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Anna-Maria De Cesare Université de Bâle L’italien ecco et les français voici, voilà Regards croisés sur leurs emplois dans les textes écrits 1. INTRODUCTION Cette étude se penche sur l’italien ecco et les français voici/voilà, qui ont déjà suscité un grand nombre de réflexions, au sein de cadres théoriques très diffé- rents 1 . Comme le montre la bibliographie (sélective) citée en fin de travail, on dispose aujourd’hui de plusieurs travaux entièrement consacrés à ces formes dans les deux langues respectives. Une grande partie de la description de ces items a tourné autour de leur catégorisation grammaticale (s’agit-il de verbes, d’adverbes, de prépositions ? et de quel type ?), moyennant généralement des exemples inventés dépourvus de contexte 2 ; plus récemment, on s’est intéressé au fonctionnement de ces items en langue réelle, en particulier dans la commu- nication orale (cf. Bazzanella 1995 ; Zamora Muñoz 2000 ; De Cesare 2010 pour l’it. ecco ; Bruxelles & Traverso 2006, Delahaie 2009 pour les fr. voici et surtout voilà ; sur ce dernier cf. Auchlin 1981). À ce jour, on ne dispose en revanche que de très peu d’études sur le fonctionnement de ces trois items dans les textes écrits contemporains (pour l’it. ecco, on peut citer Spiti Vagni 1983 ; pour les fr. voici et voilà Genaust 1975) et encore moins dans les textes écrits non littéraires (pour l’italien, cf. De Cesare 2010 ; pour le français, Grenoble & Riley 1996). De plus, 1. Les emplois de ces items en français et en italien contemporains (en premier lieu à l’oral) ont été décrits au sein de cadres théoriques allant de l’approche interactionniste (Bazzanella 1995 ; Zamora Muñoz 2000 pour l’italien ; Bruxelles & Traverso 2006 pour le français), à la pragmatique intégrée (Delahaie 2009) en passant par la linguistique cognitive (Bergen & Plauché 2001, 2005) et la linguistique du texte (De Cesare 2010 ; Porhiel 2010). À noter que seuls voici et voilà ont fait l’objet d’études diachroniques (cf. par exemple Oppermann-Marsaux 2006, 2008). 2. Cf. par exemple Moignet (1969, 1974) ; Anquetil-Moignet (1980). Pour un résumé des différentes positions et la bibliographie relative à chacune d’entre elles, cf. Genaust (1975) et Hug (2001). Lan g a g es 184 rticle on line rticle on line 51

L’italien ecco et les français voici, voilà. Regards croisés sur leurs emplois dans les textes écrits

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Anna-Maria De CesareUniversité de Bâle

L’italien ecco et les français voici, voilàRegards croisés sur leurs emplois dans les textesécrits

1. INTRODUCTION

Cette étude se penche sur l’italien ecco et les français voici/voilà, qui ont déjàsuscité un grand nombre de réflexions, au sein de cadres théoriques très diffé-rents 1. Comme le montre la bibliographie (sélective) citée en fin de travail, ondispose aujourd’hui de plusieurs travaux entièrement consacrés à ces formesdans les deux langues respectives. Une grande partie de la description de cesitems a tourné autour de leur catégorisation grammaticale (s’agit-il de verbes,d’adverbes, de prépositions ? et de quel type ?), moyennant généralement desexemples inventés dépourvus de contexte 2 ; plus récemment, on s’est intéresséau fonctionnement de ces items en langue réelle, en particulier dans la commu-nication orale (cf. Bazzanella 1995 ; Zamora Muñoz 2000 ; De Cesare 2010 pourl’it. ecco ; Bruxelles & Traverso 2006, Delahaie 2009 pour les fr. voici et surtoutvoilà ; sur ce dernier cf. Auchlin 1981). À ce jour, on ne dispose en revanche quede très peu d’études sur le fonctionnement de ces trois items dans les textes écritscontemporains (pour l’it. ecco, on peut citer Spiti Vagni 1983 ; pour les fr. voiciet voilà Genaust 1975) et encore moins dans les textes écrits non littéraires (pourl’italien, cf. De Cesare 2010 ; pour le français, Grenoble & Riley 1996). De plus,

1. Les emplois de ces items en français et en italien contemporains (en premier lieu à l’oral) ont été décrits ausein de cadres théoriques allant de l’approche interactionniste (Bazzanella 1995 ; Zamora Muñoz 2000 pourl’italien ; Bruxelles & Traverso 2006 pour le français), à la pragmatique intégrée (Delahaie 2009) en passantpar la linguistique cognitive (Bergen & Plauché 2001, 2005) et la linguistique du texte (De Cesare 2010 ;Porhiel 2010). À noter que seuls voici et voilà ont fait l’objet d’études diachroniques (cf. par exempleOppermann-Marsaux 2006, 2008).

2. Cf. par exemple Moignet (1969, 1974) ; Anquetil-Moignet (1980). Pour un résumé des différentes positionset la bibliographie relative à chacune d’entre elles, cf. Genaust (1975) et Hug (2001).

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Les marqueurs du discours : approches contrastives

on ne dispose d’aucune analyse contrastive de l’italien et du français. Une étudedes emplois de ecco et voici/voilà au sein de la communication écrite non littéraireest toutefois cruciale à différents égards. Tout d’abord, elle permet d’approfondirnotre connaissance de ces trois formes, qui ne fonctionnent pas du tout de lamême manière à l’écrit qu’à l’oral ; pour ce qui est du français, on montrerad’une part que l’item voici est encore bien présent à l’écrit et, d’autre part, qu’ilest nécessaire de revoir l’idée largement répandue selon laquelle voici et voilà sonten distribution complémentaire. L’analyse que l’on propose est aussi intéressanted’un point de vue théorique, car elle permet d’étoffer notre compréhension de laclasse de formes déictiques qui, dans sa manifestation centrale, sert à accomplirun acte linguistique assertif particulier, de type « pointage », « présentation »,comme, par exemple, dans ecco Maria ; voilà/voici Marie.

La présente étude se situe au croisement entre les domaines de la sémantiquelexicale et de la linguistique du texte et se fonde sur l’analyse de différents corpuset archives de textes écrits appartenant à la typologie des articles de presse (lesréférences principales se trouvent en fin de bibliographie) 3. Pour ce qui est del’organisation générale du travail, on commencera par fournir une estimationde la fréquence d’emploi de l’it. ecco et des fr. voici/voilà dans les textes écrits,en particulier au sein de la presse quotidienne (§ 2) ; après quoi, on passera àla description de leurs différentes possibilités d’emploi (§ 3). À la lumière desobservations proposées, on fera le point sur le rapport sémantique, fonctionnelet stylistique qu’il faut poser, d’une part, entre les fr. voici et voilà et, d’autre part,entre l’it. ecco et les deux items du français (§ 4).

2. FRÉQUENCE D’EMPLOI DES ITEMS ECCO ET VOICI/VOILÀ DANSLA COMMUNICATION ÉCRITE

2.1. Il est connu qu’il y a entre les fr. voici/voilà des différences importantes auniveau de leur fréquence d’emploi : « Dans le français d’aujourd’hui, voici estrare [...], voilà (prononcé parfois vlà) est à peu près seul employé [...] » (Brunot &Bruneau, 1969 : 264). Cette remarque, qui est bien entendu encore valable, serapporte au français parlé. Le nombre d’occurrences de voici et voilà dans lapartie française du corpus C-ORAL-ROM 4 permet de confirmer facilement cetteidée. Une recherche dans la partie italienne du même corpus donne aussi la

3. Faute de place, on ne peut pas thématiser ici les propriétés syntaxiques de ecco, voici et voilà. Notre étudese penche en premier lieu sur les contextes dans lesquels nos items se construisent avec un syntagme nominal(SN) et se réalisent dans une phrase assertive principale. Pour une description d’autres schémas syntaxiques,cf. Spiti Vagni (1983) pour l’italien ; Genaust (1975) ; Bergen & Plauché (2005) et Porhiel (2010) (relatif à laséquence voilà pour) pour le français.

4. Le C-ORAL-ROM est un corpus construit de manière homogène pour permettre de comparer entre elles leslangues romanes ; chaque partie du corpus compte environ 300 000 mots et se compose des mêmes types detextes (formels et informels ; planifiés et spontanés).

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possibilité de comparer la diffusion de l’it. ecco à celle des deux items du français.Les données du corpus sont reportées dans le Tableau 1 5 :

Tableau 1 : Occurrences de ecco, voilà, voici dans le C-ORAL-ROM

ecco voilà voici

729 609 6

Ces données permettent de constater que voici est effectivement rare dansla communication orale et que voilà est désormais pratiquement la seule formedisponible ; à l’oral, voilà se présente donc aujourd’hui comme une forme neutretant d’un point de vue stylistique (il n’est ni formel ni informel) que sémantique :le trait sémantique [+distance] véhiculé par le morphème –là ne peut plusêtre interprété de manière stricte. Cette observation vaut en premier lieu pourl’emploi déictique (central) de cet item, qui renvoie à des personnes, des objets,des lieux, des événements, etc. que le locuteur aperçoit, trouve, auxquels il assisteou participe dans la situation communicative, c’est-à-dire dans le monde réel(extratextuel). Voici un exemple de l’emploi déictique de voilà, auquel on ajouteun exemple du même emploi avec voici (il s’agit de l’une des rares occurrencesde cet item dans le C-ORAL-ROM) :

(1) // # xxx alors voilà la deuxième œuvre maîtresse / # de la collection demadame Avidgor // # c’est ce très beau tableau de Bloemaert // [C-ORAL-ROM] 6

(2) // alors voici la première page blanche // [C-ORAL-ROM]

En emploi déictique, voilà peut aujourd’hui se référer tant à ce qui est proche qu’àce qui est lointain. La neutralisation sémantique du trait [+distance] véhiculépar le morphème –là est particulièrement clair dans un autre emploi de voilà. Onpense naturellement à son emploi de signal discursif, typique des interactionsverbales, dans lequel voilà ne régit aucun complément et est en principe détachédu cotexte dans lequel il apparaît (quand il n’est pas accompagné d’autressignaux discursifs, comme dans la deuxième occurrence de (3)). En emploi designal discursif, voilà a de multiples fonctions ; il sert à démarquer et organiserles parties du discours, à prendre le tour de parole, à confirmer son proprepropos ou celui d’autrui, etc. (à noter que, dans cet emploi, voici ne peut pasremplacer facilement voilà) :

(3) CHA: bon # alors / le titre déjà / denrée périssable / alors dans le diction-naire ça veut dire / # &euh c’est un fruit à consommer tout de suite // benc’est un truc à consommer tout de suite // une marchandise // voilà //

5. Nous avons aussi tenu compte des cas dans lesquels le complément de ecco est cliticisé sur l’item (cf. eccolo,eccola, etc.).

6. Dans le corpus C-ORAL-ROM, la double barre oblique (//) indique une frontière d’énoncé, la barre obliquesimple (/) une frontière d’unité prosodique et informationnelle ; le signe # indique une pause ; les symboles < >marquent une superposition de tours de parole.

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Les marqueurs du discours : approches contrastives

donc déjà / il y a consommer // # qui &euh consommer l’amour enfin // jesais pas / ça me fait [/] ça m’a fait bizarre // # et &euh [/] # et périssable //donc ben ça voilà / je vais en parler quoi // [C-ORAL-ROM]

À partir des donnés du Tableau 1, on constate également, sans avoir toutefois lapossibilité d’approfondir plus avant, que la fréquence d’emploi du fr. voilà et del’it. ecco est tout à fait comparable. Du reste, à l’oral, les deux emplois les plusfréquents de ecco sont aussi ceux de déictique (4) et de signal discursif (5) :

(4) ED1: dove è andata la tata ? è uscita la Frida ? dove è andata ? eccola ! haivisto che è ritornata ! [LABLITA]Trad. ‘où est allée la nounou ? elle est sortie Frida ? où est-elle allée ? eccola !(la voilà) ! Tu as vu qu’elle est revenue !’

(5) LET: [<] <è un> po’ ingrassata // no / però / lei / ecco / lei l’ho [/] l’hovista / col suo ragazzo // vennero a mangiare al mio ristorante // [C-ORAL-ROM]Trad. ‘[<] <elle a un> peu grossi // non / mais / elle / ecco (voilà) / elleje l’ai [/] l’ai vue / avec son petit ami // ils sont venus manger dans monrestaurant //’

Voilà pour ce qui est des emplois de voici, voilà et ecco à l’oral. Mais qu’en est-ilde la fréquence d’emploi de ces items au sein de la communication écrite, enparticulier dans la presse, qui nous intéresse plus précisément dans ce travail ?

2.2. À partir des corpus de textes actuellement disponibles, seule la fréquenced’emploi de l’it. ecco au sein des textes écrits (non littéraires) peut être décritede manière précise. La fréquence d’emploi de cet item peut être mesurée sur labase des données du CORIS (CORpus di Italiano Scritto). Une recherche au seindu sous-corpus de la presse permet de relever 6 692 occurrences de ecco pourun total de 30 millions de mots, soit un total d’environ 67 tokens / 300 000 mots(taille de la partie italienne du C-ORAL-ROM). Sur la base de ces données, onpeut donc estimer que l’item ecco est environ dix fois moins fréquent à l’écritqu’à l’oral.

Étant donné que l’on ne dispose ni de corpus représentatifs du françaiscontemporain écrit non littéraire, ni de corpus parallèles de l’italien et du françaisécrits, une comparaison de la fréquence d’emploi dans la communication écrite,d’une part, des fr. voici et voilà et, d’autre part, de l’it. ecco et des fr. voici/voilàn’est pas aisée. Pour se faire une idée de la proportion d’emploi des fr. voici etvoilà au sein des textes écrits non littéraires, nous avons considéré leur apparitionau sein des archives de différents quotidiens français disponibles sur la Toileou sur DVD (Le Monde diplomatique). Le Tableau 2 illustre les résultats de cetterecherche 7 :

7. Les occurrences de voici et voilà ont pu être vérifiées manuellement uniquement dans les 12 numéros duMonde diplomatique (année 2009). Pour ce qui est des autres cas, il faut tenir compte du fait que voici et voilà

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L’italien ‘ecco’ et les français ‘voici’, ‘voilà’ : regards croisés sur les emplois

Tableau 2 : Occurrences de voilà/voici dans les archives de journaux français

Voilà Voici

lefigaro.fr (tous les articles) 15 225 5 977

humanité.fr (1 an) 932 336

humanité.fr (1 mois) 89 31

lemonde.fr (1 an) 1 000 a 809

lemonde.fr (1 mois) 155 83

Le Monde diplomatique (1 an) 67 32

a. Au-delà de 1 000 éléments, lemonde.fr ne donne pas d’indications précises.

Sur la base de ces données, on peut estimer que, au sein de la presse fran-çaise actuelle, voilà est grosso modo deux à trois fois plus fréquent que voici 8. Cesdonnées permettent donc de constater que voici est moins fréquent que voilà,mais n’est en aucun cas rare (comme à l’oral). Au contraire, il doit être consi-déré comme encore bien vivant. La question est maintenant de savoir si voici etvoilà sont à considérer comme de pures variantes stylistiques (cf. Wandruszka,1969 : 311), i.e. comme des items qui partagent les mêmes fonctions, mais dif-fèrent quant au registre – l’un (voici) étant perçu comme plus formel que l’autre(voilà) – ou bien s’ils sont en distribution complémentaire, chacun occupant une« niche » d’emplois sémantico-pragmatiques propres ou encore s’il faut considé-rer les deux aspects. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de décrireles emplois de ces items au sein de la presse écrite.

3. EMPLOIS DES ITEMS ECCO ET VOICI/VOILÀ DANS LA PROSEJOURNALISTIQUE

3.1. Emploi déictique

Étant donné la référence directe au contexte d’énonciation – cf. (1), (2) et (4) –,l’emploi déictique des items ecco, voici et voilà est relativement rare à l’écrit. Dansles textes écrits, on trouve toutefois un emploi similaire, que l’on pourrait aussiappeler « déictique » (ou « présentatif », « locatif », qu’E. Oppermann-Marsaux(2006) appelle présentatif de narration). Il s’agit d’un emploi dans lequel nos itemsse réfèrent à des personnes, des lieux, etc. d’un monde imaginé ou réel décrit parle texte, c’est-à-dire d’un emploi déictique de type intratextuel. Voici un exempleavec ecco, voilà et voici :

peuvent apparaître plus d’une fois au sein d’un même article, et qu’ils peuvent ne pas être employés dansl’acception qui nous intéresse (Voici est, par exemple, aussi le titre d’un magazine populaire).

8. Ces données ne coïncident plus avec celles proposées par Juilland et al. (1970) : dans leur dictionnaire defréquence des mots du français (écrit), voilà est deux fois plus fréquent que voici (241 occ. vs 119 occ.), maiscette donnée est due au fait que voilà est très fréquent dans les textes littéraires (178 occ. de voilà et 42 occ. devoici). Dans les données relatives à la presse (publiées entre 1920 et 1940), la fréquence d’emploi des deuxitems est inversée : voici est deux fois plus fréquent que voilà (31 vs 17 occ.). Il en va de même dans les textesscientifiques (17 vs 8 occ.).

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Les marqueurs du discours : approches contrastives

(6) Duemilaquattrocento canne che esplodono nella cattedrale, nel cuore diTunisi, è il suono d’organo più potente di tutta l’Africa. Adagiata sotto lavolta del profeta Abramo che benedice giudei, cristiani e musulmani, eccola bara di Bettino Craxi. [LA REPUBBLICA]Trad. ‘Deux mille quatre cent tuyaux qui explosent dans la cathédrale, aucœur de Tunis, c’est le son d’orgue le plus puissant de toute l’Afrique.Installée sous la voûte du prophète Abraham qui bénit juifs, chrétiens etmusulmans, ecco (voilà) le cercueil de Bettino Craxi.’

(7) Voilà un dictionnaire dans lequel on a aussi envie de déambuler sans butprécis, simplement pour s’immerger dans l’extraordinaire richesse culturelledu bassin caraïbe. [à côté, une image de l’ouvrage en question] [MD, 4.2009]

(8) [début de texte] L’auteur vient d’être condamné par un tribunal civil égyp-tien, comme relaps, à être séparé de son épouse. Après le réformiste FaragFoda, assassiné le 8 juin 1992 par les islamistes, voici Abou-Zayd en butte àla pensée islamiste qui, depuis Sadate, noyaute l’appareil d’État comme lesinstitutions civiles, avec la complicité du pouvoir qui pense racheter ainsi salutte impitoyable contre l’islamisme armé. [MD, 10.1995]

Clairement déictique est, par contre, l’emploi de voici dans le texte proposé sous(9), dans lequel voici se manifeste au sein d’un discours direct :

(9) Dans le mur en béton qui longe la voie de chemin de fer, Abdel désigne unpetit trou : « Voici l’entrée de notre château ! » Le jeune homme de vingtet un ans, yeux noisette et sourire éclatant, a le sens de l’ironie, car fauted’un château, ce mur cache une série de matelas posés au sol. [humanite.fr,28.4.2011]

Le dernier exemple est particulièrement intéressant puisque, comme on l’a vu,dans la communication orale réelle voici n’est quasiment plus employé, mêmepour pointer un référent (en (9) un lieu) qui est proche du locuteur. Dans notreexemple, l’item voici se présente donc comme une variante stylistique de voilà :il est plus formel, plus recherché, et c’est sans doute cela qui justifie le choix deson emploi dans le discours rapporté.

3.2. Emploi de signal discursif

Un autre emploi de ecco et de voilà, typique des interactions verbales, mais attestéaussi à l’écrit, surtout dans la presse italienne et française contemporaines, estcelui de signal discursif. Dans nos données de l’écrit, cet emploi se manifesteencore une fois de manière privilégiée au sein du discours direct, mais on letrouve aussi dans les commentaires du journaliste. Voilà trois exemples (à noterà nouveau qu’il n’est pas facile, voire pas possible de remplacer voilà par voici) :

(10) Di imprevisto, quel tanto o quel poco che c’è, è che agli amici e alleatidel centrosinistra la presenza dalemiana appare dipinta con colori tropposgargianti, e semina il dubbio, questo sì davvero ingrato per il destinatario,che quasi quasi sarebbe meglio che Massimo stesse un tantino più attento, unpo’ più prudente, forse, ecco, anche un passetto più indietro. Perché, forse,

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questa volta duellare con Berlusconi non sarebbe la mossa più azzeccata.[REP]Trad. ‘Ce qui est imprévu [...], c’est qu’aux amis et alliés du centre-gauche laprésence dalémienne est peinte avec des couleurs trop voyantes, et sème ledoute, celui-là oui vraiment ingrat pour le destinataire, que ce serait presquemieux que Massimo soit un tantinet plus attentif, un peu plus prudent, peut-être, ecco (voilà), voire un petit pas plus en arrière. Parce que, peut-être, sebattre cette fois en duel avec Berlusconi ne serait pas la manœuvre la plusappropriée.’

(11) Les Roms, l’islam, maintenant les flots d’immigrés tunisiens, lesquels nesont au demeurant que 20 000, ce qui ne serait pas une affaire si l’Unioneuropéenne décidait de la gérer dans la coopération, la justice et la générosité.Mais voilà, elle n’a pas été conçue pour cela. [humanite.fr, 26.4.2011]

(12) « Richard Virenque, expliquez-nous ce que vous dînez ce soir pour essayerde vous remettre après cette journée particulièrement pénible ? » Dénuée detoute langue de bois, la réponse fuse : « Eh bien, voilà : comme tous les soirs,on mange beaucoup de pâtes. C’est des féculents longs. Après on mangedes trucs en semoule ou alors, en entrée, de la salade. » [MD, 8.1995]

Bien entendu, à l’écrit, ecco et voilà ne remplissent pas toutes les fonctions propresà la communication orale. Il manque, en particulier, les emplois les plus liés àl’exécution du message et à l’interaction verbale. Ces items ne sont, par exemple,pas employés pour signaler l’hésitation du locuteur. Étant donné le caractèremonologique de l’écrit, ils ne sont pas non plus employés pour prendre oufermer le tour de parole ou du propos, pour interrompre l’interlocuteur et/oupour confirmer ce qu’il dit, comme dans les exemples suivants, tirés de corpusoraux :

(13) HED: capito ?SIL: senti / io / ti ho chiamata / anche / perché voleo sapere / cosa vuoifare / domenica //HED: ecco / senti un pochino / come tu avresti predisposto / la cosa didomenica ? [LABLITA, 140]Trad. ‘HED: compris ?SIL: écoute / moi / je t’ai appelée / aussi / parce que je voulais savoir / ceque tu veux faire / dimanche //HED: ecco (voilà) / écoute un peu / comment tu aurais préparé / la chosede dimanche ?’

(14) ALE: la passion / ben c’est une maladie / <la> //VAL: <voilà> //ALE: <passion> [C-ORAL-ROM]

(15) CHA: / enfin ça veut dire plein de trucs // après / qu’on va [/] # j’ima-gine / on en parlera après // # voilà // # je continue ou... [C-ORAL-ROM]

À l’écrit, ecco et voilà remplissent des fonctions plus clairement métalinguistiques,liées au démarquage des unités textuelles (ouverture ou clôture).

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3.3. Emploi temporel

Outre la dimension spatiale, les items voici/voilà peuvent aussi se référer à ladimension temporelle :

(16) Voilà plus de quatre ans que, chaque matin, Bernard Guetta propose auxauditeurs de France Inter sa vision de l’actualité internationale. [MD, 11.1995]

(17) Pour favoriser cette évolution, le gouvernement allemand a adopté voiciquelques années une politique d’incitation qui, dans une certaine mesure,mérite l’appellation à la fois de « verte » et de keynésienne. [MD, 5.2009]

L’emploi temporel n’est par contre pas disponible à l’it. ecco, sans doute parcequ’en italien, il existe d’autres moyens d’expression, notamment les adverbiauxx tempo fa et da x tempo :

(18) a. *il governo tedesco ha adottato ecco qualche anno [...]b. il governo tedesco ha adottato qualche anno fa / da qualche anno [...]

3.4. Emploi textuel

À l’écrit, les items ecco et voici/voilà ont aussi un emploi que l’on peut appeler« textuel », dans la mesure où ils se réfèrent à la dimension même du texte (ils’agit, selon le terme d’É. Benveniste (1966 : 274), d’un emploi sui-référentiel).L’emploi textuel des items qui nous intéressent connaît deux manifestations : lapremière cataphorique, la deuxième anaphorique. Par manifestation catapho-rique/anaphorique, on entend les contextes dans lesquels les séquences <ecco /voici / voilà + complément (pronom, SN plein, clause)> renvoient respectivementà un contenu qui suit et qui précède.

Dans le but de déceler les similitudes et les différences entre l’italien et lefrançais, d’une part, et entre voici et voilà, d’autre part, nous nous pencheronstout d’abord sur les données de l’italien (§ 3.4.1), puis sur celles du français(§ 3.4.2).

3.4.1. Pour ce qui est de l’italien, la lecture anaphorique/cataphorique dela séquence <ecco + complément> ne dépend pas de ecco lui-même, mais esttributaire du contexte linguistique dans lequel entre la séquence. Ce contextedépasse la frontière de l’énoncé et se mesure au niveau du texte, car en général lasémantique du complément régi par ecco ne permet pas non plus de sélectionnerune des deux lectures. Ceci est évident dans les cas où ecco se construit avecune forme sémantiquement pauvre, comme un pronom (eccolo / eccola, etc.) : laséquence eccolo (et ses variantes) peut se référer soit à un contenu déjà mentionné,c’est-à-dire cognitivement donné, soit à un contenu à venir. Pour preuve, à côtéde l’exemple proposé au point (19a), dans lequel la séquence eccolo (lo se référantau SN il nuovo spettro che si aggira minaccioso) renvoie au SN qui précède (ilcomunismo), il est tout à fait possible d’imaginer le texte (19b), dans lequel lecontenu auquel renvoie la séquence eccolo se trouve dans le cotexte de droite :

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(19) a. il comunismo, eccolo il nuovo spettro che si aggira minaccioso. [CORIS]b. eccolo il nuovo spettro che si aggira minaccioso, il comunismo.

Trad. ‘a. le communisme, eccolo (le voilà) le nouveau spectre qui rôde mena-çant.’‘b. eccolo (le voici) le nouveau spectre qui rôde menaçant, le communisme.’

La même chose se vérifie du reste dans les exemples dans lesquels ecco seconstruit avec une forme syntaxique plus complexe (une clause) et sémanti-quement plus riche :

(20) a. ecco cos’ero, un pescatore di perle. [Corriere della sera, 23.1.1997]b. un pescatore di perle, ecco cos’ero.

Trad. ‘a. ecco (voici) ce que j’étais, un pêcheur de perles.’‘b. un pêcheur de perles, ecco (voilà) ce que j’étais.’

(21) a. belli, incolti ma mafiosi, ecco come siamo malvisti nel mondo. [Corriere dellaSera, 9.2.1997]

b. ecco come siamo malvisti nel mondo : belli, incolti ma mafiosi.Trad. ‘a. beaux, incultes mais mafieux, ecco (voilà) comme nous sommesmal vus dans le monde.’‘b. ecco (voici) comme nous sommes mal vus dans le monde : beaux, incultesmais mafieux.’

On notera également qu’en fonction textuelle la séquence <ecco + complément>peut se référer à différents types d’entités : il peut s’agir d’un référent textuel(19a), d’une propriété (20) ou encore d’une entité plus abstraite, de type méta-linguistique, comme dans (22) et (23), où la séquence ouverte par ecco se réfèreà un acte illocutoire (respectivement de question et de réponse), ou encore (24),séquence dans laquelle ecco introduit un acte de composition textuelle (le textequi suit est présenté comme une explication de l’affirmation qui précède, à savoirde la proposition agli Europei di Bonn, 1989, piovono medaglie) :

(22) « Chissà cosa c’è in bacheca oggi ? ». Ecco la domanda che assilla, ancheinconsciamente, le menti di giovani teenagers, adolescenti e adulti delsecondo millennio. [scuolarepubblica.it, 3.12.2009]Trad. ‘« Qui sait ce qu’il y a sur le mur (wall) aujourd’hui ? ». Ecco (voilà) laquestion qui obsède, même si c’est inconsciemment, les esprits des jeunesteenagers, adolescents et adultes du second millénaire.’

(23) [...] Esistono le compatibilità giuridiche per avviare un’azione legale delgenere ? Perché chiedere i danni alle multinazionali se da noi esiste unMonopolio dello Stato ? Ecco, in sintesi, la risposta dell’ufficio legislativo delministero delle Politiche Agricole : l’azione legale contro le multinazionalitutela proprio il Monopolio da eventuali azioni nei suoi confronti da partedi cittadini italiani. [...] [REP]Trad. ‘Est-ce qu’il existe les compatibilités juridiques pour entamer uneaction légale du genre ? Pourquoi demander les dommages aux multina-tionales si chez nous il existe un Monopole de l’État ? Ecco (voilà), en bref,

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la réponse de l’office législatif du ministère des Politiques Agricoles : l’ac-tion légale contre les multinationales protège justement le Monopole contred’éventuelles actions à son égard de la part de citoyens italiens [...]

(24) Oggi si chiamano Pellegrini e Filippi, subito prima Rosolino e Fioravanti.Ma la prima generazione di grandi nuotatori azzurri è quella di Lamberti.Agli Europei di Bonn, 1989, piovono medaglie : ecco la spiegazione, anchesociologica, del boom. [REP, 20.7.2009]Trad. ‘Aujourd’hui ils s’appellent Pellegrini et Filippi, juste avant Rosolinoet Fioravanti. Mais la première génération de grands nageurs « azzurri »[italiens] est celle de Lamberti. Aux Championnats d’Europe de Bonn, 1989,des médailles pleuvent : ecco (voilà) l’explication, qui est aussi sociologique,du boom.’

3.4.2. Selon une idée relativement répandue dans les travaux qui se sont occu-pés du français, on retient qu’en emploi textuel voici et voilà sont en distributioncomplémentaire : la fonction cataphorique est occupée par voici, la fonction ana-phorique par voilà (cf. Wandruszka, 1969 : 310 ; Bergen & Plauché 2001, 2005) ;c’est aussi le point de vue qu’adoptent de nombreux dictionnaires bilingues,notamment il Boch (2000), qui propose deux traductions françaises différentes del’italien ecco selon le type de renvoi au cotexte :

ecco A avv.1 ([...] per indicare cose o persone lontane o cose appena dette o accadute) voilà [...]2 (per indicare cose o persone vicine o cose che si stanno per dire o fare) voici [...]

Ce point de vue repose sur l’idée qu’il existe encore une différence sémantiqueentre les morphèmes adverbiaux déictiques –ci et –là, le premier désignantà l’attention une personne ou une chose qui est proche du centre déictiqueet, par extension cognitive-métaphorique, une chose que l’on va exposer, ledeuxième ce qui est éloigné et, toujours par le même mécanisme d’extension,une chose se rapportant à ce qui vient d’être dit (cf. Grevisse 1997 ; Dubois et al.,1961 : 123 ; Bergen & Plauché 2001, 2005). De nombreux exemples attestent lepartage du travail fonctionnel des deux items. Dans les deux exemples suivants,tirés de textes littéraires (mais on les trouve facilement aussi dans des textes nonlittéraires), voilà et voici sont employés exactement de la même manière ; ils seréfèrent à un acte illocutoire de question :

(25) Si la duchesse part, je la suis, se disait-il, mais voudra-t-elle de moi à sasuite ? voilà la question. [Wandruszka, 1969 : 310]

(26) Voici la question, reprenait-il avec rage : Faut-il laisser deviner la jalousiequi me dévore, ou ne pas en parler ? (ibid.)

En emploi anaphorique, comme l’ont du reste observé presque tous les travauxsur le français, voilà entrent typiquement dans un mouvement conclusif, résomp-tif. Que l’on pense, par exemple, aux contextes dans lesquels il régit un com-plément qui résume, reformule, à travers un hyperonyme ou autre, une sectionde texte précédent ou aux contextes où il est suivi d’une interrogative indirecte

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inaugurée par pourquoi (dans les deux cas de figure, voilà est parfois accompagnéde connecteurs qui marquent explicitement le mouvement consécutif-conclusif) :

(27) Tous ces tâtonnements manquent de rigueur, n’aident pas à définir unegrande politique, ne font pas avancer la réflexion sur un véritable réfor-misme de gauche, à la hauteur du monde moderne consommateur et mon-dialisé. Voilà pourquoi il me semble qu’en ce début du XXIe siècle le réser-voir d’idées de la gauche frôle la banqueroute. [lemonde.fr, 12.9.2010]

(28) Profitant de la célébration du trentième anniversaire de l’accession au pou-voir de François Mitterrand à Château-Chinon (Nièvre), François Hollandea fait un crochet par la Côte-d’Or et Semur-en Auxois pour y rencontrer lapresse locale. [...]. C’est un François Hollande très détendu et rayonnant quia répondu aux questions des journalistes portant tout d’abord sur FrançoisMitterrand puis, bien entendu, sur les primaires et tous les thèmes qui gra-vitent autour (les autres candidats, son programme, ses idées...). Porté par sanouvelle image de « winner », Hollande n’est plus moqué, mais écouté parles siens. Voilà donc un concurrent de taille pour Dominique Strauss-Khan.[gazetteinfo.fr., 10.5.2011]

(29) [début de texte] Le mal qui ronge la finance dévore à présent l’économiemondiale dont elle a tiré sa substance. Quand une banque s’écroule, uneautre la rachète, garantissant ainsi que l’État devra la sauver, elle, puisqu’elledevient « too big to fail » (« trop grosse pour faire faillite »). Un peu par-tout, dans la précipitation et le couteau sur la gorge, le contribuable paiedes milliers de milliards de dollars pour secourir les plus grandes institu-tions financières. Or nul ne sait combien d’« actifs toxiques » demeurentdans leurs entrailles, ni combien il va falloir encore payer pour acquérir lapile montante de leurs créances avariées. Le bilan de la déréglementationfinancière, le voilà. [MD, 4.2009] 9

Dans d’autres travaux (cf. Grenoble & Riley (1996), dont l’analyse se base surdes textes oraux et écrits), on observe toutefois que voilà a un champ d’emploiplus large que voici car il peut aussi être employé pour annoncer un contenu àvenir 10. Trois exemples (qui se multiplient facilement) sont proposés aux pointssuivants :

(30) Voilà comment les choses se passent : le pays limitrophe s’avance jusquesur les bords de la frontière. [Genaust, 1975 : 96]

(31) La séquence de l’orphelinat visité par une association française rappelle lesort réservé aux enfants : « Nous avons ici la garde de cinq cents orphe-lins, confie son directeur. Voilà le problème de l’Afghanistan aujourd’hui :l’abandon des enfants ! » [MD, 5.2009]

9. Voilà entre ici dans une construction syntaxique particulière : l’élément qu’il régit est, en effet, disloquéà gauche (le pronom de reprise le se réfère au SN le bilan de la déréglementation financière). La possibilitéd’entrer dans une dislocation à gauche est un argument clair en faveur du statut verbal de voilà.

10. Oppermann-Marsaux (2006 : 89) relève une diversification d’emploi de voilà dès le XVIe siècle : « celui-cin’a pas obligatoirement une valeur conclusive, mais peut aussi faire référence à son cotexte droit pour produireun effet d’annonce ».

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(32) Irrésistible sur la scène des César, il [François Damiens] crève l’écran enavocat falot dont la vie est bouleversée par la découverte inopinée d’unevalise pleine de cocaïne dans Une pure affaire. Voilà les cinq raisons pourlesquelles ce Belge pas comme les autres est devenu un pilier essentiel ducinéma français. [suivent les 5 raisons] [lexpress.fr., 2.3.2011]

Selon ce deuxième point de vue, voilà et voici sont seulement en partie en distri-bution complémentaire : le premier peut être employé de manière anaphoriqueet cataphorique, alors que le deuxième est exclu de la fonction anaphorique etne peut, par conséquent, pas remplacer les emplois anaphoriques de voilà. Cetteobservation est illustrée par les exemples suivants (à noter que le jugement degrammaticalité des variantes qui contiennent voici est des auteurs : selon L. Gre-noble et M. Riley (1996), voici est agrammatical, selon J. Delahaie (2009) il estdifficilement acceptable) :

(33) [...] arrêtons-nous à Balzac, à Tchekhov, à Tourgueniev, à Gide, à Audiberti,à Paulhan, à Nabokhov, à Ungaretti : voilà/*voici des épistoliers qui noustouchent. [Grenoble & Riley, 1996 : 834, 836]

(34) Tu es un imbécile, voilà/?voici mon avis. [Delahaie, 2009 : 6]

À partir du constat que voici entre seulement dans une partie des contextesd’emploi de voilà et est moins fréquent, L. Grenoble et M. Riley (1996 : 837) sug-gèrent de considérer voici comme l’item marqué du couple voici-voilà. H. Genaust(1975 : 106) propose d’expliquer la différence entre voici et voilà en termes séman-tiques : voici est sémantiquement plus riche que voilà car il lexicalise le trait[+proximité], alors que voilà ne lexicalise plus la distance du référent au centredéictique et est donc sémantiquement neutre. Les données relatives à l’em-ploi textuel de voilà rejoignent donc ici ce que l’on a dit sur l’emploi déictique(cf. § 2.1) : dans les deux emplois – déictique et textuel – voilà peut se référerindifféremment à une personne, un objet, etc. proche ou loin du locuteur ainsiqu’à un point du texte précédent ou suivant.

D’après nos données, ce deuxième point de vue aussi doit toutefois êtrerévisé. Contrairement à ce que l’on affirme de manière unanime dans les travauxconsultés, nous avons en effet relevé des occurrences d’emploi anaphorique devoici, et ceci dans les mêmes contextes exclus par L. Grenoble et M. Riley (1996)et B. K. Bergen & M. C. Plauché (2001, 2005) et jugés difficilement acceptablespar J. Delahaie (2009) – à juste titre si elle pense à la communication orale. Voicitrois exemples, choisis parmi de nombreux autres possibles (le dernier de typeclairement conclusif-résomptif, retenu comme typique de voilà) :

(35) « Travailler plus pour gagner plus ! » Voici le dogme du « pacte républicain »qui fut proposé en 2007 aux salariés français. Une majorité de ces derniersa voulu y croire, fatiguée d’avoir été des années durant culpabilisée parune « élite » lui reprochant les 35 heures et les RTT comme s’il s’agissait deprivilèges et non de droits. [humanite.fr, 29.4.2011]

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(36) « Big Pharma », ou la corruption ordinaire. À la suite d’une vague de fusionssans précédent, dix groupes pharmaceutiques se partagent 50 % du marchémondial des médicaments – pour le plus grand bénéfice de leurs action-naires. Ils soulagent la planète et financent la recherche avec le produit desventes. Voici le visage, lisse et souriant, que les « Big Pharma » présententau monde. Mais quelques rides commencent à se creuser. On meurt, au Sud,faute de médicaments, souvent trop chers ; [...] [MD, 10.2003]

(37) [...] Madeleine Chapsal, auteur à succès, journaliste exigeante, collaboratriceà L’Express pendant de nombreuses années, s’est vu accuser par ses consœursdu Femina de diffamation envers elles, pour avoir rapporté dans son Journald’hier et d’aujourd’hui (Fayard) la teneur des délibérations du jury qui sontcensées être tenues secrètes. En fait, c’est rarement le cas, certaines damesen faisant un compte rendu à leur éditeur respectif ; mais cela, elles ne lereconnaîtront pas. Qu’écrivait donc Madeleine Chapsal de si diffamatoire[...] ? [...] : “Raconter une remise du prix Femina, le jour J, relève de l’impossible,tant il se passe de petits faits et gestes entre douze dames, plus la secrétaire du prix,Anne de Caumont... Quant à ces dames, six d’entre elles avaient décidé mordicus etavant même d’entrer en scène de voter pour Gallimard en faveur de Régis Jauffret.Je n’avais rien contre, mais c’est ce côté « gang » qui m’a énervée.” Voici doncpourquoi ces dames ont prononcé à l’unanimité l’exclusion d’une des leurs,Madeleine Chapsal [...]. [lefigaro.fr, 15.10.2007]

4. CONCLUSION

On abordera, pour conclure, la relation sémantique, fonctionnelle et stylistiquequ’il faut poser, d’une part, entre l’it. ecco et les fr. voici et voilà et, d’autre part,entre les deux items français.

Pour ce qui est tout d’abord du français, nous avons vu que, au sein dela communication écrite (journalistique) appartenant à des registres moyensà formels, tant voilà que voici sont bien présents, et que le premier est deuxà trois fois plus fréquent que le deuxième. De plus, contrairement à ce quel’on affirme d’habitude, les deux items ne sont pas (plus ?) en distributioncomplémentaire : à l’exception de l’emploi de signal discursif, qui est attestéseulement avec voilà 11, voici et voilà ont le même champ d’action : on les trouveen emploi déictique, temporel et textuel (aussi bien en fonction anaphoriqueque cataphorique). Or, si cela n’est pas nouveau notamment pour l’emploitemporel (cf. par exemple, Bergen & Plauché 2005), cette observation est plussurprenante pour l’emploi textuel. Une donnée nouvelle, qui dément un pointde vue unanime de la bibliographie consultée, est, en effet, que voici peutoccuper une des fonctions normalement attribuées seulement à voilà : il s’agitde la fonction « anaphorique », dans laquelle il renvoie à une information déjàmentionnée dans le cotexte précédent.

11. On ne trouve pas non plus d’emploi de ce type avec voici dans nos données de l’oral, en tous les cas pasdans le français parlé en France.

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Les données proposées dans ce travail confirment donc l’idée générale selonlaquelle voilà a élargi son champ d’utilisation, « empiétant » sur le terrain desemplois de voici (on pense ici à son emploi textuel cataphorique). Nos don-nées permettent toutefois aussi de relever qu’un processus similaire vaut éga-lement pour voici. Nous ne pouvons donc pas être d’accord avec B. K. Bergenet M. C. Plauché (2005) quand ils affirment que, contrairement à l’emploi déic-tique, l’emploi textuel de ces formes appartient à une classe d’extension dontla « sémantique binaire est maintenue de manière plus stricte » (nous avonstraduit, p. 14), selon les deux auteurs justement parce que voici ne peut jamaisêtre employé de manière anaphorique.

À ce point de la discussion se posent deux questions : (i) dans quelle propor-tion se réalisent les différents emplois de voilà et voici dans les textes écrits ? Et(ii) quelle conclusion peut-on en tirer sur la relation entre les fr. voilà et voici ? Lesmêmes questions se posent naturellement aussi à propos des emplois de l’it. eccoet de son rapport aux fr. voici et voilà. Pour ce qui est de la première question,voyons les données du Tableau 3 12 :

Tableau 3 : Fréquence des emplois de l’it. ecco et des fr. voici / voilàdans la presse quotidienne

Déictique Signal discursif Temporel Textuel

A a C

ecco 43 % 3 % - 20 % 22 %

voici 30 % - 6 % 7 % 49 %

voilà 12 % 11 % 10 % 42 % 7 %

a. A = anaphorique, C = cataphorique

En ce qui concerne les emplois textuels de voici et voilà, les données sontclaires : l’emploi anaphorique de voici est beaucoup plus marginal que celui devoilà et vice versa, l’emploi cataphorique est plus typique avec voici qu’avecvoilà. De plus, l’emploi cataphorique de voici est beaucoup plus fréquent queson emploi anaphorique et l’emploi anaphorique de voilà plus fréquent queson emploi cataphorique. Une donnée pour le moins inattendue est le fait quel’emploi anaphorique de voici se réalise avec la même fréquence (7 %) quel’emploi cataphorique de voilà. On s’attendait, en effet, à trouver un emploicataphorique plus fréquent de voilà. Digne d’attention est également le fait queles emplois textuels de l’it. ecco sont beaucoup plus équilibrés que ceux de voiciet voilà.

12. Ces données (qui doivent être vérifiées à partir d’un corpus de textes plus grand et diversifié quant auxpublications) se basent sur l’analyse de (i) 100 occ. de voilà dans des articles publiés sur le site humanite.frentre le 2.4.2011-2.5.2011, (ii) 100 occ. de voici dans des articles publiés, d’une part, sur le même site pendantla même période (27 occ.), d’autre part, sur le site lexpress.fr (mai-juin 2011, 73 occ.) et de (iii) 100 occ. deecco dans le corpus REP (dans des textes datés de 2000). À noter aussi que ces données sont uniquementrelatives aux emplois dans lesquels nos items sont suivis d’un SN (de là le fait que l’on n’arrive pas tout à faità 100 %).

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Pour ce qui est de la deuxième question, et partant du français, on noteratout d’abord que la relation sémantique, fonctionnelle et stylistique qu’il fautposer entre voici et voilà est complexe (beaucoup plus qu’à l’oral). D’un point devue sémantique, on postulera qu’il n’y a plus de distinction nette entre les deuxitems et donc que les morphèmes –ci et –là ont désormais tous deux perdu deleur vitalité originelle. Le choix de l’un ou de l’autre item est maintenant surtoutune question de style, qui ne se résume toutefois pas à sélectionner voici ou voilàen fonction du type de texte et du ton que l’on veut lui donner, mais qui dépendde la fonction que ces items occupent dans le texte : voici est une variante deprestige (peut-on encore dire hypercorrecte ?) de voilà, au moins dans l’emploitextuel anaphorique ; dans l’emploi cataphorique, on retiendra en revanche quevoilà est une variante moins soutenue que voici, qui est plus fréquent dans cettefonction et se présente donc comme l’item non marqué du couple voici-voilà.

En ce qui concerne les équivalences interlinguistiques, sur la base de ce quenous venons de dire on relèvera que ecco coïncide tantôt avec voilà (en emploide signal discursif et en emploi textuel anaphorique), tantôt avec voici (emploidéictique-présentatif, dans lequel ecco est très fréquent, et textuel cataphorique).Il faut toutefois aussi remarquer que, à la différence des fr. voici et voilà, ecco esttoujours neutre d’un point de vue stylistique. Ceci s’explique par le fait qu’iln’entre pas dans une relation sémantique binaire avec un autre item et qu’il n’estpas issu d’une forme qui lexicalise un trait directionnel (ce qui se reflète dans ladistribution homogène de ses emplois textuels). Cette observation permet, pourconclure, de relever un fait remarquable, surtout dans l’optique d’une approchecognitive : malgré une origine complètement différente 13, l’it. ecco et le fr. voilàpartagent aujourd’hui presque la totalité des emplois.

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13. Ecco est directement issu du latin eccum (qui substitua en latin vulgaire d’Italie le plus antique ecce :cf. Serianni, 1997 : 356). Comme le montre Oppermann-Marsaux (2006), le présentatif français a une évolutionplus complexe : à la forme ez, issue du latin ecce, se substitue la forme veez ci (qui étend son emploi entre leXIIe et le XIVe s.), remplacée à son tour par les formes veci/vela, puis voici/voilà (XIVe-début du XVIe s.),entraînant la disparition de la forme présentative veez ci.

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