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L’interculturalit´ e dans ”L’´ etrange destin de Wangrin ou Les roueries d’un interpr` ete africain” d’Amadou Hampˆ at´ e Bˆ a Lise P´ erusat To cite this version: Lise P´ erusat. L’interculturalit´ e dans ”L’´ etrange destin de Wangrin ou Les roueries d’un in- terpr` ete africain” d’Amadou Hampˆ at´ e Bˆa. Literature. 2010. <dumas-00733202> HAL Id: dumas-00733202 http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00733202 Submitted on 18 Sep 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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LinterculturalitedansLetrangedestindeWangrinouLesroueriesduninterpr`eteafricaindAmadouHampateBaLisePerusatTocitethisversion:LisePerusat. LinterculturalitedansLetrangedestindeWangrinouLesroueriesdunin-terpr`eteafricaindAmadouHamp ateBa. Literature. 2010. HALId: dumas-00733202http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00733202Submittedon18Sep2012HAL is a multi-disciplinary open accessarchiveforthedepositanddisseminationof sci-entic research documents, whether they are pub-lishedor not. The documents maycome fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.LarchiveouvertepluridisciplinaireHAL, estdestineeaudepotet`aladiusiondedocumentsscientiquesdeniveaurecherche, publiesounon,emanantdesetablissementsdenseignementetderecherchefrancais ouetrangers, des laboratoirespublicsouprives.- 1 - LINTERCULTURALITEDANS LETRANGE DESTIN DE WANGRIN OU LES ROUERIES DUN INTERPRETE AFRICAINDAMADOU HAMPATE BA Mmoire de premire anne de Lise PERUSAT. Sous la direction de Christiane ALBERT, matre de confrences en Lettres Modernes. Anne 2009/2010. Mmoire soutenu le 5 Octobre 2010. Universit de Pau et des Pays de lAdour. Master Lettres et Civilisations. Parcours Potiques et Histoire littraire. - 2 - ExtraitdelalettredAmadouHamptBlajeunesseloccasiondelAnne internationale de la jeunesse.1985. De mme que la beaut dun tapis tient la varit de ses couleurs, la diversit des hommes, des cultures et des civilisations fait la beaut et la richesse du monde. Combien ennuyeux et monotone serait un monde uniforme o tous les hommes, calqus sur un mme modle, penseraient et vivraient de la mme faon ! Nayant plus rien dcouvrir chez les autres, comment senrichirait-on soi-mme ? - 3 - Remerciements : Je tiens tout dabord remercier Madame Albert, ma directrice de recherche, pour mavoir fait dcouvrir la littrature africaine, travers ses cours riches et varis ; pour ses encouragements et sa disponibilit tout au long de mes recherches. Cest aussi son aide et son soutien qui mont permis dlaborer mon projet dtudes de deuxime anne de Master auBurkinaFasosinscrivantdanslacontinuitdemesrecherches.Jeluiensuistrs reconnaissante.Jetiensgalementremerciermagrand-mre,poursarelectureavise,ses encouragements, et ses conseils ; et de manire plus gnrale, ma famille et mes amis qui mont soutenue et supporte tout au long de lanne. - 4 - SOMMAIRE : Introduction. I.Mise en scne dune diversit culturelle. I.1. La situation coloniale. I.1.a) noirs-noirs , noirs-blancs et blancs-blancs ,oula hirarchisation de la socit coloniale I.1.b)Wangrin,les dieuxdelabrousse etlesancienstirailleurs :quelles formes dinteraction ? I.2. Wangrin, confluent de cultures. I.2. a) Lcumnisme de Wangrin. I.2. b) La matrise de la langue, cl du succs. I.3. Les diffrents univers symboliques. I.3. a) Amadou Hampt B, un fond culturel riche. I.3. b) Etude du bestiaire. II.LEtrange destin de Wangrin, une uvre hybride. II.1. Entre traditions littraires africaines et occidentales. II.1. a) Interfrences gnriques. II.1. b) Un roman polymorphe. II.2. Le chemin de la Parole. II.2. a) Loral-crit . II.2. b) Htrolinguisme et polyphonie. - 5 - III. LEtrangedestindeWangrin,porteurdunhumanismemoderneouvertsurla diversit. III.1. Un roman plac sous le signe de lchange. III.1. a) Entre traditions et modernitIII.1. b) Dualit ou dichotomie ? III.2. Amadou Hampt B, passeur de langue et de culture. III.2. a) Un auteur postcolonial ? III.2. b) Wangrin, une harmonie retrouve dans lalliance des contraires. Conclusion. Bibliographie. - 6 - Introduction : En Afrique, chaque fois quun vieillard meurt, cest une bibliothque qui brle. CetteclbrephrasedAmadouHamptBcontinuedersonnerdanstouslesesprits lorsquil sagit de littrature africaine. A lheure o lAfrique tente de trouver sa place dans lacommunautinternationale,surlesplansconomiques,politiques,etculturels,luvre dAmadouHamptBfaitrfrence.Pourlcrivain,ledveloppementconomiquene peut se faire sans son penchant culturel. Cest dans ce domaine qua uvr tout au long de sa vie cet rudit. Amadou Hampt B est n laube du XX sicle en 1900 Bandiagara auMali,danslancienneAfriqueOccidentaleFranaiseetsedcritcommeun filsan du sicle 1. Il nat dHampt B, et Kadidja Pt Poullo Diallo, tous deux issus de nobles famillespeules.Alamortdesonpre,alorsquilnavaitquedeuxans,ilestadoptpar Tidjani Amadou Ali Thiam, le roi toucouleur deBandiagara. Son ducation traditionnelle estassureentreautreparuntraditionnalisteetconteurtrspopulaire,dnommKoullel qui vivait la cour de son pre adoptif. Pour Hampt B, elle est dune certaine manire lapremirecolequilafrquente,coutantetmmorisantcontes,pomes,popes, chants desgriots et traditionnalistes avant mmede savoircrire. En deuxime lieu, cest TiernoBokarSalifTall,sainthommeetgrandsavant,quiprendenchargesonducation coranique, et occupe une place primordiale dans sa vie.2 En 1912, tant fils adoptif de chef deprovince,ilestrquisitionnparlEcolePrimaireFranaise,puispar lcoledes Otages Kayes, pour tre form en tant quauxiliaire de ladministration coloniale. Il est ensuite admis lEcole Normale de Gore, mais ne sy rend pas, ce qui lui vaut, en guise de punition ,unemutationenHaute-VoltaOuagadougou.En1933,ilestmut Bamako o il occupe diverses fonctions au sein de ladministration coloniale. En raison de sonattachementlOrdreTidjanya,branchesoufistedelIslam,ilsattirelesfoudresdu gouvernementcolonial,etdoitsonsalutauProfesseurThodoreMonod,fondateurde lI.F.A.N. (Institut Franais dAfrique Noire). Ce dernier lui confie en 1942, un travail de recherchesetdenqutesethnologiquestraverslA.O.F.,cequiluipermetdemeneren parallledesrecherchespersonnellesayantpourbutdecollecterlestraditionsorales africaines.Ilpubliesapremireuvre,LempirePeulduMacinaen1955,fruitdeses 1 A. H. B, Amkoullel lenfant peul. Mmoires I, Paris : Jai lu, 1991. 442p. p.58. 2 Sur le sujet, voir A.H. B, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara. Paris : Seuil, 1980, 254p. - 7 - travaux. En 1958, il fonde et dirige linstitut des sciences humaines du Mali, et reprsente sonpaysfraichementindpendantlaConfrencegnraledelUNESCO.Lamme anne en 1962, il est lu membre du Conseil Excutif de lUNESCO, o il sige jusquau dbut des annes 1970. Ds lors, il cesse toutes fonctions officielles pour se consacrer ses recherchespersonnelles,dordrereligieux,historique,littraireetethnologique.Ilpublie alors plusieurs contes traditionnels comme Petit Bodiel1 en 1976, mais aussi Njeddo Dewal mredelacalamit2en1985,etc.Ilrdigegalementsesmmoiresendeuxvolumes, AmkoullellenfantpeuletOuimoncommandant !publiesaprssamortrespectivement en 1991 et 1994, et son seul et unique roman LEtrange destin de Wangrin ou les Roueries dun interprte africain en 1973.Auvudeceslmentsbiographiques,enparticuliersesdiffrentesducationstraditionnelle,coraniqueetfranaise-ainsiquesestravauxderecherchelI.F.A.N.,on peut dores et dj constater quHampt B a t trs tt et maintes reprises au contact de la diffrence. Il semble donc tre pertinent de sinterroger sur la manire dont lcrivain a pu mettre en scne cette altrit dans ses uvres, que nous allons envisager sous langle delinterculturalit.Cettederniresedfinitcommelarencontrededeuxouplusieurs cultures dans un espace donn. Le substantif est form du prfixe inter qui exprime la notionderelation,derciprocitetdchangeentredeuxlmentsdistincts,etdunom culture . Les deux lments sont ici les cultures africaines et europennes, spares par des frontires gographiques, politiques, idologiques et socioculturelles. Nous verrons que linterculturalitchezAmadouHamptBestpluscomplexequeceschmabipartiteet quelleseretrouvegalemententrelesdiffrentesethnies,bambaraetpeul,pourneciter quun exemple.Ltudede linterculturalit a donc pour objet la rencontre des cultureset ainsimledesdisciplinestellesque :lanthropologie,lapsychologielalinguistique,la littrature,etc.Pourcequiestdecettedernire,ilsagit dobserverlinteractiondes facteurspropresauxdiffrentesculturesquisetrouventencontactdanslaproduction,la miseencirculationetlalecturedestextes. 3.Pourcefaire,nousnousconcentreronsen particuliersurleromanLEtrangedestindeWangrinoulesRoueriesduninterprte africain.CetouvrageretracelaviedeSambiTraoraussiconnusouslenomdeSamak 1 In A.H. B, Petit Bodiel et autres contes de la savane. Paris : Pocket, 2006. 217p. 2 In. A.H. B, Contes initiatiques peuls. Paris : Pocket, 2000. 397p. 3 Dictionnaire du littraire. Sous la dir. de P. Aron, D. Saint-Jacques et A. Viala. Paris : PUF, 2me dition revue et argumente, 2004. 654p. - 8 - Niambl,iciprsentsouscouvertdelundesesnombreuxpseudonymesWangrin,un interprteauservicedes Dieuxdelabrousse autrementditdesadministrateurs coloniaux. Cet homme est pour lauteur, un des hommes dont la rencontre [] a le plus profondmentmarqu[sa]vie 1.Ilfaitsaconnaissanceen1912,accompagndun commisdesAffairesindignes,M.Franois-VictorEquilbelcq, quieffectuaitune tournetraverstoutlepayspourrecueillirleplusgrandnombrepossibledecontes soudanais. 2.Ilssontnouveauamenssectoyerlafindelanne1927,Bobo Dioulasso,etdurant presquetroismois,aprsledneretlapriredelanuit,devingt heures, parfois jusqu' minuit, Wangrin [lui] restituait son histoire la manire vivanteet dtailledesAfricainsdejadis.Sonfidlegriot,DiliMaadi,jouaitdoucementdela guitarepouraccompagnersonrcit. 3.Ilestimportantdenoterquelercitdelaviede WangrinatcontHamptBquilaensuitecouchsurpapierselonunedeses expressions favorites.Le roman souvre sur lhistoire lgendaire du paysde Noubigou, la naissancedeWangrin,saformationspirituellebambarapuisoccidentalelcole franaise. Durant son initiation aux coutumes bambara, Wangrin choisit Gongoloma-Sook comme lun de ses dieux-patrons , c'est--dire comme dieu protecteur, et adopte ce nom commepseudonyme.Dslepremierchapitre,larencontredesculturesestprsenteetse cristallise en la personne de Wangrin, ds sa jeunesse il est partag entre plusieurs milieux socioculturels.Lintrigue,etdonclesroueriesdeWangrin,commencerellementlorsde saprisedefonctioncommemoniteurdenseignementDiagaramba.Entrevoyantles richessesetlesprivilgesqueprocurelafonctiondinterprte,Wangrinravitsaplaceau vieuxRacouti,unancientirailleur,interprteducommandantdecercleGalandier.Cette premire ruse peut drouter le lecteur ; en effet, Wangrin ne cherche pas lutter contre le pouvoir dominant mais contre un compatriote. Comprenant quil peut satisfaire sa cupidit grcesestalents,Wangrinsrdelui,dcidedesattaquerdirectementaupouvoir colonial. En 1914, la France entre en guerre contre lAllemagne et rquisitionne hommes et biens au nom de leffort de guerre. Wangrin va dtourner une partie des bufs destins la France,etraliserainsisonpremiergrosgaindargent,aunezetlabarbede ladministration. Qui plus est, il gagne le procs quon lui intente lopposant au Comte de Villermoz,undesessuprieursDiagaramba.Suitecetteaffaire,ilestmut 1 Cit dans la prface de Thodore Monod in. Amkoullel, lenfant peul. Mmoires I, op. cit., p.8. 2 A.H. B, Amkoullel lenfant peul. Mmoires I, op. cit., p.289. 3 A.H. B, Oui mon commandant ! Mmoires II, Paris : Jai lu, 1994. 508p. p.312. - 9 - Goudougaoua,etfaittapeYagouwahi,ouilrencontreRomoSibdi,unconcitoyen. Wangrin, pat par le train de vie de ce dernier,dcide de semparer de sa place,et de le faireainsimuterYagouwahi.UnautrecoupdematredeWangrinestderglerune affaire de succession dlicate dun chef de province en menant un double jeu. Au final, il russitnonseulementsatisfairelesdeuxpartis,maisgalementenretirerunepetite fortune.Wangrintraversedonclesdiffrentescollectivitsetdeparsafonction dinterprte,ilofficiecommelintermdiaireobligdesunsetdesautres ;traversson histoireindividuelle,cestbienlapeinturedunesocitpluriculturellequiestlivreau lecteuravecsesmurs,sescodes,lesinteractionspossibles,etc.Wangrin,arrivau sommet de sa gloire et de sa fortune dmissionne lorsquil apprend le retour du Comte de Villermoz, bien dcid se venger avec laide de Romo Sibdi. Il prend alors la tte dune maisondecommerceaucapitalfaramineuxpourlpoque,dautantplusquecestun indigne qui la dirige. L aussi, grce son intelligence, sa connaissance des hommes et sa rusesanspareille,ilfaitfleurirsoncommerceetdevientlepremierAfricainsupplanter les grosses chambres de commerce de Bordeaux et Marseille. Toujours avec la mme ruse, ilparvientmmesoutirerlaquasi-totalitdelafortunedunchefdecercle,le commandant Jacques de Chantalba, un camarade du Comte de Villermoz. Tout est donc lavantagedeWangrinquinecraintpluspersonne,administrateursoucommerciaux.La matrisedelalangueestdonclacldelarussitedeWangrin,cestparcequilarrive changer avec toutes les factions que sa russite est complte. Cependant, il subit un revers de fortune et se fait piger par un couple de Franais, les Terreau, quil prend sous son aile. IlrencontreMadameTerreauDakardansunbar-caf,oelleofficiaitcomme entraneuse ,quiilconfielacomptabilitetlagestiondesafortune.Lecouplele dpossdedetoussesbiens,etlelaisseavecdesdettesincommensurables.Wangrin sombrealorsdanslamisreetdanslalcoolisme,ilvitdanslarue,refusantlacharitde ses anciens amis, et notamment de sa fille adoptive, et devient un clochard philosophe , racontant ses aventures pour que dautres puissent tirer les leons de ses erreurs.Leromanestdivisentrente-sixchapitres,mettantenscnedix-neufaventures,maison peutoprerunautredcoupageentroisparties :lapremire(dudbutauchapitre16), constituelarussitedeWangrin ;laseconde(duchapitre17auchapitre27),relate lanantissementdfinitifdesesennemisetledbutdessongesprmonitoires ;etla - 10 - troisime (du chapitre 28 la fin) est le thtre de la lutte de Wangrin contre lui-mme et son destin implacable.NousavonschoisideconcentrernosrecherchessurLEtrangedestindeWangrin ou les roueries dun interprte africain dune part car cest le seul roman crit par Amadou HamptB,etdautrepartcaronpeutleconsidrercommefaisantdansunecertaine mesure,lasymbiosedesesautrescrits.Enoutre,ceromanabordeunsujettoujours dactualitensinscrivantdansledbatsurlaltrit.Lauteurmetenexerguela perceptiondeladiffrenceetsurtoutapportesarponselaquestioncommentvivreau mieux laltrit en la prenant en compte sans lassimiler. Il tend trouver le chemin de la srnit et du bien-tre personnel dans une socit dsquilibre cause de phnomnes de dominationquinepermettentpaslpanouissementdesindividus.Deplus,ceromanest trshumoristiqueetplaisanttravailler,deparsoncaractreludique.Pourcequiestdu sujet, comme nous venons de le souligner le thme de la rencontre des cultures est au cur du rcit, avec ce personnage de Wangrin sans cesse confront la diffrence sur les plans culturels, sociaux, moraux, religieux, etc.- et cette thmatique est traite par lauteur dune manirequinetientnotreconnaissance-qului.AtraversWangrincestaussile problmedecommunicationquiestpos,entantquinterprte,ilestchargdefaireun lienquilsoitbnfiqueoupas-entredeuxouplusieurspartisquelesdisparits linguistiquesnepermettentpasdecommuniquer.Deplus,linterculturalitestun phnomnequitouchedsormaistouslespays,avecdesaccordsdelibrechangenotammentenEurope-maisaussietprincipalementcauseougrcelamondialisation qui oblige la circulation des modes de vie, favorise les changes culturels, mais galement peutaccentuerladominationculturelle,linguistique,conomiquedunenation.Ace propos,AmadouHamptBcitesouventlapensedunvieuxmatreafricain,quil reprend entre autre dans sa lettre la jeunesse de19851 : IL y a MA vrit et TA vrit qui ne se rencontrent jamais, et LA Vrit qui se trouve au milieu. Poursenapprocher,chacundoitsedtacherunpeudeSAvrit.IlfautquetuabandonnesTA vrit pour aller vers LA Vrit et que jabandonne MA vrit pour aller LA Vrit, pour que nous soyons des adeptes de LA Vrit. Cest le symbolisme de la lune. Il y a la lune croissante et la lune 1Pour la version complte, voir Amadou Hampt B homme de science et de sagesse, sous la dir. de a. Tour et N. I. Mariko. Bamako : Nouvelles ditions maliennes, 2005. p.243. - 11 - dcroissante.Ilfautquelesdeuxcroissantsserejoignentpourquilyaitlapleinelune.Lapleine lune, dans la tradition africaine est considre comme tant le symbole mme de la lumire. 1 Cettecitationnoussembleessentiellepourcomprendrelapensedelcrivain,dansla mesureoelleabordelanotionderelativisme,quiintervientobligatoirementdansla rencontreaveclAutre.Latypographiemiseenmajuscule-dunepart,etlutilisation rcurrentedesadjectifspossessifs ma , ta etdelarticledfini la dautrepart, soulignent lattachement que chacun peut porter ses propres convictions et la difficult sen dfaire. De plus, cette citation donne la cl pour la comprhension entre les hommes, chacun doit faire un pasvers lautreen se dfaisant de ses croyances eten faisant preuve debienveillance. LAVrit prenddailleursunemajuscule,commepoursouligner quelleestlebutverslequeldoittendrelHomme,etestomniprsente.Enoutre,le symbolisme de la lune est trs riche, habituellement elle voque la temporalit, le caractre cycliquedelavie,etc.Lauteurenassociantlalune lalumire faitallusionla connaissancequiclaireetvainclobscurantisme.Ainsi,cestdanslarencontrededeux objetsapparemmentantithtiquesquesetrouvelaconnaissance.Notrehros,Wangrin, illustre bien cette association des contraires, qui peut aussi tre source dambigut.Atraverssesuvres,-mmesiLEtrangedestindeWangrinnestpaslaplus reprsentative, elle est une sorte de kalidoscope des diffrentes formes littraires de cette rgion de lAfrique- Hampt B permet la dcouverte dune partie de la culture africaine sisouventdnigre.Sionlelitdansuneperspectivepragmatique,onpeutdirequil instaureunsensetagitsurlemondequilentoureenrfrencelathoriedesactesde langageformuleparAustin,philosopheappartenantlabrancheanalytique,auteurde Quand dire cest faire. Lchange avec le lecteur participe donc de deux axes, dune part la (re)-dcouverteetlarevalorisationdelacultureafricaine,etdautrepart,lapprentissage dunevieinterculturelleharmonieuse.Nouspartironsdelhypothsequelapproche textuelle peut tre estime comme linteraction permanente entre lauteur et le lecteur. En effet, lauteur fournit un message empli de codes provenant de ses propres reprsentations etconceptionsquelelecteurdoitdcoder.CelaestrenforcparlefaitquAmadou Hampt B est malien, et qucrivant en franais, il sadresse aussi un public hexagonal. Dslors,onpeutconsidrerletexteenlui-mmecommelepremierobstaclequedoit 1 Cit par J.R. de Benoist dans son article Dialogue et tolrance dans luvre dAmadou Hampt B , in. Amadou Hampt B homme de science et de sagesse, op. cit., p.244. - 12 - franchirlelecteur,etconstituelepremierniveaudinteraction.Nousconsidreronsdonc que la notion dchange est, dans la pense dHampt B, au centre de linterculturalit, et sedoubledelidedetolranceenversautruietcestcequifaitdeLEtrangedestinde Wangrin ou Les Roueries dun interprte africain, une uvre originale. Il nous a sembl pertinent de nous pencher sur la reprsentation de linterculturalit dansceroman,toutdabordparsoncaractresociologiqueethistoriquelasocitde 1900 1930 y est dpeinte- mais aussi car le protagoniste, Wangrin, interroge les relations entrelesadministrateurscoloniauxetlesAfricains.Cesderniresselimitent-ellesau schmadomin/dominant,nesont-ellespaspluscomplexesquecela ?Oetcommentse situeWangrindanscettehirarchie ?Ya-t-ilinterpntrationentrelesdiffrentes cultures ?Lalangueest-elle,elleaussitoucheparcephnomne ?Commentlauteur parvient-ilrendrecetteParoleoriginelle,quelssontlesprocdsstylistiquesutiliss ? Lcritureest-ellemi-cheminentredeuxcultures ?Lesidentitsculturellessont-elles puresaudpart,ouprsentent-ellesdjdesformesdemtissages ?Etsurtoutcomment lauteur traite-t-il cette interculturalit, quelle est sa position idologique ? Se rapproche-t-il de ses contemporains postcoloniaux en se contentant de condamner la colonisation, ou au contrairesendmarque-t-ilendpassantcettecritiquepouraboutirunenseignement humaniste ? Pour tenter de rpondre ces interrogations, notre propos sefforcera de saisir lesdynamiquesengendresparlarencontredeculturestraversunedmarcheternaire. Nousdbuteronsnotreanalyseennouspenchantsurlaprsentationenelle-mmedes diffrentesculturesdanslercit,sesrpercussionssurlahirarchisationdelasocit nouvellementcolonise,puislarencontredecesmmesculturesdanslepersonnagede Wangrin,etlesdiffrentsuniverssymboliquesprsentsdansleroman ;cequinous amneraconsidrerladimensionhybridedelcriture,avecuneinterpntrationdes genres et des effets de dialogisme et de polyphonie dus notamment lintrusion de loralit danslcrit ;etnoustermineronsennousefforantdedgagerlemessagequenouslivre Amadou Hampt B, message humaniste plac sous le signe de lchange, de la diversit pense comme le ssame indispensable lenrichissement. - 13 - Mise en scne dune diversit culturelle. La situation coloniale. Noirs-noirs , noirs-blancs et blancs-blancs ,oulahirarchisationdelasocit coloniale : LecadredeLEtrangedestindeWangrinoulesRoueriesduninterprteafricainest lAfrique occidentale franaise. Les personnages voluent dans ce contexte de domination politique, conomique et culturelle. Cependant lauteur, bien quil prsente la colonisation, nerentrepasdansunmanichismequiopposeraitleseuropensdominantsetpilleursde traditionsdunepart,etdautrepartlesAfricainstournsverslestraditionssubissantla modernitmalsainedesoccidentaux.Bienvidemment,ilnerfutepaslacolonisationni sesmfaits,ilmetenrelieflesrapportsdeforcemaismontre,etcestlquetienttoute loriginalit dHamptB, que ces rapports peuvent sinverser. En effet, certains comme lehrosWangrinvontsavoirprofiterdecequapportelacolonisationcommelalangue, pour contourner lidologie et influer sur la gestion des territoires et des peuples. De plus, linterculturalit ne se joue pas que sur la couleur de peau -dans lopposition traditionnelle blancs/noirs-, elle se retrouve galement dans les rapports entre les Africains. Lauteur, et celadsledpart,exposelecontexteafricaindanslequelsinstallelacolonisationet notammentlesrivalits,diffrencesentrelesethniesquicohabitentplusoumoinsbien dansunterritoiredonnils'agiticiduterritoireduroman.Lauteuradopteparcertains gardsunpointdevuedesociologue,voiredethnologue,cardcritlesfonctionnements, les modes de vie et de culture de ces peuples qui se ctoient, plus ou moins pacifiquement. Le premier lment noter dans le romanest lamanire dontest dcritela socit. Cette dernireestmarqueparunefortehirarchisation,etlesindividussontdivissentrois classes. Celles-ci sont prsentes ds le dbut du roman sous les appellations coutumires : noirs-noirs ,noirs-blancs et blancs-blancs 1quifonctionnentparsynecdoque. Blanc-blanc estutilispourparlerdunFranaisdesoucheexpatritravaillantpour ladministration ou le commerce -ou tout simplement venu profiter des richesses du pays-, 1 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.25. - 14 - et ainsi occupant la place la plus haute qui lui confre un pouvoir quasi absolu sur les deux autres catgories . Noir-blanc dsigneun indigne quitravaillepour ladministration coloniale, ou de manire plus gnrale qui est au service des blancs, et en cela dispose lui aussi de pouvoir sur ses congnres -certains, comme le protagonistes ont reu une ducation franaise. Cette place est peut-tre la plus instable, du fait de lentre deux dans lequel se trouve le fonctionnaire : bien que travaillant pour la France, il na pas lestatutdecitoyenfranais-saufexception,nousyreviendronsplusloin-,etla reconnaissancequecelaimpliquelpoque ;deplusilnepeutaccderdehautes responsabilits, et reste considr comme un subalterne par les blancs-blancs. Et mme sil est un indigne, le regard de ses compatriotes change, car il peut exercer une pression sur eux du fait de son statut : il inspire alors la crainte, la jalousie, lenvie Il est accultur car peuttrerejetparsonmilieudappartenancequilauraitenquelquesortetrahien travaillant pour le pouvoir colonisateur, voireenle cautionnant. Noir-noir quant lui, dsigneunindignenoccupantaucunepositiondansladministration,cestleplusbas chelon dans la hirarchie sociale durant la colonisation, bien que reprsentant la majorit de la population. Dans le roman, ils sont prsents comme des hommes et des femmes qui tententdecontinuervivreselonleurscoutumesmaisquisubissentdepleinfouetles consquences conomiques, politiques et sociales de loccupation franaise un peu moins danslescampagnesrecules,olaprsencefranaiseestmoinsvisible.Cependant,ilne fautpasfairedecetteclasseuneentithomogne ;eneffet,lauteurprendgrandsoinde dcrirelesdiffrentesethniesquicohabitentetlesrapportsdeforcesentreelles.Ainsile lecteurprendconsciencequelacolonisationnestpasseulementfranaise,certaines ethniesimposentleurdominationsurdautresquellesjugentinfrieures :lauteur, toujoursavecmalice,nousfaitpartdesprjugs,delamaniredontestperuela diffrence et la notion dtranger les noirs-noirs sont doublement mpriss : par les blancs-blancs, mais aussi par une partie des noirs-blancs qui profitent de leur position, jouent les petitschefs .Cepassageillustrebienlesmodificationsdordresocialdues loccupation franaise : Eneffet,aulendemaindelaconqute,seulslesTubabublen, blancs-blancs nsenFrance,et les Tubabufin, blancs-noirs africains devenus auxiliaires immdiats et personnel domestique des premiers pouvaient porter le casque. Ctait un emblme de noblesse qui donnait gratuitement droit augte,lanourriture,auxpots-de-vinet,silecurendisait,auxjouvencellesauxformes - 15 - proportionnespourlesplaisirsdelanuit.LesMessieursCasqusaimaientfort,eneffet,se rchauffer la chaleur fminine qui ne brle pas et cependant revigore. 1

Wangrin,lorsdesonarriveDiagaramba,estdoublementtranger :dunepartilest devenuunnoir-blanc,ilportelecasquecolonialainsiquelesinsignesdesafonction;et dautre part il nappartient pas lempire Macina, il est Bambara et non Peul. On ne peut doncpasparlerderencontrelorsquiltraverselaville,tantilinspirelaterreuraux habitants.Alasuitedesonarriveilprendsoinderendrevisiteauxpersonnages importants de la ville pour sattirer leurs faveurs : en premier lieu le roi Bouagui, puis son fils an Lakim Fal : changes purement diplomatiques. Wangrin,les dieuxdelabrousse etlesancienstirailleurs :quellesformes dinteraction ? Le premier change interculturel du roman est la scne de premire rencontre entre Wangrinetlecommandant.Bienquelecommandantdecerclesoitlesuprieur hirarchiquedeWangrinetsilonreprendlaclassificationparsynecdoque,ilestun blanc-blanc et Wangrin un blanc-noir- il le traite dgal gal grce au vecteur quest la maitrise de la langue de Wangrin- dhomme homme en lappelant mon ami et en lui proposant une chaise, privilge refus aux indignes. Lauteur en prsentant cette rencontre ds le deuxime chapitre, sort de la traditionnelle opposition colonisateur/colonis. Certes lecontexteestbienlacolonisation,maiscenestpaslethmedelalutte,duconflitqui surgit comme on aurait pu sy attendre-, mais celui de lchange, du respect dautrui. De cefait,A.H.Bsedmarquedesescontemporains,enproposantunerencontre interculturelle, source dchange bilatral,et non un rapport de force. Cependant, lauteur ne nie pas ltat desprit conqurant de la France occupant lAfrique, comme le montre le discours que tient le commandant Wangrin : Il faut que tu payes les bienveillances que tu dois la France en la faisant aimer et en rependant sa langue et sa civilisation. Ce sont l les plus beaux cadeaux que lhistoire humaine ait faits aux Noirs de lAfrique. Nous avions mission de faire le bonheur des Noirs, au besoin malgr eux. 2

1 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.25. 2 Ibid., ed.cit., pp. 33,34. - 16 - Cesdeuxphrasesrsumentparticulirementbienlidologiefranaisedurantla colonisation :laFrancecommemrepatrie,reprsenteparunvocabulairechrtien bienveillances , aimer etleverbe rpandre .Parlamme,onobserveune ngationplusoumoins subtileduneculture,dunehistoire,voiredunehumanitnoire : la langue et [la] civilisation occidentale doivent les supplanter ; leur personne mme est dnigre,cestlaFrancededciderlamaniredontilsdoiventtreheureux.Lidede bonheurrappellelespremiersmissionnairescatholiqueschargsdediffuserlaparolede Dieu, sous couvert de sauver des mes si tant est quils en aient une, selon les croyances de lpoque- pour faire ainsi accder des sauvages ltat dhommes. Lauteurintroduitgalementdsledbutduromanlesdiffrencesentreles diffrentshabitantsduterritoirecolonisparlesFranais,lesnoirs-noirs,danslabouche du commandant de cercle : JaitediredefairetrsattentionauxToucouleurs.Ilssontfins,froces,etintelligents.Ils naimentpaslaFranceparcequellearuinleurhgmonie.Jelescomprends,maislintrtdela Francepasseavanttout.LesToucouleursnevoientenvousautresNoirsquedescaptifsbons vendre lencan comme du btail de fourrire. 1

Cetteanalyseducommandantmetenlumirelesrapportsdepouvoirenplaceavant larrivedesFranais ;lesToucouleurstaientlepeupledominantdanscettergionet commelesOccidentauxauparavant,marchandaientdesvieshumaines.Sansjustifierla colonisation, lauteur montre quelle nest pas lefruit des seuls occidentaux, point de vue asseznovateur.Eneffet,danslalittraturepostcoloniale,lauteuropposesouventdeux blocs :dunepartlesoccidentaux,modernes,conqurants,lespilleursetdautrepartles Africains, unis, tourns vers les traditions. A.H. B casse ce mythe de lAfrique homogne, danslaquellelespeuplesvivraientenparfaiteharmonie.Commedanstouteslessocits, onretrouveladiffrence,icimiseenscneparlesprjugsdesunssurlesautres,en loccurrencesurleurcaractreaveclestroisadjectifs,quianimalisentleToucouleur, prsentcommeunflin.Enoutre,onremarquelouverturedespritducommandantde cerclecarilfaitpreuvedecomprhensionvis--visdesPeuls,quecependantsafonction empche de soutenir. Son attitude est tout de mme assez condescendante envers Wangrin 1 Ibid., ed. cit., p.34. - 17 - car,lafindeleurentrevue,luioffrequinzefrancs aveclasuffisanceprinciredun grand de ce monde venant daccorder sa grce un besogneux. 1

LedeuximepersonnageauquelestconfrontWangrin,estlevieilinterprtedu commandant, Racouti. Bien qutant tous les deux des blancs-noirs, Racouti et Wangrin sontsensiblementdiffrents.Lepremierestunancientirailleurquisexprimepar consquenten forofifonnaspa cest--direlefranaisdestirailleurs-alorsquele secondparlelefranais toutneuf,couleurvinrougedeBordeaux 2.Unduelsengage entre les deux fonctionnaires, duel qui passe par la matrise de la langue. Trs vite Wangrin prend le dessus, bien que Racouti occupe une place plus importante, il est les yeux et les oreillesducommandant.Wangrintoutenayantrussisintgrerlafoisdansson nouveau poste, et dans sa nouvelle ville nest pas satisfait de ses conditions de vie, et veut gravirleschelonsdelasocit.Pourcefaire,ildoitformerdesalliancesavecdiverses corporations, il se fait admettre dans le plus grand waald de Diagaramba c'est--dire une association de classe dge, qui peut tre fminine ou masculine- ce qui lui octroie une protection ; et se fait adopter comme fils par Abougui Mansou : []legrandmanitoudeDiagaramba.Ilyfaisaitetdfaisaitlesaffairesvolont.Lechefde canton,pasplusquelecommandantdecercle,nypouvaitrien,ettoutlemondelesubissait passivement. 3

Pour parachever sa protection, il sattire les grces du grand marabout Tierno Siddi. Fort de ses soutiens, populaires,politiques et religieux toutes classes dge runies-, il est prt affronter Racouti. Si lon fait un rapide bilan de ces deux rencontres, on saperoit que le schma traditionnel estrenvers :Wangrin,nesopposepasaucommandantdecercle,reprsentantdela France,maissoncompatrioteRacouti,quiltented'vincer,avecsuccs.Evidemment, cela est motiv par la cupidit de Wangrin, qui veut profiter lui aussi au maximum de ses avantages de blanc-noir.De plus, contre toute attente, le commandant decercle traite son subalterneavecrespect,cequinevapasdesoidelapartdunblanclgarddun indigne. 1 Ibid., ed. cit., p.35. 2 Ibid., ed. cit., p.33. 3 Ibid., ed. cit., p.40. - 18 - Encequiconcernelamorale,quitoucheaussilamanirederendrelajusticedansune socit thme abord de nombreuses reprises dans le roman- on relve ce passage : A lpoque le degr de moralit dun individu se mesurait dune part limportance des services quilavaitrendulapntrationfranaiseet,dautrepartlasituationgographiquedesonpays dorigine.CestainsiquelesplusmorauxdeshommestaientlesEuropensblancs.Aprseux, venaient progressivement les Martiniquais et les Guadeloupens, puis les Sngalais autochtones des quatre communes Saint-Louis, Gore, Rufisque et Dakar-, les anciens militaires indignes et enfin, en dernier lieu, le restant de la population. 1

Lahirarchisationestbiendfinie,imposeparlaFrance,etneprenantenaucuncas compte de ce quelle tait avant son arrive. On imagine le degr de moralit , et le sort quiestrserv,unindividunappartenantaucunedestroispremirescatgoriesetne pouvant pas communiquer dans la langue de loccupant. Lechapitre 5 intitul o le malheur des uns fait rfrence au contexte historique de lpoque lors de la dclaration de la Premire guerre mondiale et de ses consquences. En effet,limagedelaFranceatfortementaffaiblie,ainsiquesonpouvoirauseinmme descolonies :Wangrinutilisecettepriodedeconfusionpourdtournerdegrosses sommes dargent, en loccurrence grce aux rquisitions de bufs. En voici lannonce faite par le commandant : LAllemagne vient dallumer les poudres en Europe. Son Empereur Guillaume II, veut dominer le monde.MaisiltrouveradevantluinotreFranceternelle,championnedelalibertetdudroitde lhomme.LaFrancedemandetoussesterritoiresuneaideenhommes,enpriresetenmatires premires.Legouvernementvientdinstituerlaloiderquisitionpourlemil,leriz,lesmatires grasses et les animaux de boucherie. Les prix des fournitures seront fixs par une commission qui se runira Koulouba. Toute personne qui, par ses actes ou ses paroles, entravera les rquisitions sera poursuivie et punie comme ennemie de la France. 2

Ce discours est tout fait reprsentatif de la mentalit de la France laube de la premire guerre mondiale : elle noffre rien ses colonies, et prend tout sous couvert de leffort de guerre. On voit bien lintransigeance dont fait preuve celle-ci vis--vis dhommes qui sont censssesacrifierhumainementetconomiquementpourunpaysquilesmprise.Les 1 Ibid., ed. cit., pp.49,50. 2 Ibid., ed. cit., pp.61,62. - 19 - contradictionsdecediscourssontflagrantes :lesafricainssontenglobsdanslegroupe nominal notreFrance aveclepronomdepremirepersonnedupluriel,alorsque, commenouslavonsvuprcdemment,laplupartdesindignesnontpaslestatutde citoyensfranaissaufexception-,ilssontdesimples sujetsfranais .Ilestdonc difficilepoureuxdesereconnatredanscettenationquilesasservitetdprouverun quelconquesentimentdepatriotisme.Delammefaon,lecommandantoppose GuillaumeIIetsapolitiqueexpansionniste,la Franceternelle ,alorsquecette dernireaeulammevolonthgmoniquelorsquellesestemparedesterritoires africains ; la priphrase championne de la libert et du droit de lhomme est donc tout faitinapproprie,voireinsultantepourlesAfricains.Celaest justifiquelquespagesplus loin,lorsqueleprotagonisteestconfrontlajusticesuitecettefameuseAffairedes bufs : WangrinsavaitgalementquuneaffairedanslaquelleunEuropensetrouvaitjustementou injustementimpliquseraitbiendifficiletrancherlacolonie.Sansdouteprfrait-ontouffer nimporte quel crime plutt que de condamner un Europen, plus forte raison si ce dernier tait un agent de lautorit. Il en allait du prestige des colonisateurs, et la politique mene en ce domaine ne sembarrassait pas de problmes de conscience. 1

Onrelvelimportanceducontrledelimagedescolonisateurs,reprenantla hirarchisationpardegrsdelamorale :ilfautabsolumentrespectercettesorte dimmunitdeshommesblancs.Cependant,ilnefautpaspenserquecesystmeest immuable et surtout sans faille : Wangrin, grce sa ruse, sa connaissance des hommes et utilisant linstruction que la France lui a donn gratuitement pour tromper ses suprieurs etvolersesconcitoyens 2,vaavoirgaindecausedanscetteaffaire,-faitextraordinaire pour lpoque alors quil est coupable rappelons-le. On est donc en mesure de se demander o sont les droits de lHomme et la libert si chre la France dans des situations telles que celle-ci, o la couleur de peau prime sur lthique.CommeonapuleconstaterlorsduverdictduprocsdeWangrin,lesEuropens, solidaires, font bloc face aux Africains, et ces derniers sont diviss. En effet, comme nous lavons voqu prcdemment, Amadou Hampt B, tel un ethnologue, rend compte de la 1 Ibid., ed. cit., pp.81,82. 2 Ibid., ed. cit., p.92. - 20 - situationsocialeetculturelledelAfriquedesontemps :lesrivalitsentrelesdiffrentes ethnies,lesconflitspolitiquesRomoSibdi,lennemijurdeWangrinquilrencontre dans le chapitre 9, intitul Lne et le miel , a fait partie de Fantirimori , c'est--dire linfanterie coloniale et avaitfaitpartiedecesjeunesgensquiavaientjurdefairepayerauconqurantYorsamles atrocitssansnomquilavaitcommisesdanslargiondeNoubigouquicomptaleplusdanciens militaires au Mali. 1

AmadouHamptB,danscetteparenthseconsacreauxmotivationsdeRomoSibdi lorsquil sest engag dans larme franaise, se dmarque de ses contemporains en mettant ledoigtsurdesfaitsquebiendautresauraientpassssoussilence.Eneffet,ilnerentre pas dans un discours essentialiste de lge dor de lAfrique, en exaltant un continent uni, tournversdesvaleurs,destraditions,danslequeldespeuplesviventenharmonie.Au contraire il montre que la colonisation et ses bvues ne sont pas le fruit des Europens. Ce sont des actes que lon retrouve sur tous les continents y compris en Afrique avant larrive desFranais,icimisenreliefparlepersonnagedeYorsam,quiamisfeuetsanglauteur parle datrocits gratuites - la rgion dorigine de Wangrin et de Romo Sibdi, luttant contre les habitants de Noubigoupour se tailler un empire, tandis que dun autre ct il guerroyait contre les Franais pour conserver les domaines conquis .2 Celanempchepaslauteurdemontrerlasolidaritafricaine,enloccurrence propos des lois dhospitalit, que met en uvre Romo Sibdi lorsquil reoit Wangrin chez luipourlapremirefois.Cestdailleurspartirdecemomentlquevaserveillerla cupidit latente de Wangrin, qui va vouloir dtrner son hte pour soctroyer les privilges quesafonctiondinterprteluiassure.Wangrinrencontresonnouveaucommandantde cercledeGoudougaoua,M.Quinomel.Celui-ci,commelavaitfaitlepremier commandantdecercleauquelavaiteuaffairelehros,utiliselexpression monami 3 pour sadresser Wangrin. Ce nest pas le cas de celui du cercle de Yagouwahi, suprieur de Romo Sibdi, Jean Gordane qui linterpelle dun bonjour Wangrin, [] sans aucune marquedesympathie 4.Cependant,cenestpasunemarquedhostilitenversWangrin, 1 Ibid., ed. cit., p.101. 2 Ibid., ed. cit., p.18. 3 Ibid., ed. cit., p.111. 4 Ibid., ed. cit., p.116. - 21 - simplement de la distance de la part de son suprieur hirarchique ;et lehros va tout de mmeparvenirgagnersa confiancepresquetotale 1.Levecteurqueconstituela langue est donc un moyen dascension sociale, elle lui permet dtre trait avec respect par lesadministrateurscoloniaux,dautantplusquilparleunfranaisacadmiqueetnonle franaisdestirailleurscommeRacoutiouRomoSibdi.Wangrindonnelimpression dtre un bon produit franais, form par lducation quil a reu lcole franaise. Pourrcapitulerlecadrepolitique,cultureletsocialdanslequelsedroulele roman, on relve dune part ladministration coloniale reprsente par des blancs-blancs et dautrepartlapopulationnoireenglobedanslesubstantif indignes ounoirs-noirs. Entrecesdeuxcatgories,setrouventlesblancs-noirs,dontfaitpartienotrehros.Nous avonsmontrquelauteur,-sansrentrerdansleschmatraditionnel blancs,mchants colonisateurs versus noirs,populationintgresoumise -,tablissaitunedescription dtailledelasocitdelAfriqueOccidentaleFranaisedelpoque,envoquantles mrites et les torts des diffrents partis. Parmi les Europens qui sefforcent de remplir leur fonction de la manire la plus honorable et humaine, on retrouve en plus des personnages citsprcdemment,linspecteurdesaffairesadministratives,CharlesdeBrire,charg denquter sur laffaire des bufs, dont lidal est de servir lhumanit en reconnaissant tous les hommes des droits gaux, inviolables, spirituels et sociaux. 2 ; ou bien encore le commandantdecercledeDioussola,ArnauddeBonnevaletc.Danslammedmarche lauteursoulignelestraversdecertainsAfricains,quinereculentdevantrienpour senrichir, parfois aux dpends de leurs compatriotes, comme cest le cas pour notre hros, maisaussidAbouguiMansou, lmedamne duprotagoniste,-rappelonsquilest lorigine de lide du dtournement de bufs en 1914, et ne manifeste aucune culpabilit, pasplusqueWangrin,enpriverlapopulation.Aunniveauplusgraveencore,on rencontre le personnage de Yorsam qui nest pas un personnage historique mais lallgorie de tous ces conqurants qui ont tyrannis les populations africaines. 1 Ibid., ed. cit., p.118. 2 Ibid., ed. cit., p.73. - 22 - Wangrin, carrefour de cultures. Lcumnisme de Wangrin : Nousvenonsdtudierlasituationsocialeetculturelleducadrepolitiqueet gographiqueduromanetmontrersurquelsmodessefaisaientleschangesentreles diffrentescultures.Wangrin,deparsonducationetsonparcours,cristallisecefait interculturel.Toutdabord,ilconvientderetracersonhistoire :ilestlefilsdunchefde provincebambara,etapasssonenfancedanssonvillagenatal,ensuivantlescoutumes animistesbambaras : Wangrinftdabordinitiauxpetitsdieuxdesgaronsnon circoncis,ThiebleninetNtomo,puis,sonadolescence,Ntomo-Ntori 1.Cestcette priode que sopre la premire fracture dans son parcours initiatique : il est rquisitionn pourtreenvoy lEcoledesOtages Kayes.Cettablissementnousexplique lauteurdansunenote,permettaitauxautoritsfranaisesdesassurerlasoumissiondes chefsounotablesdesprovinces.Ainsileursfilsrecevaientuneformationquileur permettaitdedevenirdomestiques,boys,cuisiniersoufonctionnairessubalternes : copistes, tlgraphistes, infirmiers. Les plus intelligents dentre eux devenaient moniteurs denseignement ,comme Wangrin, major de sapromotion. Bien que Wangrin quitte son paysdorigineetsafamillepourrecevoiruneducationfranaise,ilnesecoupepasdes traditions animistes : son pre le fait circoncire et initier au dieu Komo et ainsi lui permet dedevenirunhommeselonlescoutumesanimistesbambaras.Onrelvecettephrasequi est rvlatrice de ltat desprit du personnage : Wangrintaitfierdtre"Kamalen-Koro",uncirconcis,maisgalementfierdeseshabits dcolier, et en particulier de ses souliers confectionns par un cordonnier de France et de sa chchia rouge et ronde, agrmente dun pompon en soie bleue .2

Wangrinestdoncdansunentre-deux :dunctlestraditionsanimistesetmusulmanes, reprsentesparlacirconcisionetlachchiachapeauportparcertainspeuples musulmans-etdunautrectlamodernitimposeparloccidentaveclcolefranaise etleportdesouliers-notonsquelesAfricainsneportaientpasdesouliersencuir,ils allaient pieds nus ou chausss de chaussures ouvertes, et larrive des Franais ils ont t 1 Ibid., ed. cit., p.18. 2 Ibid., ed. cit., p.19. - 23 - surprisdecettecoutume1.Or,Wangrinnestpasdansunepositiondcartlemententre deuxcultures.Aucontraire,iljouitdesavantagesdesdeuxetenretiredelafiert.Cette phraseannoncedoncexactementlecomportementdeWangrinlgarddeladiffrence tout au long du roman : peu importe les dissimilitudes pourvu quil puisse en tirer du profit personnel.Certes,cettepositionnestpastrshonorablesurleplanhumaincarmotive parlacupidit,maisellealemritedabolirlesprjugs,lmentnonngligeable lpoque coloniale. Sansreniersonpenchantanimiste,ilseprteauxdiversritesbambaraspourse parerdeprotectionsmagiques ;Wangrindcouvreluniversoccidental,sonducation,sa religionetsurtoutsalangue,leFranais.Eneffet,Wangrinsemontreparticulirement dou en ce domaine, comme ne manque pas de le souligner lauteur non sans humour : IlavaitfaitlcoledeKayesetyavaitsibien,parat-il,apprisparlerlalanguefranaiseque, lorsquilsexprimerdanscedialectedemange-mil2,lesblancs-blancseux-mmes,nsdefemmes blanchesdeFrance,sarrtaientpourlcouter.Ilnefallaitpas,disait-on,moinsdedixanspour apprendre,imparfaitementdailleurs,lesgestessupportsduparlerfranais,dontvoicilesplus caractristiques :tendredetempsautrelecouenavant ;tanttcarquillerlesyeux,hausserles paules, froncer les sourcils ; tantt tenir les bras en querre, paumes ouvertes ; croiser les bras sur la poitrineetfixersoninterlocuteur,imprimerseslvresdesmouesdiverses ;toussoter frquemment, se pincer le nez ou se tenir le menton, etc. Ignorer comment ces gestes se combinent pour souligner les mots que la bouche grne, cest tomber dans le ridicule dit de "vieux tirailleur". Ce ne pouvait tre le cas de Wangrin, premier moniteur de lenseignement de Diagaramba. 3 . Cepassageopposeclairementle forofifonnaspa ,transcritdecettemanirepar lauteur : Mouss Lekko4l, poser ici, attendre commandant peler toi5. Tu froid ton cur6, commandantluipaspressjamais.Ccommeaavecgrandchef. 7,dontvoicila premireoccurrencedelabouchedeRacouti ;etleFranais toutneuf,couleurvin rougedeBordeaux queparleWangrin,etdontilmatriselescodesetlagestuelle.En 1 Sur le sujet, voir Cheikh Hamidou Kane, LAventure ambige, Paris : 10/18 (Domaine tranger), 1979. 191p. 2 Note de lauteur : Petits oiseaux qui, une fois au repos, gazouillent tue-tte sans scouter mutuellement. . A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.368. 3 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.26. 4 Note de lauteur : "Monsieur lEcole", c'est--dire "matre dcole" Ibid., ed. cit., p.368. 5 Note de lauteur : Appeler toi Ibid., ed. cit., p.368. 6 Note de lauteur : "Rafrachis ton coeur" (expression bambara), c'est--dire "sois patient" Ibid., ed. cit., p.368. 7 Ibid., ed. cit., p.29. - 24 - plusdelapprentissagedelalangue,Wangrinestconfrontunenouvellereligion,la religioncatholique.Eneffet,lEcoledesotages,ilestobligdallerlamesseetau catchisme. Mme si au dpart, il nadhre pas au credo catholique, il rvise ses prjugs dfavorables lgard de la religion chrtienne 1 lorsquil y trouve son compte. Wangrin place les diffrentes religions sur le mme plan, du moment o elles vont dans son sens, il leur donne du crdit ; cest la logique de profit quil applique tous les niveaux o se joue ladiffrence.LorsquelecommandantQuinomelluidemandequelleestsareligion, Wangrin lui fait cette rponse : Jenenaipasdebiendfinie[].Entantquinterprte,jedoismnagertoutlemonde.Aussi suis-je autant mon aise dans la mosque que dans le bois sacr des villages animistes. 2. De la mme faon, Wangrin faisait "Salame"3, mais cela ne lempchait point de recourir detempsautreauxdieuxtraditionnelsdesonterroiretauxmnesefficacesdeses anctres. 4.Wangrinestdoncbienlelieuderencontredediffrentescultures,religions etc.,maiscesdiverscourantsneselivrentpasbataille.Commedansunestuaire,ilsse croisentet se mlangent pacifiquement dans sa personne au nom du profit. Wangrin, bien que ntant pas particulirement croyant et connaissant limportance de la place consacre la religion dans la gestion des affaires politiques de lpoque, nhsite pas aller trouver le rvrend pre de la mission catholique de Mba lorsque le Comte duPont de la Roche dcide de lenvoyer sans autre forme de procs en prison : Le commandant, conscient de larbitrairedesamesureetredoutantletmoignageduprtre,setrouvatrsennuy.Il donnalordredelibrerWangrinimmdiatement 5.Cetpisodemontrecomment Wangrin parvient habilement utiliser une religion qui nest pas la sienne pour mettre en pril un administrateur qui, lui, ne peut se passer de lappui religieux pour faire valoir son autorit. Pour rsumer la posture de Wangrin face aux religions, on relve ce passage : Enttetteaveclui-mmesousuncielsipar,quellesforcesWangrinallait-ilinvoquer ?Les forces ancestrales ou celles des religions trangres ? Quoi quil en ft, il leur demanderait ce quil 1 Ibid., ed. cit., p.30. 2 Ibid., ed. cit., p.112. 3 Note de lauteur : Cette expression signifie quil accomplissait la prire musulmane, consistant en attitudes particulires du corps accompagnes de rcitations de versets coraniques . Ibid., ed. cit., p.373. 4 Ibid., ed. cit., p.170. 5 Ibid., et. cit., p.213. - 25 - avait toujours demand : tre inspir pour gagner beaucoup dargent et tre protg de ses ennemis, Blancs ou Noirs. 1. Le hros adopte donc une attitude dassimilation ou dintgration lgard de la diffrence et chaque lment nouveau auquel il est confront est rajout son panthon personnel. La matrise de la langue, cl du succs : Wangrin,enplusdtreuncarrefourdecultures :animiste,musulmaneet chrtienne, possde un autre atout majeur : le plurilinguisme. En effet, en plus du franais quil parle remarquablement bien, il matrise huit autres langues africaines : le bambara, sa languematernelle,lepeulou fulfulde ,ledogon,lemossi,ledjerma,lehaoussa,le baouletlebt,chaquelanguecorrespondantuneethniedummenom.Grcecette polyglossie,Wangrinpeut,sanssecompromettre,tirerpartidemaintessituationstant donn quil est le seul lien permettant la communication entre les divers clans. Une affaire desuccessionvapermettreWangrinde donnerlapleinemesuredesintriguesdontil taitcapablepourgagnerdelargent 2dansleschapitres1115 :lamortdeBrildji MadoumaThiala, lamido 3delaprovincedeWitouetdeGouban,unconflitdintrt sengage entre son fils Loli et le demi-frre pun du dfunt Karibou Sawali son successeur lgitimeselonlescoutumeslocales.Notrehros,ensaqualitdinterprteou Dalamina ,c'est--direle rpond-bouche ,ducommandant,enestlepremier inform. Il va alors chafauder son plan le plus gnial mais aussi le plus machiavlique de toutesacarrire.Enmenantundoublejeu,ilarrivenonseulementsatisfairelesdeux partis,choseimpensablevulescirconstancesdedpartquiseprtaientplusuneguerre civilequautrechose,maisgalementenretirerunepetitefortune,letoutavecles flicitationsdeladministrationcoloniale.Eneffet,selonlatraditionpeule,cestKaribou SalawiquidevraitporterleTurbanlquivalentdelacouronneoccidentale-maiscela heurte la morale des blancs qui veut que ce soit le fils qui succde son pre. Wangrin va jouer la fois de sa fonction de reprsentant du pouvoir, de sa connaissance des hommes et des codes associs chaque communaut. Par exemple, lorsquil arrive dans la concession de Karibou Sawali, sans descendre de son cheval, [il] salue de la main la manire des 1 Ibid., ed. cit., p.230. 2 Ibid., ed. cit., p.142. 3 Note de lauteur : "Lamido" signifie "commandeur" ou "roi" en langue peule (E.D. Wangrin, p.372). - 26 - Blancs 1puisrefuselachaiseexclusivitdesblancs-blancsounoirs-blancs,pourqui sasseoir mme le sol ou sur une natte est inconcevable- quon lui apporte et dclare Je ne suis pas dans un bureau mais chez un honorable frre, issu dune haute ligne. Je prfre masseoir comme tout le monde, sur une natte. 2. Wangrin dvoile ici au lecteur son talent demanipulateur :ilseprsente,hautain,commeunoccidental,puisrenielesmurs europennes pour mieux flatter et berner son interlocuteur en faisant mine dtre son gal. Puis il fait croire Loli que le commandant Gordane a ordonn lexhumation du corps de Brildjipoursassurerdesonidentit,cequiapoureffetdechoquerconsidrablementla famille. Il fait mine de se poser en intermdiaire pour plaider la cause du dfunt auprs du commandant,letoutmoyennantrmunration.Aprsavoirfaitcroireauxdeuxrivaux quiltaitleurallidanscetteaffairemontedetoutespices,illeurproposeun arrangement : Karibou reoit le Turban, et Loli la fortune de son pre. Wangrin, en jouant lacartedelexhumationmisesurlacroyancedesPeulsquitientaufaitquelesblancs-blancssontdterminsleur fairevomir[leurs]usetcoutumespour[les]gaverdes leurs. 3,saufquelexhumationnefaitpaspartie-aucontraire-desmurseuropennes, maiscommeilestleseullesconnatreildisposedunpouvoirlargi.Lui-mmese dsignecomme unvieuxcamlon 4tantilestcapabledesefondredanstousles milieux. De la mme faon dans un pisode ultrieur qui loppose encore une fois Romo Sibedi,ilvahumiliercedernierdevantuncommandantdecercle,enjouantsurla coutume :WangrininsultelamredeRomoenbambara,cequilemetdansunecolre noire le poussant injurier Wangrin, mais cette fois-ci en Franais, devant le commandant. Celui-ci ne comprenant pas la raction de Romo le rprimande et lui demande de traduire ce que lui a dit Wangrin en bambara ; or rpter une injure quivaut, pour la tradition, la profrer directement. Or, un fils ne saurait, pour tout lor du monde, insulter sa mre. Ctait l un acte des plus abominables. Ignorant cette coutume, Henri Tolber eut la certitudeque le pauvreRomontait quun jaloux accusateur etmme quelque peu dlateur. Il gronda svrement son nouvel interprte. 5 1 Ibid., ed. cit., p.145. 2 Idem. 3 Ibid., ed. cit., p.180. 4 Ibid., ed. cit., p.183. 5 Ibid., ed. cit., pp.242,243. - 27 - Voil comment Wangrin, grce sa matrise des langues et des codes, arrive se jouer de ses ennemis. Unautrepersonnagesecondaire,maisquiapparatcommeundoublemodelpar Wangrin,possdecettecapacit.IlsagitdeFaboukari,lefrrepundeWangrin,un ancien marin et de ce fait polyglotte comme son an, qui lui sert de couverture pour ouvrir une socit de commerce. Voici comment Wangrin le prsente : Faboukari afait sonservicemilitairedans la Marinefranaise. Il connat Marseille et Bordeauxcomme un rat connatson trou. Il a voyagsur presque toutes lesmers dumonde. Il a connu tous les pays du levant au couchant, des "eaux durcies" de lextrme nord aux pays perdus dans les immenses ocans de lextrme sud. Il parle le Franais, langlais, lespagnol et larabe et sept langues africaines, sans compter le bambara quil a suc la mamelle. Il connat lhomme, quil soit blanc, jaune ou rouge. Qui naurait t convaincu par une prsentation aussi dithyrambique des choses ! 1. Faboukari ne parle peut tre pas autant de langues que ce que dit Wangrin, comme vient le soulignerladjectif dithyrambique maistoujoursest-ilquilestbienlimagedeson an. Bien que Wangrintire les ficelles de cette entreprise Faboukari, fort de lexprience de son frre, sen tire admirablement bien et arrive mettre excution les plans de celui-ci.LesdeuxcomparsesparviennentaunezetlabarbedesEuropens,monterlaplus grande socit de commerce jamais dirige par des indignes supplantant toutes les grosses maisons de commerce franaises, soctroyant toutes les parts de marchs. NousvenonsdedmontrerqueWangrinestunproduitintercultureldeparsa formationspirituelle :ilestparnatureanimistecommesafamille,unsecondniveau musulman, la religion principale de son pays, et un dernier niveau il est chrtien dirons-nousdadoption.Cestroisreligionsloindeprovoquerunconflitenlapersonnede Wangrin,occupentchacuneuneplaceplusoumoinsimportanteselonsesbesoins momentans. De plus, sa polyglossie relve elle aussi du fait interculturel en le mettant en contactavecdiffrentesculturesetenluipermettantdedialogueravecchacunedelle, dapprendre ses codes, ses coutumes etc. Comme le signale Chiaria Molinari Wangrin est leseulquiparvienthabiterlalanguedelautre,lapprivoiseretdevinerenellela facult exprimer une ralit qui au dbut lui est trangre 2 . Grce cette capacit, il va 1 Ibid., ed. cit., p.233. 2 Chiara Molinari. Parcours dcriture francophone. Poser sa voix dans la langue de lautre. Entretiens. Paris : Lharmattan, 2005. 244p. - 28 - pouvoirmodifierlesystmecolonial,quinestpasuniquement,commeonauraitpule penser,subiparlesAfricains.Certains,commecestlecaspourWangrin,en sapprivoisantlalanguequiesticilemeilleurmoyendlvationsociale,influentsurla gestiondesterritoirescoloniss.Commeonnotetroisreligionsquisepartagentle panoramareligieux,ilenestdemmeaveclepanoramalinguistique.Toutdabordles langueslocales,commeleBambaraetlePeullesdeuxlanguesprincipalesauMali,dont nousavonsunexempledanslepremierchapitreaveclamlopematrimonialelorsdela naissance de Wangrin, suivie dune traduction de lauteur : WooywooyNyakuruba :atinti !denwolomanndiNYakurubadenceedenwolomanndi Nyakurubaatinti ! traduitpar Wooywooyo !Nyakuruba,pressefort !Lenfantementest laborieux, Nyakuruba. Lenfantement dun garon est laborieux, Nyakuruba. Presse fort ! 1 pour ce qui est du bambara. Puislalanguecoranique,bienquepeureprsentedanslouvrage,ontrouveseulement quelquesoccurrencescommelesformulesdesalutationsuiviesdunenoteexplicative comme Salaamualekum !Lapaixsurvous 2![]Aleykumsalaam !Etsurvousla paix !3 4.Evidemmentlefranaishexagonalacadmique,prsentdanslabouchedes Franaisetdeslettrs.Enfinlefranaisdestirailleursou forofifonnaspa quiest lappropriationdufranaisetladaptationdufranaiscorrect,surplusieursniveaux : grammatical, en"forofifonnaspa",lesverbesnavaientnitemps,nimodeetlesnoms, prnomsetadjectifs,ninombrenigenre. 5,etsurlesplansphontiqueetsyntaxique : Commandant y i peler toi 6 ou encore je faire planton ma commandant 7. Ce contexte linguistiquehtrogneestlaraisonpourlaquellelesinterprtesontunrledepremier plan dans le fonctionnement de ladministration coloniale. 1 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.14. 2 Note de lauteur : Formule de salutation que larrivant prononce lintention de ceux quil trouve sur place. Ibid., ed. cit., p.371. 3 Note de lauteur : Rponse habituelle la salutation de larrivant. Ibid., ed. cit., p.371. 4 Ibid., ed. cit., p.143. 5 Ibid., ed. cit., p.29. 6 Ibid., ed. cit., p.211. 7 Ibid., ed. cit., p.227. - 29 - Les diffrents univers symboliques. Amadou Hampt B, un fond culturel riche : Alimagedesonprotagoniste,lauteurHamptBestluiaussipolyglotteeta reudiffrentesducations :lcoleoraletraditionnelle,lcolecoraniqueavecson matrespirituelTiernoBokaretlcolecolonialeoccidentale,luiaussiayantt rquisitionn pour lEcole des otages. Cest pour cela que lorsquil crit, Hampt B fait appelplusieursuniversderfrenceouuniverssymboliquesdanssonroman.Celase manifeste par lhtrolinguisme dfini par Rainier Grutman en 1997 comme la prsence dansuntextedidiometrangers,sousquelqueformequecesoit,aussibienquede varits(sociales,rgionalesouchronologiques)delalangueprincipale. 1,quenous venonsdvoquerprcdemmentgrceaudiscoursdirectdespersonnages.Maisde manire plus gnrale, on peut dire que lauteur en posant sa situation dnonciation ne la rduitpasuneseuleculture.Ilmlerfrenceslalittratureoraleafricaine traditionnelleetlalittraturecriteoccidentaleauxculturesanimiste,coraniqueet chrtienne. De plus, cela passe par linsertion de fables, chants, de renvois des lgendes etc.Eneffet,lauteurpratiquelatechniqueducollageaccompagnedundiscours thoriqueouduncommentairediscursif,commecestsouventlecasdanslalittrature francophonepostcoloniale.Celapeutavoirpourconsquenceuneffetdtrangitvoire de surprise chez le lecteur occidental, peu familier cette culture. Cest le cas notamment dans le premier chapitreo la naissance de Wangrin est relate.Les scnes de naissances nesontpasensoisurprenantespourunlecteuroccidental,bienquepeusouventdcrites danslalittraturesurlemodecharnelcommecestlecasdansLEtrangedestinde Wangrin.Deplus,commenouslavonsnotplushaut,lauteurinsreunemlope matrimonialeenbambaraddieladessedelamaternitNykurubadslespremires pages du roman suivie de sa traduction et accompagne de notes explicatives. Mais ce qui est le plus droutant pour le lecteur ce sont les comparaisons et mtaphores qui rythment la progression du rcit : la future maman se tord comme une chenille arpenteuse 2, la tte dubbestmollecommeunufdesorcier3 1,pournenciterquequelquesunes.Ces 1 Dfinition reprise par J.M. Moura in. Littratures francophones et thorie postcoloniale, Paris : PUF (Quadrige), 2007. 185p. 2 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., pp.13,14. 3 Note de lauteur : La tradition dit que le sorcier, quand il est surpris par un soma (antisorcier), pond un uf tendre en signe de soumission. Ibid., ed. cit., p.367. - 30 - deuxcomparaisonsanimalesnerentrentenriendanslescanonsdereprsentationde laccouchementoccidentaux,beaucouptropprosaques,etappartiennentforcement luniversderfrenceafricain,iciprobablementbambara.Llmentquipeutparatrele plus choquant, et source de dcalage, dans la description de la mise au monde de Wangrin, estsansaucundouteladnominationduplacentaparlegroupenominal lespetits frres : Lenfant tait drap jusquaux paules dans un tissu de chair blanc et lger, souple et transparent. Satteentaitgalementcouverte,toutcommesilportaitunbonnet.Les"petitsfrres"ne tardrentpassuivre.Lavieillefemmeeuttoutlemaldumondecouperlecordonombilical reliantlenfantses"petitsfrres".Forcepourelledaller qurirleprede Wangrinquiattendait, assis lombre dun grand fromager, quon lui apportt des nouvelles. 2 Cepassageprendmmeunetournureburlesqueaveclamtaphorevestimentairequi apporte un effet de comique. Cependant, on retrouve des topos de laccouchement comme la sage femme qui est une vieille matrone dente et chenue 3, le futur pre qui se tient lcart,etle sempiternelvagissement 4dunouveau-n,maiscesontplusdesfaitsde socits que des conventions littraires. Etude du bestiaire : De la mme faon, le bestiaire fait appel limaginaire du lecteur car les rfrences animalespeuventnepasrenfermerlesmmesconnotationsquecellesauxquellesnous sommes habitus. En effet, Wangrin est de nombreuses reprises compar des animaux, au fur et mesure de ses aventures, et ces comparaisons sont le plus souvent cheval entre lesculturesafricainesetoccidentales.Ilfautsoulignerquelescomparaisonsanimalesne commencent qu la fin du deuxime chapitre lorsque Wangrin commence ses roueries, en loccurrencelorsdesonpremiercombatavecRacouti.Pourbiensaisircomment lvolution du protagoniste est lie au bestiaire, nous allons procder au relev de la faune rattacheaupersonnagedeWangrinprsentedansleroman.Onnotepourcequidela premire partie du roman, ltalon pour sa force (p.43), le silure pour son aisance dans les

1 Ibid., ed. cit. p.15. 2 Ibid., ed. cit., p.15. 3 Ibid., ed. cit., p.13. 4 Ibid., ed. cit., p.15. - 31 - milieux aquatiques (p.43), le livre pour sa ruse (p.69), la panthre pour son agilit (p.69), lpervierpoursarapidit(p.162),lelopardpoursoncaractrebondissant(p.162),la hyne pour sa vitesse un peu folle (p.163), le lion pour sa noblesse (p.167), et le camlon pour sa prudence et sa capacit se fondre dans tous les milieux (p.183). Dans cette partie, o la course de Wangrin pour atteindre la gloire est sur une pente ascendante, les animaux renvoientdesthmesassezlevsetfortementpositifs(enmajoritonretrouvedes animauxsauvagesdetailleassezgrande,carnivoresetrapides,laplupartvivantdansla savane).Sedessinealorsunpersonnagefort,empreintdenoblesse,vif,habileetrus. Wangrin est rgulirement prsent comme un chasseur poursuivant des proies ce qui vient corroborer les caractristiques des animaux, en particulier par rapport aux flins. En marge, on relve lexpression avoir plus de cordes son arc renforce par avoir plus de ruses dans sa tte que dans celle dun vieux livre la premire renvoyant aux archers du moyen ge,etladeuximetantsemble-t-ilassezuniverselleetquiseretrouvedanstousles folklores.Ladeuximepartieduromanquiconstitueleparoxysmedelacoursedu parcoursdeWangrinestrvlatricedelavulnrabilitduhros,bienquilnesenrende pas compte. En effet, la premire occurrence du bestiaire rencontre est une comparaison : WangrinsesentaitGoudougaouacommeunpervierencage 1 :lecomplment circonstancieldelieuquidnotelenfermementcontrasteaveclelexiquetrsvalorisant rattach au protagoniste. Cependant, cette image est trs vite contre balance par les tropes suivantes :Wangrinestassociautaureaupoursarudesse(p.217),lagrenouille dela fable poursavanit(p.225),lelouppoursonexprience(p.228),ilinvoquelui-mme dans une prire le camlon pour sa capacit dadaptation en toutes circonstances, lagneau poursoncharmeinnocent,lelionetlelopardpourleurfrocitetleursarmes destructrices(p.231),lecamanpoursacruautaucombat(p.254),etdenouveaula panthreet son caractre redoutable,ainsi que lpervier pour sa prcision dans lattaque. Commedanslapremirepartieonrevientdesanimauxsauvagesdonnantunecertaine bestialitauhros,avecunegradationdanscettedeuximepartie.Onnotetoutdemme desfaillesaveccommenouslavonsconstatlpervierquiinduitquelechasseuresten train de fabriquer son propre pige, mais galement la grenouille qui comme nous le dit la findelafable,quivoitsasuffisanceseretournercontreelle.Cesdeuxdernierslments fonctionnent comme des annonces des msaventures qui guettent Wangrin. Pour ce qui est 1 Ibid., ed. cit., p.215. - 32 - du dernier tiers du roman, on remarque une diminution sensible de rfrences au bestiaire, commesilepersonnagetendaitlafoisversunehumanisation,quineloublionspasse fait par la dchance, et la fois vers une dpersonnalisation : en effet, ce sont ces attributs quifontlaforcedeWangrin,quiluidonnentdelaressourcepourarriversesfins.Le bestiaireseffacepourlaisserplacelaluttequeselivrentsesdeuxconsciences,son double-espoir etson double-objectif .Enmargedeceux-ci,Wangrinpossdeun doublesymboliqueanimal,unpythonsacrquihabiteson Tana 1,quiltue involontairementdanslechapitre30intitul Deuximeettroisimeavertissement : loublifatal,lepythonsacr :suitecetincident ilpouvaittreconsidrcommeun "suicidinvolontaire" 2.Apartirdel,Wangrinsombredanslafolie,tatpropre lhomme,cestpourquoiilnestpluscompardesanimaux.Wangrin,dansundernier lan de fiert dclare appartenir la race des oiseaux de proie 3 et ne peut en aucun cas accepterqueTenin,sabelle-filleetsoncompagnonlesortentdesamisre.Wangrinne parleplusdecequilestauprsentmaisbiendesesoriginesvoqueparlesubstantif race , et dans ce cas prsent il nest plus acteur mais objet des sollicitudes du couple. En outre, il parle dune espce engnral et non dun oiseau en particulier comme lpervier abordprcdemment.Enplusdelafolie,lesubstantif philosophe 4vientaccentuer lhumanisationWangrin.Ildevientunesortedesage,unconteurpublicnarrantses aventures rocambolesques et rapportant les fables et les contes quil avait recueillis tout aulongdesavie 5.A.H.Bfaitunedernirefoisrfrenceaumondeanimalpour illustrer les diffrentes phases de dpendance lalcool par lesquelles passe Wangrin dans lavantdernierchapitre Lestroissangsetlamort .Lepremierstadeestceluide lagneau,quiprovoqueeuphorieetdocilit : Jelebusetjevisunagneauquime communiquasagait.Jelesuivisenbondissantdanslaplainedelajoieetdubon apptit. 6proposdupremierverredeWangrin.Ledeuximeverreestlentrerelle dans le vice, Wangrin le dcrit ainsi : Je le bus et cessais dtre agneau, ou nophyte de grade mineur. Je devins majeur, car je venais de boirelesangdulion.Jeneriaisplus,maisjerugissais ;jenegambadaisplus,jebondissaisde 1 Ibid., ed. cit., p.327. 2 Idem. 3 Ibid., ed. cit., p.346. 4 Ibid., ed. cit., p.348. 5 Ibid., ed. cit., p.346. 6 Ibid. ed. cit., p.352. - 33 - colre, semant autour de moi de la terre. Je tuais mon honorabilit, je dchirais mon argent coups de crocs et de griffes. Jtais tel un roi en furie, tel un lion noir de Danfa Mourga. 1

Lisotopiedelexcsressorticitrsnettement,etcontrairementcellesquelonapu rencontrerauparavantelleesticisourcedemalheur,etdtruittoutcequeWangrina construitparlepass :safortuneetsarespectabilit.Wangrinsombrefinalementdansla dchancelaplustotale,symboliseparleporc,lachoselaplusdgradantepourles musulmans : Et de mon plein gr, jarrachais le troisime verre de Boisson, verre rempli du sang du porc, grade majeuretextrmedanslahirarchiedelivrognerie.Jebusceverrefatidiqueetdevinslecochon puant et grognant que vous avez devant vous. 2

BienqueMadameTerreausoitlinstigatricedeladpendancealcooliquedanslaquelle tombe Wangrin, il se dcrit comme responsable : il est le sujet, avec la premire personne du singulier devant des verbes daction forts, en particulier le verbe arracher , renforc par la locution de mon plein gr . Il ne rejette donc pas la faute sur Madame Terreau, il sereconnatcommeseuletuniqueresponsabledesesactes,etcomprendquilsigneson arrtdemortavecladjectif fatidique .Deplus,onnotequelalcoolestpersonnifi avec la majuscule au nom Boisson , quil compare une matresse, lorsque plus haut il lappelle MadameBoisson .Cerappeldelasymboliquemusulmaneproposde lalcoolconstitueunesortedacm,puisquelissuedupamphletdeWangrin,les lments se dchanent, une tornade clate, donnant la scne un caractre apocalyptique, etWangrincherchantunendroitpoursemettrelabrimaistropsaoulpouryarriver, tombedansunfossetmeurtralisantainsilaprophtie :ilmeurtseulloindessiens. LengrenagedanslequeltaittombWangrinestdoncparvenusonterme,sondestina suivisoncoursjusqu'sonterme.Ledernierchapitre Ladieu estlhommagepost-mortemprononcparlinconditionnelrivaldeWangrin,RomoSibdipourquiWangrin na jamais cess dtre un Etalon humain3 . Grce Romo, Wangrin retrouve lhonneur 1 Idem. 2 Idem. 3 Note de lauteur : C'est--dire lHomme dans toute lacception du terme, celui qui est Homme pour lui-mme et qui, son tour, formes dautre hommes. Ce terme comporte aussi une notion chevaleresque. Ibid., ed. cit., p.379. - 34 - quilavaitnoydanslalcool,danscettelocutionnominalequivoqueenplusdela dignit, une certaine noblesse rattache la race des quids.Pour conclure, on note que lutilisation du bestiaire et mme la profusion de celui-ci participedelacultureafricaine.Deplus,lesanimauxquelonyretrouvesontleplus souventdesanimauxgographiquementsitusdanslasavane,maislessymboliquesqui leur sont propres sont tout fait comprhensibles pour un lecteur occidental, du fait de leur caractre universel. Lauteur joue donc cheval sur les deux cultures comme le montre la phraseprononceparDiofolechefdescaptifsdecase1delafamilleBrildjiMadouma Thiala, pour rappel le chef de province dont Wangrin rgle malicieusement la succession : Je ne suis nidiable, ni lutin, ni dmon, ni factieux, ni farfadet. Je suis ton dimadjo2. Je suisDiofo. 3.Cettenumrationdepersonnagesfantastiquesfaitappellaculture occidentale.Eneffet,leslutinsetlesfarfadetssontdeslmentsdufolklorefranaisdu moyengeetseretrouventdansunegrandepartiedelEuropenordiquesousdautres appellations4.Quantaudiableetaudmoncesontdesfiguresmalignesprsentesdans touteslescultures.Lauteurnaviguebeletbienentreplusieurscultures,prenantlesoin lorsquecestncessairedexpliqueraulecteurdestermes,descoutumesoudeslgendes faisant partie de limaginaire collectif africain. De la mme faon, il nhsite pas utiliser desimagesfaisantrfrencelareligionchrtienne,commelorsqueWangrinparlede notrepreAdametsonpousemamanEve compareRomoAdametlui-mme lange-gendarme 5quileschassedelEden.Ladjectifpossessif notre montre lappropriation de la gense chrtienne, de la mme manire que la tournure son pouse maman Eve et le groupe lexical ange-gendarme sont des inventions de Wangrin. LEtrangedestindeWangrin,estdonclamiseenscnederencontreetde cohabitation de plusieurs cultures, par le biais de la colonisation mais pas uniquement. En effet,lauteurnersumepaslAfriqueunpeuple,aucontrairecommedanscesautres 1 Ce terme est expliqu prcdemment par lauteur dans une note ; les captifs de case sont des anciens esclaves, dont on ne peut situer dans le temps lorigine de lesclavage. Ils sont devenus les serviteurs attachs une maison ou une famille. Traditionnellement, leur statut leur confre de grands droits : ceux, notamment, de grer les biens de leurs matres, dduquer leurs enfants, etc. Ils sont considrs comme faisant partie de la famille et portent dailleurs le nom de celle-ci. Idem. 2 Note de lauteur : "Dimadjo" (pluriel : rimayb) : captif de case chez les Peuls. Le Dimadjo, chez les Peuls, a parfois plus dautorit sur la famille de son matre que le fils an de celui-ci. En outre, il nest pas alinable. Idem.3 Ibid., ed. cit., p.158. 4 Source : Dictionnaire encyclopdique Quillet. 5 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.105. - 35 - ouvrages,enparticulierdanssonautobiographieAmkoullel,lenfantpeuletOuimon commandant !,ildpeintlecadredanslequelsestinstallelacolonisation,avecles diffrentesethnies,culturesetlanguesquitaientprsentessurleterritoirequideviendra lA.O.F. avec loccupation franaise. Comme nous lavons constat, A.H. B ne rentre pas dans le manichisme que lon peut rencontrerchez dautres auteurs, le mal est prsenten lhomme quil soit noir ou blanc, et mme si lacolonisation a t subiepar les Africains, ils ont eu des moyens dactions pour lutter contre elle et celle-ci sest adapte en fonction des diffrentes rgions ou elle sest installe, en fonction des coutumes, des langues En outre, elle a apport des choses aux Africains, comme la langue franaise, dont Wangrin a su admirablement bien tirer profit et ainsi supplanter des Europens de souche ou blancs-blancs,entreautresdanslecommerce,etainsivoluerdanslehirarchiesociale.Pour reprendreladnominationparsynecdoque :blanc-blanc,noir-blanc,etnoir-noir,onpeut voirqueWangrindmarreleromandanslacatgorienoir-noir,suitesascolarit lEcoledesOtages,ildevientunnoir-blancentravaillantpourladministrationfranaise, etenfin,mmesiparlaforcedeschosesilnepeuttreunblanc-blanc,ilsesitue socialement au dessus de cette classe, ou du moins dune grande partie, de par sa fortune, soncommerceetlepouvoirquilacquiertaufuretmesuredesesroueries.Enoutre, Wangrindeparsaformationetsafonctiondinterprteestlacroisedediffrentes languesetcultures,misesenscneparlauteur,quineselivrentpasbataille,maisse rencontrent ;delammefaonquelesdiffrentsuniverssymboliquescohabitent,par lvocation du bestiaire, dans luvre et obligent le lecteur faire un incessant va-et-vient entre sa culture qui lui est familire et une autre plus trangre.- 36 - LEtrange destin de Wangrin, une uvre hybride. Entre traditions littraires africaines et occidentales. Interfrences gnriques : LEtrange destin de Wangrin, est le seul roman crit par Amadou Hampt B. Ce dernier,limagedesonhrosestsanscesseetdepuissonplusjeunegeconfront diffrentes cultures. Premirement, son origine peule : comme il le dit lui-mme, les Peuls etcestl[leur]originalitprofonde,[]traversletempsetlespace,traverslesmigrations, les mtissages, les apports extrieurs et les invitables adaptations aux milieux environnants, ils ont surrestereux-mmesetprserverleurlangue,leurfondcultureltrsricheet,jusqu'leur islamisation, leurs traditions religieuses et initiatiques propres, le tout li un sentiment aigu de leur identit et de leur noblesse. 1. Cependant, Hampt B est issu dun double lignage : dune part, les Peuls du Macina (la rgion de la boucle du Niger au Mali) et dautre part, les Toucouleurs : Le "peuple toucouleur" nest [] pas une ethnie au sens exact du mot mais un ensemble dethnies soudesparlusagedelammelangueet,aufildutemps,plusoumoinsmlesparvoiede mariages. 2. Ces deux prcisions sur les origines de lauteur permettent de mettre en avant le caractre mtisdecelui-ci.Mmelesdeuxpeuplesauxquelsappartiennentlesmembresdesa famille, ont des origines diverses, quil nest pas toujours facile de situer. Cela nous amne envisager lampleur du fond culturel dont dispose lauteur lorsquil crit LEtrange destin deWangrin.Deplus,ilnefautpasoublierquelercitdelavieduhrosluiatcont oralement par le principal intress, quil a complt avec les tmoignages de gens layant ctoy.DanslaprfacedelarevueNotrelibrairieconsacrelalittraturemalienne, Hampt B pose cette question fondamentale : 1 A.H. B, Amkoullel lenfant peul, op. cit.,p.19. 2Ibid., op. cit., p.21. - 37 - Mais aprs tout, quest ce que la littrature,sinon de la parole couche sur le papier ? Quelle ait tdaborddclameavantdtrerecueillie,ouquelleaitclosdanslesecretdelapenseavant dtre consigne, la parole nest-elle pas, de toute faon, mre de lcrit ? 1. Cesdeuxlmentsprisencomptenousamnentnousinterrogersurlecaractre fondamentalement hybride du roman. En effet, le roman ne peut se rduire aux contraintes gnriques occidentales. Le roman est un genre import de lEurope, via les colonisateurs, quelescrivainsafricainssesontapproprisenmlanttraditionsoralesafricaineset traditions romanesqueseuropennes. Nous allons donc tenter de dgagerdans cette partie les lments qui font de LEtrange destin de Wangrin, un roman divis, hybride. Parhybride,nousentendons quinappartientaucuntype,genre,styleparticulier, quiestbizarrementcomposdlmentsdivers 2.Ilsagitdoncdemettreenreliefles diffrentsapportsauromanprsent,ainsiqueleseffetsdintertextualit.Pourcefaire nousprendronsappuisurlenumroconsacrlalittraturemaliennedelarevueNotre Librairie, rdit en 1989, qui se penche sur les diffrents genres prsents dans la littrature africaine.Toutdabord,letitre :LEtrangedestindeWangrinouLesRoueriesdun interprteafricain.Celui-civoquelegenreduconteaveclamiseenavantdunhros quiilarrivedenombreusesaventures.Ceciestconfirmparlaprsenceimportantedu bestiaire,quirythmelesaventuresduprotagoniste.Lintroduction,quinarrelorigine mythiquedupaysnataldeWangrindplaceleromanducadrerelpourluidonnerun caractre fabuleux, lgendaire : DovenaitWangrin ?Wangrinnaquitdansunpayslafoisancienetmystrieux.Unpaysoles pluies et les vents, au service des dieux, croqurent de leurs dents invisibles et inusables les murailles des montagnes, crant, pour les besoins de la cause, un relief plat en mme temps que monotone. 3 Cepassageconstituelouvertureduroman ;onrelveuneisotopiedumytheavecles adjectifs ancienetmystrieux , invisibles ,lenom dieux etleverbe crant , pourexpliquerlaformationdupaysage.Delammemanire,lemodesurlequelest prsentlehrosvoqueceluidescontes.Eneffet,ledestindeWangrinrappelleune 1 Notre Librairie, numro 75-76, consacr la Littrature malienne, p.7. Redition 1989. Paris : Revue du livre : Afrique, Carabes, Ocan, Indien, CLEF. 251p. 2 Extrait du Trsor de la Langue Franaise informatis. ATILF, analyse et traitement informatique de la langue franaise. 3 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.11. - 38 - courbe typique du conte avec une ascension semblable au hros de Petit Bodiel (du mme auteur), qui dure tant que persiste la protection des dieux, puis dcline par la faute du hros grisparlorgueil.Delammefaon,lercitfaitofficedexempletoutcommeleconte quimetenscneunpersonnageauquel,lorsquilsloignedudroitcheminicides traditions ancestrales- arrive toute une srie de malheurs. Ce personnage prend ici le visage dudcepteur,lmenttypiquedanslescontesafricains.Letermedcepteurestun nologismeformparC.Lvi-Strauss,pourtraduiredelanglaislenom trickster ,qui dsigne un personnage moiti hros civilisateur, moiti dmiurge maladroit 1, qui use de larusepourjouersestours.Celle-ciestambigecarpeutrenfermerdesconnotations positivesoungativesetenmargepermetdenombreuxrebondissementsnarratifs.Cette ambigut est tout fait reprsente par Wangrin, alli au dieu des contraires Gongolama-Sook, qui laide trouver de la ressource pour arriver ses fins. En effet, dans la tradition africaine,laruseestsynonymedintelligence,voiredegnie.Elleesticidoncfortement positive puisquelle permet Wangrin de se jouer des contraintes sociales, administratives, culturelles, etc. pour senrichir et slever dans la hirarchie sociale. De plus, on remarque que, bien que ses roueries soient motives par la cupidit, il ne vole que des riches, blancs ounoirspeuimporte,et prendtoujourslesoindedispensersesgrcesauxplusdmunis. Sestoursdeviennentsiclbresilluiarrivemmedeprvenirsesvictimesdesa prochaine tromperie- quelles prennent un nom spcifique, form sur celui de Wangrin, ce sont des wangrineries 2. Wangrin sinscrit donc dans la tradition du dcepteur africain, il enpossdelambivalence,legotmarqupourlatransgressionetoccupeunefonction dans la socit. Wangrin, en mlangeant friponnerie et esprit chevaleresque branle lordre du monde colonial. De la mme manire, on note une forte mise en avant du hros qui est le plus souvent seul, confront la masse. Celle-ci relve tant du conte que du roman dapprentissage, les deux ayant des caractristiques communes. En effet, ds le dbut du rcit, Wangrin semble sedtacherducommundeshommes.Lechapitre1,narrantlanaissancedeWangrin souvre ainsi : Ctaitlpoquelapluschaudedelanne,etilfaisaitpluschaud,cedimanchel,quenaucundes jours prcdents. Aussi, quand le soleil atteignit le plein milieu du ciel, toutes les ombres se rtractrent. 1 Jacques Chevrier, La ruse dans LEtrange destin de Wangrin , in Lectures de luvre dHampt B. 2 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.304. - 39 - Chacuneseretranchasouslepieddelobjetdontelletaitissue.Aumaximumdesonardeur,lesoleil brillait,luisaitetaveuglaithommesetbtes.Ilfitbouillitcommeunemarmitelacouchegazeusequi enveloppait la terre. 1

Lesoleilestdsignpardessuperlatifsetonremarquequilestauznith :ilfait preuvedesasuprioritsurleshommesquilcrasedesachaleur.Alorsquetousles hommes,englobsdanslepronomindfini chacune ,seterrentpourchapperla torpeur, une femme met au monde un enfant, Wangrin. Celui-ci, au moment o il nat, est djencontradictionaveclesautreshommes :lemouvementdelexpulsiondubb trancheradicalementavecceluidesombresquivontverslededans.Lanaissancede Wangrin au moment du znith le rattache directement lastre du soleil, dont il imitera la course :ilsuitpourcommencerunepenteascendante,puisarrivesonacm,etenfin retombe dans un mouvement descendant. De plus, lorsque que le petit Wangrin pousse le sempiternel vagissement pour annoncer son entre dans ce monde droutant o chacun vit auprixdemilleetuneindispositionsetdontpersonnenesortiravivant 2,ilestde nouveauopposaupronom chacun ,commesilnallaitpassouffrirdeces milleet uneindispositions .OnretrouvecetteoppositionWangrin,faceaupronomchacun,en particulierdanslesecondchapitre,lorsdesonarriveDiagaramba.Onnotequatre occurrences: chacunvenaitl ; chaquehomme ; chacunsemettait 3et alorsquechacun,Eldika,tait occupmcherdelacolaetconverser,onvitdboucherunconvoidecinqporteurschargsde bagagesficelslamanireeuropenne,suivisduncavalier.Cedernierportaitunevestekakisurun pantalon bouffant et coiff dun casque conique appel "casque colonial" 4. Les quatre indfinis reprsentent la coutume, des hommes qui achtent puis mchent de la cola,commecelasefaithabituellement :alorsqueWangrin,etsonarrive loccidentale perturbentlebondroulement,etsedtachedestraditions,commele montre ce passage : 1 Ibid., ed. cit., p.13. 2 Ibid., ed. cit., p.15. 3 Ibid., ed. cit., p.23. 4 Ibid., ed. cit., p.25. - 40 - Wangrinprit-ilsubitementconsciencedesonimportanceoubienlacoutumedesblancs-blancs laquelle il tait rompu, prit-elle le dessus sur lui ? Quoi quil en ft, au lieu de rpondre la manire africaine,ilsecontentadeleversamaindroite,aupoignetdelaquellependaitunelanireenpeau dhippopotame,labaissantensuiterapidement.Ilrptacegesteplusieursreprises, laccompagnantchaquefoisdunmouvementhautaindelatte.Alavrit,Wangrintaitaussi son aise pour rpondre " leuropenne" que laurait t un blanc-blanc ayant suc le lait tide dune BlanchebiennedeFrance.CestainsiqueWangrintraversapourlapremirefoislavillede Diagaramba. 1

Lopposition est clairement nonce avec la locution adverbiale au lieu de qui marque laruptureentreWangrindevenuunnoir-blanc,etlesmursafricaines.Enoutre,on remarquequeWangrinesttrssouventassocidessuperlatifsoudescomparatifsde supriorit,cequivientrenforcersoncaractreunique,part.Lorsquilestcompar Romo, il est un auxiliaire plus apte [...], mais aussi plus astucieux et plus audacieux. 2. Cettesuprioritestencoreunefoislielamatrisedelalangue,maisellevautdans beaucoupdautresdomaines.Cettefortemiseenavantduhrosconfrontdemultiples preuves en faisant lexprience de la vie sociale dans les territoires coloniss rappelle les caractristiquesduromandapprentissageoccidental,bienquonlesretrouvegalement danslescontesinitiatiquesafricains.Cesderniersfontpartieduvasteensemblequesont les textes initiatiques africains dont P. Baba et F. Couloubaly proposent une approche3 : Les"textesinitiatiques",obissantladoubleexigencedelesthtismeetdelsotrisme,semblent avoir pour mission fondamentale de relier la socit ses origines lorsquils ne se prsentent pas comme des techniques cathartiques orientes vers la scurisation de lindividu. . Cestsurtoutlasecondepartiequicorrespondraitplusnotreouvrage,bienquele caractresotriqueseretrouvedanslintroductionmaissycantonne-,ainsiquenous l'avons cite. Enoutre,Wangrinpeutfairepenserunhrospicaresqueausenslargeduterme,du faitdesacapacitrusersesadversaires.Leromanpicaresquebienqutantungenre occidental,prsentedessimilitudesavecnotreouvrage :prdominanceduthmedu marginal rus qui, face une socit hostile, a recours diffrents masques pour sadapter 1 Ibid., ed. cit., pp.26,27. 2 Ibid., ed. cit., p.114. 3 Notre Librairie, loc. cit., p.59. - 41 - auxsituationsauxquellessavieleconfronte.Certes,Wangrinnestpasissuduneligne misrable,aucontrairesonpretaitroi,maisonpeutconsidrerquilestdebasse extraction sociale dans le sens o il fait partie de la classe des noirs-noirs dans cette socit coloniale.Wangrinestdoncenmargedescodespropreslaclassedominante,celledes blancs-blancs,etaspireamliorersaconditionsociale,viadesmoyensplusoumoins respectables.Cependant,ilprendviteconsciencequesaruseassociesamatrisedu Franais, est son plus grand atout. De plus, on peut le voir comme une sorte dantihros par certains gards : tous ses desseins sont motivs par la cupidit et la recherche de pouvoir. Il finit tout de mme par se repentir la fin du roman, et se pose en position dexemple ne pas suivre lorsquil raconte ses aventuresextravagantes aux passants.Lercit prend donc une intention morale et didactique dans cette dernire partie. Parcertainslments,LEtrangedestindeWangrinpeutgalementfairepenserau genrepique.Eneffet,leterme pope vientdugrec pos quisignifieparoleet poiein faire. Lpope consiste donc raconter des faits caractre pique. De part son tymologie,lpopeserapprochedestraditionslittrairesafricaines,danslesquelleson retrouvedesvnementsrentrsdanslalgende,transmisparlaParole.Rappelons galement que les premires popes, grecques par exemple, avant dtre mises par crit se transmettaient par la voie orale. De plus, le rcit en lui-mme partage des caractristiques communes avec lpope : un personnage masculin avec des qualits presque surhumaines, quisedistinguedesessemblablesparsavaleurbienquelelavertunesoitpasletrait principaldeWangrin,tousluireconnaissentdugnie.Ilaffronteunpouvoiroudes puissancesquiaprioriledpassentlargementenloccurrencelepouvoircolonial reprsent par les dieux de la brousse , qu'aucun autre indigne navait os affronter avantWangrin.Lehrosdevientalorsporteurpourtouteunecommunautentriomphant dupouvoir,mmesicommepourWangrincelasesoldeparunedfaite.Laprsence dhyperboles,dequalificatifsmlioratifs,maisaussilaforteprsencedlmentsqui relventdusacricilesrfrencesauxcroyancesanimistes-peuventgalementfaire converger le rcit avec le genre pique. Pourterminersurce patchworklittraire selonlaformuledePierreNDa1,les rapports quentretient Wangrin avec son destin rappelle par certains gards la tragdie. En 1 P. NDa, LEtrange destin de Wangrin, un trange roman. Du texte dbrid au patchwork littraire . In Amadou Hampt B, homme de science et de sagesse, sous la dir.dA. Tour et N.I. Mariko. Bamako : Nouvelles ditions maliennes, 2005. 350p. - 42 - effet, ne serait-ce que dans le titre avec le substantif destin lafatalitest prsente tout aulongdurcit.Dsledpart,danslepremierchapitre,ontrouveplusieursprsages effet dannonce. La premire, juste aprs la naissance de Wangrin, est faite par le forgeron duvillage,censreprsenterledieuKomoquiluidonnelacapacitdeprdirelavenir lorsquil revt ses attributs : LeKomoannonaauprequesonfilssesingulariseraitetbrilleraitdanssavie,maisquilnavait point vu sa tombe au cimetire de ses anctres. Cette prdiction laissait entendre que Wangrin mourrait ltranger, loin du pays natal. 1

Lecaractreprophtiqueestvoquparleverbe annona etlesubstantif prdiction . Quelques pages plus loin, on retrouve un second prsage fait par le chef de crmoniedecirconcision,leSma,lorsdelallianceentreWangrinetGongoloma-Sook : Toi, mon cadet, tu russiras dans ta vie si tu te fais accepter par Gongoloma-Sook, et cela tant que lapierredalliancedecedieuseraentretesmains.Jeneconnaispastafin,maistontoile commenceraplirlejouroNtubanin-kan-fin,latourterelleaucoupcercldemidunebande noire,seposerasurunebranchemortedunkapokierenfleuretroucouleraparseptcrissaccads, puissenvoleradelabranchepourseposerterre,surlectgauchedetaroute.Apartirdece momenttudeviendrasvulnrableetfacilementlamercidetesennemisouduneguigne implacable. Veille cela, cest mon grand conseil." Le rcit qui va suivre verra lexacte vrification de cette prdiction. 2

Effectivement,lelecteurassistelaralisationpointparpointdecetteprophtiedansle dernier tiers de louvrage. La fatalit est donc un lment cl dans le droulement du rcit, avecdemultiplesprolepsescommecelledanscedernierextraitdanslequellegroupe verbal onverra dnotelaprsencedunarrateurquivientinformerlelecteuretcrant ainsi une certaine connivence. De plus, Wangrin est ds sa naissance et tout au long de sa vie, associ lastre du soleil, symbole de la toute puissance des lments sur lhomme. De la mme manire que le soleil ne peut se soustraire sa course, Wangrin suit le destin qui lui est trac. 1 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, ed. cit., p.17. 2 Ibid., ed. cit., p.22. - 43 - Un roman polymorphe : Aprsavoirtudilesdiffrentsgenresousousgenresauxquelslauteurfaitdes empruntsdansLEtrangedestindeWangrin,onpeutsedemanderdansquellemesureparler de roman est pertinent alors que nulle part, ni sur les pages de couvertures, ni dans lavertissement,nidanslintroduction,onneparlederoman. 1Effectivement, dansce livre,onestsensiblelclatementdesfrontires,aucroisementouaumlangedes formes,desgenresetdeslanguesdansladiscursivisationromanesque.ChezAmadou Hampt B, en effet, il ny a pas de limite, de cloison tanche entre les formes littraires, lexemple du rcit traditionnel oral africain o le conteur ou le griot ne se soucient gure de faire un rcit unifi, conformment des rgles tablies. 2. En effet, il faut prendre en compte deux faits. Dune part, le rcit lui a t cont par le protagoniste lui-mme au son duneguitaredontjouaitexcellemmentetinfatigablementDieli-Madi,songriot 3et lauteurafidlementrapportlesparolesdeBenDaoud.PourAmadouHamptB, lorsquon restitue un vnement, le film enregistr se droule du dbut jusqu la fin en totalit. Cest pourquoi il est trs difficile un Africain de ma gnration de "rsumer". On raconte en totalit ou on ne raconte pas. On ne se lasse jamais dentendre et de rentendre la mme histoire ! La rptition pour nous, nest pas un dfaut. 4. On comprend pourquoi il lui est impossible de retailler le rcit pour le plier aux contraintes gnriques occidentales duroman.Dautrepart,commeilsedcritlui-mmeilestungrandinitidelatradition orale, de la Parole. Il nous livre un rcit romanesque, mi chemin entre la Parole diffuse par lesgriots et les conteurs traditionnels,et lesromans europens quila pu lire.Il mle donc lapratiquedudiscoursoralafricainetlefficacitdelatechniquenarrative occidentale. 5.OnretrouvedoncbiendeslmentsduromandansLEtrangedestinde Wangrin, qui rappellent entre autre le roman historique. Comme nous avons pu le constater audbutdecetexpos,lauteurnouslivredesdonneshistoriques.Eneffet,lercit sappuiesurlHistoire,etnotammentsurlapriodecoloniale.Lesfaitssont 1 P. NDa, LEtrange destin de Wangrin, un trange roman. Du texte dbrid au patchwork littraire. In Amadou Hampt B, Homme de science et de sagesse ,op. cit.,p.191. 2 Idem. 3 A.H. B, LEtrange destin de Wangrin, avertissement, ed. cit., p.8. 4 Au sujet de la mmoire africaine, dans lavant-propos dAmkoullel lenfant peul. Mmoires. op. cit., p.11. 5 Jacques Chevrier, in