40
06 LES SOUS-MARINS DU SOMERSET A la découverte des meilleurs systèmes sonar du monde 16 PIRATERIE MARITIME Comment la technologie contribue à protéger la navigation dans les zones à risque 22 SUR LA BONNE VOIE Révolution ferroviaire au Danemark « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au développement d’un cyber-arsenal » Daniel Ventre, Centre national de la recherche scientifique aéronautique • espace • transport terrestre • défense • sécurité

« Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

  • Upload
    ngothuy

  • View
    212

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

06 Les sous-marins du somerset A la découverte des meilleurs systèmes

sonar du monde

16 Piraterie maritime Comment la technologie contribue à protéger la navigation dans les zones à risque

22 sur La bonne voie Révolution ferroviaire au Danemark

« Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au développement d’un cyber-arsenal » Daniel Ventre, Centre national de la recherche scientifique

aéronautique • espace • transport terrestre • défense • sécurité

Page 2: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

» 02 L 'ennemi i nv is ib leLa cybersécurité est devenue affaire d’Etats. Pour mener cette guerre d’un nouveau genre, il faut bien plus que des pare-feu et des « bidouilles » informatiques…

» 06 Chasse aux sous-mar ins dans l e Somerse tLes sonars ne servent pas qu’à repérer un danger potentiel. Ils peuvent faire la différence entre la vie et la mort.

» 10 Réact ions en chaîneNombre de technologies innovantes dépendent de terres rares et autres matériaux critiques.

» 14La tê te dans les é to i l esPlusieurs milliers de satellites artificiels gravitent autour de la Terre. Qui les contrôle et à quoi servent-ils ?

» 16 Av is de tempête sur la p i ra ter ie Touchés mais pas coulés, les pirates continuent de menacer la navigation dans certaines zones. Comment s’en protéger ?

» 20 Big Data : vous avez d i t « cr i t ique » ? Passer au crible d’énormes volumes de données brutes pour générer de petites quantités d’informations utiles, c’est la promesse des Big Data.

» 22 Le Danemark mène le t ra in Le Danemark investit plus de 3 milliards d’euros dans un programme de signalisation révolutionnaire qui va transformer l’intégralité du réseau ferré.

» 26 Embarquement pour l e fu tu r Le passage au numérique ouvre la voie de la gestion du trafic aérien du futur.

» 30 La pu issance de BELLA Un accélérateur de particules miniature aux performances remarquables.

» 32 Eco taxe : de nouve l les règ les de condu i te Le péage routier est à un carrefour sous l’effet des technologies les plus récentes. Mais quelle voie choisir ?

» 36 L ' i nnova t ion chez les s inges e t l es hommes Pascal Picq est le pionnier de « l’anthroprise ». Un éclairage original sur le lien entre évolution de l’espèce, innovation technique et management.

SommAiRE

Le monde dans lequel nous

vivons et travaillons change si vite qu’il n’est guère aisé d’en suivre la marche. D’après les estimations, la population mondiale pourrait atteindre 8,3 milliards en 2030. Plus de la moitié de ces habitants, soit 4,9 milliards de personnes, appartiendront alors aux classes moyennes, synonymes d’attentes et d’exigences accrues.

Nous vivons aussi à une époque où les systèmes et les machines interdépendantes et interconnectées connaissent un essor sans précédent, créant un volume d’informations qui nous submerge.

On estime qu’en 2011, 90 % des données circulant dans le monde avaient été générées dans les deux dernières années. Le volume de données échangées chaque jour serait de l’ordre de 2,5 trillions d’octets, un chiffre qui pourrait croître de 40 % par an sous l’influence des terminaux mobiles.

Plus de 30 % de la population mondiale a d’ores et déjà accès à Internet – cette proportion devrait se porter à 99 % d’ici 2030, ordinateurs et appareils mobiles devenant abordables pour toutes les bourses.

Tous ces changements ne feront qu’aggraver la pression qui s’exerce sur nos systèmes et ressources, et fragiliseront notre sécurité, en introduisant des failles nouvelles et inattendues.

L’A u t o m n e 2 01 3

6

16

26

32

36

Directeur éditorial Keith Ryan Directeur de la création Nick Dixon Directeur de la publication Ian Gerrard Responsable de production Karen Gardner Traduction e-files Fondateur et directeur éditorial Stuart Rock Directeur financier Rachel Stanhope Fondateur et directeur de la communication Matthew Rock • Publié par Caspian Media Ltd pour Thales. Les opinions exprimées n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient en aucun cas engager la responsabilité de Thales ou de Caspian Media Ltd. Caspian Media Telephone 020 7045 7500 Email [email protected] Web caspianmedia.com

Page 3: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Comment comprendre et maîtriser une complexité si fine, un tel degré d’intrication ? Plus précisément, comment aider les grands décisionnaires de notre monde à mettre de l’ordre dans des systèmes si chaotiques et à exploiter ce flux incessant de données ?

La réponse, c’est l’innovation intelligente. Plutôt que de considérer cette complexité comme une menace, l’innovation intelligente la voit comme une promesse. Cet « internet des objets » à l’échelle mondiale devient le paysage dans lequel peuvent se construire de nouveaux modèles sociaux et commerciaux.

Un accès illimité, sans précédent, à la communication, à l’éducation, à l’autonomie partout dans le monde, davantage de moyens pour peser, sur le plan commercial et sociopolitique,

grâce à un réseau de technologies intégré. Imaginez ce que cela signifierait pour le monde dans lequel nous vivons : cela changerait tout.

L’innovation intelligente est notre meilleur atout, la mise en œuvre des idées notre plus grande force.

De nouvelles applications apparaissent autour de l’internet mobile : la santé mobile repousse les frontières de la communauté médicale, la finance mobile devient la norme, du Japon au Kenya. Des méthodes d’analyse avancée sont appliquées aux systèmes routiers pour que les ralentissements – voire les accidents – ne soient un jour qu’un mauvais souvenir.

Les armées elles-aussi s’emparent de cette nouvelle technologie, pour améliorer la vitesse opérationnelle de déploiement des centres de

commandement en environnement militaire. De nouvelles interfaces homme-machine sont mises au point, si sophistiquées qu’elles prennent en compte l’état psychique de l’opérateur. Le cloud computing et les architectures logicielles orientées services offrent aux secteurs public comme privé le moyen de tirer du flux des données des opportunités inimaginables jusqu’ici. Et ce ne sont là que quelques exemples.

Dans ce monde en rapide mutation, la pensée innovante décidera du destin de chacun : qui va croître et évoluer, qui va s’étioler et péricliter ? Nous devons repousser sans cesse nos limites pour affronter ce monde interdépendant et interconnecté avec intelligence.

01

« L’innovation intelligente est notre meilleur atout, la mise en œuvre des idées notre plus grande force. Nous sommes animés du désir de toujours faire mieux, qu’il s’agisse de technologies ou de performances environnementales, ou même du financement de l’innovation. »

mondial des satellites de télécommunications, de la gestion du trafic aérien et plus encore.

du chiffre d’affaires de Thales sont investis en R&D pour faire de concepts innovants les applications du quotidien.

du volume pressurisé de la Station spatiale internationale a été fourni par Thales.

#1 20% 50%

L'innovation en chiffres

Marko Erman Directeur technique, Thales

«la mise en œuvre des idées notre plus grande force. Nous sommes animés du désir de toujours faire mieux, qu’il s’agisse de technologies ou de performances environnementales, ou même du financement de l’innovation.

Page 4: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

« On assiste à une évolution de la typologie des attaquants. Leurs motivations ont évolué et ils agissent de manière plus structurée, mettant en place des attaques de plus en plus sophistiquées » Vincent Marfaing, responsable de l’activité Sécurité des technologies de l’information chez Thales

02 Défense: cybersécurité

Page 5: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

1 Partout dans le monde, la

cybersécurité devient un élément essentiel de la stratégie des gouvernements.

2 La sécurité des systèmes

informatiques doit désormais faire face à des menaces aussi bien internes qu’externes.

3La clé d’une cybersécurité

efficace est d’essayer de garder en permanence une longueur d’avance sur l’ennemi ou bien, si cela n’est pas possible, de se tenir prêt à réagir rapidement en cas de menace.

En bref

Il s’agit d’un combat contre un ennemi invisible », déclarait un ancien ministre de la Défense britannique en 2011 pour justifier la hausse des dépenses consacrées à la cybersécurité en dépit des coupes réalisées dans le budget de la défense nationale.

Ce ministre mettait là le doigt sur ce qui constitue un enjeu majeur pour les entreprises et les gouvernements, à savoir lutter contre le scepticisme des actionnaires et des contribuables et leur faire comprendre que cette menace intangible, brandie par des criminels sans visage cachés quelque part au milieu du cyberespace, peut avoir des conséquences désastreuses dans le monde réel : effacement des comptes bancaires, coupure des réseaux d’électricité, paralysie - voire destruction - des infrastructures de services publics, perturbations au niveau des systèmes gouvernementaux ou encore désactivation des systèmes stratégiques militaires.

Les attaques informatiques peuvent prendre des formes extrêmement variées et viser des motifs tout aussi divers. « La plupart des attaques ont pour but de voler des informations, principalement de la propriété intellectuelle et des secrets de fabrication. Or, le vol de données et les interruptions d’activité sont les menaces qui coûtent le plus cher », explique Cynthia Provin, présidente de Thales e-Security Inc.

Les entreprises sont la cible potentielle « d’hacktivistes » ou d’individus malveillants dont l’objectif est de détruire ou de bloquer les sites web ; les institutions financières de criminels cherchant à extorquer des données sensibles telles que les coordonnées de cartes bancaires ; à un autre niveau, les industriels peuvent être ciblés par des concurrents ou des gouvernements étrangers dans un but d’espionnage industriel. L’attaque dont a été victime le groupe pétrolier saoudien ARAMCO est probablement l’une des

trefor Moss

Certains des conflits les plus âpres se livrent de nos jours non pas sur le terrain, dans des pays éloignés, mais à l’abri des regards, au sein même de nos systèmes informatiques. Or, force est de constater que les attaques visant aujourd’hui nos réseaux ne sont plus le simple fait de quelques pirates en herbe cherchant à prouver leurs talents d’informaticiens, mais bel et bien l’œuvre de gouvernements. une question se pose : face à cette menace invisible, dont on ignore tout, y compris quand on en est la cible, quelles solutions s’offrent à nous ?

L'ennemi invisible

03

Page 6: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

04 Défense: cybersécurité

plus graves commises à ce jour à l’encontre d’une entreprise. Lors de cette attaque, la plupart de ses systèmes informatiques, y compris des fichiers sensibles, ont été infectés par le virus Shamoon.

« Au fil du temps, on assiste à une évolution de la typologie des attaquants », explique Vincent Marfaing, responsable de l’activité Sécurité des technologies de l’information chez Thales. Leurs motivations ont évolué et ils agissent de manière plus structurée, mettant en place des attaques de plus en plus sophistiquées ».

Les attaques visent aujourd’hui des entités de plus en plus grosses, des entreprises bien sûr, mais également des gouvernements et des organisations militaires.

« Cybercrime, cyberespionnage, cybersabotage ou encore cyberguerre : la menace ne cesse d’évoluer, constate Daniel Ventre, chercheur au CNRS. Les acteurs qui composent l’écosystème de la cybercriminalité semblent posséder des moyens de plus en plus importants, avec pour effet une escalade de la menace en termes de violence et de volume. »

La plupart des personnes et des entreprises ont aujourd’hui conscience de la nécessité de protéger leurs systèmes contre les logiciels malveillants, ne serait-ce qu’au moyen de simples pare-feu ou anti-virus. D’ailleurs, d’après Daniel Ventre, la majorité des attaques peuvent être déjouées au moyen d’outils de sécurité relativement basiques.

« Quatre vingt pour cent des incidents pourraient être évités en appliquant des règles de sécurité très simples : par exemple, avoir recours au cryptage et éviter de stocker des données sensibles, professionnelles ou privées sur un seul et même support », explique-t-il. Toutefois, c’est aux entreprises de déterminer le niveau de protection dont elles pensent avoir besoin en fonction des moyens financiers

dont elles disposent.« Dresser un mur virtuel pour

empêcher les intrusions ne constitue guère mieux qu’une première ligne de défense, laquelle a peu de chances de résister bien longtemps face à un pirate chevronné, estime Ross Parsell, directeur grands comptes (publics et privés) et expert en cybersécurité chez Thales. Certaines entreprises consacrent des sommes considérables à la cybersécurité, mais concentrent une trop grande partie de leur budget à empêcher les hackers de pénétrer dans leurs systèmes ».

« Or, il faut partir du principe que les pirates se sont d’ores et déjà introduits dans votre système ou qu’ils sont sur le point de le faire, explique-t-il. Les hackers ont très vite fait de trouver la faille et d’en alerter leurs comparses. Leurs méthodes de travail sont extrêmement dynamiques ». Face à des adversaires aussi rapides, les entreprises doivent adopter des solutions plus complètes pour protéger leurs données sensibles.

« La défense doit s’organiser selon quatre axes, précise-t-il. Il y a tout d’abord la couche de protection externe avec l’utilisation de barrières et de mécanismes de cryptage ; puis il y a la détection qui permet d’agir de manière proactive et de surveiller qui cherche à pénétrer dans le système ; il faut ensuite prévoir un mécanisme de réponse qui permet, lorsqu’une anomalie est détectée, de décider quelle action prendre pour y faire face ; et enfin, il y a le risque résiduel, aspect qu’il est important de prendre en compte sachant que l’ennemi a toujours une longueur d’avance sur nous. »

Vincent Marfaing, pour sa part, veut faire comprendre aux entreprises que la cybersécurité, ce n’est pas tant se mettre à l’abri de toute attaque, mais plutôt atténuer

les effets qu’une attaque peut avoir sur les systèmes. Il décrit cette

approche comme une position de défense active, par opposition à une défense statique qui se limite à ériger des pare-feu. « On est dans une posture de surveillance, avec des capteurs disséminés un peu partout dans le réseau qui génèrent de grandes quantités de données et les mettent en corrélation. Cela implique une connaissance poussée du domaine. On quitte la sphère de compétence des informaticiens classiques pour entrer dans celle des experts en cyber-réaction ».

On touche là à un domaine tellement pointu que de nombreuses entreprises n’ont tout simplement pas les capacités requises en interne pour mettre en place une cyberdéfense efficace. Ces entreprises doivent donc se tourner vers des professionnels comme Thales pour louer les services de véritables experts.

Parmi les services proposés, figure ce que Vincent Marfaing appelle les « attaques éthiques ». « Il est nécessaire de connaître les techniques d’attaques, explique-t-il. Nous disposons donc d’équipes dont la mission est d’attaquer les systèmes pour tester leur résistance face aux tentatives d’intrusion. »

Le processus de surveillance ne peut pas être automatisé : il nécessite en effet l’intervention d’analystes ultra qualifiés pour interpréter les tactiques et les intentions des agresseurs. Pour Ross Parsell, cela implique de faire des choix stratégiques et d’adopter notamment une approche dans laquelle on accorde un niveau de protection différent à chaque partie du réseau.

« Un changement de mentalité s’impose pour déterminer ce qu’on veut absolument préserver au sein de son

Page 7: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

05

réseau. Certaines informations sont critiques, d’autres ne le sont pas. »

Pour les entreprises du secteur privé, investir dans la cybersécurité peut toutefois s’avérer problématique.

« Oui, la sécurité a un coût, constate Vincent Marfaing, et il faut trouver le compromis entre sécurité et efficacité. » Ce compromis constitue un enjeu particulièrement délicat lorsque des entreprises privées exploitent des services publics indispensables à la société. Des attaques peuvent en effet causer un lourd tribut en vies humaines et de graves pertes économiques si celles-ci visent par exemple les infrastructures qui servent à contrôler les réseaux de distribution d’eau ou d’électricité de la ville.

La plupart des experts en cybersécurité s’accordent à penser que les gouvernements occidentaux sont en avance sur le secteur privé en matière de lutte contre les cyberattaques.

« La cybercriminalité visant les gouvernements est en hausse partout dans le monde, constate Cynthia Provin. Alors que les dépenses en matière de défense sont en baisse dans la plupart des pays, les investissements dans la cybersécurité continuent de croître. Aux Etats-Unis, le gouvernement prévoit de dépenser 10,5 milliards de dollars par an d’ici 2015 dans la sécurisation des informations. »

La série d’attaques dont l’Estonie a été victime en 2007 a constitué un exemple flagrant des conséquences que peut avoir une attaque massive contre des réseaux étatiques.

Les pertes causées par ces attaques ont donné lieu à une prise de conscience non seulement au niveau des gouvernements, mais également chez les autorités militaires, les poussant à investir davantage dans la

cyberprotection. Au départ, les efforts se sont concentrés sur l’aspect défensif.

Toutefois, on constate aujourd’hui une réorientation croissante des investissements vers le déploiement de capacités offensives. « Pour les infrastructures de communications militaires, l’enjeu reste complexe étant donné l’impact désastreux que les attaques peuvent avoir sur les vies humaines, explique Daniel Ventre. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les gouvernements envisagent d’adopter des stratégies dissuasives. La conclusion qu’une cybersécurité vraiment infaillible est un objectif inaccessible justifie le recours à de nouvelles politiques : se positionner sur des stratégies offensives

est perçu comme un moyen de dissuasion face à la recrudescence de la cyberviolence au niveau international. »

Le dispositif de cybercommandement mis en

place en octobre 2010 par l’armée américaine est en train de devenir un élément central de la stratégie de défense des Etats-Unis. Il ne fait désormais plus de doute que ce sont les Américains qui ont utilisé le virus Stuxnet pour attaquer le programme nucléaire iranien et, selon certains analystes, le virus Flame qui a également visé l’Iran serait aussi une arme informatique développée par les Etats-Unis.

« Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au développement d’un cyber-arsenal, affirme Daniel Ventre. Les pays se livrent une compétition acharnée pour se doter des meilleures capacités d’attaque ». Toutefois, précise-t-il, le processus risque d’être complexe. Alors que les armées commencent à peine à élaborer leurs doctrines de guerre dans le cyberespace, la

définition de ce qu’est un acte de cyberguerre reste encore très floue et les pays se trouvent confrontés à plusieurs questions difficiles, notamment celle de savoir quand et dans quelles circonstances il est légal d’utiliser des cyber-armes.

Pour certains pays - en particulier ceux qui sont sous la pression fiscale alors même qu’ils reconnaissent la nécessité d’accroître les dépenses dans la cybersécurité - la priorité est maintenant de rendre les systèmes de cyberdéfense civils et militaires aussi complémentaires que possible, et d’adopter une stratégie de cybersécurité transversale, plutôt qu’une approche morcelée, forcément plus coûteuse.

« Les dirigeants ont maintenant conscience des effets qu’une cyberattaque pourrait avoir et c’est pour cela qu’ils essaient de bâtir une approche coordonnée », explique Ross Parsell.

Vincent Marfaing pense lui aussi que « les pays ont pris conscience de la nécessité d’intégrer les systèmes critiques gouvernementaux et militaires. »

« C’est en partie pour cette raison que nous voulons intégrer la cybersécurité dans tout ce que nous faisons chez Thales. C’est une évolution naturelle de notre façon de travailler, explique Vincent Marfaing. C’est également pour cela que nous avons participé à la création d’une chaire de cyberdéfense et de cybersécurité en collaboration avec le centre de recherche des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan et la société Sogeti. Des initiatives de ce genre sont essentielles pour soutenir les efforts menés pour combattre la menace au plus haut niveau possible. »

Aussi invisibles qu’ils soient, les cyber-attaquants n’en demeurent pas moins dans le collimateur des autorités militaires et des gouvernements partout dans le monde.

« nous sommes à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au développement d’un cyber-arsenal » Daniel Ventre, chercheur au CNRS

Page 8: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Chasse aux sous-marins dans le Somerset

06

Région discrète par nature, le sud du Somerset, en Grande-Bretagne, recèle de captivants mystères. C’est ici, dans ce comté rural, que se trouveraient les vestiges de Camelot, la cité légendaire du roi Arthur et que serait enterré le Saint-Graal. Mais une autre énigme, plus récente, se pose : pourquoi cette région verdoyante plantée de pommiers, est-elle la terre d’élection des technologies de détection sous-marine les plus sophistiquées au monde ? Plongée dans une histoire pleine de bruits et de capteurs.Bienvenue à Templecombe. Ce petit village

accueille l’un des cinq principaux sites que Thales opère en Grande-Bretagne, en France et en Australie pour la conception, le développement et la fabrication des sonars et autres systèmes associés. Une technologie de pointe dont Thales est le leader mondial.

Cela fait plus de cinquante ans maintenant que Templecombe se trouve au cœur de l’expertise nécessaire à l’élaboration des réseaux intégrés d’hydrophones installés sur les flancs et l’étrave des submersibles – quand ils ne sont pas remorqués. Durant ces cinq décennies, Thales a ainsi équipé tous les sous-marins nucléaires britanniques de ses systèmes sonar

« Templecombe a la réputation méritée d’être un centre d’excellence dans ce domaine et c’est un maillon clé de l’activité de Thales dans le domaine de la lutte sous la mer, explique Kevin Whitfield, directeur du Méta Centre de Compétences – Sonar Hardware Products.

L’activité sonars assure ainsi la conception, la fabrication et la maintenance d’une large gamme de produits et systèmes destinés aux sous-marins et aux bâtiments de surface, ainsi qu’aux navires et aux avions spécialisés dans les contremesures anti-mines. Il englobe également les sonars de coque, les systèmes à immersion variable et les sonars trempés, ainsi que les bouées acoustiques et les systèmes de traitement associés, les produits de communication spécialisés et les antennes.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la discrétion de son site constitua un incontestable avantage pour Templecombe. Mais le village était situé à une jonction ferroviaire qui permettait de le relier aux bases navales et aux centres de recherche de Portland, Portsmouth, Plymouth et Londres. Vingt ans plus tard, les années soixante marqueront la fermeture de nombreuses voies ferrées dans le pays. Déjà tranquille par nature, désormais privé de liaisons ferroviaires, Templecombe allait

Stuart Rock Liam Sharp

Les yeux et les oreilles Les yeux et les oreilles Sonar et mâts optroniques Thales fournit le Sonar 2076, un système destiné aux sous-marins de recherche et d’attaque, pour les 6e et 7e bâtiments de classe Astute de la Royal Navy. Thales fournit également deux mâts optroniques CM010 non pénétrants. Ces systèmes constituent conjointement les « yeux et les oreilles » du sous-marin. Thales est également présent avec un système de mesures de soutien électronique, doté de deux antennes multifonctions installées sur mâts. Ce système à haute performance est capable d’identifier d’autres plateformes navales équipées de systèmes radar, opérant dans la zone.

Page 9: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Chasse aux sous-marins dans le Somerset

07

1 Les sonars et autres

systèmes sous-marins redéfinissent les frontières de la défense navale.

2 Le défi consiste à

s’assurer que les lignes de détection sont suffisamment précises et immédiates pour offrir le soutien adéquat pendant un processus de prise de décision particulièrement critique.

3 Les systèmes sonar

remorqués permettent aux frégates de localiser les sous-marins les plus récents à des distances considérables, au-delà de la portée à laquelle ils sont en mesure de lancer une attaque.

En bref

Les yeux et les oreilles

Page 10: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

« De nombreuses marines possèdent des sous-marins, mais rares sont celles qui

peuvent – ou souhaitent – utiliser la panoplie complète de leurs capacités. »

Steve Ramm, développement des activités sous-marines, Thales

08 DéfenCe : SonAR

s’enfoncer un peu plus dans l’isolement. Ce site est pourtant on ne peut mieux

approprié au type de travail auquel s’adonnent les spécialistes de Thales : la discrétion et la furtivité d’un sous-marin ne sont-elles pas, in fine, les vertus cardinales des submersibles du monde entier ?

Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) des forces de dissuasion nucléaire, armés de missiles stratégiques, doivent être indétectables. Les bâtiments britanniques de classe Vanguard, et leurs homologues français de classe Triomphant sont aujourd’hui les principaux vecteurs de la puissance nucléaire des deux nations. Et la force de dissuasion des Etats-Unis s’appuie elle aussi, de plus en plus, sur les submersibles.

Les sous-marins nucléaires d’attaque remplissent quant à eux plusieurs types de missions. Mais la furtivité demeure la clé de voûte de tous ces bâtiments. Les SNA protègent les SNLE et s’opposent aux autres submersibles, ainsi qu’aux navires de surface. De plus en plus souvent, ils assument un rôle de surveillance, à proximité de côtes hostiles.

« Les sous-marins peuvent s’approcher silencieusement sans se faire remarquer, explique Steve Ramm, en charge du développement des activités sous-marines de Thales au Royaume-Uni.

La flexibilité des sous-marins reste un atout majeur. Ces bâtiments peuvent en effet opérer en totale autonomie, ou de concert avec d’autres forces opérationnelles.

« Ils peuvent changer de mission sans avoir à revenir au port, souligne Steve Ramm. « Quand ils prennent la mer, ils sont

prêts à endosser tous les rôles auxquels ils ont été préparés. »

Rien de surprenant donc à ce que les marines nationales emploient davantage de sous-marins qu’auparavant, bien que six seulement soient dotées de sous-marins nucléaires. Qu’ils soient conventionnels ou nucléaires, la construction de ces bâtiments est toujours difficile et requiert des infrastructures techniques et des capacités d’ingénierie substantielles pour assurer leur support tout au long de leurs trente années de service actif.

« Leur exploitation nécessite beaucoup d’expérience et un important support à la formation, rappelle Steve Ramm. De nombreuses marines possèdent des sous-marins, mais rares sont celles qui peuvent – ou souhaitent – utiliser la panoplie complète de leurs capacités. »

Toutes les marines utilisent cependant leurs sous-marins pour surveiller et protéger leurs eaux territoriales, d’où la nécessité de disposer des meilleurs systèmes sonar. Cela signifie aussi qu’ils ont besoin, tout comme les navires de surface affectés à cette même surveillance, de sonars plus performants pour détecter d’autres sous-marins – indésirables quant à eux. Ce qui conduit à son tour au développement de systèmes de propulsion plus silencieux, dans l’espoir de ne laisser échapper aucun indice acoustique susceptible d’être détecté. Dans ce cycle sans fin, la course à la furtivité bat son plein.

La science du sonar est relativement récente. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a commencé à utiliser des « sonars actifs » permettant

d’envoyer un signal vers un autre navire qui le répercutait en retour. Le problème étant qu’un sonar actif signale la présence de la plate-forme émettrice et que, d’autre part, la qualité du signal, après cet aller-retour, se trouve assez fortement dégradée. Il devint vite évident qu’il serait beaucoup plus efficace d’écouter les sons se dirigeant vers le sous-marin : le signal étant dans ce cas plus clair et plus puissant, et la présence du submersible n’étant pas décelée. Forts de ce constat, il s’agissait désormais de fabriquer les meilleurs capteurs acoustiques possibles.

Les capteurs doivent être capables de recueillir des signaux traversant l’eau et les cloisons du sous-marin. Ces données doivent ensuite être traitées et affichées de manière utilisable par le commandant et les opérateurs sonar. Autrement dit, les yeux et les oreilles du bâtiment doivent détecter, transmettre, interpréter et communiquer les signaux au cerveau de façon compréhensible.

Pour ce faire, les sous-marins sont

Page 11: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

09

Un commandant de sous-marin a besoin d’une vision à 360°. Les opérateurs sonar doivent donc écouter et faire le tri entre les signatures sonores et visuelles.

équipés sur leurs flancs et à leur proue de vastes réseaux d’antennes. Plus la « fenêtre » est large, plus il est possible de recevoir d’informations. Mais les sous-marins remorquent également des antennes sous forme de longs flexibles renforcés d’une centaine de mètres, bourrés d’hydrophones et reliés à des câbles encore plus longs – une sorte de microphone sous-marin géant filé au gré d’un dévidoir. Ces antennes, et les systèmes de télémétrie qui y sont associés, sont fabriqués par Thales à Templecombe, mais aussi à Brest, l’autre site spécialisé.

La possibilité d’augmenter la taille des antennes est toutefois limitée. Une fois les capteurs installés, les capacités servant à extraire le signal – et les systèmes du sous-marin pour traiter les informations –, sont quasiment l’unique moyen d’améliorer les performances.

Les capteurs les plus gros et les plus performants se trouvent aujourd’hui intégrés au système sonar 2076 de Thales. Installé sur

les nouveaux sous-marins de classe Astute de la Royal Navy, ainsi que sur les bâtiments de la classe Trafalgar, le système 2076, qui est basé sur une architecture ouverte, offre la possibilité d’être régulièrement actualisé, à moindre coût.

Le facteur humain

Aussi sophistiqués soient-ils, les systèmes embarqués ne résument pas à eux seuls les capacités du sous-marin. Le facteur humain demeure un élément crucial.

« On a toujours besoin de gens intelligents dans la boucle », note Steve Ramm. La première préoccupation d’un commandant de sous-marin est de disposer d’une vision à 360°. Faute de savoir que son bâtiment est en sécurité, il ne pourra l’utiliser pour en tirer tous les avantages tactiques et stratégiques.

Pour disposer de cette vision circulaire complète, les opérateurs sonar doivent écouter et faire un tri approprié entre les signatures sonores et visuelles.

« C’est une chose d’entendre le bruit d’un navire, c’en est une autre de pouvoir le classer et dire ce qu’il fait », fait observer Steve Ramm.

Cette aptitude à opérer de subtiles distinctions dans les signaux s’applique aussi bien aux conditions ambiantes qu’aux navires. Par exemple, les bruits sont considérablement amplifiés quand un bâtiment se trouve à proximité du littoral.

« Les hauts fonds entraînent des modifications considérables dans les bruits ambiants, explique Steve Ramm. « Il peut s’agir d’interférences avec la terre, de bateaux de pêche ou de la faune marine – le bruit de dauphins avalant des crevettes peut

oblitérer tout le reste. Un bon opérateur aide le commandant à comprendre l’environnement, et notre rôle est de leur fournir les outils nécessaires pour interpréter et exploiter tout cela. »

Sans oublier l’autre composante de l’équation – l’art de la lutte anti-sous-marine. Un art qui englobe tous les vecteurs disponibles : des navires de surface, des avions de patrouille maritime, des hélicoptères et des sous-marins, tous travaillant de concert pour identifier, dissuader, poursuivre et attaquer.

Dans ce domaine aussi Thales est un leader mondial. Son sonar trempé FLASH, un système actif plongé dans les flots depuis un hélicoptère, est actuellement le principal capteur de lutte anti-sous-marine installé sur les hélicoptères de surveillance maritime. Construit à Brest, près de 150 exemplaires ont à ce jour été installés à bord des hélicoptères navals des marines nationales de plusieurs pays – France, Grande-Bretagne, Norvège, Etats-Unis, Suède et Emirats Arabes Unis.

Ces hélicoptères travaillent en tandem avec les navires de surface, conférant ainsi à une force navale la capacité de localiser des sous-marins au-delà de la portée à laquelle ils sont en mesure de lancer une attaque. Les systèmes sonar de Thales installés à bord des frégates Type 23, et associés aux hélicoptères Merlin, constituent « la meilleure combinaison du monde », reconnaissaient récemment les spécialistes de la Royal Navy.

Le vieil adage semble donc toujours d’actualité : les anciens braconniers font les meilleurs gardes-chasse.

Page 12: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Systèmes de radar avancés ou LED haute performance, éoliennes, véhicules hybrides ou smartphones : nombre de technologies innovantes dépendent de matériaux critiques, recherchés pour leurs propriétés électroniques, chimiques ou mécaniques.

La Commission européenne a recensé plus de 30 matières premières critiques, hors ressources énergétiques. Parmi elles figurent les terres rares, soit un groupe de 17 métaux aux propriétés chimiques voisines, dont le néodyme, le lanthane et le dysprosium. Cette liste de la CE comprend aussi des métaux plus connus, comme le magnésium, le tungstène et le platine. Si ces matériaux sont critiques, c’est moins en raison de leur rareté géologique – qui reste un problème – que de contraintes géopolitiques et macroéconomiques complexes : absence ou pénurie d’éléments de substitution, instabilité politique et économique des pays exportateurs ou faibles taux de recyclage.

Actuellement, l’exploitation minière et la production de matières premières critiques se limitent à quelques États. La Chine, par exemple, produit plus de 90 % des terres rares. Les concentrations de matériaux critiques étant généralement très faibles, le coût d’extraction est élevé.

« C’est un secteur à très forte intensité capitalistique, les délais sont longs, et la mise en œuvre exige de nombreuses autorisations et un financement important, expliquait récemment à la BBC David Humphreys, spécialiste de l’industrie minière. Il faut parfois beaucoup de temps avant qu’une nouvelle ressource arrive sur le marché. »

Des ressources sous pression

Les consommateurs industriels de matériaux critiques sont confrontés à deux grands enjeux : la disponibilité des ressources et, dans une moindre mesure, leur prix. Ces deux paramètres dépendent d’une série de facteurs économiques, réglementaires et technologiques, tous interconnectés, un seul suffisant, en cas de difficulté, à perturber toute la filière.

Et plus la filière est longue et complexe, plus les risques sont élevés. Classiquement, les intervenants comprennent les compagnies minières, les courtiers en minéraux, les concentrateurs et les hauts fourneaux, les producteurs spécialisés dans les lingots,

10 RECHERCHE : MATÉRIAUX CRITIQUES

John Coutts

Réactions en chaîne

PtAs2

Certains matériaux critiques sont essentiels aux industries européennes. Et stimulent l’innovation sur leur passage.

« C’est un secteur à très forte intensité capitalistique, les délais sont longs, et la mise en œuvre exige de nombreuses autorisations et un financement important » David Humphreys, spécialiste de l’industrie minière

Page 13: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

11

« C’est un système économique complexe, où l’instabilité peut avoir des conséquences imprévisibles. Le danger est réel quand deux ou trois de ces risques se combinent, causant une perturbation majeure. »Bertrand Demotes-Mainard, responsable du domaine technique clé Hardware à la Direction technique de Thales

1 La rareté n’est pas

seule en cause – l’absence d’éléments de substitution et les facteurs politiques et économiques contribuent aussi à la criticité de ces matériaux.

2 La disponibilité

et le prix sont les principaux enjeux auxquels sont confrontés les consommateurs industriels de matériaux critiques.

3Une filière intégrée pour

les matériaux critiques préserve la stabilité et stimule l’innovation.

En bref

Page 14: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

les wafers et le cristal, les fabricants de semi-conducteurs et de produits finaux. Les filières sont aussi résistantes que leur maillon le plus faible, un suivi constant est donc indispensable.

« C’est un système économique complexe, où l’instabilité peut avoir des conséquences imprévisibles, commente Bertrand Demotes-Mainard, responsable du domaine technique clé Hardware à la Direction technique de Thales. Le danger est réel quand deux ou trois de ces risques se combinent, causant une perturbation majeure. »

Les problèmes de criticité peuvent s’amplifier rapidement. Par exemple, les pays exportateurs peuvent décider de réduire ou d’interrompre leurs exportations, les comportements spéculatifs provoquer une flambée des prix et les évolutions technologiques entraîner une contraction rapide du marché. Or, les matériaux critiques sont produits en faibles quantités, et les producteurs peu nombreux, aussi le marché est-il exposé à des distorsions rapides.

Réfléchir et s’allier

La capacité d’une entreprise à influer à elle seule sur des filières longues et complexes est limitée. Mais une intégration plus étroite entre les principaux acteurs en aval renforce la stabilité et stimule l’innovation.

« Pour atténuer les risques et optimiser les débouchés inhérents aux matériaux critiques, Thales noue des partenariats stratégiques qui maximisent les synergies avec d’autres participants, non seulement dans l’aéronautique et la défense, mais aussi dans le monde universitaire et l’industrie dans son ensemble, souligne Bertrand Demotes-Mainard. Ces partenariats incluent des projets

de recherche-développement qui préparent l’industrialisation de nouvelles technologies. »

Par exemple, III-V Lab est une co-entreprise qui réunit Thales, Alcatel-Lucent et le CEA-Leti. Créée en 2004, cette société montre combien l’approche collaborative transforme les processus de recherche-développement.

Comme son nom l’indique, ce laboratoire se consacre aux semi-conducteurs III-V, dont les composants contiennent des éléments critiques des groupes III et V du tableau périodique, par exemple de l’arséniure de gallium (GaAs), du nitrure de

gallium (GaN) ou encore du phosphure d’indium (InP).

L’entreprise III-V Lab, dont le siège est à Marcoussis, à

25 km au sud de Paris, emploie environ 130 salariés.

Parallèlement à ses activités de recherche,

III-V Lab produit et vend des composants tels que

des modules et des wafers (épitaxie), qui entrent dans la

fabrication de circuits intégrés complexes.

Une fabrication intelligente

La capacité à industrialiser l’innovation à plus grande échelle reste toutefois primordiale. Pour y parvenir, Thales a œuvré avec EADS Allemagne à la création, en 1996, d’une autre co-entreprise : United Monolithic Semiconductors (UMS).

Aujourd’hui, UMS est l’un des premiers prestataires européens de services de fonderie GaAs et GaN (pour la fabrication de semi-conducteurs). La société compte des sites de production en France et en Allemagne et des bureaux de vente aux États-Unis et en Chine. En 2011, UMS a livré environ huit millions de produits et employait plus de 250 personnes.

Outre qu’elle fournit des composants critiques à Thales et à

EADS – qui sinon devraient s’approvisionner en dehors de l’Europe –, UMS fabrique et commercialise des composants radiofréquence, micro-ondes et millimétriques et des circuits intégrés à l’état de l’art pour répondre aux besoins de clients de toute l’industrie.

UMS approvisionne des segments de marché qui couvrent l’ensemble du spectre technologique et incluent les télécommunications, l’espace, la défense et la sécurité, l’automobile et les applications ISM (Industrial, Scientific, Medical).

Le portefeuille produits de la société comprend des puces d’arséniure de gallium, pour le traitement numérique et la gestion des fréquences sur les Rafale. UMS joue également un rôle majeur dans le domaine des radars à courte portée. Cette technologie, qui permet aux véhicules de détecter les obstacles, se trouve au cœur des systèmes anticollision et annonce les réseaux de transport intelligents de demain.

Le pouvoir des connaissances

Les risques et la complexité qu’impliquent les matériaux critiques peuvent être encore réduits – et les débouchés, démultipliés – en informant mieux les parties prenantes.

Thales le fait avec sa base TCIS (Thales Component Information System), qui regroupe toutes les données techniques et réglementaires relatives aux composants électroniques utilisés par les départements de recherche, de conception et de fabrication du Groupe. Cette base de données contient près de 1,5 million de références et concerne les composants fabriqués tant en interne, chez Thales, qu’à l’extérieur. Des listes répertorient les pièces et les fabricants privilégiés.

« Ces listes font l’objet d’une révision régulière, qui évalue le statut des composants, précise Bertrand Demotes-Mainard. Même les pièces des produits de

La Commission

européenne recense plus de

30 matières premières critiques

« Pour atténuer les risques et optimiser les débouchés […] Thales noue des

partenariats stratégiques qui maximisent les synergies avec d’autres participants »

Bertrand Demotes-Mainard, responsable du domaine technique clé Hardware à la Direction technique de Thales

12 RECHERCHE : MATÉRIAUX CRITIQUES

Page 15: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Dans le domaine de la défense, les composants contenant des matériaux critiques comme du gallium sont indispensables aux technologies avancées de détection et de traitement des données qui soutiennent les forces armées. L’arséniure de gallium (GaAs) et de plus en plus le nitrure de gallium (GaN) sont utilisés dans des applications électroniques vitales.

Par exemple en imagerie thermique. Les matériaux critiques font partie intégrante

des caméras haute résolution qui s’appuient sur la technologie de détection QWIP pour une surveillance longue distance plus performante dans les environnements difficiles. Ces caméras permettent d’obtenir des images dans l’obscurité, mais aussi de « voir » à travers la fumée, la végétation ou malgré les camouflages.

Les sonars de Thales comportent, eux aussi, des composants faisant appel

à des matières premières critiques. C’est ainsi qu’ils sont capables de produire la large gamme de fréquences nécessaire pour détecter les menaces – mines ou sous-marins – de façon rapide et sûre.

Sur le versant aérien, Thales fournit l’ensemble de l’électronique intégrée destinée au Rafale, y compris le système radar RBE2 à antenne active (AESA) qui équipe désormais l’avion

de combat français. Cette technologie optimise l’efficacité et supprime les pièces en mouvement consommatrices d’énergie – une solution rendue possible par les matériaux critiques.

Ces matériaux sont également décisifs dans l’espace, où les températures extrêmes et les hauts niveaux de rayonnement imposent de recourir à des composants optiques et électroniques à la résilience éprouvée.

base ont une fin de vie, il est donc essentiel que les concepteurs soient informés très à l’avance de tout changement. »

La base TCIS est cruciale, parce que les produits et les systèmes de Thales contiennent une profusion de composants électroniques. Outre les caractéristiques techniques, la base de données détaille les aspects relatifs à la réglementation, à la commercialisation, à la santé et à l’environnement pour chaque composant.

Facilitant la mise en conformité, le

système TCIS aide aussi à concevoir des produits plus écologiques. Les données portant sur les constituants de chaque composant, y compris les terres rares et les autres matériaux critiques, les concepteurs de Thales disposent ainsi de moyens d’optimiser, dès les études, le recyclage potentiel en fin de vie. Ce qui constitue une exigence toujours plus forte des clients.

En archivant les données relatives à tous les composants utilisés – et à chaque étape de leur cycle de vie –, la base TCIS aide aussi les

Les innovations de Thales : la sécurité avant tout

clients à décider en meilleure connaissance de cause comment récupérer les matériaux une fois les systèmes obsolètes.

Les projets de recherche collaboratifs, les co-entreprises et les innovations de Thales, à l’image de la base TCIS, illustrent les différentes façons dont on peut, en gérant plus intelligemment, renforcer la résilience en aval de la filière. Les risques s’en trouvent réduits, pour Thales et pour ses partenaires. Mais surtout, les clients disposent de meilleures garanties et de meilleurs produits.

13

Page 16: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

14 ESPACE : SATELLITES

À l’heure actuelle, plusieurs milliers de satellites artificiels gravitent autour de la Terre. Pour les télécommunications, la science spatiale, la navigation, la météorologie ou encore la surveillance militaire.

L’industrie satellitaire continue d’enregistrer une progression annuelle de 5 %, soit près du double de la croissance économique mondiale.

Ce sont les États-Unis qui lancent le plus de nouveaux satellites, suivis de l’Europe (25 % des revenus des lancements en 2011). La Russie (19 %) et l’Asie (17 %) sont les autres grands acteurs du marché mondial des lancements.

La tête dans les étoiles

Pourquoi faire ?

satellites mis en orbite depuis Spoutnikk

Communications commerciales

(38 %)381

63 023

Plus de 50 pays exploitent au moins un satellite (parfois avec l’aide d’autres États ou d’institutions privées).

Pour la plupart, les 994 satellites en exploitation servent aux communications commerciales, gouvernementales ou militaires.

États-Unis

1 099

Japon

127 Chine

120France

120Inde

45Canada

32

Royaume-Uni

29

Russie

1 437

Qui exploite quoi ?

Page 17: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

15

Thales dans l'espace

Océanographie

Agriculture

Climatologie

Communications gouvernementales civiles

Communications militaires

(13 %)

(9 %)

113

86

Les satellites de Thales assurent des fonctions spécifiques : télécommunications, mais aussi météorologie, navigation, recherche scientifique ou détection des variations climatiques et de leurs effets potentiels. Thales s’affirme comme l’une des références mondiales dans chacun de ces domaines, via les sociétés communes constituées avec l’italien Finmeccanica : Thales Alenia Space et Telespazio.

D’après la NASA, c’est le nombre de satellites actuellement en orbite autour de la Terre. Beaucoup sont obsolètes.

3 000

42% en orbite géosynchrone47% en orbite basse7% en orbite moyenne4% en orbite elliptique

Ils nous accompagnent(Mai 2012)

Qui exploite quoi ?

Page 18: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Transportant pour 130 millions de dollars de pétrole brut, le MV Smyrni, venu d’Azerbaïdjan avec 26 hommes d’équipage à son bord, traverse le golfe d’Aden en ce 10 mai 2012 lorsque des pirates fondent sur le navire et en prennent le contrôle après avoir l’avoir copieusement arrosé de tirs de mitrailleuses et de roquettes de RPG. Bien que ce genre d’opérations soit alors monnaie courante au large de la Somalie, la prise du MV Smyrni marque toutefois un tournant décisif : ce sera la dernière opération de brigandage maritime réussie par les pirates somaliens, si féconds auparavant.

Aujourd’hui, des vents contraires semblent souffler sur les opérations que mènent les pirates au large de la Somalie. Selon des statistiques publiées par les forces navales de l’Union européenne (EU NAVFOR), au moment où cet article est écrit il ne reste que deux navires détenus, détournés en 2010 et 2012 respectivement. En 2013, jusqu’à ce jour, deux attaques ont eu lieu contre des navires. Toutes deux soldées par des échecs.

Pour autant la piraterie à l’œuvre dans le monde est une hydre dont il n’est pas facile de couper définitivement toutes les têtes.

Il suffit que la communauté internationale concentre ses efforts sur l’un des haut-lieux de la piraterie pour que surgissent ailleurs d’autres zones de turbulence . Les problèmes rencontrés voici une décennie dans le détroit de Malacca ont ainsi graduellement dérivé vers les eaux somaliennes. Aujourd’hui, alors que cette menace n’est pas encore entièrement éradiquée, c’est le golfe de Guinée qui prend le relais et devient l’épicentre le plus récent de la piraterie.

Restaurer l’ordre dans le détroit de Malacca et, de façon croissante, au large de la Somalie, a toutefois permis aux gouvernements, aux militaires et aux compagnies de navigation, de mieux comprendre comment réduire les risques d’attaques et de minimiser les chances de réussite des pirates lorsqu’ils opèrent.

Il n’en reste pas moins que les racines profondes sont politiques et économiques : les pirates somaliens ne disparaîtront pas complètement tant que la Somalie n’aura pas un gouvernement qui

16 DEFENSE : LA PIRATERIE MARITIME

Page 19: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Avis de tempête sur la piraterie

La piraterie qui sévit sur les mers du globe a connu ses plus basses eaux en 2012, sur une période de cinq ans. Les opérations basées sur le renseignement, conduites notamment en Somalie par les forces navales de l’Union européenne dans le cadre de l’opération Atalante, expliquent en grande partie ce succès. Le temps de la piraterie maritime est-il pour autant révolu ?

17

Trefor Moss

1 La piraterie maritime reste

un problème majeur, notamment dans des régions comme la Somalie.

2 Des mesures collaboratives

de sécurité maritime sont mises en œuvre par les gouvernements et les organisations.

3 La réduction, voire l’arrêt

définitif, de la piraterie maritime, passe par le partage des informations en temps réel, afin que chaque acteur concerné puisse prendre la bonne décision à des moments critiques.

En bref

Page 20: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

18 DEFENSE : LA PIRATERIE MARITIME

fonctionne, et que ses habitants n’auront pas de travail. « On n’éradiquera jamais la piraterie avec des actions militaires en

mer, explique Chris Trelawny, Senior Deputy Director, en charge de la sécurité maritime auprès de l’IMO, l’Organisation maritime internationale. C’est surtout une question d’application de la loi à terre – il faut briser le modèle criminel que représente la piraterie. »

Beaucoup d’actions peuvent néanmoins être menées en mer pour en minimiser les conséquences. Selon Chris Trelawny, la diminution de la piraterie cette année, outre les facteurs de gouvernance et les actions militaires, s’explique par trois avancées majeures.

« Il y a d’abord le déploiement des directives de l’IMO et les meilleures pratiques opérationnelles développées par le secteur du transport maritime, qui constituent en soi des mesures d’auto-défense », explique-t-il. Ces mesures couvrent des pratiques de base comme le maintien d’une attention sans relâche pendant le voyage, une vitesse maximale dans les zones à risque, l’installation sur le flanc des navires de barbelés à lames rasoir et de lances haute pression, et même l’embauche d’équipes de sécurité privées – une mesure efficace mais controversée. « Les pirates procèdent par sondage, explique-t-il. S’ils voient une cible vulnérable, ils l’attaquent. S’ils s’aperçoivent que le navire est bien défendu, ils se tournent vers un autre objectif. »

Avant la mise en place de ces meilleures pratiques, une attaque sur trois réussissait. Le taux de réussite est aujourd’hui de une sur huit.

Pour Chris Trelawny, viennent ensuite les efforts réalisés par les marines. Au large de la Somalie, par exemple, la présence de forces navales opérationnelles (les task forces) a facilité la mise en place d’un corridor de transit internationalement reconnu (IRTC), plus facile à contrôler qu’une bande océanique plus large.

Trois forces multinationales – l’OTAN, la NAVFOR de l’Union européenne, et la task force combinée 151 (CTF-151), une initiative internationale pilotée par les Forces maritimes combinées (CMF), constituant elles-mêmes un partenariat naval multinational rattaché au commandement central des forces navales des Etats-Unis –, mènent des opérations anti-piraterie dans le corridor de transit et dans les eaux avoisinantes. D’autres pays, dont la Chine et la Russie, envoient également des navires pour escorter les convois dans ce corridor.

« La meilleure appréciation de la situation constitue le troisième facteur positif », poursuit Chris Trelawny. Avec des bâtiments de plus de 300 tonnes contraints d’avoir à bord des équipements d’identification et de suivi des navires à longue distance (LRIT), les marines peuvent surveiller le trafic et prêter davantage attention aux navires non enregistrés. Les informations sont partagées entre les pays, les forces militaires et les navires marchands, les sites web de l’UKMTO Dubai, du NATO Shipping Centre et de l’EU NAVFOR diffusant des informations en temps réel sur les menaces potentielles, auxquelles les équipages peuvent accéder.

« Cela leur permet de changer de cap et de sortir de la zone à risque » si un navire pirate est identifié, explique Chris Trelawny.

Les pirates prospèrent dans un vide informationnel, comme c’était notamment le cas au large de la Somalie, dans des eaux globalement peu surveillées. La mise en place d’un réseau de diffusion d’informations en temps réel s’est donc avéré aussi important pour réprimer la piraterie que l’effet de dissuasion produit par des navires de guerre lourdement armés.

« L’élément clé reste la connaissance de la situation, explique Jean-Marie Lhuissier, ancien contre-amiral de la Marine nationale, aujourd’hui coordinateur de la sécurité et de la sûreté maritime chez Thales. Raison pour laquelle il est fortement recommandé aux capitaines des navires de s’inscrire et de signaler leur position pour faciliter la tâche des équipes en charge des opérations de sécurité. »

Le capitaine de corvette Jacqueline Sherriff (Royal Navy), porte-parole de l’EU NAVFOR, explique que l’enregistrement et le suivi constituent une aide importante, permettant aux forces navales opérationnelles de l’Union européenne de faire leur travail. « Notre approche est largement fondée sur le renseignement. Le Centre de sécurité maritime - corne d’Afrique (MSCHOA) possède un système d’enregistrement qui nous permet de suivre un navire sur nos écrans. Si le cap du navire change soudainement, et qu’il se met à faire route vers la Somalie, cela nous alerte aussitôt et nous laisse à penser qu’il a pu être attaqué. »

La guerre civile, l’absence de structures gouvernementales et

l’effondrement économique sont des facteurs clés dans la montée

de la piraterie maritime, notamment dans des régions comme le golfe

d’Aden, au large de la Somalie.

Page 21: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

1919

Selon le capitaine Sherriff, environ 70 % des navires traversant les eaux somaliennes s’enregistrent auprès du MSCHOA. Les informations en temps réel collectées par le MSCHOA peuvent être diffusées aux bâtiments militaires présents sur zone. Ce qui permet une coopération efficace des différentes forces opérationnelles. « Par exemple, en 2012, un navire de l’OTAN et un navire des forces navales de l’UE ont travaillé ensemble pour appréhender en mer douze pirates armés. »

En septembre 2012, le commandement de la task force combinée CTF-151 est passé dans les mains du contre-amiral Oguz Karaman de la Marine nationale turque. La connaissance de la situation dont disposent aujourd’hui ces forces opérationnelles est excellente, affirme-t-il.

« Grâce au partage de l’information, nous avons un tableau très clair de ce qui se passe dans le corridor de transit, souligne l’amiral Karaman. Ce sont des données en temps réel, ce qui s’avère beaucoup plus utile que les cartes Google ou Wikipedia, dans la mesure où les équipages sur zone nous fournissent directement les informations. En haute mer, lorsque quelqu’un voit quelque chose dans la région, tout le monde en prend connaissance. »

Mais les forces opérationnelles multinationales ne seront pas toujours là pour tenir les pirates à distance. Raison pour laquelle, outre la mise en place d’une gouvernance, la communauté internationale travaille avec des Etats du littoral, pour mettre en place le type de

système d’information qui a fait ses preuves dans des régions comme le golfe d’Aden.

« Ce qui importe surtout, c’est de développer un système d’information maritime, souligne Jean-Marie Lhuissier. La question de la gouvernance est parfois

considérée comme un obstacle, mais pour moi ce n’est pas le problème. Il faut mettre les questions politiques de

côté. L’objectif doit être d’initier des capacités permettant aux pays de contrôler leurs propres secteurs. Thales peut contribuer à ces développements : nous couvrons toute la gamme des systèmes et capteurs nécessaires pour disposer d’une appréciation et d’une connaissance adéquates de la situation, tant aux niveaux nationaux que régionaux. »

De même, dans le golfe de Guinée, les gouvernements recherchent des moyens nouveaux pour contrer une autre forme de piraterie. Alors que les pirates somaliens détournent habituellement les navires pour demander une rançon, leurs homologues d’Afrique de l’Ouest ont un modus operandi différent : ils entretiennent des liens plus étroits avec le crime organisé, et détournent des navires pour voler le pétrole dans les cuves, ou les autres types de cargaisons transportées. Quand ce n’est pas le navire lui-même.

Les pays de cette zone enregistrent des progrès. Le Nigeria et le Bénin effectuent par exemple des patrouilles communes, et le Cameroun a augmenté la fréquence des siennes dans ses eaux territoriales. Des

cadres internationaux ont également été mis en place pour permettre aux pays en développement de déployer des capacités de lutte contre la piraterie. Entré en vigueur en 2009 sous les auspices de l’Organisation maritime internationale, le code de Djibouti engage les signataires vis-à-vis d’un ensemble de normes anti-piraterie.

Parallèlement, les forces maritimes combinées tiennent depuis 2008 des conférences SHADE (Shared Awareness and Deconfliction), le dispositif de coordination de la lutte anti-piraterie, auxquelles participent toutes les forces internationales opérant dans l’océan Indien, avec des représentants du secteur du transport maritime et des Etats régionaux.

Au bout du compte, les gens qui financent les pirates considèrent le détournement de navires comme une opportunité commerciale. Lorsque les forces opérationnelles, les gouvernements et les compagnies de navigation partageront et échangeront leurs informations, dans le cadre d’une collaboration systématique et régulière, les pirates et leurs commanditaires devront alors se résoudre à trouver une autre source de revenus.

« S’ils voient une cible vulnérable, ils l’attaquent. S’ils s’aperçoivent que le navire est bien défendu, ils se tournent vers un autre objectif. » Chris Trelawny, l’Organisation maritime internationale

Page 22: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

C’est le début de l’après-midi à Paray-le-

Monial, en Bourgogne. D’habitude, à cette heure-là, la nationale N79, qui contourne la ville, résonne du bourdonnement de la circulation ; mais aujourd’hui pas une voiture, pas un camion à l’horizon. Seule une équipe de chantier s’affaire autour d’un treuil pour mettre en place un portique de surveillance du trafic de haute technologie. Les chaînes du treuil s’entrechoquent dans le soleil automnal, tandis que la structure de 25 m de haut est alignée avec précaution au-dessus de la 2x2 voies.

Les détecteurs de trafic en cours d’installation à Paray-le-Monial – et plus de 170 autres points de contrôle dans le pays – sont l’un des piliers du système d’information critique qui permettra de mettre en œuvre la nouvelle écotaxe voulue par le gouvernement français. En octobre, lors de sa mise en service sur 15 000 km de routes à grande circulation du pays, 800 000 poids lourds seront assujettis à une taxe calculée en fonction de la distance parcourue. Les dispositifs électroniques sont la clé de la réussite de ce programme.

Les projets de cette ampleur et de cette complexité reposent de plus en plus sur des systèmes d’information critiques. Répondant à des normes plus rigoureuses que l’informatique classique, ces systèmes sont ultra-fiables, sécurisés et résistants aux attaques. Ils jouent un rôle central en permettant un fonctionnement plus intelligent et plus sûr de multiples applications, depuis la gestion du trafic aérien

jusqu’au multimédia de bord, en passant par la défense et les activités bancaires.

« Les systèmes plus intelligents permettent d’améliorer la performance et de transformer d’énormes volumes de données – les Big Data - en informations exploitables », explique Laurent Maury, directeur des systèmes d’information critiques à Thales. Les Big Data sont promises à un bel avenir : les analystes de Gartner estiment que dans les cinq

prochaines années les services informatiques dépenseront plus

de 170 milliards d’euros en matériel, logiciels et services liés aux Big Data. Selon certaines estimations, le

monde génère chaque jour de quoi remplir une étagère de plus

de 5 000 km de long de DVD de données. La capacité de donner un sens

à tout cela – d’en tirer des informations utiles et de s’en servir pour agir – confère un avantage décisif aux entreprises du secteur public comme du secteur privé.

Capitaliser sur les Big Data pose un certain nombre de problèmes, en particulier pour les entreprises confrontées à des exigences de sécurité extrêmement sévères. Il y a d’abord la question du volume. Chaque entreprise produit des données dans des proportions que l’on n’aurait jamais imaginées il y a seulement dix ans. Une plate-forme pétrolière, par exemple, peut générer à elle seule près de 1 000 Go par jour. Ces Big Data doivent en outre être fournies et traitées à des vitesses extrêmement élevées. Dans le cas de l’écotaxe, les données recueillies par les

détecteurs placés le long des routes – détecteurs vidéo, laser et radio – sont traitées en temps réel.

Il y a aussi la question de l’hétérogénéité. Les données étant présentes partout, la capacité d’évaluer les sources devient de plus en plus importante. Dans certaines applications critiques – les systèmes de contrôle d’armes, par exemple –, seules les données fournies par des réseaux dédiés de capteurs sont utilisées. Mais pour un nombre croissant d’entreprises et d’administrations publiques, intégrer les données non structurées provenant de nombreuses sources différentes, y compris les réseaux sociaux, devient une nécessité.

Les systèmes d’information critiques aident les entreprises à tirer profit des Big

Big Data

Vous avez dit « c ritique »John Coutts

20 SÉCURITÉ : LES BIG DATA

Page 23: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Data de multiples façons. Les outils d’analyse avancée et d’analyse perpétuelle (stream computing) permettent de passer au crible d’énormes volumes de données brutes pour générer de petites quantités d’informations extrêmement utiles pour agir. En combinant différents ensembles de données relatives à un même objet, événement ou individu, les techniques de fusion de données permettent, quant à elles, d’avoir un tableau plus clair de la situation et de régler plus facilement les problèmes complexes.

Mais surtout, la sécurité est la préoccupation numéro un des études de conception des systèmes d’information critiques. « Le terme ‘critique’ a plusieurs implications, explique Laurent Maury.

Il peut désigner la robustesse, la résilience ou l’intégrité du logiciel ; mais ce qui compte avant tout, c’est la sécurité des informations ».

Pour répondre à ce besoin, les systèmes critiques sont surveillés par des centres opérationnels de sécurité qui fonctionnent 24h/24 afin de détecter et de contrer les cyber-menaces. Les données des systèmes critiques font l’objet de protections électroniques et de procédures de contrôles extrêmement rigoureuses.

Il est essentiel que les systèmes critiques, en plus d’être résilients, soient faciles à utiliser, ce qui suppose d’intégrer les innovations du marché de la grande consommation. Le multimédia de bord est un domaine parmi d’autres où cette tendance est déjà visible : les toute dernières

solutions utilisent Android, le système d’exploitation de nombreux smartphones, et la technologie tactile pour faciliter l’accès à un large choix de divertissements.

Compte tenu du développement effréné de la technologie et des attentes croissantes des utilisateurs, ce type d’innovation trouve rapidement une place dans les solutions professionnelles.

« Les technologies de l’information s’inspirent de plus en plus de l’électronique grand public, par exemple l’usage croissant des tablettes, des smartphones, des réseaux sociaux, etc., fait remarquer Laurent Maury. Il est donc important pour nous d’accéder à ces technologies de rupture via les marchés B2B, afin de pouvoir intégrer les innovations dans les systèmes que nous produisons. »

21

Le développement de systèmes d’information critiques plus sûrs aura un impact majeur dans

de multiples domaines, depuis la gestion du trafic aérien jusqu’à la défense en passant par le

péage routier et les activités bancaires.

Page 24: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Le Danemark mène le train

Ce n’est pas tous les jours qu’un pays procède à une refonte totale son réseau ferré. C’est pourtant exactement ce que le Danemark est en train de faire. Banedanmark, l’opérateur danois des chemins de fer, a investi plus de 3 milliards d’euros dans un programme de signalisation révolutionnaire qui va transformer l’intégralité du réseau ferré.

John Couts

22 TRANSPORTS TERRESTRES : BANEDANMARK

Banedanmark est responsable des infrastructures et de la maintenance de la majeure partie du réseau ferroviaire danois. En 2008, la compagnie a annoncé son intention de refaire entièrement la signalisation de l’ensemble du réseau.

Page 25: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Au cours des huit prochaines années, la compagnie nationale des chemins de fer danois procédera au remplacement de tous les signaux, passages à niveau, moteurs d’aiguille, enclenchements et postes d’aiguillage de son réseau grandes lignes et lignes régionales, le Fjernbanen. Elle remplacera également la totalité de la signalisation du S-banen, le réseau de transports publics de Copenhague.

« Quand nous parlons de remplacement total, c’est bien de cela qu’il s’agit », commente Morten Søndergaard, directeur de programme chez Banedanmark, propriétaire des infrastructures et chargé de la transformation du réseau ferroviaire du pays. « Nous allons changer tous les équipements, quels que soient leur ancienneté ou leur niveau technologique. »

Les infrastructures vieillissantes du Fjernbanen seront démantelées et remplacées par des technologies de pointe, notamment l’ERTMS (European Rail Traffic Management System), le système européen de gestion du trafic ferroviaire. La solution choisie par Banedanmark est une signalisation en cabine (ERTMS niveau 2) qui permet de se passer des signaux latéraux.

Cette refonte totale de la signalisation repose sur une nouvelle technologie d’enclenchement électronique – le « cerveau » du rail – d’importance critique pour la sécurité, ainsi que sur des nouveaux dispositifs de voie pour commander les aiguillages et les passages à niveau. Résultat : une sécurité améliorée, une capacité accrue, une fiabilité renforcée et des coûts d’exploitation moins élevés.

Les projets de cette ampleur étant plus souvent associés aux marchés en plein essor du Moyen-Orient et de la Chine, il n’y a rien d’étonnant à ce que le

programme de Banedanmark attire l’attention du monde entier. Qu’est-ce qui a bien pu motiver la décision d’opter pour un remplacement total ?

« Globalement, les systèmes que nous avons au Danemark sont vieux et beaucoup étaient pratiquement en fin de vie, explique Morten Søndergaard. Dans 80 % des cas, la technologie de nos équipements de signalisation date des années 1950 et 1960. »

Selon la règle habituelle, on ne remplace un système de signalisation que quand sa durée de vie a expiré. Le problème, c’est qu’au fil des décennies on accumule des systèmes disparates qui vieillissent à des rythmes différents. Résultat : les remplacements des dispositifs de signalisation sont toujours désynchronisés et les opérateurs pris dans un cycle de renouvellement sans fin.

Se pose aussi la question de la gestion des systèmes hérités. La signalisation traditionnelle est basée sur un mélange de technologies mécaniques, électromécaniques et à relais. Certes, les systèmes ont une longue durée de vie, mais leur maintenance coûte cher et les rechanges ainsi que l’expertise requise sont de plus en plus rares.

« Dans certains endroits, la signalisation est tellement vieille qu’il n’y a plus de rechanges, fait remarquer Morten Søndergaard. En cas de problème, il faut trouver des composants sur d’autres installations anciennes, en espérant qu’elles fonctionnent mieux que celle que l’on veut réparer. »

Briser le moule

Rafistoler les vieux systèmes de signalisation et introduire de nouvelles technologies au coup par coup est partout coûteux et chronophage pour les

1 Le vieillissement des infrastructures

du réseau ferré national danois a suscité une initiative de remplacement de tous les équipements existants.

2 Ce programme majeur permet

de déployer la technologie la plus récente, notamment l’ERTMS.

3Thales dirige un consortium

constitué avec Balfour Beatty Rail et chargé des travaux sur 60 % du réseau danois.

En brefLe Danemark mène le train

23

Page 26: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

opérateurs ferroviaires. La plupart se font une raison et l’acceptent comme étant la dure réalité, mais Morten Søndergaard et son équipe ont eu une autre idée.

« Quand nous avons commencé à nous intéresser à cette question, en 2006, quelqu’un a lancée cette idée folle : pourquoi est-ce qu’on ne change pas tout ? Le raisonnement était qu’en changeant tout en même temps, on réaliserait des économies d’échelle, on aurait une possibilité de répétabilité et on économiserait une fortune en coûts d’interface. »

Cela n’a encore jamais été tenté dans le secteur de la signalisation, du moins pas à cette dimension, alors que les économies d’échelle sont courantes dans les autres secteurs. Est-ce que cela peut marcher ? Une analyse a montré que le coût, le risque et les avantages d’un remplacement total seraient préférables à une stratégie classique de renouvellement.

Le parlement danois a donné son feu vert. En janvier 2009, il a accepté de financer un programme de 3,2 milliards d’euros pour remplacer tous les équipements de signalisation du pays.

Signalisation et Big Data

La technologie déployée offre des avantages opérationnels majeurs. En utilisant un seul système pour tout le pays, on supprime quasiment les coûts d’interface.

Les données générées par le nouveau système permettront d’améliorer l’efficacité et d’ouvrir la voie à de nouvelles innovations. Les avantages sont notamment la résolution des conflits, la capacité de prédire, prévenir et gérer les perturbations – sans oublier les économies d’énergie découlant d’une planification horaire plus intelligente.

« Nous sommes également en train d’étudier l’idée d’un fonctionnement automatique des trains sur le réseau grandes lignes », confie Morten Søndergaard.

Les nouveaux modes d’exploitation offrent une plus grande transparence. « Nous anticipons une forte diminution des coûts d’exploitation dans l’avenir, déclare Morten Søndergaard. Nous avons passé un appel d’offres pour la maintenance du nouveau système et nous constatons que les contrats que nous avons signés coûtent moins cher que la solution actuelle. En revanche, le nombre de lignes équipées est beaucoup plus important, ce qui génère des

coûts supplémentaires. »La surveillance des infrastructures – la possibilité de

visualiser les performances et le bon état d’équipements tels que les moteurs d’aiguillage – permettra également de

contenir les coûts.« Les approches classiques de la

maintenance se traduisent souvent par le remplacement inutile d’équipements qui peuvent encore servir, déclare Georg Köpfler, responsable du programme Banedanmark pour Thales. Un système intégré de gestion de la maintenance nous permettra de mobiliser les ressources de maintenance en fonction des besoins réels et non plus sur la base de simples hypothèses. »

Une signalisation plus intelligente est un élément fondamental de la stratégie de Banedanmark pour rendre le réseau non seulement plus efficace, mais aussi plus attractif. Les trains ont déjà beaucoup de succès, au Danemark : avec un peu moins de 10 %, la proportion de kilomètres voyageurs effectués en train, par rapport aux autres moyens de transport (la part modale), est la deuxième plus élevée d’Europe et près de deux fois la moyenne de l’UE. La nouvelle signalisation permettra de mettre à profit ce succès en améliorant considérablement la ponctualité. Actuellement, environ 50 % des retards imputables aux infrastructures sont la conséquence de problèmes de signaux, ce

qui se traduit par une moyenne de 39 000 trains en retard par an. La nouvelle technologie devrait réduire de 80 % les retards dus à la signalisation sur le réseau grandes lignes.

La modernisation de la signalisation permettra également d’augmenter la vitesse sur certaines lignes et donc de réduire la durée des trajets. Les voyageurs seront en outre mieux informés : les Big Data générées par la nouvelle signalisation permettront de leur fournir des informations détaillées. L’interopérabilité de la signalisation a également des avantages stratégiques : elle facilite notamment les activités transfrontières. Les différences entre les systèmes nationaux de signalisation et de contrôle des trains entravaient jusque-là les activités ferroviaires internationales : il fallait changer de locomotive et de personnel de bord quand on passait une frontière.

Avec l‘ERTMS, l’incompatibilité de la signalisation ne sera plus un obstacle. Les facilités ainsi apportées aux activités transfrontières ont des implications

« Quand nous avons commencé à nous intéresser à cette question, en 2006,

quelqu’un a lancée cette idée folle : pourquoi est-ce qu’on ne change pas tout ? »

Morten Søndergaard, Banedanmark

24 TRANSPORTS TERRESTRES : BANEDANMARK

Page 27: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

importantes pour le Danemark, qui a déjà des liaisons ferroviaires avec ses voisins, l’Allemagne et la Suède, via la liaison Øresund de 16 km mise en service en 2000.

Un réseau plus intelligent

Le déploiement de la nouvelle signalisation progresse selon un calendrier soigneusement étudié, en mettant l’accent sur la planification et les essais : une phase de conception de trois ans (engagée début 2012) sera suivie de trois années de tests extrêmement rigoureux. Pour limiter le plus possible les perturbations, le déploiement sera effectué à un rythme soutenu, avec une mise en service finale entre 2018 et 2021.

Le déploiement est organisé par régions. Un consortium constitué avec Balfour Beatty Rail et dirigé par Thales s’occupe du remplacement de la signalisation dans le Jutland, dans l’ouest du pays, tandis que le concurrent Alstom est chargé de la signalisation de la partie est. La part attribuée à Thales représente environ 60 % du réseau.

Thales a déjà déployé l’ERTMS en Algérie, en Autriche, en Bulgarie, en

Allemagne, en Hongrie, au Mexique, en Pologne, en Roumanie, en Arabie saoudite, en Corée du Sud, en Espagne, en Suisse et en Turquie, entre autres. Thales participe à tous les grands programmes en cours dans le monde, notamment la ligne Nord-Sud de 2 400 km en Arabie saoudite, la plus longue ligne ferroviaire du monde à être équipée du système ETCS niveau 2.

Pour aplanir les difficultés et permettre une mise en service finale sans accrocs, la nouvelle signalisation sera d’abord déployée sur la ligne dite de « déploiement précoce ». Cette ligne, qui va de Langå à Frederikshavn, dans le nord du Jutland, devrait être équipée de la nouvelle signalisation dès 2016.

Limiter le plus possible l’impact sur le trafic voyageurs et le fret est une préoccupation de premier ordre. « Avant tout, nous voulons avoir aussi peu d’équipements – reprises techniques – que possible, explique Georg Köpfler. Il faut donc que nous soyons capables de tout tester. Pour cela, nous faisons appel à

notre laboratoire d’interopérabilité, en Suisse, qui nous sert de laboratoire local, ici, au Danemark. Nous avons aussi un laboratoire d’essais conjoint avec Banedanmark et Alstom, près de Copenhague. »

Le travail d’équipe est primordial dans un programme de cette ampleur. C’est pourquoi un étage entier du siège social de Banedanmark à Copenhague a été affecté au programme de signalisation.

« Nous sommes tous réunis autour de la même table, explique Georg Köpfler. Le lundi et le vendredi nous travaillons à l’extérieur. Mais pendant le reste de la semaine, nous travaillons tous ensemble dans les locaux du client, pas seulement Thales, mais aussi le client, les concurrents et les consultants. C’est un modèle de coopération tout à fait inédit, qui suppose bien sûr de dialoguer avec nos concurrents pour parvenir à des situations gagnant-gagnant pour les deux parties. »

Les projets de cette envergure sont une nouveauté en Europe. Mais l’évolution vers une signalisation harmonisée à l’échelle nationale est évidente, le Luxembourg ayant donné l’exemple dès 2008 avec le premier programme déployé dans tout le pays. La technologie a fait ses preuves, le savoir-faire est là. Il faut maintenant de nouvelles façons de penser.

« Le problème, avec les chemins de fer, c’est que tout le monde raisonne en ingénieur : si on peut prolonger la vie d’un équipement de cinq années supplémentaires, alors on construit le nouveau système autour de cet équipement, affirme Georg Søndergaard, ingénieur

lui-même. Il faudrait, au contraire, raisonner en économiste et

envisager les choses du point de vue des coûts et des avantages globaux. A long terme, un remplacement complet coûte moins cher et donne de

meilleurs résultats. »

25

Avec l‘ERTMS, l’incompatibilité de la signalisation n’est plus un problème et ouvre la voie à des activités transfrontières plus faciles, ce qui est vital pour le Danemark et ses liens commerciaux en Europe.

Page 28: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

« N147GT, montez au niveau 120 et

virez à droite, au cap 110, puis contactez Londres sur 118.575. » Ces instructions sont celles couramment fournies aux avions décollant d’un aéroport londonien et mettant le cap à l’est, en direction du continent. Chaque configuration de vol –montée, descente, attente, changement de cap ou transfert vers un autre centre de contrôle –, nécessite un appel radio similaire que le pilote doit répéter au contrôleur du trafic aérien.

Lors d’un vol reliant Londres aux Pays-Bas, un pilote peut ainsi recevoir 40 ou 50 appels de ce type, et communiquer avec huit contrôleurs, voire plus, pendant que l’avion traverse différents secteurs géographiques pour un vol qui ne durera finalement qu’une soixantaine de minutes. Il en va de même des 28 000 vols qui sillonnent chaque jour l’Europe.

Une fréquence radio donnée ne peut être utilisée que par une seule personne à la fois. Dans un secteur encombré, au pic de trafic de la journée, le flux d’instructions est donc quasiment constant.

L’évolution du trafic aérien

En Europe, aux temps héroïques des aéroplanes, les pilotes se repéraient avec des cartes sommaires et naviguaient à

l’estime, en se basant sur un point de passage identifié.

La Seconde Guerre mondiale verra la naissance de la radio-navigation, avec des radio-balises permettant de trouver sa route, du vol sans visibilité dans les couches nuageuses, avec des instruments électromécaniques tel que l’horizon artificiel ; du radar et des transpondeurs, permettant aux contrôleurs au sol de savoir où se trouve l’avion ; et du radiocontrôle, permettant de dire au pilote vers où se diriger. Après la guerre, ces apports technologiques deviendront courants dans l’aviation commerciale.

La gestion du trafic aérien connaîtra une nouvelle évolution au cours des années 1960 et 1970. Les contrôleurs sont ainsi passés des bandes de progression de vol manuscrites à des messages imprimés par ordinateur. Les transpondeurs ont évolué, permettant aux contrôleurs de bénéficier de blocs de données associés aux échos radar, fournissant diverses informations telles que l’altitude et l’indicatif d’appel.

L’automatisation va se poursuivre dans les années 1980, et au début de la décennie suivante, avec une meilleure précision de navigation. La navigation par

Embarquement pour le futurLe trafic aérien devrait doubler d’ici à 2030. Pilotes et contrôleurs doivent disposer de nouveaux moyens technologiques. Faute de quoi, les retards vont se multiplier. Et les coûts s’envoler.

26 AERONAUTIQUE : CONTRÔLE DU TRAFIC AERIEN

Matthew Stibbe

1 De la notion de « contrôle » du

trafic aérien, on est passé à l’idée de « gestion » du trafic.

2 L’augmentation du trafic aérien dans le monde nécessite un changement de paradigme dans la manière de gérer celui-ci globalement.

3La prise de décision

dans la gestion du trafic aérien nécessite désormais des systèmes plus performants et une technologie rationalisée.

En bref

Page 29: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

27

Nouveau système ATC pour la FranceUn nouveau système de gestion du trafic aérien introduit en France intègre des dispositifs avancés de traitement des données, des affichages sophistiqués et des logiciels de gestion. Mis en œuvre par Thales, ce système permettra de remplacer les bandes de progression manuscrites par un système électronique. En utilisant les liaisons de données et autres technologies nouvelles, il réduira la charge de travail des contrôleurs et sera conforme au futur standard SESAR, gage de pérennité.

« Lors d’un vol reliant Londres aux Pays-Bas, un pilote peut ainsi recevoir 40 ou 50 appels de ce type, et communiquer avec huit contrôleurs, voire plus, pendant que l’avion traverse différents secteurs géographiques pour un vol qui ne durera qu’environ soixante minutes. »

Page 30: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Trajectoires de précision 4D : Imaginez un avion capable de suivre une trajectoire complexe et de rejoindre un point de cheminement donné, à une altitude précise, en respectant un horaire fixé – à dix secondes près. En 2012, avec un Airbus reliant Toulouse à Malmö, Thales a testé en vol son concept I4D afin de démontrer ce niveau de précision. C’est l’un des 100 projets SESAR sur lesquels Thales planche actuellement. Ces capacités nouvelles permettront aux avions de voler plus efficacement, en réduisant la charge de travail des contrôleurs et des pilotes.

Séparation automatique en vol : Grâce à la technologie ADS-B, Thales a démontré la capacité de deux avions à fusionner leurs trajectoires tout en conservant entre eux une distance de sécurité adéquate, sans intervention d’un contrôleur au sol. Habituellement, les contrôleurs sont chargés de la séparation entre les avions. Mais si de nouveaux systèmes de bord peuvent remplir la même fonction, notamment dans les zones éloignées ne bénéficiant pas d’une couverture radar, c’est la sécurité des vols qui se trouve renforcée, ainsi que l’efficacité du trafic aérien.

28 AERONAUTIQUE : CONTRÔLE DU TRAFIC AERIEN

satellite devient à cette époque chose courante, venant compléter utilement les balises sol et les systèmes de navigation inertielle. La gestion centralisée du trafic aérien, illustrée notamment par Eurocontrol, permettait désormais d’interdire le décollage tant que des contrôleurs en route n’étaient pas en capacité de prendre l’avion en charge. L’avionique embarquée dans le cockpit a également évolué, avec l’adjonction de systèmes de suivi de terrain et de systèmes anti-collision.

A nouveaux problèmes, nouvelles technologies

Alors que le trafic augmentait, la gestion du trafic aérien a plus ou moins réussi à suivre le rythme, avec une meilleure prévisibilité des vols, qui devenaient aussi plus sûrs et plus efficaces. Cette évolution restait cependant bridée par les contraintes d’un système n’ayant pas fondamentalement changé depuis plusieurs décennies.

Une visite au centre de contrôle du trafic aérien de Londres, au début des années 1990, permettait de se faire une idée précise de la situation à l’époque. C’est là qu’opéraient quelques-uns des contrôleurs aériens ayant l’un des plans de charge les plus lourds du monde.

Malgré ces lourdes responsabilités, ils en étaient encore à utiliser des ordinateurs « vintage » PDP-11, fleurant bon l’ambiance aujourd’hui rétro des James Bond de l’époque. Le hall principal dans lequel évoluaient les contrôleurs, collés à leurs écrans, aurait fort bien pu passer pour le repaire inquiétant de quelque Dr No espionnant le monde.

Ces hommes et ces femmes étaient pourtant d’impeccables professionnels. Mais la technologie qu’ils utilisaient était dépassée. Leur déménagement dans les nouvelles installations de Swanwick, à la fin des années 1990, laissait augurer des bouleversements dans le monde de la gestion du trafic aérien.

On sait aujourd’hui que le trafic devrait doubler, puis tripler, en Europe et aux Etats-Unis. Et d’autres régions du monde enregistrent une croissance encore plus phénoménale. D’ici vingt ans, certaines régions d’Asie pourraient connaître des densités de trafic supérieures à celles d’une Europe déjà passablement asphyxiée. A elle seule, la Chine prévoit 70 nouveaux aéroports d’ici à 2015.

Les systèmes existants ne peuvent faire face à une telle explosion du trafic. Les contrôleurs ne peuvent prendre en charge plus d’avions qu’ils ne le font actuellement dans les régions les plus encombrées.

Le nombre de vols n’est pas le seul facteur à créer des problèmes nouveaux. Les compagnies aériennes et les clients veulent payer moins cher pour les services assurés par le contrôle du trafic aérien, qui sont autant de coûts d’exploitation supplémentaires grevant chaque vol. La pression environnementale joue également un rôle notable – les compagnies aériennes veulent réduire les coûts de carburant en empruntant des itinéraires plus directs, ce qui permettrait parallèlement de réduire les émissions de CO2.

Enfin, avec l’augmentation du nombre de vols, les compagnies et leurs passagers

veulent aussi bénéficier d’améliorations continues en matière de sécurité : trois fois plus de trafic ne saurait se traduire par trois fois plus d’accidents.

Les nouvelles installations du centre de contrôle, à Swanwick, sont aussi futuristes que les anciennes étaient délicieusement rétro. Les contrôleurs sont assis devant des terminaux à l’état de l’art, avec des écrans radar à haute résolution, et des logiciels sophistiqués permettant d’identifier les problèmes à l’avance. Ces installations ressemblent précisément à ce qu’on imagine être l’un des centres de contrôle du trafic aérien les plus chargés du monde – moderne et efficace.

SESAR et NextGen

Le programme SESAR (Single European Sky ATM Research Programme) en Europe, et son homologue NextGen aux Etats-Unis, ont pour but de transformer la gestion du trafic aérien et d’assurer, à l’échelle d’un continent, le même type d’efficacité induit par la technologie que celui obtenu à l’échelle régionale avec le centre de contrôle londonien.

SESAR devrait permettre de réduire de 50 % le coût de gestion du trafic pour les compagnies aériennes, et réduire de 10 %

Page 31: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

29

l’impact environnemental, en maintenant les mêmes niveaux de sécurité.

Trois innovations technologiques joueront un rôle majeur pour concrétiser ces ambitieux objectifs. D’abord, un nouveau type de transpondeur, l’ADS-B (Automatic Dependent Surveillance – Broadcast) qui permet aux avions de transmettre leur position et leur trajectoire au sol, mais aussi aux autres aéronefs, même en dehors de la couverture radar conventionnelle.

En Australie, l’ADS-B offre déjà aux contrôleurs des options supplémentaires pour diriger les avions venant d’Asie, les appareils n’ayant pas besoin de suivre des routes aériennes rigides d’une radio-balise à l’autre. Aux Etats-Unis, un millier de stations de base ADS-B seront la garantie d’une surveillance à l’échelle du continent. Ce système permet également aux avions de communiquer leur position entre eux, permettant une séparation automatique dans les zones où les contrôleurs du trafic aérien ne peuvent normalement pas voir les appareils, par exemple au milieu de l’océan.

La deuxième innovation, porte sur l’amélioration des liaisons de données entre les contrôleurs au sol et les pilotes. Au lieu d’échanges radio trop longs et

sujets à erreurs, les contrôleurs et les pilotes seront en mesure d’échanger des clairances en utilisant des communications de type CPDLC (Controller Pilot Data Link Communications).

Le poste de pilotage lui-même accueille le troisième groupe de changements. La navigation par satellite permet aux avions de voler avec une précision toujours plus grande. Sur certains aéroports, par exemple, les avions empruntent des couloirs d’approche d’à peine 800 m de large pour éviter le relief ou réduire les nuisances sonores. En combinaison avec des pilotes automatiques et des systèmes avancés de gestion du vol, les avions peuvent aussi suivre des profils 4D sophistiqués avec grande précision – autrement dit, ils peuvent suivre un parcours spécifique en trois dimensions et se présenter au-dessus des points de cheminement selon un timing spécifique.

Les contrôleurs du trafic aérien du monde entier émettront beaucoup moins d’instructions radio qu’auparavant. Les instructions de routine encore fournies aujourd’hui seront remplacées par des conversations de planification et par les liaisons de données.

Ces avancées permettront aux contrôleurs de disposer de plus de temps pour planifier et prendre en charge un plus grand nombre d’avions. La gestion du trafic aérien est appelée à abandonner progressivement un modèle de « contrôle » pour s’orienter vers un modèle d’ « optimisation ».

Progrès pour les passagers

Tous ces changements vont faciliter la vie des voyageurs. Le transport aérien sera plus sûr, plus économique et plus efficace, même avec l’augmentation du trafic. L’horaire d’arrivée des avions sera de mieux en mieux respecté, avec moins d’encombrements au sol, et moins de temps passé dans un circuit d’attente au-dessus de l’aéroport. Des itinéraires plus efficaces et des trajectoires plus précises permettront de réduire les temps de vol, les coûts et la pollution.

L’aviation a déjà réalisé des progrès considérables et les vingt prochaines années devraient encore nous surprendre. Certes, les sandwiches servis à bord sont parfois spongieux, et le café à peine tiède, mais la technologie, souvent méconnue, qui fait voler les avions mérite à n’en pas douter ses trois étoiles.

Thales met actuellement en œuvre une fonction baptisée Digital Taxi, qui fournit aux pilotes une idée précise de leur position sur l’aéroport, et leur donne des instructions de roulage entre l’aire de stationnement et la piste (et inversement), à l’instar d’un GPS dans une voiture. La circulation au sol est une phase à haut risque du transport aérien, avec danger de collision, erreurs de cheminement et incursions involontaires sur les pistes. Remplacer les instructions radio et les cartes papier par des cartes numériques et des consignes exactes, ne peut qu’améliorer la sécurité.

D’ici vingt ans, certaines régions d’Asie pourraient connaître des densités de trafic supérieures à celles d’une Europe déjà passablement asphyxiée. A elle seule, la Chine prévoit 70 nouveaux aéroports d’ici à 2015.

Numérisation de la circulation au sol :

Page 32: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Un laser construit par Thales inaugure une nouvelle ère de la physique des particules.

La puissance de BELLAFrançois Lureau, chef de projet dans l’unité Solutions laser de Thales

30 PLAN LARGE : BELLA

Dans les laboratoires du

monde entier, les accélérateurs de particules comme le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN

ou les accélérateurs du SLAC à Stanford servent à la recherche fondamentale, mais aussi à des applications médicales, comme la protonthérapie pour le traitement des cancers, par exemple. Or, les installations conventionnelles capables de produire d’immenses quantités d’énergie exigent une taille et un coût devenus prohibitifs.

C’est pourquoi plusieurs équipes, dans plusieurs laboratoires, se sont penchées sur d’autres méthodes de production de particules à haute énergie. L’accélération laser-plasma semble très prometteuse : ce

nouveau concept permet de construire des accélérateurs de particules compacts qui s’appuient sur une impulsion laser très puissante et ultra-brève, sa durée se mesurant en femtosecondes (10-15 secondes).

Au nombre de ces initiatives figure le projet BELLA (pour BErkeley Laboratory Laser Accelerator). Installé au LBNL (Lawrence Berkeley National Laboratory), prestigieux laboratoire californien, BELLA est un laser géant conçu et construit par Thales. Atteignant 1,3 pétawatt (1015 watts), il délivre des impulsions à un taux de répétition de 1 Hz.

Après moins de trois ans de développement et d’intégration, le système BELLA est pleinement opérationnel. Sa

puissance par impulsion dépasse tout ce qu’on aurait pu imaginer : 1,3 x 1015 watts chaque seconde. Le LBNL espère ainsi construire un accélérateur de particules miniature aux performances comparables à celles des grandes installations.

À travers ce projet, Thales a prouvé sa capacité à fournir aux scientifiques un système laser entièrement clé en main, développé par un acteur industriel qui comprend réellement l’ensemble des éléments, de bout en bout. Grâce à cette nouvelle répartition des responsabilités entre l’industrie et les laboratoires, les équipes de chercheurs vont pouvoir se concentrer sur l’intégration du système dans la chaîne d’expérimentation et sur ses applications scientifiques.

Page 33: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

31

« Outre ses performances exceptionnelles, ce projet marque une première mondiale en termes de partenariat laboratoire/industrie. » François Lureau, chef de projet dans l’unité Solutions laser de Thales

Page 34: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

La LKW-Maut instaurée en Allemagne est une redevance sur le trafic autoroutier, qui taxe les véhicules en fonction du nombre d’essieux, de la catégorie d’émissions et de la distance parcourue. Ce système est le premier à avoir recouru au GPS. Son introduction en janvier 2005 pour tous les poids lourds de plus de 12 tonnes faisait suite à une intensification de la circulation : selon les estimations, un camion sur trois empruntant les autoroutes allemandes est immatriculé à l’étranger.

Les péages sont collectés par Toll Collect pour le compte de la République fédérale d’Allemagne. Deux systèmes se côtoient : l’un automatique, l’autre manuel. Le système automatique s’appuie sur les diagnostics de l’équipement embarqué qui exploite le réseau GSM et le GPS pour calculer la distance parcourue. Une fois installé, ce dispositif n’exige aucune intervention du conducteur. Le système manuel repose sur un réseau de 3 500 stations de péage situées aux abords des bretelles d’autoroute. Plus de 90 % des poids lourds en Allemagne utilisent le système automatisé.

La LKW-Maut (littéralement « péage poids lourds ») est appliquée au moyen de 300 portiques combinant un système de détection infrarouge et une caméra haute résolution. Environ 300 véhicules de contrôle circulent, et les coûts de collecte avoisinent 20 % des recettes brutes.

Dans l’ensemble, les résultats sont positifs. Les observateurs constatent que les chargeurs choisissent des véhicules moins polluants, les trajets à vide ont diminué, et le fret ferroviaire progresse. En revanche, le trafic des poids lourds s’est intensifié sur les réseaux locaux – une évolution à laquelle le projet Ecomouv’ vise spécifiquement à remédier.

La voie allemande : la LKW-Maut

1 Le Parlement français a

adopté la loi sur l’écotaxe poids lourds le 16 octobre 2008.

2 Le gouvernement

vise, notamment, à rééquilibrer la circulation entre les routes taxées et non taxées.

3 Les revenus tirés de

l’écotaxe s’élèveraient d’après les prévisions à 1,2 Mrd euros.

En bref

32 TRANSPORTS TERRESTRES : ÉCOTAXE

Page 35: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Les autoroutes payantes restent un défi pour les autorités partout en Europe. Les péages peuvent gêner la fluidité du trafic, et les méthodes de paiement utilisées par les exploitants provoquer des erreurs et manquer d’efficacité. Face à la nécessité de rationaliser les déplacements et de lutter contre la congestion du trafic tout en maintenant l’ouverture des routes à tous, il devient urgent de trouver une meilleure option.

Le télépéage est une solution intelligente. Les véhicules équipés d’une carte spéciale passent les péages sans s’arrêter, selon différentes méthodes de paiement automatique qui recourent notamment au GPS et au transfert des données à courte portée. Le système exploité sur les autoroutes françaises illustre ce type de perception électronique. Les conducteurs ne sont pas obligés de s'arrêter aux barrières de péage – le protocole de communication DSRC (Dedicated Short-Range Communication) est tellement

Embarquement : Ecomouv'

De nouvelles règles de conduiteLes péages existent depuis presque aussi longtemps que les routes elles-mêmes. Si on en retrouve partout en Europe, force est de constater que les méthodes de paiement sont dépassées, gênantes et pas du tout normalisées. L’apport technologique pourrait faire la différence, mais quelle solution adopter pour aller dans le bon sens ?

Richard Aucock

Le système français Ecomouv’ s’appuie sur un dispositif GPS embarqué conçu pour localiser un véhicule et mesurer la distance parcourue. Ce dispositif calcule toutes les données nécessaires avant de les transmettre via le réseau SFR à un système central qui détermine le montant de la redevance et le facture au transporteur. Parmi les partenaires de ce projet figurent Thales, la SNCF et les services informatiques de Steria.

Le système couvre 15 000 km de routes nationales et départementales françaises non taxées. Seuls sont concernés les poids lourds de plus de 3,5 tonnes, et les droits se montent en moyenne à 0,12 € par km. À son lancement, il s’agira du télépéage le plus perfectionné au monde, et quelque 800 000 véhicules français et étrangers embarqueront le dispositif à leur bord.

Les taxes perçues devraient s’élever à 1,2 milliard d’euros par an.

Par rapport aux autres systèmes, Ecomouv' inclue 5 000 km de réseau local et calcule les redevances par GPS. Des portiques contrôlent si les véhicules sont en règle. Les autorités croient fermement en l’efficacité de ce système composé, respectivement, de 173 et 500 points de contrôle fixes et mobiles.

La clé d’Ecomouv’ réside dans son automatisation. Quand un conducteur emprunte une route à péage, le dispositif embarqué obligatoire calcule le montant dû. Dès que le conducteur quitte cet axe, le système interrompt ses calculs. L’utilisateur n’a pas à intervenir, et il ne doit pas non plus s’arrêter à des portiques ou à des cabines de péage. Finis les ralentissements.

33

Page 36: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

rapide qu’aucun ralentissement n’est techniquement nécessaire.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs systèmes avancés de péage électronique ont été introduits en France à destination des poids lourds. Il s’agit chaque fois de décongestionner le trafic et d’encourager les prestataires de fret à opter pour d’autres voies de communication, le rail par exemple. Jusqu’à présent, ces dispositifs se sont néanmoins limités aux axes nationaux stratégiques, déplaçant parfois le trafic et congestionnant les routes locales.

Le projet d’écotaxe, soutenu par un consortium regroupant Autostrade, Thales, Steria, SFR Businessteam et la SNCF, vise à résoudre ce problème. D’où la création d’Ecomouv’. À compter d’octobre 2013, cette société taxera les poids lourds au kilomètre parcouru sur le réseau national et départemental non concédé français. Il s’agit du programme de péage électronique le plus ambitieux au monde à ce jour.

« L’initiative est unique en France, explique Antoine Caput, directeur du département Routes de l’activité Systèmes de péage chez Thales. C’est la première fois depuis la Révolution qu’une taxe est prélevée par un exploitant privé. Le système de mise en œuvre même n’est pas seulement exploité par le consortium Ecomouv' ou par Thales, il s’inscrit dans un cadre juridique fonctionnel, dûment certifié et homologué, et est également exploité par l’État. Toute société de services peut ainsi conclure un accord avec Ecomouv’ l’autorisant à collecter l’écotaxe poids lourds. Ce nouveau marché, ouvert, constitue un modèle d’entreprise totalement inédit. »

L’initiative remonte à plusieurs années, quand le gouvernement avait proposé de taxer les poids lourds empruntant les routes nationales gratuites. Face aux protestations des syndicats de transporteurs et de chargeurs, les autorités avaient fait des concessions sur différents points, mais « le besoin pressant d’une nouvelle infrastructure plaidait en la faveur de l’écotaxe », explique Antoine Caput.

« C’est la première fois depuis la Révolution qu’une taxe est collectée par un exploitant privé en France. » Antoine Caput, directeur du département Routes de l’activité Systèmes de péage chez Thales.

34 TRANSPORTS TERRESTRES : ÉCOTAXE

La Norvège est le premier pays à avoir introduit des péages électroniques. C’était en 1986. En 1991, avec l’initiative AutoPass, les systèmes de télépéage ultrarapides ont remplacé les barrières traditionnelles.

Le Portugal s’est lancé dans l’interopérabilité en 1995 avec le système Via Verde, utilisé à tous les péages du pays et aussi dans les parkings et les stations-service.

Les États-Unis ont également misé sur l’interopérabilité des télépéages : en 1991, les sept agences en charge des péages dans les États de New York, du New Jersey et de Pennsylvanie ont créé le E-ZPass. En 1998, un brevet a été déposé pour un système de perception automatisée, utilisant des transpondeurs.

En Europe, trois méthodes servent à collecter les péages. Elles se fondent sur la durée ou sur la distance parcourue. Celles basées sur la distance nécessitent un dispositif électronique embarqué pour une précision maximum. Les systèmes manuels relevant de ce principe sont très restrictifs et très coûteux. Les solutions fondées sur la durée sont moins sophistiquées et consistent souvent en des vignettes à coller sur les pare-brise.

L'histoire du télépéage

« Au cours des discussions, les partisans d’un changement ont avancé des arguments forts. Par exemple le fait que les camionneurs évitaient l’Allemagne pour éviter la LKW-Maut ou se déportaient sur des axes moins encombrés mais traversant des agglomérations a été un facteur décisif, la pollution associée constituant un enjeu environnemental supplémentaire. » Antoine Caput explique aussi qu’Ecomouv’ est le premier projet entièrement ouvert qui respecte les normes européennes. Le système allemand n’est pas pleinement conforme et n’autorise pas d’autres opérateurs à percevoir la taxe. Or, cette interopérabilité est sans doute la principale réussite d’Ecomouv’.

Ce programme impose aux véhicules un boîtier GPS embarqué, qui enregistre la situation géographique et mesure la distance parcourue (voir page précédente).

Page 37: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

La Commission européenne insiste depuis longtemps sur la nécessité d’une interopérabilité des systèmes de péage électroniques. Ces systèmes doivent fonctionner par-delà les frontières pour éviter aux usagers de devoir s’enquérir des différentes procédures en place. Les camionneurs, qui se déplacent le plus à l’international, sont les principaux concernés.

La Directive 2004/52/CE définit les conditions de l’interopérabilité des systèmes de télépéage routier. Elle stipule notamment que ces systèmes doivent s’appuyer sur des technologies de localisation par satellite (GPS) et de communications mobiles (GSM) ou sur la technologie des micro-ondes (DSRC). Les systèmes DSRC existent depuis longtemps et, en Allemagne, la taxe LKW-Maut

a été la première à s’appuyer sur le GPS et le GSM. Mais le projet Ecomouv' combine pour la première fois les trois technologies autorisées.

Le Service européen de télépéage (SET) est allé plus loin encore en déclarant que les utilisateurs ne devraient s’inscrire qu’auprès d’un seul opérateur pour s’acquitter des droits afférents à tout système basé sur un équipement embarqué. Ultérieurement, la Commission a exposé dans une décision les principaux impératifs relatifs à l’instauration du SET dans tous les États membres. Entrée en vigueur en 2009, cette décision exige que les poids lourds puissent traverser tous les pays de l’UE avec un seul dispositif embarqué et aux termes d’un seul contrat à compter d’octobre 2012.

« C’est la première fois depuis la Révolution qu’une taxe est collectée par un exploitant privé en France. » Antoine Caput, directeur du département Routes de l’activité Systèmes de péage chez Thales.

35

« Le contrat oblige à développer un réseau de distribution très dense pour permettre aux poids lourds étrangers de trouver et d’installer facilement le boîtier sans perdre de temps », précise A. Caput.

Le dispositif a été conçu en pensant à l’avenir. Pour faciliter l’extension du réseau, il n’existe aucun péage physique – tous les trajets sont suivis par GPS. Définir un nouvel itinéraire se fait facilement, en mettant le logiciel et les bases de données à jour et en spécifiant cet itinéraire sur le boîtier. Et, parce que l’itinéraire complet n’est pas stocké sur un appareil, toutes ces étapes peuvent se faire au niveau système sans avoir à changer d’unité ou à réinstaller le logiciel.

Le contrôle a fait l’objet d’une réflexion attentive. « On bénéficie à ce niveau des avantages offerts par un système fonctionnant en temps réel, ajoute Antoine Caput. Les agents ont accès à un système entièrement automatisé et facile à gérer. Des portiques fixes

Interopérabilité paneuropéenne

contrôlant le flux automatiquement surplombent les axes routiers, et des unités automatiques transportables les complètent ; soit une solution d’avant-garde en termes de flexibilité et de rentabilité. Un système mobile, monté sur le toit d'un véhicule, permet aux agents de faire les vérifications d’usage tout en roulant. Par ailleurs, grâce à un dispositif portatif fonctionnant en temps réel, les policiers peuvent procéder aux contrôles nécessaires en se tenant simplement devant un poids lourd garé. Aucun autre système en Europe n’offre un portefeuille de solutions aussi complet. »

Antoine Caput souligne l’importance de l’exploitation en temps réel du système. « En Allemagne, on a le choix entre utiliser le boîtier embarqué et payer un ticket. En France, tous les poids lourds de plus de 3,5 tonnes doivent être équipés, même les poids lourds étrangers. S’ils ne le sont pas, ils doivent s’enregistrer à un guichet de distribution et verser une caution pour le boîtier. L’installation est simple : il suffit de brancher le boîtier à l’allume-cigare et de saisir quelques paramètres. »

Jusqu’ici, Ecomouv' marque la réussite d’une gestion de projet et d’une architecture de contrôle multipartenaires, constituant un modèle technique et entrepreneurial. Plusieurs gouvernements suivent de près les progrès réalisés, qui pourraient bien annoncer une nouvelle ère du télépéage.

Page 38: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Les sociétés humaines n’ont pas cessé

d’innover depuis plus de deux millions d’années. Nous savons depuis peu qu’il en est de même dans les sociétés de grands singes. Ces innovations procèdent de nouveaux comportements qui se diffusent, se transmettent et font culture au sein d’un groupe. La question réside moins dans la capacité des individus à inventer et à trouver des solutions, mais plutôt dans la manière dont le groupe les capte et les développe ; on retrouve ici les trois temps de l’innovation darwiniens : variation, sélection, développement.

Les singes capucins d’Amérique du Sud (Cebus apella) se distinguent parmi les plus intelligents, avec un coefficient d’encéphalisation (rapport entre la taille du cerveau et celle du corps) comparable à celui de l’homme. Ils se révèlent très inventifs dans l’usage d’outils et la résolution de tâches complexes comme la chasse. Cette intelligence individuelle se manifeste dans des groupes sociaux réunissant un grand nombre d’individus, avec des interactions sociales intenses. Mais ils se montrent peu

doués pour partager leurs expériences et leurs acquis. Ainsi, si l’intelligence individuelle se trouve avant tout corrélée à l’intensité des relations sociales, ce n’est pas pour autant que les innovations individuelles se diffusent et bénéficient au groupe.

La qualité des relations sociales, la façon dont s’expriment les relations hiérarchiques affectent la captation et la diffusion des innovations. Dans les années 1950, les éthologues japonais observent une femelle macaque (Macaca fuscata) de l’ile de Koshima qui a l’idée de saisir des patates douces et de les nettoyer dans la rivière, puis dans l’eau de mer, ce qui leur donne un goût salé. Cinquante ans plus tard, tous les macaques procèdent ainsi. Il y a donc eu innovation, diffusion, tradition et culture. Le processus a nécessité cependant plusieurs générations en raison de relations

hiérarchiques très rigides qui font que les individus de rang social supérieur méprisent ceux des rangs inférieurs. Les innovations passeront par les enfants, moins

sensibles à ces questions de statut.

Dans les processus de l’innovation, il faut donc bien distinguer les conditions qui amènent des individus à trouver des idées ou des solutions de celles qui les intègrent au groupe et l’en font bénéficier, ce qui constitue une innovation au vrai sens strict de ce terme.

Notre culture privilégie le culte du génie individuel - ingénieur ou chercheur - qui dynamiserait à lui seul l’innovation. De tels hommes (et femmes) existent, mais ils ne sont jamais isolés. Les principales sources d’innovation s’articulent entre les intelligences individuelles et les intelligences collectives.

Les chimpanzés (Pan troglodytes) utilisent des dizaines d’outils et de comportements associés. Certains groupes se montrent cependant plus innovants que d’autres, en raison de leur faculté à collaborer et à déléguer des compétences. C’est le cas des grands singes de la forêt de Taï, en Côte d’Ivoire. Les femelles utilisent des pierres comme marteau et enclume pour briser des noix ; certains mâles dirigent la chasse, d’autres connaissent mieux les ressources de nourritures ou certaines plantes curatives… Quand un mâle

36 IntellIgence

Pascal Picq tim Flach

De l'innovation chez les grands singes et les hommes

Page 39: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

désire un cerneau de noix, il demande à une femelle. Au moment de la chasse, le mâle reconnu le plus compétent devient le leader et même les individus d’un rang social supérieur se placent sous sa direction. Suivant le type d’action, les chimpanzés savent donc changer l’organisation du groupe et le leadership.

Mais revenons aux mécanismes de l’innovation. D’un point de vue darwinien, ce n’est pas parce qu’un caractère ou un comportement existe dans un groupe qu’il a le statut d’innovation. Tant qu’il participe de la variation sans avoir une signification adaptative, ce n’est pas une innovation. Une innovation, dans la perspective de l’évolution, fournit un avantage adaptatif à une population dans son environnement ; de même, au sens de Joseph Schumpeter, une innovation ne le devient qu’à partir du moment où elle permet à une entreprise de prendre des parts de marché.

Chez les chimpanzés, la chasse ne constitue pas une activité essentielle à la survie puisque la viande entre en faible pourcentage dans leur alimentation. C’est avant tout un loisir et un plaisir social qui stimule le groupe. Mais actuellement, du fait de la dégradation de leur

environnement causée par la déforestation, les ressources de nourritures végétales s’appauvrissent pendant la saison sèche. Ils sont conduits à développer la chasse qui, de loisir, devient une adaptation.

Tous les groupes ne réussissent pas cette transition. Pourquoi ? Par manque de reconnaissance de la diversité des compétences. Si, comment dans d’autres groupes, le leader de la chasse n’en partage pas le produit ou se le fait subtiliser par un dominant, il y a peu de chance que le comportement de chasse et de partage devienne une adaptation. La qualité des relations entre les protagonistes s’avère une condition fondamentale pour l’innovation dans un groupe constitué d’une diversité de compétences tout comme sa capacité à changer de leader.

Il n’existe pas plus de voie de l’innovation que de voie de l’évolution au singulier: il y a des mécanismes. Le management de l’innovation consiste à faire les choix appropriés au cours des trois temps évoqués : variation, sélection et développement. On retrouve le même schéma, par exemple, dans l’étude des

systèmes complexes adaptatifs1 et dans le monde de la robotique avec les concepts de New Artificial Intelligence qui, au lieu de construire une seule machine super intelligente, met en collaboration des machines plus simples procédant par essai/erreur2. L’anthropologue évolutionniste apporte une dimension trop négligée, et pourtant fondamentale : l’organisation ou, autrement dit, la qualité des relations entre les individus.

Faire émerger de la variation ne demande pas le même type de management une fois qu’on passe en mode projet ou en phase de développement. Cela peut impliquer les mêmes personnes, mais organisées différemment, ou d’autres personnes. Insistons sur un point fondamental : la diversité. La manie de recruter des collaborateurs issus de la même formation ou de la même école, associée à la non-considération des autres secteurs d’innovations – collaborateurs des autres départements de l’entreprise, autres entreprises, sociétés, régions, nature –, sont autant d’obstacles à l’innovation dans ces deux premiers temps ; moins certainement pour l’innovation incrémentale. Innover, c’est avant tout une question d’ouverture, de culture et d’évolution.

1 Robert Axelrod et Michael Cohen Réussir dans un

monde complexe, Odile Jacob 2001.

2 cf. Le Paradoxe de Moravec in : Pascal Picq Un

Paléoanthropologue dans l’Entreprise, Eyrolles 2011.

Paléoanthropologue au Collège de France, Pascal Picq est à l’origine du concept « d’anthroprise », issu de l’application de ses recherches sur l’évolution des espèces aux processus d’innovation et de management des groupes industriels. Physicien et archéologue, auteur de nombreux ouvrages, il intervient fréquemment dans le monde économique et milite pour la préservation des grands singes et la diversité des cultures humaines.

37

« les chimpanzés utilisent des

dizaines d’outils et de comportements associés. certains

groupes se montrent

cependant plus innovants que

d’autres, en raison de leur faculté à

collaborer et à déléguer des

compétences. »

Page 40: « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle … · « Nous sommes actuellement à l’aube d’une nouvelle course à l’armement, visant au ... la différence entre

Retrouvez-nous en ligne sur :

www.thalesgroup.com www.facebook.com/thalesgroup

twitter.com/thalesgroupplus.google.com/+thales