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Abonnement annuel (2 numéros)fossilisation des représentations liées à certains termes. Plus encore que les défauts de la terminologie, c’est la pauvreté des exercices proposés

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Les demandes d’abonnement ou de numéros séparés peuvent être adressées au CLA, administration des TRANEL, Faculté des lettres et sciences humaines, Espace Louis-Agassiz 1, 2000 Neuchâtel. tél. ++41(0)32 720 83 16 — fax ++41(0)32 721 37 60

Internet: http://www.unine.ch/linguistique/CLA/tranel_asla.htm

Abonnement annuel (2 numéros): Suisse et étranger: CHF 51,- Numéros séparés: Suisse et étranger: CHF 27,- Paiement: Pour la Suisse: – compte de chèque postal (CCP): n° 20-8961-6, Neuchâtel, Université, CLA, Cours spéciaux

Pour l’étranger: – mandat postal international (compte ci-dessus) – virement bancaire: compte n° 155298.02, auprès de la Banque Cantonale Neuchâteloise, Neuchâtel

Rédaction: Institut de linguistique, Université de Neuchâtel, CH-2000 Neuchâtel © Institut de linguistique de l’Université de Neuchâtel, 1999 Tous droits réservés

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ISSN 1010-1705

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Table des matières

Marie-José BEGUELIN, Jean-François DE PIETRO & Anton NÄF Introduction .................................................................................. 5-11 Daniel MARTIN La terminologie grammaticale à l’école: facilitateur ou obstacle aux apprentissages? L’exemple de la «suite du verbe» ............................................... 13-35 Alain BERRENDONNER Histoire d’une transposition didactique: les «Types de phrase» ................................................................ 37-54 Marinette MATTHEY La grammaire… Pour qui et pour quoi faire? ........................... 55-66 Peter BLUMENTHAL Les grammaires française et allemande à l’école: points de contact et divergences ................................................ 67-78 Anton NÄF Pour ériger des passerelles entre les terminologies grammaticales française et allemande ...................................... 79-93 Peter LENZ Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch! ....................................................... 95-107 Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète dans l’Europe d’aujourd’hui? ............................................... 109-127 Dominique WILLEMS Pour une terminologie grammaticale européenne. Défense et illustration ............................................................ 129-142 Marie-José BEGUELIN «De la phrase aux énoncés»: bilan et perspectives ............... 143-153 Pierre-Alain BALMA Pour une approche transversale de l’enseignement des langues .................................................... 155-165

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Thérèse JEANNERET Diversité des langues, diversité des descriptions grammaticales: approche plurielle de la pronominalisation en français ............................................... 167-177 Jean-François DE PIETRO La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire? ................................ 179-202 Liste des contributeurs .......................................................................... 203

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 5-11

Introduction

Les 19 et 20 novembre 1998 s’est tenu à Neuchâtel un colloque interdisciplinaire intitulé «La terminologie grammaticale à l’école. Perspectives interlinguistiques». Organisé conjointement par l’Institut de recherche et de documentation pédagogique (IRDP) et l’Université de Neuchâtel, avec le soutien de l’Académie suisse des sciences humaines, ce colloque a réuni plus de cinquante personnes provenant de divers horizons – praticiens de la langue, didacticiens, responsables de la formation pédagogique en français, allemand, anglais et latin, chercheurs et linguistes – qui ont fait état de leurs conceptions et de leurs besoins respectifs en matière de terminologie.

Dans la perspective ouverte par E. Roulet dans son ouvrage Langue maternelle et langues secondes: vers une pédagogie intégrée (1980), il s’agissait d’étudier les différentes terminologies grammaticales utilisées dans l’enseignement des langues, en visant une harmonisation de ces terminologies et une simplification de la grammaire pour les élèves. Il s’agissait aussi de s’interroger sur le statut et les fondements – socio-historiques, linguistiques, psycholinguistiques et didactiques – des notions grammaticales, voire d’esquisser de nouvelles pistes pour aborder en classe les activités sur la langue. Il s’agissait, enfin et surtout, de préconiser une approche de la grammaire qui dépasse les clivages entre traditions nationales, dans une perspective résolument interlinguistique.

Ce numéro des TRANEL est consacré à la publication des contributions à ce colloque. La plupart d’entre elles, reprises et parfois modifiées par leurs auteurs, y figurent1. L’un des participants, P.-A. Balma, a rédigé un texte développant les idées qu’il avait présentées lors de la Table ronde, et un article supplémentaire, celui de Th. Jeanneret, a été intégré au numéro en raison de sa pertinence thématique. Nous allons à présent parcourir ces différentes contributions, non pas en suivant l’ordre du séminaire, mais en proposant une articulation en trois volets.

Les quatre premiers textes fournissent, en quelque sorte, les arrière-plans du débat. Ils s’interrogent sur les conditions du travail grammatical en

1 Seuls trois intervenants ont, pour diverses raisons, renoncé à publier.

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classe, dévoilant les facteurs psycholinguistiques, épistémologiques, politiques, voire socio-économiques qui les déterminent.

Un groupe de cinq contributions rassemble ensuite les analyses de secteurs terminologiques particuliers (notions de phrase, d’attribut, types de compléments, etc.), conduites dans une perspective interlinguistique et comparative.

Enfin, les trois derniers textes proposent des démarches didactiques inédites, prenant à la fois pour objet et pour outil de travail la diversité de fonctionnement des langues, et donnant corps, si l’on peut dire, à l’hypothèse interlinguistique qui était au centre du colloque.

Sur la base d’enquêtes réalisées dans des classes à propos de la notion de suite du verbe, D. Martin (Unité de recherche en système de pilotage, Lausanne, et Université de Genève) met en évidence les dangers d’approches trop applicationnistes de la grammaire, conduisant à une fossilisation des représentations liées à certains termes. Plus encore que les défauts de la terminologie, c’est la pauvreté des exercices proposés – exercices qui ne présentent généralement que les cas les plus simples, correspondant aux définitions... et qui ne confrontent jamais les élèves aux situations à problèmes – qui les empêche de construire des savoirs grammaticaux plus riches et plus utiles.

A. Berrendonner (Université de Fribourg) retrace, avec humour et causticité, l’histoire de la notion de types de phrases. Le devenir de cette notion permet d’illustrer la transposition didactique «sauvage» – mais sans doute pas innocente – d’un modèle emprunté à une théorie linguistique à la mode. Il rend aussi manifestes les transformations progressives (complexification, hétérogénéisation) que subit l’objet grammatical entre les mains des producteurs de doctrine.

M. Matthey (Université de Neuchâtel) analyse les différents sens qu’on attribue, souvent de manière confuse, au terme de grammaire; puis elle suggère ce qui pourrait découler, pour la formation des enseignants, d’une meilleure articulation de ces différentes acceptions, afin de s’approcher toujours plus d’une grammaire pour l’élève.

A partir de nombreux exemples, P. Blumenthal (Université de Cologne) compare les terminologies grammaticales utilisées en France et en Allemagne pour l’enseignement de la langue maternelle. Malgré les critiques qu’elle a suscitées, la publication récente en France, par le Centre national de documentation pédagogique, d’une Terminologie grammaticale

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(1997) lui apparait comme un réel progrès, notamment par rapport à l’édition précédente de 1975. A l’inverse, P. Blumenthal regrette qu’en Allemagne, l’Etat ne se soucie que très peu d’harmonisation terminolo-gique, abandonnant ce travail aux maisons d’édition ainsi qu’à l’initiative privée des enseignants.

Pour être en mesure de comparer rigoureusement les terminologies grammaticales en usage dans les différentes langues, A. Näf (Université de Neuchâtel) propose une grille d’analyse générale, ainsi qu’une typologie des liens qui peuvent être établis entre elles: termes différents mais recouvrant une même réalité, termes désignant des propriétés linguistiques qui n’existent que dans l’une des langues comparées, etc. L’auteur applique ensuite cette grille à la notion de phrase telle qu’elle est enseignée en allemand langue seconde dans les classes de Suisse romande, montrant que les liens – les passerelles – entre les termes utilisés en L1 et en L2 sont, malheureusement, inexistants dans les manuels actuels ou en voie d’introduction!

Sur une même lancée, P. Lenz (Université de Fribourg) analyse la terminologie utilisée dans deux nouveaux moyens d’enseignement actuellement en cours d’acclimatation en Suisse romande: Sowieso et Auf Deutsch! Ce faisant, il est conduit à souligner les insuffisances et les incohérences du second ouvrage, tout en s’interrogeant sur les impacts réels d’une telle situation – certes problématique du strict point de vue de la grammaire – pour la réussite de l’enseignement.

E. Almeida et M. Maillard (Université de Madère) illustrent, dans leur contribution, les travaux du Centre METAGRAM – pionnier en matière d’approche interlinguistique des problèmes de métalangage et de terminologie. Les auteurs proposent une analyse contrastive des notions d’épithète et d’attribut, qui reçoivent des contenus très différents, voire contradictoires, dans les traditions des différents pays européens. Une rationalisation et une harmonisation pourraient intervenir à peu de frais, à condition toutefois que les francophones acceptent de renoncer à leurs dénominations traditionnelles. L’intérêt de cette contribution réside également dans le regard extérieur posé sur les choix terminologiques pratiqués en Suisse romande, qui font apparaitre quelques spécificités mais aussi la récurrence de difficultés communes.

Dans sa contribution intitulée Pour une terminologie grammaticale européenne: Défense et illustration, D. Willems (Université de Gand) insiste à son tour sur la dimension européenne de la problématique du

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colloque. Elle souligne l’hétérogénéité des critères de définition propres aux notions grammaticales traditionnelles, source regrettable de confusions et obstacle à l’élaboration d’une terminologie utilisable pour tous les enseignements de langues. Les termes grammaticaux qui appartiennent en même temps à la langue courante posent également problème, comme d’ailleurs l’existence de véritables différences entre langues. Afin de parvenir à une solution équilibrée entre adéquation descriptive et adéquation didactique, D. Willems préconise une collaboration plus étroite entre linguistes, dépassant le cadre des langues prises isolément; elle plaide aussi «pour un minimum de terminologie européenne». À ces conditions, il sera possible d’aller vers une simplification qui ne soit pas une réduction, tout en préservant la rigueur et la systématicité que l’on est en droit d’attendre du métalangage grammatical.

M.-J. Béguelin (Universités de Fribourg et de Neuchâtel) retrace l’élaboration de l’ouvrage ressource intitulé De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaire et descriptions linguistiques (sous presse aux éditions De Boeck-Duculot, Collection Savoirs en pratique). Publié sous l’égide de la Commission romande des moyens d’enseignement (COROME), cet ouvrage de réflexion et de problématisation est le résultat d’un travail collectif de longue haleine et s’adresse aux (futurs) enseignants de français, aux «formateurs de formateurs», aux auteurs de manuels. Outre un état des lieux de la grammaire scolaire, il contient différents développements sur l’histoire et le mode de construction des unités traditionnelles (mot et phrase), les problèmes de définition des catégories (adjectif, préposition, adverbe) et des fonctions grammaticales (sujet, modificateur...), la typologie des compléments, avec les problèmes qui surgissent lors du passage aux langues à cas, la structuration de la langue parlée, etc. Du point de vue de la formation des maitres, l’ouvrage plaide pour un modèle de professionalisme ouvert, visant à donner aux enseignants distance critique et autonomie par rapport aux doctrines grammaticales ambiantes.

A l’exemple des notions grammaticales de temps et d’aspect, P.-A. Balma (enseignement secondaire, Genève) présente une approche didactique qui traverse les frontières entre langues, favorisant la compréhension des phénomènes en jeu. C’est ainsi, selon lui, que la langue maternelle peut devenir un lieu privilégié de découverte des grands principes qui commandent le fonctionnement des langues.

Dans une même orientation, mais visant un public d’adultes étudiant le français langue étrangère, Th. Jeanneret (Université de Neuchâtel) montre

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comment la mise en perspective de diverses langues – en l’occurrence les langues maternelles des apprenants – peut rendre plus pertinent l’enseignement grammatical: ainsi, dans le cas des formes pronominalisées des compléments, le fonctionnment de l’espagnol invite à aborder certaines difficultés autrement qu’on le fait d’habitude, du moins en Suisse romande où l’on tend à privilégier les contrastes entre français et allemand.

J.-F. de Pietro (IRDP, Neuchâtel) recourt, quant à lui, au problème du genre grammatical pour illustrer les apports d’une perspective interlinguistique radicale, délibérément fondée sur un travail d’observation et d’analyse de matériaux tirés de diverses langues: langue de l’école certes, mais aussi langues représentées dans la classe, autres langues enseignées dans le milieu scolaire, langues présentant, sur l’un ou l’autre point, des caractéristiques remarquables, etc. Grâce aux éclairages multiples fournis par la diversité des données, cette démarche connue sous le nom d’«éveil aux langues» favorise la compréhension des mécanismes linguistiques. Elle permet à l’élève de relativiser les catégories de sa propre langue, de l’appréhender plus facilement comme objet; enfin, remettant en cause cer-tains stéréotypes, l’éveil aux langues assure une ouverture à la fois psy-chologique et cognitive à la diversité des langues... ainsi qu’à celle des locuteurs.

De nombreuses questions d’ordre général traversent, explicitement ou implicitement, l’ensemble des contributions rapidement présentées ci-dessus. Sans avoir, bien entendu, la prétention de les résoudre une fois pour toutes, nous osons espérer que ce numéro aidera à mieux les formuler, à l’image de ce qui s’était passé lors de la Table ronde qui concluait le colloque.

On peut par exemple se demander s’il est utile, voire nécessaire, de disposer d’une doctrine grammaticale consistante et cohérente – ou si des approches éclectiques ne sont pas plus efficaces d’un point de vue didactique. On peut aussi se demander quels sont les critères d’une «bonne» terminologie pour l’école: aux yeux de certains c’est la validité descriptive, scientifique qui doit l’emporter, la didactisation ne devant intervenir que dans un second temps; pour d’autres au contraire, la pertinence d’une terminologie à l’école ne découle que de sa validité didactique, autrement dit de son apport aux processus d’enseignement et d’apprentissage. Ce qui renvoie bien sûr à un autre débat, concernant cette fois les modalités d’évaluation d’un tel apport.

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A un niveau plus général encore, on peut s’interroger sur les fonctions qu’assument (ou que n’assument pas) la grammaire et son appareil terminologique dans l’enseignement de L1 et de L2. L’utilité même de la terminologie grammaticale fait l’objet d’un vaste débat, certains insistant sur l’influence quasi nulle qu’elle exercerait sur les processus d’acquisition linguistique, cela même en contexte scolaire, d’autres soulignant au contraire les fonctions importantes que remplit tout métalangage, comme instrument de médiation dans les interactions en classe, voire comme outil de distanciation et de construction des objets langagiers dans une perspective réflexive et culturelle.

Ces questions restent ouvertes. Sur d’autres points, des ébauches de réponses se font jour, des tendances se dessinent. Ainsi, dans ce domaine ô combien complexe et controversé de la terminologie grammaticale, il parait aujourd’hui nécessaire de souligner l’importance d’une bonne formation initiale et continue des enseignants, qui leur donne une autonomie par rapport aux nomenclatures officielles, aux moyens d’enseignement, aux types d’exercices à disposition sur le marché. C’est ainsi seulement qu’il sera possible d’alléger le poids de l’enseignement grammatical prodigué aux élèves, en accordant la priorité, plutôt qu’à une inculcation extensive, à des interventions ciblées de l’enseignant sur la grammaire intériorisée des élèves – à travers des corrections argumentées et des activités de remédia-tion précisément adaptées aux difficultés que ces élèves rencontrent.

Parallèlement, il s’agirait de doter les élèves d’un savoir(-faire) grammatical léger mais opératoire, qu’ils construiraient eux-mêmes, sous la conduite d’un enseignant expert, dans le cadre de démarches didactiques permettant une confrontation aux savoirs de référence, c’est-à-dire recourant à de véritables situations de recherche et de découverte.

Ce faisant, il s’agirait aussi d’aller vers une simplification de la terminolo-gie grammaticale – par le biais d’une meilleure harmonisation entre langues, au niveau de la Suisse comme à celui de l’Europe.

Loin d’être un obstacle, la diversité des approches – psychologiques, didactiques et linguistiques – proposées dans ce numéro permet de cerner un certain nombre de domaines où une concertation et une harmonisation seraient souhaitables, tant pour l’enseignement de la langue maternelle que pour celui des langues étrangères. Pour mener à bien une telle tâche, il est indispensable de développer la collaboration entre didacticiens et linguistes d’une part, entre chercheurs et praticiens d’autre part, collaboration qui s’est avérée très fructueuse à l’occasion du colloque.

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Ces quelques propos suffisent, nous semble-t-il, à démontrer la pertinence d’une réflexion consacrée aux perspectives interlinguistiques sur la terminologie grammaticale. Ce numéro des TRANEL – qui parait en même temps que l’ouvrage De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaire et descriptions linguistiques – représente dans notre esprit un premier jalon. Il témoigne de l’actualité des questions grammaticales à l’école, pour autant que celles-ci soient régulièrement réexaminées, en fonction de l’évolution des savoirs linguistiques, certes, mais aussi et surtout au bénéfice des élèves, afin que, dans les divers enseignements de langues qu’ils reçoivent, ce ne soit plus sur leurs seules épaules que repose la recherche d’une cohérence2...

Marie-José Béguelin Jean-François de Pietro Anton Näf

Bibliographie

Roulet, E. (1980). Langue maternelle et langues secondes: vers une pédagogie intégrée. Paris: Hatier/CREDIF.

Terminologie grammaticale (1998). Ministère de l’Education nationale. Paris: CNDP.

2 Les auteurs de cette introduction ont pu s’appuyer dans leur rédaction sur un compte

rendu du colloque rédigé par D. Elmiger et A. Kamber, de l’Université de Neuchâtel. Nous tenons à les remercier pour leur apport.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 13-35

La terminologie grammaticale à l’école: facilitateur ou obstacle aux apprentissages?

L’exemple de la «suite du verbe»

Daniel MARTIN URSP, Lausanne et Université de Genève

A reform of French teaching was introduced in the French speaking part of Switzerland in the late 1970's. It particularly lead up to a reappraisal of the grammatical terminology.

Within the context of the assessment of the effects of the reform, the author presents results concerning students' performances in the beginning of the 8th class regarding the marking out of the verb complement.

Datas show that the marking out is poorly mastered by students. The author puts forward several hypotheses allowing to account for those results. He brings out the main lines for an efficient teaching of grammar. He also sets concrete propositions of adjustments of the teaching of grammar concerning – among others – learning activities proposed to students and grammatical terminology used in class.

A la fin des années septante, une réforme de l’enseignement du français s’est progressivement mise en place en Suisse romande. Cette réforme for-tement teintée d’applicationnisme s’est inspirée de modèles linguistiques en vogue dans la noosphère de l’époque, notamment le modèle de la grammaire générative. Elle a en particulier débouché sur une révision de la terminologie grammaticale. Ainsi, le complément du verbe est appelé suite du verbe, le complément du nom est appelé suite du nom ou encore le complément de phrase est appelé groupe permutable1.

Dans le cadre de l’évaluation des effets de la réforme de l’enseignement du français, le canton de Vaud a mandaté le Centre Vaudois de Recherches Pédagogiques pour suivre les effets de la réforme tant sur les pratiques pédagogiques des enseignants que sur les performances des élèves. Nous présenterons ici des résultats sur ce dernier volet et concernant le repérage

1 Il faut relever que, suite à la réalisation de cette étude, cette terminologie n’est employée

que jusqu’à la fin de la scolarité primaire. Ainsi, dès la 7e année, le terme «complément» est utilisé.

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14 La terminologie grammaticale à l’école

du complément du verbe2 qui n’est bien évidemment qu’un aspect très spécifique de ce suivi3.

Dans le cadre du suivi de la réforme de l’enseignement du français, le problème du repérage de la suite du verbe occupe une place significative à plusieurs égards. D’un point de vue grammatical d’abord, il est révélateur de la représentation que se font les élèves de la phrase et de ses constituants. Dès la deuxième année primaire déjà, ils sont progressivement amenés à repérer et à dégager au sein d’une phrase simple des groupes signifiants, tant du point de vue sémantique que syntaxique. Dès la 4e, les élèves apprennent à distinguer le groupe nominal sujet du groupe verbal, puis, au sein de ce dernier, le verbe de sa suite (nominale ou prépositionnelle). Viennent s’ajouter à cela, de la 5e à la 7e, l’étude de la suite du verbe et celle du groupe permutable dans la phrase complexe, transformée ou enchâssée.

Mais le problème du repérage de la suite du verbe est également important du point de vue de l’orthographe grammaticale, notamment pour l’accord du participe passé dans des phrases transformées. En effet, pour l’accord du participe passé dans des phrases simples, on peut se passer d’une analyse de la phrase et se contenter de règles assez simples en fonction de l’auxiliaire utilisé; mais dès qu’on a affaire à une phrase complexe ou transformée, une analyse minimale de la phrase s’avère nécessaire pour déterminer la place de la suite du verbe.

1. Population

Dans le système scolaire vaudois et dès la fin de la 6e année, les élèves sont répartis dans trois filières: une filière à exigences élevées, une filière à exigences moyennes et une filière à exigences élémentaires. Notre épreuve a été passée au début de la 8e année à un échantillon représentatif de 804 élèves dont 396 de la filière à exigences élevées et 408 de la filière à exigences moyennes. Nous n’avons pas testé des élèves de la filière à exigences élémentaires car ils n’utilisaient pas, au moment de la passation de l’épreuve, des moyens d’enseignement conformes à l’enseignement

2 Dorénavant nous utiliserons le nom de suite du verbe en lieu et place de celui de

complément du verbe.

3 Pour d’autres résultats sur ce suivi, on pourra consulter les travaux suivants: Martin, Weiss & Wirthner, 1989; Martin & Gervaix, 1992; Gervaix, 1995; Martin & Alliata, 1996; Martin, 1997.

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Daniel MARTIN 15

rénové du français. La passation de l’épreuve, effectuée par des chercheurs, était collective.

2. Présentation de l’épreuve

Pour cette épreuve, nous avons envisagé tous les cas de réalisation de la suite du verbe dans des phrases simples et dans des phrases complexes4.

Nous sommes parti de la phrase minimale (composée d’un groupe nominal sujet et d’un groupe verbal) et nous avons progressivement ajouté des constituants (groupe permutable et modificateurs) en faisant varier la place des éléments, jusqu’à modifier la phrase elle-même par transformation ou enchâssement. Notre épreuve comprend 31 items. Tous les cas possibles ne sont pas représentés, mais nous avons retenu tous les cas vus par les élèves à l’issue de la 7e. Ces cas sont énumérés ci-dessous5.

Phrases simples

A) Phrases P – GNS6 + [V7 + SV8 (nominale ou prépositionnelle)]

Ex.: Ma petite sœur croit à l’existence des fantômes.

– GNS + [V + SV (nominale ou prépositionnelle)] + G PERM9 Ex.: La plupart des enfants mangent des tartines au petit déjeuner.

– GNS + [V + Modificateur + SV (nominale ou prépositionnelle)] Ex.: Robert oublie parfois ses affaires.

– GNS + [V type être + SV (ADJ)10] Ex.: Ces femmes sont sportives.

– GNS + [V type être + SV (ADJ)] + G PERM Ex.: Cette famille est riche depuis plusieurs générations.

4 Par «phrase simple», on entend ici les phrases P et les phrases transformées issues

d’opérations portant sur une seule phrase P. Par «phrase complexe», on entend les phrases transformées issues d’opérations portant sur plusieurs phrases P. Par «phrase P», on entend une phrase composée d’un groupe nominal sujet et d’un groupe verbal auquel peut s’ajouter un complément de phrase appelé groupe permutable ou complément de phrase.

5 Le mode de présentation retenu ici (les parenthèses, les crochets et les «+») ne correspond pas toujours à une présentation rigoureuse du point de vue du modèle de référence linguistique. Mais il a au moins l’avantage d’indiquer brièvement la succession des différentes unités ou groupes d’unités dans la phrase.

6 GNS = Groupe nominal sujet

7 V = Verbe

8 SV = Suite du verbe

9 G PERM = Groupe permutable

10 ADJ = Adjectif

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16 La terminologie grammaticale à l’école

– GNS + [V type être + Modificateur + SV (ADJ)] Ex.: Cet artiste deviendra certainement célèbre.

B) Phrases transformées – Exclamatives (SV + GNS + V + G PERM)

Ex.: Que d’argent Léon a perdu au casino !

– Interrogatives (SV + V + GNS) Ex.: Quels livres choisissez-vous?

– Négatives (GNS + ne + V + pas + SV) Ex.: Le maître ne connaît pas l’heure du départ.

– Phrases contenant un pronom dont le verbe n’est suivi d’aucun élément (GNS + SV (Pronom) + V) Ex.: Ces livres nous passionnent.

– Phrases contenant un pronom dont le verbe est suivi par un groupe permutable (GNS + SV (Pronom) + V + G PERM) Ex.: Ce film m’a déçu hier soir.

Phrases complexes enchâssées

– GNS + [V + Phrase enchâssée (avec verbe à une forme personnelle ou à l’infinitif)] Ex.: Claude envisage de changer de travail.

– [GNS + Relative enchâssée (en qui ou en que)] + [V + SV] Ex.: Les enfants qui jouent à l’élastique sont de vrais champions.

Cette épreuve devrait nous permettre de dégager la perception qu’ont les élèves de la suite du verbe et ses différentes réalisations dans des phrases simples et dans des phrases complexes et de mettre en exergue des problèmes d’interférence: par exemple les cas où un élément (modificateur ou groupe permutable) vient s’intercaler entre le verbe et sa suite, ou ceux où un groupe permutable «prend la place» de la suite du verbe (en étant placé immédiatement à droite du verbe, par exemple).

Enfin, cette étude devrait mettre en lumière les règles implicites qui mènent au repérage (ou n’y mènent pas). Nous faisons en effet l’hypothèse que certains élèves gardent l’idée (suggérée par le terme même de suite du verbe) que la suite d’un verbe se trouve immédiatement après celui-ci, et réciproquement que tout ce qui vient à droite du verbe constitue sa suite. Cette hypothèse pourrait se vérifier dans les phrases transformées où la suite a été déplacée, ainsi que dans certaines relatives.

3. Présentation et analyse des résultats

Nous ne présenterons ici qu’une partie des résultats à cette épreuve. Pour une présentation complète, le lecteur pourra consulter Martin & Gervaix (1992).

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Daniel MARTIN 17

Le tableau 1 montre que les élèves pris dans leur ensemble réussissent un peu moins des deux tiers des items de cette épreuve. On constate également que la différence entre les élèves de la filière à exigences élevées et ceux de la filière à exigences moyennes est significative.

Tableau 1: Repérage de la suite du verbe (résultats à l’ensemble de l’épreuve)

∑11 (en %) FEM12 (en %) FEE13 (en %)

Réponse correcte 61 52 70

3.1. Le repérage de la suite du verbe dans les phrases P

a) Les phrases P «canoniques»

Nous distinguerons un premier groupe de phrases P. Il s’agit des phrases P que nous qualifierons de «canoniques». Ce sont soit des phrases minimales (GNS + [V + SV]) soit des phrases P comprenant en plus un groupe permutable à gauche de la phrase (G PERM + GNS + [V + SV]). Nous les appelons «canoniques» parce qu’elles correspondent aux cas de figure les plus souvent rencontrés par les élèves lorsqu’ils ont affaire à des phrases P dans leurs brochures, et aussi parce que la suite du verbe n’est suivie par aucun autre élément.

Par ailleurs, nous avons distingué les suites du verbe prépositionnelles (Ex.: Ma petite sœur croit à l’existence des fantômes) des suites du verbe non prépositionnelles (Ex.: Ces femmes sont sportives). Nous faisions l’hypothèse que cette différence pouvait avoir une incidence sur les réponses des élèves. Or, nos résultats ont montré qu’il n’y avait pas de différence dans les réponses des élèves dans ces deux situations. En effet, dans les deux cas, les pourcentages de réponses correctes oscillent entre 96 et 99%.

Le repérage de la suite du verbe ne pose donc ici aucun problème. Ces résultats ne sont guère surprenants dans la mesure où une étude menée à Genève (Kilcher-Hagedorn et al., 1987) montre que le repérage de la suite du verbe non prépositionnelle est maîtrisé dès la 2P par plus de 90% des élèves.

11 Ce symbole représente l’ensemble des élèves qui ont passé cette épreuve.

12 FEM = Filière à exigences moyennes

13 FEE = Filière à exigences élevées

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18 La terminologie grammaticale à l’école

b) Les phrases P «non minimales»

Il s’agit ici toujours de phrases P, mais dont la structure est plus complexe que celle des phrases canoniques ou, tout au moins, susceptible de provoquer des réponses erronées chez certains élèves. En effet, la simple présence d’un groupe permutable à droite de la phrase ou d’un modificateur placé entre le verbe et la suite du verbe peut induire des réponses du type: la suite du verbe est tout ce qui vient à droite du verbe. Qu’en est-il en réalité?

Examinons tout d’abord le cas des phrases P comprenant un groupe permutable à droite.

1) Le groupe des phrases P: GNS + [V + SV] + G PERM. Il comprend trois items.

Ex.: La plupart des enfants mangent des tartines au petit déjeuner.

Tableau 2: Repérage de la suite du verbe dans des phrases P (GNS + [V + SV] + G PERM)

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 62 50 74

Soulignement trop long 26 36 16

Soulignement trop court -- -- --

Autres 7 10 5

Absence de soulignement 5 4 5

Le repérage de la suite du verbe dans ce type de phrases est mal maîtrisé, notamment en ce qui concerne les élèves de la filière à exigences moyennes (cf. tableau 2).

L’erreur dominante consiste à souligner la suite du verbe et le groupe permutable. On peut donc faire l’hypothèse que pour certains élèves la suite du verbe est tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe.

On retrouve des résultats analogues lorsqu’un modificateur vient s’intercaler entre le verbe et sa suite (cf. tableau 3 ci-dessous).

2) Le groupe des phrases P: GNS + [V + Modificateur en «-ment» + SV]. Il comprend deux items.

Ex.: Le conférencier a parlé longuement de l’histoire de la littérature.

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Daniel MARTIN 19

Tableau 3: Repérage de la suite du verbe dans des phrases P (GNS + [V + Modificateur en «-ment» + SV])

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 45 32 57

Soulignement trop long 53 66 41

Soulignement trop court -- -- --

Autres 1 2 1

Absence de soulignement -- -- --

Dans ce cas de figure, le repérage de la suite du verbe est mal maîtrisé, un bon nombre d’élèves soulignant le modificateur et la suite du verbe. Pour ces élèves, la suite du verbe semble correspondre à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe.

Cela dit, ces résultats nous interrogent. En effet, l’étude genevoise déjà citée (Kilcher-Hagedorn et al., 1987) montre que ce repérage est correct pour plus de 70% des élèves de 6P ayant suivi un enseignement rénové. Dès lors, comment expliquer qu’à peine 50% des élèves du canton de Vaud (non compris ceux de la filière à exigences élémentaires) réussissent ce genre d’items?

Tout d’abord, il faut relever que la consigne de notre épreuve était différente de celle donnée aux élèves genevois14.

De plus, le résultat des Genevois prend en compte un ensemble d’items dont la structure n’est pas toujours identique aux nôtres. En effet, sur huit items, il y a quatre phrases négatives, une interrogative et seulement trois phrases qui contiennent un modificateur intercalé entre le verbe et sa suite. Cela dit, nos résultats concernant le repérage de la suite du verbe dans des phrases négatives ou interrogatives (cf. ci-dessous) sont légèrement

14 Notre consigne était la suivante: «Dans les énoncés suivants, souligne la suite du verbe ou

ce qui correspond à la suite du verbe. Attention aux phrases transformées! Dans ce cas-là, la suite du verbe peut avoir été déplacée».

La consigne syntaxique donnée aux élèves genevois était la suivante: «Dans les phrases suivantes, on peut facilement trouver le sujet et le verbe. Il y a aussi des groupes de mots qu’on peut enlever, ajouter ou changer de place, en gardant quand même la phrase bien faite. Ce qu’on te demande de souligner, c’est le groupe de mots qui n’est ni le sujet ni le verbe, mais le groupe de mots qu’on ne peut pas enlever ou changer de place, si on veut garder la phrase bien faite».

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inférieurs à 70% et restent donc aussi en deçà des résultats des élèves genevois de 6P.

Si les deux points évoqués ci-dessus peuvent expliquer une partie des différences constatées entre Genève et Vaud, il nous semble que le rôle joué par ces deux facteurs est relativement mineur. Nous serions plutôt tenté de faire l’hypothèse que les activités faites par les élèves ainsi que la terminologie utilisée dans le canton de Vaud ont eu un effet important dans les réponses données par les élèves. Nous y reviendrons dans les conclu-sions de cet article.

3.2. Le repérage de la suite du verbe dans des phrases transformées

a) Les phrases transformées «simples»

Dans ce premier groupe de phrases transformées, nous incluons les négatives, les interrogatives et les exclamatives.

1) Le groupe des phrases négatives. Il comprend deux items.

Ex.: Le maître ne connaît pas l’heure du départ.

En ce qui concerne la forme négative, le tableau 4 montre que le repérage de la suite du verbe est relativement bien maîtrisé par les élèves de la filière à exigences élevées, alors que c’est loin d’être le cas pour ceux de la filière à exigences moyennes. L’erreur dominante est une nouvelle fois le soulignement de tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe.

Ex.: Le maître ne connaît pas l’heure du départ.

Tableau 4: Repérage de la suite du verbe dans des phrases négatives

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 67 54 79

Soulignement trop long 27 39 16

Soulignement trop court -- -- --

Autres 6 7 5

Absence de soulignement 1 1 --

2) Le groupe des phrases interrogatives. Il comprend deux items.

Ex.: Quels livres choisissez-vous?

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Le repérage des suites du verbe dans ces phrases pose encore des problèmes à un tiers des élèves (cf. tableau 5). L’erreur dominante est l’absence de soulignement. Tout se passe ici comme si les élèves qui donnent cette réponse considèrent que dans ce type de phrases il n’y a pas de suite du verbe.

Dans la mesure où il n’y a rien qui suit le groupe «choisissez-vous», on peut penser que pour ces élèves il ne peut y avoir de suite du verbe. Ce groupe composé du verbe et du sujet est peut-être considéré comme une entité «verbale», le tiret entre le verbe et le sujet renforçant cette interprétation. Si cette hypothèse était confirmée, cela montrerait que les découpages de la phrase effectués par les élèves ne correspondent pas nécessairement à ceux proposés par le modèle grammatical de référence.

Tableau 5: Repérage de la suite du verbe dans des phrases interrogatives

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 67 57 77

Soulignement trop long 3 4 1

Soulignement trop court 7 5 8

Autres 1 2 --

Absence de soulignement 23 33 13

3) Le groupe des phrases exclamatives. Il comprend deux items.

Ex.: Que d’argent Léon a perdu au casino!

Le repérage des suites du verbe dans ces phrases pose encore des problèmes à plus de la moitié des élèves (cf. tableau 6). L’erreur dominante consiste à souligner le groupe permutable qui vient immédiatement à droite du verbe (Que d’argent Léon a perdu au casino!).

On constate également que près de 10% des élèves soulignent une partie de la suite du verbe (Que d’argent Léon a perdu au casino!). Cette erreur est relativement bénigne et on pourrait même considérer cette réponse comme correcte.

Cela dit, un tiers des élèves fonctionnent comme si la suite du verbe devait nécessairement contenir un groupe nominal et se situer immédiatement à droite du verbe.

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Tableau 6: Repérage de la suite du verbe dans des exclamatives

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 45 31 58

Soulignement du Gr perm. 34 50 19

Soulignement trop long 5 5 6

Soulignement trop court 9 4 13

Autres 4 7 1

Absence de soulignement 3 4 3

b) Les phrases transformées «complexes»

Dans ce groupe de phrases, nous avons distingué deux cas de figure:

– le cas des phrases P enchâssées à la fin de la phrase matrice (dans notre épreuve, il ne s’agit que de phrases enchâssées en position de suite du verbe; il n’y a donc pas de phrases P enchâssées à la fin de la phrase matrice en position de suite du nom). Pour les items de ce type, nous avons demandé aux élèves de souligner la suite du verbe de la phrase matrice ;

– le cas des phrases P enchâssées à l’intérieur de la phrase matrice. Pour les items de ce type, nous avons demandé aux élèves de souligner la suite du verbe de la phrase enchâssée.

1) Le groupe des phrases P enchâssées à la fin de la phrase matrice. Il comprend quatre items.

Nous avons distingué deux cas de figure selon que le verbe de la phrase P enchâssée est à une forme personnelle ou à l’infinitif. Nous ne présenterons ici que le premier cas.

Ex.: John prétend15 que la lecture de ce livre est ennuyeuse.

La maîtrise de ce genre de problème est bonne chez la plupart des élèves (cf. tableau 7). La seule erreur significative à signaler consiste à souligner une partie de la suite du verbe généralement en omettant le groupe verbal de la phrase enchâssée (Ex.: John prétend que la lecture de ce livre est ennuyeuse.).

15 La consigne précisait aux élèves qu’il fallait chercher la suite du verbe de la phrase

matrice et non pas celle de la phrase enchâssée.

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Tableau 7: Repérage des phrases P complément du verbe, enchâssées à la fin de la phrase matrice (avec le verbe à une forme personnelle)

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 89 84 95

Soulignement trop long -- -- --

Soulignement trop court 9 13 5

Autres 1 2 --

Absence de soulignement 1 1 --

2) Le groupe des phrases P enchâssées à l’intérieur de la phrase matrice. Il comprend 4 items.

Il s’agit ici pour les élèves de repérer la suite du verbe de la phrase enchâssée et non plus la suite du verbe de la phrase matrice.

Nous avons distingué deux cas de figure. Les relatives en «qui» et les relatives en «que».

Ex.: Ces enfants qui jouent à l’élastique sont de vrais champions. Ex.: Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes.

A chaque fois, il était bien précisé qu’il s’agissait de repérer la suite du verbe de la phrase enchâssée.

2a) Le groupe des relatives en «qui», enchâssées à l’intérieur de la phrase matrice.

Ce repérage est maîtrisé par la moitié des élèves et seuls deux élèves de la filière à exigences moyennes sur cinq répondent correctement à cette ques-tion (cf. tableau 8).

Les erreurs commises par les élèves apportent des informations intéres-santes sur leur raisonnement. On constate, en effet, que trois erreurs do-minent:

– souligner tout ce qui vient à droite du verbe (Ces enfants qui jouent à l’élastique sont de vrais champions); cette erreur est commise par 32%16 des élèves;

16 Ce pourcentage ainsi que les deux suivants n’apparaissent pas dans le tableau 8.

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– souligner le groupe verbal de la phrase enchâssante (Ces enfants qui jouent à l’élastique sont de vrais champions); cette erreur est commise par 6% des élèves;

– souligner la suite du verbe de la phrase enchâssante (Ces enfants qui jouent à l’élastique sont de vrais champions); cette erreur est commise par 6% des élèves.

En fait, une erreur domine très nettement, celle qui consiste à souligner tout ce qui vient à droite du verbe.

Tableau 8: Repérage de la suite du verbe dans des relatives en «qui», enchâssées à l’intérieur de la phrase matrice

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 48 38 58

Soulignement trop long 31 38 26

Soulignement trop court -- -- --

Autres 20 24 16

Absence de soulignement 1 1 --

2b) Le groupe des relatives en «que», enchâssées à l’intérieur de la phrase.matrice

Seuls 2% des élèves donnent une réponse correcte (cf. tableau 9). Le repérage de la suite du verbe dans ce type de phrases pose donc de grosses difficultés aux élèves. Cela dit, on peut considérer que l’erreur consistant à souligner l’antécédent (Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes) est relativement bénigne. A la rigueur, on pourrait même considérer cette réponse comme correcte, faisant ainsi monter le pourcentage de bonnes réponses à 35%. Même en procédant ainsi, il n’en demeure pas moins que le pourcentage de réponses erronées reste encore très élevé.

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Tableau 9: Repérage de la suite du verbe dans des relatives en «que», enchâssées à l’intérieur de la phrase matrice

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 2 1 4

Soulignement trop long 36 46 26

Soulignement trop court -- -- --

Soulignement antécédent 33 20 45

Autres 27 31 23

Absence de soulignement 2 1 3

Une analyse plus détaillée des erreurs mérite d’être faite vu la structure différente des deux phrases qui composent ce groupe. Dans un cas (Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes), le groupe nominal sujet de la phrase enchâssée précède le groupe verbal alors que dans l’autre cas (Les explications que donnaient les passants étaient fausses) on a une inversion de ces deux groupes.

Il est intéressant de constater que la nature des erreurs commises par les élèves diffère en fonction de cette inversion.

En effet, pour la phrase «Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes» quatre erreurs dominent:

1) 37% des élèves soulignent l’antécédent (Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes);

2) 38% des élèves soulignent le groupe verbal de la phrase enchâssante ce qui correspond en fait à tout ce qui vient à droite du verbe (Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes);

3) 10% des élèves soulignent la suite du verbe de la phrase enchâssante (Les tableaux que le peintre a vendus sont superbes);

4) 4% des élèves ne soulignent rien.

Pour la phrase «Les explications que donnaient les passants étaient fausses», la situation est quelque peu différente. Cinq erreurs dominent:

1) 27% des élèves soulignent l’antécédent (Les explications que donnaient les passants étaient fausses);

2) 34% des élèves soulignent tout ce qui vient à droite du verbe (Les explications que donnaient les passants étaient fausses);

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3) 21% des élèves soulignent le groupe nominal sujet de la phrase enchâssée (Les explications que donnaient les passants étaient fausses);

4) 3% des élèves soulignent le groupe verbal de la phrase enchâssante (Les explications que donnaient les passants étaient fausses);

5) 4% des élèves soulignent la suite du verbe de la phrase enchâssante (Les explications que donnaient les passants étaient fausses).

Relevons que le pourcentage de réponses correctes est quasiment le même pour les deux phrases (2% pour la première contre 3% pour la seconde). Ce qui distingue ces deux profils de réponses, c’est principalement le fait qu’un cinquième des élèves soulignent le groupe nominal sujet dans la deuxième phrase, alors que cette erreur est pratiquement absente pour la première phrase.

Il suffit donc qu’un groupe nominal suive le verbe pour que 21% des élèves le considèrent comme une suite du verbe. Une fois de plus, la prégnance d’une analyse grammaticale linéaire apparaît, ainsi qu’une interprétation au pied de la lettre du terme «suite». Tout se passe comme si la suite du verbe devait nécessairement être un groupe nominal et suivre le verbe.

c) Les phrases contenant un pronom

Nous avons distingué deux groupes de phrases contenant un pronom.

D’une part, les phrases contenant un pronom dont le verbe n’est suivi d’aucun élément.

Ex.: Ces livres nous passionnent.

D’autre part, les phrases contenant un pronom dont le verbe est suivi par un groupe permutable.

Ex.: Vos clients vous ont appelés la semaine dernière.

1) Le groupe des phrases contenant un pronom dont le verbe n’est suivi d’aucun élément. Il comprend deux items.

Ex.: Ces livres nous passionnent.

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Tableau 10: Repérage de la suite du verbe dans des phrases contenant un pronom dont le verbe n’est suivi d’aucun élément

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 46 28 63

Soulignement trop long (SV + V) 3 3 2

Soulignement du GNS 11 15 7

Autres 2 1 2

Absence de soulignement 39 53 26

Le repérage de ce type de suite est très mal maîtrisé par les élèves, en particulier ceux de la filière à exigences moyennes (cf. tableau 10). L’erreur dominante consiste à ne rien souligner. Tout se passe ici comme si la suite du verbe devait nécessairement suivre le verbe.

Relevons encore qu’un pourcentage non négligeable d’élèves soulignent le sujet de la phrase. C’est probablement l’indice que, pour ces élèves, la suite du verbe doit nécessairement être un groupe nominal.

Nous avons repris dans notre recherche l’un des items utilisés dans l’étude de Kilcher-Hagedorn (Kilcher-Hagedorn et al., 1987). Il s’agit de la phrase «Ce livre nous passionne» que nous avons reprise en la mettant simplement au pluriel. Dans l’étude genevoise il apparaît qu’environ 15% des élèves de 6P ayant suivi un enseignement rénové donnent une réponse correcte. On constate donc une différence notable entre les élèves genevois de 6P et ceux de début de 8e du canton de Vaud.

Toutefois, ce constat de progression doit être tempéré dans la mesure où l’échantillon genevois est issu de classes hétérogènes alors que l’échantillon vaudois ne comprend pas d’élèves de la filière à exigences élémentaires.

2) Le groupe des phrases contenant un pronom dont le verbe est suivi par un groupe permutable. Il comprend deux items.

Ex.: Vos clients vous ont appelés la semaine dernière.

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28 La terminologie grammaticale à l’école

Tableau 11: Repérage de la suite du verbe dans des phrases contenant un pronom dont le verbe est suivi par un groupe permutable

∑ (en %) FEM (en %) FEE (en %)

Réponse correcte 41 22 60

Soulignement du GNS 8 10 7

Soulignement du Gr. Perm. 25 40 10

Autres 3 3 3

Absence de soulignement 23 25 20

Ici aussi le repérage de ce type de suite du verbe est mal maîtrisé, en particulier dans la filière à exigences moyennes (cf. tableau 11). Deux erreurs dominent: ne rien souligner ou souligner le groupe permutable qui suit le verbe.

En comparant les deux tableaux ci-dessus, on constate que, si le pourcentage de réponses correctes est assez semblable, par contre la nature des erreurs commises par les élèves peut varier suivant le type de phrases contenant un pronom. Ceci montre une fois de plus à quel point un changement apparemment anodin dans la structure d’une phrase peut modifier les réponses de certains élèves.

4. Analyse typologique

Nous avons également procédé à une analyse typologique de nos résultats afin de mettre en évidence des profils de réponses particuliers et, par conséquent, des types d’élèves. Nous avons retenu trois groupes.

Description du groupe 1

Les élèves de ce groupe maîtrisent bien les 4/5 des groupes d’items de notre épreuve. Ils rencontrent encore des difficultés à repérer la suite du verbe dans les phrases contenant un pronom et dans les relatives en «que». Ces élèves maîtrisent donc bien tous les items sauf dans les cas où la suite du verbe est un pronom.

Description du groupe 2

Les élèves de ce groupe maîtrisent bien les 3/5 des groupes d’items de notre épreuve. Ils ont encore des difficultés à repérer la suite du verbe dans les phrases exclamatives, les relatives en «que» et en «qui» et dans les phrases où un modificateur est placé entre le verbe et sa suite. Ces élèves

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sont relativement proches du premier groupe. Ils maîtrisent comme eux le repérage de la suite du verbe dans les phrases P, les phrases négatives, les interrogatives et les subordonnées en position de suite du verbe. De plus ils maîtrisent également ce repérage dans les phrases contenant un pronom.

Si ces élèves maîtrisent bien le repérage de la suite du verbe dans les phrases P, ils ont encore des difficultés partielles dans certains domai-nes. En effet, ils ne maîtrisent qu’en partie les cas où:

– un élément (modificateur) vient s’insérer entre le verbe et sa suite;

– la suite du verbe est dans une phrase transformée «simple» (cf. les exclamatives);

– la suite du verbe est un pronom relatif.

Description du groupe 3

Les élèves de ce groupe maîtrisent 1/5 des groupes d’items de notre épreuve. Ils ne repèrent bien la suite du verbe que dans les phrases P «canoniques» et les phrases P enchâssées à la fin de la phrase matrice. En bref, ces élèves ne maîtrisent que les cas où la suite du verbe correspond à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe.

Répartition des groupes en fonction des filières

Comment ces profils se répartissent dans les deux filières que nous avons retenues? Plus de 80% des élèves de la filière à exigences élevées se répartissent dans les groupes 1 et 2 et maîtrisent donc une bonne part des différents cas de figure proposés dans notre épreuve. Cependant, 20% d’entre eux ont encore une représentation très rudimentaire de la suite du verbe (cf. graphique 1).

Groupe 1

Groupe 2

Groupe 3

Graphique 1: Répartition des gro upes dans la FEE19%

33%

48%

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Les élèves de la filière à exigences moyennes fournissent en quelque sorte un portrait en négatif des élèves de la filière à exigences élevées. En effet, environ 40% d’entre eux maîtrisent une bonne part des items proposés dans notre épreuve, alors que plus de 60% considèrent encore que la suite du verbe correspond à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe (cf. graphique 2).

Groupe 1

Groupe 2

Groupe 3

Graphique 2: Répartition des gro upes dans la FEM

22%

16%

62%

5. Conclusion

Au terme de cette présentation, il apparaît que le repérage de la suite du verbe est mal maîtrisé par les élèves en début de 8e année.

Seules les phrases où la suite du verbe vient immédiatement à droite du verbe sont réussies par pratiquement tous les élèves. Par ailleurs, ce type de repérage pose encore de gros problèmes et, pour bon nombre d’élèves, la suite du verbe correspond à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe.

Un tel constat peut s’expliquer de différentes manières:

– la terminologie retenue induit chez bon nombre d’élèves l’idée que la suite du verbe doit nécessairement suivre immédiatement le verbe;

– les exercices proposés aux élèves ne font que renforcer cette tendance dans la mesure où la plupart d’entre eux sont composés de phrases «canoniques» (Ex.: GNS + [V + SV]) dont la suite du verbe corres-pond à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe;

– les ateliers décrits dans les notes méthodologiques et traitant de la suite du verbe ont le même défaut que les exercices. En effet, ils font travailler les élèves sur des phrases, ou des bouts de phrases, dans lesquelles la suite du verbe est pratiquement toujours tout ce qui vient

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immédiatement à droite du verbe. Les exercices et les ateliers sont donc trop simples et ne permettent pas aux élèves d’être véritablement confrontés aux problèmes que peut poser le repérage de la suite du verbe dans un contexte complexe.

Ces résultats nous amènent à faire quelques propositions pour tenter de remédier aux défauts de la méthode et d’améliorer les performances des élèves.

Nous partons du principe que les élèves construisent leur propre grammaire en fonction à la fois de l’enseignement auquel ils ont été confrontés, des problèmes qu’ils ont eu à résoudre et de leurs propres représentations de la langue qui préexistent à tout enseignement.

Dans ce cadre, quelles peuvent être les lignes directrices d’un enseignement efficace de la grammaire et d’une pédagogie qui considère que le savoir est avant tout construit, élaboré par l’élève?

Nous en distinguerons au moins quatre:

a) faire manipuler, transformer des phrases par les élèves; ces phrases ne doivent pas avoir la même structure afin de permettre des comparai-sons à partir desquelles des constats pertinents pourront être tirés;

b) amener les élèves à réfléchir sur leur conception grammaticale et à en tester la validité; il s’agit donc ici d’instaurer un travail métacognitif de réflexion de l’élève sur sa propre pensée (Doudin, Martin & Albanese, 1999) afin de modifier si nécessaire les représentations qu’il se fait du fonctionnement de la langue;

c) instaurer une pédagogie centrée sur l’erreur en rendant particulière-ment attentifs les maîtres aux connaissances erronées que peuvent construire leurs élèves afin d’intervenir pour les éliminer;

d) différencier l’enseignement en fonction des compétences très variables des élèves d’une même classe.

En résumé, il s’agit de mettre l’élève en situation de résolution de problèmes où maître, élève et objet de connaissance sont pris dans un jeu d’interactions suffisament riches pour stimuler la construction du savoir (Doudin & Martin, 1999). Un tel travail devrait essentiellement se faire dans les ateliers et les exercices. Voyons concrètement ce que cela peut vouloir signifier.

1) Par exemple, on peut imaginer des ateliers où les élèves ne seraient plus confrontés uniquement à des phrases ayant la même structure, comme c’est le cas dans la plupart des ateliers proposés dans les notes

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méthodologiques. Ainsi, dans l’atelier sur le groupe verbal proposé en 3e année primaire (Besson et al., p. 372-377), on fait travailler les élèves uniquement sur des phrases du type GNS + [V + SV]. En procédant ainsi, on risque d’induire chez les élèves l’idée que la suite du verbe correspond toujours à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe, alors que, dans la phrase P, on peut très bien avoir un groupe permutable qui suit la suite du verbe.

Dès lors, le travail du maître devrait avoir comme objectif la déstabilisation de ces représentations trop rigides et leur remplacement par des propriétés plus en accord avec les concepts grammaticaux qui font l’objet de l’enseignement. En effet si l’on n’intervient pas régulièrement et de manière ciblée dans ce sens, l’un des dangers est la «fossilisation des représentations métalinguistiques» erronées des élèves (Trévise, 1994, p. 178).

Nous posons comme postulat que les règles de fonctionnement de la langue sont construites par les élèves lors d’activités de comparaison permettant de mettre en évidence les ressemblances et les différences qui peuvent exister entre les objets (les phrases, par exemple) qu’il s’agit d’analyser, d’étudier.

Par conséquent, si l’on veut stimuler chez les élèves les activités de comparaison et les processus d’abstraction, il serait bien plus profitable de leur donner des phrases dont la structure n’est pas la même (GNS + [V + SV]; GNS + [V + SV] + G PERM; GNS + V + G PERM + SV; etc.).

En procédant ainsi, l’élaboration de constats corrects et la prise de conscience de leurs limites d’application auraient davantage de chances de se réaliser. De même, les obstacles qui entravent le processus de construction des connaissances ainsi que les difficultés spécifiques à l’acquisition de chaque notion pourraient être thématisés et surmontés.

2) Une analyse tout à fait analogue pourrait être faite pour les exercices. En effet, la très grande majorité des exercices proposés aux élèves lorsqu’ils étudient la suite du verbe ne présentent que des phrases P minimales sans qu’il y ait, par exemple, un modificateur intercalé entre le verbe et sa suite. Cela ne peut que renforcer l’idée que la suite du verbe correspond à tout ce qui vient immédiatement à droite du verbe.

3) Par ailleurs, une révision de la terminologie grammaticale utilisée actuellement semble également nécessaire. Les données que nous

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avons analysées nous ont permis de montrer à quel point la terminologie «vaudoise» n’est pas des plus pertinentes sur un plan pédagogique.

Dès le début de l’enseignement grammatical, il nous semble néces-saire de remplacer «suite» par «complément» afin de contrecarrer la tendance des élèves à prendre cette terminologie au pied de la lettre.

4) Enfin, le recours à une pédagogie différenciée s’avère nécessaire si l’on fixe comme objectif que les élèves maîtrisent l’essentiel du programme. Pour ce faire, le travail en groupes, la mise en œuvre d’une pédagogie interactive et l’analyse des erreurs des élèves sont des passages obligés.

Les problèmes soulevés par nos résultats sont, pour une bonne part, le fruit de la logique applicationniste qui a été le moteur de la rénovation de l’enseignement du français aussi bien en France qu’en Suisse romande. Ainsi, «on a tenté de substituer à certains savoirs désuets, d’autres savoirs, plus proches des savoirs contemporains, et on a essayé d’appliquer ces savoirs à des problèmes grammaticaux» (Halté, 1992, p. 48). En procédant de cette manière on a cru qu’il suffisait d’importer dans l’enseignement des savoirs plus corrects au plan scientifique pour que l’acquisition de ces savoirs et la maîtrise de la langue en soient facilitées. Nos résultats montrent que les choses ne sont pas si simples dans la mesure où la logique applicationniste sous-estime fortement les «effets des variables liées à l’appropriation et à l’intervention didactiques» (Halté, 1992, p. 48).

De ce point de vue, il est intéressant de noter que la didactique des langues étrangères a déjà, depuis de nombreuses années, réfléchi à cette problématique. En particulier, Besse & Porquier (1984, p. 179) notent qu’«on en est rapidement venu, vers la fin des années 1960, à percevoir la nécessité de prendre en compte les dimensions psychologiques de l’apprentissage et à s’interroger non seulement sur le ‘quoi enseigner’ et le ‘comment enseigner’, mais aussi davantage sur le ‘comment apprend-on?’». Certains des résultats présentés dans ce travail nous fournissent quelques indications sur ce dernier aspect et montrent qu’en ce qui concerne les contenus et les modalités d’enseignement il faut tenir compte de la façon dont l’élève structure son savoir.

Par ailleurs, les mêmes auteurs distinguent les grammaires pédago-giques des grammaires d’apprentissage. Les premières sont celles qui sont l’objet de l’enseignement. Elles s’inspirent plus ou moins forte-

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34 La terminologie grammaticale à l’école

ment des grammaires descriptives ou scientifiques élaborées par les linguistes mais n’en sont pas un simple double. Les secondes sont celles qui sont construites par les élèves. «La connaissance […] des apprenants, à un stade quelconque, peut être appelée grammaire d’apprentissage» (op. cit., p. 185-186). Les difficultés d’apprentissage se marquent dans la distance entre ces deux types de grammaires et «révèlent les limites intrinsèques de la transposition à l’enseignement des descriptions grammaticales» (op. cit., p. 195). Nos données montrent que cette distance peut être parfois grande et que, pour la réduire, il est nécessaire de modifier partiellement les modèles et les pratiques d’enseignement de la grammaire.

Cela étant posé, on pourrait élargir le débat en se demandant si l’enseignement de la grammaire est utile ou non (Bronckart & Besson, 1988) ou tout au moins si la place qu’on lui accorde actuellement n’est pas trop grande, en posant comme principe que la poursuite de la rénovation de l’enseignement du français doit passer par un allège-ment des programmes en ce domaine afin de libérer du temps pour l’expression orale et écrite. Rien ne prouve en effet que l’étude de la grammaire ait des retombées positives dans ces deux domaines ou, tout au moins, que les dividendes sont à la mesure de l’investissement fourni!

Bibliographie

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Daniel MARTIN 35

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 37-54

Histoire d’une transposition didactique: les «Types de phrase»

Alain BERRENDONNER Université de Fribourg

The notion of «sentence type» was borrowed from the linguistic research and brought into school grammar in the 1970’s. The article relates the history of this didactic transposition that is taken as a typical example of processes by which school grammar gains its contents and its terminology.

1. Introduction

1.1. Au nombre des vérités grammaticales officielles dont l’école fait actuellement bénéficier tous les petits Français (et quelques autres), il y a la doctrine des types de phrase. Elle stipule que les phrases de la langue se classent selon un ensemble déterminé de types syntaxiques, les uns obligatoires et mutuellement exclusifs (déclaratif / interrogatif / impératif / exclamatif), les autres facultatifs et cumulables (affirmatif vs négatif; emphatique vs neutre; actif vs passif). C’est l’histoire de ce topos terminologique et doctrinal, ainsi que de son entrée récente dans la grammaire scolaire, que je voudrais retracer sommairement ici. Elle me paraît en effet illustrer de façon exemplaire les conditions dans lesquelles sont produits, validés et officialisés la plupart des «objets grammaticaux» enseignés à l’école.

1.2. La notion de types de phrase est un produit intellectuel des plus récents. Jusqu’aux années 1960, on n’en trouve aucune trace dans les manuels scolaires. Ceux-ci se contentent, tout au plus, d’évoquer l’opposition actif / passif en termes de voix dans le tableau de la conjugaison verbale, et parfois de mentionner la segmentation (= «emphase») au nombre des procédés de style ou de rhétorique recommandables pour des raisons d’expressivité. Mais ces manuels ne comprennent jamais de chapitre consacré à une description synoptique des structures de phrase. Lorsque ses premières formulations apparaissent dans les livres de classe au début des années 1970, la théorie des types de P fait donc figure d’innovation ex nihilo, qui ne s’enracine dans aucune tradition didactique préexistante. C’est au contraire un pur produit des spéculations de certains linguistes de l’époque, qui s’est trouvé brusquement importé

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dans la grammaire scolaire. On a donc affaire à un cas prototypique de transposition didactique, processus par lequel un savoir scientifique (ou produit comme tel) se trouve réénoncé en tant que contenu d’enseignement, sous une forme éventuellement vulgarisée. Voyons en détail comment s’est opérée cette transposition-ci, en profitant de ce que les gens de ma génération, qui en ont été contemporains, en gardent un souvenir encore précis.

2. Acte premier: le modèle de référence

2.1. Nous sommes en 1970. La scène est à Paris, chez les linguistes. Deux d’entre eux, Dubois (Jean) & Dubois-Charlier (Françoise), publient cette année-là un livre intitulé Eléments de linguistique française: syntaxe (Larousse). Destiné au public scientifique (pairs, étudiants, chercheurs), cet ouvrage présente une description syntaxique générale de la phrase française. Le cadre théorique adopté est celui de la grammaire générative transformationnelle de Chomsky, version standard («Aspects...»).

2.2. Les auteurs empruntent notamment à cette théorie un des procédés de modélisation qu’elle induit: l’usage de constituants abstraits. Il consiste à inclure dans la structure profonde de certaines phrases des constituants fictifs, dépourvus de réalisation lexicale, dont la présence a pour seul effet de déclencher en aval une série de transformations obligatoires. Cet artifice permet de figurer en structure profonde sous la forme d’un simple segment tout un dispositif morpho-syntaxique superficiel (ordre des mots particulier + outils grammaticaux spécifiques + schéma prosodique), qui en est dérivé par des règles expresses (réécritures et transformations). Il permet en outre d’imputer au dit segment un signifié propre, qui est censé représenter la valeur oppositive du dispositif entier. Appliquée aux principales tournures de phrase françaises, cette technique conduit D. & D.-C. à proposer le modèle suivant:

(1) Nous avons défini au chapitre II la phrase de base comme formée d’un constituant de phrase (abréviation Const) et du noyau (abréviation P):

Const + P

La règle de réécriture du constituant de phrase est la suivante:

Affir Const Inter + (Nég) + (Emph) + (Passif) Imp

Cette formule signifie que le constituant de phrase Const est formé d’un élément obligatoire qui est soit Affir (abréviation de Affirmation), soit Inter (abréviation de Interrogation) ou Imp (abréviation de Impératif) et de constituants facultatifs qui

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sont Nég (abréviation de Négation), Emph (abréviation de Emphase) et Passif... [1970: 133]

Au niveau superficiel, la présence de Inter entraîne une «inversion complexe»; celle de Imp, l’effacement du sujet et la flexion du verbe au mode impératif; celle de Nég, l’ajout des segments ne...pas. Emph provoque le détachement d’un syntagme en position frontale, avec reprise pronominale; et Passif est à la source de la construction passive en être avec SP complément d’agent. Ce qu’illustrent p. ex. les dérivations suivantes [p. 138]:

(2) Inter Emph Pass [Pierre lit le journal] Le journal, est-il lu par Pierre?

(3) Imp Nég Emph Pass [Cette histoire émouvoir toi] Toi, ne sois pas ému par cette histoire.

2.3. Ce modèle est représentatif d’un moment de la recherche, et doit être évalué comme tel. Il reflète l’état standard des connaissances empiriques en 1970, utilise les moyens de généralisation les plus puissants connus à l’époque (transformations), et remplit, en usant de règles formalisées, les conditions pour que sa consistance soit contrôlable. C’est donc une construction non dépourvue de qualités scientifiques, qui se montre à la hauteur des problématiques et des exigences du temps. Au reste, il présente, pour cette raison même, trois caractéristiques remarquables:

2.4. D’une part, il comporte un fort degré d’abstraction. Pour parvenir à un effet de taxinomie régulière, il attribue aux énoncés des représentations partiellement arbitraires et contre-intuitives, assez éloignées du donné grammatical concrètement observable (cf. ex. 2 et 3). Cela tient évidem-ment à l’architecture transformationnelle de la grammaire, dont le principe est de ramener toutes les constructions attestées à un petit nombre de régularités structurales sous-jacentes. Mais cela est dû aussi au modèle lui-même, à son option morphologiste, et à la façon dont les constituants abstraits qu’il postule sont ensuite spécifiés et instanciés en matériaux morpho-syntaxiques superficiels. Inter, p. ex., reçoit pour réalisation concrète une copie du SN sujet de la P [p. 209 sqq]. C’est évidemment là une base de départ utile pour engendrer matériellement des inversions complexes du type Pierre dort-il?, qui se caractérisent apparemment par la cooccurrence de deux sujets, l’un nominal, l’autre pronominal. Mais ce traitement revient à considérer que la marque de l’interrogation, en français, est le dédoublement du SN sujet, ce qui, on l’avouera, paraît assez peu conforme à l’intuition syntaxique immédiate.

2.5. La grammaire considérée apparaît ensuite comme un modèle mécaniste. Je veux dire par là qu’elle se soucie avant tout de décrire chaque

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énoncé en tant que structure formelle, mais ne s’attache guère à décrire les fonctions oppositives dont sont investies les constructions énumérées, sinon de façon extrêmement sommaire1. Ainsi, p. ex., le modèle permet d’engendrer des phrases interro-négatives (Pierre n’est-il pas venu?), mais ne dit pas un mot [p. 209] de la valeur sémantique originale qui s’y attache (attente de réponse positive), ni de la façon dont cet effet de sens est produit par la composition syntaxique de l’énoncé. De même, le constituant Emph sert à rendre compte de l’existence des «phrases segmentées» du type Antoine, il aime Cléopâtre, et de leur disposition syntaxique originale. Mais la seule caractérisation fonctionnelle qui en est donnée tient tout entière dans la notion d’«emphase», identifiée à celle de topicalisation2. Cette notion n’est cependant pas définie davantage, ni située oppositivement dans le paradigme des divers procédés de mise en relief de l’information. En particulier, la valeur de la segmentation n’est pas contrastée avec celle de la structure concurrente dite «clivée»: C’est Antoine qui aime Cléopâtre3. Le modèle donne ainsi à croire qu’il n’y a pas d’autre mode syntaxique de mise en relief que le détachement [p. 184], et ne traite pas comme faisant système les marquages différenciés du thème et du rhème (topicalisation vs focalisation). On trouverait une autre trace de la même attitude mécaniste dans le traitement du passif, qui prévoit la transposition automatique du SN sujet en complément d’agent [p. 156], sans égard au fait, pourtant bien connu depuis Tesnière, que la diathèse passive est «récessive», c’est-à-dire sert avant tout à ne pas exprimer l’agent parmi les arguments du verbe.

2.6. Enfin, le modèle de D. & D.-C. a la particularité d’être aisément falsifiable. Pour des raisons de cohérence formelle, d’une part: il fait appel pour réécrire les constituants de phrase à des règles de réécriture dépendantes du contexte qu’il semble impossible de formuler rigoureuse-ment avec toute la généralité souhaitable4. Pour des raisons empiriques

1 C’est là une conséquence du postulat Chomskyen de l’autonomie de la syntaxe.

2 Cf. p. 184: le constituant Emph topicalise le syntagme sur lequel porte l’emphase et qui est ainsi devenu, sans que les rapports grammaticaux soient modifiés, le topique de la phrase. Mais comme le constituant Affir topicalise le SN sujet de la P, la phrase emphatique affirmative se présente comme une phrase réalisée à double topique.

3 Vu la présence d’un que, cette structure est traitée comme un banal cas de subordination par enchâssement [p. 184].

4 P. ex. la règle [p. 179] qui réécrit Emph en SN, SA ou SP n’est pas indépendante du contexte: la réécriture dépend en fait de la nature du syntagme que l’on veut emphatiser (et qu’il s’agit, tout simplement, de dédoubler). La règle devrait donc spécifier qu’un syntagme de type SN, SP ou SA doit se trouver quelque part dans le noyau de phrase P, et dire où. Vu la diversité des structures que peut prendre P, je ne vois pas comment il serait

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d’autre part: il se trouve p. ex. incapable d’engendrer les structures de P «impersonnelles» du type Il est arrivé un accident. On voit bien pourquoi: la structure impersonnelle se comporte comme un type facultatif, librement combinable avec Affirm et Inter. Mais elle est malheureusement incompatible avec Imp. Elle ne peut donc trouver place dans la taxinomie postulée, ni à titre de type obligatoire, ni à titre de type facultatif. Le modèle laisse le choix entre engendrer les phrases impératives ou les phrases impersonnelles, mais ne permet pas d’engendrer les deux à la fois.

2.7. Au total, les qualités intrinsèques du modèle D. & D.-C. ne semblaient donc guère le prédestiner à des usages didactiques. Répertoriant des structures syntaxiques sans rien dire d’utile à propos de leurs fonctionnalités, il n’offre pas une base opportune pour en enseigner efficacement les modes d’emploi. Les représentations abstraites qu’il exhibe risquent de heurter l’intuition grammaticale spontanée de jeunes élèves, ou, dans le meilleur des cas, de n’y rencontrer aucun écho. Quant au tableau qu’il donne des types de P possibles, vu sa faible résistance à la falsification, on ne peut même pas le tenir pour un monument scientifique voué à faire longtemps autorité. Et pourtant...

3. Acte II. La transposition didactique

3.1. Et pourtant, entre 1970 et 1975, a été mise sur le marché toute une gamme d’ouvrages destinés au public de l’enseignement secondaire (manuels, livres du maître, films d’animation), qui reproduisent de manière isomorphe, sous des formulations à peine simplifiées, le modèle des types de phrase selon [Dubois & Dubois-Charlier 1970].

3.2. Cette conversion du produit de la recherche en contenu d’enseignement fut inspirée, pour autant qu’on puisse en juger, par deux motivations didactiques ayant partie liée. L’une est la promotion du chiffre d’affaires de la maison Larousse, éditrice de manuels scolaires. L’autre est l’intention d’enseigner des contenus grammaticaux qui revêtent un degré de scientificité plus élevé que par le passé. La page de publicité reproduite ici en annexe, et parue dans Le Monde du 07 novembre 1974, reflète bien, par les arguments qu’elle met en oeuvre, la nature de la démarche applicative effectuée. On y voit J. Dubois, linguiste et directeur de collections scientifiques chez Larousse, faire écho à l’imagerie dominante et rappeler que la linguistique, qui use de formalismes sophistiqués, s’est acquis par là

possible d’écrire «proprement» une telle règle. Le modèle apparaît donc en fait comme une grammaire pseudo-formelle: ça a la couleur de la formalisation, ça a le goût de la formalisation, mais c’est pas de la formalisation.

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d’incontestables titres de scientificité5. On y voit ensuite J. Dubois, directeur de collections scolaires chez Larousse, affirmer que les produits de la linguistique, si ardus et si abscons soient-ils, doivent être mis à la portée de chacun, et «touchent tout le monde par leurs applications pratiques». On y trouve enfin, conséquence éminemment logique, mention parallèle des Eléments de linguistique française de J. Dubois & F. Dubois-Charlier, et de leur dérivé vulgarisé: Comment s’initier à la linguistique; I: les types de phrase, par les mêmes, à destination des maîtres et futurs maîtres.

3.3. La transposition didactique opérée n’apparaît donc fondée ni sur un diagnostic préalable des besoins des élèves, ni sur une réflexion attentive concernant les objectifs assignables à l’enseignement grammatical. La seule logique qui l’inspire est celle de l’auto-qualification d’un produit conceptuel (et commercial) par son instance de production: les auteurs de la théorie des types de P, au nom de l’autorité que confère la science, posent en principe que la science, et donc la théorie des types de P, est une chose bonne à enseigner6. Ce genre de transposition n’a ni motivation ni finalité en dehors du contenu notionnel qui y donne matière: celui-ci est considéré comme une valeur en soi, dont il est par conséquent légitime de chercher à étendre l’audience (ou à élargir le marché).

4. Acte III: l’institutionnalisation

4.1. Le 22-07-1975, le Ministère de l’Education diffuse, à l’intention des professeurs de français des lycées et collèges, une circulaire (n° 75-250) intitulée Nomenclature officielle pour l’enseignement du français dans le second degré. Ce document affiche clairement des intentions normalisa-trices, voire répressives. Le corps enseignant ayant été après 1968 saisi d’une intense fièvre d’expériences pédagogiques et s’étant accoutumé à prendre des initiatives spontanées en matière de contenus grammaticaux, le but de la Nomenclature était de mettre fin à la prolifération terminologique et notionnelle ambiante, en opérant une sélection parmi les innovations apparues et en l’imposant comme doctrine minimale partout obligatoire7.

5 A cet égard, la théorie des types de P possède des attributs étincelants: son lieu de

production (la recherche linguistique universitaire), son inspiration américaine, son formalisme ésotérique, le caractère abstrait de ses représentations, sa virtuosité taxinomique, tout témoigne de son authentique scientificité.

6 Et cela, sans demander l’avis des usagers: maîtres et formateurs d’enseignants sont confinés au rôle de consommateurs passifs de la «scientificité».

7 Cf. le préambule: Depuis quelques décennies, les notions et dénominations de la terminologie traditionnelle ont été critiquées par des grammairiens et des linguistes qui

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Le choix opéré apparaît essentiellement opportuniste, i.e. dicté avant tout par le souci de sauvegarder la pax grammatica, et de trouver entre l’ancien et le moderne (affrontés dans l’idéologie du temps sous les figures de la «grammaire» et de la «linguistique») un compromis acceptable pour la moyenne du corps enseignant: ne sont intégrées que des innovations compatibles avec les cadres de pensée de la grammaire traditionnelle, et jouissant d’un certain degré de stéréotypie sociale.

4.2. C’est sans doute pourquoi on retrouve, au nombre des notions prescrites par la nomenclature, une version à peine allégée de la théorie des types de P:

(4) Selon les intentions de celui qui parle ou qui écrit, les phrases sont de type déclaratif, impératif, interrogatif, exclamatif. Chaque type de phrase peut se présenter sous la forme affirmative ou sous la forme négative8.

Cette légitimation administrative a eu deux effets: (a) généraliser à tout le territoire de la République l’enseignement des types de P, devenus un «objet grammatical» officiel; (b) susciter la production de toute une génération de manuels conformes, qui leur consacrent un chapitre liminaire. Utilisés aussi hors de France, ces manuels porteurs de la nouvelle doctrine l’ont semée sinon à tous vents, du moins dans une bonne partie de la francophonie. À titre d’exemple, voici ce que contient l’un d’entre eux, actuellement en usage dans certaines parties de la Suisse romande [A. Mauffrey, I. Cohen & A.-M. Lilti, Grammaire française 4e/3e, Hachette, 1983]:

ont multiplié, pour les remplacer, interprétations et formulations. Devant cette diversité, certains maîtres hésitent à s’engager dans la voie de l’innovation, tandis que d’autres, prenant parti, risquent de troubler les élèves qui, en changeant de classe, peuvent avoir à changer de doctrine et de vocabulaire. Etablie dans une perspective essentiellement pédagogique, la présente nomenclature a pour objet de choisir, parmi les acquis anciens et les apports nouveaux, ceux qui […] paraissent les mieux adaptés aux objectifs et aux moyens de l’enseignement du 2e degré, et d’en généraliser l’emploi à des fins de commodité et d’unité. Pour ces motifs […] il est nécessaire qu’elle soit communément suivie.

8 Cette concession à la modernité est compensée par une attitude traditionnelle envers le passif, qui continue à être rangé parmi les voix du verbe. Quant à l’emphase par segmentation, elle disparaît du paysage, vraisemblablement pour des raisons normatives (trop «français populaire»).

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(5) Les types de phrases

(A) Les types obligatoires

Selon la nature du message que l’on veut communiquer, une phrase est nécessairement: ou déclarative (on énonce quelque chose […]): Patrick range sa chambre. ou interrogative (on pose une question): Patrick range-t-il sa chambre? ou exclamative (on manifeste un sentiment ou une émotion): Comme Patrick range bien sa chambre! ou impérative (on donne un ordre): Range ta chambre. Aucune phrase ne peut être à la fois déclarative et interrogative, interrogative et exclamative, etc. Ces types obligatoires ne peuvent être cumulés entre eux. [p. 23]

(B) Les types facultatifs

En fonction de la nature du message que l’on veut communiquer, on peut associer au type obligatoire choisi (déclaratif, interrogatif, exclamatif, impératif) un ou plusieurs types facultatifs combinables entre eux: la forme négative (on nie quelque chose): Patrick ne range pas sa chambre. la forme emphatique ou mise en relief (on insiste sur un élément du message): C’est Patrick qui range sa chambre? (phrase interrogative et emphatique) et la forme passive (le sujet de l’actif devient agent): La chambre n’est pas rangée par Patrick. [p.30]

Comparée au «modèle de référence» dont elle dérive, cette version scolaire tardive présente plusieurs traits remarquables.

4.3. D’une part, on y constate la présence d’ajouts syncrétiques: les rubriques définies dans le modèle D. & D.-C. se trouvent augmentées de nouveaux éléments, qui n’y étaient pas inclus au départ. Au nombre des types obligatoires vient ainsi s’ajouter un type exclamatif, caractérisé (si l’on peut dire) par le fait que grammaticalement, il présente les formes les plus diverses [p. 25]. Le type emphatique, quant à lui, ne recouvre plus seulement la construction segmentée, mais pratiquement tous les dispositifs syntaxiques autres que la structure de P canonique «neutre» (inversion du sujet, clivage, P impersonnelles existentielles, etc.):

(6) La forme emphatique

Il existe divers procédés pour mettre en relief un terme de la phrase:

La modification de l’ordre habituel des mots: Pur était son visage. Du buisson, soudain jaillit, poussant des cris aigus, un tout petit oiseau.

La répétition par un pronom personnel: Comme elle était jolie, la petite chèvre de M. Seguin. Et cette personne […], je ne l’avais jamais vue!

L’utilisation d’un présentatif: C’est dans la cour de la ferme qu’était donnée la réception. Voilà le cheval qui se cabre. Il y a (il est) des erreurs qu’on ne se pardonne jamais.

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L’utilisation de pour, quant à, avec une reprise par un pronom: Quant à son goût, il est très sûr. [p. 31]

De même, le type Imp recouvre non seulement les phrases au mode impératif, mais encore l’injonction de 3e personne au subjonctif (Qu’elle range sa chambre!), et même tout un lot de formules grammaticalement disparates permettant de faire des requêtes indirectes [p. 25]. Tout se passe donc comme si le modèle de départ, qui avait un objectif et une capacité générative bien délimités, était désormais utilisé comme un pur cadre de classification supposé universel et exhaustif, où toute structure de P existante doit immédiatement trouver une rubrique apte à l’héberger. Cette grammaire vise bien, d’une certaine manière, à un maximum de généralité, mais à une généralité conçue comme rentabilité extensionnelle, qui demande seulement que toute construction rencontrée puisse être casée quelque part dans la typologie.

4.4. La contrepartie, c’est évidemment l’abandon du cadre théorique de départ, et notamment de toute modélisation transformationnelle précise. Forcément. Car si l’on regroupe sous un même type abstrait X un capharnaüm de structures disparates (cf. ex. 6), voire des structures pour lesquelles la linguistique n’a même pas de modèle bien net à proposer (c’est le cas des P exclamatives), alors, on se met hors d’état d’assigner à X un traitement génératif régulier: il n’y a plus moyen de définir formelle-ment et avec généralité les règles de réécriture et de transformation censées s’y appliquer. Celles-ci ne sont donc plus explicitées dans la grammaire, tout simplement parce qu’elles ne sont plus explicitables. On ne peut raisonnablement demander aux maîtres et aux élèves de se mettre à écrire en classe des règles formalisées dont la mise au point est vouée d’avance à l’échec. On y substitue donc la simple énumération informelle des structures qui sont supposées en résulter. En d’autres termes, la version scolaire ne retient du modèle originel de D. & D.-C. que les catégories abstraites sous-jacentes, i.e. les constituants de P (ou un avatar taxino-mique), mais sans les règles nécessaires pour les définir. Ainsi découplées des régularités structurales empiriques, ces catégories deviennent donc syntaxiquement arbitraires9.

4.5. Il s’ensuit, concernant la rationalité de la transposition didactique ainsi parachevée, un certain nombre de conséquences fâcheuses:

4.5.1. Ce qui conférait au modèle de référence [D. & D.-C. 1970] une certaine valeur scientifique, c’est essentiellement (a) son architecture

9 En fait il n’est pas difficile d’y reconnaître le placage, sur les faits de syntaxe, de

conceptions sémantiques triviales directement tirées du sens commun.

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transformationnelle, instrument permettant de dégager et de formuler des généralisations descriptives, et (b) sa présentation formalisée, condition d’un contrôle épistémologique sérieux. Or, c’est justement ce que la transposition didactique laisse tomber. Ce faisant, elle perd donc la seule justification qui pouvait être invoquée en sa faveur: les aménagements apportés ruinent le dessein de parvenir à une plus grande scientificité des contenus grammaticaux. Au bout du compte, on se retrouve ainsi avec dans la grammaire scolaire une innovation dont le prétexte a disparu; un morceau de doctrine ajouté pour rien; un contenu d’enseignement invétéré, mais dont personne ne saurait dire finalement comment il se justifie, ni pourquoi il est là, ni à quoi il sert.

4.5.2. Puisqu’il est là, cependant, il faut bien lui trouver un emploi. On peut d’une part l’utiliser, comme la plupart des autres contenus grammaticaux, aux fins de simple description «spéculative» des faits de langue, autrement dit l’enseigner en tant que modèle méta-linguistique valide, permettant de classer et d’analyser rationnellement ces derniers. On illustrera alors son pouvoir ordonnateur à travers des exercices du type (7) [Pratique de la langue. Français 9e, Genève, DIP, 1989]:

(7) Observe les phrases ci-dessous:

1. Malgré les difficultés rencontrées, les jeunes alpinistes n’ont pas voulu rebrousser chemin.

2. N’ont-ils pas présumé de leurs forces en entreprenant ce voyage fatigant? 3. Ne prenez pas de trop grands risques.

Indique à quel type chaque phrase ci-dessus appartient et quelle en est la forme.

Ce genre d’exercice, qui se réduit à un simple collage d’étiquettes terminologiques, est cependant pour une pédagogie de la méthode en grammaire d’un total inintérêt. Il n’apprend ni à asseoir une hypothèse descriptive sur des faits empiriques, ni à évaluer la cohérence et la généralité d’un modèle, ni à définir explicitement un concept métalin-guistique. Sa seule utilité didactique est d’inculquer par l’usage une terminologie pré-conçue, c’est-à-dire d’astreindre les élèves à employer un métalangage commun, et du même coup, à souscrire à la doctrine qu’il véhicule. (Mais pourquoi celle-là plutôt qu’une autre? La question n’est pas à l’ordre du jour.)

4.5.3. On peut aussi tenter d’exploiter le modèle à des fins pratiques, en vue d’entraîner les élèves à employer une large gamme de dispositifs syntaxiques, et dans l’idée de perfectionner ainsi leur expression. Mais cette entreprise induit une pédagogie de la paraphrase particulièrement désastreuse. L’exercice le plus communément pratiqué consiste à utiliser la taxinomie des types de P comme une sorte de mécanisme génératif apte à

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prédire toutes les formes phrastiques possibles, et à demander aux élèves de faire fonctionner le mécanisme, de façon à fabriquer des phrases réalisant telle ou telle combinaison de types. La tâche ne comporte en général ni conditions de contexte, ni contraintes sur la pertinence sémantique du résultat, si bien qu’elle se réduit à une pure manipulation algébrique de dispositifs grammaticaux, sans égard à leurs fonctions informationnelles ou communicatives. On apprend ainsi à fabriquer des formes morpho-syntaxiques, mais pas à s’en servir opportunément. Il semble même qu’on apprenne, tout au contraire, à utiliser des procédés de langue sans se demander à quoi ils servent. Une sorte d’art pour l’art de la paraphrase grammaticale, en somme. C’est du moins ce que suggèrent les perfor-mances obtenues lorsque, p. ex., on entraîne des élèves-instituteurs à ce genre de manoeuvre:

(8) (a) Que ce ne soit pas vous qui soyez arrêté par les gendarmes, eux! (b) Est-ce que c’est la souris qui n’a pas été mangée par le chat après le repas qui

dure une heure? (c) N’est-ce pas le maître qui est aboyé par son chien fou près du château qui

brûle? (d) Est-ce le manoir qui n’était pas la maison de mon père et dont on ne parlait pas

beaucoup?

[copies d’examen, école normale, 1983]

On peut douter qu’il y ait un intérêt à favoriser scolairement la production de ce genre d’énoncés10.

4.5.4. Le plus dommageable à cet égard est sans doute le recours à la catégorie de l’emphase, utilisée pour regrouper des dispositifs syntaxiques très divers et leur imputer une seule et même fonction d’insistance, de nature «stylistique» ou «expressive». Car ces dispositifs ont en fait des valeurs informationnelles bien précises: ils servent de façon réglée à marquer des opérations de focalisation vs thématisation d’un constituant, d’introduction vs réactivation d’un objet-de-discours, de glose métadiscur-sive, etc. Les présenter tous en vrac comme des procédés d’insistance, c’est donc neutraliser et niveler une partie essentielle du système oppositif des structures de P du français, avec un fort risque d’en perturber l’acquisition. Dans la perspective d’une pédagogie de la paraphrase, il est plutôt fâcheux qu’à des formes investies de fonctions sémantiques étroitement spécialisées, et adaptées à des contextes différents, on attribue un mode d’emploi de variantes libres ou de synonymes expressifs.

10 Quoique qu’après tout, dans le cadre d’un atelier de création poétique, genre OuLiPo…

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5. Suite, mais pas fin

En juin 1997 a été publiée par les soins du Ministère de l’Education une Terminologie grammaticale [1998, CNDP & Payot] destinée à remplacer et «prolonger dans le même esprit» la Nomenclature de 1975. Si cette nouvelle version, «élaborée par l’Inspection générale des Lettres et un groupe de professeurs de l’Université» présente, sur certains points, des améliorations qu’on peut juger positives, elle se contente en ce qui concerne les types de P de réaffirmer la doctrine en vigueur, simplement enrichie de quelques compléments d’inventaire (mention du passif pronominal, et ajout parmi les types facultatifs d’une alternative entre formes personnelle et impersonnelle – au mépris de l’incompatibilité signalée plus haut). Toutes les sédimentations précédentes se trouvent ainsi ratifiées, et leur cumul apparaît désormais stablement intégré au corpus des vérités grammaticales publiques. La théorie des types de P a encore de beaux jours de classe devant elle.

6. Epilogue

6.1. Paulo majora canamus. L’histoire des types de P et de leur carrière dans l’enseignement illustre de façon prototypique le processus par lequel la grammaire scolaire a, de tout temps, acquis la plupart de ses ingrédients.

6.1.1. D’une part, comme l’a très bien montré A. Chervel11, la doctrine grammaticale scolaire s’alimente périodiquement de produits conceptuels empruntés à la science du langage (ou à ce qui en tient lieu). Ces emprunts sont généralement consécutifs à l’émergence d’un paradigme théorique ou méthodologique nouveau, en passe de s’imposer comme dominant (grammaire générale, grammaire historique et comparée, grammaires formelles…). Ils semblent donc répondre toujours à une seule et même motivation: intégrer aux contenus enseignés les acquis les plus notoires de la science contemporaine. Cet objectif de «scientificité» ne date pas de la dernière réforme de l’enseignement du français. La grammaire scolaire lui doit la plupart des notions qui la composent. Cela veut dire qu’elle est fondamentalement conçue comme un appareil descriptif homologue des modèles scientifiques, visant les mêmes buts, mais adressé à une autre catégorie de consommateurs. Bref, sa vocation première est d’être un modèle réduit de la linguistique.

11 Chervel, André, 1977, …et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français. Histoire

de la grammaire scolaire, Paris, Payot.

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6.1.2. D’autre part cependant, cette copie abrégée (et un tantinet expurgée) évolue de façon autonome, et selon une logique qui lui est propre. Dès qu’un objet grammatical a été admis au nombre des savoirs enseignables, il est en effet exposé à des remaniements opportunistes, dictés par des nécessités de tous ordres (réparer les contradictions dues à la nature composite de la doctrine, se plier à une contrainte didactique, s’adapter à une conjoncture socio-idéologique, etc.). D’usage extensif en détournement de fonction, d’ajout syncrétique en rhabillage moderniste, chaque notion se charge ainsi de sédiments conceptuels éclectiques, qui finissent par la dénaturer et par porter atteinte à sa consistance. Ces remodelages successifs sont le fait d’agents institutionnels multiples et généralement anonymes, si bien qu’ils perdent rapidement toute visibilité: la mémoire collective les oublie, seule reste la connaissance de leur résultat cumulé. Et c’est ainsi qu’on se retrouve avec dans la grammaire un topos sorti d’on ne sait où, et que ses inconsistances plutôt voyantes privent à la fois de légitimité scientifique et de raison d’être didactique.

6.2. Cet état de fait met les responsables des programmes scolaires et les enseignants devant un dilemme permanent. Ou bien ils doivent trouver aux legs de la tradition une utilité quelconque, i.e. leur restituer une valeur didactique a posteriori. Le risque est d’avoir à justifier l’injustifiable, et de ne réussir qu’à aggraver le problème, en le revêtant d’une couche supplémentaire de sédiments doctrinaux. Ou bien il faut soumettre le contenu de la grammaire à des élagages ravageurs. Le risque est alors qu’il n’en reste plus grand chose. La première solution apparaît de loin la plus pratiquée (entre deux maux…). En ce qui concerne le cas particulier des types de phrases, si on me demandait mon avis, je voterais sans hésiter la mort pour la notion d’emphase, qui mérite vraiment de disparaître en raison de sa nocivité fonctionnelle. Quant au reste de la théorie, il se résume à une taxinomie sans généralité, qui peut servir au besoin de nomenclature passe-partout. Qu’on lui fasse donc grâce, si l’on veut, mais sans oublier que l’effet de système qu’elle pourrait produire est une impression tout illusoire.

6.3. Enfin, le plus important est sans doute qu’après les multiples médiations par lesquelles ils ont transité, les objets grammaticaux officiels parviennent à leur destinataires, les maîtres et les élèves, comme des «produits finis» cognitifs, sortis de nulle part, sur lesquels ils n’ont pratiquement aucune emprise, ni pouvoir créatif, ni droits critiques. Lorsque, dans quelque école secondaire de Suisse romande, un élève apprend ce que sont les types de P, pourquoi apprend-il cela? Nul ne le sait vraiment. Qui l’a voulu ainsi? Ni lui ni son maître, mais de lointaines et

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anonymes instances de pouvoir. Des linguistes en quête de notoriété, des maisons d’édition, des technocrates parisiens, des auteurs de manuels, etc. en ont décidé pour eux, un jour, ailleurs. Peut-on vraiment appeler ça la maîtrise du français?

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 55-66

La grammaire… Pour qui et pour quoi faire?

Marinette MATTHEY Université de Neuchâtel

The categorization made by Besse & Porquier (1984) about the notion of grammar underlies this paper. This categorization is used as a tool to think about the necessity of distinguishing grammar for pupils from one part and grammar for teachers from the other part. The paper still proposes a global perspective, inspired by Vygotski’s writings, on the role of grammatical activities in a didactic coordination of L1 and L2.

Le propos

Dans cet article1, je ne traiterai pas directement du problème de la terminologie dans une perspective interlinguistique, mais j’aimerais proposer une réflexion qui se situe en quelque sorte en amont de cette question. J’essayerai de repenser le sens, la fonction et le statut de la grammaire à l’école, en m’appuyant sur les distinctions faites par Besse & Porquier (1984) et je proposerai une distinction entre deux univers de connaissances grammaticales: celui des enseignants et celui des élèves.

1. Qu’appelle-t-on «grammaire» à l’école?

Au niveau primaire, pour les élèves comme pour les enseignants, le terme grammaire renvoie d’une part à l’analyse grammaticale de la phrase et, d’autre part, à une nomenclature officielle des catégories et des fonctions identifiées par l’analyse. Comme le notait déjà Chervel (1977), l’analyse de la phrase a comme principal objectif la maitrise de l’orthographe grammaticale et cet objectif perdure dans la rénovation de l’enseignement du français de la fin des années 70. Quant à la nomenclature, elle est périodiquement et inévitablement remise en cause en fonction de l’évolution des théories linguistiques et didactiques, et elle présente une très grande diversité. Dans son parcours scolaire, l’élève va ainsi rencontrer

1 Ce texte reprend en partie et sous une forme remaniée l’article paru dans Education et

recherche 3/1997 sous le titre: «Décrire les énoncés de la langue; quels enjeux pour la grammaire à l’école?»

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non seulement diverses terminologies mais aussi des perspectives grammaticales différentes. C’est le cas, par exemple, dans la partie suisse romande du canton du Valais où l’élève passe des moyens romands fondés sur un point de vue syntaxique (combinant l’analyse distributionnelle et les premiers modèles de la grammaire générative) à un manuel français qui, bien que s’inscrivant également dans une pratique renouvelée de la grammaire, n’en allie pas moins des notions de la grammaire traditionnelle comme celle de complément circonstanciel et d’autres transposées de la linguistique générative comme celle de groupe prépositionnel (complément de verbe ou complément de phrase, cf. Bronckart 1990).

Au degré secondaire, les activités de production ou d’analyse textuelles peuvent également être prises en charge par la discipline grammaire: ainsi, dans l’ouvrage de référence vaudois Ouvrir la grammaire (Genevay 1994), on trouve un chapitre sur les marques d’organisation du texte, un autre sur le rôle des connecteurs dans l’argumentation, ou encore sur les processus de désignation.

Cette ouverture vers le texte ne change pas radicalement la nature de la grammaire: elle renvoie toujours à une description d’une partie des faits de langue (les énoncés et les textes «standard», ou plutôt conçus comme tels), et elle n’explicite pas toujours les présupposés théoriques de sa description. De ce fait, celle-ci apparait, dans le discours du manuel de référence, non pas comme une description possible des faits de langue, mais comme la description de ceux-ci. De plus, les verbes injonctifs qui parsèment le texte lui confèrent une visée sinon prescriptive du moins normative qui fonde le genre textuel «manuel de grammaire» (par exemple: «Chaque phrase qui compose un texte doit participer à l’organisation générale du texte» in: Ouvrir la grammaire p. 158, nos italiques). De même, derrière une affirmation du genre «Pour être cohérent, un texte mentionne obligatoirement des objets (des êtres, des idées) qui ont des rapports entre eux» (ib. p. 168), c’est bien un point de vue normatif sur la production textuelle qui est instauré2.

A côté de ces pratiques grammaticales reconnues et déclarées comme telles, les activités langagières menées à l’école dans une perspective d’acquisition-apprentissage concernent également la grammaire de la langue, mais dans un autre sens que celui que nous lui attribuons généralement. Pour présenter cette vision plus large de la grammaire, je m’inspire de l’entreprise de clarification épistémologique proposée par

2 Il suffit de penser aux cadavres exquis des surréalistes pour se rendre compte qu’un texte

peut être produit selon d’autres règles!

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Besse & Porquier (1984), dans le contexte de l’apprentissage d’une langue seconde et des travaux sur l’interlangue3. Nous les recontextualisons ici dans le cadre plus large des activités de structuration des apprentissages linguistiques de l’école.

1.1. La grammaire intériorisée

Le terme grammaire renvoie d’abord à une compétence langagière, qui «n’est pas accessible directement mais seulement à partir de ses manifestations externes normales ou pathologiques» (Besse & Porquier, p. 13). Par exemple, certaines erreurs rencontrées dans les premiers écrits des élèves peuvent être interprétées comme des manifestations externes de cette grammaire intériorisée, non accessible à l’analyse directe. Un exemple de telles traces nous est donné par le découpage syllabique du texte, découpage qui est fréquemment observé chez les scripteurs débutants. En effet, les règles d’enchainement syllabiques des énoncés oraux co-existent avec le découpage en mots du texte, comme dans les énoncés ci-dessous:

[Elle] ai tai ton bé dans un pui (elle était tombée dans un puits) (7 ans) je ma pplle babar (je m’appelle Babar) (7 ans)

Ces erreurs4 manifestent une compétence intermédiaire dans l’acquisition de l’écrit, compétence qui s’appuie encore largement sur la grammaire intériorisée qui sous-tend les productions orales de l’enfant, mais qui met en œuvre également les premiers acquis scolaires liés aux correspondances phonie-graphie et au groupement de lettres séparées par des blancs.

La notion de compétence intermédiaire est généralement évoquée dans le cadre de l’acquisition d’une L2, notamment dans les travaux portant sur l’interlangue (cf. note 3). On considère que la grammaire intériorisée d’une interlangue est largement idiosyncrasique, mais qu’elle s’appuie sur celle de la langue source (ou des langues sources) et intègre peu à peu celle de la langue cible. Certaines analogies peuvent être faites entre l’acquisition d’une L2 et l’acquisition de l’écrit, si l’on considère que le discours oral spontané du jeune enfant constitue une sorte de «langue source» et que

3 On appelle interlangue le système linguistique qui rend compte de l’aspect systématique

des énoncés en L2 d’un apprenant, au temps t de son parcours acquisitionnel. Ce système repose en partie sur celui de la langue source (ou des langues sources) et sur celui de la langue cible, mais il présente également des aspects propres à ce qu’on nomme aussi parfois cette compétence linguistique intermédiaire (Selinker, 1972, cf. aussi et entre autres Py, 1980 et Vogel, 1995).

4 D’autres exemples sont analysés dans le chapitre Difficultés du passage à l’écrit de Béguelin (dir.) (à paraitre).

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l’écrit, avec toutes les compétences grammaticales qu’il implique, peut être rapproché de la notion de «langue cible». Cette analogie entre l’acquisition d’une L2 et celle de l’écrit ne signifie pas qu’elles sont similaires, mais elle montre que les processus d’apprentissage linguistique sont fondamentale-ment du même ordre, comme le note Vygotski, qui relevait déjà cette profonde unicité des processus à l’œuvre dans les apprentissage de la langue première, des langues secondes et de l’écrit:

Il serait miraculeux que l’assimilation d’une langue étrangère dans le processus de l’apprentissage scolaire soit la réplique, la reproduction de celle de la langue maternelle, qui s’est faite il y a bien longtemps dans de toutes autres conditions. Mais ces différences, si profondes soient-elles, ne doivent pas nous masquer que ces deux processus d’assimilation de la langue maternelle et de la langue étrangère ont entre eux tant de points communs qu’ils appartiennent au fond à une classe unique de développement verbal, à laquelle se rattache le processus extrêmement original de développement du langage écrit, qui ne répète aucun des précédents mais représente une nouvelle variante au sein de ce processus unique. De surcroit, ces trois processus – assimilation des langues maternelles et étrangères et développement du langage écrit – exercent les uns sur les autres une action complexe, ce qui témoigne incontestablement de leur appartenance à une seule et même classe de processus génétiques et de leur unité interne. (Vygotski, 1985, 225-226)

1.2. La description grammaticale

Le terme grammaire renvoie également à la connaissance plus ou moins méthodique et explicite que les sujets parlants, et parmi eux les grammairiens et les linguistes, élaborent à partir des manifestations extérieures de la grammaire intériorisée. Les activités permettant la construction de cette connaissance consistent à catégoriser les unités de la langue. Ainsi, les «parties du discours» constituent le produit de l’activité de catégorisation de la grammaire dite traditionnelle. Les morphèmes et les syntagmes sont quant à eux les unités dégagées par les démarches structuralistes (analyse distributionnelle et analyse en constituants immédiats). Quant à la catégorisation «vernaculaire» des sujets parlants, elle varie en fonction du niveau de leur scolarisation et de leur acculturation à l’écrit. Les unités repérées sont généralement celles de lettres, de mot, de phrase. C’est elles que l’on trouve le plus souvent dans les représentations verbalisées.

La description grammaticale entraine également un processus d’idéalisation qui repose sur la recherche de systématicité dans les manifestations langagières et il peut prendre différentes formes. Dans le cadre de la grammaire traditionnelle et des grammaires scolaires, il consiste le plus souvent à remplacer l’objet à décrire (la langue) par son image normative (un ensemble de constructions standard), image qui s’est développée à

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travers l’histoire et qui se matérialise aujourd’hui dans un ensemble de règles plus ou moins arbitraires. Mais le processus d’idéalisation peut aussi s’élaborer dans une démarche scientifique. Dans l’optique structuraliste, par exemple, il s’incarne dans la délimitation d’un ensemble de faits considérés comme pertinents pour décrire la langue comme un système de différences.

1.3. Les modèles métalinguistiques

Le fait que l’on puisse parler de grammaire traditionnelle, de grammaire fonctionnelle, de grammaire générative ou encore de grammaire structurale montre qu’il existe des descriptions grammaticales érigées en modèles: «Par modèle métalinguistique, nous désignerons l’ensemble des concepts et des raisonnements à partir desquels le linguiste ou le grammairien cherche à décrire ou à simuler la grammaire intériorisée» (Besse & Porquier, p. 22). J’ajouterais à la liste des producteurs de modèles les sujets parlants en général, qui produisent aussi des représentations du fonctionnement des langues. Ces représentations individuelles, qui s’inscrivent dans les représentations sociales des langues et du langage, ne sont pas des modèle métalinguistique stricto sensu, mais elles sont tout de même liées à des théories, tout comme les modèles le sont. Ainsi, la représentation verbalisée ci-dessous – il s’agit d’un locuteur francophone ayant épousé une locutrice lusophone – présente des éléments pour une distinction entre le fonctionnement du français et à celui du portugais, et ce «modèle» repose entre autres sur une théorie originale, qui attribue des «degrés d’arbitrarité du signe» différents dans les deux langues:

Je pense que le français a un vocabulaire très étendu, il a aussi des règles de grammaire relativement étendues – un grand nombre – il me semble qu’entre les deux langues, il y a déjà cette différence. Par contre le portugais – là où il a moins de vocabulaire historique je pense qu’il invente des mots – c’est une langue qui a l’air beaucoup plus vivante – c’est très imagé (...) tu vas prendre un mot c’est un mot qui a quelque chose à voir avec l’objet qu’il va représenter – il y a l’air d’avoir un son qui... un objet est rond il aura un son rond et des choses comme ça (...)5.

Ces représentations issues de l’imaginaire linguistique des locuteurs, ces théories vernaculaires – et celles des élèves sont particulièrement riches – devraient pouvoir être thématisée, discutées, confrontées à d’autres représentations, dont bien entendu les modèles métalinguistiques issus de la linguistique.

5 Cette citation est extraite du corpus du mémoire pour l’obtention du diplôme

d’orthophoniste de Valérie Fournier (Université de Neuchâtel, février 2000).

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2. Quelle grammaire pour les enseignants?

Qu’implique l’élargissement de la notion de grammaire proposé ci-dessus dans les activités de structuration de la langue mises en place par l’enseignant dans sa classe? Quelles sont les actions qu’il devrait pouvoir mettre en œuvre pour rendre ces activités de structuration les plus efficaces possibles?

2.1. Agir sur la grammaire intériorisée de l’élève

Quand il corrige des textes, ou des énoncés oraux, l’enseignant intervient sur des énoncés construits par l’élève sur la base de sa grammaire intériorisée. Cela signifie que le développement de cette compétence (la grammaire intériorisée) repose sur un double mouvement de structuration: autostructuration dans un premier temps (formulation plus ou moins spontanée, par l’élève, d’énoncés formant un texte) et hétérostructuration (intervention extérieure qui reformule en partie ces énoncés initiaux)6. Ainsi, quand il corrige un texte l’enseignant tente d’agir sur la grammaire intériorisée de l’élève et c’est dans la dynamique de ce double mouvement que peut s’élaborer ce qu’on nomme à la suite de Vygotski la zone proximale de développement.

La prise en compte de la dimension textuelle dans la production écrite fait désormais partie de la formation des maitres, ainsi que la dimension psycholinguistique liée aux rapports entre développement cognitif et langagier. Mais cette dimension psycholinguistique implique également, nous semble-t-il, des connaissances sur le savoir spontané des élèves, sur leur manière d’envisager la langue, l’écriture et la grammaire, c’est-à-dire sur leurs représentations. Cette réflexion sur les conceptions des apprenants est menée depuis de nombreuses années en didactique des sciences (cf. Giordan et al. 1994), mais elle est encore assez rare en didactique des langues (cf. cependant Bétrix-Köhler, 1985, pour une étude sur les représentations de l’orthographe chez les enfants et Castelloti & Moore 1999 sur les représentations du plurilinguisme). La prise en compte de ces conceptions dans les activités d’hétérostructuration serait bien sûr très utile.

6 J’emprunte à Bernard Py les notions d’auto et d’hétérostructuration, intitialement utlisées

pour décrire les mouvements de structuration de l’interlangue de l’apprenant dans la conversation exolingue (cf. Py, 1990 et Matthey, 1996)

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2.2. Décrire les faits de langue

Pour pouvoir servir d’outils de médiation dans le développement de la grammaire intériorisée, les connaissances liées aux descriptions grammaticales devraient pouvoir rendre compte, au moins en partie, du fonctionnement de cette grammaire. Les descriptions devraient donc s’appuyer sur les normes objectives de la langue, par opposition aux normes prescriptives ou subjectives (Rey, 1972). Dans la grammaire scolaire romande actuelle, les activités de catégorisation résultant de la transposition didactique des procédures de l’analyse distributionnelle permettent de décrire les faits de langues dans leur régularité, mais elles ne sont guère utilisées en classe au-delà de leur fonction légitimant des catégories traditionnelles. Ainsi, continue-t-on de ranger dans une même catégorie les groupes nominaux et les pronoms personnels, alors que les manipulations montrent qu’ils n’ont pas la même distribution7. L’outil de description existe, mais il n’est pas utilisé dans toutes ses potentialités, notamment pour donner un statut aux énoncés non standard mais réguliers.

La formation initiale et continue des enseignants ne met généralement pas l’accent sur la nécessité de mener à bien une description des formes déviantes, couramment rencontrées dans les discours oraux et écrits, formels et informels, des locuteurs scripteurs. Le biais prescriptif dont nous avons parlé au point 1 fait que les outils mis à disposition des enseignants et des élèves dans le cadre de l’enseignement du français ne sont pas conçus pour analyser les énoncés de la langue mais seulement un sous-ensemble de ces énoncés, constitué par des constructions simples ou complexes, dont le modèle métalinguistique de la grammaire scolaire peut rendre compte. La langue est ainsi réduite à un ensemble fort restreint de phrases dites bien formées, qui ne représente qu’une petite partie des énoncés réellement produits par les locuteurs, donc les élèves. On peut se demander si le modèle métalinguistique de la grammaire scolaire est un bon outil pour aider au développement de la grammaire intériorisée des élèves, dans la mesure où l’image de la langue qui émerge du modèle est très éloignée, d’une part, des pratiques effectives de communication, tant à l’oral qu’à l’écrit, et, d’autre part, des représentations linguistiques des élèves.

Une description plus exhaustive de la grammaire intériorisée, qui prendrait aussi en compte des constructions régulières d’énoncés généralement considérés comme «pas français» (par exemple les relatives non standard du type «l’homme que je te parle de lui») pourrait faire l’objet d’activités

7 Béguelin (dir.), op.cit., chapitre 8, Le classement en catégories d’unités.

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d’Éveil au langage (cf. De Pietro (éd.) 1999 et ici-même, de Goumoëns et al. 1999), qui visent à mieux faire prendre conscience aux élèves de la nature même du langage, y compris d’ailleurs dans ses composantes normatives. Pour mener à bien de telles activités, une formation en linguistique permettant de distinguer la perspective normative de la perspective analytique sur la langue s’avère fortement nécessaire pour les enseignants.

2.3. Adopter une perspective historique et relativisante sur la grammaire

L’appréhension anthropologique de la grammaire, objet culturel parmi d’autres, ne semble pas encore vraiment de mise dans la formation des enseignants. Les blocages engendrés par les problèmes de nomenclature, les affrontements entre les anciens (adeptes d’une vision grammaticale légitimée par l’usage commun) et les modernes (adeptes d’une vision grammaticale légitimée par les connaissances scientifiques du moment) témoignent de l’absence d’une prise de distance face à la grammaire, qui serait souvent propre à inscrire les débats d’aujourd’hui dans une perspective historique relativisante, permettant une réelle compréhension de l’évolution des notions et de la terminologie.

Sans tomber dans le registre libertaire du «tout est bon», il nous semble tout de même souhaitable de changer l’image de la grammaire auprès des formateurs et des enseignants, en relativisant fortement l’importance du fundamentum grammatical que les élèves sont censés s’approprier au cours de leur scolarité. En revanche, ce qui a été présenté ci-dessus implique qu’il y a un ensemble de connaissances auquel seul l’enseignant a accès et qu’il utilise tantôt pour structurer les productions orales ou écrites des élèves, tantôt pour guider leur réflexion sur le langage. A nouveau, une vision large englobant des connaissances partielles des différents modèles métalinguistiques en vigueur ainsi que de l’histoire de la réflexion grammaticale semble être nécessaire à l’instauration de ce regard éloigné.

3. Quelle grammaire pour l’élève?

Malgré le renouveau théorique intervenu dans la grammaire scolaire dès le début des années 70, les finalités des activités grammaticales dans la majorité des classes de l’école primaire n’ont pas changé: il s’agit toujours d’amener l’élève à penser la langue en termes de phrases et de le rendre capable de faire les analyses nécessaires à une orthographe correcte. La rationalité des concepteurs des ouvrages de référence s’est vraisemblable-

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ment heurtée à celle des enseignants. Celle des premiers visait l’instauration d’un «laboratoire de grammaire», dans lequel les élèves pourraient objectiver l’objet langue, par le biais de manipulations permettant de faire apparaitre les régularités syntaxiques8. Celle des seconds reste envers et contre tout conditionnée par les activités traditionnelles de soulignement, de remplissage de lacunes, de réécriture, etc., qui reflètent les théories implicites sur les apprentissages linguistiques. Par exemple, on fera souligner le groupe nominal sujet pour identifier le groupe à prendre en considération pour l’accord du verbe, on présentera, dans un autre ensemble de fiches, des liste de groupes nominaux où les morphèmes grammaticaux sont remplacés par des lacunes que l’élève doit combler, etc. Face à cette pérennité des activités «traditionnelles» en matière d’analyse grammaticale, est-il vraiment nécessaire de passer du temps à construire des modèles didactiques de la phrase et de son analyse, légitimés par un discipline de référence comme la linguistique? Ne peut-on pas se contenter, pour l’objectif orthographique qui reste prioritaire, des «recettes de cuisine» transmises par la tradition scolaire? Notons que certaines de ces recettes font justement le lien entre la grammaire intériorisée de l’élève et les «trucs» qu’elles proposent. Ceux-ci deviennent alors de véritables outils de médiation. Ainsi, quand on enjoint l’élève à remplacer a par avait pour décider si ce a doit être muni d’un accent grave, c’est bien sa grammaire intériorisée qu’on désire qu’il sollicite. De même lorsqu’on lui propose de remplacer [mA$Je] par vendre ou vendu pour «savoir si c’est -er ou -é».

Les questions orthographiques peuvent donc largement être dissociées d’une réflexion grammaticale inspirée par un modèle métalinguistique quelconque. Mais libérer l’orthographe des contraintes d’un modèle gram-matical particulier ne signifie pas abandonner toute activité grammaticale (au sens de «observation des faits grammaticaux») à l’école. Deux sortes d’activités grammaticales me semblent utiles dans le cadre scolaire.

Les premières doivent être comprises comme une démarche d’observation des traces des «grammaires intériorisées» sous-tendant la production textuelle. Dans cette perspective, l’observation de textes de scripteurs expérimentés peut fournir de l’aide aux scripteurs débutants, si cette observation est guidée par un enseignant qui possède un certain nombre de connaissances sur les problèmes de partage et de rappel de l’information à l’écrit, ou sur l’irruption inopinée de la grammaire intériorisée de la langue orale dans l’écrit, par exemple. Il n’est pas toujours indispensable pour ce

8 Béguelin (dir.), op. cit., chapitre 6, Procédures et produits de l’analyse.

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faire de recourir à une terminologie précise, mais simplement de disposer d’un cadre de référence permettant de penser le texte de cette manière9. La notion bakthinienne de genre, qui met l’accent sur les horizons d’attente des lecteurs, fournit également un cadre utile dans cette conception de la production textuelle. Cette démarche d’observation ne rentre pas dans les activités étiquetées «grammaire» à l’école, mais dans celles d’«expression écrite». Il s’agit néanmoins pour l’enseignant de tenter d’agir sur la grammaire intériorisée des apprenants et il aura besoin pour ce faire d’un cadre théorique et d’un minimum de terminologie partagée avec les élèves pour nommer les objets dont ils parlent. De telles activités s’inscrivent tout à fait dans les séquences didactiques proposées, par exemple et pour l’écrit, par Schneuwly & Bain (1993).

Les secondes activités répondent mieux à l’idée que l’on se fait généralement de la grammaire à l’école, dans la mesure où les élèves observent et manipulent des structures de phrases ou d’énoncés. Mais ces observations et ces manipulations pourraient s’effectuer dans les différentes langues enseignées par l’école, et elles devraient permettre à l’élève de construire une représentation interlinguistique des faits grammaticaux, l’éloignant peu à peu d’une vision ethnocentrique des faits de langues. Cette démarche rejoint les préoccupations de l’Eveil au langage, en donnant un autre statut à la grammaire. Il ne s’agit plus de réfléchir à la syntaxe de la langue maternelle (pour beaucoup d’élèves elle ne l’est d’ailleurs pas!), mais de comparer des notions grammaticales dans différentes langues, dont celles que l’école a pour mission d’enseigner, mais aussi dans des langues moins familières. Par exemple, le tableau ci-dessous fait apparaitre le phénomène linguistique de l’accord en mettant en évidence ses différentes marques selon l’anglais, le français et le swahili10:

singulier pluriel accord adjectif-nom

anglais this beautiful tree these beautiful trees -

français ce bel arbre [bElaRbR] ce grand arbre [gra$taRbR]

ces beaux arbres [bozaRbR] ces grands arbres [gra$zaRbR]

+ (variation morphologique, phénomène de liaison)

swahili mti mzuri ule («arbre beau ce»)

miti mizuri ile («arbres beaux ces»)

+ (suffixes)

9 Béguelin (dir.), op. cit., chapitre 13, Le passage à l’écrit: problèmes d’acquisition.

10 Pour un compte rendu d’une telle activité en situation scolaire, cf. de Pietro ici-même.

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Cet élargissement de la réflexion grammaticale vers d’autres langues que la langue dite maternelle conduit à s’intéresser davantage au marquage des fonctions syntaxiques plutôt qu’à leur étiquetage. Cette perspective semble judicieuse entre autres pour dissocier les niveaux syntaxique et sémantique: il est difficile pour les élèves de situer le niveau syntaxique de l’analyse dans une langue qu’il connait bien, car le niveau sémantique interfère souvent dans cette analyse. Dans une langue inconnue, cette interférence n’est pas possible et le niveau syntaxique apparait plus clairement.

4. Conclusion

Ce qui a été présenté ci-dessus s’inscrit dans une conception intégrative des apprentissages linguistiques et dans une vision professionalisante de l’enseignant. Les propos tenus prétendent s’élever contre un prétendu «bon sens», qui fait dire à plus d’un éducateur (parents ou enseignants) que, pour apprendre à écrire il faut d’abord faire des «phrases simples» avant de faire des phrases «compliquées», alors que la notion de phrase est elle-même problématique11; qu’il faut avoir déjà appris à écrire avant de produire un texte sinon «il y a trop de fautes», etc., ou qu’aborder de front la réflexion grammaticale sur deux ou plusieurs langues conduit à les «mélanger», donc à mal les apprendre. Ces représentations fondées sur ce «bon sens» ne sont ni favorables à l’apprentissage de l’écrit, ni à celui des langues secondes.

Les problèmes de terminologie, on l’aura compris, ne sont pas au centre des réflexions présentées ci-dessus. Mais ces réflexions ont quelque chose à voir avec la finalité des activités grammaticales à l’école, qui est de fournir des outils de médiation utiles aux apprentissages linguistiques et de donner les moyens aux élèves d’accéder à une réflexion métalinguistique méthodique. Ce crédo pédagogique n’est évidemment pas nouveau, mais les pistes évoquées pour «faire de la grammaire» dans cette optique le sont davantage.

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11 Béguelin (dir.), op. cit., chapitre 3, La phrase insaisissable.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 67-78

Les grammaires française et allemande à l’école: points de contact et divergences

Peter BLUMENTHAL Université de Cologne

The traditions of grammatical terminology are quite different in the German and the French educational system. While the French ministry of education issues official regulations which are binding on a national level (they last did so in 1997), the federal system in Germany prevents the standardisation of the grammatical nomenclature for all the Länder of the FRG.

Moreover, the historico-cultural background is different in both countries: the French public has been used to an active and centralist language policy for several centuries; in Germany governmental interference with the linguistic norm is often met with resistance, and the regulation of many details is in fact left to the important publishing houses. For this very reason it was left largely to the school-book publishing houses to decide how to put the recommendations of the German Secretaries of cultural affairs issued in 1982 into practice. The present article is based on a number of selected examples and provides a critical analysis of the usage of grammatical terminology in German and French school-books, and it pleads for a re-orientation – particularly in Germany: the inconsistencies and ad hoc solutions which can be observed quite frequently can only be overcome if the terminology is based on a well reflected linguistic theory. This is the only way to achieve an effect of synergy between grammar lessons in different school languages and ultimately a standardisation of the grammatical terminology on a European level.

1. De profondes divergences

Le sujet du colloque est suffisamment large pour me permettre d’orienter ma communication vers une thématique que je crois relativement proche des préoccupations communes qui nous ont réunis ici: l’enseignement scolaire des langues, maternelle(s) et étrangères. Les points de contacts et (surtout) les divergences que je voudrais mettre en avant concernent moins les grammaires au sens de «systèmes linguistiques» que les pratiques d’enseignement de la grammaire (et des sujets linguistiques afférents) dans les deux grands pays voisins de la Suisse que sont l’Allemagne et la France; cette problématique nous ramenant au coeur du débat, la terminologie grammaticale.

Les sources que j’ai utilisées comprennent surtout:

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– les directives ministérielles concernant l’enseignement des matières en question au niveau de l’enseignement secondaire;

– quelques manuels scolaires en usage dans les deux pays.

En plus de ces documents, j’ai essayé de m’informer sur les aspects pertinents de la réalité didactique, et ceci essentiellement dans les lycées de la région de Stuttgart d’une part et dans des établissements scolaires de Toulouse et de Strasbourg de l’autre. Ceci m’a amené à contacter des représentants des instituts pédagogiques compétents (CRDP en France, Landesinstitut für Erziehung und Unterricht au Bade-Wurtemberg).

Cette petite enquête a abouti à la conclusion qu’il n’est peut-être pas de sujet plus apte à mettre en relief les divergences profondes existant entre la France et l’Allemagne en matière d’enseignement linguistique, sinon d’enseignement scolaire tout court, que le problème de la terminologie grammaticale. Réglé avec une rigueur remarquable en France, et cela conformément à une vision ambitieuse des buts de l’enseignement de la langue maternelle, ce problème est laissé pratiquement à l’appréciation personnelle des professeurs en Allemagne, même si les grandes maisons d’édition pèsent sur la pratique scolaire.

J’exposerai tout d’abord la situation terminologique en Allemagne, ensuite celle qui prévaut en France. Dans un troisième temps, nous nous pencherons sur une étude de cas qui permettra de placer le problème de la terminologie dans un contexte plus théorique et d’élargir ainsi le débat, en nous en tenant toutefois au cadre didactique prévu pour l’enseignement de la langue maternelle.

2. Terminologie grammaticale dans l’enseignement allemand

La première et dernière tentative faite au niveau fédéral allemand pour harmoniser la terminologie grammaticale date de 1982. Le 26 février de cette année-là, les ministres de l’éducation de l’Allemagne de l’Ouest approuvent un catalogue1 comportant à peu près 170 termes grammaticaux, dont les finalités sont présentées avec une extrême prudence: il s’agit, déclarent les ministres, d’un compromis entre différentes positions linguistiques, visant à proposer des appellations pour des entités

1 Verzeichnis grundlegender grammatischer Fachausdrücke, publié dans Raasch 1983:

13-18.

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grammaticales dont l’identification reste de la compétence des Länder2. Ce catalogue n’a donc rien de canonique pour l’élève ni de contraignant pour les maisons d’édition.

Quelque prudente et timide qu’elle soit, cette tentative, en principe tout à fait méritoire, prêtait inévitablement le flanc à certaines critiques de fond. Car toute décision en ce domaine implique déjà une part d’analyse théorique, même involontaire et inconsciente. Comment peut-on esquiver les notions de Ergänzung (complément d’objet) et Angabe (= le «circonstant» de Tesnière) sous prétexte que leur emploi émane d’un certain modèle grammatical3 pour imposer ensuite la différenciation entre Präpositionalobjekt et Adverbiale, qui n’a de sens que si elle se réfère à des critères valenciels4? Ainsi, le travail de concrétisation, impliquant un certain engagement théorique, est laissé aux soins des maisons d’édition. Lorsque celles-ci sont éclairées, elles expliquent bien la différence entre Präpositionalobjekt et Adverbial en se basant sur la valence du verbe. Dans le cas contraire, elles propagent parfois une vision aberrante du noyau de la phrase.

Autre détail: des scrupules d’ordre théorique ont empêché les auteurs de parler de «Nebensatz» (remplacé par Gliedsatz et Attributsatz, op. cit. 16). Or, dans les explications et commentaires qui accompagnent les termes proposés, le naturel chassé revient au galop: la notion de Hauptsatz appelant inévitablement celle de Nebensatz, ce dernier terme ressurgit effectivement. Par contre, la volonté d’éviter le terme d’Apposition est, tout compte fait, sage, étant donné l’impossibilité d’en fournir une définition cohérente.

La GAL (Gesellschaft für angewandte Linguistik) a invité en 1982 quelques responsables ministériels ainsi que des linguistes et des didacticiens à prendre position sur le catalogue terminologique, dans le but d’en déterminer la qualité inhérente et de sonder si l’on peut étendre à l’enseignement des langues étrangères, essentiellement le français et

2 Cf. la nomenclature terminologique (semblable) publiée dès 1980 en Hesse (commenté

par Prinz-Fernandez 1993: 86ss).

3 «Auf Fachausdrücke wie ‘Ergänzung’ und ‘Angabe’, die sich aus der Untersuchung der Wertigkeit des Verbs ergeben, wird verzichtet, weil hier keinem Grammatikmodell der Vorzug gegeben werden soll.» (op. cit. 17).

4 Cf. Glinz 1994, 212 («Präpokasus» = Präpositionalkasus), 214 (difficulté de distinguer «Präpokasus» et «Adverbial», 215s).

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l’anglais, les termes utilisés5. Je passerai sur la première problématique, à laquelle j’ai déjà fait quelques allusions. Quant à la question de savoir si l’on peut puiser, pour toutes les autres langues scolaires, dans ce qui n’a été conçu que pour l’allemand, les opinions divergent du tout au tout. Selon certains, qui recommandent à leurs collègues professeurs du secondaire de s’installer résolument dans la variation terminologique, de petites différences ou même des contradictions dans la nomenclature utilisée à l’école n’ont jamais porté tort à l’apprentissage efficace. D’autres défendent une normalisation terminologique à outrance, vu que la grammaire des langues étrangères est normalement enseignée en allemand et qu’un terme comme Akkusativ, même s’il ne se justifie guère pour une langue comme le français, n’empêchera pas l’élève de saisir la structure spécifique au français.

Le point de vue exprimé par le regretté H. Kleineidam (in Raasch 1983: 29ss), coauteur d’une grammaire scolaire du français, est particulièrement intéressant. Kleineidam montre, en se basant sur des exemples concrets, que

– la terminologie effectivement utilisée pour les grammaires de langues étrangères s’écarte considérablement des propositions officielles (la maison Klett utilisant la notion de Begleiter (= déterminant), alors que Diesterweg parle dans certaines publications de Artikel au sens large, dans d’autres en plus d’Artikel (au sens étroit) de Demonstrativ-pronomen);

– il serait utile d’adopter même pour l’allemand une terminologie plus abstraite (en recourant p. ex. à la notion d’Artikelwörter), puisque celle-ci serait davantage généralisable à d’autres langues;

– malgré toutes les tentatives justifiées d’harmonisation, certaines divergences terminologiques d’ordre structurel (et non pas dues à des différences d’approche théorique) devraient être maintenues pour ne pas camoufler des différences fonctionnelles profondes: subjonctif/Konjunktiv, passé composé/Perfekt et, pour le contraste entre anglais et allemand, Present perfect/Perfekt.

En résumé, Kleineidam propose un large réservoir terminologique commun pour les différentes langues enseignées à l’école, et un petit nombre de termes spécifiques à chaque langue. Ajoutons que l’allemand renferme lui-

5 Les actes du colloque ont paru dans le premier numéro de la revue Forum Angewandte

Sprachwissenschaft déjà citée (= Raasch 1983).

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même évidemment des spécificités justifiant des dénominations peu utiles pour d’autres langues (cf. le terme Abtönungspartikeln comme désignation d’une partie du discours, pour lequel plaide W. Hüllen, 72).

On peut constater aujourd’hui que la terminologie proposée au début des années 80 est effectivement utilisée dans les parties grammaticales des manuels d’allemand langue maternelle. Il faut savoir toutefois que la grammaire allemande n’est enseignée que jusqu’à la 8e année (les élèves ont alors 14/15 ans) et qu’au moins au Bade-Wurtemberg, il n’existe pas de livre de grammaire scolaire officiel pour l’allemand.

Cette absence de doctrine en matière de grammaire a amené beaucoup de professeurs à se réapprovisionner en informations ou en exercices grammaticaux sur un marché purement commercial et parfois douteux. La terminologie fantaisiste qui en résulte, sous-jacente aux exercices que certains professeurs d’allemand (région de Stuttgart) recommandent à leurs élèves de la 8e, me fait regretter vivement que le ministère ne soit pas plus interventionniste en la matière.

Un autre résultat, bien plus respectable, de ce qu’il faut appeler dérobade et carence des autorités scolaires, est la tentative de certains groupes de professeurs de langues d’établir eux-mêmes, pour ainsi dire à l’amiable, un minimum d’accord sur la terminologie à pratiquer dans l’enceinte de leur lycée6. S’il fallait une preuve de la nécessité qu’il y a de fournir aux élèves une terminologie à peu près cohérente, ce serait bien tous ces efforts déployés par quelques professeurs engagés, dans le but de rendre leur enseignement plus efficace.

La situation décrite jusqu’ici est celle qui se perpétue sans changements notables depuis 1982. La quatrième édition du Schülerduden se réclame toujours, dans sa préface (1998: 5), des propositions terminologiques citées plus haut7. Depuis trois ans à peu près, on peut toutefois relever, dans le sillage du renouveau grammatical déclenché par la réforme de l’orthographe allemande, une volonté neuve d’abord de familiariser l’élève avec la terminologie grammaticale, ensuite de tenir compte en même temps des langues étrangères. Ainsi, une petite grammaire «scolaire» (bien que

6 Cela vaut par exemple pour le Königin Katharina Stift, Stuttgart.

7 «In ihrer Terminologie bewegt sich die Grammatik im Rahmen der Empfehlungen, die die Ständige Konferenz der Kultusminister der Länder in der Bundesrepublik Deutschland 1982 ausgesprochen hat. Sie steht damit im Einklang mit der Schulpolitik aller deutschsprachigen Länder, die auf Vereinheitlichung und Vereinfachung der Terminologie abzielt.»

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non autorisée officiellement) propose, à la fin du volume, un tableau terminologique récapitulatif pour l’allemand qui comporte les équivalents anglais et français (Jägel 1996). Il s’agit évidemment d’un simple glossaire, plutôt d’un signe de bonne volonté que d’une avance terminologique (v. l’équivalence douteuse entre Prädikatsnomen et complément du sujet). Une autre grammaire parue récemment (Rank 1997) fournit un embryon de grammaire contrastive, relevant p. ex. que les catégories concernant le verbe sont essentiellement les mêmes, mais que l’anglais contient une forme verbale particulière (progressive form).

En résumé, on notera donc que si les choses bougent depuis quelque temps, cela semble moins le mérite des autorités scolaires que celui d’initiatives privées ou dues à des maisons d’édition.

Quant au rôle de la grammaire dans les classes du second cycle (après la «Mittlere Reife»), il est purement et simplement inexistant: dans les manuels d’allemand comme dans les directives ministérielles, il n’est plus question d’analyse grammaticale, mais – en matière de linguistique – de types de texte, de stratégies d’argumentation ou de moyens rhétoriques. Les chapitres en question se meuvent en général à un niveau fortement métalinguistique, incluant une réflexion sur les dialectes, les registres stylistiques et l’histoire de la langue. Des professeurs enseignant au lycée avouent volontiers qu’ils évitent, dans la mesure du possible, toute discussion d’ordre grammatical, étant donné que ces thèmes sont «rébarbatifs» et non dénués de risques terminologiques. Le résultat de tout ce beau désordre est qu’au niveau de la première année d’études universitaires, nous devons de nouveau expliquer à nos jeunes étudiants que les termes de substantif et de sujet ne désignent pas forcément la même réalité...

3. Terminologie grammaticale dans l’enseignement français

On sait que la situation est totalement différente en France. Il existe tout d’abord pour le français une solide tradition de règlementation officielle, qui s’est concrétisée en 1975 dans la Nomenclature grammaticale pour l’enseignement du français dans le second degré. La Nomenclature avait surtout le mérite d’exister. Parmi ses inconvénients, on a souvent relevé des explications vagues chaque fois que la réalité grammaticale prête à confusion, comme dans le cas de l’apposition.

Ce texte a été remplacé voilà deux ans par une conception presque entièrement neuve de la nomenclature, la Terminologie grammaticale, sur laquelle je reviendrai plus tard. Si la terminologie désormais obsolète

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mérite encore une attention certaine, c’est que les livres scolaires actuellement en usage suivent encore souvent l’ancien régime. Le nouveau programme édicté par le Ministère de l’Éducation nationale qui tient compte de la nouvelle conception ne date que de juin 19988.

D’une manière plus générale, la valeur didactique décernée à la terminologie en France est sans commune mesure avec ce qui se passe en Allemagne. Il est significatif que l’un des manuels permettant de «tout réviser» avant le BEPC commence par une longue liste terminologique d’une vingtaine de pages (cf. Borrel/Melluso 1991).

Il existe en plus une grammaire, aujourd’hui probablement un peu moins en vue, à laquelle le collégien peut se référer, le Bescherelle Grammaire – qui forme avec la table des conjugaisons et l’orthographe la «Sainte Trinité du Bescherelle», comme me le disait la vendeuse d’une librairie spécialisée de Strasbourg.

Même pendant les trois dernières années du secondaire (= lycée), la grammaire n’est pas complètement sacrifiée. S’il est vrai que les livres de grammaire, tels celui de Bonnard, conçu spécialement pour le lycée, ne rencontrent pas une grande audience, les manuels effectivement utilisés contiennent des parties grammaticales utiles et intelligentes, p. ex. sur la valeur des temps verbaux et l’expression de la modalité (cf. Eterstein/Lesot 1995). La pratique de l’analyse stylistique, du moins dans les lycées où j’ai pu m’en faire une idée, ne semble pas coupée de ce que les élèves du collège ont appris en grammaire.

4. Ebauche de bilan comparatif

Si l’on peut avoir dans l’ensemble une vision plus positive de l’enseignement de la grammaire en France, c’est qu’en principe le système éducatif épargne aux élèves le spontanéisme de vague inspiration pragmatique si fréquent dans les cours d’allemand en Allemagne. Encore faut-il dire que l’air du temps s’est heureusement éloigné, en Allemagne, de cette espèce de grammatologie de la libération pratiquée jadis dans le Land de Hesse, lorsque l’idée même de norme linguistique passait pour quelque peu réactionnaire.

8 Cf. Français. Classes de seconde, première et terminale (1998). Ministère de l’Éducation

nationale. Paris: CNDP.

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Pour nuancer un peu mon appréciation comparativement positive de ce qui se passe en France, il faudrait sans doute ajouter que, jusqu’à un passé récent, la forte règlementation de certains types de pratiques scolaires, comme la traditionnelle analyse logique et l’analyse grammaticale, risquait apparemment de se transformer en exercices scolastiques, et que la pseudo-sécurité en matière de terminologie n’était sans doute pas toujours apte à stimuler la réflexion critique de l’élève. Il n’est pas sûr que ces pratiques pédagogiques soient partout abandonnées.

Sur la base d’observations quotidiennes effectuées des deux côtés du Rhin, on peut affirmer qu’un facteur de convergence réside dans une relative désaffection pour les problèmes de la grammaire phrastique (parties du discours, analyse de constructions etc.). Cette tendance, consacrée par la nouvelle terminologie française et par certains manuels allemands9, va de pair avec un déplacement de l’intérêt vers les grands thèmes de la linguistique du texte (analyse du discours, renouveau de la rhétorique) et de la pragmatique (énonciation, déixis etc.). Quelque louable que soit ce nouvel élan, le bagage terminologique ainsi acquis ne semble pas d’une utilité immédiate pour l’initiation à une langue étrangère.

5. Etude de cas

Ce que j’ai présenté jusqu’ici a le caractère d’un aperçu de l’enseignement de la terminologie grammaticale en France et en Allemagne. Je voudrais désormais me concentrer de façon plus technique sur une étude de cas, où la perspective contrastive apparaîtra toujours en filigrane. Le problème retenu est celui du traitement, dans les grammaires scolaires, des différences entre divers types de compléments qui dépendent du verbe.

La comparaison du matériel didactique français et allemand10 conduit à un résultat quelque peu paradoxal: la volonté française d’imposer une terminologie exhaustive même là où subsistent des zones d’ombre dans la description de la langue, risque de se retourner contre elle-même, car elle se heurte à un défaut d’analyse grave, que seule permettrait de surmonter une approche fondée sur une solide théorie scientifique. D’autre part, le grand flou de la terminologie allemande permet de masquer, pour un temps au moins, les profondes incertitudes de l’analyse grammaticale – à condition

9 Cf. les éditions de Verstehen und Gestalten (München, Oldenbourg) pour la classe 11.

10 Voir plus haut (2.) à propos de Ergänzung, Angabe, Präpositionalobjekt et Adverbial.

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bien sûr que les élèves ne relèvent pas eux-mêmes l’imprécision des concepts.

Voici un exemple des risques encourus par une grammaire didactique qui essaie de plaquer la terminologie sur une réalité partiellement obscure: dans le Bescherelle Grammaire, le § 84 sur les compléments circonstanciels commence dans la plus grande confusion: nous apprenons que ce terme est «traditionnel», mais qu’il a aussi une valeur moderne lorsqu’il s’oppose à celui de «complément essentiel»; que le complément circonstanciel est un complément du verbe, mais non pas forcément un complément de verbe, étant souvent un complément de phrase; «il peut, en général, être supprimé sans que la phrase où il figure soit détruite» (§ 85). Toutefois, on nous explique que la suppression est impossible dans Il va à Lyon et Il rentre sa voiture au garage (§ 88) – ceci étant, dit notre grammaire, le fait du verbe et non du CC. Expression qui ne manquera pas de paraître naïve au lecteur, puisqu’elle donne à entendre que l’on peut concevoir un CC en soi, indépendamment du reste de la phrase.

La confusion atteint son comble lors d’une reprise de la question cent paragraphes plus loin, où l’on oppose complément essentiel et complément circonstanciel, ainsi que complément de verbe et complément de phrase, deux classements dont on nous précise qu’ils ne coïncident pas exactement (§ 185). Ici, la grammaire elle-même relève une certaine absurdité, formulant la question de savoir si à Paris dans Il va à Paris pourrait être à la fois essentiel et circonstanciel (§ 189). Pourtant, à cet égard il ne paraît pas correct de laisser entendre que circonstanciel au sens traditionnel est une désignation d’ordre sémantique: nous avons vu qu’elle était définie sur la base de critères largement syntaxiques11.

Après ces observations critiques à propos d’un manuel scolaire actuellement en usage, on ne peut pas ne pas reconnaître les mérites de la nouvelle terminologie de 1997, mentionnés déjà plus haut. Critiquée par ailleurs, comme on le sait, pour d’autres raisons, elle donne (presque) satisfaction dans sa présentation des compléments. Sur la base d’une vision en dernière analyse dépendancielle de la phrase (même si cette prémisse reste implicite), la terminologie distingue les compléments suivants (15-17):

11 Tomassone (1996: 186) est certainement sur la bonne voie en commençant par critiquer la

définition traditionnelle de complément circonstanciel et en proposant de passer définitivement à l’opposition complément circonstanciel vs complément essentiel.

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COMPLÉMENTS

ESSENTIELS CIRCONSTANCIELS

d’objet direct d’objet indirect exprimant le lieu, le temps (etc.)

Points critiques malgré tout:

– la rubrique du complément indirect ne comporte, dans l’énumération des exemples, que les compléments introduits par à/de (que faire alors du complément de insister sur?);

– l’on ne distingue pas entre parler à qqn/penser à qqn (malgré le comportement formel très différent de ces syntagmes: je lui parle, mais *je lui pense);

– le statut valenciel des adverbes n’est pas mentionné (se comporter bien).

Une terminologie de ce type, perfectionnée sur les points précisés ci-dessus12, conviendrait parfaitement à l’allemand et constituerait une petite contribution à une méthode d’enseignement plus efficace, parce que plus concertée, d’autres langues étrangères encore.

Je ne reviendrai plus sur les incertitudes de la terminologie allemande13 – celle qui fait tout son possible pour ne pas être officielle. Nous avons pu constater cependant que «la partie la plus saine» des usagers de la terminologie grammaticale en Allemagne (certains auteurs de manuels ainsi que des groupements ad hoc d’enseignants) s’achemine vers des solutions compatibles avec celles désormais préconisées en France.

12 Tenant surtout compte de l’existence d’un «datif» dans les constructions comme parler à

qqn.

13 Il est amusant de noter que le Schülerduden (1998: 367s), faute de base théorique assurée, se heurte aux mêmes problèmes concrets que le Bescherelle, et cela à propos des compléments de Die Turnerin stützt sich auf den Barren et Der Redner stützt sich auf das Manuskript. «Präpositionalobjekt» ou «adverbiale Präpositionalgruppe»? Le Schüler-duden hésite. Relevons au passage que l’expression «adverbiale Präpositionalgruppe» ne figure nullement dans les recommandations ministérielles de 1982, pourtant invoquées dans la préface du même Schülerduden (v. plus haut note 7).

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Peter BLUMENTHAL 77

6. Conclusion

Au cours de cette contribution, nous avons mis davantage l’accent sur les divergences que sur les points de contact entre la France et l’Allemagne en matière de terminologie grammaticale. Les convergences qu’on a pu relever sur le terrain sont en effet marquées par un contexte négatif: le peu d’estime que rencontrent souvent, dans l’enseignement secondaire des deux côtés du Rhin, les préoccupations d’ordre terminologique – et cela pour des raisons historiques ou politiques différentes selon les pays.

Cependant, s’il devait s’avérer empiriquement qu’une bonne terminologie représente un atout pratique dans l’enseignement des langues étrangères, apte à produire un effet de synergie entre plusieurs matières sco-laires, certaines conséquences s’imposeraient, et en premier lieu pour l’Allemagne:

– les ministères de l’éducation des Länder devraient avoir le courage d’aller bien plus loin dans la conception d’une nomenclature cohérente et obligatoire, dont les éléments seraient à définir avec rigueur – et bon sens;

– en espérant que bon sens rime avec science: un règlement tel que nous le préconisons devra avoir une assise rationnelle, sous forme de théorie linguistique (même si elle reste implicite aux yeux des élèves);

– cette base théorique (évidemment provisoire et révisable, comme toute théorie scientifique) assurera à la terminologie grammaticale un degré de généralité suffisant pour permettre son emploi dans plusieurs langues enseignées à l’école.

Les points de contact résulteront donc, dans la perspective d’un futur système d’enseignement européen, d’une réflexion méthodique sur la langue, et non plus de telle ou telle tradition nationale particulière.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 79-93

Pour ériger des passerelles entre les terminologies grammaticales

française et allemande

Anton NÄF Université de Neuchâtel

This article proposes a new set of criteria intended for the comparison of grammatical terminologies for different languages. Applied to French and German, the mother tongue and the first «foreign» language taught in public schools in the French speaking part of Switzerland, the proposed criteria result in a classification into five subgroups, ranging from simple synonymy (préposition vs Präposition) to the tricky case of the «false friends» (attribut vs Attribut) and the non-existence of certain categories in one of the two languages (passé simple or Genitiv).

An examination of the grammatical terminologies used in textbooks for German as a foreign language in French speaking Switzerland, especially in the field of the simple and the complex sentence, shows that these textbooks are in no way based on the terminological foundations laid by grammar classes in the students’ mother tongue. This conclusion holds true even for the newest generation of textbooks currently being introduced in state schools. In view of this unsatisfactory state of affairs, the call made by E. Roulet in 1980 for an integrated methodology of first and the second/foreign languages unfortunately continues to remain an unfulfilled desideratum.

1. Remarques liminaires

Si l’on survole l’histoire de la réflexion grammaticale, on constate que celle-ci a été, dès ses débuts, étroitement liée à l’enseignement des langues, aussi bien de la langue maternelle que des langues étrangères. Or, paradoxalement, dans les années septante et quatre-vingt du 20ème siècle, l’école ne semblait plus très bien savoir que faire de cette grammaire qu’elle a pourtant largement contribué à façonner. C’est un mot magique qui avait pris le dessus: la fameuse «communication». Pendant un certain temps, on a réellement pensé avoir trouvé la panacée avec ce concept aux contours plus que flous.

Mais ici aussi, il s’est avéré, une fois de plus, que les slogans à la mode ne tiennent pas à la longue ce qu’ils promettent. En parodiant un vieil adage, on pourrait en tirer la leçon suivante: «Chassez la grammaire, elle revient au galop!». Si certains ont voulu noyer la grammaire dans une théorie de la communication vague et sans réel contenu, il y avait dans cette démarche

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une part de démagogie certaine, ainsi qu’une abdication devant la rigueur intellectuelle qu’exige la grammaire.

Or depuis quelques années, la grammaire, et plus particulièrement la terminologie grammaticale utilisée à l’école, est devenue à nouveau un thème d’actualité et un sujet de réflexion. J’en veux pour preuve les nombreux colloques qui lui ont été consacrés en 1998: entre autres à Paris-Nanterre, à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université Stendhal à Grenoble.

En Suisse romande, la réflexion grammaticale a été relancée dans le cadre du groupe Bally, alors présidé par Jean-Paul Bronckart, réunissant des linguistes et des spécialistes de l’enseignement du français. Un Rapport de synthèse de ce groupe d’experts avait paru en 1988 déjà. Par la suite, une commission chargée de réfléchir de manière plus approfondie aux questions terminologiques a été mise sur pied. Son objectif était double: d’une part, définir un fundamentum commun minimal pour chaque niveau scolaire, d’autre part, élaborer à l’intention des enseignants un certain nombre de fiches portant sur des notions et procédures problématiques. L’idée de présentation sous forme de fiches a certes été abandonnée, mais un ouvrage de référence, dont une version provisoire a été mise en consultation en 1996, est sur le point de paraître aux Editions De Boeck, sous le titre de De la phrase aux énoncés: grammaire scolaire et descriptions linguistiques (cf. les contributions de M.-J. Béguelin et de M. Matthey dans ce volume).

Il n’est pas toujours facile, en grammaire, de résoudre le conflit entre les exigences d’ordre scientifique, l’héritage de la tradition et les besoins d’ordre pédagogique. Pour l’école, il s’agit de trouver des compromis raisonnés et raisonnables entre les différentes attentes. En effet, non seulement pour les enseignants, mais également pour les chercheurs, il est devenu extrêmement difficile de gagner une vision d’ensemble sur les théories et les terminologies grammaticales les plus récentes et leurs liens avec la grammaire dite scolaire. Il s’agira de trouver un chemin praticable à travers cette jungle qui n’est pas que terminologique. Car il est clair que les résultats parfois très provisoires de la recherche scientifique ne peuvent être repris tels quels par l’école, mais qu’ils ont au contraire besoin de subir une transposition didactique. Ainsi, un auteur chargé d’extraire de discours scientifiques contradictoires la substance pour une méthode ad usum delphini se retrouve rapidement dans une situation peu enviable. En effet, la terminologie grammaticale retenue devrait être aussi rigoureuse et claire que possible, et en même temps aussi simple et souple que possible. Il s’agira alors de retenir un fundamentum minimal dans une offre terminolo-

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gique pléthorique, aux origines hétérogènes de surcroît. Tout cela sans céder à la fureur terminologique, et pour chaque niveau scolaire: école primaire, école secondaire, gymnase ou lycée. Il y a vingt ans déjà, E. Roulet (1980: 118) avait fortement critiqué la tradition «fâcheuse et indéfendable» qui veut que la réflexion grammaticale s’arrête à la fin du secondaire inférieur. S’il est inévitable qu’on doive travailler, dans les petites classes particulièrement, avec des catégories «floues», qui ne donnent pas entièrement satisfaction d’un point de vue scientifique, au fil du parcours scolaire, le degré de finesse de l’analyse devrait alors être augmenté. En même temps, la grammaire ne devrait pas être un but en soi. Dans les nouvelles méthodes d’enseignement du français, le lien entre activités de structuration et activités d’expression est déjà réalisé dans une large mesure. A aucun prix, il ne faut désécuriser encore davantage les enseignants et leurs élèves, mais au contraire leur donner des outils aussi simples et fiables que possible. Une «terminologie à deux vitesses», destinée respectivement aux enseignants et aux élèves, semble être la solution la plus adéquate.

2. La situation de l’enseignement de l’allemand en Suisse romande

L’élève francophone de Suisse romande, confronté au degré secondaire I et II à la terminologie grammaticale de la première langue étrangère – l’allemand –, se heurte à un certain nombre de problèmes notionnels et terminologiques. Jusqu’à présent, le souci de faire le lien entre les termi-nologies grammaticales de la langue maternelle et des langues étrangères était malheureusement laissé en grande partie… à l’élève lui-même, les professeurs des langues enseignées à l’école connaissant d’ordinaire exclu-sivement la terminologie de leur propre discipline. L’élève sera un peu plus gâté uniquement si son professeur, à côté de sa langue maternelle – le fran-çais –, enseigne également une ou plusieurs langues étrangères. De manière générale, il faut malheureusement constater aujourd’hui que les exigences programmatiques contenues dans le livre d’Eddy Roulet intitulé Langue maternelle et langues secondes. Vers une pédagogie intégrée (1980) sont restées lettre morte. Plutôt que de rêver d’une situation idéale de pédagogie intégrée, il conviendrait peut-être de viser dans un premier temps un objec-tif plus réaliste, à savoir une pédagogie un peu mieux coordonnée des di-verses langues enseignées à l’école.

Pour «amortir» la transition du français à l’allemand (ainsi qu’à d’autres langues étrangères, et particulièrement à l’anglais), il y aurait lieu de

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rédiger, à l’intention de tous les professeurs de langues, un vade-mecum faisant état des principaux cas de «frottement» auxquels on peut s’attendre.

Disons-le d’emblée: je ne crois pas, dans ce domaine ultra-sensible, à une action révolutionnaire. Nous ne devons en aucun cas sous-estimer la force d’inertie inhérente à une terminologie grammaticale vieille de plusieurs siècles. La terminologie grammaticale scolaire n’est pas un terrain de jeux pour les créateurs d’étiquettes. Quiconque jette par dessus bord des termes ancrés dans la tradition grammaticale européenne doit être conscient que ses chances d’établir un nouveau terme sont très limitées. Du reste, nous avons aujourd’hui déjà une pléthore de termes différents pour des phénomènes découverts depuis belle lurette.

3. Typologie des «zones de frottement» entre les terminolo-gies française et allemande

En simplifiant légèrement, la comparaison entre les deux systèmes terminologiques du français et de l’allemand nous amène à distinguer cinq cas de figure:

a) Paires de termes formés à partir des mêmes éléments d’origine latine, qui ne posent pas ou guère de problèmes:

verbe : Verb

indicatif : Indikativ

plus-que-parfait : Plusquamperfekt

préposition : Präposition

singulier : Singular

comparatif : Komparativ

apposition : Apposition

etc.

Heureusement, une bonne partie des termes grammaticaux appartiennent à cette catégorie, véritable «patrimoine occidental» puisé dans le latin, langue «paternelle» de l’Europe. Il existe, il est vrai, en allemand, pour certains de ces termes, des synonymes plus ou moins «parlants» formés à partir d’éléments d’origine germanique, comme par exemple Vorwort pour préposition. Même si les méthodes d’enseignement qui utilisent une telle terminologie «allemande» partent souvent de la bonne intention de faciliter la tâche de l’élève, ce procédé est à rejeter dans le cadre de l’enseignement de l’allemand langue étrangère, puisqu’il atteint justement l’effet contraire.

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En effet, des termes tels que Verb, Singular, Apposition, etc. sont beaucoup plus abordables et familiers pour l’élève francophone que Tätigkeitswort, Einzahl, Beisatz, etc.

En outre, les termes d’origine latine sont de manière générale préférables, puisqu’ils réduisent le risque constant de confusion de critères formels avec des critères sémantiques: le danger de définitions circulaires du genre: Ein Tätigkeitswort ist ein Wort, das eine Tätigkeit ausdrückt («un mot d’action est un mot qui exprime une action») est moindre, voire absent, avec des termes d’origine latine qui sont moins transparents pour l’élève, et particulièrement pour l’élève non latiniste. Les résultats de l’étude empirique de D. Martin (dans ce volume) montrent clairement quels dégâts peut causer une interprétation au pied de la lettre de certains termes grammaticaux. Ainsi, le terme grammatical «romand» de suite du verbe induit chez bon nombre d’élèves l’idée - erronée - que la suite du verbe doit nécessairement suivre immédiatement le verbe (ce qui est certes le cas dans Il promène son chien, mais manifestement pas dans Il le promène).

b) Paires de termes dans lesquelles l’utilisation du terme d’origine latine est souhaitable en allemand, mais pas (encore) très répandue:

phrase déclarative : Deklarativsatz (moins usuel que Aussagesatz) phrase interrogative : Interrogativsatz (moins usuel que Fragesatz) phrase complexe : komplexer Satz (moins usuel que Satzgefüge) verbe auxiliaire : Auxiliarverb (moins usuel que Hilfsverb) article défini : Definitartikel / definiter Artikel (moins usuels que bestimmter Artikel) etc.

Pour l’enseignement de l’allemand langue étrangère du moins, les expressions d’origine latine sont nettement plus appropriées. Cependant, elles me semblent préférables aussi pour l’enseignement de l’allemand langue maternelle, ceci pour deux raisons: d’une part, leur utilisation constitue une contribution non négligeable à l’«eurocomptabilité» de la grammaire allemande (cf. l’article de Dominique Willems dans ce volume); d’autre part, elle permet de réduire le danger d’une sémantisation hâtive (du type Ein Fragesatz drückt eine Frage aus ou Der bestimmte Artikel signalisiert etwas ganz Bestimmtes).

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c) Paires de termes ayant des signifiants différents, mais qui ne sont que des étiquettes différentes pour la même notion:

nom : Substantiv (Nomen tend toutefois à se généraliser) verbes pronominaux : reflexive Verben / Reflexivverben passé surcomposé : Doppelperfekt (mot) subordonnant : Einleitewort (de la proposition subordonnée) mot-phrase : Satzäquivalent accord : Kongruenz etc.

De telles différences terminologiques peuvent certes s’avérer désagréables et nécessiter un effort d’apprentissage supplémentaire, de même qu’une capacité de «switcher», mais elles ne sont pas à mon avis particulièrement gênantes. Il s’agit pour ainsi dire d’une attente normale face au vocabulaire d’une langue étrangère: de même que cheval se dit Pferd, accord (grammatical) se dit Kongruenz.

d) Paires de termes qui représentent de «faux amis»:

attribut : Attribut épithète : Epitheton (terme technique de la stylistique) (verbe) pronominal : pronominal conditionnel : konditional fonction : Funktion [dans le sens de Satzglied(wert)] etc.

Le potentiel d’irritation des faux-amis est considérable, mais leur nombre est heureusement relativement restreint. L’un des exemples les plus frappants entre le français et l’allemand est sans conteste le couple attribut vs Attribut. Dans une phrase telle que Meine Schuhe sind neu (Mes chaussures sont neuves), on parle en français d’un (adjectif) attribut (du sujet); en allemand, par contre, on parle d’un prädikatives Adjektiv. Inversement, on utilise en allemand l’expression attributives Adjektiv (ou mieux: attributiv verwendetes Adjektiv) dans un cas comme meine neuen Schuhe (mes nouvelles chaussures), où l’on parle traditionnellement, en français, d’(adjectif) épithète. L’allemand Attribut est un terme générique et englobe toutes les expansions du nom dans le groupe nominal; il correspond ainsi à ce que nombre de grammaires françaises actuelles appellent complément du nom. Comme le montre la contribution de

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Maillard & Almeida dans ce volume, le français fait bande à part dans le cas présent (l’anglais comme l’allemand différencie entre les deux fonctions syntaxiques attributive vs predicative, cf. R. Quirk et al., 1972: 246). Si l’on voulait entamer des négociations sur le marché européen de la grammaire, c’est certainement le français qui devrait ici faire des concessions.

D’autres cas du même type sont moins embrouillés. Ainsi, l’adjectif français pronominal dans les verbes pronominaux ne désigne que les pronoms réfléchis. Quant à Funktion, outre son sens large (comme par exemple dans «la fonction syntaxique d’un élément X dans la structure Y»), le terme de fonction semble avoir en français une acception plus spécifique, qui n’est pas partagée par l’allemand. En effet, les chapitres des grammaires françaises intitulés «fonctions (de la phrase)» portent dans celles de l’allemand le titre «Satzglieder».

e) Termes du français respectivement de l’allemand qui désignent un phénomène n’ayant pas de pendant dans l’autre langue:

gérondif : –– passé simple : –– subjonctif : –– présentatif : ––

–– : Genitiv __ : Konjunktiv I __ : Pronominaladverb __ : Verbzusatz __ : Ausklammerung

Les didacticiens des langues sont plus ou moins unanimes quant à la nécessité de garder ici les expressions étrangères. Il est par exemple extrêmement problématique qu’une expression comme Konjunktiv I soit rendue dans une méthode d’allemand langue étrangère par subjonctif (comme c’est encore parfois le cas). D’un point de vue fonctionnel, les deux termes n’ont rien à voir l’un avec l’autre, et le subjonctif du français n’apparaît pas, par exemple, dans le discours indirect. L’invention d’un mot comme conjonctif est aussi à déconseiller (ceci d’autant plus que l’expression est déjà en partie occupée: les conjonctives (une abréviation pour propositions subordonnées conjonctives) correspondent aux Konjunktionalsätze allemands (Gardes-Tamine, 1990, vol. 2: 41).

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La grammaire de l’allemand langue étrangère la plus répandue en Suisse romande au niveau secondaire supérieur, celle d’Ernest Gfeller, est rédigée entièrement en français, ce qui présente plusieurs avantages. L’élève ne perd pas de temps à apprendre des termes techniques guère utiles dans la pratique quotidienne, et il peut de plus étudier les explications grammati-cales indépendamment de l’enseignant.

Par contre, dans cet ouvrage, l’élève est parfois confronté à des termes qui n’ont plus cours dans l’enseignement renouvelé de la grammaire du français en Suisse romande. Ainsi, Gfeller continue d’utiliser le terme adjectif épithète comme équivalent de l’expression allemande attributives Adjektiv (alors que l’usage actuel privilégie groupe adjectival complément du nom).

Enfin, aux endroits où il existe des différences structurelles entre les deux langues, Gfeller recourt à deux stratégies distinctes: soit il crée des termes auxiliaires supplémentaires, comme complément du datif (pour Dativ-objekt), soit il conserve le terme allemand tel quel (comme dans le cas de Konjunktiv I).

4. La terminologie allemande relative à la phrase

J’aimerais maintenant illustrer mon propos en prenant l’exemple de la terminologie grammaticale au niveau de la phrase. Ceci de manière succincte et sous forme de simple énumération, en adoptant la perspective de l’élève francophone qui passe du système de référence qu’il connaît, c’est-à-dire celui du français, à celui de l’allemand. Ces remarques s’appuient sur l’analyse des méthodes d’enseignement les plus utilisées en Suisse romande: Maîtrise de la langue (1979) et Pratique de la langue (1989) pour le français, Vorwärts International (1974ss.) et Unterwegs Deutsch (1987ss.), de même que Auf Deutsch! (1994ss.) et Sowieso (1997ss.), qui seront prochainement introduits en Suisse romande, pour l’allemand.

Ces quatre méthodes d’enseignement de l’allemand n’ont, à l’exception de Unterwegs Deutsch, pas été créées pour des apprenants francophones. Mais dans cette production romande non plus, on n’a malheureusement pas saisi l’occasion de prendre en considération la langue maternelle des élèves (von Flüe-Fleck, 1994: 246). Quant à la méthode importée d’Angleterre Auf Deutsch!, sur la partie grammaticale de laquelle la recherche de ces dernières décennies ne semble pas avoir laissé la moindre trace (cf. la contribution de Peter Lenz dans ce volume), elle ne comporte que quelques explications en français ajoutées après coup.

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Dans les remarques qui suivent, nous nous limitons à la terminologie relative au domaine de la phrase. Tout d’abord une constatation générale: par rapport au grand nombre de termes présents dans les grammaires destinées aux locuteurs natifs en français et en allemand, la terminologie est relativement restreinte dans les manuels d’enseignement de l’allemand langue étrangère (ALE). Ceci est valable à plus forte raison pour la terminologie relative à la phrase. Ainsi, les deux nouveaux manuels Auf Deutsch! et Sowieso ne contiennent chacun qu’une dizaine de termes relatifs à la phrase, qui se révèlent parfois peu courants et plutôt maladroits.

De manière générale, la terminologie allemande relative à la phrase est formée d’éléments d’origine germanique et ne peut donc être directement associée par l’élève à la terminologie française. Elle relève de la catégorie (c) ci-dessus, et comprend notamment quelques mots composés ô combien redoutables pour l’élève francophone (par ex.: einfacher Satz, zusammen-gesetzter Satz, Satzverbindung, Satzgefüge, zusammengezogener Satz, Hauptsatz, Nebensatz, Aussagesatz, etc.), à l’exception des sous-catégories sémantiques des subordonnées conjonctives qui correspondent de plus près à la terminologie française (Kausalsatz, Temporalsatz, etc.).

4.1. Types de phrase et formes de phrase

D’un point de vue théorique, le terme «phrase» est l’un des plus controversés et l’un des plus insaisissables de la grammaire, mais ceci n’a guère d’importance dans le cadre de l’école. Certes, cette notion présente un certain intérêt, mais presque uniquement pour expliquer aux élèves les règles de la ponctuation. Et dans ce cas, on peut très bien se contenter d’une définition comme celle qui est donnée dans Pratique de la langue (PL 3: 74), à savoir qu’une phrase est un énoncé qui constitue un ensemble organisé d’unités qui, à l’écrit, commence par une majuscule et se termine par un point, un point d’interrogation ou un point d’exclamation.

Il y a malheureusement, en français, une abondance terminologique pour ce terme le plus fondamental de la syntaxe: «phrase», mais aussi «proposition». Dans la tradition grammaticale, certes, le terme «phrase» devrait être réservé à une unité de texte indépendante, alors que le terme «proposition» désignerait les composants d’une phrase complexe (en allemand: Teilsätze). Or, il se trouve qu’une partie des manuels généralise le terme de «phrase» (par ex. Pratique de la langue: la phrase déclarative, mais aussi: la phrase subordonnée, etc.), alors que d’autres généralisent «proposition».

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Dans les manuels d’allemand langue étrangère, un terme correspondant au français «proposition» au sens étroit du terme serait hautement souhaitable. Les auteurs de Sowieso par exemple ont voulu pallier ce manque, mais se sont malheureusement fourvoyés, puisqu’ils ont introduit Satzteil au lieu du terme courant Teilsatz (Satzteil n’existe plus guère aujourd’hui, et si on le trouve encore, c’est comme synonyme archaïque de Satzglied, «constituant de phrase»).

Contrairement à ceux de l’allemand, les manuels du français (Maîtrise du français, Pratique de la langue, etc.) s’inspirent encore largement de l’approche transformationnelle. Par conséquent, c’est en vain que l’écolier romand cherchera, dans les manuels scolaires ALE, la fameuse phrase P (phrase déclarative non marquée). Cela ne devrait d’ailleurs pas trop le gêner, cette notion n’étant pas, somme toute, d’une grande utilité.

De même, la «manie du groupe», pratiquée dans les manuels du français de Suisse romande, est absente des méthodes d’enseignement de l’allemand. Cela non plus ne semble pas poser de problème majeur, cet étiquetage ayant d’ailleurs déjà suscité nombre de commentaires acerbes parmi les enseignants. En langue maternelle, l’analyse d’une phrase comme Céline dort en un groupe nominal (Céline) et en un groupe verbal (dort) dérange en effet plus d’un esprit, un mot isolé ne pouvant que difficilement être considéré comme un groupe dans le langage ordinaire.

D’un point de vue scientifique, le défaut principal de la terminologie scolaire – et pas seulement de celle utilisée dans les manuels de l’ALE – est qu’il existe encore trop souvent, malgré quelques améliorations ponctuelles, une confusion entre les critères formels et les critères sémantiques. La confusion ou la mise en parallèle des types de phrases et des actes de langage notamment sont particulièrement répandues (par ex. confusion entre Frage et Fragesatz / Interrogativsatz). A cet égard, le traitement infligé à ce domaine dans Terminologie grammaticale (1998, 8, 14f.), éditée par le Ministère d’Education nationale à Paris, est révélateur: aux quatre types de phrases distingués correspondent, comme par miracle, quatre «actes de parole». Or, je ne connais personnellement aucune recherche consacrée à ce thème qui soit arrivée au résultat qu’il existe quatre familles d’actes de langage. Un autre exemple: dans Unterwegs Deutsch, Weg mit diesem Zeug! est désigné comme impératif. Un tel manque de rigueur conceptuelle peut entraîner des questions embarras-santes de la part des élèves les plus doués et nuit, en fin de compte, à l’image de la grammaire auprès des maîtres et des écoliers.

La distinction de quatre types de phrases en français (phrase déclarative, interrogative, impérative, exclamative) est bien établie (Pratique de la

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Anton NÄF 89

langue 3: 209). En allemand, en revanche, la typologie correspondante en Satzarten (en «sortes», en «espèces de phrases») est variable et comporte des hésitations notamment quant à leur nombre et aux critères de définition. Par exemple, la place accordée à la phrase exclamative est soit inexistante, soit insuffisante et mal définie (Näf 1996: 137). Notons toutefois que ce manque de clarté, grave d’un point de vue scientifique, ne constitue pas un réel problème pour les besoins de l’enseignement de l’ALE.

La distinction de trois formes de phrases, terme technique «défini» par simple énumération (positive vs négative; active vs passive; neutre vs emphatique), de même que le terme générique lui-même, sont absents aussi bien dans les grammaires scientifiques que dans les manuels allemands. Ceci non plus ne devrait pas trop gêner l’élève, ni trop lui manquer d’ailleurs… Dans la tradition allemande, la forme négative est en effet considérée plutôt comme un opérateur logique que comme une variation grammaticale de la phrase. La différenciation entre actif et passif est considérée comme relevant du domaine de la morphologie du verbe, et non pas comme une forme de phrase. Enfin, la distinction neutre vs emphatique n’est pas, elle non plus, traduite par une terminologie propre en allemand; ceci probablement parce que la forme emphatique n’y est pas exprimée par des marqueurs spécifiques, mais rendue uniquement par l’intonation.

D’ailleurs, la notion de phrase emphatique telle qu’elle est définie dans Pratique de la langue fait montre d’une ambiguïté regrettable (PL 3, 218). En effet, elle comprend non seulement la catégorie traditionnelle des présentatifs du type C’est… qui / que, mais aussi les phrases segmentées, avec détachement (ou: dislocation) d’un constituant en tête ou à la fin de la phrase (Je l’ai rencontrée au concert, ta mère). Le terme d’emphatique est particulièrement mal choisi pour ce genre de constructions, le constituant détaché n’étant souvent pas porteur de l’information nouvelle.

4.2. Propositions subordonnées

Dans le domaine des propositions subordonnées, l’élève apprenant l’allemand qui a grandi en assimilant la terminologie française peut respirer. En effet, les termes allemands sont, ici, beaucoup plus simples que les français, dont la construction est le reflet d’une logique hiérarchique poussée.

Mais le prix à payer pour des dénominations aussi complètes est élevé, puisqu’il en résulte des locutions fort encombrantes et peu maniables. Cette remarque vaut aussi bien pour les terminologies plus traditionnelles (Le

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90 Pour ériger des passerelles entre les terminologies française et allemande

Robert & Nathan 1995) que pour des moyens d’enseignements plus récents (Pratique de la langue). Quelques exemples:

Le Robert & Nathan:

– proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de temps

– proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de condition

– proposition subordonnée interrogative indirecte

Pratique de la langue:

– phrase enchâssée dans le groupe verbal

– phrase enchâssée dans le groupe nominal (relative)

– phrase enchâssée dans le groupe prépositionnel complément de phrase

En allemand, l’élève trouvera des termes plus compacts, tels qu’Ergänzungssatz (Komplementsatz), Relativsatz, Adverbialsatz, etc. Le fait qu’il s’agit d’une proposition subordonnée est, à chaque fois, sous-en-tendu. En effet, Adverbialsatz, de par sa concision, remplace avantageuse-ment un terme plus pédant comme *Adverbialnebensatz.

En outre, des locutions comme «proposition subordonnée relative» (Le Robert & Nathan ) ou «phrase subordonnée relative» (Pratique de la langue) comportent un aspect redondant et rebutant pour un germanophone habitué à l’expression Relativsatz, étant donné qu’une relative est par définition une subordonnée.

4.3. Constituants de phrase

Dans l’analyse des constituants de la phrase simple en français, la distinction terminologique entre «complément de verbe» et «complément de phrase» (ce dernier étant déplaçable et supprimable) semble peu à peu s’imposer. Une telle dichotomie peut facilement être transposée en allemand et elle facilite la compréhension du programme valenciel des verbes, qui ne comprend justement que les «compléments de verbe» (Ergänzungen ou Komplemente) et non pas les «compléments de phrase» (Angaben ou Supplemente). Toutefois, le test de déplacement, recommandé en français pour différencier les deux classes (PL 3: 185), n’est pas utilisable en allemand, les compléments de verbes pouvant également occuper la première position dans la phrase.

Dans ce contexte, la confusion apparaissant dans Auf Deutsch! laisse perplexe. En effet, le terme de Satzstellung qui y figure est utilisé pour désigner la position des constituants au sein de la phrase, alors que le terme approprié est Satzgliedstellung ou Wortstellung. Le terme Satzstellung,

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pour autant qu’on veuille vraiment y recourir, ne pourrait s’appliquer qu’à la position de la phrase elle-même dans un ensemble plus large.

4.4. Procédures de découverte

C’est à juste titre que l’enseignement des langues maternelles et étrangères accorde aujourd’hui autant d’importance aux opérations de découverte qu’au simple exercice d’étiquetage. Dans l’enseignement de la langue maternelle, aussi bien en français qu’en allemand, des manipulations comme le remplacement (substitution), le déplacement (permutation), l’effacement (suppression), l’expansion et – sur un autre plan – la transformation, sont largement exploitées. Elles s’avèrent très utiles notamment pour établir et pour reconnaître les classes de mots et les fonctions. En outre, elles constituent, en français particulièrement, des aides précieuses pour découvrir par soi-même la graphie correcte d’homophones (tout francophone connaît le célèbre test de substitution entre mordre et mordu!). Relevons au passage que si l’élève a appris à distinguer clairement infinitif et participe passé dans sa langue maternelle, ce savoir lui sera aussi d’une grande utilité pour l’acquisition d’une langue étrangère.

Dans l’enseignement des langues étrangères, ce sont en grande partie les mêmes démarches de manipulation qui sont appliquées que dans la langue maternelle. Mais leur fonction est en partie différente: il s’agira moins dans ce cas de mener à l’assimilation et à la maîtrise de termes grammaticaux que de soutenir la production de syntagmes corrects dans la langue étrangère. Un coup d’œil à la grammaire d’Ernest Gfeller montre que, à côté des tests lacunaires et des exercices de substitution (par ex. remplacement d’un temps X par un temps Y), ce sont des exercices de transformation variés qui se taillent la part du lion (la signification du terme «transformation» n’a évidemment rien à voir, dans ce contexte, avec celle du même mot dans la grammaire générative).

5. Conclusion

En guise de conclusion, on peut constater que, au niveau de la phrase simple et complexe, les différences entre les deux systèmes français et allemand ainsi qu’entre les terminologies qui s’y rapportent ne sont, en fin de compte, pas si importantes. Elles sont en tout cas nettement plus petites que dans d’autres domaines, par exemple le nombre et l’emploi des temps grammaticaux.

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92 Pour ériger des passerelles entre les terminologies française et allemande

Les auteurs de méthodes d’allemand langue étrangère destinées à la Suisse romande seraient bien inspirés de jeter, autant que possible, des ponts entre l’enseignement de la grammaire en français et celui de la grammaire en allemand. Je crois que nous ne commettons d’injustice envers personne en constatant que, à l’occasion de l’introduction des deux nouveaux manuels d’ALE en Suisse romande, à savoir Auf Deutsch! et Sowieso, cette chance n’a – une fois de plus – pas été saisie. A l’avenir également, le principal artisan pour ériger des passerelles entre les terminologies française et allemande restera malheureusement l’élève lui-même.

Bibliographie

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Anton NÄF 93

Méthodes d’enseignement

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Bronckart, J.-P. et al. (1989). Pratique de la langue (français 7ème, 8ème, 9ème). Genève: Département de l’instruction publique.

Le Robert & Nathan. Grammaire (1995). Paris: Nathan.

Vorwärts international (1974, 1980). Ed. Nuffield Foundation. Bonn: Gilde-Buchhandlung C. Kayser.

Unterwegs Deutsch (1987-89). Ed. H. Birbaum et al., volumes 7-9, Basis und Erweiterung. Genève: Office romand des éditions et du matériel scolaires.

Auf Deutsch! (1993ss.). Ed. R. McNab, & A. O’Brian, 5 volumes. Oxford: Heinemann.

Sowieso. Deutsch als Fremdsprache für Jugendliche. (1997). Ed. H. Funk et al., 3 volumes. Berlin / München: Langenscheidt.

Gfeller, E. (1989). Cours moyen de langue allemande. Version compacte. Neuchâtel: Messeiller.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 95-107

Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

Peter LENZ Universität Freiburg

The present article discusses the grammatical terminology used in two of the German textbooks which are being introduced into the schools of French-speaking Switzerland.

Sowieso (Langenscheidt) uses a solid, Latin-based terminology throughout but, at the same time, encourages teachers to use the terminology which is best known to the respective pupils. It is argued in this article that it makes little sense to introduce a competing terminology into the work with sowieso since grammar work and the use of grammatical terms are so tightly intertwined with the textbook lessons that this step would lead to confusion and make some interesting communicative activities and otherwise useful reference parts useless.

An analysis of Auf Deutsch! (Heinemann) shows that explicit grammar is apparently one of the weeknesses of this textbook. The information provided is often faulty, and the use of terminology is inconsistent and confusing. The question is raised whether teachers should replace and complement the grammar parts, or rather reduce grammar teaching to a minimum and take advantage of the assumed strengths of the textbook.

Finally, it is suggested that the ongoing introduction of the new German textbooks should be thoroughly evaluated in order to gain enough information for well-founded decisions at the time when the next generation of textbooks will be created or chosen.

Einleitung

«Ces deux dernières décennies l’école ne sait plus trop quoi faire avec la grammaire» wurde in der Einleitung zu dieser Tagung gesagt. Diese Feststellung trifft mit Sicherheit auch auf den Deutsch-als-Fremdsprache-Unterricht zu. Die völlig unterschiedlichen Grammatikkonzeptionen in den beiden neuen Deutschlehrwerken für die Westschweizer Sekundarschulen – Auf Deutsch! und sowieso – illustrieren die herrschende Verunsicherung mit aller Deutlichkeit.

Dabei sind beide Lehrwerke Produkte der 90-er Jahre. Beiden ist auch gemeinsam, dass sie von der gleichen Kommission ausgewählt wurden und zur Zeit in den Schulen der Westschweiz als offizielle Lehrmittel eingeführt werden. Beide wollen sie auch kommunikativen Sprach-

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96 Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

unterricht ermöglichen, doch ist offensichtlich, dass sie aus ganz unterschiedlichen Lehrwerkschmieden stammen, die völlig unter-schiedliche Auffassungen haben unter anderem hinsichtlich des Werts von explizitem Grammatikunterricht für das Lernen einer Fremdsprache.

Damit das Folgende im richtigen Licht erscheint, muss vorausgeschickt werden, dass sich beide Lehrwerke in den praktischen Erprobungen grundsätzlich bewährt haben – beide haben aber auch bereits erklärte Fans und Gegner.

Sowieso

Sowieso ist im renommierten deutschen Langenscheidt-Verlag in einer internationalen, rein deutschsprachigen Ausgabe erschienen. Es umfasst die Bände 1-3, die sich jeweils aus Büchern, Heften und aus Hörkassetten zusammensetzen. Für die Einführung in der Westschweiz werden gewisse Teile ins Französische übersetzt, unter anderem die Grammatikteile. Zudem werden Brückenmaterialien (Plateforme) angefertigt, welche die Lernenden von den Lehrwerken, die sie vor der 7. Klasse benutzt haben, zu sowieso 2 hinführen sollen. Interessant für unser Thema Grammatikterminologie wäre natürlich eine Analyse gerade dieser Teile gewesen. Sie waren aber zum Zeitpunkt unseres Kolloquiums noch gesperrt, so dass ich mich bei meinen Ausführungen auf die internationale Ausgabe stütze und dadurch Fragen, die durch die Adaptationen aufgetaucht wären, weitgehend ausklammere.

Sowieso lässt sich innerhalb des weiten Rahmens einer kommunikativen Fremdsprachendidaktik einer kognitivistisch orientierten Richtung zuord-nen. Reflexion, Selbsttätigkeit der Lernenden und Hinführung zum autono-men Lernen spielen eine zentrale Rolle. Reflektiert wird neben Kommunikations- und Lernstrategien auch das Funktionieren der Sprache mittels explizitem Grammatikunterricht.

Damit in einer Klasse längerfristig sinnvoll und effizient über grammatische Phänomene gesprochen werden kann, ist eine gemeinsame, relativ einheitliche Grammatikterminologie sicher nötig. Doch wie die Autoren von sowieso richtig schreiben, darf dies nicht linguistischen Perfektionismus bedeuten, denn Grammatikunterricht soll schliesslich nicht per se betrieben werden, sondern im Dienste des Erwerbs kommunikativer Kompetenz:

«Linguistisch ‘saubere’ Terminologiekonzepte stossen in der Praxis schnell an Grenzen und werfen oft Lernprobleme auf, wo sie eigentlich eine Hilfe sein sollten. Eine pädago-

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Peter LENZ 97

gische Grammatik konzipieren bedeutet zuallererst, nach den Möglichkeiten der Lernen-den zu fragen.» (LHB11, S. 13)

Nach den «Möglichkeiten der Lernenden» zu fragen kann für die Autoren von sowieso sogar bedeuten, dass die Grammatikterminologie gewählt wird, die den Lernenden «aus dem Unterricht der Muttersprache oder aus der ersten Fremdsprache vertraut ist» (LHB 1, S. 13). Im Folgenden soll näher untersucht werden, ob es sinnvoll wäre, diesen Vorschlag zu befolgen und im Unterricht mit sowieso eine Terminologie zu verwenden, die wesentlich von der im Lehrwerk verwendeten abweicht. Dies wäre z.B. dann der Fall, wenn die im muttersprachlichen Französischunterricht verwendete Terminologie als Ausgangspunkt genommen würde.

So viel vorweg: Die Autoren von sowieso wiederholen ihren Vorschlag im 2. und 3. Band nicht, und dies – wie zu zeigen sein wird – mit gutem Grund, denn diese Lösung wäre auf die Dauer bei der Arbeit mit sowieso nicht effizient.

Das Rückgrat der Grammatikarbeit mit sowieso bildet die «SOS-Strategie»: Die Lernenden werden dazu angeleitet, mittels Sammeln, Ordnen und Systematisieren grammatische Regularitäten selbst induktiv zu erschliessen. Die Systematische Grammatik im Arbeitsbuch dient der Kontrolle des Gefundenen. Als eigentliche Lernergrammatik ist aber weniger dieser Referenzteil gedacht als vielmehr ein Grammatikheft, das nach und nach aus kontrollierten Hefteinträgen der Lernenden entstehen soll (Vgl. dazu LHB 1, S. 11ff.).

Zumindest störend bleibt trotzdem, dass die doch recht umfassenden Refe-renzteile in den drei Arbeitsbüchern (vgl. AB1, S. 97-109; AB2, S. 103-119; AB3, 106-128) funktionslos würden, sobald eine stark abweichende Grammatikterminologie zur Anwendung käme. Den Lernenden wäre da-durch eine wichtige Kontroll- und Nachschlagemöglichkeit genommen.

Im Kursbuch (KB) selbst wird zwar sparsam mit Grammatikterminologie umgegangen, aber es kommen durchaus Termini vor – auch im ersten Band! (Bsp.: LB1, S. 45: Personalpronomen, Possessivpronomen; S. 60: Präpositionen mit Dativ). Wenn nun die Lernenden primär eine andere Terminologie, etwa aus dem Muttersprachenunterricht, gebrauchen, ist die Gefahr gross, dass bald eine terminologische Doppelspurigkeit, d.h. mit

1 LHB = Lehrerhandbuch; KB = Kursbuch; AB = Arbeitsbuch

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98 Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

Sicherheit mehr Erklärungsaufwand und womöglich mehr Verwirrung, entsteht.

Im zweiten Band wird das Lernen der vorgegebenen deutschen Grammatik-terminologie sogar ins Kursbuch einbezogen (vgl. KB1, S. 32, Ü6), offenbar damit die Lernenden nachher in der Lage sind, bei grammatischen Problemen selbstständig nachzuschlagen.

Natürlich könnte eine solche Übung von der Lehrperson ad hoc durch eine andere Übung mit der eigenen Terminologie ersetzt werden. Doch wäre da-mit weder ein Ersatz für die Referenzteile im Arbeitsbuch gefunden, noch wären die konkurrierenden Termini aus dem Kursbuch getilgt, von wo aus sie weiterhin Verwirrung stiften könnten.

Zu einer teilweise befriedigenden Lösung beitragen könnte ein «länderspezifisches» Arbeitsbuch für die Westschweiz, in dem die Grammatikteile konsequent an die im Französischunterricht verwendete Terminologie angepasst würden. Länderspezifische Arbeitsbücher gehören zum Konzept von sowieso und existieren bereits, so dass diese Lösung jedenfalls nicht von vornherein ausgeschlossen wäre.

Für das Übersetzen der Grammatikteile von Lehrwerken in die Muttersprache der Lernenden gibt es sicher gute Argumente und es entspricht dem Wunsch von vielen Lernenden und Lehrpersonen. Fraglich ist aber, ob es denn sinnvoll ist, in einem Buch wie sowieso, das viel, vielleicht zu viel Beschäftigung mit Grammatik vorsieht, den Bereich der Grammatik zweisprachig zu machen. Wenn Grammatik nämlich induktiv erschlossen wird, dann bietet dies zahlreiche Anlässe für authentische Kommunikation. Die Probleme, die gelöst werden müssen, sind echt und allen Lernenden gemeinsam. Potentiell für Kommunikation und Spracherwerb nützliche Konstellationen sollten nicht leichtfertig aus dem Weg geräumt werden. Deshalb dürfte es sinnvoller sein, bei der Arbeit mit sowieso die deutsche Terminologie lernen zu lassen – statt sie zu übersetzen – und bloss hinsichtlich der Grammatikkonzepte, nicht aber in den Bezeichnungen, an die Vorerfahrungen der Lernenden anzuknüpfen. Damit die Deutschlehrer und -lehrerinnen dazu in der Lage sind, müssen sie allerdings sehr genau über die grammatischen und Grammatik-terminologischen Vorkenntnisse ihrer Lernenden (zumindest) aus dem muttersprachlichen Französischunterricht informiert sein. Wichtig ist dabei

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Peter LENZ 99

v.a. das Wissen, in welchen Bereichen Übereinstimmungen, in welchen anderen aber Differenzen und Inkompatibilitäten bestehen2.

Was für eine Grammatikterminologie wird denn in sowieso überhaupt ver-wendet? – Im Lehrerhandbuch äussern sich die Autoren selbst zu ihrer ter-minologischen Grundentscheidung:

«Wir haben in sowieso versucht, uns weitgehend an die Terminologie der lateinischen Schulgrammatik, wie sie den meisten Lehrenden und Lernenden geläufig sein dürfte, zu halten. [...] Wo es uns hilfreich erschien, haben wir allerdings darüber hinaus auch Be-griffe aus anderen Bezeichnungssystemen, etwa den Begriff der Ergänzung, verwendet.» (LHB 1, S. 13)

Mit den «anderen Bezeichnungssystemen» ist offenbar die Dependenz-Verb-Grammatik (nach U. Engel) gemeint, die in DaF-Lehrwerken immer noch einen beachtlichen Einfluss hat.

Ein Blick in die Grammatikteile von sowieso fördert nichts Unerwartetes zu Tage. Die grammatische Terminologie, die in sowieso verwendet wird, wirkt unspektakulär, wird eher sparsam verwendet und das Ganze macht den Eindruck von solidem Handwerk.

Die Analyse von Auf Deutsch! wird zeigen, dass solides Handwerk, d.h. eine korrekte und konsistente Verwendung grammatischer Terminologie in Lehrwerken, keineswegs selbstverständlich ist.

Auf Deutsch!

Auf Deutsch! (AD!) ist im britischen Heinemann-Verlag ursprünglich für den Gebrauch in britischen Schulen erschienen. Der vierte und letzte Band führt in seinen beiden Varianten Rot und Grün zu den britischen Mittelschulabschlüssen. Jeder Band umfasst verschiedene gedruckte Teile sowie Audiokassetten. Teile des Materials liegen auch in einer internationalen Ausgabe in deutscher Sprache vor. Unterdessen sind Lehrerhandreichungen und Referenzteile vom Englischen ins Französische übersetzt worden. Die vier Bände mit ihren verschiedenen Bestandteilen könnten von der 5. bis zur 9. Klasse eingesetzt werden, wobei der erste Band, wie bei sowieso, für Anfänger gedacht ist (was, nebenbei bemerkt, für die Westschweiz nicht angemessen ist).

2 Vgl. dazu die 2. These im Papier «10 Thesen zur Grammatik im DaF-Unterricht in der

Westschweiz» der GRAL2 vom 20. April 1995.

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100 Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

An Auf Deutsch! fällt sofort auf, dass zwar Grammatik meist implizit prä-sentiert, eingeübt und angewendet wird, dass aber grammatische Reflexion kaum stattfindet. Das geht so weit, dass das behandelte grammatische Phä-nomen in den Lektionen selbst fast nie beim Namen genannt wird. Ein expliziter Hinweis auf das Grammatikpensum steht oft nur im Lehrerhandbuch. Erst in Band 4 (rot), der für Lernende gedacht ist, die ihre Schulkarriere nach der obligatorischen Schulzeit fortsetzen, gibt es einen recht umfassenden Referenzteil mit Übungen («a full grammar reference section with activities» [AD!4rot, Teacher’s Guide, S. 2]). In der grünen Version von Band 4, der für weniger schulisch ausgerichtete Lernende bestimmt ist, erscheint der Referenzteil in reduzierter, vereinfachter Form, und zudem wird ganz offensichtlich versucht grammatische Terminologie weitgehend zu vermeiden. Da unser Thema die Grammatikterminologie ist, blende ich Band 4 (grün) für das Folgende weitgehend aus.

Auf Deutsch! ist als «Methode» nicht ganz einfach zu situieren. Deutlich erkennbar sind Elemente des Lexical Approach3: Auf der Grundstufe werden zwar Strukturen eingeführt, gelernt und verwendet, gerade auch komplexe, sie werden aber nicht analysiert und bewusst gemacht, sondern wie lexikalische Einheiten «am Stück» gelernt. Ein kleines Indiz für eine Anlehnung an den lexikalischen Ansatz dürfte sein, dass in den Zusatzmaterialien von AD!2 die Arbeitsblätter zur Grammatik unter der Rubrik Wortstrukturen (sic!) zu finden sind. Nicht zu leugnen ist auch eine gewisse Nähe zur audiolingualen Methode – die Autorin selbst hat bei einer Präsentation in Yverdon darauf hingewiesen. Gerade die Art, wie fast nur implizit mit grammatischen Strukturen umgegangen wird, scheint mir von der audiolingualen Tradition inspiriert zu sein. Auf Deutsch! stellt in dieser Hinsicht einen Gegenpol zu sowieso dar; Bewusstmachung von sprachlichen Regularitäten und Strategien, (Re-)Strukturierung von Wissen usw. gehören nicht zu den Anliegen von AD!. Im Vergleich zu «echt audiolingualen» Lehrwerken erscheint Auf Deutsch! aber um viel methodischen Ballast gereinigt und es umfasst zudem gute Elemente kommunikativer Didaktik (z.B. viel Partnerarbeit, in den höheren Bänden nah-authentische Hörtexte und Tasks4 – «echte» Kommunikationsaufga-ben).

3 Vgl. Lewis, Michael (1993), The Lexical Approach. The State of ELT and a Way

Forward, Hove: Language Teaching Publications.

4 Vgl. Willis, Jane (1996): A Framework for Task-based Learning. Harlow: Longman.

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Peter LENZ 101

Beispiele aus der Terminologie von Auf Deutsch!

In den eigentlichen Lektionen der Schülermaterialien werden grammatische Termini in allen Bänden nur sehr sparsam verwendet.

Wie bereits erwähnt, werden aber in den Lehrerhandbüchern (LHB) von Beginn weg grammatische Termini verwendet, um Lernziele der Einheiten zu beschreiben. Die Erfahrungen während der Erprobung in Schulen der Westschweiz haben nach Auskunft von Verantwortlichen sogar gezeigt, dass Termini, die im Lehrerhandbuch verwendet werden, früher oder später auch im Unterricht explizit genannt werden, v.a. in den classes modernes und prégymnasiales der Sekundarschulen. So gesehen sind für eine Analyse der Terminologie, gerade der Grammatik-armen Bände 1 und 2 von AD!, auch die Lehrerhandbücher relevant.

Für meine Analyse lagen mir zum Teil die französischen Übersetzungen der englischen Materialien vor, nämlich das Lehrerhandbuch 1 sowie die Grammatiküberblicke der Bände 3 und 4 (rot und grün) in Entwurfsfassun-gen.

Im Folgenden wird auszugsweise die in Auf Deutsch! verwendete Gramma-tikterminologie präsentiert und kritisiert. Ich richte dabei mein Augenmerk einerseits auf die interne Konsistenz des Gebrauchs von Termini, anderer-seits auf die Richtigkeit und Üblichkeit von Begriffen.

Verben

Starke und schwache, regelmässige und unregelmässige Verben:

AD!1 (SB5) AD!1 (SB/Referenzteil) AD!1 (LHB)

regelmässige Verben

unregelmässige Verben

schwache Verben

(inkl. tragen etc.)

starke Verben

(inkl. sein, haben)

verbes réguliers

verbes irréguliers

AD!3 (SB/Verbenliste) AD!4rot (SB/Referenzteil) AD!4rot (SB/Verbenliste)

liste des verbes forts

(inkl. bringen, sein)

verbes forts

verbes faibles

liste des verbes forts et

irréguliers

Auf den ersten Blick wird klar, dass die Lernenden bereits in Band 1 mit nutzlosem Bezeichnungsballast konfrontiert werden. Die Unterscheidung

5 SB = Schülerbuch; AH = Arbeitsheft; LHB = Lehrerhandbuch

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102 Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

regelmässig/unregelmässig hätte in diesem Fall genügt und wäre auch sachlich angemessener gewesen, denn sein, haben und bringen zu den starken Verben zu zählen, ist sicher problematisch, auch wenn Vereinfa-chung der wichtigste Grundsatz sein sollte. Erschwerend für die Lernenden kommen «dumme» Fehler hinzu: Im Referenzteil von SB 1 steht – wohl durch einen Satzfehler – der Titel Schwache Verben nicht bloss über spielen, sondern auch über tragen, essen und lesen, und in der Wortschatzliste im Schülerbuch von Band 2 werden die unregelmässigen Verben völlig inkonsequent markiert: fliegen, aufstehen und andere sind unmarkiert.

Mit den Bezeichnungen für reflexive Verben wird ebenfalls Verwirrung erzeugt: Neben reflexive Verben finden sich auch Reflexivverben, verbes pronominaux und verbes réfléchis als Bezeichnungen für das gleiche Phänomen. Durch die Übersetzung des Referenzteils ins Französische wird also die Problematik noch verschärft. Diese Tendenz ist leider auch bei anderen Termini zu beobachten.

Mit wie wenig Disziplin in Auf Deutsch! die Grammatik angegangen wurde, zeigt zum Beispiel die Verwendung der Bezeichnungen für die grammatischen Personen in der Verbkonjugation:

AD!1 (SB) AD!2 (SB) AD!3 (SB) AD!4rot (SB)

ich-form

du-form

er/sie-form

Ichform

Duform

Erform

ich-Form

du-Form

er-Form

Sie-Form

Duform

Erform

Sieform

Die Wahl von «unterminologischen» Bezeichnungen mag aus didaktischer Sicht durchaus sinnvoll sein, doch dürften die ungewohnte Schreibung Duform und die falsche Schreibung du-form, sowie der Umstand, dass ver-schiedene Schreibweisen nebeneinander verwendet werden, der Klarheit und der Autorität der Grammatikdarstellungen in Auf Deutsch! kaum förderlich sein.

Im Bereich der Grammatik des Verbs finden sich in Auf Deutsch! etliche weitere Unstimmigkeiten terminologischer (und übrigens auch sachlicher) Art. Ich beschränke mich darauf, im Folgenden kommentarlos eine Auswahl wiederzugeben:

Perfekt

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Peter LENZ 103

AD!1

(LHB dt.)

AD!1

(LHB frz.)

AD!2 (SB) AD!3 (SB) AD!4rot (SB)

Perfekt

Vergangenheit

passé Perfekt passé composé

(das Perfekt)

passé composé

(das Perfekt)

Partizip II

AD!2 (Zusatzmaterialien) AD!3 (AH) AD!3 und 4rot (SB)

Partizip II Partizip der Vergangenheit participe passé

Partizip

Präteritum

AD!2 (SB) AD!3 (Wortstrukturen) AD!3 (SB)

Imperfekt Präteritum imparfait/passé simple

(das Präteritum)

AD!3 (SB) AD!4rot (SB)

imparfait/passé simple

(Imperfekt/ Präteritum)

préterit (das Imperfekt oder

das Präteritum)

Konjunktiv

AD!2 (LHB) AD!4rot (SB)

Konditional Les formes du Konjunktiv

a) Le présent

b) Le préterit du Konjunktiv

Auch bei den Bezeichnungen für Nomen herrscht Beliebigkeit: Neben Nomen werden auch Substantiv (AD!2, LHB), Nom (Nomen)(AD!4rot, SB) und Hauptwort (AD!2, SB) verwendet.

Bei den Possessivpronomen hält Auf Deutsch! ebenfalls keinerlei terminologische Disziplin und gibt – ganz nebenbei – auch noch ziemlich problematische Informationen:

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104 Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

AD!2 (SB) AD!3 (SB) AD!4rot (SB) AD!4grün (SB)

Possessivpronomen Possessivartikel (adjectifs possessifs)

Déterminants possessifs (Possessivartikel)

[unter Pronoms:] Le possessif est en fait un adjectif (déterminant); il s’accorde avec lenom

Es ist kaum zu erwarten, dass der Hinweis «Le possessif est en fait un adjectif (déterminant); il s’accorde avec le nom» irgend jemandem nützt; eher ist zu befürchten, dass die Schülerinnen und Schüler aufgrund dieser «Einsicht» noch häufiger rufen werden: Hilfe, wo ist meines Deutschbuch!

Die Satzglieder werden in Auf Deutsch! bis zum Schluss nie in einer Über-sicht dargestellt, dabei wird bereits in Band 1, ziemlich isoliert allerdings, unter dem Titel Satzbildung ein reduziertes Satzmodell dargestellt:

das Subjekt das Verb die Ergänzung

direktes Objekt indirektes Objekt

Bezeichnungen für weitere Satzglieder erscheinen nie systematisch, dafür in unterschiedlicher «Verkleidung». Bsp.:

– Redewendungen mit der Präposition in (AD!1, LHB)

– Präpositionalausdrücke mit in, auf, an (AD!1, LHB)

– Zeitangaben (AD!2, LHB) – Ausdrücke der Zeit / Zeitausdrücke (AD!3, LHB) – expression du/de la temps, manière, lieu (AD!3, SB)

Auf die Stellung der Satzglieder wird wiederum auf sehr inkonsistente Art und Weise Bezug genommen:

AD!1 (LHB) AD!2 (Zusatzmat.) AD!3 (SB) AD!4rot (SB)

construction des

phrases (LHB frz.)

Satzstellung (LHB dt.)

Anordnung der

Wörter

Ordre des mots dans

la phrase

(Satzbildung)

Ordre des mots

(Wortstellung)

Die Auflistung von terminologischen Unstimmigkeiten könnte fast beliebig weitergeführt werden. Zum Abschluss beschränke ich mich aber auf einige Beispiele für die Vermischung von (grammatischer) Form und (pragmatischer) Funktion und die damit zusammenhängende inhaltliche Definition von grammatischen Funktionen.

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Peter LENZ 105

a) Vermischung von Form und Funktion

Imperativ: Licht ausmachen! (AD!2, LHB)

Satzarten: Ordre des mots dans des questions et des ordres. (AD!4rot, SB)

[statt: in Interrogativ- und Imperativsätzen]

In einigen Fällen erscheint die Vermischung von Form und Funktion als Eins-zu-eins-Zuordnung des grammatischen Phänomens zu einem Verwendungsbereich:

Futur: Über das Futur wird einzig gesagt: Le futur en allemand, indique une action qui prendra place à un moment donné dans le futur. (AD!4, SB). Keine andere Funktion wird angegeben. Immerhin, wenn auch auf etwas verwirrliche Art und Weise, wird angemerkt: L’allemand utilise souvent le présent pour exprimer le futur [sic].

Konjunktiv: Konjunktiv I (le présent): Il est utilisé en allemand principalement dans le discours indirect. (AD!4rot, SB)

Konjunktiv II (le préterit): Le prétérit du Konjunktiv est principale-ment utilisé dans des phrases avec si ou comme si. (AD!4rot, SB)

Es wird weder gesagt, welche Rolle der Konjunktiv II in der indirekten Rede spielt, noch wird die Existenz einer Ersatzform des Konjunktivs II, bestehend aus würde + Infinitiv, erwähnt.

b) Inhaltliche Definition von grammatischen ‘Funktionen’ (Kasus/Subjekt/Objekte)

Das Subjekt ist derjenige, der etwas hat oder macht. Das Objekt ist derje-nige, der «der Besitz» ist oder etwas gemacht bekommt (AD!3, AH);

le datif: [...] la personne ou chose sur laquelle porte l’action. (AD!4rot, SB]

Solche inhaltlichen Bestimmungen, wie übrigens auch die Eins-zu-eins-Zu-ordnungen von grammatischem Phänomen und pragmatischer Funktion, sind vermutlich hilfreich gemeint – im Sinne von Prototypen, welche sich die Lernenden leicht merken können; in Anbetracht ihrer grossen Ungenauigkeit sind sie aber wohl genau das nicht: hilfreich.

Sie verdienen deshalb nicht anders behandelt zu werden als die entspre-chende Bestimmung des Verbs: Das Verb ist ein Tätigkeitswort (AD!3, SB); diese ist nämlich bei der Übersetzung der Grammatikzusammen-fassung ins Französische ersatzlos gestrichen worden ...

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106 Grammatikterminologie in den Lehrwerken sowieso und Auf Deutsch!

Schluss

Die Kritik an den Grammatikdarstellungen und an der Grammatik-terminologie von Auf Deutsch! könnte weitergeführt werden – die ge-zeigten Muster würden sich leider wiederholen. Ein Urteil über Auf Deutsch! müsste also vernichtend ausfallen, wenn man einzig den Aspekt der Grammatik einbeziehen würde. Die zahlreichen Unstimmigkeiten lassen sich auch nicht etwa damit entschuldigen, dass im Interesse der Schülerinnen und Schüler vereinfacht worden wäre – was zweifellos die Absicht war. Es wird zwar simplifiziert, aber oft nicht im Interesse der Lernenden. Die Vereinfachungen gehen in verschiedenen Fällen so weit, dass gerade die wichtigsten Informationen fehlen und dass das, was an Informationen vorhanden ist, in die Irre führt. Eine das Verstehen, Lernen und Behalten fördernde, unter anderem auch grafisch ansprechende Darstellung der Grammatik hätte den Adressaten sicher mehr gebracht als das gewählte Verfahren.

Auf Deutsch! wird zur Zeit an den Westschweizer Schulen eingeführt, die Adaptationen sind mehr oder weniger abgeschlossen – wie soll sich angesichts dieser Sachlage die GRAL2, die Groupe de référence universitaire pour l’allemand langue 2, verhalten? Leider wurden die beiden Lehrmittel diesem vom IRDP eingesetzten Expertengremium nicht vorgängig zur Stellungnahme unterbreitet. – Sicher muss dieses Gremium ohne falsche Rücksichten seine Missbilligung kundtun einerseits, um alle «Betroffenen» auf die mangelhafte Qualität der Grammatikteile aufmerksam zu machen, andererseits, um bereits jetzt eine sinnvolle Überarbeitung für den Fall einer Neuauflage in die Wege zu leiten. Da die explizite Behandlung der Grammatik weitgehend aus den Lehrwerk-lektionen ausgegliedert ist, wären nämlich bedeutende Verbesserungen möglich, ohne dass die Kohärenz des Lehrwerks ernsthaft gestört würde; sie würden in erster Linie die Grammatikübersichten in den Schülerbüchern und die Lehrerhandbücher betreffen.

Ob diese Änderungen durchsetzbar sind, hängt nicht nur vom angeblich wenig adaptationsfreudigen Heinemann-Verlag ab, sondern ganz wesentlich auch von der Akzeptanz und vom Erfolg von Auf Deutsch! an den Schulen. Während der Erprobung war die bedenkliche Qualität der Grammatikteile nach Auskunft von Koordinatoren offenbar kein Thema. Das hängt möglicherweise damit zusammen, dass die Grammatik erst in den Bänden 3 und 4 richtig sichtbar wird. Kritische Reaktionen wären demnach erst im Laufe der nächsten Jahre zu erwarten.

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Es ist keineswegs ausgeschlossen, dass Auf Deutsch! trotz der mangelhaften Grammatikteile Erfolg hat, d.h. von den Unterrichtenden geschätzt wird und bei den Lernenden fruchtbare Lernprozesse in Gang bringt; bei der Erprobung jedenfalls waren die Reaktionen mehrheitlich positiv. Geschätzt wurde vor allem, dass offenbar auch weniger schulisch ausgerichtete Jugendliche rasch und gern Deutsch lernen. Gelobt werden von den Lehrpersonen zudem die Materialien zur Binnendifferenzierung und zur Selbstbeurteilung sowie die Audiokassetten.

Wäre es unter diesen Umständen vielleicht richtig, all diejenigen, die Auf Deutsch! einsetzen, zu ermutigen, dem Grammatikunterricht einen noch kleineren Stellenwert zu geben als vom Konzept des Lehrwerks her vorge-sehen ist, anstatt sie dazu aufzufordern, Falsches richtigzustellen und mit viel Aufwand Lücken zu füllen? Wahrscheinlich sollte genau dies getan werden. Gerade wegen der offensichtlichen Schwächen sollte das Lehrwerk bei seinen vermuteten Stärken genommen werden, damit für die Lerndenden das Optimum herausgeholt werden kann. Eine solche Entscheidung müsste aber unbedingt begleitet sein von einer transparenten Informationspolitik gegenüber den weiterführenden Schulen, damit das Spezifische an der Sprachkompetenz von Auf-Deutsch!-Schülerinnen und -Schülern richtig honoriert würde.

Ein transparentes Vorgehen scheint mir bei der vor kurzem angelaufenen Einführung von neuen Deutsch-Lehrwerken generell wichtig. Dazu zählt auch eine systematische, wissenschaftliche Evaluation der Erfahrungen der nächsten Jahre im Rahmen einer gemeinsamen Anstrengung aller betei-ligten Kantone. Dies vor allem deshalb, weil «beim nächsten Mal» – wenn die jetzt eingeführten Lehrwerke ersetzt werden – aus dem gewonnenen Wissen etwas wirklich Gutes gemacht werden soll.

Vielleicht gehören zu diesem «wirklich Guten» dann auch Grammatikteile, die an das grammatische und Grammatik-terminologische Vorwissen an-knüpfen, über das die Lernenden bereits verfügen.

Bibliografie

Funk, Hermann, Koenig, Michael u.a. (1994ff), sowieso. Deutsch als Fremdsprache für Jugendliche, Kursbuch, Arbeitsbuch, Audiokassetten, Lehrerhandbuch usw., 3 Bde. München: Langenscheidt.

McNab, Rosi u.a. (1993ff.), Auf Deutsch!, Schülerbuch, Arbeitsheft, Zusatzmaterialien, Audiokassetten, Lehrerhandbuch usw., 5 Bde. Oxford: Heinemann.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 109-127

Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète dans l’Europe d’aujourd’hui?

Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA Centro METAGRAM, Universidade da Madeira

In the past, European Grammar was partly modelled on Latin grammar. Of course this Latin-based model often obscured the real nature of our modern languages, which are fundamentally different from Latin, but the descriptive approach was relatively homogeneous. Now, more especially since the 1950s, grammarians and linguists have largely rejected the old model in favour of a great variety of descriptive approaches which differ from a country to another. In the last fifty years, the most obvious development in grammar is that the subject itself has divided and divided again. Grammar today is, in effect, several grammars, that is a great number of grammatical theories and terminologies, some of which contradict others.

One of the main aims of our paper is to clarify this confusion and find the base of a mutual agreement beetween Europeans on some important points of discord, such as grammatical concepts of attribute, predicate, epithet, object and object complement. Can we bear any longer that English grammars respectively call attribute and object complement what French grammars call épithète et attribut de l’objet? Why is the German Prädikat so limited – the verb seen as a syntactic component and nothing more – when the English one is usually so large (including objects and adverbial phrases)? Why does a Portuguese grammarian include adjectives in the category of nouns when a French makes two different categories of them? Finally this paper not only asks questions, it also answers some of them and brings proposals with a view of making the thing easier for European children of the next millenium.

Qu’on observe les derniers projets de réforme, les Instructions officielles ou les ouvrages grammaticaux récents – y compris la Grammaire méthodique du français de Riegel et al. (1996), pourtant riche et bien documentée – on est frappé par la quasi absence d’une dimension européenne dans toutes ces publications. C’est comme si les traditions grammaticales des pays voisins n’existaient pas et que la grammaire française n’eût à faire qu’à elle-même. Est-ce admissible aujourd’hui? Bien que leur cité ait une vocation européenne, les auteurs strasbourgeois de l’ouvrage ci-dessus font semblant d’ignorer ce qui se passe de l’autre côté du Rhin. Et pourtant Martin Riegel lui-même (1985, concl.) avait émis le voeu que le mot attribut fût remplacé par prédicatif, mieux accordé à l’usage des autres pays.

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110 Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète

Les francophones appellent attribut le membre de phrase qui a pour fonction de caractériser – par l’intermédiaire d’un verbe – un consti-tuant nominal de la même phrase, que celui-ci soit le sujet d’une copule ou l’objet d’un verbe déclaratif. On parle d’attribut du sujet dans le premier cas et d’attribut du complément d’objet dans le second. A cette fonction primaire de caractérisation, qui suppose l’usage, au moins implicite, d’un verbe dit attributif, on oppose la fonction secondaire de caractérisation épithétique, construite ou – le plus souvent – préconstruite sans l’intermédiaire d’aucun verbe, dans le cadre du syntagme nominal.

Les francophones sont les seuls en Europe à parler ce langage. Partout ailleurs, le concept d’attribut s’applique à la fonction qu’ils nomment épithète – à tort, on le verra – et, parallèlement, le signifiant européen correspondant à attributif comporte, un peu partout, un signifié apparenté à celui du français épithétique.

La coutumière opposition française attribut ≠ complément n’a pas d’extension européenne non plus. Par exemple, en grammaire anglaise, l’attribut est dit complement. On rappellera que le dictionnaire Cassel – Aitchison (1996: 9) – présente happy comme «subject complement» dans The man seems happy et comme «object complement» dans Success made the man happy. Cet object complement n’a évidemment rien à voir avec un «complément d’objet»! C’est, dans la terminologie française habituelle, un attribut du complément d’objet. N’y a-t-il pas là de quoi troubler nos meilleurs étudiants ERASMUS?

L’attribut dans la tradition française

On trouvera chez de Gaulmyn (1991) un bon résumé sur l’histoire de l’attribut dans les grammaires françaises du XVIIe à nos jours et nous nous en inspirerons librement ici. Grosso modo, l’histoire du mot attribut est celle d’une peau de chagrin.

Dans la vision logico-grammaticale de Port-Royal, la phrase de type sujet+être+attribut est en effet le modèle de référence universel auquel on tentera de ramener toutes les phrases verbales, tandis qu’aujourd’hui les grammairiens français seraient plutôt tentés de faire l’assimilation inverse en faisant de l’attribut un complément, et de la copule un verbe comme les autres (cf. Cl. Blanche-Benveniste 1991: 83).

Arnauld & Lancelot (1660/1969) distinguent 2 types de verbes: être appelé verbe substantif parce qu’il affirme la substance et rien d’autre comme dans Dieu est et tous les autres, appelés curieusement verbes attributifs parce qu’ils contiennent un attribut inhérent en plus de l’affirmation

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Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA 111

dont ils sont porteurs. Ainsi, dans Petrus vivit, «le mot de vivit enferme seul l’affirmation et de plus l’attribut d’être vivant» (op. cit. 67). Ils en concluent qu’en français «c’est la même chose de dire Pierre vit que de dire Pierre est vivant» (id. ibid.). On voit que l’attribut est partout, y compris quand il n’est pas là, et que les verbes ordinaires sont tous «attributifs». La fortune française du mot attribut vient de ce que les auteurs, dans le sillage de la logique médiévale, établissent une quasi équivalence entre attributum et prædicatum. Selon eux, en effet, toute proposition doit contenir deux termes «l’un de qui l’on affirme ou que l’on nie, lequel on appelle sujet; et l’autre que l’on affirme ou que l’on nie, lequel s’appelle attribut ou prædicatum» (Logique, 1970: 156).

On mesurera le recul de l’attribut en citant la définition de l’attribut du sujet des dernières Instructions Ministérielles françaises (1998:15): «Mot (ou groupe de mots) qui désigne syntaxiquement une qualité attribuée au sujet par l’intermédiaire d’un verbe appelé attributif». Riegel et al. (1994: 235) utilisent verbe attributif dans le même sens. Quant à l’attribut de l’objet, présent chez Riegel, il est absent des dernières Instructions. Ce ne sont donc plus tous les verbes sauf être qui sont appelés attributifs, comme encore chez Brasset-Dussouchet à l’aube de ce siècle, c’est seulement être et quelques autres, ceux qui sont aptes à introduire un attribut du sujet. Il y a donc eu un véritable renversement de la situation aux dépens de l’attribut. Celui-ci est devenu le nom d’une fonction limitée, qu’on oppose d’un côté à la fonction complément du verbe depuis Noël & Chapsal (1823) et de l’autre à la fonction épithète, introduite officiellement en 1910 (de Gaulmyn, 1991: 33).

Menaces sur l’attribut

Les idées grammaticales ne sont pas éternelles. Même si la confrontation des langues montre que beaucoup présentent des relations syntaxiques comparables à celles que les francophones nomment attribut du sujet, attribut de l’objet, complément du verbe ou épithète, force est de reconnaître que ces fonctions ont été officialisées très tardivement.

Il faut attendre le XVIIIe, avec Girard, pour que s’esquisse une véritable grammaire des fonctions (H.E.L., 1998: 161-62). En effet, chez les grammairiens de Port-Royal et leurs disciples, l’attribut – assimilable au prédicat, on l’a vu – est une fonction plus logique que grammaticale. On sait que la notion syntaxique de complément s’est développée tardivement, elle aussi, au cours du XVIIIe siècle et l’opposition stricte des 2 schémas de phrase sujet+verbe+attribut et sujet+verbe+complément ne s’est vraiment dégagée qu’au XIXe. Ainsi, pour Noël & Chapsal (1840, § 300),

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112 Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète

Être a toujours un attribut et «ne peut avoir aucune espèce de complément». Cette dichotomie attribut ≠ complément, qu’on ne retrouve, on le sait, ni chez les anglophones ni chez les germanophones, est donc relativement récente en francophonie. Elle repose sur l’idée que le complément n’a pas à s’accorder avec le complété, alors que le qualifiant (attributif ou adnominal) est susceptible de s’accorder avec le qualifié.

Les Instructions officielles tiennent compte, évidemment avec un peu de retard, des innovations terminologiques des grammairiens. Ainsi l’épithète fait son apparition en tant que fonction chez Brachet-Dussouchet (1901: 137) avant d’être consacrée officiellement par la Nomenclature de 1910, en remplacement du «complément modificatif» de Chapsal, qui faisait problème à cause de l’accord substantif-adjectif.

L’attribut du complément d’objet est encore plus tardif puisqu’il apparaît seulement chez Maquet et al. (1923). Naturellement, on n’a pas attendu 1913 pour prendre conscience de la spécificité de cette structure, que Silvestre de Sacy (1799), cité par Chervel (1977: 199) appelait sur-attribut en déclarant qu’il «n’est ni proprement attribut ni réellement complément du verbe». Les Instructions de 1975 réservent une mention à l’attribut du complément d’objet (B.O. du 31-7-75, 2.377), mais celles de 1998 n’en disent plus mot (cf. Enseigner au collège, MEN, CNDP: 15). C’est qu’entre-temps il y a eu des polémiques entre linguistes sur l’opportunité du maintien de cette fonction (cf. de Gaulmyn: 1991: 99-118). Cela dit, nous pensons que Riegel et al. (1994) ont eu raison de lui réserver une place importante dans leur grammaire (p. 239-241), même si nous regrettons le maintien d’une terminologie qui a fait son temps.

Grec ancien: Apollonius Dyscole

Comme le montre J. Lallot, éditeur du Periv suntavxew" (cf. Apollonius Dyscole, 1997), l’auteur alexandrin du premier ouvrage de syntaxe occidentale à nous être parvenu construisit son édifice grammatical, au IIe siècle de notre ère, sans utiliser la relation sujet-prédicat ni, encore moins, ce que les francophones entendent par fonction «attribut». L’ouvrage d’Apollonius est avant tout une grammaire des parties du discours, riche d’une approche prometteuse du verbe comme centre organisateur de la phrase, mais, Lallot le souligne (H.E.L., 1998: 21), «le concept de fonction n’est pas vraiment dégagé».

Cela dit, la vision du verbe comme noyau central de la phrase, autour duquel gravitent des termes nominaux fléchis – conception déjà esquissée chez les Stoïciens – n’est pas sans faire songer à Tesnière, à Fillmore et aux

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Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA 113

modernes grammaires dépendancielles. Le problème est que cette vision des choses est difficilement compatible avec une conception dichotomique de la proposition comme relation binaire sujet-prédicat – ou sujet-attribut pour parler le langage de Port-Royal, conception héritée des logiciens et appliquée beaucoup plus tard à la grammaire. Ce qui est vrai d’Apollonius le restera de Priscien, son héritier latin du 6e s., à propos duquel M. Baratin écrit: «Priscien, comme Apollonios, ne pratique ni même ne connaît les concepts de sujet et de prédicat, présents à leur époque dans les seuls textes de dialectique (disons de logique) (...). Plus généralement, il n’y a pas là de fonction syntaxique» (H.E.L. op. cit. p. 51).

Si les anciens grammairiens ne connaissent pas la fonction «attribut», leur langue la connaît. L’analyste va tomber inévitablement sur des adjectifs en position prédicative, comme dans ou|to" ajvfilo" («Celui-ci est inamical») avec les problèmes d’accord et de construction que cela pose. (Apol. 97: 126). Le grammairien rencontrera aussi des attributs de l’objet, tel OiJ jAqhnai`oi Perikleva eiJvlonto strathgovn («Les Athéniens choisirent Périclès comme commandant en chef»), où les deux accusatifs s’accordent en genre-nombre, ce qui n’advient pas dans la construction ordinaire à double accusatif. Il n’y a en effet aucune raison a priori pour qu’il y ait accord entre deux objets du verbe. En témoigne la phrase de Platon: polla; kaka; tou;" ajvllou" ejvdrasa" («Tu as fait beaucoup de mal aux autres»). Apollonius a abordé la construction à double accusatif (Apol. 97: 234-236), mais, en dehors des constructions avec l’infinitif, l’accord en genre-nombre entre un accusatif et l’accusatif qu’il prédique restera inexpliqué: le grammairien n’avait pas de langage pour le résoudre.

Grec moderne

Contrairement à la syntaxe ancienne, peu marquée par Aristote, la grammaire du néohellénique a subi le choc en retour de l’aristotélisme occidental, via le latin médiéval et Port Royal. On va donc y retrouver, formulée dans le grec d’aujourd’hui, la classique dichotomie subjectum-prædicatum. Le sujet, c’est to upokeivmeno (l’ancien ujpokeivmenon aristotélicien) et le prédicat to kathgovrhma (du verbe kathgorwv: accuser prédiquer). Le correspondant de l’attribut est le participe passif to kathgorouvmeno (le prédiqué / l’attribué). Quant au «prédicat» grec, kathgovrhma, il n’a jamais cessé de signifier «accusation». On lit ici l’origine juridique du métalangage grammatical. Le «prédicat» est à l’origine une accusation visant un sujet qui est à chercher quelque part sous (upokeivmenon subjectum) la surface trompeuse

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114 Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète

des apparences, et qu’on va tenter de retrouver à partir des indications prédicatives.

A propos de prédicats comme eivnai plouvsio". («est riche»), il est dit dans Suntaktikov th" Neva" Ellhnikhvv" (1993: 24): ovtan to Kathgorouvmeno (K) (...) eivnai epivqeto sumfwneiv me to Ápokeivmeno (Á). Une traduction littérale donne un énoncé absurde, qui révèle le caractère inadéquat de l’emploi d’épithète en français: *Quand l’attribut est épithète il s’accorde avec le sujet. Il faut comprendre évidemment: Quand l’attribut est un adjectif, il s’accorde avec le sujet. Puisque epivqeto signifie «adjectif», ce fut un non-sens d’utiliser épithète pour désigner une fonction. C’est à bon droit que le portugais epíteto désigne, comme en grec, la sous-classe nominale du nom adjectif.

Grosso modo l’épithète des francophones correspond au grec prosdiorismov" («détermination»). La qualification épithétique n’est qu’une sous-catégorie de la détermination et la linguistique générale a raison de poser qu’un GN comporte 2 parties, le déterminé (nom-tête) et l’ensemble des déterminants antéposés ou postposés à ce déterminé.

Quant à l’attribut de l’objet – to kathgorouvmeno tou antikeivmenou – on le trouve dans un énoncé comme: Evcoun eklevxei ton Kwvsta provedro. («On a élu Kosta président») (ibid. 60). L’attribut provedro et l’objet ton Kwvsta étant tous deux à l’accusatif, il convient de distinguer cette structure de celle du verbe à double objet, qui présente aussi un double accusatif O Giwvrgoı didavskei th Maria corov. (*Georges enseigne Marie la danse Georges enseigne la danse à Marie). La différence entre les deux structures est qu’il y a accord en genre-nombre entre l’attribut et l’objet, alors que cet accord n’a aucune raison d’exister entre les deux objets d’un verbe à double accusatif.

Anglais

Le Dictionnaire Cassel (cf. Aitchison, 1996), qui fait équitablement la part de la grammaire traditionnelle et de la transformationnelle, nous donne une première approche satisfaisante de la terminologie anglaise. Celle-ci s’appuie en général sur une conception large du predicate: «The part of a clause or simple sentence that contains a verb and may also contain an object, a complement or an adverbial (...)» (op. cit., 229). Dans le schéma d’énoncé, le prédicat constitue donc le sous-ensemble complémentaire de celui du sujet.

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Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA 115

On ne doit pas se méprendre sur le sens de complement: c’est l’attribut des francophones. En terminologie anglaise, le compl. d’objet est dénommé object et le compl. de circonstance désigné comme adverbial. Il en résulte que l’anglais complement équivaut à l’attribut des francophones, en tout cas au niveau des fonctions primaires, en tant que complément verbal.

En vertu de la même logique, the object complement est à comprendre comme l’attribut du complément (Id., 9). Ainsi dans l’exemple Passengers consider Alex an erratic driver. («Les passagers considèrent Alex comme un chauffeur extravagant»), «The noun Alex is the object of the verb consider, and since the phrase an erratic driver is the complement of Alex, the phrase is an object complement» (Id., 58). La traduction littérale serait pur galimatias. Il faut comprendre: «Le nom Alex est le compl. d’objet du verbe consider, et comme le syntagme an erratic driver est l’attribut de Alex, ce syntagme est un attribut du complément d’objet».

La logique anglaise est impeccable mais incompatible avec celle du français, qui oppose l’attribut au complément. Dans l’absolu, il n’y a aucune raison de refuser à l’attribut le statut de complément car s’il y a un verbe qui appelle une complémentation, c’est bien être et les copules équivalentes. Complement est ainsi défini: «A word, phrase or clause that follows the verbs be and become, or a verb with a similar meaning or function (ex. Traffic was dense, She became prime minister)» (Id., 58). Il se ferait taper sur les doigts, le petit francophone qui, dans La circulation était dense, ferait de l’adjectif dense le complément de être.

Et pourtant la représentation possible de l’attribut par le clitique le – Sylvie devient raisonnable elle le devient – affiche une parenté structurale entre l’attribut du sujet et le COD. Cela dit, il est une particularité de l’adjectif attribut que l’anglophone peut occulter, mais que le francophone ne saurait oublier, c’est la fonction de caractérisation, soulignée dans les langues romanes par l’accord en genre-nombre de l’adjectif avec le substantif qu’il caractérise. En revanche l’invariabilité de l’adjectif anglais le rapproche de l’adverbe, ce qui favorise la mise en équation adjectif prédicatif = complément de la copule.

Si pour rapprocher les 2 terminologies, les anglophones étaient tentés d’adopter la notion francophone d’attribut, ils ne le pourraient pas car attribute est utilisé depuis longtemps avec le sens du français épithète: «Adjectives (...) can function (...) as attributes, subject complements or object complements (...): a happy man. (attributive), The man seems happy. (subject complement), Success made the man happy. (object complement)» (Id., 9). Les exemples le montrent, il ne s’agit pas ici d’attributs du sujet et de l’objet mais d’une mise en contraste de «l’adjectif épithète» (attributive

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116 Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète

adjective) avec «l’adjectif attribut» (du sujet ou de l’objet): subject/object complement.

A propos de compact disk ou practical joke on lit: «A premodifying adjective is known as attributive because it usually denotes an attribute of the noun» (Id., 58). Ici attribute ne désigne pas une fonction grammaticale mais un trait sémantique propre au référent du substantif. Ceci montre que attribute n’implique pas une activité énonciative d’attribution. Dans les exemples du dictionnaire, les adjectifs compact et practical ont une signification spécifique. Cela n’est pas dû au hasard. Les syntagmes a compact disk et a practical joke («une méchante farce») présupposent certes une activité attributive antérieure, mais aujourd’hui l’énonciateur n’est pour rien dans la mise en relation de l’adjectif et du substantif. Ce sont des suites lexicalisées, préconstruites, des lexies, qui préexistent à l’acte d’énonciation.

Il y a donc un abîme entre l’attribut et l’attribute. Les anglophones ne pouvant pas s’aligner sur l’usage français (à supposer qu’ils en aient l’envie), il ne reste aux francophones qu’à adopter predicative qui, sous des formes variées, se retrouve un peu partout en Europe. Le predicative adjective est ainsi défini: «An adjective that follows a linking, or copular verb, and forms a predicate or is contained in a predicate (Id., 230): Traffic was dense. L’idéal serait que les anglophones renoncent à attributive adjective au sens d’adjectif épithète car les francophones ne pourront jamais adopter adjectif attributif après avoir mis tant de soin à distinguer attribut et épithète. La meilleure solution serait de généraliser une expression déjà connue des anglophones, celle d’adnominal adjective, qui se retrouve en lusophonie sous la forme adjectivo adnominal. Il ne resterait plus aux francophones qu’à adopter l’adjectif adnominal pour remplacer leur malencontreux adjectif épithète.

Allemand

La terminologie allemande évoque l’anglaise à bien des égards. Elle est organisée de la même façon, mais le prédicat y est de moindre extension puisqu’il est restreint au seul verbe. D’ordinaire, das Prädikat désigne l’unité verbale en tant que membre fonctionnel de la phrase tandis que le verbe comme partie du discours est dénommé das Verb(um). Pour s’adapter à la grammaire générative, on désigne parfois du nom de Prädikatskern (noyau prédicatif) la partie nucléaire du prédicat chomskyen. L’originalité de la terminologie allemande est de reconnaître une fonction propre au verbe comme centre organisateur de la phrase. Cette fonction dite Prädikat correspond à la fonction nodale de Tesnière.

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Quand à l’attribut, il est appelé das Prädikatsnomen (le nom du prédicat) ou simplement das Prädikativ. Ce nomen de sens large couvre aussi bien le Substantiv que l’Adjektiv. Cela rappelle l’usage gréco-latin et le nome predicativo des lusophones, aujourd’hui réduit à predicativo. Pour ce qui est des deux fonctions du Prädikatsnomen, le long syntagme die prädikative Ergänzung zum Subjekt correspond à l’attribut du sujet et die prädikative Ergänzung zum Objekt renvoie à l’attribut de l’objet.

Les germanophones font de l’attribut le complément par excellence. Du verbe ergänzen (compléter, suppléer, parfaire, combler), die Ergänzung signifie «le complément». D’autres utilisent ce terme pour le complément d’objet, appelé de manière plus traditionnelle das Objekt.

Dans l’exemple de Perennec (1991: 133) Er liebt seinen Kaffee heiß. («Il aime son café chaud»), l’adjectif heiß peut être appelé die Ergänzung zum Objekt Kaffee. Mais comme l’adjectif allemand en position prédicative est invariable, rien ne le distingue morphologiquement de l’adverbe. Dans l’énoncé parallèle Er liebt seinen Dackel heiß. («Il aime passionnément son cocker») heiß est adverbial. La fonction de complétion de l’attribut est donc plus saillante pour les germanophones que sa fonction de caractérisation, essentiellement interprétative puisqu’elle ne repose pas sur un accord. Tout dépend de l’incidence nominale ou verbale du modifieur, ici le mot heiß.

L’adjectif épithète germanique, qui s’accorde en genre, nombre et cas avec le substantif, est appelé das attributive Adjektiv, le mot attributiv étant lui-même ici un adjectif accordé au neutre avec le nom Adjektiv. Quant au substantif das Attribut, il correspond grosso modo au complément déterminatif. Pas plus qu’en anglais, cet Attribut allemand n’est mis en relation directe avec une activité énonciative d’attribution. Tout cela rappelle donc beaucoup la terminologie anglaise.

Portugais

La grammaire portugaise utilise la notion d’atributo pour désigner ce que les francophones appellent épithète. Une fois de plus, cela rappelle l’usage anglais. En outre, ce que les Français appellent attribut est assimilé à la notion de prédicatif – en portugais predicativo – à l’instar de ce qui se passe en anglais ou en allemand.

Mais à la différence des grammairiens germaniques, les lusophones n’ont pas recours à la notion de «complément prédicatif». Ils se contentent d’utiliser predicativo, comme adjectif substantivé. On oppose donc predicativo do sujeito / predicativo do objecto.

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Ainsi le prédicatif portugais, à l’instar de l’attribut français, échappe à la catégorie générale des compléments, alors que les anglophones et les germanophones font du prédicatif le complément par excellence.

Dans des langues comme l’anglais ou l’allemand, l’invariabilité de l’adjectif attribut le rapproche de l’adverbe, nous l’avons dit, ce qui facilite son intégration dans la classe des compléments aux côtés des compléments adverbiaux. Par contre, dans les langues latines, où l’adjectif attribut s’accorde avec le sujet, il est difficile de réduire le prédicatif au statut de simple complément de la copule.

Cela dit, une grammaire portugaise, comme celle de O. Azeredo et al. (1990: 130-131), reconnaît parfaitement la double fonction du prédicatif qui, d’un côté complète la copule et de l’autre caractérise le sujet ou l’objet. Ainsi dans l’ex. O café está quente («Le café est chaud»), il est dit que quente «completa o sentido do verbo e ainda caracteriza o sujeito». Cette double fonction de complémentation et de caractérisation se retrouve avec l’attribut de l’objet, appelé «predicativo do complemento directo»: Acho este bolo delicioso. («Je trouve ce gâteau délicieux»). Ici «delicioso completa o sentido do verbo mas caracteriza o complemento directo». Nous pensons l’un et l’autre que les francophones auraient tout intérêt à s’inspirer de ce type d’analyse.

Notre seule réserve est que complemento directo est trop restrictif. Il existe en effet, dans les deux langues, des attributs du complément indirect. Ainsi Ciceronem consulem fecerunt sera traduit Fizeram de Cícero um cônsul («Ils firent de Cicéron un consul»). Le prédicatif cônsul / consul est attribué à un complément prépositionnel: de Cícero / de Cicéron. Voilà pourquoi nous préférons parler, avec Cunha & Cintra (1984: 147), de predicativo do objecto, étant admis que cet objecto peut être aussi bien un object indirect qu’un objet direct.

Commentaires sur le tableau de terminologie comparée

Quand on compare sur une même page les différents métalangages passés en revue, on constate qu’il existe d’importantes convergences entre les terminologies hellénique, anglophone, germanophone et lusophone. Par contre, la terminologie francophone apparaît très isolée.

Examinons les points de convergence entre grec moderne, anglais, allemand et portugais. Tout d’abord, la relation sujet-prédicat, héritée de la logique aristotélicienne, se retrouve partout. En second lieu, ce que les Français appellent attribut apparaît ici et là sous la forme d’un adjectif ou d’un participe passé adjectival apparenté au prædicatum. En anglais,

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allemand et portugais, nous avons un terme analogue à «prédicatif», avec de légères variations d’une langue à l’autre en fonction de la morphologie de chacune: angl. predicative, all. prädikativ, et port. predicativo. En grec, le participe passé kathgorouvmeno – «attribut», plus exactement «prédiqué» – entretient avec le terme kathgovrhma (prédicat), le même type de rapport inclusif que celui qu’on trouve en anglais entre predicative et predicate et en portugais entre predicativo et predicado.

A l’autre extrémité du tableau, les trois langues marquées par l’usage latin utilisent le terme d’attribut, avec des variations négligeables de l’une à l’autre, pour désigner ce que les francophones appellent épithète. L’angl. attribute, l’all. Attribut et le port. atributo sont utilisés traditionnellement pour désigner un caractérisant adnominal et, plus généralement, tout ce qui vient déterminer la tête substantivale, y compris les articles. Cela rejoint le terme grec de prosdiorismov• qui signifie «détermination». La terminologie grecque, en accord avec la linguistique générale, oppose à l’intérieur du syntagme nominal, déterminé et déterminant, sans se préoccuper d’opposer détermination à qualification, cette dernière étant incluse dans la précédente.

Les francophones sont donc les seuls à utiliser le mot épithète pour désigner la fonction de caractérisation adnominale, alors que, dans les langues passées en revue, l’héritier de epivqeton conserve le sens du mot grec. Les francophones sont également isolés dans leur usage du terme attribut employé avec un sens prédicatif.

Ajoutons qu’ils sont aussi les seuls à avoir érigé l’adjectif en classe autonome, alors que Port Royal parle encore de nom adjectif et de nom substantif à la suite des langues anciennes. Le grec moderne continue d’opposer le nom substantif (ovnoma ousiastikov) au nom adjectif (ovnoma epiqetikov), ce qui est très utile pour l’attribut, dont la nature substantivale ou adjectivale est souvent indécidable, commme dans l’exemple de Maillard-Almeida (1997: 34): Elle l’a traité de cynique.

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120 Faut-il continuer à parler d’attribut et d’épithète

Tableau de terminologie comparée

Terminologie néohellénique

UPOKEIMENO KATHGORHMA

Autov to

mikrov

spivti eivnai kruvo

epivqeta wv" prosdiorismoiv

..............................

epiqetikoiv prosdiorismoiv

prosdiorizovmeno ousiastikov

rhvma sundetikov

(ovnoma) epivqeto wv" kathgorouvmeno

..............................

epiqetikov kathgorouvmeno

Terminologie lusophone

SUJEITO PREDICADO

Esta pequena casa é fria

Atributo atributo (verbo) cópula (nome) predicativo do sujeito

Terminologie anglophone

SUBJECT PREDICATE

This little house is cold

determiner attributive

adjective

head noun copula predicative adjective

Terminologie germanophone

SUBJEKT PRÄDIKAT

Dieses kleines Haus ist kalt

Begleiter Attributives

Adjektiv

Nomen (Substantiv)

Prädikatskern (Prädikat)

Prädikatsnomen

...................

prädikatives Adjektiv

Ce qui oppose d’abord le français aux autres langues européennes retenues pour la comparaison, c’est qu’il fait de l’attribut une fonction primaire,

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Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA 121

située sur le versant du prédicat et non sur celui du sujet, alors qu’en portugais, comme en anglais ou en allemand, la notion d’attribut (port. atributo, all. Attribut, angl. attribute), équivalant à ce que les francophones appellent épithète, correspond à une fonction secondaire et peut, de ce fait, être une composante interne du groupe sujet.

Terminologie francophone

SUJET PRÉDICAT

Cette petite maison est froide

déterminant

adjectif épithète

nom-tête noyau nominal substantif noyau substantival du SN

(verbe) copule adjectif, attribut du sujet

.................................

attribut adjectival

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Tableau de l’organisation des arguments du verbe (Fonctions syntaxiques primaires)

ARGUMENTS

SUJET COMPLÉMENTS (c’est S qui) (c’est C que) Paul viendra.C’est Paul qui viendra. J’aime Shell.C’est Shell que j’aime. Lui viendra.C’est lui qui viendra. Il travaille le matinC’est le matin qu’il travaille. Elle est médecin.C‘est médecin qu’elle est. On l’a élue (comme) présidente. C’est (comme) présidente qu’on l’a élue. VERBAUX VERBO-NOMINAUX OBJET ADJET PRÉDICATIF PRÉDICATIF DU SUJET DE L’OBJET Paule est présidente. On a élu Paule présidente. COMPL. COMPL. ESSENTIEL CIRCONSTANCIEL

DE MESURE DE TEMPS Il mesure 2 m. Je dors le matin.

DE POIDS DE MOYEN Il pèse 100 k. On a ouvert la porte avec un passe.

DE LIEU DE LIEU Il habite (à) Funchal. Les étoiles scintillent dans le firmament. DIRECT PRÉPOSITIONNEL Il écoute (prép. à ou de) de la musique arabe (de la: art. partitif) OBJET OBJET INDIRECT SECOND Il raffole Le Président de la musique adresse ses voeux arabe à la nation. (de la: prép.+art.)

(verbes de valence 2) (verbes de valence 3)

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Michel MAILLARD & Elisete ALMEIDA 123

Brefs commentaires sur le tableau des arguments

On peut voir que les habituels attributs du sujet et de l’objet sont classés ici parmi les compléments du verbe, avec lesquels ils ont plusieurs points communs, notamment la faculté d’être focalisés par c’est...que. Ce sont des compléments mixtes, de type verbo-nominal: ils complètent un verbe mais aussi caractérisent un nom – plus exactement, un constituant nominal – par l’intermédiaire de ce verbe.

A l’intérieur de l’ensemble général des compléments, les prédicatifs constituent le complémentaire du sous-ensemble des compléments verbaux, eux-mêmes subdivisés en objets et adjets.

La notion d’adjet figure pour la première fois dans Feuillet (1978: 104) et correspond aux «actants de forme circonstancielle qui sont dans la valence du verbe.» MÉTAGRAM a élargi la notion en appelant adjet tout complément verbal qui n’est ni sujet ni objet. Cette notion commode permet de couvrir toutes sortes de cas mitoyens entre complément d’objet et de circonstance. Ainsi le verbe habiter est questionné par où comme s’il était suivi d’un circonstanciel mais son complément de lieu n’en est pas moins essentiel et, lors d’une transformation passive, il arrive qu’il passe – à la façon d’un objet – en position sujet. Où habite-t-elle? Elle habite la maison voisine La maison voisine est habitée par elle. On dira que le verbe habiter appelle un adjet, pour éviter aux apprenants d’avoir à faire un choix difficile entre objet et circonstant. L’avenir européen de l’adjet est évidemment plus problématique que celui du prédicatif, déjà bien implanté en dehors de la francophonie.

Conclusion sur la notion de prédicatif

Tout ce qui précède le montre à l’évidence: si les francophones veulent se mettre à l’heure européenne, il est temps qu’ils renoncent au terme attribut pour désigner le complément prédicatif du sujet ou de l’objet. Cette terminologie made in France est un facteur d’isolement.

Mais substituer au traditionnel attribut une étiquette aussi spécieuse que celle de suite du verbe être, comme cela a été tenté en Suisse romande, constitue une voie encore moins satisfaisante que le retour au statu quo ante. C’est aplatir le syntaxique au niveau du syntagmatique et réduire le langage à sa linéarité de surface. Il suffit de citer l’énoncé banal Telle est mon opinion pour montrer que «la suite de être» n’est pas toujours l’ancien attribut du sujet. En outre le clitique le faisant office d’attribut ne suit pas le verbe mais le précède: Méfiant, ce garçon le sera toujours. Comment l’élève va-t-il saisir l’invariant fonctionnel sous les variations

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formelles que la tension communicative suscite inévitablement à la surface si on ne lui parle qu’un langage strictement spatial?

L’important est de lui faire constater que l’adjectif indéfini telle se conforme au genre et au nombre du sujet opinion et que le qualificatif Méfiant entretient une relation analogue avec le sujet ce garçon. À partir de là, on tentera de lui faire saisir la double nature de cette relation prédicative, qui s’apparente d’un côté à la complémentation verbale et, de l’autre, à la caractérisation nominale assumée par l’adjectif épithète – qu’il vaut mieux appeler adnominal – ou au complément de nom de même valeur, mais hors prédication, dans le cadre du SN.

Les grammaires anglaises ou allemandes, on l’a vu, privilégient le côté complément du verbe, qui rapproche l’attribut de tous les autres compléments verbaux, tandis que les grammaires françaises insistent sur sa fonction de caractérisant du nom, manifestée en morphosyntaxe par l’accord de genre-nombre entre caractérisé et caractérisant. Aujourd’hui les linguistes francophones qui veulent débloquer la situation ont tendance à privilégier la fonction complétive de l’attribut, à l’instar des anglophones. Ainsi Ruwet (1975) n’hésite pas à parler d’objet de la copule, mais cela heurte trop brutalement nos habitudes.

Comme l’a montré notre tableau des arguments du verbe, nous préférons parler de prédicatif du sujet ou de l’objet. Il s’agit pour nous d’un com-plément verbo-nominal qui ne se laisse réduire à aucun autre com-plément et qui appelle un traitement spécial dans toutes les langues où le prédicatif est susceptible de s’accorder avec le terme auquel il est appliqué.

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Pour une terminologie grammaticale européennne. Défense et illustration

Dominique WILLEMS Université de Gand

In this paper, we want to defend the necessity and to illustrate the possibility of a harmonization of the grammatical terminology in Europe. The grammatical metalanguage shows considerable divergences from one language to another. The sources of this heterogeneity are manyfold but a new reflection on the function and minimal requirements of a grammatical terminology should make it possible to elaborate at least a nucleus of common terminology for the wordclasses and grammatical functions in the European languages. We illustrate this point with four concrete examples: the noun phrase, the object complements, the clause types and the invariable wordclasses.

1. Défense

1.1. Introduction1

Quelle que soit la place accordée à l’activité métalinguistique dans l’apprentissage des langues étrangères, il paraît acquis qu’un minimum de réflexion grammaticale et de généralisation par rapport aux phénomènes d’observation empirique est effectivement à l’oeuvre lors de l’apprentissage d’une langue étrangère, et qu’il ne peut que favoriser un apprentissage heureux. Il est dès lors étonnant qu’on ne se soit pas encore mis d’accord, au niveau européen, sur un minimum de terminologie grammaticale, commun à l’ensemble des langues de la Communauté, et que l’enseignement grammatical, dans la plupart des pays, s’effectue de façon indépendante pour les diverses langues enseignées, multipliant ainsi pour l’élève – pour qui la grammaire ne constitue pas nécessairement la matière favorite – les approches et les terminologies parfois contradictoires.

1 La présente réflexion sur les sources d’hétérogénéité en matière de terminologie

grammaticale et sur les pistes éventuelles pour son harmonisation est le fruit de trois expériences distinctes: une pratique (déjà longue) d’enseignement en linguistique française (à des étudiants bilingues); une participation active pendant quelques années aux activités d’une commission chargée de renouveler la terminologie grammaticale scolaire en Flandre; enfin et surtout, une recherche de plusieurs années déjà sur les problèmes que pose l’élaboration d’une grammaire contrastive, en l’occurrence du néerlandais, du français et de l’anglais.

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En comparant les terminologies de plusieurs langues, on ne peut en effet qu’être frappé par les cas de polysémie et de faux amis: ainsi le terme pronom, fidèle à la polysémie de son préfixe (pro: «à la place de» ou «devant»), désigne tantôt (en anglais et en français p.ex.) l’élément se trouvant à la place du nom, tantôt (en néerlandais p.ex.) l’élément se trouvant devant le nom (= le déterminant). Les termes attribut et prédicatif constituent un autre cas, bien connu, de faux amis: dans «Jean est intelligent», la tradition grammaticale germanique verra dans l’adjectif intelligent avant tout une partie du prédicat et l’adjectif sera appelé prédicatif. La tradition romane, plus sémantique, rendra dans sa terminologie le lien entre intelligent et le sujet Jean et parlera d’attribut du sujet. La chose se corse dans la mesure où les langues germaniques réserveront précisément le terme attributif pour désigner l’adjectif épithète, qui en effet peut être vu comme attribuant une qualité au substantif… Il en va de même pour les notions de complément d’objet indirect (français /v/ anglais2), d’impersonnel (français /v/ espagnol3) et bien d’autres encore. Si certains cas semblent pouvoir se résoudre facilement, d’autres poseront des problèmes quasi insolubles.

1.2. Sources d’hétérogénéité

Les sources de l’hétérogénéité sont multiples: elle peut résulter de certains traits propres à la description grammaticale elle-même (1.2.1.), mais elle est aussi souvent le résultat de l’utilisation de critères divergents (1.2.2.) et d’un manque de clarté dans le rapport entre signifié et signifiant, donnant lieu à diverses formes d’homonymie, de polysémie ou de synonymie (1.2.3.). Si ces phénomènes apparaissent à l’intérieur d’une seule langue, donnant lieu à des variantes terminologiques souvent gênantes4, on les retrouve également, comme nous venons de l’illustrer, entre les diverses langues.

2 Alors que la terminologie française voit dans indirect avant tout une caractéristique

formelle (lié au verbe par le biais d’une préposition), la terminologie anglaise lui donne une valeur sémantique (participant indirectement ou secondairement à l’action du verbe et pouvant se construire formellement de façon directe ou indirecte). Cf. infra.

3 En comparant les deux langues, on a vite fait de constater l’extension différente de la construction impersonnelle, qui en espagnol, contrairement au français, inclut les structures pronominales du type «se venden pinos».

4 Des propositions récentes de renouvellement terminologique, en France (Grenoble) mais surtout en Suisse, ont remedié à certaines des difficultés relevées ici.

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1.2.1. La grammaire traditionnelle, présentant une vue idéalisée du rapport entre sens et forme, tend à faire coïncider, dans une même terminologie, des propriétés morphosyntaxiques, sémantiques et pragmatiques. Ainsi la notion de sujet désigne à la fois le terme avec lequel le verbe s’accorde et qui le précède, l’agent de l’action et le thème de l’énoncé. Les exemples moins prototypiques ne répondront de ce fait que partiellement à cette définition et poseront des problèmes de reconnaissance, de classification et de dénomination (cf. les termes de sujet apparent, provisoire, vide, grammatical, etc.).

Un manque de cohérence dans la description grammaticale elle-même peut donner lieu à une deuxième forme d’hétérogénéité: ainsi, dans la tradition grammaticale française, l’opposition entre sujet réel et complément d’agent résulte de l’application de deux solutions différentes à un même problème de base, à savoir l’absence d’isomorphie entre syntaxe et sens. Dans les deux cas l’agent sémantique ne présente pas les caractéristiques morphosyntaxiques du sujet, caractéristiques qui revien-nent à un autre élément lexical (le sujet apparent il dans le cas de la structure impersonnelle, le SN préverbal dans le cas de la structure passive). La terminologie différenciée reflète deux positions théoriques différentes: dans le cas de l’impersonnel, la tradition grammaticale propose une scission de la fonction sujet en privilégiant l’aspect sémantique qualifié de «réel» (notons en passant le caractère «engagé» de cette terminologie), alors que pour le passif, les caractéristiques morphosyntaxiques de la fonction l’emportent (le terme appelé sujet étant le sujet grammatical): pour l’agent un nouveau terme sera créé, de nature essentiellement sémantique. Remarquons qu’il s’agit d’une terminologie ad hoc, spécifique pour la seule structure passive.

1.2.2. Dans un même chapitre de la grammaire, la terminologie utilisée pour distinguer des sous-classes peut répondre à des critères de définition hétérogènes: le cas de la subordination est exemplaire sur ce point: on y distingue trois sous-ensembles: les relatives (sur la base d’un critère morphosyntaxique, à savoir la présence d’un pronom relatif comme élément de liaison), les circonstancielles (sur la base du rapport sémantique entre subordonnée et principale), les complétives enfin (sur la base d’un critère vaguement syntaxique d’incomplétude du verbe principal).

On constate par ailleurs souvent un regrettable mélange de niveaux d’analyse: ainsi en parlant de substantif sujet on confond partie du discours et syntagme, le substantif seul ne pouvant que très rarement assumer cette fonction. L’expression proposition substantive présente la même in-conséquence.

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1.2.3. La polysémie des termes grammaticaux est une autre source d’ambiguïté: pas mal de termes connaissent en effet une double acception, renvoyant à des réalités distinctes. Le complément d’objet indirect désigne tant le complément indirect premier d’un verbe bivalent (il obéit à son père) que le complément second d’un verbe trivalent (il fournit des vivres à l’armée). Il en va de même, dans le domaine des parties du discours, pour le verbe ou l’adverbe désignant à la fois des natures et des fonctions. La catégorie du déterminant, récemment introduite dans la tradition grammati-cale, présente, nous semble-t-il, la même ambiguïté...

Un cas particulier de polysémie ou d’homonymie peut apparaître entre mot de langue et terme grammatical, entre langue et métalangue donc. Le passage suivant du Bon Usage (11e éd.) sous la définition du substantif est révélateur à ce sujet: «Le nom ou substantif est un mot qui sert à désigner, à «nommer» les êtres animés et les choses; parmi ces dernières, on range, en grammaire, non seulement les objets, mais encore les actions, les senti-ments, les qualités, les idées, les abstractions, les phénomènes, etc.» Ce qui vaut pour «chose», qui prend en grammaire, par extension (!), une acception particulière, vaut également pour les termes nom ou temps, po-lysémiques en français, contrairement à l’allemand ou à l’anglais d’ailleurs (time /v/ tense; Zeit /v/ Tempus), et beaucoup d’autres (action, qualité, etc.)

Certains termes pèchent par une excessive généralité, telle la catégorie du pronom personnel, englobant tant le je, personnel mais non pronom, que le il, pronom mais non personnel... D’autres présentent au contraire un manque de généralité: ainsi l’adverbe peut très bien se joindre à un adjectif ou à un autre adverbe. D’autres encore, telle la préposition, induisent en erreur: plutôt que de se trouver devant un autre élément, celle-ci a pour fonction de lier deux ensembles, tout comme la conjonction.

Des problèmes peuvent également surgir pour des termes trop vagues tels complément ou relation dont l’extension ne correspond pas à la compréhension et qui donnent lieu à des combinaisons contradictoires du genre complétive sujet.

L’existence d’une redondance certaine sur le plan terminologique est une autre source de problèmes. La synonymie existe en effet entre nom et substantif; entre groupe, syntagme et constituant; entre nucléaire et essentiel et bien d’autres termes...

1.2.4. A ces diverses sources d’hétérogénéité il faut bien sûr ajouter l’immense complexité des données elles-mêmes, souvent rebelles à une analyse simple et généralisatrice.

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1.3. La terminologie grammaticale: pour quoi faire?

Avant d’aller à la recherche d’une terminologie unifiée, certaines questions préalables méritent d’être examinées. Si, pour L. Hjelmslev [Principes de grammaire générale, 1928: 57], «la terminologie est une question de goût, elle ne touche pas aux réalités», cette analyse n’est sans doute pas partagée par l’ensemble des grammairiens. La question de l’utilité de la terminologie se pose, ainsi que celle des exigences minimales auxquelles elle devrait être soumise.

La (re)connaissance et l’utilisation d’une terminologie adéquate fait, nous semble-t-il, partie intégrante de la réflexion grammaticale. Sans en être la partie essentielle, elle accompagne et devrait faciliter les procédures de découverte, de description et de classification des éléments linguistiques, ainsi que la perception de leurs interrelations. L’élaboration d’une terminologie devrait être le résultat d’un processus de classification des éléments de la langue sur base d’une analyse précise de leur comportement.

Dans cette analyse, certaines opérations nous paraissent essentielles:

1) la distinction précise des différents niveaux d’analyse (phrases, propositions, syntagmes, parties du discours);

2) la séparation des plans de l’expression et du contenu et leur mise en relation ultérieure;

3) la prise en compte tant de l’axe paradigmatique que de l’axe syntagmatique pour la caractérisation des éléments de la langue, et ce à chaque niveau d’analyse.

La terminologie grammaticale devrait réfléter au mieux ces diverses opérations, ou pour le moins être en accord avec les découpages qu’elles opèrent.Toute terminologie devrait par ailleurs répondre aux exigences de cohérence interne, de clarté, d’opérationalité, de neutralité et d’économie.

1.4. Pour un minimum de terminologie européenne

Dans le cadre d’une revalorisation de l’apprentissage des langues étrangères, une des tâches les plus urgentes nous paraît être d’établir un consensus sur les exigences minimales pour l’adoption d’une terminologie et la recherche d’une terminologie unifiée: une telle unification diminuerait considérablement le nombre d’heures à consacrer à l’enseignement de la grammaire pour les diverses langues; elle permettrait une meilleure exploitation de la langue maternelle sur le plan métalinguistique et diminuerait la distance entre les systèmes linguistiques en les rendant du même coup plus comparables. Une première réflexion sur la nécessité et les

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difficultés d’une telle harmonisation a été menée dans le cadre d’un programme intensif Erasmus5.

Dans la réflexion terminologique, certains points méritent une attention particulière.

1) En premier lieu il s’agit de mesurer la place à accorder à la tradition grammaticale: tradition souvent décriée de par son caractère vague ou éloigné de la réalité langagière, mais d’autre part source d’homo-généité entre les langues européennes (ex. préposition). Toute propo-sition de changement risque de briser ce lien entre les langues en collant de plus près aux traits spécifiques de chacune.

2) En même temps se pose le problème du degré d’abstraction d’une part, de métaphorisation de l’autre. Faut-il privilégier, à la suite de Hjelmslev ou de Togeby ou même de Damourette et Pichon, une terminologie de nature savante et abstraite? Ou favoriser une approche plus métaphorique permettant de concrétiser les structures ou les contenus (le verbe en tant que «noeud», «noyau» ou «atome crochu», les compléments comme «actants» ou «circonstants»)? Ou encore, rester plus près des structures de surface et, dans le domaine de la morphologie verbale, parler à la suite des mêmes Damourette et Pichon des tiroirs «sachiez» ou «saviez»?

3) Une question rarement abordée, mais essentielle nous semble-t-il, est celle de la progression. Si la terminologie prend une place importante dans l’enseignement de la grammaire et ceci depuis l’école primaire, une des tâches consistera à définir des étapes progressives d’une terminologie minimale utilisable dans l’enseignement élémentaire jusqu’à un ensemble conceptuel élaboré et structuré au niveau universitaire.

4) On oublie par ailleurs que la terminologie ne constitue qu’une partie du métalangage grammatical. Elle n’existe pas seule et d’autres éléments, telles les définitions, accompagnent la terminologie à proprement parler et utilisent un métalangage sui generis (ex. «se rapporter à», «se transformer en», «déterminer», «s’accorder en genre et en nombre», «exprimer» e. a. pour ne rester que dans le domaine des prédicats...). Ces formules mériteraient également une analyse critique sur le plan de la cohérence, de la redondance ou de la poly-sémie.

5 Cf. S. Branca, A. Piquer & D. Willems, Vers une terminologie grammaticale

européenne?, Travaux de Linguistique, 31, 1995.

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5) Il faudra avant tout peut-être se pencher sur le problème des critères utilisés dans le choix terminologique: entre forme, syntaxe et sens, quel choix opérera-t-on ou plutôt, quelle hiérarchie de critères établira-t-on? On peut opter par exemple pour la terminologie la plus formelle possible, en y soumettant les critères plus syntaxiques ou sémantiques. Dans une approche de comparaison des langues, on pourrait toutefois préférer un point de départ plus sémantique, plus apte sans doute à aboutir à une certaine unification.

2. Illustration

Dans les paragraphes qui suivent, nous aimerions présenter des pistes d’harmonisation dans quelques domaines: celui du groupe nominal et des compléments d’objets d’une part, où l’analyse proposée, qui porte sur trois langues (le français, le néerlandais et l’anglais), s’accompagne de propositions terminologiques concrètes6; le domaine des invariables et des types de phrase d’autre part, où nous proposerons avant tout une organisation du champ, préalable indispensable à l’élaboration d’une terminologie unifiée.

2.1. Le groupe nominal

L’analyse du groupe nominal constitue un domaine où les divergences terminologiques sont importantes. Si dans la tradition grammaticale française on hésite entre nom ou substantif pour nommer le noyau, le choix de noun en anglais, naamwoord en néerlandais, pourrait faire pencher la balance en faveur du nom, qui par ailleurs est aussi le seul terme associé à «propre» dans le syntagme nom propre (substantif propre?).

En ce qui concerne les autres classes qui accompagnent le nom, les différences terminologiques sont grandes, tant à l’intérieur d’une langue qu’entre les langues: si en français le déterminant s’est finalement imposé, il ne semble pas y avoir d’accord quant à son extension; en anglais on retrouve l’équivalent determiner, mais en néerlandais c’est l’article (lidwoord) qui reste en vigueur. Les sous-classes pullulent, répondant à des dénominations tantôt sémantiques (démonstratifs, possessifs, numéraux,

6 Les solutions proposées ont été appliquées dans les études suivantes, résultant du projet

contrastif néerlandais, français, anglais (Université de Gand): F. Devos, M. Van Herreweghe & R. De Muynck (1991) et F. Devos, L. Martens & R. De Muynck (1992 et 1993).

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indéfinis, etc.), tantôt syntaxiques (spécifiques, complémentaires, pronominaux, etc.).

Le domaine de l’adjectif qualificatif est lui aussi fort diversifié: la fonction épithète, globalement, s’oppose à celle d’apposition et d’attribut, mais connaît de nombreuses sous-classes (qualificatif, de nature, relationnel, etc.). Epithète (fr.) s’oppose à attributive (anglais, néerlandais, allemand).

Dans le cadre d’une harmonisation terminologique entre les trois langues, nous avons opté pour une solution sémantique globale: le noyau (nom, noun, naamwoord) est accompagné de trois types de compléments: les déterminants (determiners, determinatoren), qui servent à la détermination plus ou moins définie du nom et qui sont souvent obligatoires, les quantifiants (quantifiers, kwantificatoren), qui quantifient le nom, de façon précise, indéfinie ou approximative, et les qualifiants (qualifiers, kwalifica-toren), qui ajoutent une qualification et sont en général facultatifs. Ces compléments peuvent être antéposés ou postposés au noyau nominal selon le schéma suivant:

déterminant [quantifiant] [qualifiant antéposé] noyau [qualifiant postposé]

Ces fonctions sémantiques peuvent être remplies par diverses classes formelles: ainsi le quantifiant peut en français être représenté tant par une locution adverbiale (beaucoup de) que par un adjectif, variable (quelques) ou invariable (quatre), ou une locution nominale (une centaine de). Si en français le déterminant est obligatoire pour un groupe nominal en fonction sujet, ceci n’est le cas ni pour l’anglais, ni pour le néerlandais. Dans le cas du groupe nominal, l’approche sémantique permet non seulement d’unifier considérablement la terminologie utilisée, mais encore de mieux décrire les points de convergence et de divergence entre les trois langues considérées.

2.2. Les objets (directs et indirects)

Si le terme d’objet ou de complément d’objet recouvre globalement le même type de complément dans les trois langues étudiées, à savoir les compléments nucléaires exprimant un argument du prédicat, la terminologie concernant les sous-classes d’objets diffère considérablement si l’on compare le français aux langues germaniques (l’anglais et le néerlandais p. ex.). Alors qu’en français l’opposition complément d’objet direct /v/ complément d’objet indirect repose sur un critère formel, celui de la présence ou non d’une préposition devant le SN objet, en anglais et en néerlandais l’opposition est de nature sémantique, l’objet indirect étant concerné de façon moins inhérente, en quelque sorte ‘indirectement’ par l’action du verbe. Alors que l’objet direct est défini comme l’élément

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résultant de l’action ou affecté par celle-ci, l’objet indirect exprime le récipiendaire ou le bénéfactif de l’action. Le néerlandais traduit ce point de vue sémantique dans sa terminologie, le COD y étant appelé «lijdend voorwerp» (objet affecté), le COI «meewerkend voorwerp» (objet partici-pant). L’anglais utilise les termes «direct»/v/ «indirect object».

Les deux langues connaissent par ailleurs un objet prépositionnel («voorzetselvoorwerp» en néerlandais, «prepositional object» en anglais), défini morphosyntaxiquement comme l’objet introduit obligatoirement par une préposition fixe. Dans ces deux langues, tant les objets directs qu’indirects peuvent être prépositionnels ou non:

(1) Zij leest een boek («affecté», non prépositionnel) Ze houdt van hem («affecté», prépositionnel) Hij gaf een boek aan zijn vrouw («participant», prépositionnel) Hij gaf zijn vrouw een boek («participant», non prépositionnel)

(2) She watched a film («direct», non prépositionnel) She looked at him («direct», prépositionnel) He gave a book to her («indirect», prépositionnel) He gave his wife a book («indirect», non prépositionnel)

A ce problème de divergences conceptuelles et terminologiques s’ajoute une polysémie, tant en français qu’en anglais ou en néerlandais: les termes de COI (en français), d’objet prépositionnel (en anglais et en néerlandais) peuvent désigner tant l’objet premier d’un verbe bivalent que l’objet second d’un verbe trivalent. Cette situation, qui devient encore plus complexe si on tient compte des divergences terminologiques, à l’intérieur de chaque langue, d’un grammairien à l’autre, peut être schématisée de la façon suivante:

En français: avec préposition = objet INDIRECT sans préposition = objet DIRECT

Cette terminologie vaut quel que soit le statut syntaxique (premier ou second) du complément et s’applique également aux réalisations pronominales, bien que dans ce cas, en surface, aucune préposition ne soit visible. Les structures pronominales sont donc clairement considérées comme «secondaires» par rapport aux réalisations lexicales.

En anglais et en néerlandais:

objet sémantiquement premier = DIRECT objet sémantiquement second = INDIRECT avec préposition obligatoire = PREPOSITIONNEL

Tant l’objet direct qu’indirect peuvent être prépositionnels, mais en ce qui concerne l’objet indirect, pour certaines classes de verbes, la présence ou l’absence de la préposition dépend de la place du complément (nominal ou

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pronominal) par rapport au verbe (cf. ex.3); pour d’autres ensembles lexicaux elle est obligatoire dans tous les cas (cf. ex.4). Certaines grammai-res anglaises réserveront le terme de «indirect object» au premier cas (à préposition facultative), les compléments introduits obligatoirement par une préposition étant alors appelés «prepositional objects».

(3) He gave a present to his wife He gave his wife(her) a present

(4) He explained his plans to his wife (her) *He explained his wife (her) his plans

La distinction direct/v/indirect recèle donc des différences d’analyse derrière des termes apparemment correspondants, ainsi que des différences à l’intérieur même de la tradition anglaise. Une harmonisation terminolo-gique est-elle possible? Il nous semble que oui.

Une solution terminologique acceptable pour les trois langues pourrait consister dans l’introduction de l’opposition objet premier et objet second selon la valence verbale et le degré de centralité du complément par rapport au verbe. Les objets pourraient alors se construire morphosyntaxiquement avec préposition, sans préposition ou avec une préposition facultative. La proposition peut être résumée dans le tableau suivant:

OBJET PREMIER OBJET SECOND

Verbe bivalent - prép. (direct) + prép.

-------

Verbe trivalent - prép. (direct) - prép. (direct)

prép. + prép.

L’analyse proposée aurait l’avantage d’éliminer les polysémies du terme indirect, d’éviter le mélange de critères sémantiques et morphosyntaxiques et de faire mieux apparaître les différences structurales entre les langues, le français ne connaissant p.ex. que des objets seconds (nominaux) préposi-tionnels.

2.3. Les invariables

Tant dans le cadre d’une grammaire du français qu’en vue d’une analyse comparative des langues, il est utile de regrouper les mots invariables en une catégorie afin d’expliciter les rapports entre les diverses sous-classes et de rendre compte de certains transferts entre celles-ci.

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Un groupe de recherche terminologique, visant une harmonisation de la terminologie utilisée pour l’enseignement du français dans les écoles secondaires en Flandre, a opté pour une classification en fonction de critères syntaxiques selon le schéma suivant:

mots invariables

non intégré intégré

intransitif transitif

pas suivi d’un suivi d’un verbe conjugué verbe conjugué

coordonnant adverbe préposition conjonction (et, mais, ni, ou) d’intégration

Le point de départ est constitué par une définition de la coordination, comme une opération qui réunit plusieurs éléments de même valeur, simples ou complexes, en une unité qui a toujours la même valeur. Les marqueurs de la coordination ne faisant pas partie d’un des groupes de la structure coordonnée, on leur attribuera le trait – intégré. On appelle coordonnants les mots invariables non intégrés. Parmi les mots invariables intégrés, on opposera les mots qui doivent être suivis d’un complément aux mots qui ne peuvent l’être. Les premiers sont transitifs, les seconds intransitifs. Ceux-ci sont appelés adverbes. Les mots invariables intégrés transitifs peuvent être subdivisés selon la nature de leur complément: les conjonctions d’intégration ont pour complément un ensemble construit autour d’une forme verbale conjuguée, les prépositions non.

Indépendamment de la terminologie choisie, c’est avant tout les rapports entre les éléments et les critères de classification qui retiennent l’attention.

2.4. Les types de phrase7

La phrase, dans ses réalisations concrètes, est caractérisée par une très grande variété. Celle-ci est décrite dans les grammaires par rapport à un modèle abstrait: la phrase canonique. Celle-ci présente les caractéristiques suivantes:

7 Pour une analyse plus détaillée, cf. D. Willems (1998).

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a) forme verbale personnelle forme; b) modalité énonciative type; c) ordre des constituants lexicaux: sujet + prédicat ou SVO ordre; d) prosodie liée (sans ruptures) contour prosodique; e) syntaxe autonome (non dépendante) niveau.

Par rapport à la phrase canonique, trois catégories de changement peuvent être reconnues:

a) la phrase peut présenter une autre forme (infinitive, participiale, nominale /v/ forme verbale personnelle): ces formes différentes se traduisent au niveau de la morphologie verbale et concernent essentiellement l’organisation syntaxique de la phrase complexe.

b) la phrase peut présenter une autre modalité (interrogative ou injonctive /v/ énonciative): dans ce cas nous parlerons de types différents. Les types correspondent aux actes de langage fondamentaux et mettent en jeu des moyens intonatifs et morpho-syntaxiques particuliers.

c) la phrase peut présenter un autre ordre linéaire: nous parlerons dans ce cas de reformulations différentes: celles-ci correspondent essen-tiellement à des organisations discursives différentes et peuvent mettre en jeu, en dehors de l’ordre de succession des éléments, des facteurs prosodiques et morphosyntaxiques divers (cf. tableau).

Pour les reformulations, nous proposons l’organisation et la terminologie suivantes:

Reformulations

- rupture prosodique + rupture prosodique

+ morphologie - morphologie + reprise - reprise propre propre

structures à structures inversées structures détachées dispositifs

dislocation détachement - passifs - impersonnels - (pseudo)clivés - présentatifs

il a été très touché ça se voit de loin il en reste trois c’est à toi qu’il pense il y a Jean qui arrive

à cela s’ajoute autre chose là règne un chaos total

la mer, c’est beau il a téléphoné, ton père

il fait beau, à San Francisco la politique, vous connaissez

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voilà Jean qui arrive

La terminologie proposée pour la classification des reformulations (modifications de l’ordre linéaire) est de nature morphosyntaxique: les structures à dispositifs se caractérisent par l’utilisation de dispositifs morphologiques spécifiques (être+pp, se pour le passif; il pour l’impersonnel, c’est… qui et variantes pour les clivées; il y a, voici/voilà pour les présentatifs); les structures inversées présentent une succession non canonique, mais sans marques morphologiques ni prosodiques propres; les structures détachées, quant à elles, se caractérisent par une rupture prosodique (pause + intonation spécifique); la présence ou non d’un élément de reprise permettrait une classification plus précise à laquelle on pourrait associer une terminologie propre (dislocation/v/détachement).

La classification proposée ne concerne toutefois que le niveau des phrases autonomes. Au niveau inférieur des phrases enchâssées, les reformulations relatives pourraient être classées sous les structures à dispositifs, tout comme les incises introduites par que; les incises non introduites prendraient leur place sous les structures inversées.

La terminologie proposée reprend, autant que possible, les termes traditionnels (structures passives, impersonnelles, clivées, etc). en les replaçant dans un cadre cohérent. La métalangue propre à ce cadre est partiellement nouvelle (type /v/ forme /v/ formulation comme sous-division des phrases ; structures à dispositifs /v/ structures inversées /v/ structures détachées comme sous-divisions des reformulations).

Nous sommes consciente qu’il ne s’agit là que d’un début de réflexion qui devrait être complété, tant pour le français qu’en comparaison avec d’autres langues, dans le cadre d’une harmonisation de la terminologie grammati-cale européenne.

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Riegel, M. et al. (1994). Grammaire méthodique du français. Paris: PUF.

Willems, D. (1995). La terminologie grammaticale: de l’hétérogénéité à l’harmonisation?, Travaux de Linguistique, 31, 13-23.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 143-153

«De la phrase aux énoncés»: bilan et perspectives

Marie-José BEGUELIN Universités de Neuchâtel et Fribourg

This short article presents the genesis and the main lines of a collective work meant for French teachers and to be published under the title De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaire et descriptions linguistiques (Bruxelles, De Boeck-Duculot, coll. Savoirs en pratique, April 2000). This book puts forward an inventory of school grammars and sets propositions to solve a certain number of problematical issues. The matter of verbal complements is treated among others: several typologies actually compete and tests of identification used in class often fail to work as discriminating functions. Interlinguistic viewpoint – as long as it is introduced with care and caution – seems therefore to be a possible way to lead to a more satisfying didactic approach.

Quelques repères chronologiques

Le 30 novembre 1993, après plusieurs réunions préparatoires suivies d’une consultation des instances concernées, le bureau de la Commission romande des moyens d’enseignement (COROME) entérine un projet alors connu sous le nom d’«Aspects linguistiques». Sous l’impulsion de sa présidente Irène Cornali-Engel, COROME décide ce jour-là de confier à un groupe de linguistes et de didacticiens le soin d’élaborer un manuscrit visant à clarifier un certain nombre de notions grammaticales problématiques. Le livre en projet est destiné à la formation initiale et continue des enseignants de français de Suisse romande.

Un comité de rédaction composé de Marinette Matthey, Jean-Paul Bronckart, Sandra Canelas et Marie-José Béguelin (directrice du projet) se met au travail en avril 1994. Périodiquement, les auteurs livrent des projets de chapitres qui sont soumis aux membres d’une commission de lecture instituée par COROME, avant d’être remaniés en fonction des critiques et des avis recueillis auprès de cette commission. En août 1996, une version complète, mais provisoire du manuscrit est envoyée pour consultation dans les différents cantons romands. Les rapports de consultation sont livrés dans les premiers mois de 1997. Les auteurs en prennent connaissance et sollicitent un nouveau délai pour repenser le plan de l’ouvrage, en

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améliorer la cohérence interne, y ajouter certains développements estimés nécessaires.

Le manuscrit est alors soumis à deux experts, Claire Blanche-Benveniste, professeur à l’Université de Provence, et Alain Berrendonner, professeur à l’Université de Fribourg, qui participent à l’élaboration du nouveau plan. A partir de l’été 1997, Marie-José Béguelin et Marinette Matthey s’attellent à la révision proprement dite. L’ampleur du manuscrit, la difficulté des thèmes abordés, les adaptations nécessaires en vue d’intégrer, au fur et à mesure, l’apport des parutions nouvelles, rendent la tâche pour le moins ardue. La version remaniée est approuvée par le comité de lecture en juin 1999. Remis sur le métier au cours de l’été pour un ultime peaufinage, le manuscrit est envoyé en octobre aux Editions De Boeck-Duculot, où il paraîtra en avril 2000 sous le titre De la phrase aux énoncés. Grammaire scolaire et descriptions linguistiques (collection «Savoirs en pratique», 344 pages).

Une réflexion de longue haleine

De la phrase aux énoncés contient les résultats d’une réflexion collective, de longue haleine, sur l’enseignement de la grammaire. Des moyens financiers et humains exceptionnels y ont été engagés, à la mesure de l’importance accordée, en Suisse romande, à la qualité de l’enseignement en général, et à celui de la langue maternelle en particulier.

La nécessité d’un état des lieux en matière de grammaire scolaire s’est fait sentir dans le cadre de la rénovation qui, à partir des années 70, a touché les contenus et les méthodes d’enseignement du français à l’école obligatoire. Comme toute réforme du même genre, celle-ci avait, à l’époque, soulevé divers blocages et des réticences parfois vives. Des échanges de vue avaient eu lieu à ce sujet au cours des années 80 au sein du Groupe Bally1, alors présidé par Jean-Paul Bronckart. Près de douze ans plus tard, les discussions conduites au sein du Groupe Bally devaient donc trouver un prolongement, pour ne pas dire un aboutissement, dans un ouvrage qui fait, notamment, le point sur les acquis de la rénovation.

1 Le Groupe Bally, mandaté par l’Institut de recherche et de documentation pédagogique

(IRDP), réunit des linguistes et des spécialistes de l’enseignement du français. Voir le Rapport intermédiaire du Groupe Bally, Neuchâtel, IRDP, 1988.

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Des attentes fluctuantes

Beaucoup d’attentes fluctuantes et parfois contradictoires ont pesé sur ce projet, dont les objectifs ont connu divers ajustements entre le moment, déjà lointain, de sa conception et celui de sa réalisation. Lors des débats préliminaires, il avait été question de présenter le résultat des travaux sous forme de fiches consacrées aux notions problématiques abordées (p. ex. l’adjectif, la phrase, les catégories, les fonctions, etc.). Mais la nécessité d’une réflexion épistémologique approfondie sur l’origine des notions et des méthodes d’analyse, le désir de voir également apparaître dans le livre des développements relatifs aux sources de l’enseignement rénové, aux acquis de la linguistique structurale, au devenir de la grammaire générative transformationnelle, etc., ont très tôt rendue caduque la formule des fiches, dont le côté potentiellement réducteur coïncidait mal avec l’ambition de formation et d’approfondissement qui sous-tendait le projet.

Vu l’état du marché éditorial, il semblait par ailleurs inutile de produire une nouvelle grammaire à usage scolaire, un nouveau dictionnaire de notions linguistiques, ou encore une nouvelle histoire de la linguistique. Il fallait plutôt essayer de répondre aux grandes questions que les enseignants se posent, leur donner des moyens de réflexion et de mise en perspective, leur fournir un outil de travail adapté à leurs pratiques, les aidant à mieux comprendre les difficultés de leurs élèves face à l’analyse grammaticale, mais aussi face à l’acquisition du français écrit. Les années passant, la nécessité de justifier le fundamentum grammatical issu de la rénovation perdait de son acuité, laissant place à de nouvelles demandes qui portaient, par exemple, sur la pertinence des démarches d’analyse, sur le pont à établir entre la doctrine grammaticale et les savoirs linguistiques déjà disponibles chez l’élève, sur les problèmes de transition de la langue maternelle vers les langues secondes...

Dans le même temps, la langue orale faisait l’objet d’un regain d’intérêt et devenait, çà et là, le terrain d’innovations pédagogiques stimulantes. Pourtant, le français parlé n’en restait pas moins une terra incognita: du côté des maîtres autant que dans les moyens d’enseignement, on relevait une large méconnaissance des modes de structuration du français parlé, ainsi qu’une pénurie dans l’accès aux études scientifiques consacrées à ce domaine d’études. De cette méconnaissance découlait, à notre avis, un obstacle sérieux à une meilleure articulation, dans l’enseignement du français, entre activités de structuration et activités d’expression, obstacle auquel nous souhaitions remédier dans la mesure du possible.

Il devenait de plus en plus clair, en conséquence, que l’ouvrage en chantier irait au-delà d’un simple bilan portant sur les acquis et les limites du travail

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de rénovation accompli ces dernières décennies dans l’enseignement de la grammaire.

Cette longue période d’incubation fut aussi ponctuée par la parution d’ouvrages marquants, tant dans le domaine de la grammaire scolaire que dans celui de la linguistique française. Sur certains points, ils nous ont épargné des efforts, tout en nous contraignant à réajuster régulièrement nos objectifs. Je pense notamment aux livres de Genevay, Chartrand, Riegel et al., Wilmet, etc. (voir la bibliographie en fin d’article). Le Colloque international Métalangage et terminologie linguistique, organisé à Grenoble en mai 1998 par Bernard Colombat et Marie Savelli, a aussi joué pour nous un rôle important. Il a été une occasion très riche de rencontres et d’échanges scientifiques, contribuant de façon décisive au mûrissement de nos réflexions (Actes à paraître chez Peeters, à Louvain, coll. Orbis supplementa).

Coup d’oeil sur le contenu du livre

Dans sa version finale, De la phrase aux énoncés est articulé en 17 chapitres, répartis en quatre parties dont les visées sont spécifiques, mais entre lesquelles sont ménagées diverses passerelles.

La première partie (chapitres 1-3) contient une réflexion à caractère général sur l’analyse grammaticale et les procédures cognitives qui la sous-tendent, notamment la procédure de catégorisation. On y expose le mode de construction des savoirs linguistiques, ainsi que les origines et les finalités de ces savoirs, étroitement liés à la pratique de l’écriture. On y réfléchit sur le fonctionnement des deux notions les plus communément ancrées dans la tradition grammaticale occidentale, celle de mot et celle de phrase. La phrase, qui en contexte scolaire sert de point de départ à toute analyse grammaticale, est soumise à une critique approfondie: on montre qu’il s’agit en réalité d’une notion floue, dont une définition rigoureuse est impossible. Les conséquences de cette situation trouvent un écho tout au long de l’ouvrage.

La deuxième partie (chapitres 4-6) procède à un état des lieux de la grammaire scolaire. On s’y intéresse plus particulièrement au cadre général de l’enseignement rénové du français ainsi qu’à ses sources théoriques. Après avoir présenté les modèles linguistiques de référence (analyse distributionnelle, grammaire générative transformationnelle), on résume les procédures d’analyse qui ont été adaptées pour l’enseignement, ainsi que le bagage de notions retenues pour l’analyse de la «phrase» à travers le processus de transposition didactique.

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La troisième partie (chapitres 7-10) passe en revue un certain nombre de difficultés qui restent en suspens: détermination des fonctions grammaticales, incertitudes dans la catégorisation et dans l’identification des unités, problèmes de choix terminologiques. On y envisage des travaux de recherche peu exploités par l’enseignement rénové, plus particulière-ment les études sur la valence verbale et les phénomènes de rection. Le recours à ce courant de recherches est seul de nature à clarifier les problèmes épineux posés par la détermination des fonctions dans le groupe verbal, ou mieux le groupe prédicatif (cf. infra).

Les quatrième et cinquième parties sont consacrées à l’analyse de la langue parlée, et font appel à des apports théoriques inédits.

Les chapitres 10-13 posent la question du statut des données orales. Ils abordent de manière relativement détaillée les problèmes de description du français parlé, dont l’organisation, signalée par les phénomènes prosodiques, repose sur d’autres unités fonctionnelles que la «phrase» héritée de la tradition (typo)graphique et grammaticale. Après avoir mis en place l’opposition entre micro- et macro-syntaxe, on présente une définition des unités fonctionnelles à l’oral, désignées par les termes de clause et de période, avant de montrer l’opérativité de ces concepts pour analyser certaines difficultés du passage à l’écrit chez les élèves.

Les chapitres 14-17 de la cinquième partie ont pour but d’illustrer le pouvoir explicatif de l’opposition entre micro- et macro-syntaxe. Sont repris, à la lumière de cette opposition, une série de questions comme l’accord, le fonctionnement des anaphores pronominales et lexicales, l’emploi des relatives et celui de certains constituants adjacents (participiales). Ces chapitres présentent des échappées en direction du niveau discursif. Ils visent notamment à mettre en garde contre une vision réductrice, grammaticalisée à l’excès, des phénomènes dits de «reprise» anaphorique, que les documents pédagogiques, même les plus récents, tendent à présenter de manière simplificatrice. Ils montrent aussi que les phénomènes considérés comme typiques de la grammaire de texte ou du niveau «transphrastique» sont souvent à l’oeuvre au sein même de la «phrase» graphique, celle-ci ne constituant pas, une fois encore, une unité fonctionnelle.

La grammaire dite de phrase et la grammaire de texte, ou encore la grammaire de la phrase écrite et celle des énoncés oraux, sont conçues – sauf exception – comme des domaines étanches et/ou superposés. A l’encontre des idées reçues, De la phrase aux énoncés montre qu’une même grammaire peut s’appliquer aux productions orales comme aux productions écrites. Il montre aussi que les solutions de continuité entre les différents

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niveaux de la structure linguistique ne coïncident pas, du moins de manière systématique, avec les aléas du marquage graphique (blancs séparant les mots, points de fin de phrase). L’extension exacte des domaines où micro- et macro-syntaxe déploient leurs effets est donc à reconsidérer, au bénéfice d’une connaissance plus éclairée des mécanismes syntagmatiques à l’oeuvre dans les textes et les discours.

Une certaine idée de la formation des enseignants

De la phrase aux énoncés a été conçu comme un texte-ressource, principalement destiné aux «formateurs de formateurs», aux responsables de la formation continue, aux auteurs de moyens d’enseignement. On espère qu’il pourra également rendre des services en linguistique et en didactique du français.

Dans une intéressante conférence prononcée au début des années 1990, Vonk (1992: 4-5) a montré que les pays membres de l’OCDE hésitent entre deux modèles pour la formation des enseignants: le modèle dit à compétence minimale, qui traite en quelque sorte l’enseignement comme un système de livraison portant sur des contenus prédéfinis, et le modèle du professionalisme ouvert, où l’enseignant exerce au contraire des responsabilités dans l’analyse des besoins de l’école, et assume un rôle central dans l’amélioration de la qualité des systèmes éducatifs.

Par ses contenus comme par ses objectifs, De la phrase aux énoncés est au service du second modèle, celui du professionalisme ouvert. Comme il s’adresse à des gens de métier, on n’a pas hésité à y inclure des apports théoriques nouveaux, tout en essayant, autant que possible, de rendre le texte accessible à des non spécialistes. Maintenir cet équilibre entre exigence de rigueur scientifique et exigence de lisibilité n’a pas toujours été facile, et on ne prétendra pas y avoir réussi à chaque page.

Quoi qu’il en soit, on espère avoir dépassé, dans ce livre, le clivage artificiellement entretenu entre linguistique et didactique. Certes, la didactique de la grammaire n’est pas gagnante lorsqu’on importe dans l’enseignement, de manière sauvage et mal maîtrisée, certaines notions issues du champ théorique. Il n’y a pas lieu pour autant de jeter le bébé avec l’eau du bain, et de renoncer à exploiter, au bénéfice de l’enseignement, les résultats de la recherche en sciences du langage. Dans le modèle de formation que nous préconisons, il est normal que les enseignants aient régulièrement accès à des connaissances actualisées dans les disciplines scientifiques de référence. C’est aux enseignants, en revanche, que revient le soin de trier entre les connaissances qui doivent

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rester du ressort des spécialistes ou des experts, et celles qui, au bénéfice des élèves, peuvent être candidates à transposition didactique.

Grammaire de la langue maternelle et perspective inter-linguistique: l’exemple de la rection verbale

La didactique des langues est actuellement confrontée à de nouveaux défis2. L’intégration des pédagogies des langues premières et secondes préconisée par E. Roulet dans son ouvrage de 1980 est toujours d’actualité, même si elle pose des problèmes de coordination qui, comme le montrent ici même les contributions de Näf et de Lenz, attendent encore largement leurs solutions. Au cours de la rédaction de l’ouvrage commandé par COROME, l’importance du point de vue interlinguistique s’est imposée progressivement, raison pour laquelle nous avons noué contact avec des équipes de recherche qui, en Belgique, en France, au Portugal, travaillent à établir des passerelles entre les terminologies et les notions grammaticales utilisées dans l’apprentissage des langues les plus couramment enseignées en Europe (cf. les textes de Almeida & Maillard et de Willems, dans ce volume). Sur la base d’études menées dans une perspective contrastive, nous avons esquissé, quand l’occasion s’en présentait, des pistes en vue d’une meilleure articulation entre l’enseignement du français et celui des autres langues. Nous n’en fournirons ici qu’une illustration rapide, qui concerne le cas de la complémentation verbale3.

La question des compléments de la sphère verbale est sans doute l’une des plus chaotiques et des plus controversées de la grammaire française. Dans les moyens d’enseignement actuellement à disposition, on peut, en simplifiant beaucoup, distinguer deux options descriptives. La première repose sur une opposition sommaire, mais consistante d’un point de vue théorique et terminologique, entre complément de verbe et complément de phrase. La deuxième, représentée par exemple dans la Terminologie française de 1997, exploite au contraire une opposition ternaire, mais théoriquement éclectique, entre complément essentiel, complément circonstanciel, et complément de phrase. Le problème de savoir quelle solution est la meilleure ne nous occupera pas ici: nous nous attarderons en

2 Cf. Quelles langues apprendre en Suisse pendant la scolarité obligatoire?, Rapport d’un

groupe d’experts à la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), Berne, 15 juillet 1998.

3 Pour un développement plus complet que celui présenté ici, voir De la phrase aux énoncés, chapitre 7.

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revanche sur les tests syntaxiques appliqués pour l’identification des compléments.

Quelle que soit la typologie en usage, l’identification des différents types de compléments repose en effet sur les manipulations bien connues de déplacement, d’effacement et de pronominalisation. Le complément de verbe (ou essentiel) est censé se reconnaître au fait qu’il serait, au contraire des autres, toujours pronominalisable, indéplaçable et rebelle à l’effacement.

Toutefois, même pour des linguistes chevronnés, les tests de suppression et de déplacement sont d’application délicate: ils nécessitent la maîtrise parfaite d’un certain nombre de problèmes sémantiques et pragmatiques qui, immanquablement, viennent interférer.

En contexte scolaire, la mise en oeuvre des tests en question est biaisée par le fait qu’on laisse dans l’ombre le rôle de l’intonation et du contexte. Or, l’adaptation prosodique et la présence d’un contexte informationnel adéquat sont presque toujours de nature à rendre «grammaticales» – ou linguistiquement plausibles – la permutation ou la suppression d’un complément, quelle que soit la nature de celui-ci. C’est le cas dans les exemples suivants, où l’on voudrait pourtant être en mesure de mettre en évidence la présence d’un complément de verbe (ou d’un complément essentiel):

J’achète le pull vert. Ils iront au ciné.

Au prix d’une intonation et/ou d’un contexte appropriés, ces deux énoncés supportent fort bien la permutation et l’effacement:

Le pull vert, j’achète. (Permutation) Au ciné, ils iront.

<Ce pull vert me va très bien> J’achète Ø. (Effacement) Ils iront Ø. <Je te le dis, j’en suis sûre...>

Et il peut paraître artificiel, voire contre-productif, d’accoutumer les élèves à considérer comme agrammaticaux de tels résultats des manipulations syntaxiques, à seule fin d’accréditer la notion de complément «obligatoire». Mieux vaudrait, à la vérité, réfléchir aux ressources que fournissent les contours intonatifs pour produire certains effets de mise en relief infor-mationelle, ou encore aborder de front les conditions dans lesquelles un complément dit «obligatoire» peut prendre une forme zéro, et montrer les effets qui en résultent pour le sens.

Des enquêtes comme celles menées par Martin (dans ce volume) montrent bien que beaucoup d’élèves soumis à ce type d’inculcation ne dominent pas

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la situation: ils ont de la peine à identifier «correctement» les compléments, l’objectif de l’enseignement dispensé n’étant pas atteint de manière satisfaisante. Il y a là l’indice d’un malaise qui est lié non seulement à certains choix terminologiques, mais sans doute aussi caractère peu probant des tests de reconnaissance mis en pratique.

Devant ces constats groupés, faut-il mettre en veilleuse les problèmes de typologie des compléments, et cesser d’y consacrer du temps en classe de grammaire?

Une autre approche est possible, inspirée des travaux sur les questions de valence et de rection verbale (cf. Tesnière, Blanche-Benveniste et al.). En gros, il s’agit de renoncer, provisoirement au moins, à la perspective analytique, qui prend pour point de départ la «phrase» canonique, avec l’idée, plus ou moins fallacieuse, de complétude lexicale, sémantique et informationnelle qui la sous-tend. La problématique des complément est envisagée par l’autre bout, de manière «incrémentielle», en partant du noyau verbal pourvu de ses indices de construction (c’est-à-dire des pronoms clitiques qu’il admet dans son environnement immédiat). Dans un second temps seulement sont envisagées les formulations pleines, «avec lexique».

En guise de préalable à toute constitution de typologie des compléments, les chercheurs du GARS préconisent ainsi de réunir et d’observer systéma-tiquement l’ensemble des formulations possibles autour d’un verbe:

il pense à lui il y pense à qui il pense il ne pense à personne il pense à celui-ci il pense à Paul (d’après Deulofeu)

On est conduit, de la sorte, à mettre en évidence des différences de com-portement entre les verbes, qui concernent en particulier le type de pro-nom(s) complément(s) qu’ils admettent. Certains d’entre eux exigent en effet un pronom «accusatif» (le, la, les), d’autres un pronom «datif» (lui, leur) ou encore un «ablatif» (en) ou un «locatif» (y):

elle le / la / les remercie elle lui / leur nuit elle en sort elle s’y rend

On en vient à constater que le français, dans son système de pronoms clitiques, conserve un rudiment de flexion à cinq cas, si l’on ajoute à cet inventaire le «nominatif» il(s), elle(s).

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L’accent n’est plus mis ici, on le voit, sur le caractère facultatif ou non des compléments, finalement très difficile à estimer, mais sur le type de sélection casuelle instauré par le verbe, la morpho-syntaxe se trouvant mise en corrélation avec le lexique. Et l’on voit immédiatement le parti qu’il est possible de tirer d’observations de ce genre dans une optique contrastive: elles peuvent utilement préparer les élèves à comprendre ce qu’est une langue à cas, en vue, par exemple, de l’apprentissage de l’allemand ou du latin (pour les aspects méthodologiques, cf. de Pietro, dans ce volume). On sait que les langues, fussent-elles de souche indo-européenne, n’usent pas des oppositions de genre de manière concordante: on pourra, dans la foulée, faire observer aux élèves que les verbes des autres langues n’ont pas forcément les mêmes types de sélections actancielles que les verbes français de même sens.

Dans ce cas précis comme dans d’autres, une concertation accrue pourrait s’instaurer entre enseignants de français et enseignants d’autres langues, afin de veiller à ce que certaines connaissances construites à propos de la langue maternelle servent à «pré-traiter», dans la mesure du possible, les difficultés rencontrées dans les autres langues. Entendons-nous bien: il n’est aucunement question de revenir à une grammaire du français dont les catégories et les fonctions seraient calquées sur celles d’une langue comme le latin! Il s’agirait seulement de déterminer méthodiquement, expérimenta-tions à l’appui, dans quelles conditions l’observation de certaines particularités formelles de L1 peut être fructueusement réinvestie dans l’apprentissage de L2.

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Chartrand, S.-G. (dir.) (1996). Pour un nouvel enseignement de la grammaire, 2e éd. Montréal: Les Editions Logiques. (1re éd. 1995).

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Roulet, E. (1980). Langue maternelle et langues secondes: vers une pédagogie intégrée. Paris: Hatier-Crédif.

Tesnière, L. (1965). Eléments de syntaxe structurale, 2e éd. Paris: Klincksieck. (1re éd. 1959).

Vonk, J.H.C. (1992). «Nouvelles perspectives pour la formation des enseignants en Europe», discours prononcé à la Séance inaugurale de la 16e conférence de l’Association for Teacher Education in Europe, Noordwijkerhout (NL), sept. 1991, trad. française par J. Treier. Neuchâtel: IRDP, Ouvertures, sept. 1992.

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Marie-José BEGUELIN 153

Vargas, C. (1996). Grammaire pour enseigner le français. Paris: A. Colin.

Wilmet, M. (1997). Grammaire critique du français. Paris: Hachette et Louvain-la-Neuve: Duculot.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 155-165

Pour une approche transversale de l’enseignement des langues

Pierre-Alain BALMA1 Cycle d’orientation de Genève

Is the attempt to have a coherent terminology in language teaching a priority? And if so, according to which linguistic model or theory?

It seems clear that a harmonized terminology could be of a great help to learn one or more foreign languages. However, this question of terminology is only the tip of the iceberg; what is more important is to help learners developing a capacity of reflecting and comparing various languages, an ability to self-build their own metalanguage, allowing them a transversal approach of the studied languages.

This is the direction in which the Interlanguage Study Group of the Cycle d’Orientation in Geneva has worked; first in comparing the expression of time in French, German and English, then in elaborating didactic activities in the form of sequential tasks to help students develop a better awareness of both similarities and differences between languages.

La terminologie grammaticale, notamment dans une perspective interlinguistique, doit-elle être harmonisée? Cette question, largement débattue lors de la table ronde du colloque de Neuchâtel, induit elle-même sa réponse. Il paraît évident que la cohérence terminologique ne peut que favoriser l’apprentissage d’une langue et des langues. Mais quelle cohérence? Celle (ou celles) de la langue maternelle? Celle (ou celles) des langues secondes et étrangères?

De tout évidence, il n’existe pas un «alphabet» terminologique qui pourrait se substituer aux descriptions linguistiques des différentes langues. Une démarche cohérente n’implique pas forcément une terminologie unifiée, mais plutôt une approche réflexive qui permette à l’élève de se forger un métalangage pertinent en observant, en comparant les structures grammati-cales des langues enseignées.

Nous rejoignons dans cette perspective le point de vue d’E. Roulet (Langue maternelle et langues secondes, vers une pédagogie intégrée, 1980) pour lequel la coordination terminologique n’est pas inutile mais n’a pas

1 Avec la collaboration de Isabella Balma et Pierre-Félix Delay, Groupe Interlangues,

Genève.

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156 Pour une approche transversale de l’enseignement des langues

forcément une vertu magique. Ce qui importe avant tout «c’est que l’étude de la langue maternelle devienne le lieu privilégié de la découverte des principes qui commandent le système et le fonctionnement de toute langue et de l’acquisition des instruments propres à favoriser cette découverte, ouvrant ainsi la voie à la compréhension et à la maîtrise, non seulement de la langue maternelle, mais aussi des langues secondes» (p. 117).

C’est dans cette perspective que s’inscrit la séquence Interlangues que nous avons réalisée et que nous décrivons dans les pages qui suivent.

Objectifs et axes de travail

Le projet de formation continue intitulé Commission Interlangues a été élaboré à la suite d’un séminaire sur la didactique des langues maternelles et secondes, donné par Mmes Dabène et Foerster de l’IUFD (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) de Grenoble en février 1996.

Ce projet, commun aux groupes de français, d’allemand et d’anglais avait pour mandat la recherche de liens que ces disciplines pourraient établir en vue de faciliter les apprentissages des élèves en L2 ou L3 en approfon-dissant leurs connaissances de la langue en général et en développant une réflexion métalinguistique à partir d’outils déjà acquis en L1.

Souhaitant dépasser la simple comparaison des programmes en vue de coordonner l’apprentissage des notions grammaticales transversales à chaque langue, le groupe a réfléchi aux aspects langagiers sur lesquels les élèves butent le plus lorsqu’ils essayent d’utiliser les connaissances acquises en L1 pour comprendre ou acquérir des savoirs ou des savoir-faire semblables en L2.

Comme il était illusoire de penser qu’une comparaison globale des systèmes grammaticaux des trois langues concernées puisse être élaborée dans ce cadre de travail, le groupe Interlangues a choisi la notion de temporalité comme approche transversale, cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le système verbal de ces trois langues est souvent source de difficultés pour les élèves. Au-delà des ressemblances, chaque système verbal possède une logique qui lui est propre et qui mérite d’être explicitée.

Ensuite, l’approche dans les différents manuels utilisés est souvent parcellaire (on apprend d’abord tel temps, ensuite tel autre) alors que les élèves ont sans doute une représentation intuitive de la temporalité dans son ensemble.

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Enfin, la notion de temporalité, liée à de nombreux phénomènes de langue, n’est jamais abordée en tant que telle, sinon de façon partielle et implicite.

Une telle approche transversale nous semblait d’autant plus utile que passer d’un système à l’autre représente souvent une source de difficultés pour les élèves; au-delà des ressemblances, chaque langue possède en effet son système spécifique fonctionnant selon une logique propre méritant d’être explicitée. Or, les méthodes de langues, y compris en langue maternelle, se contentent souvent d’une approche descriptive et énumérative des temps verbaux, souvent plus centrée sur la forme que sur la valeur, le tout rarement présenté comme un système de représentation de la chronologie, à mettre en opposition ou en complément avec les valeurs de modalisation de certains temps. De plus, l’inscription de la temporalité dans la langue ne se limite pas au système verbal et elle est rarement explicitée en tant que telle (par exemple, la valeur aspectuelle purement lexicale de certains verbes, mais aussi de noms, d’adjectifs, etc.).

Une fois cette perspective définie, les objectifs du groupe Interlangues ont été les suivants:

– clarifier les notions de temporalité et de système verbal dans les différentes langues;

– élaborer des séquences didactiques propres à sensibiliser les élèves à une approche interlinguistique des apprentissages, à travers le notion de temporalité.

Le groupe a tout de suite été confronté à une première difficulté: trouver un équilibre entre les aspects théoriques et l’objectif didactique final, soit élaborer des séquences d’enseignement transversales sur la temporalité.

Il a fallu, dans un premier temps, éclaircir certains aspects théoriques, notamment:

– examiner les théories qui s’intéressent à l’acquisition d’une L2;

– approfondir la notion de temporalité: – sur le plan théorique, – dans chaque langue, – dans les méthodes et manuels scolaires.

Aspects théoriques et terminologiques

Quelles que soient les descriptions données du système verbal des différentes langues, notamment dans les grammaires scolaires, la notion de

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temps est pour le moins peu clairement définie. Elle renvoie en effet à deux réalités différentes:

– d’une part, à la notion de temps chronologique (on situe un événement par rapport à l’axe passé-présent-futur);

– d’autre part, à la notion de temps grammatical qui exprime une relation entre le moment de l’énonciation et le moment où se produit l’événement que l’on mentionne, relation qui se manifeste par le choix d’une forme verbale.

Bien avant la naissance de la linguistique moderne, Saint Augustin développe dans le livre II des Confessions le problème du temps. Pour Saint Augustin, le passé et le futur n’existent pas puisque le passé n’est plus et le futur n’est pas encore. Reste le présent qui s’inscrit dans une perpétuelle mouvance puisque, par le seul fait d’exister, il rejoint déjà le passé. D’où cette proposition avant-gardiste:

«Ce qui m’apparaît maintenant avec la clarté de l’évidence, c’est que ni l’avenir ni le passé n’existent. Ce n’est pas user de termes propres que de dire: il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir. Peut-être dirait-on plus justement: il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur.»

Saint Augustin relie donc la représentation de la temporalité à l’énonciation. Il effectue une distinction entre temps chronologique et temps grammatical. On relèvera par ailleurs que l’anglais possède deux mots pour exprimer le temps: time (temps chronologique) et tense (temps grammatical). Il en va de même en allemand avec Zeit et Tempus.

Par ailleurs, se limiter à la distinction time/tense revient à évacuer tout un pan des difficultés rencontrées par les élèves dans l’usage du système verbal: celui qui relève de l’aspect ou de la modalisation.

La notion d’aspect est loin d’être clairement définie, comme le relèvent Arrivé, Gadet & Galmiche dans «La grammaire aujourd’hui»:

«Selon les langues, les variations morphologiques en temps et en aspect sont séparées ou conjointes. Les langues slaves modernes séparent nettement les deux catégories. Beaucoup de verbes de ces langues ont deux formes distinctes du point de vue de l’aspect, et chacune de ces deux formes a une série de tiroirs temporels. En français, les indications de temps et d’aspect sont données de façon syncrétique par les mêmes formes, ce qui a pour effet de faire naître certaines ambiguïtés. En outre le français ne confère pas de marque morphologique à certaines oppositions aspectuelles marquées dans d’autres langues. C’est ce qui explique que la catégorie de l’aspect a longtemps été, dans la tradition grammaticale française, occultée par celle de temps.»

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La notion d’aspect est pour le moins floue en français. Selon Dominique Maingueneau2, «[c’est même] un des problèmes les plus embrouillés de la linguistique, [caractérisé] par une inflation terminologique et un désaccord généralisé sur le sens des termes apparemment identiques d’un auteur à l’autre, [car] le champ de l’aspect ne se limite pas au syntagme verbal». Pour cette raison, laissons de côté l’aspect comme catégorie lexicale – qui existe aussi bien en français qu’en anglais ou en allemand – et examinons brièvement l’aspect comme catégorie grammaticale (essentiellement liée au syntagme verbal), car elle constitue un repère important pour expliquer certains phénomènes liés à la temporalité, plus particulièrement en allemand et en anglais.

Parmi les couples d’opposition binaires généralement reconnus pour désigner l’aspect (perfectif/imperfectif, accompli/non accompli, ponc-tuel/duratif, terminatif/inchoatif, etc.), l’allemand retient essentiellement l’accompli/non accompli. En effet, dans le cadre d’une conception référentielle du temps langagier, on distingue généralement la valeur aspec-tuelle – ou temps impliqué (cf. Confais, Maingueneau, Zemb…) – qui, indépendamment du temps chronologique, exprime quelque chose sur le déroulement du procès de l’action.

En allemand, l’opposition perfectiv/imperfectiv correspond à l’opposition accompli/non accompli qu’on retrouve en français. Elle se traduit par l’opposition temps simples/temps composés.

Ainsi, le passé composé ou le Perfekt apparaissent comme un présent de l’accompli:

Ex.: Er schreibt einen Brief (imperfectiv) Er hat einen Brief geschrieben (perfectiv)

En ce qui concerne l’anglais, les temps simples expriment principalement une information temporelle; ainsi le prétérit (Simple Past) exprime une action clairement située dans le passé ou une durée déjà achevée au moment de l’énonciation. Il correspond donc au passé simple français.

Ex.: Mary lived here all her life.

En revanche les temps composés de l’anglais sont le plus souvent porteurs d’une information essentiellement aspectuelle. C’est le cas de toutes les formes continues caractérisées par une strucure en BE + ING. Il est en effet remarquable de noter qu’en anglais, chaque temps employé dans une

2 Approche de l’énonciation en linguistique française, Hachette, 1981, p. 53.

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perspective d’information temporelle avant tout a son équivalent aspectuel sous la forme de sa «version» continue. Ainsi le Past continuous, forme en BE + ING du Simple Past déjà mentionné, exprime une action dont la durée non bornée relève de l’inachevé, correspondant plutôt à l’imparfait français:

Ex.: Mary was already living here when I moved in the area.

Reste cet autre temps composé si caractéristique de l’anglais, le Present Perfect, qui, comme son nom l’indique, est avant tout porteur d’une infor-mation aspectuelle (accompli du présent). Toutefois, il est généralement considéré comme un temps du passé dans la mesure où l’action exprimée a généralement débuté dans le passé – de façon indéterminée – pour s’achever au moment de l’énonciation:

Ex.: Mary has lived here all her life.

De plus, comme le montre cet exemple, la durée désignée se prolonge implicitement dans le futur (la vie de Mary n’est pas achevée).

C’est d’ailleurs ce temps qui, pour cette raison, pose le plus de problèmes aux apprenants francophones; à cause de sa ressemblance formelle avec le passé composé français, la tentation est grande de l’utiliser en anglais avec la même valeur qu’en français, et les apprenants ont de la peine à en assimiler les différentes subtilités d’usage.

Qu’en pensent les élèves?

Afin compléter ce panorama théorique avant de produire la séquence, le groupe Interlangues a élaboré un questionnaire qui a été soumis a plus de 400 élèves du Cycle d’orientation de Genève. Cette démarche avait pour objectif de mieux cibler les représentations que se font les élèves de l’enseignement de la grammaire et plus particulièrement de la notion de temporalité. Le dépouillement de ce questionnaire a amené quelques observations intéressantes.

Tout d’abord, la notion de grammaire suscite auprès des élèves des représentations très différentes. Pour certains, la grammaire représente une série de notions et de règles à apprendre: dans cette perspective, on reste au niveau du contenu. Pour d’autres, la grammaire est avant tout un outil qui sert à structurer la langue. Enfin, une dernière catégorie d’élèves insiste sur l’utilité de la grammaire dans le cadre de la communication. Ces

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différences sont sans doute fortement induites par les méthodes utilisées et les approches proposées dans les différentes langues.

Par ailleurs, il est surprenant de constater qu’une majorité d’élèves ne considèrent pas les temps verbaux (tout particulièrement le présent) comme une marque de la temporalité. Ainsi, il leur était demandé de souligner tous les éléments indiquant la temporalité dans un texte rédigé dans les trois langues (le texte commence en français, se poursuit en allemand et s’achève en anglais). Plus de 70% des élèves ont ignoré les formes verbales en français et en allemand, beaucoup moins en anglais.

Par contre, les élèves sont beaucoup plus réceptifs aux marques lexicales de la temporalité (heure, jour, mois, etc.) qui permettent d’organiser la progression chronologique du texte.

Enfin, bien faible est le nombre d’élèves qui associent enseignement de la grammaire et apprentissage ou connaissance d’un métalangage. Les exemples donnés par les élèves sont souvent liés aux différentes méthodes utilisées et font plus facilement référence à un chapitre précis qu’à un métalangage transversal. En d’autres termes, chaque langue semble générer sa propre grammaire et sa propre terminologie.

A titre d’exemple, pour désigner les différentes structures qui expriment le temps dans les langues, les élèves utilisent des termes aussi divers (et pourtant proches) que: organisateurs temporels; marqueurs textuels; mots indiquant la date, le jour ou l’heure; GP complément de temps; subordonnée temporelle; complément circonstanciel de temps; préposition de temps; cas exprimant le temps, etc. On est loin d’une véritable cohérence terminologique.

Reste à savoir si cette diversité terminologique constitue un réel handicap dans l’apprentissage des langues. Certes, les élèves consultés reconnaissent à une très forte majorité (plus de 80%) qu’il est impensable d’apprendre une langue seconde sans recourir à la grammaire. Mais moins de 15% d’entre eux estiment que la réflexion sur la langue (en d’autres termes les activités métalangagières) est indispensable à son acquisition.

La séquence

Fort de ces observations théoriques et pratiques, le groupe Interlangues a élaboré une séquence didactique transversale visant à sensibiliser les élèves du Cycle d’Orientation aux différentes marques langagières qui permettent

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d’exprimer la temporalité. Cette démarche se situe en amont des programmes scolaires propres à chaque langue. Elle implique une collaboration étroite entre les enseignants de français, d’allemand et d’anglais afin d’être exploitée de façon cohérente. La séquence contient quatre paliers que nous décrivons brièvement ci-dessous.

Palier 1: translinguistique

– Objectif: sensibliser les élèves à la succession des événements et à son aspect subjectif;

– Support: non langagier (images);

– Activité: à l’aide d’images extraites de bandes dessinées, les élèves doivent reconstituer une histoire. Il est intéressant de constater que souvent plusieurs scénarios sont possibles. Les élèves devront donc faire des choix en fonction de l’interprétation qu’ils feront des indices fournis par les images. Cette activité peut être menée parallèlement dans les trois langues et peut aboutir à la production de textes (expression des indices visuels par des marques temporelles écrites);

– Commentaire: cette activité a suscité des échanges intéressants entre les élèves sur la représentation qu’ils se font de la notion de chronologie. Ce fut le cas notamment pour la bande dessinée de Gotlib, «Une tranche de vie», où 24 images représentent les gestes quotidiens d’un personnage de son réveil à son départ au travail. Le choix des élèves était fortement influencé par leurs représentations personnelles: se brosse-t-on les dents avant ou après le déjeuner , commence-t-on par se raser ou faire chauffer le café , etc. Les productions écrites ont rapidement permis de mettre en évidence certaines difficultés dans l’utilisation des temps verbaux: choix des temps du présent ou du passé, mélange de ces temps dans un même texte, rôle du passé composé en français ou du Present Perfect en anglais.

Palier 2: spécifique à chaque langue

– Objectif: sensibiliser les élèves aux marques langagières de la temporalité;

– Support: langagier (textes dans les trois langues);

– Activité: les élèves doivent reconstituer des textes donnés dans le désordre. Ils observent l’écart possible qui existe souvent entre l’ordre

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d’un texte et celui des événements ainsi que le rôle joué par les organisateurs temporels dans cette perspective;

– Commentaire: Les élèves ont assez vite compris le rôle des marqueurs temporels dans l’organisation d’un texte. Ils ont également été sensibles aux indices qui découlent de la typologie textuelle. Ainsi, l’organisation très marquée d’un conte (en l’occurrence «Der Hase und der Igel» des frères Grimm) ne peut être comparée à celle d’un fait divers relaté dans un quotidien, où le journaliste est souvent amené à présenter globalement les événements avant de revenir en arrière pour les détailler.

Palier 3: spécifique à chaque langue

– Objectifs: – sensibiliser les élèves à la distinction entre temps événementiel et

temps grammatical; – sensibiliser les élèves à la notion d’aspect.

– Support: langagier (textes dans les trois langues);

– Activité: les élèves repèrent et classent des verbes selon l’axe événementiel et l’axe grammatical à partir de textes ou d’extraits de textes. Les notions de modalisation et d’aspect peuvent également être abordées dans le cadre cette activité;

– Commentaire: hormis la distinction entre temps événementiel et temps grammatical, cette séquence permet d’insister sur les particularités de l’expression de la temporalité dans les trois langues. Ainsi, en allemand et en anglais, le futur est souvent exprimé par un temps du présent accompagné d’un marqueur temporel («ich komme morgen»). En français, le futur antérieur peut être utilisé pour modaliser un événement déjà passé, comme le montre ce titre extrait d’un quotidien romand: «Marc Rosset n’aura même pas sauvé l’honneur».

Palier 4: interlangues

– Objectif: faire prendre conscience aux élèves de la diversité des formes d’expression de la temporalité dans les différentes langues;

– Support: images et textes (extraits de bandes dessinées identiques dans les trois langues);

– Activité: en comparant des extraits de bandes dessinées, les élèves observent les différentes formes d’expression de la temporalité dans les langues. Ils mettent en évidence les différentes manière d’exprimer

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le révolu, l’actuel ou l’à-venir ainsi que l’aspect (notamment perfectif/imperfectif). Cette activité peut favoriser une réflexion sur les structures propres à chaque langue et sur les problèmes de traduc-tion qui en découlent;

– Commentaire: cette séquence n’a été que très peu testée et doit encore être affinée. Elle constitue un prolongement aux observations déjà effectuées et vise à favoriser une réflexion transversale dans les trois langues. On pourra ainsi aborder l’expression du futur (notamment du futur proche) dans les trois langues ou encore la traduction du Präterit ou du Simple Past/Past continous par le passé simple ou l’imparfait. Les différentes valeurs de l’imparfait en français, particulièrement sur le plan aspectuel, constituent, à notre avis, un développement intéressant.

Idéalement, et pour entrer dans une vraie démarche interlangues, cette séquence devrait être travaillée dans des heures regroupées où les enseignants des langues concernées pourraient collaborer (par exemple lors de demi-journées décloisonnées). Peut-être est-il plus réaliste d’envisager simplement une collaboration entre maîtres enseignant dans une même classe, voire de compter sur «la solitude de l’enseignant volontaire» qui cherche à mobiliser les connaissances des élèves dans d’autres langues et tente d’établir des ponts.

Enfin, nous tenons à préciser que cette séquence sur l’expression de la temporalité est conçue comme une suite de propositions visant à explorer le terrain encore relativement vierge de l’enseignement transversal des langues et non pas comme un matériel prêt à l’emploi.

Aux enseignants donc de se l’approprier ou de l’enrichir, à travers des choix, faits en fonction de leurs classes, de leur disponibilité, de leurs intérêts.

Bibliographie

Adamczewski, H. (1991). Le français déchiffré, clé du langage et des langues. Paris: Armand Colin.

Adamczewski, H. (1991). Grammaire linguistique de l’anglais. Paris: Armand Colin.

Arrivé, M., Gadet, F. & Galmiche, M. (1986). La grammaire aujourd’hui: guide alphabétique de linguistique française. Paris: Flammarion.

Augustin ST. (1964). Les Confessions, Livre onzième. (pp. 263-280). Paris: Garnier-Flammarion.

Bourguignon, Ch., & Dabène, L. (1983). «Le métalangage: un point de rencontre obligé entre enseignants de langue maternelle et langue étrangère». Le français dans le monde, 177.

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Confais, J.P. (1996). Temps-mode-aspect. Les approches des morphèmes verbaux et leurs problèmes à l’exemple du français et de l’allemand, interlangues linguistique et didactique. Toulouse: Presses universitaires du Mirail.

Lewandowski, Th. (1990). Linguistisches Wörterbuch 1, 2, 3. Wiesbaden: Quelle & Meyer; Heidelberg: UTB 1218.

Maingueneau, D. (1981). Approche de l’énonciation en linguistique française. Paris: Hachette.

Roulet, E. (1980). Langue maternelle et langues secondes: vers une pédagogie intégrée. (pp. 98-116). Paris: Hatier/Crédif.

Zemb, J.M. (1978). Vergleichende Grammatik Französisch – Deutsch, Comparaison de deux systèmes, Teil 1. Mannheim: Dudenverlag.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 167-177

Diversité des langues, diversité des descriptions grammaticales: approche plurielle de

la pronominalisation en français

Thérèse JEANNERET Université de Neuchâtel

Au plein du jour le sommeil me flotte au fil du temps tiré de Canicule d’Erika Burkart,

trad. Philippe Jacottet

The paper deals with the pronominalization of verbal complements in French in the light of German and Spanish. Spanish set out verbal complementation mainly on the criteria of animate or inanimate complements whereas German and French make first a distinction between direct and indirect objects.

An optimization of teaching French mechanisms of pronominalization to Spanish speaking learners should begin with verbs like obéir whose paradigms are structured in accordance with the criteria of animate or inanimate of the source nouns.

Beyond this specific case, descriptive approaches, developed to grasp some grammatical phenomena of various world languages, might be used to enrich the way we approach French grammar.

En 1945 déjà, C. C. Fries affirmait que «les matériaux pédagogiques les plus efficaces sont ceux qui sont basés sur une description scientifique de la langue à apprendre, comparée avec une description parallèle de la langue maternelle de l’apprenant»1. Aujourd’hui, on tient pour acquis que certaines analyses contrastives favorisent une bonne démarche didactique: par exemple, dans le domaine de l’apprentissage de l’orthographe française par des locuteurs anglophones, une liste des lexèmes dont les signifiants phoniques sont semblables dans les deux langues, mais dont la réalisation graphique diffère, du type: angl. reflection – fr. réflexion ou angl. literature – fr. littérature sera à coup sûr très utile. Elle permettra d’attirer l’attention des apprenants sur un phénomène de décalage graphique entre les deux langues qui pourrait sinon rester invisible fort longtemps.

Les limites de l’analyse contrastive sont par ailleurs également bien connues:

1 J’emprunte cette citation à Besse & Porquier (1984: 200).

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– des erreurs prévues par une analyse contrastive ne se produisent jamais ou très rarement;

– certaines erreurs sont communes à des apprenants de langues bien différentes. Par exemple en français langue-cible, la difficulté à distinguer c’est de il est transcende l’origine linguistique des apprenants2;

– des erreurs imputées à l’interférence se rencontrent également dans l’acquisition de la langue maternelle ou dans des variétés de cette même langue maternelle. Par exemple, un enfant francophone de 38 mois évoquant le fait qu’il s’est réveillé deux fois dans la nuit par l’énoncé:

1. j’ai dormi malpoli

fait une erreur très semblable à celle commise par cette locutrice suédophone adulte:

2. vous m’avez répondu gentil mais...

Ces deux erreurs peuvent être mises en rapport d’une part, avec des expressions courantes en français standard comme travailler dur, etc., et d’autre part, avec des emplois rencontrés en Suisse romande, en Wallonie et au Québec3, à travers des énoncés attestés du type: je rentre direct.

Par ailleurs, il y a une limite pratique à l’analyse contrastive dans le cas où le public cible est formé d’apprenants venant de pays très différents les uns des autres. Dans ces cas de multiplicité des langues-sources, le recours direct à l’analyse contrastive est impossible.

Il y a néanmoins, dans ce genre de situations, d’autres manières de thématiser les contrastes entre la langue cible et les différentes langues sources. C’est cette idée que j’aimerais défendre ici en me basant sur ma pratique d’enseignante de français langue étrangère auprès d’un public d’adultes de langues maternelles très diverses.

Je partirai d’un problème typique de la grammaire du français, la pronominalisation des différents compléments du verbe, et, en relation avec les opérations équivalentes en allemand et en espagnol, je tenterai d’abord de mettre en évidence les principes traditionnellement considérés comme

2 En témoignent, dans le champ de l’enseignement, de multiples erreurs du type le but de

ce billet <ce> de t’informer qu’il y a un petit problème (étudiante hispanophone) ou <il> est pas de <mon> faute (étudiant germanophone) et, dans le champ de l’analyse contrastive, les remarques de Blumenthal (1987:53 et suiv.) pour les différences entre allemand et français et celles de de Salins (1996:14) sur les confusions [s´] / [sE]);

3 Source Dictionnaire suisse romand.

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pertinents pour décrire ce phénomène. Je proposerai dans un deuxième temps d’aborder la pronominalisation des compléments verbaux en français à travers deux principes de pertinence différents l’un de l’autre, inspirés de la réflexion menée à propos de l’allemand et de l’espagnol. Il ne sera pas question d’entrer dans le détail de la grammaire de ces deux langues, mais uniquement de tenter de saisir les mécanismes de base de la pronominalisa-tion puis de les utiliser pour présenter différemment le problème en français.

1. Principes généraux pertinents pour l’allemand et pour l’espagnol

En allemand, le système qui gouverne la pronominalisation des com-pléments verbaux est tout à fait parallèle à celui qui gouverne la complémentation verbale dans son ensemble. Il n’y a pas de principes qui seraient pertinents pour les noms ou pour les pronoms exclusivement: c’est la distinction entre accusatif et datif qui est la clé, que le complément soit un nom ou un pronom:

3. er sah den Mann => er sah ihn er sagte dem Mann etwas=> er sagte ihm etwas4

Comme celui de l’allemand, le système de complémentation verbale de l’espagnol fonctionne selon un principe assez parallèle pour le nom et le pronom. Pourtant, le système repose en espagnol sur un principe très différent de celui de l’allemand. En espagnol5, la pronominalisation des compléments se différencie selon le caractère animé ou non animé du complément. Au contraire de l’allemand, il n’y a pas, dans la pronominalisation des compléments verbaux, de distinction claire entre complément direct et indirect puisqu’on a:

4. vió a tu padre => le vió dió a tu padre algo => le dió algo6

En revanche on a, pour les compléments nominaux comme pour les compléments pronominaux, une distinction claire dans la pronominalisa-tion des compléments de personne et de chose:

4 [il vit l’homme => il le vit]; [il dit qqch. à l’homme => il lui dit qqch.]

5 Je me réfère ici aux variétés les plus diffusées dans la langue familière en Espagne (leísmo). Merci à Bernard Py des multiples discussions que nous avons eues au sujet de la pronominalisation des compléments verbaux en espagnol et de sa supervision de mes exemples. Voir aussi Pottier (1972).

6 [il vit ton père => il le vit]; [il donna qqch. à ton père => il lui donna qqch.]

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5. vió el libro => lo vió vió a tu padre => le vió7

2. Quels principes de pertinence pour la pronominalisation en français?

En français, les raisonnements grammaticaux que l’on doit mettre en oeuvre pour organiser la complémentation verbale sont radicalement différents selon que les compléments sont des noms ou des pronoms.

Pour les noms, le système repose sur une opposition entre compléments sans préposition (direct) et compléments précédés d’une préposition (indirect):

6. il vit ton père il parla à ton père il parla de ton père

Pour les pronoms au contraire, il faut faire fonctionner en parallèle un raisonnement de type complément avec ou sans préposition et un raisonnement de type complément animé ou non animé:

7. il parla de ton père => il parla de lui il parla de son problème => il en parla il pensa à son père => il pensa à lui il pensa à son problème => il y pensa

Il se trouve que d’une manière générale, dans les grammaires d’apprentissage que j’ai étudiées (et dont on trouvera les références en bibliographie), c’est le premier mode de raisonnement qui est privilégié. La progression est envisagée en commençant par l’opposition entre compléments direct et indirect, c'est-à-dire entre la série le la les et la série lui leur, comme si cette distinction était plus fondamentale que l’autre. Dans le même temps, elle est considérée comme si essentielle qu’on la suppose en général bien connue et que l’on n’insiste pas sur les modes précis de sa réalisation. En revanche, une autre distinction est mise en évidence: il s’agit de celle entre les pronoms toniques et atones qui, elle, est en général présentée comme tout à fait propre au français et partant, requérant des explications détaillées. Par ailleurs, une grande importance est donnée à la place du pronom: on insiste sur le caractère proclitique des pronoms atones et sur l’ordre direct, puis indirect, puis en, y.

Bien sûr toutes les grammaires que j’ai consultées mentionnent, à un moment donné, les oppositions basées sur le caractère animé ou non animé

7 [il vit le livre => il le vit]; [il vit ton père => il le vit]

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du complément, pour les pronoms en et y, mais elles ne présentent pas en parallèle le raisonnement concernant la complémentation verbale et celui concernant le caractère animé ou non animé du complément. Seule de mon échantillon, la grammaire de Callamand (1987) met sur le même plan le fait que la forme du pronom personnel complément en français dépend de la construction verbale directe et indirecte et du caractère animé ou non animé du complément.

Il me semble pourtant que ce double raisonnement pourrait être exploité pour faire varier la présentation de la pronominalisation des compléments verbaux en français. La présentation qui s’organise autour d’une distinction première entre compléments sans préposition et compléments avec préposition doit avoir une pertinence maximale pour un germanophone dans la mesure où on y thématise à la fois les similarités et les différences avec l’allemand: similarité pour l’opposition complément d’objet direct et indirect, différences pour la place, l’ordre des pronoms personnels compléments et la distinction entre pronoms atones et toniques. Il n’est donc pas surprenant que ce soit celle qui est privilégiée par exemple dans Klein & Kleineidam (1983), grammaire destinée à des germanophones. Mais il est plus étonnant que bon nombre de grammaires de français langue étrangère (Mauger (1968), Delatour et al. (1991), de Meuron (1997), Judge & Healey (1983), par exemple) privilégient systématiquement cet angle d’explication.

3. Une présentation de la pronominalisation en français pertinente pour les hispanophones

Au contraire de ce que font ces différentes grammaires, qui semblent toutes prisonnières de la même appréhension du phénomène et partant, de la même progression, on pourrait construire une présentation qui s’organiserait en premier lieu autour de la distinction entre pronominalisa-tion de compléments animés et non animés: on y commencerait par l’opposition entre obéir à qqn et obéir à qqch8 en présentant les paradigmes suivants:

8 Cette classe de verbes est présentée par Blanche-Benveniste et al. (1984) comme

actualisant le paradigme de clitiques fondé sur les traits + ou - personnel. Je me distance ici de la terminologie de Blanche-Benveniste et al. parce que, à l’opposé de leur conception, je pose le problème en termes de pronominalisation de lexèmes et non pas de lexicalisation de pronoms. Envisager d’exploiter didactiquement les procédures heuristiques de description du français parlé mises sur pied par Blanche-Benveniste et al. dépasserait le cadre fixé à cet article. Il n’en reste pas moins qu’il serait intéressant de réfléchir à une présentation de la complémentation verbale qui partirait des paradigmes

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8. j’obéis à ma mère => je lui obéis il obéit à ses supérieurs => il leur obéit

9. tu obéis à ton intérêt => tu y obéis nous obéissons à des impératifs financiers => nous y obéissons

A ce paradigme, on rattacherait la pronominalisation des compléments de lieu précédés de la préposition à:

10. je suis née à New York => j’y suis née il va à Paris => il y va

Un des avantages de ce type de progression est d’aborder la pronominalisa-tion sous un angle où il y a neutralisation du genre du complément, ce qui simplifie l’opération de pronominalisation.

Après avoir introduit l’opposition entre compléments animés et non animés, on peut présenter le cas des verbes comme penser pour lesquels vient se greffer sur l’opposition entre animé et non animé une opposition entre forme atone et forme tonique du pronom qui se matérialise de la manière suivante:

11. il pense à ses enfants => il pense à eux je pense à ton problème => j’y pense

Les grammaires donnent souvent à croire qu’il s’agit là d’une classe fermée de verbes dont elles donnent la liste: par exemple chez Holmberg, Klum & Girod (1984): être à, penser à, renoncer à, avoir affaire à; chez Delatour et al. (1991): être à, penser à, songer à, rêver à, faire attention à, tenir à et les pronominaux: s’intéresser à, s’attacher à, se joindre à, s’adresser à9. Callamand (1987) laisse penser que la liste de ces verbes est ouverte. De Salins (1996) tente de son côté une explication de nature sémantique en opposant les verbes transitifs indirects «souples» aux transitifs indirects «rigides», ces derniers étant ceux dont la pronominalisation s’effectue en maintenant la préposition qui est alors suivie de la forme tonique du pronom. Le problème ici est posé par le caractère circulaire de la définition, un transitif indirect rigide se reconnaissant par le fait que la pronominalisa-tion de son complément se fait par le maintien de la préposition suivie du pronom tonique.

pronominaux des verbes pour envisager, dans un second temps, les différents modes de lexicalisation de ces pronoms.

9 La raison de la présence de être à dans les listes mentionnées reste obscure à mes yeux: le seul cas où je peux à la rigueur imaginer une opposition entre animé et inanimé autour de être à serait le cas de être à son amant (e) / être à son problème (= s’en occuper) et j’ai, dans ce cas, des doutes sur la proportionnalité (dans le sens que donnent Blanche-Benveniste et al. (1984) à ce mot) entre elle est à son problème et elle y est.

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Finalement, on peut se demander pourquoi on veut absolument voir dans ce fonctionnement un cas exceptionnel, puisque la pronominalisation des compléments nominaux introduits par la préposition de s’opère de la même manière:

12. je parle de mon mari => je parle de lui je parle de mes soucis => j’en parle

Il vaut probablement mieux considérer que l’on a pour les compléments introduits par à deux cas concurrents et une source de difficulté évidente pour les apprenants.

A ce stade, on peut évidemment signaler que l’on rencontre en français:

13. les enfants, je m’en occupe cet enfant, on s’y est attaché10

Une fois expliqué l’ensemble des implications de l’opposition entre compléments animés et non animés sur la pronominalisation, on peut mettre en avant l’autre raisonnement présidant à la pronominalisation des compléments: l’opposition entre compléments directs et indirects. Afin de donner plus de pertinence aux explications grammaticales pour des hispanophones, il faudra alors ne pas se contenter de mentionner la distinction entre complément direct et indirect en insistant uniquement sur les formes qui actualisent cette distinction. La distinction devra être thématisée pour elle-même, par exemple en montrant le paradigme des verbes avec un complément animé sans préposition du type: rencontrer qqn, imaginer qqn, abandonner qqn, etc. opposé au paradigme constitué par les verbes avec complément toujours animé mais précédé de la préposition à du type: mentir à qqn, rendre visite à qqn, plaire à qqn, etc. De cette manière on montrera à l’étudiant hispanophone l’opposition entre le rencontrer et lui mentir en insistant sur le fait que le et lui renvoient tous deux à des personnes, que l’on est là dans un autre principe structurant la pronominalisation des compléments11.

Le cadre que je viens d’esquisser pour la didactisation de la pronominalisa-tion des compléments à l’intention des hispanophones inverse l’ordre habituel qui consiste à commencer par la différence entre aimer qqn => l’aimer et parler à qqn => lui parler. Mon hypothèse est que cet ordre, à ma connaissance jamais problématisé, est d’une grande pertinence pour les germanophones et d’une pertinence bien moindre pour les hispanophones.

10 Exemple emprunté à Callamand (1987).

11 De Salins (1996) remarque à juste titre que le mot objet dans la dénomination complément d’objet direct peut prêter à confusion et renvoyer au mot chose.

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174 Diversité des langues, diversité des descriptions grammaticales

Sa prégnance pourrait s’expliquer par l’importance de l’allemand (et peut-être du latin) dans l’inconscient (et le conscient) de beaucoup de didacticiens et grammairiens (notamment suisses!), mais également par l’importance cruciale de notions telle que celle de complément d’objet direct (pensons à l’accord du participe passé avec avoir!) dans la grammaire française.

4. Réexamen de quelques erreurs d’apprenants dans le cadre esquissé

En retour, il est frappant de noter que les deux grands principes de pertinence du système de la pronominalisation du français interviennent également au moment de l’analyse des erreurs faites par certains appre-nants. Ainsi une forme attestée:

14. ce prof, je lui rencontre souvent au marché

peut s’analyser si elle est produite par un apprenant hispanophone comme le transfert sur l’opposition le/lui de l’opposition entre complément animé et non animé alors que si elle est produite par un apprenant germanophone on aura tendance à y voir une interférence avec jemandem begegnen. En d’autres termes, pour une même erreur, on pourra penser à la surgénéralisation de l’opposition entre animé et non animé au moment du choix du pronom ou à la confusion entre compléments introduits avec ou sans préposition.

On rencontre très fréquemment chez les hispanophones des erreurs du type:

15. L’homme a à parcourir un chemin difficile qui <lui> sépare de ses bonnes intentions12

16. Une simple idée peut <lui> séduire [l’être humain] et ainsi influencer son point de vue

que l’on pourrait, dans l’absolu, attribuer à une méconnaissance du caractère direct de la complémentation mais qui me paraissent, de par leur fréquence même et en conformité avec le système de complémentation en espagnol, relever d’une surgénéralisation de l’opposition entre animé et non animé.

Ici l’analyse de l’erreur est décisive pour la remédiation: si mon hypothèse est juste, il faut redéfinir, auprès des auteurs de telles erreurs, le domaine exact de la pertinence de l’opposition animé-non animé pour la pro-

12 Les exemples 15 à 17 sont tirés de rédactions écrites d’étudiants hispanophones de niveau

avancé. D’autres exemples de ce type sont cités chez de Salins (1996:38-39).

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nominalisation des compléments en français. Ce n’est que dans un deuxième temps que l’on pourra signaler que des verbes comme séparer ou séduire sont affectés de la construction directe en français.

Par ailleurs, il me semble que l’on observe chez certains apprenants hispanophones une stratégie de pronominalisation qui se base sur la surgénéralisation du paradigme des verbes du type penser: des erreurs du type de (17) invitent à cette hypothèse, en tout cas:

17. tout le monde connaît à moi

Le paradigme des verbes comme penser peut en effet être considéré comme l’archétype de l’articulation des deux principes de pertinence présidant à la pronominalisation en français: nécessité d’une complémentation par à et opposition entre compléments animés et non animés. De plus ce paradigme est (comme déjà signalé) parfaitement symétrique avec le paradigme des verbes construit avec de. Cette hypothèse est plus encourageante pour un enseignant que celle qui le ferait interpréter ce type d’erreurs comme une méconnaissance de la construction directe de connaître (méconnaissance qui pourrait être interprétée comme un indice d’un niveau très bas de compétence en français). Elle doit amener une plus grande efficacité dans la remédiation et permettre, sinon d’abandonner, en tout cas de mettre au second plan les fastidieuses répétitions du type: attention en français on connaît qqn ou on séduit qqn!

5. Pour une multiplicité d’approches des explications en grammaire

La réflexion menée ici sur la didactique de la pronominalisation des compléments en français à partir de quelques connaissances des systèmes de l’allemand et de l’espagnol devrait s’enrichir encore par la prise en compte d’autres langues. Par exemple, on pourrait tenir compte aussi, en abordant les pronoms réfléchis, du polonais, langue dans laquelle le pronom réfléchi ne se conjugue pas (voir Gniadek 1979:79). Une prise de conscience de l’existence en polonais d’une forme unique de pronomina-lisation réflexive si´ peut inviter l’enseignant de français langue étrangère à problématiser la conjugaison des pronoms réflexifs, phénomène qui pourrait paraître indigne d’être thématisé à un niveau avancé. Cela évitera également de réduire des erreurs comme (18) à des étourderies:

18. elle donne un sens à notre vie et nous permet de trouver notre place dans la société et de <se> réaliser13

13 Tiré d’une rédaction d’une étudiante polonophone.

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Par ailleurs, d’autres sujets grammaticaux devraient être reconsidérés de la même manière. Ce serait une façon de renouveler les descriptions grammaticales, la didactique et la remédiation dans certains domaines du français langue étrangère14.

Dans ce sens, les connaissances en langues étrangères des enseignants de français langue étrangère sont des atouts pour la construction d’une meilleure didactique. Elles peuvent leur permettre de s’inspirer de la manière dont les différentes langues résolvent un problème grammatical pour saisir d’autres principes explicatifs, d’autres cadres de pertinence. De cette manière, ce sera dans des grammaires de langues étrangères que l’enseignant de français trouvera des idées pour enseigner le français.

En définitive, si l’on admet l’idée qu’il n’y a pas une bonne manière d’expliquer un phénomène grammatical, mais qu’il faut multiplier les explications en faisant varier les angles d’attaque du phénomène en question, il est intéressant de s’inspirer de la manière dont les différentes langues encodent un phénomène grammatical pour diversifier les approches du problème en question.

Bibliographie

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Blanche-Benveniste, C., Deulofeu, J., Stéfanini, J., & Van den Eynde, K. (1984). Pronom et syntaxe. L’approche pronominale et son application au français. Paris: SELAF.

Blumenthal, P. (1987). Sprachvergleich Deutsch-Französisch. Tübingen: Niemeyer.

Callamand, M. (1987). Grammaire vivante du français. Paris: Larousse.

Delatour, Y., Jennepin, D., Léon-Dufour, M., Mattlé-Yeganeh, A., & Teyssier, B. (1991). Grammaire du français. Cours de civilisation française de la Sorbonne. Paris: Hachette.

de Meuron, L. (1997). Grammaire française. Neuchâtel: Messeiller SA, 13ème éd.

de Salins, G.-D. (1996). Grammaire pour l’enseignement / apprentissage du FLE. Paris: Didier / Hatier.

Dictionnaire suisse romand. Particularités lexicales du français contemporain (1997). Genève: Editions Zoé.

Gniadek, S. (1979). Grammaire contrastive franco-polonaise. Varsovie: Paƒstwowe Wydawnictwo Naukome.

Holmberg, P.O., Klum, A., & Girod, R. (1984). Modern fransk grammatik. Almqvist & Wiksell.

Judge, A., & Healey, F.G. (1983). A Reference Grammar of Modern French. London: Edward Arnold.

Klein, H.-W., Kleineidam, H. (1983). Grammatik des heutigen Französisch. Stuttgart: Klett.

14 La didactique des temps du passé en français serait, à mon sens, un bon candidat pour

approfondir et affiner cette démarche.

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Mauger, G. (1968). Grammaire pratique du français d’aujourd’hui. Langue parlée, langue écrite. Paris: Hachette.

Pottier, B. (1972). Introduction à l’étude linguistique de l’espagnol. Paris: Ediciones hispanoamericanas.

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 1999, 31, 179-202

La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

Jean-François DE PIETRO IRDP, Neuchâtel

«Je n’aurais jamais pensé qu’un mot puisse changer de genre d’une langue à l’autre» (élève de de 13-14 ans, étudiant l’allemand depuis quelques années...)

Approaches such as Language Awareness, which appeared in Great Britain in the 1980’s, are now being developed in many countries. This approach suggests a new way of viewing considerations about language (links between spoken and written language, relations between languages, the working of languages and of other communication systems...), while integrating all languages existing in a school class: classroom language, other languages taught, immigrant languages.

Linguistic variety is far from being an obstacle to teaching. It is justified and it becomes a major subject in class as well as a source of students’ elaboration of language knowledge and the source of a widened language culture. Linguistic variety is also a starting point of the development of metalinguistic abilities useful to learning processes and of a new viewing of stereotypes and prejudices often observed against linguistic differences.

The author first remarks on the present situation of teaching, then he points out possible contributions of such processes to the field of grammar. He mainly discusses issues concerning the notion of gender and he puts forward a few activities that can be conducted with pupils of different school grades. In conclusion, he tries and shows how proposals suggested in such a frame work can fit into a curriculum (following a project developed in the French part of Switzerland) and he develops some arguments for a widened concept of grammar from a linguistic point of view.

Introduction

Les observations et réflexions présentées ici ne concernent pas directement la terminologie grammaticale. En revanche, elles traitent de notions grammaticales, telles le genre, l’accord, le déterminant, qui font partie à l’évidence de ce que l’on pourrait considérer comme le corpus grammatical scolaire. Et, surtout, elles s’inscrivent dans un courant de recherches – l’éveil aux langues, language awareness dans la tradition anglo-saxonne – qui fonde expressément ses démarches didactiques sur la diversité des

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langues, autrement dit sur une perspective inter-, ou plurilinguistique1. Il nous semble par conséquent qu’elles ont naturellement leur place dans ce numéro, venant concrétiser dans une certaine mesure les suggestions formulées par E. Roulet dans son ouvrage Langue maternelle et langues secondes: vers une pédagogie intégrée (1980), point de départ d’une perspective didactique qui sous-tend finalement nombre d’articles figurant dans le numéro.

Nous essaierons donc de montrer en quoi une telle approche des phénomènes grammaticaux, voire des phénomènes langagiers dans leur ensemble, permet d’atteindre certains des objectifs qu’on assigne – ou devrait assigner – à la grammaire, tels que:

– développer des «méthodes» d’analyse des faits de langage (opérations de substitution, de segmentation, de discrimination, etc.), méthodes qui reposent elles-mêmes sur différentes capacités (distinguer forme et sens, repérer des régularités, etc.),

– comprendre le fonctionnement de sa langue / des langues en général,

– préparer l’apprentissage d’autres langues.

Pour ce faire, nous commencerons par quelques observations à propos de la situation actuelle (§ 1); puis nous examinerons, en nous appuyant sur l’exemple du groupe nominal et du déterminant, en quoi la prise en compte de la diversité des langues peut aider à comprendre un fait de grammaire et, ce faisant, nous discuterons les enjeux d’une autre approche des faits grammaticaux (§ 2). Nous aborderons ensuite, un peu plus en détail, un second exemple, la segmentation envisagée comme une opération de base de l’activité grammaticale (§ 3). Pour illustrer plus concrètement les démarches d’éveil aux langues, nous présenterons alors quelques activités portant sur la notion de genre et destinées à des élèves des différents degrés de l’école obligatoire (§ 4). En guise de conclusion, nous tenterons de montrer – à l’exemple du projet «EOLE» – comment les propositions formulées dans un tel cadre pourraient s’insérer dans un curriculum et nous développerons quelques arguments pour une conception «élargie» de la grammaire dans une perspective interlinguistique (§ 5).

1 Il est important de souligner d’emblée que cette approche, née en Grande-Bretagne dans

les années 80, ne s’occupe pas uniquement de grammaire, mais également des rapports entre oral et écrit, des systèmes d’écriture, de la communication non verbale, etc.

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1. Quelques observations à propos de la situation actuelle

Les observations examinées ici sont au nombre de quatre et concernent respectivement l’absence de cohérence terminologique entre les enseigne-ments des différentes langues, la nécessité, pour faire de la grammaire, de développer chez les élèves une posture particulière face aux faits langagiers, la pauvreté des représentations langagières des enfants et des adultes, et la non prise en compte de la diversité des langues présentes dans les classes:

– Il a souvent été relevé que la terminologie grammaticale en usage dans les différents enseignements de langues n’était pas la même. Par exemple, un élève suisse romand de 7ème, apprenant encore l’allemand avec Unterwegs deutsch, devra étudier l’adjectif pos-sessif là où, en français, on lui avait parlé de déterminant possessif, l’adjectif épithète là où il s’était exercé à repérer des adjectifs complément de noms, de COD là où il avait appris à distinguer des GNCV...

Certes, ce ne sont là, finalement, que des différences superficielles. Mais quelle cohérence l’élève peut-il encore trouver dans ces faits de langage qui apparaissent pourtant très proches? Quelles généralisa-tions va-t-il pouvoir dégager qui lui permettraient de mieux en comprendre le fonctionnement? Ne risque-t-il pas alors de réduire la grammaire à un simple problème d’étiquetage?...

Pour dépasser une telle situation, deux solutions – complémentaires – paraissent envisageables: la première consiste à harmoniser les termi-nologies, du moins lorsque les phénomènes décrits sont équivalents; la seconde consiste à faire réfléchir les élèves aux notions grammaticales plus fondamentales qui sont en jeu derrière les termes de surface: les fonctions et leur marquage, les catégories et leurs variations (selon le contexte, la fonction...), l’expression du temps (cf. Balma, ici-même), etc.

Or, pour aborder de telles notions, la prise en compte de la diversité linguistique représente un atout car elle apporte un éclairage nouveau sur des phénomènes qui semblent triviaux lorsqu’on se cantonne dans la langue maternelle mais qui renvoient pourtant à des fonctionne-ments langagiers fondamentaux. Par exemple, c’est la confrontation avec d’autres langues, «langues à cas» en particulier, qui permet aux

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francophones de comprendre le rôle de «marqueur de fonction» joué par la place des compléments en français2.

– Faire de la grammaire, travailler sur la langue (et non dans la langue!) exige certaines capacités qui relèvent d’un rapport particulier face aux faits langagiers: par exemple être en mesure de décontextualiser les énoncés, d’observer leur forme en faisant dans une large mesure abstraction de leur sens, etc.

Or, diverses études ont montré que si les élèves sont dans l’ensemble capables de souligner des compléments de telle ou telle couleur, de déplacer des unités, etc., il n’est pas sûr en revanche qu’ils com-prennent toujours ce qu’ils font et qu’ils appliquent des procédures contrôlées (cf. Martin ici-même)... En tous les cas, l’édifice est fragile, comme le montrent par exemple les nombreux élèves qui confondent grammaticalité et acceptabilité3.

En fait, le rapport premier au langage est fait d’évidence, de transparence, d’automatisme. Il conduit les élèves – surtout ceux qui sont monolingues – à assimiler leur langue maternelle au langage, à confondre le fonctionnement de leur langue avec le fonctionnement de toutes les langues. Or cela constitue un obstacle important lorsqu’il s’agit d’apprendre une autre langue (cf. exemples du § 4, infra). Et cet obstacle devient plus grand encore lorsque la langue étudiée, telle l’allemand en Suisse romande, tend déjà à être objet de préjugés culturels... (de Pietro, 1994). Etudier le langage – et le considérer non plus comme un simple outil mais comme objet – exige donc la mise en place d’une posture particulière dont l’école ne se préoccupe pas suffisamment. Le travail sur des données langagières différentes, étranges, qui résistent à une appréhension automatique, peut aider à mettre en place une telle posture: il n’est plus possible, par exemple, de s’appuyer uniquement sur le sens lorsqu’on étudie l’accord en swahili...

– Plus généralement, on est souvent frappé lorsqu’on écoute les élèves, mais aussi les adultes, parler du langage par la pauvreté des représen-

2 A fortiori, une fois ce rôle compris, il devient possible de travailler les effets stylistiques

provoqués par le déplacement des compléments et les contraintes syntaxiques qui les régissent.

3 Ainsi, dans le cadre d’une enquête sociolinguistique sur les registres de langue, cet élève interrogé à propos de l’énoncé elle est où ta valise et qui le rejette en arguant que si c’est un voleur qui demande cela il pourra alors voler la valise... (de Pietro 1985).

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tations qu’ils expriment: confusion entre oral et écrit4, confusion entre français régional, français populaire et faute, méconnaissance de ce qu’est une langue, de ce qu’est la grammaire (un Romand qui disait ne pouvoir apprendre le suisse allemand parce que cette langue n’a pas de grammaire...), méconnaissance des diverses langues parlées ci et là (en France par exemple), des parentés de langues, etc.

Il nous semble par conséquent nécessaire d’élargir le type de réflexions, d’analyses et de connaissances qu’il s’agit de développer chez les élèves, afin de leur permettre de construire un rapport plus intéressant au langage, une véritable «culture langagière».

– Enfin, l’enseignement actuel de la grammaire française est largement fondé sur l’idée que cette langue est la langue maternelle des élèves. Et, en conséquence, il fait largement appel à l’implicite et à l’intuition des élèves. On peut dès lors se demander comment les nombreux élèves d’autres origines linguistiques présents dans les classes vivent ces leçons: comment font-ils pour suppléer aux lacunes de leur intui-tion? que font-ils, à l’inverse, des représentations (méta)langagières plus ou moins conscientes qu’ils ont forgées à partir de leur propre langue maternelle, en particulier lorsque celles-ci ne correspondent pas aux fonctionnements avérés dans la langue française?...

2. Les enjeux d’une autre approche des faits grammaticaux, ou: En quoi la prise en compte de la diversité des langues peut-elle nous aider à comprendre un fait de grammaire?

Les observations présentées ci-avant devraient-elles conduire à supprimer carrément l’enseignement grammatical, comme certains le suggèrent? Certainement pas, car il appartient à l’école d’aider les enfants à construire des connaissances à propos du langage, à développer certaines attitudes et postures, à créer un véritable sens critique par rapport à leur environnement langagier5. Il ne suffit pas, en effet, de savoir communiquer. L’école doit aussi développer chez les élèves une meilleure compréhension de ce qui se

4 Un exemple, parmi de nombreux autres: durant une enquête sur les représentations que

des élèves romands se font de l’Allemagne, de la Suisse allemande et des langues qui y sont parlées, un élève de 16 ans écrit à propos de la Suisse alémanique: On y parle le suisse allemand, langue dont on ne comprend pas les lettres de l’alphabet... (de Pietro 1994).

5 Cela sans parler des domaines où une grammaire bien conçue peut être immédiatement utile: orthographe, rédaction de textes longs, apprentissage des L2 (cf. Bronckart 1988).

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passe quand on communique. Pour cela, l’observation, l’analyse, la réflexion demeurent des moyens privilégiés.

Il parait cependant nécessaire, aujourd’hui, de redéfinir les contours d’un tel enseignement grammatical, de les élargir en adoptant une perspective interlinguistique, d’en préciser les enjeux en tenant compte des élèves d’autres origines linguistiques. Bref, il faut proposer une approche différente des faits de langues. Une approche qui intéresse les élèves, qui suscite leur curiosité, qui les ouvre à la diversité des langues – une approche qui aide à une meilleure compréhension du français, la langue commune du territoire, sans occulter les autres langues, ou plutôt en s’appuyant sur elles.

Prenons tout de suite un exemple. Supposons que nous soyons en train de travailler le groupe nominal (GN) et, plus précisément, le déterminant. On peut enseigner des listes d’unités. Cela ne se fait plus guère! On peut aussi, dans une pédagogie plus inductive, faire observer des groupes nominaux, repérer et souligner leurs constituants, en faire déduire que le nom est généralement accompagné d’un déterminant qui s’accorde avec lui, parfois d’autres éléments aux comportements divers (adjectifs, subordonnées relatives...), etc. De telles observations sont assurément utiles, nécessaires pour comprendre la constitution et le fonctionnement du GN en français. Etant donné leur «évidence» – en fait apparente et surtout pour les élèves francophones qui, dans leur «grammaire intériorisée» (Matthey, ici-même), «connaissent» et maitrisent déjà le GN –, on pourra toutefois se demander dans quelle mesure les élèves vont être capables, sur cette base, de progressivement construire un ensemble de connaissances méta plus distanciées du fonctionnement de leur langue, connaissances qui justement ne se confondraient pas avec la grammaire intériorisée qu’ils possèdent déjà6.

La question du GN nous semble par conséquent devoir être abordée différemment, du moins si l’on souhaite que le travail grammatical ne vienne pas uniquement confirmer un savoir déjà implicitement acquis, mais qu’il permette, par la mise en place d’une posture différente, une réelle

6 En L1, le GN et les déterminants ne constituent pas une véritable difficulté. A l’oral, les

enfants savent en gros, dès leur entrée à l’école, les construire et les employer correctement, à l’exception peut-être de quelques embûches dans le découpage en mots et la délimitation des déterminants, lorsque le nom commence par la voyelle a. A l’écrit, outre ces problèmes de découpage, quelques autres difficultés peuvent apparaitre: dans l’orthographe des formes non marquées à l’oral, telles cet(te), dans certains usages subtils, au niveau textuel, de la distinction un/le, lorsque le nom est déterminé par une relative par exemple.

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compréhension des mécanismes en jeu et qu’il prépare le terrain pour les véritables difficultés qui risquent surtout de survenir lors des appren-tissages d’autres langues, lorsque la grammaire déjà intériorisée ne suffit plus. Là, en effet, de nombreux obstacles apparaissent généralement, découlant essentiellement des différences entre le français et les langues étudiées: absence d’article en latin; différences dans le genre des noms qui régissent les accords au sein du GN; choix, placement et règles d’accord des déterminants et compléments; sans parler des langues où le système n’est tout simplement pas fondé sur le genre... Or, dans la conception grammaticale actuelle, tous ces points ne sont en fait abordés qu’implicitement, sur le mode tautologique de l’évidence ex-primée par la grammaire d’une langue qu’on connait déjà: comment un élève monolingue francophone pourrait-il percevoir l’intérêt de ré-fléchir au genre des noms, de les classer, d’en déduire des règles pour le choix des déterminants, alors que tout cela ne peut que lui paraitre évident?

Il apparait ainsi que la diversité linguistique doit être présente, même en ce qui concerne la langue de l’école, dès qu’on veut faire de la grammaire. Par exemple, il nous semble pertinent de conduire en classe des activités de repérage, impliquant également des opérations de segmentation, afin de régler quelques détails de segmentation (cf. note 6) et d’aider les élèves dont le français n’est pas la langue première à mieux identifier les diverses unités constitutives du GN. Mais, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, il peut s’avérer plus efficace de mener de telles activités dans d’autres langues que le français, surtout si l’on désire en même temps développer les aptitudes générales des élèves à repérer des unités langagières, aptitudes qui leur seront éminemment utiles à la fois pour mettre en place une posture grammaticale et dans l’apprentissage des L2.

3. Exercer la segmentation: une opération de base

L’exemple ci-après est emprunté à une expérience antérieure du «Groupe L1/L2» (1995). Il s’agissait de la réalisation, avec des élèves âgés d’environ 10 ans, d’une activité sur le fonctionnement de l’accord dans différentes langues (allemand, italien, espagnol, anglais, swahili et, bien sûr, français). Avant d’examiner le fonctionnement de l’accord, les élèves devaient déchiffrer des corpus de phrases appartenant à ces langues, afin

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d’en isoler les unités7. Voici, pour l’italien, comment ce corpus leur était présenté:

(1) Loscolaroestudioso L’élève (garçon) est studieux

(2) Leziesonoamericane Les tantes sont américaines

(3) Liziisonostudiosi Les oncles sont studieux

(4) Lascolaraeamericana L’élève (fille) est américaine

etc.

Le taux de réussite à cette tâche, effectuée en groupes de 3 ou 4 élèves, est élevé; au premier abord, les élèves ne semblent donc pas rencontrer trop de difficultés, ce qui pourrait faire penser qu’ils maitrisent, plus ou moins consciemment, certaines «méthodes» de segmentation. Toutefois, une analyse plus précise de la manière dont ils parviennent à leurs fins ainsi que de quelques difficultés ponctuelles qui surgissent ci et là montrent en fait qu’ils ne procèdent guère de manière systématique. Autrement dit, si on constate une certaine capacité à segmenter, celle-ci ne semble de loin pas assurée et contrôlée.

D’ailleurs, on ne parvient pas toujours à comprendre comment les élèves aboutissent au résultat. Ainsi, un groupe, qui ne semble pourtant pas avoir rencontré tellement de difficultés à segmenter les énoncés en espagnol, laisse apparaitre un la scasas negras (au lieu de las casas negras) qui ne s’explique guère... Parfois, comme le suggère l’exemple ci-après, c’est plutôt le hasard qui semble faire office de critère de segmentation, quand bien même le lien entre formes masculine et féminine s’avère, lui, fortement intégré:

él1 alors negra . c’est noir . . non gra c’est noir él2 non negra! él1 non parce qu’à la 48 on a mis gro pour noir él2 non on a mis negro él1 vous avez mis ça? él2 ben ouais él1 et oui! c’est comme ça au masculin c’est gro au féminin c’est gra [...]

Comme on peut s’y attendre lorsqu’on leur fait réaliser pour la première fois de telles activités, les élèves tentent fréquemment de s’appuyer sur le français. Certains comptent le nombre de mots:

7 Nous ne discuterons pas ici la qualité didactique de l’activité proposée et de sa mise en

scène, car cette activité constituait une première tentative d’aborder la grammaire dans une telle perspective; depuis lors, notre conception s’est précisée (COROME 1998).

8 L’élève fait référence ici à l’énoncé 4 du corpus en espagnol qui lui était soumis.

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Jean-François DE PIETRO 187

él1 si ils ont séparé en quatre alors ici ça doit aussi être séparé en quatre? Obs eh ouais probablement ouais . c’est pas sûr sûr que dans toutes les langues on ait le

même nombre de mots hein mais en général oui quand même [...]

Voire même le nombre de lettres:

él1 bon qui c’est qui compte dans l’élève garçon est studieux combien y a de lettres? él2 moi [...]

Les élèves repèrent parfois des ressemblances pertinentes:

él1 Anouk tu mets sono ou ono? él2 moi j’ai mis sono non ono je veux dire él3 mais sono c’est mieux parce que sont [...]

Mais, comme nous l’avons vu, cela n’est pas systématique: certaines ressemblances flagrantes au niveau lexical – comme negro, casa, etc.– ne sont par exemple pas toujours perçues! Tout se passe comme si la «méthode comparative» mise en oeuvre en cas de forte similitude cessait d’être appliquée dès qu’une différence superficielle intervient:

él1 ouais mais regarde là los ça c’est los él2 ça commence tout par des «l» él1 colaro e él2 et puis studioso él1 ah ouais studioso . là c’est studieux él2 pis lareoe él1 non loscola non losco c’est l’élève ou garçon [...]

Il est frappant ici de voir que les élèves repèrent studieux mais pas élève (scolaro), car ils ne font pas le rapprochement élève - (écolier) - (scolaire) - scolaro...

Que nous apprennent ces quelques exemples? La tâche de segmentation est effectivement réalisée par la majorité des élèves, mais cela ne prouve toutefois pas qu’ils appliquent des procédures d’observation et d’analyse systématiques ni qu’ils procèdent aux comparaisons de façon contrôlée. Autrement dit, ces élèves nous semblent rencontrer de réelles difficultés à appliquer une démarche formelle à des données langagières peu ou pas connues – pour lesquelles une telle démarche devient justement nécessaire; la signification des énoncés, l’intuition, voire d’autres critères, viennent en quelque sorte «parasiter» l’analyse formelle. Plus généralement, cela peut laisser supposer que nombre d’élèves ne maitrisent pas vraiment les démarches d’analyse qu’ils sont pourtant souvent censés mettre en oeuvre en classe, dans l’enseignement du français en particulier!

Or, si une telle lacune n’est guère dommageable dans la langue de l’école, du moins pour les élèves qui la maitrisent suffisamment et qui en fait possèdent la segmentation de la langue, elle devient plus regrettable lors de l’apprentissage d’autres langues. Par exemple, ainsi que l’ont montré divers

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188 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

travaux sur l’intercompréhension entre langues voisines (Cf. Etudes de linguistique appliquée 104, 1996), la recherche d’indices facilitateurs, fondée en particulier sur des opérations de comparaison, est fondamentale dans l’accès aux langues proches. C’est cela qu’illustre l’exemple de scolaro: les difficultés des élèves à comparer et à percevoir des ressemblances, dès qu’elles ne sont pas immédiatement et superficiellement évidentes, les empêchent de repérer les unités lexicales en italien.

On peut par conséquent raisonnablement faire l’hypothèse qu’exercer – à petites doses, dans des contextes motivants, et bien sûr sans prétendre parvenir à une méthode distributionnelle rigoureuse! – des opérations telles que la segmentation et la comparaison contribue à développer chez les élèves des capacités immédiatement utiles dans l’approche des langues: repérage de ressemblances, mise en évidence de formes sous-jacentes, etc. Mais il s’avère aussi, et surtout, qu’il parait plus efficace de travailler cette procédure dans des situations où l’intuition et le recours immédiat au sens ne permettent plus de contourner les obstacles – autrement dit de travailler avec d’autres langues que le français.

Les liens entre activités métalangagières et apprentissage sont complexes, peu connus encore et objets de positions parfois controversées (Coste 1985; Moore 1995). Toutefois, l’enseignement des langues en milieu scolaire fait largement appel à des activités de type méta, tout particulièrement en L1. Or, ces activités exigent de la part des élèves qu’ils prennent de la distance par rapport à leurs pratiques langagières quotidiennes, qu’ils soient capables de dissocier le sens et la forme, qu’ils constituent le langage en objet, qu’ils en fassent quelque chose d’observable, de manipulable, d’analysable. Les activités que nous avons expérimentées, et en premier lieu celles qui font intervenir des langues très différentes de L1 et L29, nous semblent utilisables à ces fins, car elles sont moins soumises à des représentations préconçues et, par l’«étrangeté» qu’elles font soudain apparaitre, elles forcent les élèves à activer des capacités – d’observation, de recherche d’indices... – qu’ils ont généralement tendance à mettre entre parenthèses lorsqu’ils sont confrontés à des langues qui leur sont plus (trop?) accessibles.

9 Dans cette activité de segmentation, il s’agissait du swahili.

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Jean-François DE PIETRO 189

4. Des activités d’éveil aux langues centrées sur le genre pour différents degrés de l’école obligatoire

Les orientations discutées ici ont été développées d’abord en Grande-Bretagne, sous la dénomination «language awareness», par Hawkins (1985, 1987, 1992) et son équipe en particulier. Dans un pays où – contrairement à ce qui se passe dans la tradition francophone – la «grammaire» est pour ainsi dire absente de l’enseignement, il s’agissait, parmi d’autres objectifs (meilleure reconnaissance des langues de la migration, préparation de l’apprentissage de L2), de fournir aux élèves et aux enseignants des outils de réflexion sur la langue. Différents fascicules abordant les relations entre l’oral et l’écrit, le fonctionnement de la langue, son évolution, etc., ont alors été édités (cf. bibliographie). Depuis les années 90, des démarches comparables sont développées dans les pays francophones, à Grenoble, Paris, Neuchâtel10 ou Genève11. Quelques expérimentations ont également été réalisées, ou sont en cours de réalisation, dans le but d’évaluer l’applicabilité de telles démarches (COROME 1998, de Pietro 1998) et les apprentissages qu’elles permettent d’effectuer en termes d’aptitudes et d’attitudes (Candelier 1998, de Goumoëns et al. 1999).

Sans entrer ici dans le détail ni des activités proposées ni des résultats obtenus, car ce n’est pas le lieu12, il parait intéressant toutefois de présenter quelques exemples qui permettent d’illustrer concrètement et de mieux comprendre la manière dont certaines de ces activités abordent la «grammaire». Ces exemples traiteront tous, mais sous des angles différents, de la question du genre grammatical dont nous avons tenté, dans notre chapitre 2, de montrer la pertinence dans une approche de type «éveil aux langues».

10 A Neuchâtel, plus encore que les travaux de Hawkins et al., ce sont les travaux de E.

Roulet (1980) sur la pédagogie intégrée des langues maternelle et secondes qui ont constitué le point de départ.

11 Voir entre autres: Caporale (1989), Charmeux (1992), Chignier et al. (1990), Dabène (1985, 1992, 1995), Groupe L1/L2 (1995), Moore (1995), Nagy (1996), Perregaux (1993), Luc (1991).

12 Le lecteur pourra se référer au numéro 2/99 de la revue Babylonia pour une présentation de ces travaux, une illustration de quelques activités autour des «emprunts linguistiques» et quelques descriptions de la manière dont de telles activités sont conduites dans des classes. Des supports didactiques complets, portant sur des thèmes très divers, sont en cours d’édition en Suisse romande, sous l’égide de la Commission romande des moyens d’enseignement (COROME), et au niveau européen dans le cadre d’un projet SOCRATES/LINGUA dirigé par M. Candelier (Université du Mans) et réunissant des équipes autrichienne, espagnole, française, italienne et suisse. Des exemplaires provi-soires de ces supports sont disponibles auprès de l’auteur.

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190 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

Au primaire: des fruits et légumes en tous genres...13

Le genre des noms n’est guère discuté à l’école primaire, si ce n’est, implicitement, lorsque les élèves doivent produire des déterminants et des adjectifs à l’intérieur du groupe nominal et, surtout, accorder ceux-ci avec le nom. Ce silence n’est pas sans fondement. A quoi bon en effet aborder une notion aussi abstraite, aussi complexe, et charger encore le programme, alors que – finalement – les élèves savent bien qu’on dit la pleine lune et non le plein lune, une belle tomate et non un beau tomate... Pourtant, comme nous l’avons déjà souligné, ne faudrait-il pas penser, d’une part, à tous les élèves des classes actuelles qui n’ont pas, ou pas seulement, le français comme langue maternelle14, qui certes ont acquis ou acquièrent rapidement les mots dont ils ont besoin en les utilisant avec le genre idoine mais qui, en revanche, n’ont guère d’outils (au sens où la grammaire fournit des «outils») à leur disposition pour comprendre les relations entre le français, langue de l’école et de la communauté où ils vivent désormais, et leur langue d’origine lorsque le genre de certains noms n’y est pas semblable, voire même lorsque l’ensemble du système générique fonctionne de manière différente (cf. langues à classes telles le swahili)? D’autre part à ce que vont vivre l’ensemble des élèves lorsque, confrontés à l’apprentissage de l’allemand, ils rencontreront des termes dont le genre diffère de celui de leur première langue – der Mond, par exemple – et auront dès lors des difficultés à les mémoriser, voire à les accepter, à les «comprendre», dans le double sens cognitif et affectif du terme?... (cf. texte en exergue).

L’exemple suivant, fragment d’un échange entre un observateur et un élève, met bien en évidence le malaise que peut ressentir un enfant «non préparé» lorsqu’il se trouve pour la première fois face à des données qui remettent en question l’apparente évidence – la naturalité – de ses catégorisations. Cet exemple est extrait d’une activité au cours de laquelle les élèves, après avoir repéré le rôle des déterminants dans le marquage du genre, sont chargés de placer des mots allemands dans un tableau à double entrée (selon les critères du genre et de la langue); on y voit comment, malgré un travail préalable sur les déterminants en allemand, la langue

13 L’activité présentée ici a été élaborée par C. de Goumoëns, dans le cadre du projet

COROME. Voir à ce propos de Goumoëns 1997, texte auquel ce chapitre emprunte largement.

14 Soulignons une fois encore qu’il ne s’agit pas là d’une situation marginale: à Genève, leur nombre dépasse 40%!

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maternelle vient interférer sur le classement. Antoine, en particulier, y exprime sa difficulté à accepter la différence observée:

Antoine là... die Zitrone c’est masculin Obs. pourquoi? Antoine ben . parce que c’est UN citron . . c’est masculin Obs. oui . . mais essaie de te souvenir de ce que l’on a dit Antoine ah oui die c’est soit pluriel soit . . . masculin? das c’est neutre . . . ah . oui .

die c’est féminin . . eh . . . ça fait bizarre de dire UNE citron

Ce n’est que lorsque l’aspect «naturel» du genre fait problème et est thématisé («ça fait bizarre de dire UNE citron») qu’une véritable compréhension de ce qu’est le genre devient possible et qu’une ouverture à des fonctionnements langagiers différents peut se concrétiser. C’est pourquoi, dans nos activités, des situations de travail par groupes d’élèves sont proposées, afin de provoquer l’émergence de conflits sociocognitifs entre élèves, de résistances, et de favoriser la confrontation des points de vue, l’explicitation mutuelle, la mise en place de stratégies de résolution plus efficaces et d’attitudes plus ouvertes.

L’activité Fruits et légumes en tous genres propose aux élèves des degrés primaires (2ème, 3ème ou 4ème années) un travail interlinguistique autour du genre et de sa manifestation la plus visible, le déterminant (qui figure d’ailleurs au programme de 2P et 3P, dans le cadre du groupe nominal simple DET + N). Il s’agit d’explorer ces notions à travers diverses langues romanes (italien, espagnol, portugais, français) et germaniques (allemand, anglais). Le but consiste à faire découvrir aux élèves certaines similarités de fonctionnement, entre langues romanes en particulier (systèmes à deux genres, ressemblances entre les articles, etc.), certaines différences (systèmes à trois genres en allemand), et à les aider à prendre conscience d’une certaine arbitrarité du genre grammatical.

L’activité débute par une mise en situation où les élèves découvrent un même mot dans 4 langues romanes (français: la noix, espagnol: la nuez, italien: la noce, portugais: a noz). Ils cherchent à identifier les langues, discutent de leurs constats et partagent leurs connaissances sur les langues présentées. Par groupes de 3 ou 4, ils reçoivent ensuite une série de cartes à classer en fonction du genre et de la langue. Pour cela ils peuvent se référer aux indices entrevus lors de la mise en situation, en étant particulièrement attentifs aux déterminants. En outre, pour identifier les langues présentes, ils peuvent fréquemment faire appel aux compétences de certains camarades qui les connaissent. Voici le tableau auquel ils aboutissent:

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192 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

MASCULIN

FEMININ

français le citron le radis la poire la cerise

portugais o limão o rabanete a pêra a cereja

italien il limone il ravanello la pera la ciliegia

espagnol el limón el rábano la pera la cereza

L’enseignant présente ensuite aux élèves deux nouveaux mots (la tomate et le chou) qu’ils doivent à leur tour insérer dans le tableau. Mais ils sont alors confrontés à un problème particulièrement aigu, puisqu’ils doivent classer des mots dont le genre varie à travers les langues romanes...

MASCULIN FEMININ

français le citron le radis

le chou

la poire la cerise

la tomate

portugais o limão o rabanete

o tomate

a pêra a cereja

a couve

italien il limone il ravanello

il cavolo

il pomodoro

la pera la ciliegia

espagnol el limón el rábano

el tomate

la pera la cereza

la col

La démarche comparative amène ainsi les élèves à constater que le genre d’un nom ne fait pas partie intégrante de l’objet et que les rapports entre le monde extra-linguistique et la langue sont plus complexes qu’ils ne pouvaient l’imaginer sur la base de leur seule langue maternelle. En d’autres termes, ils découvrent l’arbitrarité du signe. En outre, tout le travail réflexif mené au cours de cette activité est aussi une occasion de renforcer la capacité de l’élève, travaillée par ailleurs, à identifier le genre d’un nom et à reconnaitre le déterminant dans le groupe nominal.

L’exemple suivant illustre ce qui peut se passer alors dans une classe: les résistances de certains élèves (Yves), la perception et l’acceptation de l’arbitrarité du signe chez d’autres (Thomas, Stéphane) et leur capacité à argumenter en se basant sur des indices interlinguistiques formels (Théo):

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Jean-François DE PIETRO 193

Thomas vient placer la carte o tomato dans la ligne du portugais et dans la colonne masculin. Ens. alors la tomate en portugais c’est pas féminin? Tho. non Yv. on dit pas le tomate et la chou! Tho. oui mais le portugais c’est pas le français . . c’est pas les mêmes mots Ens. cela vous parait juste? Théo oui parce que le o c’est comme le et le a c’et comme la Stéph. parce que en allemand aussi on dit des féminins alors que dans les autres

langues c’est masculin . par exemple on dit le sel et en allemand on dit la sel Tho. moi je me suis dit que si je trouvais un o je mettais avec les autres o Yv. oui mais c’est pas possible . on peut pas dire le tomate [...]

Cet exemple met en évidence, en outre, le rôle moteur de l’interaction, des négociations entre élèves, dans la construction du savoir. Il illustre comment, en situation-problème, peuvent apparaitre de véritables confrontations entre élèves, voire chez un même élève, selon une dynamique caractéristique du conflit sociocognitif, reconnu comme étant particulièrement bénéfique pour le développement de l’élève (Gilly 1995). On peut dès lors supposer, pour la grammaire, qu’une telle démarche, par les interactions qu’elle suscite, amorcera peu à peu, chez des élèves tels que Yves, le développement de la notion de l’arbitrarité du genre et une ouverture plus grande à la diversité linguistique. L’exemple suivant, recueilli dans la même classe, un peu plus tard dans l’activité, semble pour le moins soutenir cette hypothèse!

Joachim et puis aussi que par exemple que radis peut-être c’est féminin en portugais et puis que c’est pas tout le temps euh.. dans le même . dans le même côté... (fait référence aux colonnes du tableau) . la tomate par exemple en français c’est féminin et en portugais c’est

autre élève masculin! Joachim c’est masculin XX mais en espagnol elle est aussi au masculin E. oui c’est aussi masculin . et puis où encore? XX en italien E. en tout cas merci pour vos remarques . en tout cas moi je vois que Joachim

il a beaucoup écouté et j’espère que vous retiendrez tout ça un peu dans vos têtes . on écoute encore W. [...]

Au secondaire: découvrir une autre manière de classer les noms

Pour des élèves plus âgés (environ 14 ans), qui étudient déjà d’autres langues depuis quelques années, il est stimulant de soumettre aux élèves un problème plus complexe et qui permette de recadrer la question du genre dans une perspective plus large. Dans le projet COROME, nous proposons par exemple d’explorer le système de classification des noms en swahili.

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194 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

Le fonctionnement du swahili, langue de type bantoue, présente en effet d’importantes différences avec le français et les autres langues étudiées à l’école en ce qui concerne le classement des noms: ceux-ci ne sont pas répartis en deux ou trois genres comme en français ou en anglais (féminin, masculin, neutre) mais en classes (six ou plus) marquées par un système de préfixes placés à l’avant du nom. Ainsi, mzee (plur. wazee) signifie «le vieil homme» et appartient à une classe regroupant les «êtres humains», alors que uzee signifie «la vieillesse» et appartient à une classe de «noms abstraits»; les (sortes d’) arbres, mais aussi les parties du corps sont réunis dans une même classe marquée par les préfixes m- (sg.) et mi- (pl.): mti, «l’arbre», mtende, «dattier», mkono, «bras», etc. (Lyons 1970).

Pour découvrir cette autre façon d’organiser le monde, les élèves sont invités à classer une série de mots (accompagnés de leur traduction) et à poser des hypothèses sur les critères de classement auxquels ils recourent; dans un deuxième temps, ils tentent de formuler des règles de fonctionne-ment de la langue swahili en ce qui concerne ce système de classes nominales.

Le détour par une langue telle que le swahili nous parait ici intéressant pour diverses raisons:

– il ouvre les connaissances des élèves sur des langues autres, élargissant ainsi les aspects culturels de l’enseignement;

– il confronte les élèves à un fonctionnement grammatical fortement différent de ceux auxquels ils sont habitués, les forçant ainsi à reconsidérer leurs représentations grammaticales acquises;

– grâce à l’étrangeté initiale du système de classement offert par cette langue, il oblige les élèves à observer les données avec attention et à se centrer sur les indices formels qui permettent d’en comprendre le fonctionnement; autrement dit, ils sont amenés à examiner le langage en dépassant les interprétations sémantiques immédiates et à le constituer en objet.

D’autres pistes de réflexion

La catégorie du genre, très fréquemment présente – mais sous des formes parfois différentes – dans les langues, suggère d’autres réflexions stimulantes et enrichissantes sur le langage, d’autant plus lorsqu’elle abordée dans une perspective interlinguistique. Il est ainsi possible d’aborder encore la question des liens entre monde linguistique et monde extralinguistique – autrement dit la question de l’arbitrarité du signe – sous un autre angle, en confrontant les élèves aux connotations – culturelles –

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Jean-François DE PIETRO 195

que véhicule le genre de certains noms. Deux textes de poètes allemands, Rilke et Heine, permettent de faire apparaitre «le problème»:

«Ich denke immer im Sinne von «le soleil» et «la lune», das Umgekehrte in unserer Sprache ist mir konträr, so dass ich immer machen möchte «der grosse Sonn» und «die Möndin». [...] so geht es einem oft, dass man mit dem äusserlichen Benehmen der Sprache uneins ist und ihr Innerstes meint.»

R. M. Rilke (in einem Brief an Nanny Wunderly-Volkart, 4.12.1920)

Sonnenuntergang

[...] Einst am Himmel glänzten, Ehlich vereint, Luna, die Göttin, und Sol, der Gott, Und es wimmelten um sie her die Sterne, Die kleinen, unschuldigen Kinder. Doch böse Zungen zischelten Zwiespalt, Und es trennte sich feindlich Das hohe, leuchtende Ehpaar. [...]

H. Heine: Sämtliche Gedichte (Frankfurt a. Main/Leipzig, Insel, 1997)

Des procédés semblables sont exploités dans d’autres langues (en espagnol, el mar (m) alterne avec la mar (f), employé dans des contextes poétiques) et peuvent faire l’objet d’une activité si les élèves semblent suffisamment compétents dans les langues concernées et intéressés à ces questions.

De même, avec des élèves plus âgés, il devient intéressant de travailler autour des connotations sociales de la langue – et/ou de la grammaire –, par exemple en exploitant les nombreux débats qui portent aujourd’hui sur la formulation non sexiste des textes et qui, souvent de manière implicite, mettent directement en jeu la nature même de ce qu’est le marquage générique: le signe d’une domination sociale? la simple expression linguistique d’un phénomène général d’économie linguistique?...

«Si bien que nous ne devrions pas être choqués si l’on nous dit: Cette femme «est professeur» ou «est médecin». C’est l’équivalent de: Cette femme exerce la médecine ou le professorat. A ce moment, vouloir, contre l’usage général, marquer du féminin celle qui pratique cette profession, paraît mesquin: c’est faire intervenir le sexe dans des domaines où c’est le cerveau qui joue le rôle essentiel.»

«Le sexisme est encore dans la grammaire et l’orthographe qui veulent qu’on écrive «les trois femmes et le chien sont partis». L’association française «Pour une éducation non sexiste» recommande d’accorder majoritairement: «les trois femmes et le chien sont parties». Pour ma part, j’ai pris le parti de toujours féminiser: «les trois femmes et les quatre hommes sont parti-e-s». Je sais que cela peut paraître agaçant, barbare, mais il me semble qu’ainsi on souligne la participation des deux sexes. Le trait d’union me paraît de

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196 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

loin préférable aux parenthèses, d’une part pour l’ordinateur, d’autre part pour le symbolisme... On n’a que trop mis la femme entre parenthèses.»

«[I]l faut observer cette curiosité: ce n’est que lorsqu’il faut désigner des fonctions de prestige que la langue semble résister au féminin. Alors que l’ouvrière, la guichetière et la téléphoniste ont sans difficulté trouvé le chemin de notre oreille, les ambassadrices, les juges et les ministres-présidentes semblent lui offrir certaines résistances...»

«Les avis si divers qui viennent d’être reproduits s’accordent pour identifier le genre et le sexe: le masculin, c’est le mâle, et dès lors une femme doit être désignée par un nom féminin. Je l’ai déjà dit, cette vue est fausse.»

A travers la discussion de quelques prises de positions exprimées dans ces débats, l’examen des pratiques effectivement en usage dans leur propre environnement (offres d’emploi, textes légaux, etc.) et, dans une perspective interlinguistique, la découverte des «solutions» proposées dans diverses langues15, les élèves approfondissent leur compréhension de la notion de genre, ils se forgent des avis critiques et argumentés à propos de leur langue et participent à la vie sociale du langage: n’est-ce pas ainsi qu’ils pourraient devenir ces fameux usagers – auxquels, depuis Vaugelas, en appellent si souvent les grammairiens – à même de faire l’usage en meilleure connaissance de cause?...

5. Vers un curriculum: le projet «Eveil au langage / Ouverture aux langues à l’école (EOLE)»

Ces quelques exemples, qui tous concernent l’un ou l’autre aspect de la notion de genre grammatical, montrent qu’un grand nombre d’activités interlinguistiques pourraient être conduites dans les classes afin de développer les connaissances grammaticales des élèves et, plus généralement, leurs capacités d’analyse et de réflexion linguistiques. De telles activités, organisées en curriculum, pourraient sous-tendre selon nous la construction progressive des connaissances relatives aux principales notions grammaticales16.

Il va de soi, cependant, que la perspective proposée ici dépasse largement une notion grammaticale quelle qu’elle soit, et aussi riche soit-elle. Nos

15 En voici quelques exemples: Was soll frau tun, um akzeptiert zu werden? – Die

Schweizer Bevölkerung hat entschieden. – Der Kaufmann und die Kauffrau haben ihr Geschäft verlassen. – Someone has lost their hat. etc. Voir à ce propos la revue CREOLE 2 (2000), éditée par le Cercle de réalisations et de recherche pour l’éveil au langage et l’ouverture aux langues à l’école, dans laquelle nous présentons plus largement une activité autour de ces questions. Voir aussi Français et Société 10 (1999).

16 Cf. annexe qui présente un exemple d’une telle progression à propos de la notion de genre.

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exemples s’inscrivent dans un projet plus vaste, EOLE, consistant en l’élaboration et l’édition de supports didactiques qui accompagneront l’enseignement des langues durant l’ensemble de la scolarité obligatoire (COROME 1998). Les activités prévues portent sur le fonctionnement des langues – la grammaire au sens habituel: genre, accord, place des mots, etc. – mais également sur les cinq autres «domaines» proposés par Hawkins et al. (1987): la diversité et l’évolution des langues (l’histoire des langues, les emprunts linguistiques...); la communication (découvrir ce qui fait la spécificité du langage humain); l’utilisation du langage (facteurs sociaux, variations géographiques, sociales et individuelles); la différence entre langage parlé et langage écrit (ainsi que les différents systèmes d’écriture et leur histoire); l’apprentissage des langues.

Construites selon une démarche didactique socioconstructiviste, ces activités comportent systématiquement une mise en situation dans laquelle on s’efforce de faire apparaitre les enjeux de la question traitée et de faire ressortir les représentations des élèves; puis une situation-problème dans laquelle les élèves sont confrontés, généralement en groupes, à un aspect de la langue qui, d’une manière ou d’une autre, fait problème, résiste, déstabilise, interroge; enfin, la classe procède ensuite à une synthèse qui permet de mettre en commun les réponses apportées par les élèves et de stabiliser, d’institutionnaliser, leurs connaissances. Ces activités concernent le français, en tant que langue de l’enseignement et de la communauté, l’allemand puis l’anglais en tant que langues enseignées, mais aussi toutes les autres langues présentes dans la classe, en particulier celles parlées par les enfants issus de la migration, et enfin, lorsqu’elles présentent des propriétés intéressantes pour le propos, d’autres langues encore (cf. swahili).

Les langues des élèves, souvent minorisées lorsqu’elles ne correspondent pas à celle(s) de l’école, trouvent ainsi une place de choix au coeur même des processus de réflexion qu’ils mettent en oeuvre dans leurs activités grammaticales17. Ce qui, en fait, est en jeu ici, c’est que, progressivement, la manière même d’envisager les faits de langue évolue et intègre (potentiellement) l’ensemble des langues. Une telle évolution, située d’abord sur le plan cognitif, correspond pour les langues habituellement minorisées à une véritable reconnaissance puisqu’elles deviennent des objets scolaires légitimes, contribuant de plein droit à la construction des savoirs. Des activités EOLE, conduites régulièrement, devraient ainsi

17 Cette remarque vaut d’ailleurs également pour le français parlé à la maison par les élèves

francophones!

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198 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

permettre d’améliorer la légitimation et l’accueil des langues de tous les élèves, en favorisant, chez les élèves qui parlent des langues minorisées, une meilleure estime d’eux-mêmes et, chez tous les autres, une attitude moins empreinte de préjugés et de stéréotypes envers les langues qu’ils ne connaissent pas (encore) (de Goumoëns et al., 1999).

Mais, en même temps, comme nous l’avons vu, c’est aussi par la prise en compte de ces diverses langues présentes ou non dans la classe que de telles activités permettent la structuration des connaissances linguistiques des élèves – qu’ils soient monolingues ou bilingues – et le développement de leurs capacités métalinguistiques. Autrement dit, la perspective interlinguistique fonde la construction des savoirs, grâce à un travail de mise en perspective de la langue de l’école, de comparaison, de repérage (visuel et auditif), etc.

Le chemin est encore long jusqu’à ce qu’on applique à l’école, à grande échelle et «naturellement», des démarches d’éveil au langage et d’ouverture aux langues qui permettent aux élèves de se forger des attitudes plus ouvertes à la diversité et à l’altérité, de développer des savoir-faire utiles tant pour la langue locale que pour l’apprentissage des langues étrangères et, enfin, de construire une culture langagière moins restrictive que celle qu’on leur offre aujourd’hui sous le nom de grammaire... Car c’est bien de cela qu’il s’agit finalement, de ce que pourrait, et devrait, être la part de l’enseignement des langues qui n’est pas directement orientée vers la production: une sorte de grammaire générale et plurilinguistique, fondée d’abord sur la construction d’un rapport différent aux phénomènes langagiers, curieux, ouvert à la diversité, mais qui ne renonce pourtant pas à la méthode, à la rigueur, aux connaissances. Comme nous l’avons souligné dans la note 4, cette approche ne prétend en aucune façon remplacer l’ensemble de ce qui se fait actuellement à l’école dans le domaine grammatical (en particulier les aspects de la grammaire qui sont directement orientés vers la production, que ce soit au niveau de l’orthographe18 ou du texte); mais elle suggère un recadrage, une réorganisation du domaine grammatical, désormais conçu comme un accompagnement aux divers enseignements de langues auxquels elle apporterait une cohérence qui leur fait si largement défaut actuellement (Roulet 1980). C’est ainsi que la grammaire pourra devenir un outil au service de l’expression, certes, mais aussi de l’accueil, de la structuration

18 On signalera en outre que des réflexions de type «éveil aux langues» peuvent également

s’avérer pertinentes et utiles pour des domaines apparemment moins stimulants, tels l’orthographe: cf. à ce propos Chignier et al. 1990 et Matthey 1998.

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Jean-François DE PIETRO 199

et de la légitimation des langues – de toutes les langues – présentes dans l’environnement scolaire; c’est ainsi que la grammaire contribuera à la construction de la classe comme espace plurilingue (Perregaux 1995). Plusieurs étapes jalonnent le parcours qui devrait conduire à ces objectifs, parcours jamais achevé, sans cesse menacé par de nouvelles résistances, imprévues, mais qui nous semble constituer une priorité pour l’école pluriculturelle d’aujourd’hui.

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200 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

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Roulet, E. (1980). Langue maternelle et langues secondes: vers une pédagogie intégrée. Paris: Hatier/CREDIF.

Quelques matériaux d’enseignement produits en Grande-Bretagne

Awareness of Language, Série de livrets pédagogiques (Collection dirigée par E. Hawkins) Cambridge University Press

– Hawkins, Eric (1983). Spoken and Written Language

– Astley, Helen (1983). Get the Message!

– Jones, Barry (1984). How Language works

– Astley, Helen & Hawkins, Eric (1984). Using Language

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Jean-François DE PIETRO 201

– Pomphrey, Cathy (1985). Language Varieties and Change

– Dunlea, Anna (1985). How do we Learn Languages?

– Mc Gurn, Jim (1991). Comparing Languages: English and its european Relatives

– Morwood, James & Warman, Mark (1991). Our Greek and Latin roots

Page 191: Abonnement annuel (2 numéros)fossilisation des représentations liées à certains termes. Plus encore que les défauts de la terminologie, c’est la pauvreté des exercices proposés

202 La diversité des langues: un outil pour mieux comprendre la grammaire?

Annexe: Tableau synoptique d’activités portant sur le genre et couvrant l’ensemble de la scolarité obligatoire

ANCRAGE ACTIVITES PROLONGEMENTS

EE-1P ////////////////////////////////// la différence entre le féminin et le masculin

/////////////////////////////////////

2P identifier le genre d’un nom

identifier le groupe nominal et ses cons-tituants

Le genre et le déter-minant défini en fran-çais et à travers les langues

/////////////////////////////////////

3P-4P reconnaitre les mar-ques d’accord du nom en genre

accorder le nom et l’adjectif

L’absence de déter-minants dans d’autres langues

Identification de la langue dans de petits corpus de texte

L’accord de l’adjectif

/////////////////////////////////////

5P-6P accorder le nom et l’adjectif

connaitre les homo-phones lexicaux

La marque du genre dans les substantifs de langues romanes

Le rôle du détermi-nant dans la distinc-tion des homophones

/////////////////////////////////////

7S-8S-9S difficultés avec le genre des noms, en allemand et/ou en latin

réflexion «gramma-ticale»

Le genre naturel et le genre grammatical

La féminisation destermes (L’interprétation so-ciale du genre)

– Le système des pos-sessifs en français, en allemand et en anglais

– Le fonctionnement de l’accord dans dif-férentes langues

– La formation des noms

– Genre et symbolique

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Les contributeurs

Maria-Elisete ALMEIDA Universidade da Madeira Colégio dos Jesuitas Praça do Municipio P-9000 Funchal Madeira

Pierre-Alain BALMA Cycle d’orientation de Genève 14, rue du Faubourg CH-1286 Soral

Marie-José BEGUELIN Universités de Neuchâtel et Fribourg 5, rue des Charmilles CH-1203 Genève

Alain BERRENDONNER Université de Fribourg Séminaire de linguistique française av. de Beauregard 11-13 CH-1700 Fribourg

Peter BLUMENTHAL Universität zu Köln Romanisches Seminar Albertus-Magnus-Platz D-50923 Köln

Jean-François DE PIETRO IRDP Fbg de l’Hôpital 43 CH-2007 Neuchâtel

Thérèse JEANNERET Université de Neuchâtel Séminaire de français moderne av. du 1er-Mars 26 CH-2000 Neuchâtel

Peter LENZ Université de Fribourg Institut für Deutsche Sprache rue du Criblet 13 CH-1700 Fribourg

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204 Les contributeurs

Michel MAILLARD Universidade da Madeira Colégio dos Jesuitas Praça do Municipio P-9000 Funchal Madeira

Daniel MARTIN Unité de recherche en système de pilotage, Lausanne et Université de Genève 34, ch. de Bellerive CH-1007 Lausanne

Marinette MATTHEY Université de Neuchâtel Centre de linguistique appliquée Espace Louis-Agassiz 1 CH-2000 Neuchâtel

Anton NÄF Université de Neuchâtel Séminaire de langue et littérature allemandes Espace Louis-Agassiz 1 CH-2000 Neuchâtel

Dominique WILLEMS Université de Gand Département de français Blandijnberg 2 B-9000 Gent