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BA4a Linguistique française Automne 2010 Analyse du discours Antoine Auchlin Travail de séminaire 31 janvier 2011 Julia KESZEI 5 rue Gardiol 1218 Grand Saconnex Tel.: 076.741.3730 E-mail : [email protected] [email protected] No. d’immatriculation : 09-327-033

Analyse du discours Antoine Auchlin Travail de … · BA4a Linguistique française Automne 2010 Analyse du discours Antoine Auchlin Travail de séminaire 31 janvier 2011 Julia KESZEI

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BA4a Linguistique française Automne 2010

Analyse du discours

Antoine Auchlin

Travail de séminaire

31 janvier 2011

Julia KESZEI

5 rue Gardiol

1218 Grand Saconnex

Tel.: 076.741.3730

E-mail : [email protected]

[email protected]

No. d’immatriculation : 09-327-033

M. le président, d'abord une chose, pour que tout soit claire. Les verts, et moi personnellement, nous

aimons la Hongrie.

J'ai pleuré en 1954 quand la Hongrie à perdu en coupe du monde. Ma première manifestation, ma

première manifestation ça a été à la main de mon frère, en '56, contre l'intervention soviétique à

Budapest.

Comme l'a dit Guy Verhofstadt, beaucoup d'intellectuels, beaucoup d'écrivains hongrois nous ont

accompagné politiquement, intellectuellement pendant des années.

J'étais du côté de Viktor Orbán quand il s'est battu contre les communistes à la fin des années 80, au

début des années 91.

J'étais du côté de Viktor Orbán quand il a demandé (à l..) au libéraux européens (de) d'expulser Haider

(de) du parti libéral européen.

Vous y avait (?) un Viktor Orbán qui pour moi était un homme politique, (qui) dont on devait respecter.

Aujourd'hui M. Orbán, vous êtes sur le chemin de devenir un Chavez européen, un national-populiste,

qui, justement, ne comprend pas l'essence et la structure, la structure de la démocratie.

Et je vais vous dire une chose très simple, M. Orbán, je vais vous dire une chose très simple :

l'information équilibrée n'existe pas.

Est-ce que vous croyez que M. Nixon trouvait l'information du Watergate équilibrée ? Evidemment

non.

Est-ce que vous croyez que M. Bush trouvait l'information sur Abu Ghraib équilibrée ? Bien sur que

non.

Est-ce que vous connaissez un des grands problèmes politiques, le pouvoir français sous Dreyfus, qui

trouvait, un pouvoir, une information équilibrée ?

Les recherches sur par exemple tous ce qui est la vie, la politique de M. Berlusconi, est-ce que vous

croyez qu'il trouve cette information équilibrée ? Bien sur que non.

L'information doit déranger la politique, et il nous dérange, et ça fait mal des fois.

Et c'est pour cela, M. Orbán, que votre loi, aujourd'hui, n'est pas une loi qui correspond aux valeurs de

l'Union Européenne.

De l'intervention en plénière du Parlement européen de Daniel Cohn-Bendit lors de la présentation du

programme de la présidence hongroise le 19 janvier 2011, au sujet de la loi hongroise sur les médias.

http://www.youtube.com/watch?v=9eLObE7EWro

(du début à 2:29)

Le fragment qui fait l'objet de cet analyse est le début de l'intervention en

plénière du Parlement européen de Daniel Cohn-Bendit lors de la

présentation du programme de la présidence hongroise le 19 janvier 2011,

qui, au lieu d'adresser ce programme, parle plutôt de la loi hongroise sur les

médias. Comme le suggère le cadre dans lequel il a été produit, c'est un

discours politique monologal, montrant de nombreuses propriétés typiques

de son genre. C'est un discours qui manifeste quelques caractéristiques de

l'oral (ex. auto-corrections – entres parenthèses dans la transcription), mais

qui est avant tout un discours construit (et non spontané), qui utilise les outils

de la rhétorique, et démontre une structure en accord avec sa propre logique

argumentative.

Puisque ce travail s'intéresse principalement à la structure du discours,

et que ce discours est très proche du style de l'écrit, la transcription se

contente de le reproduire utilisant plutôt les caractéristiques de la langue

écrite, essayant, par exemple, de monter l'intonation par la ponctuation.

Quant aux parties problématiques (« Vous y avait » et la phrase un peut

confuse au sujet de l'affaire Dreyfus), ils ne dérangent pas la compréhension

du passage, ni de sa structure, donc ils apparaissent sans modification dans

l'analyse hiérarchique de la page précédente, mais je proposerais une

reformulation (en accord avec l'analyse proposée) ci-après.

Quelques exemples de caractéristiques du discours politique sont

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facilement repérables dans ce fragment, comme les nombreuses adresses à

« M. le président » et « M. Orbán ». Ainsi que les nombreuses répétitions, qui

ont une fonction d'accentuation (ex. « ma première manifestation » et « la

structure, la structure de la démocratie ») ou qui permettent de mettre en

évidence des parallèles dans la structure du discours (ex. les « J'étais du côté

de Viktor Orbán... » et les variations sur « Est-ce que vous croyez que ...

trouvait cette information équilibrée ? »). L'utilisation des questions

rhétoriques, dont on a ici toute une série (les « Est-ce que vous croyez... »

mentionnés ci-dessus), est aussi typique des discours politiques. Le fait qu'il

sont, ici, suivi de la réponse présupposé par la question1, une négation

catégorique : « Evidemment non » ou encore « Bien sur que non », ne fait que

renforcer l'effet persuasive.

Pour une vue plus complète de la logique et des stratégies

argumentatives du discours en question, regardons-le ligne par ligne, d'acte

en acte. Premièrement, le fragment se compose de deux interventions (le

premier du début à l'AP « qui, justement, ne comprend pas l'essence et la

structure, la structure de la démocratie. », le deuxième de « Et je vais vous

dire une chose très simple, M. Orbán... », jusqu'à la fin de l'extrait. La relation

de ces deux interventions est difficile, voir impossible, à définir sans prendre

en considération le discours complet, ainsi je me contente ici de les traiter

séparément.

1 Voir Moeschler &Auchlin, p.147-148

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La première intervention commence par l'adresse « M. Le président »,

la formalité obligatoire dans ce genre de discours, suivi par une introduction

du sujet de l'intervention dont il ouvre : « d'abord une chose », la chose étant

le fait que « Les verts, et moi personnellement, nous aimons la Hongrie. »

Cette dernière intervention ce compose de l'acte principale « Les verts, [...]

nous aimons la Hongrie », interrompu par l'incision de l'acte subordonnée

« et moi personnellement », qui, en vue de l'énumération de preuves ou

d'exemples supportant cet déclaration (« J'ai pleuré... » et « Ma première... »,

sujet singulier en accord avec le sujet de l'AS), est peut-être même plus

important que l'acte principale qui l'entoure. Mais c'est le topique d'« aim[er]

la Hongrie » qui est soutenu par les actes et l'intervention qui suivent, et dans

l'intervention « Comme l'a dit... », c'est bien « nous » qui « ont [été]

accompagné », retournant possiblement au sujet pluriel « les verts » (ou, plus

probablement, ce « nous » est plus général, comprennent tous les européen, et

non seulement les verts).

La deuxième partie (l'ip sous I) de cette première intervention (I),

commence à vraiment aborder le sujet du discours : notamment la politique

de Viktor Orbán. D'abord (is sous ip sous I), il donne des exemples (les deux

AS commencent par « J'étais du côté... ») qui présentent Orbán comme « un

homme politique dont on devait respecter », comme il le formule dans l'acte

principale de cette intervention subordonnée. (Le « Vous y avait » de l'extrait

est probablement une mélange de Il y avait et Vous étiez ou encore une

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prononciation étrange de « Oui, il y avait » - aucune de ces possibilités ne

change la structure.) Cette intervention subordonnée est suivi de

l'intervention principale (ip sous ip sous I), qui, en revanche, présente Orbán

très négativement, mais utilisant une structure parallèle : deux exemples (AS),

puis la conclusion (AP), lui rendant la même valeur persuasive, malgré le fait

que dans l'intervention subordonnée (is sous ip sous I) les exemples étaient

prises de parmi les actions politiques d'Orbán, alors que dans l'intervention

principale (ip sous ip sous I), les exemples sont comparatives. Tout ce travail,

depuis l'adresse ouvrant le discours, pour pouvoir prononcer d'une façon

crédible l'acte principale de cette intervention (I) : que M. Orbán « ne

comprend pas l'essence et la structure [...] de la démocratie. » : cette première

intervention de notre fragment sert à introduire le sujet, à annoncé la thèse

que le discours se propose à soutenir.

La deuxième intervention (de « Et je vais vous dire... » à la fin du

fragment) aborde le sujet de la loi en question, la loi hongroise sur les médias,

notamment le fait qu'elle prescrit une « information équilibrée », comme

l'annonce l'AP de la première intervention (ip sous is sous is sous I). La

déclaration de cet AP, « l'information équilibrée n'existe pas », est une

déclaration forte, qui, selon les règles de l'argumentation, demande une

soutenance. Ici, cette soutenance apparait sous forme d'échanges

subordonnées : des questions rhétoriques, citant des exemples d'information

non-équilibrées, avec la réponse, négative, à ces mêmes questions

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(introduisant d'autres voix dans le discours). La structure simple et récurrente

(une liste d'Es confirmatifs, forme question rhétorique - réponse) de cette liste

d'exemples est interrompu par le troisième exemple : la phrase un peut

confuse « Est-ce que vous connaissez un des grands problèmes politiques, le

pouvoir français sous Dreyfus, qui trouvait, un pouvoir, une information

équilibrée ? ». Ici, « le pouvoir français sous Dreyfus » est évidemment un

exemple des « grands problèmes politiques », en forme d'AS incise dans l'AP,

mais la phrase sans l'incision reste problématique : « Est-ce que vous

connaissez un des grands problèmes politiques, [...] qui trouvait, un pouvoir,

une information équilibrée ? », mais puisque ce travail tente d'analyser un

discours et non de corriger des fautes de production, on se contentera de la

traiter telle qu'elle est, comme AP de cette intervention subordonnée (is sous

is sousis sous I), interrompu par un AS.

La phrase veut probablement exprimer une combinaison de Est-ce que

vous connaissez un des grands problèmes politiques où le pouvoir trouvait

l'information équilibrée ? et Est-ce que vous connaissez un pouvoir, qui, au sujet

d'un grand problème politique, trouvait l'information équilibrée ? qui, aggravé par

l'AS incisé, devient si compliqué que la confusion est tout à fait

compréhensible, surtout à l'oral. Il est intéressant de noter que dans l'Es

suivant cette phrase confuse, la forme de la question change par rapport aux

Es précédents l'incident, et il y a des hésitations dans la première partie, avant

que l'on arrive à « est-ce que... ». Ces signes montrent que le locuteur s'est

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bien rendu compte du fait que sa phrase est agrammatical, résultant en une

perte de sa face, et les hésitation, la variation dans la forme, sont, ici, des

symptômes de cette perte – que, d'ailleurs, Cohn-Bendit traite assez bien :

sont agitation est visible seulement pendant la moitié de l'intervention

suivant, il se remet presque immédiatement.

Cette première intervention subordonnée (is sous is sous I) prépare le

terrain pour la déclaration suivante, toujours sous le topique de

l'information : « L'information doit déranger la politique », l'AP de

l'intervention principale de même niveau (ip sous is sous I), avec, juste après,

la confirmation (AS), que cette déclaration reflète l'expérience (« et il nous

dérange »), puis une concession (AS), que ce n'est pas toujours agréable (« et

ça fait mal des fois »). C'est cette conclusion (AP de l'ip sous is sous I) de toute

l'intervention subordonnée (is sous I) qui permet de conclure l'intervention (I)

par la condamnation de la loi en question (AP sous I) : « Et c'est pour cela, M.

Orbán, que votre loi, aujourd'hui, n'est pas une loi qui correspond aux

valeurs de l'Union Européenne. », dont le « cela » évoque l'AP « L'information

doit déranger la politique », en opposition avec toute l'intervention

subordonnée (is sous is sous I) sur « l'information équilibrée ».

Les deux interventions analysées ici, malgré leurs structures interne

très différentes, démontrent une similarité frappante : après une introduction

et des arguments pour la soutenir, l'assertion principale (en forme d'acte

principale) est révélée tout à la fin de l'intervention - c'est une stratégie

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rhétorique aussi établi qu'efficace. Malgré le fait que je doute sérieusement

que Cohn-Bendit ait jamais lu la loi dont il parle, sa rhétorique est brillante et

persuasive, grâce (entre autres) à la structure démontré ci-dessus.

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Bibliographie

Cohn-Bendit, D. Intervention en plénière du Parlement européen lors de laprésentation du programme de la présidence hongroise le 19 janvier2011 (du début à 2:29).http://www.youtube.com/watch?v=9eLObE7EWro

Goffman E. (1974), Les rites d’interaction, Paris, Minuit. (chap 1 “Perdre la faceou faire bonne figure”).

Kerbrat-Orecchioni C. (2001), Les actes de langage dans le discours, Paris, Nathan(ch. 3).

Moeschler J. & Auchlin A. (2009 - 3ème éd.), Introduction à la linguistiquecontemporaine, Paris, A. Colin, chapitre14 (« Polyphonie »), et 20("Analyse du discours et de l'interaction" - ce chapitre ne peut pas êtrechoisi pour l'évaluation).

Roulet, E. (1999a), La description de l’organisation du discours. Des dialoguesoraux aux discours écrits, Paris, Didier. (chap.3)

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