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Opacité et transparence dans quelques œuvres de
Georges Henein
Présentée par
Dina Ahmed Mohamed Zaater
Maître assistant
Université de Ain Chams
La faculté de pédagogie
Département de français
- 1 -
La transparence paraît garantir la lisibilité des textes
ainsi que leur compréhension. En lisant Henein, au
premier abord, il nous semble qu’il évite toute confusion
syntaxique ou sémantique. Or, une certaine confusion
nous prend car ses textes ne nous passent pas un message
clair. Il nous montre parfois une vision opaque du monde
tout en utilisant toutefois une voix poétique qui peut
sembler très familière. En apparence, le mot, par son sens
concret nous paraît transparent mais quand il se trouve
dans le contexte hénénien, il prend une telle profondeur
que nous ne le déchiffrons qu’après plusieurs tentatives
d’interprétations. Cela est dû peut-être au souci de notre
écrivain à nous déplacer vers une autre dimension, celle
de la part d’obscur ou d’invisible. Alors, peu à peu,
l’opacité de l’écriture se dissipe et une transparence
langagière apparaît donc clairement du code hénénien. Et
à chaque navigation dans la lecture de ses récits, nous
découvrons un réel désir de la part de notre écrivain à
créer un idéal de transparence dans le rapport de l’homme
avec son monde irréel.
(a) Afin de simplifier les références tirées de G.Henein, nous utiliserons les
abréviations suivantes :DE : Deux Effigies, EF : L’Esprit frappeur, FS : La Force
de saluer, NPI : Notes sur un pays inutile, SPO: Le Signe le plus obscur. Œuvres :
Œuvres : Poésies, récits, essais, articles et pamphlets.
« Le rideau tombe au moment où
l’on apprend enfin à se pencher
au-dehors »
.(a) , p.81]Œuvres[SPO & FS in
- 2 -
Mais si nous voulons analyser la cause de l’opacité
apparente des textes hénéniens, nous pouvons dire que la
raison est due à la personnalité de notre poète entouré
d’ombre et dont le « visage se dérobait à la lumière
crue. »1 N’est- ce pas nous dit Bachelard qu’« [i]l faut
garder un peu d’ombre autour de nous. Il faut savoir
rentrer dans l’ombre pour avoir la force de faire notre
œuvre. »2
Cela est à l’encontre de Breton qui écrit dans Nadja :
« Je continuerai à habiter ma maison de
verre, où l’on peut voir à toute heure qui
vient me rendre visite, où tout ce qui est
suspendu aux plafonds et aux murs tient
comme par enchantement, où je repose la
nuit sur un lit de verre aux draps de verre, où
qui je suis m’apparaîtra tôt ou tard gravé au
diamant »3.
Cet exemple donné « servait métaphoriquement de
justification théorique pour dire que Breton, écrivant,
(
1) BOURDE, Eric : « Une statue pour le duc d’Este », in L’Esprit frappeur,
(Carnets 1940-1973), Paris, Encres, 1980, p.219.
(2) BACHELARD, Gaston : La Terre et les rêveries du repos, Tunis, Cérès Éditions,
1996, p.197.
(3) BRETON, André : Nadja, Paris, Gallimard, 2004, p.18, repris dans Œuvres
complètes I, éd. Marguerite Bonnet, Gallimard, Coll. « Bibliothèque de la
Pléiade», 1988, p.651.
- 3 -
évoque sa propre vie en toute vérité »1. Il répond à la
question posée par le narrateur lui-même au début de son
texte «Qui suis-je?»2 Donc, pour Breton, il n’y a rien à
dissimuler. Il s’agit de se réfléchir dans ses propres
œuvres et de se prendre soi-même comme objet d’analyse.
S’exposer ainsi, mettre sa vie sur la place publique, c’est
aussi une façon de mettre en scène sa propre expérience et
de l’exemplifier. Il serait l’expression d’une volonté de
transparence à soi qui traduit un désir de communication.
« C’est de L’Autre que Breton attend que lui soit révélé
qui il est. »3
Ce motif hantera Breton toute sa vie, en témoigne
Arcane 17 :« Je choisis la femme-enfant non pour
l’opposer à l’autre mais parce qu’en elle, et seulement en
elle, me semble résider à l’état de transparence absolue
l’autre prisme de la vision. »4
Breton réclame alors la transparence merveilleuse,
surnaturelle où la beauté de l’irréel est parfois
inaccessible, tout au moins fuyante et cependant visible et
(
1) VASSEVIÈRE, Maryse : La Fabrique surréaliste, Paris, Association pour
l’étude du surréalisme et les auteurs, 2009, p.147.
(2) BRETON, André : Nadja, op.cit, p.11, repris dans Œuvres complètes I, op.cit,
p.647.
(3) MOURIER-CASILE, Pascaline : André Breton, Nadja, Paris, Gallimard,
1994, p.151.
(4) BRETON, André: Arcane 17, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1971, p. 74, repris
dans Œuvres complètes III, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 68.
- 4 -
rayonnante. C’est pourquoi, « André Breton, [est]
considéré par Henein comme le héraut privilégié de la
résistance contre l'obscurité. »1
C’est ainsi que Breton déclare : « La grande ennemie de
l'homme est l'opacité. Cette opacité est en dehors de lui et
elle est surtout en lui. »2
À l’opposé, Henein est un « poète sombre »,3 il
« répugnait à la confidence, au point que sa vie intime
demeure parfaitement opaque. »4 Ce qui nous mène à dire
que Henein dissimule, masque les clés, tire un rideau
opaque sur sa vie. Ceci signifie que l’obscurité et
l’absence de transparence deviennent un caractère
constitutif de son œuvre. Ce qui explique ainsi l’emploi
des éléments d’écart et de densité, tel le « rideau » isolant.
Ce dernier est comme une ligne de démarcation entre le
réel et l’irréel. Et la vie de l’être hénénien est barrée d’un
rideau qui est difficile à lever ; ce qui le pousse à mettre
fin à ses rêves de dépasser cette frontière inébranlable.
(
1) HADDAD, Katia: "Regarder depuis les rebords du monde : Le Seuil interdit,
de Georges Henein" in http://homepage.mac.com/chemla/fic_doc/henein01.html
Mise à jour le 24/01/09.
(2) BRETON, André : Arcane 17, op.cit, p. 40 repris dans Œuvres complètes III,
op.cit, p.53. (
3) FERNIOT, Christine: "Chroniques égyptiennes" in Lire N° 343 du
01/03/2006 in http://www.lexpress.fr/culture/livre/uvres_811021.htm
(4) KOBER, Marc: « A l’intersection des voix : Henri Calet et Georges Henein"
in Europe, numéro 883-884, numéro spécial « Henri Calet», sous la direction de
Pierre Vilar, Paris, novembre - décembre 2002, p.105.
- 5 -
Alors, ce qu’il fait c’est de « baisser le rideau de fer et
s’enfuir. S’enfuir comme si on venait de se voler soi-
même. Ou de se voler à soi-même. » [NPI in Œuvres,
p.274].
Il est à noter qu’une ombre de mélancolie est jetée sur
Breton ; pour cela, il souhaite : « Que ce rideau d’ombres
s’écarte et qu’ [il se] laisse conduire sans crainte vers la
lumière ! »1 Ici, l’usage du mot « ombre » s’unifie
avec « rideau » pour doubler l’effet d’obscurité et du fossé
infranchissable.
En plus, pour donner «une impression d'opacité,
d'épaississement, de lourdeur »2, l’adjectif de couleur
« noir » vient s’ajouter aux rideaux : « Au dernier étage
cependant, des rideaux noirs se tendent contre une fenêtre
hautaine et isolée. » [NPI in Œuvres, p.239].
Notons que «le Noir est aussi attaché à la promesse
d'une vie renouvelée, comme la nuit contient la promesse
de l'aurore et l'hiver celle du printemps.»3 Ce qui explique
qu’il y avait des tentatives pour surmonter ce qui gêne le
passage vers l’irréel. Par exemple, la dérivation du verbe
(
1) BRETON, André : L’Amour fou, Paris, Gallimard, (Mayenne, impr. J. Floch),
1986, p.73, repris dans Œuvres complètes II, éd. M. Bonnet, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p.717. (
2) CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain : Dictionnaire des Symboles,
Paris, Robert Laffont / Jupiter, Coll. « Bouquins », 1986, p.674.
(3) Ibidem
- 6 -
« froisser » est répétée deux fois dans « le froissement des
rideaux » et « froissant les rideaux » [NPI in Œuvres,
p.228]. Quant au héros de Les Bonnes Adresses, « [i]l
écarte les rideaux » [NPI in Œuvres, p.217]. Le rideau est
alors une frontière considérée comme tantôt la fin de la
jouissance, tantôt l’avènement du droit. Il disjoint,
délimite notre espace mais il est aussi le point de jonction
avec l’autre monde, l’irréel.
Il est à remarquer que c’était un objet de fascination chez
Breton car il était ébloui par tout ce qui est voilé et secret.
Dans l’épisode de Nadja relatant le drame des Détraquées,
par exemple, Breton est impressionné par ce qui s’est
passé à l’entr’acte, derrière le rideau, c'est-à-dire par la
vérité cachée dans une situation sombre.1
Un autre élément opaque à mentionner, cette fois-ci un
« rideau naturel »2 qu’est le brouillard. Il vient perturber
la transparence car il est « symbole de l’indéterminé »,3 de
« l’indistinction »4. Sous son effet vaporeux, les êtres
hénéniens deviennent « [o]paque[s], insaisissable[s],
dépris du réel »5. Henein nous brosse des « portrait[s] par
(
1) Cf. Nadja, op.cit, pp.41-49, repris dans Œuvres complètes I, op.cit, pp.668-675.
(2) BACHELARD, Gaston : La Terre et les rêveries du repos, Tunis, Cérès Éditions,
1996, p.189.
(3) CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain : op.cit, p.149.
(4) Ibid., p.150.
(5) CASSUTO-ROUX, Pascale: "Georges Henein, une grande opacité veille sur
les êtres" précédé d’ "Extraits d’un carnet manuscrit daté de 1958" par Georges
- 7 -
omission »1, voués à la disparition. Il y a, par exemple, des
femmes aux visages « tendrement brouillés par la pluie »
[EF, p.15].
En effet, les êtres de Henein« sont désignés au moyen de
noms communs déterminés par l’article indéfini (« une
mendiante », « une fille », « un homme ») et de
pronoms »2. Cette dénomination évoque l’attitude fuyante
de l’être voué à l’effacement : « pendant que tu respires/
je brouille tes prénoms possibles » [Œuvres, p.90 et repris
à la page 99].
Il y a aussi la buée, la plus évanescente des matières,
qui occulte toute image de soi au point que « Far Away,
[est] parée d’une chantante buée hivernale » [NPI in
Œuvres, p.198]. Cette femme semble éclairée de beauté
par sa parure faite de cette forme de vapeur, de fines
gouttelettes d’eau.
De même, « [l]e blond délicat des tresses se perd dans la
dernière buée solaire du jour qui décline. » [NPI in
Œuvres, p.269]. Le déclin du jour était accompagné de
Henein in Le Nouveau Recueil n°79, éditions Champ Vallon, juin-août 2006,
p.175.
(1) KOBER, Marc: « Georges Henein : une poétique de la ténuité » in Mélusine,
n°16, Lausanne, éditions de l’Age d’Homme, 1997, p.239. (
2) CASSUTO-ROUX, Pascale: " Fiction et subversion chez Georges Henein " in
La Sœur de l'Ange, A quoi bon la lune ? n°6, Paris, éditions Hermann, 2009,
p.193.
- 8 -
brouillard pour incarner la forme disparaissante de la
femme hénénienne.
Dans La Déviation, le narrateur va jusqu’à déclarer : « Un
être clair jusqu’à la tyrannie, assez clair en tout cas pour
qu’aucun malentendu ne puisse se greffer sur ses actes,
serait, pour lui-même et pour les autres, un malaise de
l’ordre de l’insomnie. » [NPI in Œuvres, p.243].
Pascale-Roux affirme que chez Henein : « l’être
transparent, insignifiant, [est] […], celui qui est au
service du réel, de la société, celui qui n’est qu’un parmi
d’autres, qu’un comme les autres »1 . N’est-ce pas Sartre
dans Les Mots dit : « J’étais rien : une transparence
ineffaçable. »2
Ici, la transparence est liée à l’inutilité de l’être, à son
inexistence : « Devenir transparent, c’est aussi d’une
certaine manière, ne pas exister, ou si peu. »3 À titre
d’exemple, Far Away et le narrateur constataient qu’ils
n’existaient pas, qu’ils étaient absents, transparents. Ils
riaient parce qu’ils savaient qu’ils étaient des étrangers et
« c’était leur plus sûre épreuve de transparence, […]. »
[NPI in Œuvres, p.198].
(
1) CASSUTO-ROUX, Pascale: "Georges Henein, une grande opacité veille sur
les êtres", op.cit, p.174.
(2) SARTRE, Jean-Paul : Les Mots, Barcelone, Novoprint, 2010, p. 76.
(3) KOBER, Marc :"Les silences de monsieur Henein" in Gallia n°33, Bulletin de
la Société de langue et littérature françaises de l’université d’Osaka, 1993, p.64.
- 9 -
D’ailleurs, si nous prenons un exemple sur André
Breton et son rapport avec le monde, nous trouvons qu’il
dit :
« Ce monde extérieur, pour moi tout voilé
qu’il fût, n’était pas brouillé avec le soleil.
[…]. Il n’était pas pour moi, comme Fichte,
le non-moi créé par mon moi. Dans la
mesure où je m’effaçais sur le passage des
automobiles, où je ne me permettais pas de
vérifier, […], le bon fonctionnement d’une
arme à feu, j’en allais même, à ce monde, de
mon plus beau coup de chapeau. »1
Malgré la clarté apparente du monde, il ne peut pas
continuer à y exister. C’est pourquoi, il a employé la
proposition « je m’effaçais » comme s’il était un fantôme.
L’emploi de l’imparfait montre qu’il a erré et vécu une
existence antérieure, chargée de mystère. Mais à un
moment donné, Breton énonce :
« [L]e rôle d’un fantôme, […], [c’est] ce qu’il a fallu que
je cessasse d’être, pour être qui je suis. »2
Donc, nous pouvons dire que selon Breton, la quête de soi
exige de cesser d’être une personne indéfinie ou invisible.
(
1) BRETON, André : Les Vases communicants, Paris, Gallimard, (Mayenne,
impr. J. Floch), 1985, p.125.
(2) BRETON, André : Nadja, op.cit, p.11, repris dans Œuvres complètes I, op.cit,
p.647.
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Il s’agit pour lui de chercher son propre être pour
récupérer sa lucidité qu’il a perdue au milieu du tourbillon
des êtres différents ; ce qui va lui permettre de nouer un
rapport de transparence avec soi-même.
Cette question de lucidité nous mène à nous demander
si elle est vue de la même manière chez Henein ?
Nous pouvons répondre que notre écrivain et « ses
ombres de personnages »1ne sont, en effet, qu’un seul
reflet ou une seule réalité. Les deux désirent se dissimuler
aux autres et à eux-mêmes. Le dictateur a envie de « […]
tout voir à travers la vapeur blanche des laboratoires
mentaux » [NPI in Œuvres, p.278]. Il cherche une
lisibilité chez autrui mais il est perdu au milieu des êtres
hermétiques qui vivent dans la non-visibilité.
Le héros, dans Le guet-apens, exprime : « [S]alut mirage !
dur mirage des séparations où l’on cesse de voir ce que
l’on quitte, cloison étanche entre l’abandon et le devenir »
[NPI in Œuvres, p.228]. Le mot « mirage » souligne ce
que contient de chimérique l’existence des hommes.
En fait, ces ombres sentent leur liberté dans un vaste
brouillard, ce paradis impénétrable, quoique léger. A titre
d’exemple, ils étaient tristes en pensant à sa dissipation.
(
1) BONNEFOY, Yves: "Georges Henein, Désormais" in Georges Henein,
Œuvres, Paris, Denoël, 26/01/06, p.13.
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« Le brouillard commençait à se déchirer. La clarté, peu à
peu, se faisait et, d’instinct, nous savions que nous aurions
à le regretter. » [NPI in Œuvres, p.221]. Et s’il n’existe
pas, ils vont chercher « un manteau de brouillard » [NPI
in Œuvres, p.219] pour s’en munir ; s’en calfeutrer pour
être prêts à la quête véritable de l’irréel, ce monde lui
aussi totalement dissimulé. C’est ainsi que le Moniteur,
dans Les Bonnes Adresses, « rêvait de pouvoir préparer la
« poudre du brouillard » » [NPI in Œuvres, p.218] pour
fabriquer son brouillard artificiel qui le fait disparaître.
Donc, l’être de Henein s’accroche au brouillard et à la
brume qui sont « propices à une indéfinition
protectrice »1. Ce qui n’empêche que Nathalie, dans
Nathalie ou le souci, s’écriait : « Veillez à vos contours.
Une vapeur d’eau est vite dévoyée ! » [NPI in Œuvres,
p.248]. Cet exemple évoque que le brouillard peut
montrer une autre face terrifiante car il peut mener un
effacement total de son entité. Cependant, si « [l]’être,
selon Henein, n’est souvent que contour, épaisseur nulle,
mais [il reste] dessin persistant. » 2 Il est à l’image de son
(
1) BOISSON, Cristina Boidard : "La ville, creuset de l’imaginaire dans l’œuvre
de Georges Henein" in Littératures Francophones, ed. Immaculada Linares,
València : Coleccio oberta. Départament de filologia francesa i italiana, 1996,
pp.156, 157.
(2) KOBER, Marc: "La Part du sable (Michaux et Henein)" in Henri Michaux,
corps et savoir par Jean-Michel Maulpoix et Pierre Grouix, Lyon, E.N.S. éditions,
1998, p. 335.
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créateur « brouillé par les embruns, mais ineffaçable quoi
qu’on tente» [NPI in Œuvres, p.265] c’est-à-dire
ineffaçable de la mémoire. Et si l’être hénénien s’efface
dans le brouillard, c’est pour se renaître. Il le fait donc
exprès car l’irréel est lui aussi brouillé. Notre essayiste
annonce : « La vraie vie ne saurait donc se montrer à
visage découvert. Elle ne sort pas un instant du
brouillard. » [EF, pp.143, 144].
L’ombrage cache et révèle l’irréel. Alors, le mystère
voilé, tend vers la clarté et l’homme va de l’obscurité vers
la transparence. Mais une fois échouant dans sa tentative
de découverte de l’irréel et dans sa quête identitaire, la
transparence du mal apparaît. Autrement dit, le désespoir-
l’obstacle de la non-transparence - grandissait dans le
cœur de l’homme et rendait sa vision brumeuse et « sa
fenêtre se garnissait, peu à peu, de barreaux invisibles qui
correspondaient à autant de brisures, d’abord pressenties,
puis subies. »[DE, p.84].
« Ces barreaux invisibles » ayant pour effet d’engloutir
l’homme dans la brume qui impose l’image d’un monde
flou, voire inquiétant. Le brouillard prend ainsi une forme
troublante, voire blessante car sous son effet, la fenêtre
qui donne sur l’irréel devient peu nette et cause des plaies
à celui qui veut s’en approcher. Le brouillard pourrait être
dangereux ; au-delà du brouillard, c'est encore
- 13 -
le brouillard, c’est-à-dire l’imprécision et l’indécision.
L’homme se trouve donc séparé de son rêve de percer le
mystère et de reconstruire la tangibilité en le rendant
comme vrai. Et pour réaliser son but, il doit avoir une
transparence quasi liquide comme l’eau et par conséquent,
il acquiert sa force pour briser « ces barreaux invisibles ».
Et par « l’évidence d’une expérience adéquate à l’objet
jugé comme « vrai » »1, l’homme arrive à une
transparence de soi. C’est pour cela que Henein « jette sur
les êtres un brouillard lumineux. »2
D’une part, ils voient que les mauvaises conditions de
visibilité préparent l’apparition de l’irréalité, de
l’esthétique de la transparence. Voilà donc, « le brouillard
est censé précéder les révélations importantes ; c’est le
prélude à la manifestation. »3
D’autre part, le brouillard a une couleur grise, c’est la
couleur de la poussière à partir de laquelle l’être humain
fut créé. Cette teinte désigne l’essence de l’homme car
c’est la première couleur « qui est perçu[e] en premier
lieu »4 par le nouveau-né. Voilà pourquoi, ces êtres
(
1) BLAY, Michel (dir.) : Grand Dictionnaire de la philosophie, Montréal,
Canada, Larousse-CNRS Éditions, 2005, p.1084.
(2) NADEAU, Maurice : « Hommages et études, Georges Henein » in Le Pont de
l’épée, n° 71-72, Paris, 1981, p.41.
(3) CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain : op.cit, p.150.
(4) Ibid., p.487.
- 14 -
s’attachent à atteindre la transparence de soi à travers le
brouillard qui leur permet d’avoir une voyance, une
distillation qui se sublime en la transparence proclamée.
D’ailleurs, la notion de transparence est primordiale
dans l’accomplissement du reflet et c’est à travers le
miroir que l’être hénénien trouve une autre source de
communication avec l’irréel. Il lui offre « une image du
monde, une matière dématérialisée »1. La traversée du
miroir représente alors la rupture avec les apparences. Et
si jamais la rupture ne se réalise pas, c’est parce que « les
apparences sont transpercées par le regard surréaliste. »2
Elle indique aussi le passage vers l’immatériel. « Ainsi ce
qui est à l’intérieur du miroir est-il une autre réalité, […],
celle-là même que tentent d’atteindre les surréalistes. »3
Henein, en effet, a joué un rôle pour mettre en lumière
le miroir comme un seuil vers l’inconnu : « et s’il reste
quelque part un miroir de secours/ où l’on cesserait enfin
de se voir/ où l’on verrait plus loin que soi » [FS in
Œuvres, p. 91]. Le miroir n’est donc pas seulement un
objet accessoire qui permet au visage de se voir. C’est un
(
1) TODOROV, Tzvetan: Introduction à la littérature fantastique, Paris, du Seuil,
Coll. « Poétique », 1970, p.128.
(2) PASSERON, René : Encyclopédie du surréalisme, Paris, Somogy, 1977, p.74.
(3) CLÉBERT, Jean-Paul : Dictionnaire du surréalisme, Paris, Seuil, septembre
1996, p.390.
- 15 -
champ spéculaire qui se présente comme un espace de
connaissance, d’un monde dont nous ignorons l’existence.
Voilà pourquoi, le miroir est « l’instrument de
l’Illumination »1. Mais est-ce qu’il y a une possibilité de
se perdre dans ce monde énigmatique ? Henein nous
répond que le « miroir où notre propre image nous sert de
garde-fou » [FS in Œuvres, p.125] nous aide à ne plus
nous y égarer.
Il est à rappeler que Nadja Ŕ qui donne son nom au titre
du texte bretonien Ŕ entraîne le poète dans des
déambulations à travers les rues de Paris. Cette femme
mystérieuse est considérée comme son guide car elle est le
miroir d’un monde dans lequel Breton découvre
l’inattendu, derrière le secret de ses « glaces sans tain » a.
Ce qui nous mène à dire que Nadja invite le poète à une
traversée du miroir qui l'emmène de l'autre côté de la
réalité, au-delà de la frontière qui sépare deux mondes, qui
distingue le réel de l’irréel.
Le miroir devient alors la première étape d'un voyage
hors du corps, dans un autre espace mystérieux. Or il est
important de signaler qu’il faut y dominer « un silence
transparent » [Œuvres, p.172]. Le silence donne l'illusion
(
1) CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain : op.cit, p.636.
(a) Terme emprunté du titre du premier texte : « La glace sans tain » qui ouvre le
recueil « Les champs magnétiques » in Œuvres complètes I, op.cit, pp.53-57.
- 16 -
d'une espèce de transparence sonore. Il est bien l’exercice
idéal pour acquérir une sincérité vis-à vis de soi-même.
En vérité, « [l]’idée que se fait Henein de la fonction du
poète doit beaucoup au surréalisme : traversée du miroir
pour dégager une réalité autre, mise en évidence de
l’invisible, dénonciation de l’ordre établi….. »1 . Mais
bien avant la « traversée du miroir », il faut rappeler la
conception du « stade du miroir », telle que l’a formulée
Lacan « comme une identification »2 à sa propre image.
L’homme a besoin pour pouvoir entretenir une relation
avec la nature et la réalité, de passer par le stade du miroir,
condition nécessaire d’une prise de compte de son propre
corps et de sa propre réalité. Le miroir permet ainsi de
construire une image à laquelle le « Je » peut s’identifier
et se reconnaître. Voici un exemple évocateur tiré d’Étude
physiologique du noumène :
« Chaque miroir impressionné a
instantanément produit un quart de noumène,
[…]. Voilà donc quatre quarts de noumène
surgis des profondeurs des quatre miroirs.
Chaque quart se dirigea vers le centre de la
(
1) HADDAD, Katia : La Littérature francophone du Machrek : anthologie
critique, Liban, Dar El Kotob, 2000, p.272.
(2) MIJOLLA, Alain de : Dictionnaire international de la psychanalyse, Paris,
Hachette littératures, 2005, p. 1134.
- 17 -
chambre […]. D’où un noumène entier… »
[Œuvres, p.181].
Le choix du concept philosophique du « noumène »
évoque l’idée de l’essence de l’homme puisque le
noumène est la « chose en soi »1 au sens kantien ou une
« essence intelligible »2 au sens platonicien. De même,
l’essence de l’être est une notion qui ne peut-être connue
que par l’esprit et l’intellect. Voilà pourquoi, l’essence de
l’homme doit être comprise dans la question de l’être ou
la « vérité de l’être » comme l’avait précisé Heidegger en
1938.3 Et cet exemple braque la lumière sur le miroir et
son influence sur la création du « noumène entier ». Ce
faisant, cet instrument optique est considéré non
seulement comme un réflecteur mais aussi comme
créateur de l’image de soi.
L’homme, regardant son image reflétée dans le miroir,
voit le contenu de son cœur. Cette vision lui permet de
percer les secrets de son âme et d’en connaître le tréfonds.
Le miroir, sans être narcissique, devient ainsi pour
l’homme son œil critique qui lui permet de voir
distinctement sa propre âme et d’avoir la capacité de la
(
1) BLAY, Michel (dir.): op.cit, p.741.
(2) Cf. Ibid., p.560.
(3) Cf. COURTINE, Jean-François (dir.) : L’Introduction à la métaphysique de
Heidegger : « Études et Commentaires », Paris, Vrin, 2007, pp.45, 46.
- 18 -
juger. Ce qui affirme que le miroir « est un symbole de
pureté parfaite de l’âme, de l’esprit sans souillure, de la
réflexion de soi sur la conscience. »1 Dans le reflet
spéculaire, l’être peut accéder ainsi à la conscience de soi
en prenant appui sur la perception de l’image. Alors, le
sujet peut voir son visage. Il devient un être visible pour
lui-même, c’est-à-dire un sujet « visagé », ouvrant à la
conscience la possibilité de s’« envisager », autrement dit
de mieux se connaître dans sa relation au monde et à
autrui. Cela nous mène à citer l’œuvre de Naguib
Mahfouz intitulée Miroirs2. Ce texte pourrait être
considéré comme une « autobiographie romancée »3
puisque « c’est sa propre vérité que recherche l’écrivain :
c’est une quête de soi à travers les Autres »4. Dans ces
Miroirs, nous voyons défiler une cinquantaine de portraits
de toute une génération d’amis, des années 20 aux années
70. Et c’est à travers l'évocation de personnes qu'il a
connues, aimées ou simplement croisées au cours de sa
longue existence, que l’image de Mahfouz est reflétée.
(
1) CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain : op.cit, p.637.
(2) MAHFOUZ, Naguib : Miroirs, traduit par Najet Belhatem, Paris, Edition de
Poche, 4 Février 2009, 432 p.
(3) FARID, Amal : Panorama de la littérature arabe contemporaine, Caire :
organisation égyptienne générale du livre, 1978, p.32.
(4) Ibidem
- 19 -
Il est à noter que Lacan distingue, en effet, entre l’autre
avec un petit « a » qui réfère à l’altérité imaginaire, à
autrui comme semblable et L’Autre, en majuscule, qui
désigne une altérité absolue et irréductible, celle de
l’inconscient par exemple :
« Le premier, l’autre avec un petit a, est
l’autre imaginaire, l’altérité en miroir, qui
nous fait dépendre de la forme de notre
semblable. Le second, l’Autre absolu, est
celui auquel nous nous adressons au-delà
de ce semblable, celui que nous sommes
forcés d’admettre au-delà de la relation du
mirage, celui qui accepte ou qui se refuse
en face de nous, celui qui à l’occasion
nous trompe, dont nous ne pouvons jamais
savoir s’il ne nous trompe pas, celui
auquel nous nous adressons toujours »1.
Si cet objet spéculaire échoue à refléter Autrui, le miroir
devient ainsi aveugle. Cela nous rappelle le poème intitulé
« Le Miroir » dans Le Fou d’Elsa d’Aragon où s’exprime
une réelle déclaration d’amour : « Je suis ce malheureux
comparable aux miroirs/Qui peuvent réfléchir mais ne
(
1) LACAN, Jacques : Le Séminaire : Livre III : Les psychoses (1955-1956),
texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, Coll. « Le Champ freudien »,
1981, pp.286-287.
- 21 -
peuvent pas voir/Comme eux mon œil est vide et comme
eux habité/ De l'absence de toi qui fait sa cécité. »1
Mais en général, le miroir reflète d’une part notre
image telle qu’elle. À titre d’exemple, le héros de La vie
creuse, qui était flétri sur sa chaise d’une « manière
humiliante » [NPI in Œuvres, p. 205], a déplacé le miroir
qui lui fait face pour éviter de se voir dans une telle
posture. Cet outil le montre dans la triste réalité car il ne
ment pas, n’embellit jamais.
D’autre part, le miroir peut donner une image émanant
de la profondeur de l’être. En se regardant dans le miroir,
Lil est fascinée par le « reflet de son visage qui brûlait. »
[NPI in Œuvres, p. 236]. Puisque la silhouette de cette
femme est « comme une petite fumée » [Ibidem], nous
devinons donc que son cœur est une flamme qui s’y
réfléchie et redonne une figure brûlée de son visage.
Le miroir peut ainsi fasciner ou tromper. Il peut être
mensonger et illusoire. « Nous rions de reconnaître notre
image dans des miroirs parjures. Il suffit d’un modeste
effort de conscience pour que l’être se rouille ; c’est là le
moment miraculeux de l’existence, - celui où l’on devient
un corps étranger. » [NPI in Œuvres, p.249]. Donc, c’est
(
1) ARAGON, Louis : Le Fou d'Elsa, Paris, Gallimard, 2002, p.87.
- 21 -
un miroir déformant, anormal qui nous procure une
étrange et inopinée rencontre avec nous-mêmes à tel point
que nous ne nous reconnaissons pas. Et si le Moi veut
s’échapper du miroir, cette prison de verre, cela se fait
après de grands chantages. Dès que le héros de Far Away
est entré dans le « Grand Hôtel », il s’est trouvé entouré
d’ « énormes glaces rongées par l’exil » [NPI in Œuvres,
p.198]. Soudainement « l’ENFIN MOI » [Ibidem] s’est
dégagé de lui-même après avoir attendu que « cessât la
surenchère engagée par les glaces autour de sa personne. »
[Ibidem]. Cet homme était prisonnier d’une galerie de
miroirs qui devient un lieu de l’illusion, de la tromperie et
du paraître, du moment qu’il donne à voir les choses à
l’envers. Dans ce point, l’œuvre de Henein nous semble
influencée par celle de Matta, le peintre surréaliste
chilien « dont les toiles deviendront selon Marcel Jean
des « Labyrinthes de Verre » dont les « habitants »
chercheront en vain à s’évader »1.
Il est à rappeler qu’Aragon dans La mise à mort,
s'interroge sur le miroir qui est à la fois dans le roman, un
révélateur et un écran, c'est à dire que « ce que cet écran
révèle peut être à la fois reflet, transparence ou masque
[…], le miroir pouvant aussi bien être obscur que
(
1) DUPLESSIS, Yvonne : Le Surréalisme, Paris, Presses Universitaires de
France, 2002, p.69.
- 22 -
lumineux, servant aussi bien à montrer, qu'à déformer, à
cacher. »1
Pour Henein, il va jusqu’à déclarer qu’ « [i]l faut être
laid pour user du miroir, ce revolver des naufragés. » [EF,
p.188]. Cet instrument de mort qui piège les âmes dans sa
mer ténébreuse n’est, en effet, que le reflet de l’âme
affreuse, hideuse qui regarde le miroir.
Il est à noter que le miroir opaque n’est pas le seul
moyen de terreur car nous pouvons mentionner, par
exemple, que contrairement à ce que nous attendons, la
transparence est effrayante chez Jules Supervielle :
« Le ciel est effrayant de transparence,
Le regard va si loin qu'il ne peut plus vous revenir.
Il faut bien le voir naufrager
Sans pouvoir lui porter secours. »2
Ici, le ciel, cet élément naturel, devient une source de
frayeur, alors il n’est pas étonnant que le miroir, cet
élément artificiel, devient comme outil de souffrance, de
torture et de cruauté :
(
1) ARAGON, Louis : La mise à mort, Paris, Gallimard, Coll. « Folio », 1973, p.
506.
(2) SUPERVIELLE, Jules : Gravitations précédé de Débarcadères, Paris,
Gallimard, 1982, p. 148.
- 23 -
« [L]es visages qu’elle [la lumière du matin] éclaire/n’ont
plus de regard que pour eux-mêmes/et leur miroir n’est
pas celui de la pitié. » [FS in Œuvres, p.122].
Or Henein nous lance l’espoir en témoignant que même
dans les écrits de Kafka « l’individu a touché au plus
creux de la vague, au plus sombre du miroir et, peut-être
qu’armé de l’image même de l’absurde triomphant,
s’apprête-t-il à une clarté nouvelle. » [EF, p.61]. Donc,
nous pouvons dire que l’opacité est indissociable de la
transparence car celle-ci « naît d’une opacité
dématérialisée »1 qui fait spiritualiser et non pas bloquer
ou cacher.
À vrai dire, l’opacité est inséparable, cependant, de
l’hermétisme qui « a servi de culte au surréalisme depuis
Les Champs Magnétiques, premier document surréaliste,
jusqu'au dernier recueil d'essais d'André Breton, paru
sous le titre cryptographique de La Clé des Champs »2.
Breton revendique même de « pur ombrage » pour arriver
à la « clarté » :
« Si péché il y eut, c’est quand l’esprit saisit
ou crut saisir la pomme de la « clarté »! Au
(
1) TSATSAKOU, Athanasia : La Terre-Ciel de Paul Eluard : une sur-réalité,
thèse de doctorat, l’Université Aristote, 1990, p.395. (http://thesis.ekt.gr/1279).
(2) BALAKIAN, Anna : « André Breton et l'hermétisme : Des "Champs
magnétiques" à "La Clé des champs" » in Cahiers de l'Association internationale
des études françaises, Vol. 15, N°1, Paris, AIEF, 1963, p.127.
- 24 -
dessus de la pomme tremblait une feuille plus
claire, de pur ombrage. […] ! Le désir de
comprendre, que je n’ai pas l’intention de
nier, a ceci de commun avec les autres désirs
que pour durer il demande à être
incomplètement satisfait »1 .
C’est peut-être pour cette raison que nous trouvons chez
Henein, « cette obscurité signifiante »2. C’est un travail de
réflexion qui l’éloigne de la transparence morne et
monotone qui le plonge dans la désolation. Notre écrivain
vise alors à la transparence de l’obscur, celle de l’au-delà
et de l’irréel. C’est pourquoi, nous pouvons « voir dans le
miroir de Henein, [une] fenêtre ouverte sur le vide
intérieur »3. Cette vacuité nous rapproche de la
transparence désirée. Et « cette pensée atteignant à la
transparence »4 , comme nous dit Bonnefoy de son ami
Henein, réclame « la transparence illimitée de la raison »
[DE, p.19]. Toute raison qui tire seulement d’elle - même
ses principes et ses lois - est erronée. C’est une « raison
constituée »5, prisonnière de sa « subjectivité »
5 qui se
(
1) BRETON, André : « Pourquoi je prends la direction de la révolution
surréaliste » in La Révolution surréaliste, n04, Paris, Gallimard, 1925, p.2.
(2) KOBER, Marc : "Georges Henein : une poétique de la ténuité", op.cit, p.234.
(3) HADDAD, Katia : La Littérature francophone du Machrek : anthologie
critique, op.cit, p.268.
(4) BONNEFOY, Yves : Le Nuage rouge, Paris, éd. Mercure de France, 1977,
p.292.
(5) BLAY, Michel (dir.) : op.cit, p.889.
- 25 -
limite au calcul des intérêts ; par conséquent, la
connaissance est indépassable et bornée. Alors ce que
Henein aspire plus ou moins , c’est la « raison
constituante, pérenne, qui n’est rien que l’esprit humain
avec ses grands principes, actifs en tous temps et en tous
lieux, valables inconditionnellement et
intemporellement. »1 Nous pouvons dire que c’est une
raison triomphante qui invite au courage de la vérité et de
lucidité. Cette clarté de la raison est formée ainsi de
cristaux, qui « représent[ent] le plan intermédiaire entre
la visible et l’invisible »2 donne aux hommes des « crânes
vitrifiés »3 qui les aide à comprendre la réalité et la nature
de l’irréel. Donc, la limpidité de la raison devient un
moyen et un but cognitif à la compréhension de l’irréel.
Par conséquent, nous pouvons signaler que Henein est
pour les « crânes vitrifiés » mais contre « la vitrification
de l’être »4 car lui et ses amis « [t]ous furent le miroir
d'une «trop discrète présence» »5 . Son rêve est peut-être
comme « [l]e rêve de Jünger de fomenter en soi un être de
(
1) Ibidem
(2) CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT, Alain : op.cit, p. 314.
(3) CLÉBERT, Jean-Paul :op.cit, p.580.
(4) CARROUGES, Michel : André Breton et les données fondamentales du
surréalisme, Paris, Gallimard, « Idées », 1950, p.88.
(5) RONDEAU, Daniel: "Georges Henein, écrivain de nulle part" in L'Express,
publié le 26/01/2006 in http://www.lexpress.fr/culture/livre/uvres_821029.html
- 26 -
serre qui s’éveillerait un beau matin tout imprégné d’un
obscur pouvoir intimidant. » [EF, p.35]. Ici, cet « obscur
pouvoir intimidant » veut dire une capacité de percer
l’occultation de l’au-delà ; ce qui exige un courage
d’aventurier qui ne s’effraye de rien pour accéder à la
transparence parfaite. Celle-ci est incarnée dans le cristal
et le diamant qui se manifestent dans les textes de Henein
soit comme symbole de beauté : « son beau visage de
cristal brisé » [SPO in Œuvres, p.70] ; soit comme
symbole de translucidité représentée par une femme-
diamant qui facilite l’apparition de l’irréel et la révélation
de soi : « une de ces femmes au diamant rentré » [NPI in
Œuvres, p.203].
D’ailleurs, dans Le signe le plus obscur, Henein évoque
le « diamant rétif » a [Œuvres, p. 110] ainsi que « le cristal
rebelle/lavé d’une seule larme » [Œuvres, p.152] pour
montrer que ces deux minéraux purs sont dignes de notre
admiration. Leur clarté éblouissante n’empêche qu’ils sont
des corps solides comme des roches ; ce qui leur ajoute
d’autres caractéristiques que sont la solidité et
l’impénétrabilité. Et si Henein, « ce formidable rêveur
(a) Il est à citer également que dans Les Mots de Sartre, il mentionne « la
transparence incompressible du diamant » in SARTRE, Jean-Paul : Les Mots,
Barcelone, Novoprint, 2010, p. 77.
- 27 -
taille ses diamants dans la lucidité »1, nous trouvons que
dans la transparence de ses cristaux, les idées y jaillissent,
s’y rencontrent, s’y réfléchissent, comme des rayons
lumineux. André Breton n’a-t-il pas fait l’éloge du cristal,
produit de la cristallisation, qui est encore signe de
perfection :
« Nul plus haut enseignement artistique ne
me paraît pouvoir être reçu que du cristal.
L’œuvre d’art, au même titre d’ailleurs
que tel fragment de la vie humaine
considérée dans sa signification la plus
grave, me paraît dénuée de valeur si elle
ne présente pas la dureté, la rigidité, la
régularité, le lustre sur toutes ses faces
extérieures, intérieures, du cristal »2.
Il est vrai qu’« [a]u cristal, figure objectivement
structurée, s’associent les effets de sens /unité/
[…]/identité/, /fixité/. »3 Nous ajoutons que s’attachent
parallèlement au cristal d’autres effets ou concepts
savoir ; /variété/altérité/multiplicité/. Nous voyons que
(
1) JAY, Salim: “Comment l’Egyptien Georges Henein dénonçait le prestige de
la terreur" in Le Soir, 3 mai 2010 in http://www.lesoir-
echos.com/2010/05/03/salim-jay-comment-l%E2%80%99egyptien-georges-
henein-denoncait-le-prestige-de-la-terreur/ (
2) BRETON, André : L’Amour fou, op.cit, pp.16, 17, repris dans Œuvres
complètes II, p.681.
(3) BALLABRIGA, Michel : Sémiotique du surréalisme : André Breton ou la
cohérence, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1995, p.67.
- 28 -
malgré « l’immutabilité du cristal »1 - par sa forme
externe dure - sa transparence, qui est aussi une de ses
propriétés, peut refléter ce que nous désirons du Moi, tout
en établissant des relations avec un autre monde, celui de
l’irréel. Autrement dit, cette transparence fournit
l’occasion à l’imagination d’exercer sa liberté de créer des
figures irréelles nées de la contemplation interne du cristal
qui nous donne ainsi des formes variées et multipliées
selon notre désir. Et à travers cet élément qu’est le cristal
s’exerce « la quête dans l’en deçà et l’au-delà des
figures. »2 Et pour plus de clarté, voilà une figure
illustrative résumant ce qui est déjà dit là-dessus :
(
1) Ibid., p.65.
(2) Ibid., p.69.
Cristal
Variété Unité
Identité
Fixité
Altérité
Multiplicité
- 29 -
En somme, nous avons exposé des éléments qui
représentent le degré de transparence ou de dissimulation
qui s’élève des racines, de l’enfoui vers la transparence de
soi et de l’irréel :
-Cristal/Diamant
-Miroir
-Brouillard
-Rideau
Or malgré cette gradation que nous voyons sur ce
schéma proposé, nous pouvons constater que l’opposition
tranchante entre opacité et transparence est inopérante. En
vérité, le garant de transparence de soi et de l’irréel
provient de la tentative de dévoilement de l’opacité.
Henein a pu manier des objets qui reflètent les « plus
profonds remous du "courant de conscience" ou
"d'inconscience" »1 de ses êtres. Commençant par le
rideau, médiatisant du désir puis le brouillard, lieu de
perdition et de quête ontologique et métaphysique ensuite,
le miroir qui reflète une image inversée de choses, qui
déconstruit le réel mais en même temps le reconstruit
(
1) GENETTE, Gérard: Figures III, Paris, Seuil, 1972, p.199.
Transparence
Opacité
- 31 -
autrement produisant ainsi une revendication de la
transparence lumineuse pour éclairer le chemin vers la
connaissance de soi et de l’irréel à laquelle le cristal
donne enfin tout son éclat. Donc, dans cet accord de
transparence et de profondeur que l’esprit ressent et
découvre.
Bref, tout en fouillant de plus en plus dans l’écriture
hénénienne et dans sa complexité, nous pouvons
découvrir un éclat diamantaire des mots et des propriétés
de la limpidité et de transparence qui s’en resurgissent,
caractérisant ainsi son style et son œuvre et supposant la
promesse d'un autre monde à venir, d'une irréalité toute
proche.
- 31 -
BIBLIOGRAPHIE
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- Deux effigies, Genève, Puyraimond, 1978, 143
p.
- L’Esprit frappeur, (Carnets 1940-1973),
Postface par Eric Bourde, Paris, Encres, 1980,
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- Œuvres : Poésies, récits, essais, articles et
pamphlets, Edition établie par Pierre Vilar ;
avec la collaboration de Marc Kober et Daniel
Lançon, Paris, Denoël, 26/01/06,1026 p.
II) Autres Œuvres :
- ARAGON, Louis :
La mise à mort, Paris, Gallimard, Folio,
1973, 526 p.
Le Fou d'Elsa, Paris, Gallimard, 2002, 549 p.
- BRETON, André :
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1971,17o p.
Les Vases communicants, Paris, Gallimard,
(Mayenne, impr. J. Floch), 1985, 179 p.
L’Amour fou, Paris, Gallimard, (Mayenne,
impr. J. Floch), 1986, 175 p.
- 32 -
Œuvres complètes I, éd. Marguerite Bonnet,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
1988, 1798 p.
Œuvres complètes II, éd. M. Bonnet,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
1992, 1857 p.
Œuvres complètes III, Gallimard, Bibliothèque
de la Pléiade, 1999, 1492 p.
Nadja, Paris, Gallimard, 2004, 215 p.
- MAHFOUZ, Naguib : Miroirs, traduit par
Najet Belhatem, Paris, Edition de Poche, 4
Février 2009, 432 p.
- SARTRE, Jean-Paul : Les Mots, Barcelone,
Novoprint, 2010, 212 p.
- SUPERVIELLE, Jules :
En songeant à un art poétique, Paris, Gallimard,
1968 (1951), 76 p.
Gravitations précédé de Débarcadères, Paris,
Gallimard, 1982 (1925 et 1922), 214 p.
III) Ouvrages consacrés intégralement ou
partiellement à Henein :
- BONNEFOY, Yves : Le Nuage rouge, Paris, éd.
Mercure de France, 1977, 373 p.
- 33 -
- HADDAD, Katia : La Littérature francophone du
Machrek : anthologie critique, Liban, Dar El Kotob,
2000, 381 p.
IV) Ouvrages et études sur le Surréalisme :
- BALAKIAN, Anna : « André Breton et
l'hermétisme : Des "Champs magnétiques" à
"La Clé des champs" » in Cahiers de
l'Association internationale des études
françaises, Vol. 15, N°1, Paris, AIEF, 1963,
pp. 127-139.
- BALLABRIGA, Michel : Sémiotique du
surréalisme : André Breton ou la cohérence,
Toulouse, Presses universitaires du Mirail,
1995, 368 p.
- BAUDE, Jeanne-Marie : « Transparence et
opacité dans la poésie d’André Breton »
in Mélusine, n°2, Lausanne, L’Âge d’Homme,
1981, pp. 117-129.
- CARROUGES, Michel : André Breton et les
données fondamentales du surréalisme, Paris,
Gallimard, « Idées », 1950, 334 p.
- DUPLESSIS, Yvonne : Le Surréalisme,
Paris, Presses Universitaires de France, 2002,
127 p.
- 34 -
- MOURIER-CASILE, Pascaline : André
Breton, Nadja, Paris, Gallimard, 1994, 254 p.
- NAVILLE, Pierre & PÉRET, Benjamin : La
Révolution surréaliste, n04, Paris, Gallimard,
1925, 32 p.
- VASSEVIÈRE, Maryse : La Fabrique
surréaliste, Paris, Association pour l’étude du
surréalisme et les auteurs, 2009, 308 p.
V) Ouvrages généraux :
- BACHELARD, Gaston : La Terre et les
rêveries du repos, Tunis, Cérès Éditions,
1996, 338 p.
- COURTINE, Jean-François (dir.) :
L’Introduction à la métaphysique de
Heidegger : « Études et Commentaires »,
Paris, Vrin, 2007, 240 p.
- GENETTE, Gérard: Figures III, Paris, Seuil,
1972, 286 p.
- LACAN, Jacques : Le Séminaire : Livre III :
Les psychoses (1955-1956), texte établi par
Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, Coll. « Le
Champ freudien », 1981, 362 p.
- 35 -
VI) Articles sur Henein :
- ALEXANDRIAN, Sarane et alii : « Hommages et
études, Georges Henein » suivi d’un choix de textes
et de poèmes in Le Pont de l’épée, n° 71-72, Paris,
1981, 181 p.
- BENNIS, Aziz : " André Malraux et Georges
Henein, une amitié sous le signe du sable " in La
Sœur de l'Ange, A quoi bon la lune ? n°6, Paris,
éditions Hermann, 2009, pp.198-206.
- BOISSON, Cristina Boidard : "La ville, creuset de
l’imaginaire dans l’œuvre de Georges Henein" in
Littératures Francophones, ed. Immaculada Linares,
València : Coleccio oberta. Départament de
filologia francesa i italiana, 1996, pp.155-160.
- BONNEFOY, Yves : "Georges Henein,
Désormais" in Georges Henein, Œuvres, Paris,
Denoël, 26/01/06, pp.11-17.
- CASSUTO-ROUX, Pascale:
"Georges Henein, une grande opacité veille sur les
êtres" précédé d’ "Extraits d’un carnet manuscrit
daté de 1958" par Georges Henein in Le Nouveau
Recueil n°79, éditions Champ Vallon, juin-août
2006, pp.163-187.
- 36 -
" Fiction et subversion chez Georges Henein " in La
Sœur de l'Ange, A quoi bon la lune ? n°6, Paris,
éditions Hermann, 2009, pp.183-187.
- FERNIOT, Christine: "Chroniques égyptiennes" in
Lire N° 343 du 01/03/2006 in
http://www.lexpress.fr/culture/livre/uvres_811021.h
tm
- HADDAD, Katia: "Regarder depuis les rebords du
monde : Le Seuil interdit, de Georges Henein" in
http://homepage.mac.com/chemla/fic_doc/henein01
.html Mise à jour le 24/01/09.
- JAY, Salim: “Comment l’Egyptien Georges Henein
dénonçait le prestige de la terreur" in Le Soir, 3
mai 2010 in http://www.lesoir-
echos.com/2010/05/03/salim-jay-comment-
l%E2%80%99egyptien-georges-henein-denoncait-
le-prestige-de-la-terreur/
- KOBER, Marc :
"Les silences de monsieur Henein" in Gallia n°33,
Bulletin de la Société de langue et littérature
françaises de l’université d’Osaka, 1993, pp.60-71.
« Georges Henein : une poétique de la ténuité » in
Mélusine, n°16, Lausanne, éditions de l’Age
d’Homme, 1997, pp.233-245.
- 37 -
"La Part du sable (Michaux et Henein)" in
Henri Michaux, corps et savoir par Jean-Michel
Maulpoix et Pierre Grouix, Lyon, E.N.S. éditions,
1998, pp. 325-343.
« À l’intersection des voix : Henri Calet et Georges
Henein » in Europe, numéro 883-884, numéro
spécial « Henri Calet», sous la direction de Pierre
Vilar, Paris, novembre - décembre 2002, pp.101-
111.
- RONDEAU, Daniel: "Georges Henein, écrivain de
nulle part" in L'Express, publié le 26/01/2006 in
http://www.lexpress.fr/culture/livre/uvres_821029.h
tml
VII) Dictionnaires :
- BLAY, Michel (sous la direction de) : Grand
Dictionnaire de la philosophie, Montréal,
Canada, Larousse-CNRS Éditions, 2005, 1105
p.
- CHEVALIER, Jean & GHEERBRANT,
Alain : Dictionnaire des Symboles, Paris,
Robert Laffont / Jupiter, Coll. « Bouquins »,
1986, 1060 p.
- 38 -
- CLÉBERT, Jean-Paul : Dictionnaire du
surréalisme, Paris, Seuil, septembre 1996, 608
p.
- MIJOLLA, Alain de : Dictionnaire
international de la psychanalyse, Paris,
Hachette littératures, 2005, 2122 p.
- PASSERON, René : Encyclopédie du
surréalisme, Paris, Somogy, 1977, 288 p.
VIII) Thèses:
- TAKLA, Adel : La condition humaine chez
Georges Henein, thèse de doctorat, université Ain
Ŕ chams, 1981.
- TSATSAKOU, Athanasia : La Terre-Ciel de Paul
Eluard : une sur-réalité, thèse de doctorat,
l’Université Aristote, 1990,
(http://thesis.ekt.gr/1279).