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Commentaire d’arrêt Cour de cassation, 1ère chambre civile, 3 janvier 1996, Publié au bulletin, Rejet. Les clauses abusives visent à tirer un avantage excessif au détriment d’une autre partie, en tirant profit d’une situation de domination, de supériorité face à elle. En droit on réputera les clauses abusives non écrites. On protègera la partie faible, le consommateur, à l’égard du professionnel. La notion de consommateur a donc posé quelques problèmes et fait l’objet d’un contentieux. L’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 3 janvier 1996 en témoigne. En l’espèce, un incendie s’est produit dans la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville, qui n’a pu combattre ce dernier parce la commune du Havre aurait coupé l’alimentation d’eau en vue de la réparation d’une fuite. La société a assigné la commune en indemnisation en lui reprochant de ne pas l’avoir avertie de l’interruption de la distribution d’eau. La commune lui a opposé une clause exonératoire de responsabilité, que la société estime abusive. Les juges du premier degré déboutent la demande de la société. Ladite société interjette appel. La cour d’appel de Rouen suit la décision des juges du premier degré dans un arrêt rendu le 23 juin 1993. La société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville se pourvoit alors en cassation. Selon la société une telle clause est abusive pour un contrat entre professionnel et non-professionnel. Elle s’estime par là-même non-professionnelle étant donné qu’elle exerce une activité étrangère à la technique mise en œuvre par le contrat, tant bien même que l’objet dudit contrat est utilisé pour les besoins de son activité. Un contractant utilisant un contrat pour

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Commentaire d’arrêt

Cour de cassation, 1ère chambre civile, 3 janvier 1996, Publié au bulletin, Rejet.

Les clauses abusives visent à tirer un avantage excessif au détriment d’une autre partie, en tirant profit d’une situation de domination, de supériorité face à elle. En droit on réputera les clauses abusives non écrites. On protègera la partie faible, le consommateur, à l’égard du professionnel. La notion de consommateur a donc posé quelques problèmes et fait l’objet d’un contentieux. L’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 3 janvier 1996 en témoigne.

En l’espèce, un incendie s’est produit dans la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville, qui n’a pu combattre ce dernier parce la commune du Havre aurait coupé l’alimentation d’eau en vue de la réparation d’une fuite. La société a assigné la commune en indemnisation en lui reprochant de ne pas l’avoir avertie de l’interruption de la distribution d’eau. La commune lui a opposé une clause exonératoire de responsabilité, que la société estime abusive.

Les juges du premier degré déboutent la demande de la société. Ladite société interjette appel. La cour d’appel de Rouen suit la décision des juges du premier degré dans un arrêt rendu le 23 juin 1993. La société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville se pourvoit alors en cassation.

Selon la société une telle clause est abusive pour un contrat entre professionnel et non-professionnel. Elle s’estime par là-même non-professionnelle étant donné qu’elle exerce une activité étrangère à la technique mise en œuvre par le contrat, tant bien même que l’objet dudit contrat est utilisé pour les besoins de son activité. Un contractant utilisant un contrat pour répondre à son activité professionnelle doit-il être considéré comme un professionnel ? La Cour de cassation, au motif que le contrat en question avait un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant, voit la protection des clauses abusives à l’égard du consommateur non applicable à l’espèce et rejette donc le pourvoi formé par la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville. Afin de mieux comprendre la décision rendue par la Cour de cassation nous allons étudier dans une première partie la modification récente de la notion de consommateur (I), avant de nous pencher dans un second temps sur l’implication d’une telle décision (II).

I – La nouvelle définition du consommateur

A) Le refus de l’élargissement de la notion de consommateur

La protection des clauses abusives fait partie du droit de la consommation. Selon la définition et les principes originels du contrat une telle protection ne serait pas nécessaire, les contractants s’accordant entre eux au terme d’un processus de négociation, l’issue ne pourrait en être que juste pour les deux parties. Cependant

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dans les faits la protection des clauses abusives sera nécessaire, du fait de décalage d’information et de moyens existant entre parties. Cette protection visera uniquement les consommateurs, elle aura vocation à les protéger. Dans l’affaire de la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville, cette dernière s’estime non-professionnelle vis-à-vis de son contrat de fourniture d’eau avec la commune nécessaire à son activité d’exploitation. La société estime que sa spécialité n’étant pas basée sur l’eau, elle ne saurait être vue comme un professionnel et devrait donc en vertu du principe de protection des clauses abusives en être protégée. On pourrait en effet penser que la société ne considérant pas l’approvisionnement d’eau comme son activité principale elle serait aussi démunie d’informations et de moyens à ce sujet qu’un simple consommateur. Cette vision aurait tendance à élargir la notion de consommateur. La Cour de cassation tranche la question dans son arrêt du 3 janvier 1996 en affirmant qu’une société s’approvisionnant d’une fourniture ayant un rapport direct avec son activité professionnelle sera vue comme un professionnel aux yeux de la loi par rapport au contrat en question. En statuant ainsi la Cour de cassation rejette donc l’idée de l’extension de la notion de consommateur.

B) La valeur de la décision

La Cour de cassation a refusé l’hypothèse d’un élargissement de la notion de consommateur avec son arrêt du 3 janvier 1996. Désormais selon elle toute personne, physique ou morale, utilisant un contrat ayant un rapport direct avec son activité professionnelle serait vue comme professionnelle. Le droit de la consommation, et donc la protection vis-à-vis des clauses abusives ne sauraient se voir invoqués par cette personne. La Cour de cassation a, dans sa décision, volontairement restreint la notion de consommateur. Peut-être pour viser le maintien d’une certaine homogénéité de celle-ci. Cette décision est par ailleurs compréhensible car autrement tout professionnel pourrait dans plusieurs contrats s’estimer consommateur et invoquer la protection des clauses abusives pour voir ces contrats annulés, cela nuirait à la liberté contractuelle. On peut également estimer que l’entreprise avait à sa charge la lecture complète dudit contrat et de s’assurer de précautions quant aux clauses qu’elle estime abusive.

II – Les conséquences de la restriction de la Cour de cassation

A) La notion de rapport direct

La société estimait, à tort, que la consommation d’eau dans son activité professionnelle la plaçait sous un statut de consommateur en prétendant qu’elle n’était pas spécialisée dans cette activité. La Cour de cassation a réfuté cette hypothèse au motif que l’approvisionnement d’eau avait un rapport direct avec son activité professionnelle et plaçait donc la société dans un statut de professionnel vis-à-vis du contrat litigieux. La notion de « rapport direct » est ici un terme très large que la Cour de cassation a utilisé volontairement. Cela laisse à la

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jurisprudence à venir un grand pouvoir d’interprétation. On doit alors s’intéresser à définition de ce « rapport direct ». Une entreprise utilisant l’approvisionnement d’eau en grande quantité pour mener à bien son activité professionnelle est certes considérable comme un professionnel au vu du contrat visé, mais qu’en est-il si la consommation d’eau est relativement réduite ? La Cour de cassation retient sûrement la notion de consommateur européenne selon laquelle est considéré comme un consommateur quelqu’un dont le contrat ne rentre pas dans le cadre de son activité, et a, à juste titre, considéré que la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville était un professionnel vis-à-vis de l’approvisionnement d’eau, qu’elle utilise une petite ou une grande quantité de cette dernière pour mener à bien son activité professionnelle.

B) Une décision critiquable

La décision de la Cour de cassation du 3 janvier 1996 est certes justifiée mais n’en reste pas moins discutable. On peut en effet estimer que si la société est vue comme un professionnel vis-à-vis de son contrat d’approvisionnement d’eau au motif qu’elle utilise ce dernier pour mener à bien son activité professionnelle, le droit de la consommation ne lui étant pas invocable, elle n’en reste pas moins vulnérable. En l’espèce la société Tourrès et compagnie, Verreries de Graville a subi un fort incendie et n’a pu le combattre pour cause d’interruption d’alimentation de l’eau dans ses locaux, et n’a, à ce titre, bénéficié d’aucune protection de la part de la justice. Avoir une vision restrictive limitée à l’opposition entre « professionnel » et « consommateur » pourrait être source de préjudice. L’idée de base étant de protéger la partie faible d’un déséquilibre de puissance économique, on pourrait étendre ce principe à la vie professionnel. En adoptant une vision plus large, toutes les entreprises n’ont pas la même influence ni la même puissance économique. Prétendre qu’une société à faible activité entrant sur le marché a la même puissance économique qu’une multinationale serait quelque peu démesuré. Cette dernière pourrait très bien imposer à la nouvelle société des clauses abusives dans un contrat à première vue attractif économiquement parlant, cette dernière s’en trouverait en position de faiblesse et ne pourrait s’en voir protégée au motif qu’elle serait professionnelle.