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Musset, Alfred de (1810-1857). André del Sarto, drame en 2 actes et en prose, par Alfred de Musset. [Paris, Odéon, 21 octobre 1850.]. 1851.
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ANDRÉ DEL SARTO
DRAME EN DEUX ACTES ET EN PROSE
PAR
ALFRED DE MUSSET
PARIS
CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR
<l9, RUE DE LILLE.
1851
CHEZ LE MÊMEÉDITEUR.
PIÈGES DE M. ALFRED DE MUSSET
Représentéessurlascène
ETQUISEVENDENTSÉPARÉMENT.
UNCAPRICE,comédieen 1 acte.ILNEFAUTJURERDERIEN,comédieen3 actes.
IL FAUTQU'UNEPORTESOITOUVERTEOUFERMÉE,en \ acte.LOUISON,comédieen 2 acteset en vers.
LES'CAPRICESDEMARIANNE,comédieen2 actesBETTINE,comédieen 1acte.
LE CHANDELIER,comédieen3actes.
Chacune de ces pièces se vend UNfranc.
Paris.—lmp.deG.GRATIOT,1\, ruedelaMonnaie.
ANDRÉ DEL SARTO
DRAME EN DEUX ACTES ET EN PROSE
l'AK
ALFRED DE MUSSET
^KéjpVéafemtéÎJUthéâtredel'Odéou(secondThéâtreFrançais);V
'VLÛEVARDI21OCTOBRE1850.
PARIS
CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR
49 , RUE DE LILLE.
1851
PERSONNAGES
ANDRÉDELSARTO,CORDIANI,DAMIEN,LIONEL,GRÉMIO,MATHUR1N,CÊSARIO,LUCRÈCE,SPINETTE,
ACTEURS
MM.TlSSERANT.MARTEL.HARVILLE.FLEURET.ROGER.TALIN.
MM1|CSBlLHAUD.SIONA-LÉVY.JEANNE-ANAÏS.
i,i.sc£iiese passe à Florence.
ANDRÉ DEL SARTO
ACTE PREMIER.
Le théâtrereprésenteunecour.—Agauchedupublicunpavillonaupremierplan.—Audeuxièmeplan,unmuravecunefenêtre
et un balcon.—À droite,unjardin,au fond,unmuravecunegrille.—Il faitnuit.
SCÈNE PREMIÈRE.
GREMIOSEUL,un trousseaudeclefsà la main.
Je croisque j'ai dormicette nuit un peuplus longtemps
que de coutume; non, l'aurorecommenceà peine à paraî-tre ; tout reposedanscettemaison; il n'estpas tempsencore
d'ouvrir les portes.Était-ceun rêve que je faisais?Il m'a
semblé,en vérité, que j'entendaisdu bruit dans la cour; à
l'heurequ'il est, c'estsingulier.(Cordianienveloppéd'unmanteauet masquédescendde la
fenêtredegauche.)CORDIANI,sur le balconet s'adressantùuucpersonnequ'onne
voitpas.Dans une heure! par la porto du jardin [descendant
dans une heure et à toujours!
8 ACTE I.
GRÉMIO.
Qu'ai-jeentendu?Arrête,quiquetu sois!
CORDIANI.
Laisse-moipasser,ouje te tue!
(11le frappeet s'enfuitdanslejardin.)
GRÉMIO,seul.
Aumeurtre! au voleur! Mathurin! au secours!
SCÈNE II,
GRÉMIO,DAMIEN,PU»SCOKblANI.
DAM1EN.entrant.
Qu'est-ce?qu'as-tuà crier,Grémio?
GRÉMIO.Il y a un voleurdans le jardin, venezavecmoi, mon-
sieur, je vous prie, il ne saurait nous échapper;tout estfermé.
DAMIEN.Vieuxfou! tu te serasgrisé!
GRÉMIO.Decettefenêtre,monsieur,de la fenêtrede madameLu-
crèce,je l'ai vu descendre.Ah! je suisblessé! il m'a frappéau bras de son stylet.
DAMIEN.Tu veuxrire? ton pourpointest à peinedéchiré. Quel
conteviens-tu faire, Grémio?Qui diableveux-tuavoir vudescendredela fenêtredeLucrèceà cotteheure-ci?Sais-tu,sot quetu es, qu'il ne ferait pas bon l'aller redireà sonmari?
' SCÈNE II. 9
GRÉMIO.
Je l'ai vu commeje vousvois, et j'ai entendu quelquesmots...
DAMIEN.
Tu asbu, Grémio,tu voisdouble.
GRÉMIO.
Double!Je n'en ai vu qu'un.
DAMIEN.
Pourquoiréveilles-tuune maisonentière, et une maison
commecelle-ci,pleine de jeunesgens, de valets? T'a-t-on
payé pour imaginerce mauvais roman sur le comptede lafemmede mon meilleurami?Tu criesau voleur,et tu pré-tends qu'ona sautéparla fenêtre?Es-tu fouou es-tu payé?
Dis,réponds,queje t'entende.
GRÉMIO.
MonDieu! mon Dieu! je l'ai vu, en véritéde Dieuje l'aivu ; quevousai-je fait? Je l'ai vu.
DAMIEN.
Écoute,Grémio...Prends cette bourse,elle est peut-êtremoinslourdeque cellequ'ont'a donnéepour inventercette
histoire-là.Va-t'en boire à ma santé; tu sais queje suis
l'ami de ton martre, n'est-cepas? je ne suispas un voleur,
moi, je ne suispas de moitiédans le volqu'on lui ferait...
Tu me connaisdepuisdix ans, commeje connaisAndré...
Eh bien! Grémio,pas un mot là-dessus, pas un mot, en-
tends-tu, ou je te faischasser de la maison. Va, Grémio,rentre cheztoi, mon vieux camarade,que tout cela soit
oublié.
10 ACTE 1.
GRÉMIO.
Je l'ai vu, monDieu, sur ma tête, sur cellede monpère!Je l'ai vu, bien vu!
Il rentre.
DAMIENseul,s'avanceversle jardinet appelle.Cordiani! Cordiani-!
Cordianiparaît.Insensé!en es-tu venu là? André, ton ami, le mien, le
pauvreAndré!
CORDIANI.Elle m'aime, ô Damien, elle m'aime! que vas-tu me
dire?Je suisheureux, regarde-moi,ellem'aime!
DAMIEN.Et cethommequi te surprend! à quoipenses-tu? Et An-
dré, André,Cordiani?
CORDIANI.
Quesais-je? je puis être coupable,tu peux avoirraison;nous en parleronsdemain;... un jour... plustard;... laisse-
moiêtreheureux.
DAMIEN.
Tu peuxêtre coupable, dis-tu? et tu brises commeune
pailleun liende vingt-cinqannées! tu peuxêtre coupable...et l'hommequi te voit sortir crie au meurtre!
CORDIANI.Ah! mon ami, qu'elleest belle!
DAMIEN.
Insensé! insensé!
CORDIANI.Si tu savais quellerégionj'habite! commele son de sa
voixseulementéveilleen moi unevienouvelle! Damien,les
SCENE II. 11
poètesse sont trompés. Est-ce l'espritdu mal qui est l'angedéchu?C'estceluide l'amourqui, aprèsla création,ne voulut
pasquitter la terre, et, tandis que ses frèresremontaientau
ciel, laissa tomber ses ailes d'or en poudre aux piedsde la
beauté qu'il avait créée.
DAMIEN.Je te parlerai dans un autre moment; le soleil se lève;
tout à l'heure quelqu'unviendra s'asseoiraussisur cebanc ;il poseracommetoi ses mainssur son visage, et ce ne s'ont
pas des larmesde joie qu'il cachera.
CORDIANI.
Tout à l'heure, je n'y serai plus.
DAMIEN.
Queveux-tu dire?
CORDIANI.
Rien, rien, tu le saurasbientôt.
DAMIEN.
Explique-toi; tu parles comme en délire! que veux-tu
faire? à quoi songes-tu?
CORDIANI.
Je pense au coinobscurde monatelier oùje me suis assis
tant de foisregrettant ma journée; je pense à Florencequi
s'éveille, aux promenades,aux passants qui se croisent, au
monde où j'ai erré vingt ans commeun spectre sans sépul-ture , à ces rues désertes où je me plongeais au sein des
nuits, poussépar quelquedesseinsinistre; j'ouvrelesbras, et
je voispasserlesfantômesdes femmesquej'ai cru aimer,mes
plaisirs, mes peines, mes espérances!Ah! monami, comme
tout est foudroyé! comme tout ce qui fermentait en moi
12 ACTE I.
s'est réuni en uneseulepensée: n'aimer qu'elle! c'est ainsi
quemille insecteséparsdans la poussièreviennentse réunirdans un rayon de soleil!
DAMIEN.
Queveux-tu queje te dise? Un amourcommele tien n'a
pas d'ami.
CORDIANI.
Qu'ai-jeeu dans le coeurjusqu'à présent? Dieumerci! jen'ai jamais cherchéni la science,ni la fortune; j'ai vécudemon pinceau, de mon travail; maismon travail n'a nourri
quemoncorps; monâmea gardésafaimcéleste; Dieumerci,je n'ai jamais aimé; moncoeurn'était à rien jusqu'à ce qu'ilfût à elle.
DAMIEN.
Commentte dire cequise passedansmon âme? Nem'es-tu pas aussi cher quelui?
CORDIANI.Et maintenantqu'assisà ma table je laissecouler comme
de douces larmes les vers insensésqui lui parlent de mon
amour, et queje crois sentir derrièremoi sonfantômechar-mant s'inclinersur monépaulepour leslire ; maintenantquej'ai un nomsur les lèvres,ômon ami! quelest l'hommeici-bas qui n'a pas vu apparaître cent fois, mille fois dans ses
rêves, un être adoré, fait pour lui, devantvivre pour lui?Eh bien, quand, un seuljour au monde, on devraitrencon-trer cet être, le serrer dans sesbras et mourir?
DAMIEN.
Tout ce que je puis te répondre, Cordiani c'est que tonbonheur m'épouvante!
SCÈNE II. 15
CORDIANI.
Queveut dire cela?Crois-tuque je l'aie séduite?qu'elleait réfléchiet quej'aie réfléchi?Depuisun an je la voistous
les jours, je lui parle et ellemerépond; je fais un geste,et
elle me comprend;elle se metau clavecin,elle chante, et
moi, les lèvresentr'ouvertes,je regardeune longue larme
s'échapperde sesyeux; pourquoine m'aimerait-ellepas?
DAMIEN.
Pourquoi?tu le demandes?
CORDIANI.
Silence!j'aime et je suisaimé. Je ne veuxrien analyser,-rien savoir; il n'y a d'heureuxque les enfantsqui cueillent
un fruit et le portentà leurslèvressanspenserà autrechose,sinonqu'ilsl'aimentet qu'ilesta portéedeleursmains.
DAMIEN.
Sophisme!sophismed'un coeurqui s'aveugle!
CORDIANI.Non!non!toiquevoilà,Damien,depuiscombiendetemps
m'as-tuvul'aimer?Qu'as-tuà direà présent,toiquies resté
muet, toi qui as vu pendant une annéechaquebattement
demoncoeur,chaqueminutede ma vie se détacherde moi
pour s'unir à elle! et je suis coupableaujourd'hui?Alors
pourquoisuis-jeheureux?et queme diras-tu d'ailleursque
je ne mesoisdit centfoisà moi-même? Suis-jeun libertin
sans coeur?Ai-jejamaisparlé avecméprisdetous cesmots
sacrésqui, depuisque le mondeexiste, errent sur les lèvres
deshommes?Tousles reprochesimaginables,je me lessuis
adressés...et cependantje suisheureux!Leremords,la ven-
geancehideuse,la triste et muette douleur,tous ces spec-
U ACTE II.
très terriblessont venusseprésenterau seuilde ma porte;aucunn'a pu rester deboutdevant l'amour do Lucrèce!...
viensavecmoidansmonatelier; là, dans une chambrefer-méeà tousles yeux, j'ai taillé dans le marbrele pluspurl'imageadoréede ma maîtresse; je veuxte répondredevant
elle; viens, la cour s'emplitde mondeet l'Académieva
s'ouvrir.(Ilssortentà gauche.)
SCÈNE III.
Lejourpavait,lespeintresentrentparlagrille.
LIONEL,CÉSARIO.
CÉSARIO,entreenchantant.
(MusiquedeM.Ancessis.)
Il selevaitdebonmatinPoursemettreà l'ouvrage,LebongrospèreCélcstin,
Tintaine,tintin.Il selevaitdebonmatin,1 Commeuncoqdevillage.
DEUXIÈMECOUPLET.
Lorsque,pourchanteraulutrin,Nousmanquionsdecourage,LebongrospèreCélcstin,
Tintaine,tintiii,Il buvaitpournousmettreentrain,
C'étaitlàsonusage.
SCENE III.
TROISIEMECOUPLET.
Quandil mourrale verreenmainUnjour,videdanssongrandâge,
LebongrospèreCélcstin,Tintaine,tintin,
Quandil mourrale verreenmain,Ceseragrand'dommage.
LIONEL.Le maître est-il levé?
CÉSARIO.Commele pape à l'église, toujoursle dernierqui arrive,
et le premierquandil y est.
LIONEL.
Qued'écoliersautrefoisdans cette Académie! Commeon
se disputaitpour l'un, pour l'autre! Quel événementque
l'apparitiond'un nouveau tableau! Sous Michel-Ange,les
écolesétaient de vrais champs de bataille; aujourd'huion
travaillepour vivre,et les arts deviennentdes métiers.
CÉSARIO.C'estainsiquetoutpassesousle soleil; moi,Michel-Ange
m'ennuyait; je suisbien aise qu'il soit mort.
LIONEL.
Quelgénieque le sien!
CÉSARIO.
Eh bien, oui, c'est un hommede génie,qu'il nous laisse
tranquilles.As-tuvu leportrait du Pontormo?
LIONEL.Et j'y ai vu le siècletout entier; unhommeincertainen-
tre millecheminsdivers, la caricaturedes grandsmaîtres ,
16 ACTE I.
senoyantdansson propreenthousiasme,capablede se re-
tenir, pours'en tirer, au manteaugothiqued'AlbertDurer.
CÉSARIO.
Vivele gothique!Si les arts se meurent,l'antiquiténe
rajeunirarien; il nousfautdu nouveau.
SCÈNE IV.
LIONEL, CÉSARIO,PEINTRES,etc., ANDRÉDEL
SARTOsortant du pavillon.
ANDRÉ,à undomestique.
Ditesà Grémiode sellerdeuxchevaux,un pourluiet un
pourmoi; nous allonsà la ferme.
CÉSARIO,continuant.Dunouveauà tout prix, du nouveau!Eh bien! maître,
quoidenouveauce matin?
ANDRÉ,descendantlesmarchesdupavillon.Toujoursgai, Césario?Tout est nouveauaujourd'hui,
monenfant; la verdure,lesoleilet les fleurs,toutsera en-
core nouveaudemain; il n'y a que l'hommequi se fasse
vieux,tout se faitplusjeuneautourde lui chaquejour.Bon-
jour, Lionel; levédesibonneheure,monvieilami?
CÉSARIO.
Alorslesjeunespeintresontdoncraisondedemanderdu
neuf,puisquela nature elle-mêmeen veutpour elle, et en
donneà tous.
LIONEL.
Songes-tuà quitu parles?
SCÈNE IV. 17
ANDRÉ.Ah! ah! déjà en train de discuter?La discussion,mes
bons amis,est une terre stérile, croyez-moi; c'est elle quitue tout : moins de préfaceset plus de livres.Vousêtes
peintres,mesenfants; que votrebouchesoitmuette,et quevotremainparlepour vous.Écoute-moicependant,Césario.
La nature veut toujoursêtre nouvelle,c'est vrai; mais elle
reste toujoursla même. Es-tu de ceux qui souhaiteraient
qu'ellechangeâtla couleurde sa robe, et queles boisseco-
lorassenten bleuou en rouge?Cen'estpasainsiqu'ellel'en-
tend.Acôtéd'une fleurfanéenait unefleurtoutesemblable,et desmilliersde famillesse reconnaissentsousla roséeaux
premiersrayonsdu soleil; chaquemalin,l'angedevieet de
mortapporteà la mèrecommuneune nouvelleparure, mais
toutes cesparures se ressemblent; que les arts tâchentde
fairecommeelle, puisqu'ilsne sont rienqu'en l'imitant;que
chaquesièclevoie de nouvellesmoeurs,de nouveauxcos-
tumes,denouvellespensées,maisquele géniesoitinvariable
commela beauté; quedéjeunesmainspleinesde forceetde
viereçoiventavecrespectle flambeausacrédesmainstrem-
blantesdesvieillards; qu'ils laprotègentcontre lesouffledes
vents, cette flammedivinequi traverserales sièclesfuturs,commeellea faitlessièclespassés!Retiendras-tucela,Césario?
Et maintenant,va travailler; à l'ouvrage!à l'ouvrage!la vie
est si courte!... (A Lionel.)Nousvieillissons,mon pauvreami; la jeunessene veut plus guère de nous; je ne sais
si c'estquele siècleest unnouveau-néouun vieillardtombé
en enfance.
Morbleu! il nefaufilasquevosn/iuveauxvenusm'échauf-
•18 ACTE I.
fentpar trop lesoreilles;je finiraipargardermonépéepourtravailler.
ANDRÉ.
Tevoilàbienavectes coupsde rapière,brave Lionel; le
tempsdes épéesest passéen Italie... Allons,allons,mon
vieux,laissonsdire les bavardset tâchonsd'être de notre
tempsjusqu'àce qu'onnousenterre.(ADamienqui entre.)Ehbien! moncherDamien,Cordianivient-il?
DAMIEN.
Je necroispas qu'ilvienneaujourd'hui.
ANDRÉ.Est-cequ'ilestmalade?
DAMIEN.Jelepense.
ANDRÉ.
Malade,lui!Je l'ai vu hier soir,il ne l'étaitpoint.Sérieu-sementmalade?Allonschezlui. Quepeut-il avoir?
DAMIEN.N'allezpas chezlui, il ne sauraitvousrecevoir; il s'est
enfermépourtoute la journée.
ANDRÉ.
Oh! nonpaspourmoi.Allons,Damien.
DAMIEN.
Sérieusement,ilveutêtreseul.
ANDRÉ.Seul! et malade!tu m'effrayes...lui est-il arrivéquelque
chose?unedispute?un duel?Violentcommeil est!... Ah!mon Dieu!Maisqu'est-cedonc?il ne m'a rien fait dire.
SCENE IV. U)
Pardonnez-moi,mes amis [Auxpeintres qui sont restés et
qui l'attendent); mais, vous le savez,c'estmon ami d'en-
fance,c'estmonmeilleur,monplus fidèlecompagnon.
DAMIEN.
Rassurez-vous,il ne lui est rien arrivé...
ANDRÉ.Dieu le veuille! Dieule veuille! Ah! que de prièresj'ai
adresséesau cielpour laconservationd'une vie si chère!...
Vousle dirai-je,ô mes amis! dans ces temps de décadenceoù la mort de Michel-Angenous a laissés, c'est en lui quej'ai mis mon espoir; c'est un coeurchaud, et un bon coeur;la Providencene laissepas s'égarerdetellesfacultés! Quede
fois, assisderrièrelui, tandisqu'il parcouraitduhaut enbas
sonéchelle,une palette à la main, j'ai senti se gonflerma
poitrine... j'ai étendulesbras, prêt à leserrersurmoncoeur,à baiserce front si jeuneet si ouvertd'où le génierayonnaitdetoutesparts! Quellefacilité!quelenthousiasme!maisquelsévèreet cordialamour de la vérité! Quede foisj'ai penséavecdélicesqu'ilétaitplusjeuneque moi! Je regardaistris-
tementmespauvresouvrageset je m'adressaisen moi-même
auxsièclesfuturs : Voilàtoutcequej'ai pu faire,leurdisais-
je, maisje vous lèguemonami!
MATHUR1N,entrant.
Monseigneur,un hommeest là quivousdemande.
ANDRÉ.Qu'est-ce?qu'y a-t-il?
MATI1URIN.C'estun homme en longuerobe, avecdescheveuxgris;
vousl'avez,dit-il, faitdemanderhier.
20 ACTE I.
ANDRÉ.
J'y vais. (ADamien.)Maisil n'a rien de grave,n'est-ce
pas?
GRÉMIO,entrant.
Leschevauxsontprêts,monseigneur.
ANDRÉ.Dansun instant: attends-moi,Grémio.(A Damien.)Et
nousle verronsdemain?Viensdoncdîneravecnous, et si
tu voisLucrèce,dis-luiqueje vais à la fermeet queje re-
viens. Vousallez à l'atelier, n'est-cepas? A tantôt, mes
amis.
(Il sortparle pavillon,lesautrespersonnagesparlefonda
gauche.)
SCENE V.
GRÉMIOSEUL.
Hum! hum! je l'ai bien vu pourtant... Quel intérêt
M.Damienpeut-il avoirà me dire le contraire?Il faut ce-
pendantqu'il en ait un, puisqu'ilm'a donné... (Il comptedanssa main.)quatre... cinq...six... Diable! il y a quelquechoselà-dessous...non, certainement,pour un voleur, ce
n'en étaitpasun... j'avaisbien uneautre idée,mais... ah !
mais, c'est là qu'il faut s'arrêter.Tais-toi,me suis-jedit,
Grémio,holà, monvieux,pointde ceci...celaseraitdrôleà
penser!... pensern'est rien, qu'est-cequ'onen voit?... on
pensecequ'onveut...Etondiracequ'onvoudra,j'ai entendu
distinctementunevoixdefemmesur le balcon.Il m'estavis
quec'estSpinettela camériste,et quelleautre qu'ellepou-
SCENE VII. 21
vait être là, sinonsamaîtresseelle-même?bon! quelleappa-rence!... Cependantune fenêtrene s'ouvrepas toute seule,et commentSpinetteaurait-elle reconduitvoleurou amant
par ce chemin-là?... Ai-jeentendu ou non ces paroles ;«Dans une heure et à toujours!... » Hé! oui, je les ai en-
tendues.
SCÈNE VI.
GKÉMIO,ANDRÉ.
ANDRÉ.Eh bien! sommes-nousprêts?
GRÉMIO.
Mathurinestlà quitient les chevaux.
ANDRÉ.
Dis-luiqu'il les mène à la grille,et qu'on attende.
SCÈNE VII.
ANDRÉSKUL,s'asseyant.
Pointd'argentde ce juif! dessupplicationscontinuelleset
point d'argent! que dirai-je quand les envoyésdu roi de
France... Ah!André,pauvreAndré! Commentpeux-tupro-noncer ce mot-là? des monceauxd'or entre tes mains; la
plusbellemissionqu'un roi ait jamaisconfiéeà un homme,cent chefs-d'oeuvreà rapporter,cent artistespauvreset souf-
frants à guérir,à enrichir! le rôled'un bonangeà jouer! les
22 ACTE I.
bénédictionsde la patrieà recevoir,et, aprèstoutcela,avoir
peupléun palaisd'ouvragesmagnifiques,et ralluméle feusacrédesarts prêt à s'éteindreà Florence!André,commetu
te seraismis à genouxde boncoeurau chevetde ton lit le
jour où tu auraisrendu fidèlementtes comptes! Et c'est
FrançoisIerqui te les demande!lui, le chevaliersansre-
proche, l'honnêtehommeaussibienquel'hommegénéreux!
lui, le protecteurdesarts , lepèred'un siècleaussibeauque
l'antiquité! II s'est fiéà toi, et tu l'as trompé! tu l'as volé,André!car cela s'appelleainsi, ne t'abusepas là-dessus...Oùestpassécetargent?desbijouxpourta femme...desplai-sirs, des fêtesplustristesquel'ennui... (Il se lève.)Songes-tu à cela, André?Tu es déshonoré!Aujourd'huite voilà
respecté,chéride tes élèves,aiméd'un ange... O Lucrèce!Lucrèce!... demainla fabledeFlorence!... Carenfin,il fautbienquetôt ou tard cescomptesterribles...Oh!monDieu!
Et ma femmeelle-mêmen'en sait rien! Ah! voilàce quec'estquede manquerdecaractère...que faisait-ellede malen medemandantce qui lui plaisait?Et moi, je le lui don-
naisparcequ'elleme le demandait,rien deplus: faiblessemaudite! pasune réflexion!... à quoitient doncl'honneur?Ah!s'il s'agissaitd'entrerla nuit chezun grandseigneur,debriseruncoffre-fortet des'enfuir,celaesthorribleàpenser...
impossible...mais quand l'argent est là, entrevosmains,qu'onn'a qu'à y puiser,quela pauvretévoustalonne,non
pas pourvous,maispour Lucrèce! mon seul bien ici-bas,ma seulejoie, un amour de dix ans! Et quand on se dit
qu'aprèstout, avecun peudetravail,onpourraremplacer...oui, remplacer!...le portiquede l'Annonciadem'a valuunsacde blé! —Grémio!Grémio!
SCÈNE VIU. 25
SCÈNE VIII.
ANDRÉ, GRÉMIO.
GRÉMIO.
Nouspartironsquandvousvoudrez.
ANDRÉ.
Qu'as-tu, Grémio?Je te regardaisarrangercesbrides; tu
te sersaujourd'huide ta main gauche.
GRÉMIO.
Demamain?... Ah!ah ! je saiscequec'est ;plaiseàVotre
Excellence,j'ai le bras droit un peu blessé... Oh! pas
grand'chose,maisje mefaisvieux,et dame!demontemps...
j'aurais dit...
ANDRÉ.
Tu es blessé, dis-tu?... qui t'a blessé?
GRÉMIO.
Ah! voilà le difficile...qui? personne... Et cependantjesuisblessé.Oh! ce n'est pas à dire qu'on puissese plaindreen conscience...
ANDRÉ.
Personne?Toi-mêmeapparemment.
GRÉMIO.
Nonpas, non pas ; oùserait le fin sanscela?personne,et
moi moinsquetout autre.
ANDRÉ.
Si tu veuxrire, tu prendsmal ton temps; montonsà che-
val et partons.
24 ACTE I.
GRÉMIO.Ainsisoit-il! Ceque j'en disaisn'était point pour vous
fâcher,encoremoinspourrire; aussibienriait-ilfortpeuce
matinquandilme l'a donnéen courant.
ANDRÉ.
Qui?queveutdirecela?qui te l'a donné!Tu as un air
demystèresingulier,Grémio.
GRÉMIO.
Mafoi, au fait, écoutez.Vousêtesmonmaître, on aura
beaudire, celadoitse savoir;et, qui le saurait,si cen'est
vous?Voilàl'histoire.J'avais entendu du bruit ce matin
danslacour,je mesuislevé,etj'ai vudescendreun homme
de la fenêtre.
ANDRÉ.Dequellefenêtre?
GRÉMIO.' Unhommeà qui j'ai criéde s'arrêter;j'ai cru naturelle-
ment que c'était un voleur; et donc,au lieu de s'arrêter,vousvoyezà'monbras; c'estun styletquim'a effleuré.
ANDRÉ.
Dequellefenêtre,Grémio?
GRÉMIO.Ah! voilà encore... Dame, écoutez,puisquej'ai com-
mencé...c'étaitdela fenêtredemadameLucrèce.
ANDRÉ.DeLucrèce?
GRÉMIO.
Oui, monsieur.
SCÈNE VIII. 25
ANDRÉ.
C'est singulier.
GRÉMIO.
Bref,il s'est enfuidans le jardin; j'ai bien appelé et crié
au voleur, mais là-dessus, voilà le fin: M. Damienest ar-
rivé, quim'a dit que je metrompais,que lui le savaitmieux
que moi; enfin, il m'a donné une boursepour me taire.
ANDRÉ.
Damien?
GRÉMIO.
Oui, monsieur, la voilà.
ANDRÉ.
De la fenêtre de Lucrèce!... Damien l'a donc vu, cet
homme?
GRÉMIO.
Non,monsieur, il est sorti commej'appelais.
ANDRÉ.
Commentétait-il?
GRÉMIO.
Qui?M. Damien?
ANDRÉ.
Non, l'autre.
GRÉMIO.
Oh! ma foi, je ne l'ai guèrevu.
ANDRÉ.
Cela est étrange... et Damient'a défendud'en parler?
GRÉMIO.
Souspeine d'être chassépar vous.
2G ACTE J.
ANDRÉ.
Chassépar moi!... Il s'estenfui,dis-tu,dansle jardin?,..
Était-ilseul, cet homme?
GRÉMIO.
Seul?oui, danslejardin,maispasà la fenêtre.
ANDRÉ.
Comment?Achèvede t'expliquer.
GRÉMIO.
Mais,monseigneur...
ANDRÉ.Je te l'ordonne.
GRÉMIO.
Eh bien! monseigneur,quandl'hommeest sorti, quel-
qu'unétait surle balcon,et ilsont échangéquelquesmots.
ANDRÉ.
Qu'as-tuentendu?
GRÉMIO.
Quatremotsseulement: l'hommea faitun signed'adieu,et il a dit : «Dansuneheure,et à toujours.»
ANDRÉ.
Dansuneheure?
GRÉMIO.Et à toujours!...
ANDRÉ.
Dansuneheure!. . (Apart.) et l'onsavaiticiqueje devais
aller à la fermepeut- être pourtoute la journée... C'est
doncdemon absencequel'onvoulaitprofiter...Dieujuste!
(Haut). Tun'en as pasentendudavantage?
SCENE VI11. 27
GRÉMIO.
Non, queje sache... Ah! j'oubliais... on a ajouté : « Ve-
nezpar la porte du jardin. »
ANDRÉ.
Par la porte...
GRÉMIO.
Du jardin... mais je ne crois pas qu'on voulût parler de
celle-ci,c'est plutôt l'autre, je suppose, la petite porte quidonnesur le derrièrede la maison.
ANDRÉ.
Écoute, Grémio : Va dire à Mathurin qu'il ramène les
chevaux, et que nous sortirons plus tard ; après quoi, tu
iras à cette petiteporte, et tu y resteras, maiscaché, tu en-
tends? Prends ton épée, et si, par hasard, quelqu'un es-
sayait... tu me comprends,appelleà hautevoix, ne te laisse
pas intimider,je serai là ; qui que ce soit, arrète-Ie.
GRÉMIO.
Quique ce soit, monseigneur?Il pourraitarriver...
ANDRÉ.
Qui que ce soit... J'irais bien moi-même, mais il faut
qu'on mecroiesorti, et j'en chargeraisbien un autrequetoi,maisje croissavoirce que c'est... C'estde peu d'importance,vois-tu?une bagatelle!... quelqueplaisanterie!... Et tu n'as
pas vu son visage?
GRÉMIO.
Il avait un masque.
ANDRÉ.
J'en parlerai à Cordiani...Ainsidonc, c'est convenu,Gré-
mio... n'aie aucune peur, je te le dis : c'est une pure baga-
28 ACTE 1.
telle; tu as trèsbienfaitde me le dire... Je ne voudraispasqu'unautrequetoilesût, et c'estpourcelaqueje te charge...As-tuvu commentil étaitvêtu?
GRÉMIO.11avait un manteau; il s'est sauvé si vite..., et puis le
coupde stylet...
ANDRÉ.Tu ne connaispasla voix?
GRÉMIO.
Peut-être,je ne saispas; tout a été l'affaired'un instant.
ANDRÉ.C'est incroyable! allons, faiscequeje t'ai dit : il faudra
quej'en parleà Cordiani...Tu es sûr de la fenêtre?
GRÉMIO.Trèssûr.
ANDRÉ.
Oui, à Cordiani,et d'abord à Damien.Dis que je suis
sorti seul, n'oubliepas cela.Va, monami. — C'estbien
étrange.(11sort.)
SCENE IX.
GRÉMIOSEUL.
Oui, c'estétrange,et je savaisbienque monmaîtrem'é-
couterait;cet argentde M.Damienne mesembleni clairni
bien gagné...Patience! nous saurons cela. Voicimadame
Lucrèce,je vais à monposte.
SCENE XI. 29
SCÈNE X.
LUCRÈCE,SPINETTE,GRÉMIO.
LUCRÈCE.
Oùest ton maître,Grémio?
GRÉMIO.
Je pense,madame,qu'il est à la ferme.
LUCRÈCE.
Nedevais-tupas l'accompagner?
GRÉMIO.
Il m'a ordonnéde resterici.
LUCRÈCE.11est sortiseul?
GRÉA110.Oui, madame.
(Jlsort.)
SCÈNE XI.
LUCRÈCE,SPINETTE.
LUCRÈCE.
Ainsije ne le verraiplus.
SPINETTE.
Est-ce bien possible,ma chèremaîtresse?vous m'avez3.
50 ACTE I.
confiévotredessein,je vousvoisprête à l'exécuter,et mal-
grémoije ne puisy croire.
LUCRÈCE.
Tout à l'heure tu ycroiras.
SPINETTE.
Ilne m'appartientpasde vousendissuader,je n'ai que le
droit d'en souffrir,et je suisaussiincapabled'oservousblâ-
mer que devoustrahir... Maisy avez-vousbien réfléchi?
LUCRÈCE.
Non,et c'est pourquoije loferai.
SPINETTE.
Quitterune maison,une famille...briseren un jour tous
les liensd'unevie si belleet siheureuse!...
LUCRÈCE.
Si heureuse!...
SPINETTE.
Vousl'étiez,madame.
LUCRÈCE.
Maintenant,je ne le serai plus. Oui, Spinette, je vais,dansun instant,quitter,commetu dis, unefamille,unemai-
son... Je vaisperdre monnom, monrang, ma fortune, et
le premierdesbiens,l'honneur!je vaispartiravecCordiani;
qui commetla fauteen portela peine!maislui, quipourraitl'en punir?Ce n'est pas lui qu'on peut accuser.Il n'a pro-noncéaucunsermentsur la terre, il n'apastrahi uneépouse;il n'a rien fait qu'aimer,et qu'êtreaimé.
SPINETTE.
Vouscherchieztout à l'heuremonseigneurAndré.
SCÈNE XI. 51
LUCRÈCE.
Oui,je voulaisle voir unedernièrefois.
SPINETTE.
Plût au cielque vousl'eussiezvu!
LUCRÈCE.
Queveux-tu dire?Penses-tuquema résolutionpuisseêtre
ébranlée? Andrém'est cher, mais je ne sais ni tromper ni
aimer à demi.
SPINETTE.
Quede larmesvontcouler,madame!
LUCRÈCE.
Comptes-tudonc pour rien les miennes?Crois-tuqu'on
perde, sans souffrir,son reposet son avenir?Toiqui lisdans
mon coeurcommedans le tien, toi pourqui ma vie est un
livreouvert dont tu connaistoutes les pages, crois-tuqu'on
puisse renoncer sans regrets à dix ans d'innocenceet de
tranquillité?
SPINETTE.
Queje vousplains !
LUCRÈCE.
Silence, l'heure sonne! Il va venir, Spinette, peut-êtrem'attend-il déjà.Tume suivras; tout est ilpréparé?
SPINETTE.Oùallez-vous?
LUCRÈCE.
Oùil voudra.Mescheveuxsont-ilsen désordre?Nesuis-jc
point pâle? Insenséeque je suis d'avoir pleuré!... 11vient,il vient, machère!... suis-jebelle? lui plairai-jeainsi?
52 ACTE I.
SCÈNE XII.
ANDRÉ,LUCRÈCE,SPINETTE.
ANDRÉ.
Bonjour,Lucrèce.Vousne m'attendiezpasà cetteheure,n'est-ilpas vrai?queje ne vous importunepas, c'est tout ce
que je désire. Dites-moi,de grâce,alliez-vousrentrer dansvotreappartement?j'attendrais,pour vousvoir, le momentdu dinor.
LUCRÈCE*
Non,envérité.
ANDRÉ.
Lesinstantsque nouspassonsensemblesont si courtset
si rares! et ils me sontsi chers!... Vousseule au monde,
Lucrèce,me consolezdu chagrinqui m'obsède...Ah! si jevousperdais!... toutmoncourage,toutemaphilosophiesont
dansvosyeux...
LUCRÈCE.
Avcz-vousquelquesujetde tristesse, mon ami?... Vous
éliezgaihier, il m'a semblé?
ANDRÉ.
La gaieté est quelquefoistriste, et la mélancoliea le
souriresur les lèvres.
LUCRÈCE.Vousn'êtespasallé à la ferme?Apropos,il y a uneIellr.
pourvous; lesenvoyésdu roi de France doiventvenir de-main.
SCÈNE XIII. 53
ANDRÉ.Demain!... lis viennentdemain?
LUCRÈCE.
L'apprenez-vouscommeune fâcheusenouvelle?Alors,on
pourraitvousdireéloignéde Florence,malade... entout cas,ils ne vousverraient pas.
ANDRÉ.
Pourquoi?...je les recevraiavecplaisir... Ne suis-je.pas
prêt à rendre mes comptes?(Onentend un cri étouffé dans
le jardin, et des pas précipités). Queveut dire ce bruit ?
Qu'y-a-t-il?
SCÈNE XIII.
LUCRÈCE, SPINETTE, ANDRÉ, CORDIANIdans le
plus grand désordre.
ANDRÉ.
Qu'as-tu, Cordiani?qui t'amène?que signifiecedésordre?
que t'est-il arrivé? Tu es pâle commela mort.
LUCRÈCE,basà Spinette.'Ah1je suis morte!
ANDRÉ.
Réponds-moi,qui t'amène? As-tu une querelle? faut-il
te servir de second?au nom du ciel, parle! Tu es comme
une statue.
CORDIANI.
Non, non... je venais te parler... te dire... en vérité, jevenais... je ne sais...
ANDRÉ.
Qu'as-tu doncfaitde ton épée?par le ciel! il se passeen
51 ACTE I.
toiquelquechosed'étrange... Veux-tuquenous allionschez
toi? Nepeux-tu parler devant ces femmes?A quoi puis-jet'êtrebon? réponds; il n'y arien queje ne fasse... mon cher
ami, doutes-tu de moi?
CORDIANI.
Tu l'asdeviné,j'ai eu une querelle... je te cherchais... jesuis entrésanssavoirpourquoi...onm'a dit quetu étaisici,
et je venais... je ne puisparler.
SCÈNE XIV.
LES MÊMES,LIONEL, PUISMATHURIN.
LIONEL.
Maître! Grémioest assassiné!
ANDRÉ.
Quidit cela?
(Plusieurspeintres,etc.,entrent.)
CÉSARIO.
Oui,maître, on vient de tuer Grémio! le meurtrier est
dansla maison,on l'a vuentrer par la petite porte.(Cordianiseretiredanslafoule.)
ANDRÉ.Des armes! des armes!... Parcourezle jardin, la mai-
son..., qu'onfermeles portes.
LIONEL.Il ne peut être loin; le coupvient d'être fait à l'instant
mêrhc.
SCENE XIV. 55
ANDRÉ.Il est mort!mort!... Oùestmonépée?... Ali! (regardant
sa main), c'est singulier,ma mainest pleinedesang. D'oùme vientce sang?
LIONEL.Viensavecnous, maître, je te répondsde le trouver.
ANDRÉ.D'oùmevientcesang?mamainen estcouverte!...je n'ai
pourtant touché que... tout à l'heure... Éloignez-vous,sortezd'ici!...
LIONEL.
Qu'as-tu,maître?Pourquoinouséloigner?
ANDRÉ.Sortez! sortez! laissez-moiseul! qu'on ne fasseaucune
recherche, aucune!... je le défends! Sortezd'ici tous...
Obéissezquandje vousparle. (Tousse retirent en silence.
André regardant sa main.) Pleine de sang! je n'ai tou-
chéquela maindeCordiani.
FINDUPREMIERACTE.
ACTE DEUXIÈME.
SCÈNE PREMIÈRE.
CORDIANI,MATHURIN.
CORDIANI.Il veutmeparler?
MATHURIN.
Oui,monsieur,sans témoins.
CORDIANI.Dis-luidoncqueje l'attends.
(Mathurinsort.Cordianis'asseoitsur un bancà droite.)
SCÈNE II.
CORDIANI,DAMIEN,PUISLIONELET CÉSARIO,PEINTRES,etc.
DAMIEN,dansla coulisse.Cordiani!où est Cordiani?
CORDIANI.Eh bien! que me veux-tu?
DAMIEN,sortantdupavillon.JequitteAndré,il ne sait rien, ou du moins, rienqui te
regarde 11connaîtparfaitement,dit-il, le motifde la mort•i
58 ACTE IL
de Grémio, et n'en accusepersonne, toi moinsque tcuit
autre.
CORDIANI.
Est-celà'toutce quetu as à medire?
DAMIEN.
Oui,c'est à toi dete réglerlà-dessus.
CORDIANI.En ce cas,laisse-moiseul.
(11vaserasseoir; Lionelet Césariopassentsuivisdes pein-tres,etc.)
LIONEL,arrivantdufond,et descendantla scène.
Conçoit-onrien à cela? nous renvoyer,ne rien vouloir
entendre,laissersans vengeanceun pareilcoup! ce pauvrevieillardqui le sert depuissonenfance,quil'a bercésur ses
genoux!Ah! Dieu! si c'était moi, il y auraitd'autresangquecelui-là.
DAMIEN.Cen'estpourtantpasunhommecommeAndréqu'onpeut
accuserde lâcheté.
LIONEL.
Lâchetéou faiblesse,qu'importele nom? Quandj'étais
jeune, celane se passaitpas ainsi. Il n'était, certes, pasdifficilede trouverl'assassin; et si l'on ne veutpas se com-
promettresoi-même,par monpatron! on a des amis.
CÉSARIO.Quantà moi,jequittela maison; je suisvenucematin ;>
l'Académiepourla dernièrefois. Y viendraqui voudra, jevaischezPontormo.
I.IONÏL.Mauvaiscoeurquetues ! pourtout l'or du monde,je ne
voudraispaschangerde maître.
SCÈNE III. 39
CÉSARIO.
Bah! je ne suispas le seul; l'atelier est d'une tristesse...
Julietten'y veutplus poser,et commeon rit chezPontormo!
toute la journéeon faitdesarmes,onboit, on danse! Adieu,
Lionel,au revoir.11sortà droite,suividetoutlemonde.
DAMIEN,à Lionel.
Dansquel tempsvivons-nous?
(VoyantentrerAndré,ils sortentpar le fondà gauche.)
SCÈNE III.
CORDIANI,ANDRÉ, (Cordiani se lève à l'entrée
d'André).
ANDRÉ,sortantdupavillon.Vois-tuce stylet, Cordiani?Si, maintenant,je t'étendais
à terre d'un reversde ma main, et si je t'enterrais là, au
pied de cet arbre, le monden'aurait rien à me dire; j'en ai
le droit, et ta vie m'appartient.
CORDIANI.Tu peux le faire, ami, tu peux le faire.
ANDRÉ.Crois-tuquemamaintremblerait?pasplusquela tienne,
tout à l'heure, sur la poitrine de monvieuxGrémio.Tu le
vois,je le sais, tu mel'as tué! Aquoit'attends-tuàprésent?
penses-tuqueje ne sachepas tenir une épée? es-tu prêt àte battre? n'est-cepas là ton devoiret le mien?
CORDIANI.Je feraice que tu voudras.
40 ACTE II.
ANDRÉ.
Assieds-toilà et écoute-moi.Je suis né pauvre, tu le
sais; le luxe quim'environnevient de mauvaisesource;c'est un dépôt dontj'ai abusé. Seulparmitant de peintres
illustres,je survis,jeuneencore,au sièclede Raphaël,et jevoisde jour en jour tout s'écroulerautour de moi. Rome
et Venisesont encoreflorissantes,notre patrie n'est plusrien. Je lutte envaincontreles ténèbres,le flambeausacré
s'éteint dans ma main; crois-tuque ce soit peu de chose
pour un hommequi a vécude son art vingtans quede le
voir tomber?..Mesatelierssontdéserts, ma réputationest
perdue, je n'ai point d'enfants, point d'espérancequi me
rattacheà la vie; ma santé est faible,et le vent de la peste
qui soufflede l'Orientme fait tremblercommeune feuille.
Dis-moi,que me restait-ilau monde?S'il m'arrivait,dans
mes nuits d'insomnie, de me poser un poignardsur le
coeur,dis-moi,quia pu me retenirjusqu'àcejour?
CORDIANI.
N'achèvepas, André!
ANDRÉ.
Je l'aimaisd'un amourindéfinissable! pour elle j'auraislutté contreune armée; j'aurais bêchéla terre et traîné la
charruepourajouteruneperleà sescheveux.Cevolquej'ai
commis,ce dépôtduroideFrancequ'onvientmeredeman-
der demain,et queje n'ai plus, c'est pour elle, c'estpourlui donner une année de richesseet debonheur,pourla
voir, une foisdansma vie, entouréede plaisirset de fêtes,
quej'ai tout dissipé.Sais-tumaintenantce que tu as fait?CORDIANI,pleurant.
André'.André!
SCENE III. 41
ANDRÉ.Est-ce sur moiou sur toi que tu pleures? J'ai une faveur
à te demander: grâce à Dieu,j'ai vu la foudre tomber sur
mon édificede vingt ans, sans en proférer une plainte et
sans pousser un cri; si le déshonneur était public, ou jet'aurais tué, ou nous irions nous battre demain; pour prixdu bonheur, le monde accorde la vengeance, et le droit
de se servirde cela... (montrant son stylet) doit tout rem-
placer pour celui qui a tout perdu; voilà la justicedeshom-
mes; encoren'est-il pas sûr, situ mouraisde ma main, quece ne fût pas toi quel'on plaindrait.
CORDIANI,se levant.Queveux-tu de moi?
ANDRÉ.Si tu as comprisma pensée,tu sais que je n'ai vuicini un
crimeodieux,niunesainteamiliéfouléeauxpieds... l'homme
a quije parle n'a pas de nompour moi. Jeparle au meurtrier
de mon honneur, de mon amour et de mon repos. La bles-
sure qu'ilm'a faitepeut-elleêtre guérie?Uneséparationéter-
nelle, un silence de mort, car il doit songerque sa mort a
dépendudemoi... de nouveauxeffortsde ma part, une nou-
velle tentative enfin de ressaisir la vie, peuvent-ils encore
me réussir? En un mot, qu'ilparte ; qu'il soit rayé pour moi
du livre de vie; qu'une liaisoncoupableet qui n'a pu exister
sans remords, soit rompue à jamais; que le souvenirs'en
effacelentement, dans un an, dans deux ans peut-être, et
qu'alorsmoi, André,je revienne, commeun laboureurruiné
par le tonnerre, rebâtir ma cabanedétruite sur mon champdévasté!
CORDIANI.O mon Dieu! mon Dieu!
42 ACTE II.
ANDRÉ.Celat'étonne,n'est-cepas, quej'aie un tel courage?Cela
étonnerait-aussile monde,si lemondel'apprenaitunjour...Je suis de son avis, un coup d'épéeest plustôt donné...
maisle jour oùj'aurai la certitudeque monbonheurest à
jamaisdétruit, je mourrai,n'importecomment;jusque-là,j'accompliraima tâche. Je suisfait à la patience.Pour me
faireaimerde cette femme,j'ai suivi, durant des années,sonombresur la terre; arrivéau terme de macarrière,jerecommenceraimon ouvrage.Quisaitcequipeut advenirde
la fragilitédesfemmes?qui sait jusqu'oùpeutaller leur in-
constance,et si dix autresannéesd'amouretdedévouement
sans bornesn'en pourrontpas faireautant qu'unjourd'er-reur?
CORDIANI.Quanddois-jepartir?
ANDRÉ.Un chevalest à la grille; je te donneune heure, adieu.
CORDIANI.Ta main,André,ta main!
ANDRÉ,revenantsur sespas.Mamain! à qui ma main?t'ai-je dit une injure?t'ai-je
appeléfaux ami,traître auxsermentslesplussacrés?t'ai-jedit que toiquime tues,je t'auraischoisipourme défendre?
t'ai-je dit quej'eusseperduautrechosequel'amourdeLu-crèce?t'ai-jeparléde quelqu'autrechagrin?Tulevoisbien,ce n'est pas à Cordianique j'ai parlé... A qui veux-tudonc
queje donnemamain?(11faitquelquespas.)CORDIANI,l'arrêtant.
André! au nom du ciel! ta main!
SCÈNE IV. 45
ANDRÉ.
Je ne le puis, il y a du sang aprèsla tienne! ;
(Il rentredanslepavillon.)
SCÈNE IV.
CORDIANI,MATHURIN,PUISDAMIEN.
CORDIANI.Mathurin!
MATHURIN,arrivantdu fondà gauche.Plait-il, Excellence? ''
CORDIANI.
Prendsmon manteau, mon épée, et tu les porterasà la
grilledu jardin.MATHURIN.
Vouspartez,Excellence?CORDIANI.
Faisce queje te dis.
DAMIEN,sortantdupavillon.Andrém'apprendque tu pars,Cordiani;est-cepour quel-
quetemps?
CORDIANI.
Jene sais. (A Mathurin, au fond.) Dépêche-toi,Mathu-
rin, dépêche-toi.MATHURIN.
Celaestfait dansun instant.1 (Il sortà gauche.)
DAMIEN.
Maintenant,mon ami, adieu.
CORDIAN. iAdieu! adieu! Si tu voisce soir .. je veuxdiresi demain,
ouun autrejour...
U ACTE II.
DAMIEN.
Qui?Queveux-tudire?
CORDIANI.Rien! rien! Adieu,Damien! au revoir!
DAMIEN.Aurevoir,adieu.
CORDIANI,à Matliurinquientre.Toutestprêt, n'est-cepas?
MATHURIN.
Oui,Excellence.Vousaccompagnerai-je?
CORDIANI.
Certainement,Matliurin.(Machurinsortà droite,Cordianiremontela scène,puis
redescendvivement.)
CORDIANI.Je ne puispartir, Damien.
DAMIEN.Tune parspas?
CORDIANI.
Non,c'est impossible,vois-tu! Pâlesstatues,promenades
chéries,sombresallées,commentvoulez-vousqueje parte?Omursquej'ai franchis!terre quej'ai ensanglantée!...
DAMIEN.Aunomduciel!...
CORDIANI.
Dis-moi,Damien,où puis-je aller, où puis-je marcher,sansvoir la mort sur mon chemin? Te souviens-tude ce
quetu me disais? J'aimais,je ne t'écoutaispas!... Main-
tenant...DAMIEN.
Monami!...
SCENE V. 4o
CORDIANI.Maintenantla mort est devant monamour, elle est sous
mes pas, elle est dans moncoeur!Et ce portrait queje t'ai
montré, cette ombreadoréed'une fatalebeauté, n'est plus
pourmoique lemasqued'un spectrecouvertdeslarmesd'unami.
DAMIEN.Oùvas-tu? :
CORDIANI.La revoirencoreune fois! ne t'effraiepas, je suis en dé-
lire... cela n'est rien; écoute, André va venir, entourédeses amis, et près de lui... en un mot, mon ami... je veuxlavoir un instant encore... un seul instant!
(ils sortentaufondàgauche.)
SCENE V.
Lesdomestiquesapportentunetabledresséeà droite.
ANDRÉ, LUCRÈCEsortant du pavillon.
ANDRÉ.
Mes amis viennent bien tard. Vous êtespâle, Lucrèce;celte mortvous a effrayée.
LUCRÈCE.Lionelet Damiensont cependant ici, je ne sais qui peut
les retenir.ANDRÉ.
Vousne portezplusdebagues? lesvôtresvousdéplaisent?
ah!je me trompe,en voiciunequeje ne connaissaispas en-
cote.
46 ACTE II.
LUCRÈCE.
Celte mort, en vérité, m'a effrayée...je ne puis vous
cacherqueje suis souffrante.
ANDRÉ.
Montrez-moicette bague,Lucrèce... est ce un cadeau?
est-il permisdel'admirer?
LUCRÈCEdonnela bague.
C'estun cadeaudeMarguerite,mon amied'enfance.
ANDRÉ.
C'estsingulier,ce n'est pas son chiffre...pourquoidonc?
C'estunbijoucharmant,maisbien fragile!...Ah!monDieu:
qu'allez-vousme dire? je l'ai briséen le prenant.
LUCRÈCE.
11estbrisé?mon anneaubrisé?
ANDRÉ.
Queje m'enveuxdecette maladresse!Mais,en vérité, le
mal est sansressource.
LUCRÈCE.
N'importe,rendez-le-moitelqu'il est.
ANDRÉ.
Qu'en voudriez-vousfaire? l'orfèvre le plus habile n'y
pourraittrouverremède.
(11lejette à terreet l'écrase.)
LUCRÈCE.
Nel'écrasezpas!... j'y tenaisbeaucoup.
ANDRÉ.
Ehbien!s'il vous plaît, ramassez-lc.—Avons-nousbeau-
coupde monde?Lediner sera-t-iljoyeux?
SCÈNE VF. 47
LUCRÈCE.Maisnous auronsnoirecompagniehabituelle,je suppose,
Lionel,Damienet Cordiani.
ANDRÉ.Cordianiaussi?... Je suisdésolédela mort de Grémio.
LUCRÈCE.
C'étaitvotrepèrenourricier.
ANDRÉ.
Qu'importe?qu'importe?tous les jours on perd un ami;n'est-cepasunechoseordinaireque d'entendredire : Celui-là est mort, celui-làestruiné? on dansepar là-dessus, tout
n'est qu'heuret malheur!
SCÈNE VI.
LUCRÈCE,ANDRÉ.LIONEL, DAMIEN,SPINETTE.
ANDRÉ.
Allons,mesbonsamis, à table! avez-vousquelquesouci?
quelquepeinede coeur?il s'agitde tout oublier. Hélas! oui,vousenavez,sansdoute,tout hommeen a sous lesoleil.
(Ilss'asseoient.)LIONEL.
Pourquoireste-t-il uneplacevide?
ANDRÉ.Cordianiest parti pourl'Allemagne.
LUCRÈCE.
Parti!.., Cordiani?
';. . ANDRÉ.
Oui,pourl'Allemagne;queDieuleconduise!
48 ACTE II.
LUCRÈCE,basà Damien.Est-cevrai, Damien,qu'il estparti?
DAMIEN.Trèsvrai.
LIONEL.
Il fait mauvaistempspour voyager.(11tonne.)
ANDRÉ.
Allons,monvieuxLionel,notrejeunesseest là-dedans.
(Montrantlesflacons.)
LIONEL.
Parlezpourmoi, maître; puissela vôtredurer longtempsencorepourvosamiset pour le pays!
ANDRÉ.
Jeuneou vieux, queveutdirecemot? Lescheveuxblancs
ne font pas la vieillesse,et le coeurde l'hommen'a pas
d'âge.LIONEL.
Renonceriez-vousà vosespérances?
ANDRÉ.Jecroisquece sontelles quirenoncentà moi. Omonvieil
ami! l'espéranceestsemblableà la fanfare guerrière; elle
mèneau combatet divinisele danger; tout est si beau,si fa-
cile,tant qu'elleretentitau fonddu coeur! Maislejouroùsa
voixexpire,le soldats'arrêteetbrise sonépée.
DAMIEN.
Qu'avez-vous,madame?vousparaissezsouffrir.
LIONEL.
Mais,en effet, quelle pâleur! Nous devrionspeut-êtrenousretirer.
SCÈNE VI. 49
LUCRÈCE.
Spinette,entre dans ma chambre, ma chère, et prendsmonflaconsur ma toilette, tu me l'apporteras.
(Spinetteentredanslepavillon.)ANDRÉ.
Qu'avez-vous,Lucrèce?ôciel! seriez-vousréellementsouf-frante?
(Spinelterentreépouvantée.)
SPINETTE.
Monseigneur!...monseigneur!un hommeest là caché.
ANDRÉ.Où?
SPINETTE.J'étaisentrée, il m'a saisila main commeje passaisentre
lesdeuxportes.LIONEL,allantau pavillon.
Voilàla suite de votrefaiblesse,maître; c'est le meurtrierde Grémio;laissez-moilui parler.
ANDRÉ.
Lionel, n'entre pas, c'est moique cela regarde.(ALu-
crèce.)Est-celui, malheureuse?est-celui?LUCRÈCE.
OmonDieu!(Elles'évanouit.)
DAMIEN.
André,empêchez-ledevoir Cordiani.
ANDRÉ.Cordiani! mon déshonneurest-il si public, si bien connu
de tout ce quim'entoure,queje n'aiequ'un mot à direpour
qu'on me répondepar celui.là : Cordiani! (criant) Sors
donc,misérable,puisqueDamient'appelle.s
50 ACTE II.
SCÈNE VII.
LESMÊMES,CORDIANI.
ANDRÉ.
Messieurs,je vousai fait sortirtantôt... à présentje vous
priederester.Emmenezcettefemme!Cethommeest l'assas-
sindeGrémio.C'estpourentrerchezma femmequ'ill'a tué...
Dansquelqueétat qu'ellese trouve,vous,Damien,vousla
conduirezà sa mère, à l'instant même.(Damiensort avec
Lucrèceet Spinette.) Maintenant,Lionel;tu vas me ser-
vir de témoin; Cordianiprendraceluiqu'il voudra; car tu
voisce quisepasse,mou ami?
LIONEL.
Maître,il fautréglercetteaffaireet choisirl'heureet le
lieu du combat.ANDRÉ.
L'heure?à l'instant.Le lieu?icimême(à Cordiani).Ah!vous voulezque ledéshonneursoitpublic! il le sera, mon-
sieur,il lesera.Maislaréparationva l'êtredemême,et mal-heurà celuiquilarendnécessaire! Jevaisprendredesépées.
(11entredanslepavillon.)
SCÈNE VIII.
LIONEL,CORDIANI.
LIONEL.
N'allez-vouspas, monsieur,chercherun second?
CORDIANI.;.."Non,monsieur.
SCENE IX. SI
LIONEL.
Ce n'est pas l'usage,et je vousavoueque pour moij'ensuisfâché.Dutempsdemajeunesse,il n'y avait guèred'af-
fairesde cette sorte,sans quatreépéestirées.
CORDIANI.
Cecin'est pas un duel, monsieur; Andrén'aura rien à
parer, et le combatne serapas long.
LIONEL.
Qu'entends-je? Voulez-vousfairede lui un assassin?
CORDIANI.
Je m'étonnequ'ilne reviennepas.
SCENE IX.
LIONEL, CORDIANI,ANDRÉ,PUISDAMIEN.
ANDRÉ,entrant.Mevoilà.
(Lionelprendlesépéesdesmainsd'André;aprèslesavoirmesurées,il endonneuneà Cordianiet
l'autreà André.)
ANDRÉ.En garde!
DAMIEN,entrant.
André,je n'ai pu remplir la missiondont tu m'avais
chargé.Lucrècerefusemon escorte...Elle est partieseule
à pied, accompagnéede sa suivante.(Il tonne.)
ANDRÉ.
Dieudu ciel! quelorageseprépare!...
52 ACTE II.
DAMIEN.
Lionel,je me présenteici commele seconddeCordiani.
Andréneverradanscette démarchequ'un devoirquim'est
sacré;je ne tirerail'épéequesi la nécessitém'yoblige.
CORDIANI.
Merci,Damien,merci.
LIONEL.Ètes-vousprêts?
ANDRÉ.Je le suis.
CORDIANI.Je lesuis.
(Ilssebattent,Cordianiestblessé.)DAMIEN.
Cordianiestblessé.
ANDRÉ,sejetantsurlui.Tu esblessé,monami?
LIONEL,leretenant.Retirez-vous,nousnouschargeonsdu reste.
CORDIANI.Mablessureest légère,je puisencoretenirmonépée.
LIONEL.
Non,monsieur,vousallezsouffrirbeaucoupplusdansun
instant. L'épée a pénétré; si vouspouvezmarcher,venez
avecnous.
CORDIANI.Vousavezraison; viens-tu,Damien?donne-moitonbras,
je me sensbien faible.Vousme laisserezchezManl'redi.
ANDRÉ,basà Lionel.Lacrois-tumortelle?
SCENE X. 53
LIONEL.Je ne répondsde rien.
(Ilssortentà droite.)
SCÈNE X.
ANDRÉSEUL.
Pourquoime laissent-ils?il faut quej'ailleaveceux... Où
veulent-ilsquej'aille?(llfail quelquespas vers la maison)11ne s'est pasdéfendu; je n'ai passentison épée... il a reçule coup, cela est clair; il va mourir chezManfredi,c'est
singulier,je mesuispourtantdéjàbattu... (Il tonne.)Lucrèce
partie!...Est-cequejen'entendspasmarcherlà dedans?...(Ilva du côtédesar6res.)Non,personne,ilvamourir...Lucrèce
seule avec sa suivante! Eh bien! quoi? je suis trompéparcettefemme,je me bats avec sonamant... je le blesse,me
voilàvengé... tout est dit. Ah! cettemaisondéserte! cela
est affreux! Quandje penseà ce qu'elleétaithier au soir! à
ce quej'avais, à ce quej'ai perdu!... Qu'est-cedoncque la
vengeance?Quoi! voilàtout? et rester seul ainsi?à quicela
rend-il la vie.de fairemourirun meurtrier?Quoi?répondez.
Qu'avais-jeaffairede chasser cette femme, d'égorger cet
homme?Jeme souciebien de vos lois d'honneur! celame
consolebien, que vousayezinventécela,quevousl'ayezré-
glé commeune cérémonie!Oùsontmesdixannéesde bon-
heur, ma femme,mon ami, le soleilde mesjours, le reposdemesnuits? Voilàcequi me reste. (Il regarde son épée.)Queme veux-tu, loi? on t'appellel'amie des offensés...il
n'y a point ici d'hommeoffensé... il n'y a qu'un niallieu-
U ACTE II.
reux... que l'eau du cielessuieton sang!... (Il la jette.)Ah! cetteaffreusemaison! monDieu!monDieu!je n'y ren-
treraijamais!
(Il pleureàchaudeslarmes; quatrehommespassentderrièrela grille,portantunebière; Césariosuitleconvoi.)
ANDRÉ.Quicela?
SCÈNE XI.
ANDRÉ,CÉSARIO.
CÉSARIO, s'agenouillant.
NicolasGrémio.
ANDRÉ,s'agenouillantaussi.Et toiaussi,monpauvrevieux,et toi aussi tu m'aban-
donnes!...
CÉSARIOselèveet s'approched'André.
Moi,maître,je ne vousabandonneraipas.
ANDRÉ.C'esttoi,mon enfant?
CÉSARIO.
Oui,maître,je vousavaisquitté; j'étais allé chezPon-
tormo; j'y allaischercherla gaieté,et je l'y ai bien trouvéeeneffet;maisje ne m'ensuissentiqueplustriste.
ANDRÉ.
C'estle malheurque tu trouverasici.
CÉSARIO.11pèsemoinsque l'ingratitude.
SCÈNE XII. 55
.ANDRÉ.
Donne-moita main; merci,monenfant.Va,entrelà, car,
pourmoi,jamais...
(Il vapoursortir.)
SCÈNE XII.
ANDRÉ, CÉSARIO,LIONEL.
LIONEL,entrant.Oùallez-vous,André?
ANDRÉ.Je vaisvoirla mèredema femme.
LIONEL.«Ellen'est pas à Florence.
ANDRÉ.Ah! oùest doncLucrèce,en cecas?
LIONEL.Je ne sais, mais ce dont je suis certain,c'est que monna
Flora est absente.
ANDRÉ.Commentle savez-vous,et par quel hasard êtes-vouslà?
LIONEL.Je revenaisde chezManfredi,où j'ai laisséCordiani; en
passantj'ai rencontréCésario,et nousavonsvoulusavoir...
ANDRÉ.
Cordianisemeurt, n'est-il pas vrai?
CÉSARIO.
Non,maître, on espèrele sauver.
m ACTE II.
ANDRÉ.Laissez-moi.
(Faussesortie.)
LIONEL.
Qu'allez-vousfaire,monami?Sivotrefemmese respecteassezpeupourrevoirl'auteurd'un crime...
ANDRÉ.
Queveux-tuqueje fasse?Oui,.oui,je les tueraistouslesdeux!Ah!maraisonestégarée;jevoiscequin'estpas... jene saismême...
LIONEL.
Quedis-tu?
ANDRÉ.
Rien; je croyaisl'avoirperdu.Ilssont ensemble,n'est-ce
pas?LIONEL.
Au nomdu Ciel,fiez-vousà moi... Votrehonneurm'est
aussicherque lemien.Touteviolenceen cetteoccasionse-rait de la cruauté.Votreennemiexpire,quevoulez-vousde
plus?
ANDRÉ.
11fautquej'écriveàLucrèce.(Ils'assiedprèsde la table.)
LIONEL.
Quepouvez-vousluidire?(Apart.) Ah!malheureux!Dieu
veuillequesaraisonaffaiblienel'abandonnepas tout à fait.
ANDRÉ, écrivantsursestabletteset déchirantlafeuille.
Tiens,Césario,je t'en conjure,va trouverLucrèce,de-
SCENE XII. 57
mande une réponseà ma lettre, et sois revenu tout à
l'heure... Mais,pourquoipas nous-mêmes,Lionel?
(Césariosort.)
ANDRÉ.Monami!...
ANDRÉ.Quoi,plus rien?... tout devantmoi se changedoncen
désert?Osolitude! solitude! que ferai-jede ces mains-là?
LIONEL.
Eh! quedemandez-vousdansceltefatalelettre?
ANDRÉselève
Ce que je demande...O comblede misère!... je supplie,
Lionel, lorsqueje devraispunir... Ne me juge pas, mon
ami, commetu pourraisfaireun autre homme...Je suisun
hommesans caractère,vois-tu,j'étais né pourvivre tran-
quille.
LIONEL,à part.Sadouleurmeconfondmalgrémoi.
ANDRÉ.
Ellene répondrapas! Commentensuis-jevenulà?sais-tu
ce queje luidemande?Ah! la lâchetéelle-mêmeen rougi-
rait, Lionel!Je luidemandede revenirà moi.
LIONEL.Est-cepossible?
ANDRÉ.
Oui,oui, je sais tout cela, j'ai fait un éclat; eh bien!
dis-moi, qu'y ai-jegagné?Je mesuisconduitcommelu l'asvoulu... Eh bien! je suis le plusmalheureuxdes hommes.Je l'aime! je l'aimeplusquejamais!
58 ACTE IL
LIONEL.Calme-toi.
ANDRÉ.C'est singulier,je n'ai jamais éprouvécela... Il m'a sem-
blé qu'un coupme frappait... Tout se détachede moi... Il
m'a sembléqueLucrècepartait.
LIONEL.QueLucrècepartait?.
ANDRÉ.
Oui,je suissûr queLucrècepart sansmerépondre.
LIONEL.
Commentcela?
ANDRÉ.J'en suis sûr !... Je viensde la voir.
LIONEL.Celaest étrange.
SCÈNE XIII.
LIONEL, ANDRÉ, CÉSARIO.
ANDRÉ.
Tiens,voilàCésario!... Eh bien?
CÉSARIO.MadameLucrècea quitté Florence.
ANDRÉ.Et Cordiani?
CÉSARIO-.Je ne sais.
SCENE XIV. 5!)
ANDRÉ.
Vois-tu,Lionel?ils sontpartisensemble.
LIONEL.Oùvas-tu?
SCÈNE XIV.
LIONEL,DAMIEN,ANDRÉ,MATHURIN.
DAMIEN.André!
AND"É.Ah! lu as raison,la terre se dérobe...
LIONEL,à DamienCettejournéel'a tué! il n'a pu supportersonmalheur.
ANDRÉ.Ils sont partis ensemble? Je me sens bien faible...
(Il fait quelquespas et chancelle;Damienet Lionel s'ap-
prochent pour le soutenir).Nevousinquiélezpas... Je ne
les poursuivraipoint... Mesforces m'ont abandonné...Et
aussibien qu'ai-je à faire dans ce monde? O lumièredu
soleil!ôbellenature!ils s'aiment, ils sontheureux!Comme
ils courentjoyeuxdans la plaine! leurschevauxs'animent,et le vent qui passe emporteleursbaisers... La patrie! la
patrie!... Ils n'en ont point, ceuxqui parlent ensemble!
LIONEL.Sa main est froidecommele marbre.
ANDRÉ,àMathurin.
Écoute-moi,Mathurin,écoute-moi,et rappelle-toimes
paroles: Tuvasprendreun chevalet le lancerau galop.Re-
GO ACTE II.
tiensce.queje te dis; nemefaispas répéterdeux fois,je nele pourraispas; tu les rejoindrasdansla plaine,tu lesabor-
deras, Mathurin,et tu leur diras : Pourquoifuyez-voussivite? laveuved'Andrédel Sartopeut épouserCordiani.
MATHURIN.Faut-ildirecela, monseigneur?
ANDRÉ.
Va, va, ne me faispas répéter.(Mathurinsort.)
LIONEL.
Qu'as-tudit à cet homme? (Sas à Damien.)Est-ce quevraimentCordiani...
DAMIEN,demême.Cordianin'est plus.
ANDRÉ.
Maintenant,qu'on m'apportema coupe,pleined'un vin
généreux.Menez-moijusqu'àcette porte, mes amis. (Pre-nant la coupe).C'était celledes joyeuxrepas, (il verseà
l'écart unflacon dans la coupe et boit.)Ala mortdes arts
en Italie'
LIONEL.
Quelest ce flacondonttu as verséquelquesgouttes?...
ANDRÉ.C'estun cordialpuissant. Approche-lcdetes lèvres,et tu
seras guéri, quel que soit le mal dont tu souffres.Vos
mains,et adieu, chersamis... Oh! coml/ien<j^V(j.ini(li^!^\/fJOnteurt.) /^
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Louison,comédieen2 actes,en vers 4 »
Bettine, comédieen 1 acte 1 »
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