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Outre-mers Les rapatriés d'Algérie et la presse. Le cas lyonnais. Marc André Résumé En 1962, un événement surprend les métropolitains : l'arrivée des rapatriés d'Algérie. Un corps étranger pénètre brusquement dans les villes et Lyon n'échappe pas au phénomène, suscitant l'élaboration d'un discours cohérent. Les quotidiens régionaux sont un lieu d'analyse privilégié de ce discours : ils représentent la collectivité dans la mesure où chaque citoyen y a ses repères, ses trajets de lectures. La place prise par les rapatriés dans ces journaux permet de mesurer leur degré d'intégration. Ils vont alors être présents dans la presse de deux manières. Tout d'abord, leur arrivée, en tant qu'événement, est un objet journalistique par la réaction immédiate qu'il suscite. Un certain nombre de groupes structurés - organisations, syndicats, associations, partis ou personnes politiques -, avec leur rhétorique et leurs codes, ont accès aux journaux pour diffuser des messages. Il ressort de cette polyphonie un unanimisme optimiste. Puis, une mise en page de la présence des rapatriés dans la collectivité suppose un journalisme de nature différent. Il convient alors, non de laisser la parole à différents groupes structurés, mais d'élaborer une image de la collectivité lyonnaise avec cette nouvelle présence des rapatriés. La ventilation des rapatriés dans les colonnes du journal représente et facilite l'intégration effective dans la ville de Lyon. Mais celle-ci repose in fine sur une affinité politique entre les élus et les nouveaux « patriotes ». Citer ce document / Cite this document : André Marc. Les rapatriés d'Algérie et la presse. Le cas lyonnais.. In: Outre-mers, tome 97, n°368-369, 2e semestre 2010. Cinquante ans d'indépendances africaines. pp. 421-438. doi : 10.3406/outre.2010.4513 http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2010_num_97_368_4513 Document généré le 15/09/2015

Les rapatriés d'Algérie et la presse. Le cas lyonnais

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Les rapatriés d'Algérie et la presse. Le cas lyonnais.Marc André

RésuméEn 1962, un événement surprend les métropolitains : l'arrivée des rapatriés d'Algérie. Un corps étranger pénètre brusquementdans les villes et Lyon n'échappe pas au phénomène, suscitant l'élaboration d'un discours cohérent. Les quotidiens régionauxsont un lieu d'analyse privilégié de ce discours : ils représentent la collectivité dans la mesure où chaque citoyen y a sesrepères, ses trajets de lectures. La place prise par les rapatriés dans ces journaux permet de mesurer leur degré d'intégration.Ils vont alors être présents dans la presse de deux manières. Tout d'abord, leur arrivée, en tant qu'événement, est un objetjournalistique par la réaction immédiate qu'il suscite. Un certain nombre de groupes structurés - organisations, syndicats,associations, partis ou personnes politiques -, avec leur rhétorique et leurs codes, ont accès aux journaux pour diffuser desmessages. Il ressort de cette polyphonie un unanimisme optimiste. Puis, une mise en page de la présence des rapatriés dans lacollectivité suppose un journalisme de nature différent. Il convient alors, non de laisser la parole à différents groupes structurés,mais d'élaborer une image de la collectivité lyonnaise avec cette nouvelle présence des rapatriés. La ventilation des rapatriésdans les colonnes du journal représente et facilite l'intégration effective dans la ville de Lyon. Mais celle-ci repose in fine sur uneaffinité politique entre les élus et les nouveaux « patriotes ».

Citer ce document / Cite this document :

André Marc. Les rapatriés d'Algérie et la presse. Le cas lyonnais.. In: Outre-mers, tome 97, n°368-369, 2e semestre 2010.

Cinquante ans d'indépendances africaines. pp. 421-438.

doi : 10.3406/outre.2010.4513

http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2010_num_97_368_4513

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Les rapatriés d'Algérie et la presse. Le cas lyonnais

Marc ANDRÉ*

Qui se souvient des « Spartiates de Lyon » ? Personne, ou presque. Pourtant, cette équipe de handball uniquement composée de joueurs rapatriés d'Algérie * a suscité tous les enthousiasmes. Du côté lyonnais, un journaliste savoure la montée d'une fortune : « Les Spartiates de Lyon n'ont fait qu'une bouchée du Racing, au cours d'un match comptant pour l'Excellence du Lyonnais » 2. Du côté des rapatriés, on ose la louange poétique : « Oui ! Gloire à tous ces handballeurs, / Qui ont porté bien haut les couleurs / De leur club les « Spartiates d'Oran » /Avant de devenir ceux de Lyon » 3. Mais force est de constater que ces Spartiates ont tôt disparu, tant de la scène médiatique que des

Ventilés aux quatre coins de la France, les handballeurs s'intègrent à d'autres équipes : c'est la métonymie d'une intégration réussie valable pour tous les rapatriés d'Algérie.

Cette intégration qui, vue de haut, s'est déroulée « sans drames et sans heurts » 4, est évidemment due aux mesures politiques prises en faveur des rapatriés d'Algérie 5 et la presse quotidienne régionale a joué pleinement son rôle de sujet agissant, comme en témoigne une analyse des grands quotidiens lyonnais 6 entre 1962 et 1965.

* Cité scolaire internationale de Lyon. 1. Cette équipe existait en Algérie sous le nom des « Spartiates d'Oran ». Elle est

recréée à Lyon en septembre 1963. 2. Dernière Heure Lyonnaise, 25 octobre 1963, p. 12. 3. C'est nous les Africains, février 1964, p. 10. Ce journal, dirigé par Roger Fenech, est

l'organe mensuel de « liaison des Pieds Noirs et de leurs amis du Rhône ». Il paraît à partir de novembre 1963.

4. Discours de Charles de Gaulle, paru dans Le Progrès, 13 juin 1964, p. 14. Cette phrase heurte la sensibilité Pieds Noirs : leur mémoire repose sur un discours de victimi- sation. Cf. Eric Savarèse, « Mobilisations politiques et posture victimaire chez les

associatifs pieds-noirs », Presses de Sciences Po, Raisons politiques, n° 30, 2008/02. 5. Ces mesures concernent aussi bien les aides immédiates que l'indemnisation ou

l'amnistie, ces dernières étant souvent obtenues de haute lutte. 6. Dernière Heure Lyonnaise - édition lyonnaise du Dauphiné Libéré - commence à

paraître en 1955. Il connaît un tirage moyen de 400 000 exemplaires avec 286 n°/an. Le Progrès touche un lectorat plus étendu. Son tirage moyen est de 450 000 exemplaires avec 286 n°/an. Sa création remonte à 1858, d'où vraisemblablement un plus grand prestige. L'Echo-Liberté enfin est créé en 1948. En juillet 1964, le Dauphiné Libéré l'acquiert et le manifeste dans le corps du journal : on le voit notamment dans la création d'une rubrique quotidienne consacrée aux Pieds Noirs.

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La particularité de cette région ne s'impose pas au premier regard, ni pour les rapatriés, ni pour l'historien. Mais elle se révèle vite

: d'une part le nombre de rapatriés s'accroît jusqu'à atteindre ioo ooo personnes à la fin de l'année 1962. Par rapport à la population de la région leur proportion compte parmi les plus importantes de France et le Rhône se distingue ainsi par leur installation majoritaire à Lyon même (25 000 personnes) ; d'autre part, Lyon est le siège des trois congrès annuels de l'Association Nationale des Français d'Afrique du Nord et d'Outre-Mer et de leurs Amis (I'anfanoma) 7 entre 1962 et 1965, congrès qui manifestent la vitalité de la communauté née de ce rapatriement.

Ainsi, la collectivité lyonnaise se doit de tenir un discours sur ce phénomène. L'analyse de la place prise par les rapatriés dans les quotidiens régionaux montre les facteurs d'intégration produits par un miroir intentionnellement déformant 8 et, plus discrètement, un facteur facilitant qui est l'appartenance politique.

1. Un unanimisme optimiste

A peine les accords d'Évian signés 9, un unanimisme jusqu'alors impensable se fait jour où églises, syndicats, associations, instances politiques, expriment une même volonté d'accueil chaleureux des

d'Algérie. Cet effort est largement relayé par la presse IO.

Le message des confessions

Entre mai et novembre 1962, période d'affluence des rapatriés, les organisations religieuses s'activent et le font savoir dans la presse : « la Chronique Sociale de France, le Secrétariat Social du Sud-Est et le Secours Catholique ont pris l'initiative d'une rencontre entre divers organismes sociaux d'inspiration religieuse, la CIMADE protestante, le Fonds Social Juif Unifié, les Amitiés Judéo-chrétienne et Pax Christi, en vue d'une aide immédiate et locale (...) quelques jours avant l'arrivée

7. L'anfanoma, créée en 1956, est la principale association des rapatriés. Elle est nationale et se subdivise en sections régionales et locales. C'est l'association qui regroupe le plus d'adhérents à Lyon.

8. D'autres études ont pour objet les Pieds Noirs et la presse. Dès 1962 est publié Les Pieds-Noirs et la presse française, Paris, Editions Galic, 1962 : ce petit livre est une compilation d'articles extraits de quotidiens régionaux. On consultera aussi Cécile

Les pieds-noirs et l'exode de 1962 à travers la presse française, Paris, L'Harmattan, 2003. Cet ouvrage porte sur l'année 1962 et sur les grands quotidiens nationaux.

9. 18 mars 1962. 10. Le gouvernement Pompidou a d'ailleurs estimé que sa tâche première était d'agir

sur la manière dont l'opinion publique percevait et comprenait ce qui était en train de se passer plutôt que de dégager de nouveaux moyens ou adopter de nouvelles mesures. Cf Todd Sheppard, 1962. Comment l'indépendance algérienne a transformé la France, Paris, Payot, 2008 (ire édition 2006), p. 285.

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massive des rapatriés à Lyon » ". Le consensus entre les différentes confessions est solide, car ces organisations se placent sur le même terrain local. L'objectif se veut pragmatique et par conséquent « en dehors de toute considération politique » I2. La campagne, destinée à sensibiliser les Lyonnais, nécessite un arsenal rhétorique spécifique qui dessine une image des rapatriés quasi évangélique *3. Cet œcuménisme entend se faire valoir et ces organisations comptent établir les liens entre les rapatriés, les Lyonnais et les pouvoirs publics. D'une part, « le Secrétariat Social menait, par la voie de la presse, une campagne d'opinion pour sensibiliser aux besoins des repliés nos compatriotes lyonnais » ** et d'autre part, il « est intervenu auprès des pouvoirs publics et des parlementaires » *5. La diffusion de ce dispositif complet dans la presse tend à présenter à la collectivité une image harmonieuse d'elle-même où les Églises trouvent évidemment leur compte. En effet, la hiérarchie ecclésiastique s'implique à l'instar du cardinal Gerlier l6 qui joue son rôle de guide selon une pure logique pastorale I7.

L'appel des six organisations religieuses que publie Le Progrès est en fait extrait d'un document plus épais diffusé quelques jours plus tard en tirage à part, dans lequel apparaît un climat social tendu, plus conscient de la réalité : « Le Secrétariat Social menait, par la voie de la presse, une campagne d'opinion pour sensibiliser aux besoins des repliés nos

lyonnais dont beaucoup semblaient indifférents ou même hostiles aux nouveaux arrivants » l8. Le journaliste a naturellement coupé cette phrase ne tenant manifestement pas à favoriser les

La collectivité doit se regarder dans un miroir lisse.

Le mot d'ordre syndical

Si la conscience morale des Lyonnais est mobilisée par les d'inspiration religieuse, leur conscience politique ne l'est pas

moins, sollicitée par la volonté syndicale d'intégrer de nouvelles forces dans la cité. Or les syndicats ont également leur place dans les

eux aussi font valoir leur action et appellent à des solidarités. La CFTC annonce par exemple la tenue d'une permanence un jour

de la semaine afin de fournir aux rapatriés « les renseignements divers

11. L' Echo-Liberté, 22 mai 1962, dernière page. 12. Ibid. 13. Les rapatriés sont les « victimes du drame algérien », des individus « pratiquement

sans ressources, sans bagages, sans relations », « en majorité des petits ouvriers, artisans ou commerçants, petits agriculteurs... ». Il convient d'être charitable devant ces nouveaux « pauvres ». Le Progrès, 23 mai 1962, p. 7.

14. Note d'information du Secrétariat Social du Sud Est et de la Chronique Sociale de France, L'aide aux repliés d'Afrique du Nord, note n° 4, juin 1962 p. 1. Archives

de Lyon. 15. Ibid. 16. Pierre-Marie Gerlier (1880-1965) est nommé archevêque de Lyon en 1937. 17. Le Progrès, 23 mai 1962, page 7 et 9 juillet 1962, p. 4. 18. Chronique Sociale de France, note n° 4, p. 1.

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que pose leur retour et [de] faciliter leur installation dans lyonnaise » I9. Un discours militant qui concerne tous les rapatriés

est adressé à tous les Lyonnais et une incitation à agir l'est plus directement aux seuls syndiqués à propos des rapatriés affiliés au syndicat.

Dans le journal, ce discours contribue à donner l'image d'une soudée dans cette œuvre d'accueil, toutes les forces semblant

converger vers un même objectif d'apaisement. Le Progrès prend soin, par exemple, de publier un communiqué de I'anfanoma qui prend acte des efforts syndicaux 2O. Mieux, il met littéralement en scène les

discours. En effet, alors que les communiqués de l'UD CGT sont plus partisans 2I, le journal tente d'escamoter ce discours porteur de division. D'une part, Dernière heure lyonnaise tempère le communiqué de la CGT en lui accolant un article de la CFTC, dans lequel celle-ci « proteste contre l'attitude de certaines organisations qui sous prétexte d'aide et d'accueil aux rapatriés, ne cherchent qu'une exploitation politique d'une situation dramatique et souvent misérable » 22. D'autre part, si le bulletin Pieds Noirs évoque à plusieurs reprises des tracts violents et réagit très vivement contre l'image donnée de certains Français d'Algérie, on remarque que la presse prend soin de ne pas les diffuser 23.

La voix associative

L'accueil nécessite une prise de conscience morale et politique mais il engage surtout la conscience civique de tous les Lyonnais.

Le Progrès publie un « SOS » qui tente de recenser « tous les participants » à l'aide aux rapatriés mais ne parvient pas à être

exhaustif 24. Un premier type de solidarité émerge, spécifique : on se tourne

d'abord vers son semblable. Ainsi les étudiants, regroupés dans l'AGEL, Association Générale des Etudiants Lyonnais, pensent avoir un rôle à jouer et luttent afin d'« obtenir des mesures très souples qui créeront un climat psychologique plus favorable à l'installation de leurs condisciples algérois et facilitera leur séjour à Lyon » 25. Les instituteurs, agriculteurs, chauffeurs de taxis métropolitains procèdent de la même manière.

Un autre niveau de solidarité engage chaque citoyen. Ainsi, le Club Jean-Moulin qui affirme : « En notre qualité de citoyens, nous portons

19. Le Progrès, 6 juin 1962, p. 5. 20. Ibid., 11 juin 1962, p. 5. 21. L'un d'eux parle des « mesures favorisant les profiteurs du colonialisme ou tendant

à couvrir des éléments O.A.S. » : Dernière Heure Lyonnaise, 9 juin 1962, p. 7. 22. Le Progrès, 8 juin 1962, p. 6. 23. Un tract évoquant les « gros colons » est publié dans C'est nous les Africains, mars

1964, p. 4. 24. Le Progrès, 28 juin 1962, p. 8. 25. Ibid., le 5 juin p. 6.

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la responsabilité du drame [algérien], puisque nous avons laissé se perpétuer un régime colonial qui ne pouvait qu'engendrer la violence (...). Si nous voulons conclure cette affaire avec honneur, nous nous devons d'aider à la fois les Français et les Algériens victimes de la guerre. Des actes de cette nature [créer un impôt de solidarité], mieux que les accès d'une sentimentalité versatile, apporteraient la preuve d'une solidarité » 26. Tous les Français sont ici responsables et

donc participer concrètement à l'effort financier demandé pour l'accueil et l'intégration. L'association, en même temps qu'elle affirme sa position et son engagement, participe à l'unanimisme volontariste.

Quant aux associations craignant de ne pouvoir remplir leur mission, elles s'impliquent dans la coordination des forces :

la Fédération nationale des femmes centralise les dons pour les diriger ensuite sur les organismes qui lui paraissent plus qualifiés. Tous les Lyonnais sont donc mis à l'épreuve.

Même si les représentants des associations ne sont intervenus qu'une fois, leurs noms cités dans la presse renforcent l'image d'une

mobilisée : les rapatriés ont reçu un accueil bienveillant 27, au moins dans la presse.

Une municipalité accueillante

L'image d'unité est enfin due à l'action de la municipalité de Lyon, partie prenante d'un accueil chaleureux. Au cours d'une opération destinée aux rapatriés le 27 septembre 1962, « l'opération couvertures », le maire de Lyon 28 prend « les premiers contacts officiels avec une communauté qui a cherché et trouvé refuge dans sa ville et souhaite s'y intégrer aussi parfaitement que possible » 29. Le jour de la rencontre, le maire est entouré de la majorité de son conseil, du représentant du préfet du Rhône, et du cardinal Gerlier 3°. Il cristallise en quelque sorte

26. Ibid., 7 juin 1962, p. 2. 27. Cette image d'unité dans l'accueil des rapatriés à Lyon, où le rôle des associations

est mis en évidence, s'estompe progressivement. En effet, à partir de 1963 les associations mentionnées sont désormais, à quelques exceptions près, celles créées pour défendre des points précis concernant les intérêts des rapatriés. Entre la logique d'accueil et la logique d'intégration, les forces mises en œuvre ne sont plus les mêmes.

28. Une thèse consacrée à Louis Pradel souligne que la conquête et la conservation du pouvoir par ce maire, de 1957 à 1976, s'explique en partie par un dosage politique comprenant une omniprésence dans les quartiers et un dynamisme de l'action

Cette dimension de l'action est visible dans l'accueil des rapatriés d'Algérie : Laurent Sauzay, Louis Pradel, maire de Lyon : 1957-1976 : conquête d'un pouvoir : les clés de l'enracinement local,Thèse de doctorat, sous la direction de J.D. Durant, Lyon 3, 1996.

29. Le vocabulaire utilisé étonne : « Qualifier de "repliés" les citoyens français arrivant en métropole indiquait qu'il s'agissait de la conséquence d'un revers, les vaincus quittant pour un temps un secteur de la patrie - l'Algérie - afin de se rendre dans un autre : la métropole. Le terme de « rapatrié », en revanche, signifiait un retour au sein de la patrie (...) après avoir quitté un pays étranger, l'Algérie » : le 30 mai, à l'assemblée nationale, il y a débat sur ce vocabulaire :Todd Sheppard, op. cit. p. 282-283.

30. Dernière Heure Lyonnaise, 27 septembre 1962, p. 6. et Le Progrès, 27 septembre 1962, p. 6.

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les différentes autorités, morales, politiques ayant en charge l'accueil des rapatriés. Il se place - ou est placé - dans un rôle de « guide »

il lance lui-même la campagne 3I. Il encourage chaque Lyonnais à venir apporter une couverture pour l'hiver des rapatriés afin de «

les réfugiés obligés de quitter l'Afrique du Nord en abandonnant tous leurs biens » 32. Par ailleurs, il entend donner l'exemple en

« que 80 fonctionnaires venant d'Algérie travaillent dans les municipaux ». La ville entière est sollicitée : « Les Lyonnais ont bon

cœur. (...) Je suis sûr qu'ils vous aideront à vous installer dans cette ville où vous êtes chez vous » 33.

Soyons fiers

Au fil du temps, les journaux régionaux installent une image positive de la région et de sa capitale. Lyon est alors « au tableau d'honneur des villes de France : c'est elle qui accueille le mieux (ou le moins mal) les repliés d'Algérie » 34. Les quotidiens façonnent cette image et sont impliqués, directement cette fois, de deux manières.

Tout d'abord, ils développent un discours autonome qui vient les discours religieux, syndicaux ou associatifs. L 'Echo-Liberté

félicite ses lecteurs, évoquant « le bel exemple de solidarité dont les Lyonnais donnent l'exemple à l'égard de leurs compatriotes

» 35. Le même journal appuie l'effort collectif : « Ne nous y pas. Quelles que soient nos opinions, nous sommes tous

par certaines situations douloureuses (...) Il est évident que le salut est dans un immense effort de solidarité nationale, car si l'on y regarde d'un peu près, en prenant l'exemple d'une ville comme Lyon, on doit bien admettre que le gouvernement laisse les initiatives privées se débattre toutes seules » 3<s.

Dans un second temps, les journaux se font acteurs de la solidarité : «Notre "Chaîne" (...) s'efforce toujours d'apporter son aide, et nos amis nous comprendront sûrement si, d'accord avec la direction du « Progrès », nous ouvrons nos colonnes à nos compatriotes d'Algérie les plus démunis » 37, Le journal est lieu d'accueil supplémentaire. Il n'est que le maillon d'une « chaîne » dans laquelle Dernière Heure Lyonnaise organise pour sa part des consultations juridiques s8.

Au total, rabbins, cardinaux et archevêques, cégétistes, étudiants, anciens combattants, femmes, agriculteurs, hommes politiques... ont

31. Ibid., 8 septembre 1962, p. 4. 32. Ibid. 33. Le Progrès, 27 septembre 1962, p. 6. 34. Ibid., 27 juillet 1962, p. 5. 35. L' Écho-Liberté, 30 mai 1962, p. 4. Il s'agit d'une référence aux offres de logements

qui continuent d'affluer à la Croix rouge. 36. Ibid., 20 juillet 1962, p. 3. 37. Le Progrès, 2 juin 1962, p. 6. 38. Dernière Heure Lyonnaise, 28 janvier 1963, p. 7.

LES RAPATRIÉS D 'ALGÉRIE ET LA PRESSE 427

eu accès au journal pour diffuser un ou plusieurs communiqués. collectivité donne ainsi une opinion particulière, sollicite un

Si certains groupes ont un « caractère » qui assure une stabilité dans leurs idées, révélant parfois des opinions partisanes, la plupart du temps on se tait. Une grande cohérence entre les différents discours émerge de cette polyphonie.

Cette unité de vues se fonde sur la volonté d'interrompre les conflits. L'Histoire est absente, place à l'actualité. Mais il ne s'agit pas là d'une opinion publique combattante : « on ne parle pas d' « opinion

» lorsqu'il y a communauté totale d'idées » 39. Dans le cas de l'accueil des Français d'Algérie, il ne peut y avoir de débat. C'est un problème face auquel tous sont prêts à s'impliquer tant matériellement que moralement. Tous les discours visent à stimuler les énergies des Lyonnais, à les entraîner dans cet « effort de solidarité » plutôt qu'à lutter contre le gouvernement ou à déplorer ses lenteurs. Nous

alors moins d'une opinion publique que d'une « opinion molle », comme on le dit des matières en physique. Pendant ces quelques mois de l'accueil des rapatriés, l'objectif qui est de redéfinir une identité nationale, est atteint.

2. Signes de l'unité

Tout journal développe un discours et construit ses feuillets. Il répond à une attente de la collectivité et s'adresse à chacun de ses membres. Or il doit, à partir de 1962, établir une relation entre les métropolitains et les rapatriés. Ainsi, les Français d'Algérie vont être mis en situation de rapatriés puis de Pieds Noirs. Il n'y a plus de distinctions entre Oranais, Algérois, entre les israélites et les catholiques. La presse médiatise le rapport social entre les rapatriés et les Lyonnais sur sa scène propre. Chaque Lyonnais, par l'intermédiaire de son quotidien, que ce soit Le Progrès, Dernière Heure Lyonnaise^ ou L'Echo-Liberté, qu'il le lise dans un bar, chez lui, ou dans une salle d'attente, est en rapport avec une image des rapatriés.

Géographie médiatique des rapatriés

Les trois grands quotidiens regroupent les principales villes de l'agglomération lyonnaise. La création de centres d'accueil intègre alors les rapatriés dans cette géographie symbolique, et facilite un travail d'enquête « ethnographique » de la part des journalistes, travail destiné à dissiper tout malentendu sur ce nouveau fragment de population.

Une série de descriptions des centres est publiée dans Dernière Heure Lyonnaise à la fin du mois d'août 1962 4°. Manifestement, les

39. Alfred Sauvy, L'opinion publique, PUF, Paris, 1997, p. 4. 40. Sept articles sont publiés entre le 22 et le 31 août 1962.

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journalistes ne cherchent pas à fournir des informations rigoureuses : très peu de place est accordée aux statistiques, aux catégories sociales de rapatriés présents, à la durée de leur séjour dans ces centres 4I. Ils cherchent, à partir d'exemples concrets, à élaborer des modèles sociaux de concorde. Le brassage des populations et l'absence de conflits sont un premier signe de climat pacifié. Les « Algérois, Oranais et Constan- tinois » parlent à « l'unisson » 42. Mieux, des rapports s'établissent entre rapatriés et « musulmans » 43 comme à Villefranche-sur-Saône où « la paix chez soi », est « la devise des repliés et musulmans logés à la même enseigne » 44. Un panel social est représenté àVénissieux où sont reçus « les repliés quelles que soient leurs conditions familiales » 45. La

politique est aussi de rigueur, quitte à refouler ses pensées. Les dirigeants du centre de Caluire s'interdisent « absolument de connaître leur point de vue sur les problèmes politiques ou autres qui pourraient les concerner » 46. Un certain contrôle n'en existe pas moins, garant du bon ordre 47.

Il ne suffit pas de présenter ces populations, rapatriées ou unies, vivant en bonne intelligence. Nos quotidiens concernent

chaque citoyen, du maire au villageois anonyme, et ce dans leurs activités de tous les jours. Les centres mis en scène dans les

doivent donc, en bonne communication, faire intervenir tout ce monde dans un schéma ordonné. Un aperçu de la cuisine du centre de Vaugneray synthétise la concorde entretenue par toutes les bonnes volontés : « Là, dans l'ordre, sont préparés déjeuners et dîners, suivant les apports de la journée effectués par les habitants de Vaugneray. Les uns déposent des légumes, les autres des volailles ou quelques lapins engraissés offerts en holocaustes (sic) aux « repliés » d'Algérie. Ces offrandes généreuses et assez régulières permettent d'améliorer l'ordinaire (...) La bonté d'âme des Lyonnais a favorisé ce rapide retour à la normale » 48. De cette nature morte ressort un

de sérénité. Les journalistes ne tiennent néanmoins pas à forger l'image de

assistés : « En attendant de trouver un emploi, ils ne sont pas restés inactifs. Au contraire, se débrouillant pour le matériel, n'hésitant pas à l'acheter selon leurs moyens, les anciens commis agricoles se

en peintres en bâtiment » 49.

41. On sait que « le journaliste préfère un exemple concret que des chiffres » : Alfred Sauvy, L'opinion publique, PUF, Paris, 1997, p. 31.

42. Dernière Heure Lyonnaise, 28 août 1962, p. 4. 43. En effet les nord-africains venant en France pour le travail sont bien souvent logés

dans des centres comme ceux-ci. 44. Dernière Heure Lyonnaise, 24 décembre 1962, p. 4. 45. L' Écho-Liberté, 11 juillet 1962, p. 3. 46. Ibid., 10 juillet 1962, p. 3. 47. Il est fait mention de « quelques brebis galeuses » mais aussi de « la vigilance des

moniteurs » dans Dernière Heure Lyonnaise, 24 août 1962, p. 4. 48. Dernière heure lyonnaise, 29 août 1962, p. 3. 49. Ibid., 27 août 1962, p. 3.

LES RAPATRIÉS D'ALGÉRIE ET LA PRESSE 429

Ce sentiment d'apaisement est renforcé par la présentation des centres d'accueil comme lieux intermédiaires. Le décor est scruté avec soin : à Caluire-et-Cuire, les rapatriés vivent, « à quelques

de Lyon, (...) dans un cadre reposant » 5°. Les rapatriés sont loin des « tourments de la ville ». Certes, il semblerait que la

réelle des centres ait été élaborée pour des raisons 51. Cependant, la répétition de ces paysages reposants suscite

un imaginaire de paix. Elle parachève l'élaboration d'une utopie mineure, autrement dit une utopie faisable, à l'échelle du Rhône et non à l'échelle de l'humanité. C'est une utopie à portée de main. Ces lieux intermédiaires permettent une transition entre l'Algérie et la métropole 52. Ils participent au processus d'intégration. Mais ce qui montre que nous avons plus affaire à l'image qu'à la réalité, c'est que les journalistes évoquent très peu les grandes errances à travers tout le pays. Dans un autre cadre, l'affinité entre la stabilité du lieu - fût-il un centre - et la paix, par opposition au nomadisme et au désordre qu'il sous-tend se retrouve dans l'image mise en place par la presse 53.

Typologie médiatique des rapatriés.

Après un temps de transit, les principaux enjeux de l'intégration sont l'école pour les jeunes 543 Un emploi pour les personnes actives, un logement pour les familles 553 une maison de retraites pour les

âgées. La diversité des articles sur les rapatriés de différents âges permet de mesurer le degré d'intégration. Le regard porté sur les actifs le prouve.

50. Ibid., 24 août 1962, p. 4. et 30 août 1962, p. 3. 51. En effet, les arrivées à Lyon sont postérieures à celles de Marseille.

des leçons ont été tirées des embouteillages dans les petites rues de Marseille, en raison des affluences devant les bureaux administratifs, et des tensions nées de ceux-ci. En juillet-août, les journaux lyonnais relatent les tensions entre les rapatriés et les Marseillais : Dernière heure lyonnaise, 20 juillet 1962, p. 2.

52. Cette transition oppose bien naturellement le passé de la guerre, 1' « Apocalypse », « l'affreux cauchemar », à un avenir incertain, certes, mais plein de promesses. Les centres sont des « havres de paix » : Dernière Heure Lyonnaise, 6 septembre 1962.

53. Il convient néanmoins de restituer la problématique de la durée de l'accueil. L'espoir ne peut se maintenir que dans la mesure où l'attente est modérée. En août, au moment de ces longs comptes rendus de journées ordinaires dans des centres d'accueil, l'optimisme est de règle. Toutefois, quelques mois plus tard, quelques fragments de réalité laissent percevoir un plus grand pessimisme. A La Duchère, les rapatriés sont entassés, mal nourris, ils n'ont plus d'indemnités... Dernière Heure Lyonnaise, 21 décembre 1962, p. 5.

54. Si la rentrée scolaire revient chaque année « à la une », les rapatriés n'apparaissent plus comme un problème dès 1963, signe d'une intégration réussie : Dernière Heure Lyonnaise, 6 septembre 1962, p. 2 ; Le Progrès, 14 septembre 1963, p. 7. Le Noël des rapatriés est autre temps fort du regard porté sur les jeunes rapatriés : Le Dauphiné Libéré, 30 décembre 1963, p. 6.

55. Un article est particulièrement instructif puisque qu'il montre une dizaine d'acteurs mobilisés pour construire un logement destiné à des familles rapatriés : Le Progrès, 30 novembre 1964, p. 6.

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Une société est déplacée. Arrivent en métropole des agents SNCF, des instituteurs, des agriculteurs, des artisans, des commerçants, des coiffeurs... Outre le panorama sur les diverses situations en Algérie offert à l'opinion publique par cette panoplie de conditions sociales, l'intégration par le travail s'impose comme une évidence.

Un bon exemple est fourni par F « opération rapatriés », dite aussi « opération Missoffe », menée, entre le 16 mars et le début du mois de mai 1963, à l'échelle de la nation et dirigée par François Missoffe, ministre des Rapatriés. Concrètement, il s'agit d'une opération de recensement de l'emploi en France auprès de 250 000 employeurs, et destinée à reclasser 100 000 rapatriés 56. Mais cette opération est

médiatique. La presse quotidienne régionale est au cœur d'une « campagne », à la fois relais de l'action gouvernementale et promotion des demandes des rapatriés. Elle publie les résultats, la cartographie des offres dont la mise en page nous arrête : le 18 avril 1963, deux pages y sont entièrement consacrées, et l'annonce - « des milliers d'emplois pour les rapatriés... » - figure dans le bandeau, place exceptionnelle pour une information. Les titres soulignent l'effort consenti par la collectivité : « rapatriés pour vous », « décidez où vous allez vivre », « 8 opérations faciles et rapides » 57. L'entête renforce cette

: « Ne laissez pas passer la chance qui vous est offerte et profitez du fait que durant un mois les situations proposées sont « gelées »

pour vous » 5§. Pendant une durée limitée, les rapatriés ont la priorité sur des emplois qui sont bloqués, réservés, établissant, avant la lettre, une « discrimination positive ». Les rapatriés sont mis en demeure d'intégration !

La présentation des deux pages se veut pédagogique. Tout est réduit au maximum : des chiffres, des dessins, des phrases courtes doivent captiver l'intérêt des rapatriés. Sur la carte de France, chaque

est signalé par un élément de l'imaginaire collectif : des joueurs de pétanque dans les Bouches-du-Rhône, les pistes de ski en Savoie... autant d'icônes d'une France pittoresque qui se veut fraternelle. A cette carte bienveillante s'ajoutent les descriptions des régions, étonnante de la région Rhône-Alpes dont celle : « Le Rhône et la Saône furent longtemps les seules voies d'accès à ces régions montagneuses et rudes. Aujourd'hui l'élevage prospère et les forêts sont parmi les plus

du pays. (...) Actuellement la région s'industrialise d'une façon extraordinairement rapide d'autant que les montagnes ne sont plus un

56. Ibid., 6 mars 1963, dernière page. Ce chiffre correspond uniquement aux « », les autres catégories étant les « non salariés », les « harkis » et les « vieillards ». Les

pouvoirs publics ont surtout incité les rapatriés à trouver un emploi dans le salariat afin d'éviter les risques économiques et les lenteurs d'intégration des professions

« ce, au mépris des traditions artisanales de cette communauté ». Sur ce sujet : Pierre Baillet, Les rapatriés d'Algérie en France, Paris, La Documentation Française, Collection Notes et Etudes documentaires, n° 4275-4276, mars 1976.

57. Dernière Heure Lyonnaise, 18 avril 1963, p. 12-13. 58. Ibid.

LES RAPATRIES D'ALGERIE ET LA PRESSE 43 1

obstacle aux échanges commerciaux et au trafic ». Voilà l'histoire de la région Rhône-Alpes condensée à l'extrême. Les renseignements

portent sur le nombre d'écoles maternelles, d'écoles primaires, de lycées, d'universités, de terrains de sport, de permis de construire. De manière plus précise sont répertoriées les possibilités d'emplois selon les différents secteurs 59.

Par une présentation soignée, les journaux jouent un rôle Cette « opération séduction » va jusqu'à prévoir le contact avec

les employeurs qui semblent déjà les attendre, ainsi de la première opération : « Célibataire ou marié, homme ou femme, jeune ou vieux, salarié ou non, vous pouvez vous présenter six jours sur sept au bureau de main d'œuvre le plus proche de votre domicile pour organiser un voyage de prospection destiné à trouver un emploi qui vous conviendra dans la région de votre choix ». Le caractère hexagonal, la proximité, le choix, la gratuité sont des conditions mises en avant pour susciter l'adhésion des rapatriés à cette démarche.

Rapatriés, mais en pages intérieures

Dès l'été 1962, les différents journaux se tournent progressivement vers de nouvelles curiosités. Les rapatriés se diffusent pour ainsi dire dans les rubriques où la collectivité a sa vie reflétée, signe d'une intégration dans les activités telle que la presse les organise dans ses colonnes et dont nous reprenons les rubriques.

Rassemblements et commémoration : Les rassemblements de personnes dans la ville de Lyon sont l'objet de comptes rendus méticuleux. Or, les rapatriés ajoutent des dates au calendrier traditionnel. Entre 1962 et 1965, les congrès annuels de I'anfanoma 6o qui se tiennent à Lyon sont les plus suivis 6l. Leur importance est à chaque reprise mise en avant : Le Progrès n'hésite pas à débuter ses articles sur la première page, accompagnés d'une photo de l'assemblée ou de la tribune 62. Grand soin est apporté à la description des activités à l'intérieur du Palais des Congrès et du Palais des Sports.

59. La région Rhône Alpes est la troisième région pour les possibilités d'emplois, après la région parisienne et l'Est : 7 625 emplois sont disponibles dont 22% assortis de logement. Ce sont des emplois peu valorisants. Les trois secteurs dominants sont la manutention et le stockage (764), la construction et l'entretien des bâtiments (1747), la transformation des métaux ordinaires (1425). Comparé avec le nombre de postes

(5), les professions administratives (3), les services sociaux et de santé (40)3 le décalage est net.

60. Du 30 novembre au Ier décembre 1962, du 30 novembre au 2 décembre 1963 et du 30 octobre au 2 novembre 1965. L'anfanoma tient des congrès annuels depuis 1956.

61. Les commémorations de la fusillade de la rue d'Isly à Alger, le 26 mars 1962, reçoivent aussi de longs échos. Chaque année, les rapatriés tiennent à commémorer cet événement en déposant une gerbe devant le Veilleur de Pierre, monument élevé en souvenir des crimes nazis.

62. Le Progrès, 2 décembre 1963.

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Fêtes et bals : Les membres d'une collectivité peuvent également se réunir à l'occasion de fêtes. Ces réunions festives, telles qu'elles sont rapportées dans la presse, facilitent la transition entre une image de gens misérables et celle d'une sociabilité commune aux deux

Un tournoi de pétanque est décrit comme un tournoi ordinaire avec ses encouragements, ses victoires, ses déceptions. Attention est portée au « traditionnel apéritif de l'Afrique du Nord » 63, à la

avec la « Kémia », « le méchoui » et « l'anisette » 64, et, bien sûr, les « merguez »; ailleurs, on reprend « un langage pittoresque avec un accent inimitable, les plaisanteries qui déchaînaient l'hilarité

» 65. Le pataouète est parfois poussé jusqu'à la caricature 66 : « Ah ! la purée de nous autres ! Samedi à la salle des fêtes,

c'est la grande soirée dansante des Pieds Noirs de Saint-Fons. Dis ! Tu vas les voir descendre des Clochettes à grande enjambées. Et puis il y aura ceux de Saint-Priest, deVénissieux, Pôpôpô ! ». Le but est

d'amuser et par là même d'intégrer les rapatriés dans l'ordinaire de la vie. L'ambiance de l'Algérie française s'établit en France, dans des moments privilégiés 67. L'image qui se dessine par ce biais est celle d'une « intégration joyeuse ».

Rubriques culturelles : Les journaux ont des rubriques destinées aux spectacles, à la parution de livres 68, aux conférences, et les rapatriés s'y retrouvent. Un spectacle, « Purée de nous z'autres », qui a lieu en février 1964 au Palais d'hiver de Lyon, a droit à des articles dans chacun des trois grands quotidiens 69. Le spectacle a pour fonction d'interroger le spectateur : « je pense ne choquer personne en disant que pour ma part je suis entièrement de cœur avec eux ! J'ajoute même que j'ai senti la honte me monter au visage... Nous n'avons pas su défendre ces

sur leur terre française, où ils étaient chez eux » 7°. Le rire permet la « compréhension ».

Rubrique sportive : Les trois quotidiens laissent une grande place aux chroniques sportives. L'arrivée à Lyon de « l'Oranais Antoine Por- cel » 7I, boxeur, est un phénomène politique. Or, l'attention qui lui est portée prend place dans la rubrique sportive. A la différence du

63. L'Echo-Liberté, 8 juin 1963. 64. Dernière Heure Lyonnaise, 22 mai 1963, pj. 65. Le Progrès, 18 janvier 1965, p. 6. 66. Dernière Heure Lyonnaise, 2 avril 1965, p. 10. 67. C'est encore le cas lors de la sortie annuelle, instaurée en 1963, à Loyette :

L'Echo-Liberté, 8 juin 1963, p. 2. 68. Les ouvrages de Jean Loiseau - « Lyonnais d'adoption » - entre autres bénéficient

de comptes rendus dans la presse. Ainsi de Pied Noir mon Frère. Témoignage d'un Fran- caoui, Paris, France Empire, 1963, 252 p. : Dernière Heure Lyonnaise, 16 mars 1963.

69. Il s'agit d'une comédie musicale. Les comédiens principaux sont Robert Castel et Lucette Sahuquet. Signe d'intégration, ce spectacle n'est pas destiné aux seuls rapatriés. Le chroniqueur de L'Echo-Liberté, un peu mécontent, signale : « II serait trop injuste de ne satisfaire que le public « pied noir » qui est bien sûr un public en « or » ». L'Echo- Liberté, 6 février 1964, p. 4.

70. Ibid. 71. Le Progrès, 5 août 1964, p. 8.

LES RAPATRIÉS D'ALGÉRIE ET LA PRESSE 433

spectateur de catch, celui de la boxe attend la montée d'une étoile 72. Le journal obéit à cette mission très symbolique dans le cas d'un boxeur rapatrié. Son destin se superpose alors à l'histoire globale des rapatriés : il quitte l'Algérie en pleine gloire, muni d'une « simple valise », a le « moral brisé », envisage « d'abandonner son sport favori », puis rencontre des organisateurs lyonnais qui l'invitent à venir « entre Rhône et Saône » ; les débuts sont difficiles, mais il « se remet au travail ». Résultat : « Sept combats, cinq victoires ». « L'homme mérite qu'on s'intéresse à lui » 73. Avec ce boxeur, c'est le portrait de l'homme rapatrié d'Algérie « adopté » par les Lyonnais. C'est un individu qui a retrouvé une place dans la collectivité : il a une mémoire individuelle, un avenir, une activité qui s'ajoute à son emploi à la mairie, des liens avec les supporters « pieds noirs », avec les Lyonnais. C'est aussi un symbole d'intégration au sein du journal.

Une nouvelle rubrique : Les journaux maintiennent malgré tout une singularité Pieds-Noirs. Apparaît ainsi un espace journalistique spécialisé qui distingue les rapatriés comme population ou lectorat spécifique 74. Les nouvelles rubriques permettent de découvrir la

dans son ensemble. En effet, elles regroupent tant les du ministère des Rapatriés que ceux des sections locales

de I'anfanoma, elles diffusent les lois concernant les rapatriés, les dates clefs de la communauté... Les Pieds Noirs sont conscients du bénéfice de ce support et félicitent la lucidité et l'engagement de Dauphiné Libéré - Dernière Heure Lyonnaise qui « fut l'un des premiers journaux français à alerter l'opinion sur l'insuffisance de l'aide

aux rapatriés, obligés de fuir leur pays natal » ?5 ; plus important pour notre étude, ils remercient la création d'une rubrique leur étant destinée.

Il apparaît donc clairement, tant par les descriptions que par le fait même de trouver des articles sportifs, politiques, culturels sur les

que les journaux lyonnais entendent pleinement intégrer cette nouvelle population dans le paysage lyonnais : on peut rire avec eux quand ils organisent des fêtes, les supporter quand ils font du sport, écouter leurs revendications quand ils se réunissent en congrès, les aider quand on apprend que dans une ville ou dans un centre ils sont en difficultés.

L'effort de communication élaboré par les journaux locaux est patent. Ceux-ci informent l'opinion autant qu'ils communiquent au sens actuel de ce verbe : ils relaient une politique, défendent des

72. R. Barthes, Mythologies, Editions du Seuil, Paris, 1957, p. 14. 73. Le Progrès, 5 août 1964, p. 8. 74. Dernière Heure Lyonnaise propose la rubrique Pour les rapatriés le 15 août 1962.

Dans Le Progrès, elle s'intitule Chronique des rapatriés ou Au service des rapatriés et apparaît en décembre 1963. Enfin, le journal L'Echo-Liberté crée Ici les Pieds Noirs le 2 mars 1965, après avoir utilisé le même titre que Dernière Heure Lyonnaise.

75. C'est nous les Africains, novembre 1963, p. 6. Article intitulé : « La presse locale au service des rapatriés ».

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valeurs, régulent des comportements. En cela ils reflètent une attitude de la collectivité que celle-ci n'aperçoit pas nécessairement sur le moment. En cela également, ils renseignent l'historien quand il confronte leur discours avec d'autres documents.

Les Lyonnais ont été aussi bien informés qu'exhortés : la d'une image positive de leur capacité à accueillir les rapatriés s'est

doublée d'un ensemble de services offerts (annonces, campagne) qui ont relayé une volonté politique d'intégration et parfois masqué les divisions. L'unité nationale, chère au général de Gaulle, est traduite dans la presse locale en gestes d'ouverture, en réalisations concrètes qui façonnent certainement l'opinion. Les rapatriés ont pu émouvoir,

pousser à la vertu : leur drame a sa place sur la scène multiple du journal.

3. « Une histoire lyonnaise »

Si l'intégration des rapatriés dans le Rhône réussit, c'est sans doute aussi parce qu'elle est en partie idéologique, entendons par là que les rapatriés se fondent en majorité dans une sensibilité politique

marquée à droite.

Une force politique

1962 est une année placée sous le signe de la « solidarité nationale ». Cependant, avec l'élaboration d'une communauté Pieds Noirs

de nouvelles divisions, ou mieux, de nouveaux « blocs ». Les Pieds Noirs n'ont de cesse de prouver qu'ils sont des citoyens français, ou des patriotes, et que l'avenir de la France ne les a jamais laissé indifférents. Voter constitue alors « un devoir (...) envers [eux] -mêmes, envers la mémoire de [leurs] morts, de [leurs] martyrs » ?6. De ces deux impératifs, le devoir national et le devoir particulier quand on est des « rapatriés », découlent deux catégories de candidats, les « bons », les « mauvais ». Les Pieds Noirs apportent donc « leur soutien actif aux listes patronnées par leurs amis de toujours et surtout aux moments tragiques » 77. A Lyon, c'est Louis Pradel qui recueille tous les suffrages.

Au contraire, la présence de Pieds Noirs sur des listes adverses, entendons celles de l'UNR ou du PC, entraîne un rejet de la

: « il se peut que des individus douteux, toujours prêts à se vendre et à nous renier, puissent en quelques points de l'hexagone se faire inscrire sur des listes proscrites. Alors ces renégats seraient exclus de notre communauté nationale "Pieds Noirs", déclarés traîtres à notre

76. C'est nous les Africains, décembre 1963, p. 12. 77. Ibid.

LES RAPATRIÉS D'ALGÉRIE ET LA PRESSE 435

cause parce qu'ils insultent nos morts, parce qu'ils narguent nos prisonniers, parce qu'ils nous font honte - si peu nombreux soient- ils » 78. La communauté ne s'en tient pas au discours, la menace passe à l'exécution : c'est ainsi que, « suite à des décisions du Front commun des mouvements de rapatriés : Humbert Corona se trouve exclu de I'anfanoma du fait de son appartenance à la liste de M. Danilo, député maire de La Mulatière » ?». Cet individu est exclu de la communauté alors que son inscription sur une liste électorale était un signe

réussie pour lui. Le libre choix disparaît quelquefois au profit de consignes quasi dictatoriales 8o.

Une affinité politique commune

Alors que le vote Pieds Noirs fait l'objet d'une attention accrue, il apparaît que la municipalité de Lyon, et plus généralement les

du Rhône ou de Rhône-Alpes ont conservé une position favorable aux rapatriés. Le Maire de Lyon et celui de Villeurbanne participent à toutes les fêtes ou congrès organisés par I'anfanoma. Le soutien de Louis Pradel aboutit même à des conflits politiques. C'est ainsi qu'à la suite d'un discours dans lequel il concluait : « Le maire de Lyon est de tout cœur avec vous. Vive l'Algérie Française ! » 8l, M. Herzog, alors secrétaire d'État à la jeunesse et aux sports, ainsi que les autorités officielles boycottent l'inauguration de la première piste de ski artificielle à Lyon 8z. Nous remarquons donc l'engagement fort de Louis Pradel, maire de Lyon, dans son attachement à la cause Pieds Noirs et, au-delà, à la droite 83.

Réciproquement, R. Fenech pense que les Pieds Noirs ont joué un rôle dans les élections municipales : « A Lyon, Villeurbanne... dans notre région Rhône-Alpes nous avons apporté notre contribution, que les élus qualifient eux-mêmes de très importante. Nous sommes très fiers et heureux, car nous ne voulons pas esquiver nos devoirs envers ceux qui nous ont si chaleureusement accueillis. Je remercie tous les maires et les nouveaux élus qui nous ont permis de bâtir avec eux ce succès, celui des espérances qui ne seront plus trahies » 84. La presse Pieds Noirs comme la presse locale présentent donc bien la

78. Ibid., mars 19653 p. 10. 79. Ibid. M. Danilo est « gaulliste ». 80. Le débat historiographique autour du vote des Pieds Noirs, pour savoir s'il y a

adhésion majoritaire au Front National, à l'extrême droite, a été l'objet d'une thèse : E. Comtat, Les pieds-noirs et la politique : 40 ans après le retour, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, 315 p.

81. Ibid., décembre 1964, p. 4. 82. Ibid., décembre 1964, p. 4. Le Général Vézinet, gouverneur militaire de Lyon, fait

aussi savoir que l'équipe de France militaire ne viendrait pas. 83. L'apolitisme de Louis Pradel est mâtiné d'un patriotisme local comme le met en

évidence la thèse de Laurent Sauzay. 84. C'est ainsi que l'on trouve des « élus « Pieds Noirs » au conseil municipal de

Lyon » : C'est nous les Africains, avril 1965, p. 16.

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reconnaissance et « l'affection » réciproques entre le conseil municipal de Lyon - ou de Villeurbanne - et I'anfanoma. Les Pieds Noirs se fondent dans une ambiance politique marquée à droite.

Une hostilité commune : les Algériens

Si la presse minimisait les affinités politiques et donc la part celle-ci transparaît grâce à une étude simultanée des différents

discours - celui des quotidiens locaux et celui des Pieds Noirs - tenus sur les travailleurs algériens présents dans le Rhône.

Différentes remarques concernant l'attitude des Pieds Noirs ou d'eux évoquent leur hostilité envers les Algériens 85. C'est ainsi

qu'on peut lire, dans un article critiquant l'entrevue du général de Gaulle et de Ben Bella : « En conclusion, nous avons déjà pas mal dégagé. Eh bien faisons dégagement total. Replions sur l'hexagone toutes nos troupes. Gardons notre argent pour nous ; pour coloniser la France avec des Français - voire avec des Européens - plutôt qu'avec le million d'arabes qui nous submergent ! » 86. De même, un texte parodie le parler algérien : « Chouf rebi j'te jure, j'suis pas le premier des derniers venus, j'y m'en vas t'y conter mon voyage à Pariss » 87. Il existe donc un racisme propre aux Pieds Noirs, diffusé dans leur bulletin. Des hommes d'extrême-droite tiennent rubrique : les conférences de Jean- Louis Tixier-Vignancour y sont retranscrites et l'écrivain J. Loiseau tient une chronique très orientée.

La presse régionale laisse peu de place aux « Nord-Africains » qui sont répertoriés constamment dans les rubriques « Ici... Police » ou « Palais de justice ». Surtout, les thématiques utilisées par la presse locale et celles utilisées dans C'est nous les Africains sont très proches, signe d'un accord implicite. Ainsi, on peut lire dans Le Progrès : « ce que l'on appelait le racket du FLN quand le mouvement était clandestin est devenu maintenant un impôt quasi légal » 88. Dans C'est nous les

ont lit : « Pratiquement livrée au FLN après le cessez-le-feu, l'émigration algérienne en France recommence à préoccuper la police. (...) Ses ressources doivent êtres les mêmes qu'autrefois, à savoir le racket » 89.

La presse locale, et surtout Dernière Heure Lyonnaise, entretient un climat de méfiance vis à vis des populations immigrées. Ce sentiment dégagé de la presse lyonnaise ne nous laissera pas indifférent si l'on analyse la ville dans une plus longue durée. En effet, quand Charles

85. Si le discours hostile à 1' « arabe » se politise du fait de la guerre d'Algérie, il est plus ancien. Lire à ce sujet : Anne Roche, « Un défaut de vision. Les Arabes vus par des Pieds-noirs. Analyse d'entretiens », in Mots, 1992, Volume 30, Numéro 1, p. 72-89.

86. C'est nous les Africains, avril 1964, p. 12. 87. Ibid., mai 1964, p. 11. 88. Ibid. 89. Ibid., novembre 1963, p. 3.

LES RAPATRIÉS D 'ALGÉRIE ET LA PRESSE 437

Millon s'allie au Front National en 1998, il ne fait que souligner une tradition politique de droite de la région 9°.

Conclusion

Cette étude montre, à propos des rapatriés, combien un fait au XXe siècle est le résultat d'un phénomène et de sa représentation

qui forment ensemble la matrice des réalités. Cela est d'autant plus net quand il s'agit des rapatriés dans la mesure où il est question d'un processus d'intégration et par conséquent d'un conditionnement de l'opinion publique : en communiquant un unanimisme optimiste d'une part et un engagement nationaliste inébranlable mêlé à un désir

d'autre part, l'opinion se modifie progressivement et devient favorable aux rapatriés. Selon une « logique floue » propre aux

sociaux, les rapatriés d'Algérie se fondent dans la représentation que la collectivité se donne d'elle-même, puis, plus lentement, dans cette collectivité.

Une vision positive des rapatriés est bien produite dans les locaux, mais, dans ce cas, l'image repose davantage sur

que sur les rapatriés eux-mêmes. L'étape du jugement n'a pas lieu. Les différents journaux ne cherchent pas à donner un statut, une identité, aux rapatriés d'Algérie : à la différence de miroirs partisans, il n'est pas question de « gens malhonnêtes », de « victimes », de « gros colons »... L'image positive de l'accueil permet de souder la collectivité lyonnaise, en lui donnant un but. Ainsi, on parle beaucoup des

et peu des rapatriés. La collectivité tient à maîtriser une image, celle de sa faculté d'intégration et au-delà en tirer un crédit politique.

La communauté Pieds Noirs se construit par contre comme une force, comme un groupe de pression : sa stratégie est politique. L'objectif est ici de fabriquer une identité, celle de « victimes » : les rapatriés sont alors des « créanciers » et les actions de la collectivité ne sont plus un bien, mais un dû.

Au bout du compte, l'intégration se passe sans heurts dans la région lyonnaise car les valeurs propres aux rapatriés y reçoivent un écho favorable. La rencontre d'une sensibilité politique lyonnaise avec la sensibilité des rapatriés, toutes deux marquées à droite de l'UNR, hostiles au général de Gaulle, fait des rapatriés des patriotes lyonnais.

Résumé : En 1962, un événement surprend les métropolitains : l'arrivée des rapatriés

d'Algérie. Un corps étranger pénètre brusquement dans les villes et Lyon n'échappe pas au phénomène, suscitant l'élaboration d'un discours cohérent.

90. Un article de Claude Burgelin, professeur de littérature française à l'université de Lyon-2, paru dans Le Monde, met en perspective cette « histoire lyonnaise » : Le Monde, 17 juin 1998, p. 15.

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Les quotidiens régionaux sont un lieu d'analyse privilégié de ce discours : ils représentent la collectivité dans la mesure où chaque citoyen y a ses repères, ses trajets de lectures. La place prise par les rapatriés dans ces journaux permet de mesurer leur degré d'intégration. Ils vont alors être présents dans la presse de deux manières. Tout d'abord, leur arrivée, en tant qu'événement, est un objet journalistique par la réaction immédiate qu'il suscite. Un certain nombre de groupes structurés - organisations, syndicats, associations, partis ou

politiques -, avec leur rhétorique et leurs codes, ont accès aux journaux pour diffuser des messages. Il ressort de cette polyphonie un unanimisme optimiste. Puis, une mise en page de la présence des rapatriés dans la

suppose un journalisme de nature différent. Il convient alors, non de laisser la parole à différents groupes structurés, mais d'élaborer une image de la collectivité lyonnaise avec cette nouvelle présence des rapatriés. La ventilation des rapatriés dans les colones du journal représente et facilite l'intégration effective dans la ville de Lyon. Mais celle-ci repose in fine sur une affinité politique entre les élus et les nouveaux « patriotes ».