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CHRONIQUES 79:139 Minettes, gaminettes… par Luce Quenette C’ÉTAIT UN DEVOIR commun du Clergé, dans l’histoire, de « tonner » contre la mode. On disait « tonner » car, du haut de la chaire, le prédicateur lançait des foudres contre le luxe et l’indécence. Ces foudres, c’était la menace de l’Enfer. Finis, la chaire, les foudres et l’Enfer ! Le Clergé « comprend » au mieux l’érotisme ambiant, un Oraison le prêche et, dans notre village, la Sœur enseignante à la page a poussé le dévouement jusqu’à la mini-jupe, pour aller aux âmes. Il ne lui parviendra que des félicitations ! * Je relis avec admiration les fortes paroles de Pie XII contre l’horreur des modes ; contre la même horreur, quelques accents doux et désolés de Jean XXIII. Remontons à Pie XI : énergique protestation et cependant le Pape ne voyait pais un seul genou féminin. Depuis, ni chaire, ni tonnerre. La Sainte Vierge, elle, a tonné par la voix précise des enfants de Fatima : Jacinta, quelques jours avant sa mort disait : 80:139 « Les péchés qui jettent le plus d’âmes en Enfer sont les péchés d’impureté. On lancera certaines modes qui offenseront beaucoup Notre-Seigneur. Les personnes qui servent Dieu ne doivent pas suivre ces modes… Notre- Seigneur est toujours le même… » Autant en emporte le vent. J’écris pour « les personnes qui prétendent servir Dieu », pour les chrétiennes, les familles qui s’indignent de la catastrophe des mœurs et de la religion. Eh bien, je dis que les paroles des Papes qui ont parlé de l’impudeur des modes, et les paroles de la Sainte Vierge n’ont servi à rien du tout – à rien qu’à augmenter l’épouvantable responsabilité des jeunes mères chrétiennes et de beaucoup de mûres et de vieilles. Je me souviens d’une conférence entre intégristes – sous la présidence d’un écrivain tout adonné à la cause de l’Église, dans un salon des plus distingués. Le conférencier tenait les yeux levés au niveau des visages – visages sérieux, âgés, ou jeunes, attentifs, voire soucieux et, sous ces visages pieux s’avançaient insoucieusement, en contraste extracomique, les plus ronds, ou gras,

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CHRONIQUES

79:139

Minettes, gaminettes…

par Luce Quenette

C’ÉTAIT UN DEVOIR commun du Clergé, dans l’histoire, de « tonner » contre la mode. On disait « tonner » car, du haut de la chaire, le prédicateur lançait des foudres contre le luxe et l’indécence. Ces foudres, c’était la menace de l’Enfer.

Finis, la chaire, les foudres et l’Enfer ! Le Clergé « comprend » au mieux l’érotisme ambiant, un Oraison le prêche et, dans notre village, la

Sœur enseignante à la page a poussé le dévouement jusqu’à la mini-jupe, pour aller aux âmes. Il ne lui parviendra que des félicitations !

*

Je relis avec admiration les fortes paroles de Pie XII contre l’horreur des modes ; contre la même horreur, quelques accents doux et désolés de Jean XXIII. Remontons à Pie XI : énergique protestation et cependant le Pape ne voyait pais un seul genou féminin.

Depuis, ni chaire, ni tonnerre. La Sainte Vierge, elle, a tonné par la voix précise des enfants de Fatima : Jacinta, quelques jours

avant sa mort disait : 80:139

« Les péchés qui jettent le plus d’âmes en Enfer sont les péchés d’impureté. On lancera certaines modes qui offenseront beaucoup Notre-Seigneur. Les personnes qui servent Dieu ne doivent pas suivre ces modes… Notre-Seigneur est toujours le même… »

Autant en emporte le vent. J’écris pour « les personnes qui prétendent servir Dieu », pour les chrétiennes, les familles qui

s’indignent de la catastrophe des mœurs et de la religion. Eh bien, je dis que les paroles des Papes qui ont parlé de l’impudeur des modes, et les paroles de la Sainte Vierge n’ont servi à rien du tout – à rien qu’à augmenter l’épouvantable responsabilité des jeunes mères chrétiennes et de beaucoup de mûres et de vieilles.

Je me souviens d’une conférence entre intégristes – sous la présidence d’un écrivain tout adonné à la cause de l’Église, dans un salon des plus distingués. Le conférencier tenait les yeux levés au niveau des visages – visages sérieux, âgés, ou jeunes, attentifs, voire soucieux et, sous ces visages pieux s’avançaient insoucieusement, en contraste extracomique, les plus ronds, ou gras, ou osseux genoux et les cuisses naissantes, plus ou moins appétissantes. C’était en 65.

Depuis, les cuisses assises ne sont plus naissantes.

*

La doctrine : Avant la chute, Adam et Ève étaient nus, sans honte. Après le péché « leurs yeux s’ouvrirent, et ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant assemblé des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures ». Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, leur corps était soumis à leur raison, leur raison et leur cœur vivant dans la grâce.

Dépouillés de la grâce et leur chair révoltée contre la raison, ils prirent honte à bon droit de cette chair et la couvrirent sur les parties où la révolte était plus sensible et plus honteuse. 81:139

Dieu sanctionna cette honte et cette précaution : Il leur fournit Lui-même des tuniques de peaux de bête et « les en revêtit ».

Saint Jean Chrysostome dit : « Ces mots signifient que Dieu commanda que ces tuniques existent, et voulut que le vêtement rappelât sans cesse la désobéissance. »

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A partir de là, nous dit saint Thomas, le plaisir de la chair troubla la raison, ce fut la volupté – et c’est pourquoi la privation volontaire ou virginité fut déclarée supérieure au mariage. Le corps devint « captif de la loi du péché qui est dans ses membres » ; la chair est ennemie de l’esprit – le corps est un corps de mort dont la nature ne délivre pas. » Mais la Grâce de la Croix de Jésus-Christ par le baptême – la Croix de Jésus-Christ portée avec Lui, dans une lutte qui dure jusqu’à notre dernier jour. Car le corps marqué du péché reste ennemi par la concupiscence.

L’homme ne doit jamais faire confiance à la chair. Il n’est redevable à la chair que de la mort. La vue elle-même, faite pour présenter à la raison le sensible (dont elle doit abstraire l’intelligible, la vue elle-même agit sur la chair directement comme chez les animaux et directement sur les organes de la génération. L’imagination n’a même pas besoin d’images nouvelles, elle en garde suffisamment pour provoquer les mauvais désirs, surtout à l’âge de la puberté et dans l’habitude du vice. L’imagination excite les sens et provoque la curiosité de la chair.

Quand on satisfait cette curiosité par le nudisme, l’orgueil et la satiété temporaire retiennent la sensualité – pour la rendre irrésistible, l’expérience passée. Le mariage est à la fois, pour ceux qui y sont appelés, une épreuve et un apaisement, pourvu qu’il soit observé dans la grâce du sacrement, selon les fins de la nature et la loi de Dieu rappelée par l’Église. Il reste que donner satisfaction aux passions, quelles qu’elles soient, c’est nourrir un dragon insatiable, fortifier l’obsession et la rendre despotique. Le spectacle de la nudité est la nourriture de l’obsession. 82:139

Calmer la chair est non 1’œuvre de la chair qui ne produit que la corruption, c’est l’œuvre de l’esprit sanctifié dans la Grâce. Ce corps de mort avec ses tentations mourra. S’il a satisfait ses exigences, il ressuscitera pour l’Enfer éternel, s’il a été vaincu par l’esprit en état de grâce, il ressuscitera incorruptible « comme un ange dans les Cieux ».

Il faut donc « refouler » les appétits de la chair ou plutôt « purifier l’œil intérieur » par la Croix de Jésus-Christ, délivrer l’âme par Sa sainte mort, cette mort progressive en Jésus qui s’appelle tempérance, sobriété, chasteté, mortification, méditation quotidienne de la mort physique certaine – l’Espérance du Ciel. Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Le monde nie que ce corps est corps de mort et de péché. Moi, je l’affirme, et j’affirme en même temps que je suis destiné à un amour éternel dans la contemplation du bonheur même de Dieu.

Pour nous chrétiens, le remède n’est pas de nier les ravages du péché originel dans notre nature. « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » Saint Paul ne répond pas : « Moi-même, en me persuadant que je suis indemne, que la chair satisfaite est amie et épanouissement. » Mais « Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. » Enseveli dans la mort de Jésus par le baptême, j’en sors vivant, vêtu d’une robe blanche : « Recevez ce vêtement blanc. – Puissiez-vous le porter sans tache jusqu’au Tribunal de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de manière à posséder la vie éternelle. »

C’est le vêtement du respect de ce corps devenu Temple Vivant de la Sainte Trinité. « Telle est la guerre entre l’esprit et la chair ; ne donnez pas dans l’illusion de croire votre âme insensible… aux excitations qui jaillissent des images et qui, colorées des appâts du plaisir, saisissent l’imagination… elles trouvent la maligne complicité des instincts de notre nature, (déchue et désordonnée. » (Pie XII, 22 mai 1941, à la jeunesse féminine.) 83:139

Voilà à quoi expose « la vue de la chair nue ». – Le savent clairement et l’appliquent ceux qui vivent ouvertement du vice.

Voilà ce que font semblant d’ignorer les familles dites chrétiennes qui exposent des cuisses de filles ou des collants sur les formes, occasion de chute immédiate dans leur organisme pour beaucoup d’hommes et de jeunes gens – et les culottes et shorts invraisemblables des petits garçons et les petites filles victimes d’amitiés troubles, d’actes innommables, d’attentats réels de la part de malheureux jeunes gens et de « gens très bien » que la vue de la chair a tentés, surtout quand leur vie se passe dans l’auto, le confort, les magazines, l’alcool, le tabac, la rigolade et la sécurité.

Le vêtement n’est plus vêtement, dit Pie XII, il est exigu ou collant, pour montrer. D’où l’estime de la Tunique, – de la longue robe – telle que nous apparaît la Reine des Cieux, –

d’où cette soutane, cette aube qui vit (vivait) sous nos yeux comme un rappel constant de notre condition dangereuse et infiniment digne. La malice se plaît à remédier à la peau par le pantalon adhérent, la femme abdique sa féminité. La confusion des sexes est un stade de l’impureté. Ce pantalon « adhérent » sert ainsi à deux fins : On argue de la commodité. Commodité double : pour être

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à son aise, et perdre son âme. Le vêtement masculin pour la femme, formé d’un pourpoint fortement attaché aux chausses et

complété par la huque qui descend jusqu’à la cheville, peut être légitimement adopté par toute femme enfermée la nuit en prison avec une « soldatesque sans scrupules ». C’est le cas de Jeanne d’Arc.

*

Le plus grand malheur, ce n’est pas que ces modes existent, les modes de nudité ou de « collement » ont toujours existé pour les mérétrices, les courtisanes, les demi-mondaines etc. etc. 84:139C’est, dit Pie XII, avec une terrible perspicacité « qu’elles sont acceptées par les femmes croyantes et même pieuses… elles font par leur exemple tomber les dernières hésitations. Tant que ces « toilettes » restent le triste privilège des femmes de réputation douteuse et quasi le signe qui les fait reconnaître, nul n’osera les adopter. Mais dès qu’elles sont portées par des personnes au-dessus de tout soupçon, on n’hésite plus à suivre le courant, un courant qui entraîne peut-être aux pires chutes. »

Nous écrivons donc aujourd’hui pour ces femmes croyantes, même pieuses, au-dessus de tout soupçon. Voilà les responsables, les coupables, celles qui ont ouvert les vannes au courant du cloaque.

*

L’Église a dû lutter en tous temps contre le fléau du luxe et de l’impudicité. Satan connaît son monde.

Mais l’entreprise a été et est trop menée aujourd’hui pour ne pas faire penser à des « tentatives préméditées, à une offensive sans précédent qui ne connaît pas de trêve », selon les justes expressions de Jean XXIII. Avec les démons, des hommes veulent « submerger l’intégrité de la conduite morale ».

Léon XIII : « Il s’est trouvé, dans la Franc Maçonnerie, des hommes… pour soutenir qu’il fallait systématiquement employer tous les moyens pour saturer la multitude d’un laisser-aller illimité dans les vices. » Le Pape possédait là-dessus des documents d’une entière clarté – par exemple la lettre du 9 août 1838 entre deux chefs de la « Haute Vente Italienne » : « Ne nous lassons jamais de corrompre, pour abattre le catholicisme corrompons la femme… »

Sous le Second Empire, la mode commence à pénétrer les campagnes. Élément de la persécution morale du paysan dont nous avons parlé, que cette guerre du costume régional, « habit sobre et modeste qui garantissait la liberté spirituelle ». (Père Emmanuel). 85:139

L’étape principale de cette corruption, c’est l’école laïque. Puis c’est la mode « de langage oblique, de vanité audacieuse, de fatuité » (Pie XII) ; le nudisme

comme remède à « l’hypocrisie », – le nudisme relatif des plages, – qui s’installe, par le tourisme, jusqu’au cœur du pays – le divorce – et puis ce que nous savons si bien maintenant :

le cinéma, la publicité, la télévision, Helga et Michaël, l’école mixte, l’union libre, la contestation, la mini-jupe, la cuisserie complète de notre temps.

Les femmes, et par elles les familles, ont été conditionnées par un progressif despotisme auquel elles ont appris à obéir, gentiment, sans répugnance, avec respect.

La répugnance, le sarcasme, le haussement d’épaule, elles l’adressent à celles qui osent braver ce despotisme, et porter encore des habits décents.

*

Quand on pense qu’en 1928, puis en 1930, Pie XI déclarait indécent le décolletage de plus de deux doigts au-dessous du cou, ordonnait que les manches allassent jusqu’au coude, signalait ces coquins d’affreux bas couleur de chair « qui donnent l’illusion que les jambes ne sont pas couvertes », ordonnait aux prêtres de refuser la Communion aux personnes ainsi vêtues ! Mon Dieu, que nous avons puissamment évolué, que tout cela fait bête, fait grand’mère 1930 : avant le déluge, temps des illusions – 1969 : temps des fortes réalités : ce qui est nu, est nu !

Aussi, Madame Verdier, fondatrice en 1944 du Renouveau français contre l’indécence des modes, pouvait dire ; « Je suis seule, absolument seule ! » Les rarissimes « qui couvrent leurs genoux même quand elles sont assises » peuvent, chacune en sa sphère, prononcer cette parole découragée. 86:139

Alors, on rappelle les voix saintes, ces voix véhémentes, suppliantes, Pie IX, Pie X, tous les Papes

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et Jacinthe et Lucie, qui prêchent la « Croisade de la Pureté ». Ah, disent-elles, les yeux sur la Vierge Marie, marchez vers cette étoile du matin qui dissipe les tentations du Malin. Consacrez les familles au Cœur Immaculé de Marie – au Cœur douloureux et immaculé de Marie, d’autant plus que vous avez moqué et détruit les Congrégations d’Enfants de Marie fondées après les Apparitions de la rue du Bac. Contemplez les douleurs indicibles de la Mère de Dieu au pied de la Croix. Comment une femme, une jeune fille de cœur, en face d’une telle douleur, accepterait-elle d’être une occasion de chute par l’immodestie de sa tenue… ?

Et le cri bouleversant de Pie XII :

« Ô Mères chrétiennes, si vous saviez quel avenir d’angoisses et de périls, de hontes mal contenues, vous préparez à vos fils et à vos filles, en les accoutumant à vivre à peine couverts, en leur faisant perdre le sens de la modestie, vous rougiriez de vous-mêmes, et vous redouteriez l’injure que vous vous faites à vous-mêmes, le tort que vous causez à ces enfants que le Ciel vous a confiés pour les élever chrétiennement. »

Ces cris, ces saintes supplications ont certainement ébranlé et converti quelques femmes. Nous en voyons, nous les connaissons. Mais pour l’immense majorité des femmes dites catholiques et, selon l’expression de Pie XII, « des personnes au-dessus de tout soupçon », toute la doctrine, toute la morale, toutes les exhortations, toutes les apparitions, toutes les menaces, n’ont servi absolument de rien. La Toute puissance diabolique a commandé genou ! Le genou est apparu. Elle a dit : cuisse, et la cuisse est venue. De 5, 10, 15, 20 cm. de cuisse, selon l’humeur, debout, et selon la nécessité, assise.

Cependant, c’est la doctrine de Jésus-Christ qui condamnera, c’est pourquoi nous l’avons redite.

*

Elle est et elle demeure. 87:139

C’est d’elle que vient la vie et la conversion. Mais pour l’enseigner, l’appliquer et l’opposer aux vices, il est plus d’une manière. Quand le vice est parvenu à une certaine pourriture publique, quand il prend la forme d’un

aveuglement paisible et collectif, de telle sorte que les corps et les âmes en font comme une seconde nature, le portent « humblement » (dans une parodie de l’humilité vertueuse) comme un joug légitime, quand en un mot, les cuisses des femmes de bonne réputation se montrent en une obéissance régulière, par un dressage bien assoupli, l’exposé de la doctrine, les appels, les élévations et les supplications voire les menaces de l’Enfer éternel sont vains et, aux yeux des solides dévotes de la mode, paraissent ridicules, comme si, contre l’Évolution toute puissante, nous, imbéciles retardataires, lancions des flèches de papier.

L’inversion est devenue totale, car les tenants de la doctrine et des bonnes mœurs « se sentant seuls, absolument seuls » n’ont guère confiance en leurs armes, ils demandent en vain secours aux autorités, encore heureux quand celles-ci, sans les contredire, se contentent de détourner les yeux et, tout amollis, perplexes, ils sont près de croire aussi à la puissance évolutive de la chair, ils doutent du bien-fondé de leurs observations. – Peut-être, pensent-ils, ces femmes qui trottent à la messe, cuisses visibles, qui s’approchent de la Sainte Table (plus de table !) en tenue de plage sont-elles, tant leur expression est sérieuse et aisée, sont-elles revenues à l’innocence primitive et que nous seuls voyons du mal où il n’y a que « suppression d’hypocrisie ». Quoi de plus loyal qu’une cuisse chrétienne ? C’est de l’autre côté, du côté du strip-tease méthodique qu’est la paix, l’assurance et la certitude.

Je me rappelle à propos une observation que je reçus un jour du commissaire de police. La veille, très tard, je méditai en vain l’écriteau du « stationnement permis jusqu’à 20 h. 45 » et c’est de ce côté que je laissai sottement ma voiture. Le lendemain matin, sur ce côté fatal, sous l’essuie glace : le petit papier trop connu. Mais le Commissariat est à deux pas, je vais arguer de ma bonne foi. Et le commissaire sans humour, gravement : « Comment, dit-il, vous ne vous êtes pas sentie complètement seule ! » 88:139

« Un homme en spencer en 1844 ! s’écrie Balzac. Pour le cousin Pons, les passants se retournaient. »

Voilà ! c’est cela, l’impressionnante, l’inconvenante solitude des cuisses invisibles en 1969 ! Quand les choses en sont là, par le jeu diabolique d’une subversion sans précédent, il n’est plus

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qu’une méthode pour réveiller les chrétiennes endormies : le Fouet. Le Fouet de la Satire. Il n’est plus que la Colère généreuse, la Haine vigoureuse, la merveilleuse et pure Indignation pour se présenter avec son grand fouet de dompteur.

Quand le Père Damien entendait les premiers crépitements du feu autour duquel ses nègres, chrétiens trop neufs, allaient se griser de danses lascives, quand lui venaient certains accents diaboliques des langues et des tams-tams, embrasé de colère, le grand Flamand bousculait le feu, frappait au hasard, dispersait à coups de poings et de pieds les danseurs – et les pauvres, terrorisés de sa sainte colère, sentaient s’évanouir en eux la fièvre fétichiste. (Maintenant, on sollicite dans leurs cœurs sauvages ces « originalités africaines ».) 

J’ai dit « tonner ». C’est avec des tonnerres et des fouets que les Pères de l’Église maudissaient les femmes folles de leur temps, que saint Cyprien leur disait :.« Avec vos lèvres rougies, vous ressemblez à des ours revenant du carnage… Tu ne peux prétendre que d’âme tu es chaste… Ce sont les anges apostats qui t’apprennent à marquer tes yeux d’un cercle noir, à peindre tes joues, à teindre tes cheveux… »

Et saint Jérôme : « Vos mèches teintes ont la couleur des flammes de l’enfer !… » C’est ainsi qu’Isaïe crie aux filles vaniteuses de Sion « Le Seigneur vous rendra chauves ! »

89:139 « Il frappe comme un sourd », disait Madame de Sévigné quand elle « allait en Bourdaloue » –

« Sauve qui peut ! » Le divin Roi, le Saint des Saints, voilà le grand Maître de la Satire. De la Satire contre l’hypocrisie.

Mais qu’est-ce autre chose que le pire des hypocrisies, cette prétendue honnêteté des femmes vêtues comme les courtisanes de Rome que la loi obligeait à la jupe courte pour qu’à première vue on les distinguât des matrones.

N’est-ce pas des Pharisiens (« sépulcres blanchis, race de vipères ! ») ces théologiens de la mort de Dieu qui sont les maîtres de ce culte effrayant de la chair, parce qu’ils détruisent tout absolu dans les âmes, toute exigence divine, tout commandement sacré, tout ordre millénaire.

Le Sauveur les maudit, armé du fouet terrifiant des plus cinglantes malédictions. Un jour, pour appuyer la Sainte Écriture devant un autre vice (établi, paisible, public, admis), en un

tournemain, avec un paquet de cordes qu’il y avait là, il fit, comme un artisan habile à se débrouiller, un vrai fouet tournoyant : « Ma maison est une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs. »

Le fouet de la satire, en notre temps, est toujours par terre ; de ces souples cordes, aucune indignation ne fait prestement une longue et cinglante chambrière. Et pourtant, Dieu sait que jamais viande au vent ne tenta mieux les généreuses cravaches.

L’honnête homme doit connaître le rire puissant de l’indignation, cette magnifique forme d’amour du seul bien, cette nerveuse et sapide défense de la Vérité. Ici, nous arasons de ce mépris superbe des garçons intelligents. Ils prennent la liberté féroce de juger les femmes, en premier examen, sur le degré de la dénudation. Leur chasteté n’a-t-elle pas le droit d’appliquer sévèrement le principe énoncé par le pape Benoît XV : « Une femme n’est vertueuse que si elle se montre telle dans la façon de se vêtir. »

*

90:139

Les laides. – « Laides, elles consternent ! » (1). Laides – les jambes laides, et laides dans cette mode. C’est l’immense majorité ! D’une laideur que nous nous plairons à analyser.

Une seule fois, j’ai vu une jeune femme impressionnée par un jugement sur la mode. Ce n’était pas un jugement moral (ce jugement-là, je l’ai dit, l’immense majorité s’en moque). C’était un jugement esthétique et physiologique. « Très peu de femmes, lui dis-je (exprès), ont les membres parfaitement droits. C’est invisible pour les bras. La plupart ne s’en doutent pas pour les jambes. Mais si l’on étend un bras nu comme pour un serment, on peut s’apercevoir du désaccord relatif des os. » Ma jeune femme étendit le bras nu. Elle rougit et dit : « En effet, si c’est pareil pour les jambes ! »

Je me souviens qu’à treize ans, j’assistai pour la première fois à un ballet classique… je trouvais le spectacle bien beau. Or un vieux Monsieur, prés de moi, dit « Il n’y a pas une jambe droite sur dix », et je vis aussitôt qu’il avait raison.

1 – (1) Jean Ousset.

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Ce qui est apparu depuis la mini-jupe (pardons, prenons garde : depuis le compromis que font les dames catholiques avec la mini-jupe) est inimaginable. C’est le défilé des horreurs. La jupe verticale et plissée, ou même droite, couvrant jusqu’à un cinquième du mollet, cette jupe était d’une exquise charité – elle laissait venir en la démarche, même celle des jambes les moins bien faites, une certaine grâce, car on ne pouvait en évaluer la verticale – surtout, on n’y pensait pas. Non seulement les « mauvaises pensées » d’impureté n’étaient point excitées, mais les supports bénéficiaient d’une bienveillante estimation ; et pour les plus laides, d’une large indifférence.

Relevée, la jupe impose aux yeux toutes les disgrâces de la nature. Au dessus du genou, en effet, malformations, déformations, cagnes et arcatures sont évidentes. Grosse victoire sur « l’hypocrisie » ! Tout se prépare, pour les deux supports du corps humain, à l’endroit où la cuisse rejoint le genou. C’est là que s’amorce la laideur de toute la construction, comme sa beauté. 91:139

Vraiment, avant cette tempête, l’œil n’avait point aperçu, chez les femmes, une certaine forme de misère humaine.

Virgile dit bien cela : Quand une tempête exceptionnelle fait rage, les flots retirés avec force font entrevoir d’horribles rochers, inconnus des navigateurs, miserabile visu.

Jamais l’on n’aura plus d’occasions de comprendre que l’habit que veut la pudeur était destiné aussi à voiler, atténuer, arranger les suites déformantes des péchés universels.

D’abord les jambes grosses : elles sont légion, même chez les jeunes : graisse et cellulite bien plaquée sur la cuisse, genou à fossettes adipeuses où s’amorce une colonne sans galbe qui suffisait bien, auparavant, à blesser la vue. Mais la graisse, et l’épaisseur, ne sont rien à côté de l’architecture. Nous ne savions pas que tant de cuisses, fatiguées de porter le corps, formaient avec le reste un losange lamentable – les genoux surchargés s’écartent, les tibias rachètent comme ils le peuvent, et voilà pourquoi ces pieds-là marchent tellement en dehors ! On ne l’aurait jamais su.

Vous n’allez pas dire que je manque de charité, que je ris des infirmités, des torsions que la fatigue, la maladie, la maternité ont infligées aux deux colonnes de l’être féminin. C’est la Mode qui est cruelle, ce n’est pas moi ! La Mode dont l’indécence détruit cette charité élémentaire, ce respect tout instinctif qui voile d’invincibles et innocentes déformations.

Moi je ris en effet, avec dégoût et amertume. C’est bien fait ! Qui vous oblige à montrer tout ça ? L’ignominie de la mode seule ? Alors, c’est bien fait !

92:139J’entendis un jour une femme de 45 ans, assez élégante et déjà court vêtue, annoncer dans un grand

dîner « qu’elle aussi, bientôt, adopterait la mini-jupe. – Tu verras… » disait-elle, mignarde, à son mari. « Moi, dit-il, sombre, j’ai vu – les autres verront ! »

Il avait vu, je veux bien, cependant je prétends que beaucoup de maris ne savaient pas, avant de les voir trotter dans la rue, que leur femme était tordue. C’est qu’il faut voir marcher les genoux et les cuisses, les voir trotter d’ici de là, pour se rendre compte du port défectueux de la plupart des femmes. Car beaucoup de jambes paraissent droites tant qu’elles n’ont pas chargé leur fardeau, et, découvertes, révèlent à tout œil ce qu’il leur en coûte.

Que de cagneuses et déportées ! que de poils et de varices ! que de bâtons ! que de piliers ! Je vais vous dire une effrayante exhortation que m’a rapportée celle qui en fut l’objet. Elle refusait

de raccourcir ses jupes. Alors, sa sœur aînée, jeune mère de quatre enfants : « Si tu crois, lui-dit-elle, que cela ne m’a pas coûté, avec mes varices, de montrer mes jambes. Les premiers temps, ça me faisait vraiment de la peine, – mais j’ai été courageuse. Tu verras, fais effort, on s’y habitue très bien ! » Langage chrétien, hein !

La mode, pour les dames catholiques, voyons, c’est un devoir de charité. Et pour les yeux du prochain, s’il a un peu de goût, quelle avantageuse mortification !

C’est que, avant, il y a très longtemps, (bien que ce fût en 1956) on faisait encore attention au visage. En gros, on n’était pas trop distrait du visage, et le visage, c’est l’âme. Ça valait la peine, si l’on n’était pas très bien bâti, d’avoir un gai, aimable, voire joli visage. Aujourd’hui, toute femme, dans la rue – peu ou prou – vous invite à la regarder d’abord en « en bas ». Ça va venir, le dégarnissage de l’en haut, ça va sûrement (c’est déjà fait à tout soleil) se faire. Pour le moment, il y a encore des centaines de ces coquines de petites robes serrées, à col presque monté, avec, en bas, des cuisses signalantes qui appellent intensément le regard. Oui, la femme se rend intéressante par là… 93:139

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Et par là détruit son visage ; je m’explique : Cette tenue, en en bas, de petite girl dévergondée, appelle un visage frais, insolent, provocant. Les pauvres filles aux visages maussades, l’infortunée jeunesse elle-même, droguée, ne le sait pas plus que les dames catholiques quand on va cuisses au vent, il faut rigoler.

Or les dames ont, par là-dessus, leur air de tous les jours. Rien n’est plus grotesque que cette gravité soucieuse de mères de famille au-dessus de ces chairs exposées de l’étage inférieur. Mais l’infortune sans nom, c’est l’âge. De dos : regardez la grosse gamine. Ciel ! elle se tourne : 55 ans sont inscrits sur ses traits, 55 ans indélébiles, définitifs, à cause du contraste, de la déception, si vous voulez. Je vous dis que cela ne s’est jamais vu : une matrone en jupettte, de brusques cheveux gris montés sur cuisses – l’effet est immanquable – il faut encore un lustre pour que l’œil s’y fasse.

« Des Mémés court vêtues » c’est affolant. Et rien ne fait vieillir brusquement, je le répète, comme le contraste. Ces deux moitiés en combat surprendraient un Romain de la Rome d’Auguste, comme s’il voyait pour de vrai un Centaure, homme de torse, cheval de croupe – une sirène, femme d’en haut, poisson de queue.

On a envie de leur dire, à ces chères femmes au cœur sérieux dont apparaissent les genoux : « Mon Dieu, mon Dieu, vous que les maternités ont appesanties ou épuisées, dont le visage reflète les vertueuses fatigues et la noblesse d’une vie de dévouement, comprenez, mais comprenez la silhouette qui vous convient ! Respectez ces rides que vos grands fils doivent baiser, ces cheveux gris que vous décolorez au recolorez et qui, naturels, mettraient tant de douceur à votre regard. Ah, que flottent autour de vous, quelques plis descendants, quelque majesté discrète qui appelle « l’affection respectueuse ». Vous perdez, vous gaspillez l’unique et rare beauté des ans sur un visage aimé. Comment peut-on sacrifier de tels biens, pour faire la gamine, pour exposer à tous les yeux vos incapacités à ce rôle infâme… C’est à pleurer ! » 94:139

Cette mode perverse est faite, en effet, pour défigurer toute distinction, pour rendre grotesque toute dignité, pour mettre en relief toute infirmité, pour avilir toute expression morale – pour ravaler tout ce qui n’est pas gamin, voyou, né d’hier, pour classer les générations à l’envers. Le modèle, c’est la gamine, que la grand-mère s’y conforme !

La jupe remontée signale les « croulants » aux rires des « dans le vent ».

*

« Leur impudeur trouble… quand elles sont jolies. » (2) Mais enfin (c’est vous qui parlez, vous qui m’en voulez) puisque vous le prenez par là, par l’élégance, la grâce, oublions la luxure, la tentation, les mauvaises pensées, suggérées par tant de cuisses trottantes, posées, exposées, mutine en un mot ; ne parlons que beauté, beauté du diable si l’on veut, beauté quand même.

Eh bien, c’est cela, ne parlons que beauté. Car enfin, il est de jolies femmes aux jambes ravissantes, aux cuisses longues, juste rondes à point,

et quelle grâce dans cette ligne exquise qui, révélée presque de la taille, file jusqu’au bout du pied ; surtout avec le bas nylon, transparent, juste destiné à polir tout en expliquant.

Eh bien oui (parlons en folles) c’est galant, une jolie femme habillée haut. Bon, vous admettez que cette mode sans charité est abominable pour les mûres, les vieilles, les

lourdes, les déviées, mais au moins qu’elle est le fripon triomphe de la perfection physique. Et même que par la saturation oculaire des jolies cuisses, le « trouble » dont parle Jean Ousset se dilue tranquillement. 95:139

Autrefois, du temps de Balzac ou de Renoir, alors, oui, le trouble, le choc existait, quand la Parisienne, d’un geste qu’on eût cru éternellement féminin, soulevait (au moyen de la ganse passée à son bras) la longue jupe à tournure et à volants et qu’apparaissait une cheville de déesse et la naissance d’un mollet roulé – alors, oui, la rareté de ce délicat spectacle, chez des gens frustrés, causait le trouble et le choc. Mais l’indigestion actuelle, loin de troubler les entrailles, les a délivrées. Beau résultat, en effet, que la satiété ait détruit la pudeur ! Que dirait-on d’une langue assez infectée pour ne plus sentir les aliments pourris – d’une oreille tellement gâtée qu’elle ne réagit plus à la cacophonie. Quand le choc et le trouble disparaissent, le chrétien a renié son baptême, l’homme civilisé a rejoint le barbare, la chair a saturé l’esprit.

2 – (1) Jean Ousset.

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Mais revenons à nos « jolies », aux cuisses impeccables. Analysons bien soigneusement, au fer rouge.

Dans le hall du bel hôtel Méditerranée à Genève, je vois soudain du bureau de réception sortir une créature de rêve : jeune, les jambes longues, admirablement faites, le bord de jupe à 15 cm du genou… je décris par en bas, en montant, car c’est instinctif, c’est la méthode « d’abord les cuisses », une jupe rouge vif « en forme », juste de quoi voler à chaque mouvement, le corsage ajusté, un amour de petit col – un visage frais – la chevelure légère. – Je somnolais (faites bien attention, j’analyse) et soudain, dans ce décor officiel, à cette apparition, une idée s’impose à moi : cette petite vient faire « son numéro ». Elle est en tenue pour cela. C’est charmant, elle va sauter, virer, s’élancer dans les airs – je ne somnole plus – la fille s’approche et sèche, sérieuse, terre à terre, contredisant toute sa tenue de bayadère, elle me dit : « Madame, voulez-vous faire votre fiche ! » – J’étais si frappée que je me dis : il y a là une révélation – je la gardai dans mon inconscient.

Elle s’illumina : ce fut un soir d’automne, dans un grand salon familial. La conversation, sérieuse, ménagère, allait bon train. Soudain, à la porte, des voix. « Ce sont les X », dit la maîtresse de maison et me glisse à l’oreille :

« Vous ne les connaissez pas, ELLE est superbe. » Alors les X firent leur « entrée ». ELLE était superbe, en effet. Robe rouge encore, la jupe découvrant les plus belles jambes du monde, encore une jupe « en forme » faite pour voler ; des bras de Minerve, nus. 96:139Un Monsieur sérieux, habillé en manager, conduisait cette belle créature. Alors mon pressentiment devint hallucination : Il l’amenait pour un numéro sensationnel, elle allait nous régaler de danse, plutôt de sauts inoubliables – et je m’avançai pour mieux la voir « travailler ». Hélas la belle acrobate tendit la main à la ronde en disant, de l’air le plus pot au feu :

« Je suis en retard, ma belle-mère n’en finissait pas de m’expliquer ce point de tricot que… qui… dont… ». Le manager qui l’avait épousée ratifiait sans un sourire. J’étais encore frustrée, mais j’avais compris : ce costume n’est légitime que pour faire « un numéro ». C’est la tenue permise, agréable, légale des histrions, des danseuses, des acrobates et des écuyères de cirque.

C’est aussi, en plus audacieuse, la tenue dégagée de la Diane rapide, la main sur la licorne. Mais il faut faire un numéro ! Le droit de découvrir les cuisses, c’est le devoir de démontrer leur force et leur agilité. Ce costume, pour les jolies, est donc un costume professionnel. Et voilà pourquoi l’entrée des

jeunes couples de ce temps est désopilante, surtout aux enterrements ! Alors j’évoque l’Étoile classique, laborieuse, de Degas, avec le tutu rigoureux, qui cerne d’un cercle

pur la verticale sévère des jambes, et le sourire imperturbable appris à la barre, en mesure, au métronome.

Le vieil André Levinson, ce « choréologue », ne s’en laissait pas imposer. A la ballerine charmante, il ne passait rien. Son principe était absolu, je le traduis ainsi : la danse révèle, par une géométrie mécanique exacte, la domination de l’intelligence sur le mouvement. Aussi, après le ballet, impitoyable : « Mademoiselle, disait-il à la plus applaudie, vous nous avez supprimé un battu et volé d’un entrechat. Ce n’est pas sérieux ! » 97:139

Quand j’étais petite, on me menait au cirque, nous grimpions sur ces bancs de bois qui sentent la bohème et les gens du voyage, sous le chapiteau de la « Maison » Napoléon Rancy, et là, j’admirais ardemment l’écuyère et la trapéziste.

Cette petite personne, l’écuyère, paraissait justement dans le costume de Madame X, sans cravache, souriante ; et le manager, en habit noir comme Monsieur X, par le couloir qui donne sur la piste, tendu de drap rouge et or, faisait pénétrer la monture magnifique. Alors, évidemment, éclatait la nécessité du costume de Diane. Je me souviens surtout d’un merveilleux exercice sur un gros trotteur pommelé : il parcourait la piste avec une régularité parfaite ; l’écuyère bondissait, légère, sur la croupe luisante et dans l’accompagnement du trot régulier, dansait, gracieuse, sur les reins complaisants – soudain s’immobilisait, posant un seul pied, attentive, rose, toujours souriante, tandis que l’animal continuait imperturbable son rythme pacifique. C’était un déchaînement de jeune enthousiasme tant l’accord de cet esprit et de cette bête était satisfaisant, aisé, reposant.

Justement, l’énergique et courageuse personne, d’une seule détente, assise, puis couchée, semblait

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dormir sur l’encolure, puis debout, inlassable, en un dernier tour de piste, nous disait adieu. Venait la trapéziste. Elle se présentait vêtue d’un long péplos de Troyenne. Les machinistes

achevaient de fixer là-haut deux trapèzes légers, frémissants – une échelle de corde les unissait au sol. Alors la chère créature laissait tomber le manteau antique, et elle paraissait en costume de travail : corselet étincelant, chausses collantes, et, au-dessus des genoux : petite jupe rouge. Elle grimpait comme un joli chat jusqu’au trapèze. Quelquefois un filet rassurait la vue, – mais hélas, la pauvre petite risquait souvent sa vie sans filet pour un gain plus élevé, – j’étais tremblante et éblouie. La frêle balançoire la recevait deux lignes verticales, une ligne horizontale servaient alors la gloire de ce corps humain maîtrisé, lumineux. Pas un instant le sourire ne quittait le visage, droit, renversé, tournant, pendant. 98:139On la voyait, suspendue juste par les pieds nerveux sur les deux extrémités de la barre, imprimer son mouvement à la périlleuse nacelle, et soudain retournée, d’un seul pied elle donnait un certain élan au deuxième trapèze vide. Simplement retenue par les mains, l’artiste attendait une mystérieuse synchronisation, alors, les deux poignets délicats et si vigoureux quittaient volontairement leur point d’appui (je priais pour elle). C’était le vide, l’imprévisible, une fraction de seconde, et fidèle, le deuxième trapèze recueillait les deux mains tendues. En un clin d’œil assise, victorieuse, elle lançait un baiser et glissant sur l’échelle, redescendait chez les humains. Les membres merveilleux animaient de nouveau le peplos retrouvé… elle s’en allait, hélas, la belle travailleuse !

Qu’eussions-nous dit si, prenant Maman à témoin de notre enthousiasme, nous l’eussions vue soudain, horreur ! vêtue comme la trapéziste ! Les pauvres enfants d’aujourd’hui ne voient que des mamans trapézistes, qui ne font jamais de trapèze. Car le plus grand malheur, maintenant, le plus profond – l’inconsolable, c’est que les petits enfants ne voient plus de mamans chrétiennes. Chré-tiennes, elles le sont, ou croient l’être, elles vont à la messe et même elles prient, et même, maintenant, elles déplorent la Révolution dans l’Église, elles, ont l’horreur des messes casse-croûte et elles en sont pour le célibat ecclésiastique, mais ça ne se voit ni dans leur silhouette, ni dans leur démarche, dans « leur apparition » ;

C’est qu’avec la Mode – la Dame, la vision de la Dame a disparu, vous comprenez à qui je pense – à la Dame par excellence, la Mère par excellence, la belle Immaculée, la Dame de Lourdes, la Dame de la Salette, la Dame de Fatima, la Dame Annonciation, la Dame Piéta, le modèle de toutes les mères chrétiennes, l’Élégante souveraine, la silhouette céleste dont la robe atteint les pieds ornés de roses, dont les étoiles et « le croissant fin et pur » de la lune achèvent la toilette – celle qui apparaissait familièrement au Curé d’Ars et que d’aucuns ont vue, à la sacristie, une dame très distinguée, qui n’était pas entrée et qu’on n’a pas vu sortir – bref la Dame qui écrase le serpent, – Celle à qui toute mère baptisée doit obligatoirement ressembler. 99:139

La grande Dame. Les enfants ne voient plus de « dames ». Pourquoi dit-on encore « Madame » aux jeunes mariées,

servantes de la Mode. « Citoyenne » serait mieux ou « Minette ». Gaminette, par exemple. Mais pas ce nom sacré.

*

Deux petits Anglais, 7 ans, 4 ans, Humphrey et Guy, dont la mère est morte depuis trois ans, visitent les blés avec leur Papa et leur Oncle. On parle de la fête de la moisson. Quelles danseuses choisiront les deux petits garçons (3) ?

– « Quelle est la dame assez heureuse pour être favorisée de ton choix ? » demanda l’Oncle Charlie. – « Ce n’est pas une dame du tout, dit Humphrey avec indignation, c’est Dolly, la lingère. Elle porte

des patins et des manches retroussées, et ses bras sont aussi rouges que ses joues. Dolly ne ressemble pas le moins du monde à une dame. » – « Excepté le dimanche, répliqua le petit Guy, parce qu’alors elle baisse ses manches et se fait très belle.

– « Ce n’est pas cela qui lui donne l’air d’une dame, dit l’aîné des garçons d’un air dédaigneux. Ce n’est pas la peine de chercher à t’expliquer ce que c’est qu’une dame, Guy, car tu n’en vois jamais. »

– « Pas même Madame Jones, la femme de l’intendant ? » répliqua Guy timidement, car il se sentait sur un terrain dangereux.

3 – (1) Méconnu, par F. Montgommery (traduit de l’anglais) Lettre de la Péraudière – Janvier 69,

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100:139– « Non, dit Humphrey, ce n’est pas une vraie dame, ce que j’appelle une dame. Vois-tu, Guy,

ajouta-t-il en baissant la voix et se rapprochant de son frère afin de n’être pas entendu, je ne pourrai jamais te faire comprendre, parce que tu ne peux pas te rappeler Maman. »

– « C’est vrai ! » dit le pauvre petit Guy avec douceur. Il savait par expérience que l’argument était concluant, et il ne trouvait jamais rien à répondre (4).

Heureux celui garde l’image sacrée de sa mère, le souvenir délicieux de ce temps « où le bord de sa robe était notre univers ».

*

Les Anciens, les païens aussi, savaient qu’une Mère, une Matrona, une dame, marche dans les plis d’une longue tunique. Je vais encore vous citer Virgile.

Vénus est mère d’Énée. Vous savez que la mythologie sert tantôt le diable, tantôt le pressentiment du Dieu véritable. Ainsi Vénus est démon d’impureté, ou bien mère très digne du Pater Aeneas. C’est à ce titre qu’elle vient au secours de son infortuné fils, après la tempête, quand il erre dans des bois redoutables.

Pour rester inconnue, elle paraît en chasseresse de Sparte (5), je traduis : suspenderat arcum Venatrix…

Sa mère vint à lui, marchant dans la forêt, Avec le port, l’habit d’une vierge spartiate, Car, selon leur usage, elle avait à la hâte, Pendu l’arc à l’épaule, à la taille les traits Et laissé dans le vent flotter sa chevelure. De Diane chasseresse, elle imitait l’allure Et retenait d’un nœud, au-dessus du genou, La grâce de sa robe aux plis flottants et doux

Nuda genu, nodoque sinus collecta fluentes… 101:139

Mais voici quelle simple merveille la fait reconnaître (6) : et avertens rosea cervice refulsit…

Elle détourne alors un visage de roses, De ses cheveux s’exhale une suave odeur, Son vêtement divin reprend sa noble ampleur Les longs plis déroulés jusqu’à ses pieds reposent. Elle avance, et son pas nous la fait voir déesse, Le héros dit « ma Mère » à l’ombre qui s’enfuit, Puis il la perd des yeux, sa voix seule la suit.

ille ubi matrem agnovit…

Et nous, nous que la Pure et Parfaite est venue visiter, nous traînons des bébés dont les petites mains rencontrent des cuisses à la place des plis chéris de la robe maternelle.

J’ai vu un petit mignon de deux ans, entre les genoux de sa Mère en visite, jouer avec la peau de ses cuisses – il grattait, tirait, imprimait ses petits doigts. La femelle, habituée, « regardant vaguement quelque part ». D’ailleurs, à la piscine, à la mer, il la voit nue, avec deux pièces colorant deux places.

Ce vol invraisemblable, honteux, fait à l’enfant, personne ne s’en soucie. On ne le frustre ni de flatteries, ni de bonbons, ni de luxe, ni de confort, on lui vole « l’image immortelle de la mère ». Comme si la Sainte Vierge n’existait pas.

Quelles expiations devront payer cet effacement, cette suppression de la plus douce Majesté ! Il ne faut pas s’étonner ensuite, si nos enfants ne voient plus dans leur mère que la femelle, et nous

disent, comme ce gosse de cinq ans, averti et cynique : « hier, Maman a fait son petit ! ».

4 – (1) Méconnu, par F. Montgommery (traduit de l’anglais). Lettre de la Péraudière – Janvier 69.5 – (2) Énéide I, 319 etc.6 – (1) Énéide I, 402 et suiv.

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*

102:139Le vêtement, abri et chaleur du pauvre corps, le vêtement, voile de pudeur, le vêtement voile

d’infirmité, est encore commentaire de beauté. Dire qu’il faut rappeler ces choses aux femmes du christianisme, enté sur la dignité gréco-romaine ! La vie de l’esprit qui anime le corps passe dans l’étoffe, fait vivre les plis, fait tressaillir de grâce une écharpe et surtout une longue jupe.

Et vexa incessu patuit dea… Sa démarche la révèle déesse…

Il est vrai qu’on ne regarde plus la taille, le port, la démarche. Les jeunes filles se déhanchent et se roulent, plus soucieuses de montrer le nu, quel qu’il soit, que de spiritualiser le mouvement par « la tombée » vivante d’une belle toilette. Elles ignorent cette révélation.

On le voit quand, pour une comédie, pour une fête, on met une jeune fille dans la noble parure d’Angélique ou de Célimène. C’est un ravissement, elle se regarde entraîner cette gloire charmante en chacun de ses gestes, pourvu que la nature (rarement) ou un dur apprentissage lui permette de « savoir la porter ». J’en ai vu auxquelles la longue robe ou seulement un modeste costume régional enseignait d’emblée une fugitive dignité.

Notre temps est la mort du costume. Le corps est sans gloire, il lui reste l’appel de la luxure – je l’ai démontré, puisque les cuisses visibles ne s’expliquent que par là. Pressés, poussés, du métro dans l’auto, nous avons dû renoncer au volume qui célèbre le mouvement humain. Mais c’est l’impureté seule qui abolit l’ondoiement mesuré d’une jupe mi-longue, chantant la rapide démarche.

Depuis la raison grecque, depuis l’Empire romain, de-, puis la Loi avant la Rédemption, depuis Jésus-Christ, jamais épouses et mères n’avaient provoqué ainsi les fouets, le sarcasme, le dégoût et la colère divine.

*

103:139Je pense que j’ai fini – bien que le fouet soit encore tout neuf. Je vais vous offrir ma conclusion,

conclusion que je prends dans un jardin fermé et que je vous présente comme un bouquet parfumé de fleurs rares.

Comment êtes-vous, Madame, pour recevoir ce bouquet ? Tout entière de mon côté ? Ou un peu fâchée ? ou très fâchée ? Vous pensez, par exemple : « C’est trop de colère, trop de malice contre une mode respectable comme toutes les modes. » – C’est donc à vous que je m’adresse et je suppose que, assise et fâchée, les yeux sur vos genoux, vous en soyez à la conclusion – la conclusion la plus chaste, la plus aimable du monde. L’argument auquel vous vous rendez. – Je n’y suis pour rien, je m’en empare. C’est le soir, vous êtes lasse. Eh bien, pour le lire, allez mettre votre robe de chambre. Vous avez bien une robe de chambre longue, en nylon, en soie, en laine, qui bruit peut-être, quand vous marchez, ce bruit charmant, oublié, ce bruit de robe de maman. On vous aime bien comme cela. Alors lisez mon bouquet – cueilli aux Simples Tableaux d’Éducation de Mlle Monniot (1868).

Les réflexions entre ( ) sont de moi.

La robe de Jaconas rose

Ne voilà-t-il pas qu’une fillette dont les dix ans viennent à peine de sonner, ma petite Marie, s’avise, elle si naturelle et si simple jusqu’ici, de prendre… certaines petites manières prétentieuses ! Et pourquoi ? Pour une robe neuve une robe de jaconas rose qui lui sied à merveille, et dont chacun lui a fait compliment. Moi-même, j’avais eu la faiblesse, en lui essayant cette robe, il y a huit jours, de m’applaudir tout haut de l’avoir si bien réussie…

Vanité d’ouvrière, vanité de maman. La robe était bien faite, et ma fille me semblait jolie. La vanité engendre la vanité…

104:139Le jour où Marie a mais cette robe pour la première fois lui a paru un jour de fête. Elle était d’une

gaîté, d’un entrain !… Elle se regardait, du coin de l’œil, dans toutes les glaces – ce que j’ai feint tout d’abord de ne pas remarquer. Je craignais de donner corps à ces impressions fugitives, en l’obligeant à se les avouer (Ô FREUD, GRAND IMBÉCILE !). J’espérais d’ailleurs que la réflexion triompherait du

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premier mouvement… Point ! Ma fille a pris de plus en plus plaisir à contempler et la jolie toilette et la petite personne qui

s’en montrait parée (ADMIREZ LA PURETÉ ET LA GRÂCE DU STYLE). Ses amies étant absentes, elle s’est retournée, pour un épanchement insolite, du côté de notre vieille négresse Judith.

– « N’est-ce pas que cette couleur me va bien ? » lui demandait-elle avant-hier, au moment où j’entrais dans la chambre. Judith commençait un éloge hyperbolique, lorsque, sur un signe de Marie, elle s’est arrêtée court. Ma fille était devenue soudain plus rose que sa robe (PRÉSENCE DE LA MÈRE, RAPPEL DE LA CONSCIENCE).

– « Que disiez-vous donc à Marie, Judith ? » ai-je demandé. La bonne négresse a recommencé sa tirade. – « Je pense, ma fille, ai-je repris, que tu en sais assez maintenant, sur cette toilette. Nous t’avions

tous dit qu’elle est fort jolie ; tu as voulu aussi l’opinion de Judith. Tu vas cesser, sans doute, de t’en occuper ? »

– « Oui, Maman ! » Mais les coups d’œil au miroir n’ont pas diminué, non plus que l’air suffisant et les poses

maniérées… (CELLES QUE PRENNENT, SOUS L’ADMIRATION GÉNÉRALE, NOS FUTÉES de quatre ans).

Mes paroles n’avaient frappé que la surface sans pénétrer dans le jeune cœur où travaille le démon de la frivolité.

J’ai compris que j’userais inutilement mon influence contre le mur d’enceinte – si promptement élevé parce que l’ennemi trouve toujours, hélas, des intelligences dans la place. 105:139(QUELLE GRAVITÉ, QUELLE VUE DE FOI ! LÀ OÙ LES « ÉDUCATEURS » 1969 TROUVENT GAMINERIE, MATIÈRE A RIRE ET A EXCITER « L’ENNEMI »).

Et je me suis dit : « employons une ruse de guerre… » (L’ÉDUCATION = GUERRE AU DÉMON. QUI Y PENSE ?) Ne prononçant plus un mot contre la vanité, je laisse ma fillette se pavaner – secrètement troublée par les observations qu’elle a rejetées et par la gêne de sa conscience ; un peu blasée sur le plaisir, dont la nouveauté s’émousse – et cependant étonnamment satisfaite encore. (QUELLE ANALYSE, QUELLE VUE de l’âme ! QUEL ART DE comprendre pour veiller !) J’aurais pu faire mettre de côté la robe ; à quoi cela eût-il servi ? Ce n’est pas au prétexte, mais à la cause que doivent s’attaquer mes efforts. J’attendrai… une occasion propice, puis, Dieu aidant, je tenterai l’assaut. (ASSAUT, GUERRE, ENCEINTE : LE SÉRIEUX TRAGIQUE DE L’ÉDU-CATION… POUR UNE ROBE DE JACONAS ROSE ! MESURONS L’EFFONDREMENT DE NOTRE « PÉDAGOGIE ».

Ce 19 mai. – Il n’est venu qu’hier, le succès désiré. L’eussé je jamais pu croire, qu’une robe de jaconas me serait un rempart presque inexpugnable ! (MUSIQUE D’UNE LANGUE FERME, CLASSIQUE, HAUTEMENT DISTINGUÉE !) Chaque jour, depuis le commencement de mai, je fais faire à Marie une petite lecture dans « un mois de la Sainte Vierge » ; j’ai l’habitude d’ajouter quelques réflexions qui rendent plus personnelle et plus pratique pour ma chère enfant, l’impression produite. (MÉTIER DE MÈRE, QUI PARLE DE LA MÈRE PARFAITE.) Jusqu’ici, j’avais soigneusement évité toute allusion au but que je souhaitais poursuivre. Mais hier, l’occasion s’est présentée d’elle-même. Nous avions à contempler la divine Mère sur le Calvaire. Je me suis emparée, pour mon commentaire accoutumé, du texte sacré : « Ils prirent aussi sa tunique ; et comme elle était sans couture et d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas, ils se dirent : ne la partageons point, mais tirons au sort à qui l’aura… » 106:139

J’ai dit à ma fille que cette tunique avait été filée – la tradition l’affirme – par la Sainte Mère du Sauveur, dans la paisible solitude de Nazareth. « Avec quel amour elle avait dû se livrer à cet ouvrage ! Une mère n’est jamais plus heureuse qu’en s’occupant de ses enfants. Et la Vierge Marie voyait son Dieu dans son Fils… Le respect, l’admiration, l’amour remplissaient on cœur, tandis que travaillaient ses doigts agiles : (ALLEZ, LAISSEZ VOUS EMPORTER, MÉDITEZ, C’EST LE DEVOIR). Ce vêtement, pensait-elle, couvrira mon Fils pendant ses courses fatigantes… Je n’ajouterai pas un seul ornement à cette robe sans couture, mon Jésus ne le voudrait pas. Lui qui prêche aux hommes l’humilité, l’obscurité, qui leur recommande de ne pas plus s’inquiéter de leur parure que les modestes

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fleurs des champs… « Ô pauvre tunique dont va se revêtir le Dieu fait homme, si tu pouvais apprendre aux hommes à

chérir la simplicité !… Le monde recherche ce qui brille, et mon Jésus passe inconnu. Il est né dans une étable… il cache sa Majesté sous de grossiers vêtements, il se cachera plus complètement sous les ombres de l’Eucharistie. Mon Jésus vit de souffrances, d’humiliations. De ses vêtements, à Lui, l’on ne parlera que le jour où sa mort leur aura donné le prix qu’ils n’avaient point. Ma petite Marie, je comprends ton émotion. Telles devaient être les pensées de l’auguste Mère… Nous avons entendu parler de cette tunique sans couture, parce que le sang de Jésus-Christ l’a rendue plus précieuse que la pourpre des rois. Quel profit retirerons-nous, ma fille, de ces grandes leçons ? Voulons-nous être les disciples du monde, ou ressembler au divin Jésus ? » (TRIOMPHE DE LA FOI, DE L’ART, DE LA GRÂCE SURNATURELLE !) 

Ma fille chérie, hors d’état de me répondre, appuyait son visage sur ma poitrine en suffoquant. (AH QUE NOUS LES AVONS DURCIES, NOS FILLES, L’INDÉCENCE LES REND PIERREUSES.) 

Enfin, l’explosion s’est faite : – « Maman, Maman, vous aviez deviné que je devenais vaniteuse et coquette (CE GRAND

MALHEUR DONT SOURIENT AUJOURD’HUI LES DURS CŒURS MATERNELS). 107:139

– « Oui, Maman, j’aurais voulu montrer ma robe à tout le monde… Et pourtant j’avais honte de moi… j’avais de mauvais sentiments : je ne pouvais m’empêcher de penser qu’Émilie et Zoé n’ont pas de robe rose, et d’en être contente tout bas. A l’église, j’ai eu des distractions tout le temps… Vous m’avez avertie, et je n’ai pas suivi vos conseils. (CLAIRVOYANCE ET VIGUEUR DE LA CONSCIENCE.) Je crois que cette robe me rendait sourde. (C’EST CELA, la mode : MÊME LA PLUS HORRIBLE LES REND SOURDES.) Si je l’avais eue sur moi aujourd’hui, Maman, je n’aurais pas compris ce que vous venez de dire de la tunique de Notre Seigneur (ILS ONT FAIT QUE, DÉVÊTUES COMME ELLES SONT, elles ne peuvent plus REGARDER JÉSUS-CHRIST).

« Que faut-il que je fasse ? Est-ce que vous ne voudriez pas me reprendre ma robe ? Mais c’est vous qui l’avez faite, je ne peux la mépriser… Quel malheur que vous n’en ayez pas choisi une autre, Maman ! »

A ce débordement d’aveux, de regrets et de reproches, j’ai répondu : « J’étais fort éloignée de supposer, ma chère enfant, que cette robe produirait sur toi de si fâcheux

effets – je l’ai choisie parce que je la trouvais jolie et que je pensais qu’elle t’irait bien ! »

– « Mais Maman, a-t-elle interrompu vivement, c’est juste ce que j’ai pensé moi aussi. Alors ce n’est donc pas mal, puisque vous-même… (tout ce qui suit est pour la jolie et décente robe de jaconas rose ; ce n’est pas pour ces pagnes que je n’ose qualifier entre ces lignes si pures). – « Écoute-moi, ma fille. Il n’est pas défendu à une mère de soigner la toilette de ses enfants. C’est même une obligation… je vous habille toujours simplement. Une robe de jaconas n’a rien d’extraordinaire… »

– « Ce n’est pas le jaconas, Maman, a-t-elle balbutié, c’est le rose. » 108:139

– « Le rose était nouveau pour toi… j’ai trouvé naturel le premier mouvement de plaisir. Tu es une enfant… Mais, ce que je blâme, c’est l’excès de ta joie pour si peu de chose. Notre-Seigneur a dit : « Où est votre trésor, là est votre cœur ». Ton trésor serait donc une robe de jaconas rose ? »

– « Oh Maman, non ! » – « Non, ma fille. Ton trésor est placé ailleurs, dans l’amour du bon Dieu, la tendre affection pour

tes parents, pour ton frère, ta sœur, tes jeunes amies… Mais alors, pourquoi tant de pensées à ce que tu n’aimes point (PUISQUE VOUS HAÏSSEZ LES ERREURS DE CE TEMPS, POURQUOI PORTER SA LIVRÉE AVEC TANT DE SOUMISSION ?) 

– « Je ne comprends pas d’où cela peut venir, Maman. » – « Je vais te l’apprendre. (ÉCOUTONS BIEN !) Ce n’est vraiment pas la robe que tu aimes : une

futilité qui pare ton corps et ne peut rien pour le bien de ton âme. (NON, CE N’EST PAS CETTE MODE, FEMMES CATHOLIQUES ET SÉRIEUSES, QUE VOUS AIMEZ.) Ce que tu aimes trop, c’est toi.

– « Moi, Maman, oh je vous assure que je me déteste, parce que je vois comme je suis méchante ! » – « Si tu te détestais, ma fille, tu ne serais pas enchantée que l’on te trouvât bien. Tu ne ferais pas

mille efforts pour obtenir des éloges… Tu n’aurais pas tant de plaisir à te regarder. » (S’AIMER DANS

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UNE JOLIE ROBE ! MAIS S’AIMER DANS UNE MODE INFÂME !!) – « Maman, reprenez ma robe, je vous en prie. Faites en une robe pour Hélène. » – « Je ne suis pas de ton avis, ma fille, ce serait un triomphe du démon… tu t’avouerais vaincue,

n’ayant pu porter ta robe de jaconas rose sans que la tête t’en tournât. Je veux que tu t’habitues à mettre une toilette sans y attacher d’importance. Prends ce que je te donne. Le mal est dans l’amour déréglé de soi-même. »

– « Maman, j’ai peur de moi. Le moyen le plus sûr, ce serait de me faire porter des robes laides. » – « Le moyen le plus sûr, le voici, ma chérie : dans chacune de tes toilettes, laide ou jolie, rappelle-

toi la pauvre tunique du Sauveur. »

*

109:139Heureuse robe de jaconas rose : jolie et décente. Jusqu’où a été l’amour déréglé de nous-mêmes de

porter le laid et l’indécent par soumission au méprisable. Respirons le parfum de cette éducation chrétienne !… Je le sais ! Je sais d’où vient notre malheur.

Les consacrés dont la chasteté garde nos foyers, les prêtres, ont renié la sainte tunique. Un prêtre qui dépouille la livrée de Jésus-Christ, qui prend pour modèle la livrée du monde, c’est par un mystère poignant, une victoire de l’antique serpent sur la décence et la grâce des mères et des filles.

Mais enfin, dans la trahison multipliée, il faut bien nous sauver. Alors prenez le moyen le plus sûr : en pensée, près de la Mère des douleurs, devant la glace, interrogez-vous durement : « Puis-je, avec cette robe, « depuis le haut jusqu’en bas », honorer la sainte tunique de Jésus-Christ ? »