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Voyage en Crète Le départ Un après-midi ensoleillé, resplendissant, du mois d’août, je me trouvais au port du Pirée, perdue dans une marée humaine, au même port où autrefois Nikos Kazantzaki descendait, en quittant Athènes, pour prendre le bateau vers la Crète. « C’était le mois d’août, le plus généreux et le plus aimé, solide maître de maison aux bras chargés de fruits sucrés, qui se promène dans les jardins et dans les vignes…- qui rit et vendange éternellement sa vigne, la Grèce ! » 1 Je regarde autour de moi pour « voir » si le café où il a rencontré Zorba pour la première fois existe toujours… Ce jour-là, écrit Kazantzaki, la mer était « démontée », « il pleuvait » et « un fort sirocco soufflait et les éclaboussures des vagues arrivaient jusqu’au petit café.» 2 L’image de Zorba devient presque réelle et je le « vois » dans le café avec ses mains « toutes calleuses et crevassées » qui « ouvrirent le sac et sortirent un vieux santouri poli par les ans, avec un tas de cordes, de garnitures de cuivre et d’ivoire et un gland de soie rouge. » 3 « Le santouri, dit Zorba, c’est une autre chose. C’est un animal sauvage, il a besoin de liberté. Si je suis entrain, je jouerai, je chanterai même… mais je te le dis carrément, il faudra que je sois entrain… Si tu me forces, ce sera fini. » 4 Si l’écrivain n’avait pas tendu sa main pour écrire, tout aurait disparu sans trace dans le gouffre « anthropophage » de l’éternité : le rivage crétois, la danse de Zorba, le santouri, la veuve, l’icône au-dessus de son lit, la dame Hortense « vieille sirène si éprouvée », le figuier, les vieilles femmes, le jeune berger qui menait la danse pascale, le vieux Mavrandoni, le parfum de fleurs d’oranger, les larmes de Zorba, la pluie qui liait le ciel et la terre, l’installation qui s’écroule, la mort violente de la veuve, la mer qui sort de sa mémoire pour inonder son âme de néant et d’illusion… Le bateau, comme une vraie « arche », nous porte vers la grande île miraculeuse qui incite mon imagination. L’irréalité de cette nuit d’août me reste toujours présente, le ciel et la mer s’unissaient avec une égale impétuosité et allégresse pour empêcher le dieu du vent et ses terribles tempêtes: « Nulle part ailleurs on ne passe aussi sereinement ni plus aisément de la réalité au rêve. Les frontières s’amenuisent et des mâts du plus vétuste des bateaux s’élancent rameau et grappes. On dirait qu’ici, en Grèce, le miracle est la fleur inévitable de la nécessité.» 5 Le bleu intense de la mer et du ciel réveille dans ma mémoire le discours d’Elytis sur la beauté, ce « bleu » prodigué par Dieu pour nous « empêcher » de le voir… Je scrute la mer et la traîne argentée laissée par le bateau, et j’ai l’impression d’apercevoir dans ses profondeurs des fragments de colonnes, des marbres, des statues, des amphores où dorment des « mots » oubliés, comme les semences cachées autrefois par un roi pour nourrir ses fidèles… 1 Nikos Kazantzaki, Lettre au Gréco, Plon, 1961, p. 514 2 Nikos Kazantzaki, Alexis Zorba, Plon, 1966, p. 1 3 ibidem, p. 23-24 4 ibidem, p. 25 5 ibidem, p. 27 1

Alexandra Medrea - Voyage-En-Crete Despre Zorba

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Voyage en CrteLe dpart

Un aprs-midi ensoleill, resplendissant, du mois daot, je me trouvais au port duPire, perduedansunemarehumaine, aummeport oautrefois Nikos Kaantaki des!endait, en "uittant #thnes, pour prendre le $ateau vers la %rte&' Ctait le mois daot, le plus gnreux et le plus aim, solide matre de maison auxbraschargsdefruitssucrs, qui sepromnedanslesardinset dansles!ignes"# qui rit et !endange ternellement sa !igne, la $rce % &' (e re)arde autour de moi pour ' voir * si le caf o il a ren!ontr +or$a pour la premire fois e,iste toujours- %e jour-l., !ritKaantaki, la mer tait ' dmonte *, ( il pleu!ait * et ' un fortsirocco soufflait et les claboussures des !agues arri!aient usquau petit caf)&* /ima)e de +or$a devientpres"ue relle et je le ' vois * dans le cafave! ses mains ' toutes calleuses et cre!asses &qui ( ou!rirent le sac et sortirent un !ieux santouri poli par les ans, a!ec un tas de cordes, de garnitures de cui!re et di!oire etun gland de soie rouge) &+

( Lesantouri,dit +or$a, cest uneautrechose) Cest unanimal sau!age, il a besoin de libert) ,i e suis entrain, e ouerai, e chanterai m-me" mais e te le discarrment, il faudra que e sois entrain" ,i tu me forces, ce sera fini) &. 0i l!rivain navait pastendu sa main pour !rire, tout aurait disparu sans tra!e dans le )ouffre ' anthropophage * de lternit 1 le riva)e !rtois, la danse de +or$a, le santouri, la veuve, li!2ne au-dessus de son lit, la dame 3ortense' !ieille sirne si prou!e *,lefi)uier, lesvieillesfemmes, lejeune$er)er"ui menait ladanse pas!ale, le vieu, 4avrandoni, le parfum de fleurs doran)er, les larmes de +or$a, la pluie "ui liait le !iel et la terre, linstallation "ui s!roule, la mort violente de la veuve, la mer "ui sort de sa mmoire pourinonder son 5me de nant et dillusion- /e $ateau, !omme une vraie ' ar!he *, nous porte vers la )rande 6le mira!uleuse"ui in!itemonima)ination& /irralitde!ettenuit daot mereste toujours prsente, le!iel et lamer sunissaient ave! une)aleimptuositet all)resse pour emp!her le dieu du vent et ses terri$les temptes1' /ullepart ailleursonnepasseaussi sereinement ni plusaisment delaralit au r-!e) Les frontires samenuisent et des m0ts du plus !tuste des bateauxslancent rameauet grappes) 1ndirait quici, en$rce, lemiracleest lafleurin!itable de la ncessit)&2 /e $leu intense de la mer et du !ielrveille dans ma mmoire le dis!ours d3lytissur la $eaut, !e ' bleu &prodi)u par 7ieu pour nous ' emp-cher * de le voir- (e s!rute la meret la tra6ne ar)ente laisse par le $ateau, et jailimpression daper!evoirdanssesprofondeursdesfra)mentsde!olonnes, desmar$res, des statues, desamphoresodorment des' mots *ou$lis, !ommelessemen!es !a!hes autrefois par un roi pour nourrir ses fidles-1 Nikos Kazantzaki, Lettre au Grco, Plon, 1961, p. 514 2 Nikos Kazantzaki, Alexis Zorba, Plon, 1966, p. 13 ibidem, p. 23-244 ibidem, p. 255 ibidem, p. 271(ema$andonne.lternellemer et jepense"ue4halsavait raisonen !onsidrant leau !omme le prin!ipe ori)inaire de la vie, !ar ses e,halations nourrissent la terre et les astres vo)uent elles-mmes sur leseau,& /a mer devient som$re, la lune me para6t un 8uf dar)ent jet par la nuit sur le !iel toil& 7aprs les m9thes orphi"ues,3rosest sorti de !et 8uf de la /uit pour donner une impulsion . lUnivers entier& 7e la puissan!e de !e m9the sinspire Kaantakien redfinissant son propre ' lan !ital &et en donnant . lide de5ergson une ampleur !osmi"ue 1( 6n amour !iolent transperce luni!ers 7 comme lther, il a la duret de lacier, la tendresse de lair)8l sinsinue en toute chose, la pntre, puis la quitte) 8l ne se laisse pasemprisonner dans le corps aim 9 il est lamour crucifi):mour 9 quelleautrenomdonner;llanqui, fascinparlamatire, !eut luiimprimer son!isage) 8l regardelecorpset !eut letranspercerafindesyunir;lautre cri damour qui y est enferm, afin de ne faire quun a!ec lui, de sy perdre etde simmortaliser ainsi dans le fils) &aurais !u ce our#l; saint @inasbondir desonicLne, secamper ;che!al sur laportedelgliseetattendre le petit prince de $rce, et les larmes couler sur ses oues h0les et sur sabarbe grise) &*'/enfan!e tenait du mira!le, Nikos pouvait ' !oir les chosesin!isibles * sous uneformema)i"ue, lanaturesoffrait divinement .lenfant, il vivait dans une l)ende "uise renouvelait . !ha"ue instant 1' ?ieu !enait, tant que ai t enfant, il ne ma amais tromp, il !enait sous laforme dun enfant comme moi et mettait dans mes mains ses petits ouets K le soleil,la lune et le !ent) K>e ten fais cadeau, me disait#il, e ten fais cadeau 7 oue a!ec eux, moi, en ai dautres)>ou!rais les yeux, ?ieu disparaissait, mais a!ais encore dansles mains sespetits ouets)>a!ais sans le sa!oir, et e ne le sa!ais pas parce que e le !i!ais, la toute#puissance de ?ieu 9 e faAonnais le monde comme e le !oulais) >ait une p0tetendre, iltait lui aussi une p0te tendre"Vritablement, rien ne ressemble autant ; lMil de ?ieu que lMil de lenfant, quipour la premire fois !oit et cre le monde)&** Plus tard, Kaantaki re)ard 7ieu !omme le !onfrre de lhomme, il imprime . sa lutte la no$lesse et le !oura)e, et la prire adresse . 7ieudevient un ' rapportde soldat ; son gnral &9 ( @aprirenest pasuneplaintedemendiant ouuneconfessiondamour)3ncore moins un bulletin de comptes de petit commerAant 9 e taidonn, donne#moi)19 ibidem, p. 7#2$ ibidem, p. 6721 ibidem, p. 1$522 ibidem, p. 416( @aprireest unrapport desoldat ;songnral 9 !oici cequeai faitauourdhui 9 !oici ce que e !ais faire demain, !oici comment e me suis battu poursau!er la bataille entire dans mon secteur 7 !oil; les obstacles que ai trou!s)( ,ous le soleil brlant, sous la pluie, nous che!auchons, mon ?ieu et moi, etnous de!isons, p0les, affams, indomptables)( Chef % & 8l tourne !ers moi son !isage et langoisse que y !ois me fait frmir)( Qude est notre amour) /ous sommes ; la m-me table, nous bu!ons le m-me!in, dans cette misrable ta!erne qui est la terre)&*+ /hommeest le!olla$orateurdu7ieu, il doit!ontinuerla!rationdivine, la nouvelle ' >ense * suppose lintervention ininterrompue de lhomme "ui lutte pour li$rer sa for!e divine,llande ' lvolution !ratri!e *"ui estsans fin 1( ?ieu a cr le monde et le septime our il sest repos) :lors il a appel sa dernire crature, lhomme, et lui a dit 9 3coute, mon fils, et tu auras ma bndiction)@oi ai fait le monde, mais e ne lai pas ache!, e lRai laiss ; moiti fait 7 c Rest ; toide continuer la cration 9 brle le monde, fais#en du feu et rends#le#moi ainsi) 3t moien ferai la lumire)&*.Unvrai %rtoisest ' unarcentrelesmainsde?ieu *, saprirersonne ' comme une panoplie darmes * 1( >e suis un arc entre tes mains, ,eigneur 7 tends#moi, sinon e pourrirai 74ends#moi tant que tu !eux, ,eigneur, et tant pis si e casse) &*2 ,ur les cimes0ur la !olline du $astion 4artinen)o, Nikos Kaantaki, le fils de la %rte, veille sur l6le !omme Cres, le fils de Seus, le ma6tre primordial de l6le& /e soleil tom$e !omme une perle noire sur la !roi, dolivier- (e lis et relis lpitaphe, les trois phrases ora!ulaires, e,primes . la premire personne !omme les prdi!tions de 7elphes 1 ' >e nespre rien, >e ne crains rien, >e suis libre) &7ansun verset de l:scse, on retrouve les )randes li)nes de !ette su$lime s9nthse, le fruit de sa lutte sans rpit et de sa diffi!ile vi!toire 1( @aintenant e le sais 9 e nespre rien, e ne crains rien 7 e me suis libr de lesprit et du cMur) >e suis mont plus haut) >e suis libre) Cest ce que e !eux, riendautre) >e cherchais la libert)&*r!e anti"ue, !est l8il de la %rte, pla!e . la !onfluen!e de l#fri"ue, de l:urope et de l#sie, destine . !rer la s9nthse, le nouvel "uili$re&%est une senten!e fondamentale, pareille . !elle ins!rite sur le frontispi!e de sa maison d:)ine "ui e,prime sa ' dmesure * et ' !orri)e * lins!ription delphi"ue de la ' mesure * 13n ;gan %Pour le )rand %rtois vivre !est . dire ar$itrer son propre destin, jouer ave! les lments tra)i"ues de la vie, passer au-del. des limites imposes . lhomme, monter vers les plus hautes !imes de lespran!e, tre tent par la$solu, !rer la li$ert de son esprit, dpasser la !rainte et lespoir, ouvrir son 8il intrieur, $5tir sa maison au-dessus de la$6me B-' Va usquoB tu ne peux pas % & lui ordonne dans le rve, son aGeul 3l $rco 1 ' Ctait ta !oix) Dersonne dautre au monde ne pou!ait prononcer une parole aussi!irile, toi seul lepou!ais, $rand#preinsatiable % /es#tupaslechef indompt,dsespr de ma race combattante C /e sommes#nous pas les blesss, les affams,leshommes ; la t-tede fer,qui ont tournledos au bien#-tre et;lacertitude K et tu nous conduis et nous partons ; lassaut pour briser lesfrontires C &+.3n ;gan % dit le !ri de joie et la danse de +or$a sur le riva)e !rtois, en ;gan %dit laviolen!edelapluieet destorrents, lamonte5preet a$ruptevers les 32 ibidem, p.46333 ibidem, p. 1134 ibidem, p. 161$monta)nes dserti"ues, le soleil proti"ue, ardent, les e,plosions florales de hi$is!us, la mer "ui lutte !ontre le mur vnitien, le ' regard crtois * "ui maintient en "uili$re toutes les antinomies B(e reviensde =arvari dans la !it d3raklion, mais javais ave! moi "uel"ues $rinsdher$esodorantes, lesprit delaterrear!haG"ue, e,u$rante, desher$es sorties )r5!e . limpulsion !haoti"ue de la $oue dans son lan vers la lumire& (e )arde !es her$es dans ma maison et "uand je sens le parfum amer, !omme le flu, sta$le de la vie, la %rte entire rentre dans mon 5me-/a %rte est une !aravelle "ui vo)ue par-dessus le dlu)e du temps, porte par le vent "ui souffle tout le temps, toute la journe, toute la vie-(e d!ouvre la forme dli!ate de l6le sur la !rami"ue faConne par les doi)ts ha$iles des potiers, sur un sa! jet sur lpaule, sur un !endrier,un tissu, une !arte,un mur, !omme je ' portait * l6le )rave dans mon 5me, !omme %hristophe %olom$ "ui portait les #ntilles "uil voulait d!ouvrir- Kaantaki ' vivait *la %rte !omme un m9stre f!ond 1( >e!oyaismon0mesedployerdansmonsang, pareille;uneminiaturemystrieuse de la Crte 9 elle a!ait la m-me forme de na!ire ; trois ponts, elle a!ait!cu les m-mes sicles, les m-mes frayeurs et les m-mes oies, !oguant au milieudes trois continents, le saint 1rient, la brlante :frique et la sobre 3urope, battue destrois grands !ents fcondants) 3t ce besoin que a!ais prou!, consciemment ounon, pendant des annes, stait ; prsentr!eill en moi plus imprieux encore Kharmoniser cestroisdsirs, cestroisimpulsionsdisparates, raliser laprouesse supr-me, lasynthse, arri!er ; la @onade, faite dune triple substance)& +2Le mythe d6lysse/a ' ren!ontre * entre Kaantaki et son hros 6lysse, leur ' terrible !oyage & sur)issent dans ma mmoire de la mer d!on!ertante de Lettre au $rco)/itinrairedUl9sse?Kaantaki !est lima)edunvo9a)e' verti!al *, une monte pour r!uprer les ori)ines, pour !rer une vision monumentale de la vie, par la lutte, par la !onfrontation ave! leffra9ante 4rinit 9 l:mour, ?ieu, la @ort)Kaantaki a!!ueille au sommet de son esprit ol9mpien tous les m9thes et tous les dieu, )re!s, !omme le philosophe Droclus, le temps o les )ens ont !ess de !roire au, dieu, 1( Droclus dormait dans une bicoque, au pied de l:cropole, et soudain, ; minuit,il entendit quon frappait ; sa porte 7 il sauta ; bas de son lit et courut ou!rir 9 il !it:thna en armes debout sur le seuil)#Droclus, dit#elle, on me chasse de partout, et e suis !enue me rfugier sur tonfront) &+e suis 4hse)6n our tincelant de soleil, e nageais dans une baie solitaire d:ttique):u#dessus de moi lallgresse du soleil, derrire moi, le murmure des pins sousla brise 7 de!ant moi usquaux lointaines ri!ages de Crte, limmensit de la mer),oudain, e me tournai 7 tu nageais ; cLt de moi)&.+7ans l8uvre de Kaantaki, des!endre dans les tn$res du la$9rinthe, dans les a$9sses, si)nifie parado,alement la monte, la suprmatie de la lumire sur les for!es o$s!ures de l5me 1( >esentaisquectait l;monde!oir, monuniquede!oir 9 rconcilier les irrconciliables, faire remonter du fond du moi#m-me les paisses tnbres ancestrales pour en faire, autant que e le pourrais, de la lumire) &../atmosphre tran)e du palais de %nossos envahit lesprit de Kaantaki1 des !olonnades, des fres"ues en)loutiesdans lesfleursdel9s, despapillons, des oiseau, "ui lvent leur !hant vers le !iel, des hommes "ui triomphent dans leurs jeu, sa!rsave!lestaureau,& 7evant ses9eu,, lepoissonvolant dploiesespetites ailes en faisant un saut vers le haut, vers la li$ert1 ' 6ne foule de poissons nageaient et ouaient dans la mer, la queue rele!e,heureux 7 et brusquement au milieu deux un poisson !olant a!ait dploy ses petitesailes, prissonlanet bondi horsdeleau, pourrespirerlair", respirerlairpur,de!enir oiseau) Lespace dun clair seulement, mais cela suffisait 7 cet clair taitlternit) Cest celalternit)>e regardais ce poisson !olant, a!ec une motion profonde, a!ec compassion,comme si ctait mon 0me que e !oyais dessine l;, sur les murs du palais, depuisdes milliers dannes) &.2#u !8ur de !et tat d5me, il d!ouvre les !ouloirs se!rets o avaient lieu les !ourses de taureau,, peintes sur les murs du Palais de %nossos&/asour!edu' regardcrtois * !est la' luttesacrea!ecletaureau quiaiguisait lesforcesduCrtois, culti!ait lasouplesseet lagr0cedesoncorps, la prcision ardente et lucide de ses gestes, lobissance de sa !olont et la !aillance,si difficile;acqurir, quil faut pouraffrontersans-treen!ahi parlpou!antelapuissance effrayante de la b-te")Voil; quelle tait" la lutte sculaire de lhomme et du 4aureau K quauourdhuinous appelons ?ieu K !oil; quel tait le regard Crtois) &.< Le Lys et le ,erpent se ressent de !ette vi$ration des s9m$oles inspirs par les fres"ues de %nossos, ave! les l9s lu,uriants des jardins du palais et les serpents venimeu,, sa!rs, ports sur leurs $ras par les femmes& /e hros du livre senivre de s9m$oles o$sdants, e,altants, "ui e,priment son an)oisse tempre par le souvenir dun midi dt !rtois 1 43 Nikos Kazantzaki, 'h(tre, Plon, 1974, p. 113-11444 Nikos Kazantzaki, Lettre au Grco, p 1#45 ibidem, p. 4#346 ibidem, p. 516-51714( @idi) 3n feu, du Ciel, descendent les embrassements du $rand :mant et laterreimmobilede!ient @re) Lessemencesdoressapaisent et penchent leurslourdes t-tes, on dirait quelles pensent, on dirait quelles pressentent la faucille) :u loin les montagnes se taisent) La grande terre sallonge et les oiseaux se calmentdans les arbres et les b-tes se reposent ; lombre) 3t dans limmense chaleur etlimmobilit de toutes les choses et de toutes les 0mes et dans le baiser en feu dusoleil qui cou!reet fcondelaterre, ungrincement sefait entendre, trangeetmystrieux) 1n dirait que la terre tremble) ?e plaisir peut#-tre, peut#-tre de souffrance)3t brusquement, comme un regret et comme une flamme, a disparu de monesprit et demoncorps, L, mon3lue, le@idi flamboyant et inoubliabledenotrebonheur, # quand brlait sur nos 0mes le $rand ,oleil de lamour) &.=/e livre su))re la des!ente dans lela$9rinthe, !omme un lieu dinitiation, le hros !her!he un !hemin vers la lumire, en invo"uant sa $ien-aime "ui lui appara6t !omme une nouvelle #nti)one 1' >e nen peux plus) @es pieds sont ensanglants dans le !oyage de la !ie) Lesailes de mon 0me se sont brles dans la fournaise des dsirs)>e nen peux plus) ?es gouttes de sang marquent mon passage sur la terre) 3til est infini le royaume des dsirs, L, mon 3lue, infini le sentier des plaintes) 3t mon0me a !u beaucoup de choses et est de!enue a!eugle) :!eugle, sans b0ton, pliantsous le poids de la douleur de toute ma ligne, chass de ma Datrie, criminel a!antdenatreKemesuistranusqu;4esgenoux) 1, :ntigonedemon0meKparpille tes che!eux blonds sur mes pieds pour essuyer le sang)?onne#moi 4a main, L, fille de ma souffrance, pour me conduire, moi,la!eugle) &.E0aisiparunesensation din!ompltude,Kaantakitransforme le Drince aux fleurs de lys, de !e monde se!ret du palais de %nossos, en hros de son livre, ave! son 5me empreinte de sentiments imper!epti$les, son monde intrieur "ui s!roule !omme les ruines du palais de %nossos 1 ' 6n monde sesteffondr ; lintrieur du moi) Puand mon 0me, parfois, estencore transparente, e me penche pour regarder les secrets dans ses profondeurs)?es grands marbres blancs briss sentassent sous les !otes en ruines destemples) Lescolonnesdupalaissesont inclineset fissures, et leseauxquipntrent rongent lesimmensespeintureset lesfont scailler) Lesclochesnesonnent plus) Lesardinsintrieurssefanent et il nyaplusdoiseauxsur lesbranches qui chantent) &.FLeLys et le ,erpent!est le'cri &d!hirant del5me,sortide ' lachanson rauque et sombre * "ue le jeune Kaantaki avait entendue, une nuit, en passant par le"uartiertur!de4)aloKastro& Unenuit "uandil avait !omprislafor!ede la (@onade en armes &,( leffrayante 4rinit & 9 l:mour, la @ort, ?ieu- 7e !ette ardeur primitive viennent plus tardllo)e du m9stre de lhomme etde la femme, lharmonie du !orps et de l5me, sortie du m9the )re!, "uilvo"ue dans sa!onfession faite au >r!o 1' >ai aim, tu as srement aim aussi, mon aNeul, ce mythe de nos anc-tresqui parle d3ros et de Dsych) 8l y a une grande honte, un grand danger ; faire de lalumire, ; chasser lobscurit pour !oir deux corps enlacs) 4u le sa!ais, toi qui as47 Nikos Kazantzaki, Le Lys et le Serpent, %ditions d .o,/e*, 19##, p.#94# ibidem, p. 97-9#49 ibidem, p. 12715cachdanslombredi!inedelamour tacompagnebien#aime, >eronimadelasCue!as 7 ai fait de m-me a!ec ma >eronima, !aillante compagne de la lutte, grandeconsolation, source frache dans le dsert inhumain que nous tra!ersons) &2G0ouvent,Kaantaki ' transpose la ralit * dans le monde enivrant de %nossos jus"u. la ' rduire en ide abstraite * et lint)rer dans lharmonie universelle& #insi, la mort violente de lhroGne du roman :lexis Sorba est devenue une l)ende inoffensive, pla!e . lpo"ue de la !ivilisation )enne 1 ( Laffreux !nement dun our slargissait, stendait dans le temps et danslespace, sidentifiait aux grandes ci!ilisations disparues, les ci!ilisationssidentifiaientau destin de la terre, la terre au destin de luni!ers" Le temps a!ait retrou! en moison sens !ritable 9 la !eu!e tait morte des milliersdannesaupara!ant, ;lpoquedelaci!ilisationgenne, et leseunesfilles de Cnossos aux che!eux friss taient mortes, ce matin, au bord de cette merriante) &2' Parlastru!turela$9rinthi"uedeson8uvre, Kaantaki reprend, !ommeun refrain, s9nta)mes et mtaphoresdansdes' imagesKsignes *"ui pourraient d!hiffrer tous les sens ins!ruta$les du monde, du temps de lhomme sur la terre,re)ard dans la perspe!tive de lternit 1( >e!oyaislepoisson!olant oser lebondmortel horsdeleau, e!oyaislhomme, la femme, a!ec leur taillemince, oyeux, agiles, ouer a!ec le taureau surlairepa!edepierres, e!oyaislalionnedormir, paisibleaumilieudeslis, etmefforAais de dcou!rir leur sens cach 9 doB !iennent tant de !aillance et tant de oie, quelle prire adressent, et ; quel dieu, les bras nus et triomphants de la femmeoB senroulent les serpents noirs C &2*(e "uitte le palais de %nossos et le Drince aux fleurs de lys, en prouvant la joie ressentie par Nikos Kaantaki, sortant dun temple $ouddhi"ue en %hine, o il avaitadmir une statue du Fouddha, s!ulpte en jaspe translu!ide 1( >e marr-taiun moment dans le ardin, appuy ; un arbre, pour laisser maoie intrieure se dcanter) @on esprit tait comme un scarabe dor nich usqu;laube dans un lys et qui en sort tout saupoudr du prcieux pollen) &2+ :!ant de partir#vant de "uitter la )rande 6le jai pass "uel"ues jours . 4.tala, sur le riva)e de la 4er de /i$9e,un villa)e de p!heurs, un mor!eau de terre plein de poussire, !aptif entre le !iel et la mer& 7u matin jus"uau soir je vis en !ompa)nie de la mer, j!oute sa respiration "ui imprime . toutes les !hoses son r9thmetout puissant, et je dis !omme Lucrce 1 ,ua!e, mari magno"/e soleil!oule sur le sa$le,sur la pierre "ui$rle, toutes les !hoses )lissent dans la lumire de miel, la mer est un a$9sse dun $leu indfini, in!ons"uent, sorti de lal!himie de la lumire et de lom$re, sorti de lternit de !ette terre aride du midi!rtois&5$Nikos Kazantzaki, Lettre au Grco , p. 52551 Nikos Kazantzaki, Alexis Zorba, p. 353-35452 Nikos Kazantzaki, Lettre au Greco, Plon, 1961, p. 4#453 Nikos Kazantzaki, )oya*e Chine+,apon, Plon, 1971, p. 25716/e dernier soir en %rte, je reste sur le riva)e et je re)arde la mer, la terre et le !iel, je pense au )rand %rtois et je me,ile en!ore une fois dans sa ' )o)raphie * littraire essentielle, pour tre le modeste ' !opiste * "ui ranime les pa)es harmonieuses "ui lui sont !onfies 1( >e regardais le soleil quidclinait, llot dsert en face de moise teintait derose, plein de bonheur, comme la oue que !ient deffleurer un baiser 7 coutais les petits passereauxqui, lasda!oirchantetchasstoutleour, sentaient!enirle sommeil et rentraient au nid pour dormir) 5ientLt les toiles allaient monter, prendreleur place une ; une et la roue de la nuit allait commencer ; tourner) @inuit allait!enir, puis laube, le soleil apparatrait, et la roue de la destine se mettrait en branle)Qythme di!in) &2. #le,andra 4edrea54 Nikos Kazantzaki, Lettre au Greco, Plon, 1961, p. 49517