Ce qui est vrai de l'armée l'est aussi des comices centuriates qui lui sont assimilés, selon la fiction que les centuries du système des 5 classes sont des unités tactiques, ce qui est d'ailleurs militairement inexact. Cette assemblée, dite exercitus urbanus (Varrò 1.1. 6, 93), se tient sur le Champ de Mars, et il est nefas de la réunir intra pomerium (Gell. 15, 27, 5). Pour la même raison, Mars dieu de la guerre a son autel in Campo et son temple dédié en 388 extra portam Capenam, d'où partait la parade de la transvectio equitum. Cepedant, le culte de ce dieu n'est pas uniquement extra-urbain, il a au forum dans la

46 Plut. Public. 23, 5; QR 79; cf. Rose, Roman Questions, p. 202. 47 Coarelli, Dial d'Arch. 1968, p. 55-103; Lingby, Opuscula Rom. VIII, 1974, p. 43-47.

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Regia un sacrarium servant au dépôt de ses fétiches, lances et boucliers, qui seraient difficiles à conserver hors de la ville à l'époque archaïque48.

Le tabou de la guerre s'étend aux ambassadeurs des peuples ennemis; ils sont reçus, si le sénat leur accorde une audience, hors du pomerium. En principe, l'état de paix est requis pour que les legati exterarum nationum soient admis dans la ville, où près du comitium le local appelé graecostasis leur fût affecté, lorsque Rome entra en contact avec la Grèce49.

De même la zone intrapomériale est réservée aux dieux nationaux, et à l'époque archaïque les divinités étrangères n'y ont pas accès, même lorsqu'elles ont été «évoquées», comme par exemple Junon de Veies qui réside sur l'Aventin50. Cependant la discrimination fléchît avec les bouleversements de la guerre hannibalique, notamment au profit de Vénus Erycine dont l'aspect «préromain» dans les termes de la légende troyenne facilita l'accès à l'intérieur du pomerium sur le Capitole.

Le même interdit qui écarte de la ville la mort, l'armée, l'ennemi, rend compte du partage du pouvoir entre Yimperium domi purement civil et Y Imperium militiae51. Cette dualité n'est pas le produit de la République, qui aurait scindé le pouvoir à l'origine unique du roi pour soumettre la compétence urbaine des magistrats à des restrictions constitutionnelles (provocatio, intercession), alors que le général en chef au sortir de la ville dispose d'un pouvoir absolu. La distinction du pouvoir civil et militaire est aussi vieille que Yurbs, dont le sol inauguré ne tolère que le premier et exclut le second au même titre que l'armée elle-même.

Les deux pouvoirs civil et militaire correspondent à deux zones distinctes en droit sacré, Yurbs et Yager. Aussi ces deux pouvoirs s'acquièrent-ils par des auspications différentes: le pouvoir civil par les auspices d'entrée en charge, le pouvoir militaire par les auspices de départ au Capitole. La loi curiate est l'autorisation comitiale donnée au magistrat d'obtenir auspiciale- ment de Jupiter chacune de ces deux investitures. C'est pourquoi Cicéron déclare qu'elle a été conservée auspiciorum causa (leg. agr. 2, 27). Autrement dit elle confère au magistrat le droit de prendre les auspices publics, ce qui

48 Sur un passage délicat de Saint Augustin (Civ. Dei 4, 23), où il est question d'un sanctuaire archaïque de Mars au Capitole, voir Scholz, Marskult und Marsmythos, 1970, p. 21. Mais ce témoignage isolé est fort peu sûr : Dumézil, Religion romaine archaïque, 1974, p. 210, 2.

49 Magdelain, Recherches sur l'Imperium, p. 63. 50 Sur le cas de Castor, Schilling, Hommages à G. Dumézil, p. 177-192. 51 Les opérations de levée de soldats au Capitole relèvent topographiquement et

juridiquement de la compétence domi, le magistrat n'ayant pas encore pris les auspices de départ, nécessaires à l'exercice du commandement militaire. Cf. Walbank, Commentary on Polybius, 1 (1957) p. 699.

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met un point final à la dialectique fastidieuse qui tendait par un cercle vicieux à faire dépendre le droit d'auspices d'une auspication, ne pouvant dès lors être prise que par le prédécesseur ou un augure.

Que les auspices d'entrée en charge soient une investiture sacrale du pouvoir civil, c'est ce que dit clairement Denys d'Halicarnasse, (2, 6) usant d'une source excellente: ils homologuent l'acte d'apxàç Λαμβάνειν. Que les auspices de départ confèrent Yimperium militiae, on l'apprend aussi bien de Cincius dans son liber de consulum potestate (Fest. 276 L) à propos de l'addic- tio par les oiseaux du général romain sur le point de prendre le commandement de l'armée de la ligue latine à sa descente du Capitole, que de la loi de l'autel de Narbone rappelant que le 7 Janvier 43 Octave à Spolète impe- rium. . . auspicatus est, c'est-à-dire reçut de Jupiter Yimperium proprétorien (FIRA III n. 73). Auspicari a ici son sens plein et non celui â'incipere52.

L'imperium militaire n'est pas permanent comme la compétence urbaine qui a la même durée que la magistrature, autrement dit un an. Il ne s'acquiert que par la cérémonie du départ et il expire au retour du général, quand il franchit le pomerium, ce passage l'éteignant de plein droit. Cette règle bien connue pour les pro-magistrats s'impose de la même manière aux magistrats, qui eux aussi évitent de pénétrer dans l'urbs pour ne pas perdre leur pouvoir de commandement aux armées (Liv. 24, 7, 11; 24, 9, 2). Dans les deux cas le passage du pomerium produit le même effet au seuil du sol inauguré de l'urbs.

Il s'ensuit que chaque fois que le magistrat veut exercer hors de la ville une fonction relevant de la compétence militaire, comme la présidence des comices centuriates, il doit prendre les auspices avant de franchir le pomerium. C'est ce qui résulte d'une anedocte arrivée au consul Tib. Gracchus en 163 qui au cours d'une assemblée centuriate, présidée par lui, revint brusquement à Rome pour consulter le sénat et à son retour vers le Champ de Mars omit de prendre les auspices avant de franchir le pomerium en quittant la ville, ce qui vicia les élections populaires53.

L'expression officielle auspicium imperiumque, qui apparaît sur les inscriptions des généraux victorieux54, n'embrasse pas l'ensemble de la magistrature en mettant côte à côte le pouvoir sacral (droit d'auspices) et Yimperium sous toutes ses formes, civile et militaire; et encore moins renvoie-t-elle

52 Cf. Val. Max. 8, 15, 8 honorem auspicatus; 4, 4, 1. 53 Lugli, Fontes, 1, p. 118; Karlowa, Intra pomerium p. 11. Seuls certains interprètes

de cet incident (et non Mommsen) ont perçu l'exigence rituelle qui l'explique. Sur sa signification juridique, Magdelain, Recherches sur l'imperium, p. 47-48.

54 CIL 1, 626 = ILL RP 122 = Anthologia Latina (Bücheier) 3 [Mummius]; Liv. 40, 52, 5 [L. Aemilius Regillus]. Voir Wissowa, RE, II 2582.

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pour le premier à l'auspication d'entrée en charge et pour le second à la loi curiate55. Cette formule est typiquement militaire et combine les auspices de guerre, acquis au Capitole, avec le commandement en chef aux armées. Prise dans un sens banal56, elle désigne le pouvoir suprême en campagne sous ses deux aspects, sacral d'abord, juridique ensuite. Dans cette formule d'origine archaïque, le lien entre ses deux termes est très étroit, elle met côte à côte le pouvoir et sa source: les auspices de départ ont obtenu au profit du général la collation jupitérienne de Yimperium. Et c'est pourquoi dans la version correcte, X auspicium est mis en tête: la cause précède l'effet.

Le binôme auspicium imperiumque, qui résume les prérogatives sacrales et juridiques du général en chef, doit être rapproché du binôme auspicium auguriumque, qui chez Ennius (Ann. 78 Vahlen) définit l'activité rituelle de Romulus (et Rémus) lors de la fondation de Rome. Dans les deux formules, le premier terme, auspicium, qualifie l'activité auspiciale et le second, impe- rium ou augurium, le résultat: pour le général c'est le commandement militaire, conféré auspicialement par Jupiter; pour Romulus c'est V augurium ou signe divin qui inaugure Yurbs et fortifie mystiquement son sol (Ennius, Ann. 96 V. stabilita seanna solumqué). ^Dans l'une et l'autre formule, auspicium est mis en tête; dans les deux cas le procédé rituel est le même; vient ensuite l'effet, diversifié selon le but poursuivi: Imperium ou augurium.

Cependant dans la légende romuléenne Vauspicium primordial ne se présente pas avec simplicité. Chez Ennius, qui reflète un état plus ancien de la légende que les auteurs plus récents comme Ovide par exemple (Fast. 4, 810-840), les auspices primordiaux ont une double fonction: non seulement ils inaugurent Yurbs en donnant à son sol une vigueur d'origine divine, mais en tranchant le différend entre les deux frères ils assurent au profit du fondateur la dévolution du pouvoir. Les auspices romuléens sont pris comme prototype des auspices d'entrée en charge des magistrats républicains (DH 2, 5-6). Le consulat imite la royauté selon une filiation qui prend l'allure d'un dogme. L'enjeu entre les frères est: uter esset induperator (Enn. Ann. 83 V.). Induperator, terme assez fréquent chez ce poète, a -dans ce vers un sens proche de rex, comme cela est fréquent dans la langue de son temps57, où la naissante acclamation impératoriale est la réplique de l'acclamation des rois hellénistiques58. Les dieux eux-mêmes reçoivent parfois la qualification à'imperator (ILL RP 192, imperatoribus summeis, à propos de la

55 Mommsen, Staatsrecht 1, p. 76. 56 Versnel, Triumphus, 1970, p. 177. 57 Pacuvius (Warmington 318) appelle Jupiter regnum imperator. 58Kienast, Zeit. d. Savigny Stift. 1961, p. 403-421; Rawson, J. Rom. Studies, 1975,

p. 154-155.

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triade capitoline). Un autre vers d'Ennius précise une fois de plus l'enjeu de la compétition auspiciale: 88 V utri magni victoria sit data regni59; le vol des douze oiseaux apporte la réponse Ann. 95 V.

Conspicit inde sibi data Romulus esse priora Auspicio regni stabilita scamna solumque

Ainsi le même signe jupitérien a inauguré Vurbs (stabilita. . . ) et donné la préférence à Romulus pour la dévolution du pouvoir (data priora). Ce cumul se répète en 43, quand Octave bénéficiant à son tour du même miracle des douze vautours à son accès au consulat fait figure de nouveau fondateur (Suet. Aug. 95 augurium capienti). Les auspices qui font acquérir Yimperium domi dans la légende romuléenne (Vager n'est pas encore délimité), sont réputés être les mêmes qui font descendre sur Vurbs la sanctification de Vaugurium60.

Si la distinction du pouvoir civil dans Vurbs et militaire sur Vager (et au- delà) est liée au premier tracé du pomerium, la formulation: Imperium domi et Imperium militiae, ne saurait revendiquer une très haute antiquité. Ceux qui pensent que le mot Imperium a d'abord une valeur typiquement militaire61, ont sûrement raison: cela se vérifie dans l'expression exercitum imperare (Varrò 1.1.6, 88) 62. Le sens civil n'est venu que par surcoît. Reste à savoir savoir comment dans les temps anciens on appelait la compétence urbaine. Une formule archaïque, pratiquement pas étudiée63, iudicium Imperium ou Imperium iudicium, survit dans le style législatif (lex repet. 72; lex agr. 87) et chez certains auteurs où elle a le parfum du bon vieux temps (Sail. Cat. 29, 3;

59 Une pareille compétition intervient entre les consuls pour déterminer par les oiseaux lequel prendra le commandement de l'armée de la ligue latine (Fest. 276 L, où complures doit être corrigé en consules). Mais il serait exagéré de prétendre que telle fût le modèle du mythe des jumeaux.

60 Plus loin au livre III des Annales Ennius à propos de l'avènement de Tarquin l'Ancien associe de nouveau la collation de Yimperium au sol sur lequel s'exerce l'autorité royale : Fest. 386 L solwn terram Ennius lib. Ill : Tarquinio dédit Imperium simul et sola regni. L'imperïum domi acquis à l'instant de l'investiture (l'imperium militiae n'est acquis que par les auspices de départ) est inséparable du sol urbain qui est son domaine. L'auteur de la collation dans le vers du poète est soit le peuple, que la tradition fait nommer ce roi (p. ex. Cic. rep. 2, 35), soit plutôt Jupiter comme pour Romulus et ensuite les consuls eux-mêmes (D.H. 2, 5-6), bien que divers savants refusent à tort aux rois étrusques de Rome la détention des auspices (Catalano, Diritto Augurale, p. 571; Gjerstad, Early Rome V p. 211-215).

61 Heuss, Zeit, d Savigny Sitft. 1944, p. 57-133, même si tous les éléments de son argumentation ne sauraient être retenus.

62 Combes, Imperator, 1966, p. 31. 63 Wlassak, Judtkationsbefehl, 1921, p. 183.

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L'INAUGURATION DE L'URBS ET V IMPERIUM 29

Cic. leg agr. 2, 34). Elle embrasse de façon synthétique les attributions essentielles de la magistrature, en faisant la somme du pouvoir de commandement et de la juridiction. A la fin de la République, ses deux termes ne tolèrent aucune distribution topographique et restent conjoints à Rome et hors de Rome: Sail. Cat. 29, 3 domi militiaeque Imperium atque iudicium (à propos du SC ultimum); Cic. leg. agr. 2, 34 cum velini, Romae esse, cum commodum sit, quacumque velini summo cum imperio iudicioque rerum omnium vagari ut liceat conceditur. Pour mesurer la portée de cette formule dans l'ancien droit, il convient de rapprocher chacun de ses termes des deux qualifications archaïques du consul: iudex et praetor. Iudex se retrouve dans iudicium; et praetor, qualification du général en chef, dans Imperium, terme militaire à l'origine. La juridiction archaïque s'exerçant dans la ville, domi, selon une règle qui survit dans les iudicia légitima de la procédure formulaire, d'autre part le commandement militaire étant extrapomérial, on n'a aucune peine à reconnaître dans le binôme iudicium Imperium d'abord le pouvoir civil défini par sa manifestation la plus haute, la juridiction, ensuite le pouvoir suprême aux armées. Deux pouvoirs, l'un civil, l'autre militaire, deux secteurs, l'un domi, l'autre militiae, tout cela tient dans la même formule.

Une monnaie d'environ 70 av. J.-C. représente un roi légendaire de Rome, Tatius ou Numa, qu'elle appelle iudex (Sydenham n. 905; Crawford η. 404). On savait donc que ce titre avait été celui des rois avant d'être porté par les consuls, et on supposait qu'il remontait à une époque antérieure à la bipartition du procès civil, attribuée à Servius Tullius (DH 4, 25).

Mai 1976

Faculté de Droit de Paris André Magdelain