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Alexandre Dorna LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE: UN CARREFOUR PLURIDISCIPLINAIRE La psychologie politique est à la recherche de son autonomie et d'une méthodologie propre. Elle se caractérise notamment par une conceptualisation incertaine, une polymorphic de la méthode, un éclatement thématique, la multiplicité d'enjeux... Les psychologues font pourtant preuve d'une grande vitalité sur ce sujet. Motivés et sollicités par un champ de recherche inexploré, ils sont d'autant plus contraints d'expérimenter et donc de confronter les connaissances acquises le plus souvent dans d'autres disciplines, à la réalité quotidienne. La question politique est généralement posée en terme de structures sociales. Mais si la tradition sociologique reste le prisme dominant de l'observation de la politique, d'autres regards existent. L'étude et la reconnaissance d'un double paramètre des paradigmes individuel et collectif, notamment de l'influence, ne permettent pas encore une théorie unificatrice, tandis que de nouveaux chantiers s'ouvrent déjà. Faut-il rappeler que les relations entre psychologie et politique sont anciennes ? A certaines périodes de l'histoire contemporaine (Seconde Guerre mondiale) des branches entières de la psychologie sociale ont eu comme origine des questions politiques: propagande et publicité, persuasion et leadership, dynamique de groupes et communication, etc. De ce fait, comme l'a fait remarquer S. Moscovici (1989) dans un colloque récent, parler de psychologie sociale et de psychologie politique est un pléonasme. Il est donc nécessaire pour HERMÈS 5-6, 1989 181

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Alexandre Dorna LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE: UN CARREFOUR PLURIDISCIPLINAIRE

La psychologie politique est à la recherche de son autonomie et d'une méthodologie propre. Elle se caractérise notamment par une conceptualisation incertaine, une polymorphic de la méthode, un éclatement thématique, la multiplicité d'enjeux... Les psychologues font pourtant preuve d'une grande vitalité sur ce sujet. Motivés et sollicités par un champ de recherche inexploré, ils sont d'autant plus contraints d'expérimenter et donc de confronter les connaissances acquises le plus souvent dans d'autres disciplines, à la réalité quotidienne.

La question politique est généralement posée en terme de structures sociales. Mais si la tradition sociologique reste le prisme dominant de l'observation de la politique, d'autres regards existent. L'étude et la reconnaissance d'un double paramètre des paradigmes individuel et collectif, notamment de l'influence, ne permettent pas encore une théorie unificatrice, tandis que de nouveaux chantiers s'ouvrent déjà.

Faut-il rappeler que les relations entre psychologie et politique sont anciennes ? A certaines périodes de l'histoire contemporaine (Seconde Guerre mondiale) des branches entières de la psychologie sociale ont eu comme origine des questions politiques: propagande et publicité, persuasion et leadership, dynamique de groupes et communication, etc.

De ce fait, comme l'a fait remarquer S. Moscovici (1989) dans un colloque récent, parler de psychologie sociale et de psychologie politique est un pléonasme. Il est donc nécessaire — pour

HERMÈS 5-6, 1989 181

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baliser autant que faire se peut — de prendre les questions les plus étudiées : le sujet politique, le leadership et l'influence sociale.

Comment expliquer certaines attitudes politiques ? Les traits de personnalité peuvent-ils avoir une influence quelconque sur le comportement des hommes politiques?

Pourquoi devient-on politicien ? Comment le leader s'impose-t-il ? Avec quelles stratégies maintient-il sa position? Est-il le produit de leurs formations ou vice versa?

C'est autour des travaux de laboratoire sur l'influence sociale et la persuasion que les psychologues ont le plus réfléchi aux mécanismes et aux implications de la psychologie dans les affaires politiques. Les modèles de la communication sont les cadres les plus porteurs.

La psychologie politique s'est caractérisée dès ses origines par une double vocation : être une connaissance et être une technique. G. Le Bon (1910) son fondateur, la définit ainsi: « connaissance des moyens permettant de gouverner utilement le peuple ». La politique est devenue un art au sens de l'ingénierie sociale.

Elle veut répondre à l'impératif de l'action : quand agir, comment agir, dans quelles limites agir ? Le Bon la veut utile et capable de mieux maîtriser les règles de gouvernement : « la psychologie politique ou science de gouverner, est pourtant si nécessaire que les hommes d'État ne sauraient s'en passer. Ils ne s'en passent donc pas, mais faute de lois formulées, les impulsions du moment et quelques règles traditionnelles fort sommaires, constituent leurs seuls guides. Mais ils conduisent fréquemment à des erreurs coûteuses. »

La psychologie politique se développe sans avoir réussi à se donner une définition unificatrice ; la manifestation conceptuelle de ses progrès consiste à renoncer aux explications simples de ses débuts. Selon Seoane (1988) la définition de la discipline peut se trouver dans trois orientations théoriques:

• Celle qui fait de la politique l'objet d'application des connaissances de la psychologie, en particulier la psychologie sociale. La recherche est ainsi en relation directe avec les problèmes de société selon leur urgence. Les questions sont nombreuses: comment les leaders peuvent-ils mobiliser les citoyens? Comment faire participer les électeurs? Comment les jeunes sont-ils politiquement socialisés? Comment résoudre les conflits d'interaction politique? Comment les politiques prennent-ils leurs décisions? etc.

• Celle qui propose d'étudier les interactions des processus psychologiques et des processus politiques. Comment les facteurs psychologiques déterminent-ils les comporte­ments politiques ? Comment les actions politiques influencent-elles les aspects psychologiques ? Cette position est bidirectionnelle : d'un côté les phénomènes psychologiques sont répertoriés : perception, croyances, opinions, attitudes, valeurs, intérêts, styles, défenses, vécu... d'un autre côté sont analysés les facteurs tels que: culture politique, systèmes politiques, socialisation, partis ou ordre international.

• Celle qui considère que l'objet d'étude de la psychologie politique n'est autre que les phénomènes historiques et collectifs, incarnés par des hommes ou des groupes.

Les psychosociologues sont alors invités à rendre compte des variables culturelles et à

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décrire des situations particulières à la lumière des antécédents sociohistoriques et des facteurs contextuels: le temps, les traditions, le système politique, les idéologies.

Faire de la psychologie politique une discipline autonome reste un projet de longue haleine. Le bon sens et la pratique des affaires humaines n'ont jamais contesté les liens étroits existant entre la psychologie et la politique. Il en va différemment d'un point de vue universitaire.

Les difficultés pour élaborer une définition commune comme nous venons de le montrer, font que la psychologie politique constitue une sorte de science, carrefour de disciplines diverses. Aucun modèle ne semble fédérateur ; aucune discipline n'est suffisamment forte pour écarter les autres.

Un essor de la nouvelle discipline a été remarqué à la fin des années 60 avec la publication de quelques ouvrages. Mais le véritable ancrage de la psychologie politique dans le milieu universitaire — tout au moins aux États-Unis — est la conséquence d'une action progressive et soutenue, dont les paramètres les plus visibles sont les suivants:

• Quatre « manuels » traitant de la psychologie politique : Knutson 1973, Stone

• La fondation de deux revues spécialisées: Micropolitics (1981) et Political Psycbobgy (1979).

• Une société savante internationale, fondée en 1978, présente ses travaux au cours de congrès qui ont lieu aux Etats-Unis et ailleurs. Les dernières rencontres sont celles d'Amsterdam (1986), de San Francisco (1988), de New York (1988), la prochaine se tiendra à Tel Aviv.

En France — malgré la renommée d'un précurseur comme G. Le Bon — la psychologie politique n'existe qu'à l'ombre institutionnelle de la psychologie sociale et les psychologues qui travaillent sur ce thème sont dispersés et très minoritaires. Mais la volonté de définir son statut semble faire son chemin. Quelques indices permettent de l'espérer: la réalisation de deux colloques sur la psychologie politique (1986 et 1989) ainsi que la publication des quelques ouvrages de Grawitz (1985), Moscovici (1987-1988) et Rouquette (1988).

D'autre part une certaine psychologie politique s'est développée dans le milieu universi­taire français sur la base de la question sociolinguistique. C'est autour de l'analyse du discours et de la parole que la recherche s'organise. De nombreux psychologues chercheurs témoignent de leur intérêt pour les thèmes politiques à travers la problématique du langage (Dubois 1962, Cotteret et Moreau 1969, Labbé 1977, Gerstié 1979) et de la communication politique : Cotteret 1973, Kapferer 1979, Cleron 1983, Miller 1981, Ghiglione et Al. 1986, Ghiglione (Éd.) 1989.

I. Le paradigme individuel Le retour du « sujet » dans la réflexion universitaire permet de mieux apprécier l'effort

accompli par les psychologues pour cerner les questions que l'on peut se poser sur l'homme politique : qui fait de la politique ? Pourquoi ? Quels types de mécanismes cognitifs prêtons-

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nous à l'homme politique ? Quelles sont ses caractéristiques ? Quel type de logiques met-il en œuvre pour persuader ? Quelles stratégies utilise-t-il pour conquérir et pour garder le pouvoir ? Quelles formes prennent ses stratégies?

L'homme politique fait de la politique parce qu'il aime le pouvoir. Ce cliché causal ne suffit pas pour s'orienter dans le labyrinthe de la vie politique. Ce sont les notions de réussite et de risque qui semblent les plus pertinentes. La réussite est notoriété, signale Grawitz (1985) et celle-ci suscite encore la notoriété. Quant au risque, c'est la métaphore du jeu qui le rend plus explicite. Mais jouer en politique ne veut pas dire se soumettre entièrement au hasard. L'homme politique peut gagner ou perdre, mais dans une compétition, non dans une roulette de casino. Car la dimension cachée du jeu politique est la stratégie, donc le domaine de la cognition. L'homme politique est obligé d'être stratège : les situations auxquelles il se trouve mêlé et les jeux qu'il joue avec d'autres politiques lui laissent plusieurs possibilités. Il est obligé de choisir, en fonction de ses capacités et ses ressources personnelles (intellectuellement parlant), parmi diverses options. Et si la politique peut ne pas être tout à fait « rationnelle », le politique doit l'être toujours, compte tenu des règles du système politique (institutionnalisé) et du besoin d'ajuster son comportement à celui des autres. C'est en cela que le politique est ou n'est pas un professionnel. Faire de la politique c'est un vrai métier.

Vivre de la politique ou être payé pour la faire n'est que la partie visible d'un iceberg comme l'ont souligné Weber (1963) et Dahl (1965).

La recherche sur l'homme politique s'est orientée dans deux grandes directions : l'une est axée vers l'étude de la personnalité ; l'autre, sur le leadership.

A — La personnalité politique

Les journalistes ont consacré l'expression « personnalité politique » pour désigner quel­qu'un d'important, dans l'univers de la politique. La psychologie des hommes politiques est parfois perçue comme synonyme de personnalité politique. La personnalité ne reconstruit-elle pas elle-même les modèles de la culture dans laquelle chacun a vécu ? La personnalité ne pose-t-elle pas le problème de l'autonomie des personnes en situation?

Le psychopolitologue H. Lasswell (1930) est celui par lequel la question de la personnalité est introduite dans la psychologie politique. Il propose une typologie des personnalités politiques, dans un cadre théorique psychanalytique, dont le fil conducteur n'est autre que le déplacement des conflits intérieurs vers l'identification à une cause politique. Les trois types canoniques sont : l'agitateur (ex. Les prophètes bibliques), le gestionnaire (ex. Les présidents américains) et le théoricien (ex. K. Marx). D'autres typologies sont proposées à peu près à la même époque, parmi lesquelles figure une classification du révolutionnaire et du contre-révolutionnaire, mise au point par le psychiatre espagnol E. Mira Y Lopez (1939) d'après son expérience de la guerre civile.

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La recherche d'une typologie politique n'a cessé de revenir sur des formes diverses. Elle correspond, assez bien à une sorte de psychologie du quotidien ou du bon sens, chacun reconnaît les siens, à la façon de s'habiller, de se vêtir, de parler et même de fumer : « Nous pensons tous que Millerand a trahi (la gauche) et que Briand n'a point trahi. Nous voyons bien comment il tient sa cigarette » (Meynaud et Lancelot 1964).

C'est un ouvrage à la démarche complexe qui a donné ses lettres de noblesse et ses premiers outils méthodologiques à l'étude de la personnalité politique. La recherche d'Adorno et de l'équipe de Berkeley, très souvent citée, quoique peu lue, est un repère stable, malgré les nombreuses critiques dont elle a fait l'objet (Christie et Jahoda 1954, Rokeach 1960, Ray 1979). Elle montre en fait l'existence d'un type de personnalité politique : l'autoritaire. Une personnali­té fascinante, prête à participer à des mouvements antidémocratiques et sensible à la propa­gande antisémite, dont les traits les plus caractéristiques sont : une morale conventionnelle, la tendance à la soumission, des jugements stéréotypés, l'agressivité...

D'autres chercheurs ont approfondi la question, tout en formulant des critiques à l'égard de l'expérience d'Adorno. Eysenck (1954) introduit une approche bidimensionnelle (dur-tendre et extrémiste-conservateur), Wilson (1973) montre une corrélation entre son échelle d'anxiété et l'échelle « F » d'Adorno. Par ailleurs, Frenkel-Brunswik (1949) constate une tolérance à l'ambiguïté plus élevée chez les libéraux que chez les conservateurs, tandis que Kreml (1977) essaie de caractériser la personnalité antiautoritaire, dont les traits sont: anti-ordre, antipouvoir, impulsivité, introspection.

Pour Rokeach (1960-1973) le dogmatisme est une dimension générale, car la mentalité fermée ne se rencontre pas exclusivement à droite. Le dogmatisme est une variable stylistique structurante, une vision autoritaire de la réalité, et une attitude intolérante face à ceux qui ont des croyances opposées. D'après cet auteur, le système fermé de croyances a pour fonction la protection. C'est le type de solution trouvée au confluent, entre le besoin de savoir et le besoin de se défendre de toute nouveauté, donc d'une remise en cause, qui distingue l'esprit ouvert de l'esprit fermé. La référence à Machiavel est directe dans l'expérience de Christie et Geis (1970). Pour ces chercheurs la coupure introduite par le Florentin dans sa conception de la politique : morale d'un côté et politique de l'autre, est repérable au niveau psychologique. Le sujet machiavélien donne une grande priorité au pragmatisme sur la morale. Il est calme, non personnel, peu sensible aux idéologies et aux conventions, il aime la concurrence, n'a pas d'émotion ; il prend plaisir au jeu de la manipulation d'autrui, et résiste à l'influence sociale, autrement dit, c'est un « politique ».

Enfin, le psychologue peut se demander si les questions sur la personnalité politique ne sont pas à poser au niveau de l'État. En effet, l'homme d'État est un politique auquel son rang lui confère une puissance considérable. De ce fait, l'homme d'État investit l'État, de même qu'il est investi par lui. Quelques travaux sur les présidents américains (Hermann 1977, Kinder et Fiske 1986) font alors penser qu'il est raisonnable de s'interroger sur l'influence de l'État, donc du commandement exercé sur les citoyens.

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Dans des études très suggestives le psychologue américain Robert Lane (1982) a mis en relief la signification profonde et les rapports étroits existant entre les pouvoirs publics et l'estime de soi.

Les pouvoirs publics confèrent les statuts, les honneurs, les promotions, les pouvoirs et la reconnaissance. Ces distinctions sont données à certains mais non à tous. Les États favorisent également la production et le maintien de certains comportements plus que d'autres et peuvent contrôler en partie ses effets. Voilà pourquoi R. Lane fait un certain nombre de propositions. D'après lui l'État doit:

— Encourager le respect de soi fondé sur la vertu et la compétence. — Donner à chacun le symbole de son importance et lui apporter le sens de la dignité. — Réduire l'importance de l'argent et du pouvoir comme critères de réussite sociale. — Augmenter les critères d'autocomparaison. — Faire en sorte que tous les agents de l'État (percepteur, policier, etc.) traitent chaque

individu avec la plus grande dignité. — Faciliter le développement individuel afin que les gens fixent leurs propres normes de

« moi idéal ». — Renforcer la solidarité et l'altruisme social. — Maximiser l'individualité compatible avec une estime élevée d'autrui. A la différence d'autres psychosociologues, R. Lane ne met pas l'accent sur l'importance de

la participation politique. Il affirme qu'il est beaucoup plus probable que le travail, la vie de famille, les loisirs, et le niveau de vie sont les « dimensions » en fonction desquelles les gens se mesurent et mesurent ce qu'ils valent.

Β — Le leadership politique

La personnalisation du pouvoir est un phénomène ancien dans l'histoire de la politique. Weber (1971) l'a placée au centre de la question sociologique du pouvoir. Et d'un même coup il a fourni à la psychologie sociale un chantier inépuisable. Le terme leader est surtout utilisé en politique pour désigner les chefs des partis, tandis que les psychologues l'utilisent dans un sens plus large et dans des réalités sociales très différentes. Le leadership politique est donc un cas particulier dans le traitement du problème. Néanmoins, c'est aux études réalisées dans des petits groupes que nous devons la plupart des informations concernant les relations entre leadership et pouvoir, leader et comportement d'autrui, leadership et performance de groupe, leadership et contexte de l'interaction.

La question principale du leadership n'est pas : qui devient leader ? Comment fonctionne le leadership ? Une expérience célèbre porte sur les effets de trois types de leadership (autoritaire, démocratique et laisser faire) réalisée par Lippitt et White (1948). Elle montre que les enfants réagissent très différemment aux styles de commandement imposés. De plus on observe une nette supériorité du style démocratique, en fonction de la productivité et de l'originalité.

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Cette étude est restée paradigmatique en dépit de certaines nuances apportées par d'autres recherches. En effet, celle de Gibb (1951) montre que le leadership autoritaire permet une production plus grande. Mais elle confirme la détérioration des relations humaines. Bref, certains objectifs sont plus facilement atteints avec un leadership autoritaire d'autres avec un style démocratique. D'une manière large, l'acceptation d'un style déterminé de leadership et les effets de ces modes de commandement dépendent d'un grand nombre de variables étudiées. L'efficacité du leadership est liée aux exigences de la tâche et de la situation, mais également aux buts et aux valeurs propres aux membres du groupe. En fonction de cela, la performance peut être meilleure quand certaines activités sont assumées par le leader ou bien réparties entre plusieurs membres du groupe.

Les psychologues se sont aussi interrogés sur d'autres facteurs déterminants de l'influence des leaders.

• Les comportements verbaux et l'assurance semblent jouer un rôle fonda­mental dans l'acquisition et le maintien du leadership. Binet (1900), suite à une série d'expériences, conclut que lorsqu'il n'est pas possible de vérifier le bien-fondé des réponses apportées, les membres d'un groupe peuvent se laisser facilement influencer par celui qui répond le premier. D'après Zaleska (1973) la longueur de l'argumentation et l'assurance apparente d'un sujet peuvent déterminer dans une large mesure son influence au cours d'une discussion. D'ailleurs, Baies (1950) et plus tard Bavelas (1965) arrivent à des résultats qui militent dans le sens qu'une des variables responsables de l'influence perçue est la quantité de participation aux débats.

• L'exécution de la tâche ou les bonnes relations interpersonnelles. C'est le problème posé par Fiedler (1967) lorsqu'il étudie les relations entre la situation et le type de leader. Il considère deux styles de leadership, donc deux comportements différents dans le commandement d'un groupe. L'un est centré sur l'exécution de la tâche, l'autre sur l'établisse­ment et le maintien des bonnes relations interpersonnelles. D'après les résultats, Fiedler établit que le premier réussit bien quand la situation est très favorable ou très défavorable en ce qui concerne le leader. Mais le second est plus efficace lorsque la situation lui est moyennement favorable. Le caractère favorable ou défavorable de la situation est fonction des relations entre le leader et le groupe, du degré de structuration de la tâche et enfin du pouvoir du leader.

• Hollander (1964) a cherché quel était le degré d'acceptation du leadership. Il constate que le leader acquiert un « crédit » auprès du groupe par la valeur de ses contributions, c'est-à-dire en relation à l'augmentation de sa compétence par rapport à la tâche. Dans la mesure où le leader augmente son « crédit » il lui est permis de transgresser les normes du groupe, tandis qu'auparavant il se faisait rappeler à l'ordre.

Ces études expérimentales, probablement parce qu'elles sont limitées par les contraintes méthodologiques n'ont pratiquement débouché sur aucune application dans le domaine de la politique. Ce n'est que récemment que les politologues ont commencé à s'y intéresser.

Le leadership politique (Hermann 1986, Sobral 1988) se définit non seulement par

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l'influence que le leader exerce dans un groupe, mais par son caractère presque permanent, consistant et systématique pendant une période de temps considérable. De plus, plusieurs éléments sont à identifier: Holsti (1972), Barber (1972), Hermann (1983). La force de ses croyances, le type d'interaction qu'il entretient avec ses suiveurs, la façon dont il agit pour les représenter, sa réaction devant le stress, ses ressources pour le surmonter, les comportements qui l'ont conduit à réussir ou à échouer dans le passé et leurs circonstances.

Le leadership n'existe pas sans l'existence de suiveurs. Or, la relation entre leader et suiveurs est interactionnelle donc complexe et changeante.

— Quelles sont les personnes qui dépendent du leader? — Devant qui est-il responsable? — A qui et en quoi doit-il faire attention ? — Quelle est la force et la nature de l'opposition? — Quelles sont les croyances des suiveurs? — Quelles sont les ressources dont dispose le leader? — Quel est l'organigramme (théorique et réel) de l'organisation à laquelle appartient le

leader ? L'analyse du leadership à partir de cette perspective relationnelle (Hermann 1986, Dubin

1986, Young 1958) permet de dégager quelques règles simples. Le postulat général consiste à comprendre le mode de relation entre leader et suiveurs en tant que processus de comptabilité. Les suiveurs appuient davantage leur leader lorsqu'il se trouve au début de sa fonction. Ils font de même quand les mesures prises n'ont pas de conséquences négatives pour eux-mêmes, ou quand elles sont positives. Autre élément identifié : l'appui s'avère soutenu si la représentation que les suiveurs ont de la relation correspond à leurs expectatives antérieures.

En somme, les connaissances issues de l'expérimentation en psychologie sociale sont importantes, mais l'étude du leadership politique est encore fragmentaire et insuffisante. Ce n'est que depuis peu que les politologues s'intéressent, soit à propos du pouvoir, soit de la communication à étudier l'interaction « leader-suiveurs » afin de mieux comprendre le fonc­tionnement du système politique.

II. Processus politiques et processus psychologiques La notion de processus est choisie par plusieurs psycho-politologues — Deutsch 1985 —

pour désigner une régularité d'échanges entre les phénomènes psychologiques (individuels) et les phénomènes politiques (collectifs et individuels); car si la psychologie apporte une connaissance sur les mécanismes du sujet (cognition, apprentissage, perception, mémorisation, attention, motivation...) c'est toujours en rapport à des structures sociales dans une situation donnée (famille, école, partis politiques, armée, églises, syndicats...). Et c'est à la psychologie sociale que l'on doit l'articulation de ses deux processus.

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Certains de ces travaux constituent donc pour le psycho-politologue une référence. Les expériences sur la dynamique des groupes, dont l'ouvrage de Cartwright et Zander (1953) est un apport fondamental. On y trouve notamment, la synthèse de French et Raven sur le pouvoir social, la recherche de Festinger et Aronson sur l'activation et la réduction de la dissonance cognitive, l'étude de Deutsch sur les effets de la coopération et de la compétition sur le groupe, et le célèbre travail de Leppitt et White sur le leadership.

Cependant, c'est autour du paradigme de l'influence sociale que se situe l'apport le plus remarqué de la psychologie sociale à la compréhension de l'univers de la politique.

Quels sont donc les mécanismes de l'influence? Quels problèmes permettent-ils de soulever ? Comment fonctionnent-ils?

A — Les mécanismes de l'influence sociale

1. La facilitation sociale : c'est le premier mécanisme déterminé par expérimentation. Il est attribué à Tripplett. Le phénomène établi est assez simple, si l'on compare la performance lorsqu'une tâche est exécutée soit par une personne seule ou en compagnie d'autres personnes, la présence de celles-ci a une influence sur le comportement de celui qui réalise la tâche.

Diverses études montrent deux cas de figure : • l'effet d'audience: la présence de spectateurs passifs affecte le comportement

de quelqu'un qui exécute une tâche déterminée. Or l'audience en elle-même ne suffit pas à provoquer le phénomène de facilitation sociale à moins que ne lui soit accordée une certaine signification évaluative.

• l'effet de coaction : c'est la présence, à côté de la personne qui accomplit une tâche, d'autres personnes qui font de même.

2. L'imitation ou effet vicariant: le précurseur de la notion explicative de l'imitation est G. Tarde (1890). Mais, c'est à A. Bandura (1976) que revient l'honneur de démontrer la pertinence du mécanisme. Il constate qu'une personne est capable d'apprendre un nouveau comportement en observant un modèle. L'imitation est facilitée lorsque le renforcement est positif, que la relation sujet-modèle est positive, et que le modèle a un statut déterminé. Mais, l'efficacité de ces variables dépend en dernière analyse de la situation globale, c'est-à-dire des normes, du choix possible des modèles, et des comportements, qu'il propose, et de la personnalité des sujets eux-mêmes.

3. Le conformisme : lorsqu'une norme est acceptée par une majorité, peut-elle l'imposer à une minorité qui ne la partage pas ? Pour tenter de répondre à cette question, les travaux de S. Asch (1952) constituent une référence obligée. Dans les expériences d'Asch, un sujet naïf fournit une réponse après que « Ν » compères aient fait connaître des réponses en majorité erronées, ou contradictoires avec l'opinion connue de ce sujet. Le sujet est, en fait soumis à l'influence d'une majorité et placé en situation de déviance.

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Réagit-il en conformité ? Si l'acte d'influence est réussi, alors on parle de conformisme de la part du sujet ou du groupe qui se soumet. Selon Asch le conformisme ne s'explique pas par le fait qu'il est renforçant en soi, mais plutôt l'existence d'une « réorganisation cognitive » de la part des sujets naïfs, car la majorité détermine non le jugement de l'objet, sinon l'objet du jugement.

Dans ce contexte il nous faut ajouter une expérience déjà célèbre : celle de S. Milgram (1974) sur la soumission à l'autorité. Pourquoi devons-nous la placer dans le mécanisme de conformité ? La majorité peut influencer d'une manière aussi qualitative. C'est cela que montre Milgram dans ses recherches.

4. La normalisation: il s'agit d'une autre situation d'influence sociale dans laquelle, selon l'expérience célèbre de Shérif (1936), les sujets, tous naïfs, fournissent des estimations initiales dispersées. La transmission de l'ensemble des réponses à l'ensemble des sujets (avec ou sans interaction) réduit la dispersion initiale. Une caractéristique essentielle de cette situation est l'absence des statuts des réponses, ce qui permet de générer chez les sujets une situation d'interaction ou de négociation, effective ou implicite. L'effet, une convergence des réponses, traduit une acceptation par les sujets d'une norme sociale, et l'émergence d'une norme commune.

Pour Shérif l'absence de normes rend impossible l'interaction sociale. Il définit une norme comme une échelle de référence ou l'évaluation qui détermine une marge de comportements, d'attitudes et d'opinions, permis ou reprehensibles.

5. La dissonance cognitive: un autre mécanisme relatif à l'influence sociale relève de la théorie de la dissonance cognitive. Selon Festinger (1957) lorsqu'une personne possède deux cognitions (idées, représentations) cohérentes entre elles, elle éprouve un état de consonance cognitive. Cependant, deux ou plusieurs cognitions discordantes entre elles, entraînent un état déplaisant de dissonance cognitive. Les sujets, selon Festinger, sont portés à réduire cet état perturbateur de la dissonance cognitive. Cette théorie est importante pour la psychologie sociale et il suffit pour s'en rendre compte de voir les travaux et les débats contradictoires auxquels elle a donné lieu, par exemple la conception de la réduction de dissonance comme processus de consistance, et la conception de la réduction de la dissonance comme processus de rationalisa­tion.

6. L'influence minoritaire : comment se fait-il qu'un sujet ou un groupe minoritaire puisse influencer une majorité sans disposer au départ des atouts particuliers?

Une nouvelle spécification de l'effet d'influence sociale, systématisée par Moscovici ( 1976) se présente, en quelque sorte, comme le négatif de la situation de Asch, où on constate que certains sujets « majoritaires » (naïfs) adoptent la réponse fournie par les compères déviants « minoritaires ».

A condition que la minorité se montre cohérente, c'est-à-dire capable d'échapper aux pièges de l'ambiguïté et de la contradiction. La minorité doit donner l'impression d'être déterminée et autonome, sans tomber dans les travers du dogmatisme ou de la rigidité. Elle doit

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se montrer congruente, afin d'être pertinente et faire ou dire exactement ce que les autres imaginent et attendent d'elle le moment venu. Elle doit être également consistante dans le temps et à travers les différentes situations. Il lui faut surtout montrer une continuité dans ses paroles d'hier par rapport à celles d'aujourd'hui, afin de gagner en crédibilité. Car toute minorité agissante s'adresse aux croyances, et doit témoigner non seulement d'arguments et de faits, mais aussi d'y tenir elle-même. Etre fidèle à soi-même c'est le signe reconnu de l'assurance de la certitude, de l'assertion, donc... de la vérité.

Pour Moscovici (1976) une question reste encore sans réponse expérimentale: est-il vrai que le conflit est nécessairement à la base de l'influence et que celle-ci sera d'autant plus marquée que celui-là est important.

Β — Les apports expérimentaux de Vinûuence sociale et du changement des attitudes

Les mécanismes de l'influence sociale permettent de traiter de façon assez large et homogène un ensemble de situations α priori dissemblables. Alors, si les mécanismes nous informent sur les changements des attitudes, ce n'est pas évident de saisir comment ces changements se font. D'ailleurs, il en est de même d'un autre aspect de la question : quels sont les effets les plus observés?

Pour y répondre l'équipe de chercheurs de l'université de Yale conduite par C. Holland, I. Janis et H. Kelley développe un programme d'investigation sur la communication inter­personnelle et de masse. Ce programme est à l'origine d'un nombre considérable d'études dont les résultats forment le socle des connaissances et l'héritage des psychopolitologues actuels.

Le nombre et l'ampleur des travaux rendent par ailleurs tout à fait irréalisable une démarche exhaustive. Les données expérimentales sont tirées de divers ouvrages notamment : Hovland, Janis et Kelley (1953), Hovland, Lumsdaine, Sheffield (1949), Hovland et Weiss (1951), Hovland et Janis (1959), Janis et Field (1959), Janis et Feshbach (1953), Kelley (1979).

1. Les variables liées à la source : La relation entre celui qui parle/écrit et celui qui écoute ou lit désigne le premier comme source ou agent d'influence. Souvent la recherche sur le changement d'attitudes est une analyse des effets de la crédibilité de la source : un personnage connu est-il plus persuasif qu'un autre qui ne l'est pas? L'intention déclarée de vouloir persuader est-elle plus efficace? Une congruence entre l'aspect extérieur de l'émetteur et le message émis est-elle nécessaire?

Les résultats indiquent globalement que la crédibilité est déterminée en grande partie par la compétence perçue. Elle détermine son influence mais celle-ci dépend plus du récepteur que de l'émetteur. Autrement dit, l'agent de persuasion, tel que l'avait prédit l'ancienne rhétorique, a davantage intérêt à paraître expert que de l'être, puisque la compétence réelle compte moins que celle dont il est investi.

2. Les variables liées au message: la forme de présenter un message a mérité une

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avalanche d'études expérimentales sans pour autant épuiser la variété des questions qui sont posées, notamment :

— Faut-il que les parties agréables du message précèdent les parties désagréables ? — Le message doit-il suivre une progression des arguments du plus faible au plus fort ? — Doit-on, pour convaincre, faire apparaître les conclusions en début ou en fin de

message ? — Quel ordre doit avoir le message ? — Faut-il parler en dernière ou en première place ? — La présence d'une contre-argumentation prépare mieux les sujets à résister à de futurs

argumentaires opposés au premier. — Son absence serait-elle plus efficace lorsque les conclusions sont peu familières, ou

lorsque les sources sont suspectes ? Les résultats montrent d'une manière générale que les effets dépendent en grande partie du

type d'audience. Donc, il ne faut pas employer ces données en forme indiscriminée. 3. Variables liées au récepteur : Le récepteur est la cible, dans le schéma classique de la

persuasion, il est mutique et malléable. Cette conception a évolué lentement. Le récepteur est devenu sujet d'abord passif, mais ensuite actif, capable de réagir avant une tentative d'influence par un processus de contre-persuasion.

Les chercheurs ont répertorié un nombre considérable de variables attribuées à la cible : sa personnalité, sa conviction initiale, son estime de soi, son degré de suggestionabilité, son sexe, son âge, position sociale, etc.

Trois questions semblent revenir sans cesse : — Le récepteur est-il influençable indépendamment du contenu du message ? — Peut-on prédire si l'acte d'influence aura l'effet souhaité à partir des caractéristiques du

récepteur ? — Le récepteur dispose-t-il des moyens de contre-argumentation ? 4. Les variables liées au contexte groupal : le groupe est le lieu naturel de la communica­

tion. Les attitudes sont acquises, maintenues et modifiées dans ce contexte. L'effet de groupe est défini par la présence d'une interaction et les apports de ses membres. Plusieurs questions sont posées : deux valent-ils mieux qu'un ? Le sujet est-il producteur de ses opinions ou est-ce le groupe ? Le processus est-il individuel ou collectif ? Comment les buts sont-ils définis ? Quels effets ont les buts sur l'attitude des membres ? La discussion collective améliore-t-elle la qualité de la réponse commune ? La taille du groupe a-t-elle une influence ? Quel est le degré de satisfaction d'un groupe ?

5. L'inventaire des résultats (1) : le nombre d'études expérimentales pour répondre à ces questions est immense : Zimbardo et Al. (1977), Berkowitz (éd.) (1970), Lindzey et Aronson (1985), Kapferer (1985). Un inventaire de principaux résultats n'est pas une boîte à outils mais plutôt à hypothèses. Certains auteurs prennent garde — comme Bromberg (1981) le souligne — de prévenir les utilisateurs de l'ambiguïté troublante de ces recettes. Car elles se résument en

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La psychologie politique

deux mots: « cela dépend... » Donc nous ne sommes pas assurés d'obtenir l'effet souhaité ou son inverse.

*

Au retour du sujet dans la réflexion universitaire correspond la recherche sur l'homme politique. Elle passe notamment par l'étude de la personnalité et celle du leadership. Le paradigme de l'influence sociale aide à la compréhension de l'action politique. Tandis que les mécanismes d'interaction entre le sujet politique et son environnement sont l'objet d'études et de recherches pluridisciplinaires, la psychologie politique se tourne déjà vers de nouveaux horizons, particulièrement en France : l'étude de la parole qui est au centre de la problématique du pouvoir et de l'action politique.

Le mouvement vers l'analyse du discours politique s'est opéré à partir de l'approche lexicologique (Bergounioux et al. (1982), Coterret et al. (1976), Roche (1971), Courdesses (1971)...).

Ces quelques références sèchement jetées font partie d'un ensemble de recherches destinées à établir les liens manquants entre les préoccupations concrètes de la psychologie politique et les avancées méthodologiques dans l'étude de la parole.

Parmi les méthodes récentes d'analyse de discours politique on trouve un modèle, le contrat de communication et une technique, l'analyse propositionnelle du discours élaboré par le Groupe de Recherche sur la Parole (Ghiglione et Al. 1989). De quoi se compose le contrat de communication ?

— La théorie rend compte de la relation entre le sujet qui communique et un objet (la langue), à partir d'un rapport d'appropriation qui construit du sens, La langue est un outil de persuasion, et socialement déterminée.

— La méthode d'analyse discursive « analyse propositionnelle du discours » met à jour les éléments intervenant dans les situations d'interlocution de traces langagières dans le discours.

— Les études expérimentales veulent mettre en évidence que la persuasion ne se conçoit pas sans enjeu dont le but est faire agir l'autre dans une démarche stratégique articulée par une logique du vraisemblable et des contrats implicites ou explicites qui structurent le jeu communicatif. , .

Des résultats expérimentaux existent: Dorna et Bromberg (1985), Lucas (1985), Dorna (1986), Dorna (1989), Ghiglione et al. (1989).

La psychologie politique ne se réduit pas à notre présentation. Elle explore d'autres domaines dont nous n'avons pas fait mention: la propagande et la publicité politique, la négociation et les conflits, les idéologies et les croyances, le pouvoir et les systèmes de gouvernement, l'identité nationale, la guerre et la violence, la socialisation, les partis politiques, la psycho-histoire, les relations internationales, les systèmes des valeurs.

La voie est ouverte et le sens de la nouvelle discipline s'inscrit dans les paroles de H. Bronch : « L'humanité s'apprête à quitter l'époque économique de son évolution pour entrer dans l'époque psychologique. »

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N O T E

1. Les effets expérimentaux de l'influence sociale a) Recommandations liées à l'émetteur — Le changement d'attitude du récepteur est d'autant plus important que la crédibilité de la source est grande. — La crédibilité est un facteur de changement plus important juste après l'émission du message qu'à la suite d'un certain délai. — Si l'émetteur exprime au début de son intervention ou de son texte son accord avec les opinions partagées par l'auditoire, l'efficacité de son acte persuasif augmente. — Ce que le récepteur pense de l'émetteur peut être la conséquence de ce qu'il pense du message reçu. — Un changement d'opinion important a plus de chances de se faire lorsque l'émetteur le demande d'une manière nette. — Les attitudes tendent à se polariser quand la différence entre le message et la position initiale du récepteur est extrême. — Lorsque cette différence est extrême et que la source est peu crédible, alors le changement d'attitude s'affaiblit. — Le degré d'acceptation des conclusions d'un message est en relation avec des contradictions perçues entre les caractéristiques de l'émetteur et le contenu de la communication. b) Recommandations liées au message — Faire appel pour convaincre soit à l'émotion soit à la raison dépend de l'auditoire. — D vaut mieux présenter un seul aspect d'un argumentaire (pour ou contre) lorsque le récepteur est en accord avec l'émetteur, dans le cas contraire, présenter les deux. Cette dernière recommandation est aussi valable quand l'émetteur est le seul à parler et qu'il souhaite un changement immédiat, même temporaire. — Si deux thèses opposées sont exposées — l'une après l'autre, c'est la dernière qui vraisemblablement l'emportera. — Si l'on utilise la peur pour modifier un comportement, la meilleure stratégie consiste à ne susciter qu'une peur raisonnable. — Tirer des conclusions à la fin d'un exposé est conseillé si l'auditoire est réputé intelligent. Dans ce cas il vaut mieux lui laisser la liberté de conclure lui-même. — Il ne faut pas donner de justifications extrinsèques lorsqu'on veut que le récepteur se comporte en contradiction avec les normes établies. — Placer les arguments les plus forts, en exorde ou en épilogue n'est pas encore clairement établi. — Accepter la généralisation des propositions fondées sur un processus d'induction dépend du fait que les arguments sont spécifiques au sujet ou à l'objet. — Un discours qui comporte des arguments nouveaux produit une impression bien plus grande qu'un message utilisant des arguments connus. — Un argument est nouveau dans la mesure où son occurrence dans le discours est faible, et l'impact persuasif est d'autant plus grand qu'il contiendra plus d'indices nouveaux. — Un message complexe ou subtil provoque des changements plus durables. c) Recommandations liées au récepteur — Le niveau d'intelligence/connaissance de l'auditoire détermine l'efficacité des appels persuasifs. — Une persuasion efficace doit prendre en compte les causes de l'attitude autant que l'attitude elle-même. — Il est plus aisé de persuader quelqu'un dont l'estime de soi est faible. En revanche les sujets ayant une estime de soi élevée sont plus susceptibles d'être persuadés par une menace extrême que ceux ayant une faible estime de soi. — La pratique du jeu de rôle permet d'augmenter le degré d'acceptabilité d'une position préalablement inacceptable. — La résistance à la persuasion augmente lorsque le récepteur est prévenu de l'intention de l'influencer, tandis que la résistance diminue si l'on veille à le distraire (humour, anecdotes, récits) en même temps qu'on lui présente le message. — Les sujets s'exposent plus aux messages qui sont en accord avec leur position, mais ü n'est pas prouvé qu'ils évitent les informations qui sont en désaccord avec leur position. — Lorsque le changement vers une position modérée a pour but de maximiser les gains (dus à la situation), alors le sujet adopte une position plus neutre ; en revanche, si le but est dû à une polarisation de l'opinion, alors le sujet adopte une position plus extrême. — Augmenter de quelque façon que ce soit l'estime de soi de quelqu'un améliore la résistance à la persuasion. — En prévision d'une attaque éventuelle il vaut mieux prévenir le danger qu'endormir la conscience par des propos rassurants: menacer puis rassurer s'avère la meilleure méthode. d) Recommandations liées au groupe

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La psychologie politique

— Les opinions et les attitudes des sujets sont influencées fortement par les groupes auxquels ils appartiennent à condition que les relations entre le sujet et le groupe soient satisfaisantes. — La conformité aux normes du groupe est récompensée tandis que la déviance est punie. — Quand les membres d'un groupe acceptent pleinement les buts, alors ceux-ci ont une influence considérable sur leurs comportements. — Au fur et à mesure que la taille d'un groupe augmente, la participation du membre plus actif se différencie progressivement de celle des autres membres. La position de ceux-ci deviendra de moins en moins différenciée. — Dans un groupe où le réseau de communication est fortement centralisé, les membres périphériques sont insatisfaits et les sujets centraux très contents du travail de groupe et de leur contribution personnelle.

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