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1  André Avias Le genre, du texte aux contextes 1. Introduction La notion de genre a été beaucoup discutée ces dernières décennies, quel que soit le type de discours considéré, qu’il soit littéraire ou non, allant du roman policier à tout texte de la vie courante ou professionnelle. La vogue du roman policier, voire du lm policier, est très forte à notre époque, alors que les grands classiques littéraires sont de moins en moins appréciés et vieillissent rapidement. Le roman policier n’est pas vraiment lié temporel- lement à son temps – des meurtres ont eu lieu à toutes les époques; ce sont surtout ses coulisses et ses décors qui le sont. Le noyau central, c’est-à-dire la résolution d’une énigme et le théâtre humain qui s’y joue, semble être lui d’une valeur atemporelle. J. M. Adam donne d’ailleurs une place impor- tante à l’énigme en tant que type de communication, qu’il analyse en liant interprétation et contexte, plaçant à un même niveau des genres aussi diffé- rents que le poème énigmatique, le fait divers, le roman policier, la devi- nette et l’interrogation scolaire. Un grand nombre de textes posent des questions énigmatiques à notre esprit dont il stimule l’activité soit curieuse soit provoquée par un certain contexte social. Il cite André Jolles que je reprends ici: “L’énigme-devinette est une  for me sim ple 1  qui suppose l’appartenance à une société secrète ou à un groupe régi par un ensemble de conventions acceptées.” 2  Répondre à la devinette, résoudre l’énigme ou  bien répondre correctement aux questions d’un sujet d’exam en c’est réussir un rite de passage, d’obtenir l’autorisation de faire partie du groupe social  1  Ce qui correspond à un genre primaire (au sens de premier) chez Bakhtine, c’est-à-dire oral. 2  Jean-Michel Adam: “Le style dans la langue et dans les textes”.  Langue Française n  135, Paris: septembre 2002, 71–94 (86).

André Avias. Le Genre, Du Texte Aux Contextes

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  • 1Andr Avias

    Le genre, du texte aux contextes

    1. IntroductionLa notion de genre a t beaucoup discute ces dernires dcennies, quelque soit le type de discours considr, quil soit littraire ou non, allant duroman policier tout texte de la vie courante ou professionnelle. La voguedu roman policier, voire du film policier, est trs forte notre poque, alorsque les grands classiques littraires sont de moins en moins apprcis etvieillissent rapidement. Le roman policier nest pas vraiment li temporel-lement son temps des meurtres ont eu lieu toutes les poques; ce sontsurtout ses coulisses et ses dcors qui le sont. Le noyau central, cest--direla rsolution dune nigme et le thtre humain qui sy joue, semble tre luidune valeur atemporelle. J. M. Adam donne dailleurs une place impor-tante lnigme en tant que type de communication, quil analyse en liantinterprtation et contexte, plaant un mme niveau des genres aussi diff-rents que le pome nigmatique, le fait divers, le roman policier, la devi-nette et linterrogation scolaire. Un grand nombre de textes posent desquestions nigmatiques notre esprit dont il stimule lactivit soit curieusesoit provoque par un certain contexte social. Il cite Andr Jolles que jereprends ici: Lnigme-devinette est une forme simple1 qui supposelappartenance une socit secrte ou un groupe rgi par un ensemble deconventions acceptes.2 Rpondre la devinette, rsoudre lnigme oubien rpondre correctement aux questions dun sujet dexamen cest russirun rite de passage, dobtenir lautorisation de faire partie du groupe social

    1 Ce qui correspond un genre primaire (au sens de premier) chez Bakhtine, cest--direoral.2 Jean-Michel Adam: Le style dans la langue et dans les textes. Langue Franaisen 135, Paris: septembre 2002, 7194 (86).

  • 2reprsent. Comme on peut le comprendre, de la devinette populaire ausujet dexamen, de la lettre de rclamation une entreprise la commandedun produit, de nombreux genres ont des points communs, des processuset fonctions similaires. Cest de prime abord dans le contexte de la lec-ture/coute-interprtation que le genre et le sens se dcident.

    La notion de genre est-elle utile, et mme utilisable? La notion de genreest-elle scientifique? On peut se poser de telles questions avec juste raison.Mais il nen est pas moins vrai que cette notion est trs utilise, quelle estapparemment pratique, voire ncessaire mme pour dnommer nos objetsdtude. Nous allons donc dans cet article avoir une rflexion sur ces ques-tions en reliant le genre la notion de discours et celle de texte. Nous es-saierons aussi davancer une tentative de dlimiter ltude des genres en lesexposant la lumire de la lecture et dun ensemble de contextes.

    2. Texte, genre, discours2.1 Du genre littraire au genre non-littraire

    Pendant trs longtemps, le terme de genre a t peu employ dans la re-cherche linguistique textuelle franaise, sans doute du fait du pass de ceterme dans la recherche littraire. Aujourdhui, sous linfluence de cher-cheurs trangers son utilisation stend non plus seulement au domaine lit-traire mais aussi la linguistique textuelle gnrale. Adam le souligneaussi: En donnant autant dimportance des genres non-littraires que lit-traires, il sagira de souligner le fait que le concept est dfinitivement sortide son contexte potique dorigine.3

    Nous avons une longue tradition derrire nous sans remonter la po-tique dAristote o toute une thorie littraire a t dveloppe autour dece terme. La plus renomme et la plus proche de nous mane de Genette,pionnier de ce mouvement avec son livre sur lIntroduction larchitexte.Genette a effectu un travail important de classification des genres littrai-res et a, en gardien du temple, tent de limiter le terme:

    La diffrence de statut entre genres et modes est essentiellement l: les genres sontdes catgories proprement littraires, les modes sont des catgories qui relvent dela linguistique, ou plus exactement de ce que lon appelle aujourdhui la pragma-tique.4

    3 Jean-Michel Adam: Linguistique textuelle, des genres de discours aux textes. Paris:1999, 95.4 Grard Genette: Introduction larchitexte. Paris: 1979, 6869.

  • 3Notons que Genette place sa rflexion exclusivement dans le domaine litt-raire et quil nenvisage donc aucun autre type de texte: Il prcise en noteque le fait de genre est proprement esthtique, [...] est commun tous lesarts; pour lui le mode est une sous-articulation au genre qui dcrirait lasituation dnonciation.

    Un autre auteur, antrieur Genette, qui a fait beaucoup avancer larflexion gnrique, est bien sr Bakhtine.5 Pour lui les genres sont soitprimaire ou secondaire; cest--dire que les genres premiers, que nous par-lons, correspondent des situations typiques de communication verbale(requtes, ordres, flicitations, etc. donc des actes de discours). De ceux-l sont drivs les genres seconds plus complexes de lcrit. Bakhtine metlui donc laccent sur laspect volutionnel des genres et sur leur relation des situations de communication.

    Dautres ont suivi, et surtout du ct de nos amis anglo-saxons qui onteu, avec facilit, lide dtendre cette notion toute production textuelle.Ils sont nombreux, titre dexemple je citerai un passage pris dans un ou-vrage collectif sur la notion de genre, dit et introduit par Aviva Freedmanet Peter Medway:

    This theoretical rethinking has led to or been accompanied by a growing of em-pirical studies of school and workplace writing. Since Odell and Goswamis pio-neering 1985 collection, Writing in Non-academic Settings, researchers have usedethnographic research methods drawn from anthropology to study such in-stances as the writing of professional biologists (Myers 1990); the documentsproduced by tax accountants (Devitt 1991); the production of the experimental ar-ticle (Bazerman 1988; Swales 1990); the discourse produced at a central bank(Smart 1992, 1993); the recording and reporting of social workers (Par 1991);the evolution of the memo and the business report (Yates 1989); the role of text inprivate enterprise (Doheny-Farina 1991); and writing for the disciplines at univer-sity (Herrington 1985; McCarthy 1987; Freedman 1990; Berkenkotter et al.1991).6

    Ajoutons cette liste les travaux renomms de Swales puis Bahtia qui ontt intressants de part leur tentative de dfinir le terme dans un cadrecommunicatif, celui des crits universitaires (Swales) et professionnels(Bhatia). Bhatia le dfinit ainsi :

    5 Mikhal Bakhtine: Esthtique de la cration verbale. Paris: 1984.6 Aviva Freedman, Peter Medway (eds.): Locating Genre Studies: Antecedents andProspects. Genre and the New Rhetoric. London: 1994, 120 (12).

  • 4It is a recognizable communicative event characterized by a set of communicativepurposes identified and mutually understood by the members of the professionalor academic community in which it regularly occurs. Most often it is highlystructured and conventionalised with constraints on allowable contributions interms of their intent, positioning, form and functional value.7

    Par ailleurs, il est possible de considrer cette communaut comme unecommunaut rhtorique (rhetorical community), donc en soulignant ainsiles changes, les points de vue qui sopposent ou non, les ides didentit etde diffrence, ainsi que Miller le fait.8 Nous allons utiliser ce concept decommunaut discursive dans notre article sans le problmatiser, nous ren-voyons sur cette question larticle de Frandsen.9

    2.2 Utilit et difficults

    La question sur la notion de genre, de savoir si un texte correspond ungenre spcifique ou non, est importante car elle doit permettre de montrerlutilit de cette notion. Pour le cas du Mot du Prsident dans les rapportsannuels, Kjersti Flttum le dit bien: De dire que cest un genre propre estpeut-tre douteux, mais il serait naturel dtudier le Rapport annuel dansson ensemble par rapport ce concept.10 La question qui se pose ici estcelle de la dlimitation des genres. Pour y rpondre de faon srieuse, il estncessaire de prendre comme point de dpart la notion de discours et lidede communaut desprit de Swales. Si donc on considre un discours sp-cifique comme une famille discursive runissant un ensemble dnoncsreconnus par une certaine communaut dindividus,11 chaque discourscorrespondra un certain nombre de genres, ce que lon peut aisment (maispartiellement) exemplifier pour les discours littraire ou conomique. Celane fait que confirmer un point de vue partag par beaucoup, depuis Witt-

    7 Ajay Bhatia: Analysing genre: Language use in Professional Settings. London, NewYork: 1993, 30.8 Carolyn R. Miller: Rhetorical Community: The Cultural Basis of Genre. Genre andthe New Rhetoric. London: 1994, 6778 (74).9 Finn Frandsen: What Do Members of Discourse Communities Have in Common?.Wenche Vagle, Kay Wikberg (eds.): New Directions in Nordic Text Linguistics andDiscourse Analysis: Methodological Issues. Oslo ( paratre).10 Kjersti Flttum, Inge Hemmingsen, Unni Puntervold Pereira: Styrets/styreformannsberetning, Arbeidspapirer fra Hgskolesenteret i Rogaland: nr. 178, 1993, 25. (Ma tra-duction).11 Cette communaut a un caractre double, elle est la fois celle des locuteurs (person-nes actives) et des auditeurs (le public) mme si chacun occupe en gnral ce doublerle simultanment.

  • 5genstein et son insistance sur la situation contextuelle, jusqu Maingue-neau ou encore Svennevig,12 pour ne nommer que ceux-l. Maingueneaupar ex. crit: On ne dira pas que le discours intervient dans un contexte,comme si le contexte ntait quun cadre, un dcor; en fait, il ny a pas dediscours que contextualis.13

    Par exemple, pour le discours conomique, comment procder pour d-terminer et dcider les diffrents genres? Ici aussi, la notion de commu-naut dindividus est trs efficace; en effet, on peut ainsi affirmer que lacommunaut lie au discours conomique peut se subdiviser en sous-communauts suivant les situations et lieux o les changes verbaux ontlieu. Le discours conomique doit tre considr comme un cadre, un en-semble, comme lexpression smiotique14 du monde conomique dans le-quel il est inclus, dont les limites dailleurs ne sont pas dterminables defaon prcise. On pourra ensuite penser que lon a des sous-discours quieux-mmes regroupent des genres. A partir de l, je proposerai de prendreen compte les sous-discours conomiques tels que ceux de lentreprise, pri-ve ou publique, productrice de biens ou fournisseur de services ou bienencore intermdiaire commercial. Dans le sous-discours de lentreprise, onva pouvoir constater lexistence de plusieurs genres, eux-mmes rsultantde fonctions essentielles la vie de lentreprise. Au contact de la ralit desformes textuelles on se rend compte trs vite que le rapport entre type detexte et genre devient problmatique.

    Trostborg15 par exemple indique la lettre comme un genre, ajoutant aus-sitt quil existe des lettres prives et des lettres commerciales et dajouterque les genres peuvent tre dfinis de faon trs large ou au contraire defaon trs spcifique, et enlve par l-mme la notion de genre tout intrtthorique si cette problmatique ntait pas approfondie. De quel type delettre sagit-il? De quelle communaut dindividus est-il question? Il existeplusieurs niveaux prendre en considration tel le support physique surlequel le texte est pos, crit. Toute lettre est crite ou imprime au-jourdhui, sur du papier format A4 et comporte un certain nombre dl-

    12 Jan Svennevig: Sprklig samhandling: innfring i kommunikasjonsteori og diskurs-analyse. Oslo: 2001, 234.13 Dominique Maingueneau: Analyser les textes de communication. Paris: 2000, 40.14 Jutilise ce terme pour inclure dans ma rflexion toute forme communicative et passeulement celle du texte crit.15 Anna Trostborg: The notion of Genre Considered within a Business CommunicationApproach. Jutta Eschenbach, Theo Schewe (Hrsg.): ber Grenzen gehen Kommuni-kation zwischen Kulturen und Unternehmen, Festschrift fr Ingrid Neumann, Halden:2001, 2133 (25).

  • 6ments signaltiques telle la date; de mme, tout roman est publi dans lesupport des reliures du livre. Parlant de lettre, comme dun matriau gn-rique, il faudrait alors plutt parler dun archtype (voir infra, en 3.2) duneforme communicative premire, dun support mdiatique et non dungenre, et qui pourra prendre diffrents aspects suivant le contexte dactuali-sation et se concrtiser alors en un genre spcifique.

    Un type de problme comparable se prsente dans la prsentation desgenres chez Svennevig o il indique que le schma narratif textuel estconstitutif du genre.16 Et en cela il croise rapidement mais ce livre nestquune introduction deux niveaux diffrents danalyse: celui du niveaucompositionnel textuel et squentiel, et celui du niveau situationnel. Lesstructures textuelles (prototypiques) ou schma chez Svennevig, ne sontpas a priori constitutionnelles dun genre; on va pouvoir les retrouver dansplusieurs genres diffrents (Cf. supra lexemple de la lettre), mme si bien sr elles font partie des structures possibles et sont habituellementprsentes dans certains genres, comme le schma narratif pour les genreslittraires.

    3. Le genre: entre discours et texte3.1 Niveau danalyse

    La question qui se pose, et laquelle il faut rpondre pour pouvoir donnerune fonction opratoire au concept de genre, est de savoir quel niveaudanalyse on doit se placer pour ltudier. Question que se pose aussiFrandsen dans un article17 o il propose trois niveaux dtudes: modles decatgorisation, types de critres et domaine de validit des critres. Le dan-ger est, on la vu, de passer dune vision den bas une vision denhaut et de conclure rapidement sur lexistence ou non de tel ou tel genreen se basant sur le fait quil serait constitu de telle ou telle structure tex-tuelle.18

    Mon point de dpart, qui est celui de la situation de communication dansle cadre dune communaut dtermine, donc vu den haut, permetdtablir un premier (macro)niveau symbolique un cadre smiotique, dis-

    16 Svennevig: Sprklig samhandling, 243. (Ma traduction).17 Finn Frandsen: Kategoriseringsmodeller, typer af kriterier og gyldighedsomrder: detre niveauer i tekstgenreforskningen. Netvrk, LSP Nyhedsbrev, nr. 10, Handelshj-skolen i rhus: 1995, 3142.18 Ceci nempche pas que je pense que dans le travail danalyse il soit lgitime dechanger de perspective (bas/haut) voire mme ncessaire de passer dun niveau lautre.

  • 7cursif et nonciatif, en tenant compte dune intentionnalit dobjectifscommunicatifs atteindre. Le texte et tout ce qui lui est propre, cest--direles choix lexicaux, la construction syntaxique et la configuration textuelle,se situe lui un (micro)niveau langagier en tant que support dnoncs.

    Daprs Foucault le discours est un ensemble dnoncs qui relvent dela mme formation discursive. Adam ajoute aussi quil faut toujours consi-drer le terme discours au pluriel et que tous les discours doivent tre pla-cs dans un interdiscours. Reboul et Moeschler de faon assez proche,mme si par ailleurs ils semblent sopposer Adam, remettent en questionlide de discours. Pour eux, parlant danalyse, il ny a pas de discours maisdu discours. Ils sopposent aux tenants de lanalyse de discours en linguis-tique qui recherchent crer un objet scientifique comparable la phrase.19

    Le genre lui est plutt intermdiaire entre discours et texte; il est la foisun lien entre eux et une cause-consquence de leur existence. Ceci permetune subdivision de diffrentes formes gnriques qui peuvent tre recon-nues comme pertinentes et redondantes par un certain groupe dacteurs dela communaut choisie. Ces formes sont celles communment acceptes etutilises dans cette communaut, et elles se retrouvent actualises dans lestextes produits dans le cadre de genres discursifs. Ceci aura pour cons-quence que dans le cadre de lentreprise et des formes que prend la com-munication lie cette communaut, nous serons en prsence dune catgo-rie de genres entrepreunariaux. Ces genres sactualisent en une srie detextes reconnaissables par des lecteurs comptents, comme par ex. la lettrecommerciale qui est considrer comme un exemple de genre concret avecde trs nombreuses variantes (par branche, type dindustrie, etc.).

    3.2 Genre et/ou type de texte

    Il arrive souvent de parler conjointement de genre et de type de texte, en lesopposant, mais aussi en les employant comme deux synonymes, et ceci parfacilit et pour viter des rptitions. Que choisir?

    Les recherches en typologie des textes ont t et sont encore nombreuseset un certain consensus sest tabli sur des configurations rcurrentes tellesque la narration, la description ou encore largumentation. Adam proposelui, ce qui peut sembler le plus raisonnable, dabandonner la notion mmede type de texte, argumentant que peu de textes sont homognes et que ledcoupage structurel en units typiques doit se faire un niveau plus bas,celui de la squence. Il parle alors de prototypes textuels. Mais quadvient-

    19 Anne Reboul, Jacques Moeschler: Pragmatique du discours. Paris: 1998.

  • 8il alors de la notion de genre? La forme textuelle que reprsente une lettre,on le sait, peut aussi bien tre utilise dans des romans pistolaires quedans une correspondance commerciale, qui chacun sparment peuvent treconsidrs comme un genre autonome. Mais la lettre alors? Il faudrait sansdoute alors parler dun archi-genre; moins de qualifier plutt les appli-cations concrtes de niveau infrieur de sous-genres, solution qui peutsembler tentante mais peu pratique car elle ncessiterait de rpertorier tousles genres premiers de faon exhaustive en valuant chaque forme tex-tuelle, travail sans fin. Par ailleurs, est-il possible de rapprocher ainsi,comme faisant partie dune mme famille, roman pistolaire et lettre com-merciale? Il peut tre utile de se poser la question de savoir quels sont lesparamtres dterminants ici, et de constater que nous considrons plutt lesupport mdiatique de textes potentiels (cf. supra, en 2.2.) Il peut tre utileici de rflchir sur cette question un peu de la mme manire quAdam lafait avec les prototypes textuels en considrant ces supports comme desprototypes de formes mdiatiques, avec certaines caractristiques rcur-rentes pour plusieurs genres concrets.

    4. Le genre: entre lecteur et contexte4.1 Limportance du contexte

    Il apparat difficile de dfinir les genres en eux-mmes; ils semblent tresurtout dtermins de lextrieur. Dans une approche pragmatique et com-municationnelle il va de soi que le contexte soit pris en considration dansune tude sur les genres de discours. Citons sur ce point Sperber & Wilson:Un locuteur qui veut produire un nonc pertinent a, de ce fait, deux ob-jectifs: il veut susciter un effet contextuel chez lauditeur et il veut minimi-ser leffort de traitement ncessaire pour obtenir cet effet.20 Ltude ducontexte, qui bien sr est prsent dans un discours, va nous permettredapporter des lments plus concrets au fonctionnement du texte dans uneperspective gnrique. Le genre qui a pour rle de lier discours et texte, derendre le texte acceptable car norm et interprtable par un public choisi, varenvoyer tout un ensemble de contextes lis lnonc, la situation et aulecteur.

    En dautres mots, plus un texte est contextualis plus il est simple comprendre et moins il demande un travail dinterprtation au lecteur etplus il est pertinent, daprs Sperber et Wilson. La lecture dun texte en-

    20 Dan Sperber, Deirdre Wilson: La Pertinence, communication et cognition. Paris:1989, 301.

  • 9trane chez le lecteur un travail de recherche dhypothses sur son sens, hy-pothses qui vont tre connectes au contexte adquat reprsentant lui-mme danciennes hypothses. Prcisons: le genre est cette entit thoriquequi runit lensemble des paramtres ncessaire la bonne lecture (recon-naissance) des textes. Le contexte permet de dcoder certains indices in-formateurs textuels et le texte lui-mme en retour dclenche certains in-formateurs du contexte. Le lecteur va organiser et interprter toutes les in-formations quil dtecte en prenant en main le document quil veut consul-ter, en utilisant toutes ses comptences cognitives, du monde et autres. Legenre, entit aux contours au dpart plutt vague, va tre reconnu et ac-tualis grce toute une srie de signaux textuels renvoyant desconnaissances contextuelles. Cet ensemble de signaux est bien sr exploitintuitivement, par habitude, par le lecteur, qui cherche avant tout com-prendre son texte rapidement et au moindre effort. Ces hypothses sontdailleurs de deux ordres, lis entre eux, qui permettent tout lecteur-auditeur de comprendre et dsambiguser un texte: il sagit de prdictionsdordre syntaxique et logique.21

    Une situation de communication, quelle quelle soit, dbouche normale-ment cest son but sur un vnement discursif o une certaine ralitverbale est prsente, discute entre interlocuteurs. Il y a change, oral oucrit, immdiat ou report. Lnonc qui en rsulte reprsente une certaineschmatisation de cet vnement. La notion de schmatisation se combineassez bien avec celles de prototype et de genre.

    Une schmatisation est une organisation de connaissances dont le locuteur prendconscience en mme temps quil les met en forme pour les communiquer. Plusquun objet cest un processus qui, dans un environnement dot de finalits,exerce une activit et voit sa structure interne voluer au fil du temps sans quilperde pourtant son identit unique.22

    De faon rapide, on pourrait dire que le genre runit toute une srie de tex-tes possibles qui se construisent partir dune mme famille de schmati-sations, qui sont uniques pour chaque texte et dont leur nombre est infini.Cette faon de voir de Grize rejoint finalement assez bien celle de Sperberet Wilson qui eux ont comme angle de vue non pas la notion de schma ouschmatisation mais de contexte.

    Ce terme gnral enveloppe plusieurs domaines dtudes. Il faudrait djcommencer par parler de contexte au pluriel car il existe plusieurs types de

    21 Sperber, Wilson: La Pertinence, communication et cognition, 306.22 Jean-Blaise Grize: Logique naturelle et communications. Paris: 1996, 144.

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    contexte. Sperber et Wilson, dans leur livre sur la pertinence quils dfinis-sent comme une relation entre une hypothse (une reprsentation) donneet un contexte donn,23 ont une approche diffrente du contexte de lappro-che linguistique classique. Ils focalisent sur la question de linterprtationpragmatique des noncs et du rle du contexte dans ce processus. Leurvision est dynamique et lie le contexte aux mmoires (courte, moyenne,longue) du lecteur-auditeur et aux hypothses effectues lors de la lecture,et de lectures antcdentes. Ce dispositif dductif va voluer au fil des lec-tures et avec lui le contexte. La lecture renvoie un contexte et une m-moire dinformations encyclopdiques diverses. Les lectures antrieuresfont partie du dispositif dinterprtation en mmoire du lecteur-auditeur.

    Le principe de pertinence vise expliquer la communication ostensivedans sa totalit, que cette communication soit explicite ou implicite,24 ladiffrence des principes de Grice qui cherche expliquer seulement lim-plicite. Leur rflexion les amne formuler de nouvelles propositions sur lerapport entre langue et communication en comparant deux modles: le mo-dle classique o communiquer cest encoder et dcoder des messages, etle modle infrentiel o communiquer cest produire et interprter des indi-ces. Sperber & Wilson proposent eux de marier les deux modles ce quidbouche sur cette proposition:

    On dira donc que la communication met en jeu la production dun certain stimulusavec:(1) Lintention informative: dinformer les destinataires de quelque chose;(2) Lintention communicative: dinformer les destinataires de cette intention in-

    formative.25

    Ce qui est trs intressant dans les propositions de Sperber et Wilson est lelien effectu entre les niveaux danalyse que sont dun ct la micro-linguistique avec la syntaxe et la smantique et de lautre la macro-linguistique avec la pragmatique (linguistique textuelle et analyse du dis-cours). On le sait la notion de contexte peut senvisager soit dune faonstrictement linguistique phrastique,26 du point de vue des syntagmes aux-quels un lment dun nonc peut appartenir, soit dun point de vue prag-matique discursif.

    23 Sperber, Wilson: La pertinence, communication et cognition, 215.24 Sperber, Wilson: La pertinence, communication et cognition, 244.25 Sperber, Wilson: La pertinence, communication et cognition, 51.26 Cf. Oswald Ducrot, Tzvetan Todorov: Dictionnaire encyclopdique des sciences dulangage. Paris: 1979, 417.

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    4.2 Pour une tude du genre en contexte

    Voici une proposition dnumration des contextes que lon peut rencontrerquand on essaye dapprhender un texte quel quil soit. Premirement, letexte que lon va consulter est plac dans un certain emballage. Il a besoinpour exister dtre prsent physiquement entre les couvertures dun livre:cest le contexte physique, mais que je choisirai dappeler support techni-que. Cette premire catgorie nest pas ngliger car elle vhicule le plussouvent un grand nombre dinformations. Ainsi, suivant les pages de cou-verture, on comprendra instantanment que la publication que nous tenonsdans nos mains est un roman ou au contraire un rapport annuel. Cette fonc-tion de contenant informant sur le contenu est fondamentale et fortementcommunicative. On parle souvent ici dans ce cas de mdium ou de supportmdiatique en thorie de la communication.

    Le contexte, ou plutt les contextes, ne sont pas des units objectives li-mites et structures, mais cest plutt tout un ensemble de possibilits, derenvois des rfrents, dunits de sens latentes et potentielles qui doiventtre actives par les acteurs de lchange verbal suivant leurs besoins et sa-voirs personnels. On parle aussi de contextes gnral et spcifique dans leprocessus de lecture et dinterprtation. Je propose trois niveaux diffrentspour une prsentation des phnomnes rfrentiels lis tout texte. Unpremier niveau, on la vu ci-dessus, extrieur au texte, un second marqulinguistiquement dans le texte avec des renvois rfrentiels externes et untroisime limit au niveau intratextuel.27

    Premier niveau extratextuel: environnement physique ou support technico-mdiatique du texte: cest-

    -dire crit vs oral, format papier/livre vs film/internet, etc.; pri-(con)texte (paratexte): les marges du texte, titre, sous-titre, incipit,

    rsum, avant-propos, chapeaux, etc.; cest toute une srie dinforma-tions lies de prs ou de loin au texte.

    Deuxime niveau ou contexte marqu dans le texte mme et rfrents ex-ternes au texte: explicites textuels des donnes, des rfrences; contexte culturel et

    connaissances gnrales:28 la culture et les connaissances quimpliquentle texte;

    27 A cette liste il faudrait y ajouter les relations contextuelles cres par les liens hyper-textuels des documents lectroniques consultables sur internet.28 Michael A. K. Halliday diffrencie le contexte situationnel du contexte culturel; ilpartage lenvironnement textuel en trois parties: champ (field) qui reprsente la situa-

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    contexte situationnel et communicatif: cest--dire lieu et temps, com-munaut discursive, action, but, objet, auteur et public;

    contexte intertextuel: liens, renvois et relations dautres textes et au-teurs;

    contexte nonciatif: qui parle qui, locuteur et allocutaire, etc.; contexte rfrentiel marqu ou connaissances spcifiques lies la th-

    matique: les renvois.

    Troisime niveau intratextuel marqu dans le texte: cotexte: les renvois textuels des donnes internes, rfrents intratex-

    tuels telles les anaphores, cataphores, et tout constituant priphriquedterminant.

    Toutes ces catgories sont actualises dans la ralit des textes suivant legenre. Si je considre titre dexemple le roman policier, on peut concrti-ser et dtailler pour ce genre chacune des catgories indiques, ce qui vadonner le tableau suivant:

    Genre ! roman policier

    Dtails " Variantes "

    Support Couvertures et pages de livre Films, CD, etc.

    Pritexte(paratexte)

    Tous les petits textes autour dutexte

    Avant-propos divers,prise en charge ou nondu texte par lauteur,29

    etc.

    Contexte culturel Pays, langue, poque, milieuxchoisis par lauteur

    Pass, prsent ouscience-fiction

    Contexte situationnel Lieux, acteurs, droulement Infinies (une ville, unele, un htel)

    tion, relation (tenor), ce sont les acteurs, medium (mode) le support langagier. Cf. Sys-tem and Function in Language: Selected Papers. London: 1976.29 Suivant les poques, les pays, il peut tre dangereux dtre lauteur de certains livres.Rappelons pour lanecdote quen France, aprs guerre, Boris Vian a tent dchapperaux procs en prsentant ses romans policiers scandale comme tant traduits delanglais et crits par un pseudonyme amricain Vernont Sullivan (Cf. le bruit qua faitJirai cracher sur vos tombes, ce qui a entran Vian a crire une fausse version anglaiseI will spite on your graves, comme preuve de son seul rle de traducteur).

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    Contexte intertextuel Degr doriginalit du roman:copie dun modle classique ounon, clins dils, parodie, etc.

    Renvois possibles multi-ples une littrature trsriche

    Contexte nonciatif Qui agit, parle avec et qui Le je (un homme,femme, lassassin, etc.)

    Contexte rfrentiel Tous les renvois externes autexte ncessaires la compr-hension

    Ex.: Diffrents types depolices en charge delenqute, diffrentssystmes juridiques

    Cotexte Anaphores, et divers rfrentsintratextuels

    Elments de la phrase etleurs rfrents inter-phrastiques

    Lexprience le montre bien que si on lit un bout de texte coup du reste dutexte et sans explication, hors de tout support, il sera le plus souvent assezdifficile de dcider avec justesse de son appartenance un genre prcis, moins que le fragment de texte ne contienne de nombreux signes gnri-ques. Ceci me porte croire que la dtermination du genre dun texte neseffectue normalement pas durant la lecture dtaille du texte, mais pluttau moment de sa prise en main et ds les premires lignes de celui-ci, cequi nest pas surprenant.

    5. ConclusionLe genre ne peut pas tre dtermin partir du texte seul, hors contexte,pas vu den bas dans une analyse ascendante, mais plutt vu den haut dansune vision descendante, partir des premires informations contextuellesdtectes. Il y a au premier contact avec le support textuel une premirehypothse sur le genre, que tout lecteur ne fera pas, bien-sr, et souvent pasde faon consciente, qui sera ensuite confirme ou infirme ds le dbut dela lecture. Un genre donc existe parce quexistent des textes mais surtoutparce quil est reconnu par des lecteurs qui choisissent ou non de lire teltexte plutt que tel autre une poque dtermine et par rapport un be-soin et un discours dtermin.

    Les diffrentes catgories contextuelles sont prendre en considra-tion lors de ltude dun genre. On peut esprer retrouver certains phno-mnes rcurrents qui permettront alors de dfinir plus prcisment le genreconsidr. Les formes linguistiques et toute schmatisation textuelle em-ploye dans la construction du matriau textuel ne sont pas dcisives niobligatoires, bien quindicatives, dans le processus de dcision du genre,

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    bien quil y ait sans aucun doute des usages strotypiques de certainesformes langagires, de schmas et lexique qui peuvent alors faire partie dece quAdam appelle le noyau normatif 30 du genre, noyau qui toujours ris-que dtre remis en question par les variations de lusage.

    30 Jean-Michel Adam: Types de textes ou genres de discours? Comment classer lestextes qui disent de et comment faire?. Paris: 2001, 1027 (16).