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L’essentiel de l’information scientifique et m´ edicale www.jle.com Le sommaire de ce num´ ero http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/ revues/medecine/ipe/sommaire.md?type= text.html Montrouge, le 06-02-2015 Michel Eynaud Vous trouverez ci-apr` es le tir ´ e` a part de votre article au format ´ electronique (pdf) : Histoire des représentations de la santé mentale aux Antilles. La migration des thérapeutes paru dans L’Information psychiatrique, 2015, Volume 91, Num´ ero 1 John Libbey Eurotext Ce tir´ e` a part num´ erique vous est d´ elivr´ e pour votre propre usage et ne peut ˆ etre transmis ` a des tiers qu’` a des fins de recherches personnelles ou scientifiques. En aucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire. Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de diffusion r´ eserv´ es pour tous pays. © John Libbey Eurotext, 2015

PETITE HISTOIRE DES REPRESENTATIONS DE LA SANTE MENTALE AUX ANTILLES : la migration des therapeutes

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L’essentiel de l’informationscientifique et medicale

www.jle.com

Le sommaire de ce numero

http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/revues/medecine/ipe/sommaire.md?type=

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Montrouge, le 06-02-2015

Michel Eynaud

Vous trouverez ci-apres le tire a part de votre article au format electronique (pdf) :Histoire des représentations de la santé mentale aux Antilles. La migration des thérapeutes

paru dansL’Information psychiatrique, 2015, Volume 91, Numero 1

John Libbey Eurotext

Ce tire a part numerique vous est delivre pour votre propre usage et ne peut etre transmis a des tiers qu’a des fins de recherches personnellesou scientifiques. En aucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire.

Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de diffusion reserves pour tous pays.

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L’Information psychiatrique 2015 ; 91 : 66–74

HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE

Histoire des représentationsde la santé mentale aux Antilles.

La migration des thérapeutes

Michel Eynaud

RÉSUMÉ

es Antilles sont des terres de migrations, plus ou moins choisies, plus ou moins subies. Au fil des arrivées des peuplest des cultures, y ont aussi débarqué thérapeutes et théories. Leurs représentations se sont ainsi succédé, empilées. Depuises Taïnos dialoguant avec les zémis grâce aux effets de la Cohoba, aux statistiques de la maison coloniale de santé deaint-Pierre ou la drapétomanie du docteur Cartwright, avant les années 1960 et les bouffées délirantes guadeloupéennes,

© John Libbey Eurotext, 2014

es modèles furent nombreux. Rappeler cette histoire est l’occasion de s’interroger sur le poids des représentations yompris chez les scientifiques, dont les « connaissances » sont aussi culturelles, voire idéologiques. À toutes les époques,e social conditionne le sanitaire.

ots clés : santé mentale, représentation, psychothérapeute, migration, culture, histoire, Antilles

ABSTRACTistory of representations of mental health in the French West Indies. The migration of therapists. The Frenchntilles are lands of migration, more or less chosen and more or less experienced. During the stream of arrivals of peoples

nd cultures, therapists and theories also landed. Their representations have subsequently succeeded and have piled up.ince the Taino people’s dialogue with Zemis due to the effects of the Cohoba, statistics were abundant from both theaison Coloniale de Santé de Saint-Pierre or the Drapetomania of Dr. Cartwright, whereas before the sixties and delusional

ashes from Guadeloupe, various models were numerous. Remembering this story is the opportunity to question the weightf representations, including among scientists, whose “knowledge” are also cultural or even ideological. During all epochs,ocial ideology in fact conditioned the public health system.

ey words: mental health, representation, psychotherapist, migration, culture, history, French West Indies

Psychiatre des Hôpitaux, Centre hospitalier de Montéran, 1er Plateau, 97120 Saint-Claude, [email protected]>

Tirés à part : M. Eynaud

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66 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 91, N◦ 1 - JANVIER 2015

Pour citer cet article : Eynaud M. Histoire des représentations de la santé mentale aux Antilles. La migration des thérapeutes. L’Information psychiatrique 2015 ; 91 : 66-74doi:10.1684/ipe.2014.1294

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Histoire des représentations

RESistoria de las representaciones de la salud mental en la

nas tierras de migraciones, más o menos elegidas, más o mambién han desembarcado terapeutas y teorías. Así es comos Taínos dialogando con los cemis gracias a los efectose Saint-Pierre o la drapetomanía del doctor Cartwright, aumerosos han sido los modelos. Recordar esta historia dancluso entre los científicos cuyos “conocimientos” son tamocial condiciona lo sanitario.

alabras claves : salud mental, representación, psicoterap

« ô mon corps, fais de moi un homme qui interroge »

Frantz Fanon

Les humains ont toujours migré, et vont continuer. Lesrofessionnels des pays d’accueil, ceux « du Nord », sontouvent concernés par les conséquences de la migrationur la santé des immigrés. Mais il arrive que ce soientes thérapeutes qui migrent, et que ce ne soit pas sansonséquence sur la santé des autochtones. L’histoire desles créoles, et en particulier des départements francais’Amérique, en est un exemple. Une histoire où le colo-ialisme guette toujours. Toute activité scientifique est enffet une activité sociale, non exempte de contradictions,e résistances ou de ruptures [2], et soumise à l’évolutiones représentations, tant celles de la population que celleses professionnels. Encore plus dans le domaine de la santémentale).

L’histoire des sociétés, leur structuration, leur culture,nt donc un important impact sur les modes de prise enharge de la « folie », quelles que soient sa désignation et ses

© John Libbey Eu

odes de « soins » [18, 32, 33, 46, 47]. Aux Antilles commeilleurs, les croyances héritées des diverses pratiques, cultu-es, ou religions apportées par les différentes composantese la population fondent des étiologies « populaires »ui influencent toujours directement les modalités deoins. La « colonisation » a propagé au xixe siècle partoutans le monde le modèle occidental biomédical de l’époquet ses asiles, mais donner du sens, expliquer « le mal »anifesté par le souffrant en demande est toujours aussi

mportant que soigner « la maladie » reconnue chez leatient désigné.

odèles et représentations

Face au trouble et à la douleur, le souffrant, son entou-age, ses praticiens sont confrontés à la résolution d’unequation complexe. Quoi qu’il arrive, elle recèle troisnconnues, relevant en proportions inconnues du biolo-ique, du psychologique et du social. Y sont toujours mis encène des paramètres individuels et collectifs, autour d’un

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L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE V

santé mentale aux Antilles. La migration des thérapeutes

ENntillas. La migración de los terapeutas. Las Antillas sons sufridas. A lo largo de las llegadas de pueblos y culturas,e han sucedido sus representaciones, amontonadas. Desdela Cohoba, a las estadísticas de la casa colonial de saludde los anos 1960 y las bouffées délitrantes guadalupenas,sión de interrogarse sobre el peso de las representacionesculturales, cuando no ideológicos. En todas las épocas, lo

, migración, cultura, historia, Antillas

ujet en interaction avec un environnement, une commu-auté, dans des contextes sociaux et culturels plus ou moinsmplicites.

Les attitudes concrètes vis-à-vis des troubles psy-hiques, les parcours de soins, sont donc largement influen-ées par les représentations de la population, des familles,es malades. On ne va voir un médecin que si l’on recon-aît sa souffrance comme le signe d’une maladie. Souffrir’un mal ne relève pas forcément de la médecine, mais’abord de l’anormal, et peut donc justifier d’autres stra-égies, d’autres recours, parfois préliminaires, d’autres foislternatifs, souvent parallèles. La référence au surnaturelst bien antérieure au modèle biomédical, et les nouveauxaradigmes de ce dernier ne la remplace pas totalement.

Le médecin qui se pense légitime pour décider de ce quioncerne la maladie, n’en connaît en fait que ce qui a étéréalablement défini comme pathologique par les représen-ations des personnes (souffrant et entourage) concernées.t il va déployer ses interventions en fonction de sesropres représentations, ses propres modèles hérités tante son école universitaire que de ses rencontres. Et la mala-ie vue par le médecin n’est pas toujours le même objet

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ue le mal vécu par le souffrant (qui sera peut-être unpatient », ce sens étymologique rencontrant alors le sens

ommun). C’est l’occasion et le risque de beaucoup deuiproquo.

Percevoir c’est d’abord repérer ce qu’on a appris, ceu’on s’attend à percevoir. C’est d’abord chercher à confir-er ce que l’on croit savoir. Les pièges et les illusions sont

onc nombreux, entre évidences et préjugés, entre certi-udes et poncifs, entre idéologies et dogmatismes, entrerecettes » et « protocoles ». Connaître c’est en fait recon-aître. La « folie » et « ses causes » nous en apprennentlors autant sur le sujet et sa maladie, que sur les représen-ations de la société et celles des soignants qu’elle délègueour endiguer le risque du grand désordre [4, 5, 32, 41, 42].

La fin du colonialisme n’est pas si ancienne, et certainsejetons de son mode d’approche de la réalité continuent deerdurer, se figeant dans des modèles unicistes ou exclusifs.e risque du néo-colonialisme peut infiltrer les représen-

ations, même en toute bonne (in)conscience, y comprishez les médecins. Rappelons ce qu’en disait Richard en

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905, cité par Marie [49] : « Le missionnaire laïc moderneera le pionnier pacifique dispensateur des progrès cura-ifs ou prophylactiques, par lesquels le génie occidentalropagera ses idées. L’intérêt primordial des nations colo-isatrices est de faire du médecin le véritable éclaireur deeur pénétration ».

Le psychiatre migrant ou accueillant des migrants n’estas totalement à l’abri de la persistance éventuelle deuelques relents résiduels de néo-colonialisme : cautionumanitaire ou scientifique d’un certain nombre d’actions,l peut aussi toujours être instrumentalisé, volontairementu pas, pour être le vecteur de divers impérialismes.

réolisation

Le peuplement des Antilles s’est réalisé par vaguesonsécutives de migrants d’origines très diverses. Chacunee ces migrations successives, dont certaines étaient desolonisations, a amené avec elle des apports ethniques etulturels propres. Si les rapports de force, les combats oues épidémies, les déportations, ont pu conduire à la pré-minence plus ou moins durable de tel ou tel groupe, il en aésulté une société dépositaire de contributions multiples.

Les sociétés créoles sont donc les héritières de la super-osition, et parfois plutôt de la juxtaposition, d’influencesulturelles complexes plus ou moins intégrées. Elles sonte creuset d’un processus permanent de créolisation. Lesdentités y sont aussi fortes que contradictoires et leseprésentations peuvent être inférées aussi bien au substratindigène initial » (en fait les premiers occupants connus),u’à la colonisation européenne, aux descendants des afri-ains déportés, ou aux immigrations ultérieures venues de’orient (« syro-libanais », Inde, Chine). Ces représentations

© John Libbey Eu

ociales sont les fondements des identités individuelles etollectives [21], mais aussi des conceptions de la santé ete la maladie, y compris mentale.

Dans le contexte des îles créoles, l’identité n’est jamaisimple, et ne répond pas à l’image d’une « identité-racine »nique, qui serait bien implantée dans une terre irriguée parne langue et une culture homogènes, mais plutôt à cellee « l’identité-rhizome » plurielle développée par Edouardlissant [34-36] à la suite de Gilles Deleuze et Félixuattari [16]. Aux Antilles la « normalité » se conjugue àartir de représentations multiples et ne s’exprime que danse pluralisme, des soins, des cultes, des cultures comme desopulations. Il y est impossible de se soustraire à la ren-ontre de l’autre, l’étranger, le migrant, tour à tour ancêtreu voisin. L’altérité s’y vit dans la proximité. Mêmeuand ils occupent des « niches écologiques » (ou socio-conomiques) différentes, même quand ils se réfèrent à desystèmes culturels différents, les créoles disposent toujourse matériaux communs.

Face au mouvement de créolisation de cette sociétélurielle, l’anthropologue ou le médecin est contraint de

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ultiplier les angles de vues pour approcher la complexitée l’expression de la maladie, des demandes recues, desratiques constatées. Le psychiatre et ses références biomé-icales ne sont qu’un des choix possibles dans la successionu la simultanéité des thérapeutes, dans la multiplicité desarcours et des recours [6].

igration des thérapeutes aux Antilles

remiers migrants : les Amérindiens

Le premier peuplement connu des îles de l’arc cari-éen repose sur l’arrivée depuis le continent américain deagues d’Amérindiens, d’abord des Taïnos (Arawak) puises Callinas (Caraïbes). Ce qui ressort des traditions et pra-iques rapportées par les premiers explorateurs ou des tracese gravures laissées dans la pierre (pétroglyphes) est uneonception de la maladie comme effet d’un sort ou d’unsprit [22, 43, 53, 54].

Le malade est compris comme victime d’une mal-eillance. Cette dernière peut être attribuée à l’intervention’un sorcier (buhitihu), mais aussi à celle d’une femme,énéralement veuve et âgée. La contamination est réaliséear la nourriture. Le mal peut aussi être rattaché à l’actionirecte d’un esprit (zémi) insatisfait, souvent parce que malourri. C’est fréquemment l’esprit arc-en-ciel (joulouca),eprésenté sous deux formes, l’une maléfique qui rendalade, l’autre bénéfique qui soigne et protège [11, 54].Le parcours de soins commence par la consultation du

uhitihu, dans sa case isolée du reste du village. La céré-onie de la cohoba, qui consiste à fumer des plantes

allucinogènes, va permettre de communiquer avec leonde des esprits et énoncer le diagnostic en désignant

es responsables du mal. En possession du nom de l’esprit

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e la nature (zémi), le sorcier va pouvoir entamer les ritest prières devant satisfaire l’esprit et soulager la victime.’identification de la commanditaire éventuelle va quantelle conduire à s’en saisir et à l’occire après quelques

ortures. Le même sort pouvait attendre le sorcier s’il neemplissait pas son obligation de résultat.

D’autres pratiques sont aussi citées par les observateurs.es une sont thérapeutiques, et à base d’absorption de vine patate agrémenté du « poil de la nature de sa femme ».es autres sont préventives consistant à s’enduire de roucou

huile rouge) ou à fermer les orifices corporels avec desrnements protecteurs (caracolis) suspendus au lèvres, auxarines ou aux oreilles [54].

euxième vague de migrants :es colons du XVIIe siècle

Après le temps des explorateurs vénitiens de 1492, lesntilles vont voir débarquer marchands, colons et mission-aires. Ils amènent avec eux les représentations en vigueurn Europe à cette époque. Les thérapeutes s’emploient à

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Histoire des représentations

liminer les humeurs excessives, chirurgiens adeptes de laaignée, ou médecins partisans de la purge. Ce sont en effetes théories néo-hippocratiques qui font référence. Pourippocrate [37] la santé dépend d’un équilibre entre les

léments fondamentaux (air, feu, eau et terre) constituante corps, et de leurs qualités (chaud ou froid, sec ou humide).ls se traduisent par la circulation des quatre humeurs, cor-espondant à quatre tempéraments.

Ces conceptions influencent alors tant les théories médi-ales que les croyances populaires. Elles sont à la basees étiologies attribuées aux troubles, des conduites thé-apeutiques, comme des pratiques préventives en matièree nutrition ou de comportement. Elles sous-tendent aussies recettes de phytothérapie (en créole les « rimed razie »aits à partir des plantes des halliers), utilisés en « tisanes »qui rafraîchissent) ou en « thés » (qui réchauffent), pour desurges, des bains, des massages, et toujours dans la pers-ective de nettoyer ou protéger [7, 9, 10, 52]. Et commeans les campagnes francaises, l’invocation de la Vierge etes saints (saint Laurent par exemple pour les brûlures) estn utile complément.

a migration forcée des esclaves africains

À partir du xviie siècle le développement de l’économieucrière va s’accompagner de la systématisation de la traiteégrière à travers le commerce triangulaire alimentant leslantations américaines en esclaves. L’arrachement et laéportation, les conditions de survie sur les bateaux puisans les habitations sucrières ne facilitaient pas la trans-ission des traditions, pas toujours partagées entre ethniesultiples et familles dispersées. Des pratiques de résistance

ont se développer, où les plantes sont des outils indis-ensables à la survie : plantes des cultures vivrières pourourrir, plantes médicinales pour soigner, plantes magiques

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our protéger. Et parfois aussi plantes pour empoisonnerétails et maîtres... [8, 63]. L’utilisation d’une phytothé-apie issue des pharmacopées africaine, européenne oumérindienne, se retrouve actuellement avec constanceans toutes les îles de la Caraïbe.

Les plantes ne sont pas la seule ressource. En dépit dea destruction du tissu social, malgré la christianisation,es pratiques magico-religieuses de l’Afrique d’origine sur-ivent néanmoins. Les rites et les références au panthéonnimiste se perpétuent sous le vernis chrétien, que ce soitans le Vaudou en Haïti, le Candomblé au Brésil, la SantériaCuba, à travers les Orishas issus de la religion Yoruba.

es migrations orientales

Après l’abolition de l’esclavage, les esclaves quittantes habitations, une nouvelle main d’œuvre va être quérieuprès des comptoirs francais d’Inde. Les paysans indiensui franchissent les océans avec des contrats à durée déter-inée en fait ne repartiront pas. Ils amènent avec eux

es doctrines et pratiques de la médecine traditionnelle

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santé mentale aux Antilles. La migration des thérapeutes

indoue. Les maladies s’y rattachent à l’univers surnatu-el et les soins relèvent de rituels pratiqués par des prêtresans des temples. À l’adaptation locale de ces pratiquesagico-religieuses des villages d’origine du sud de l’Inde,

’associe l’utilisation domestique d’une pharmacopée àase de plantes.

Dans le processus de créolisation des « îles à sucre »’autres vagues continueront de se succéder, chacune aveces traditions versées dans le « melting pot » commun.otamment du Liban et de Syrie, plus récemment de Chine.ans oublier la poursuite de l’influence de « la métropole »t des effets de la colonisation, puis de la décolonisationt de la médicalisation de la santé, nous y consacrerons unhapitre spécifique.

’aliénation aux colonies

C’est au xixe siècle que le soin émerge de la contrainteociale comme l’a bien montré Foucault [32]. Pinel y contri-ue, non pas seulement en confirmant la libération desliénés de leurs chaînes expérimentée par Jean-Baptisteussin, mais en construisant le concept médical d’aliénationans son Traité médico-philosophique sur l’aliénation men-ale [55]. Sur fond d’hérédité ou de causes physiques,es émotions deviennent responsables d’atteintes physio-ogiques se traduisant par diverses maladies, dont la manieu la mélancolie, aux côtés de la démence ou de l’idiotie.ais au-delà de ces troubles, il reste toujours aux aliénés

ne part de raison, et ils sont donc accessibles au « traite-ent moral de la folie ». Esquirol va pouvoir développer

es asiles en France, qui se multiplieront aussi en Europe etans un certain nombre de colonies [24, 51].

Les déterminants sociaux de la folie au xixe siècle en

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urope reposent sur l’idée que l’aliénation pourrait êtreavorisée par les méfaits d’une civilisation pervertie pares dérapages et ses excès (passions trop vives, activiténtellectuelle excessive). La civilisation rendrait maladen imposant trop de contraintes et de stimulations, il fautonc protéger les malades de la civilisation, séparer lesatients de leurs proches et du milieu qui les a rendusalades. À la place on organise un espace où les faire vivre

ans un milieu sain, où les règles de vie, d’hygiène, deorale, et surtout la discipline, associés aux vertus de la

ouche froide, permettent de retrouver un équilibre. L’asilee veut pour Esquirol un environnement apaisant, avec desièces ensoleillées, une diète saine, quelques contacts aveces médecins et des activités et loisirs permettant d’éviter’oisiveté [24].

Les idées en cours au niveau européen vont être adaptéesu contexte des îles à sucre, et leur histoire porte la marqueu poids des représentations sociales [25, 26, 40, 61]. Poura société coloniale du xixe siècle, la théorie de l’asile théra-eutique esquirolien appliquée à la société et à la médecineoloniales, concerne peu les esclaves... Car si l’aliénation

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eut atteindre les « békés » ou les libres de couleur, confron-és à la « civilisation », c’est difficilement envisageable poures esclaves africains, qui seraient dans l’état « de nature ».our les théoriciens de l’époque, la folie c’est la nature per-ue... La servitude protègerait donc les « primitifs » de laolie, tandis que l’excès de liberté y conduirait [12, 14].

Huffschmitt rapporte que lorsqu’en 1838, tous les dépar-ements francais commencent à ouvrir leurs asiles, laolonie martiniquaise crée en 1839, à Saint-Pierre la « mai-on coloniale de santé » [38, 39]. Cet asile (payant)ecoit très peu de malades de couleur avant l’abolition de’esclavage, évidemment confinés dans les « infirmeries »e plantations. Dès qu’on l’ouvre, ses cent places se rem-lissent rapidement d’aliénés, à tel point que l’on parle’épidémie. . . Entre 1839 et 1853, les médecins coloniauxecensent les admissions et concluent conformément aux ariori de l’époque qu’une distinction importante s’imposentre les races... Nonobstant les biais de recrutement, ilsécomptent en effet : 90 admissions pour 8 887 blancs (inci-ence 1 %) ; 176 admissions pour 33 706 libres de couleur0,5 %) ; 146 admissions d’esclaves créoles et 74 d’africainsour 75 736 esclaves noirs (0,3 %), dont seulement 36 danses dix années qui précèdent l’abolition de l’esclavage [66].

Les registres dénombrent ainsi une incidence de’aliénation trois fois plus importante chez les blancs quehez les esclaves [20], ce qui confirme l’idéologie enigueur : la fréquence des troubles dépendrait de la condi-ion sociale et la servitude protègerait les Nègres... lacience et ses « preuves » épidémiologiques se mettant auervice des préjugés sociaux.

Après 1848 et l’abolition de l’esclavage, l’admini-tration aura une preuve supplémentaire que la vie fié-reuse de la civilisation produit un accroissement de’aliénation. Elle sera en effet confrontée à un nombre crois-

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ant d’hospitalisations de « nouveaux libres de couleur » :es anciens maîtres se déchargent de leurs malades, quiffluent dans les villes où ils sont décrits comme « vaga-onds, dangereux » et grands consommateurs de boissonslcoolisées. Les anciens esclaves se retrouvent donc enombre à l’asile. C’est pour la même raison que la Guade-oupe devra ouvrir sa propre structure en 1849, une maisone dépôt pour aliénés, en reconvertissant l’atelier de disci-line de l’annexe pour femmes de la prison de Basse-Terre,’ordre public étant menacé en ville par l’arrivée des nou-eaux affranchis, aussi indigents que perturbateurs.

Les déterminants sociaux transparaissent clairement à laecture des causes des admissions à la maison coloniale deanté, l’étiologie se mettant elle aussi au service des repré-entations. Ainsi, si l’hérédité est reconnue par les auteursomme une cause importante de maladie mentale, elle n’estvoquée que dans 6 % des cas. On préfère envisager quea majorité des troubles est liée à l’alcool (11 %), suiviee peu par les ravages de l’onanisme et du plaisir (10 %),es femmes y étant deux fois plus souvent soumises que

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es hommes (14 % contre 7 %). C’est l’ambition trompéeui arrive ensuite, avec 8 % des causes de folie, mais deuxois plus souvent chez les hommes que chez les femmes25, 66]. . . Mais pour la folie des Noirs, les choses sontssez simples : dans près de 80 % des cas leur folie estttribuée à l’abus de boissons alcooliques, absorbées ensage continuel journalier. . . Les troubles constatés sont enénéral rangés dans la catégorie des « manies », avec uneonne proportion de « manies ambitieuses », et de « maniesuerelleuses » (souvent retrouvées chez « les Négresses »).n y décrit aussi des manies partielles de type délire deersécution.

Si les certitudes de cette époque apparaissentujourd’hui comme des préjugés, elles étaient évidencesce moment-là. Cela en devient presque caricatural à la

ecture des publications américaines de l’époque. C’estn effet en 1851 que le docteur Samuel Cartwright,hirurgien et psychologue qui faisait autorité en Loui-iane en matière de santé des populations de descendants’Africains, publie ses observations sur deux maladiespécifiques aux « negroes », dont une dénommée « dra-étomanie » [12 bis]. Elle ne concerne que les esclaves,ui manifesteraient « un désir morbide d’être libre » quies pousserait à s’échapper des plantations... Cette fuite

pathologique » serait induite par les comportements deaîtres traitant leurs esclaves comme des « égaux » au lieu

e les maintenir « soumis », ce qui les rendrait confus...ette « maladie » en appelait bien sûr à un traitement aussiien curatif que préventif, l’usage du fouet... À l’issue de lauerre de Sécession, cette publication et son auteur perdronteur légitimité et illustrent aujourd’hui la pseudoscience.

écolonisation et médicalisation

’organiciste

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En 1946, les îles créoles sont décolonisées et deviennentes départements francais d’outremer. L’asile colonialonstruit en Guadeloupe en 1883, et qui accueillait les Mar-iniquais depuis l’explosion de la montagne Pelée de 1902qui a rasé Saint-Pierre et sa maison coloniale de santé)evient asile départemental. Mais ce n’est qu’en 1950 qu’ilecoit son premier psychiatre. Cette nouvelle migrationpporte avec elle une première médicalisation.

Une nouvelle école de pensée s’installe donc auxntilles : le docteur De Leyritz y arrive en effet à 56 ans

n organiciste convaincu, opposé à la sismothérapie et’insulinothérapie. Il adhère aux théories de Jacquelin etyvert, qui voient une origine tuberculeuse à la plupartes psychoses [17].

Les traitements dispensés à Saint-Claude se fondentonc sur une antibiothérapie quasi systématique, et la strep-omycine est le médicament de choix de la psychose.endant que les antibiotiques coulent à flot, au moins les

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Histoire des représentations

alades commencent aussi avec lui à manger à leur faim,t vont donc un peu mieux. . .

À la même époque, Maurice Despinoy arrive enartinique venant de Saint-Alban où il a participé au

ouillonnement de la psychiatrie institutionnelle initié parosquelles et Bonnafé. Il y laisse un interne martiniquaisromis à un destin hors norme, qui n’est autre que Frantzanon [19, 31, 67]. Mais alors que les Antilles se livrent à

a décolonisation, celle-ci demeure relative. C’est en effetn 1950 qu’Octave Mannoni publie son ouvrage « psycho-ogie de la colonisation » [48], qui fera l’objet de vivesritiques d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon. Ce psychana-yste proche de Lacan y écrit en effet : « tous les peuplese sont pas aptes à être colonisés, seuls le sont ceux quiossèdent ce besoin ». . . Il explique que cette « dépen-ance » proviendrait d’un « complexe » ou d’un « germe’infériorité » qu’il pense très répandu chez les peuples deouleurs. . .

es ethnopsychiatres

Plus tard, vers la fin des années 1960, s’imposent de nou-eaux paradigmes médicaux. Avec notamment Constant13], Dehgan [15] puis Lesne [44, 45], une approche teintée’ethnopsychiatrie verra l’efflorescence d’une pathologiepécifique aujourd’hui bizarrement disparue : « la boufféeélirante guadeloupéenne ». À la même époque d’autresuteurs [23] décrivent à la Martinique une « psychose socio-énétique », et parlent même de cette île comme d’un « asile’aliénés ».

À l’occasion de sa thèse et ses 112 observations, Cons-ant [13] rapporte que le diagnostic de bouffée déliranteorrespond à 15 % des hospitalisations, loin derrière lesroubles liés à l’alcool, qui seraient en cause dans 27 %

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es hospitalisations, mais largement devant les troubleschizophréniques qui sont estimés à 7 %. Il décrit desttributs particuliers à la Guadeloupe pour ces boufféesélirantes, qui les distingueraient de celle décrite classique-ent par Henry Ey. Il s’agit de « manifestations délirantes

iguës, réactionnelles, hallucinatoires et curables. . . surve-ant souvent sur une personnalité sans passé psychiatriqueathologique ». Il va dégager les critères sémiologiquese ces troubles « d’aspect monomorphe, volontiers paucioire unithématique et pratiquement toujours exprimés enermes magiques ». Il va les regrouper dans un souci

d’homogénéité clinique » sous le terme de « boufféeélirante guadeloupéenne ». Par ailleurs, il va placer cesroubles « par rapport aux systèmes de représentationsulturelles ».

Dès 1980, dans son mémoire pour le CES de psy-hiatrie sur « la psychiatrie en Guadeloupe en 1980 »68], Guy Ursule critiquera cette entité nosographique,our les hypothèses psychopathologiques et culturelles qui’accompagnent, ou la description de son évolution, et

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santé mentale aux Antilles. La migration des thérapeutes

onstatera que le diagnostic est en régression. Dans sonecensement il note en effet les diagnostics en 1980, où lesdmissions se répartissent entre : alcoolisme 31,5 %, schi-ophrénies 15,2 %, bouffées délirantes 12,5 %. Aujourd’huie diagnostic n’est plus jamais posé.

a concurrence des nouveaux vendeurs de soins

Les nouvelles vagues de migrations de thérapeutes neont plus spécifiques aux Antilles. L’influence des nou-eaux paradigmes qu’ils diffusent n’a même plus besoinu’ils débarquent physiquement dans les îles créoles, ni’ailleurs sur aucun rivage. Psychiatres et tradipraticiensont désormais concurrencés par tous ceux qui prospèrentu marché de la santé mentale.

Les souffrants ne savent plus où donner de la tête. S’ilsontinuent d’acheter « du sens » auprès des guérisseursen créole les « gadé dzafè » et autres quimboiseurs) répu-és encore désigner l’origine du « mal », les marabouts etoyants les concurrencent dans leurs officines comme auéléphone. Ils peuvent aussi tenter d’acheter du « bonheur »u grand supermarché du « bizness du new age », que ce soitla rubrique « développement personnel », « bien-être » oucoaching ». Sans oublier qu’ils peuvent aussi acheter de laréassurance », en librairie, dans les journaux, sur Internetu derrière un gourou, le succès des « guides » ne faiblitas.

Quant au souffrant devenu patient désigné, il peut encorespérer acheter de la « paix », vendue à grands coups dearketing par une industrie pharmaceutique qui promet

’éradiquer stress et tristesse à coup de pilules colorées.t que dire de ces nouveaux gouvernants qui ne jurent quear l’efficience ?...

olonisation ou créolisation

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Psychiatrie et anthropologie sont deux approches d’uneême réalité humaine, d’un sujet en relation avec son envi-

onnement socioculturel comme le soutient Jean Benoist6, 50]. Mais l’interpénétration de ces champs distinctse justifie pas qu’on les confonde. C’est d’ailleurs grandeonfusion quand les guérisseurs jouent aux médecins ouue les psychiatres miment les chamanes...

En Occident comme aux colonies, folie et maladieentale ont pu être institutionnalisées et stigmatisées, en

articulier par le regard de la médecine, puis de la psychia-rie [1, 3, 4, 18, 32]. Cependant il est difficile d’affirmerourquoi l’un sera plutôt considéré comme un fou ou unalade, et l’autre comme un original, un mystique ou un

rtiste. De plus l’enquête sur la santé mentale en popula-ion générale du CCOMS [64, 65] a montré qu’une forteroportion des troubles psychiques guérissent « spontané-ent », quoi qu’on fasse : « le temps plus que tout demeure

e maître de la psychiatrie » [65].

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Quoiqu’il en soit, les parcours des patients désignés ete leur entourage sont toujours complexes, faits d’étapesuccessives, de chemins parallèles ou de détours. Leurogique est pragmatique : ils essaient tout ce qui est possible.eur dialectique est celle d’un pluralisme intégratif, celui-làême qui est à l’œuvre dans la créolisation. Leur empirisme

ociologique se déploie dans des champs percus commeomplémentaires : celui des remèdes familiaux (plantes,ains, massages), celui des pratiques magico-religieusesuand la résistance fait suspecter une origine surnaturelle,elui de la médecine pourvoyeuse de médicaments efficacesur le corps, en tous cas sur le visible. Face à eux, les scien-ifiques font parfois montre de certitudes relevant plus de’idéologie que de la preuve.

Notre petite histoire des représentations de la santé men-ale au fil des migrations des thérapeutes a ainsi pu mettre envidence les effets de la colonisation, et survoler le mouve-ent de la créolisation aux Antilles. La distance temporelle

t physique facilite la prise de recul. Mais ces phénomènesestent d’actualité, dans toutes les villes du Tout-Mondeher à Glissant [35, 36], comme ils l’étaient encore récem-ent sur les rivages méditerranéens.Les publications d’Antoine Porot et de ses disciples de

’école d’Alger [56-58] ne sont en effet pas si lointaines eteurs descriptions psychopathologues sonnent encore fort :(. . .) masse indigène, bloc informe de primitifs profondé-ent ignorants et crédules pour la plupart, très éloignés deotre neutralité et de nos réactions et que n’avaient jamaisénétré le moindre de nos soucis moraux, ni la plus élé-entaire de nos préoccupations sociales, économiques etolitiques. » [56]. Quant au Manuel alphabétique de psy-hiatrie, dirigé par le même auteur, on lit dans sa 5e éditione 1975 (et jusqu’à la 6e de 1983) sous la plume d’Henriubin [59] :

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Noirs : « Les indigènes de l’Afrique noire se rap-rochent encore dans une large mesure de la mentalitérimitive. Chez eux les besoins physiques (nutrition, sexua-ité) prennent une place de tout premier plan ; la vivacité deeurs émotions et leur courte durée, l’indigence de leur acti-ité intellectuelle, leur font vivre surtout le présent commees enfants. (. . .) comportement impulsif, explosif et chao-ique ».

Primitivisme » (. . .) caractères psychiques et des ins-itutions que l’on observe dans les peuplades inférieures,ous une forme comparable dans toutes les contrées et enout temps. (. . .) la mentalité du primitif est surtout le reflete son diencéphale alors que la civilisation se mesure à’affranchissement de ce domaine et à l’utilisation crois-ante du cerveau antérieur. ».

Frantz Fanon, psychiatre d’origine martiniquaise,énoncera ces positions. Il n’eut pas l’occasion d’exercerux Antilles, mais s’engagea tout au long de sa courteie dans un combat permanent contre l’aliénation, celle de’asile, comme celle de la colonisation [60]. Dans ses écrits27-30] il évoque pour sa part une « névrose du colonisé ».

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crasé par la culpabilité qu’on lui impose d’intérioriser, leolonisé serait pour lui « un persécuté qui rêve en perma-ence de devenir persécuteur ». Une analyse qui pourraitien concerner aujourd’hui les nouveaux « colonisés » etmigrants » de nos banlieues, qui sont devenues les nou-

elles frontières de la société francaise... [62].

onclusions

Les représentations s’enchaînent au fil des migrationses thérapeutes. Quelle que soit la forte adhésion manifes-ée plus ou moins longtemps, celle des pairs ou des clients,uelles que soient les « preuves », le nombre de publica-ions ou le statut de leurs hérauts, quelle que soit la forceu marketing déployé ou des contraintes imposées, rien nearantit ni leur véracité, ni leur durabilité. Et là où les thé-apeutes sont parfois tentés par des idéologies excluantes,es usagers répondent par un pragmatisme intégratif.

Il n’est pas anodin que la société coloniale de Guade-oupe ait eu besoin d’un dépôt pour enfermer ses esclavesevenus libres avec ses indigents et ses déviants l’annéeuivant celle de l’abolition de l’esclavage. La dimensionociale de la santé mentale y est là évidente. L’invitationu voyage aux Antilles n’était donc qu’un prétexte pourccompagner nos questionnements et interpeller nos cita-elles psychiatriques. La situation des Antilles n’est paspécifique à cet archipel de la France des Amériques. Seséfis et ses contradictions non plus. Derrière les spéci-cités, n’y a-t-il pas plus d’universel qu’il n’y paraît ?e sommes-nous pas tous condamnés à l’incertitude et à

a créolisation dans toutes les cités du Tout-Monde ? Neeste-il pas d’immenses territoires à décoloniser, parmi les

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Frantz Fanon, s’engagea partout où il passait contreoutes les formes d’aliénation, en particulier celles décou-ant du colonialisme. Sa lettre de démission de son posteBlida en Algérie marque les limites qu’il faut aussi par-

ois poser pour ne pas cautionner voire encourager certainesormes de résignation stérile. Ses mots pourraient inspireruelques acteurs modernes, chefs de pôle ou d’écoles :

« que sont l’enthousiasme et le souci de l’homme si jour-ellement la réalité est tissée de mensonges, de lâchetés, duépris de l’homme.

. . .) La fonction d’une structure sociale est de mettre enlace des institutions traversées par le souci de l’homme.ne société qui accule ses membres à des solutions deésespoir est une société non viable, une société à rem-lacer.e devoir du citoyen est de le dire.. . .) Ma décision est de ne pas assurer une responsabilitéoûte que coûte, sous le fallacieux prétexte qu’il n’y a rien’autre à faire ».

(Frantz Fanon, Blida, 1956, lettre de démission).

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