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Spectacles Le jeu de l’amour et du hasard Marivaux / Jean Liermier Du ve 31 octobre au je 27 novembre (Carouge) Ali baba et les quarante voleurs Compagnie La Cordonnerie Ma 4 et me 5 novembre (Meyrin) L’odyssée des Épis Noirs ou Le monde à l’envers Compagnie Les Épis Noirs Me 12 et je 13 novembre (Meyrin) Flux, Small Boats, Push Russell Maliphant Ma 18 novembre (Meyrin) Bergamote, morceaux choisis Claude-Inga Barbey / Claude Blanc / Patrick Lapp Du mer 19 au sa 22 novembre (Meyrin) Je m’en vais Oana Pellea / Mihai Gruia Sandu Ma 25 et me 26 novembre (Meyrin) Récréation primitive Compagnie La Calebasse Me 3 décembre (Meyrin) Les petits arrangements Claude-Inga Barbey Du je 11 au di 14 décembre (Meyrin) Stimmhorn Balthasar Streiff / Christian Zehnder Ma 6 et me 7 janvier (Meyrin) Candide Voltaire / Yves Laplace / Hervé Loichemol Du ve 16 janvier au di 8 février (Carouge) Expositions Girafes & cie Albert Lemant & Kiki Lemant Du lu 10 novembre au sa 13 décembre (Meyrin) La grande question, etc. Wolf Erlbruch Du ma 13 janvier au me 18 février (Meyrin) Films La belle et la bête Jean Cocteau Me 12, je 13, ma 25 et me 26 novembre (Meyrin) Cœur fidèle Jean Epstein Du me 19 au sa 22 novembre (Meyrin) Rencontre La douleur d’aimer Madeleine Chapsal Ve 14 novembre (Meyrin) Café des sciences Nous avons la joie de vous annoncer notre mariage Je 27 novembre (Meyrin) Goûters des sciences Des tracas dans la cour des grands Me 12, 19, 26 novembre et 3 décembre (Meyrin) Ateliers Atelier d’écriture / Tracas d’Eros II Fragments autobiographiques Du je 6 novembre au je 22 janvier (Meyrin) Atelier Faust Formation continue pour comédiens professionnels Du lu 8 au sa 20 décembre (Carouge) Autres événements Cycle passedanse Les Giselle (Film) Lu 1er décembre (Centre d’Animation Cinématographique, Grütli) Ma 2 décembre (Ciné Actuel, Annemasse) Renseignements pratiques En voiture : direction Aéroport-Meyrin ; sur la route de Meyrin, après l’aéroport, prendre à droite direction Cité Meyrin puis suivre les signalisations. Deux grands parkings gratuits à disposition. Bus : N° 28 / 29 / 55 / 56 arrêt Forum Meyrin Tram : N° 14 ou 16 jusqu’à Avanchet, puis prendre le bus N° 29 / 55 / 56 Location Achat sur place et au +41 (0)22 989 34 34, du lundi au samedi de 14h00 à 18h00 Achat en ligne : www.forum-meyrin.ch / [email protected] Service culturel Migros, Rue du Prince 7 / Genève / Tél. 022 319 61 11 Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe Administration Théâtre Forum Meyrin 1, place des Cinq-Continents / Cp 250 / 1217 Meyrin 1 / Genève / Suisse Tél. administration : +41 (0)22 989 34 00 [email protected] / www.forum-meyrin.ch Renseignements pratiques En voiture : sortie autoroute de contournement A1 : Carouge Centre. Sur la route de Saint-Julien, tout droit jusqu’à la place du Rondeau. Deux grands parkings à disposition. Tram : N° 12 / 13 / 14 arrêt Ancienne Bus : N° 11 / 21 arrêts Armes ou Marché Location Achat sur place et au +41 (0)22 343 43 43, du lundi au vendredi de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00, le samedi de 10h00 à 14h00 Achat en ligne : www.theatredecarouge-geneve.ch Service culturel Migros, Rue du Prince 7 / Genève / Tél. 022 319 61 11 Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe Administration Théâtre de Carouge – Atelier de Genève Rue Ancienne 57 / Cp 2031 / 1227 Carouge / Suisse Tél. administration : +41 (0)22 343 25 55 [email protected] www.theatredecarouge-geneve.ch AGENDA _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ N o 2 I Novembre_Décembre 2008 Publication commune du THÉÂTRE FORUM MEYRIN et du THÉÂTRE DE CAROUGE – ATELIER DE GENÈVE

AGENDA - forum-meyrin.net · Extrait de Søren Kierkegaard, Le journal du séducteur, chapitre du 3 juillet (Traduction de F. et O. Prior et M. H. Guignot) EN MARGE L’INSTANT DE

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Spectacles

Le jeu de l’amour et du hasard Marivaux / Jean LiermierDu ve 31 octobre au je 27 novembre (Carouge)

Ali baba et les quarante voleurs Compagnie La Cordonnerie Ma 4 et me 5 novembre (Meyrin)

L’odyssée des Épis Noirs ou Le monde à l’enversCompagnie Les Épis NoirsMe 12 et je 13 novembre (Meyrin)

Flux, Small Boats, PushRussell MaliphantMa 18 novembre (Meyrin)

Bergamote, morceaux choisisClaude-Inga Barbey / Claude Blanc / Patrick LappDu mer 19 au sa 22 novembre (Meyrin)

Je m’en vaisOana Pellea / Mihai Gruia SanduMa 25 et me 26 novembre (Meyrin)

Récréation primitiveCompagnie La CalebasseMe 3 décembre (Meyrin)

Les petits arrangementsClaude-Inga BarbeyDu je 11 au di 14 décembre (Meyrin)

StimmhornBalthasar Streiff / Christian ZehnderMa 6 et me 7 janvier (Meyrin)

CandideVoltaire / Yves Laplace / Hervé LoichemolDu ve 16 janvier au di 8 février (Carouge)

Expositions

Girafes & cieAlbert Lemant & Kiki LemantDu lu 10 novembre au sa 13 décembre (Meyrin)

La grande question, etc.Wolf ErlbruchDu ma 13 janvier au me 18 février (Meyrin)

Films

La belle et la bête Jean CocteauMe 12, je 13, ma 25 et me 26 novembre (Meyrin)

Cœur fidèleJean EpsteinDu me 19 au sa 22 novembre (Meyrin)

Rencontre

La douleur d’aimerMadeleine ChapsalVe 14 novembre (Meyrin)

Café des sciences

Nous avons la joie de vous annoncer notre mariage Je 27 novembre (Meyrin)

Goûters des sciences

Des tracas dans la cour des grandsMe 12, 19, 26 novembre et 3 décembre (Meyrin)

Ateliers

Atelier d’écriture / Tracas d’Eros IIFragments autobiographiques Du je 6 novembre au je 22 janvier (Meyrin)

Atelier FaustFormation continue pour comédiens professionnelsDu lu 8 au sa 20 décembre (Carouge)

Autres événements

Cycle passedanse

Les Giselle (Film)Lu 1er décembre (Centre d’AnimationCinématographique, Grütli)Ma 2 décembre (Ciné Actuel, Annemasse)

Renseignements pratiques

En voiture : direction Aéroport-Meyrin ; sur la route de Meyrin, après l’aéroport, prendre à droite direction Cité Meyrin puis suivre les signalisations. Deux grands parkings gratuits à disposition.Bus : N° 28 / 29 / 55 / 56 arrêt Forum MeyrinTram : N° 14 ou 16 jusqu’à Avanchet, puis prendre le bus N° 29 / 55 / 56

LocationAchat sur place et au +41 (0)22 989 34 34, du lundi au samedi de 14h00 à 18h00Achat en ligne : www.forum-meyrin.ch / [email protected] culturel Migros, Rue du Prince 7 / Genève / Tél. 022 319 61 11Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe

AdministrationThéâtre Forum Meyrin1, place des Cinq-Continents / Cp 250 / 1217 Meyrin 1 / Genève / SuisseTél. administration : +41 (0)22 989 34 [email protected] / www.forum-meyrin.ch

Renseignements pratiques

En voiture : sortie autoroute de contournement A1 : Carouge Centre. Sur la route de Saint-Julien, tout droit jusqu’à la place du Rondeau. Deux grands parkings à disposition. Tram : N° 12 / 13 / 14 arrêt AncienneBus : N° 11 / 21 arrêts Armes ou Marché

LocationAchat sur place et au +41 (0)22 343 43 43, du lundi au vendredi de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00, le samedi de 10h00 à 14h00Achat en ligne : www.theatredecarouge-geneve.chService culturel Migros, Rue du Prince 7 / Genève / Tél. 022 319 61 11Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe

AdministrationThéâtre de Carouge – Atelier de GenèveRue Ancienne 57 / Cp 2031 / 1227 Carouge / SuisseTél. administration : +41 (0)22 343 25 [email protected]

AGENDA

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No 2 I Novembre_Décembre 2008 Publication commune du THÉÂTRE FORUM MEYRINet du THÉÂTRE DE CAROUGE – ATELIER DE GENÈVE

43 Edito. Par Jean Liermier et Mathieu Menghini

44–47 En marge. L’instant de l’amour. À propos du Journal du séducteur de Kierkegaard et de la théma. Par Delphine de Stoutz et Mathieu Menghini

48–49 Le jeu de l’amour et du hasard. Par François Regnault

50–51 Girafes & cie. Par Laurence Carducci

52–53 Dossier Girafes & cie. Rapports de forces culturels. Par Sylvain De Marco

54–55 Dossier Girafes & cie. Relativisme versus universalisme. Par Patrice Meyer-Bisch, Yaël Reinharz Hazan et Léo Kaneman

56 L’odyssée des Épis Noirs ou Le monde à l’envers. Entretien avec Pierre Lericq. Par Sylvain De Marco

57 La douleur d’aimer. Entretien avec Madeleine Chapsal. Par Ushanga Élébé

58–59 Flux, Small Boats, Push. Entretien avec Russell Maliphant. Par Julie Decarroux-Dougoud

60–61 Cœur fidèle. Par Vincent Adatte

62–63 Bergamote, morceaux choisis. Entretien avec Patrick Lapp. Par Rita Freda

64–65 Je m’en vais. Entretien avec Oana Pellea et Mihai Gruia Sandu. Par Sylvain De Marco

66–67 Portrait. Du masque de théâtre à l’ombre du personnage. Entretien avec Werner Strub. Par Delphine de Stoutz

68–69 Récréation primitive. Entretien avec Merlin Nyakam. Par Julie Decarroux-Dougoud

70–71 Les petits arrangements. Entretien avec Claude-Inga Barbey. Par Rita Freda

72–73 Candide. Entretien avec Yves Laplace. Par Florent Lézat

74–75 Café des sciences. Nous avons la joie de vous annoncer notre mariage. Entretien avec Claudine Sauvain-Dugerdil, Nicolas Favez et Éric Widmer. Par Ludivine Oberholzer

76–77 Goûters des sciences. Des tracas dans la cour des grands. Entretien avec Didier Raboud. Par Sylvain De Marco. Retour sur un Goûter des sciences. Par Natacha Rostetsky

78 Atelier Faust. Formation continue pour comédiens professionnels. Par Victor Gauthier-Martin

79 Atelier d’écriture. Fragments autobiographiques I. Entretien avec Anne Brüschweiler. Par Thierry Ruffieux

80–81 La grande question, etc. Wolf Erlbruch. Par Thierry Ruffieux

82–83 Stimmhorn. Entretien avec Balthasar Streiff. Par Julie Decarroux-Dougoud

84–85 É… mois passés.

86 À vos papilles. Les cuisines de Carouge et Meyrin innovent. Par Delphine de Stoutz et Mathieu Menghini

87 Impressum. Partenaires.

88 Agenda. Renseignements pratiques.

Pour ce deuxième numéro du magazine Si, les directeurs du Théâtre deCarouge-Atelier de Genève (Jean Liermier) et du Théâtre Forum Meyrin(Mathieu Menghini) commentent leur pratique, leurs différences.

Mathieu Menghini : Qu’entends-tu, Jean, par «théâtre de création», l’étiquette que l’on associe à Carouge ?Jean Liermier : Un théâtre de création, c’est une maternité où les bébéss’appellent des spectacles. Des obstétriciens-metteurs en scène, avec lesoutien et l’aide précieuse des sages-femmes-techniciens, reçoivent dèsle début de leur grossesse, des acteurs-mamans. Ils les aident, les prépa-rent, les conseillent, les rassurent, leur redonnent confiance ou les pro-voquent afin d’accélérer les événements, pour que le soir de la première,après quelques mois de gestation, puis soir après soir en accouchant dumême bébé/spectacle, la famille/spectateur puisse applaudir le nouveauvenu. Les papas ? Les auteurs bien sûr, dans l’antichambre, qui tournenten rond en fumant des cigarettes...C’est un lieu où, le temps des répétitions/gestation, une multitude desavoir-faire, de compétences, d’artisanats et de spécialistes se croisent,et qui génère une économie que l’on oublie parfois.

Jean Liermier : Et pour toi, qu’est-ce que la création ?Mathieu Menghini : L’acte de créer ? «Penser à côté», comme Einstein disaitde l’invention.

MM : Qu’est-ce qui, selon toi, distinguera Carouge des autres salles genevoises ?JL : Je pense qu’un lieu se caractérise avant tout par le répertoire qu’ilaborde. Je suis dans la droite ligne de François Simon, le créateur il y a 50ans du Théâtre de Carouge, en privilégiant principalement des textesclassiques et en les revisitant. Les revisiter ?À Nanterre, une spectatrice qui sortait du Médecin malgré lui que j’avaismis en scène, me dit : «Ah ! C’est vraiment formidable, on entend vraimentla pièce, c’est très actuel, cela m’a beaucoup touchée ; mais vous avezquand même passablement changé le texte... » J’ai souri. Je n’avais paschangé un mot du texte original de Molière qui datait de 1666. C’est l’artdu jeu du comédien qui, si l’on travaille, est et restera contemporain.

MM : Ne crains-tu pas que cette concentration sur le répertoire classiqueconduise d’aucuns à associer Carouge à une salle «ringarde» ?JL : Mathieu, si croire aux acteurs, aux textes, à la parole, aux relationsentre les humains, c’est être ringard, alors oui, je le crie haut et fort, jesuis ringard et fier de l’être ! Si ne pas céder aux mirages de l’image, ni àla complaisance de faire des spectacles destinés à n’être vus que parquelques initiés pseudo branchés, si cultiver l’art de raconter les histoi-res, c’est faire du vieux théâtre, alors oui j’en fais ! Tu sais, je suis un fils denotre temps, j’ai été élevé entre le cinéma, la télévision et les jeux vidéo.

Et néanmoins, j’aime le théâtre, cela n’est absolument pas contradictoire.Je pense qu’au fil de cette saison, nos spectateurs s’en rendront compte,je leur fais confiance.

JL : Mathieu, quand on dit du Théâtre Forum Meyrin qu’il est «un garage de luxe», cela te rend-il fou ?MM : On dit ça, vraiment ? Garage ? De luxe, par-dessus le marché ?On ne peut plus qualifier Forum de «théâtre d’accueil» : plus de la moitiéde nos propositions ne sont pas théâtrales et nous proposons, cetteannée, plus de dix créations, tous arts confondus – sans parler de l’aspectoriginal de nos thémas.Quand, adolescent, éperdu de reconnaissance, j’ai découvert Strehlergrâce à la Comédie de Genève, je ne me suis pas plaint de ce que cette ins-titution de création réalisât par là ce que l’on appelle communément unaccueil et fonctionnât – en la circonstance – comme un «garage». Toutartiste talentueux, inventif, provenant d’une autre géographie fécondenos esprits et, ce faisant, participe à la généalogie des créations locales.

JL : Pourquoi organises-tu un large pan de ta programmation sous la forme de thémas ?MM : Par-delà les créations proposées à Meyrin, c’est, là, la part créativede notre façon de programmer. D’une part, approfondir un sujet desociété en multipliant les propositions artistiques et intellectuelles yayant trait. D’autre part, interroger les moyens propres du théâtre, de ladanse, de l’humour, de la musique, du cinéma et des sciences pour dire ce sujet. Quels sont les instruments distinctifs du plasticien, du choré-graphe, de l’acteur et de l’académicien pour dire l’amour, la révolte, lagourmandise, notre rapport à la science ou à l’environnement (autant desujets passés ou à venir de nos thémas) ?

JL : Choisis-tu tes spectacles en fonction de tes thémas ?MM : Non. Contrairement à d’autres lieux de culture, c’est l’inverse. Lasélection des spectacles est effectuée sur la base de critères formels et de pertinence, sur le fond ; elle précède la définition du sujet de nos thématiques ; par contre, le choix des expositions, des films et des confé-rences est souvent second chronologiquement.

— 43 —— 42 —

ÉDITOL’ACCUEIL ET LA CRÉATION Dialogue sur des pratiques complémentaires où il est question de garage et de ringardise

Pp. 48–49 Le jeu de l’amour et du hasard

Pp. 62–63Bergamote, morceaux choisis

Pp. 80–81 La grande question, etc. Wolf Erlbruch

SOMMAIRE

«Aujourd’hui pour la première fois mes yeux se sont reposés sur elle.On dit que le sommeil peut alourdir une paupière jusqu’à la fermer :ce regard pourrait avoir un pouvoir semblable. Les yeux se ferment,et pourtant des puissances obscures s’agitent en elle. Elle ne voitpas que je la regarde, mais elle le sent, tout son corps le sent. Lesyeux se ferment, et c’est la nuit ; mais en elle il fait grand jour.»

Extrait de Søren Kierkegaard, Le journal du séducteur, chapitre du 3 juillet

(Traduction de F. et O. Prior et M. H. Guignot)

EN MARGEL’INSTANT DE L’AMOUR À propos du Journal du séducteur de Kierkegaard et de la théma

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La philosophie de Kierkegaard (1813-1855) esttirée de sa biographie. Il vit sa philosophie.D’ailleurs, plutôt que comme un philosophe, ilse définit comme un penseur « privé » quiconduit l’homme à prendre conscience de sesactes afin de rompre la chaîne des causes etdes effets. En cela, il demeure l’incontestablefondateur de la philosophie existentialiste. Àl’occasion de la théma Tracas d’Éros II duThéâtre Forum Meyrin et de la création du Jeude l’amour et du hasard au Théâtre de Carouge,nous avons souhaité interroger la place dudésir dans cette posture à la fois philosophi-que et vitale.

Dans Ou bien… ou bien… – dont est tiré Le journaldu séducteur, le désir s’exprime dans la jouis-sance immédiate, dans l’instant. À cette étapedonjuanesque, il appose un second stade (Faust),éthique ou moraliste, qui l’enjoint à la continuitévitale et au doute. Le troisième mouvement del’être (Ahasvérus), c’est-à-dire celui où l’hommevit en rapport avec l’éternité, est aussi celui dudésespoir. Kierkegaard, lui, le fils, banni des dieux,écrit Le journal pour expier en se dégoûtant.

Les affects sont donc des modalités dévoilantdes possibilités à chaque fois spécifiques del’existence. Seul un être libre peut faire l’expé-rience de l’angoisse ; de même, seuls l’amour etla foi – l’un et l’autre étant chez l’auteur étroite-ment liés – conduisent au doute.

L’autre mondeMais comment l’individu prend-il consciencede son existence ? Relevons ces quelques lignestirées du Journal où l’auteur utilise la méta-phore théâtrale pour parler de son rapport aumonde : «Derrière le monde dans lequel nousvivons, loin à l’arrière-plan, se trouve un autremonde ; leur rapport réciproque ressemble àcelui qui existe entre les deux scènes qu’on voitparfois au théâtre, l’une derrière l’autre.»

En effet, le théâtre est fait d’une autre matièreque la réalité dans laquelle, sous l’apparence duréel, surgit ce que Marivaux appelle « le nouveaumonde». La prise de conscience de l’existencerevient quasiment à disparaître de la réalité. Seperdre ainsi peut être sain ou morbide.Marivaux fait le choix de la jouissance eschato-logique (lire le texte de François Regnault sur Le jeu de l’amour, pages 48-49) tandis que Kier-kegaard fait appel au désespoir existentiel, à laperte de l’individu, à la négation du moi.

Cet homme incarna philosophiquement danssa vie plus le désespoir que la jouissance, et pour-tant, on ne peut s’empêcher de voir transpirertout au long de ce journal autobiographique etintime, plus que le désir et l’immédiateté de lajouissance, la marque de l’amour, de la grâce,comme par exemple dans cet extrait, que nousproposons à l’interprétation et à la rêverie.

Delphine de Stoutz

Théma Tracas d’Éros II

Jusqu’au 14 décembre 2008, à l’initiative duThéâtre Forum Meyrin mais avec la collabora-tion du Théâtre de Carouge, des spectacleslyriques, théâtraux, clownesques, humoris-tiques, des films merveilleux ou mélodra-matiques, une rencontre littéraire, un caféscientifique, une approche didactique à hau-teur d’enfant ainsi qu’un atelier d’écriture –entre autres manifestations – devraient nous permettre de pénétrer plus avant dans laconnaissance des mystères du désir, de laséduction, de l’amour et des déboires qui par-fois suivent les sentiments.De l’Antiquité (avec l’évocation du mythed’Adonis, lire Si n° 1, pages 28-29) jusqu’à nosjours (on pense notamment à la saga de Ber-gamote, mais aussi à la pièce de Claude-IngaBarbey, lire pages 62–63 et 70–71) en passantpar le traitement intemporel des clowns (lire pages 64–65) ; de l’analyse d’une femmede lettres (Madeleine Chapsal, lire page 57) à celles de démographe, sociologue et autrepsychologue (lire pages 74–75), maintes pers-pectives tenteront de cerner les tracas del’amour.Vous retrouverez le programme complet de ces«chroniques de notre vie amoureuse » dans lepremier numéro du magazine Si (en pages 18 et19) ainsi que sur le site www.forum-meyrin.ch(sous la rubrique «Thémas»).

Nichez des palpitations dans vos agendas !

Mathieu Menghini

— 46 —

Le battement de l’amour

L’Augenblick kierkegaardien peut se rapprocher de la notion d’évanes-cence : une éternité contenue dans un instant. La matière se transformeet traverse la lumière et la durée. L’amour se cristallise.

Un homme et une femme dans une chambre. Il la regarde dormir. Et litté-ralement «le battement du regard» du jeune homme pénètre en elle, s’ap-proprie ses rêves, crée de la lumière dans la nuit des songes : l’amour rêved’elle, puis elle rêve d’amour. Le sentiment amoureux s’empare de tout.C’est le début de l’a. (Pascal Rambert, Le début de l’a., Les Solitaires Intem-pestifs, Mousson d’été, Pont-à-Mousson, 2001).

Au théâtreAu théâtre, rares sont les pièces qui ne questionnent pas cet instant quasimystique qui renverse les valeurs et les lois. L’amour est triomphant, sur-prenant, médicinal, puni, perdu, magnifique. Que ce soit un jeu ou qu’onne badine pas avec, cela peut faire beaucoup de bruit pour rien, permetd’apprivoiser les mégères, est une épreuve.

Je m’interroge sur le titre : Le jeu de l’amour et du hasard. Le séducteur yverrait une invite à tromper le sentiment ; le sceptique, à douter de sa véra-cité, tandis que le mystique cristalliserait cet amour en un don de Dieu.Chez Marivaux, ces trois figures se rencontrent. Silvia doute d’un possibleamour, le met à l’épreuve, pour, dans le IIIe acte, accéder au sacrementdivin, le mariage. Contrairement à ce que semble indiquer le titre – l’amour

est une chose légère, un jeu, un hasard –, les chemins qui conduisent ausentiment amoureux sont tortueux et existentiels. Les personnages sontamenés à laisser tomber les masques sociaux pour se découvrir eux-mêmes, se mettre à nu, affronter cette vérité-là et enfin aimer. Marivauxsemble badiner avec le sentiment amoureux, mais c’est un voyage initiati-que qu’il analyse au microscope.

Pour les nantis ?«La vie de chacun de nous n’est pas une tentative d’aimer. C’est l’uniqueessai », nous dit Pascal Quignard dans Vie secrète (Gallimard, Paris, 1999).Et la vie est une chose concrète qui est le propre de l’homme, qui seconstruit d’espérances et d’expériences.

Alors, qu’en est-il pour le «tout un chacun» ? L’amour est-il un sentimentréservé à la littérature et aux oisifs ? Un passe-temps pour les nantis ?

Non.

L’amour se vit au quotidien comme on mange et comme on dort. Mêmeseul, même solitaire, on rêve de lui. Même blessé, même cassé, on recom-mence à y croire, comme si chaque fois c’était la première fois. Et l’on vientaussi au théâtre pour cela, pour entendre dire « je t’aime», pour parler àson voisin, pour échanger. Oui, le théâtre est un lieu de rencontre, de lien,où se réunissent les gens les plus différents autour d’un objet commun.Tomber amoureux, c’est laisser l’autre vous regarder vraiment, profondé-ment, comme un spectateur regarde un spectacle.

Delphine de Stoutz

«L’amour est-il un sentiment réservé à la littérature et aux oisifs ?»

«Aimer l’humain en l’homme et non sa concrétudeparticulière revient à étreindre un nuage.»

L’amour concret

L’extrait, cité en page 45, semble délicat. Le choix des mots nous alerte,pourtant. Comme hypnotique, le regard du séducteur a le pouvoir dusommeil. Il introduit le contemplateur en Cordélia, la femme aux yeuxclos, sans que celle-ci ne s’en aperçoive. Le saisissement d’elle provient,nous dit-on, de puissances obscures…

«S’introduire comme un rêve dans l’esprit d’une jeune fille est un art»,ajoute Kierkegaard quelques pages plus loin. Le séducteur qu’il dépeintest un manipulateur, un «esthéticien ironiste» comme il dit. Il additionneles stratégies et les jauge ; feint la désinvolture pour neutraliser sa proie ;ouvre un livre pour se parer des exploits d’un autre, etc.

Son regard est un viol. La conscience de son adresse, le défaut de sponta-néité de ses harcèlements vicient les sentiments qu’il dispense.

L’attitude du séducteur, tout à sa jouissance, image l’attention à l’instant ;celle de l’éthicien (lire l’introduction de Delphine de Stoutz, en page 44)engage sa praxis à l’aune d’une vie tandis que l’homme véritable, «absolu»,pour Kierkegaard, est théologique et mesure ses foulées terrestres surun étalon éternel.

«Tu aimeras ton prochain…»L’amour du premier stade, celui qui cultive l’instant, ne vaut pas – selonle philosophe – celui, théologique, qui nous rattache à tout prochain.L’amour chrétien pour l’homme, motivé par l’égard pour Dieu, surpasse-rait l’amour naturel.

Sans doute cette lecture est-elle hâtive, néanmoins, je sens un lien entreces notions – l’amour du séducteur et celui du commandement religieux– que Kierkegaard s’échine à distinguer. Le chrétien aimant Dieu par-delà son prochain, distribuera son attachement à tout un chacun dansune certaine indifférence aux individus singuliers. Cette indifférence est-elle moins coupable que celle du jouisseur intempestif, multipliantles assauts ?

L’éternité est difficilement concevable ; ou alors abstraitement, commepar les sciences mathématiques. Aussi, entreprendre d’évaluer son com-portement quotidien en fonction de l’éternité, soit nous inhibe, soit dis-crédite l’attention portée au réel, à l’environnement proche.

Aimer l’humain en l’homme et non sa concrétude particulière revient àétreindre un nuage.

L’humanisme gaucheL’homo economicus, le sapiens sapiens, l’ «honnête homme», etc. n’exis-tent pas ; aucune pulsation ne fait trembler leurs nervures : ils réduisentà un concept ce qui mêle chair, souffle et sang. Georges Brassens seraitbien malheureux… Pas trace de Fernande ni de Félicie dans les fioles deschimistes ou les tables économétriques.

Il est un humanisme qui aimant l’humain manque les hommes. L’existen-tialisme de Kierkegaard, selon ma lecture, souffre de cette même gaucherie.L’amour ne saurait être la réponse à un commandement.

Surplombant, éloigné, le regard que pose Kierkegaard sur le monde leconduit à négliger les rapports de force qui fracturent la société. Plus quela philosophie, l’art a vocation à confronter la pensée et le réel, à bornerparfois ses élans mais à lui donner, en compensation, une substantialitépalpitante rare dans les écrits strictement théoriques.

On en jugera en suivant les propositions de la théma Tracas d’Éros duThéâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18-19 et Si n° 2, page 44) ; ellesnous invitent à constater combien la société, les us et coutumes, l’éduca-tion et les valeurs de chacun soutiennent ou mutilent nos émois.

L’amour est une bien belle chose ; aimer… tout un programme.

Mathieu Menghini

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l’objet, ou plutôt le sujet, de cette science quenous voudrions avoir. Jusque-là soumettonsnotre orgueil, sa curiosité ne trouverait pas icison compte, tout en nous est disposé pour laconfondre ; l’envie que nous avons de nousconnaître n’est sans doute qu’un avertissementque nous nous connaîtrons un jour et que nousn’avons rien à faire ici qu’à tâcher de nous ren-dre avantageux du développement futur desmystères de notre existence. »

Mais loin que cette perspective eschatologiquenous jette dans la crainte et le tremblement,elle nous enjoint au contraire de jouir. Ainsi, àl’étrange voyageur du nouveau monde qui,dans la septième feuille du Cabinet du philo-sophe, tente de faire connaître à son lecteur(vous, moi) les hommes tels qu’ils sont, ce der-nier rétorque : «Ma condition dans ce mondeest de jouir et non pas de connaître. Je sais bienen gros que les hommes sont faux ; que danschaque homme il y en a deux pour ainsi dire :l’un qui se montre, et l’autre qui se cache. Celuiqui se montre, voilà le mien aujourd’hui ; voilàcelui avec qui je dois vivre : à l’égard de celui quise cache, sans doute il aura son tour d’être vu ;car enfin il faudra que tout se retrouve.»

L’amour amoureuxCe monde est donc caractérisé par le souci dene pas outrepasser notre finitude. Sauf quecomme ce monde est mauvais, comme le dit leChrist dans saint Jean (chapitre XVII), il nousfaut être trop bon pour l’être assez. En quoi lebrave Monsieur Orgon se révèle un théologienaussi humble qu’avisé ! Et pourquoi ne pas aller

jusqu’à dire que la forme la plus belle, en cemême monde, de l’amour du prochain, c’estl’amour lui-même, l’amour amoureux, dont chaque pièce «amoureuse» de Marivaux estcomme l’exercice spirituel.

Vient ensuite le texte mystique, annonce destemps futurs : «L’éternité des temps n’est pastoute consacrée au mensonge ; mais ne déran-geons point l’ordre des choses, n’anticiponspoint sur les spectacles. Si de même que noscorps sont habillés, nos âmes à présent le sontaussi à leur manière, le temps du dépouille-ment des âmes arrivera, comme le temps dudépouillement des corps arrive quand nousmourons. Mais pour aujourd’hui, je m’en tiens àce que je vois ; gardez vos découvertes ; je nevous les envie pas, et je vous crois fort à plain-dre de les avoir faites.»

Et le voyageur nous fait redescendre sur terredans cette réponse toute laïque, mais toutaussi sublime, et qui implique tout le théâtre : « Moi, point du tout, vous vous trompez ; je nesaurais vous exprimer le repos, la liberté, l’indé-pendance dont je jouis. Je n’ai jamais été aussicontent ; je ne me suis jamais diverti de si boncœur que depuis ma découverte. Je suis à lacomédie du matin jusqu’au soir.»

C’est la grâce que je vous souhaite.

François Regnault

Les textes philosophiques sont tirés de Marivaux,Journaux et œuvres diverses, éd. de F. Deloffre et M. Gilot, Garnier, 1969. Le spectateur français, vingt et unième feuille, pp. 232-3.Le cabinet du philosophe, septième feuille, pp. 390-1.

«Dans ce monde, il faut être un peu trop bonpour l’être assez.» Je ne sais si vous saisissez lesens de cette formule au premier coup d’œil – oudu moins à la première écoute. Peut-être que,comme moi, vous avez dû vous y reprendre àdeux fois avant de la comprendre. Tout simple-ment parce que «il faut être… pour être», «unpeu trop… assez» laissent flotter comme unesorte de brouillard, et que, comme ces maximesde La Rochefoucauld savamment composéespour obliger le lecteur à penser, celle-ci se pré-sente avec une certaine subtilité.

Au demeurant, elle apparaît dans la bouched’un personnage de théâtre, Monsieur Orgon, àqui sa fille Silvia demande de bien vouloir luiaccorder une grâce au moment d’accueillir leprétendant, non pas qu’il lui destine, mais qu’illui propose. Cela se trouve au début du Jeu del’amour et du hasard, acte I, scène 2. On estdonc sorti de l’univers de Molière et de sespères abusifs, car le père dit à sa fille : « Je tedéfends toute complaisance à mon égard: siDorante ne te convient point, tu n’as qu’à ledire, il repart ; si tu ne lui convenais pas, il repartde même. » Là-dessus, elle s’apprête à luidemander de la laisser prendre le déguisementde sa servante Lisette afin d’examiner le jeunehomme tout à loisir à son insu. Or, avant mêmequ’elle ait formulé sa requête, le père, décidé-ment très bon, la lui accorde. Très bon ? Bon ?Assez bon ? Trop bon ? Justement il dit : «Dans cemonde, il faut être un peu trop bon pour l’êtreassez.» Le sens est aisé dans le contexte. Pour

être bon avec toi, qui es ma fille, et pour l’êtreassez, c’est-à-dire, pour te satisfaire autant quetu le demandes, il faut que je le sois beaucoupplus encore, au risque de paraître un peu tropbon – une crème d’homme, un vrai papa gâteau.Mais non pas trop tout de même, afin que mafigure de père n’en soit pas affectée. Donc : justeun peu trop bon, mais pas trop bon non plus.

La balance et la grâceLe consentement au déguisement marqueradonc un degré légèrement excessif (ce qui estparadoxal) de bonté, mais juste assez pourl’être suffisamment. La beauté de la formuletient à l’équilibre instable, tendu, entre l’assezet le trop. Cette subtilité, propre au style pré-cieux, poussée à une perfection inouïe parMarivaux dans les méandres de la psychologieamoureuse, l’a, on le sait, fait accuser par Voltairede «peser des œufs de mouche dans des balan-ces de toile d’araignée». Après tout, ne s’agit-ilpas dans la maxime de Monsieur Orgon de pesersa bonté sur une délicate balance !

Mais, en outre, cette formule n’est-elle pas toutà l’image de ce qu’on pourrait appeler la visiondu monde de Marivaux, sauf qu’en écrivant tou-tes ses lettres, journaux, textes esthétiques etphilosophiques, il semble ne nous communi-quer cette vision qu’indirectement ? Dans l’es-prit libre du XVIIIe siècle, il se distingue des « Philosophes » déclarés par cet art d’écrirecomme par jeu. Voltaire a de l’esprit, de l’ironie(lire pages 72 et 73), Diderot de l’audace et del’alacrité. D’Alembert est d’une intelligencesuprême. Rousseau, ah ! Rousseau : Genève le

connaît assez pour que je n’aie pas à rappelerson génie passionné, sa mélancolie récurrente,ses délires de persécution, ses amours traver-sées, son égalitarisme souverain, sa foi qui faitexception à l’ensemble des Philosophes.

Mais non pas exception à Marivaux, assez chré-tien sans l’être trop. J’ai souvent pensé qu’onpourrait appliquer à son œuvre le mot deBernanos : «Tout est grâce.» «C’est un mariageunique, s’exclame Silvia à la fin du Jeu del’amour et du hasard ; c’est une aventure dont leseul récit est attendrissant ; c’est le coup duhasard le plus singulier, le plus heureux, leplus… » Elle ne peut achever, mais je gage qu’illui faudrait alors trouver un adjectif au-delà detout, quasi divin. Le jeu donne la loi, le hasarddispose la rencontre, l’amour fera le reste.L’amour profane est l’envers d’un autre amour,que la pudeur, ou le théâtre, interdisent de nom-mer, et qui ferait s’intituler Le jeu de l’amour etde la grâce tant de pièces de Marivaux.

Jouir ou connaître ?Dira-t-on que j’exagère ? Reprenons la formulesubtile. J’ai laissé exprès de côté l’expressionquasi théologique par laquelle elle commence :dans ce monde. Je relèverai deux usages de cetteexpression dans les textes supposés philoso-phiques de Marivaux.

Le premier est dans la vingt et unième lettre duSpectateur français ; ce spectateur reçoit la lettre d’un inconnu où il peut lire : « Nous nesommes pas dans ce monde en situation dedevenir savants ; nous ne sommes encore que

LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARDDe Marivaux / Mise en scène de Jean Liermier (Suisse)

Interprétation Felipe Castro / Dominique Gubser / Joan Mompart / François Nadin / Alexandra Tiedemann / Alain Trétout Mise en scène Jean Liermier Collaboration artistique François Regnault Scénographie Philippe Miesch Costumes Werner Strub (lire pages 66 et 67) et Maritza Gligo Lumières Jean-Philippe Roy Univers sonore Jean Faravel Maquillages, coiffures Katrin Zingg Accessoiriste Eléonore Cassaigneau Assistant à la mise en scène Felipe Castro Réalisation costumes Maritza Gligoet Stéphane Laverne Assistant Werner Strub Peintures costumes Jean-Claude Fernandez

Production Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Avec le soutien de CORODIS

Tournée 2008 : 30 nov. au Théâtre du Passage (Neuchâtel) / 3 déc. au Théâtre de Vevey / 5 déc. au Théâtre Benno Besson(Yverdon-les-Bains) / 9 déc. au Théâtre Palace (Bienne) / 11 déc. à l’Espace Nuithonie (Fribourg) L’équipe du Jeu. Lecture à la table.

Théâtre / Création Du vendredi 31 octobre au jeudi 27 novembre (ma, je et sa à 19h00 / me et ve à 20h00 / di à 17h00 ; relâche le lundi)Au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Salle François-Simon Durée (spectacle en création)

Plein tarif : Fr. 35.– / 23 euros Etudiant, apprenti : Fr. 15.– / 10 euros Chômeur, AVS, AI : Fr. 25.– / 17 eurosGroupe : Fr. 30.– / 20 euros

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Ce spectacle intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin(lire Si n° 1, pages 18-19 et Si n° 2, page 44).

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Aussi impressionnante et féerique que lalicorne, la première girafe vue par un Occiden-tal a dû faire l’effet d’un mirage. Messager dumerveilleux, cet animal invraisemblable sertde guide à Kiki et Albert Lemant dans leur per-tinente exploration de l’imagerie coloniale etscientifique.

Sous la houlette des explorateurs-collection-neurs, toute découverte était bonne à rangerdans les vitrines – munie de son étiquette,signe d’une prise de possession, d’une catégo-risation selon les certitudes occidentales. Quereste-t-il de cette prétentieuse assurance ? Dequoi penser, certainement, mais aussi des rai-sons d’en rire, en suivant Kiki et Albert ; lesenfants devant, les adultes derrière.

L’exploit des funambulesPeut-on comprendre profondément, totale-ment, une autre culture ? Y perd-on la sienne ?La métisse-t-on ? Le contact est inévitable ; l’hermétisme, impossible. Que faire de ce «chocdes cultures» sinon un enrichissement par ledialogue et l’apprentissage d’une affirmationidentitaire sans chercher à dominer l’Autre ? Et surtout trouver des valeurs communes à l’hu-manité – démarche qui pourrait limiter les con-flits engendrés par une cohabitation inévitablesur notre planète rétrécie.

Sur le sujet du rapport entre les cultures, del'universalité ou du relativisme des valeurs pro-fessées par les hommes, on lira également ledossier des pages 52 à 55 et on s'intéressera à la

réalisation chorégraphique de la compagnie LaCalebasse Récréation primitive programmée auThéâtre Forum Meyrin, le 3 décembre prochain(lire pages 68–69).

Sur les pas de la girafeLa récréation continue avec Girafes & cie. Albertet Kiki Lemant ont choisi le chemin des écolierssans perdre le nord, sur les traces de LordMarmaduke… Lovingstone. Dans les bagages del’infatigable explorateur, un fabuleux butindéployé dans une exposition qui sent bon lescarnets de voyage et le mystère de civilisationsdisparues. Gravures, aquarelles, monotypes etsculptures en papier mâché constituent uninventaire en pleine expansion et font la dé-monstration d’influences culturelles subsistantencore de par le monde.

Graveur de formation, écrivain et illustrateur(lire notamment les Lettres des Isles Girafines,Seuil Jeunesse, 2004), Albert Lemant est à l’aisepour réinventer la qualité iconographique desdocuments scientifiques d’autrefois. Commebeaucoup d’autres enfants rêveurs, il a passédes heures à regarder des encyclopédies illus-trées. Pour lui, cartes et illustrations étrangesappartenaient au monde de la fiction. Il les dé-tourne aujourd’hui avec une percutante naïvetéqu’il partage avec Kiki, sa compagne. Ils s’en

amusent ensemble depuis huit ans. Il dessine etécrit, elle occupe l’espace en trois dimensionsavec ses sculptures.

Redoutablement efficace et bien plus sérieuxqu’il n’y paraît, leur travail est un hommage à lafragilité des peuples considérés comme « primi-tifs », humiliés et contraints d’abandonner leurvision du monde avant d’avoir été compris.

Laurence Carducci

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GIRAFES & CIEMusée imaginairepar Albert Lemant, graveur, auteur et illustrateur et Kiki Lemant, plasticienne

Départ en groupe à 09h00 / 10h30 / 14h00. Entrée Fr. 5.–

1 > Planche des papillonsFin connaisseur des sciences naturelles, LordMarmaduke Lovingstone ne se déplaçait jamaissans son filet à papillons. Bravant tous les dan-gers, il a observé et recueilli les plus intéressantsspécimens entomologiques qu’il a rencontrés.Ce témoignage incomparable d’espèces dispa-rues a été présenté peu après son expédition de1912 au pays de Girafawaland.Albert Lemant, Journal de Lord Lovingstone

2 > Girafes dévorant trois feuillesLa sécheresse dévastant souvent la savane rendla survie des girafes précaire. Les yeux avides dedeux d’entre elles contrastent avec la mélanco-lie qui se lit dans les yeux de la troisième.Pourront-elles conserver leur belle corpulence ?De toute évidence, cette carte postale révèleleur puissant désir de s’en sortir.Signé Albert Lemant

3 > Girafe de TroieCelle-ci s’est perdue dans les brumes de l’An-tiquité grecque. Cette esquisse pleine de dou-ceur, pâlie par les siècles, apporte un éclairagesurprenant et tout à fait plausible à la légende.Les Troyens ne se seraient pas méfiés de la fasci-nante langueur de son regard.Aquarelle Albert Lemant

4 > Timbre explorateurLes collectionneurs s’arrachent les timbres pré-sentant le portrait d’un vaillant explorateur,sagement protégé par son casque, ses mousta-ches et ses favoris. Sans doute s’agit-il de LordMarmaduke lui-même. N’oublions pas que ladécouverte d’un nouveau territoire (nouveaupour qui… ?) était aussitôt suivie par l’installa-tion d’un efficace système de communication.Albert Lemant, philatéliste

5 > Girafes vues de hautL’histoire de l’univers de Girafes & cie com-mence ici, à Tarbes, dans un ancien couvent desCarmes. Entre ces murs édifiés pour canaliser etélever les élans de la foi, les girafes se sont sen-ties immédiatement à l’aise. Emportées par lagrâce de leur long cou, elles ont vécu là desmoments d’intense béatitude et ont trouvé larévélation de leur avenir. Tant et si bien quedepuis lors, la plasticienne et le graveur les ontapprivoisées et elles ne les quittent plus.Autour des lettres des Isles Girafines, Carmel deTarbes, mars 2004. Réalisations de Kiki Lemant

«Que faire du choc des cultures ?»

ExpositionTout public dès 6 ansDu lundi 10 novembre au samedi 13 décembre. Vernissage samedi 15 novembre dès 14h00Au Théâtre Forum Meyrin Galeries du Levant et du Couchant

Ouverture publique : mercredi et samedi de 10h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00, ainsi qu’une heure avant les représentations.Également sur rendez-vous. Visites guidées à 10h30 / 14h30 / 16h00.Visites scolaires : du lundi au vendredi, sur réservation au 022 989 34 00.

Accueil réalisé dans le cadre de la célébration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en collaboration avec l’Organisation internationale de la francophonie et avec le soutien du service culturel de la commune de Meyrin.

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DOSSIER GIRAFES & CIE RAPPORTS DE FORCES CULTURELS Retour sur l’actualité de la question du colonialisme en rapport à l’accueil de l’exposition Girafes & cie (lire pages 50–51).

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L’occasion de cette manifestation du ThéâtreForum Meyrin interrogeant les rapports de for-ces entre les cultures nous a invités, d’une part,à questionner l’actualité du colonialisme, d’au-tre part, à revenir sur la bonne conscience quianima certains colonisateurs du XIXe siècle.

«Le colonialisme est un projet voué à l’échecdans lequel les vainqueurs du début finissenttoujours par être les perdants.» Une phrasetranchante, presque un slogan, qu’on croiraitpouvoir attribuer à Aimé Césaire, le chantre dela négritude. Cette phrase, pourtant, n’a été pro-noncée que récemment, après le décès dupoète. Elle est née il y a quelques semaines, dela bouche du colonel Mouammar Kadhafi,après que le président du Conseil italien SilvioBerlusconi et lui-même ont signé à Benghazi untraité d’amitié et de coopération qui, selon lesdeux parties, ferme le dossier du passé colonia-liste italien de la Libye.

Le dirigeant libyen aurait affirmé à cette occa-sion que les peuples libyen et italien sont au-jourd’hui ensemble contre le colonialisme, l’op-pression des peuples, l’occupation des terresdes autres, le terrorisme, la pose de mines etl’assassinat des enfants et des femmes. «La ty-rannie a un prix qui doit être payé par le tyranaux opprimés», aurait-il également déclaré.

L’Italie de Silvio Berlusconi versera 5 milliardsd’euros à la Libye en réparation de la colonisa-tion militaire de Rome sur la Cyrénaïque et laTripolitaine de 1911 à 1943, permettant notam-ment la construction d’une autoroute de 1200kilomètres le long de la Méditerranée, entre laTunisie et l’Égypte. C’est la première fois qu’unex-pays colonial verse des dédommagementspour son occupation.

L’intéressement de la conscienceSans préjuger de l’adéquation des propos ducolonel Kadhafi à ses politiques intérieure etinternationale, n’entendons-nous pas les bribesde son discours résonner comme la musiquefamilière d’un certain petit livre ?«Où veux-je en venir ? À cette idée : que nul necolonise innocemment, que nul non plus necolonise impunément ; qu’une nation qui colo-nise, qu’une civilisation qui justifie la coloni-sation – donc la force – est déjà une civilisationmalade, une civilisation moralement atteinte,qui, irrésistiblement, de conséquence en consé-quence, de reniement en reniement, appelleson Hitler, je veux dire son châtiment. Coloni-sation : tête de pont dans une civilisation de labarbarie d’où, à n’importe quel moment, peutdéboucher la négation pure et simple de la civi-lisation. » Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme

(Éditions Présence Africaine, 1955)

Des esprits chagrins pourraient penser que nosvoisins transalpins s’achètent davantage qu’uneconscience blanchie. Récemment, sur le sited’information Afrik.com, on pouvait lire : «M.

Berlusconi a souligné que ce traité permettrad’ouvrir une nouvelle page dans les relationsentre Rome et Tripoli et jette les fondementsd’une base solide pour le travail en communentre la Libye et l’Italie dans tous les domaineséconomiques, sociaux, politiques, et en matièrede questions internationales (…). En contrepar-tie, le gouvernement italien espère que Tripolirenforcera le contrôle de ses côtes afin de lut-ter contre l’émigration clandestine. Enfin, mêmesi ce point n’est pas évoqué officiellement, cetaccord devrait assurer à l’Italie un accès privilé-gié aux ressources de pétrole et de gaz libyensqui représentent déjà plus de 25% de la consom-mation italienne.»

Le doux murmure des vieilles rengainesVoilà bien une remarque de trouble-fête. Mais…Ne reconnaîtrait-on pas ici la structure harmo-nique d’une autre rengaine, un rien surannée : « Je dis (…) que cette politique coloniale (…) repo-se sur une triple base économique, humanitaireet politique. Au point de vue économique, pour-quoi les colonies ? La forme première de la colo-nisation, c’est celle qui offre un asile et du tra-vail au surcroît de population des pays pauvresou de ceux qui renferment une population exu-bérante. Mais il y a une autre forme de colonisa-tion. C’est celle qui s’adapte aux peuples quiont, ou bien un superflu de capitaux, ou bien unexcédent de produits (…). La question coloniale,c’est, pour les pays voués par la nature mêmede leur industrie à une grande exportation,comme la nôtre, la question même des débou-chés (…). Messieurs, il y a un second point, unsecond ordre d’idées que je dois également

aborder, c’est le côté humanitaire et civilisateurde la question (…). Il faut dire ouvertement qu’eneffet les races supérieures ont un droit vis-à-visdes races inférieures (…) parce qu’il y a un devoirpour elles. Elles ont le devoir de civiliser lesraces inférieures (…). Est-ce que quelqu’un peutnier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre maté-riel et moral, plus d’équité, plus de vertus socia-les dans l’Afrique du Nord depuis que la Francea fait sa conquête ?» Jules Ferry, Discours au sujet de la colonisation

(Journal officiel, 29 juillet 1885)

Il est vrai qu’à l’époque de Ferry, nul ne faisaitmention de pétrole ou de gaz. Quant au char-bon… : «Une marine comme la nôtre ne peut sepasser, sur la surface des mers, d’abris solides,de défenses, de centres de ravitaillement (…). Àl’heure qu’il est, vous savez qu’un navire deguerre ne peut pas porter, si parfaite que soitson organisation, plus de quatorze jours decharbon, et qu’un navire qui n’a plus de char-bon est une épave (…) abandonnée au premieroccupant (…). Et c’est pour cela qu’il nous fallaitla Tunisie (…), Saïgon et la Cochinchine (…) »

Rémanence du complexe de supérioritéAïe. Heureusement, depuis lors, les mentalitésen Europe ont beaucoup changé : «Notre civili-sation est supérieure à l’islam. (…). Il faut êtreconscient de notre supériorité, de la supérioritéde la civilisation occidentale (…). L’Occidentcontinuera à s’imposer aux peuples. Cela a déjàréussi avec le monde communiste et une partiedu monde islamique.» Silvio Berlusconi (26 septembre 2001)

Décidément, les propos des colonisateursd’hier résonnent – encore – sensiblementcomme ceux des décolonisateurs repentantsd’aujourd’hui. Reste que la repentance, indénia-blement, offre de nos jours une meilleurepresse que le dédain – notamment lorsque lerepentant dispose de sa propre presse. Dans lapresse française de gauche (très, très à gauche)comme sur de nombreux sites Internet franco-phones des pays du sud de la Méditerranée, denombreuses plumes suggèrent ouvertementau président français, Nicolas Sarkozy, de sui-vre l’exemple de Silvio Berlusconi à l’égard desanciennes colonies françaises.

Il faut bien admettre qu’on comprend mal sonattitude, qui semble si contraire à l’air dutemps. Se pourrait-il qu’il s’agisse d’autre choseque d’une question de principe, comme semblele suggérer le journal Rue89 de Pierre Haski ? «L’Italie paye cinq milliards de dollars pour seu-lement trente-deux ans d’administration de laLibye. À combien évaluera-t-on les cent cin-quante ans de présence française en Algérie, oules quatre-vingts ans de domination du Congo-Brazzaville ?»

Allons bon. Et pourquoi, tant que nous y som-mes, ne pas étendre la question à la présencebritannique en Inde ?!

Sylvain De Marco

«En vérité, il est des tares qu’il n’est au pouvoir de personne de réparer et que l’on n’a jamais fini d’expier. »Aimé Césaire

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DOSSIER GIRAFES & CIE RELATIVISME VERSUS UNIVERSALISMELes droits humains sont-ils un ethnocentrisme ?

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Rapprochez vos cœurs

(…) Les droits humains seraient un ethnocentrisme s’ils définissaient unemorale fondée sur une anthropologie particulière, qualifiée habituelle-ment d’«occidentale», au mépris de la diversité des courants qui ontcontribué à leur définition.

(…) Comme si une société, quelle qu’elle soit, pouvait se passer de la valo-risation des droits et libertés personnelles, ainsi que de l’estime et du res-pect des communautés.

Sommes-nous condamnés à affirmer nécessairement une valeur aux dé-pens de son opposée, en l’occurrence, la personne ou la communauté, la liberté ou la responsabilité ? Un proverbe tamasheq dit ceci : «Rap-prochez vos cœurs et éloignez vos tentes». Les deux versants de la viesociale et de son hospitalité sont déclinés un peu partout dans une ten-sion entre le double respect du prochain et du lointain, de l’intime et dupublic, de l’individuel et du communautaire. Les droits humains disentcette dialectique entre les libertés personnelles et les droits de participerà des systèmes sociaux – pour l’éducation, l’information, la santé, le tra-vail ou la justice.

Au-delà des querelles d’idées, l’universalité des droits humains estd’abord une expérience de révolte contre des injustices – expériencemorale concrète de l’égalité, ou proximité des personnes, quels quesoient leurs milieux, origines et convictions. Ce n’est pas une prétentionmoraliste, mais un jugement qui s’impose : personne ne peut admettreque le visage d’un autre soit piétiné, ni ses espoirs de vie, ni ses enfants.Cette évidence est ethnocentrique si elle est prétexte à donner une solu-tion toute faite aux problèmes, comme ces gouvernements, ces ONG, cespartis politiques ou ces Églises qui, sous prétexte de droits de l’homme,disent ce qu’il faut faire.

Patrice Meyer-Bisch, coordonnateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’Homme de Fribourg (IIEDH)

Soyons vigilants, restons militants !

(…) Tenir compte des particularismes dans l’application des droitshumains est une chose ; invoquer le relativisme pour y échapper en estune autre ! Car ne nous trompons pas, le relativisme est à nouveau à nosportes. Désormais, les droits humains sont contextualisés, la Déclarationuniverselle subtilement dénoncée, ses principes – nos droits à être desindividus libres, autonomes, reconnus, – ses «objectifs à atteindre», etpour lesquels nulle lutte ne sera jamais suffisante, sont ouvertementremis en question par les plus éminents représentants des États. Nous,fondateurs du Festival du film et du Forum international sur les droitshumains à Genève, attachons une importance cruciale et primordiale àl’affirmation des principes d’universalité et à la lutte contre le relativisme.

Face au Conseil des droits de l’homme institué en 2006 au sein des Nationsunies et aux erratiques coalitions qui s’y nouent, à la realpolitik prati-quée avec un cynisme toujours plus assumé et partagé, nous avonsconçu un festival (FIFDH) pour défendre la dignité humaine et réaffirmerles valeurs portées par nos invités, qu’ils soient victimes, militants, dépo-sitaires ou ordonnateurs du droit en matière de droit humain.

(…) À l’aube de la tenue de la prochaine conférence des Nations uniesconsacrée à la lutte contre le racisme et la xénophobie, en 2009, nospréoccupations, en tant que militants des droits humains, sont à nou-veau grandes. Les questions de relativismes seront abordées dans uncontexte politique et institutionnel noyauté par les coalitions régionalesdont les intérêts sont davantage de protéger leurs acquis (en matièred’oppression de leurs populations) que d’ouvrir, à échelle mondiale, laquestion de la coexistence des valeurs. Alors soyons vigilants, restonsmilitants !

Yaël Reinharz Hazan / Léo Kaneman, pour la direction du Festival du film et Forum international sur les droits humains

Les textes dans leur intégralité peuvent être consultés sur le site du Théâtre Forum Meyrin. www.forum-meyrin.ch (rubrique «Expositions»)

«L’ethnocentrisme est un trait universel de l’humanité. »Claude Lévi-Strauss

L’ODYSSÉE DES ÉPIS NOIRS OU LE MONDE À L’ENVERSPar la compagnie Les Épis Noirs (France)

Après les succès de Flon Flon, de Bienvenue auparadis et à l’occasion de sa dernière tournée,la troupe des Épis Noirs nous propose une ver-sion particulière de L’odyssée d’Homère.Comme lors des créations précédentes, cettenouvelle production est un délicieux mélangede poésie désenchantée, de chansons, de jeuxde mots – consternants, de pensées philoso-phiques et d’une formidable énergie. Assour-dissant, touffu, drôle, contagieux, excessif,maladroit (en apparence)… Bref, à s’en délectersans la moindre modération.

Tout commence par la naissance de Pierre, uncomédien naïf et fougueux... Mais tout com-mence aussi par la naissance d’Ulysse quidevient roi d’Ithaque. Tandis que Pierre subitles affres de la création théâtrale en essayantde monter L’odyssée à trois, avec sa femme etson ancienne maîtresse (dans le style «boule-vard» comme le lui a demandé son producteurHermès), Ulysse, jouet des dieux, tente de ren-trer chez lui, vivant de multiples péripétiescocasses (pour nous) et effrayantes (pour lui).

À une cadence infernale, comme à leur accoutu-mée, Les Épis Noirs, accompagnés de troismusiciens polyvalents, jouent, chantent et dan-sent, mettant toute leur énergie à faire vivredevant nous ces deux histoires que sontL’odyssée d’Homère et l’odyssée de leur créa-tion à travers des chansons ponctuées de fres-ques absurdes et poétiques.

Entretien

Humour décalé, tendresse, énergie-fleuve etcomme un goût de fête foraine : telle est la re-cette magique des Épis Noirs.Parti du cours de théâtre où il s’ennuyait, PierreLericq a saisi sa guitare pour en jouer dans lemétro, puis a formé la troupe en 1986, avec deuxcopains, pour partager ses délires. À Paris, ilssont remarqués, se produisent dans les cafés-théâtres, puis s’arrêtent ; parce que Pierre Lericqavait envie de faire du vrai théâtre. Par le jeu deshasards et des rencontres, il s’associe à deuxnouveaux complices, avec lesquels il reprend laroute. Un spectacle, deux, trois, quatre... Les ÉpisNoirs ont 14 ans.

Sylvain De Marco : Vous êtes à la fois auteur,compositeur, metteur en scène et interprète...Pierre Lericq : Oui, je fais beaucoup de choses.J’essaie d’être performant autant que possible,mais plus on avance et plus on se dit : j’ai ungros travail ici, un gros travail là, et c’est vrai queje préfère finalement être dans l’écriture oudans la mise en scène que dans le jeu lui-même.Mais je le fais et ça me plaît parce que je penseque c’est mon univers, ce que j’ai envie de défen-dre, un idéal de monde qui me plaît. Je me voisdonc souvent cumuler les casquettes.

Vous exprimiez déjà votre univers en musiquedans les spectacles précédents…Toujours. Dans nos spectacles, il y a une formede dramaturgie que j’ai souhaitée. Je vais vers lethéâtre musical avec une vraie dramaturgie. J’ai

toujours eu cette envie de pouvoir relier le théâ-tre et la musique dans un univers burlesque etpopulaire.

Vous jonglez avec une aisance incroyable entrele chant, l’art dramatique, la percussion, voirela danse. N’est-ce pas un peu too much ? Peut-on être crédible dans toutes ces disciplinessimultanément ?Je ne crois pas. J’ai toujours voulu ça. On a unpeu l’idéal de faire le plus beau spectacle dumonde et on part dans un rêve. En fait, j’ai unrêve et je pense que j’arrive à le transmettre.Pour Flon Flon, Lionel Sautet, le troisième inter-prète, venait de remplacer le membre de latroupe qui était avec nous depuis dix ans : ilavait fait du théâtre, mais jamais ça. Il a falluqu’il chante, qu’il danse et, finalement, il estentré dans l’aventure sans difficulté ; parcequ’au fond, il suffit d’avoir suffisamment d’éner-gie et du plaisir. Celui de se laisser aller. On estplus dans le théâtre brut que dans quelquechose de réfléchi.

Propos recueillis par Sylvain De Marco (une partie de cet entretien a été publiée une premièrefois dans les colonnes du quotidien La Presse RivieraChablais)

Mise en scène, chant, composition Pierre Lericq Interprétation Manon Andersen / Elena Papulino / Pierre Lericq

Musique : Batterie Manon Andersen Accordéon, guitare, mandoline Étienne Grandjean Guitare, piano, scie musicale Pierre Payan Trompette, tuba Martin Saccardy Production Théâtre de La Gaîté-Montparnasse

Ce spectacle intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

Théâtre musicalMercredi 12 et jeudi 13 novembre à 20h30Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h30

Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.–

Accueil réalisé en collaboration avec le Service culturel Migros Genève

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LA DOULEUR D’AIMERRencontre avec Madeleine Chapsal (France)Avec la participation du comédien Claude Thébert

Élégante à la crinière fauve, femme de passion,écrivain aux cinquante ouvrages, MadeleineChapsal occupe une place tout à fait singulièredans le monde des lettres. De La maison dejade – qui marque d’une pierre blanche sonentrée en littérature – à Une balle près du cœur,son dernier roman, ses livres sont une succes-sion de best-sellers.

Récits de ses expériences personnelles et parti-culièrement des expériences de sa vie senti-mentale, ses écrits, limpides, sont le reflet d’unevie mouvementée et exaltante, faite de pério-des fastes d’étincelant bonheur, de douleursintenses et de désillusions. Elle écrit tous lesjours, tôt le matin, en réponse à ce qui lui arrive,à la vie. Elle s’empare du vécu comme d’unmatériau, noircit des pages, en fait un livre.

Un besoin impérieux, après une expérience trèsforte, de la retranscrire, pour elle, pour lesautres. La Charente est entrée chez elle à Saintes,elle écrit L’inondation. Un chagrin d’amourimmense la pousse au désespoir, elle écrit Lamaison de jade. Elle n’a pas pu avoir d’enfant,elle écrit La femme sans. Exclue du jury du prixFémina, elle écrit L’exclusion.

Journaliste, essayiste, romancière ou encorescénariste et auteure de théâtre, elle a participéà la création de L’Express avec Jean-JacquesServan-Schreiber et Françoise Giroud ; côtoyéet interviewé les plus grandes figures dumonde littéraire et politique du XXe siècle,Jacques Lacan, Françoise Dolto, Céline, Simonede Beauvoir, Sartre, Malraux, Mitterrand.

Entretien

Ushanga Élébé : Écrire semble essentiel pourvous. Comment êtes-vous venue à l’écriture ?Madeleine Chapsal : Dès mes quinze ans, fautede me faire entendre par mon entourage... à ceque je croyais !

Pourrait-on dire que votre plume fait office deconfidente ?De révélateur : je comprends ce que je pense ouce qui est en moi après l’avoir écrit. Je comparesouvent la plume à une charrue...

Il y a des thèmes récurrents dans votre œuvre,l’amour, le couple, l’infidélité, la jalousie et lasolitude. La relation homme/femme est-ellevotre source d’inspiration majeure ?Pour moi, oui, mais pour tous les autres aussi.Mon courrier me le prouve...

Vous dites «l’amour véritable est intemporel»,qu’entendez-vous par-là ?Il ne tient pas compte du temps qui passe, desdifférences d’âge, il résiste à tous les change-ments de corps et d’âme.

On a le sentiment, à vous lire, que la femme esttoujours abandonnée, une victime par définition.Depuis le début de l’humanité, le corps des femmes appartient aux hommes. Si dans nossociétés l’esclavage est subtil, dissimulé, ilexiste encore. Dans d’autres sociétés, c’est laburqa, l’excision, la mutilation des seins, la lapi-dation, l’exclusion des études, etc. Tant que desfemmes sont traitées de la sorte, sans qu’on

fasse autre chose que protester, aucune femmenulle part ne peut se considérer comme vrai-ment libre. On fait partie du «troupeau».

Dès sa parution, La maison de jade rencontreun succès immédiat. Quelle impulsion est àl’origine de ce roman ?Il me fallait arriver à passer d’une minute à l’autre,d’une heure à l’autre tant la douleur de l’abandonbrutal était violente. Et en dehors de marcherdans la rue – ce que j’ai beaucoup fait – je ne pou-vais qu’écrire. Sans penser à publier ni à être lue.

Votre dernier roman aborde vos thèmes de pré-dilection ; la jalousie en est la pièce maîtresse.Amour et jalousie, un duo indissociable ?Dès qu’on ne comprend pas une attitude qui vousblesse, parce qu’on la trouve injuste, bête,méchante, calomnieuse ou le tout à la fois, il fautchercher la réponse dans la jalousie. Elle y est !

Depuis votre premier roman Un été sans histoire,en 1973, vous n’avez jamais cessé d’écrire.Imaginez-vous un jour ne plus écrire ?Je n’imagine rien à l’avance, je prends ce quim’est donné. Le jour où je ne recevrai plus rien,la vie se retirera d’elle-même...

Espérez-vous toujours l’amour ?Je n’ai pas à l’espérer : un homme est là, à mescôtés. Nous le vivons ensemble.

Propos recueillis par Ushanga Elébé

Cette rencontre intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18-19 et Si n° 2, page 44)

RencontreVendredi 14 novembre à 20h30Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h45

Entrée Fr. 5.–

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«Je comprends ce que je pense ou ce qui est en moi après l’avoir écrit.»

FLUX, SMALL BOATS, PUSH Chorégraphie Russell Maliphant (Royaume-Uni)

Russell Maliphant est aujourd’hui considérécomme le chorégraphe anglais le plus marquantde sa génération. Formé à la danse classique etcontemporaine, adepte de danse-contact, de ca-poeira, de taï chi et de yoga, Maliphant a imposésa voix, celle d’un chorégraphe qui repensel’équilibre du corps et porte le pas de deux à dessommets d’inventivité.

«Maliphant impose un style à la fois poétique etacrobatique : des corps étirés au-delà de ce quel’on croyait possible, des combats sans violencetout en ondulations, des vols planés qui don-nent le frisson... Chez lui, les danseurs ne dan-sent pas : ils planent, ils fusent, se lancent et serelancent, inventant d’improbables équilibres.»

D’une esthétique que l’on dira moderne, sadanse a une résonance poétique unique. On ditaussi volontiers qu’ « exaltée par la lumière, elleraffine un geste offensif et pacifique qui faitpasser la virtuosité pour un prolongementnaturel du corps » (Rosita Boisseau). Après avoirquitté le Royal Ballet de Londres et fréquentédes troupes anglaises d’exception comme DV8Physical Theatre, il fonde en 1996 sa compagnie.

FluxPlateau nu. La lumière dessine les contours d’uncercle, l’arène dans laquelle viendra s’engouffrerle danseur. Au début de ce solo, semblent réson-ner les premiers mouvements de la capoeira,quand ceux-là étaient très proches du sol. Lesbras du danseur s’enroulent et se déplient, lecorps se lève, puis retombe au sol. L’interstice.Cet instant où le danseur n’est plus tout à faitétendu, mais pas encore debout. Le centre degravité bascule, le corps horizontal. L’équilibreest pris sur les mains, pour effectuer les mouve-ments de jambes, comme en capoeira, lorsqueles «joueurs», pratiquant ces mêmes mouve-ments, maquillaient cet art du combat en danserituelle.

L’arène devient alors l’espace du combat ; lors-que le danseur en sort, il quitte en même tempsla lumière, ne devenant plus qu’ombre. Illusionfantomatique : le danseur «boxe avec l’ombre»(définition du taï chi). Au début légère, apparais-sant par «touche», la musique se rythme et s’ac-célère, fonctionnant comme un stimulus sonore.Un combat épuré de toute violence, qu’elle soitphysique ou sonore, mentale ou visuelle.

PushUn homme, une femme. Un duo en trois «mou-vements». Le premier est descendant. Apparais-sent dans la pénombre les interprètes, la dan-seuse sur les épaules de son partenaire. Elledescendra, longeant son dos, puis son bras,encore son torse. Une fois les deux êtres au sol,le noir sur scène puis, on devinera à nouveaules corps, toujours superposés, ne faisant qu’un.

Les capacités du corps en situation d’appui oude contact extrême sont éprouvées, jouantavec la force de gravité et les relations entre lesinterprètes (danse-contact).Le deuxième est latéral. Les danseurs se sontséparés, «désimbriqués» ; ils se frôlent à peine,s’offrant l’un à l’autre, de dos. Hésitants, toutcomme eux, nous ne savons qui mène la danse.Troisième mouvement. Les corps dansent en-semble. Vitesse, impulsions partagées, contact.L’équilibre entre les poids, la réactivité de l’unpar rapport à l’autre sont trouvés. De ces ren-contres devenues fluides naît une confianceentre les corps, qui permet à une chaîne demouvements de se prolonger sans interruption.Ni sensualité, ni fragilité. Les sexes sont effacés,reste la parole donnée à un échange unique-ment physique.

Small BoatsTroisième acte du spectacle Cast no Shadow,Small Boats signe l’ambitieuse collaboration deRussell Maliphant avec le cinéaste et artisterenommé Isaac Julien – dont les recherches for-melles sont traversées par le questionnementd’une identité noire au sein d’une conceptionoccidentale du monde.Dans cette pièce pour six danseurs, un filmtourné en Sicile sert de contrepoint à la choré-graphie. Ces images filmiques font écho auxcorps sur scène, à cette danse déliée qui semblenous dire, métaphoriquement, le désenchan-tement moderne.

Julie Decarroux-Dougoud

DanseMardi 18 novembre à 20h30Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h40 (entracte compris)

Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.–

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Flux Interprétation Alexander Varona Musique Freeze frame and Autodrive from Balance de Frank Bretschneider /Taylor Deupree Lumières Michael Hulls

Small Boats Interprétation Juliette Barton / Saiko Kino / Kim Kyoung Shin / Riccardo Meneghini / Daniel Proietto /Alexander Varona Concept Isaac Julien Direction artistique Isaac Julien / Russell Maliphant Film Isaac Julien Installation Courtesy of Victoria Miro Gallery Cinématographie Nina Kellgren Éditeur Adam Finch Lumières Michael Hulls Composition musique Andy Cowton Costumes Ursula BombshellConsultant Scénographie Es Devlin

Push Interprétation Juliette Barton / Alexander Varona Lumières Michael Hulls Musique Andy CowtonCostumes Stevie Stewart

«On apprend un certain vocabulaire et improvise ensuiteavec, plutôt que d’apprendre un langage, une forme fixe.»

Entretien

Julie Decarroux-Dougoud : Le taï chi et la capo-eira ont-ils influencé vos chorégraphies ? Nous pensons en particulier à ce solo (Flux) danslequel le danseur semble évoluer dans une arènecréée par la lumière et où il boxe avec l’ombre.Russell Maliphant : Le taï chi m’a influencé deplusieurs façons. Il s’agit d’un exercice physiquetrès profond ; les mouvements sont esthétiqueset ils constituent un entraînement sain. Enmême temps, cette pratique – fondée sur la dou-ceur et la fluidité – permet de générer un grandpotentiel d’énergie intérieure qui, en cela aussi,nourrit mon inspiration. J’ai pris mes premierscours de taï chi au début des années 1980 ; il yeut donc une période de filtration assez longuepour permettre à ces éléments d’infuser et de semélanger aux autres styles de mouvements.

Dans la capoeira, la fluidité joue également unrôle important mais généralement d’une façonplus acrobatique. Cela mène à des formes intri-gantes dans l’espace puisque les mouvementssont souvent circulaires et les mains utiliséespour contrebalancer le déséquilibre du corpsdans sa lancée. Pour moi, c’est la relation entreles partenaires/opposants – qui se retrouventtrès proches l’un de l’autre dans l’espace – quim’inspire.On apprend un certain vocabulaire et improviseensuite avec, plutôt que d’apprendre un lan-gage, une forme fixe ; l’état mental doit toujoursrester alerte, imaginatif et fluide. À différentsdegrés, tous ces éléments ont bien influencé machorégraphie à un moment donné.

Dans le duo Push, il nous semblait avoir recon-nu l’influence de la danse-contact…Absolument ! J’ai connu la danse-contact vers lafin des années 1980. En tant qu’outil pour le travail à deux, elle ouvre des possibilités quin’existaient pas auparavant. Elle procure uneproximité et une intimité rarement vues dansles méthodes plus formelles et demande uneécoute du corps très intense et une confiancequi, s’amplifiant, permet de prendre de plus enplus de risques. C’est un moyen formidable pourdévelopper et stimuler la relation entre deuxpartenaires.

L’inspiration de la pièce Small Boats paraît pluspolitique qu’esthétique…Small Boats a été créé avec l’artiste vidéasteIsaac Julien ; c’était mon premier travail avecdes projections. Le travail d’Isaac est, en effet,assez politique et c’est lui qui est venu vers moiavec le thème du film.

Quel est l’enjeu de cette interaction entre cho-régraphie et vidéo ?Pour moi, le travail dans Small Boats consistaitavant tout en la recherche d’une coexistenceentre une image filmée en deux dimensions etune performance sur scène en trois dimensions– dans laquelle l’espace est le flux, où le mouve-ment et l’énergie sont clairement définis. Je vou-lais aussi trouver des possibilités pour éviterque le regard des spectateurs se fixe trop long-temps sur un écran, afin que vidéo et danse secomplètent mutuellement.

Propos recueillis par JD-D

Cycle passedanse

Films de danseEn collaboration avec la Cinémathèque fran-çaise de la danse à Paris.

Après trois cycles de conférences sur l’his-toire de la danse, cette saison du passedansepropose quatre séances de films de danse,qui croisent, parfois, la programmation. Plusd’information sur www.passedanse.net.

Les Giselle Lundi 1er décembre à 20h00 au CAC (Centred’Animation Cinématographique, Grütli)Mardi 2 décembre à 18h30 au Ciné Actuel(Annemasse)

Giselle continue de fasciner, d’attirer. Toutesles grandes danseuses classiques l’ont inter-prétée. Les raccords de ce montage reconsti-tuent le ballet dans son intégralité en reliantles séquences selon la progression de l’œuvre.Olga Spessivtseva (1935), Margot Fonteyn(1962), Alicia Alonso (1964), Ana Laguna (1987),Sylvie Guillem (2000), etc.

CŒUR FIDÈLE De Jean Epstein (1923 / France)

Cinéaste aujourd’hui oublié, Jean Epstein a réa-lisé avec Cœur fidèle (1923) l’un des manifestesde l’avant-garde muette française. Revu aujour-d’hui, il frappe à la fois par sa modernité et sonaspect contradictoire qui en fait une œuvre ànulle autre pareille.

Avec Germaine Dulac, Abel Gance et MarcelL’Herbier, le réalisateur Jean Epstein (1897-1953)a formé ce que les encyclopédies du cinémadésignent aujourd’hui comme la premièreavant-garde française. À cet intitulé, on devinequ’il y en eut une deuxième, celle-là marquéepar l’influence de Dada et du surréalisme, dontBuñuel, Dalí et Man Ray furent les agents pro-vocateurs. À propos d’Epstein et consorts, d’au-tres experts parlent aussi de «cinéma pur», d’«école impressionniste».

Pour s’y retrouver dans ce ballet de définitionset saisir ce qui fait toute la spécificité de Cœurfidèle, il faut se replonger dans le contexte ciné-matographique de l’époque. Invention forainedestinée à divertir les masses ouvrières, le ciné-matographe est légitimé par la classe bour-geoise à partir de 1908, grâce au «film d’art»censé séduire le public cultivé. Succession detableaux filmés respectant scrupuleusement lecadre théâtral, le «film d’art» ne débouche suraucun art du film, sinon une succession d’œu-vres empesées. Distribué en Europe, Forfaiture(1915) va changer radicalement la donne.Jouant sur la variété des plans, imposant la spa-tialisation du décor sur 360 degrés, le film del’Américain Cecil B. DeMille crée une véritableonde de choc !

Montage des impressionsEssayiste, cinéaste et critique, Louis Delluc(1890-1924), à qui l’on doit la création des pre-miers ciné-clubs, annonce alors l’avènementd’un art nouveau et proclame urbi et orbi lesmérites du modèle narratif hollywoodien quiprivilégie l’instauration d’un climat, d’une at-mosphère, à la simple concaténation des péri-péties. Pour Delluc, le cinéma doit être faitd’« impressions » que le montage assemblepour le spectateur.

Enthousiaste, il évangélise les jeunes espritsfiévreux qui gravitent autour de sa revueCinéma, dont un certain Jean Epstein. Passion-né de littérature, de philosophie et de cinéma,Epstein a interrompu des études scientifiqueset écrit en abondance sur le septième art, pourreprendre l’expression forgée dès 1912 parRiccioto Canudo. En 1921, il publie Bonjour cinéma, un essai où ilappelle de ses vœux la création du «cinémapur», débarrassé de tout ce qui n’est pas lui, àcommencer par le théâtre.

Après avoir été l’assistant de Delluc, Epstein faitses premiers pas de réalisateur en tournant uncourt métrage relevant du «docu-fiction», con-sacré à Pasteur. Le résultat épate Charles Pathéqui l’engage. En 1922, la firme au coq, qui futautrefois l’une des plus puissantes au monde,est sur son déclin, abandonnant le terrain aurouleau compresseur hollywoodien. Cette mau-vaise situation est sans doute pour beaucoupdans le tour très orageux que va prendre la col-laboration avec Epstein !

Épure révolutionnaireSitôt après avoir achevé L’auberge rouge (1923),inspiré de Balzac, Epstein écrit le scénario dumélodrame Cœur fidèle en une nuit. À cette vi-tesse d’exécution, il ne peut qu’épurer le genrequi s’est substitué aux précieuses ridicules du «film d’art». Il réduit donc ses personnages àdes archétypes identifiables à coup sûr par lepublic, comptant bien que cette familiarité valui permettre toute licence sur le plan formel.

Dans le port de Marseille, une jeune fille aimeun doux docker. Las, le couple du bouge où elleest exploitée la destine au caïd du quartier… Surcette trame éculée, Epstein greffe sa mise enscène qui multiplie les audaces «impression-nistes» du «cinéma pur» : gros plans, caméradéchaînée, surimpressions, accélérés, etc. Auvisionnement, son producteur en a « le mal demer» et ne reconnaît plus «son» mélodrame.

Face aux exigences de coupe, le cinéaste netransige pas et maintient telle quelle lafameuse scène de la fête foraine, objet de l’irede Pathé. Sa réputation est désormais faite,Epstein a gagné ses galons d’auteur maudit. Sa postérité est loin d’être négligeable : Jean-Luc Godard reprendra son art du calligramme «cinématographique». Dans Le temps de l’inno-cence (1993), Martin Scorsese lui emprunterason usage subjectif du fondu enchaîné.

Vincent Adatte

FilmDu mercredi 19 au samedi 22 novembre à 18h00(suivi à 20h30 du spectacle Bergamote,morceaux choisis)Au Théâtre Forum Meyrin Salle audiovisuelleDurée 1h30

Entrée : Fr. 5.–Réservation conseillée au 022 989 34 34

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Scénario Marie Epstein Interprétation Claude Benedict / Marie Epstein / Madeleine Erickson / Gina Manès / Léon Mathot / Mme Maufroy / Edmond Van Daele Photographie Léon Donno / Paul Guichard / Henri Stuckert Production Pathé Classique

Ce film intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

«Il réduit ses personnages à des archétypes identifiables par le public, comptant bien que cette familiarité va lui permettre toute licence sur le plan formel.»

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Accueil réalisé en collaboration avec l’Association des Habitants de la Ville de Meyrin (AHVM).

BERGAMOTE, MORCEAUX CHOISISDe et avec Claude-Inga Barbey, Claude Blanc et Patrick Lapp (Suisse)

En 1996, sur les ondes de la Radio suisse romande,naissait Bergamote, centrée sur les aléas sen-timentaux et quotidiens de Monique et Roger,respectivement interprétés par Claude-IngaBarbey et Patrick Lapp. Depuis, l’aventure radio-phonique est devenue théâtrale et le couple n’acessé de raconter des histoires d’amour et dehaine, de ruptures et de retrouvailles.

EntretienRita Freda : Comment est née l’envie de propo-ser une compilation d’extraits des précédentsspectacles de Bergamote ?Patrick Lapp : En fait, nous nous sommes lancésdans un inédit plutôt que dans un best of. Au grédes spectacles de Bergamote, nous avons ététrois, quatre ou cinq acteurs sur scène. Si DanielRausis était présent au début de l’aventure,Doris Ittig et Marc Donet-Monet nous ontaccompagnés sur notre dernière réalisation :Bergamote Le Modern. Or Claude-Inga Barbey,Claude Blanc et moi avons ressenti la nécessitéde nous retrouver à trois. Pendant une année,pour des raisons diverses, nous nous sommespeu vus. Nous avons ainsi eu l’idée de réaliser unspectacle autour des noces de coton, qui fêtentla première année de mariage. Cet été, nousavons répété à partir de ce thème et imaginé lesheurs et les malheurs d’une histoire d’amour,avec des ruptures, des thérapies, des morts, desnaissances… Monique et Roger forment un cou-ple qui a pris un peu d’âge. Après une séparation,ils fêtent un anniversaire de mariage. À cetteoccasion, ils se souviennent de ce qu’ils ont faitet parlent de ce qu’ils aimeraient faire.

Quelle est la fonction de Claude Blanc danscette nouvelle réalisation ?Il est notre révélateur, notre pasteur, notre thé-rapeute. Il assure aussi une fonction dramatur-gique : à chaque fois que l’on n’arrive pas aubout d’une scène, il intervient pour régler leschoses.

Avec Claude-Inga Barbey, vous avez développéun jeu naturel et spontané qui fait la part belleà l’improvisation…Lorsque nous nous sommes rencontrés, Claude-Inga Barbey et moi, nous avons eu l’impressionque nous avions déjà vécu de nombreuseschoses ensemble. Sur scène, c’est toujours trèsfacile tant nous sommes complices et à l’écoutel’un de l’autre. Je me suis aperçu que je ne peuxpas reproduire cela avec d’autres personnes.Lorsque nous jouons dans Bergamote, nousavons le sentiment que ce n’est pas nous quiallons vers la salle, mais que c’est le public quimonte sur la scène, qui nous tient les mains etnous dit : «Ça nous rassurerait que vous arriviezà vous sortir de cette histoire.»

Qu’est-ce qui fonde selon vous l’engouementpour Bergamote ?On peut, je crois, assister aux spectacles deBergamote tout en regardant de traversl’homme dont on est amoureux ou la femmequ’on aime. Car les histoires que nous racon-tons sur scène ont été bien souvent vécues parceux qui sont dans la salle. Je connais du resteautour de moi des couples qui se disent : «Ehbien ce soir, on va la jouer à la Bergamote. » Àtravers cette manière de faire, ils vont s’amuser

à s’aimer. Je ne sais pas s’ils sont ainsi plus heu-reux ou plus malheureux. Bergamote, c’est à lafois émouvant et triste, avec parfois des digres-sions burlesques ou clownesques.

Qu’avez-vous appris avec Bergamote ?J’ai appris que ce qu’il y avait de plus difficilepour un acteur, c’était d’être soi-même. Dans lesspectacles de Bergamote, je n’ai pas le senti-ment de jouer : c’est toujours moi qui suis surscène, même quand, par exemple, ainsi que c’est le cas dans une séquence de Bergamote etl’ange, il m’arrive d’interpréter un Anglais etd’adopter son accent. Auparavant, j’ai toujoursété un comédien qui, pour se transformer devaitmettre un faux nez, une fausse moustache, unedent noire. J’aime bien les personnages pour les-quels je peux dire : «C’est moi.» Aujourd’hui, jepourrais jouer un salaud ou un assassin avecbeaucoup de plaisir, parce que tout en étant unautre, je serais plus proche de moi.

Pourquoi aimez-vous cette aventure ?Parce que j’aime Monique. J’ai fait beaucoupd’autres spectacles avant que ne commencel’aventure de Bergamote et à chaque fois, tandisque je trouvais les autres tellement remarqua-bles, je me décevais. J’étais déçu parce qu’il memanquait en fait quelque chose. Ce quelquechose, dans les spectacles de Bergamote, je l’ai :Monique est là. Je souhaite qu’avec Claude-IngaBarbey, nous nous lancions ensemble dans l’in-terprétation d’une pièce du répertoire.

Propos recueillis par Rita Freda

Théâtre / HumourDu mercredi 19 au samedi 22 novembre à 20h30Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h35

Plein tarif : Fr. 46.– / Fr. 38.– Tarif réduit : Fr. 37.– / Fr. 30.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 22.– / Fr. 17.–

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Interprétation Claude-Inga Barbey / Claude Blanc / Marc Donet-Monet (en alternance) / Doris Ittig (en alternance) / Patrick Lapp Musique et arrangements Hélène Zambelli Lumières Jean-Michel Broillet

Ce spectacle intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

«Ce qu’il y a de plus difficile pour un acteur, c’est d’être soi-même.»

Portraits

Oana Pellea et Mihai Gruia Sandu sont diplômésdu prestigieux Institut d’art théâtral et cinéma-tographique de Bucarest.

Oana Pellea est née en 1962 à Bucarest. C’est auThéâtre de la jeunesse de Piatra Neamt qu’elle afait ses débuts d’actrice. Si elle s’est illustrée surscène dans de nombreux rôles classiques telscelui de Macha dans Les trois sœurs de Tchekhovou celui de Lucius dans Jules César de Shake-speare, c’est à son rôle de Gulea dans State ofFact qu’elle doit la consécration de meilleureactrice au festival de Venise en 1996. Polyglotte(roumain, anglais, français, italien), elle a parti-cipé à de nombreuses coproductions commeJeanne d’Arc de Luc Besson en 1999 ou le filmcanadien Je m’en vais de Marc Doré. Elle a notam-ment reçu le prix de la meilleure actrice au Festivaldu film de Genève, et celui de la meilleure actricede Roumanie en 2001. Plus récemment, elle s’est illustrée dans Hautetension d’Alexandre Aja (2003) et Les paumesblanches de Szabolcs Hajdu en 2007. Parmi sesderniers films se trouvent la comédie I reallyhate my job (2007) d’Oliver Parker et le drameChildren of men d’Alfonso Cuarón. Pour GeorgesBanu, critique de théâtre de renommée interna-tionale, le jeu d’Oana Pellea dans Je m’en vais«apporte à ce spectacle une poésie particulière.Fragilité et espoir font de cet être une incarna-tion poétique de l’espoir».

Mihai Gruia Sandu est également un acteur rou-main célèbre à la carrière internationale. Acteurde théâtre et de cinéma, il est aussi professeurde jeu dramatique à l’université. Dès 1992, il estle protagoniste de l’émission pour les jeunesArlechino à la télévision nationale roumaine. Surla liste de ses derniers films figurent Blood inChocolate de Katja von Garnier et Modigliani deMick Davis.

Marc Doré étudie notamment à Paris, auprès deJacques Lecoq. En 1967, il devient professeur auConservatoire d’art dramatique de Québec, dont ilest directeur pendant plus de dix ans : un directeuret pédagogue des plus marquants. Ses méthodes,inspirées de celles de Jacques Lecoq, mettent l’ac-cent sur l’improvisation, le corps, le mouvement,la création. Marc Doré a écrit de nombreuses nou-velles pour Radio-Canada, ainsi que des piècescomme Autour de Blanche Pelletier et Requiem.

Je m’en vais, de Marc Doré, est un spectacle dethéâtre burlesque sur les thèmes de la lon-gévité, de la persistance et de la profondeurdes liens qui existent dans un couple – le mot«couple» étant ici à comprendre au sens large.Il n’y a sur scène que deux clowns, deux acteursmonumentaux encensés par la critique inter-nationale, deux êtres humains, comme vous etmoi, qui n’ont pour accessoires que leur nez declown… et qui se posent des questions fonda-mentales comme dans En attendant Godot.

Le dialogue est simple, cyclique, gorgé definesse, d’humour, de tendresse, de pudeur, delégèreté et de polysémie. Il y a le dit, le non-dit,l’évocation, la nostalgie. Il y a l’humain, beaucomme on voudrait qu’il soit en vrai, des cris,des chuchotements, de grands gestes et d’au-tres, tout petits.On a beaucoup dit et écrit de ce merveilleuxspectacle – qu’il dépeint une rupture sentimen-tale, entre un homme et une femme : c’est faux !J’ose prétendre que le nez rouge, cette cerisequi couronne le gâteau de l’art clownesque,prive les personnages de leur caractère sexuéaussi sûrement que le feraient des ailes d’ange.

Le type « humain »Plus qu’homme ou femme, ils sont de type «humain». Vous ne me croyez pas ? Je le sais desource sûre. Si je me permets de l’affirmer, sij’ose vous heurter ici, frontalement, en abusantde la première personne, si je m’octroie ce droiten dépit des règles tacites – cocktail de déonto-logie, de bienséance et d’air du temps – que jeconnais fort bien (faites-moi confiance), c’est

que la découverte de ce trésor, porté par cesmêmes merveilleux monstres roumains, a litté-ralement changé le cours de mon existence.Quoi ? J’exagère, j’affabule, je joue au bonimen-teur ? Et si je vous disais que c’est parce que j’aiassisté à une représentation de Je m’en vais, le 4février 2000, dans un petit théâtre valaisan, etque sa magie m’a subjugué, submergé, que j’aiaccepté de devenir quelques mois plus tard l’undes responsables du lieu pour ensuite le resterdurant sept ans ? Alors, du boniment ?Après la représentation, j’ai eu ce soir-là le bon-heur de m’attabler auprès d’Oana Pellea et MihaiGruia Sandu, et de réaliser, pour un quotidienlocal, l’interview que nous vous proposons(redevenons professionnels… !) de découvrir ici.Peut-être avez-vous déjà lu des commentairessur la pièce. Mais sans doute ignorez-vous, toutcomme ces plumes illustres, qu’à la création,Oana Pellea avait repris au pied levé le rôlequ’elle interprète, qui devait être joué… par unhomme !

EntretienSylvain De Marco : À qui s’adresse le spectacle ?Mihai Grua Sandu : À un public de tous les âgeset de tous les milieux, puisqu’il s’adresse à la sen-sibilité générale humaine. Il parle des problèmesde communication dans les couples.

Pourquoi deux comédiens roumains défendent-ils une pièce en français ?MGS : La Roumanie est une enclave latine aumilieu des Slaves. Pour obtenir une communi-cation avec le reste du monde, nous sommes un

peu obligés d’être transculturels. Et puis, la cul-ture est une résistance.

Est-ce encore de la résistance pour vous ?MGS : La culture, c’est toujours de la résistance.Les politiques ont peur de la culture : ils ne peu-vent pas la maîtriser.Oana Pellea : Il faut ajouter que nous avons jouédes spectacles en roumain ailleurs et que lesgens ont adoré. Les sentiments, c’est au-delà dela parole. En plus, pour nous, c’est une aventurede jouer, d’exister dans une autre langue.

Est-ce que le nez de clown change votre jeu (lireaussi pages 66 et 67) ?MGS : Oui, comme jouer avec un masque changevotre jeu. Le nez rouge est un masque (…). Le mas-que permet notamment de jouer un type plutôtqu’un personnage. C’est aussi ce que permet lejeu de clown.

Comment est née votre collaboration ?OP : Nous avons fait partie d’une même troupepermanente pendant quinze ans, mais nousn’avions jamais joué ensemble. Il n’y a que cemetteur en scène canadien qui a vu là un couple.Au départ, la pièce devait être jouée par deuxhommes. Le deuxième comédien s’est désisté, etj’ai accepté de reprendre le rôle une semaineavant la première représentation. Le spectacle adû être adapté à cette nouvelle situation. En fait,même en Roumanie, on ne joue pas ensemble.Mais je crois qu’on est sur le même plan humain:un destin étrange et initiatique.

Propos recueillis par Sylvain De Marco

Théâtre / HumourMardi 25 et mercredi 26 novembre à 20h30Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h10

Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.–

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«Les sentiments, c’est au-delà de la parole.»

JE M’EN VAIS Par Oana Pellea et Mihai Gruia Sandu (Roumanie)

Texte et mise en scène Marc Doré Interprétation Oana Pellea / Mihai Gruia Sandu

Ce spectacle intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

Accueil réalisé en collaboration avec l’Association des Habitants de la Ville de Meyrin (AHVM) et le Service culturel Migros Genève

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PORTRAITDU MASQUE DE THÉÂTRE À L’OMBRE DU PERSONNAGE Entretien avec le créateur Werner Strub

bois. Au fond, c’est l’émanation d’une vie en com-mun. C’est au-delà de l’esthétique. C’est là parceque cela doit être là. Et moi, face à ça, je me sen-tais comme un objet sans racines, flottant, sansattaches. Au cours de mes travaux, j’ai fait plu-sieurs masques inspirés d’un des premiersattentats terroristes en Israël. Je m’appuyaisalors sur ma théorie de l’harmonie initiale et dela vie qui déforme. J’ai vu les photos des terro-ristes. Ils étaient tous d’une beauté ! J’ai faitcette série de masques et je les ai nommés «lespersonnages manipulés par la société». J’en aiappelé un : «Rêve d’un homme civilisé». C’étaitun masque en partie recouvert de fourrure trèsrase. Je lui ai mis des cornes trouées, et dans lestrous, j’ai planté des plumes. Tout à coup, je mesuis dit : «Voilà, j’ai fait un masque d’Indiend’Amérique du Nord». À ce moment, j’ai com-mencé à me dire qu’au fond, je venais de là.

«Si je pouvais dire ce que je fais, je ne le ferais pas»Je ne sais pas si les gens comprennent ce qu’estle masque de théâtre. Je voudrais faire com-prendre que je ne peux pas aller contre monidée du masque. Ce qui ne veut pas dire que jesois buté. C’est quelque chose de très profond.Ce n’est pas un accessoire comme un autre. Jen’ai pas encore trouvé exactement ce que c’est,pour le faire comprendre à quelqu’un. Mais jesais qu’il y a des gens qui le voient dans mesexpositions. Je le vois par leur réaction, ce qu’ilspeuvent dire ou écrire. Parfois un petit mot derien du tout.

Propos recueillis par Delphine de Stoutz

Œdipe TyranJe voulais faire un chœur, après ce… commentappeler cela, ce n’est pas un naufrage… aprèscet Œdipe 1 qui n’a pas pu se faire parce queBenno Besson est mort, une semaine après ledébut des répétitions…Les masques étaient faits. Avant les répétitions,tout était fait, et même les costumes étaienttrès avancés. Besson avait fait un travail d’unesemaine avec le chœur, et à la première lecture,le chœur existait au fond déjà. Le chœur, c’étaitd’ailleurs ma préoccupation. Si on avait, AlainTrétout et moi, poussé Benno Besson à faireŒdipe en France, c’est parce qu’à la création enItalie 2, le chœur a vraiment été une révélationpour moi. Généralement, le chœur n’est pas trèsintéressant, on préfère les personnages. Maislà, c’était extraordinaire de voir ce groupe quibougeait ensemble, qui respirait ensemble, quidisait « je». Entendre ce «je» par six bouches,c’est quelque chose d’extraordinaire.La mort de quelqu’un, ce n’est pas un échec. Maiscette chose pas finie, pas aboutie, je voulais enfaire quelque chose au fond de positif. J’avais lesmoulages de tous les acteurs et je voulais faireun chœur avec des masques en fil. C’est-à-direun chœur qui s’évapore dans l’air. Des masquespratiquement en fil blanc sur un mur blanc, quidisparaissent. Pour moi, c’était une façon defaire quelque chose de positif avec cet événe-ment. Je ne sais pas si cela avait donné un sensen l’ayant fait, mais pour moi cela en avait un.

L’ombre du personnageL’ombre, c’était une découverte. C’était un hasard.Je ne pensais pas du tout à l’ombre. Horst Sagert3

m’avait une fois demandé de faire un masqueplus zeichnerisch4. À l’époque, je n’ai pas vrai-ment compris ce qu’il voulait dire, mais c’est unmot qui depuis m’a toujours hanté.

Et puis un jour, lors d’un projet d’exposition àLausanne, j’ai fait une série que j’ai appelée «les masques dessinés». Ce sont des masquesen tissu comme crayonnés, mais qui en faitsont du crin de cheval cousu dans le tissu. Leprolongement de ce travail fut de laisser tom-ber la surface et de ne faire que le dessin.Au début, je n’osais pas utiliser du fil et ai utiliséde la ficelle très fine. J’ai fait mon premier mas-que en ficelle en 1990, peu avant une expositionà Zurich. C’était assez grossier et je l’ai trouvératé. J’ai quand même apporté ce masque à l’exposition. C’est là, en le mettant sur un murblanc, avec un éclairage dessus, que j’ai vu l’ombre. Je me suis dit que le sujet, au fond,c’était ça : l’ombre. C’est cela qui m’a fait conti-nuer. Quand on suspend du nylon, selon l’éclai-rage, on ne voit pas le fil mais on voit son

ombre. J’ai voulu faire un masque dont on neverrait que l’ombre. J’ai commencé à utiliser dufil un peu fort, et puis des fils de plus en plusfins. Malheureusement, je n’ai jamais pu obtenirque cela se dissolve complètement dans l’air.Même un fil très fin reste de la matière.

Le nez de clownCela me fait rire… Je voulais être clown. Parceque j’ai vu un clown, une fois, un bon. Généra-lement, je les trouve très bêtes. C’était un clownsuisse. Il avait juste un petit point rouge sur lenez. C’était évidemment triste. Il était formida-ble. Le masque a certainement quelque chose àvoir avec cela, avec un spectacle qui réinventeun peu la vie.

Les arts primitifsMon histoire, c’est que je suis la continuationde ces arts primitifs. Mes racines sont là-dedans. Je ne suis pas admis dans l’art contem-porain. Je ne suis rien. Je m’en fous complète-ment. Une fois, le sous-directeur du muséed’ethnographie de Bâle a voulu exposer mesmasques de fil avec de l’art océanique. Celam’avait beaucoup touché. Et puis la directricen’y voyait à l’époque aucun intérêt. C’est dom-mage. Il y a quelque chose à y voir, au contraire,peut-être directement.J’ai vu en 1965 une exposition à Zurich sur l’artafricain. Il y avait des masques mais surtout desoutils, des objets très simples. Ce qui m’a frappé,c’est le côté sérieux de tout objet, cette néces-sité d’être de tous ces objets, et la gravité de cesobjets, au-delà de ce que nous appelons l’esthé-tique. C’est tellement fort. Même une cuillère en

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«Le masque, c’est difficile d’en parler comme ça. Il y a desmoments où je peux et il y a desmoments où je ne peux pas. Et peut-être que je suis aussi encrise par rapport au masque. Au masque de théâtre, j’entends.»

1 Le 23 février 2006, Benno Besson décède à Berlin, une semaine après le début des répétitions à la Comédie-Française d’Œdipe Tyran de Sophocle, spectacle déjà monté 39 ans plus tôt à Berlin au Deutsches Theater.2 Œdipe Tyran mis en scène par Benno Besson fut repris en 1980 en Italie au festival des Deux Mondes de Spolète.3 Horst Sagert : metteur en scène, peintre, scénographe allemand né en 1934.4 Littéralement : dessiné.

Du masque de théâtre à l’ombre du personnage.

Note à l’attention de Delphine de Stoutz : Il faut que tu lises ce texte de 2002 (…). Je dis l’essen-tiel en peu de mots parce que parler comme ça, je n’y arrive pas. Il y a des moments où je voisquelque chose à travers le brouillard. Quelque chose qui surgit entre les nuages, qui sort dunoir. Je n’ai pas du tout de certitudes. Je travaille avec la matière.

«Dès le début, le masque était pour moi nécessairement un masque de théâtre : il fallait qu’ilserve à quelque chose. Plutôt qu’un visage, j’y voyais l’enveloppe du personnage que le comé-dien revêt au même titre que le costume. Il était la surface sur laquelle pouvaient s’inscrire lescaractéristiques apparentes ou secrètes du personnage, masque bien plus révélateur doncque dissimulant.Les matières utilisées ont évolué selon les exigences des spectacles mais aussi suivant l’expé-rience de la vie : du cuir permettant d’obtenir des formes précises, affirmées, la tendance a étéavec le tissu vers plus de souplesse, plus de légèreté, plus d’artificialité aussi, reflétant ainsipeut-être un effritement des certitudes net, une conscience grandissante de la fragilité del’éphémère…Avec les masques en fil, cette surface déjà devenue plus mince, s’est en grande partie désinté-grée. Ce qui en subsiste, sous forme de trait, ne fait que délimiter l’espace qu’occupait le per-sonnage désormais disparu. Être vide est le propre de tout masque non porté. Ici le videdevient sujet. Il ne demande pas à être comblé.Une rupture avec le théâtre ? Plutôt une réponse par le défi. Et plus simplement une autreétape dans une longue histoire qui n’est pas que la mienne…»

Werner Strub

RÉCRÉATION PRIMITIVE Par la compagnie La Calebasse (Cameroun / France)

Révélé par José Montalvo dans Paradis, fonda-teur de la compagnie La Calebasse, MerlinNyakam nous livre ici sa première création.Soliste au sein du Ballet national du Cameroun,le chorégraphe rejoint ensuite la France, pourtravailler avec des chorégraphes de renom.

Fruit du dialogue de la danse traditionnelle afri-caine avec la création contemporaine occiden-tale, Récréation primitive propose une interpré-tation subjective de la culture africaine. Portépar cinq danseurs et trois musiciens – à l’aiseaussi bien avec Bach qu’avec Rokia Traoré, cespectacle est un trait d’union entre tradition etmodernité, Sud et Nord.

Entretien

Julie Decarroux-Dougoud : Récréation primitiveest votre première création. Comment est né cespectacle ?Merlin Nyakam : C’est un coup de gueule enverstout ce qui se passait autour de moi, en rapportaux êtres humains. En tant qu’artiste, je me sen-tais la responsabilité de pointer le doigt sur cequi, à mon sens, n’allait pas. Les hommes ne separlent plus, ne semblent plus s’aimer ; unretour aux sources, à l’essentiel, m’apparaissaitindispensable en ces temps où tout va trop vite,où nous oublions nos vraies valeurs. Sur la pla-nète existent quatre éléments : l’eau, le feu, laterre et l’air ; l’humain serait le cinquième élé-ment. J’ai voulu confronter l’homme aux élé-ments de la nature. Je ne me pose pas en don-

neur de leçons car je n’ai pas la solution. Je veuxjuste sensibiliser les gens pour qu’ensemble,nous réfléchissions à ce que nous pouvons faire.L’évolution est un tsunami qui emporte tout ;comment faire pour ne pas oublier l’essentiel,la relation entre les hommes, le respect de lanature ?

Le titre peut apparaître choquant pour certains.Pouvez-vous nous l’expliquer ?Le mot «primitif» n’a aucun sens péjoratif ici.L’important pour l’homme est de savoir d’où ilvient, non où il va. Pourquoi renier ce qui aexisté ? C’est parce que nous avons été primitifs,que nous sommes assez évolués aujourd’hui.Descendu du singe, l’homme a évolué vers unemarche que j’appelle primitive, il est légère-ment fléchi sur les genoux. Une position où l’onse sent bien, les pieds ancrés dans le sol, sur nosappuis et que l’on retrouve beaucoup dans lespectacle. Pourquoi renier notre temps premier ?De ce qui était essentiel avant, qu’est-ce quipeut encore nous être utile aujourd’hui ? À noter :il s’agit bien de récréation et non recréation ;l’accent est important…

Vous donnez une interprétation personnellede la culture africaine. Pensez-vous que la tradi-tion nourrit la création contemporaine ?Je qualifie mon travail de «danse africaine con-temporaine». Ce qui m’intéresse, c’est de voircomment je peux raconter mon Afrique au-jourd’hui. L’important pour moi étant de partirde la tradition pour aller vers la modernité, cequi nécessite une bonne connaissance des tra-ditions. J’aime prendre l’image du baobab : un

arbre qui vit longtemps, résistant à toutes lesintempéries, robuste par ses racines bienancrées dans la terre. De ces racines peuventnaître les branches qui, elles, sont baladeuses,se frottent aux autres. La tradition nourrit énor-mément mon travail ; grâce à elle, je m’appuiesur ce qui a déjà existé pour aller un peu plusloin. Aussi, je me suis servi des statues et desmasques africains. Le visage des danseursexplore plusieurs expressions du visage conte-nues dans les masques, la tenue de leur corpss’apparente parfois aux statues africaines.

En contrepoint à ce retour à l’essentiel, l’usagede la vidéo…J’ai travaillé pendant dix ans avec les chorégra-phes José Montalvo et Dominique Hervieu, quiaffectionnent le métissage entre la danse et lesnouvelles technologies (on pense notamment àLa bossa fataka de Rameau, accueillie la saisonpassée à Meyrin, ndlr), en particulier la vidéo.J’ai été nourri beaucoup par ces influences,mais je ne voulais surtout pas faire dans monspectacle du «Montalvo 2» ; je craignais le pla-giat. De plus, comment amener la vidéo, emblèmedes nouvelles technologies d’aujourd’hui, dansun spectacle traitant d’un retour à l’essentiel ?Les images filmiques ne devaient pas apparaî-tre comme un simple décor, je voulais qu’il y aitune véritable interaction entre les danseurs etles images. Ainsi, la vidéo est projetée sur untulle, derrière lequel les interprètes évoluent…

Propos recueillis par Julie Decarroux-Dougoud

DanseMercredi 3 décembre à 20h30Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h00

Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.–

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Chorégraphie et conception vidéo Merlin Nyakam Interprétation Octave Agbohoun / Richard Anegbelé / Gérard Diby / Serge Dupont-Tsakap / Tony Kouad / Merlin Nyakam / Nadège Sordet Musiciens Oumarou Bambara / Yvan Talbot / Cédric Yenk Musiques Bonga Angola / JS Bach et l’Afrique / Farinelli /Rokia Traoré Son, lumières et direction technique Emmanuel Gary Régie Vidéo Karine Fourniols Costumes Chantal L’Allement Coproduction Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne /Compagnie Montalvo-Hervieu / Biennale nationale de danse du Val-de-Marne / Association Cogni Art

Accueil réalisé en collaboration avec les Ateliers d’Ethnomusicologie et l’Organisation internationale de la Francophonie (lire pages 50–55) en lien avec l’exposition Girafes & cie

«C’est un coup de gueule envers tout ce qui se passait autour de moi...»

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LES PETITS ARRANGEMENTS De Claude-Inga Barbey (Suisse) / Mise en scène de l’auteure

En 2007, les Éditions d’autre part font paraîtreLes petits arrangements de Claude-Inga Barbey.Dans ce roman, l’auteure raconte la fin inéluc-table et douloureuse d’une passion ravageuse.Gilda a été désirée et conquise par un hommeplus jeune qu’elle, prénommé Ulysse. Pourl’épouser, elle a quitté un premier mari. De leurunion naît Simon. Ensemble, ils vivent avecCharlie, le fils adolescent issu du précédentmariage de Gilda. Un jour, pour des raisons pro-fessionnelles, Ulysse doit partir au Canada…

Telle Pénélope, Gilda attend son retour. L’absencene dure qu’une semaine. Mais Ulysse rentre deson voyage profondément transformé. Il quitteson foyer, se laisse séduire par Evelyne. Gildasouffre et sombre. Progressivement, elle fait ledeuil d’un amour qu’elle aurait souhaité éternel.

En guise d’introduction à la version scénique desPetits arrangements, et pour mieux saisir, entresourires et larmes, l’univers dense de l’auteureet de la femme de théâtre qu’est Claude-IngaBarbey, voici quelques extraits du roman :

Je suis Ulysse !Je suis Ulysse ! Que diable ! Pénélope me l’a assezrépété. « Tu es si beau ! Tu es mon ange !» Est-cequ’on se soucie de savoir si Ulysse était beau ounon ? Il était peut-être trapu poilu et tout petit.Ce qui nous manque à Pénélope et à moi, c’estla joie. Quelqu’un a dit que le bonheur c’est dese rendre compte qu’on n’a pas absolumentbesoin du bonheur. Je pense que c’est assezjuste. Mais nous avons besoin d’éprouver de lajoie et de la légèreté de temps en temps. Pour

les autres, nous sommes, Pénélope et moi, uncouple de sages, généreux et ouverts, pleinsd’expérience et de charité. Nous donnons lechange comme on dit. Mais une fois la portefermée, le silence se fait. Et tout l’amour dumonde devient alors aussi lourd que du plomb.

InconditionnellementGilda se fiche de cette fille au fond, parce qu’au-jourd’hui, en repassant les caleçons de Charlieet les T-shirts Spiderman de Simon, en écoutantla version audio de Madame Bovary, elle penseà sa vieille chemise bleue, celle qu’ils ont ache-tée ensemble à Rome et qu’elle a conservée ensecret dans le tiroir de son armoire qui sent àprésent le magnolia. On ne peut pas lui prendreUlysse, parce qu’elle le garde intact dans soncœur, à chaque minute, comme on aime sonenfant, inconditionnellement. Même quand ilnous vomit dessus et qu’il nous réveille enpleine nuit.

Tu as changéElle repense au discours accusateur de Charliesur le trajet du retour. «Tu as changé maman. Tubois, tu crois que je ne vois pas que tu bois ? Tuoublies que j’ai des cours, des concerts, tu n’asplus toute ta tête. L’autre jour j’ai retrouvé tesclopes dans le frigo.»Autrement dit : qu’est-ce qu’il a pu te donnerque nous, tes fils, nous ne puissions te donneraussi ?« Tout, il m’a tout donné et puis tout repris enl’espace d’une semaine. Nous étions un, l’undans l’autre à chaque minute. Jamais il ne quit-tait mon esprit, ma vie était tournée entièrement

vers lui. Inséparables… Comment faire confianceun jour de plus, alors… ? À quoi sert-il de vivreencore un jour de plus après avoir connu cettesorte d’amour ?»

EnfinC’est pour ça qu’il est parti, qu’il l’a quittée.Parce qu’il ne supportait plus qu’on lui dise cequ’il avait à faire. Ce n’est pas Pénélope qu’il aquittée, ni Ithaque. C’est Anticlée, sa mère. Enfin.

L’amour périphériqueComme Circé, Evelyne a toutes sortes de straté-gies pour garder son Ulysse. Il l’a prévenue dansce bar après plusieurs verres : « Je ne pourraijamais t’aimer comme j’ai aimé Pénélope.»Alors, au début de leur liaison, elle a su se con-tenter d’être aimée de façon périphérique. Ellelui a laissé le champ libre.«Ça me convient parfaitement. D’ailleurs, moinon plus je ne suis pas sûre de t’aimer. Je ne sup-porterais pas une relation fusionnelle…»

RépétitionUne âme courageuse et une petite âme qui abesoin du courage de sa mère. Si elle ne survitpas au départ d’Ulysse, alors son fils ne survivrapas non plus à la passion et à l’amour quand ilsera grand. Il fuira l’attraction, la terre, commeIcare, il s’approchera trop du soleil et ses ailesse mettront à fondre lentement. Enfin, il chutera.

Extraits introduits et rassemblés par Rita Freda

Interprétation Claude-Inga Barbey / Claude Blanc / Séverine Bujard / Giacomo Busino / Marc Donet-Monet / Anne Durand / Doris Ittig / Pierre Marguillé / Lucien Rouiller / Claude Vuillemin / Daniel Wolf Scénographie, lumières et images Jean-Jacques Schenk Marionnette Pierre Monnerat Musique Hélène ZambelliSpectacle créé au théâtre de Valère – Sion Avec le soutien du Conseil de la culture de l’État du Valais et de la Loterie Romande

Ce spectacle intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

Théâtre Du jeudi 11 au samedi 13 décembre à 20h30, dimanche 14 décembre à 17h00Au Théâtre Forum Meyrin Durée 2h00

Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.–

Accueil réalisé en collaboration avec le Service culturel Migros Genève

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Entretien

En mai 2008, Claude-Inga Barbey créait au thé-âtre de Valère à Sion l’adaptation théâtrale desPetits arrangements. En opérant le passage duroman à la scène, elle n’a pas hésité à raconterla souffrance abyssale de Gilda avec toujoursla même tendresse, mais en recherchant cettefois aussi le rire et le sourire pour que résonneencore plus fort son hymne à la vie.

Rita Freda : Comment est né en vous le désir deréaliser une adaptation scénique de votreroman, Les petits arrangements ?Claude-Inga Barbey : On parle un peu partout dela résilience. Le livre est effectivement un actede résilience «triste». Ça ne me suffisait pas. Ilfallait que je trouve le moyen d’aller plus loin. Jel’ai fait en créant un spectacle comique à partirde ce drame intime. Pour prendre de la distanceen tentant de me moquer de moi-même et demon chagrin qui finalement n’intéresse que moi.

Pourquoi avoir fait des divers protagonistesdes doubles de héros ou d’héroïnes de lamythologie grecque ?Parce que la mise à distance à travers un mytheuniversel, en l’occurrence celui de l’attenteinterminable symbolisée par Pénélope dansL’odyssée, me permettait d’agrandir mon regard,de me sentir moins seule. Parce que je penseaussi que dans la mythologie, il y a absolumenttout, toute l’aventure humaine.

Selon quel processus avez-vous fait théâtre dece récit ?Le processus reprend le travail que nous effec-tuons dans Bergamote. À partir d’un canevas etd’une mise en situation, les acteurs ont libre-ment improvisé.

Dans l’adaptation scénique interviennent deuxpersonnages – respectivement interprétés parClaude Blanc et Doris Ittig – qui ne paraissentpas dans votre roman. Quelle est la fonction dece couple formé par un vieil homme égalementprénommé Ulysse et sa femme, patronne debistrot, passionnée par un feuilleton télévisédont l’intrigue reprend l’histoire de Gilda etd’Ulysse ? Dans le drame joué sur scène, Ulysse part, souf-fre, et Gilda/Pénélope souffre d’attendre. Dansle couple interprété par Claude Blanc et DorisIttig, Ulysse ne part pas et le couple s’emmerde.Ainsi, d’une certaine façon, quel que soit le choix,le résultat est à peu près le même.

Comment avez-vous procédé pour la distributiondes rôles ?Il y a des acteurs avec qui je travaille depuislongtemps, des acteurs que j’admire et avec quije voulais travailler, et aussi mon fils qui joueson propre rôle. Il y a aussi deux ou trois person-nes qui ne sont pas acteurs, mais qui ont essayéde jouer leur propre histoire dans le spectacle.C’est un mélange étrange, mais je crois que çamarche. Ça se fait au cinéma parfois, mais pres-que jamais au théâtre parce que si les gens seplantent, il n’y a pas de montage possible. Il m’im-porte de souligner que tous ces gens m’ont fait

confiance et qu’ils ont travaillé gratuitementpuisque nous n’avons reçu pratiquement aucunesubvention. Et ça, ça consolide un groupe.

Pourquoi avoir rythmé la version scénique desPetits arrangements de musique et de chansons ? Parce que la musique dit beaucoup en peu detemps, et qu’elle porte le rêve et les ambiances.Ce qu’on n’ose pas dire, on le chante.

D’où vient votre intérêt pour les êtres humainset pour les petits faits du quotidien ?De l’attente. Je ne sais faire que ça pour l’instantencore, depuis toute petite, attendre... L’attenteest douloureuse, elle empêche parfois de vivrepleinement, mais elle est la fondatrice de toutesmes observations sur le monde : que ce soit unemouche sur le rebord de la fenêtre ou le bus quis’arrête et les gens qui en descendent tous lesjours à la même heure. Elle porte à la minutie etla rêverie.

Que vous apporte l’expérience scénique des Petitsarrangements ainsi que celle de Bergamote ?Sur le plan théâtral, une famille. Et sur le planpersonnel, un constat étonnant : finalementvivre tout seul n’est pas si douloureux.

À quoi sert, selon vous, le théâtre ?Je n’ai qu’une réponse : «Faire que les gens quiviennent au théâtre se sentent moins seuls ensortant.» Et cette réponse, à mon avis, s’appli-que à toute forme d’art. En tout cas moi, je n’aipas d’autre prétention.

Propos recueillis par RF

Je pense à des références dans le texte commeSrebrenica ou Dresde.Là, il y a des coïncidences. Quand on les inter-prète un peu, elles sont foudroyantes. LorsqueCandide rencontre l’anabaptiste Jacques enHollande, on sort à peine d’une scène de massa-cre génocidaire… On n’aurait en effet aucunepeine à comparer ce que Voltaire dit des tueriesentre Abares et Bulgares aux scènes de laSeconde Guerre mondiale ou à leur répétitioncatastrophique et comme miniaturisée dans leconflit des Balkans. C’est ainsi. À Srebrenicaétaient impliqués les Casques bleus sous com-mandement hollandais, qui ont aveuglémentlaissé faire le massacre, point d’orgue de la poli-tique de nettoyage ethnique. C’était difficile dene pas insérer une allusion, appelée, dans unecertaine mesure, par une coïncidence dans letexte d’origine. Quant à Dresde, il se trouvequ’avant les bombardements alliés qui l’ontpulvérisée en 1945, c’est dans cette ville, enpleine guerre de Sept Ans, qu’a eu lieu le pre-mier bombardement systématique de l’histoiresur des populations civiles, au moment exactoù Voltaire achevait la rédaction de Candide.Cela résonne… Je ne ferais pas mon travail sid’une manière ou d’une autre je n’essayais pasd’explorer ces «hasards objectifs».

Vous maniez avec brio une langue archaïsante,toute d’une ironie fulgurante. Quel est votredegré de familiarité avec cette langue ?Déjà dans Feu Voltaire et dans les deux versionsde la pièce sur Mme de Staël (Staël commu-nauté européenne et Staël ou la communautédes esprits, ndlr), j’ai beaucoup utilisé la rhétori-

que et la grammaire, la syntaxe particulière – jedirais même la plastique – des belles écrituresdu XVIIIe siècle, écritures ironiques très souvent.J’ai tenté non seulement de les imiter, mais deles transposer, c’est-à-dire de mêler des figures(y compris des figures de style) très contempo-raines à un phrasé et parfois à un lexique quirenvoient au XVIIIe siècle et à ses tournures. Jesuis consterné quand je lis certaines adaptationsde Candide qui, sous prétexte de faire actuel oumoderne, cachent sans profit stylistique ni lin-guistique cette syntaxe et ce phrasé. Ce qui nesignifie pas qu’il faille donner dans la dentelledix-huitiémiste. L’écriture de Voltaire est tou-jours tenue et insolente, railleuse, performative,blasphématoire, etc. Ses détracteurs la disaientpornographique. Ils n’avaient pas tort… Com-ment trouver une manière de faire entendrel’équivalent aujourd’hui ?

Après avoir achevé la première version deCandide, théâtre, une lecture par les comédiensa permis de dégager certains détails à modifier.Comment se passe ce travail de réécriture ?Ce n’est pas tout à fait une réécriture, mais uneélaboration constante qui doit nous conduire àla version définitive pour les répétitions. Aprèscette lecture complète, nous avons repéréensemble les points qui pouvaient être accen-tués ou développés autrement. Hervé Loichemolet moi avons été très sensibles au sentimentgénéral des comédiens et à leur jugement surles parcours des personnages qu’ils incarnent.Je modifie certaines séquences, pour aller plusloin, pour mieux serrer les nœuds de l’intriguephilosophique, mais aussi de la narration théâ-

trale, et pour maintenir la tension du propos. Ilfaut éclaircir, et en même temps préserver unepart d’énigme. Je ne passe pas pour un auteurnécessairement limpide, mais je ne passe pasnon plus pour un auteur abscons. Le pire ser-vice qu’on puisse rendre à l’intelligence et ausouvenir de Voltaire serait de succomber audémon de l’illustration servile ou scolaire. Jevoudrais «opérer», mettre sur les planches duthéâtre tout Candide, c’est-à-dire les trente cha-pitres et le mouvementmême du roman, plutôtque les seuls épisodesfameux ou proverbiaux.En retravaillant mon texte,je tente donc de rendreplus net, plus aigu encorece qui était bien amorcé,je l’espère, dans la pre-mière version, sans rom-pre le charme ni refuserla stupeur.

Propos recueillis par Florent Lézat

Tous les dessins sont tirés de Candide – VoltaireLa Petite BibliothèquePhilosophique de Joann Sfar,Les Éditions Bréal, Rosny, 2003.

Candide de Voltaire peut sembler poser bien desproblèmes quand il s’agit d’en faire une pièce.Mais il recèle des vertus théâtrales insoupçon-nées, dont l’auteur Yves Laplace nous entre-tient ici.

Entretien

Florent Lézat : Vous écrivez dans l’introductionà votre texte : «Le théâtre est partout dansCandide, il suffit pour qu’il advienne de n’enpas rajouter.» Où est le théâtre dans le Candidede Voltaire ?Yves Laplace : Il est partout, vraiment ! Voltaireétait passionné par le théâtre. Dramaturge leplus fameux de son époque, il accompagne defaçon singulière la transition du classicismefrançais vers ce que seront les tentatives duthéâtre romantique et post-romantique. Il y a làun paradoxe, puisque les romantiques l’ont cor-dialement détesté. Voltaire était aussi un hom-me de tréteaux. Il a construit des théâtres àFerney et ailleurs, il a été l’un des pionniers dela mise en scène, même si ses tragédies parais-sent prisonnières des formes héritées du siècleprécédent. Candide invente un genre, appeléconte (ou roman) philosophique. Ce genre re-cèle des vertus théâtrales insoupçonnées enson temps. Même si Candide présente une mul-tiplicité de figures et de situations, des coupsde théâtre interviennent constamment. Et unesorte de démonstration par l’acte de parolesous-tend l’écriture, avec des figures qui bou-gent, prennent des masques. Les figures du

conte en tant que tel –dans l’écriture même dugenre –, sont déjà des figu-res masquées ; les Contesde Grimm n’étaient pasencore publiés, mais on al’impression que Voltaireles avait déjà lus.Il y a également, toujoursprésente dans Candide,une dimension épique.Voltaire intervenait sur etdans l’actualité brûlante.On peut lire Candide com-me une traduction litté-raire (et littérairementthéâtrale) de ses passions,indignations, convictions,ironies, stupeurs devant la noirceur du monde, aumoment précis où l’Eu-

rope est à feu et à sang, puisqu’il écrit cette«coïonnerie», selon son expression, en pleineguerre de Sept Ans. La «boucherie héroïque»qu’évoque le roman est bien mieux qu’une toilede fond. Qu’on le veuille ou non, Candide,œuvre polémique entre toutes, est une pièce deguerre au sens presque brechtien du terme…

D’où, parallèlement, l’insertion dans votre Candide,théâtre, de références à notre actualité contem-poraine et à vos engagements politiques ?C’est une question piège, car j’entends ne pasécrire une seule ligne destinée à «véhiculer unmessage», comme on dit atrocement : il n’y arien de plus contraire à l’intuition poétique que

cette forme-là, vulgaire et journalistique, del’engagement. Vaste débat, qu’on ne sauraittrancher en trois phrases – mais je crois davan-tage à ce qu’on peut appeler l’engagement litté-raire qu’à la littérature engagée. Pourtant, je nesuis pas un adepte du relativisme. J’ai un cer-tain nombre de convictions, des choses m’onttouché, choqué, et ce n’est pas pour rien que j’aifait des livres autour du nettoyage ethnique, dela Bosnie, des responsabilités intellectuellesdans cette guerre. Tout cela informe donc (pres-que au sens numérique du terme) mon écriture,la travaille de l’intérieur. Mais je ne cherche pasa priori à dire une vérité politique massive.

CANDIDEDe Voltaire et Yves Laplace, mise en scène d’Hervé Loichemol (Suisse)

Interprétation François Allaz / Pierre Byland / Juan Antonio Crespillo / Anne Durand / Michel Kullmann / William Nadylam / Daniel Perrin / Barbara Tobola Mise en scène Hervé Loichemol Scénographie et costumes Pierre-André Weitz Lumières Christophe Pitoiset Univers sonore Manu Rutka Maquillages et coiffures Katrin Zingg

Production Théâtre de Carouge-Atelier de Genève / For, compagnie Hervé LoichemolSpectacle réalisé avec le soutien de la banque Wegelin & Co.

Le texte de la pièce d’Yves Laplace, Candide, théâtre, paraîtra en janvier 2009 aux Éditions Théâtrales (Paris).

Théâtre / Création Du vendredi 16 janvier au dimanche 8 février(ma, je et sa à 19h00 / me et ve à 20h00 / di à 17h00 ; relâche le lundi)Au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Salle François-Simon Durée (spectacle en création)

Plein tarif : Fr. 35.– / 23 euros Etudiant, apprenti : Fr. 15.– / 10 euros Chômeur, AVS, AI : Fr. 25.– / 17 eurosGroupe : Fr. 30.– / 20 euros

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«Une pièce de guerre au sens presque brechtien du terme…»

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Le mariage va mal : rares sont, de nos jours, lesunions qui résistent. Et pourtant, on s’épouseencore ! Alors qui ? Qui ose se lancer ? Dans quelsterreaux anthropologiques la coutume plonge-t-elle ses racines ? Lesquels, des hommes ou desfemmes, y sont les plus attachés ? Quel est l’im-pact de la descendance sur les liens conjugaux ?Selon les statistiques, ce sont les femmes quidemandent le plus souvent la séparation ou ledivorce, pourquoi ?

Organisé par l’association Euroscience-Léman,la Passerelle de l’Université de Genève et leThéâtre Forum Meyrin, le débat du 27 novembreprochain abordera les différentes interroga-tions que soulève aujourd’hui l’hyménée.

EntretienLudivine Oberholzer : De quel ordre sera votrecontribution le 27 novembre ?Eric Widmer : Elle portera sur les facteurs socio-logiques. J’étudie les changements et la stabili-sation dans le mode de fonctionnement descouples. Quelles sont leurs attentes vis-à-vis del’union ? Nous verrons qu’il n’y a pas de modèletype du couple, mais que l’on peut définir cinqstyles d’interaction conjugale (lire page 75).

Claudine Sauvain-Dugerdil : Mon travail est basésur des études anthropologiques et des donnéesdémographiques précises que j’interroge etinterprète. Ce qui m’intéresse, par exemple, c’estd’identifier la différence de signification du liendu mariage pour les hommes et les femmes.

Nicolas Favez : Je travaille particulièrement surla transition à la parentalité – le moment où lecouple a son premier enfant.

Alors que le nombre de divorce va croissant, onassiste à un retour en force de l’institution dumariage. Comment expliquez-vous cette contra-diction ? EW : La raison de l’augmentation des divorcesn’est pas liée à une désaffection pour le mariage,mais au contraire, à une surévaluation de celui-ci. Le mariage ne s’affaiblit pas, mais on en attendbeaucoup plus.

CS-D : Les travaux récents confirment que ce sontles hommes qui ressentent le plus le besoin dese marier. Ils formalisent ainsi le lien avec l’en-fant. On note également l’importance pour lafemme d’avoir un homme à ses côtés pour éle-ver son enfant. On a pensé, il y a une dizained’années, que les femmes pourraient très biense passer des hommes, mais on se rend compteen se basant sur des données récentes que trèspeu d’enfants naissent hors mariage en Suisse –contrairement à ce que l’on observe dans lespays scandinaves.

EW : On observe un relatif retour du mariage –par rapport à cinq ans en arrière – mais nous nesommes pas encore au niveau d’il y a vingt outrente ans. Le mariage n’a plus la même signifi-cation. Avant, il permettait à la femme de quit-ter le giron familial. Aujourd’hui, la plupart descouples sont déjà établis avant le mariage. Ilmarque symboliquement l’union, mais n’a plusun rôle d’insertion sociale.

Le couple formé sur le partage des sentimentsest historiquement récent. Serait-ce une descauses de sa fragilité ?EW : Les mariages fondés sur l’amour ont envi-ron deux siècles. Au XIXe siècle, on assiste à l’é-mergence du sentiment amoureux comme basedu couple. Ce qui est récent, c’est que l’on désireque ces sentiments persistent et on refuse qu’ily ait une fin à cet état originel ; c’est cela qui créela fragilité.

Peut-on actuellement définir les causes de réus-site ou d’échec d’un mariage ?EW : Oui, on peut les définir et prédire la réussiteou l’échec d’un couple en observant la manièredont celui-ci fonctionne. Les différentes manièresdont on vit son mariage dépendent de facteurssociologiques, de la génération d’appartenanceet du niveau social. Il est donc possible de cal-culer les probabilités de conflits et de divorceselon ces facteurs.

NF : On observe deux choses chez les couplesqui durent : la capacité à reformuler les attentesque l’on a vis-à-vis de l’autre durant les diffé-rents cycles de la vie et de la relation, et la capa-cité à négocier et à résoudre les désaccords. Nepas avoir cette capacité est fatal. Savoir gérer lestress et se soutenir, voilà des facteurs protec-teurs dans un couple. Il y a d’autres facteurs quisont plus «statistiques» comme le fait d’habiteren zone rurale plutôt qu’en ville où il y a, parexemple, plus de «remplaçants potentiels» oule type d’activité que l’on exerce.

Propos recueillis par Ludivine Oberholzer

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NOUS AVONS LA JOIE DE VOUS ANNONCER NOTRE MARIAGEIntervenants : Prof. Claudine Sauvain-Dugerdil, laboratoire de démographie et d’études familiales, UNIGE ; Prof. Eric Widmer, faculté des Sciences économiques et sociales, UNIGE ; Prof. Nicolas Favez, Faculté de psy-chologie et des sciences de l’éducation, UNIGE ; Modérateur : Emmanuel Gripon, journaliste

Ce café des sciences intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

Café des sciencesJeudi 27 novembreDe 18h30 à 20h00Au Théâtre Forum MeyrinDans les foyers / Entrée libre

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Cherchez le profil de votre couple !

Les catégories citées ici sont extraites de Mesure et démesure du couplede Jean Kellerhals, Eric Widmer (l’un des intervenants du Café des sciences) et René Levy (Essais, Payot, 2004 / Sortie chez Payot Poche en octobre 2008).

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«L’augmentation des divorcesn’est pas liée à une désaffectionpour le mariage, mais aucontraire, à une surévaluation de celui-ci.»

Couple «bastion»Dans le style «bastion», le couple insiste sur son unité et son consensusplutôt que sur la singularité ou l’autonomie de ses membres. L’orga-nisation conjugale est agencée autour de différences de genres et deroutines quotidiennes assez rigidement définies. Plutôt jaloux de sonintimité, le couple maintient cependant, par l’un des ses membres, uncertain contact avec l’environnement. Les valeurs de solidarité, de stabi-lité et de sécurité dominent.

Couple «cocon»La logique «cocon» s’organise autour des valeurs de confort. Il s’agit deconstruire une sorte de nid assez intimiste, duquel on éloignera autantque possible le bruit extérieur. Le deux individus sont repliés sur eux-mêmes. À l’intérieur du couple, les repères sont précis : les espaces sontdotés de fonctions précises et l’ordonnance des rythmes accentuent lesentiment de sécurité. On n’est pas pourtant dans la tradition : le manqued’intérêt pour les fonctions externes de l’union ainsi que la faible diffé-renciation des rôles fonctionnels et l’égalitarisme, bref, la quasi-absenced’asymétrie, nous en séparent.

Couple «association»Dans le style «association», la normalité est assez faible. Les valeursdominantes sont la négociation et la communication, moyens (efficaces ?)de concilier l’autonomie et l’authenticité reconnues à chacun avec lesimpératifs ou contraintes de la vie commune. La notion d’échange estpeut-être plus pertinente pour comprendre l’essentiel de ce style quecelle de partage. Le couple est très ouvert sur l’extérieur. Il répugne auxroutines et rejette une organisation du travail fondée sur la différencedes genres.

Couple «compagnonnage»Dans le style «compagnonnage», les individualités s’estompent un peuderrière le souci du bien commun. L’envie de ne faire qu’un, mais aussid’aller ensemble, vers une communauté à laquelle on est intéressé, et àlaquelle on souhaite rendre certains comptes, apparaît comme le projetcentral. La souplesse en matière d’organisation conjugale, la volontéaffirmée d’égalité et le refus de la routine s’orientent davantage versl’idée de partage équitable que vers celle de la négociation comptable.

Couple «parallèle»Le style «parallèle» est un genre d’interaction où l’unité du couple estbâtie sur la complémentarité des fonctions et la fermeture par rapport àl’environnement plutôt que sur la communauté des esprits et des cœurs.La hiérarchie des genres est plus marquée qu’ailleurs et la routine estvalorisée. La sécurité, l’ordre, sont probablement les maîtres-mots de cegenre de couple.

Extraits introduits et rassemblés par LO

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Les Goûters des sciences entrent en résonanceavec la théma amoureuse et tracassée duThéâtre Forum Meyrin. Ils traiteront donc dessentiments qui bouleversent les enfants et desséparations qui émaillent parfois leurs jeunesexistences. Retour, pour entamer cette nouvellesaison, sur sept années de Goûters des sciencesà Meyrin en compagnie de l’un de leurs fonda-teurs, le docteur Didier Raboud, astrophysicien.

Entretien

Sylvain De Marco : Vous rappelez-vous la genèsedu projet ?Didier Raboud : C’est une ancienne idée, née dela confrontation du monde scientifique et dumonde de l’éducation. On a tous plus ou moinsl’impression que la science, c’est quelque chosede rébarbatif. C’est un sentiment alimenté entreautres par une forme de dégoût suscité par uncertain enseignement des sciences. Il y a eu uneforme de réaction contre ça dans le monde,avec des projets comme Hansen aux États-Unisou La main à la pâte en France. En Suisse, quandnous nous sommes intéressés à ce problème, çaa été pour inverser la démarche de l’enseigne-ment des sciences : ne pas avoir un enseignantqui sait et qui vient distribuer son savoir, maisqui vienne dire, au contraire : «Expérimentons !»ou «Comment ça marche ?»Mais il y avait un problème : les enfants ne com-prenaient pas pourquoi leur enseignante étaitvenue en classe avec un seau d’eau. Il manquaitle contexte, ce qui fait qu’un scientifique estamené à faire une expérience. C’est ce qui nous

a amenés aux Goûters : nous voulions une expé-rience immersive. C’est comme au cinéma,quand on voit un film de science-fiction. Il y a unpostulat au centre de l’histoire qu’il faut accep-ter, et ensuite, il faut aussi que l’histoire soitcohérente. Nous partageons des expériences,avec des comédiens et des scientifiques, mais ilfaut que ces expériences soient amenées parune histoire. L’idée est là.L’aventure a débuté il y a près de sept ans àMeyrin et dure encore. Nous avions commencéavec une série de comédiens de radio et de scien-tifiques. La caractéristique la plus importante, àmon avis, c’était la notion d’inversion. Nouseffectuons des expériences en fonction desoptions prises dans le scénario. Évidemment, ilfaut des choses réalisables en trois heures.

Trois heures, pour des enfants de 5 à 7 ans, çapeut paraître très long…C’est vrai. Nous avons aussi fait des essais surune semaine, dans le cadre Kids’ University.C’était très intéressant, mais nous avonsconstaté que c’était un peu trop ambitieux. Àl’époque, nous avions aussi créé une structure –Passerelle Sciences-Cité – pour relier la cité aumonde du savoir.

Peut-on aborder tous les sujets avec les enfants ?Si votre question veut dire «Peut-on abordertous les sujets, même les plus compliqués ?»,alors je crois que la réponse est oui. Les sujetsles plus ardus peuvent être abordés, mais çademande plus de préparation. Et si votre ques-tion veut dire « Peut-on aborder des sujetscomme par exemple la mort ?», la réponse est

également oui (lire l’article Retour sur un Goûterdes sciences, page 77), mais il faut beaucoups’interroger sur comment on le fait. Par exemple,nous nous étions demandés s’il fallait travailleravec de vrais cerveaux humains que nous avionsà disposition. Nous réfléchissons beaucoup à cesquestions, d’abord au sein du groupe Énergie,puis avec des professionnels de l’enfance.

Ne risquez-vous pas, dans certains cas, de vousheurter aux convictions, notamment religieuses,des parents ? Si nous prenons l’évolution, parexemple…Nous n’abordons que des questions scientifi-ques, et si nous devons nous heurter à des oppo-sitions, si ça permet le débat, c’est tant mieux. Ledébat est une des valeurs fondamentales de lascience. La science, c’est avant tout une postureintellectuelle. On veut donner le goût de lascience aux enfants, plus que des connaissances.

Est-ce qu’à votre avis, les universitaires ont uneresponsabilité particulière envers les enfants ?Absolument. Les intellectuels ont une responsa-bilité particulière. Le but est de planter des grai-nes dans l’esprit de ces enfants. Elles fleurirontsi les enfants se disent : «La science, c’est impor-tant pour moi, pour ma famille, pour la société.»Le but est que quand ils liront un article scienti-fique dans Le Temps, ils ne s’en détournent pasen disant : « Je n’y comprends rien. » Et la sciencea cet immense avantage de former à l’esprit cri-tique. On ne forme pas à affirmer, mais à remet-tre en question, à confronter.

Propos recueillis par Sylvain De Marco

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DES TRACAS DANS LA COUR DES GRANDSConception et réalisation Passerelle de l’UNIGEPartenariat Théâtre Forum MeyrinIntervenant: Prof. Nicolas Favez, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, UNIGE

Ces Goûters des sciences intègrent la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

Retour sur un Goûter des sciences

L’assistante de promotion du Théâtre ForumMeyrin a accompagné sa fille lors du Goûterdes sciences Sous la terre, le passé… relatif à ladernière théma de la saison 07/08 : Infinita oula mort tutoyée. Reportage !

Comment parler de la mort, du temps qui passe,à des petits ? Telle a été l’interrogation de MarieBesse, l’archéologue et professeure au Labo-ratoire d’archéologie de l’Université de Genève,qui a été sollicitée sur le sujet par la Passerellede l’Université de Genève, conceptrice et réalisa-trice des Goûters.

Comment, en effet, vulgariser un thème sans lesimplifier à outrance et en perdre l’essence ? Lepari a été bien tenu puisqu’avec l’aide deCordélia, réalisatrice et animatrice de ce Goûter,

notre scientifique a contribué à transmettre unsavoir précieux aux petits visiteurs du ThéâtreForum Meyrin.

Le temps ? Un filLe temps qui passe ? Un long, long fil placé sur lemur auquel sont accrochées des pancartes his-toriques – comme « l’an 0, naissance du Christ »ou « 200’000 ans homo sapiens » etc. – a permisaux enfants de visualiser que le temps ma foipeut être très, très long… Et pour bien leur fairecomprendre l’évolution de notre société, il fal-lait retenir les notions élémentaires de préhis-toire et d’histoire. Rappelez-vous ce qui les dis-tingue… l’écriture !

Je peux vous assurer que cette information abien été retenue par les enfants qui devaientplacer sur la ligne du temps différentes imagesreprésentant des scènes de vie : l’homme des

cavernes peignant dans les grottes, par exemple.La mort, elle, a été symbolisée par un squelettedont les os, confiés avec soin aux enfants,devaient retrouver leur emplacement d’origine.Les filles et les garçons, après un bon goûter, ontpu ensuite jouer des scènes de la vie préhistori-que. Ils sont devenus tour à tour chasseurs, fai-seurs de feu, animaux, tout ceci dans la joie et labonne humeur ! Et tous sont repartis avec un jolipendentif de coquillage – coquillage qu’ils ontdû frotter de toute l’énergie de leurs petitesmains contre une pierre afin d’y faire un trou etd’y pouvoir passer un fil ; eh oui, mesdames, mes-sieurs, ainsi faisaient nos lointains ancêtres. Lesenfants se souviendront de cette débauched’huile de coude !

Natacha Rostetsky

«Une expérience immersive…»

Goûters des sciencesPour les enfants de 5 à 7 ansLes mercredis 12, 19, 26 novembre et 3 décembre / De 14h00 à 17h00Au Théâtre Forum MeyrinDans les foyers

Inscriptions gérées par l’UNIGE à [email protected] ou au 022 379 73 88Entrée Fr. 5.–

Après avoir exercé le journalisme pendantquinze ans, Anne Brüschweiler a quitté sesfonctions de présentatrice du journal de laTélévision Suisse Romande pour écrire et faireécrire. Elle anime aujourd’hui Le grain des mots,une association qui a pour but de promouvoirl’écriture comme moyen d’expression person-nelle et de communication avec autrui, notam-ment en organisant des ateliers, des lecturespubliques, des conférences, ainsi que desmanifestations (Fureur de lire, 2007 / Poésie enville, 2008).

Pour le magazine Si, elle évoque l’atelier pro-grammé cet automne par le Théâtre ForumMeyrin en collaboration avec la bibliothèquemunicipale.

EntretienThierry Ruffieux : Qu’est-ce qui vous a amenée àanimer des ateliers d’écriture ?Anne Brüschweiler : J’invite à écrire en atelierparce que j’aime lire et qu’à mon sens, l’un estindissociable de l’autre. On croit qu’on va êtreassommé, anéanti par les millions de livres quitrônent sur les rayons des bibliothèques etc’est tout le contraire qui se produit : les idées,les thèmes, les formes se multiplient.Tout n’a pas été dit si cet événement banal quel’on nomme existence, je ne l’ai pas saisi de mesmots, avec ma voix propre, mon rythme, messilences.Écrire est un acte solitaire. Certes. Chacun resteen tout temps détenteur de ce qu’il a à commu-

niquer et du meilleur moment pour le faire. Enatelier, écrire devient un acte solidaire : on pos-tule que l’on écrit pour être lu, les textes y sontpartagés oralement et commentés afin quel’auteur puisse y revenir, les retravailler, jusqu’àun achèvement dont il ou elle est seul(e) juge en dernier ressort. Le destin du texte, sa publi-cation éventuelle se jouent ailleurs ; l’atelier neprétend pas former des écrivains, mais former à l’écriture quiconque estime en avoir besoin,pour des raisons professionnelles ou privées.

La forme du « fragment autobiographique »n’est-elle pas un peu intimidante pour un atelierd’écriture ? Le fragment a cette qualité extraordinaire qu’ilfait de la place au lecteur. Là où il y a du blanc,il peut se raconter sa propre histoire. Au fond,quand on commence à écrire, on se confrontesouvent à la difficulté de vouloir tout dire. Onveut être très explicite et en cela, on ne laisseque peu de place au lecteur. Le fragment nouspermet de le faire. Le fragment a l’air intimi-dant, mais il est plus abordable pour celui quidébute dans l’écriture.Dans un autre ordre d’idées, le fragment estune des formes les plus cohérentes avec notreépoque. Nous sommes dans l’éphémère, la dis-continuité et le jetable. Tout est éparpillé, plusrien ne dure véritablement et la réalité se mor-

celle de plus en plus. Il m’est apparu intéressantde réutiliser ce que nous vivons au quotidienpour en faire un exercice de style.

Parlez-nous du thème de l’atelier : Tracas d’Éros.L’amour est-il un sujet suggestif du point devue de l’écriture ?L’atelier d’écriture est un espace collectif oùl’on écrit à partir de soi. Cela ne veut pas direque l’on écrit que des histoires personnelles ouautobiographiques. On peut inventer à partirde soi. C’est Baudelaire qui disait : «Les vers nesont pas des sentiments, ce sont des expérien-ces». On a tous une expérience amoureuse, réalisée ou non. L’expérience du désir, de se rap-procher, de comprendre ou d’être compris. C’està partir des sensations que l’amour suscite quel’on va inventer le travail de l’atelier. L’amourest un formidable contexte de fiction.

Certains se livrent plus volontiers à l’écrit qu’àl’oral. Comment gérer cette intimité couchéesur le papier dans un travail en groupe ? Dans le cadre des ateliers d’écriture, on accueilledes textes qui ne sont pas séparés de la per-sonne. Contrairement à la lecture d’un livre,l’auteur est présent. Cela dit, on ne travaille passur les personnes, mais sur leurs textes. Laquestion ne sera jamais de savoir si c’est untexte vécu ou chimérique, mais si moi, lectrice,cela me touche et, le cas échéant, de quellemanière.

Propos recueillis par Thierry Ruffieux

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Atelier d’écritureDu jeudi 6 novembre au jeudi 22 janvier(sauf vacances d’automne)Horaire Les jeudis de 19h15 à 21h45À la Bibliothèque Forum MeyrinÂges Adolescents et adultesNombre 6 à 12 participantsTarif Fr. 375.–Inscriptions [email protected] / 022 989 34 70

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«Saisir l’existence avec mes mots...»

ATELIER D’ÉCRITUREFRAGMENTS AUTOBIOGRAPHIQUES I Animé par Anne Brüschweiler, journaliste et coordonnatrice de l’association Le grain des mots

Cet atelier intègre la théma Tracas d’Éros II du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 1, pages 18–19 et Si n° 2, page 44).

Je souhaite faire, avec les participants au stage,un travail à partir du Faust de ChristopherMarlowe. Plus précisément, essayer de com-prendre comment plusieurs facettes du mythede Faust peuvent résonner aujourd’hui.

Le mythe que nous connaissons est davantagecelui transmis par Goethe que celui de Marlowe.Chez Goethe, une soif d’absolu, au-delà du savoiret de la connaissance. Ici, Marlowe s’empare deFaust à l’endroit exact et charnel de la trans-gression : la désobéissance, l’insolence, dans unequête de liberté «donjuanesque».

Faust, chez Marlowe, cherche les outils quirepoussent les limites d’un ordre établi étriqué.Les siens sont la sorcellerie, la magie – les nôtressont aujourd’hui la science et la technologie :quête allégorique de la connaissance invisible,innommable, mais aussi défi aux représentantsdu pouvoir sous toutes ses formes… Déjouerironiquement les règles de ceux qui pensentque le savoir et la réussite peuvent être la clefdu monde.

Ce qui me passionne dans ce texte, c’est l’ambi-tion éternelle de l’homme de dépasser sa condi-tion et tendre à une perfection toute relative.

Aujourd’hui, la science nous permet de la rêver :la technologie saura nous modifier et noussculpter à l’image de ce que nous voulons être,nous rendre ultrarésistants, voire éternels.L’électronique, les médicaments, la chirurgie dont nous avons banalisé l’usage, contribuentjour après jour à nous rendre plus intelligents,plus forts, plus rapides, plus efficaces… Je sou-haite que nous réfléchissions ensemble sur cetexte et que nous essayions d’observer cettecharnière autour de laquelle s’articule un desressorts de nos sociétés contemporaines par lemonde : la «sorcellerie scientifique». Si nousavions la possibilité de totalement nous modi-fier, que ferions-nous ?

Victor Gauthier-Martin

Victor Gauthier-Martin

Après deux ans en Angleterre où il intègrel’Everyman Theater à Cheltenham, VictorGauthier-Martin revient en France. Il estensuite reçu au CNSAD (Conservatoirenational supérieur d’art dramatique) où ilmet en scène Ambulance de Gregory Mottonet La Cuisine d’Arnold Wesker, pièce reprisepar la suite au théâtre du Soleil. L’année sui-vante, il repart un an en Angleterre à laLAMDA (London Academy of Music andDramatic Art) avec une bourse Lavoisière. Àson retour, il présente Ailleurs tout près deFrançoise Mesnier dans le cadre du JeuneThéâtre national et travaille en collabora-tion avec la compagnie du Vis-à-Vis pourmonter Les petites choses et Un baiser dansla tête de Sonia Willi au théâtre universitairede Nantes.

Victor Gauthier-Martin a travaillé à Berlinavec Manfred Karge et avec Krystian Lupa àCracovie dans le cadre de l’Unité nomadede formation à la mise en scène.Développant ses projets au sein de la com-pagnie Microsystème, il met en scène en2004 Le rêve d’un homme ridicule de FédorDostoïevski et en 2005 La vie de Timond’après Timon d’Athènes de William Shakes-peare. En 2007, il a créé Gênes 01 de FaustoParavidino au théâtre de la Colline.

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Atelier théâtralDu lundi 8 au samedi 20 décembre Horaire Du lundi au samedi, de 13h00 à 19h00Au Théâtre de Carouge-Atelier de GenèveNombre 12 participants / stage réservéaux comédiens professionnelsTarif Fr. 600.–Inscriptions Théâtre de Carouge-Atelier de Genève / Pour tout renseignement, veuillez contacter Christine-Laure Hirsigau 022 343 25 55 ou à l’[email protected]_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

«Si nous avions la possibilité de totalement nous modifier, que ferions-nous ?»

ATELIER FAUST FORMATION CONTINUE POUR COMÉDIENS PROFESSIONNELSStage n° 1 du Théâtre de Carouge animé par Victor Gauthier-Martin

Avec Wolf Erlbruch, c’est l’un des grands illus-trateurs européens de notre temps qu’accueil-leront nos cimaises. Un illustrateur repéré déjàpar La Joie de Lire, lieu d’édition genevois quipromeut, depuis plus de vingt ans, la littéra-ture jeunesse. C’est en 1997 que sa directrice etfondatrice, Francine Bouchet, croise le chemind’Erlbruch, publiant, un an plus tard, la versionfrançaise de son livre Les dix petits harengs,suivi de Cuisine de sorcière – prémices d’unecollaboration fructueuse dont la parutionrécente Le canard, la mort et la tulipe (2008) estle dernier exemple éclatant.

Wolf Erlbruch est né en Allemagne, à Wuppertal,une grande ville industrielle de la Ruhr. Aprèsdes études d’art, il travaille, à partir de 1974,comme illustrateur pour des maisons d’éditionet des agences de publicité. Traduit dans plusde vingt langues, il est considéré aujourd’huicomme l’un des plus grands illustrateurs denotre époque. C’est en illustrant l’histoire de Lapetite taupe qui voulait savoir qui lui avait faitsur la tête que le public découvre l’originalité, latruculence et la vitalité du trait de WolfErlbruch. Il reçoit le prix Gutenberg en 2003, etle prix Hans Christian Andersen en 2006, cou-ronnant ainsi l’ensemble de sa remarquablecarrière.

Limpides dans leur sobriété, condensés dansleur signification, les dessins de Wolf Erlbruchont le pouvoir d’aller au cœur des notions les

plus difficiles à transmettre : l’énigme de notreprésence au monde, le caractère inexorable dutemps qui s’écoule, le bonheur d’aimer et legoût de la découverte. Il conçoit ses livresautour de problématiques qui sont autant dequestionnements de notre relation au monde. «En multipliant les approches et en les mon-trant, dit-il, j’interroge la diversité de la vie en laconsidérant vraiment comme la normalité ». EtFrancine Bouchet d’ajouter : «Wolf Erlbruch estun homme qui vit avec son temps. Il se sentconcerné par ce qui l’entoure et s’exprime à samanière. C’est son regard très personnel quinous intéresse.»

Une question vertigineuseDans son ouvrage La grande question – dont lesplanches originales seront exposées au ThéâtreForum Meyrin – une vingtaine de personnagesse succèdent, apportant chacun une réponsepersonnelle et originale à cette interrogationuniverselle : pourquoi sommes-nous ? Qui lapose ? Un enfant probablement ; mais chacunde nous se l’est posée et se la pose encore.

Autre exemple : le livre Das Hexen-Einmal-Eins –traduit aux éditions La joie de lire sous le titreCuisine de sorcière – où l’illustrateur reprendune poésie du Faust de Goethe (extraite de la

scène où Méphistophélès prépare un breuvagede jouvence) et l’accompagne d’un assemblageimpertinent et remarquable de peintures, colla-ges, découpages de cartes, plans d’architectureou courbes de niveau, alignements de chiffreset de tables arithmétiques, effets d’ombres chi-noises, etc.Nous avons demandé à Francine Bouchet si untel ouvrage s’adressait aux enfants. «Tous leslivres de Wolf Erlbruch ne sont pas au mêmeniveau : Allons voir la nuit ou Les dix petits harengsne s’adressent pas au même public que Cuisinede sorcière. C’est aux enseignants, aux biblio-thécaires, aux médiateurs d’établir éventuelle-ment des catégories d’âge. Mais pour moi, lelecteur devrait tenter l’expérience, même si apriori le livre ne lui semble pas destiné. Un artiste,un écrivain n’a pas à s’interroger sur l’âge dudestinataire de son travail. C’est l’expérience dulecteur qui mettra le livre à sa juste place.»

Le temps quadrilléCertaines constantes caractérisent singulière-ment l’œuvre de Wolf Erlbruch : la superposi-tion de personnages perchés ou serrés les unscontre les autres, nez à nez, à lunettes rondes,le philodendron… Ils peuvent être dessinés (oupeints) directement sur le support, naître del’assemblage de parties peintes et du collage dedifférents matériaux. Il affectionne particuliè-rement les pages des cahiers d’écolier, les co-lonnes des livres de comptes, caractérisés pardes quadrillages qui apparaissent alors en fili-grane sous ses images, servant parfois de basegraphique à ses dessins. L’artiste évoque ainsice qu’il appelle « le temps quadrillé».

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LA GRANDE QUESTION, ETC.Par Wolf Erlbruch, illustrateur (Allemagne)

Exposition bilingue français-allemand

Réalisée en collaboration avec les éditions La Joie de lire et le Goethe-Institut de Nancy, cette exposition intègre la théma Geist ou l’esprit germanique en débat du Théâtre Forum Meyrin (lire Si n° 3, janvier-février 09).

Pour Francine Bouchet, « les compositions et lescadrages de Wolf Erlbruch sont particuliers. Ladiagonale le guide souvent. Le vide est impor-tant ; blanc ou en aplat de couleur, il impose

une respiration. Cet artiste est le maître denombreux illustrateurs qui tentent de l’imiteravec le collage. Celui de Wolf est particulier,puisque ce sont ses propres dessins qu’il collesur sa page. Il en ajoute d’autres, ainsi que desmatières». La technique graphique ne cherchejamais à se faire oublier : aucune propension àune illusion de la réalité ; la fiction se donned’emblée comme telle dans l’agencement mêmedes formes et des matières. S’il n’avait été gra-phiste, Wolf Erlbruch aurait pu être chorégraphe.Peu d’illustrateurs sont – à ce point – sensiblesaux postures et aux attitudes.

Décalage et libertéSi l’illustrateur allemand se distingue justementpar son univers visuel, le texte – même court – aune importance. Cette interaction entre lesmots et les images est parfois délicate, commele souligne Francine Bouchet : «Le rapport texte-image est un problème central dans l’éditionjeunesse. Il ne devrait pas y avoir de suprématiede l’un sur l’autre. C’est en général l’image quil’emporte et non le texte, mais ceci est souventdû à la pauvreté des fictions. Sommes-nousdans un creux de vague, je l’ignore. Je vois unnombre considérable de projets au cours del’année et suis frappée par la prépondérance del’image. On s’imagine bien vite que, pour lesenfants, n’importe quelle historiette fera l’affaire !Alors que l’histoire d’un album est sa colonnevertébrale. Wolf Erlbruch allie talent et intelli-gence. Son illustration est toujours décalée parrapport au texte, ce qui donne au lecteur unmagnifique espace de liberté. Il est un artistedu sens et non du divertissement.

C’est pourquoi ses textes sont essentiels. »Mentionnons, pour terminer, que l’expositiondu Théâtre Forum Meyrin présentera les origi-naux des livres Cuisine de sorcière et La grandequestion, ainsi que des affiches, vidéos et unesélection de livres pour enfants, en allemand,mis à disposition par le Goethe-Institut de Nancy.

Thierry Ruffieux

«Pourquoi sommes-nous ?»

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ExpositionDu mardi 13 janvier au mercredi 18 févrierVernissage mardi 13 janvier à 18h30Au Théâtre Forum MeyrinGalerie du Couchant

Ouverture publique : mercredi et samedi de 10h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00, ainsi qu’une heure avant les représentations.Accueil scolaire : du lundi au vendredi sur rendez-vous au 022 989 34 00.Entrée libre

STIMMHORN Musiciens Balthasar Streiff et Christian Zehnder

À chacun son objet fétiche: le doudou pour lesplus petits, la mèche de cheveux du premieramoureux pour les sentimentales, le vieux tee-shirt troué d’un concert mythique pour lerockeur. Reconnaissons-le, nous en avons pres-que honte… Parmi nos trublions helvètes, il yen a un qui nous bat à plate couture par l’origi-nalité de son objet fétiche…

Balthasar Streiff, avec son insolite cor des Alpes. Ilne s’en sépare jamais, et ne quitte pas non plusson compère Christian Zehnder, qui, quant à lui,donne à sa voix des résonances peu communes –décidément ! – entre yodle et chant de gorge.

EntretienRencontre avec Balthasar Streiff, une interviewà lire sur fond de jazz scat, yodle, percussions etautres cuivres.

Julie Decarroux-Dougoud : Bandonéon, bandur-ria, cor des Alpes, alpophone, büchel, cornet,corne de chèvre, etc. Comment avez-vous dé-couvert ces instruments parfois méconnus dupublic ?Balthasar Streiff : Nous nous sommes inspirésdes instruments – et particulièrement des cui-vres – avec lesquels, aux XVIIe et XVIIIe siècles,on jouait de la musique baroque. Nous les avonsensuite non pas reconstruits, mais plutôtrecréés. Ce qui nous intéresse – contrairement à un constructeur qui, lui, chercherait à réaliserun instrument parfait – est de garder leursimperfections, car ce sont elles finalement quinous inspirent le plus !

Et l’inspiration «alpine» dans tout ça ?Christian et moi-même vivons à Bâle, donc plu-tôt loin des montagnes ! On les aime, c’est cer-tain, mais franchement, elles n’ont pas unegrande influence sur notre musique…

On a entendu dire de vous que vous étiez les «sculptures vivantes typiques d’un lieu» ? Levons le malentendu ! Il y a de cela une cen-taine d’années, l’office du tourisme suisse acherché un tas d’objets, d’événements – commela fameuse lutte à la culotte suisse allemande –typiquement helvètes pour attirer des hordesde touristes, surtout anglais. À l’époque, le cordes Alpes n’existait pratiquement plus en Suisseet donc n’était pas considéré comme un instru-ment traditionnel ! Rien non plus de tradition-nellement helvète dans les différentes techni-ques vocales utilisées par Christian : le yodleexiste dans à peu près toutes les cultures, lechant diaphonique a des origines asiatiques,mais est aussi pratiqué en Afrique. On joue del’accordéon partout dans le monde, tout commeil existe, sur chaque continent et dans chaquepays, des trompettes naturelles. Concernantnotre musique, c’est simple : Christian ne fait pasdu tout de musique traditionnelle ; quant à moi,j’accorde peut-être huit mesures par concert àune mélodie typique… Nous ne sommes donc pasles dignes représentants de la musique suissetraditionnelle !

Comment alors qualifiez-vous votre musique ?Nous faisons avec Christian une musique archaï-que moderne, une musique humaine proche desspectateurs, des émotions, des espaces.

Vous nous proposez un concert tout spéciale-ment destiné au jeune public. Cette jeune assis-tance implique-t-elle quelques réajustements ?Nous sommes convaincus que nos concertspeuvent toucher aussi bien des bambins de cinqans que des personnes de nonante ans ! Certes,pour les plus jeunes, nous jouons moins les pièces douces et méditatives qui demandentune certaine patience. Nous privilégions la ryth-mique mais, globalement, nos concerts restent les mêmes. Nous nous sommes rendu compteque partout où nous jouons – et donc face à despublics différents – que ce soit en Afrique du Sudou au Pakistan, notre musique semble plaire etqu’il n’est donc pas nécessaire de l’ «adapter» enfonction de notre public.

Sur scène, on vous sent très complices avecChristian. De cette complicité naît une ambiancedétendue prompte à l’humour…C’est vrai, mais nous ne cherchons pas pourautant à faire rire. Pas de comédie, rien n’estécrit à l’avance. Du jeu entre Christian et moinaissent parfois des situations loufoques surscène. Et puis, nous aimons rire de nous-mêmes !

De la voix et du cor – ça ne s’appelle pas Stimm-horn pour rien ! – instruments étranges et loufo-ques. C’est bien ce que nous réservent nos deuxacolytes, pour ce concert à la fois drôle et poé-tique, méditatif et fou, et spécialement destinéau jeune public. Croyez-moi, personne n’en sor-tira indemne…

Propos recueillis par Julie Decarroux-Dougoud

Ce concert intègre la théma Geist ou l’esprit germanique en débat (lire Si n° 3).

Musique / Tout public dès 9 ansMardi 6 et mercredi 7 janvier à 19h00Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h15

Plein tarif : Fr. 20.– Tarif réduit : Fr. 17.– Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 10.–

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«Une musique archaïque moderne…»

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É… MOIS PASSÉSDE CAROUGE ET MEYRINOù il est question des mariages qui séparent et de bien d’autres sujets !

Le mariage de DelphineDelphine de Stoutz est ma fidèle collaboratrice.Depuis des années elle m’accompagne, meconseille, m’écoute, m’épaule, fait preuve àmon égard d’une patience pratiquement iné-puisable. C’est une complice passionnée, intelli-gente et affable. Sa place centrale dans l’équipede direction du théâtre s’imposait.Cet été, Delphine s’est mariée. Avec son ami ren-contré en Allemagne il y a quelques mois. À Berlin.Et il y a quelques jours, Delphine, en pleurs, m’annonce qu’elle ne pourra rester avec nousau Théâtre de Carouge. Son cœur, sa place, savie sont désormais là-bas, et elle ne pense pasavoir la force de se sentir coupée en deux pluslongtemps...Delph, je te souhaite tout le bonheur du monde,et décidément, continuerai de mon côté à mon-ter des pièces qui questionnent les arcanes del’Amour, cet Amour qui aujourd’hui nous sépare.

Jean Liermier

Alias consacrée !Artiste associé au Théâtre Forum Meyrin, Guil-herme Botelho s’est vu remettre le Prix Suissede la Danse et de la Chorégraphie qui récom-pense son travail au sein de la compagnie Alias.Existant depuis 2002, ce prix a récompensé deschorégraphes tels que Philippe Saire ou encorela Compagnie Drift.« Avec Guilherme Botelho, le jury souhaiterécompenser un chorégraphe qui a développé,tout au long de ses 15 ans de travail continuavec Alias Compagnie, une écriture artistiqueunique. Il s’agit de distinguer, en plus d’un lan-gage chorégraphique personnel et captivant,un traitement très particulier des élémentsthéâtraux, la manière de jouer avec le décor etles objets donnent l’impression que l’espace

même se met à danser. Avec son ironie et sonintelligence badine, Alias Compagnie exploredes situations et des thèmes, des émotions etdes relations. Ses spectacles, jamais exemptsd’humour, s’adressent à un public large et hété-rogène. De fréquentes tournées en Suisse et àl’étranger en attestent. Tous ces éléments carac-térisent à la fois sa création la plus récente,L’ange du foyer, une pièce tout public dès 6 ans,et ses spectacles précédents. Depuis desannées, les œuvres de Guilherme Botelho et desa compagnie sont marquées par une grandequalité esthétique et chorégraphique.»Le prix suisse de la Danse et de la Chorégraphiea été remis à Guilherme Botelho le 27 octobre2008 à la Dampfzentrale de Berne, dans le cadredu festival Tanz in Bern. Le chorégraphe sou-haite remercier toutes les personnes et institu-tions qui l’ont soutenu toutes ces années etsans lesquelles le succès d’Alias Compagnie nesaurait être possible.

Christina Gasser, chargée de promotion & de communication d’Alias

La nouvelle direction vue par une anciennePassation, cessation, réaction, rétention, antici-pation, ambition…On y est, la Fondation du Théâtre de Carouge selance sur les traces d’une nouvelle direction.Très vite, quelques noms apparaissent, et cha-cun, chacune caresse l’espoir que de ces candi-

dats, celui qui nous viendra saura dans l’éner-gie et dans l’esprit remplacer celui qui s’en va.Et voilà, le sort en est jeté, un nom est donné,c’est celui de Jean Liermier qui avec ses équi-piers va doucement nous faire évoluer vers lelibre accès…

Nathalie Lelièvre, responsable de la billetterie

La Vogue de Carouge Cette année, pour la première fois, le Théâtre deCarouge a pris part à l’événement incontourna-ble de la vie carougeoise : la Vogue. Vendredi 29,samedi 30 et dimanche 31 août dernier, Florentet moi nous sommes relayés au stand du Théâtrede Carouge, place de Sardaigne. Nous avons dis-tribué plus de 400 programmes et 200 Si, toutcela dans la bonne humeur, au son de la fanfaremunicipale… Merci à Christophe, Delphine, Martinet Anne pour leur soutien. Quant aux autres : àl’année prochaine !

Francis Cossu

Travaux au Théâtre de CarougeAujourd’hui 5 septembre, à 11h, a eu lieu le potde fin de chantier des travaux de restructu-ration du théâtre. Les conseillers municipauxainsi que les représentants de tous les corps demétiers étaient présents pour admirer cestransformations structurelles et esthétiques ôcombien nécessaires pour l’avenir de ce théâtre.On saluera la rapidité des politiques qui, en untemps record, ont signé l’accord d’ouverture decrédit ainsi que la célérité des ouvriers qui, endeux mois, ont abattu un travail kolossal, trans-formant ainsi profondément le lieu.

Delphine de Stoutz

VariationJanvier 2009, au Théâtre Forum Meyrin. AnnaHuber devait venir avec son complice FritzHauser, interpréter Handundfuss, duo choré-graphique et musical. – Réajustons la concor-dance des temps – Janvier 2009. Anna Huberviendra avec sa sœur, Susanne Huber, interpré-ter Stück mit Flügel, pièce chorégraphique pourune pianiste et une danseuse. Ici, la fugacité de la danse contemporaine se frotte à des com-positions musicales structurées, des interven-tions électroniques. Les sœurs Huber tissent une fine toile de sons et de mouvements qui,débordant le cadre strict de la scène, nous enve-loppe ; cocon sensible et fragile qu’on aimeraitne plus quitter.

Julie Decarroux-Dougoud

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Trois remarquesBonjour ! Abonnée depuis plusieurs années, j’aitraversé les saisons avec bonheur, goûtant ladiversité et la qualité des spectacles. Je meréjouis de retrouver ce plaisir cette année.Aujourd’hui, j’ai envie de vous faire part de troisremarques, dont vous ferez ce que vous vou-drez, bien sûr.

> 1° l’idée d’une théma (pourquoi ne peut-on plusdire thème ou thématique ... ?) : ça ne me paraîtpas mauvais en soi, mais je pense que de nom-breux spectateurs, comme moi, s’en moquenttotalement. Je viens, nous venons voir un spec-tacle, pour toutes sortes de raisons (comédiens,thème, genre...), mais nous ne suivons que rare-ment toute la saison. Alors, la théma... Pour moi,ça fait un peu vernis intello, dit crûment.

> 2° la collaboration avec le Théâtre de Carouge :je la comprends pour le plaisir des directeurs quis’entendent bien, pour réduire les coûts de pro-duction de certains spectacles ou des journaux,par exemple, pour faire de la pub mutuelle. Maisquel véritable intérêt pour les spectateurs, àpart la nouvelle revue à parcourir ?

> 3° last but not least : je suis extrêmement dé-rangée par l’intervention, avant chaque specta-cle, d’une personne du théâtre, qui dit bonjour,explique le pourquoi et le comment du choix du spectacle et nous souhaite invariablementd’avoir autant de plaisir à le voir que lui (ou elle)à l’avoir choisi. Je trouve que cela coupe com-plètement la magie de la salle de spectacle,l’impatience quand l’heure approche, les bavar-dages qui cessent brusquement quand leslumières baissent enfin... La direction n’a pas àjustifier ses choix. D’ailleurs, si nous sommes là,c’est bien parce que nous le voulons et avonschoisi ce spectacle particulier ; plusieurs demes camarades (certains d’entre eux sontcomédiens) partagent mon opinion et c’estpourquoi je me permets de vous la donner. Je vous remercie de tout votre travail et vousadresse mes meilleurs messages.

Nicole Good Mohnhaupt, Vernier

Chère Madame Good Mohnhaupt, je vousremercie vivement de votre fidélité et vous saisgré d’avoir pris la peine de partager votre senti-ment sur quelques aspects de notre action.Permettez-moi d’y réagir :

> 1° L’intitulé «théma» nous semble un pis-aller,en effet. «Thème», pourtant, ne convient pas et«thématique» serait trop long – démultiplié sur des banderoles et des annonces-presses auformat toujours modeste. Présenter ces mani-festations sous l’étiquette «festival» serait plusattractif, mais peut-être usurpé. Nous allons yréfléchir. Plus essentiel est votre droit strict à ignorer cesthémas pour ne retenir que les spectacles dansleur singularité. Notre idée, cependant, est d’of-frir deux modes d’appréhension de la programma-tion : l’un plus profond que l’autre, mais chacuna le loisir de faire comme il l’entend et comme ilen a le temps. Néanmoins, je ne peux vous laisser parler de«vernis intello» : je le sais bien, l’intellectualitéa mauvaise presse – même dans le domaine dela culture ; c’est bien dommage. Pour moi, bienque d’origine sociale modeste (ou peut-être dece fait), il n’en va pas ainsi. Quant au terme «vernis», il recouvre l’idée de superficialité. Or,les thémas sont soigneusement méditées. Lieud’art et de connaissance, le Théâtre Forum Meyrinentend contribuer à approfondir le regard quenous portons sur l’art et le monde. D’une partparce que c’est « le regardeur qui fait le tableau»selon la formule de Marcel Duchamp et, de l’au-tre, pour proposer une alternative aux produitsdes industries culturelles qui invitent le plus sou-vent au sensationnalisme, à des représentations– pour le coup – superficielles de notre présenceau monde et à une vision consumériste du cultu-rel. Suivant une démarche perspectiviste, les thé-mas meyrinoises entendent faire dialoguer lesvues de dramaturges, de chorégraphes, de musi-ciens, de plasticiens et d’intellectuels sur unmême objet – qu’il s’agisse d’une problématiqueformelle ou sociétale (notre rapport à l’amour, àla science, à la gourmandise, à la nature, etc.).Histoire d’estimer aussi quels sont les outils pro-pres à chaque discipline.

> 2° De fait, la collaboration avec le Théâtre deCarouge n’aurait pas été possible sans la bonneentente entre Jean Liermier et moi-même ; maislà n’est pas son origine. Son objectif n’est pasdavantage de réduire quelque coût que ce soit.Aussi, plutôt que de réaliser une économie enterme de promotion, mais sans important sur-coût, nous avons accru l’effort pour rendre pluslargement compte de nos activités (par le ma-gazine que vous citez, notamment). L’intérêt dulien est sensible, en revanche, pour une compa-gnie comme le Teatro Malandro qui jouira, poursa prochaine création, de conditions rares (lacoproduction de Carouge s’ajoutant à celle, tra-ditionnelle, de Meyrin). Quant aux spectateurs –outre la nouvelle formule d’abonnement «dé-couverte » qui offre des rabais substantiels sur neuf spectacles choisis par les deux direc-teurs –, il n’est pas indifférent de savoir qu’ilspeuvent désormais, par la simple possessiond’un abonnement meyrinois, jouir de rabais surl’entier de la saison carougeoise et vice-versapour les abonnés carougeois !

> 3° Pour ce qui est, enfin, des interventions fré-quentes (bien que non systématiques avant lesspectacles), elles font d’abord partie d’une poli-tesse à laquelle l’art vivant (centré sur la pré-sence humaine) nous invite. Néanmoins, nousne prenons jamais la parole sans motif : cela vadu rappel d’une rencontre avec les artistes àl’issue de la représentation, à celui du lien avecune exposition présentée simultanément dansles galeries ou un débat prochain (nous ne som-mes pas qu’un théâtre...), de la communicationd’un changement de durée du spectacle euégard à ce qui était annoncé, de l’excuse rela-tive à un retard pour motifs techniques dans lemoins bon des cas, etc.

J’espère que ces quelques éclaircissements voustrouveront dans les meilleures dispositions et –pardonnez-moi, malgré votre prévention et cellede vos amis comédiens – vous souhaite d’avoirbeaucoup de plaisir à revenir dans notre lieu.Avec mes bons messages.

Mathieu Menghini

Stück mit Flügel

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Alias

Impressum

Responsables de la publication : Mathieu Menghini (Meyrin) / Delphine de Stoutz (Carouge)Comité de rédaction : Laurence Carducci (M) / Francis Cossu (C) /Anne Davier (M) / Julie Decarroux-Dougoud (M) / Ushanga Elébé (M) /Rita Freda (M) / Nathalie Lelièvre (C) / Jean Liermier (C) / Florent Lézat (C) / Sylvain De Marco (M) / Mathieu Menghini (M) / Ludivine Oberholzer (M) / François Regnault (C) / Natacha Rostetsky (M) / Thierry Ruffieux (M) / Delphine de Stoutz (C)Secrétariat de rédaction : Natacha Rostetsky (M) / Julie Decarroux-Dougoud (M)Correcteurs : Gaëlle Rousset (M) / Florent Lézat (C)Graphisme : Spirale Communication visuelle / Alain FloreyImpression : Sro-kundig / Tirage : 14 000 exemplaires

Crédits photos

P. 41 (Couverture) Marc Vanappelghem / P. 45 D.R. – Klimt / Pp. 46 + 47 D.R. / Pp. 48 + 49 + 88 Marc Vanappelghem (Jean Liermier) / Pp. 50 + 51 Albert & Kiki Lemant / P. 53 Thierry Ruffieux / P. 55 D.R. / P. 56 Olivier Sochard / P. 57 John Foley – Opale / P. 58 Chris Nash / P. 59 Johan Persson / Pp. 60 + 61 D.R. / Pp. 62 + 63 + 75 Marc Vanappelghem / Pp. 64 + 65 D.R. / P. 66 Jean Claude Fernandez / P. 67 Giorgio Skory / P. 68 Etienne Aussel / P. 69 Patrick Berger / Pp. 70 + 71 Lydie Mercier / Pp. 72 + 73 Candide-Voltaire, La Petite Bibliothèque Philosophique de Joann Sfar /Pp. 74 + 76 La Passerelle de l’Université de Genève / P. 77 Lydie Bochatay / P. 78 Sylvain Duffard (Victor Gauthier Martin) / P. 79 D.R. / P. 80 D.R. / P. 81 + 88 Dessins Wolf Erlbruch / Pp. 82 + 83 D.R. / P. 84 René Fietzek (Mariage) +Gregory Batardon (Alias) / P. 85 Caroline Minjolle / P. 86 Cyril Van den Beusch

Le Théâtre Forum Meyrin est un service de la commune de Meyrin.Partenaires du Théâtre Forum Meyrin

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..............................Le Théâtre de Carouge-Atelier de Genève est subventionné parla République et Canton de Genève et la Ville de Carouge.Il est soutenu par la banque Wegelin & Co., la Fondation Leenaards, le Club des 50.Il collabore avec Unireso, TPG – Transports publics genevois, le Service Culturel Migros-Genève.Il a comme partenaire Teo Jakob, le Cinéma Bio, le Chat Noir, La Semeuse, la maison Mauler.

À VOS PAPILLESLES CUISINES DE CAROUGE ET MEYRININNOVENTL’offre des bars des deux théâtres s’enrichit

Au 39, rue AncienneLes choses bougent. Un tout nouveau bar vous attend à Carouge avec,pour vous accueillir, Tania Nerfin et Licia Tiboni. Au menu, des vins, desbières ainsi que des jus de fruit provenant du terroir genevois, le toutdans un tout nouvel espace aménagé par notre partenaire, Teo Jakob.

Domaine Dugerdil, DardagnyPour chaque spectacle, Tania et Licia mettent un domaine en avant : pourle Cirque Invisible, ce fut l’occasion de déguster les vins du Domaine Dugerdil,Dardagny. Le credo de Sophie Dugerdil, une jeune vigneronne atypique, passionnéeet amoureuse du terroir : la production de vins de caractère, vifs, fruitéset charpentés, cultivés et encavés dans le respect exigeant de la terre etdes hommes. Dès la sortie du premier millésime en 2004, les vins du jeunedomaine, qu’ils soient issus de monocépages ou d’assemblages auda-cieux, obtiennent la faveur du public, mais aussi des connaisseurs.En cinq années d’existence, plusieurs millésimes de vins soigneusementsélectionnés ont été commercialisés. Pinot noir, blanc et gris, chardon-nay, sauvignon et cabernet sauvignon, merlot, garanoir, gamay et autressyrah, sans compter les assemblages « Amicalement Vôtre » et « Typique-ment Vôtre», ont ainsi contribué à faire la renommée du Domaine Dugerdil.

Apéro’sfairCôté ventre, Apéro’sfair concocte pour chaque spectacle des assiettesoriginales afin de combler nos papilles. Cette jeune entreprise genevoisenous fait découvrir, depuis deux ans, des produits de saison, rares ououbliés : viandes séchées maison, fromages d’alpage au lait cru, cruditésde saison, légumes d’autrefois, gravelax de poisson du lac, soupes de sai-son, verrines et bouchées terroir, porc laineux, vache d’Hérens...Autant de produits de première qualité qui composent, selon les specta-cles et les saisons, nos buffets de premières et notre menu. Les produitssont fabriqués maison ou achetés au prix juste directement chez depetits producteurs locaux. Un état d’esprit et un terroir à retrouver, pourreprendre possession de l’assiette et de ce qui la compose.

Delphine de Stoutz

Au premier, place des Cinq-ContinentsMue et continuité au bar du Théâtre Forum Meyrin. Continuité, d’abord,par la persistance d’une équipe extravagante et bien lunée, fidèle auposte depuis l’ouverture de l’institution en 1995. Passionnée par la viedu théâtre autant que par les échanges conviviaux, une dizaine de fem-mes et d’hommes au caractère bien trempé et au sourire généreux vousattend tous les soirs de représentations. Dès 19h pour les spectaclescommençant à 20h30 ; une heure avant ceux débutant à un autre horaire.

Un médaillé au bar !La nouveauté tient à l’arrivée d’un nouveau cuisinier : le Valaisan MichelNanchen. Une tête dans le monde de la cuisine. Le transfert de la saison !Bien sûr, il peut se targuer d’être bardé de diplômes ; plus inattendu noussemble sa sensibilisation à l’analyse transactionnelle… Épatant, non ?Son parcours fait foi : Michel Nanchen est un homme agréable, compé-tent et généreux. Curieux aussi. D’où l’inventivité qu’il déploie dans sonimaginaire culinaire. Que nous servira-t-on donc à Meyrin ?

Côté saléDes tartines de gambas à l’ail et à la coriandre, de chèvre parfumé àl’huile de noix, des gaufres au tartare de saumon au gingembre et citronvert… Des baguettes à l’ancienne au roquefort (avec sa poire et de larucola), à l’aubergine grillée et au pecorino. Des quiches «brocoli-sau-mon-pignons». Des soupes melon, du gaspacho ou alors, pour les ama-teurs d’hérésies douces : aux carottes et à la menthe, la «polissonne» augingembre, la «fendante» au vin blanc, etc.

Côté sucréPour les carences affectives et les dentistes affectueux, des karaks, destartelettes au citron, des tartes aux abricots, aux pommes, des muffinsparsemés d’éclats de chocolat, de citron confit et de pavot ou, alors, authé vert ou au café, etc. Une interrogation nous étreint au terme de cetarticle : les spectateurs du Théâtre Forum Meyrin nous rejoindront-ils pargoût pour l’art de la table ou pour celui des planches ?

Mathieu Menghini

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