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Stratégies analyse Photo ci-contre : La zone démilitarisée (Demilitarized Zone – DMZ) séparant la République démocratique populaire de Corée (au Nord) de la République de Corée (au Sud) constitue l’une des frontières les plus hermétiques et… militarisées du monde. (© stephan) Par Thérèse Delpech, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure, professeur agrégé de philosophie, directeur des Affaires stratégiques au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Elle est également membre du Conseil de l’Institut international des études stratégiques (IISS). Elle a publié, entre autres, L’ensauvagement (Grasset, 2005, Prix Femina de l’essai), Le grand perturbateur (Grasset, 2007) et L’appel de l’ombre (Grasset, 2010). C es dernières années, il s’agissait surtout de tirs de mis- siles. Ils ont fait les titres des journaux en 1998 (2), en 2006 (3), et en 2009 (4), et ont donné lieu à plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité : il s’agit des résolutions 1695 (juillet 2006), 1718 (octobre 2006), et 1784 (juin 2009), qui condamnent les tirs balistiques de Pyongyang et lui demandent d’interrompre ses activités dans le domaine des missiles. Toutes trois ont été rejetées par la Corée du Nord. Ces tirs ont permis de mesurer les progrès effectués sur une période de douze ans (la portée augmente notamment). Ils ont aussi montré une prédilection de Pyongyang pour la mer du Japon, éveillant à Tokyo une inquiétude d’autant plus grande que Pyongyang a, depuis plus de deux décennies, un pro- gramme nucléaire militaire. En 1985, les Soviétiques, alertés par Washington, avaient pris la peine d’intervenir directement auprès de Kim Il Sung pour tenter d’arrêter ses velléités d’acqui- sition de l’arme nucléaire. À cette époque de la guerre froide, les deux superpuissances étaient au moins d’accord sur un point : les armes nucléaires ne devaient pas être disséminées dans le monde. Il en est donc résulté, la même année, un acte symboli- que à la suite d’une forte pression de Moscou : la signature par Pyongyang du traité de non-prolifération nucléaire (5); mais les activités nucléaires nord-coréennes conduites notamment sur le site de Yongbyon ont été poursuivies dans la clandestinité. On n’entendrait sans doute guère parler de ce pays de 22 millions d’habitants, incapable de nourrir une population soumise à d’effroyables famines (la plus importante d’entre elles semble avoir sévi entre 1995 et 1999, contraignant la Corée du Nord à faire appel à l’aide internationale) (1) , si ses autorités politiques ne se livraient régulièrement à des provocations militaires. Le pays de l’ Intimidation Permanente Diplomatie 49 Mars - Avril 2011 58

Quelle politique vis-à-vis de la Corée du Nord ? Alain de Nève, entretain avec Roland Bleiker

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Stratégies

analyse

Photo ci-contre :La zone démilitarisée (Demilitarized Zone – DMZ) séparant la République démocratique populaire de Corée (au Nord) de la République de Corée (au Sud) constitue l’une des frontières les plus hermétiques et… militarisées du monde.(© stephan)

Par Thérèse Delpech, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure, professeur agrégé de philosophie, directeur des Affaires stratégiques au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). Elle est également membre du Conseil de l’Institut international des études stratégiques (IISS). Elle a publié, entre autres, L’ensauvagement (Grasset, 2005, Prix Femina de l’essai), Le grand perturbateur (Grasset, 2007) et L’appel de l’ombre (Grasset, 2010). C es dernières années, il s’agissait surtout de tirs de mis-

siles. Ils ont fait les titres des journaux en 1998 (2), en 2006 (3), et en 2009 (4), et ont donné lieu à plusieurs

résolutions du Conseil de Sécurité : il s’agit des résolutions 1695 (juillet 2006), 1718 (octobre 2006), et 1784 (juin 2009), qui condamnent les tirs balistiques de Pyongyang et lui demandent d’interrompre ses activités dans le domaine des missiles. Toutes trois ont été rejetées par la Corée du Nord.Ces tirs ont permis de mesurer les progrès effectués sur une période de douze ans (la portée augmente notamment). Ils ont aussi montré une prédilection de Pyongyang pour la mer du Japon, éveillant à Tokyo une inquiétude d’autant plus grande

que Pyongyang a, depuis plus de deux décennies, un pro-gramme nucléaire militaire. En 1985, les Soviétiques, alertés par Washington, avaient pris la peine d’intervenir directement auprès de Kim Il Sung pour tenter d’arrêter ses velléités d’acqui-sition de l’arme nucléaire. À cette époque de la guerre froide, les deux superpuissances étaient au moins d’accord sur un point : les armes nucléaires ne devaient pas être disséminées dans le monde. Il en est donc résulté, la même année, un acte symboli-que à la suite d’une forte pression de Moscou : la signature par Pyongyang du traité de non-prolifération nucléaire (5); mais les activités nucléaires nord-coréennes conduites notamment sur le site de Yongbyon ont été poursuivies dans la clandestinité.

On n’entendrait sans doute guère parler de ce pays de 22 millions d’habitants, incapable de nourrir une population soumise à d’effroyables famines (la plus importante d’entre elles semble avoir sévi entre 1995 et 1999, contraignant la Corée du Nord à faire appel à l’aide internationale) (1) , si ses autorités politiques ne se livraient régulièrement à des provocations militaires.

Le pays de l’Intimidation Permanente

Diplomatie 49Mars - Avril 201158

StratégiesCes activités n’étaient d’ailleurs pas surveillées par l’AIEA, Pyongyang ayant omis de signer son accord de garanties avec l’agence de Vienne, comme l’y invitait le TNP.Celles-ci n’ont donc été dévoilées par l’Agence internationale de l’énergie atomique qu’en 1992, c’est-à-dire à partir du moment où les inspecteurs internationaux ont bénéficié d’un accès au site de Yong-byon. La signature de l’accord de garanties date du 9 avril 1992 et la première inspec-tion internationale a eu lieu en mai de la même année. Les inspecteurs ont très vite identifié une installation de retraitement non déclarée et n’ont pas tardé à demander l’accès à deux sites supplé-mentaires, où ils pensaient trouver des déchets nucléaires. Cet accès leur fut refusé. Leur découverte a ainsi ouvert une crise internationale dont il n’a pas été possible de sortir jusqu’à ce jour, en grande partie en raison de l’ambiguïté de la politique chinoise dans la péninsule coréenne. En vérité, malgré un accord bilatéral signé à l’automne 1994 (6) entre les états-Unis et la Corée du Nord, et des années de pour-parlers entre les six pays les plus directement concernés (la Russie, la Chine, les deux Corées, le Japon et les états-Unis (7)), la situation a plutôt empiré. En octobre 2006 (8) et en mai 2009, deux essais nucléaires ont contribué à faire monter la tension

d’un cran supplémentaire dans la région, même si la très fai-ble puissance du premier d’entre eux (moins de 500 tonnes) conduisait à penser qu’il s’agissait d’un échec. Le deuxième es-sai nucléaire du 25 mai 2009 a dégagé une énergie nettement plus importante (5 kilotonnes), mais les experts s’accordent pour considérer qu’un troisième essai sera très probablement nécessaire pour que la Corée du Nord ait une crédibilité nu-cléaire. Celui-ci pourrait avoir lieu en 2011.

Au cœur des réseaux proliférateurs En outre, Pyongyang a développé un programme d’enrichisse-

ment de l’uranium avec l’aide du réseau pakistanais d’Abdul Qa-deer Khan, et en a dévoilé l’ampleur à l’automne 2010, profitant de la visite à Yongbyon d’un ancien directeur du laboratoire nucléaire américain de Los Alamos. Il s’agit de Siegfried Hacker, qui a révélé

l’existence d’une installation moderne comprenant environ 2 000 machines sur le site de Yongbyon. Cette révélation a été faite après des années de dénégations de la Corée du Nord. En effet, la découverte par les états-Unis d’activités nord-coréennes dans

le domaine de l’enrichissement date de 2002 et a été exposée aux autorités nord-coréennes dès octobre de cette année, condui-sant Pyongyang à se retirer du TNP en janvier 2003. (On peut noter que ceci n’a pas mis fin aux obligations de la Corée du Nord à l’égard de l’AIEA, comme le rappelle opportunément la réso-lution 1718 du Conseil de Sécurité en son paragraphe 8.)Enfin, la Corée du Nord n’hésite pas à exporter ses technologies les plus sensibles et l’on se sou-

viendra sans doute du fait que le bombardement israélien du réacteur d’Al Khibar en Syrie en septembre 2007 (9), qui n’avait curieusement suscité aucune protestation des capitales ara-

bes, avait donné lieu à de vives protestations de Pyongyang. Et pour cause : le réacteur plutonigène, non déclaré par Damas à l’AIEA comme elle aurait dû le faire au titre de ses obligations internationales, avait été construit sur des plans nord-coréens (il s’agissait d’une copie du réacteur installé à Yongbyon), et avec l’aide de nombreux techniciens nord-coréens, dont on pouvait même voir les visages sur des photos prises avant le bombarde-ment (10). Quelques années plus tôt, en 2004 en Libye, peu après le renoncement public du colonel Khadafi à ses programmes non conventionnels, l’AIEA découvre dans des fûts d’origine pakis-tanaise de l’hexafluorure d’uranium qui est, lui, d’origine nord-coréenne (11). Tout le Moyen-Orient est peuplé de missiles balistiques d’origine nord-coréenne (SCUDs modifiés ou No-Dong (12)). Les bénéfices de ces ventes profitent au régime, mais aussi aux cadres de l’ar-mée. La découverte dans les pays occidentaux de l’ampleur des trafics clandestins balistiques ou même nucléaires par la Corée du Nord conduit à présent certaines capitales, dont Paris, à rela-tiviser la distance qui les sépare de ce pays. Il constitue une me-nace réelle non seulement dans sa région, mais bien au-delà, en raison de ses exportations sensibles. En France, le Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité de 2008 en a pris acte.

Photo ci-contre :Aucun aspect de la vie sociale nord-coréenne n’échappe à la doctrine politique du pays. L’éducation constitue, tout naturellement, un vecteur du message politique porté par le pouvoir. (© fresh888)

Photo ci-contre :Le père fondateur de la Corée du Nord, Kim Il Sung, décédé en 1994, est une figure omniprésente dans l’ensemble de la Corée du Nord, où un culte de la personnalité lui est voué. (© fresh888)

La découverte dans les pays occidentaux de l’ampleur des trafics clandestins balistiques ou même nucléaires par la

Corée du Nord conduit à présent certaines capitales, dont Paris, à relativiser la distance qui les

sépare de ce pays.

Diplomatie 49Affaires stratégiques et relations internationales 59

StratégiesEn 2010, à un moment où la question de la succession de Kim Jong Il se pose en des termes pressants en raison de l’accident vasculaire cérébral dont le leader nord-coréen a été victime à l’été 2008, la Corée du Nord ne s’est pas contentée de ses facé-ties habituelles. En mars, sans provocation préalable de la part de Séoul, Pyongyang a coulé la frégate Cheonan et tué quarante-six marins sud-coréens. La frégate sud-coréenne avait une centaine d’hommes à son bord lorsqu’elle a été coulée dans des eaux de la mer Jaune proches du Nord, à la suite d’une explosion à la poupe. (Des images satellites révélent qu’un sous-marin de la base na-vale de Sagot en Corée du Nord a pris le large trois jours avant l’accident et a regagné sa base après celui-ci.) L’émotion fut très vive à Séoul, qui déclara une période de deuil national. Cet acte de guerre caractérisé a donné lieu à une enquête internationale, avec la participation de cinq pays (13), qui a conclu à l’utilisation contre le navire d’une torpille nord-coréenne. Quelques mois plus tard, en novembre 2010, des tirs d’obus contre l’île sud-coréenne de Yeonpyeong ont fait quatre morts, dont deux civils. Le 23 novembre 2010, la Corée du Nord a en effet tiré des dizaines d’obus (80 environ) sur cette île, mettant le feu à de nombreux bâtiments et tuant deux militaires et deux civils. Séoul a renforcé le dispositif des forces armées sur l’île de Yeonpyeong et promis des représailles, mais, dans les faits, les autorités de la Corée du Sud ont surtout fait preuve de prudence et de retenue, ceci bien que le gouvernement de Lee Myung-bak ait été élu après l’échec des politiques précédentes de compromis avec le Nord. Les affrontements de 2010 seraient parmi les plus graves depuis la guerre de Corée. Ces deux événements ont donc seulement été suivis de manœu-vres militaires conjointes de Washington et de Séoul, puis de nombreuses manœuvres navales et terrestres sud-coréennes à titre national. Chacun dans la région s’interroge désormais pour savoir où s’arrêtera l’aventurisme de Pyongyang.

La survie du régime… à tous prix Une raison souvent avancée pour ces différentes provocations

de la Corée du Nord est la nécessité pour la famille Kim d’assurer

le maintien du soutien de l’armée au régime dans une période de transition. Le fils cadet de Kim Jong Il, Kim Jong Un, vingt-sept ans, a en effet été désigné comme successeur de son père, mais les titres justifiant son autorité sur l’armée sont minces, même s’il a été propulsé général quatre étoiles et vice-président de la Commission militaire centrale du parti à la fin du mois de sep-tembre 2010 (14). Une parade militaire réunissant une dizaine de milliers de soldats et de nombreux missiles ont célébré l’événe-ment. Le système de propagande met certes en place le culte de

la personnalité du « Généralissime », mais les agressions militai-res de mars (frégate Cheonan) et de novembre (île Yeonpyeong) complètent vraisemblablement l’opération et ont une finalité politique interne.La Corée du Nord, dont la devise est toujours « l’armée d’abord », conserve une armée pléthorique (plus d’un million d’hommes pour une population totale de 23 millions) et près de 5 millions de réservistes. Ses douze corps d’armée ont toujours pour mission essentielle la préparation d’un conflit avec le Sud depuis 1953, date de l’armistice qui a mis fin à la terrible guerre de Corée (1950-1953). Mais elle a participé avec plusieurs centaines de pilotes à la guerre du Vietnam en 1968 et à la guerre du Kippour du côté des forces arabes (avec trente pilotes seulement). Le pays consacre le quart de ses ressources à l’armée (15), en principe pour mainte-nir une parité de façade avec la Corée du Sud, qui la devance dans tous les autres domaines, et qui ne consacre de son côté que 2 % de son PIB à son effort de défense (16). Cette parité quantitative cache naturellement de fortes disparités qualitatives, le Nord ayant le plus souvent un équipement obsolète. Cette réalité ne donne que plus de poids aux efforts conduits dans les domaines balistique, nucléaire, chimique et cybernéti-que. Les forces non conventionnelles de la Corée du Nord (pour l’instant il s’agit essentiellement de capacités chimiques) ont pour but essentiel de contrer l’énorme supériorité convention-nelle qualitative de la Corée du Sud et de son allié américain. La découverte ces dernières années de capacités nord-coréennes non négligeables dans le domaine de la lutte informatique of-fensive est une autre indication du caractère asymétrique de la doctrine militaire de ce pays, qui n’ignore pas que le déploiement en masse de blindés soutenus par l’artillerie, avec une occupa-tion du terrain par une infanterie très nombreuse, présente des limites dans la guerre du XXIe siècle. Pyongyang disposerait d’un millier de hackers professionnels formés à la lutte informatique offensive. Dans les cinq derniè-res années il y aurait eu, selon Séoul, près de 2 000 attaques d’ordinateurs du seul ministère de la Défense en provenance du Nord. Son expertise a pu être acquise grâce à la Russie ou,

Photo ci-contre :Des bâtiments de l’US Navy et de la marine de la République de Corée croisant dans l’océan Pacifique dans le cadre de l’exercice conjoint « Invincible Spirit » entre le 25 et le 28 juilet 2010. Au premier plan, l’USS Tucson (SSN-770) de l’US Navy. (© US Pacific Command – PACOM)

Photo ci-dessous :L’amiral Mike Mullen, chef d’état-major des armées des états-Unis et son homologue sud-coréen, le général Han Min-koo, lors d’une conférence de presse commune à Séoul, le 8 décembre 2010, à la suite des bombardements nord-coréens de l’île de Yeonpyeong. (© Chairman of the US Joint Chiefs of Staff)

Diplomatie 49Mars - Avril 201160

Stratégies

plus vraisemblablement, la Chine, qui est l’une des premières puissances dans ce domaine.

Le jeu trouble de la ChineLa protection que la Chine continue d’accorder à la Corée du

Nord, malgré ses dénégations, est d’ailleurs l’un des princi-paux obstacles au règlement du problème nord-coréen. Tout récemment, c’est encore Pékin qui a évité une condamnation, par le Conseil de Sécurité, de l’attaque de l’île de Yeonpyeong par Pyongyang ou du développement de capacités d’enrichis-sement. Le raisonnement présenté par Pékin à ses collègues du Conseil de Sécurité est simple : la Corée du Nord ne les regarde pas. C’est une affaire interne.

Les motivations de la Chine ne sont un secret pour personne : s’il faut choisir entre une Corée du Nord disposant de l’arme nucléaire et une péninsule coréenne réunifiée, la Chine préfère la première branche de l’alternative. Elle continue donc de sou-tenir le pays à bout de bras sur le plan économique (énergie, nourriture, investissements), et de le protéger sur le plan di-plomatique. Ceci ne veut pas dire que le régime nord-coréen est approuvé par Pékin pour toutes ses actions, loin de là. Mais Pyongyang a parfaitement compris que le cauchemar de la Chine dans la région était sa disparition parce qu’elle dispose-rait à sa frontière d’un régime proaméricain et elle en profite… Quitte à donner un tel sentiment d’insécurité au Japon que ce pays renforce régulièrement ses liens avec Washington. Le calcul n’est pas forcément très habile. Lors de sa visite à Pékin en janvier 2011, le secrétaire américain à la Défense, Robert Ga-tes, a fait passer un message sans ambiguïté qui devrait faire réfléchir la Chine : la Corée du Nord, en raison de ses activités balistiques et nucléaires, comme de sa politique d’exportation de technologies sensibles, est désormais tenue pour une me-nace directe par Washington.

Thérèse Delpech

Notes

(1) De nombreux rapports officiels ont également fait état de la situation alimentaire désastreuse du pays au cours de périodes ultérieures, et notamment celui du Programme alimentaire mondial de 2005, qui a estimé que la moitié de la population était sous-alimentée tandis qu’un tiers souffrait de malnutrition. Plus récemment, en 2010, un rapport d’Amnesty International affirme que des milliers de Nord-Coréens mangent de l’herbe et des écorces pour survivre.

(2) En 1998, entre avril et août, trois tirs de missiles attirent

l’attention des états sur la prolifération balistique : celui du missile pakistanais Ghauri et celui du missile iranien Shehab 3, tous deux très semblables au missile nord-coréen No Dong, de 1 300 km de portée, puis le tir par Pyongyang du missile Taepo Dong, à trois étages, d’une portée maximale de 2 200 km.

(3) En juillet 2006, la Corée du Nord procède au tir de sept missiles balistiques, dont deux Taepo Dong, provoquant une vive réaction internationale et une réunion extraordinaire du Conseil de Sécurité.

(4) En juillet 2009, Pyongyang teste plusieurs missiles de croisière et des missiles de courte portée, ce qui provoquera une saisine du Conseil de Sécurité par le Japon.

(5) L’URSS craignait que le petit réacteur de recherche soviétique acquis par Pyongyang dans les années 1960 auprès de Moscou ne permette à la Corée du Nord de produire du plutonium.

(6) Cet accord, signé le 21 octobre 1994, au moment d’élections de mid-term pour Bill Clinton, consistait à obtenir un gel des activités suspectes du site de Yongbyon contre des avantages économiques et la construction d’une centrale nucléaire non proliférante.

(7) Les pourparlers à Six ont débuté en 2003, à un moment où la Chine et la Corée du Nord craignaient toutes deux que Pyongyang ne devienne une cible américaine après l’entrée à Bagdad. Ces pourparlers, interrompus par Pyongyang en avril 2009, n’ont donné aucun résultat positif, comme d’ailleurs les négociations avec Téhéran. Chacun des deux pays étudie soigneusement les processus diplomatiques en cours avec l’autre capitale et en tirent des leçons.

(8) 9 octobre 2006, le premier essai nucléaire est généralement tenu pour un échec.

(9) Ce bombardement a été conduit dans des conditions difficiles, compte tenu de la distance parcourue et du survol du territoire turc, mais il a pleinement atteint son but.

(10) Ces photos, qui ont circulé sur internet, ont vraisemblablement une origine israélienne.

(11) L’enquête internationale qui a suivi le renoncement de la Libye à ses programmes nucléaire, balistique, chimique et biologique, a permis de dévoiler les activités du réseau pakistanais d’Abdul Qadeer Khan, notamment en Iran et en Corée du Nord.

(12) Les SCUDs B (300 km), acquis par l’intermédiaire de l’égypte, ont été modifiés par la Corée du Nord, qui en a augmenté la portée. Les missiles No-Dong ont une portée de 1 300 km.

(13) Les experts étaient de nationalité sud-coréenne, américaine, britannique, australienne et suédoise. Ils ont conclu à l’utilisation d’une torpille de 250 kg d’origine nord-coréenne.

(14) Kim Jong Un, né en 1983 ou 1984, est décrit comme « ambitieux, agressif et impitoyable ». Il aurait été élu à l’Assemblée populaire suprême en mars 2009. Il est déjà soupçonné d’avoir organisé une tentative d’assassinat de son frère aîné, Kim Jong Nam. Son oncle, Jang Song Taek, assurera sans doute un rôle de régent pendant les premières années d’exercice du pouvoir du dauphin désigné.

(15) Qui a aussi des ressources propres issues de trafics multiples et d’actes de piraterie.

(16) Naturellement, l’effort de défense sud-coréen doit être compris dans ses relations avec la contribution américaine (22 000 hommes environ).

Photo ci-contre :Pyongyang, capitale de la République démocratique populaire de Corée, dernier bastion stalinien du XXIe siècle. (© Fraser Lewry)

Photo ci-dessus :Le complexe nucléaire nord-coréen de Yongbyon. Ce site est actuellement en cours de modernisation. Il est considéré comme l’épine dorsale du programme nucléaire du pays. (© earthhopper)

Photo ci-contre :Le salut des militaires au « Cher Leader » Kim Jong Il et à son successeur Kim Jong Un lors d’une parade militaire, le 12 octobre 2010. (© NOS Nieuws)

Pyongyang a parfaitement compris que le cauchemar de

la Chine dans la région était sa disparition.

Diplomatie 49Affaires stratégiques et relations internationales 61

Stratégies

entretien

Comment analysez-vous la récente crise survenue à partir de la fin de novembre 2010 dans les relations intercoréennes ?Roland Bleiker : Cette crise a été l’apex d’une longue période de tension constituée par deux incidents majeurs : le tor-pillage de la corvette sud-coréenne Cheonan, au mois de mars de l’année dernière (et la mort de 46 marins sud-coréens), et le bombardement de l’île de Yeonpyeong au mois de novem-bre (qui fit 4 tués et une vingtaine de blessés). Cette crise est la plus grave qu’ait connue la péninsule coréenne depuis l’armistice de 1953. Le spectre de la guerre ne fut jamais aussi présent que durant cette période.Pourtant, je doute qu’une guerre ouverte soit possible. Certes, Pyongyang profère régulièrement des menaces de guerre. Mais il s’agit là d’un exercice de rhétorique. Pyongyang sait qu’un conflit ouvert avec la Corée du Sud signifierait la fin de la Corée du Nord. Bien que le niveau des forces en présence soit élevé du côté nord-coréen, le régime ne pourrait résister aux capacités militaires sud-coréennes et américaines réunies. Deux raisons majeures expliquent les provocations de Pyongyang.

La première met en relief des facteurs d’ordre interne. La RPDC connaît actuellement un changement de leadership, puisque Kim Jong Il a désigné son fils, Kim Jong Un, comme héritier. Cette transition est similaire à celle qui permit à Kim Jong Il de se préparer à la succession de Kim Il Sung. Ce processus n’im-plique pas seulement la prise de fonctions supplémentaires (Kim Jong Un a, par exemple, le grade de général quatre étoiles à seulement 27 ans !), le successeur doit, en plus, gagner en lé-gitimité. À cette fin, Kim Jong Un doit montrer ses qualités de chef en période de crise.Une seconde raison explique l’attitude de Pyongyang. L’objec-tif principal de la Corée du Nord est de survivre dans un envi-ronnement idéologiquement hostile. Mais dans la mesure où le pays est économiquement ruiné, il ne dispose que de très peu de moyens pour atteindre ce but. La principale stratégie mise en œuvre par la Corée du Nord depuis des décennies consiste à créer des tensions afin d’obtenir des concessions de la part de ses ennemis. Malgré ses singularités, la crise actuelle ressemble à plusieurs égards aux deux précédentes

Photo ci-contre :Le président sud-coréen Lee Myung Bak lors de la dernière réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos, le 28 janvier 2010 (© World Economic Forum)

Avec Roland Bleiker, professeur de relations internationales à l’Université du Queensland. De 1986 à 1988, il a travaillé comme membre de la mission suisse à la Commission de surveillance des pays neutres dans la zone démilitarisée séparant les deux Corées. Il est l’auteur de Divided Korea: Toward a Culture of Reconciliation (University of Minnesota Press, 2008).

Quelle politique vis-à-vis de la Corée du Nord ?

Diplomatie 49Mars - Avril 201162

Stratégiescrises du début des années 1990 et du milieu des années 2000. Chaque fois, la Corée du Nord a multiplié les provo-cations (retrait du Traité de non-prolifération) et déclaré son intention de développer des armes nucléaires. Chaque fois aussi, la Corée du Nord a choisi de renoncer à ses ambitions nucléaires en échange d’une aide économique, de pétrole et de garanties de sécurité.Par ailleurs, le spectre de la guerre est néfaste pour les échan-ges économiques et les investissements sud-coréens, ce qui incite la Corée du Sud à la retenue dans ses réactions. Les deux parties ont donc un intérêt à diminuer le niveau de tension.J’observe ce processus conflictuel dans la péninsule coréenne depuis bientôt 30 ans ; j’ai par ailleurs eu l’occasion de vivre sur place à diverses reprises et pu visiter les deux parties de la pé-ninsule à de nombreuses occasions. Ceci me conduit à penser que cette dynamique perdurera encore longtemps, sauf à sup-poser l’écroulement du régime nord-coréen. Bien sûr, rares sont

les décideurs qui osent avancer une telle hypothèse car elle est associée au danger d’un conflit potentiel. Un effondrement du système politique nord-coréen générerait un afflux massif de réfugiés en direction du Sud et, surtout, l’écroulement de l’éco-nomie sud-coréenne. On comprend que les acteurs trouvent un avantage plus grand dans le maintien du statu quo que dans le scénario d’un hypothétique changement – tant que la Corée du Nord peut être raisonnée avant tout risque d’escalade. Mal-gré tout, une telle situation est loin d’être satisfaisante, surtout pour les nombreuses personnes qui, en Corée du Nord, doivent vivre dans l’un des régimes les plus autoritaires du monde. Pour sortir de cette impasse, des initiatives audacieuses et un nouvel état d’esprit sont indispensables.

Le régime nord-coréen se trouve actuellement dans une phase de transition. Quels sont, selon vous, les espoirs et les risques d’une telle transition ?Il est toujours très difficile d’anticiper les dynamiques internes en Corée du Nord. De nombreux experts étaient, par le passé, convaincus que le régime nord-coréen se révélerait incapable de survivre à la disparition de son père fondateur, Kim Il Sung. Il était, en effet, reproché à son fils, Kim Jong Il, de ne pas avoir le charisme de son père et de ne disposer ni de la légitimité historique, ni du pouvoir suffisant pour lui succéder. Mais à la mort de Kim Il Sung en 1994, la phase de transition du pouvoir s’est déroulée sans heurts. Ceci ne signifie pas, bien entendu, qu’un processus similaire soit à l’œuvre avec l’arrivée au pou-voir de Kim Jong Un. Néanmoins, rien ne permet d’indiquer

que le régime nord-coréen est sur le point de s’effondrer. Toutefois, la chute du mur de Berlin nous a appris une chose essentielle : l’histoire peut à tout moment s’accélérer et re-mettre en cause nos projections.

La politique étrangère sud-coréenne vis-à-vis de son voisin du Nord semble très incertaine. Les politiques de « rapprochement » avec Pyongyang dans le cadre de la Sunshine Policy ont cédé la place à une politique plus ferme et intransigeante vis-à-vis du régime nord-coréen. Comment analysez-vous cette évolution ?Séoul a longtemps adopté une posture ferme vis-à-vis de la Corée du Nord. Pendant de nombreuses années, la zone dé-militarisée constituait l’une des frontières les plus herméti-ques au monde. La haine réciproque et l’hostilité idéologique mutuelle étaient si fortes entre les deux pays que pratique-ment aucune interaction n’avait lieu. C’était notamment le cas lorsque j’eus l’occasion de travailler à Panmunjom au milieu des années 1980 pour la Commission de surveillance des nations neutres (CSNN).

Un tournant intervint à la fin des années 1990 avec l’élection d’un ancien dissident, Kim Dae Jung, comme président de Co-rée du Sud. C’est à son initiative que fut introduit le concept de « politique du rayon de soleil » (Sunshine Policy), destinée à réduire le niveau de tension et à intégrer la Corée du Nord au sein de la communauté internationale. Ce faisant, la Corée du

Sud ne s’est pas simplement contentée de fournir une aide à la Corée du Nord ; elle a également initié des interactions trans-frontalières telles que le tourisme, la coopération économique ou encore les échanges sportifs et familiaux. Ces interactions étaient néanmoins très limitées. Et la Corée du Nord a toujours pris soin de limiter les contacts entre les citoyens des deux pays. Pourtant, cette stratégie a porté ses fruits. Durant cette période, on aura pu, en outre, relever quelques points significa-tifs parmi lesquels figure sans nul doute la première rencontre entre les dirigeants des deux états.

Photo ci-dessus :Pays économiquement en ruine, la Corée du Nord dépend entièrement de l’aide internationale lors des désastres naturels. Ici, l’aide de la Croix Rouge Internationale après les inondations de 2007. (© Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge)

Photo ci-contre :Séoul, capitale de la République de Corée. Cette mégapole économique de l’Asie du Nord-Est est située à seulement cinquante kilomètres de la frontière intercoréenne. (© Visionstyler Press)

Photo ci-contre :Pour la République de Corée, l’allié américain représente un maillon essentiel de sa sécurité nationale. Ce qui n’est pas sans susciter des débats sur le plan de la politique intérieure sud-coréenne. (© The White House)

Le spectre de la guerre est néfaste pour les

échanges économiques et les investissements sud-coréens, ce qui incite la Corée du Sud à la retenue dans ses réactions.

Diplomatie 49Affaires stratégiques et relations internationales 63

StratégiesLe successeur de Kim Dae Jung, Roh Moo Hyun, avait choisi de poursuivre la politi-que de son prédécesseur. Les états-Unis avaient d’abord soutenu ce processus avant que l’administration Bush n’affi che des réserves. Washington avait, en effet, intégré la Corée du Nord dans l’Axe du Mal et adopté une politique militariste qui incluait notamment la menace de frappes nucléaires préemptives.Avec l’arrivée de Lee Myung Bak à la pré-sidence de la Corée du Sud en 2008, la politique du rayon de soleil céda la place à une approche plus pragmatique se si-tuant entre les deux extrêmes que sont l’engagement et la confrontation. En vérité, aucune de ces postures extrêmes ne fut en mesure de pacifi er les rapports intercoréens.Traiter avec la Corée du Nord est, en réalité, l’un des défi s les plus diffi ciles à relever aujourd’hui. L’approche par la confrontation, qui fut longtemps domi-nante, n’a manifestement pas fonctionné. Les experts en stratégie s’accordent, par ailleurs, pour dire qu’une intervention militaire calquée sur le modèle afghan ou irakien ne saurait constituer une op-tion envisageable : une telle intervention, même selon les scénarios les plus optimis-tes, déclencherait un confl it qui mettrait en danger Séoul, l’une des plus grandes mégapoles que compte le monde et qui se situe, rappelons-le, à seulement une cinquantaine de kilomètres de la zone dé-militarisée. L’adoption de sanctions éco-nomiques, le deuxième élément clé d’une approche confrontationnelle, aurait, elle aussi, peu de chances d’aboutir. Il existe, en effet, dans l’histoire très peu de cas

Photo ci-contre :Le traumatisme né de la guerre de Corée (1950-1953) constitue, aujourd’hui encore, l’un des principaux obstacles aux espoirs de réunifi cation de la péninsule. Ici, des F4U Corsair de l’US Navy revenant d’une mission de combat en Corée du Nord qui survolent l’USS Boxer. (© US Army Korea – IMCOM).

The Hidden Gulag : Exposing North Korea’s Prison Camps prisoners’ Testimonies and Satellite Photographs, David Hawk, U.S. Committee for Human Rights in North Korea, 2003.

Paru en 2003, le rapport intitulé The Hidden Gulag, publié par David Hawk du Comité américain pour les droits de l’Homme en Corée du Nord, a révélé au monde entier le sort vécu par plus

d’une centaine de milliers de citoyens nord-coréens. Accusés pour crime ou pour tra-hison envers le pouvoir, ces hommes et ces femmes sont détenus dans des camps de travail selon des régimes d’incarcération inhumains. Ce rapport a bénéfi cié du témoi-gnage de plus d’une trentaine d’anciens détenus et de gardiens de camps. Il abonde par ailleurs de photos satellites particulièrement précises de ces lieux de détention, commentaires et explications à l’appui. Tels que décrits par les témoins qui en sont réchappés, les camps de travail de Corée du Nord sont les héritiers en droite ligne des goulags staliniens. Dans certains de ces lieux concentrationnaires, ce sont près de 2 000 personnes qui seraient mortes chaque année.

dans lesquels les sanctions économiques ont permis de déloger une dictature. Cette approche a failli dans le cas de la Corée du Nord. Le régime n’a jamais été sérieusement inquiété même lors des privations qui ont suivi les périodes de sécheresse et d’inondations. En vérité, les menaces militaires et les sanctions n’ont fait qu’accroître la détermination de Pyongyang à développer un système de défense fondé sur le nucléaire. Elles ont, du reste, permis au pouvoir de dis-poser d’arguments pour convaincre la population de l’existence d’une menace extérieure à l’encontre du pays.La politique de l’engagement est une al-ternative viable, même si elle présente des motifs d’insatisfaction. Certes, il existe un problème éthique dans le fait d’aider un régime autoritaire auteur de violations répétées des droits de l’homme. Comment négocier avec le « diable » lui-même sans être impliqué d’une façon ou d’une autre dans ses plans ?Pourtant, je reste persuadé que le meilleur moyen d’avancer consiste à tenter autant que possible d’intégrer la Corée du Nord dans la communauté in-ternationale : en d’autres termes, forcer l’ouverture du pays pour exposer sa po-pulation à l’information extérieure et aux idées de l’extérieur. Toutefois, un chan-gement de régime en Corée du Nord n’aura lieu que si les motivations et pres-sions émanent de l’intérieur ; c’est-à-dire de personnes non seulement détentrices

Traiter avec la Corée du Nord est, en réalité, l’un des défi s les plus diffi ciles à relever aujourd’hui. L’approche par la

confrontation, qui fut longtemps dominante, n’a manifestement pas

fonctionné.

Corée du NordSuperfi cie : 120 538 km²Population estimée (2008) : 23 819 000 hab.Principale agglomération urbaine : Pyongyang (3 300 000 hab.)Monnaie : won nord-coréen (KPW)PIB estimé (2008) : 13 337 000 000 USD courantsPIB par habitant (2008) : 554 USD courantsTaux de mortalité infantile (2005-2010) : 48 ‰Taux de croissance de la population urbaine (2005-2010) : 0,9 %Taux de croissance de la population rurale (2005-2010) : -0,6 %Date d’admission à l’ONU : 17/09/1991

Source : World Statistics Pocketbook, United Nations Statistics Division.

Diplomatie 49Mars - Avril 201164

Stratégiesdu savoir nécessaire pour promouvoir le changement mais, en outre, en nombre suffisant pour agir et aboutir.Le pouvoir nord-coréen est parfaitement conscient de ces élé-ments. Il est, en vérité, confronté à un véritable dilemme. Afin de pouvoir disposer de l’aide urgente dont le pays a besoin, Pyongyang se doit d’ouvrir ses frontières jusqu’à un certain point. Mais dans le même temps, le régime est parfaitement conscient du fait qu’agir de la sorte affecte son aptitude à

contrôler l’information et, donc, sa population. C’est la raison pour laquelle la Corée du Nord demeure l’un des pays les plus isolés au monde.

L’hypothèse – sans doute lointaine – d’une réconciliation entre les deux Corées suscite une certaine perplexité. Même s’il s’agit d’un idéal, des commentateurs soulignent qu’une réunification ne s’opérerait sans doute pas selon le « scénario allemand ». Quels seraient, selon vous, les dangers d’un tel processus s’il venait à se réaliser ?Parvenir à une véritable réconciliation restera problématique tant que persiste l’hostilité idéologique que l’on connaît. Mais le précédent de la réunification allemande offre des leçons tout à la fois intéressantes et fascinantes.On évoque, bien sûr, l’Ostpolitik mise en œuvre par Willy Brandt. Celle-ci fut en réalité une politique d’engagement qui prépara l’unification. Mais cette Ostpolitik n’a pas seulement pris des décennies pour porter ses fruits, elle s’est également appuyée sur un processus de normalisation qui, à terme, a conduit à l’absorption de l’Allemagne de l’Est par l’Allemagne de l’Ouest.Cependant, trois différences doivent être soulignées. La pre-mière consiste à rappeler que les deux Allemagnes de l’époque

ne se sont jamais livré de guerre. À l’inverse, la guerre de Co-rée qui a sévi entre 1950 et 1953 s’est révélée dévastatrice. Il convient de rappeler que ce sont plus d’un million de person-nes qui ont perdu la vie durant ce conflit, et les blessures de la guerre continuent de formater les dynamiques politiques de la péninsule. Indiquons encore que la division de l’Allemagne n’a jamais généré un niveau de haine mutuelle, d’antagonisme et d’endoctrinement idéologique de l’ampleur de celui qui existe actuellement dans la péninsule coréenne.Une seconde différence tient au fait que, même durant les périodes de tension élevée, le rideau de fer qui séparait les deux Allemagnes n’a jamais été aussi hermétique que la ligne du 38e parallèle. Radio Free Europe parvenait à toucher la plu-part des Européens de l’Est et de nombreux Allemands de l’Est parvenaient à capter les émissions télévisées d’Allemagne de l’Ouest. Dès l’instant où l’Ostpolitik a remplacé la doctrine Hallstein des années 1970, les échanges de courrier épistolaire entre l’Allemagne de l’Est et le reste du monde ont été permis et les journaux et magazines en provenance de l’étranger étaient relativement facilement disponibles. Entre 1970 et le début des années 1980, entre 1,1 et 1,6 million d’Allemands de l’Est ont pu, chaque année, visiter l’Allemagne de l’Ouest, tandis que le nombre d’Allemands de l’Ouest se rendant en visite de l’autre côté du mur s’est établi entre 1,2 et 3,1 millions. Durant la seule année 1987, trois millions de citoyens de RDA ont visité l’Ouest.

Le contraste entre, d’une part, les deux décennies de détente entre la RFA et la RDA et, d’autre part, la situation en Corée, où l’on ne compte pratiquement aucun échange postal ou de communications entre les populations des parties Nord et Sud, est pour le moins saisissant.Enfin, il existe une troisième différence entre le cas de

Photo ci-contre :Ancien dissident sud-coréen, Kim Dae Jung (à droite) fut président de la République de Corée de 1998 à 2003. Il fut l’initiateur de la « politique du rayon de soleil » (ou Sunshine Policy) inspirée de l’Ostpolitik de Willy Brandt. C’est grâce à son action que put se tenir le premier sommet intercoréen en juin 2000. L’ancien chef d’état est ici représenté avec Kim Jong Il au Centre d’exposition de Gwangju. (© jeroen020)

La division de l’Allemagne n’a jamais généré un niveau de haine mutuelle, d’antagonisme

et d’endoctrinement idéologique de l’ampleur de celui qui existe actuellement

dans la péninsule coréenne.

La Chine semble avoir révisé sa posture à l’égard de la République démocratique populaire de Corée, dont elle fut longtemps l’indéfectible alliée. Sans qu’elle consente pour autant à dénoncer ou à condamner les provocations de Pyongyang, Pékin se montre plus mesuré dans son soutien à l’égard du bastion stalinien en Asie. L’attitude de la Corée du Nord pourrait, en effet, nuire à la prospérité de l’ensemble de l’Asie et donc de la Chine. Ici, une rencontre entre le président sud-coréen Lee Myung Bak (à droite) et son homologue chinois, Hu Jintao (à gauche), en marge du sommet du G20 à Londres, le 3 avril 2009. (© Korea.net)

Diplomatie 49Affaires stratégiques et relations internationales 65

l’Allemagne et de la Corée. Le différentiel démographique entre les deux Corées n’est pas du même ordre que celui qui séparait les deux Allemagnes. La popula-tion d’Allemagne de l’Est ne représentait, en effet, qu’un quart de celle de l’Alle-magne de l’Ouest. La population nord-coréenne, quant à elle, équivaut à près de la moitié de celle de la Corée du Sud. Ceci rend toute perspective d’intégration

beaucoup plus difficile. Ajoutez à cela le fait que la population nord-coréenne est de loin bien plus pauvre que ne l’était à l’époque la population est-allemande (1), et vous comprenez l’ampleur du défi.En bref : la Corée du Sud ne pourrait ja-mais se permettre d’intégrer la Corée du Nord de la manière dont l’Allemagne de l’Ouest avait en son temps intégré sa voisine de l’Est. Il faut encore rappeler que, malgré les similitudes de conditions

entre les deux états, la réunification al-lemande constitua une tâche immense. Plus de vingt ans après, le pays doit en-core lutter avec les stigmates de cette période : le chômage dans la région de l’ex-RDA demeure plus élevé que dans le reste du pays et les transferts financiers de l’Ouest vers l’Est s’avèrent toujours nécessaires pour le maintien de l’unité. Aujourd’hui encore, des attitudes diffé-rentes existent entre les deux parties du pays sur certaines thématiques comme les soins de santé, l’emploi, les loisirs et la religion.En Corée, toutes ces différences – et les défis qui les accompagnent – sont bien plus importantes et beaucoup plus diffi-ciles à gérer. Cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas être résorbées. À dire vrai, l’expérience allemande, avec ses divisions nationales et son processus de réunification, nous offre des leçons très utiles pour la Corée. Mais ces leçons doivent être prises en considération. La Corée du Nord peut encore survivre longtemps et être à l’origine de nouvelles tensions. Elle pourra sans doute encore pendant un temps obtenir des conces-sions de la part de la communauté inter-nationale. Mais le moment arrivera où le changement sera inévitable et c’est alors que des défis immenses émergeront.

Entretien réalisé par Alain de Nève

Note(1) Certaines statistiques indiquent que le revenu par habitant en Corée du Nord équivaut à seulement 5 % du celui en vigueur en Corée du Sud.

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La Corée du Sud ne pourrait

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Corée du Nord de la manière dont l’Allemagne de

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