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Maryam Ghabris Richardson pédagogue In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°34, 1992. Éducation et savoir. Regard et vision. pp. 57-65. Citer ce document / Cite this document : Ghabris Maryam. Richardson pédagogue. In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°34, 1992. Éducation et savoir. Regard et vision. pp. 57-65. doi : 10.3406/xvii.1992.1226 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1992_num_34_1_1226

Richardson pédagogue

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Maryam Ghabris

Richardson pédagogueIn: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°34, 1992. Éducationet savoir. Regard et vision. pp. 57-65.

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Ghabris Maryam. Richardson pédagogue. In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIesiècles. N°34, 1992. Éducation et savoir. Regard et vision. pp. 57-65.

doi : 10.3406/xvii.1992.1226

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1992_num_34_1_1226

RICHARDSON PÉDAGOGUE

A première vue, accoler le terme pédagogue au nom de ce grand romancier serait presque lui faire injure, lui qui a très justement lancé une vive critique contre le formalisme étroit et distant de cette sorte d'éducateur.1 Le mot est utilisé le plus souvent, selon le Littré et le Robert, en mauvaise part. L'OED en précise le sens: «Now usually in a more or less contemptuous or hostile sense, with implication of pedantry, dogmatism, or severity.» A l'origine, ce mot désignait «l'esclave qui menait les jeunes garçons à l'école. En un sens plus général, chez les anciens et chez les modernes, celui qui enseigne les enfants, qui a soin de leur éducation.» La Bible, elle- même, en fait état, dans les paroles de l'apôtre Paul: «C'est ainsi que la Loi a été pour nous un pédagogue pour [nous] mener au Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi» (Gai. 3.24). Pris dans son sens originel, le mot pédagogue désigne bien celui qui sert de fil conducteur à l'être humain pour le guider vers le but: apprendre à conduire sa propre vie. C'est dans cette intention que Richardson, par ses critiques, par ses conseils, et par ses exemples, poursuit ses objectifs qu'il précise dans la préface de Pamela: «to Divert and Entertain, and at the same time to Instruct, and Improve the Minds of the YOUTH of both Sexes.»2 Dans la préface de Clarissa, il parle de son roman comme d'un véhicule pour la plus nécessaire instruction.^ Quand il présente Pamela comme «Mirror of her Age and Sex» (P 2: 391), il affirme le rôle de son héroïne auprès des autres femmes et de sa société. Dans cette perspective, il tente d'apporter les moyens éducatifs pour se prémunir contre les vices de l'époque à l'origine desquels il ne voit que la conséquence des passions. La croyance dans la nécessité de gouverner les passions est une caractéristique des dix-septième et dix-huitième siècles.4

Quand, pour compléter sa trilogie, Richardson écrit Sir Charles Grand- ison, il montre à ses lecteurs, dans ce troisième volet, la réussite morale et sociale d'un homme de raison rompu à la maîtrise des passions: «a man of true HONOUR. ... A Man of Religion and Virtue; of Liveliness and Spirit; accomplished and agreeable; happy in himself, and a Blessing to others.»5 Les qualités humaines dans Sir Charles Grandison sont, selon Richardson, le résultat d'une judicieuse éducation. De Pamela à Sir Charles Grandison, conformément à son plan, il veut instruire les lecteurs de tous âges et de toutes conditions, des nécessaires bienfaits d'une non moins nécessaire bonne éducation.

Il avait pour cela de sérieuses bonnes raisons. Son éducation et son expérience expliquent son dessein d'écrivain. Il a compris de bonne heure que les malheurs des êtres humains viennent de leurs passions, c'est-à-dire de leur propre nature dont ils ne savent maîtriser ni les instincts ni les pen-

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chants, faute d'avoir appris à la conduire dans le droit chemin de la foi et de la générosité. Il est à peine sorti de l'enfance qu'il entretient des relations épistolaires avec des adultes en difficulté, et ce genre de correspondance s'est poursuivie durant toute sa vie; mais son utilité s'est concrétisée lorsqu'il a commencé sa carrière d'écrivain. Richardson n'a pas oublié qu'il a été apprenti. Cette condition lui était parfaitement connue au plan des relations entre les apprentis et les maîtres et entre les apprentis eux-mêmes. Son Apprentice's Vade Mecum (1733) est un recueil de conseils systématiques à l'usage de ces jeunes travailleurs, afin de leur inculquer des principes de vie saine. Faisant oeuvre d'instructeur, il s'adresse autant aux parents qu'aux maîtres et aux apprentis. Comme le fait remarquer Alan D. McKillop, dans son introduction à la réédition de l'ouvrage en 1975, «there is a continuity between the Vade Mecum and the Familiar Letters that gave rise to Pamela.»^ Les deux premiers ouvrages révèlent la prédisposition de Richardson à blâmer les mauvaises conduites stimulées par l'absence d'éducation et par un contexte social défavorable, mais aussi et surtout, ils révèlent son aptitude à proposer des solutions pour le bien de tous. Sa conception de la vertu, de l'honneur, de la générosité, des manières de se conduire en société, ses idées sur la mise au pas des passions chez l'enfant comme chez l'adulte, sur la nécessité d'éviter les tentations, même si l'être humain doit les éprouver pour mieux se connaître (P 1: 15), forment un ensemble de considérations qu'il développe intentionnellement dans ses romans. Ce qu'il a limité au monde des apprentis et des maîtres va s'étendre à la généralité: Richardson en fera sa loi, une loi destinée à tous.

S'il ne dénigre pas les fondements et les structures de la société, il reconnaît que ses vices en font une société dangereuse. Dans son Vade Mecum, il se plaint de l'infidélité, de l'inconséquence, de la dégénérescence de l'époque et du sentiment d'impunité. En 1769, trente-cinq ans après son premier ouvrage et quinze ans après Sir Charles Grandison, Thomas Sheridan fait grief à la société de son irréligion, de son immoralité et de sa corruption.7 Cette continuité dans la stabilité d'une situation sociale qui dure depuis des décennies et que Richardson a vécue et vit encore au moment où il est consacré romancier, renforce sa conviction que, pour protéger l'individu, il suffit d'améliorer le système éducatif en suivant le modèle proposé par Locke dont les méthodes raisonnées se fondent en priorité et dans le respect de la tradition sur l'instruction et la foi religieuse.

Richardson insiste sur la Foi des Ancêtres (Vade Mecum xi) et, dans ses romans, ses héroïnes ont été instruites dans cette voie. On voit Pamela accompagnée de sa belle-soeur Lady Davers en visite chez des gens pauvres et malades, relever la présence de «a Bible, a Common Prayer-Book, and a Whole Duty of Man, in each cot . . . and a Church Catechism or two for the children» (P 2: 183). Pamela et Clarissa évitent le suicide grâce à leur éducation religieuse. La Bible est le livre de chevet de Clarissa et la jeune fille trouve dans sa foi le soutien que le monde terrestre lui refuse. La religion, au premier plan du programme éducatif, suit la tradition immanente

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de l'origine divine de l'être humain. La plupart des publications qui traitent de l'éducation des enfants et des jeunes donnent la priorité à l'enseignement religieux. Dieu doit inspirer non seulement l'amour mais la crainte. Cette attitude envers Dieu qu'Isaac Watts annonce dans son ouvrage est partagée pour qui la vertu, c'est-à-dire la moralité, ne s'obtient que par la foi.8 Quand il remarque qu'il y a si peu de vertu et de religion parmi les hommes (P 2: 397), il prononce un constat d'échec. L'éducation morale ne porte pas ses fruits et même le système éducatif, au sens large, est décevant.

L'échec de l'éducation pratiquée trahit le profond décalage entre les objectifs et les réalités sociales. Le Dr Delany écrit à Richardson, le 15 juin 1715, à propos de l'éducation des jeunes filles: «How vain and expensive is the fashionable education of young ladies.»9 Richardson n'est guère favorable aux écoles publiques pour les garçons et aux pensionnats pour les filles (P 2: 388). Henry Fielding a une attitude semblable à l'égard des collèges.10 A la critique sévère du pasteur Adam, Joseph Andrews réplique qu'aucune forme d'enseignement public ou privé ne peut changer la nature humaine, contrairement à l'opinion du pasteur qui est partisan d'une rigoureuse discipline. Sur ce point l'avis de Richardson diffère: pour lui, seule une éducation bien pensée, bien conduite dès la tendre enfance, est en mesure de rendre l'être humain imperméable aux tentations perverses de la vie en société. L'éducation est une protection efficace contre les épreuves; elle donne une capacité de résistance aux mauvaises tendances de la nature humaine. S'agissant de l'éducation morale, Fielding partage l'idée de Richardson: «What is all the learning in the world compared to his immortal soul» (JA 261). Trop souvent, l'acquisition de connaissances se fait au détriment du développement des qualités morales. La richesse de la famille offre au garçon toutes les possibilités pour s'instruire, mais les efforts consentis ne produisent pas toujours les résultats espérés.

Pour rappeler au lecteur cet état de choses bien connu, Richardson apporte les preuves d'une éducation mal conduite et de ses conséquences. M. H., futur lord mais libertin et inculte, est un exemple d'éducation man- quée (P 2: 428, 433). D'autres libertins, dans Clarissa, issus de la classe aisée, sont passés par l'université et n'ont aucune moralité. Le colonel Mor- den reconnaît les qualités de Lovelace (C 1279), mais en dépit de ses avantages de naissance, de fortune et d'éducation, Lovelace est un dangereux libertin dont la perversité a conduit sa victime au déshonneur et à la mort. Lovelace est un exemple de jeune aristocrate instruit et intelligent dont l'éducation morale a totalement échoué (C 46). Mr. B., autre orphelin, à l'instar de Lovelace, souffre d'une éducation négligée (P 1: 125). Il est clair que, pour Richardson, l'intérêt d'une bonne moralité passe en importance avant le souci de la lignée défendue par les nobles. Il ne peut que souscrire au voeu que son ami le Dr Delany exprime dans sa lettre du 16 août 1751: «I wish mothers were less anxious about marrying their daughters. ... I wish they were taught to aim at a higher reward than even that of a good husband» (The Correspondence 4: 43-44). D'après Richardson, l'éducation

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des jeunes filles doit valoriser d'abord leur personnalité, plutôt que de les préparer exclusivement à être mises au service d'un mari. C'est pourquoi Richardson suit les conseils de Locke dont il partage le bien fondé.

Locke, le maître à penser de Pamela, préconise de mettre en application ses théories pédagogiques d'abord dans l'apprentissage de la vertu et de la notion de devenir (P 2: 409). n Ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire sera appris dès l'enfance par l'acquisition de bonnes habitudes, meilleur obstacle dressé contre l'enchaînement des passions. Laisser la nature guider le développement de l'enfant est une erreur. La suivre aveuglement, c'est laisser le champ libre aux passions, c'est se livrer au hasard (C 614-15). Tout laisser-aller dans l'éducation des jeunes enfants est le fait de parents dont Richardson dénonce la faiblesse (P 2: 400; voir Locke 41). Il donne la primauté aux bonnes habitudes parce qu'elles doivent impérativement servir de fondation au développement futur (P 2: 400). Toute l'étude critique du système pédagogique lockéen que Pamela passe méthodiquement en revue (P 2: 371-418) témoigne même, chez la jeune femme, de cet esprit critique que Richardson souhaite voir développé chez ses consoeurs. Pamela assortit le mode d'emploi pratique de la pédagogie de Locke d'adaptations judicieuses dont seules sont capables les femmes instruites. L'intelligence de certains procédés mis au point par la jeune maman ne détonerait pas dans un manuel de psychopédagogie moderne. Pour comprendre son fils et guider sa démarche éducative, Pamela établit un parallèle entre ses observations in vivo et celles de Locke: «and now reading a chapter in the child, and now one in the book» (P 2: 278; voir Locke 334). L'habileté des parents exige donc une compétence appliquée à toutes les périodes du développement de l'individu pour lui éviter, en particulier, l'affectation, ce goût des apparences fort répandu qui marque le désaccord entre l'être et le paraître.12

La beauté et le charme d'un jeune homme ne peuvent être pris en compte par une jeune fille que si sa moralité est prouvée (C 187). La bonne éducation ne se résume pas à former un homme qui plaise aux femmes, comme J. Shebbeare le dit clairement dans Lydia,1^ ou un homme poli selon un auteur anonyme. l4 La bonne éducation, dans l'esprit de Richardson, est une préparation à la vie dans le cadre de la famille et de la société.

Au cours de cette préparation, les parents doivent prodiguer leurs soins sans distinction de sexe et sans brutalité (voir Locke 64-66). C'est à eux d'assumer pleinement leur rôle d'éducateurs; pour cette raison, l'éducation donnée à la maison est préférable (P 2: 387). Lorsque l'enfant grandit, ils devront faire un choix judicieux du précepteur, collaborer avec lui pour établir un emploi du temps et pour procéder à la répartition des activités. L'éducation englobe l'être humain dans sa totalité et tient compte des capacités de chaque individu: elle doit former des hommes en vue de leurs futures activités professionnelles (P 2: 379). Quant à la femme, soumise à l'obligation naturelle de remplir ses devoirs domestiques, elle n'est nullement inférieure à l'homme: son rôle est seulement différent. À Lady

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Bradshaigh qui manifeste son opposition à l'épanouissement intellectuel de la femme, Richardson répond:

... all that I contend for, is, that genius, whether in men or women, should take its course; that, as a ray of the divinity, it should not be suppressed. But I acknowledge that the great and indispensable duties of women are of the domestic kind; and that, if a woman neglects these, or despises them, for the sake of science itself, which I call learning, she is good for nothing.1 ̂

La femme peut et doit avoir une culture littéraire, des connaissances utiles à elle-même, à ses enfants et à son entourage.

Dans sa dernière lettre adressée à Belford, Miss Howe fait le panégyrique de cet être exemplaire que fut son amie Clarissa (C 1465-72). Elle insiste sur ce point: la vie de Clarissa fut surtout un exemple à suivre plus qu'une occasion de raconter soC histoire (C 1566; voir sur ce sujet P 2: 398, C 577, 713-14, 1315, 1374; SCG 1: vi, 3: 79, 227, 429; The Correspondence 2: 217- 18, 3: 164). Le propre d'une telle vie fut, non seulement d'être observée, mais de forcer naturellement l'imitation, de transmettre aux autres, à ceux ou à celles qui la liront, le goût des bonnes habitudes. La première de toutes, dans l'aménagement d'une journée de vie, est de savoir employer utilement le temps, un temps qui ne doit pas être perdu: «We live but once in this world; and when gone, are gone from it for ever» (C 1472). C'est dans le même esprit que Richardson justifie l'avantage du livre. L'histoire du roman condense une tranche de vie de plusieurs mois en quelques heures de lecture, aussi riches d'expérience (C 5: ii). D'où la notion de prévision, de plan à long terme qui expliquent l'intérêt de Richardson pour la pédagogie de Locke.

Cette pédagogie n'est, semble-t-il, pas une nouveauté: l'ouvrage a connu dix-neuf éditions en Angleterre et treize en France avant 1761.16 On y portait un grand intérêt parce qu'il satisfaisait l'opinion générale de l'époque sur les carences de l'éducation. Ce que Locke explique, Richardson l'expérimente. En suivant point par point le modèle de Locke, il propose une méthode active qui, si elle n'est pas révolutionnaire comme celle que J.-J. Rousseau expose dans l'Emile, est pratique et adaptée à son temps. Il suffit de lire quelques pages pour prendre connaissance de la répartition des activités journalières de Clarissa.

L'emploi du temps de Clarissa reflète la qualité de son éducation et de sa formation. Elle a appris les matières essentielles pour l'époque; elle manie parfaitement sa langue maternelle, elle connaît la littérature, entend le français et l'italien et lit le latin. Le côté utilitaire de l'apprentissage du sens et de la pratique des quatre opérations n'a pas été oublié. Elle est experte en travaux manuels pour se rendre utile aux autres. Elle consacre beaucoup de temps aux relations avec sa famille et, par générosité de coeur, avec les domestiques, les voisins et ses amies. Clarissa est une femme de communication dont la qualité pédagogique est d'instruire son prochain

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par l'exemple (voir Locke 127). Sa méthode est aussi exemplaire, fort éloignée de l'apprentissage dogmatique: «So communicative, that no young lady could be in her company half an hour, and not carry away instruction with her, whatever was the topic» (C 1468). Cette méthode de transmission de connaissances qui rappelle la maïeutique de Socrate, consiste à éveiller l'intérêt de l'interlocuteur pour le faire participer à son propre apprentissage. C'est, avant l'heure, un des principes de la pédagogie du vingtième siècle.

L'éducation joue sur le devenir humain, l'expérience et l'épreuve donnent la mesure de sa réussite. Pamela et Clarissa ont su préserver leur vertu et leur chasteté en dépit des intrigues et des stratagèmes de leurs agresseurs. Toutefois, Clarissa, peu habituée à rencontrer des hommes, malgré la solidité de ses qualités morales, a succombé à l'épreuve toute nouvelle de la passion. Lovelace juge ainsi l'inexpérience de la jeune fille: «this dear lady is prodigiously learned in theories: but as to practises, as to expérimentais, must be ... a mere novice» (C 538; voir aussi C 538, 789). Tandis que la servante Pamela vit parmi les domestiques frustes et directs et qu'elle est accoutumée à leur promiscuité, Clarissa est innocente et protégée. L'éducation ne sert pas uniquement à élever des obstacles contre l'influence du milieu social, elle se fait en vue de servir à soi-même et aux autres.

Si le seul service que l'on exige de la femme est de remplir convenablement son office auprès de sa famille et de son mari: «A Woman that is not Mistress of her Passions, that cannot patiently submit even when Reason suffers with her, who does not practice Passive Obedience to the utmost, will never be acceptable to such an absolute Sovereign as a Husband,»17 le sens du service défini par Richardson est différent. Il ne peut aller à contre courant des façons de vivre de ses compatriotes, mais, pour lui, la femme est un être humain et non un objet. Une bonne éducation génère dans le coeur générosité et altruisme. C'est une éducation rayonnante qui a des effets bénéfiques sur la descendance (C 502) comme sur l'entourage immédiat. La solide vertu de Pamela a guéri Mr. B. de ses idées libertines; la générosité de Sir Charles a fait un ami de celui qui le provoquait en duel. La raison revenue, Belford change de conduite et, d'objets de satisfaction et de plaisir, les autres deviennent ses buts généreux. La présence de Belford dans le roman présente un autre avantage: il est l'alter ego du lecteur, l'exemple de celui qui a tiré les leçons de l'exemplaire Clarissa (voir sur Mr. B. P 2: 119, sur Belford C 1435-74).

Richardson croit à la valeur de l'exemple. Sa technique épistolaire sert son but: l'exemple doit être connu. Lorsque le journal de Pamela et les lettres de Clarissa sont des recueils mis à la disposition de ceux qui veulent les lire, la correspondance perd son caractère d'intimité pour être diffusée. De lecture privée, la lettre devient lecture publique, pour l'instruction du plus grand nombre.18

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L'exemple ne doit pas se perdre pour l'édification des bénéficiaires. Le concept d'éducation, dans la pensée de Richardson, procède du rapport naturel et constant entre l'être humain et lui-même, entre l'être humain, sa famille, son entourage, sa société et Dieu. Le roman richardsonien qui intègre tous ces aspects devient alors un neo -conduct book où s'ébauche la nécessité d'une morale sociale.19 Richardson laisse à la postérité le sentiment qu'il a poursuivi avec intelligence son oeuvre de romancier dans le souci de tenter une approche plus parfaite du modèle humanitaire. C'est donc justice de dire que celui qui se considérait comme un enseignant responsable était bien un pédagogue au sens noble du terme.20

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Notes

1 Samuel Richardson, Pamela 2, 1741, ed. M. Kinkead-Weekes (London: Dent, 1978) 372.

2 Samuel Richardson, Pamela 1, 1740, ed. Kinkead-Weekes (London: Dent, 1983) 1: iii.

3 Samuel Richardson, Clarissa or the History of a Young Lady, 1747-48, ed. Angus Ross, (Harmondsworth: Penguin, 1985) 36.

4 George C. Brauer, The Education of a Gentleman: Theories of Gentlemanly Education in England. 1660-1775 (New York: Bookman Associates, 1959) 25.

5 Samuel Richardson, The History of Sir Charles Grandison, 1753-54, ed.Joce- lyn Harris, 3 vols. (London: Oxford UP, 1986) 4.

6 Samuel Richardson, The Apprentice's Vade Mecum: Samuel Richardson, 1733, ed. A.D. McKillop (Los Angeles: U of California P, 1975) vi.

7 Thomas Sheridan, British Education: or, the Source of the Disorders of Great Britain an Essay Towards Proving, That the Immorality, Ignorance, and False Taste, Which so Generally Prevail, Are the Natural and Necessary Consequence of the Present Defective System of Education (London, 1769) 1.

8 Isaac Watts, The Doctrine of the Passions Explain'd and Improv'd: on, Brief and Comprehensive Scheme of the Natural Affections of Mankind, Attempted in a Plain and Easy Method; with an Account of their Names, Nature, Appearances, Effects, and Different Uses in Human Life: to Which Are Subjoin' d, Moral and Divine Rules for the Regulation or Government of Them, 3rd ed. (London, 1739) 165-66.

9 Ed. Anna Laetitia Barbauld, The Correspondence of Samuel Richardson, 6 vols. (New York: AMS, 1966) 4: 41.

10 Henry Fielding, The History of the Adventures of ]oseph Andrews and His Friend Mr. Abraham Adams, The Complete Works of Henry Fielding, ed. William E. Henley, 16 vols. (1902; New York: Cass, 1967) 1: 260-62.

11 Voir John Locke, Some Thoughts Concerning Education, 5th ed. (London, 1705) 241.

12 Voir Richardson, Correspondence 4: 253, Apprentice's Vade Mecum 37 et Locke 82-83.

1 3 John Shebbeare, Lydia, or Filial Piety. A Novel. By the Author of the Marriage- Act, a Novel, and Letters on the English Nation, 4 vols. (London: Scott, 1755) 2: 212.

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14 The Pleasing Instructor: or, Entertaining Moralist Consisting of Select Essays, Relations, Visions and Allegories, Collected From the Most Eminent English Authors to Which are Prefixed, New Thoughts on Education Designed for the Use of Schools, as well as the Closet; with a View to Form the Rising Minds of the Youth of Both Sexes to Virtue, and Destroy in the Bud, Those Vices and Frailties, Which Minkind, and Youth in Particular, Are Addicted to (London, 1756) ii.

15 Richardson, Correspondence 6: 79-80; voir aussi 6: 55-58, 77-84.

16 J. H., Plumb, «The New World of Children in Eighteenth-Century England,» The Birth of a Consumer Society: The Commercialization of Eighteenth-Century England, ed. N. McKendrick, J. Brewer and J. H. Plumb, (London: Stanhope, 1982): 290.

17 Some Reflections Upon Marriage, Occasion'dby the Duke and Dutchess of Mazarine's Case; Which Is Also Consider'd (London, 1700) 57.

18 Janet Gurkin Altman, Epistolarity: Approaches to a Form (1961; Colombus: Ohio State UP, 1982) 106.

19 Voir Katherine Hornbeak, Richardson's Familiar Letters and the Domestic Conduct Books (Northampton: Smith College Studies in Modern Languages, 1938) 26.

20 Ernest A. Baker, The History of the English Novel. Intellectual Realism: from Richardson to Sterne (Edinburgh: The Riverside P, 1930) 4: 43.