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Les creusets islamiques de Volubilis (8 e -9 e siecles) * Abdallah Fili, Professeur d’histoire et d’archéologie, Université d’El-Jadida, UMR 5648, [email protected]. 899 Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO II / 899-906 * Mots clés : creusets de verrier, céramique islamique,Volubilis, Maroc. **Résumé : Depuis plusieurs années, la mise au jour dans les niveaux islamiques de Volubilis d’écuelles vitrifiées intérieu- rement à l’aide d’une épaisse et grossière couche de verre, a poussé plusieurs chercheurs à les considérer comme les pre- miers pas de la technique du glaçurage au Maroc voire de tout l’Occident musulman. Or l’examen attentif de ce matériel et plus globalement des autres trouvailles, nous suggère qu’il s’agit de creusets de verrier. Palabras clave: crisoles,Volubilis, siglos VIII – IX d.C. ****Resumen: Después de varios años, el hallazgo en los niveles islámicos de Volúbilis de cuencos vidriados al interior para ayudar a formar una espesa y basta capa de vidrio, ha inducido a considerarlos, por diversos investigadores, como los primeros pasos del vidriado en Marruecos o, incluso, en todo el Occidente Musulmán. Sin embargo, el estudio detallado de este material y de otros hallazgos similares sugiere que se trata de crisoles de fabricación de vidrio. Key words: glassmaker’s crucibles, Islamic pottery, Volubilis, Morocco. *Abstract: After several years, the disclosure in the Islamic levels of Volublis of bowls glazed on the inside to help form a thick, rough layer of glass has prompted a number of research- ers to regard them as the first steps towards a glazing technique in Morocco, or even in the whole Muslim West. Moreover, a close examination of this material and more generally of other finds suggests that they are glassmaker’s crucibles. Introduction. La verrerie est à coup sûr la spécialité des arts du feu islamiques la plus mal connue au Maroc.A ce jour, aucun travail n’a encore été fait dans ce domaine et les différentes trouvailles mises au jour dans la plupart des sites marocains n’ont pas encore suscité de vocations. Si les lacunes de nos connaissances sur ce do- maine sont évidentes, les chercheurs de terrain sont probablement aussi confrontés à un problème d’identification des traces de cette production. Ces dernières ne sont pas aussi explicites que celles de la production céramique ou de la métallurgie (FOY, 2000 : 13). Les structures de production comme les fours de verriers sont difficilement identifiables avec certitude et les rebuts sont incomparablement plus limités et souvent recyclés. 1.Volubilis, céramiques glaçurées ou creusets de verrier? La mission maroco-anglaise de Volubilis a four- ni des indices convergents sur la production du verre dans la ville préidrisside et idrisside, et plus précisément aux 8 e -9 e siècles. En effet, les cérami- ques vitrifiées, considérées depuis quelques années comme les premières céramiques glaçurées islami- ques au Maroc, ne sont pas, en réalité, des céra- miques à usage domestique mais des creusets de verrier (fig.2). En tout cas pas toutes. Ils se présen- tent sous-forme d’écuelles de taille moyenne (17- 25 cm de diamètre) avec une couche très épaisse de glaçure à l’intérieur et des coulées sur les parois externes des vases (fig.2b, c, d, e). Ces dernières ont atteint le stade de la vitrification sous l’effet des flammes. Morphologiquement ces écuelles sont des formes à fonds plats ou légèrement convexes, des parois convexes légèrement convergentes et une lèvre à épaississement interne et une légère inflexion externe (fig.2a, b). Les pâtes modelées, sont très grossières de couleur beige, rouge ou violette avec un dégraissant abondant et volumi- neux (souvent en quartz), mais bien réparti. Il est Abdallah Fili, Victoria Amoros-Ruiz, Lisa Fentress, Hassan Limane

Les creusets de Volubilis

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les creusets islamiquesde volubilis

(8e-9e siecles)

*

Abdallah Fili, Professeur d’histoire et d’archéologie,Université d’El-Jadida, UMR 5648, [email protected].

899Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO II / 899-906

*

Mots clés : creusets de verrier, céramique islamique, Volubilis, Maroc.**Résumé : Depuis plusieurs années, la mise au jour dans les niveaux islamiques de Volubilis d’écuelles vitrifiées intérieu-rement à l’aide d’une épaisse et grossière couche de verre, a poussé plusieurs chercheurs à les considérer comme les pre-miers pas de la technique du glaçurage au Maroc voire de tout l’Occident musulman. Or l’examen attentif de ce matériel et plus globalement des autres trouvailles, nous suggère qu’il s’agit de creusets de verrier.

Palabras clave: crisoles, Volubilis, siglos VIII – IX d.C.****Resumen: Después de varios años, el hallazgo en los niveles islámicos de Volúbilis de cuencos vidriados al interior para ayudar a formar una espesa y basta capa de vidrio, ha

inducido a considerarlos, por diversos investigadores, como los primeros pasos del vidriado en Marruecos o, incluso, en todo el Occidente Musulmán. Sin embargo, el estudio detallado de este material y de otros hallazgos similares sugiere que se trata de crisoles de fabricación de vidrio.

Key words: glassmaker’s crucibles, Islamic pottery, Volubilis, Morocco.*Abstract: After several years, the disclosure in the Islamic levels of Volublis of bowls glazed on the inside to help form a thick, rough layer of glass has prompted a number of research-ers to regard them as the first steps towards a glazing technique in Morocco, or even in the whole Muslim West. Moreover, a close examination of this material and more generally of other finds suggests that they are glassmaker’s crucibles.

Introduction.La verrerie est à coup sûr la spécialité des arts du

feu islamiques la plus mal connue au Maroc. A ce jour, aucun travail n’a encore été fait dans ce domaine et les différentes trouvailles mises au jour dans la plupart des sites marocains n’ont pas encore suscité de vocations.

Si les lacunes de nos connaissances sur ce do-maine sont évidentes, les chercheurs de terrain sont probablement aussi confrontés à un problème d’identification des traces de cette production. Ces dernières ne sont pas aussi explicites que celles de la production céramique ou de la métallurgie (FOY, 2000 : 13). Les structures de production comme les fours de verriers sont difficilement identifiables avec certitude et les rebuts sont incomparablement plus limités et souvent recyclés.

1.volubilis, céramiques glaçuréesou creusets de verrier?La mission maroco-anglaise de Volubilis a four-

ni des indices convergents sur la production du

verre dans la ville préidrisside et idrisside, et plus précisément aux 8e-9e siècles. En effet, les cérami-ques vitrifiées, considérées depuis quelques années comme les premières céramiques glaçurées islami-ques au Maroc, ne sont pas, en réalité, des céra-miques à usage domestique mais des creusets de verrier (fig.2). En tout cas pas toutes. Ils se présen-tent sous-forme d’écuelles de taille moyenne (17-25 cm de diamètre) avec une couche très épaisse de glaçure à l’intérieur et des coulées sur les parois externes des vases (fig.2b, c, d, e). Ces dernières ont atteint le stade de la vitrification sous l’effet des flammes.

Morphologiquement ces écuelles sont des formes à fonds plats ou légèrement convexes, des parois convexes légèrement convergentes et une lèvre à épaississement interne et une légère inflexion externe (fig.2a, b). Les pâtes modelées, sont très grossières de couleur beige, rouge ou violette avec un dégraissant abondant et volumi-neux (souvent en quartz), mais bien réparti. Il est

Abdal lah f i l i , V ic tor ia Amoros-Ruiz ,L i sa fentress , Hassan L imane

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évident qu’il s’agit de productions céramiques importées au site de Volubilis. En même temps, il est très difficile, à cette très haute époque islami-que, d’imaginer un atelier produisant une céra-mique modelée, certes grossièrement glaçurée, à une époque où peu d’ateliers maîtrisaient encore cette technique.

Devant cette situation peu probable, et au vu des qualités intrinsèques décrites précédemment, la réinterprétation de ces objets et de leur fonction initiale devient nécessaire. En effet, l’examen du matériel en verre et des perles mis au jour par la

fouille archéologique, nous a permis de retrouver des indices supplémentaires prouvant qu’il s’agit bel et bien de creusets de verrier et non pas de céramique glaçurée.

2. Des creusets dans le four.Les creusets se présentent sous forme de pots

creux en argile culinaire, capable de supporter les températures de fusion du verre dépassant souvent les 1000 degrés. Les creusets de Volubilis sont mo-delés à base d’argile riche en dégraissant quart-zeux. Ils reprennent à ce titre les caractéristiques

Fig. 1. Volubilis, localisation des fouilles islamiques.

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Fig. 2. Les creusets de Volubilis.

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de certaines poteries de tradition berbère. Il est important de signaler que cette argile n’est pas une argile calcaire à l’instar de celles générale-ment utilisées dans la région du Rif et de Ze-rhoun.

Si la fonction de la plupart de ces vases ne fait pas de doute, la découverte d’un four de verrier dans la ville islamique de Volubilis fait défaut. Mais, il conviendrait, à la lumière de ces observa-tions, de reprendre l’interprétation de structures considérées jusqu’à lors comme des foyers do-mestiques. En effet, les restes de fours de verriers sont particulièrement difficiles à distinguer des autres types de fours ou même simplement de foyers domestiques (FOY, 2000 : 15). Preuve en est que les découvertes avérées dans ce domaine, du moins en Occident musulman, sont encore presque inexistantes.

Si la réinterprétation des foyers mis au jour par la fouille est acceptable voire logique, il est, en revanche, difficile d’avancer que les creusets de Volubilis ont été exclusivement utilisés pour la fabrication du verre. C’est justement cette si-tuation qui nous a tous induit en erreur pendant plusieurs années. En effet, la grande majorité de ces vases sont issues des sols d’occupations des différentes maisons fouillées. Si ceci suppose a priori que ces pièces ont été utilisées à des fins domestiques, il nous pousse également à envi-sager la possibilité de la localisation d’ateliers de verriers dans ces maisons. Si cette situation est plausible dans le cas du secteur D de la mis-sion maroco-anglaise (2000-2005), cela le paraît moins dans le cas du secteur nord de la maison au Compas fouillé par le Professeur Aomar Akerraz (fig. 1). Cinq creusets-écuelles vitrifiés intérieu-rement ont été trouvé dans des niveaux d’occu-pation de ses maisons. Ceci veut-il dire que ces vases ont joué le rôle de creuset dans un premier temps et celui d’un plat domestique dans un se-cond? Nous nous rendons compte de la difficulté de définir sur le terrain et avec exactitude à la fois les fonctions des espaces domestiques et celles d’un atelier comme celui du verrier. C’est pour cette raison et en manque de documentation, il est prématuré de dire s’il s’agit de maisons d’ar-tisans-verriers, même si les analyses botaniques et céramologiques tendent à le suggérer pour le secteur D de la mission maroco-anglaise (FEN-TRESS & LIMANE, e.p.).

3. les déchets de verre (fig.3).Même si l’examen archéologique n’en est qu’à

ses débuts, la fouille nous a livré un nombre impor-tant de déchets de verre et de ratés de fabrication (fig.3a, b, e). Il s’agit de filets ou de rubans de verre découpés à l’aide d’un ciseau (fig.3c), de larmes de verre coupées ou encore de meules (terme dé-signant le verre encore adhérant à la canne après le détachement de l’objet fini) (FOY, 2000 : 16) (fig.3a), ou enfin des gouttes de verre de forme ar-rondie (fig.3d). Sauf interprétation abusive de notre part, les éléments que Danièle Foy considère com-me déterminants dans la localisation de l’artisanat de verre se retrouvent ici (FOY, 2000 : 16-17).

4. la fabrication des perles. Le dernier élément à signaler est la découverte

de moules servant à la fabrication des perles (fig.4a). Ils se présentent sous forme de plateformes en argi-le réfractaire percées sur un côté de plusieurs trous de forme conique ou arrondie, destinés à recevoir le liquide vitreux. Quelques perles collectées épou-sent parfaitement ces formes (fig. 4b, c, d). D’autres dont la pâte est identique à celle des déchets sus-mentionnés, sont de forme ronde (fig. 4e). Ainsi le procédé de fabrication consistait à recouvrir le petit cône en terre d’une goutte de verre en fusion. Une fois la goutte refroidie, on la détachait du cône sous forme d’une perle. Quelques-unes de ces dernières sont des ratées, et parfois ne sont pas trouées, ce qui indique davantage qu’elles sont produites lo-calement.

Il est cependant encore difficile de saisir la re-lation entre l’artisanat du verre et celui de la fa-brication des perles dans la ville de Walîlî à cette haute époque islamique. Il serait important enfin de comprendre la participation de ces perles dans les échanges commerciaux à l’époque islamique au Maroc, à l’instar de ce qui se passait en Afrique subsaharienne.

Pour ne pas conclure.La céramique vitrifiée de Volubilis ne cor-

respond donc pas aux premiers tâtonnements de la technique du glaçurage au Maghreb al-Aqsâ ; mais d’après les éléments exposés, nous pouvons attester la présence de la fabrication du verre à Volubilis au début de l’époque islamique (8e-9e siècle), même si ce cadre chronologique est en-core provisoire.

903Actas del VIII Congreso Internacional de Cerámica Medieval. Ciudad Real ( 2009 ) TOMO II

Fig. 3

904 A. fili et alii: Les CReuseTs IsLAMIques de VOLubILIs (8e-9e sIeCLes)

Fig. 4

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Au vu de la quantité de creusets mis au jour, il est probable qu’il s’agisse d’une fabrication artisa-nale de petite taille.

D’autres examens archéométriques sont à même de préciser si ces productions représentent une conti-

nuité avec les productions antiques attestées dans la ville, notamment à l’époque romaine. La chronologie très précoce de ces trouvailles ne nous permet cepen-dant pas de croire à un transfert de savoir-faire techni-ques venant de l’Orient avec la conquête islamique.

Bibliographie.

fentress & limane, e.p. : fenTRess, e. & LIMAne, H. : publi-cation en preparation.foy, 2000 : fOy, danièle : “ Les indices d’une production de verre: repérages et interprétations, étude méthodologique. L’exemple provençal “, en El vidrio en al-Andalus, Casa de Ve-lázquez, fundación Centro nacional del Vidrio (édition Patrice Cressier), 2000.