39

L'Orient à Vienne au dix-huitième siècle (Oxford University Studies in the Enlightenment, 5)

Embed Size (px)

Citation preview

L’ORIENT A VIENNE

AU DIX-HUITIEME SIECLE

OXFORD UNIVERSITY STUDIES IN THE ENLIGHTENMENT

– formerly Studies on Voltaire and the Eighteenth Century (SVEC),is dedicated to eighteenth-century research.

General editorJonathan Mallinson, Trinity College, University of Oxford

Editorial boardWilda Anderson, Johns Hopkins University

Matthew Bell, King’s College LondonMarc Andre Bernier, Universite du Quebec a Trois-RivieresNicholas Cronk, Voltaire Foundation, University of Oxford

Dan Edelstein, Stanford UniversityRebecca Haidt, Ohio State University

Colin Jones, Queen Mary, University of LondonMark Ledbury, University of Sydney

Francesca Savoia, University of PittsburghJ. B. Shank, University of MinnesotaCeline Spector, Universite Bordeaux 3Joanna Stalnaker, Columbia University

Karen Stolley, Emory UniversityW. Dean SutcliÄe, University of AucklandAlexis Tadie, Universite de Paris-Sorbonne

Stephane Van Damme, European University Institute

http://www.voltaire.ox.ac.uk/www_vf/svec/svec_board.ssi

Senior publishing managerLyn Roberts

The Voltaire Foundation is a department of the University of Oxford.It furthers the University’s objective of excellence in research,

scholarship and education by publishing worldwide.

L’ORIENT A VIENNE

AU DIX-HUITIEME SIECLE

DAVID DO PACO

VOLTAIRE FOUNDATION

OXFORD

www.voltaire.ox.ac.uk

# 2015 Voltaire Foundation, University of OxfordISBN 978 0 7294 1163 9

Oxford University Studies in the Enlightenment 2015:05ISSN 0435-2866

Voltaire Foundation99 Banbury Road

Oxford OX2 6JX, UKwww.voltaire.ox.ac.uk

A catalogue record for this book is available from the British Library

The correct style for citing this book isD. Do Paco, L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle, Oxford UniversityStudies in the Enlightenment (Oxford, Voltaire Foundation, 2015)

Cover illustration: Die Schlag Brucke, gravure de Johann Ziegler,1780 (ONB, Bildarchiv, NB 200.334-C).

FSC1 (the Forest Stewardship Council) is an independent organization established topromote responsible management of the world’s forests.

This book is printed on acid-free paperPrinted in the UK by TJ International Ltd, Padstow, Cornwall

OXFORD UNIVERSITY STUDIES IN THE ENLIGHTENMENT

L’ORIENT A VIENNE AU DIX-HUITIEME SIECLE

L’Orient joue un role essentiel dans l’histoire urbaine de Vienne au dix-huitieme siecle: c’est une route commerciale, une communautemarchande et un outil de gestion administrative. David Do Paco analyseici la place centrale qu’occupent les marchands et les diplomates otto-mans dans la ville. Il adopte une approche administrative, sociale eturbaine qui replace les etrangers dans la diversite de leurs conditionssociales et de leurs identites religieuses. Rompant avec l’etude desdiasporas et des diÄerences, il privilegie l’analyse des interactions et dela continuite. Il montre comment les marchands ottomans parviennent abriser le monopole commercial de la bourgeoisie viennoise et abeneficier du soutien des diplomates ottomans, devenus eux-memesacteurs a part entiere de la cour imperiale viennoise. Il devoile aussi laguerre a mort livree au sein d’une nouvelle elite de gouvernement pourle controle des ‘aÄaires turques’ et l’acces aux ressources oÄertes par lemonde ottoman. Les oppositions entre la cour et la ville, le centre et lesperipheries, les sujets naturels et les etrangers, se trouvent bouleversees.En pratiquant une histoire urbaine globale, David Do Paco demontreque la presence ottomane installe Vienne au centre de l’Europe du dix-huitieme siecle.

Social history / urban history / oriental studies

Histoire sociale / histoire urbaine / orientalisme scientifique

v

Table des matieres

Liste des illustrations et tableaux ix

Remerciements xi

Abreviations xiii

Introduction: la ou disparaissent les diasporas 1

1. Un enlevement au serail: contexte sociopolitique del’orientalisme viennois 19

i. Un transfert de competence 21

ii. Les carrieres orientales 32

iii. Une guerre de serail 41

2. Les trois cles de l’Orient: outils d’une gestion administrative 55

i. Controler une competence: l’Academie orientale 57

ii. Negocier et controler: la diplomatie en ville 65

iii. La regulation d’un commerce ‘libre, sur et paisible’ 75

3. Identites viennoises: ‘la patrie, la religion, la qualite et leveritable nom’ 85

i. Identifier les droits a la presence 88

ii. Confessionnalisations asymetriques et creation dereligions viennoises 94

iii. Identification individuelle et evaluation de la presence 108

4. Circulations et mobilites entre les empires: Vienne,peripherie ottomane integree 115

i. Le Turc, homme d’aÄaire de l’empereur 116

ii. Itineraires 126

iii. Compagnies et reseaux commerciaux 137

5. Une integration opportuniste: administrateurs, bourgeois etmarchands 149

i. D’une dissidence a l’autre 151

ii. Une communaute d’interets 163

iii. L’aÅrmation de la nation ottomane 176

vii

6. La sociabilite des petites douceurs: une elite transimperiale 187

i. Une micropolis surveillee 189

ii. L’etiquette espagnole et la maniere orientale 199

iii. Une gloire en partage 211

7. La ville revelee: radiologie de l’integration des hommes etdes espaces urbains 225

i. Une vie de faubourg 227

ii. L’Ottoman, acteur de la residentialisation de l’espacemunicipal viennois 241

iii. Une societe portuaire 250

Conclusion 263

Annexe: La ville de Vienne vers 1770 269

Bibliographie 273

Index 295

viii Table des matieres

Liste des illustrations et tableaux

Figure 1: Repartition des Ottomans selon la valeur de leurcommerce et par an. 109

Figure 2: Anciennete des marchands ottomans a Vienne partranche d’age. 111

Figure 3: Les familles ottomanes a Vienne en 1767. 113

Figure 4: Repartition des familles ottomanes recensees a Vienneen 1767 par ville d’origine. 127

Figure 5: Vienne et ses principaux faubourgs. 246

Figure 6a: L’espace marchand de Vienne. 270

Figure 6b: Plan de Vienne vers 1770. 271

ix

Remerciements

Ce travail est le resultat de nombreuses rencontres, de conseils etd’echanges. Je dois beaucoup a la confiance que m’a accordee ChristineLebeau, alors qu’en 2007 considerer l’Orient comme un objetpermettant de comprendre le fonctionnement de Vienne n’avait riend’evident. Son soutien et ses conseils toujours justes m’ont ete plus queprecieux. Je suis aussi redevable a Jocelyne Dakhlia et Wolfgang Kaiserqui, a plusieurs reprises, m’ont oÄert de porter mon regard sur unmonde mediterraneen auquel Vienne n’est finalement pas si etrangere.Je suis reconnaissant a Lucien Bely et Bernard Heyberger pour leurcuriosite et l’interet qu’ils portent a cette recherche, ainsi qu’a WolfgangSchmale pour ses conseils, sa disponibilite et son accueil toujoursbienveillant a Vienne.Ce livre est egalement le produit de rencontres qui ont jalonnees

toutes mes annees d’etudes. En ce sens, je ne saurais trop remercier monprofesseur d’histoire d’hypokhagne et de khagne, Yves Verneuil, pourl’enseignant remarquable qu’il est. Je remercie Claude Michaud dem’avoir donne les cles de la monarchie des Habsbourg, Nicole Lemaıtrepour ses conseils precieux et, je crois, son aÄection.Dans ces annees desolantes pour les ressources humaines de

l’Universite, le temps necessaire a la realisation de ce livre a ete rendudisponible grace aux conditions de travail oÄertes par le Programmepost-doctoral Max Weber de l’Institut Universitaire Europeen et lapolitique de bien commun qu’il entend mener. Je garde l’espoir qu’ilsaura toujours valoriser les travaux des theses europeennes dans leursdiversites intellectuelle et linguistique.Les encouragements de Thierry Amalou, de Derek Beales, de Christine

Ducourtieux, d’Eric Dursteler, de Marie-Elizabeth Ducreux, de ClaireGantet, d’Antoine Gautier, de Frederic Hitzel, de Nicole Reinhardt, deSusanne Rau, d’Ann Thomson, de Stephane Van Damme et de JakobVogel ont beaucoup compte.Ce livre est aussi le fruit d’echanges stimulants avec Guillaume Calafat,

Mathieu Grenet, Eric Hassler, Tijana Krstic, Benjamin Landais, MathildeMonge, Johann Petitjean, Cedric Quertier et Roberto Zaugg. Il ne sauraitetre suÅsant pour payer la dette que je dois au soutien sans condition demes proches, auxquels il est entierement dedie.

xi

Abreviations

ASV Archivo di Stato di Venezia

AZA OeStA, HHStA, Reichshofrat – Artze- undArzneiprivilegien

HHStA Haus-, Hof- und Staatsarchiv, Staatenabteilungen

IfG Institut fur Geschichte

IfOG Institut fur Osteuropaische Geschichte

KLA Finanz- und Kommerz, Commerz, Litorale Akten

KONO Finanz- und Kommerz, Ober- und Niederosterreich

NA The National Archives, Foreign OÅce and Foreignand Commonwealth OÅce

OA OStA, HHStA, Staatskanzlei, OrientalischeAkademie

OeStA Osterreichisches Staatsarchiv

ONB Osterreichische Nationalbibliothek

OTGKH Obersthofmeisteramt, Tripoliner Gesandschaft amKaiserlische Hof, 1750

SLAW Stadt- und Landesarchiv Wien

SP Secretary of Sate, Sate Papers foreign

WD Osterreichisches Nationalbibliothek, WienerischesDiarium

WZ Osterreichisches Nationalbibliothek, Wiener Zeitung

xiii

Introduction: la ou disparaissent les diasporas

En 1783, depuis l’auberge viennoise ou il dıne, Kaspar Riesbeck decritune population dense et diverse, parmi laquelle s’active unemultitude demarchands turcs, raciens, pandoures et cosaques. Ce regard bourgeoisouvre une fenetre sur un monde dedaigne avant lui. Il inaugure, dans ladecennie du regne personnel de Joseph II (1780-1790), le souci depresenter Vienne autrement et de lui donner une histoire qui en feraitl’egale de Paris, de Londres, de Naples ou d’Istanbul. Le succes d’editioneuropeen de ses lettres fictives impose au publiciste Johann Pezzl ainsiqu’a l’editeur berlinois Friedrich Nicolai de revenir sur ces Turcs pre-sents dans la ville depuis longtemps deja. Dans son Etat present de la ville deVienne de 1787, le statisticien Ignaz De Luca fait meme des ‘Orientaux’l’une des sept composantes de la marchandise viennoise.1 A la scene deschamps de bataille, ou s’illustrait le prince Eugene, et a celle du Theatrede la cour, ou se produisait Mozart, il devient evident d’en reconnaıtreune troisieme a l’Orient viennois: celle des rues de la ville et de laResidence imperiale.Elle se dresse tout au long du regne de Marie-Therese (1740-1780). En

1765, son administration distingue ‘un commerce oriental’, qui s’eÄectue‘a travers la Turquie’, d’un ‘commerce levantin’, qui ne peut etre conduitpar les Ottomans que jusqu’a Trieste. Elle qualifie encore les marchandsempruntant la route orientale qui les mene a Vienne de ‘sujetsturcs’, souvent sans autre epithete. Ils y apportent et y vendent des‘marchandises orientales’, soit originaires de l’Empire ottoman. Cevocabulaire emerge des reaÅrmations successives du principe d’uncommerce ‘libre, sur et paisible’ par les traites de Karlowitz de 1699,de Passarowitz de 1718 et de Belgrade de 1739. La Residence imperialeest autant concernee que la ville par la presence ottomane. De 1739 a1792, s’y ouvre un moment privilegie de l’histoire de l’Orient a Vienne,marque par de longues annees de paix entre l’empereur et le GrandSeigneur. Les dernieres heures de regne de Charles VI (1711-1740) et lesquatre decennies glorieuses du regne de Marie-Therese voient encore se

1

1. Johann Kaspar, baron von Riesbeck, Briefe eines reisenden Franzosen uber Deutschland an seinenBruder zu Paris (Vienne, 1784), p.198-202; Johann Pezzl,Nouvelle Description de Vienne, capitalede l’Autriche (Vienne, 1818), p.190; Friedrich Nicolai, Beschreibung einer Reise durchDeutschland und die Schweiz im Jahre 1781 (Berlin, Nicolai, 1788), t.2, p.11-12 et t.3, p.171-72; Ignaz De Luca, Wiens gegenwartiger Zustand unter Josephs Regierung (Vienne, Wucherers,1787), p.101.

multiplier les ambassades ottomanes aupres de la cour.2 Vienne est alorsle poste avance de la diplomatie ottomane en Europe, grace a la com-petence de son Academie, des experts qui en sortent et des puissantsreseaux ministeriels au cœur desquels ils evoluent.3

Aussi, l’etude de l’Orient a Vienne nous permet-elle d’ecrire unehistoire de l’integration parallele, connectee et croisee des marchandset des diplomates ottomans dans la ville et la Residence imperiale. Elleest administrative, sociale et spatiale et nous conduit a souligner lepragmatisme des administrateurs de la monarchie et a nuancer lacritique saıdienne de l’orientalisme conquerant. Rompant avec l’histoiredes diasporas, elle invite a considerer des interactions entre marchands,administrateurs et diplomates de chaque empire. De plus, en deplacantnotre interet des problematiques communautaires a celles des logiqueset strategies d’integration des acteurs, il devient possible d’ecrire unehistoire, si ce n’est reconciliee du moins entiere, de Vienne associantses composantes municipales et residentielles, bourgeoises etaristocratiques, marchandes et politiques. Il s’agit de sortir de l’etudedu multiculturalisme, de la coexistence et de l’entretien memoriel desdiversites au profit d’une histoire de l’interaction et de la continuite, nonde la diÄerence.Cependant, le visage oriental de Vienne reste aujourd’hui confine

dans l’angle mort de trois historiographies distinctes. L’Orient reifiepar l’Occident est toujours apprehende a travers des grammairesculturalistes oscillant entre confrontation et tolerance et empechantde saisir les pratiques des acteurs dans leur banalite. La predominance del’histoire de la Residence et son corollaire, la dependance dudeveloppement de la ville aux logiques de la cour, limitent la possibilited’aborder Vienne dans son urbanite, c’est-a-dire comme un tout social.L’histoire des diplomates orientaux serait celle de la Residence, et celledes marchands ottomans resterait celle de la ville. Les deux mondesdemeureraient etanches. Enfin, le faible poids de l’histoire urbaineviennoise autorise une confiscation de l’histoire des ressortissantsottomans par des etudes particulieres, consacrees aux communautes

2 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

2. Stephane Yerasimos, ‘Explorateurs de la modernite: les ambassadeurs ottomans enEurope’, Geneses, sciences sociales et histoire 35 (1999), p.65-82 et ‘Le Turc a Vienne ou leregard inverse’, dans Kulturwissenschaft im Vielvolkerstaat. Zur Geschichte der Ethnologie undverwandter Gebiete in Osterreich, ca. 1780-1918, ed. Britta Rupp-Eisenreich et Justin Stagl(Vienne, 1995); Frederic Hitzel, ‘Sefaretname: comptes rendus des ambassadeurs ottomansen Europe’, dans Turcs et turqueries, XVIe-XVIIIe siecles, actes du colloque annuel del’Association des historiens modernistes des universites francaises, 20-21 janvier 2006(Paris, 2009), p.97-110.

3. David Do Paco, ‘Vienne, place politique orientale de l’Europe du XVIIIe siecle’, Austriaca74 (2013), p.59-78.

nationales et religieuses, si bien que le ‘marchand oriental’ de De Lucan’est toujours pas un objet historique en soi.

L’ennemi de pacotille

L’Orientmoderne deVienne est un element tout a la fois lie et exterieur ala ville. C’est celui du Turc incarne par sa menace familiere. Le siege de1529 fait entrer la residence du Habsbourg dans la periode moderne etl’Ottoman devient le pretexte d’une politique centralisatrice visant aconforter la domination de l’archiduc sur ses Etats.4 Le tribut annuel queSuleyman impose a Ferdinand Ier en echange de la sauvegarde de la villeforge un levier cameral, c’est-a-dire du developpement de son domainepersonnel, lui donnant lemoyende briser la resistance de lamunicipalite.L’histoire politique de Vienne et de l’Orient est celle de la guerre, del’impot et de la construction de l’absolutisme des Habsbourg. Le Turcrend legitime la levee reguliered’unefiscalite extraordinaire qui necessitela mise en place de structures nouvelles. L’impot turc finance encore lesmurs de la ville et exige la fidelite des princes, des dietes et des bourgeoisde la monarchie pour combattre le Grand Seigneur. Il ne fait que revelerdes tensions internes a la societe autrichienne.5

Le second siege de 1683 constitue le prelude de la conquete de laHongrie qui voit exulter, aux cotes et au nom de l’empereur, unearistocratie puissante investissant a son retour la ville de gloire et desymboles.6 L’Orient devient un trophee sur les frontons de la Hofburg,sur les colonnes trajanes de la Karlskirche ou sur les tableaux du BasBelvedere.7 La ville est aÄranchie de sa menace. Elle connaıt uneexplosion demographique et passe de 70 000 habitants en 1683 a175 000 habitants en 1754, et a 220 000 en 1794.8 La ville interieuredelimitee par les murs de la forteresse est saturee. Les faubourgs s’etalentvers les piemonts de l’ouest et du sud et, a l’est, la Leopoldstadt bonifie ettransforme le delta interieur du Danube. Seul un glacis militaire entre lesfaubourgs et la vieille forteresse evoque la memoire de la menace.9

3Introduction

4. Wien. Geschichte einer Stadt. 2: Die fruhneuzeitliche Residenz, 16. bis 18. Jahrhundert, ed. PeterCsendes et Ferdinand Oppl (Vienne, 2003); Karl Teply, Turkische Sagen und Legenden um dieKaiserstadt Wien (Vienne, 1980), p.90.

5. Jan Paul Niederkorn, ‘Argumentationsstrategien fur Bundnisse gegen die Osmanen inGesandtschaftsberichten’, dans Das Osmanische Reich und die Habsburgermonarchie, ed.Marlene Kurz, Martin Scheutz, Karl Vocelka, Thomas Winkelbauer (Vienne, 2005).

6. Charles Lawrence Dibble, ‘Architecture and ethos: the culture of aristocraticurbanization in early modern Vienna’, these de doctorat, Universite de Stanford, 1992.

7. Claudius Caravias, Die Moschee an der Wien. 300 Jahre islamischer Einfluss in der WienerArchitektur (Vienne, 2008).

8. Wien. Geschichte einer Stadt. 2: Die fruhneuzeitliche Residenz, p.110.9. Johann Fekete de Galantha, Esquisse d’un tableau mouvant de Vienne trace par un cosmopolite

(Vienne, Sammer, 1787), p.8-10.

L’Orient continue neanmoins d’apparaıtre comme l’element d’uneconfrontation politique interne a la ville. La menace turque justifiel’Ordonnance municipale de 1526 et le controle des magistrats parl’archiduc. La levee du siege de 1529 en donne a Ferdinand Ier toute lalegitimite. Le bel argument d’une necessaire concorde urbaine permet aRodolphe II de revoquer le bourgmestre lutherien elu en 1576,d’interdire progressivement les cultes reformes, et, en 1590, d’expulserles protestants de sa ville. Face a la menace ottomane, l’empereur doittoutefois installer sa cour a Prague.10 Le commerce viennois est lepremier aÄecte par le depart des artisans de luxe pour la Residenceboheme jusqu’en 1619. La revolte du royaume et la guerre de Trente Ans,qu’elle inaugure, renvoient l’empereur sur le Danube. Mais la recons-truction de la monarchie apres 1648, la reforme de la cour parLeopold Ier, celle de l’Ordonnance municipale ainsi que le siege de1683 ont pour eÄet de reduire l’Ottoman a un outil de controle de laville. Malgre tout, en 1683, le theatre bourgeois viennois rappelle l’aban-don de la forteresse par l’empereur et nourrit la memoire d’une villeresistant seule avant la bataille du Kahlenberg. La politique edilitaire del’empereur et de la noblesse etouÄe cette memoire municipale.Le dix-huitieme siecle viennois est aussi celui de la production d’une

certaine histoire des rapports entre l’Autriche et l’Empire ottoman. Elleest liee a l’ouverture de l’Academie orientale en 1754 qui doit rassembler,normaliser et diÄuser un savoir accumule sur l’Islam, depuis le debut del’epoque moderne, afin de former les savants et serviteurs de lamonarchie aux aÄaires orientales. Joseph Hammer en demeure la figurede proue.11 Son travail considerable de collecte, de traduction etd’edition de sources ottomanes lui permet de publier en 1827 le premierdes dix volumes d’une Histoire de l’empire ottoman.12 Dans ce monumentd’erudition, l’academicien reprend et codifie depuis Vienne un certainrecit sur l’Orient posant les bases d’une historiographie classique,politique et teintee de l’idee paradoxale d’une grandeur fascinante etd’un declin imminent de la Sublime Porte. Pour ses successeurs, ledeveloppement de Vienne au dix-huitieme siecle se realise en partiepar une capitalisation sur le recul ottoman et la mise en place d’unepolitique volontariste.13 L’histoire de la grandeur viennoise ne peut alorsetre envisagee que dans sa confrontation avec la Turquie. L’Orient reste

4 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

10. Wien. Geschichte einer Stadt. 2: Die fruhneuzeitliche Residenz, p.16-24.11. Sibylle Wentker, ‘Joseph von Hammer-Purgstall: Ein Leben zwischen Orient und

Okzident’, dans Joseph von Hammer-Purgstall, Greznganger zwischen Orient und Okzident, ed.Hans D. Galter (Graz, 2008).

12. Joseph von Hammer-Purgstall, Geschichte des osmanischen Reiches, 10 vol. (Pest, 1827-1835).13. Adolf Beer, Die orientalische Politik Osterreichs seit 1774 (Prague, 1883).

une adversite discursive; sa presence en ville ne serait que sporadique,ludique et etrangere.14

Orientalisme

Ce n’est finalement que dans la seconde moitie du vingtieme sieclequ’une nouvelle direction a pu etre empruntee par la deconstruction des‘legendes turques’. Ces recits populaires sont avant tout viennois, c’est-a-dire des productions sociales qui doivent etre considerees comme deselements a part entiere de l’histoire de la ville. Elles incarnent leprogressif glissement de l’image du Turc de la peur a la moquerie.15

L’Allemagne n’est en rien en marge de l’essor de l’orientalisme et laVienne du dix-huitieme siecle presente des exemples edifiants de chacunde ses trois vecteurs que sont la science, la politique et les arts.16

L’Academie orientale oÄre celui d’un savoir abouti. La normalisationdes relations diplomatiques avec la Porte et ses vassaux, tout comme laparticipation de Joseph II a la guerre turque de l’imperatrice de Russieen 1787 temoignent de l’interet politique de Marie-Therese et de ses filspour unOrient que l’on juge a remodeler.17 Enfin, les portraits orientauxdeMarie-Therese par Liotard ouMeytens, les essais de codification d’unemusique revendiquee comme ‘alla turca’ et ses tentatives de represen-tation dramatique, ainsi que la litterature orientaliste des librairesviennois proposant contes, histoires et Corans attestent d’une pro-duction culturelle s’emparant de cette idee d’Orient.18

Du reste, si la deconstruction de l’orientalisme est precoce dans lechamp historiographique autrichien, la reception de l’essai d’EdwardSaıd reste tres tardive. Et pour cause, il ne faisait qu’y conforter desevidences deja etablies. Dans les annees 1980, l’evolution de l’histoire desrelations politiques entre l’Autriche et l’Empire ottoman de l’epoquemoderne s’est faite presque exclusivement sans lui. La celebration dutricentenaire du siege de Vienne, tout comme celle des 250 ans de lamort du prince Eugene, conquerant de Belgrade, oÄrent l’occasiond’insister sur la necessite de ne pas reduire l’histoire des relations entre

5Introduction

14. Klaus Kreiser, ‘Clio’s poor relation: Betrachtungen zur osmanischen Historiographie vonHammmer-Prugstall bis Stanford Shaw’, dans Das Osmanische Reich und Europa 1683 bis1789: Klonflikt, Entspannung und Austausch, ed. Gernot Heiss et Grete Klingenstein (Munich,1983).

15. Maximilian Grothaus, ‘Zum Turkenbild in der Adels- und Volkskultur derHabsburgermonarchie von 1650 bis 1800’, dans Das Osmanische Reich und Europa, ed. G.Heiss et G. Klingenstein (Munich, 1983).

16. Edward Saıd, Orientalisme: l’Orient cree par l’Occident (Paris, 2005), p.32, 179-81.17. Virginia H. Aksan, Ottoman wars, 1700-1870: an empire besieged (Edimbourg, 2007).18. Sylvia M. Hass, ‘Von Orientalismus zur Sozialanthropologie’, dans Joseph von Hammer-

Purgstall. Grenzganger zischen Orient und Okzident, ed. Hannes D. Galter et Siegfried Hass(Graz, 2008).

ces deux empires a une simple confrontation politique et militaire.19

D’une part, l’histoire des representations met en avant, pour le dix-huitieme siecle, le sentiment que le Turc est devenu inoÄensif. D’autrepart, l’histoire politique se tourne vers une redecouverte des relationsdiplomatiques austro-ottomanes et souligne leur ingeniosite.20

L’aÄranchissement historiographique du conflit permet enfin la reali-sation d’une histoire economique des echanges entre les deux puiss-ances.21

En fait, Saıd n’apparaıt vraiment dans les bibliographies del’historiographie autrichienne qu’au cours des annees 1990, dans ledebat latent suscite par l’hypothese du choc des civilisations.22 Sa lecturen’en fut pas moins particuliere a Vienne, puisqu’elle est utilisee contrel’idee meme d’un conflit quand, ailleurs, la question de la fabrique desmondes est posee.23 Simple eÄet de balancier: ce n’est que recemmentque l’importance de la confrontation entre Vienne et Istanbul a etereevaluee, en raison de son incidence economique, sociale et culturellesur la societe viennoise de l’epoque moderne.24 Cependant, la possibilited’ecrire une histoire de l’Orient a Vienne qui ne figerait pas lesappartenances culturelles de ses acteurs reste toujours ouverte. Laconstruction discursive de l’Orient ottoman n’empeche pas seulementd’apprehender autrement les relations entre Vienne et Istanbul, quecomme celles de deux blocs, mais elle exclut egalement un grand nombred’acteurs perdus entre eux.

Histoires confisquees

Le faible poids de l’histoire urbaine viennoise a rendu possible laconfiscation des composantes economiques et sociales de la ville pardes histoires particulieres.25 Les acteurs de la Vienne des Lumieres sontavant tout les aristocrates et les commis du prince. Leur histoire est

6 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

19. Osterreich und die Osmanen: Prinz Eugen und seine Zeit, ed. Karl Gutkas et Erich Zollner(Vienne, 1988).

20. Habsburgisch-osmanische Beziehungen, ed. Andreas Tietze (Vienne, 1985).21. Ferdinand Tremel, ‘Die Griechenkolonie in Wien im Zeitalter Maria Theresias’,

Vierteljahrsschrift fur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte 51 (1964), p.108-15.22. Samuel P. Huntington, The Clash of civilizations and the remaking of world order (New York,

1995).23. Jack Goody, Islam in Europe (Cambridge, 2004) et Geraud Poumarede, Pour en finir avec la

croisade: mythes et realites de la lutte contre les Turcs aux XVIe et XVIIe siecles (Paris, 2004).24. Paula Sutter Fichtner, Terror and toleration: the Habsburg empire confronts Islam, 1529-1850

(Londres, 2008).25. Karl Vocelka, ‘Die osterreichische Stadtgeschichtsforschung zur fruhneuzeitlichen

Epoche. Leistungen – Defizite – Perspektiven’, Pro civitate Austriae, Informationen zurStadtgeschichtsforchung in Osterreich, 5 (2000), p.22-34 et John P. Spielman, The City and thecrown: Vienna and the imperial court, 1600-1740 (La Fayette, LA, 1993).

administrative et residentielle. Elle considere la police et la vie de la cour.La part restant a la municipalite est le produit de la presence del’empereur, dont depend la fortune des marchands et artisans de labourgeoisie.26 L’histoire des grands marchands ne serait pas celle de laville mais des communautes nationales, religieuses ou ethniques dont ilssont issus.Dans une certaine mesure, l’actuelle histoire des marchands ottomans

releve a son tour d’une forme d’orientalisme.27 En replacant l’Europe dusud-est dans l’imaginaire orientaliste des Lumieres, il devient possibled’ecrire un recit plus large des relations entre Vienne et son Orient quiintegrerait les marchands ottomans presents en ville. Or, leur histoirereste circonscrite a un tout autre registre. Au dix-neuvieme siecle, laprogressive autonomisation de la Serbie tout comme la guerred’independance de la Grece ont invite a considerer Vienne commel’asile des communautes marchandes et intellectuelles slavophones ethellenophones, issues des terres du Grand Seigneur, et comme l’un descentres intellectuels et des incubateurs des nations en devenir.28 A la findu dix-huitieme siecle, la presence des marchands ottomans a Vienneserait en partie le resultat d’une fuite des grands marchands dhimmı-s.L’histoire qui en decoule est celle de communautes ethno-religieuses,nationales ou diasporiques et non celle desmarchands orientaux.29 Cettetendance n’a fait que s’accentuer tout au long du dix-neuvieme siecleavec la multiplication des independances nationales et le recul de laPorte jusqu’a la promulgation de la Republique turque, laissant auxmains d’historiens ‘nationaux’ l’histoire des Grecs, Serbes et autres Juifsottomans de Vienne.30

Le but est alors de demontrer l’illegitimite de la presence musulmanequi devait etre comprise comme une ‘occupation’, resultant de la‘trahison’ de certaines elites chretiennes, et d’une politique de

7Introduction

26. Ein Zweigeteilter Ort? Hof und Stadt in der Fruhen Neuzeit, ed. Susanne Claudine Pils et Jan PaulNiederkorn (Vienne, 2005); Eric Hassler, La Cour de Vienne, 1680-1740: service de l’empereur etstrategies spatiales de l’elite nobiliaire dans la monarchie des Habsbourg (Strasbourg, 2013);Andreas Weigl, ‘Die Bedeutung des Wiener Hofes fur die stadtische Okonomie in derzweiten Halfte des 17. Jahrhunderts’, dans Ein Zweigeteilter Ort? Hof und Stadt in der FruhenNeuzeit, ed. S. C. Pils et J. P. Niederkorn.

27. Maria Todorova, Imagining the Balkans (Oxford, 1997); Larry Wolf, Inventing Eastern Europe:the map of civilisation on the mind of Enlightenment (Stanford, CA, 1994) et Catherine Horel,Cette Europe qu’on dit centrale: des Habsbourg a l’integration europeenne, 1815-2004 (Paris, 2009).

28. Paschalis M. Kitromilides, ‘Imagined communities and the origins of the national ques-tion in the Balkans’, European history quarterly 19/2 (1989), p.149-92.

29. Traian Stoianovich, ‘The conquering Balkan orthodoxmerchant’, Journal of economic history20 (1960), p.234-313 (p.234-35).

30. Max Demeter Peyfuss, ‘Balkanorthodoxe Kaufleute in Wien. Soziale und nationaleDiÄerenzierung im Spiegel der Privilegien fur die griechisch-orthodoxe Kirche zurheiligen Dreifaltigkeit’, Osterreichische Osthefte 17 (1975), p.258-68.

‘colonisation’ et d’islamisation fanatique et outranciere.31 Cela passe parla construction d’un orientalisme noir, impliquant le rejet du Turc et deson administration, mais aussi par la purge d’une elite clericale etnobiliaire compromise, voire par un reglement de compte avec certainesnations ayant rompu leurs serments temporels et spirituels face a ladebacle des armees chretiennes. Les batailles mythifiees de Jajce, deKosovo Polje ou de Mohacs deviennent alors des lieux de memoires quinourrissent encore des mythologies nationales toutes fondees contre leTurc.32

A l’obstacle ideologique s’ajoute, et parfois se confond, un obstaclestructurel. Il est le produit de la segmentation institutionnelle desdomaines de recherche au sein meme du champ academique autrichienentre l’Institut fur Geschichte et l’Institut fur Osteuropaische Geschichtede l’Universite de Vienne. L’exclusivite de l’histoire des Balkans laissee al’IfOG, et son inclination pour une histoire economique et sociale, ainsique celle de l’IfG pour l’histoire culturelle rendent, d’un point de vueinstitutionnel, diÅcilement realisable la construction d’objets communs.Aussi, le bilan realise en 2004 par les historiens de l’IfG de vingt annees deproduction d’une histoire des relations entre la monarchie autrichienneet la Porte a l’epoque moderne ne peut-il que surprendre par l’absencedes marchands ottomans. En cela, il consacre les orientationsreciproques prises par les turcologues et les historiens du droit et desconfessions.33 C’est en fait de l’Institut fur Orientalistik et de l’Academiedes sciences que sont issus les premiers travaux transversaux etempiriques. Le ‘visage turc de Vienne’ qui emerge au debut des annees2000 suggere la ville comme point de convergence des diÄerentesapproches historiographiques et, inversement, fait de l’Orient l’un deses objets sociaux et donc un de ses facteurs de comprehension.34

C’est alors dans une perspective urbaine plus large que l’Orient estenvisage, c’est-a-dire a travers la construction du multiculturalisme

8 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

31. Antonina Zhelyazkova, ‘Islamization in the Balkans as an historiographical problem: theSoutheast-European perspective’, dans The Ottomans and the Balkans. The Ottoman empire andits heritage: politics, society and economy, ed. Fikret Adanır et Suraiya Faroqhi (Leyde, 2002).

32. The Uses of the Middle Ages in modern European states: history, nationhood and the search for origins,ed. Robert J. W. Evans et Guy P. Marchal (Basingstoke, 2010); Memoire et histoire en Europecentrale et orientale, ed. Daniel Baric, Jacques Le Rider et Drago Roksandic (Rennes, 2011);Le Nettoyage ethnique: documents historiques sur une ideologie serbe, ed. Mirko Grmek, MarcGjidara, Neven Simac (Paris, 2002).

33. Willibald M. Plochl, Die Wiener orthodoxen Griechen. Eine Studie zur Rechts- und Kulturgeschichteder Kirchengemeinden zum hl. Georg und zur hl. Dreifaltigkeit und zur Errichtung der Metropolis vonAustria (Vienne, 1983) et Die Anerkennung der Armenisch-Apostolischen Kirche in Wien (Vienne,1975), p.28-44.

34. Kerstin Tomenendal, Das turkische Gesicht Wiens. Auf den Spuren der Turken in Wien (Vienne,2002); et Auf den Spuren der Osmanen in der osterreichischen Geschichte, ed. Inanc Feigl, ValeriaHeuberger, Manfred Pittoni, Kerstin Tomenendal (Francfort-sur-le-Main, 2002).

viennois. L’essor demographique de Vienne au dix-huitieme siecle auraitconduit la ville de l’empereur a se transformer progressivement enrhizome de la diversite culturelle de toute la monarchie autrichienne.Croissance demographique et gestation des identites nationales seraientliees au point de ‘degermaniser’ Vienne. Cette hypothese a pour grandinteret de nous inviter a saisir la ville et son fonctionnement social etculturel malgre la progressive division identitaire et communautaire desa societe.35 Toutefois, elle conduit a regarder le dix-huitieme sieclecomme matrice d’identites ethno-nationales via le constat d’une villeactuellement qualifiee de ‘postmoderne’. Elle suppose le deroulementd’une histoire linaire et l’atemporalite des substances identitaires. Lesiecle des Lumieres serait le creuset du monde contemporain et seulel’aÅrmation de la ville au debut des annees 1900 rassemblerait lesminorites dans une histoire commune, conduisant a la celebration naıvedu communautarisme actuel si ce n’est parfois a un cosmopolitisme beat.

Perspectives

La definition du cosmopolite est hesitante et legere. Du reste, ‘on se sertparfois de ce mot en plaisantant’. La premiere edition de l’Encyclopedieoscille entre ‘celui qui n’est nulle part chez lui’ et ‘celui qui n’est etrangernulle part’.36 En 1777, la nouvelle edition en retire l’aspect pejoratif. Ellefait du cosmopolite ‘celui qui n’a point de demeure fixe ou bien unhomme qui n’est etranger nulle part’.37 Neanmoins, le dictionnaireraisonne couvre une realite sociale bien complexe. Le cosmopoliten’est pas l’homme d’un horizon d’attente philosophique mais celuid’une necessite, tantot issue d’une situation precaire tantot d’une am-bition assumee, qui l’obligent a se lier a des milieux dont il n’est pas issu.C’est la figure de l’integration de l’Europe du dix-huitieme siecle. Ildemontre sa capacite a tisser des alliances, a se placer sous la protectiond’un maıtre ou a oÄrir sa protection dans un cadre social nouveau. Il nesaurait etre reduit a une vision angelique liee a une sociabilite policee etjouee.Le cosmopolitisme repond aux ambitions sociales d’elites contrastees

dans un continent et un siecle ou les tensions s’exacerbent nourries parl’explosion demographique des villes, l’essor de nouveaux groupessociaux ou l’accroissement d’un decalage entre pouvoirs economiques,

9Introduction

35. Moritz Csaky, Das Gedachtnis der Stadte. Kulturelle Verflechtungen - Wien und die urbanen Milieusin Zentraleuropa (Vienne, 2010).

36. Encyclopedie ou Dictionnaire raisonne des arts, des sciences et des metiers par une societe de gens delettres, ed. Denis Diderot et Jean Le RondD’Alembert, t.4 (Paris, Briasson/David/Le Breton/Durand, 1754), p.297.

37. Encyclopedie ou dictionnaire raisonne des sciences des arts et des metiers par une societe de gens deLettres, ed. Denis Diderot et Jean Le Rond D’Alembert, t.9 (Geneve, Pellet, 1777), p.600.

puissances sociales et responsabilites politiques confisquees. Si la circu-lation des idees et des savoirs y a sa part, le cosmopolitisme est unopportunisme autant qu’un humanisme. Il permet a la noblesse de tenirson rang face a l’essor des absolutismes en allant chercher ailleurscomment vivre noblement. Il oÄre au philosophe, a l’artiste ou aucourtisan une condition dans une Europe de coteries et de patronageset aux etrangers de foi et de loi de s’integrer en se soumettant aux uns,dont ils sont familiers, et en s’opposant aux autres que leurs ambitionsmenacent. Aussi, l’integration ne saurait-elle etre percue par la lorgnetteexclusive d’une tolerance bienseante sans considerer les logiques socialesdans lesquelles elle se realise et les inegales capacites et besoins desacteurs a se faire cosmopolites. C’est un phenomene bilateral. A lacapacite des uns de se lier repond l’interet des autres a l’autoriser, a lesolliciter ou a le controler. L’integration est la conservation d’un ordresocial ancien dans lequel l’etranger s’inscrit et qu’il conforte plus qu’il nele menace. Minorite dans l’univers des minorites de l’Ancien Regime, lesetrangers oÄrent une histoire de la societe au cœur de laquelle ilsagissent.La question du maintien de l’unite urbaine malgre la multiplication

des identites particulieres et l’essor de puissantes communautesculturelles ou ethnoculturelles est egalement posee depuis le debut desannees 2000 pour les grandes villes marchandes de la Mediterraneemoderne. Cette histoire doit beaucoup au renouveau des perspectivesinstitutionnelles.38 La capacite des marchands de jouer avec les insti-tutions consulaires, religieuses et locales, selon la necessite dumoment eten consideration du risque encouru, y est particulierement soulignee.L’acteur est un ‘homme pluriel’ capable d’agir entre plusieurs mondes etplusieurs structures.39 Dans cette ‘histoire de l’entre-deux’, les logiquesurbaines sont alors mises en avant car elles prevalent sur les strategiescommunautaires.40 Il devient donc necessaire de saisir la presenceottomane a Vienne a travers la specificite du cadre urbain. La lectureinstitutionnelle des communautes ne suÅt pas. S’y ajoute celle despratiques des acteurs replacees dans les diÄerentes echelles de leuraction. Leur analyse permet de moderer une reflexion troprationalisante en termes de strategies par un pragmatisme qui preserve

10 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

38. Roberto Zaugg, Stranieri di antico regime: mercanti, giudici e consoli nella Napoli del Settecento(Rome, 2011); Oliver Jens Schmitt, Levantiner. Lebenswelten und Identitaten einerethnokonfessionellen Gruppe im osmanischen Reich im ‘langen 19. Jahrhundert’ (Munich, 2005);Marie-Carmen Smyrnelis,Une societe hors de soi: identites et relations sociales a Smyrne aux XVIIIe

et XIXe siecles (Leyde, 2005).39. Bernard Lahire, L’Homme pluriel: les ressorts de l’action (Paris, 2001).40. Jocelyne Dakhlia et Wolfgang Kaiser (ed.), Les Musulmans dans l’histoire de l’Europe. Volume 2:

Contacts et echanges (Paris, 2013).

de la reification des groupes et de la tentation trop liberale que peuventpresenter les perspectives de l’histoire economique quand ellesconsiderent le grand commerce du dix-huitieme siecle commel’antichambre du capitalisme contemporain.41 Cette histoire nous oÄreles moyens de discuter le cosmopolitisme viennois hors d’une perspec-tive teleologique. En les ajustant, ils nous permettent de faire unehistoire de l’Orient a Vienne articulee entre ville et Residence.L’integration des colonies marchandes dans leurs societes d’accueil

constitue ainsi l’un des axes les plus neufs et les plus importants del’histoire des diasporas.42 Cependant, les phenomenes de socialisation,de naturalisation ou de production de l’espace urbain, qui en decoulent,sont soulignes et decrits de facon isolee. La seule proposition interpreta-tive est de les preter a une sorte cosmopolitisme naturel et evident.43

La limite essentielle a la comprehension globale de ces phenomenesdemeure l’obsession ethnique dont temoigne l’histoire du grandcommerce en Europe centrale et Mediterranee orientale. Or, lefonctionnement de la nation marchande et diplomatique venitienne aIstanbul nous conforte dans notre demarche et nous invite nonseulement a saisir les diÄerentes communautes marchandes ottomanesensemble mais aussi a envisager les liens entre une presence marchandepermanente et une presence politique extraordinaire qui, a Vienne,seraient a priori independantes.44 Dans une ville sans consul, lesdiplomates de la Porte cristallisent la nation ottomane autour de lareconnaissance, par les marchands, de l’autorite du Sultan, incarnee parl’ambassadeur et seul argument legal garantissant leurs libertes sur leDanube. Marchands et diplomates temoignent a Vienne d’integrationsparalleles, simultanees et croisees a la ville et a la Residence. Aussi,n’etudions-nous pas uniquement les rapports entre ces deux entites maisegalement ceux qui s’etablissent avec la societe viennoise. L’integrationdes marchands et des diplomates ottomans a Vienne n’est pas celle d’unepartie dans un ensemble qui s’eÄectuerait par ses marges mais elle est leproduit de logiques sociales urbaines traversant les deux ensembles.L’integration est un processus s’appuyant sur les structures d’une

societe et associant les etrangers a ceux qui les controlent.45 En cesens, celle des marchands et des diplomates orientaux interroge leurs

11Introduction

41. Simona Cerutti, ‘Histoire pragmatique, ou la rencontre entre histoire sociale et histoireculturelle’, Traces 15/2 (2008), p.147-68.

42. Merchant colonies in the early modern period, ed. Victor N. Zakharov, Gelina Harlafis et OlgaKatsiardi-Hering (Londres, 2012).

43. Paolo Prodi, Settimo non rubare: furto e mercato nella storia dell’Occidente (Bologne, 2009).44. Eric R. Dursteler, Venitians in Constantinople: nation, identity and coexistence in the early modern

Mediterranean (Baltimore, MD, 2006); et Maria Pia Pedani, In nome del Gran Signore: inviatiottomani a Venezia dalla caduta di Constantinopoli alla guerra di Candia (Venise, 1994), p.172-76.

45. Marshall D. Sahlins, Culture in practice: selected essays (New York, 2000).

rapports au groupe des administrateurs qui commandent la ville. Ellealimente les conflits situes au sein de l’elite urbaine et institutionnelle.Elle met au jour de possibles rivalites et les interets de l’elite adminis-trative a proteger, a s’associer sinon a s’allier objectivement avec lesOrientaux afin de se maintenir ou de s’aÅrmer plus encore. Ce n’est laque le premier segment ‘d’un chiasme interculturel’. En eÄet, l’inte-gration des Ottomans a Vienne pose la question du maintien dessolidarites economiques, sociales et politiques traditionnelles danslesquelles ils s’inscrivent.46 Cela suppose, d’une part, le renforcementdes liens entre marchands et diplomates presents a Vienne et ceux restesdans l’Empire ottoman, auxquels profite indirectement ce processus, et,d’autre part, une deterioration des liens etablis avec d’autres groupesottomans qui en sont exclus. L’histoire d’etrangers est celle d’un faiturbain entier.47

Evidence des sources et interactions des fonds

Du fait de la seigneurialisation de la ville, l’histoire urbaine viennoisepresente la specificite de se faire par le biais des archives de la monarchieet particulierement celles de la Chambre aulique – Hofkammer – et de laChancellerie d’Etat – Staatskanzley. Elle impose pour prealable deconsiderer ensemble les diÄerentes communautes marchandes, aux his-toriographies pourtant distinctes, puis les aÄaires commerciales etpolitiques et enfin celles de la ville et celles de la Residence. Les archivesdu Conseil du commerce de la Chambre aulique constituent le fondclassique de l’etude des communautes marchandes orientales a Vienne,en particulier des marchands grecs et armeniens.48 Les documentsqu’elles contiennent sont rassembles dans deux sous-series respectivesaux aÄaires de Vienne et a Trieste intitulees en 1762 ‘sujets turcs’. Aussi,sur l’invitationmeme de l’administration viennoise, il nous appartient deconsiderer avec interet ce groupe constitue sur le critere politique de lasujetion ottomane des diÄerentes communautes qui le composent. Ellesbeneficient d’une documentation commerciale commune et double. Lapremiere est faite de rapports et etats du commerce oriental de lamonarchie dont les ministeres sont a l’initiative. La seconde estcomposee des plaintes et des suppliques des marchands ottomans contre

12 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

46. Vassiliki Seirinidou, ‘The ‘‘old’’ diaspora, the ‘‘new’’ diaspora, and the Greek diaspora inthe eighteenth through nineteenth centuries Vienna’, dans Homelands and diasporas: Greeks,Jews and their migrations, ed. Minna Rozen (Londres et New York, 2008).

47. David Do Paco, ‘Extraneite et lien social: l’integration des marchands ottomans a Vienneau XVIIIe siecle’, Revue d’histoire moderne et contemporaine 61/1 (2014), p.123-46.

48. Olga Katsiardi-Hering, ‘La presenza dei Greci a Trieste: tra economia e societa (meta sec.XVIII-fine sec. XIX)’, dans Storia economica e sociale di Trieste. Volume 1: La Citta dei gruppi(1719-1918), ed. Roberto Finzi et Giovanni Panjek (Trieste, 2001).

l’administration, contre la bourgeoisie viennoise, ou de cette memebourgeoisie denoncant l’illegalite de certaines pratiques. La conser-vation de ce type de document dans les archives du Conseil du commercereleve d’une raison simple. La presence des marchands ottomans dans lamonarchie autrichienne est la consequence d’un accord paritaire inter-national garanti par les traites. En d’autres termes, les marchands otto-mans presents a Vienne sont directement places sous la protection duSultan et, a ce titre, ils ne sont pas justiciables devant les tribunauxordinaires de la monarchie. La gestion de leur presence et des conflitsqu’elle peut entraıner est administrative et politique.Les fonds ‘sujets turcs’ du Conseil du commerce pour les aÄaires de

Basse-Autriche – c’est-a-dire de Vienne – et ceux de ce meme Conseilpour les aÄaires de Trieste – pourvu que les marchands mentionnescommercent avec et a Vienne – doivent etre croises avec la documen-tation politique classique. De nouveau, c’est a l’evidence des mots et al’organisation des archives dans la seconde moitie du dix-huitieme sieclede decider. La rubrique ‘Turkei IV’ de la serie Divisions des Etats –Saatenabteilungen – de la Chancellerie d’Etat couvre la gestion desambassades ottomanes a Vienne sous le regne de Marie-Therese et deses fils. Elle se distingue des correspondances diplomatiques pour fairede la presence diplomatique ottomane a Vienne un souci pour sescontemporains et un objet d’etude legitime pour l’historien. Lecroisement des fonds commerciaux et diplomatiques est d’autant plusevident que le depouillement de l’un comme de l’autre ne tarde pas afaire apparaıtre des diplomates dans la documentation commerciale dessujets turcs et des marchands ottomans dans la documentation desdiplomates du Sultan. Plus encore, certains documents circulent d’uneadministration a l’autre et en particulier cette piece fondamentale pournotre etude qu’est la Conscription des Turcs et sujets turcs de Vienne de 1767,realisee par la Chambre aulique et dont une copie est deposee dans laserie ‘Turkei V’ des Divisions des Etats.49

Par ailleurs, notre demarche et nos sources sont tributaires de l’etatactuelde l’histoireurbainedeViennemarqueeparundecalage importantentre l’economique et le social au profit du premier. Toutefois, lesperspectives actuelles de l’histoire de Vienne nous invitent a des debatsfoncierement plus prolifiques et en partie grace au renouveau de cettehistoire et de la possibilite de la faire dialoguer avec d’autres historio-graphies urbaines europeennes.50 Les configurations historiographiquesactuelles ecartant l’histoire de la cour et celle de la ville ou soumettant la

13Introduction

49. Pour les deux fonds concernes: KONO, 130 et Turkei V, 27.50. Des religions dans la ville: ressorts et strategies de coexistence dans l’Europe des XVIe-XVIIIe siecles, ed.

David Do Paco, Mathilde Monge et Laurent Tatarenko (Rennes, 2010).

derniere a lapremiere, ladiÅculte d’envisager ensemble la ville interieureet ses faubourgs ou encore la deconnexion entre l’histoire economique etsociale de Vienne et son histoire politique et culturelle sont des obstaclesaussi importants a l’etude urbaine de Vienne que ceux que nous avonsdecrits pour etudier l’Orient comme un de ses objets sociaux. En ce sensl’Orient doit bien nous aider a esquisser une histoire urbaine de Viennedont l’integration des Ottomans constitue l’outil.

Entre la ville et la Residence: une histoire orientale de Vienne

Defini et forge par l’administration, ‘l’Orient’ s’inscrit d’abord dans unehistoire des reformes ministerielles du despotisme eclaire autrichien. Lerapprochement politique qui s’intensifie entre Vienne et Istanbul apartir de 1739 et le processus de centralisation entame par Marie-Therese en 1748 modifient le profil social des administrateurs desaÄaires orientales de la monarchie. Leur recrutement evolue et leurscompetences se precisent. La fondation de l’Academie orientale en 1754constitue une etape decisive dans la prise en main des aÄaires orientalespolitiques par la Chancellerie d’Etat et doit constituer le moyen pour ellede prendre le controle des aÄaires commerciales. L’Orient nous permetd’eclairer la guerre a mort que se livrent alors la Chancellerie d’Etat et laChambre aulique au sein de l’administration imperiale pour le controlede l’Academie, de ses eleves et des postes qu’ils convoitent. Cette guerreest aussi celle de deux generations de Lumieres allemandes, qu’incarnentles deux figures souveraines de la coregence, Marie-Therese et Joseph II,qui voit s’opposer Lumieres moderees et radicales.Parce qu’aucun ministere ne parvient veritablement a prendre le

controle des aÄaires orientales dans leur globalite, il n’y a pas dedefinition administrative unique de l’Orient viennois. Pour l’Academieorientale, l’Orient designe un champ de competences avant toutlinguistique puis progressivement plus politique et relatif a ces pays etsocietes ou l’on parle le turc, l’arabe et le persan. Les eleves qui en sortentsont mis au service de la Chancellerie d’Etat qui hierarchise leurscompetences en fonction de l’utilite de son action. L’Orient devientavant tout celui du Grand Seigneur et interroge la capacite de la cour anegocier avec ses vassaux barbaresques mais aussi avec les autres puis-sances musulmanes emergeantes. La Chambre aulique est egalementprompte a reduire geographiquement l’Orient a l’Empire ottoman,neanmoins son Orient demeure une realite fiscale, une routecommerciale sur laquelle prelever des taxes, puis un ensemble decontribuables et demarchandises qui la parcourent. La Chambre auliqueet son Conseil du commerce, grands gagnants de la guerre administrativedans les annees 1780, font de l’Orient un outil de gestion flexible et

14 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

modulable qui evolue tout au long des regnes respectifs de Marie-Therese et de ses fils.La Conscription des Turcs et sujets turcs de Vienne, que le Conseil du

commerce realise en 1767, temoigne de la richesse et de l’eÅcacite del’outil oriental. Afin de reconnaıtre les droits des sujets turcs, de pre-server ceux de la bourgeoisie viennoise et d’enrichir sa propre infor-mation, le Conseil du commerce fonde autant qu’il reorganise le groupedes Ottomans de Vienne. Il deploie un processus d’identification a partirde criteres objectifs et moins formels s’en remettant parfois a la simplereputation du marchand. Une fois le groupe constitue il estadministrativement divise en ‘nations et religions’ permettant dedistinguer les droits respectifs des musulmans, des juifs, des armenienset des grecs de Turquie dans un processus de confessionnalisationtraditionnel. Alors que ces sous-groupes ont ete apprehendes commedes categories ethno-confessionnelles nous les considerons comme desimples categories statistiques viennoises ne presupposant aucune uniteni impermeabilite des ensembles qu’elles designent. La Conscription metau jour une selection et une hierarchisation pragmatiques des infor-mations contenues. Deconstruites, elles nous donnent acces a une realiteeconomique et sociale bien plus riche que ce qui est utile a la gestionadministrative de la presence ottomane.En replacant la Conscription dans l’ensemble des archives du Conseil du

commerce, il devient possible de restituer les etapes de l’investissementde Vienne par les marchands ottomans. A la diversite des identitesculturelles attribuees se substitue une diversite bien plus riche de routesempruntees, de produits commerces, de statuts marchands et decompagnies commerciales aux rayonnements inegaux. L’Orient aVienne reconfigure le grand commerce ottoman a l’echelle europeenneet revalorise la place de Vienne en Europe et les grandes routescontinentales d’Europe centrale et sud-orientale souvent delaissees auprofit d’approches mediterraneennes. Non seulement ce commerce ‘parla Turquie’ merite d’etre reevalue, mais il est aussi lie aux grandsechanges maritimes sur lesquels il s’appuie et qu’il complete. Son etudenous permet alors de cerner l’interet de la monarchie autrichienne al’encourager, celui que represente Vienne pour les marchands ottomanset leurs compagnies et l’importance de s’y implanter, d’y demeurer voirede s’y integrer.Les archives de la Chancellerie d’Etat, ajoutees a celles de la Chambre

aulique, nous oÄrent la possibilite d’interroger l’integration des Otto-mans dans la ville grace a la diversite des liens sociaux qui y sont attestes.Un jeu a trois se met alors en place entre l’administration, lamunicipalite et les etrangers eclairant un peu mieux une histoire socialeet urbaine que la disparition des archives notariees n’a pas vraiment

15Introduction

permis d’etudier. L’investissement de Vienne par les Ottomans susciteprotections et conflits. Il consolide la place de leurs nouveaux patrons etfragilise celle de leurs opposants. Il participe enfin a la constitution d’unenouvelle elite gouvernementale josephiste s’appuyant sur les clientelessocialement et culturellement ouvertes, rendant leurs patronsincontournables dans les aÄaires orientales et ce malgre les nombreusesreformes ministerielles. Interets economiques des marchands, interetssociaux des administrateurs et interets politiques de la monarchie sontetroitement lies. La diplomatie ottomane les conforte. Au triptyqueconflictuel etabli entre administrateurs, bourgeois et marchandsetrangers repond celui d’une matrice de solidarites entre marchandsottomans, diplomates de la Porte et administrateurs de la monarchie.C’est sans surprise que la diplomatie ottomane appuie l’investissement

de Vienne par les marchands; toutefois la mise en pratique de ce soutienne va pas de soi. Elle suppose le deploiement d’une ingenierie sociale,politique et culturelle permettant aux envoyes du Grand Seigneur denegocier avec la cour imperiale et de faire de Vienne le poste avance deleur diplomatie occidentale. Le rapprochement entre Vienne et Istanbul,lie au souci du maintien de la paix entre les deux empires, passe par uneevolution de la composition des suites diplomatiques ottomanes et durapport de forces entre ses principaux dignitaires. Micropolis enmission, la suite absorbe, negocie ou rejette les leviers de sociabiliteproposes par Vienne conduisant progressivement au partage de codeselabores en commun et valorisant une sociabilite des petites douceurs. Ilen resulte une frequentation soutenue de la Residence imperiale qui nese resume pas aux liens entre les diplomates ottomans et l’administrationmais integre pleinement la grande et la petite noblesse viennoise et lesrepresentants des puissances europeennes. De nouveau, l’etude del’Orient a Vienne nous permet de souligner des elements importantsde la vie sociale de la ville comme de la cour et de mieux les comprendre.Enfin, marchands et diplomates ottomans nous servent de liquide de

contraste irrigant les arteres de la ville et de la Residence. Ils nouspermettent d’observer leur fonctionnement et l’evolution de leursespaces, d’interroger leur heterogeneite, l’ampleur du controle etablipar la Residence sur la ville et ses consequences sociales etgeographiques. A l’integration des marchands dans la ville et a celledes diplomates dans la Residence repond une integration de ces deuxespaces urbains et residentiels l’un a l’autre par la matrice que constituele port danubien de Vienne. L’Orient a Vienne s’acheve comme unehistoire des structures de la ville confortees par une presence etrangerequi l’utilisent a son profit, sur lesquelles se greÄent tavernes et cafes, deslieux de sociabilite archetypaux de l’histoire et de la memoire de la ville.Ils constituent les cadres d’une familiarite cosmopolite entre acteurs de

16 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

la ville et de la Residence, de la ville interieure et de ses faubourgs ainsique de la monarchie et de l’empire ottoman. Loin d’etre en marge de lasociete, les etrangers y sont au cœur et leur histoire est autant si ce n’estplus l’histoire de la societe dans laquelle ils evoluent que celle descommunautes particulieres auxquelles ils appartiendraient.

17Introduction

Conclusion

L’histoire de l’Orient a Vienne releve d’abord d’une etude del’administration autrichienne dans son rapport a la Sublime Porte, deson developpement par la centralisation, et de son fonctionnement. Ence sens, l’Academie orientale, creee en 1754, est un outil de laChancellerie d’Etat permettant au prince Kaunitz de disposer de crea-tures fideles, competentes et devant investir les diÄerents organesadministratifs lies a l’empire ottoman, en particulier la Chambre aulique.Cependant, l’espoir de carriere des Academiciens dans les aÄairesfinancieres et commerciales est vite decu et le savoir accumule etconfisque par l’Academie s’avere un recours permettant de se maintenirau sein de l’administration. Aussi, l’Academie prend-elle progressive-ment son autonomie a l’egard de la Chancellerie d’Etat. Plus encore, audebut des annees 1780, les aÄaires politiques orientales font l’objet d’unelutte d’influence entre le chancelier et le vice-chancelier d’Etat. Le comtePhilipp Cobenzl investit de sa clientele les postes de secretaires etd’interpretes aux langues orientales. Toutefois, avec le retrait de Kaunitzdes aÄaires, au debut des annees 1790, les anciens clients du chancelier,et en premier lieu Thugut, se rallient aux Academiciens et savants a lacarriere administrative avortee afin, a leur tour, de se maintenir etrenverser le ministere Cobenzl. L’histoire de la gestion des aÄairesorientales viennoises met en evidence une volonte de centralisation,qui s’appuie sur la clientele personnelle et transimperiale desadministrateurs ainsi que la limite d’une gestion integree.En eÄet, au regard de l’administration, l’Orient a Vienne recouvre une

realite plurielle. Pour l’Academie, c’est une competence d’abordlinguistique, puis, progressivement, et plus globalement, savante, quitend a rassembler l’ensemble des domaines de l’economie politique.Ce savoir est exclusif et defiant. Il entend etre le monopole desAcademiciens, dans la mesure ou il constitue la garantie de leurautonomie relative a l’egard de la Chancellerie d’Etat. Or, pour cettederniere, l’Orient est un outil politique forge dans la relation privilegieeque Vienne entretient avec Istanbul, et la normalisation de ces relationstout au long du dix-huitieme siecle, plus particulierement dans lapremiere moitie du regne de Marie-Therese. Les journaux de missiondes capitaines de la garde et des secretaires et interpretes aux languesorientales constituent a la fois le reflet et l’instrument de cette evolution.Enfin, pour la Chambre aulique, l’Orient est une categorie statistique etfiscale. Il designe le commerce continental, s’eÄectuant de part et d’autre

263

du Danube, et son interet pour les finances du Habsbourg. En eÄet, ledomaine de competence de la Chambre aulique et de son Conseil ducommerce pour les aÄaires de Basse-Autriche releve du domaine per-sonnel de l’archiduc. L’Orient constitue, a ce titre, un outil de gestion deVienne. Il conduit a nuancer la definition d’un Orient reduit a unehistoire des representations et a mettre en avant la categoriepragmatique qu’il constitue.Ainsi, la Conscription des Turcs et sujets turcs de Vienne de 1767 incarne la

gestion des aÄaires orientales par le Conseil du commerce. Elle conduitl’administration camerale a se saisir d’une documentation ottomanepour attester du statut des marchands musulmans, juifs, armeniens etgrecs presents a Vienne. Cette identification nous renvoie a une dimen-sion importante du traite de Belgrade: les marchands ottomanscommercent a Vienne parce qu’ils sont des sujets du Sultan. Le groupedes sujets turcs doit donc etre etudie en entier. L’identification desnations par la Chambre aulique et leur comparaison eclairent unprocessus de confessionnalisation commun mais inegalement abouti.La gestion de la presence ottomane s’accompagne d’une tentative desedentarisation – discutee meme pour les musulmans – qui n’estenvisageable que par l’institutionnalisation des nations confessionnellesottomanes. Cela implique la reconnaissance par l’administrationcamerale de libertes religieuses, d’une certaine organisation et de privi-leges commerciaux diÄerencies, du moins pour un temps. Enfin, laConscription permet au Conseil du commerce de realiser un etathierarchise de la presence ottomane a Vienne. Les criteres d’identifi-cation a l’echelle de l’individu mettent au jour le primat d’une infor-mation commerciale, qui conditionne, pour l’historien, la visibilite dugroupe en surexposant les responsables des diÄerentes compagnies et enlaissant dans l’ombre, voire dans une obscurite totale, leurs familles,entourages et serviteurs respectifs. Les identites qui ressortent de laConscription sont avant tout viennoises, produites par l’administration etpour l’administration. Elles ne sauraient faire l’objet d’uneessentialisation a quelque echelle du groupe des sujets turcs que ce soit.Neanmoins, par sa richesse, replacee dans l’ensemble de la documen-

tation camerale, la Conscription oÄre la possibilite de restituer les logiquescommerciales des marchands ottomans et de comprendre comment ilsinvestissent Vienne. Consideree depuis la pratique des marchands, laroute orientale n’est pas une simple categorie fiscale mais une realiteeconomique. En eÄet, Vienne constitue une peripherie du commercedes marchands ottomans s’inscrivant dans un espace plus large, allant duDanube a l’Euphrate et des Carpates a l’Archipel. L’activite desmarchands est graduelle et relative a l’evolution des relations politiquesaustro-ottomanes, a celle de leur carriere commerciale, qu’ils exercent

264 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

seuls ou au sein d’une compagnie, et a leurs capacites d’action tantphysiques que financieres. Aussi devient-il possible de saisir lefonctionnement des compagnies marchandes en relativisant le poidsde la religion, du lieu d’origine et de la famille au profit de logiques demarche et de l’indispensable confiance, qu’elle soit directe ou liee a unecertaine contrainte, entre les compagnons. Cependant, Vienne occupeune place inegale selon les compagnies commerciales qui constituent unensemble profondement heterogene, renvoyant a une realite compriseentre le simple transit de marchandises et des reseaux commerciauxtranscontinentaux complexes. De ces formes d’appropriation dependentla duree et la forme de la presence d’un marchand – et de sa famille – etla nature de son commerce. La presence ottomane a Vienne est celled’un investissement, non d’une dispersion des sujets du Sultan quirepondrait a des logiques ethniques, nationales ou religieuses.Elle conduit a une integration qui passe par l’inflechissement du cadre

legal de leur commerce, l’insertion dans une clientele administrative sanspour autant renoncer a l’aÅrmationd’unenationmarchande etpolitiqueottomane. Si, dans unpremier temps, lesmarchands ottomans contestentfrontalement lesmodalites d’applicationdu traite deBelgradede 1739, aucours des annees 1750 et 1760, ils elaborent des strategies leur permettantd’obtenir des privileges commerciaux. Il en decoule une relative liberali-sation dumarche viennois, actee en 1774 par l’octroi aux acatholiques dudroit de commercer leurs marchandises orientales alla minuta. Cetteevolution est le produit de l’utilisation des marchands ottomans parl’administration pour briser, de fait, les privileges de la bourgeoisie. Elles’accompagne de l’insertion des marchands dans les clienteles desadministrateurs issus du Conseil de guerre aulique et en premier lieuHeinrich Penckler qui, a la fin des annees 1760, deploie un reseautransimperial, associant clients ottomans et allemands, et transversal,englobant marchands, administrateurs, savants et courtisans. Unecommunaute d’interets peut alors etre mise au jour par ces clientelesutiles pour le developpement general du commerceducameral, l’assise del’administrateur au sein du gouvernement et l’enrichissement personneldes marchands aux depens de la bourgeoisie. Neanmoins, les marchandsturcs conservent des liens forts avec la Porte et en particulier avec lesenvoyes du Grand Seigneur. Leurs sollicitations mutuelles confortent lesprivileges des marchands et participent d’une demonstration de forcesymbolique des ambassadeurs qui jouent alors un role consulaireextraordinaire. Au cours de ces ambassades, marchands et diplomatesaÅrment la nation ottomane, niee par les approches particulieres.L’articulation entre marchands et diplomates ottomans repose sur la

capacite des envoyes a agir a la cour imperiale et ainsi a participer, aumoins partiellement, au milieu diplomatique europeen. Les

265Conclusion

ambassadeurs ottomans a Vienne sont choisis au sein de l’administrationde la Porte pour leurs competences particulieres, et l’ambassadeimperiale constitue un moment-cle dans leur carriere. Leur integrationpolitique est graduee en fonction de la place occupee par le diplomatedans la structure de la suite de l’ambassadeur et de leur capacite acomposer avec l’ecran constitue par la protection et la surveillance de lagarde. Elle depend aussi de la capacite de Vienne a amenager sonetiquette ou, a defaut, de prevenir et d’absorber les deviancesprotocolaires. La regularite des rencontres entre Ottomans et Imperiauxfait l’objet d’un bricolage dont les exemples ne sauraient etre confines aune histoire anecdotique tant ils attestent d’une veritable ingenieriesocioculturelle. Cette intelligence sociale permet de nous extraire desdebats theoriques sur les transferts culturels, les metissages et lesacculturations au profit d’une simple observation des pratiques, sanspresupposer la rencontre de deuxmondes fondamentalement diÄerents.Aussi, les diplomates ottomans sont-ils des acteurs a part entiere de laResidence aristocratique viennoise. Ils recoivent dans leur quartierambassadeurs et aristocrates et attestent, aux heures les plus critiquesde l’histoire de la monarchie, de la vitalite de la cour et de l’importanced’une Residence imperiale, certes pour un temps decapitee maisneanmoins des plus actives. Cependant, la frequentation des parties deplaisir de l’aristocratie a un cout, dont le paiement fragiliseconsiderablement la cohesion de la suite de l’envoye du Grand Seigneur.Sa marge d’action s’inscrit alors entre une socialisation necessaire et lemaintien de son autorite sur sa suite, tout aussi importante pour lareussite de sa mission. L’integration politique des diplomates doublecelle, economique et sociale, des marchands.Enfin, marchands et diplomates ottomans revelent par leur presence

les diÄerents espaces urbains viennois autant qu’ils les articulent et lesunifient. Le premier est celui de la Residence, decrit par les diplomatesottomans. Centre sur la Leopoldstadt, il se decline en un ensemble depratiques de sociabilite – centrees autour des Liechtenstein – et derepresentations mais aussi par le controle d’une activite economiquevolontariste. L’espace residentiel est ici celui du prince et de sa noblesseet la curiosite des envoyes du Grand Seigneur prend l’allure d’un GrandTour a part entiere. Les diÄerents lieux d’implantation des marchandsottomans en ville nous permettent quant a eux de restituer l’espacemunicipal et d’en souligner la perennite structurelle. Les trois lieuxinvestis par les sujets turcs attestent de leur participation audeveloppement de la ville, qui se realise par une residentialisation del’espace municipal. De nouveau, la Leopoldstadt est privilegiee etarticulee a la ville interieure par la courroie danubienne. Enfin, l’activitedes Ottomans articule l’espace de la Residence a celui de la municipalite,

266 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle

mais aussi ses diÄerents poles autour du port de la Leopoldstadt. Connu,reconnu et decrit par les Ottomans, il emerge au cours du dix-septiemesiecle grace au deplacement de la communaute juive des rues adjacentesau Hoher Markt au faubourg danubien.La Judenstadt structure a la fois le port et l’espace commercial du

faubourg. Pour les Ottomans, le port est le lieu ou sont debarquees etstockees les marchandises. Ses docks alimentent les entrepots plus petitsdu Fleischmarkt ou s’eÄectue directement la vente in grosso. Ces dernierspeuvent aussi accueillir les marchandises achetees par les Ottomans surle Hoher Markt avant leur exportation via le port danubien. La fonctionde l’espace urbain explique plus que les logiques communautaires l’in-stallation des Ottomans dans la ville, de part et d’autre du Danube et dela Rotenturm. Plus encore, ce quartier n’est pas plus ottoman que grec. Ilest commercial et viennois, irrigue par les marchands turcs, mais danslequel ils sont minoritaires. Aussi, l’etude des marchands ottomans met-elle en evidence des lieux de sociabilite propres a la ville dans lesquelss’etablit une familiarite entre les administrateurs, les marchands et lesdiplomates qu’encourage la structure des cours et des maisons, a chevalentre l’espace de la ville et celui de la Residence.L’Orient a Vienne fait l’objet d’une histoire entiere de la ville. Elle

reconcilie les nations et les communautes religieuses ottomanes, lesmarchands et les diplomates, les Ottomans et les Viennois, la Residenceet la municipalite et la ville interieure et ses faubourgs. L’integration desOttomans conforte les structures economiques, sociales et administra-tives viennoises, la position du groupe dominant d’administrateurs etleurs clienteles, ainsi que la place commerciale et politique de Vienne enAllemagne et en Europe. Elle fait egalement l’objet de tensions entremarchands de la ville et de la Porte, administrateurs et bourgeois ouencore au sein des suites diplomatiques. L’integration des marchands etdes diplomates doit etre encore envisagee au regard de l’utilite deconserver des liens avec les societes et les groupes sociaux desquels ilssont issus. Ce chiasme apparaıt alors plus social qu’interculturel. Toutcela nous conduit a formuler de nombreuses reserves a la fois a l’egard dela reduction de l’Orient a un orientalisme politique, et a celui d’unehistoire des communautes marchandes ottomanes confisqueeaujourd’hui par le modele de la diaspora.Aussi, le cosmopolitisme souligne un decalage entre le statut legal des

invididus et leur condition sociale. L’histoire des etrangers ne peutexclusivement etre menee par le biais de celle du droit et de lacitoyennete, de meme que le non-acces a la citoyennete n’est passynonyme d’une marginalite sociale. L’integration n’est meme possibleque parce qu’elle s’eÄectue en marge des citoyennetes, se realisant audetriment de celle de la municipalite, dont les privileges sont

267Conclusion

profondement mis en cause par les etrangers dont se sert le prince pouretendre son pouvoir, et malgre une naturalisation promue par le princeafin de s’assurer de la fidelite de ses nouveaux proteges qui ne sont pastout a fait ses sujets. Plus encore, ces deux citoyennetes sont des entravesa l’integration qui ne saurait se restreindre a une question d’egalite desdroits et des statuts, horizon d’attente d’ailleurs improbable dansl’Europe de l’Ancien Regime. Alors le refus de la naturalisation peutconstituer la garantie d’agir et de s’enrichir de l’etranger, celle del’interet qu’il represente pour une administration ou une societe quiautorise ou encourage sa presence. Le cosmopolitisme suppose alors uneintegration multiple qui est sociale plus que tout, une capacite d’actionentre deux empires, deux societes ou deux milieux utiles et cibles. Il n’estdonc pas le produit d’une acculturation mais celui de l’apprentissage degrammaires sociales diÄerentes – dans la limite des capacites et desbesoins des acteurs – et du deploiement d’une ingenierie sociale. Loind’etre l’ideal naıf de l’homme des Lumieres, il est une boıte dont lesoutils, elegants mais fragiles, ont ete forges sur l’enclume dupragmatisme par le marteau de la necessite et le feu de l’ambition.

268 L’Orient a Vienne au dix-huitieme siecle