Amour Et Justice Dans Le Chevalire Au Lion

Embed Size (px)

DESCRIPTION

curs

Citation preview

Abderrazak Halloumi, mmoire de matrise soutenu lUniversit de Poitiers en 1990.Texte intgralAMOUR ET JUSTICE DANS LE CHEVALIER AU LION DE CHRTIEN DE TROYES (Yvain )DE CHRTIEN DE TROYESMmoire pour la matrise de lettres modernes prsent par :ABDERRAZAK HALLOUMIsous la direction de :M.PIERRE GALLAIS ; matre de confrence l'universit de Poitiers.1989 - 1990 TABLE DES MATIERESINTRODUCTIONPREMIRE PARTIE : DU CONTE MERVEILLEUX AU ROMANA "Li PRIMERAINS VERS" DANS YVAIN : le sens de l'aventure et de l'amour fausss I- LE RCIT DE CALOGRENANT ET L'ANTICIPATION DE L'AVENTURE :II- L'AVENTURE D'YVAIN, une aventure fausse d'avance:III - UN AMOUR FAUSSE D'AVANCE ET LE PROBLME DU FAUX MARIAGE:B- LA CRISE DE L'AMOUR ET DU MARIAGE: LE CONFLIT ENTRE AMOUR ET ACTIONI - LE DEPART D' YVAIN ET LA NAISSANCE DE LA CRISEII- LA TRANSGRESSION DE L'INTERDIT ET LA PUNITION IMPOSEE PAR LAUDINE DEUXIEME PARTIE: LE REPENTIR ET LA REDEMPTION D'YVAIN OU LA CHEVALERIE AU SERVICE DE LA JUSTICE A - LA RECONQUETE DE LA RAISON ET DE LA LUCIDITEI - L'pisode de l'onguent magique:II- La rencontre avec le lion:B - YVAIN CHEVALIER DU DROIT ET DE LA JUSTICEC- YVAIN CHEVALIER CIVILISATEURI- LA COUTUME MALEFIQUE DU CHATEAU DE PESME AVENTUREII LE DUEL JUDICIAIRE OU LA COUTUME ARBITRAIRE DE L'ORDALIETROISIEME PARTIE:AMOUR, JUSTICE ET CHEVALERIE OU LE SENS DE L'INITIATION D'YVAINA- LA RECOMPENSE D'YVAIN: LE PARDON DE LAUDINE.1- Le retour d'Yvain la fontaine:2 - La pes sanz f i n"B- LE CHEVALIER AU LION : LE RECIT D'UNE INITIATION ?CONCLUSIONBIBLIOGRAPHIEI - Textes:A- En Ancien Franais: Editions critiquesB - Traductions en Franais moderne II - Ouvrages et Etudes gnraux III - Ouvrages consacrs au CHEVALIER AU LION et Chrtien de Troyes:IV- MEMOIRES DE MAITRISE:V- Articles consacrs la littrature franaise mdivaleNOTES Retour en haut INTRODUCTIONNous assistons, au XII me sicle, un veil esthtique de l'Europe occidentale : le monde des arts bouge et se transforme. La "renaissance" touche tous les niveaux: la socit s'panouit, les murs se policent. L'accroissement de la richesse et du loisir, ainsi que de la culture laque, le progrs de la vie urbaine, le dveloppement des universits, l'exaltation de la femme dans la religion et dans la chevalerie, tous ces lments vont donner une impulsion au monde des arts. "Fermentation de toutes ces choses, bourgeonnement un peu dsordonn, audace cratrice", tels sont les termes qu'emploie Georges Duby dans son Histoire de la civilisation franaise (p.75) pour dfinir le XIIme sicle franais, le "sicle du grand progrs". [1]C'est de cette socit en pleine mutation que va surgir toute une littrature courtoise, en langue vernaculaire, encourage par de grands mcnes telles que Alinor d'Aquitaine et sa fille Marie de Champagne. Des clercs frquentent tes cours clbres d'Angleterre et de Champagne, vritables foyers artistiques, et composent des uvres qui vont marquer le " sigle". Et parmi eux se trouve Chrtien de Troyes dont l'uvre magnifique va dpasser de loin celle de ses contemporains et va marquer l'histoire du roman en tant que genre littraire- Ce n'est pas sans raison que les critiques le prsentent comme tant le "clerc" qui a donn ses lettres de noblesse au roman arthurien. Chrtien de Troyes ne conoit pas son uvre comme un simple divertissement: elle doit enseigner et duquer. Chacun de ses romans illustre une thse et semble rpondre aux besoins et aux interrogations de son public: Erec et Enide, le premier roman de Chrtien, par exemple, prouve que la valeur chevaleresque ne doit pas tre sacrifie la scurit du bonheur au foyer, car l'amour ne peut pas subsister sans l'admiration. Quant Cligs dont le sujet rappelle Tristan, soutient que le vritable amour ne peut s'panouir que dans les liens sacrs du mariage. Dans le Chevalier au lion, Chrtien aborde encore une fois le problme de l'amour, du mariage et de la chevalerie. La lecture de ce roman fait resurgir de nombreuses questions, questions qu'auraient pu se poser de jeunes chevaliers contemporains du matre champenois: le service de l'idal chevaleresque doit-il passer avant le service de la femme aime ? Le chevalier doit-il se dfier de l'amour qui lui fait oublier prouesse et gloire? Ou bien faut-il absolument servir la dame aime et n'accomplir de prouesse que dans ce service d'amour? Serait-il possible de concilier les devoirs d'un chevalier envers sa dame et envers la chevalerie? L'histoire Yvain va dvelopper toutes ces interrogations. C'est peut-tre cela qui a conduit certains critiques voir en Yvain le roman d'Erec rebours. Pourtant, dans le Chevalier au lion, l'amour, thme favori des romans courtois est relgu au second plan: il va servir de toile de fond la "conjointure" du roman- En effet, ce qui va intresser Chrtien avant tout c'est le problme de la justice: il va montrer, travers l'exemple de son hros, que la chevalerie se doit d'tre au service de la communaut: la fin du roman, Yvain va atteindre la dimension de hros civilisateur, non pas pour ses actions en faveur de l'amour (comme Erec) mais pour ses ,"travaux" en faveur de la justice.Les deux thmes, celui de la justice et celui de l'amour, se ctoient dans notre roman; s'interpntre se compltent: dans cette tude nous allons essayer de voir comment au dbut du roman, 1'aventure et 1e mariage du hros dbouchent sur une impasse car sa tentative tait fonde sur une injustice et comment par la suite sa qute du droit et de la justice le mettent sur la voie de la sagesse et du vritable amour- En quelque sorte nous essaierons de suivre le processus d'individuation d'Yvain et l'laboration de son Moi travers ses diffrentes prgrinations . Retour en haut PREMIRE PARTIE :DU CONTE MERVEILLEUX AU ROMANLe chevalier au lion est considr par de nombreux critiques comme le roman de Chrtien de Troyes le mieux labor, le mieux construit. Avec Erec et Enide, il prsente diffrents points communs au niveau du plan et de la structure et, dans une moindre mesure, au niveau de la "matire" et du "san". "De l'un l'autre le- paralllisme est frappant." [2] Jean Frappier dans son Etude sur Yvain[3] souligne que les deux romans de Chrtien (le premier et le troisime) ont presque une structure analogue et s'articulent, dans les deux cas, en trois parties. D'abord une longue exposition qui occupe le tiers du roman (dans Yvain, du vers 1 au vers 2476 de l'dition Roques.) Puis une crise qui fait rebondir l'action et qui constitue le nud de l'intrigue. Enfin, un troisime partie (la partie la plus longue du roman : dans Yvain du vers 2795 au vers 6808) o le hros tente de reconqurir son bonheur : Erec, par ses actions, montre Enide et au reste du monde qu'il n'est pas " recrant", quant Yvain, par sa prouesse et sa droiture, il va essayer d'obtenir le pardon de Laudine. La construction des romans de Chrtien est trs solide, leur structure est trs cohrente. En effet "Chrtien de Troyes concevait le roman comme un ensemble organis, il attribuait la "conjointure" une valeur fonctionnelle; destine qu'elle tait dans sa pense non seulement clairer, mais encore soutenir le sens de l'uvre."[4] Il crit dans le prologue d'Erec et Enide[5] :" Por ce dist Crestien de Troies 9que reisons est que totevoies doit chascun panser et antandre a bien dire et a bien aprandre; et tret d'un conte d'avanture une molt bele conjointure, par qu'an puet prover et savoir qui s'escsence n'abondonetant con Dex la grasce l'an done". 18Ainsi, Chrtien de Troyes a pris soin d'laborer un roman bien structur, un roman dont l'intrigue est trs cohrente Dans un premier temps nous allons essayer d'analyser le fonctionnement de la premire partie d'Yvain en mettant l'accent sur la manire qui fait que le Chevalier au lion passe du conte merveilleux ("un conte bleu", comme Frappier appelait la premire squence d'Erec et Enide) au vritable roman.En d'autres termes, nous allons essayer de voir comment le roman de Chrtien de Troyes commence comme un conte merveilleux, o nous retrouvons les fonctions dgages par Vladimir Propp dans son tude sur le conte populaire,[6] pour se mtamorphoser en un roman au sens plein du terme. Mais il faut remarquer que dans cette premire squence du Chevalier au lion (nous nous rfrons au dcoupage effectu par P. Gallais[7] nous sommes dans ce que Gremas appelle "le contenu invers"[8] ; c'est dire que tous les lments, toutes les valeurs sont inverses- Yvain, dans cette premire squence est plutt le "champion" de l'injustice que de la justice. Tous ces lments, nous allons essayer de les examiner plus en dtail dans la premire partie que nous avons intitul :"Du conte merveilleux au roman"- Dans un premier moment nous tudierons le sens de "l'aventure et de l'amour" fauss dans "Li primerains vers" d'Yvain. Dans une seconde partie, nous parlerons de la crise de l'amour et du mariage; c'est dire du conflit entre Amour et Action. Cependant l'injustice initiale qui a motiv l'aventure d'Yvain est l'origine de tous les problmes : pseudo-amour, faux mariage. A "Li PRIMERAINS VERS" DANS YVAIN : le sens de l'aventure et de l'amour fausss :I- LE RCIT DE CALOGRENANT ET L'ANTICIPATION DE L'AVENTURE : Le roman de Chrtien de Troyes dbute par l'vocation de la cour d'Arthur un jour de Pentecte. Dans cette cour lgendaire tout le monde clbre cette grande fte religieuse. Mais, exceptionnellement, le roi Arthur et la reine Guenivre se retirent dans leur chambre ds la fin du repas. Tout le monde s'tonne du retrait du roi. En effet, habituellement, Arthur, les jours de grandes ftes, demeure avec ses chevaliers. Dans le Chevalier de la charrette (Lancelot)[9] Chrtien prcise : "Et dit qu'a une Ascension 30li roi Artus cort tenue ot, riche et bele tant con lui plot si riche com a roi estut.Aprs mangier ne se remut Li rois d'antre ses compaignons". 35Pourquoi Chrtien prouve-t-il le besoin d'insister ? Est-il extraordinaire que le roi demeure avec ses invits aprs la fin du repas? Cette prcision ne prend pleinement son sens que par rapport au Chevalier au lion, roman rdig la mme poque que Lancelot. C'est une allusion directe l'pisode initial d'Yvain o il est galement question de la fin d'un repas, un jour de grande fte :"Mes cel jor molt se merveillierent 42del roi qui enois se leva, si ot de tex cui malt greva et qui molt grant parole an firent par ce que onques mes nel virent a si grant feste an chanbre antrer por dormir ne por reposer; mes cel jor ensi li avint que la rene le detint, si demora tant delez li qu'il s'oblia et endormi". 52Ds le dbut du roman, c'est dire juste aprs le prologue officiel[10] (ou plus exactement le pseudo-prologue), Chrtien insiste sur le fait que le comportement du roi Arthur tait inhabituel en ce jour de Pentecte. Cette insistance peut induire le 1ecteur penser que quelque chose d'anormal, d'extraordinaire va se produire. Effectivement cette sieste d'Arthur va tre l'origine d'une querelle entre le snchal Keu et Calogrenant. P. Gallais a voqu, dans un de ses articles[11], les consquences de ce sommeil inhabituel du roi :"Comme Dieu, Arthur maintient le monde dans l'existence. Toute action semble se passer en dehors de lui, mais sans lui elle est impossible : c'est de sa cour que tout procde, c'est elle qu'affluent les dons et qu'ils en dcoulent, elle qu'arrivent toutes les demandes et d'elle que partent les champions lus pour toutes les nobles causes. On pourrait croire que s'il n'tait pas l, tout le circuit continuerait fonctionner: rien de plus faux. Qu'Arthur se cache un instant, qu'il prolonge un moment sa sieste une aprs-midi de Pentecte, et voil que la dispute clate entre les chevaliers de la table ronde." Le snchal Keu "qui molt fu ranponeus,/ fel et poignanz et venimeus" [12]est le principal instigateur de cette dispute. C'est lui qui par ses sarcasmes a provoqu Calogrenant, "uns chevaliers molt avenanz", et a manqu de respect envers la reine Genivre. C' est dans cet univers que commence le roman d'Yvain. Cette prsentation de la cour montre d'emble le climat dans lequel l'Aventure tente par Yvain va voir le jour.Mais revenons au rcit de Calogrenant : alors qu'Arthur et Guenivre se sont retirs dans la "Chanbre" ; des Chevaliers d'Arthur devisent entre eux- Ils coutent Calogrenant raconter pour la premire fois son aventure ou plutt sa msaventure. Il faut remarquer que le lecteur n'a aucune ide sur le contenu de l'histoire raconte : le seul dtail connu, c'est que l'aventure tente par Calogrenant n'a pas t la cause de son honneur mais, au contraire, de sa honte. Pour en savoir un peu plus les auditeurs de Chrtien de Troyes devront attendre que la reine Guenivre se joigne aux chevaliers : c'est sur la demande de la reine (qui use de son autorit) que Calogrenant accepte de recommencer son rcit dont il va cette fois nous donner toute la teneur- Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, Calogrenant, dans une sorte de prologue[13], exhorte ses auditeurs faire attention ce qu'il va dire : "Cuers et oroilles m'aportez, 150car parole est tote perdue s'ele n'est de cuer entandue 152(.) Et qui or me voldra entandre 169Cuer et oroilles me doit randre, Car je vuel pas parler de songe Ne de fable, ne de manonge" 172Calogrenant ne demande pas qu'on l'coute mais qu'on l'entende. (Le verbe "entendre" en ancien franais a une valeur plus forte qu'en franais moderne- " entendre" provient du latin intendere, qui a pour sens "tendre vers; d'o "tre attentif " et c'est le sens que nous retrouverons dans l'ancienne langue.)[14] D'emble, dans ce passage didactique sur le thme "les oroilles et le cuer", le narrateur (Calogrenant) invite son auditoire le comprendre[15] : ce qu'il va raconter n'est ni un songe, ni une fable, moins encore un mensonge. Calogrenant ne va retracer que la vrit, toute la vrit et rien que la vrit : c'est dire qu'il va parler d'vnements "rels" dont il a t le tmoin, voire 1'acteur principal. Et par cette insistance sur "entendre" Calogrenant (Chrtien) invite ses auditeurs chercher le " sens" de cette aventure. Aprs cette prparation de son auditoire, Calogrenant entreprend de raconter effectivement sa msaventure : (vers 172 580) Sept ans plus tt, Calogrenant, jeune chevalier, frachement adoub tait parti seul "qurant aventures" dans la fort de Brocliande. Un jour au sortir de cette fort, il avait t accueilli dans la "bretesche" d'un vavasseur trs hospitalier [16]; Calogrenant avait pass la soire avec la fille du vavasseur accueillant dans "le plus joli pr du monde. Aprs le souper et la demande de son hte, notre chevalier avait promis de repasser par son manoir- Le lendemain, dans un essart, il avait rencontr un gant immense et fort laid, gardien de taureaux sauvages. Sur ses indications, Calogrenant s'tait dirig vers la fontaine sous le pin : une fontaine merveilleuse qui "bouillonne bien qu'elle soit plus froide que marbre". Bien qu'averti des consquences terribles qui devaient en rsulter, Calogrenant transgresse 1'interdit (en jetant de 1'eau de la fontaine sur le perron) et provoque une tempte effroyable- Une fois l'orage apais, il a vu le pin qui protge la fontaine se couvrir d'oiseaux qui chantent harmonieusement- Calogrenant s'abandonne au charme de cette musique, lorsque le chevalier dfenseur de la fontaine arrive sur lui avec un grand bruit, l'accusant d'avoir, en dchanant la tempte, saccag sa fort et Ebranl son chteau sans raisons videntes: "et dist: "Vassax, molt m'avez fet, 491sans desfance, honte et let. Desfer me dessiez vos, Se il est reison an vos, Ou au moins droiture requerre, Einz que vos me metissiez guerre". 496 Calogrenant tait videmment dans son tort : par son action, i1 a saccag le domaine de la fontaine, et le dfenseur de la fontaine, qui est dans son droit ("Plaindre se doit qui est batuz / et je me plaing, si ai reison : vers 502-503), a dcid de chtier 1 e profanateur. Les deux chevaliers s'affrontent en combat singulier. Calogrenant a le dessous. Le dfenseur de la fontaine repart en emmenant son cheval. Du et humili, Calogrenant est reparti de son ct en abandonnant son armure. L'aventure tente par Calogrenant a donc fini bien piteusement. Notre chevalier clt son rcit en disant : "Ainsi allai-je, ainsi revins-je ; au retour, je me tins pour un cervel. Voil mon histoire : j'ai eu la sottise de vous la conter, ce que jamais encore je n'avais voulu faire."[17] En tentant l'aventure de la fontaine magique, Calogrenant voulait mettre 1'preuve sa "proesce" et son "hardemant". Pour lui, "Avanture" ne met en jeu que la force, le courage et la vigueur physique. "I1 est le reprsentant type d'une chevalerie dsoeuvre, en qute de ralisation personnelle."[18] Notre malheureux narrateur n'a pourtant, mme sept ans plus tard, pas compris le sens profond de l'aventure qu'il a tente. "Calogrenant () rapporte, sans apparemment en avoir peru le sens, une aventure ( ) dans laquelle il a chou" .[19] "Prcurseur malheureux, mais informateur fidle"[20] . Calogrenant a le mrite de mettre la cour au courant de l'existence de la merveille- Mais pourquoi a-t-il mis si longtemps avant de dvoiler son secret? Selon Begoa Aguiriano[21], et cela n'est qu'une hypothse parmi d'autres, " pendant sept ans le silence a t ncessaire, et mme obligatoire, mais maintenant c'est le moment propice re-,initier l'exprience dans laquelle un autre hros prendra la relve et s'acheminera vers sa propre rnovation."Le rcit de Calogrenant va anticiper la fois sur l'Aventure et sur les vnements du roman: par ce procd, Chrtien de Troyes fait 1'conomie de la description du chemin suivi par Yvain pour atteindre la fontaine magique- Il ne s'attarde pas sur des vnements dj raconts- Il se contentera d'voquer le voyage d'Yvain - depuis la cour d'Arthur jusqu' la fontaine merveilleuse - seulement en 51 vers (vers 760 810). Que que il parlait ensi 649 Li rois fors de la chambre issi (------------------------) et la rene maintenant les noveles Calogrenant li reconta tot mot a mot que bien et bel conter li sot. 660 Ces "noveles Calogrenant", outre leur fonction d'anticipation, suscitent des ractions diffrentes: alors qu' Yvain dclare qu'il s'en ira, tout seul, "venger la honte" de son cousin, Arthur merveill par l'histoire rapporte par Guenivre, dclare de son ct qu'avant quinze jours, il ira "veoir" la fontaine magique et "la tempeste et la merveille" (vers 665-667), accompagn de tout ceux qui le voudront- La dcision d'Arthur enchante toute l'assemble, part Yvain qui craint que la gloire de 1'Aventure ne lui soit confisque au profit de Keu ou de Gauvain. C'est pour cette raison qu'il se rsout courir tout seul l'aventure - Et c'est la drobe qu'il s'en va avant tous les autres.Ainsi s'achve cette longue exposition constitue principalement par le rcit rtrospectif qui a pour but de prsenter dans sa totalit l'aventure de la fontaine ; et cela avant mme que le hros du roman (Yvain) ne se mette en route.II- L'AVENTURE D'YVAIN, une aventure fausse d'avance:Par ses informations, Calogrenant a suscit l'merveillement et excit le dsir, aussi bien d'Yvain que de la cour d'Arthur. Yvain ne court l'aventure de la fontaine que parce qu'elle lui a t dvoile par Calogrenant- Contrairement Lancelot qui n'est m que par son amour lorsqu'il part dlivrer la reine Guenivre des griffes de Mlagant, Yvain, selon l'expression de Ren Girard, est pleinement mdiatise par les paroles de son cousin. P. Gallais a dfini ce processus "Par mdiatisation, j'entends, la suite de Ren Girard, plutt qu' celle de Lucien Goldmann, cette propension que l'homme a peu peu acquise et renforce, interposer quelque chose Ou quelqu'un entre soi-mme et l'objet qu'il dsire." [22] Yvain va l o on lui dit qu'il pourrait trouver l'Aventure. Il ne fait que suivre les traces de Calogrenant, ne cessant de se remmorer. les descriptions dj faites par son cousin. Yvain n'a rien dcouvrir. En rsum, il ne fait qu'imiter son cousin : la tentative d'Yvain ne peut plus tre place sous le signe du hasard, mais plutt sous le signe du connu, du "dj vu". A ce propos, Jean Frappier crit : "L'aventure est jalonne par les pisodes que nous connaissons dj : l'accueil parfait de l'hte et de sa fille, la rencontre des taureaux sauvages et de leur monstrueux gardien, 1'arrive la fontaine magique"[23] D'emble, l'aventure tente par Yvain semble comme "dsarmorce" puisqu'il n'y a rien dcouvrir. L'aventure de la fontaine est fausse ds le dpart. Cette "perversion initiale" peut nous induire penser que, pour Yvain. Il ne s'agit pas d'une vritable aventure puisqu'elle lui est raconte avant qu'il ne la tente. Cette anticipation de 1'aventure fait problme: nous sommes bien en plein "contenu invers" car jamais une aventure n'est raconte avant d'tre tente. En effet l'aventure est toujours place sous le signe du hasard, du destin- De plus, dans l'aventure, nous trouvons toujours cette dimension du mystre de l'inconnu et de l'impr6vu: par exemple, Erec, dans Erec et Enide, en poursuivant les provocateurs de la reine Guenivre, n'avait aucune ide sur l'endroit o il allait. 11 n'tait m que par la volont de chtier un chevalier qui a fait outrage la reine. Il ne savait pas que ses pas le mneraient conqurir la plus belle femme du monde tout en vengeant l'offense faite la reine. De mme, Lanval, le hros du Lai de Marie de France [24], oubli par lie roi Arthur lors de la distribution des " femmes e teres" (vers 16), en Sortant un jour de la ville pour se changer les ides, ne savait pas qu'il rencontrerait une fe qui lui octroierait et amour et richesse:S' amur e sun cors li otreie. 133 Are est Lanval en dreite veie! Un dun 1i ad dun aprs: Ja cele rien ne vudra mes Que il nen ait a sun talent ; Doinst e despende largement, Ele li troverat asez. Mut est Lanval bien assenez : Cum plus despendra richement, E plus avra or e argent ! 142Lanval a t lu parmi tous les mortels pour jouir de l'amour de la fe qui a quitt sa tere (vers 111) spcialement pour lui : lui seul ; pourra la voir et la rencontrer tout moment et n'importe quel endroit car aucun autre homme ne pourra la voir ni entendre sa voix (vers 165 170). En quittant la cour d'Arthur, sans but bien dfini, il rencontre l'Aventure (au sens de "ce qui doit arriver") qui lui fait connatre son destin et qui va dfinitivement changer le cours de sa vie. Peut-on mettre sur un pied d'galit l'aventure tente par Yvain et celles tentes par Erec et Lanval ? Peut-on parler d'aventure authentique en ce qui concerne Yvain ? Il est ds lors vident que la vritable aventure d'Yvain ne commencera que l o prenait fin celle de Calogrenant : partir du moment o - si les choses se passent comme il l'espre - il sera vainqueur du dfenseur de la fontaine. Tout ce qui peut suivre cette victoire espre est absolument inconnu et Yvain ne s'y est nullement prpar. Ainsi, l'aventure "vritable" commence pour Yvain L o il pensait qu'elle allait s'achever : en poursuivant Esclados Le Roux, le dfenseur du domaine de la fontaine, aprs l'avoir gravement bless, Yvain ne s'attendait pas tre pris au pige, ni tomber amoureux de Laudine, la dame de la fontaine. Yvain ne croyait pas que l'aventure allait prendre un autre tournant. Yvain considre l'aventure de la fontaine comme une simple distraction, un simple divertissement. La fontaine perd une partie de son caractre merveilleux, pour se transformer en une sorte d'aventure banalise ; comparable un simple tournoi o l'on prouve sa capacit manier les armes. Pas davantage que Calogrenant Yvain ne semble pas percevoir le sens profond de l'aventure qu'il tente. L'aventure de la fontaine perd tout son caractre mystrieux. "Tous les indices de l'aventure, le merveilleux, l'insolite, marques de la fort aventureuse, sont rduits, banaliss"[25] pour laisser place une sorte de circuit touristique o tout est prpar d'avance. Yvain n'a pas le temps d'admirer les paysages tellement il est hant par le dsir d'atteindre le plus rapidement possible la fontaine magique, quels que soient les obstacles et les "divertissements" qu'il rencontre : Qui que le doie conparer, 772Ne finera tant qu'il voie Le pin qui la fontaine onbroie, Et le perron et la tormante Qui grausle, et pluet, et tone, et vante. 776 Yvain se fixe un but et il faut qu'il l'atteigne cote que cote. Rien ne pourrait le dtourner de son objectif ; rien ne pourrait le retarder- Mme devant le spectacle merveilleux qu'offre le vilain gardien des taureaux sauvages, Yvain, contrairement Calogrenant, ne pose pas de questions au gant pour savoir s'i1 est " boene chose ou non". Il se contente de se signer plus de cent fois devant la laideur du vilain- Yvain reprend son chemin sans perdre un instant : Puis erra jusqu' la fontaine, 800 Si vit quan qu'il volait veoir. Sans arestez et sans seoir Versa sor le perron de plain De l'eve le bacin tot plain. 804P. Gallais, dans son article "Yvain" et la logique hexagonale de l'imaginaire[26], commente l'attitude d'Yvain : "Il nous fait penser ces touristes qui ne relvent les yeux de leur guide que pour saisir leur appareil photographique, ou ne dcollent de leur sige que pour se ruer au muse ou au cabaret signals en grosses lettres ". Tout ce qui compte pour Yvain, c'est provoquer la tempte pour attirer le dfenseur de la fontaine et le vaincre. Cet empressement d'Yvain peut nous faire penser, dans une moindre mesure, l'attitude de Lancelot quand il part la recherche de la reine Guenivre. Tout au long de la premire partie du Chevalier de la Charrette, Chrtien nous montre un Lancelot qui ne pense qu' dlivrer sa "dame la rene". Lancelot "crve" son cheval pour arriver temps sauver la reine des griffes de Mlagant. Chrtien crit :[27] Bien loing devant tote la rote 268Mes sires Gauvains chevalchoit ; Ne tarda gaires quant il voit Venir un chevaliers le pas Sor un cheval duillant et las Apantoisant et tress. 273En effet, ds qu'il a appris la nouvelle (on ne sait pas de quelle faon) Lancelot accourt pour sauver sa dame. Il se lance directement dans la qute sans se soucier de son tat ni de sa fatigue. Aucun obstacle ne peut l'empcher de continuer son chemin, rien ne peut le divertir- Lancelot va au bout de ses forces, refuse de se reposer. Il prend juste te temps de changer de monture avant de s'lancer nouveau : Einz monta tantost sor celui 293 Que il trova plus pres de lui (..) Li chevaliers sonz nul arest S'en vet armez par la forest 300 Lancelot ne pense qu' une chose: rattraper le provocateur Mlagant qui a emmen la rene Soucieux d'accomplir sa "mission". Lancelot en vient perdre la notion de la ralit. Tout entier ses penses, il ne sait s'il existe ou s'il n'existe pas. Seul, l'amour guide ses pas, Il ne pense qu' la reine. Il est prserv des tentations par 1a grce de l'amour et la pense de sa dame: Et cil de la charette panse 711 Con cil qui force ne deffanse N'a vers Amors qui le justice; Et ses pansers est de tei guise Que lui mesmes en oblie,Ne set s'il est, ou s'il n'est mie, Ne ne 1i manbre de son non, Ne set s' il est armz ou non, Ne set ou va, ne set don vient; De rien nule ne li sovient Fors d'une seule, et par celi A mis les autres en obli, A cela seule panse tantQu'il n'ot, ne voit, ne rien n'antant 724Lancelot s'engage fond dans sa qute: sa cause est juste car il va la fois dlivrer sa dame et chtier un insolent provocateur (Mlagant) qui a fait Outrage au royaume de Logres en lui enlevant sa reine.Si Lancelot part la recherche de la reine, c'est pour rtablir la justice. Mais peut-on dire la mme chose pour Yvain quand il tente 1'aventure de 1a fontaine ? Contrairement Lancelot, Yvain ne s'engage dans 1'aventure que pour montrer la cour qu'il est un chevalier accompli et qu'il va russir l o Calogrenant a chou. Aller venger son cousin n'est qu'un prtexte pour quitter cette cour qui s'endort, qui stagne. Yvain prouve le besoin "d'chapper la vie monotone de "courtisan" pour parcourir le monde et se couvrir de gloire"[28] Il obit cette rgle qui dit que tout chevalier se doit de chercher 1'aventure qui rehaussera son "pris".Mais Yvain semble Confondre aventure et simple rglement de compte: il veut venger son cousin qui a t "honni" sept ans plutt ! Le prtexte d'Yvain manque de justesse car Calogrenant a mrit son chtiment: Calogrenant tait dans son tort. Il a saccag en provoquant la tempte, tout le domaine de la fontaine. Sa punition a t bien douce par rapport au mfait qu'il a commis et le dfenseur de la fontaine a t gnreux en lui laissant la vie sauve. (Il ne faut pas oublier. Que depuis que la coutume de la fontaine t instaure, (c'est dire depuis 60 ans, Calogrenant est le premier chevalier revenir vivant) . Le prtexte d'Yvain est fallacieux d'autant. plus que Calogrenant, en racontant son aventure n'attendait nullement qu'on aille le venger.La dcision de tenter cette aventure est surtout influence par la cour. D'Arthur: Yvain veut prouver au snchal Keu qu'il est capable d'affronter et de vaincre le terrible dfenseur de la fontaine. C'est pour cette raison qu'Yvain, aprs avoir tu Esclados Le Roux, est trs anxieux, car les gens du domaine enterrent la dpouille de leur matre, seule preuve qu'Yvain a remport la victoire :A tant s' en part et cil remaint 1343qui ne set an quel se demaint que del cors qu'il voit qu'an enfuet li poise, quant avoir n'en puet aucune chose qu'il an port tesmoing qu'il l'a ocis et mort; s'il n'en a tesmoing et garant que mostrer puisse a parlemant, donc iert il honiz en travers, tant est kex, et fel, et pervers, plains de rampones et d'enui, qu' il ne garra ja mes a lui, einz l'ira formant afeitant et gas et rampones gitant, aussi con il fist l'autre jor. 1357 L'aventure tente par Yvain se rduit ainsi une simple rponse des provocations: piqu dans son amour-propre par les sarcasmes de Keu, Yvain ne pense, mme au fin fond de sa prison (la chambre o Lunete l'a cach) qu' trouver un moyen de prouver sa victoire. Heureusement, devenu le nouveau dfenseur de la fontaine, Yvain assouvit sa vengeance, lors d'un combat singulier, en faisant faire la torneboele Keu. "Au fond, comme 1'crit P. Gallais, Yvain ne cherche que l'aventure. Du moins, l'exploit, la performance".[29] Comme son cousin Calogrenant, Yvain ne veut prouver que sa proesce et son hardemant. Son combat contre Esclados, le dfenseur de la fontaine, ne semble nullement motiv par un dsir de rtablir la justice. Le combat contre Esclados est mme injuste: Yvain est pleinement dans son tort. Sans raisons valables, sans motivations justes, et par un acte dmesur, il dchane une tempte effroyable, pour faire sortir Esclados de sa tanire. Yvain, comme un fauve, traque sa proie et la blesse mort: non satisfait de sa victoire, il dcide de poursuivre le dfenseur de la fontaine pour l'achever afin d'exhiber sa dpouille comme un trophe. Dnu de piti, il s'acharne injustement contre Esclados Le Roux qui ne fait qu'exercer un droit lgitime en dfendant la fontaine. Esclados n'a rien d'un agresseur ni d'un provocateur: ce n'est pas lui qui a t la cour d'Arthur chercher querelle. Ce sont les gens de la cour qui l'agressent en transgressant l'interdit de la fontaine. Esclados a le droit de se dfendre et il a raison car Yvain a saccag son domaine. Il faut se rappeler ici les propos du dfenseur de la fontaine quand il s'est adress Calogrenant (vers 491 516): Esclados parle de reison, droiture, car s'il doit chtier le provocateur (en lui faisant rebrousser chemin) ce n'est que justice. De plus, malgr les dommages causs son domaine, le dfenseur de la fontaine se contente de se plaindre (vers 503)[30] et laisse la vie sauve son adversaire, alors qu'il avait le moyen de l'achever. Yvain dans la situation initiale du roman ne montre gure qu'il est un parfait chevalier, preux et courtois. C'est un provocateur et un agresseur- Son acte est doublement criminel: il saccage le domaine de la fontaine et assassine son dfenseur. Yvain n'est pas sans dfaut: il est prsomptueux, emport. Il n'a pas le sens de la mesure: nous sommes loin du chevalier' juste et gnreux qu'il sera la fin du roman . Nous sommes en plein "contenu invers" car Yvain n'a pas le sens de la justice et se comporte comme un vil meurtrier. Pour le moment, Yvain peut tre considr comme le champion de l'injustice. L'aventure tente par Yvain qui est dj pervertie d'avance se clt par un meurtre. Mme sa victoire sur Esclados ne peut pas tre considre pleinement comme une victoire- Yvain a confondu Aventure et fait d'armes et il devra payer cher cette erreur. Son expiation de toutes ses fautes sera longue et difficile avant d'atteindre la sagesse, la mesure et surtout la justice. Dans ce dbut de roman, Chrtien de Troyes a charg son personnage de valeurs ngatives afin de mieux mettre en valeur la rdemption d'Yvain. Chrtien nous montre tout ce que ne doit pas tre un bon chevalier- Un bon chevalier ne doit pas chercher l'exploit pour l'exploit et l'aventure ne doit pas se transformer en fait d'armes. L'aventure est d'abord le moyen de l'accomplissement de soi. Mais Yvain, emport par sa fougue, semble confondre toutes ces valeurs- En quittant la cour d'Arthur, Yvain n'a voulu que combattre et vaincre. Son aventure, ou plutt sa tentative d'aventure est dnue de tout sens profond. Et c'est avec justesse que Jean Frappier crit : "Chrtien a donc voulu nous donner dans la premire partie de son roman l'image d'une prouesse triomphante, juvnilement triomphante, mais altre dans sa puret par un manque de rflexion et de mesure".[31]III - UN AMOUR FAUSSE D'AVANCE ET LE PROBLME DU FAUX MARIAGE:La mesure, telle est la qualit essentielle qui semble faire dfaut Yvain. Tout ce qu'il entreprend est irrflchi. "Le dbut du roman nous montre en Yvain un tre excessif, aux ractions sans doute spontanes et juvniles, mais brutales et irrflchies, suscites par l'instinct plus que par la raison."[32] Emport par sa fougue, Yvain se laisse prendre par des vnements qu'il n'arrive plus matriser. De la mme manire qu'il se laisse prendre au pige des portes du chastel qui se referment sur lui, Yvain est "pig" par l'Amour. Il y a une relation troite entre ces deux sortes de pige; et le premier prpare le second. En effet, Yvain dans son empressement poursuivre Esclados Le Roux se retrouve enferm entre deux portes, dans une salle richement dcore (vers 961-966)- Il est en plein dsarroi car les gens du Chastel veulent le mettre mort pour venger leur seigneur; quand une demoiselle qu'il avait jadis aide la cour d'Arthur (vers 1004-1015) le sort de ce mauvais pas en lui donnant un anneau d'invisibilit. Grce cet anneau magique, Yvain chappe ses poursuivants et observe loisir, sans tre vu, tout ce qui se passe autour de lui: par une petite fentre, il regarde dehors et pie la trs belle dame de la fontaine qui pleure la mort de son mari. Il est subjugu par la grce de la dame et il en tombe follement amoureux. Plus il la contemple et plus il l'aime. Son amour pour elle grandit chaque instant: Et mes sires Yvains est ancor 1420A la fentre ou il l'esgarde; Et quant il plus s'an done garde,Plus l'ainme, et plus li abelist. 1423Ds ce premier "contact" avec Laudine, Yvain conoit pour elle un brlant amour. Il est totalement captiv. Laudine a ravi son cur et il ne peut plus s'chapper de cette nouvelle prison qu'est l'amour, Yvain jouit des dlices de l'amour, Il vit des moments trs forts: la salle o il est enferm devient le cadre de ses mditations amoureuses. Paradoxalement, il ne cherche plus sortir de sa prison car il est tellement captiv par ce "novel Amors" qu'il commence apprcier son sjour. Il prend sa rsolution de rester captif: "Mialz vialt morir que il s'en aut " ( vers1544). De "captif rel" il devient un "reclus d'amour".[33] Si Yvain refuse de quitter sa prison. bien que Lunete lui ait propos maintes reprises de le faire vader. c'est parce qu'il obit plus la passion, l'lan du cur qu' la raison. Succombant une fois de plus son emportement, Yvain s'prend trop rapidement de Laudine. Il n'a pas le temps de rflchir ce qui lui arrive. L'amour que conoit Yvain pour Laudine n'est pas le fruit d'une longue et mre rflexion, mais le rsultat d'une raction spontane et instinctive. Yvain se met adorer une dame dont il ignore tout, sauf le fait qu'elle est trs belle: "une des plus belles dames / c'onques vest riens terrene -"(vers 1146-1147). Il s'embrase aussi rapidement pour la dame de la fontaine qu'il s'tait embras pour 1'Aventure. C' est avec une grande justesse que Maurice Accarie crit: "L'amour conu pour la dame de la fontaine et sa conqute apparaissent alors comme un coup de tte parmi les autres, Yvain s'enflammant pour Laudine comme il s'est enflamm pour l'aventure et s'enflammera nouveau pour les tournois."[34] Vu sous cet angle, le sentiment qu'prouve Yvain pour Laudine est plus de l'ordre du dsir que de l'amour vritable: Yvain ne semble chercher que la beaut extrieure, la beaut physique. Cette attirance que ressent Yvain pour Laudine pourrait sembler normale et acceptable dans tout autre contexte car quoi de plus comprhensible pour un jeune homme que de succomber la beaut et la sensualit ? Mais l'amour d'Yvain pour Laudine est aberrant car il s'prend injustement de la veuve de celui qu'il a tu. L'image de Laudine dchirant ses vtements, s'arrachant les cheveux, se tordant les poignets, se frappant la poitrine et hurlant son deuil aurait d affliger Yvain ou du moins le culpabiliser. Or c'est le contraire qui se passe. Aprs un court moment de compassion, Yvain se dlecte contempler la veuve et lui trouve une grande beaut. Le dsespoir semble dcupler la grce de Laudine et Yvain n'y est pas insensible.L'amour d'Yvain pour Laudine est pervers. Il est n du spectacle de la douleur qui, pour Yvain, augmente encore sa beaut. Au fond, c'est la douleur de Laudine qui veille le dsir d'Yvain. Ce dernier exprime son attirance pour la veuve d'Esclados dans un long monologue o il dcrit la grande beaut de Laudine: "Grant duel ai de ses biax chevox 1465C'onques rien tant amer ne vox, Que fin or passent, tant reluisent.D'ire n'espranent et aguisent, Quant je les voi ronpre et tranchier;N'onques ne pueent estanchier Les lermes, qui des ialz li chieent: Totes ces choses me dessient.A tot ce qu'il sont plain de lermes Si qu' il n'en est ne fins ne termes, Ne furent onques si bel oel. De ce qu'ele plore me duel, Ne de rien n'ai si grant destrece Come de son vis qu'ele blece, Qu'i1 ne 1'est pas desservi: Onques si bien tailli ne vi, Ne si fres, ne si color; Mes ce me por a acor Que ele est a li enemie. Et voir, ele ne se faint mie Qu'au pis qu'ele puet ne se face, Et nus cristauz ne nule glace N'est si clere ne si polie.Dex! Por coi fet si grant folie Et par coi ne se blece mains ? Par coi detort ses beles mains Et fiert son piz et esgratine? Don ne fuet ce mervoille fine A esgarder, s'ele fust liee, Quant ele est or si bele iriee? 1494La douleur rend-elle Laudine si admirable ? Ou Yvain ne la trouve-t-il splendide que dans la mesure o elle est au comble du deuil cause de lui? Il prouve une passion folle pour Laudine: son sentiment est dmesur- C'est un amour aveugle. Yvain confond amour vritable et dsir. Yvain est entrain de vivre un faux amour qui va le conduire indniablement un pseudo-mariage. On ne peut fonder un mariage sur un simple " coup de tte" ou "coup de cur". Tout a t trop rapide et Yvain n'a pas eu, vraisemblablement, le temps de rflchir ce qui lui arrive: il rencontre, aime et pouse une femme, trois ou quatre jours seulement aprs tre arriv au domaine de la fontaine. Dans son empressement, Yvain s'unit avec une femme qu'il ne connat pas, une femme qu'il a juste aperue travers une fentre. De la mme faon Laudine, travaille par sa suivante Lunete qui lui a vant les mrites de l'assassin d'Esclados, s'enflamme pour Yvain. Elle en tombe amoureuse bien qu'elle ne l'ait jamais vu. Elle dcide de le prendre pour mari en remplacement d'Esclados Le Roux. La haine qu'elle avait pour Yvain se transforme trop rapidement en amour comme l'avait espr Yvain: "D'or en droit ai ge dit que sages 1439que fame a plus de cent corages.Celui corage qu'ele a ore, Espoir, changera ele ancore Ainz le changera sans espoir; Malt sui fos quant je m'an despoir, Et Dex li doint ancor changier," 1445 Laudine n'a pas mis longtemps changer: le mort vient juste d'tre enterr qu'elle accepte dj l'ide de remariage. Par certains cts, Laudine nous rappelle le conte de la matrone d'Ephse. Chrtien ne semble pas ignorer cette histoire qui tait trs en vogue son poque: Marie de France a compos une fable sur ce thme- Et signalons aussi l'existence (postrieure sans doute) d'un fabliau intitul: Celle qui se fist foutre sur la tombe de son mari. Ce fabliau a en commun avec le roman de Chrtien de Troyes le fait de souligner l'inconstance fminine, et sa conclusion n'est pas sans rappeler le passage que nous avons voqu un peu plus haut (Yvain vers 1439-1445): "Par ce tieng je celui a fol 114qui trop met en fame sa cure.Fame est de trop foible nature, De noient rit, de noient pleure, Fame aime et het en trop poi d'eure; Tost est ses talentz remuez: Qui fame croit, si est desv. 120 Pourtant, malgr les rapprochements que nous pouvons effectuer, il est vident que Chrtien n'a pas voulu faire de Laudine une nouvelle matrone d'Ephse. En effet, si elle passe aussi vite de la haine l'amour, ce n'est pas tout fait d'elle-mme. Sans l'intervention de Lunete, Laudine n'aurait pas song remplacer de si tt le dfenseur de la fontaine. Sa douleur quand elle pleure la mort de son mari est sincre. C'est Lunete qui va tout faire pour persuader Laudine de scher ses larmes et de songer prendre un poux car il va falloir dfendre la fontaine: le roi Arthur arrive dans une semaine et Laudine ne devra pas compter sur ses chevaliers qui sont trop lches pour repousser qui que ce soit. Dans un premier temps, la veuve s'indigne et chasse sa suivante, mais sa curiosit a t veille. La suivante revient et prouve sa matresse qu'Yvain est plus vaillant qu'Esclados l'ancien dfenseur de la fontaine. La nuit, la Dame rflchit a la proposition de sa confidente. Dans son for intrieur elle est d'accord pour prendre Yvain comme poux: elle se persuade selon "droit son et reison" (vers 1776) qu'elle ne doit pas le har- Dans une sorte de procs o elle joue tous les rles, elle disculpe Yvain: "Viax tu donc, fet ele, noier que par toi ne soit morz mes sire? - Ce, fet-il, ne puis je desdire, Einz 1'otroi bien. - Di donc por coi Fes le tu? Por mal de moi Por hane, ne por despit? - Ja n'aie je de mort respit S'onques por mal de vos le fit.Donc n'as tu rien vers moi mespris Ne vers lui n'es tu nul tort, Car s'il post, il t'es mort; Por ce, mien escant, cuit gi Que j'ai bien et a droit jugi." 1774 Pour Laudine, Yvain n'est pas dans son tort puisqu'en tuant Esclados il ne voulait pas lui faire de mal. Elle lui pardonne son geste. Le "procs" d'Yvain a t rapide: sa faute, si on peut encore parler de faute, a t minimiss. Laudine est compltement acquise sa cause, et durant leur premire entrevue, Yvain n'aura pas beaucoup de peine se justifier de son meurtre: Il voque la lgitime dfense. (vers 2001 2006) Yvain fait sa dclaration d'amour. Il ne reste plus Laudine qu' rgler le ct politique de ce remariage: l'assemble des barons donne son sentiment- le snchal de Laudine prononce un discours dans lequel i1 dmontre que le remariage de la Dame est une ncessit absolue (vers 2083 2106). Tout le monde approuve le choix de Laudine: "Tant li prient que ele otroie 2139ce qu'ele fest tote voie, qu'Amors a feire 1i comande ce don los et consoil demande;" 2142Ayant eu l'approbation de ses gens, Laudine peut pouser sans remords le meurtrier de son mari: l'honneur de la dame est sauf et tout scandale est vit .En pousant Yvain Laudine fait, bien que nous ne nions pas que l'amour y soit pour quelque chose, un mariage de raison: elle a trouv un dfenseur pour sa fontaine, un dfenseur capable de repousser n'importe quel agresseur. Leur union n'est pas conue comme une vritable conjonction mais plutt comme un contrat. Laudine n'tait dispose pouser Yvain que dans la mesure o ce dernier acceptait de dfendre sa fontaine: "- Et oserez vos enprandre 2035Por moi ma fontaine a desfandre ? - Ol voir, dame, vers toz homes.- Sachiez donc, bien acord somes ". 2038 Tout en ne mettant nullement en doute la force et la vracit des sentiments de Laudine, il faut convenir qu'elle a cherch dans son remariage un certain intrt. Il en est de mme pour Yvain qui joint l'utile l'agrable: en pousant Laudine, il est en mesure de prouver Keu et la cour d'Arthur qu'il a rellement vaincu le dfenseur de la fontaine et que, par-l - mme, il a veng la honte de son cousin. Ainsi Laudine va apparatre en quelque sorte comme la preuve et la marque de sa victoire.Mais Chrtien de Troyes ne semble pas partager l'enthousiasme de ses deux protagonistes. Il ne semble gure approuver leur union. Un mariage dont l'origine tait la fois une injustice et un coup de foudre est loin de convenir notre auteur qui condamne cette union par la scheresse de sa description de la nuit de noce: "Mes or est mes sire Yvains sire 2166 et li morz est toz oblez; cil qui l'ocist est marez; sa fame a, et ensanble gisent" 2169Entre Laudine et Yvain il n'y aura aucune communion. Ils sont figs sur leur couche nuptiale comme deux "gisants". Par son silence, Chrtien nous montre dj que la russite de leur mariage semble s'annoncer assez mal.Le mariage est la. Conclusion de l'aventure de la fontaine et le rcit pourrait s'arrter ici: Yvain a russi son pari. Il a veng la honte de son cousin et il s'est mari avec la dame de la fontaine. Mais nous n'avons pas affaire un conte merveilleux, un "conte bleu": le Chevalier au lion est un vritable roman. Logiquement, le rcit ne peut pas se clore sur un faux mariage. Pour Chrtien, le couple constitu par Yvain et Laudine n'est pas le couple idal. Leur relation fonde sur une injustice ne peut pas durer. Dans Yvain, comme dans Erec, le mariage ne constitue pas une fin en soi mais annonce une crise dont la solution mnera les protagonistes vers la sagesse et la perfection.La situation initiale que constitue ce "premerains vers" est ambigu, ironique: toutes les valeurs sont perverties, fausses. Nous sommes en plein "contenu inverse": injustice, pseudo-amour et faux mariage, et le hros devra logiquement et ncessairement tendre vers le "contenu pos"; c' est dire vers la justice et le vrai mariage. Mais la qute d'Yvain sera longue et prilleuse. " " Li premerains vers" dans Yvain, comme dans Erec, ne contient pas la "premire preuve" dans le sens o l'emploie R.BEZZOLA mais constitue la situation o tous les lments du roman se mettent en place". [35] B- LA CRISE DE L'AMOUR ET DU MARIAGE: LE CONFLIT ENTRE AMOUR ET ACTIONUn tel mariage, qui clt la premire squence du Chevalier au lion ne peut pas constituer une conclusion du roman. C' est avec le mariage que les choses srieuses peuvent commencer. Il n'est pas une fin ou un aboutissement en soi, mais il est le commencement d'une vie deux qui est, elle aussi une "aventure". Le mariage est la conscration par la socit de l'amour que partagent deux jeunes gens. Par exemple, Erec a tenu clbrer ses noces, en grande pompe, la cour d'Arthur. Il n'a pas voulu se marier la "sauvette". De mme, Laudine, bien qu'elle soit la Dame du domaine de la fontaine (elle est comtesse dans le conte gallois Owein[36]) a voulu avoir 1'accord de ses barons avant d'pouser Yvain. L'amour doit toujours aboutir au mariage qui est, selon Chrtien l'institution sociale capable de 1e prserver. Quand l'amour est rellement partag, les deux amants doivent se marier- C'est la leon que nous tirons du Cligs[37], quand la reine Guenivre dclare au jeune Alixandre et Soredamor qui s'aiment passionnment: (Cligs, vers 2304 -2307)"Par mariage et par enor vos antroconpaigniez ansanble .Ensi porra, si con moi sanble Vostre amors longuement durer." Le mariage garantit la permanence de l'amour. L'union conjugale telle que la prsente Guenivre est le seul dnouement honorable de la passion. C'est le cas pour Alixandre et Soredamor dont le mariage a t le couronnement de leur amour, amour qui durera toute leur vie. Chrtien de Troyes est tout fait oppos l'amour dmesur, l'amour- passion symbolis par le couple, tristement clbre, Tristan et Yseut, et qu'il condamne quand il fait dire Fnice : (Cligs, vers 3150 - 3154)Je ne me porroie acorder A la vie qu'Iseuz mena Amors an li trop vilena:Car ses cors fu a deus rantiers Et ses cuers fu a 1'un antiers.Le mariage seul unit vritablement les amoureux. Il prserve de toute tension entre l'individu et la socit .Chrtien de Troyes se fait le chantre de l'amour conjugal, mais pas de n'importe quel mariage: ce qui intresse notre auteur c'est le vrai mariage; un mariage o rgne une "pes sanz fin".[38] Dans ses romans, il a toujours donn deux conceptions du mariage: le faux et le vrai - Ce qui explique, selon Maurice Accarie, la structure mme de ses romans: "La structure bipartite des romans conjugaux n'est pas une astuce d'crivain, mais une ncessit de la lecture morale opposant les faux et les vrais mariages pour aboutir la dfinition d'une union idale" . [39]Tel qu'il les a prsents la fin de la premire squence de son roman, Chrtien nous induit dj penser que les deux personnages ont fait un faux mariage. Tout ce qu'Yvain fait est irrflchi, depuis son dpart de la cour d'Arthur pour tenter l'aventure de la fontaine jusqu' son mariage avec Laudine. Son action n'est motive que par un dsir de gloire personnelle: pour lui, l'aventure de la fontaine se rsume un simple exploit et Laudine n'est qu'un trophe qu'il a vaillamment mrit. Toute la suite du roman sera implique par cette grave erreur de jugement. Au niveau psychologique et moral, Yvain est encore incomplet, et il devra voluer pour devenir un homme mr et responsable. Yvain a russi trop facilement et a obtenu trop rapidement la main de Laudine. Il n'a pas vraiment mrit la dame de la fontaine pour qui il n'a prouv qu'un violent "coup de foudre". Il s'est tromp sur la nature de ses sentiments car, peu de jours aprs son mariage, il est dj prt quitter cette femme qu'il dit aimer plus que tout au monde- Et c'est pour cette raison qu'il ne va pas rsister longtemps aux exhortations de Gauvain qui lui a demand de repartir courir les tournois avec lui. Yvain se laisse convaincre si facilement que le lecteur doute de ses sentiments: le got de l'action chevaleresque chez Yvain passe avant le service de la femme aime- le choix d'Yvain va dclencher la crise du mariage et va poser le problme du conflit entre Amour et Action. I - LE DEPART D' YVAIN ET LA NAISSANCE DE LA CRISEC'est avec l'arrive, attendue prvue et, d'Arthur et de sa cour que la. Crise de l'amour et du mariage va natre. Dans les romans de Chrtien, du moins dans Erec et Enide et Le Chevalier au Lion, le mariage, qui clt la premire squence du rcit va tre branl par une crise. Une crise qui met jour la fragilit d'un mariage conclu trop rapidement: elle est provoque par une tension entre l'individu et la socit. Elle nat d'vnements extrieurs au couple pour s'intrioriser et se transformer en conflit intime. En s'ingrant dans les affaires du couple, le monde extrieur engendre une crise grave. Mais ce conflit est ncessaire pour faire avancer les choses. Le vritable roman ne commence, aussi bien dans Erec et Enide que dans Le Chevalier au Lion, qu'aprs le mariage. La crise, vritable nud, fait rebondir l'action. "Chrtien n'est pas de ces romanciers qui dnouent leur intrigue sur l'heureuse fin des pousailles. Il sait au contraire que ce dnouement est trompeur, et c'est ensuite seulement que commence l'preuve de vrit". [40]Le mariage rapidement conclu doit tre mis l'preuve- Pour mriter le bonheur les protagonistes doivent passer par des preuves, ce qu'ils n'ont pas fait au dbut: les conflits sont ncessaires car ils vont mener le couple vers le vrai mariage. C' est avec la crise que l'Aventure authentique commence. Reto. R. Bezzolo, dans le sens de l'aventure et de l'amour [41]a mis en lumire cette ide. Il crit, en faisant un parallle entre Yvain et Erec: "Dans les deux cas, cette suite d'aventures nat d'une crise dans l'amour du hros, crise qui clate aprs la conqute de la dame et l'apparent "happy end" du mariage; dans les deux cas, le hros n'a pas compris ce qui s'est pass dans sa vie lorsqu'il fut appel par le sort conqurir l'amour de sa dame. " Ainsi, 1'exploit accompli par le jeune homme irrflchi doit cder la place l'aventure de l'adulte. Le hros doit se mesurer la vie pour s'accomplir et se transformer en chevalier parfait, en amant et en poux fidle et accompli.L'union de Laudine et d'Yvain qui pourrait tre rgulire et sans histoire se complique avec l'intervention de Gauvain. Ce dernier demande Yvain de reprendre ensemble leur campagnes de tournois pour qurir gloire et honneur. Il exhorte son ami courir nouveau l'aventure, seul moyen selon Gauvain, pour prserver l'amour de Laudine- Un bon chevalier ne doit pas se dtourner de la prouesse sinon il ne mrite plus d'tre aim : Amander doit de bele dame 2491Qui l'a a amie ou a fame, Que n'est puis droiz que ele l'aint Que ses los et ses pris remaint. 2494Dans la logique de Gauvain, le chevalier se doit de prouver et de clamer, constamment, haut et fort, sa gloire et son renom. En restant auprs de Laudine, Yvain risque de devenir "recreant". L'pouse ne doit nullement empcher le chevalier de s'panouir. Et le seul moyen pour garder la forme, c'est de frquenter les tournois. Gauvain, au nom de l'amiti qu'il prouve pour Yvain, conseille son ami de repartir avec lui. Dans ses propos, Gauvain semble rsumer la leon d'Erec et Enide: l'poux ne doit pas s'adonner exclusivement au bonheur de l'amour conjugal. Yvain ne doit pas tomber dans les mmes erreurs qu'Erec. On ne sait pas si Gauvain y fait rfrence, mais on peut tre sr que Chrtien, lui, fait le rapprochement avec son premier roman. En effet, Erec s'est dtourn de la chevalerie pour ne s'occuper que d'Enide. Il s'est adonn un bonheur goste: Mes tant l'ama Erec d'amors, 2430 Que d'armes mes ne li chaloit, Ne a tornoiemant n'aloit. N'avoir mes soing de romoier : A sa fame volt dosnoier, Si an fist s'amie et sa drue; En li a mise s'antendue, En acoler et an beisier; Ne se quierent d'el aeisier. 2438Les chevaliers d'Erec dplorent qu'il n'aille plus tournoyer avec eux. Ils commencent le blmer et le traiter de recreant.Erec a commis un pch la fois envers la chevalerie et envers les rgles de l'amour courtois: en ngligeant les tournois, Erec ne considre pas Enide comme sa dame mais simplement comme sa fame. Erec n'aurait pas d oublier qu'Enide est avant tout une dame qu'il doit toujours conqurir et qui il doit toujours faire honneur- Mais dans la logique d'Erec "le tournoi n'a rien faire avec le mariage. Le chevalier ne "tournoie" pas en l'honneur de sa femme, mais bien pour conqurir toujours nouveau les grces de sa dame". [42]Gauvain ne souhaite pas son ami de revivre les problmes d'Erec et d'puiser rapidement son amour car "un bonheur retard gagne en saveur, et plaisir lger, remis plus tard, est plus doux goter qu'une flicit savoure sans rpit". (vers 2517-2520) Il continue sa dmonstration pour prouver son ami que partir tournoyer est une ncessit, mais une ncessit qui donnera ses fruits car l'amour de la dame n'en sera que plus grand! Seuls les actes de bravoure et la prouesse chevaleresque permettront la dure et l'panouissement de l'amour: "Joie d'amors qui vient a tart 2521sanble la vert busche qui art, qui dedanz rant plus grant chalor et plus se tient en sa valor, quant plus demore a alumer". 2525Gauvain s'rige en aptre de la Fin'amors: le chevalier doit se dfier de l'amour qui lui fait bientt oublier prouesse et gloire. le chevalier doit mettre sa prouesse au service de la dame aime. Pour Gauvain, la prouesse semble tre la seule preuve d'amour qu'un chevalier puisse donner sa dame. Yvain finit par tre convaincu: Mes sire Gauvains tant li dist 2541Ceste chose, et tant li requist Qu'il creanta qu'il le diroit A sa fame, et puis s'an iroit S'il an puet le congi avoir; 2545Pour atteindre son objectif, Yvain recourt 1a solution du don contraignant pour obliger Laudine le laisser partir. Gauvain a veill le conflit latent entre Amour et Action. Consciente de ce problme Laudine trouve un compromis: Yvain peut aller, encore une fois, courir les tournois pour esprover sa proesce et son hardemant, mais seulement pour une anne.[43] Laudine rsout le conflit entre amour et action d'une manire trs raisonnable- Ses concessions aux exigences de la Chevalerie permettent de sauvegarder l'amour et le mariage. Ayant obtenu la permission de son pouse, Yvain quitte le domaine de la fontaine pour repartir avec la cour d'Arthur. Les poux se sparent et se font les plus tendres adieux. Si Yvain est un combattant redoutable et un fier guerrier, il n'a rien du parfait mari. Il n'avait pas partir. Son devoir tait de rester auprs de sa femme et la protger comme le pin protge la fontaine magique. Emport encore une fois par son dsir de gloire, il dcide de partir. Gauvain a su veiller en lui la tentation de combattre et de s'exhiber dans des tournois futiles. Les Conseils de Gauvain sont mauvais et trs discutables et Yvain n'a pas raison de le suivre. Comment a-t-il pu accorder crdit aux conseils de quelqu'un qui ne connat rien l'amour vritable, quelqu'un qui est incapable de se stabiliser et de se marier ? Gauvain, "soleil de la chevalerie" peut tre, n'a rien compris la situation d'Yvain. En effet, le conflit entre amour et action, entre amour et chevalerie n'a pas lieu d'exister puisqu'en pousant Laudine, Yvain est devenu le dfenseur de la fontaine. Il pourra, en repoussant les ventuels agresseurs, concilier son amour pour sa dame et son amour pour la chevalerie : en restant auprs de Laudine, Yvain ne deviendra pas recreant. Yvain ne vit pas la mme situation qu'Erec- Et cette occasion, nous exprimons notre total dsaccord avec Maurice Accarie qui crit dans un de ses articles : "Il ne fait aucun doute qu'en cet instant Yvain est sur la pente dangereuse de la recreantise et que l'avertissement de son compagnon est lgitime : chevalier sans amour au dbut du roman, il est devenu amoureux sans chevalerie".[44] Nous ne pensons pas qu'Yvain puisse dj tre, mme pas au bout de quinze jours, sur la "pente dangereuse de la recreantise". De plus il parat peu probable qu'Yvain soit devenu un "amoureux sans chevalerie" puisqu'il doit dfendre la fontaine. Gauvain n'a pas s'ingrer dans la vie du couple. Il a peut-tre t jaloux du bonheur de son ami, alors que lui souffre de la solitude et ne vit que dans le monde des apparences, car la fin'amors et tout son protocole ne sont qu'un jeu qui ne mne rien de srieux comme par exemple sa petite aventure avec Lunete. Gauvain, contrairement aux autres hros, est incapable de franchir le pas. Il ne peut pas vivre avec une seule personne- Il est connu pour ses nombreuses aventures galantes, aussi bien chez Chrtien que chez d'autres romanciers. "A la diffrence de Lancelot et de Perceval Gauvain reste en effet, d'un roman l'autre, un tre incapable ou empch par quelque force obscure, d'aller jusqu'au terme de son dsir, de se forger les lignes nettes d'un destin hroque ou amoureux".[45] Gauvain est donc condamn rester ce chevalier porteur des valeurs, parfois rtrogrades, de la cour d'Arthur. La fin de son discours n'est pas sans nous faire penser qu'il prouve une certaine amertume en pensant sa condition. Il envie la chance d'Yvain : "ne por ce ne le di ge mie, 2529se j'avoie si bele amie con vos avez, biax dolz conpainz, foi que je doi Deu et toz sainz molt a ennuiz la leisseroie! A escant, fos an seroie ." [46] 2534Gauvain laisse donc entendre, la fin, que s'il avait rencontr une femme comme Laudine, il serait rest auprs d'elle. Il aurait t fou de la laisser. Mais Yvain, ingnu comme il est, ne semble pas bien percevoir le sens profond des paroles de Gauvain. Tout ce qu'il en retient c'est la ncessit de partir. Yvain manque encore de rflexion et de mesure. Il n'est pas encore capable de se prendre en main tout seul- Il a toujours besoin qu'on le guide, qu'on lui montre ce qu'il faut faire. Mais en choisissant dlibrment de partir avec Gauvain, Yvain ne ralise pas qu'il commet une faute grave envers "recreantise" par l'abandon de sa femme n'est pas la bonne solution; Yvain n'a pas su concilier Amour et Chevalerie- Le choix d'Yvain montre quel point le hros n'a pas encore pris conscience de tout ce qui lui est arriv: l'aventure de la fontaine n'est pas perue comme une vritable initiation mais simplement comme un exploit. Cette confusion, Yvain va la payer trs cher en perdant l'amour de sa dame et en tombant dans la folie. II- LA TRANSGRESSION DE L'INTERDIT ET LA PUNITION IMPOSEE PAR LAUDINE : En revenant dans son monde d'origine, Yvain reprend ses habitudes de Chevalier de la cour d'Arthur. Il passe son temps avec son ami Gauvain, tournoyer et se montrer devant les dames et les gentilshommes de Bretagne. Il se donne cur joie ces manifestations mondaines qui donnent satisfaction au besoin de bataille qu'prouve le chevalier. Toujours victorieux, Yvain semble prouver qu'il n'est pas recrant et qu'au contraire il est vaillant chevalier. Pendant plus d'une anne, avec Gauvain, il ne fait qu'accumuler 1es actes de prouesse et de bravoure.S'adonnant totalement ces plaisirs, Yvain s'oublie et oublie par la mme de penser sa femme. Et il ne pouvait pas y penser puisque Gauvain de toutes les manires, l'en aurait empch. Le couple Gauvain / Yvain se substitue au couple Yvain / Laudine; Gauvain couve son ami. Il l'touffe et ne lui laisse aucun moment de rpit. Yvain n'a pas le temps de penser puisque Gauvain l'emmne tous les tournois: Aus tornoiemanz vont andui 2671Par toz les leus ou l'en tornoie ; 2672Gauvain fait tout pour ne pas perdre son ami et, pour Yvain, l'amiti partage semble prendre le pas sur l'amour. Yvain, sur les Conseils de Gauvain, a quitt sa femme pour raviver son amour et pour mieux la mriter. Mais le remde se rvle tre pire que le mal: sa femme est oublie et le dlai accord est largement dpass. Pris dans la tourmente des perptuels tournois, il laisse passer le moment du retour et quand il s'en rend compte, il est dsormais trop tard. Le mal est fait et Yvain doit payer sa faute. Voyons comment cet pisode est dcrit dans le roman. Un jour, alors qu'il tait de nouveau la cour d'Arthur aprs une longue campagne de tournois, Yvain songe sa femme (la premire fois depuis son dpart) et ralise qu'il n'a pas tenu sa promesse. Et ce moment prcis, une dameisele monte sur un palefroi noir arrive prcipitamment la cour. C'est la messagre de Laudine, qui salue Arthur, Gauvain et toute la cour l'exception d'Yvain "le menteur, le trompeur, le dloyal, le fourbe qui l'a trompe et abuse". Laudine signifie publiquement sa rupture avec Yvain. ce dernier n'a pas t la hauteur de son amour. Elle l'a attendu vainement et fidlement alors que lui l'a ddaigne. Mais dsormais tout est fini entre eux. Yvain doit rendre l'anneau qui tait le symbole de leur amour et de leur union. Yvain est abasourdi par ce malheur qui fond sur lui. Il doit fuir pour cacher sa douleur et sa honte. Il aurait prfr que la terre l'engloutisse car seule la mort est capable d'effacer ses tourments. Il quitte la cour en courant, traverse les champs pour se rfugier au fin fond de la fort.La rupture avec Laudine tait invitable. Yvain a transgress l'interdit: en ne revenant pas au terme de l'anne, il rompt son engagement et la dame a le droit de le punir en lui retirant confiance et amour. Yvain est coupable et ce n'est que justice si Laudine le punit. Tous les torts sont du ct d'Yvain car sa femme l'avait averti que les consquences seraient irrmdiables et que son courroux serait sans 1imite: Mes l'amors devanra hane Que j'ai en vos, toz an soiez Sers, se vos trespassez Le terme que je vos dirai; Sachiez que ja n'en mantirai: Se vos mantez, je dirai voir.L'interdit qu'a pos Laudine Yvain correspond exactement l'interdit impos par la fe au mortel qui jouit de ses faveurs[47] : son amant a tous les droits sauf celui de transgresser l'interdit. C'est le scnario que nous trouvons dans le Lai de Lanval: si Lanval dvoile da relation avec la fe il risque de ne plus la revoir: " Amis, fet ele, or vus chasti, 143Si vus cornant e si vus pri : Ne vus descovrez a nul humme De ceo vus dirai ja la summe : A tuz jurs m'avriez perdue, Si ceste amur esteit see : Jams nem purrez veeir Ne de mun cors seisine aveir." 150Comme Yvain, Lanval n'a pas respect la volont de sa dame: il a transgress l'interdit et il perd par-l toutes les faveurs accordes par la fe. La ressemblance entre nos deux hros est grande - Tous deux aprs la punition impose par leurs dames respectives ont vcu des moments difficiles - Ils en viennent parfois souhaiter la mort pour se punir de leurs mfaits: Lanval: Lanval i vet od sun grant doel; 357 Il l'essent ocis sun veoil! 358 Yvain: Ne het tant rien con lui mesme, 2792 Ne ne set a cui se confort De lui qui soi mesme a mort. 2794Nos deux hros ont commis un pch: c' est contre Amour qu'ils ont failli. Il ne leur reste plus que le repentir. Leur douleur est accablante et leur expiation sera longue et difficile avant de pouvoir jouir nouveau des joies de l'amour. Mais la rupture dans le cas d'Yvain va avoir plus d'impact que dans Lanval. La crise que provoque Laudine est plus brutale car c'est devant tout le monde qu'elle lui a reproch sa faute et signifi la rupture- Yvain ne se sent plus le droit de siger la Table Ronde; il doit partir, s'exiler. Mais la perte de l'amour est encore plus grave que celle de l'honneur: Yvain ne peut plus vivre, et, dfaut de la mort, son seul refuge semble dsormais tre la folie. En cessant de possder l'anneau d'invincibilit que lui avait donn Laudine en gage d'amour, Yvain ralise que la sparation avec sa femme est irrmdiable. En effet, l anneau transmis par Laudine symbolise l'amour et garantissait la runion. Si l'anneau symbolise l'amour de Laudine, sa reprise signifie sa colre et sa dcision de rupture. Yvain est conscient de cela. Il sait dsormais que le seul lien entre lui et sa femme est bris et que tout espoir de se faire pardonner est perdu jamais. Il a t inconscient de prfrer la compagnie de Gauvain celle de Laudine, et, maintenant il mesure l'ampleur de sa faute. Sa douleur, son dsespoir, lui montent la tte comme un torbeillons (vers 2806) qui lui fait perdre la raison.Yvain n'a eu que ce qu'il mrite. Si Laudine le punit svrement ce n'est que justice. Il n'a pas cess d'accumuler les transgressions et de se comporter en faux- hros: il doit payer chrement tous ses actes irrflchis et dmesurs- Yvain doit expier toutes ses fautes: il a oubli et il n'avait pas le droit de le faire. Il doit se rappeler constamment que le meurtre d'Esclados n'a pas t veng, que son mariage avec Laudine n'est pas une partie de plaisir et qu'il s'tait engag, par un contrat, dfendre la fontaine. Laudine a pardonn la premire transgression car il fallait trouver un dfenseur pour la fontaine. Mais Yvain a failli ses devoirs d'poux, d'amant et de Chevalier. Laudine a donc tous les droits de le chtier. Pour Yvain, l'aventure de la fontaine finit bien piteusement. L'exploit du chevalier est compltement remis en question. Yvain n'a pas montr sa prouesse et son hardemant. Il a prouv qu'il n'est pas encore un chevalier accompli et que son parcours est loin d'tre achev. Il doit rompre avec le pass pour entreprendre une vritable qute dans laquelle il se comportera en hros, au sens plein du terme.La crise que provoque Laudine fait rebondir l'action du roman, ou plutt le "conte bleu" se mue en vritable roman. Yvain est un personnage problmatique, contrairement au hros du conte. C'est aprs la crise qu'Yvain prend conscience de la ncessit d'voluer pour tendre vers le " contenu pos" , c'est dire devenir un chevalier juste et un mari parfait. Retour en haut DEUXIEME PARTIE: LE REPENTIR ET LA REDEMPTION D'YVAIN U LA CHEVALERIE AU SERVICE DE LA JUSTICELe Chevalier au lion, comme nous l'avons vu dans la premire partie, continue suivre le scnario archtypique du motif de la fe la fontaine.[48] Yvain, comme le hros des contes merveilleux, aprs avoir transgress l'interdit (ce que Laurence Harf-Lancner appelle le " pacte") va essayer de reconqurir son pouse. Ce motif est trs rcurrent dans 1a 1ittrature et se retrouve dans tous les folklores. Nous ne citerons que quelques exemples : l'histoire d'Eros et Psych dans Les mtamorphoses d'Apule, le roman de Partonopeus de Blois, Hassan de Bassorah dans les Mille et Une Nuits. Dans tous ces cas le hros (ou l'hrone), ayant perdu 1'objet de son amour, se met en qute pour retrouver le bonheur. Tous les personnages que nous avons cits, subissent des preuves, accomplissent des ,'travaux" pour mriter le pardon. Comme ces illustres hros, Yvain va s'affirmer en sortant de l'ombre pour commencer sa vritable Aventure. Il va signifier son repentir, non par de simples paroles mais par des actes, par des travaux dignes d'Hercule. la qute d'Yvain va tre place sous le signe de la justice: la Chevalerie que va symboliser dsormais Yvain est une chevalerie exemplaire qui rend service l'humanit en dfendant le droit et la justice - Yvain va lutter avec acharnement contre le mal sous toutes ses formes - mais surtout sous celle de l'injustice.La qute d'Yvain va tre longue et difficile- Mais ce sera un moyen pour accomplir sa destine: l'aventure ne sera plus perue comme un exploit, mais comme une recherche de l'identit, de la dcouverte et de l'affirmation du (vrai) Moi. Elle va permettre Yvain de raliser son unit (puisque le cur est rest chez Laudine et que le corps est parti avec la cour d'Arthur v.2641- 2652 [49]), de se rconcilier avec lui-mme, avec la socit dont il s'est exclu, et enfin- ce qui est ses yeux le plus important- avec Laudine. A - LA RECONQUETE DE LA RAISON ET DE LA LUCIDITELa folie d'Yvain dure peu et le personnage tirant les leons du pass se met en qute du "contenu pos" de son histoire. Nous allons dsormais avoir affaire un homme nouveau, "1' autre visage du hros"[50]. Ce changement est la consquence de deux pisodes. I - L'pisode de l'onguent magique: Si la folie est due la condamnation d'un femme, en l'occurrence Laudine, " sa fame", Yvain ne sort de cet tat que grce 1'intervention d'une autre femme.En quittant la cour d'Arthur, meurtri par la douleur, Yvain se rfugie dans la folie. Il erre dans la fort et vit comme un homme sauvage jusqu'au jour o une dame et deux puceles de sa suite l'aperoivent en train de dormir sous un arbre. L'une des deux demoiselles s'approche de lui et le reconnat une cicatrice qu'il portait au visage. Elle s'tonne de le voir dans un tat aussi dplorable. Afflige, la demoiselle retourne sa matresse pour la mettre au courant de sa dcouverte: "Dame, j'ai dcouvert Yvain le chevalier le mieux prouv du monde et le plus mrite; mais j'ignore dans quel malheur est tomb un homme aussi noble; peut-tre est-ce quelque chagrin qui le fait vivre dans un tel tat: on peut bien devenir fou de douleur et il est clair qu'il n'a pas toute sa raison; jamais en vrit il n'en serait venu mener une vie si pitoyable s'il n'avait perdu 1'esprit".[51] Puis la demoiselle prie la dame de venir en aide Yvain car s'il gurit il serait capable de la dfendre contre son ennemi jur, le comte Alier.La demoiselle joue ici le mme rle que Lunete: toutes les deux se rallient la cause d'Yvain et essayent de convaincre leurs matresses de lui venir en aide. Dans les deux cas, les suivantes invoquent la raison d'tat: Lunete:"Mes or dites, si ne vos griet, 1618vostre terre qui desfandra quant li roi Artus i vendra qui doit venir l'autre semainne au perron et a la fontaine ?" 1622 La suivante de la dame de Norison: "Car trop vos a mal envae 2934li cuens Aliers qui vos guerroie. La guerre de vos deux verroie A vostre grant enor finee, Se Dex si boene destines Li donoit, qu'il ne remest En son san, et s'antremest De vos eidier a cest besoing". 2941Comme Laudine, la dame de Norison se plie la volont de sa suivante. Elle la rassure, car elle a en sa possession un onguent magique, donn par la sage fe Morgane, qui peut gurir Yvain et lui ter de la tte "tote la rage et la tempeste". Revenue son chastel, la dame confie sa suivante le prcieux remde tout en lui recommandant de ne pas le gaspiller car il suffit d'en appliquer une petite dose sur le front pour que te malade recouvre sa raison. La pucele se hte de rejoindre le "fol". Arriv auprs de lui, elle l'enduit sur tout le corps, oubliant ainsi les recommandations de sa matresse. Elle russit sans peine lui chasser du cerveau " la rage et la melencolie"(vers 3001): l'auxiliaire magique de la dame de Norison semble tre l'antidote la punition de Laudine. A son rveil Yvain retrouve sa raison mais son corps est encore faible. La suivante l'emmne au chteau de sa matresse. Yvain y reoit tous les soins jusqu' ce qu'i1 se rtablisse totalement. Insistons encore une fois sur le parallle que l'on peut tablir entre Lunete et les suivantes de la dame de Norison. Dans les deux cas, ces puceles s'occupent d'Yvain comme des mres: elles le lavent et l'habillent. En superposant les deux situations il apparat que Chrtien utilise presque les mmes termes pour dcrire ces rituels: Lunete:Si le fet chascun jor baignier Son chief laver et apleignier; La dame de Norison et ses suivantes: Sel baignent, et son chief li levent 3130Et sel font rere et reoignier La barbe a plain poing sor la face. 3133Jusqu' ici les femmes sont toujours au service d'Yvain et font tout pour satisfaire ses dsirs: on a l'impression que Lunete et les suivantes de la dame de Norison jouent le rle de mre. Le sjour d'Yvain chez la dame de Norison est la premire tape de la reconqute de la raison et de la lucidit: Yvain est dsormais sorti de la folie et il opre son retour vers la civilisation et vers la socit. C'est pour cette raison que l'utilisation de l'onguent magique revt une importance capitale car c'est partir de ce moment qu'Yvain va commencer son processus d'individuation[52] : l'onguent magique, outre le fait qu'il purifie et semble effacer le pass, va faire d'Yvain un homme nouveau: Yvain va devenir un chevalier qui met son pe et sa prouesse au service des opprims. Toute son action va tre pour l'ordre, le droit et la justice. Au sortir de la folie, Yvain prend conscience de ce que doit tre un vritable chevalier. Yvain le prouve trs vite: juste aprs son rveil, il demande la pucele qui l'a guri s'il peut lui tre utile: "Dameisele, or me dites donc 3074se vos avez besoing de moi?" A ce moment, nous semble-t-il, Yvain donne l'impression qu'il ralise dj qu'il a un devoir accomplir et qu'il lui faut renoncer l'gosme et au dsir effrn de gloire personnelle qui l'animait lorsqu'il tait parti tenter l'aventure de la fontaine, puis lorsqu'il avait quitt sa femme pour aller courir les tournois avec Gauvain. Utile, Yvain va le devenir en prenant la dfense de la dame de Norison. Il ne cherche plus l'exploit pour l'exploit. Il montre qu'il assume pleinement sa fonction de chevalier en combattant pour la justice. Selon Chrtien, un bon chevalier ne peut rellement prouver sa valeur qu'en servant des causes justes et celle de la dame de Norison en est une. En prenant le parti de sa bienfaitrice, Yvain opte pour l'ordre et pour le bien: il refuse de rester impassible devant 1'injustice. Il dcide donc de combattre le comte Alier qui saccage le domaine de la dame de Norison pour la forcer l'pouser. Le comte Alier est outrecuidant, un provocateur sans vergogne, pouss par la "conveitise" (le vice le moins noble qui soit). Le comte Alier est dans son tort et ses actions sont dmesures, comme l'taient celles d'Yvain dans la situation initiale du roman. C'est pour cette raison que nous avons l'impression qu'Yvain en luttant contre le comte Alier, mne en quelque sorte une confrontation avec son "ombre". En venant bout de l'opposant, Yvain surmonte dfinitivement son "mal": l'agressivit et la dmesure. Le pass d'Yvain, c' est dire toute la priode d'avant la folie, est dpasse: c' est un homme nouveau que nous avons affaire maintenant, un homme nouveau qui commence sa qute du "contenu pos" . Cette qute se fait loin de la cour d'Arthur qu'Yvain a quitte pour se rfugier dans la fort. Son destin est entre ses mains; la vritable aventure, qui ne signifie pas seulement "preuve de valeur et de vertu" mais aussi "recherche d'une flicit perdue",[53] a commenc. En effet, en dfendant la dame de Norison, Yvain entreprend dj sa qute de Laudine. En venant en aide cette figure de la fminit, Yvain inconsciemment pense sa femme. A ce propos; Grard Chands crit: "Sauver la fminit, qui l'a prserv de la mort (...) dans la folie (la dame de Norison) pour acheter celle qu'il a oublie, telle est la motivation premire d'Yvain". [54] Il est certain donc, que la dfense de la dame de Norison est le premier maillon de la chane qui va mener Yvain la rconciliation avec Laudine. Sinon, pourquoi refuse-t-il l'offre de la dame de Norison qui lui propose de devenir son amie et sa femme. On pourrait penser que s'i1 n'y avait pas eu Laudine, Yvain aurait pu accepter cette union. Mais pour lui une telle ventualit est inconcevable et, malgr sa sparation avec la dame de la fontaine, il veut lui rester fidle et se faire pardonner car l'amour qu'il lui porte semble tre trop grand pour tre ni d'un coup. Comme l'a expliqu Jean Claude Aubailly,[55] Yvain se retrouve aprs sa victoire sur le comte Alier dans une situation comparable celle qu'il a vcue aprs sa victoire sur Esclados Le Roux. Mais i1 ne retombe pas dans les erreurs du pass: Yvain est maintenant capable de freiner ses dsirs. Donc, ce n'est pas sans raison qu'il refuse l'offre de la dame de Norison, laquelle ne lui apparat que comme une projection, une autre image de Laudine.La rencontre avec la dame de Norison est une tape importante dans le processus d'individuation d'Yvain. Outre le fait qu'elle lui permet de sortir de la folie pour revenir dans le monde des hommes, elle lui donne aussi l'occasion de renouer avec la chevalerie qu'il a quitte en s'exilant volontairement de la cour d'Arthur. Et c'est en ce sens que le combat contre le comte Alier revt une importance capitale: il est le premier combat aprs la folie, et le premier d'une srie de combats pour le bien et la justice. Ce premier combat suffit " le faire exister nouveau pleinement"[56] en tant que vritable chevalier. En effet, pendant ce combat , Yvain donne des preuves surabondantes de sa force et de sa prouesse: il se bat comme un lion et dcime les rangs de ses ennemis. Son courage redonne espoir ses compagnons (les gens de la dame de Norison) et les force se battre avec vaillance: Et cil qui avec lui estoient 3167Por lui grant hardemant prenoient; La prouesse d'Yvain est comparable celle de Lancelot, qui, lorsqu'il se mle la bataille des captifs de Logres, par sa vaillance, vient seul bout de tous les ennemis. En voyant Lancelot se battre bravement et en apprenant qu'i1 est l'homme qui 1es sortira de 1'exil, les captifs prennent exemple sur lui car la joie fait dcupler leur courage: De la joie que i1 en orent Lors croist force, et s'an esvertent Tant, que mainz des autres an tent, Et plus les mainnent leidemant Por le bien feire seulemant D'un seul chevalier, ce me samble,Que par toz les autres ansanble. Lancelot, 2426 -2432 Celui qui a vaincu l'preuve de la folie est maintenant investi d'une puissance qui transforme tout son entourage: Que tex a poinne ovrer antasche, 3169Quant il voit c'uns prodon alasche Devant lui tote une hesoingne, que maintenant honte et vergoingne 1i cort sus, et si giete fors le povre cuer qu'il a e1 cors, si li done sostenemant, cuer de prodome et hardemant. 3176Yvain, la tte de ses compagnons, ne met pas longtemps vaincre ses adversaires et capturer l'ennemi de sa bienfaitrice.Ds ce premier combat pour la justice, Yvain est considr par la foule de Norison comme un hros; Ces gens qui le connaissent peine lui dcernent les plus grands loges et le font accder la dimension mythique [57]de hros salvateur: la prouesse d'Yvain est suprieure celle de Roland: Et veez cornant il le fet 3229De l'espee quant il la tret ! Onques ne fist par Durandart Rolanz des Turs, si grant essart En Roncevax ne an Espaigne. 3233Yvain surpassant et dpassant le lgendaire Roland est maintenant capable de s'attaquer quiconque. Dsormais aucun obstacle ne peut l'empcher de gagner, de vaincre. Ce premier combat d'o Yvain sort combl de gloire et de louanges restera inconnu la cour d'Arthur et la cour de Laudine- La rintgration du hros dans la socit ne fait que commencer et il devra encore fournir les preuves de son volution. Le combat contre le comte Alier est le premier volet du diptyque que constitue l'preuve que Gremas appelle "qualifiante". Le deuxime volet est la rencontre avec le lion. II- La rencontre avec le lion: Nous avons vu que l'onguent magique a rendu la raison et la lucidit Yvain et que le combat contre le comte Alier lui a permis de se mesurer contre son "ombre". mais dans le "roman", il y a un pisode qui joue un rle primordial dans la poursuite du processus d'individuation, c' est la rencontre avec le lion.Cet pisode est important dans 1a structure et dans le sens du roman. Il se place exactement au centre du roman (vers 3337- 34491 et sans doute, ce n'est nullement 1'effet du hasard puisqu'il est capital dans la dfinition du sens de l'volution d'Yvain. Plac en position de pivot, il dlimite un avant et un aprs, ou plus exactement une fin et un re-commencement. En effet, ds 1a rencontre avec le lion. Yvain va trouver le sens de son aventure, le sens de son engagement: partir de ce moment rien ne sera plus pareil. La transformation d'Yvain va devenir radicale: il ne sera dsormais que "le chevalier au 1ion"; te chevalier dfenseur du droit et de la justice.Voyons d'abord comment cette rencontre est voque dans le roman. Aprs avoir quitt la dame de Norison, Yvain s'enfonce de nouveau dans une fort profonde, quand soudain il entend un grand cri de douleur. I1 dcide de s'approcher et dcouvre, dans un essart, un serpent qui tient un 1ion par 1a queue . Ce serpent crache des flammes et brle les reins de son ennemi - Aprs un lger moment d'hsitation o i1 dlibre en lui-mme, Yvain prend parti pour le lion, car, nous dit Chrtien: Lors dit qu'au lon se tanra, 3353 Qu'a venimeus ne a felon Ne doit an feire se mal non, Et li serpanz est venimeus Si 1i saut par 1a boche feus Tant est de felenie plains. 3357Yvain a volu. Il n'est plus ce personnage dont les actions sont toujours dictes par les autres (dcision de tenter l'aventure de la fontaine, dcision de partir courir les tournois). Pour la premire fois depuis le dbut du rcit de Chrtien, la volont d'Yvain s'exprime en toute indpendance: venir en aide au lion est un choix librement assum.Se protgeant l'aide de son bouclier pour viter les flammes, Yvain arm de son pe attaque le serpent et le coupe en deux puis en plusieurs morceaux. Pour dgager le 1ion, il doit lui amputer un bout de sa queue o est reste accroche la tte du venimeux reptile. Aprs cela, Yvain s'apprte se dfendre contre le lion quand ce dernier prouve qu'il est rellement une "beste gentil et franche" (vers 3371), Au lieu d'attaquer le hros, le lion lui prouve sa reconnaissance: Si s'estut sor ses piez derriere 3394Et puis si se ragenoillait, Et tote sa face moillait De lermes, par humilit. 3397Dans cette attitude le lion se prosterne comme un vassal qui se soumet son seigneur; il semble choisir Yvain comme matre, lui faire hommage et lui promettre respect et fidlit. La posture du lion n'est pas sans nous faire penser celte qu'avait prise Yvain pendant son entrevue avec Laudine: "Mes sire Yvains maintenant joint 1974ses mains, si s'est a genolz mis 1975Le parallle entre ces deux scnes est frappant et le fait de les superposer montre quel point Yvain a volu: au dbut, c' est lui, dans l'attitude du parfait amant, qui s'agenouille devant Laudine pour implorer son pardon et pour lui donner la preuve de sa soumission, mais maintenant Yvain est devenu un seigneur devant qui se prosternent le lion et, plus tard, la nice de Gauvain. En portant secours au 1ion, Yvain opte pour le bien. Le serpent qu'il a combattu est le symbole du mal: il reprsente l'ennemi contre lequel il faut lutter. Dans beaucoup de religions le serpent est peru comme le synonyme des tnbres: par exemple, dans la Bible , Satan est apparu ds le dbut de la cration sous la forme de serpent pour entraner Adam et Eve leur perte et les faire dchoir du paradis. C' est pour cette raison que dans l'imaginaire chrtien. Le serpent est senti comme l'incarnation du mal. Il reprsente toutes les valeurs ngatives: tratrise, flonie (rappelons qu'il a attaqu le lion, dans le rcit de Chrtien de Troyes, par derrire, par la queue ).Dans Yvain, le serpent est doublement malfique: outre le venin qu'il secrte, il lance du feu par sa gueule qui est plus grande qu'une marmite. Les f1ammes qu'il crache ne sont pas sans nous faire penser au diable et, la largeur de sa gueule, l'enfer. [58] Le serpent tel qu'i1 est dcrit par Chrtien accumule toutes les images du mal. Il dborde de ngativit et l'emploi de l'adjectif "plains" (vers 3357) amplifie le caractre tnbreux et malfique du reptile.Si le serpent est porteur de toutes les valeurs ngatives et s'il est peru comme 1'envoy de Satan, comme le reprsentant de l'ombre collective, le 1ion est connu pour tre un animal solaire incarnant les valeurs positives: la loyaut, la justice, le courage et l'honneur. Il est le symbole de la force rayonnante, de la royaut. Tout le monde s'accorde pour dire qu'il est le roi des animaux et nombreuses sont les uvres 1ittraires qui le mettent en scne comme figure de la royaut: il est le roi Noble dans le Roman de Renart, cruel avec les mchants et bienveillant avec les justes. Ce n'est pas sans raisons, nous semble-t-il, que le lion figure sur les cussons des rois chrtiens l'poque des croisades "1'cu au 1ion appartient aux chrtiens, l'cu au dragon est attribu aux paens".[59] Cette pratique est peut-tre un souvenir de 1 'Apocalypse [60]o Jsus est appel "Lion de la tribu de Judas" et o Satan est apparu sous la forme d'un dragon que la Christ combat afin de sauver l'humanit. Le combat du 1ion et du serpent dans Yvain dpasse la simple lutte entre deux animaux sauvages. En effet, ce motif assez rpandu au XIIme sicle, n'est pas dnu d'une certaine valeur morale, voire philosophique: le combat du 1ion et du serpent f figure aussi dans l'iconographie. "A Saint-Christol (Vaucluse 3me quart du XIIme sicle), une base de colonne, droite de l'autel, prsente un lion dvorant un serpent, les pattes poses sur une colonne".[61] Sachant que l'art au Moyen Age est utilis pour l'enseignement religieux, afin de permettre aux gens de 1 ire sur la pierre ce qu'ils ne peuvent pas lire dans les livres (" "Ut hi qui 1itteras nesciunt in parietibus videngo legant quae legere in codicibus non valent" disait le pape Saint-Grgoire le grand [62]). La prsence d'un tel motif dans les glises n'est pas motiv par un but purement ornemental: le 1 ion est la reprsentation du Christ vainquant Satan; c'est une allgorie de la lutte du bien contre le mal. Cet aspect de combat entre les forces du bien et les forces du mal se retrouve aussi chez Chrtien; mais une diffrence subsiste quand mme chez 1'auteur d'Yvain, qui, contrairement ses adaptateurs et continuateurs, ne fait aucun commentaire sur le combat du lion et du serpent , et nous permet donc de l'tudier sous diffrents aspects et la lumire de plusieurs thories Cette scne, qui est la fois simple et complexe a une grande valeur symbolique. Elle peut tre rapproche du combat des bons et des mauvais dieux dans la mythologie celtique: cette lutte est ternelle dans l'Autre Monde et, pour dcider de la victoire les bons dieux doivent recruter un mortel qui est le seul pouvoir provoquer l'issue du conflit.[63] Dans Yvain, nous retrouvons cette situation, puisque le combat du lion et du serpent-dragon a lieu dans un essart (l'absence d'indication gographique peut nous induire penser que cela se passe dans l'autre monde). On peut imaginer que les deux ennemis se prennent chacun par la queue, formant par l une sorte de cercle vicieux qui nous fait penser la figure de l'ouroboros[64]. En intervenant, Yvain accomplit un acte "diartique" (1er rgime de l'imaginaire de G. Durand). Il brise le cercle en tranchant le serpent. En ralisant un tel acte, Yvain semble couper le mal sa racine. Il prend le parti du bien et choisit l'ordre contre le chaos. Selon Mircea Eliade[65] "le serpent symbolise le chaos, l'amorphe non manifest (), le foudroyer et le dcapiter quivaut l'acte de cration, avec passage du non manifest au manifest, de l'amorphe au formel ". Cela est d'autant plus clair puisqu'Yvain en sortant de la folie, figure suprme du chaos, passe un acte de cration, la cration d'une socit plus juste, plus quitable, en combattant le mal sous toutes ses formes. Tout le parcours du chevalier Yvain va tre impliqu par cette action et par la conjonction avec le lion. Dsormais il va tre le dfenseur du droit. Accompagn par son double symbolique l (le lion) sa qute va tre axe sur un rtablissement continuel de l'ordre et de la justice. Si l'pisode de l'onguent magique et le combat contre le comte Alier ont permis Yvain de rintgrer son Moi et de redevenir le chevalier preux et courtois qu'i1 tait, le compagnonnage du lion confirme son entre dans le chemin du processus d'individuation. De ce point de le lion peut tre considr comme la figure de l'inconscient positif et le serpent comme le ct ngatif de l'inconscient. En intervenant dans le combat du lion et du serpent, Yvain sonde en quelque sorte son inconscient afin d'clairer, si l'on peut dire, son conscient et de lui donner l'nergie ncessaire pour continuer son combat.[66] Ayant rcupr sa raison et sa lucidit, Yvain peut dsormais entreprendre la qute qui le mnera vers la "pez sanz fin", vers la rconciliation avec Laudine.La conjonction avec le lion est dterminante dans la suite du roman; cette rencontre permet Yvain de bnficier des qualits de son compagnon