23
Chapter 17 Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932), adīb soufi au temps de la Réforme Francesco Chiabotti Publiée entre la fin du XIX e et le début du XX e siècle, l’œuvre de l’un des der- niers grands polygraphes de l’islam sunnite, le cadi Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932), incarne parfaitement les enjeux de l’écriture religieuse à l’époque d’une profonde remise en cause de l’identité sunnite.1 Fervent apologète de l’héritage spirituel et littéraire issu de siècles de dévotion et de spiritualité en langue arabe, Nabahānī s’engage dans la défense d’un idéal de tradition dont les tenants du réformisme islamique prônent alors une révision d’une ampleur inédite dans l’histoire du sunnisme. Son œuvre fut avant tout une lutte litté- raire et apologétique, bien résumée dans l’inscription qui orne la pierre tom- bale de notre auteur. Nabahānī y est présenté comme « Ḥassān Aḥmad Yūsuf al-Nabahānī ». « Aḥmad », nom céleste du Prophète Muhammad renvoie sans nul doute à la dévotion intense de l’auteur pour celui-ci, quand « Ḥassān » pré- cise la modalité qu’il prisait le plus pour louer l’objet de son amour : la poésie. Par ce nom, Nabahānī, connu comme le « poète du Prophète » dans les cercles soufis dès son vivant, est en effet assimilé à Ḥassān Ibn Thābit (mort vers la moitié du VII e siècle), premier panégyriste de l’islam. Cette association ex- prime parfaitement la volonté de l’auteur et de ses successeurs de situer son œuvre littéraire dans une lignée où la poésie protège et soutient la religion, idéalement depuis sa fondation.2 Bien qu’on ignore si cette inscription funé- raire est due ou non à une volonté de l’auteur, exaucée à titre posthume, elle reflète avec pertinence l’engagement d’une vie consacrée à l’écriture. Un certain nombre d’études récentes ont déjà analysé la vie de Nabahānī. Amal Ghazal a décrit sa lutte contre le réformisme de la fin du XIX e siècle et la Nahḍa, deux mouvements dont il est pourtant une figure.3 Samir Seikaly s’est intéressé davantage au portrait des Européens chez Nabahānī, qui a rédigé des pamphlets politiques contre la diffusion des écoles chrétiennes au Liban.4 Si ces deux articles se concentrent sur les écrits de Nabahāni en tant que 1 Je remercie Benjamin Vincent pour sa relecture attentive de cet article. 2 Le Prophète aurait affirmé que la parole de Ḥassān b. Thābit était soutenue par le Saint-Esprit. 3 Ghazal, “Sufism, ijtihad and modernity.” 4 Seikaly, “Shaykh Yūsuf al-Nabahāni and the West.” © Koninklijke Brill NV, Leiden, 2020 | doi:10.1163/9789004415997_019 Francesco Chiabotti - 9789004415997 Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM via free access

Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932), adīb soufi au ... - Brill

Embed Size (px)

Citation preview

504 Chiabotti

Chapter 17

Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932), adīb soufi au temps de la Réforme

Francesco Chiabotti

Publiée entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, l’œuvre de l’un des der-niers grands polygraphes de l’islam sunnite, le cadi Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932), incarne parfaitement les enjeux de l’écriture religieuse à l’époque d’une profonde remise en cause de l’identité sunnite.1 Fervent apologète de l’héritage spirituel et littéraire issu de siècles de dévotion et de spiritualité en langue arabe, Nabahānī s’engage dans la défense d’un idéal de tradition dont les tenants du réformisme islamique prônent alors une révision d’une ampleur inédite dans l’histoire du sunnisme. Son œuvre fut avant tout une lutte litté-raire et apologétique, bien résumée dans l’inscription qui orne la pierre tom-bale de notre auteur. Nabahānī y est présenté comme « Ḥassān Aḥmad Yūsuf al-Nabahānī ». « Aḥmad », nom céleste du Prophète Muhammad renvoie sans nul doute à la dévotion intense de l’auteur pour celui-ci, quand « Ḥassān » pré-cise la modalité qu’il prisait le plus pour louer l’objet de son amour : la poésie. Par ce nom, Nabahānī, connu comme le « poète du Prophète » dans les cercles soufis dès son vivant, est en effet assimilé à Ḥassān Ibn Thābit (mort vers la moitié du VIIe siècle), premier panégyriste de l’islam. Cette association ex-prime parfaitement la volonté de l’auteur et de ses successeurs de situer son œuvre littéraire dans une lignée où la poésie protège et soutient la religion, idéalement depuis sa fondation.2 Bien qu’on ignore si cette inscription funé-raire est due ou non à une volonté de l’auteur, exaucée à titre posthume, elle reflète avec pertinence l’engagement d’une vie consacrée à l’écriture.

Un certain nombre d’études récentes ont déjà analysé la vie de Nabahānī. Amal Ghazal a décrit sa lutte contre le réformisme de la fin du XIXe siècle et la Nahḍa, deux mouvements dont il est pourtant une figure.3 Samir Seikaly s’est intéressé davantage au portrait des Européens chez Nabahānī, qui a rédigé des pamphlets politiques contre la diffusion des écoles chrétiennes au Liban.4 Si ces deux articles se concentrent sur les écrits de Nabahāni en tant que

1 Je remercie Benjamin Vincent pour sa relecture attentive de cet article. 2 Le Prophète aurait affirmé que la parole de Ḥassān b. Thābit était soutenue par le

Saint-Esprit.3 Ghazal, “Sufism, ijtihad and modernity.”4 Seikaly, “Shaykh Yūsuf al-Nabahāni and the West.”

_full_alt_author_running_head (neem stramien B2 voor dit chapter en dubbelklik nul hierna en zet 2 auteursnamen neer op die plek met and): 0_full_articletitle_deel (kopregel rechts, vul hierna in): Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)_full_article_language: fr indien anders: engelse articletitle: 0

© Koninklijke Brill NV, Leiden, 2020 | doi:10.1163/9789004415997_019 Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

505Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

_full_alt_author_running_head (neem stramien B2 voor dit chapter en dubbelklik nul hierna en zet 2 auteursnamen neer op die plek met and): 0_full_articletitle_deel (kopregel rechts, vul hierna in): Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)_full_article_language: fr indien anders: engelse articletitle: 0

« moraliste », Josef Dreher et Michel Chodkiewicz interrogent la relation entre écriture et idéal spirituel chez cet auteur. Le premier, en analysant le recueil de textes consacré à la dévotion au Prophète (les Jawāhir al-biḥār) dégage le por-trait d’un auteur à la fois représentatif de son temps et en lutte contre son temps. Sa vaste réécriture anthologique peut être interprétée comme une ten-tative de refonder une terre d’appartenance spirituelle (spiritual homeland, écrit Dreher) face à la désagrégation politique de l’unité de l’Empire.5 La com-pilation anthologique devient en quelque sorte une patrie littéraire et spiri-tuelle qui abrite un passé menacé de disparition. Chodkiewicz, dans son article sur la question des miracles de saints en islam, questionne aussi la conception de l’adab chez Nabahānī. Avec une certaine sévérité, il remarque que si le titre de « polygraphe » et « anthologiste » a été souvent attribué de façon injuste à certains auteurs au cours de l’histoire de la littérature arabe, ce jugement est « pleinement justifié » dans le cas de notre auteur « sans génie ».6 Cette appré-ciation tranchée révèle la difficulté à laquelle nous sommes confronté face au corpus nabahānien, à l’intérieur duquel il est difficile de retrouver une voix originale. À première vue, les changements historiques auxquels l’auteur est confronté semblent renforcer une attitude « conservatrice », sourde aux défis de son temps mais en même temps obsédée par eux comme le montrent les études de Ghazal et Seikaly.

La présente contribution voudrait interroger à nouveau la conception de l’adab chez Nabahānī pour montrer comment celle-ci reflète les différents en-gagements de notre auteur. En cherchant la voix de l’auteur non dans le texte lui-même mais dans ses « seuils » (les remerciements, les préfaces, les adden-da, les ijāzāt, les notes en marge des premières éditions), puis dans ses compo-sitions poétiques originales, on essayera de saisir avec plus de clarté la personnalité et le projet de cet auteur volontairement effacé derrière le voile de la citation.

1 Quelques éléments biographiques

Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī Naṣīr al-Dīn est né en 1850 dans le village palesti-nien de Ijzim, dans la province de Nablus, où il reçoit une éducation de base (hadith et Coran).7 A l’âge de 17 ans, vers 1867, il quitte son pays natal pour Le

5 Dreher, “A Collection of Theological and Mystical Texts,” 275.6 Chodkiewicz, « La Somme des miracles des Saints », 607.7 Son autobiographie est contenue dans deux courts écrits, le Hādī al-murīd ilā ṭuruq al-

asānīd (publié en annexe du Ṣalawāt al-thanā ʿalā sayyid al-anbiyāʾ, imprimé à Beyrouth

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

506 Chiabotti

Caire, où il étudie à al-Azhar. Amal Ghazal souligne que les ulémas d’al-Azhar, vers la fin du XIXe siècle, s’opposaient à toute réforme. Gilbert Delanoue aura montré pour sa part que nombre d’étudiants azhariens au contraire, souvent paupérisés, avaient soif de cette réforme et d’adaptation aux enjeux de l’époque, d’où leur quête d’autres modes de formation. Au Caire, Nabahānī ren-contre d’éminents représentants du soufisme azharien, dont il relate des sou-venirs épars dans ses ouvrages. Dans un livre que Nabahānī rédige vers 1911 à partir de ses rêves et de ceux d’autres personnages auxquels il était lié, on trouve un passage autobiographique qui illustre le type de relation qu’il déve-loppe au Caire. Il relate dans un de ces récits sa proximité avec le shaykh Muḥammad ʿIlīsh al-Kabīr8, son fils ʿAbd al-Raḥmān ʿIlīsh al-Kabīr9 et surtout son petit-fils ʿAbd al-Raḥmān ʿIlīsh al-Ḥanafī, un des juges du tribunal isla-mique d’Égypte. Nabahānī dit l’avoir fréquenté au Caire puis retrouvé à Bey-routh vers 1309/1890 et à Haïfa en 1321/1910. Dans la même page, Nabahāni ̄relate la vision en rêve du Prophète par ʿAbd al-Raḥmān ʿIlīsh. Muḥammad in-vite ʿIlīsh à rompre ses relations avec Muḥammad ʿAbduh (1849–1905),10cé-lèbre réformiste avec lequel il entretenait des affaires mondaines (asbāb dunyawiyya).11 La mention de ʿAbduh n’est pas laissée au hasard. Nabahānī a été témoin du tournant réformiste de l’Université cairote, après le retour de Muḥammad ʿAbduh d’exil en 1888.12 Thomas Raineau résume en ces termes le rôle de ʿAbduh:

[ʿAbduh] donne les impulsions décisives à la réforme, par son enseigne-ment d’abord, et par les responsabilités qu’il exerce à al-Azhar à partir de

chez l’imprimerie al-Adabiyya en 1317/1899–1900), et le Asbāb al-taʾlīf, publié en annexe du deuxième volume de son recueil Jāmiʿ karamāt al-awliyāʾ, imprimé au Caire dans le mois de Jumādā al-thānī en Égypte en 1329H/1911, selon une note de l’imprimeur du livre, Muḥammad al-Zahrī Ghumrāwī « directeur de l’imprimerie Dār al-kutub al-ʿarabiyya al-kubrā », voir Nabahānī, Asbāb al-taʾlīf, dans Jāmiʿ karamāt al-awliyāʾ, 2:303.

8 Sur lui, voir Delanoue, Moralistes et politiques musulmans, 2:129 et ss. Le shaykh ʿIlīsh fut impliqué dans une crise interne au rectorat de al-Azhar en 1881, auquel le shaykh aspirait. Ces faits se mêlèrent avec la crise du khédive Tawfīq et les espoirs d’indépendance antibritannique du milieu traditionnel azharien.

9 Sur lui, Delanoue, Moralistes et politiques musulmans, 2:129, n65.10 Sur ʿAbduh, voir Sedgwick, Muhammad Abduh.11 Nabahānī, al-Bashāʾir al-imāniyya fī l- mubashshirāt al-manāmiyya, 93. Ce passage a été

traduit intégralement et annoté par Maurice Le Baot dans « Quelques pages oubliées sur le Cheikh ʿAbd Al-Rahmân ʿElîch Al-Kabîr et son entourage ».

12 Sur les écrits de Nabahānī contre les réformistes, voir Ghazal, “Sufism, ijtihad and moder-nity,” 242; Commins, Islamic Reform, 117; Butrus Abu-Manneh, “Sultan Abdül ḥamid II,” 147; Eich, Abū al-Hudā al-Ṣayyādī, 26 et ss.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

507Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

1895 ensuite. Concernant la science, la réforme de la pensée islamique prône un retour aux textes primitifs ainsi que la suppression des strates de gloses et de commentaires scolastiques qui en ont recouvert et défor-mé le message au cours du Moyen Âge. Or ces textes constituent préci-sément le socle de l’enseignement d’al-Azhar depuis deux siècles. Il s’agit aussi de rouvrir la porte de l’ijtihâd, de rendre sa place à l’exercice de la raison (‘aql) et de fournir une nouvelle interprétation des textes sacrés qui soit adaptée à l’esprit du temps. C’est là pour al-Azhar un aggiorna-mento complet, un programme ambitieux qui comprend la relecture des textes fondamentaux, l’écriture de nouveaux traités et l’étude des « sciences modernes ».13

Ces « strates de gloses et commentaires » représentent exactement le patri-moine savant que Nabahānī veut défendre: son idéal d’adab. Le milieu azha-rien apparaît clairement dans les écrits de l’auteur, qui donne une visibilité particulière aux ijāzāt des textes classiques qu’il obtient près des maîtres de l’université cairote. 14

Un deuxième lieu fondamental pour la formation de Nabahāni est Istanbul, où en 1876, âgé d’environ 26 ans, il commence à travailler en tant que rédacteur et correcteur du périodique Al-Jawāʾib et pour l’imprimerie d’Aḥmad Fāris Shidyāq (1804–1887).15 Josef Dreher décrit la relation entre les deux hommes comme une relation de maître à disciple : Nabahānī n’aurait pas pu trouver de meilleur maître pour apprendre le métier de l’édition et du commerce du livre.16 Et quand Nabahānī, deux ans plus tard, signifie à Shidyāq sa volonté de quitter son poste, le désespoir du maître est grand. Une augmentation du salaire n’est pas suffisante pour convaincre Nabahānī à garder ses fonctions aux côtés de Shidyāq. La période d’activité auprès du journal Al-Jawāʾib correspond aussi à ses premiers essais littéraires. Après l’édition à Istanbul en 1877 d’un ouvrage d’al-Ḥakīm al-Tirmidhī (m. entre 295–300/905–910), les Nawādir al-uṣūl fī maʿrifat aḥādith al-rasūl (« Les fondements rares dans la connaissance des

13 Thomas Raineau, « Des tableaux noirs à l’ombre du minbar », en ligne. Voir aussi Gesink, Islamic Reform and Conservatism, chap. 8, “Muḥammad ʿAbduh and Ijtihad,” 165 et ss.

14 Liste de ses shuyūkh azhāriens dans Hādī al-murīd, 57 et ss. Parmi ceux-ci, on mentionnera le Shaykh Ḥasan al-ʿIdwī (m. 1303/1886), sur lui voir infra et Delanoue 2:261 et ss et Gesink, Islamic Reform and Conservatism, 107.

15 Sur lui voir Geoffrey Roper, “Fāris al-Shidyāq,” 209–231. Voir également Muḥammad al-Hādī al-Maṭwī, Aḥmad Fāris Shidyāq, pour une présentation de la production littéraire de Shidyāq.

16 Dreher, “A Collection of Theological and Mystical Texts,” 257.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

508 Chiabotti

paroles de l’Envoyé »),17 Nabahānī reçoit une requête de la part d’un sharīf de La Mecque résidant à Istanbul qui lui demande de réfuter la conception des Ahl al-bayt (Gens de la Maison du Prophète) telle que Tirmidhī la présente dans son ouvrage. En effet, Tirmidhī, auteur médiéval, distingue nasab (des-cendance prophétique) et nisba (rattachement spirituel au Prophète). Les deux donnent accès au rang de « Ahl al-bayt », mais le deuxième, selon Tirmidhī, est ouvert à tous les héritiers spirituels du Prophète, et plus particu-lièrement aux abdāl, « les Substituts ». C’est un degré plus noble et plus élevé que la simple ascendance généalogique.18 Or cette conception du sharifisme, à une époque où la généalogie donnait accès à des privilèges remarquables dans les sociétés musulmanes,19 posait problème. La défense du statut des Ahl al-bayt est donc l’objet du première ouvrage de Nabahānī, le al-Sharaf al-muʾabbad li-āl Muḥammad (« La noblesse éternelle de la Famille de Muḥammad », écrit en 1880 mais publié seulement plus tard, à Beyrouth, en 1891–1892.20 Catherine Mayeur-Jaouen, dans son article sur l’influence de l’imprimerie sur l’histoire du soufisme égyptien, lit cet épisode dans le cadre de la relation—complexe—entre publication de livres médiévaux et leur impact sur les débats qui caracté-risent la fin du XIXe siècle: « the publication of medieval authors inevitably led to new readings, which in turn led to new writings, in the frame of debates suddently rendered timely and international by advent of printing tech-nology ». 21

Un autre personnage clef que Nabahānī a dû rencontrer à Istanbul est Abū al-Hudā al-Ṣayyādī (1850–1909), célèbre shaykh syrien représentant de la confrérie Rifāʿiyya à Istanbul auprès d’Abdülhamid II.22 Certains biographes de Nabahānī mentionnent un poème dans lequel il loue Abū l-Hudā al-Ṣayyādī et déplore la dégradation des relations entre Turcs et Arabes après la révolution

17 Ce texte, le premier dans son genre, est un vaste recueil de paroles prophétiques accom-pagnées par le commentaire ésotérique de Tirmidhī. Voir GAS, 1:655, n. 9; B. Radtke, Al-Ḥakīm al-Tirmidī, 40; Ratdke et O’Kane, The Concept of Sainthood, 3; Abdurrahman Aliy, Nawādir al-uṣūl des Al-Ḥakīm al-Tirmidī. Ein Beitrag zur mystischen ḥadīt-Kommentierung.

18 Voir Tirmidhī, Nawādir al-uṣūl fī maʿrifat aḥādith al-rasūl, le aṣl 222, éd. ʿAbd al-Ḥamīd Maḥmūd Darwīsh, Damas, 2004, 468–474. Sur la conception anti-shiite des ahl-bayt chez Tirmidhī, voir Radtke et O’Kane, The Concept of Sainthood, 111 et les références fournies à la note 1.

19 Voir Eich, Abū al-Hudā al-Ṣayyādī.20 al-Nabahānī, Asbāb al-ta ʾlīf, 333; cf. Mayeur-Jaouen, “Sufism and Printing,” 63.21 Mayeur-Jaouen, “Sufism and Printing,” ibid. Sur cette épisode de la vie de Nabahānī voir

aussi Claude Addas, La Maison Muhammadienne, 143–144.22 Sur lui, Eich, Abū al-Hudā al-Ṣayyādī; sur sa possible relation avec Nabahānī, Commins,

Islamic Reform, 117.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

509Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

des Jeunes Turcs.23 Rashīd Riḍā dans Al-Manār (en shawwāl 1328/1909) rap-pelle en effet que Nabahānī avait fait l’éloge du maître rifāʿī dans le but de se rapprocher du pouvoir.24 Commins remarque que les carrières de Ṣayyādī et Nabahānī se ressemblent : originaires de la province, ils poursuivent une voca-tion à la fois littéraire, spirituelle et politique, tous les deux désirant réunir différentes affiliations confrériques à une époque durant laquelle le faction-nalisme pouvait nuire au rôle social du soufisme.25 Leurs perspectives dif-fèrent cependant. Ṣayyādī recherche surtout à rappeler et à glorifier l’origine Rifāʿī des chaînes spirituelles de la plupart des ṭuruq de son temps pour en faire un facteur d’unification spirituelle26—non sans une certaine prétention hégémonique qui lui sera souvent reprochée par ses contemporains : il pose aussi au descendant du Prophète, sharīf discutable, venu de la campagne et rejeté par les aristocratiques familles d’ashrāf d’Alep, comme l’a bien mon-tré Thomas Eich. Nabahānī, pour sa part, vise à établir une base commune muḥammadienne synthétique et commune à toutes les voies spirituelles. Dans cette perspective, on notera que Nabahānī lui-même n’était pas ignorant de littérature dévotionnelle rifāʿī. Il rapporte plusieurs prières attribuées à Aḥmad al-Rifāʿī. Dans les Aƒḍal al-ṣalāwāt (anthologie de prières sur le Prophète) en particulier, il mentionne une prière du maître éponyme de la confrérie via un ancêtre de Ṣayyādī :

Cette prière a été transmise par le saint ʿIzz al-Dīn Aḥmad al-Ṣayyādī al-Rifāʿī dans son livre al-Maʿārif al-muḥammadiyya wa-l-waẓāʾif al-aḥ-madiyya (« Les connaissances muhammadiennes et les pratiques ahma -diennes »), il l’attribue au pôle de son temps et l’océan de la connaissance, notre maître Abū al-ʿĀlamayn Aḥmad al-Rifāʿī—que Dieu sanctifie son secret et nous fasse profiter de sa bénédiction. [Ṣayyādī] affirme : Cette prière fait partie de ses nobles oraisons et elle est nommée Jawharat al-asrār (« Jacinthe des secrets »). Son effet a été constaté et les maîtres par-faits de l’ordre rifāʿī le connaissent bien.27

Dreher souligne que ces deux années dans la capitale ottomane sont à l’origine de la loyauté de Nabahānī à l’Empire ottoman, qu’il servit toute sa vie dans son

23 Ghazal, “Sufism, ijtihad and modernity,” 243.24 Riḍā, « al-Radd ʿalā aʿdāʾ al-iṣlāḥ al-islāmī », al-Manār, num. 13, Shawwāl 1328H, p. 797

et ss.25 Commins, Islamic Reform, 117.26 Voir par exemple son Salāsil al qawm.27 Nabahānī, Afḍal al-ṣalawāt ʿalā sayyid al-sādāt, 94.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

510 Chiabotti

métier de juge et, avant tout, dans son œuvre religieuse à laquelle il veille à donner une dimension impériale. Dans ses Jawāhir al-biḥār, une collection des textes sur le Prophète étudiée par Dreher, ou encore dans le Jāmiʿ karamāt al-awliyāʾ, Nabahānī inclut de nombreux auteurs provenant des franges de l’Em-pire ottoman, dans certains cas, des territoires que celui-ci avait perdus, comme les Balkans. Ces citations permettent à Nabahānī d’en rappeler le passé otto-man. Dans son anthologie, Nabahānī « maintient des relations culturelles et religieuses avec ces pays et reconnaît leur contribution au foisonnement d ’un trésor mystique, un héritage commun à l’ensemble du monde islamique ».28 C’est par le biais de l’adab et du choix anthologique, que notre auteur revivifie, en quelque sorte, un Califat imaginaire et spirituel, à l’heure où Abdülhamid II mobilise le thème du califat et le projet panislamique pour tenter de sauver l’Empire29. Fidèle à Abdülhamid II, Nabahānī consacre un poème et un court écrits aux mérites de la famille dynastique ottomane (Āl ʿUthmān),30 puis il écrit un recueil de hadiths sur la nécessité d’obéir au sultan-calife (il écrit « Commandeur des croyants », amīr al-mu’minīn dans son titre), imprimé en 1312/1894–1895 en 10 000 exemplaires, distribués gratuitement aux frais de l’auteur, comme on peut le lire sur la couverture de cet opuscule.31

Nabahānī nous renseigne lui-même sur les débuts de sa vocation littéraire. A l’issue d’une maladie grave, il décida de s’engager dans l’écriture d’ouvrages qui pourraient apporter un bienfait salvifique (fāʾida) aux autres musulmans. En 1881, ses deux premiers ouvrages furent publiés. Un premier livre concer-nait les vertus prophétiques (shamāʾil), le deuxième était un recueil de prières sur le Prophète (ṣalāwāt) composé par l’auteur.32 La possibilité de diffuser des copies imprimées de ses ouvrages est vue par l’auteur comme une des raisons majeures qui justifient son engagement dans l’écriture. Il admet aussi que le poste de raʾīs al-maḥkama (président du tribunal) à Beyrouth lui donne assez de temps pour lire, composer ses ouvrages et suivre le processus d’édition de ses livres. Beyrouth lui offre également de nombreuses imprimeries. Enfin les relations commerciales de la ville rendent facile la distribution de ses ouvrages dans les autres centres du monde islamique, comme Le Caire, chez le fameux

28 Dreher, “A Collection of Theological and Mystical Texts,” 263.29 Georgeon, AbdülHamid II.30 Nabahānī, Khilāṣat al-bayān fī baʿḍ maʾāthir mawlānā ʿAbd al-Ḥamīd al-thānī wa-ajdādihi

āl ʿUthmān, imprimé par l’imprimerie al-Adabiyya, à Beyrouth en 1312H/1894–1895, en annexe du recueil de hadith sur l’obéissance au Calife (voir note suivante), p. 16.

31 Nabahānī, al-Aḥādīth al-arbaʿī fī wujūb ṭāʿat amīr al-muʾmīnīn, Beyrouth, imprimerie al-Adabiyya, 1312H/1894–1895.

32 Sur l’histoire de cette pratique dévotionnelle, voir la thèse d’Amine Ḥamidoune signalée en bibliographie.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

511Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

éditeur Muṣṭafā Efendī al-Bābī al-Ḥalabī.33 Imprimer les livres demeure une activité onéreuse d’autant que Nabahānī publie à compte d’auteur,34 allant jusqu’à s’endetter. Dans l’introduction à son commentaire des Dalāʾil al-khayrāt de Sulaymān al-Jazūlī (m. 1465), célèbre recueil de prières sur le Prophète, ré-pandu dans tout le monde musulman, Nabahānī remercie d’une part le sultan marocain Mawlay ʿAbd al-ʿAzīz b. al-Ḥasan (reg. 1894–1908) de l’avoir financé,35 et d’autre part un noble sharīf yéménite, de la famille des Bā ʿAlawī, pour un autre don d’argent.36 Ces remerciements figurent d’ailleurs sur la couverture du livre. C’est aussi le cas des Ṣalāwāt al-thanāʾ ʿalā sayyid al-anbiyāʾ, imprimé à Beyrouth en 1899 dans l’imprimerie al-Adabiyya. Après le titre et le nom de l’auteur, on peut lire que cet ouvrage a été imprimé avec un tirage de dix mille exemplaires grâce à un don du shaykh Muḥammad Saʿīd Bey Iyās al-Bayrūtī.37 De tels remerciements renseignent sur le réseau international dans lequel l’au-teur opère, un milieu proche du pouvoir et des familles dirigeantes des pro-vinces arabes de l’Empire.

À la suite de la révolution des Jeunes-Turcs en 1908 et de la déposition de ʿAbdülhamid II en 1909, Nabahānī est démis de son poste la même année. Il était par trop associé au sultan déposé pour rester longtemps dans une posi-tion aussi importante. Amal Ghazal a trouvé dans ses ouvrages tardifs une au-todéfense contre l’accusation d’abus de pouvoir qui aurait entraîné sa mise à l’écart. L’accusation de servir une autorité non islamique qui avait trahi la cause arabe est un trait recourant sous la plume de ses opposants les plus radicaux à Beyrouth, les nationalistes arabes et les libéraux ottomans. D’autres critiques émanent d’opposants religieux qui s’affirmeront durant l’entre-deux-guerres : le poète wahhabite Sulaymān b. Saḥmān (1850–1930), par exemple, décrit Nabahānī comme un homme qui juge par la loi civile (qānūn) en délaissant le Coran, et dont les sentences auraient été contraires à la voie (sharʿ) tracée par le Prophète.38 Même accusation chez le savant bagdadien Maḥmūd Shukrī

33 Sur l’histoire de cet éditeur, voir la longue note de Josef Dreher, « A Collection of Theological and Mystical Texts », 260 n24.

34 Comme dans le cas de l’opuscule précédemment cité.35 Mawlay ʿAbd al-ʿAzīz b. al-Ḥasan fut proche des Kattānī de Fès, avec lesquels Nabahānī

entretint des relations durables. Voir Bazzaz, “Printing and the ṭarīqa Kattāniyya,” pour une bibliographie.

36 Nabahānī, al-Dalālāt al-wāḍihāt ʿalā dalāʾil al-khayrāt wa-shawāriq al-anwār, sl, 2007, 31–32.

37 Nabahānī, Ṣalāwāt al-thanāʾ, couverture.38 Sulaymān b. Saḥmān, Kashf al-ghayāhib al-ẓallām, 297–299.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

512 Chiabotti

al-Alūsī (m. 1924), qui consacra en 1911 un ouvrage à réfuter les positions de Nabahāni sur l’intercession des saints exprimées dans son Shawāhid al-Ḥaqq.39

À la suite de ces événements, Nabahānī quitte Beyrouth pour Médine, sur la route du Pèlerinage, où il resta un certain temps, en se formant auprès des maîtres de la ville sainte. Encore une fois le lien avec le Prophète est confirmé par une vision de Muḥammad. Il la narre dans l’introduction de son commen-taire des Dalāʾil al-khayrāt : « Je l’ai vu en rêve dans la ville de Médine la nuit du jeudi 14 du moi de Rabīʿ al-awwal de l’année 1331/1912, il était totalement satis-fait de moi. »40 Il rentra enfin à Beyrouth, où il passa ses dernières années à écrire et publier.

Sa renommée est aussi due au réseau des différentes confréries auxquelles il a été affilié: la ṭarīqa Qādiriyya,41 Idrīsiyya, Rifāʿiyya, Khalwatiyya, Shādhiliyya, Naqshbandiyya et Tijāniyya.42 Cette dernière affiliation est à remarquer. Le fait que Nabahāni la cite parmi d’autres voies initiatiques signifie bien qu’il ne lui accordait la position d’exclusivité que traditionnellement la Tijāniyya requiert de ses affiliés. Cette volonté de « normaliser » en quelque sorte le rôle de la Tijāniyya est aussi visible dans les commentaires (voir infra) qu’il écrit au sujet de l’un des textes majeurs de cette confrérie et qui lui coûtèrent des inimitiés profondes parmi les Tijānis de son temps 43.

Nabahānī est souvent mentionné dans les souvenirs de différents per-sonnages de son temps, comme ʿAbd al-Kabīr al-Kattānī, qui était en rela-tion avec Nabahānī, selon le témoignage de son fils, ʿAbd al-Ḥayy al-Kattānī

(m. 1382/1962).44 Ces reconnaissances mutuelles, souvent scellées par la trans-mission réciproque d’une ijāza d’un patrimoine soufi, textuel et religieux per-sonnel, bâtissent une identité commune qui rend solidaires les maîtres à la fin de l’Empire. Le rôle de passeur de Nabahānī aura permis à son œuvre de devenir une référence encore reconnue aujourd’hui, on le verra en conclusion.

39 Alūsī, al-Āyā al-kubrā, 127–131. Voir aussi son Ghāyat al-amālī.40 Nabahānī, Dalālāt, 31. Épisode relaté aussi dans Asbāb al-taʾlīf, 337. Cf. Chodkiewicz,

« Miracles », 609. Un rêve similaire est rapporté dans son Bashāʾir al-imāniyya, 44.41 Nabahānī, Hādī al-murīd, 57.42 Dans le dernier tanbīh publié à la fin du quatrième volume de ses poèmes, al-Majmūʿa

al-nabahāniyya.43 Il ne fut cependant pas le seul à envisager le rattachement à la Tijaniyya de manière non

exclusive, son contemporain Māʾ al-ʿAynayn (m. 1910) par exemple transmettait à ses disciples la Qādiriyya, la Nāṣiriyya et la Tijāniyya de concert (voir son Naʿt al-bidāyāt).

44 ʿAbd al-Ḥayy al-Kattānī, Fihrist al-fahāris, 1:184–185 et 700. Voir l’article de Denis Gril, “The Muḥammadian Reality and Ibn al-ʿArabī’s Legacy,” 252, et l’article de Bazzaz dans le même volume.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

513Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

2 Nabahānī et son travail d’écrivain

Suivant la division proposée par Amal Ghazal, les écrits de Nabahānī peuvent être classés en trois groupes majeurs: a) eulogies du Prophète, b) propagande politique et sociale, c) écrits anti-réformistes. Nabahānī est certes un infati-gable compilateur, comme le remarque Chodkiewicz : recueils de poèmes et prières sur le Prophète, collections thématiques de hadiths, invocations, récits hagiographiques sur les miracles des saints. Ce faisant, Nabahānī reprend le genre classique du ḥusn al-ikhtiyār al-adabī, qui caractérise la littérature arabe dès sa période classique.45 C’est finalement dans le choix de ses sources et des thèmes traités qu’il est possible de saisir la véritable voix de Nabahānī. Le cœur de ses anthologies est représenté par la dévotion au Prophète, comme Josef Dreher l’a pertinemment résumé. Ce Prophète dont Nabahānī se veut l’apolo-gète et le poète est « le Prophète transfiguré, le résultat de l’image que les théo-logiens et les saints ont donnée de lui à travers les siècles ».46 On ressent chez Nabahānī, grâce à la citation qui prend chez lui une dimension massive, l’ur-gence de rappeler au public de son temps la véritable ampleur et portée de cet héritage mis en péril à la fin du XIXe siècle. Il le résume lui-même : « dans [ce travail] je n’ai le moindre mérite si ce n’est la simple transmission ».47 Un titre que Nabahānī s’attribue volontiers est celui de faqīr muṣaḥḥiḥ, « pauvre en Dieu » et correcteur de textes. Spiritualité et travail éditorial se mêlent. Nabahānī n’est pas pour autant très précis sur les manuscrits qu’ils utilise,48 même si dans certains cas il compose ses textes à partir de versions réputées par leur fiabilité, comme la prière d’Ibn ʿArabī qu’il transmet à partir d’un com-mentaire manuscrit de Muṣṭafā al-Bakrī (m. 1749).49 La copie utilisée par Nabahānī serait extrêmement fiable (fī ghāyat al-ṣiḥḥa) car elle avait été corri-gée par al-Bakrī lui-même.50 Dans d’autres cas, conscient du problème philolo-gique d’une double attribution d’une prière à deux maîtres différents, il refuse de trancher et se limite à souligner que la multiplication des attributions est une marque de la valeur d’un texte, et non un élément de faiblesse.51 Ses notes autobiographiques nous renseignent sur le scrupule dont l’auteur fait preuve

45 Voir Bilal Orfali, “A Sketch Map of Arabic Poetry Anthologies up to the Fall of Baghdad.”46 Dreher, “A Collection of Theological and Mystical Texts,” 269.47 wa laysa lī fī dhālika adnā al-faḍl illā mujarrad al-naql, Nabahānī, Afḍāl al-ṣalāwāt, 12.48 Voir l’article de Dreher. 49 Sur ce maître voir Elger, “al-Bakrī, Muṣṭafā Kamāl al-Dīn.”50 Nabahānī, Afḍal al-ṣalāwāt, 104.51 Comme dans le cas de l’attribution d’une prière à Fakhr al-Dīn al-Razī dans un codex

consulté par Nabahānī, Afḍal al-ṣalāwāt, 107.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

514 Chiabotti

lors du contrôle des épreuves d’un ouvrage destiné à la presse.52 Ses manus-crits sont préparés à l’aide d’un ou plusieurs copistes avec lequel il vérifie ses brouillons.53 Malgré ses efforts et à cause du rythme soutenu de ses publica-tions, le processus d’édition demeure perfectible. La première édition du Saʿādat al-dārayn est publiée alors que Nabahanī est occupé à réviser les épreuves de deux autres livres. Un grand nombre d’erreurs se glissent dans le manuscrit. Il s’expliquera plus tard, en 1911, dans son récit autobiographique, en avouant que la méthode de la dictée aux copistes est un processus qui peut multiplier les fautes.54 Catherine Mayeur-Jaouen remarque que les erreurs des éditions imprimés vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle avaient des conséquences importantes.55 Outre les erreurs involontaires, les citations résu-mées—procédé fréquent chez Nabahani—des matériaux choisis dans les an-thologies influençaient la réception et la diffusion des textes d’une façon inédite.

On remarquera que ces compilations veulent avant tout revitaliser et actua-liser des genres classiques. C’est le cas du genre des quarante hadiths. Nabahāni rédige un Majmūʿ al-arbaʿīnāt, livre qui se compose de sept chapitres chacun contenant quarante hadiths sur un aspect particulier du Prophète.56 Cette re-prise d’un genre classique lui permet de se positionner dans une continuité idéale avec le passé. Il compose aussi des résumés de vastes ouvrages classiques comme le Jāmiʿ al-ṣaghīr de Suyuṭī (m. 1505), ou les Mawāhib al-ladunniyya d’Ibn Ḥajar al-ʿAsqalānī (m. 1449). Ses ennemis l’accuseront d’utiliser le biais du résumé pour diffuser de façon cachée des hadiths non canoniques, en omettant la critique classique que les textes originaux mettaient à disposition du lecteur. Dans le cas du Jāmiʿ de Suyūṭī, Rashīd Riḍā s’exclamait dans les pages de sa revue Al-Manār : « Il a trahi Dieu, son Envoyé et l’auteur du Jāmiʿ ! ».57

52 Chodkiewicz, op. cit., 608.53 Ibid.54 Nabahānī, Asbāb al-taʾlīf, 338–339.55 Mayeur-Jaouen, “Sufism and Printing,” spécialement 33–35, où elle reprend les remar ques

de G. Atiyeh.56 Kitāb al-awwal = arbaʿūn ḥadīthan fī faḍāʾilihi, kitāb al-thānī = arbaʿūn ḥadīthan fī

shafāʿatihi yawm al-qiyāma etc.. Nabahānī, Majmūʿ al-arbaʿināt, éd. Muḥammad Khayr Ramaḍān Yūsuf, Beyrouth, Dār Ibn Ḥazm, 2009.

57 Rashīd Riḍā, al-Manār, Jumādā al-ākhira 1353, cité d’après Sulaymān b. Ṣāliḥ al-Kharashī, Sitta manẓūmāt, 22. On remarquera que le même procédé du résumé est utilisé par des auteur salafī pour purger les ouvrages classiques de hadiths réputés dérangeants. Autre procédé, créer un « ṣaḥīḥ » à partir d’un ouvrage de sunan, comme le Ṣaḥīḥ adab al-mufrad, version réduite et « certifiée » du Adab al-mufrad de Bukhārī compilé par Muḥammad Nāṣir al-Dīn al-Albānī (m. 1999), sur lui, voir les articles de Stéphane Lacroix signalés en bibliographie.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

515Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

Il est évident que l’attaque que ce corpus extrêmement large de hadiths subis-sait lors de la Réforme poussait Nabahānī à développer une attitude très conservatrice vis-à-vis de ces questions. Si la critique textuelle du hadith avait toujours existé dans le monde musulman, elle était réservée à l’élite des savants et n’avait jamais abouti à une révision complète des implications dévotion-nelles de ses matériaux, comme l’attachement au Prophète. Or, c’est bien contre ce danger que Nabahānī développe ses techniques de compilation. Les enjeux de l’écriture concernent encore une fois le point de rencontre entre idéologie et dévotion.

Il faut aussi différencier entre ces collections anthologiques et une deu-xième catégorie de textes destinés à la performance, comme les prières sur le Prophète, des chants (madāʾiḥ, éloges du Prophète). Une des compositions ori-ginelles de Nabahānī (un poème basé sur les noms divins) représente au-jourd’hui l’un des rites principaux de la ṭarīqa Shādhiliyya Hāshimiyya.58 Nabahānī est donc—aussi—un auteur original. Le centre d’intérêt de sa propre poésie est encore une fois le Prophète, comme dans le poème Alf āya, « Les mille vers »:

Ta lumière est le tout, les humains des fragments,Toi qui, les envoyés, comptes en tes régiments !N’était-ce toi, insigne esprit de l’univers,Toute chose serait du néant prisonnière.De ta perfection, les prémisses transcendent,Des mondes réunis, les vertus les plus grandes.En amont des amonts, de sorte, tu demeures,Nourrissant ton essor d’une assidue ferveur.Nul être ne se hisse à ton faîte glorieux,Tous à ta suite vont, seul au-dessus est Dieu !59

3 Le livre et la vie : les marges du texte chez Nabahānī

La recherche de la voix de Nabahāni nous conduit à interroger les marges de ses publications. On a déjà signalé que des informations biographiques impor-tantes sont contenues dans ce qu’on appelle le paratexte, le seuil du contenu

58 Il s’agit de la branche de la Shādhiliyya ʿalawiyya installée à Damas par Muḥammad al-Ḥāshi mī al-Tilimsānī (m. 1961).

59 Trad. fr. par Idris de Vos (tr.), Éloges du Prophète, 57.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

516 Chiabotti

textuel, dont l’importance sémiotique a été montrée par Gérard Genette.60 Nabahānī, dans ces marges, confère des fonctions nouvelles à des pratiques traditionnelles. Le paratexte est un élément textuel qui peut se positionner à différents endroits par rapport au texte principal, avec lequel il instaure une relation complexe. Voici quelques exemples dans l’écriture de Nabahānī.

Nous avons présenté dans le premier paragraphe la présence des remercie-ments et leur rôle dans la reconnaissance d’un réseau au sein duquel l’auteur opère. Ils indiquent aussi des informations concernant la diffusion de l’ou-vrage (tirage, année d’édition, nom de l’imprimerie). Les éléments autobio-graphiques fournis par les remerciements constituent en quelque sorte un « pont » entre l’homme et le livre. Un deuxième « pont » entre le niveau tex-tuel et l’auto biographie est représenté par les ijāzāt (autorisation à transmettre un texte déterminé),61 grâce auxquelles Nabahānī établit un lien symbolique entre le passé et les auteurs des textes qu’il transmet. Il crée également un ré-seau dont il devient le centre, non seulement idéal mais aussi physique : un nouveau centre de diffusion des matériaux contenus dans ses livres. Dans la liste de ses maîtres et ses ijāzāt, il prend soin de rappeler à quelle date tel ou tel maître l’a visité dans sa maison à Beyrouth.62 La réception autorisée d’un texte subit une évolution remarquable au temps de l’imprimerie : Nabahānī peut autoriser ses lecteurs à transmettre ses textes dans des notes qu’il laisse à la fin de certains de ses ouvrages, comme al-Majmūʿa al-nabahāniyya.63 Dans le Hādī al-murīd, il discute même la possibilité de donner une autorisation géné-rale (ijāza ʿāmma) aux lecteurs, en s’appuyant sur des précédents illustres.64 À la fin de son Ḥujjat Allāh ʿalā l-ʿālamīn, il publie un petit traité apologétique (Khilāṣat al-kalām fī tarjīḥ dīn al-islām) à la fin duquel il donne une ijāza à tous ceux qui désirent imprimer et diffuser cet écrit.65 Par l’affaiblissement de la transmission orale et par la diffusion massive du livre imprimé, la pratique an-cienne de l’ijāza recouvre donc désormais une fonction différente. Nabahānī ne semble pas s’interroger au sujet de la différence entre ijāza d’un texte impri-mé et ijāza traditionnelle. Conçoit-il l’édition en simple continuité avec le livre

60 Genette, Seuils.61 Voir Vajda, art. « Idjāza », EI2. 62 Nabahāni, Hādī al-murīd, liste de ses ijāzāt avec lieu et date d’obtention. 63 À la fin du quatrième volume, la cinquième note: « al-tanbīh al-khāmis: qad ajaztu kull

man yaqbalu al-ijāza min ahl ʿaṣrī bi-riwāyat jamīʿ kutubī al-madhkūra ʿannī mā tubiʿa minhā wa-mā lam yuṭbaʿ », Nabahānī, Al-Majmūʿa al-nabahāniyya, 4:472.

64 Comme Ibn al-Jusrī, « wa qad ajaztuhā li-kull muqrī kamā ajaztu kulla man fī ʿaṣrī. Naba-hānī, Hādī al-murīd, 64.

65 Tanbīh à la fin de Khilāṣat al-kalām fī tarjīḥ dīn al-islām publié avec Ḥujjat Allāh ʿalā al-ʿāla mayn fī muʿjizāt sayyid al-mursalīn, Beyrouth, imprimerie al-Adabiyya, 1316H, 896.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

517Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

manuscrit et sa transmission traditionnelle  ? Dans certains cas, on aperçoit que la reproduction d’une source à partir d’une simple édition imprimée s’ac-compagne de l’ijāza de la transmission orale. Nabahānī connaît le recueil de litanies et prières du cheikh Aḥmad Ibn Idrīs (m. 1837) par l’édition algérienne imprimée à Constantine par Ismāʿīl al-Nawwāb, disciple d’un disciple d’Aḥmad Ibn Idrīs, Ibrāhīm al-Rashīd. Il prend soin néanmoins de citer l’ijāza qu’Ismaʿīl al-Nawwāb lui a accordée à La Mecque.66

Le texte de présentation (taqrīẓ) est un autre « seuil textuel » par lequel le texte rentre en interaction avec le temps présent. Ses publications contiennent en marge des textes de présentation, sorte de préfaces écrites par des person-nalités éminentes de son temps, comme celle d’un shaykh azharien qui préface son recueil anthologique de miracles (Jāmiʿ karāmāt al-awliyāʾ). À l’époque du livre imprimé, la fonction que ces taqāriz recouvrent est renouvelée. Selon Fawzi Abdulrazak qui a étudié la naissance de l’imprimerie au Maroc, l’impor-tance de la préface imprimée augmente sensiblement si l’on compare son rôle avec la tradition manuscrite:

In short, Taqriz literature was one of the traditional tools to express admi-ration for books, but its effectiveness had previously been limited to places where books were copied. However, with the utilisation of prin-ting, the effectiveness of Taqriz literature was dramatically increased and changed as publishers and printers began to solicit Taqriz from distant lands.67

Nabahānī publie aussi de courts témoignages biobibliographiques à la fin de certains de ses volumes. C’est le cas des Asbāb al-taʾlīf, ou encore du Hādī al-murīd ilā ṭuruq al-asānīd (« Guide du disciple sur les voies de transmission du hadith »), publié en annexe des Ṣalāwāt al-thanāʾ ʿalā sayyid al-anbiyāʾ 68. Cette notice contient la liste de ses maîtres, de ses livres publiés à cette date,69 la liste des livres étudiés (sciences religieuses et soufisme) pour lesquels il a reçu une ijāza. Dans certains cas, le texte de l’ijāza est entièrement recopié, comportant un éloge de Nabahāni par la plume du transmetteur de la certification.70 La protection des chaînes de transmetteurs d’un texte (isnād, pl. asānīd), qui est

66 Nabahāni, Afḍal al-ṣalāwāt, 180–183 sur les prières d’Aḥmad Ibn Idrīs et infra leur reprise dans le Majmūʿ mubārak de la ṭarīqa Shādhiliyya damascène.

67 Abdulrazak, The Kingdom of the Book, 164.68 Publié à Beyrouth en 1317H, imprimerie al-Adabiyya.69 Nabahānī, Hādī al-murīd, 60 et ss.70 Nabahānī, Hādī al-murīd, 5 et ss.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

518 Chiabotti

l’objet principal du Hādī al-murīd, texte auto-bibliographique, est visiblement une réponse au renouvellement du hadith dans les milieux réformistes chez lesquels l’approche du texte et de sa critique commence à se faire sans la mé-diation d’un maître. Une tendance que l’alphabétisation croissante et l’accès plus facile au texte imprimé rendent exponentielle. Paradoxalement, c’est le cas du Al-Jāmiʿ al-saghīr de Suyūṭī : les réformistes, en rouvrant la question de la validité de certains hadiths, visent à diminuer sensiblement le poids de certains traditions liées à des sujets classiques de vénération et sainteté, des thématiques qui était pour ainsi dire protégées par des hadiths qui ne jouis-saient pas toujours du même degré de fiabilité des collections «  sûres  ». La tradition dominante sunnite les avait néanmoins acceptés comme sources théologiques. Pour Nabahānī, ces ijāzāt reproduites en marge de ses ouvrages visent à légitimer sa position de transmetteur face aux vives critiques des mi-lieux ré formistes.71

4 Le cas de la Jawharat al-kamāl, texte tijānī de référence

Ces paratextes établissent donc un véritable dialogue entre Nabahānī et son public. Il arrive qu’à la fin d’un ouvrage, Nabahānī cite de véritables échanges épistolaires avec ses lecteurs et réponde à des questions et des critiques. Il lui arrive aussi d’avertir le lecteur d’une erreur d’impression advenue dans un de ses livres, dont il le prie de l’excuser,72 ou de mettre à jour la liste de ses livres imprimés et d’annoncer des nouveautés à paraître.73 Mais ces notes (tanbīhāt) sont aussi l’occasion de répondre aux critiques et polémiques causées par ses ouvrages. Une de ces notes est particulièrement intéressante, car elle montre comment le travail d’écriture, chez Nabahānī, pouvait l’amener à des affronte-ments avec ce même milieu soufi qu’il voulait défendre.74 Dans plusieurs de ses ouvrages, il cite et transmet un texte fondamental pour les Tijānī, la prière appelée Jawharat al-kamāl,75 dans laquelle le Prophète Muḥammad est dési-gné comme sirāṭuka al-tāmm al-asqam, « Ton sentier parfait, le plus droit ».76

71 La note critique de Rashīd Riḍā citée supra.72 Nabahānī, Ṣalāwāt al-thanāʾ, 330 et le cas du Saʿādat al-dārayn signalé supra.73 Nabahānī, al-Majmūʿa al-nabāhaniyya, 4:471.74 Nabahānī, tanbīh à la fin du quatrième volume de son recueil poétique, al-Majmūʿa al-

nabāhaniyya. 75 Nabahānī, Saʿādat al-dārayn fī l-ṣalāt ʿalā sayyid al-kawnayn, 318. Voir sur la polémique

autour de Nabahanī la thèse de Hamidoune, 382 et ss.76 Traduction de Hamidoune, op. cit. Voir le commentaire de Hamidoune sur ce passage, op.

cit, p. 388–390.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

519Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

Or le terme asqam est refusé par Nabahānī car superlatif de l’adjectif saqīm, « malade ». Nabahānī, malgré la diffusion de cette prière et sa centralité ri-tuelle chez les Tijānī, change le terme en « al-aqwam », qui a le même sens de mustaqīm sans donner lieu à une ambiguïté qu’il juge embarrassante et offen-sante vis-à-vis du Prophète. Dans le Saʿādat al-dārayn, il se déclare convaincu que le terme en question a été corrompu, ce qui justifie son choix de le modi-fier.77 Cette volonté de « corriger » une prière—pourtant présentée comme issue de l’état spirituel du maître Tijānī et de sa connexion avec le Prophète—suscite des répliques violentes chez les Tijānī. Hamidoune cite des pamphlets dans lesquels des maîtres accusent Nabahānī de taḥrīf, de falsification du texte.78 Oriental formé en Orient, Nabahanī ignore sans doute que l’usage de ce terme, comme le remarque Hamidoune, est « spécifique chez les Marocains, notamment de Fès où des nos jours encore saqqama s’emploie pour dire ʿaddala ‘ajuster, trouver le juste équilibre’. En ce sens, asqam serait l’équivalent de aʿdal, c’est-à-dire qui est en toute rectitude, qui n’est touché d’aucun défaut, d’aucune déformation ».79 Nabahānī connaît pour autant la valeur de cette prière dans la ṭarīqa Tijāniyya. Dans son Jāmiʿ al-ṣalawāt où il présente la Jawharat al-kamāl, il raconte d’après le témoignage du disciple d’Aḥmad al-Tijānī ʿAlī b. Ḥarāzim (m ca. 1802), d’après son Jawāhir al-maʿānī, que cette prière fut transmise à Tijānī à l’état de veille, directement par le Prophète qui en détailla les propriétés spirituelles. S’il reconnaît donc l’origine prophétique de cette prière, Nabahānī répond néanmoins sur le lapsus à un maître tijānī, ʿUmar al-Fūtī (m. 1864)80 en des termes catégoriques : « c’est une faute évi-dente qui ne peut être expliquée (lā taʾwīl lahā) et il n’est pas permis de pro-noncer [la prière] ainsi ».81

La réponse de Nabahānī à ses détracteurs est un exemple parlant de la façon dont cet auteur conçoit sa fonction de « adīb spirituel ». Le muṣaḥḥiḥ, figure clef et agissante du travail d’impression, semble l’emporter sur la figure du transmetteur dévoué. La polémique dura sans doute plusieurs années puis-qu’on la retrouve dans le paratexte de son recueil de poèmes cité plus haut. L’argumentation de sa réponse est à remarquer.82 Selon Nabāhanī, le terme s’est produit par inadvertance (waqaʿat sahwan) et sa transmission est erronée

77 Bilā shakk muḥarraf, Nabahānī, Saʿādat al-dārayn, 319, même jugement dans Jāmiʿ al-ṣalā-wāt wa-majmāʿ al-saʿādāt fī al-ṣalāt ʿalā sayyid al-sādāt, 23.

78 Hamidoune, op. cit., p. 389 n. 2008.79 Hamidoune, op. cit., 389–390.80 Jamil M. Abun-Nasr, art. « ʿUmar b. Saʿīd al- Fūtī ».81 Nabahānī, Jāmiʿ al-ṣalāwāt, 23–24.82 Elle apparaît dans les tanbihāt annexes au quatrième volume des al-Majmūʿāt al-

nabahāniyya.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

520 Chiabotti

(lam yuṣaḥḥ naqluhā). Nabahānī suggère une deuxième explication pour ce terme : il a été peut-être prononcé dans un état spirituel d’extase (fī ghalabat ḥāl, min ghalabat al-aḥwāl wa-l-istighrāqihi bi-anwār al-jalāl wa-l-jamāl). Le ton devient polémique. Nabahānī s’étonne du refus de changer asqam par aqwam. Si la transmission du hadith est admise « bi l-maʿnā » (transmission du sens mais non de la lettre), pour quelle raison une telle transmission ne serait pas admise pour les paroles des maîtres ? Nabahānī évoque un principe ulté-rieur, la règle générale d’« abandonner ce qui est douteux à faveur de ce qu’il ne l’est pas ». Il dit aussi être convaincu que le shaykh Tijānī, en dépit de sa hau-teur spirituelle, ne soit pas « infaillible » (ghayr maʿṣūm) comme le seraient les prophètes et par conséquent il n’était pas à l’abri d’une erreur. La question dut représenter une épreuve difficile pour Nabahānī et sa crédibilité d’auteur soufi. Dans un de ses rêves auxquels il consacre un volume spécifique, il se retrouve confronté au problème de la Jawharat al-kamāl. Le rêve a pour fonction de confirmer l’intuition littéraire de Nabahānī :

Dans la nuit du dimanche 14 du mois de Jumādā al-ūlā de l’année 1326/ 1908 je me vis en rêve en train de lire un commentaire de la prière sur le Prophète « Jawharat al-kamāl » du grand saint Sayyidī Abū l-ʿAbbās al-Tijānī al-Fāsī—que Dieu l’agrée. C’était le commentaire de Sayyidī Muḥammad Shams al-Dīn al-Ḥifnī al-Miṣrī (m. 1101/1689–1690) et je ne retrouvais pas le terme « al-asqam » qui avait été transmis dans la forme connue parmi les hommes de la ṭarīqa. […] Cette vision me réjouit, car elle était une vision vraie, et al-Ḥifnī un guide de la ṭarīqa Khalwatiyya, guide des savants de son temps, contemporains de Tijānī. Ḥifnī et Tijānī avaient tous les deux pris la voie d’après Muṣṭafā al-Bakrī—que Dieu les agrée tous….—83

Ces paratextes servent donc à l’auteur à légitimer son écriture grâce à un an-crage explicite à la fois dans la contemporanéité (préfaces, remerciements) et dans le passé (ijāzāt, les rêves). Ils fournissent aussi des éléments autobiogra-phiques qui explicitent l’engagement politique et religieux de l’auteur. Le seuil du texte révèle donc ce que le choix anthologique semble cacher : un ancrage profond dans le temps et un esprit sinon polémique, du moins digne d’un véri-table publiciste. Ces éléments textuels composent entre l’homme et son œuvre, en rendant visibles ses intentions et sa conception de l’adab, et annonçant peut-être les raisons du succès de son œuvre.

83 Nabahani, al-Bashāʾir al-imāniyya, 79–80.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

521Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

5 Conclusion

Dans cet article, nous avons interrogé le concept d’adab chez Nabahānī, en essayant de comprendre, à la lumière des méthodes de travail de notre auteur, quelle était la conception de l’adab à la base de son œuvre. Quel adab trouve-t-on donc chez Nabahānī ? Il existe chez lui, le disciple de Shidyāq, une véri-table tension entre spiritualité et écriture. Les exemples présentés montrent comment Nabahānī ait conçu et fait évoluer dans le temps son rôle d’adīb. La compilation anthologique de textes du passé révèle toute son actualité grâce à ces éléments textuels qui accompagnent ses livres. Non seulement sa légitimé de « passeur » y est largement rappelée (dans les préfaces, les remerciements et les certifications de transmission), mais ces paratextes insèrent l’auteur aussi dans un réseau d’hommes qui a contribué à légitimer son action par-mi ses contemporains. En nous fournissant des données autobiographiques, ces « seuils » mettent en perspective le prétendu rôle de simple muṣaḥḥiḥ—copiste, correcteur—de textes et transmetteur (mujarrad al-naql). Bien au contraire, il advient que l’auteur intervient dans les matériaux qu’il transmet, il les actualise et modifie sur la base de ses convictions personnelles. La place que les problèmes liés à ses publications occupent dans ses rêves est aussi à signaler. Souvent le Prophète intervient pour réconforter Nabahānī dans un moment de difficultés. On aperçoit peut-être la lourdeur de son engagement avec l’écriture à l’époque de la Nahḍa, et d’un combat mené sur plusieurs fronts, où il voit dans l’imprimerie la chance de sauver la tradition, d’une façon militante. Compiler, pourtant, ne signifier pas renoncer à composer. La poé-sie aura été l’une des armes principales de Nabahānī employées pour attaquer ses adversaires, ou exprimer avec une voix personnelle son attachement au Prophète. Le fait que certains de ses adversaires lui répondirent en utilisant le style poétique, est un élément majeur pour comprendre l’enjeu de l’adab dans le renouveau doctrinal de l’époque de Nabahānī.84 Avoir accompli cette « mission » à l’heure du livre imprimé a permis à l’auteur de jouir d’une force d’influence renouvelée, élément essentiel pour comprendre les raisons de son succès après sa mort.

Quel fut le succès de cette œuvre ? Un premier élément de réponse nous est fourni par Michel Chodkiewicz. Les ouvrages de Nabahāni ̄eurent et ont tou-jours une diffusion qui dépasse les frontières du monde arabe. En Asie du Sud, ses ouvrages sont constamment traduits et réédités. Cette actualité de Naba-hānī pousse Chodkiewicz à formuler cette remarque :

84 Voir la collection de six réfutations de Nabahānī compilée par Sulaymān b. Ṣāliḥ al-Kharashī en 2007, Sitta manẓūmāt.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

522 Chiabotti

Tous les courants qui, dans les sociétés musulmanes d’aujourd’hui, défen-dent la tradition contre l’invasion d’une pensée laïque mais aussi contre les diverses formes, modérées ou radicales, de ce que l’on appelle « l’isla-misme » utilisent régulièrement les écrits de Nabahānī. Si la vigueur de telles polémiques atteste que ces courants sont plus forts qu’on ne soup-çonne habituellement, leur faiblesse se manifeste dans ce recours systé-matique aux compilations d’un simple vulgarisateur plutôt qu’à ses sources et, surtout, dans l’incapacité de produire des œuvres originales. Quoiqu’il en soit, Nabahānī a exercé et continue d’exercer une influence significative sur la perception que nombre de musulmans ont de la sainteté et de ses attributs.85

Une étude plus approfondie pourrait montrer les dynamiques de cette diffu-sion. Les exemples sont nombreux, car l’œuvre de Nabahānī joua un rôle actif dans la vie des milieux spirituels au Moyen-Orient, en diffusant la littérature dévotionnelle non seulement dans ses publications, mais aussi dans des cercles de dhikr, majlis al-ṣalāt ʿalā l-nabī, fréquentés par une audience très large, au Moyen-Orient. C’est le cas du majmūʿ mubārak, texte de support d’un majlis qui a encore lieu dans de nombreuses branches de la ṭarīqa Shādhiliyya Hāshimiyya, originaire de Damas et désormais diffusée à un niveau internatio-nal. Cette compilation reprend une prière de Nabahani sur les noms divins ainsi que la Qaṣīda muḥammadiyya de Būsīrī. Deux prières sur le Prophète d’Aḥmad Ibn Idrīs, déjà citées dans le recueil Afḍal al-ṣalāwāt de Nabahānī y sont également incluses. Ce répertoire, typiquement nabāhanien, doit proba-blement son origine à l’impulsion de certains compagnons de notre auteur, comme le shaykh ʿArīf ʿUthmān de Damas (1289/1872–1385/1965).86

Les rééditions et la traduction des ouvrages de Nabahāni se diffusent tou-jours aujourd’hui dans le monde de l’édition islamique et de la sphère web.87 Pionnier des presses éditoriales de la Nahḍa, Nabahānī semble survivre à l’ère du numérique.

85 Chodkiewitz, op. cit., 609–610.86 Je consulte un exemplaire provenant de Damas non daté, et ces informations, orales,

devraient être approfondies davantage. 87 En français, le site www.leporteurdusavoir.fr (consulté en mars 2017) offre des traductions

annotées de certaines prières transmises par Nabahāni dans les Afḍal al-ṣalāwāt. En anglais, voir la traduction partielle du même texte par Abdul Aziz Suraqa, (Ibrizmedia 2015), The Muhammad Litanies. Prayers upon the Prophet Muhammad for invocation and reflection. Le même traducteur donne des cours en ligne avec traduction et commentaire des Jawāhir al-biḥār de Nabahānī (www.ibrizacademy.com, consulté en mars 2017).

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

523Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

Bibliographie

Sources primairesAbun-Nasr, Jamil M. “ʿUmar b. Saʿīd al- Fūtī,” EI2, consulté en ligne, mars 2017. al-Ālūsī, Maḥmūd Shukrī. al-Āya al-kubrā ʿalā ḍalāl al-Nabahānī fī rāʾiyyatihi al-ṣughrā.

éd. Abū ʿAbd Allāh ʿUmar b. Aḥma b. al-Shaykh ʿAlī al-Aḥmad Āl ʿAbbās, Beyrouth: Dār al-luʾluʾ 2010. Première édition 1330/1911.

al-Ālūsī, Maḥmūd Shukrī, Ghāyat al-amānī fī radd ʿalā l-Nabahānī, 2 vols, 2ème édition, sl, 1971.

al-Kattānī, ʿAbd al-Ḥayy. Fihrist al-fahāris wa-athbāt wa-muʿjam al-maʿājim wa-l-mashaykhāt wa-musalsalāt. Édité par Iḥsān ʿAbbās, Beyrouth: Dār al-gharb al-islāmī, 1402/1982.

al-Kharāshī, Sulaymān b. Ṣāliḥ. Sitta manẓūmāt fī l-radd ʿalā l-ṣūfī Yūsuf al-Nabahānī. Amman: al-Dār al-Athriyya, 2007.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. al-Aḥādīth al-arbaʿīn fī wujūb ṭāʿat amīr al-muʾmīn. Beyrouth, imprimerie al-Adabiyya, 1312/1894–1895.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Afḍal al-ṣalawāt ʿ alā sayyid al-sādāt. Édité par ʿĀṣim ibrāhīm al-Kayyālī, Beyrouth: Dār al-kutub al-ʿilmiyya, sd.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Asbāb al-taʾlīf. Publié en annexe du deuxième volume de son recueil Jāmiʿ karamāt al-awliyāʾ, imprimé au Caire dans le mois de Jumādā al-thānī en Égypte en 1329/1911.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. al-Bashāʾir al-imāniyya fī l-mubashshirāt al-manāmiyya. Édité par Bilāl b. Muṣṭafā Damaj, Beyrouth: Dār al-kutub al-ʿilmiyya, 2012. Première édition en 1911.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. al-Dalālāt al-wāḍihāt ʿalā dalāʾil al-khayrāt wa-shawāriq al-anwār. sl, 2007.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Hādī al-murīd ilā ṭuruq al-asānīd, publié en annexe du Ṣalawāt al-Thanā ʿalā sayyid al-anbiyāʾ. Beyrouth: imprimerie al-Adabiyya en 1317/1899–1900.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Ḥujjat Allāh ʿalā al-ʿālamīn fī muʿjizāt sayyid al-mursalīn. Beyrouth: imprimerie al-Adabiyya, 1316H.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Khilāṣat al-bayān fī baʿḍ maʾāthir mawlānā ʿAbd al-Ḥamīd al-thānī wa-ajdādihi āl ʿUthmān. Beyrouth: imprimerie al-Adabiyya, 1312/1894– 1895.

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. al-Majmūʿa al-nabahāniyya. 4 vols, sl, 1320/1902–1903.Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Majmūʿ al-arbaʿināt. Édité par Muḥammad Khayr Ramaḍān

Yūsuf, Beyrouth: Dār Ibn Ḥazm, 2009.Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Saʿādat al-dārayn fī l-ṣalāt ʿalā sayyid al-kawnayn, sl,

1318/1900–1901.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

524 Chiabotti

Nabahānī, Yūsuf b. Ismāʿīl. Ṣalāwāt al-thanā’ ʿalā sayyid al-anbiyā’. Beyrouth: imprime-rie al-Adabiyya, 1317/1899–1900.

Riḍā, Rashīd. “al-Radd ʿalā aʿdā’ al-iṣlāḥ al-islāmī.” Al-Manār, num. 13, Shawwāl 1328H.Ṣayyādī, Abū al-Hudā. Salāsil al-qawm. Le Caire: sd.Sulaymān b. Saḥmān. Kashf al-ghayāhib al-ẓallām. Riyad: Dār Aḍwā’ al-salaf, 2005.Tirmidhī. Nawādir al-uṣūl fī maʿrifat aḥādith al-rasūl. Édité par ʿAbd al-Ḥamīd Maḥmūd

Darwīsh, Damas: 2004.

Littérature secondaireAbdulrazak, Fawzi A. The Kingdom of the Book. The History of Printing as an Agency of

Change on Morocco between 1865 and 1912. Ph.D Dissertation, Boston University: 1990.

Abu-Manneh, Butrus. “Sultan Abdülḥamid II and Shaykh Abulhuda Al-Sayyadi,” Middle Eastern Studies, 15/2 (1972), 131–153.

Addas, Claude. La maison muhammadienne. Paris: Gallimard, 2015.Aliy, Abdurrahman. Nawādir al-uṣūl des Al-Ḥakīm al-Tirmidī. Ein Beitrag zur mystischen

ḥadīt-Kommentierung. Thèse de doctorat, Université de Bochum: 2003.Bazzaz, Sahar. “Printing and the ṭarīqa Kattāniyya. ʿAbd al-Ḥayy al-Kattānī’s Mufākahat

dhū al-nubl wa-l-ijāda ḥaḍratat mudir̄ Jarid̄at al-Saʿāda.” In Sufism, Literary Pro-duction, and Printing in the Nineteenth Century, édité par Rachida Chih, C. Mayeur-Jaouen and R. Seeseman. Würzburg: Ergon Verlag, 2015, 437–452.

Chodkiewicz, Michel. « La ‘Somme des miracles des saints’ de Yûsuf Nabhânî ». In Miracles et karâma, Hagiographies médiévales comparées, édité par Denise Aigle. Turnhout: Brepols, 2000, 607–622.

Commins, David Dean. Islamic Reform. Politics and Social Change in Late Ottoman Syria. New York: Oxford University Press, 1990.

Delanoue, Gilbert. Moralistes et politiques musulmans dans l’Égypte du XIXe siècle (1798–1882). 2 vol, Le Caire: Institut français d’archéologie orientale (IFAO), 1982.

Dreher, Josef. “A Collection of Theological and Mystical Texts Describing the Prophet Muḥammad: The Jawāhir al-biḥār by Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabhānī.” In Sufism, Literary production, and Printing in the Nineteenth Century, édité par Rachida Chih, C. Mayeur-Jaouen and R. Seesemann. Würzburg: Ergon Verlag, 2015, 255–275.

Eich, Thomas. Abū al-Hudā al-Ṣayyādī. Eine Studie zur Instrumentalisierung sufischer Netzwerke und genealogischer Kontroversen im spätosmanischen Reich. Berlin: Klaus Verlag, 2003.

Elger, Ralf. “al-Bakrī, Muṣṭafā Kamāl al-Dīn,” EI3, en ligne. Falk Gesink, Indira. Islamic Reform and Conservatism. Al-Azhar and the Evolution of

Modern Sunni Islam. New-York-Londres: I. B. Tauris, 2010.Genette, Gérard. Seuils. Paris: Seuil, 1987.Georgeon, François. Abdülhamid II. Le sultan calife (1876–1909). Paris: Fayard, 2003.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

525Yūsuf b. Ismāʿīl al-Nabahānī (m. 1932)

Ghazal, Amal. “Sufism, ijtihad and modernity, Yūsuf al-Nabhānī in the age of ʿAbd al-Ḥamīd II.” Archivium Ottomanicum, 19 (2001), 239–272.

Gril, Denis. “The Muḥammad Reality and Ibn al-ʿArabī’s Legacy Among the Kattāniyya: The Jilāʾ al-qulūb of Muḥammad b. Jaʿfar al-Kattānī (d. 1927) “. In Sufism, Literary production, and Printing in the Nineteenth Century, édité par Rachida Chih, C. Mayeur-Jaouen and R. Seesemann. Würzburg: Ergon Verlag, 2015, 227–254.

Hamidoune, Mohamed Amine, La pratique de la « prière sur le Prophète » en islam. Analyse philologique et implications doctrinales. Thèse de doctorat, Université d’Aix-Marseille, 2012.

Lacroix, Stéphane. “Between Revolution and Apoliticism: Muhammad Nasir al-Din al-Albani’s Influence on the Shaping of Contemporary Salafism.” In Global Salafism: Islam’s New Religious Movement, édité par Roel Meijer, Londres: Hurst Publishers, 2009, 58–80.

Lacroix, Stéphane. “Muhammad Nasir al-Din al-Albani’s Revolutionary Approach to Hadith,” International Institute for the Study of Islam in the Modern World, 2008, 6–7.

Lacroix, Stéphane. « L’apport de Muhammad Nasir al-Din al-Albani au salafisme contemporain: de la régénération du wahhabisme à l’invention d’un apolitisme militant ». In Qu’est-ce que le salafisme ?, édité par Bernard Rougier, Paris: Presses universitaires de France, 45–64.

Le Baot, Maurice. « Quelques pages oubliées sur le Cheikh ʿAbd Al-Rahmân ‘Elîch Al-Kabîr et son entourage,” en ligne, <http://leporteurdesavoir.fr/quelques-pages-ou bliees-sur-cheikh-abd-al-rahman-elich-el-kebir-cheikh-yussuf-al-nabbahani-abdul- hadi-agueli>.

al-Hādī al-Maṭwī, Aḥmad Fāris Shidyāq 1801–1887: ḥayātuhu wa-āthāruhu wa-arā’uhu fī l-nahḍa al-ʿarabiyya al-ḥadītha, 2 vols. Beyrouth: Dār al-gharb al-islāmī, 1989.

Mayeur-Jaouen, Catherine. “Sufism and printing in Nineteenth-Century Egypt.” In Sufism, Literary production, and Printing in the Nineteenth Century, édité par Rachida Chih, C. Mayeur-Jaouen and R. Seesemann, Würzburg: Ergon Verlag, 2015, 25–74.

Orfali, Bilal. “A Sketch Map of Arabic Poetry Anthologies up to the Fall of Baghdad,” The Journal of Arabic Literature, 43 (2012), 29–59.

Raineau, Thomas. « Des tableaux noirs à l’ombre du minbar », Cahiers de la Méditer-ranée, 75 | 2007, 90–104. Mis en ligne le 21 juillet 2008, consulté le 06 juin 2017. URL: <http://cdlm.revues.org/3703>.

Ratdke, Bernd. Al-Ḥakīm al-Tirmidī. Ein islamischer Theosoph des 3./9. Jahrhunderts. Freiburg, 1980.

Ratdke, Bernd and O’Kane, John. The Concept of Sainthood in Early Islamic Mysticism. Two works by Al-Ḥakīm al-Tirmidhī. Curzon Press, 1996.

Roper, Geoffrey. “Fāris al-Shidyāq and the Transition from Scribal to Print Culture in the Middle East.” In The Book in the Islamic word. The written Word and Communication

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access

526 Chiabotti

in the Middle East, édité par George N. Atiyeh, Albany: State University of New York Press, 1995, 209–231.

Sedgwick, Mark. Muhammad Abduh. Oxford: Oneworld, 2009.Seikaly, Samir. “Shaykh Yūsuf al-Nabahāni and the West.” In Les Européens vus par les

Libanais à l’époque ottomane, édité par Bernard Heyberger et Carsten Walbiner, Bey-routh: Orient Institut der DMG, « Beiruter Texte und Studien », 74, 2002. 175–181.

Suraqah, Abdul Aziz (tr). The Muhammad Litanies. Prayers upon the Prophet Muham-mad for invocation and reflection. Ibrizmedia, 2015.

Vajda, Georges. “Idjāza,” EI2, consulté en ligne, mars 2017.de Vos, Idris (tr.). Éloges du Prophète. Anthologie de poésie religieuse. Paris: Sindbad,

2011.

Francesco Chiabotti - 9789004415997Downloaded from Brill.com01/11/2022 04:20:50AM

via free access