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1 ADRIEN CANDIARD LES COMMENTAIRES DU LIVRE DES ACTES DES APOTRES DANS L’OCCIDENT LATIN DES PERES A HUGUES DE SAINT-CHER Mémoire de M2 préparé à l’E.P.H.E. sous la direction de M. Gilbert DAHAN Année universitaire 2007/2008 Exemplaire revu après soutenance

Les commentaires des Actes des apôtres dans l’Occident latin, des Pères à Hugues de Saint-Cher

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ADRIEN CANDIARD

LES COMMENTAIRES

DU LIVRE DES ACTES DES APOTRES

DANS L’OCCIDENT LATIN

DES PERES A HUGUES DE SAINT-CHER

Mémoire de M2

préparé à l’E.P.H.E.

sous la direction de M. Gilbert DAHAN

Année universitaire 2007/2008

Exemplaire revu après soutenance

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Remerciements

Ce n’est qu’en découvrant l’univers des médiévistes que j’ai pu comprendre que les

pages de remerciements placées en début de mémoire avaient parfois une autre fonction que

décorative ou de convenance. Aujourd’hui, cette page me paraît bien peu de choses pour

exprimer toute ma reconnaissance.

Je veux remercier mes supérieurs qui m’ont fait confiance et autorisés à mener

cette étude en même temps que mon cursus de théologie ;

Marie Isaia-Langlais, Julie Barrau et le fr. Saulius Rumšas, qui m’ont

encouragé et mis le pied à l’étrier ;

Mme Nicole Bériou, qui m’a constamment soutenu de son savoir inépuisable,

de sa constante disponibilité et de sa grande humanité ;

les frères dominicains de la Commission léonine, en particulier les ffr. Adriano

Oliva et Louis-Jacques Bataillon, qui m’ont plus d’une fois tiré d’un mauvais pas par

une référence opportune ou un microfilm providentiel, qui m’ont beaucoup appris et

m’ont toujours témoigné la plus fraternelle amitié ; et le fr. Fabio Gibiino, qui m’a

permis de voir un manuscrit fondamental ;

le personnel de la bibliothèque du Saulchoir et son directeur, le fr. Jérôme

Rousse-Lacordaire, qui m’ont permis de travailler dans d’excellentes conditions et

ont supporté mon désordre incurable, de même que le fr. Hervé Legrand et M. Yury

Sheshko, compagnons fréquents des longues nuits salicétaines ;

le personnel des bibliothèques de l’Institut d’Etudes augustiniennes, du Grand

séminaire de Lille et de l’IRHT, toujours serviables et souriants ;

les communautés religieuses qui m’ont offert de belles conditions de travail :

les monastères bénédictins de Chevetogne et de Fleury, le couvent dominicain de

Berlin ;

les étudiants rencontrés à l’EPHE, pour l’atmosphère de chaleureuse solidarité

qu’ils ont su créer ;

les frères du couvent Saint-Thomas d’Aquin à Lille et du couvent Saint-

Jacques à Paris, qui m’ont soutenu et supporté pendant toute une année et qui n’ont

pas fui les conversations de petit-déjeuner sur le pseudo-Raban Maur.

Et je souhaite exprimer la plus vive reconnaissance à M. Gilbert Dahan, currus

Israhel et auriga eius.

3

INTRODUCTION Liquefacta est terra et omnes qui habitant in ea ; ego confirmavi columnas eius.

Le clerc médiéval n’hésite pas s’il doit nommer la colonne que Dieu a posée pour

soutenir un monde fragile, sans cesse menacé de dissolution : il sait qu’il s’agit de l’Ecriture

sainte. Pour l’Eglise, pour ses pasteurs, pour ses prêtres et pour ses moines, pour ses lettrés,

elle est le fondement sans lequel on ne peut construire l’édifice.

On n’est donc pas surpris que beaucoup de grands mouvements de la vie de l’Eglise

médiévale aient eu pour mot d’ordre un retour au mode de vie enseigné par l’Ecriture, et en

particulier le Nouveau Testament. La vita apostolica est le cri de ralliement, le modèle

proclamé de toutes les réformes : il ne s’agit pas seulement de la fondation des Ordres

mendiants au XIIIe siècle, qui ont donné au mouvement une ampleur inégalée ; déjà, les

clercs célibataires de la Réforme grégorienne comme les laïcs des confréries, les chanoines

réguliers comme les moines blancs de Cîteaux, tous ont cherché à mener la vie des Apôtres,

tous ont créé du neuf pour revenir à l’idéal primitif.

Ce mot d’ordre avait, à chaque époque, pour chaque projet, une signification précise,

souvent différente d’un temps à un autre, mais que l’on fondait toujours sur l’Ecriture, et

singulièrement sur quelques textes du livre Actes des apôtres, comme l’a décrit le P. Vicaire

dans un livre attachant :

« Ce qui, dans les textes du Nouveau Testament, impressionna le plus les moines, ce

furent les descriptions de la vie communautaire primitive des Actes des apôtres. On remarque

dans les premiers chapitres de ce livre quatre passages que les exégètes désignent sous le nom

de « sommaires », groupes de versets parallèles qui décrivent la même série d’attitudes par

touches redondantes. […] Ces versets sont les pierres précieuses des premiers chapitres des

Actes. Ils transmettent l’écho le plus lointain que l’on puisse encore entendre des origines de

l’Eglise, et les exégètes, à juste raison, leur accordent aujourd’hui une grande importance.

Mais, précisément, les moines aussi les ont regardés, examinés, scrutés avec amour. Au long

des siècles, ils on jugé que ces versets surtout étaient la source de leur idéal. »1

1 M.-H. V ICAIRE, L’imitation des apôtres. Moines, chanoines et mendiants (IVe-XIIIe siècles), Paris, Le Cerf, 1963, p. 15.

4

La fréquence des citations des Actes dans les règles de vie religieuse et dans les

ouvrages de spiritualité permet au P. Vicaire de réunir une abondance de textes à l’appui de sa

thèse, qui a pour elle davantage que la vraisemblance : l’évidence.

Frappé par cette importance des Actes des apôtres dans la vie de l’Eglise médiévale,

au cours d’une année consacrée à la méditation et à la recherche d’un pilier sur lequel fonder

un mode de vie comparable, nous avons voulu connaître les maillons intermédiaires qui

n’apparaissent pas dans l’ouvrage du P. Vicaire. La lecture de la Bible n’est jamais

immédiate : elle est toujours informée – à la fois facilitée et orientée – par le travail des

commentateurs, et le monde médiéval, où fleurit une si riche exégèse, ne fait pas exception.

Notre surprise a donc été grande de constater, par une rapide consultation des ouvrages

publiés par Migne, que les Actes des apôtres, livre dont la canonicité n’est jamais mise en

doute depuis le IIe siècle, intégré très tôt à la liturgie, si fondamental pour la sensibilité

ecclésiale et communautaire des médiévaux, n’avait fait l’objet que d’un nombre

extrêmement faible de commentaires. Au terme de notre étude, nous n’aurons identifié que

vingt-deux commentaires, complets ou partiels, en douze siècles de production exégétique.

C’est de l’étonnement devant ce paradoxe qu’est née l’idée de notre étude.

La rareté des commentaires est un mystère, qu’il est tentant de chercher à résoudre par

des considérations herméneutiques : comment lire au sens spirituel un ouvrage qui ne

préfigure pas le Christ, puisque les événements qu’il rapporte font suite au mystère pascal et

ne le précèdent pas ? Considère-t-on les Actes comme un simple livre d’histoire ? Mais en ce

cas, que vient-il faire dans le canon biblique ? et quel est le statut de l’Histoire sainte par

rapport à l’histoire profane ?

La rareté des commentaires est d’abord une question ; mais elle représente également

une chance pour le chercheur. Plus que pour aucun autre livre, elle permet de saisir, presque

d’un seul regard, la totalité de la production exégétique qui nous est parvenue sur un livre

biblique en Occident. Il est possible de tout lire ; il devient donc envisageable d’étudier avec

précision, et de manière exhaustive, les influences, les copies et les évolutions, les écoles et

les oppositions. Menée à bien, une étude complète peut se révéler précieuse pour notre

connaissance de l’histoire en quelque sorte interne de l’exégèse médiévale, envisagée du point

de vue de l’histoire littéraire ou théologique.

De plus, comme nous venons de le suggérer, le projet d’une vie dite apostolique a une

incidence suffisamment notable sur la vie sociale et religieuse pour qu’il vaille la peine

d’étudier non seulement les relations des commentaires entre eux, mais aussi avec le reste de

5

la société. Comment l’exégèse s’inscrit-elle dans la réception plus générale des Actes ? Nous

avons cité quelques mouvements marqués par l’idée de vie apostolique : influencent-ils

l’exégèse, sont-ils influencés par elle, ou exégèse et réception sociale des Actes suivent-ils des

voies parallèles ? Il y aurait, là encore, à développer une histoire externe de l’exégèse des

Actes.

Nous venons d’indiquer deux directions que permettrait d’approfondir une

connaissance exhaustive des commentaires des Actes. Mais avant d’en venir aux questions

assurément stimulantes que pose la réception des Actes, un préalable plus aride s’impose à la

recherche. La lecture et l’étude des commentaires doit être précédée d’un vaste travail

d’essartage destiné à identifier les commentaires, trouver les manuscrits, débrouiller

l’écheveau des attributions multiples, vérifier les genres littéraires, bref ne s’intéresser qu’à

l’écorce du commentaire, dont la pulpe ne pourra être cueillie que par la suite. C’est ce travail,

où la recherche érudite risque d’étouffer l’enthousiaste quête de réponses, que nous avons

voulu réaliser dans le cadre de notre Master 2, sous la direction de M. Gilbert Dahan.

Souhaitant une étude aussi vaste que possible, nous avons décidé d’y inclure – autant

que les dimensions de notre travail nous le permettaient – d’y inclure cette cousine de

l’exégèse, souvent si ressemblante, qu’est la prédication. Naturellement, vu le grand nombre

de sermons disponibles à partir du XIIe siècle, nous n’avons pu nous livrer à un travail aussi

précis sur l’ensemble du corpus des sermons que sur celui des commentaires.

Notre étude sera chronologique, et les bornes les plus classiques se sont imposées à

nous : aux commentaires patristiques, déjà peu nombreux et éparpillés, auxquels nous

consacrons notre première partie, répondent au haut moyen âge deux commentaires de grande

ampleur, objets principaux de notre deuxième partie ; ce sont eux qui irrigueront presque

entièrement l’exégèse des XIIe et XIIIe siècles, qui nous occuperont dans une troisième

partie. Mais cette succession de figures et de manuscrits paraissait bien sèche : aussi y avons-

nous ajouté, dans une quatrième partie, l’étude des différents commentaires d’une même

péricope, la vision de Pierre à Joppé.

Les bornes géographiques fixées à cette étude posent peu de difficultés. La limitation

volontaire à l’Occident latin permet de se consacrer à un corpus cohérent, dont les

dépendances sont généralement internes. Toutefois, cette clôture du corpus ne peut dispenser

de prendre en compte les éventuelles traductions de commentaires grecs ou syriaques, qui ont

pu influencer l’Occident latin.

6

Les bornes chronologiques, elles, étaient plus délicates. Il paraissait naturel de

commencer avec le début de la littérature chrétienne, car la lecture des Pères ne s’est pas

interrompue au moyen âge, et rien ne marque le sentiment de continuité que la littérature

exégétique. Mais jusqu’où aller ? Nous nous sommes arrêtés à Hugues de Saint-Cher, ou

plutôt à sa postérité immédiate : nous incluons ainsi la naissance des mendiants et les débuts

de l’exégèse universitaire.

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Première partie

LES ACTES DES APOTRES A L’EPOQUE PATRISTIQUE

FRAGMENTS D’EXEGESE

La maigre récolte de commentaires des Actes à l’époque médiévale s’explique au

premier chef par la véritable pénurie de commentaires patristiques, du moins dans le monde

latin. Aucun Père majeur n’y a consacré de commentaire véritable : le traité circulant sous le

nom de saint Jérôme sur les noms de lieu des Actes n’est qu’une grossière erreur d’attribution,

pour une œuvre au demeurant insignifiante ; on ne conserve d’Augustin que trois sermons

isolés, et de Grégoire le Grand que des compilations scolaires tardives d’extraits de sa

correspondance. En s’en remettant à des auteurs plus secondaires, la moisson n’est guère plus

abondante : le premier véritable commentaire latin des Actes, sous la plume d’Eucher de

Lyon, ne comporte que six questions de détail ; Arator n’en livre qu’une paraphrase en vers ;

trois sermons de Fulgence de Ruspe, à l’authenticité douteuse, ne rendent pas le résultat plus

brillant. Ce n’est qu’à la fin du VIe siècle que Cassiodore livre le premier véritable

commentaire original du livre des Actes, bien décevant lui aussi.

La constatation de la rareté ne suffit pas à faire le tour de l’époque patristique, car

avant de livrer des commentaires, cette période permet, pour l’Occident latin, d’établir un

texte, de le recevoir comme canonique, de choisir les versions, de mettre au point des

traductions latines et enfin d’orner le texte de prologues, qu’on ne saurait négliger dans

l’histoire du commentaire de notre texte. C’est bien le livre que commenteront les auteurs

médiévaux qui se met en place à cette période.

A- Réception et adaptation des Actes des apôtres en Occident latin

1. La canonicité des Actes des apôtres

L’appartenance des Actes des Apôtres au canon des Ecritures inspirées ne paraît faire

aucun doute dans la « Grande Eglise » au moins depuis le IIe siècle, et ce quelle que soit la

localisation des communautés. Tous les auteurs ecclésiastiques les reçoivent sans difficulté, et

les citent d’abondance depuis les premiers siècles : si l’on en croit la recension effectuée par

Biblia patristica2, la masse des citations ou allusions faites au texte des Actes pour la seule

période dite des Pères apostoliques n’est pas négligeable : quatre allusions implicites sont

2 Biblia patristica. Index des citations et allusions bibliques dans la littérature patristique, vol. 1 Des origines à Clément d’Alexandrie et à Tertullien, Paris, éditions du CNRS, 1986.

8

décelées chez Clément de Rome (Cor 2,1 ; 2,2 ; 5,7 ; 59,2), trois chez Ignace d’Antioche

(Mag 5,1 et 10,1 ; Smyr 3,3) et quatre chez Polycarpe (Phil 1,2 ; 2,1 ; 2,3 ; 6,3). Il est toutefois

difficile de leur attribuer, sur cette base fragile, une connaissance certaine du texte des Actes,

et moins encore une quelconque considération de canonicité. Enfin, la Didachè (ou Doctrine

des Apôtres), dont la datation remonterait à la fin du Ier siècle ou au début du IIe, et qui

semble bien connaître les quatre évangiles canoniques et des lettres de Paul, ne fait aucune

référence au livre des Actes.

La proportion des citations ne cesse de progresser au IIe siècle chez les Pères dits

apologètes. On trouve ainsi seize occurrences chez Justin, qui ne cite pas nommément les

Actes (à la différence par exemple de l’Apocalypse), mais qu’il semble avoir pu lire et

utiliser. C’est avec Irénée de Lyon, qui utilise les Actes pas moins de cent soixante-quinze

fois, que le livre est pour la première fois nommément cité dans la littérature chrétienne.

Irénée en défend explicitement le statut d’écriture inspirée. La situation est sensiblement

équivalente pour Tertullien, qui s’y réfère cent soixante fois et en défend lui aussi la

canonicité. Autre signe du succès des Actes dans les communautés chrétiennes : on les imite ;

paraissent, souvent mais pas toujours dans les milieux chrétiens en marge de la Grande Eglise,

des Actes apocryphes d’apôtres dont on a récemment relevé3, après une longue indifférence,

les profondes affinités littéraires avec l’œuvre lucanienne. Au IIIe siècle, des auteurs comme

Cyprien, Clément d’Alexandrie ou Origène continueront naturellement à s’y référer de

manière habituelle. Plus tard, Eusèbe le classera parmi les ouvrages dont la canonicité est

« hors de doute », au même titre que les quatre évangiles4.

L’appartenance des Actes au canon des Ecritures chrétiennes est également attestée

par la plus ancienne des listes recensant les livres du Nouveau Testament, le « canon de

Muratori », qu’il faut probablement faire remonter aux environs de 170. Le canon les

mentionne dans une brève notice, d’ailleurs relativement surprenante :

Mais les actes de tous les apôtres ont été écrits dans un seul livre. Luc fait entendre à l’excellent

Théophile que chacun de ces actes s’étaient produits en sa présence, comme il le rend évident en

omettant la passion de Pierre et le départ de Paul quittant Rome pour l’Espagne.5

Malgré la mention des « actes de tous les apôtres », ce qui dépasse le contenu du livre

que nous connaissons, tous les autres éléments de la notice (attribution à Luc, mention de

3 Richard I. PERVO, Profit with Delight, Philadelphie, Fortress Press, 1987. 4 EUSEBE DE CESAREE, Histoire ecclésiastique, III, 25. 5 Canon de Muratori (d’après Lietzmann, notice reproduite dans Enchiridion de Kirch, n. 158) : Acta autem omnium apostolorum sub uno libro scripta sunt. Lucas optimo Theophilo comprendit, quae sub praesentia ejus singula gerebantur, sicuti et semota passione Petri evidenter declarat, sed et profectione Paul ab urbe ad Spaniam proficiscentis.

9

« l’excellent Théophile », fin relativement brutale du livre) semblent bien renvoyer à notre

livre des Actes, bien qu’il soit impossible de déterminer, sur une base si mince, à quelle

tradition du texte renvoie la notice.

La traduction syriaque du Nouveau Testament connue sous le nom de Peschito (ou

Peschitto)6, contient les Actes. Toutefois, si certains veulent voir dans cette traduction une

œuvre contemporaine du canon de Muratori qui nous renseignerait sur le canon des chrétiens

de Syrie de langue araméenne dans la deuxième moitié du IIe siècle, les problèmes de

datation des différents éléments de cette traduction sont à ce jour trop nombreux pour qu’on

puisse en tirer des conclusions valables.

Toutes les listes qui suivront incluront naturellement les Actes. Leur place dans l’ordre

des livres bibliques adopté par les auteurs les anciens est souvent la même : on les cite après

les quatre évangiles et avant les épîtres de Paul. C’est l’ordre que choisit le canon de

Muratori, et qu’on retrouve dans la traduction Peschito ou la liste dressée par Eusèbe. En

revanche, dès le IVe siècle, la place des Actes commence à varier d’un manuscrit à l’autre.

Pour le monde latin, qui nous intéresse ici prioritairement, on citera le Canon de Cheltenham

qui mentionne les Actes entre les épîtres de Paul et l’Apocalypse, ou le canon du Codex

claramontanus7, où les Actes arrivent vers la fin du corpus, après l’Apocalypse et suivis

seulement d’écrits aujourd’hui apocryphes. Enfin le canon de Damase, qui sera repris par le

pape Gélase puis par le concile de Trente, redonne aux Actes la place que nous leur

connaissons.

La canonicité des Actes ne fait pourtant pas l’objet d’une totale unanimité dans tous

les courants inspirés du christianisme : plusieurs « hérétiques » ne reçoivent pas le livre

comme inspiré. C’est notamment le cas de Marcion8, dont l’argumentation ne nous est

presque exclusivement connue que par les citations de ses opposants. Sa doctrine se fonde

pourtant sur une lecture très personnelle, épurée de ses interpolations judaïsantes supposées,

de l’évangile de Luc, l’évangile le plus grec et donc le plus isolable de son arrière-plan juif ;

ce dernier forme, avec dix lettres de Paul, « corrigées » elles aussi, le canon de Marcion. Ce

dernier exclut en revanche les Actes : Marcion ne peut accepter une présentation aussi

élogieuse d’une communauté primitive qui a, dans son schéma, trahi le Christ pour plaire aux

6 Voir l’article F. NAU, « Syriaques (versions) » du D.B., p. 1914. 7 Ce manuscrit (Paris, BnF grec 107), bilingue grec-latin, ne contient que les épîtres de Paul, mais il y joint (f. 467-468) un catalogue des livres canoniques indiquant pour chacun le nombre de stiques qu’il compte. Pour M. ZAHN, qui a donné une édition de cette stichométrie (Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, t. II, Leipzig, 1890, pp. 157-172), elle n’est pas propre au manuscrit, mais viendrait d’un texte grec antérieur à saint Athanase. 8 Sur le canon adopté par Marcion, voir A. VON HARNACK, Marcion. L’évangile du Dieu étranger, Paris, Cerf, 2003 [trad. de l’allemand : Marcion. Das Evangelium wom fremden Gott, Leipzig, 1924], pp. 58-66.

10

juifs, ces falsi apostoli dénoncés par Paul (Gal 1,6-9). La figure de Pierre, qui occupe la

première moitié des Actes, semble particulièrement dévalorisée, à en croire les fragments qui

nous sont parvenus par Tertullien :

Petrum ceterosque apostolos vultis judaismi magis adfines subintellegi,

trouve-t-on chez lui parmi bien d’autres formules9. Les Actes sont trop évidemment

utiles à la Grande Eglise pour qu’il puisse leur reconnaître la moindre autorité. Restent

cependant la place également considérable accordée à Paul, dont il se réclame, et la

traditionnelle proximité qui unit l’auteur des Actes à l’apôtre des Gentils, qui ne peut

qu’embarrasser Marcion. Il ne s’en explique dans aucun texte qui nous soit parvenu, mais les

Pères, dans leurs écrits polémiques, ne manqueront pas de relever cette contradiction et

d’argumenter largement sur ce thème contre Marcion, mais aussi contre le gnostique Valentin,

dont le canon biblique nous est plus mal connu. Si l’on admet le premier livre de Luc,

interroge en particulier Irénée pour appuyer un argument fondé sur les Actes, comment

refuser le second ?

De deux choses l’une : - ou bien [les hérétiques] rejetteront le tout : en ce cas, les disciples de Marcion

n’auront plus d’évangile, puisque c’est en mutilant l’évangile selon Luc, comme nous l’avons déjà dit,

qu’ils se vantent de posséder l’Evangile ; quant aux disciples de Valentin, ils cesseront leur copieux

bavardage, puisque c’est précisément de cet Evangile qu’ils ont tiré de multiples prétextes à leurs

subtilités, en osant mal interpréter ce qui s’y trouve bien exprimé ; - ou bien ils seront contraints

d’accepter aussi tout le reste de l’Evangile de Luc : en ce cas, prêtant attention à l’intégralité de

l’Evangile et de l’enseignement des apôtres, ils devront faire pénitence pour pouvoir être sauvés du

péril.10

L’unité des deux livres n’est-elle pas un signe providentiel pour que nous tenions pour

véridique l’autorité des Actes ?

Car telle est peut-être la raison pour laquelle Dieu a fait en sorte que nombre de traits de l'Evangile

fussent révélés par le seul Luc — traits que tous les hérétiques se verraient contraints d'utiliser — : Dieu

voulait que, en se laissant guider par le témoignage subséquent de Luc relatif aux actes et à la doctrine

des apôtres et en gardant ainsi inaltérée la règle de vérité, tous puissent être sauvés. Ainsi le témoignage

de Luc est véridique, et l'enseignement des apôtres est manifeste, ferme, émanant d'hommes qui n'ont

rien omis ni enseigné certaines choses en secret et d'autres au grand jour.11

Tertullien à son tour, face aux mêmes adversaires, ne cesse de jouer des contradictions

du canon marcionite : il relève un à un les accords des épîtres de Paul, que Marcion accepte,

avec le texte des Actes ; la liste en est naturellement considérable. Il ajoute ensuite les

9 Cité par A. VON HARNACK, op. cit., p. 60, d’après Tertullien, Contra Marcionem V, 3. Voir également : Petrus legis homo, et Si apostolos praevaricationis et simulationis suspectos Marcion haberi quaeritur usque ad evangelii depravationem. 10 IRENEE, Contre les hérésies, III, 14, 4 (SC 211, p. 275). 11 IRENEE, Contre les hérésies, III, 15, 1 (p. 279).

11

épisodes dont Marcion reconnaît l’historicité, et qui ne sont rapportés que par les Actes. Ces

longs relevés permettent à Tertullien d’ironiser sur l’inconséquence de Marcion, qui rejette un

livre où il reconnaît qu’il y a tant de vérité.12

Cet embarras des marcionites, sur lesquels les Pères n’ont aucune difficulté à appuyer

avec insistance, est surtout révélateur de la profonde réception des Actes dans la conscience

chrétienne dès le début du IIe siècle : plusieurs éléments que les Actes sont le seul écrit à

rapporter, comme le récit de la Pentecôte ou les voyages de Paul, paraissent trop ancrés dans

les mentalités chrétiennes pour qu’un fondateur de communauté, quand bien même il se

voudrait en rupture avec la Grande Eglise et les croyances qu’elle professe, puisse s’affranchir

totalement du second livre de Luc.

L’opposition ne disparaît pas pour autant avec l’Eglise marcionite. A la fin du IVe

siècle, Augustin doit encore défendre la canonicité des Actes contre les manichéens qui la

rejettent pour une raison principale : à la différence de Marcion, ils refusent l’événement de la

Pentecôte et ses conséquences ecclésiologiques, trop favorables à la Grande Eglise.

Nam quidam Manichaei canonicum librum, cujus titulus est Actus apostolorum, repudiant. Timent enim

evidentissimam veritatem ubi apparet sanctus Spiritus missus, qui est a Domino Jesu Christo in

evangelica veritate promissus.13

A deux autres reprises14, Augustin reprend le même argument contre les mêmes

adversaires. C’est également contre eux qu’il réaffirme que l’ouvrage a autant d’autorité que

les évangiles15. Mais il combat le chant du cygne d’une contestation sans grand écho, qui ne

réapparaîtra pas au moyen âge : au contraire, le temps passant, on ne reprochera plus aux

apôtres d’avoir trahi le Christ, mais à l’Eglise présente d’avoir trahi la pensée des apôtres, et

12 Ainsi TERTULLIEN, Contre Marcion, V, 2, 7 (SC 483, pp. 89-91) : « Dans la suite, quand [Paul] parcourt le déroulement de la conversion – de persécuteur à apôtre -, il confirme le livre scripturaire des Actes des apôtres, dans lequel on reconnaît jusqu’au sujet même de cette lettre [l’épître aux Galates] : que certains étaient intervenus pour dire qu’il fallait circoncire et qu’on devait observer la loi de Moïse ; qu’enfin les apôtres, consultés sur cette question, avaient annoncé en réponse, d’après l’autorité de l’Esprit, qu’il ne fallait pas imposer aux hommes des fardeaux que leurs pères eux-mêmes n’avaient pas pu porter. Or si, sur ce point aussi, les Actes des apôtres s’accordent avec Paul, la raison qui vous fait les rejeter apparaît alors avec clarté : c’est évidemment qu’ils n’annoncent pas d’autre Dieu que le Créateur, ni le Christ d’un autre Dieu que du créateur. […] Ceux-ci, pour sûr, il n’est pas vraisemblable qu’ils soient en partie d’accord avec l’Apôtre, quand ils montrent le déroulement de son histoire conforme à son propre témoignage, et en partie en désaccord avec lui, quand ils annoncent la divinité du Créateur dans le Christ. » 13 AUGUSTIN, Epistola CCXXXVII, § 2 (Opera omnia, éd. Caillau, 1842, Vol. XLI, p. 318) 14 AUGUSTIN, De utilitate credendi, 1 (op. cit., XXVIII, pp. 9-10) ; Contra Faustum, XIII ( op. cit. vol. XXIX, p. 174). Dans le Sermo Domini in Monte (CCSL XXXV, p. 74), argumentant contre les mêmes manichéens, Augustin reconnaît l’inutilité de leur opposer un passage des Actes, tout comme il serait inutile de citer l’Ancien testament : Sed si huic libro haeretici qui adversantur Veteri Testamento nolunt credere... 15 AUGUSTIN, Contra epistulam Manichaei quam uocant fundamenti, CSEL 25, p. 205 : Hos ergo actus apostolorum euangelio pari auctoritate coniunctos cum lego, inuenio non solum esse promissum illis ueris apostolis sanctum spiritum, sed etiam tam manifeste missum, ut nullus de hac re locus relinqueretur erroribus.

12

les Actes deviendront, pour les courants hétérodoxes, plus un livre de combat qu’un ouvrage à

combattre.

2. Le texte des Actes des apôtres

a. Les traditions textuelles

S’il ne fait aucun doute, dès le IIe siècle, que le livre des Actes des apôtres est à

compter au nombre des écritures inspirées, la précision exacte de ce qu’on désigne sous ce

titre est plus difficile à établir. « No book of the NT has such a complicated history of his

transmitted Greek text as the Acts of the Apostles », peut écrire un exégète contemporain16.

Les Actes nous sont en effet parvenus à travers une tradition documentaire complexe, sur

laquelle les chercheurs sont encore loin de s’accorder. Il ne nous appartient pas ici d’en

retracer toute l’histoire, et moins encore de prétendre débrouiller à nouveaux frais l’écheveau,

mais seulement d’en rappeler les points saillants indispensables à notre propos17.

Les témoins manuscrits nous présentent le texte des Actes selon trois formes

principales : les deux premières, dites « antiochienne » et « alexandrine » sont si proches

qu’on les confond généralement ; cette tradition est largement majoritaire dans les manuscrits.

Un troisième texte nous est cependant parvenu, qui présente de notables variantes par rapport

aux deux autres textes : on parle de « texte occidental », sans qu’on puisse lui assigner une

origine ni une diffusion particulièrement située dans l’ouest du bassin méditerranéen.

Cette dernière tradition, qui comporte à son tour des variantes, a fait l’objet d’un

travail minutieux sans équivalent des PP. Boismard et Lamouille18, qui sur la base de toutes

les versions et citations patristiques disponibles ont proposé une reconstruction et une édition

de ce qu’ils pensent être le texte occidental originel. Intervenant dans un débat où s’affrontent

des opinions contrastées, ils estiment de plus que le texte « occidental » représente bien le

texte primitif des Actes, qui aurait fait par la suite l’objet d’une réélaboration, probablement

par Luc lui-même, aboutissant au texte alexandrin ; mais cette conviction, malgré la qualité de

leur travail salué par tous, est loin d’emporter une adhésion unanime.

b. Traduction latine et « texte occidental »

La tradition « occidentale » n’est pas devenue dominante dans l’Occident médiéval :

au contraire, elle tend à s’effacer dès la période patristique et devient résiduelle avec la

16 Joseph A. FITZMEYER s.j., The Acts of the Apostles. A new translation with introduction and commentary, Anchor Bible 31. 17 Un résumé de cette histoire est donné, avec une bibliographie conséquente, par J. A. FITZMEYER, op. cit., pp. 66-79. 18 M. E. BOISMARD ET A. LAMOUILLE , Texte occidental des Actes des apôtres. Reconstitution et réhabilitation, Paris, Ed. Recherche sur les civilisations, 1984 (2 vol. : I. Introduction et textes ; II. Apparat critique).

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renaissance carolingienne, au profit d’un texte alexandrin retenu par la Vulgate, et se diffusant

avec cette dernière.

Toutefois, on ne pourrait dans cette étude ignorer le texte « occidental ». Le principal

témoin de cette tradition est un manuscrit bilingue grec-latin, aujourd’hui disponible à

Cambridge et connu sous le nom de Codex Bezae19, du nom de son ancien propriétaire

Théodore de Bèze. Il contient le texte des évangiles et des Actes, écrit en onciale, et

remonterait au VIe siècle. S’il a probablement été produit en Occident, le manuscrit nous reste

extrêmement mystérieux – en dépit de nombreuses hypothèses invérifiables – jusqu’à son

apparition à la Renaissance. Il semble qu’il nous transmette une traduction du Nouveau

Testament antérieure au texte de la Vulgate.

Beaucoup de citations des Pères latins, consciencieusement recensées et classées par

Boismard et Lamouille20, semblent également se référer à la tradition occidentale des Actes,

qui avait donc un écho notable dans les traductions « vieilles latines » plus anciennes, en

particulier celles qui circulaient en Afrique du Nord. Mais on peut également déduire des

citations que font les Pères que, dans ces versions « vieilles latines », les deux traditions

textuelles circulaient simultanément. L’exemple d’Augustin est à cet égard significatif : alors

que dans la plupart de ses écrits, l’évêque d’Hippone se réfère à un texte alexandrin tout à fait

classique, il cite en deux occurrences un texte radicalement différent, qui nous est inconnu par

ailleurs : les deux longues citations du Contra epistulam Manichaei quam vocant

Fundamenti21 et du Contra Felicem22, auxquelles on peut désormais ajouter un passage de

l’ Epistula ad catholicos de secta donatistarum23, semblent les seuls témoins d’une version

archaïque des Actes dont le début ne mentionne pas l’Ascension24. Inutile pour notre propos

de chercher à savoir si ce texte court correspond à la version originelle des Actes des apôtres,

qui aurait été par la suite étendue en texte occidental, puis en texte alexandrin. Toujours est-il 19 Sur le Codex Bezae, voir l’article de P. BATTIFOL dans DB 2, p. 1769. Le codex lui-même, présent à la bibliothèque de l’université de Cambridge (Nn.2.41) a été publié dans A. SCRIVENER, Bezae Codex Cantabigiensis, being an exact copy in ordinary type… edited with a critical introduction, annotations and facsimiles, Cambridge, 1864. 20 op. cit., vol. 1, pp. 37-44. 21 CSEL 25, pp. 203-205. 22 CSEL 25, pp. 804-807. 23 L’authenticité de cette œuvre est désormais solidement étayée par la comparaison avec le ‘sermon Dolbeau’ 24 (AUGUSTIN, Vingt-six sermons au peuple d’Afrique, éd. par F. DOLBEAU, Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1996, sermon 24, p. 231.) 24 DOM BOGAERT, « La Bible d’Augustin », in G. MADEC (éd.), Augustin prédicateur (395-411). Actes du Colloque International de Chantilly (5-7 septembre 1996), Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1998, p. 43. Pour l’auteur, il s’agirait du texte initialement reçu par l’Eglise d’Hippone, dont Augustin se serait le plus souvent détaché. Voir aussi G. BOUWMAN, “Der Anfang der Apostelgeschichte und der ‘westliche’ Text”, in T. BAARDA ET AL. (éd.), Text and testimony. Essays on New Testament and Apocryphal litterature in Honour of A.F.J. Klijn, Kampen, J. H. Kok, 1988, p. 46-55, et la recension, élogieuse sur la méthode, réservée sur les conclusions, qu’en fait Dom BOGAERT, Bulletin de la bible latine, vol. VI, n° 848.

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qu’une œuvre aussi lue et commentée que celle d’Augustin tout au long du moyen âge

assurera la pérennité de ces traditions divergentes.

Les PP. Boismard et Lamouille remarquent au reste que la traduction de la Vulgate

n’est pas elle-même pure de toute tradition « occidentale » :

Pour composer la Vulgate latine, à la fin du IVe siècle et au début du Ve, Jérôme n’a pas voulu faire une

traduction entièrement nouvelle de la Bible ; il a entrepris une révision de traductions déjà existantes.

En ce qui concerne les Actes, il semble qu’il ait utilisé au moins trois formes de textes, comme nous le

verrons plus loin, dont le vieux texte africain. Ces textes contenaient de nombreux échos du texte

occidental, et un des buts de Jérôme fut de les corriger pour les aligner sur le texte de l’Alexandrin.

Cette révision, toutefois, ne fut pas parfaite et c’est pourquoi un certain nombre de leçons de type

« occidental » sont passées dans la Vulgate.25

Pour donner une idée de la fréquence de ces passages, les auteurs, auxquels on

pardonnera d’attribuer à Jérôme la révision de la Vulgate pour les Actes, en dénombrent huit

dans le premier chapitre.

Le texte de la Vulgate, en s’imposant définitivement en Occident à l’époque

carolingienne, diffuse tout de même un texte très largement « alexandrin ». Mais des traces de

la version « occidentale » sont encore repérables dans les siècles qui suivent : comme dans

bien d’autres cas, la Vulgate n’a pas entièrement supplanté les versions antérieures, que

continuent à transmettre des usages liturgiques, les écrits patristiques et certaines traductions

manuscrites isolées. Ainsi en est-il de la version utilisée par Cassiodore, dont le texte

conserve de nombreuses traces du vieux texte africain, malgré l’influence de la Vulgate26. On

peut suivre cette survivance chez Lucifer de Cagliari, dans le texte du Liber retractationis in

Actus apostolorum de Bède, dans le manuscrit Laudianus, la minuscule 137 de l’Ambrosienne

(XIe siècle) et même plusieurs manuscrits du XIIIe siècle : la minuscule 58 de la Bodléienne,

le Codex parisinus (B.N. n. 321) et surtout le Codex gigas de Stockholm. Ce dernier,

manuscrit d’une bible bohême reproduisant dans l’ensemble le texte de la Vulgate mais, pour

les Actes et l’Apocalypse, un texte marqué par les variantes occidentales, proche de ce qu’il

nous reste de celui de Lucifer de Cagliari.

On a donc imaginé une transmission « souterraine » par les Eglises cathares et hussites ; mais ce n’est

qu’une hypothèse, que rien n’appuie positivement.27

La prise en compte de ces deux traditions de texte, avec leurs nombreuses ramifications

concrètes, n’intervient pas dans notre étude par seul souci d’érudition. L’attention au texte

effectivement commenté s’impose à deux titres. D’une part, elle est un indice précieux dans la

25 Idem, p. 41. 26 Idem, pp. 66-67. 27 GRIBOMONT, « Les plus anciennes traductions latines », BTT 2, p. 55

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reconstruction de la chaîne des lectures : par elle, on sait davantage quel auteur a été lu par tel

ou tel auteur postérieur. D’autre part, les deux traditions textuelles ne présentent pas des

variantes insignifiantes pour le propos des Actes : on a pu même parler, d’un trait peut-être

excessif, de théologies différentes28 des deux versions. On aura donc tout intérêt à prendre en

compte cette donnée dans l’étude des commentaires : au moyen âge pas plus qu’aujourd’hui,

on ne commente pas deux textes différents de manière identique.

c. Le texte de la Vulgate

Le texte dominant, malgré ces exceptions tout à fait marginales, est celui que l’on

appellera, à partir du XVIe siècle, celui de la Vulgate : à partir du Ve siècle, c’est un texte

parmi d’autres, bénéficiant de l’autorité de saint Jérôme et, pour l’Ancien Testament, de

l’avantage d’une traduction directe de l’hébreu ; cette relative prééminence lui vaut d’être

adopté comme texte de référence pour l’Occident entier quand, à la demande de Charlemagne,

Alcuin s’avise d’unifier les versions circulant dans l’Empire29.

Il semble hors de doute que la révision du texte des « vieilles latines » des évangiles

intégré à la Vulgate soit de Jérôme ; mais l’attribution de la révision pour le reste du Nouveau

Testament pose bien plus de problèmes. Jérôme lui-même semble se l’attribuer

explicitement30, mais les chercheurs ne manqueront pas de relever que, commentant des

lettres de Paul, il n’hésite pas à s’éloigner de versions de la Vulgate, voire à les critiquer

ouvertement31. Aprement discutée depuis les premiers doutes soulevés par des humanistes de

la Renaissance, mais longtemps incertaine32, l’attribution à Jérôme est aujourd’hui tout à fait

abandonnée par les spécialistes. Sur le double fondement d’une systématique fidélité aux

28 Par ex. la thèse de EPP (E.J.), The theological tendency of Codex Bezae Cantabrigiensis in Acts (Society for New Testament Studies, Monograph Series, 3), Cambridge, University press, 1966 (citée dans P.M. BOGAERT, Bulletin de la Bible latine, T. V, n° 491) s’attache à la dimension « anti-judaïque » qu’il pense déceler dans les variantes « occidentales » du texte. 29 Sur l’histoire générale de la Vulgate, l’ouvrage de référence reste S. BERGER, Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du moyen âge, Nancy, 1893 ; réimpr. Hildesheim, Olms, 1976. On consultera également avec profit Le monde latin antique et la Bible (J. Fontaine et Ch. Pietri dir.), l’article de GRIBOMONT, « Les plus anciennes traductions latines », p. 41, et P.-M. BOGAERT, « La Bible latine des origines au Moyen Age. Aperçu historique, état des questions », in Revue théologique de Louvain, 19, 1988, 137-159. 30 Il déclare ainsi (De viris illustribus, 135) : Novum Testamentum graecae fidei reddidi. Mais ne prend-il pas, somme toute classiquement, la partie pour le tout ? 31 C’est l’argument du P. CAVALLERA , « S. Jérôme et la Vulgate des Actes, des Epîtres et de l’Apocalypse », in Bulletin de litt. ecclés., 1920. 32 Contre deux auteurs qui l’avaient précédé (Dom DE BRUYNE, « Etude sur les origines de notre texte latin de saint Paul », dans Revue Biblique, 1915, et le P. CAVALLERA , op. cit.), un esprit aussi peu suspect de crédulité que le R.P. LAGRANGE pouvait encore dans les années 1930 défendre l’authenticité hiéronymienne de la révision (Introduction à l’étude du Nouveau Testament. Critique textuelle, Paris, 1935, p. 502).

16

principes de traduction de Jérôme et d’une proximité avec les milieux pélagiens de Rome33,

on a proposé34 le nom du moine issu du groupe hiéronymien Rufin le Syrien.

Il aurait terminé [cette révision] à Rome auprès de Pélage, dont il était devenu l’ami et le conseiller

exégétique ; il aurait pu l’entreprendre à Bethléem avant 392, car l’Epître 46 du corpus épistolaire de

Jérôme, écrite à cette date par ses amies Paula et Eustochium, montre de longues citations de Jude et de

l’Apocalypse, selon cette révision ou un texte tout proche.35

Le réviseur aurait travaillé sur la base de plusieurs textes, à large dominante

« alexandrine », très proche des textes des manuscrits dits Amatianus et Fuldensis. Si l’on suit

l’hypothèse déjà citée des PP. Boismard et Lamouille selon laquelle au moins l’un des textes

de travail du réviseur était de tradition « occidentale », il faut du moins préciser qu’il a tout

fait pour débarrasser le texte final de cette influence36.

Le texte révisé n’est pas immédiatement adopté. Augustin, même quand il cite un texte

des Actes de tradition alexandrine (ce qu’il fait à deux exceptions près), ne l’utilise jamais37,

alors même qu’il lit saint Luc dans le texte de la Vulgate. Il se peut que le délai mis entre la

révision des évangiles, œuvre de Jérôme, et celle du reste du Nouveau testament, suffise à

expliquer cette différence.

Brièvement unifié par la recension alcuinienne au IXe siècle, le texte de la Vulgate ne

cesse de diverger d’un manuscrit à l’autre alors que le temps passe. Il ne s’agit pourtant dans

ce cas que de différences de détail, dues à des erreurs de copistes : on ne peut en aucun cas

dire qu’en naissent des textes différents. Avec la révision de la Vulgate, et exception faite des

survivances extrêmement isolées de tradition « occidentale » décrites plus haut, le texte des

Actes est fixé pour plusieurs siècles dans l’Occident latin.

d. Le titre latin du livre

On note enfin que le titre même de l’ouvrage n’est pas absolument stable en latin : le

mot grec de πραξεις est tantôt rendu par Actus, tantôt par Acta. La nuance de sens est

négligeable, et ne prête pas à conséquence.

33 Cette proximité est surtout sensible dans le rapport du texte révisé aux préfaces attribuées à l’hérétique Pélage. C’est sur la base de ce rapport que Dom De Bryune, art. cit., a cru pouvoir attribuer la révision à Pélage lui-même. 34 B. FISCHER, Beiträge zur Geschichte der lateinischen Bibeltexte, Fribourg en B., Herder, 1986. Ses conclusions n’ont encore été sérieusement contestées par personne, et sont reprises comme définitives par P.-M. BOGAERT et GRIBOMONT (op. cit.). 35 GRIBOMONT, op. cit., p. 61. 36 E. MANGENOT (« Les manuscrits grecs des Evangiles employés par saint Jérôme » in la Revue des sciences ecclésiastiques, janvier 1900) exclut même la présence de toute influence « occidentale » ; mais les exemples fournis par les PP. Boismard et Lamouille sont trop nombreux pour qu’on conclue au simple hasard. 37 M. PONTET, L’exégèse de saint Augustin prédicateur, Paris, Aubier, 1944, p. 224, note 115.

17

La traduction dominante est, par la masse, très nettement le choix d’Actus. A partir du

haut moyen âge, on ne trouve plus que lui quel que soit l’auteur : la généralisation de la

Vulgate semble avoir unifié l’usage sur ce point. Auparavant, si la plupart des auteurs de la

période patristique préfèrent déjà Actus38, beaucoup des plus anciens Pères latins ne

connaissent que la traduction Acta (Tertullien, Cyprien) ou emploient indifféremment les

deux traductions (Marius Victorinus, Chromace d’Aquilée, Jérôme). Au VIe siècle, Facundus

d’Hermiane continuera à utiliser Acta, ce que ne fera plus après lui que Bède le Vénérable,

qui préfère le plus souvent les formes issues de Actus39.

Il est difficile de tirer des conclusions de cette variante qui semble n’avoir aucune

explication géographique précise.

3. Les prologues des Actes

Les manuscrits bibliques qui nous sont parvenus comportent presque tous,

accompagnant le texte, un jeu de prologues plus ou moins longs, plus ou moins

systématiques, qui présentent le texte à ses lecteurs. Une tradition tenant de l’automatisme

attribuait ces prologues à Jérôme lui-même ; mais si l’attribution des prologues des Actes

reste une question particulièrement complexe, il est certain que Jérôme n’en est pas à

proprement parler l’auteur.

Au demeurant, les Actes, comme de nombreux autres livres, ne sont pas toujours, d’un

manuscrit à l’autre, accompagnés du même prologue : on en a recensé (voir en annexe, liste

C) treize différents, avec des fréquences d’apparition très variables.

Deux de ces prologues ne posent guère de problèmes d’attribution, parce qu’ils n’ont

pas été écrits comme des prologues : dans deux cas (notés C.6 et C.7), un éditeur a extrait de

la correspondance de Jérôme des passages qui lui paraissaient convenir. On notera d’ailleurs

que ces deux prologues rencontrent chez les copistes un assez large succès. L’attribution des

autres prologues reste pour l’heure très difficile.

On peut toutefois discuter leur datation. Les prologues notés C.1, C.3, C.5, C.6 nous

sont parvenus dans des manuscrits datables du VIIIe siècle, et ne peuvent donc être considérés

38 Si l’on se réfère au Corpus christianorum, c’est le cas de Apponius, Filastrius Brixiensis, Burgindia, Rufin, Augustin, Prosper d’Aquitaine, Fulgence, Cassiodore, Isidore de Séville, Lucifer de Cagliari, Faustinus Luciferianus, Ambroise, Paulin de Nole, Chromace d’Aquilée, Maxime de Turin, Quodvultdeus, Hilaire de Poitiers, Sulpice Sévère, Vincent de Lérins, Jean Cassien, Faust de Rietz, Eusèbe ‘le Gaulois’, Césaire d’Arles. 39 On trouve toutefois, chez Lambert de Deutz, une exception très tardive (autour de 1056), mais tout à fait isolée : Mirum quod sancti ab alterutro aliquotiens dissentiunt in actis apostolorum paulus et barnabas et sanctorum in scripturis quam plures faciunt. (LAMBERT DE DEUTZ, Vita Heriberti Coloniensis, MGH SS, 4 (G.H. Pertz, 1841), p. 749).

18

comme plus tardifs, tandis que C.7 et C.12 remontent au IXe siècle, et C.4 au Xe siècle. Dans

tous ces cas, rien ne paraît s’opposer à une datation antérieure.

4. L’usage liturgique des Actes des apôtres

L’organisation des lectures liturgiques à l’époque patristique nous est en grande partie

inconnue : si nous avons une attestation dès le IIe siècle, par Justin40, que les communautés

chrétiennes reprennent la coutume juive de lectures de l’Ecriture sainte au cours de leurs

célébrations cultuelles, nous n’en savons guère davantage pour plusieurs siècles. En effet,

aucun document antérieur au VIe siècle ne nous renseigne précisément sur la nature et

l’organisation de ces lectures41 dont toutefois personne ne met en doute l’existence.

On doit donc s’en remettre à quelques bribes extraites ici et là des écrits des Pères, qui

au détour d’un sermon nous en disent parfois quelque chose. Mais il faut se garder de

généraliser les usages dont ils sont les témoins : rien ne serait plus faux qu’une vision unifiée

des usages liturgiques, pour un temps où les particularités locales sont nombreuses et

mouvantes, et portant sur des points aussi importants que le nombre même des lectures

liturgiques ou l’usage ou non de lectures tirées de l’Ancien Testament.

Toutefois, les historiens de la liturgie, dont notre étude recueillera les conclusions,

peuvent discerner quelques caractères apparemment généraux42 ; ces caractères nous

intéressent particulièrement dans la mesure où l’exemple récurrent d’un usage assez

universellement admis, dont du moins nous n’avons pas de contre-exemple net, concerne la

lecture des Actes des apôtres au Temps pascal43.

Notre étude trop brève de l’usage des Actes dans la liturgie nous amènera, de l’époque

patristique, jusqu’à la mise en place de la liturgie romaine, celle-là même qui va s’imposer

peu à peu et, à quelques rares exceptions près (comme Milan), au plus tard lors de la réforme

grégorienne, à l’ensemble de l’Occident44. C’est donc dans une liturgie très largement

romaine que les auteurs médiévaux que nous étudierons par la suite entendront, méditeront et

40 JUSTIN, Première apologie, 67. 41 C. VOGEL, Medieval Liturgy. An introduction to the sources, Washington, The Pastoral press, 1986, p. 301 : « No liturgical document survives from before the VI century with information on the nature and arrangement of the readings in the liturgy but there can be no doubt about the existence of such readings. » 42 Ainsi DOM P. SALMON , Le lectionnaire de Luxeuil, Paris, ms.lat.9427, édition et étude comparative. Contribution à l’histoire de la Vulgate et de la liturgie en France au temps de Mérovingiens, Rome, Libreria Vaticana, 1944 (Collectanea biblica latina 7), p. lxxxvii ; A. G. MARTIMORT, Les lectures liturgiques et leurs livres, Turnhout, Brepols, 1992 : « Typologie des sources du moyen âge occidental », fasc. 64, p. 17. 43 DOM P. SALMON , op. cit., p. lxxxviii. 44 Voir la contribution de P.-M. GY, « La Bible dans la liturgie au Moyen Age », in BTT4, pp. 537-552.

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apprendront à connaître les Actes des apôtres. Pour cette raison, nous ne reviendrons plus sur

le cadre établi ici, qui restera très largement utilisable pour l’ensemble du moyen âge.

a. La lecture liturgique des Actes à l’époque patristique

Il semble que la première attestation de la lecture liturgique des Actes à un moment

précis de l’année liturgique ne vienne pas du monde latin, mais de la liturgie de Jérusalem

telle que nous la décrit au IVe siècle la voyageuse Egérie ; mais la liturgie de Jérusalem a

semble-t-il influencé largement la fixation des usages dans l’ensemble du monde chrétien. Or,

Egérie, qui ne détaille pas les lectures faites pendant le Temps pascal, rapporte que le

cinquantième jour après Pâques, soit notre Pentecôte, il est d’usage de faire deux lectures

tirées des Actes : le récit de la Pentecôte d’abord, à Sion à la troisième heure45 ; puis le récit

de l’Ascension au Mont des Oliviers, à la sixième heure46. Ces lectures ne sont guère

surprenantes, dans la mesure où l’usage palestinien ne distinguait pas nettement, comme la

liturgie romaine par la suite, la célébration de l’Ascension et celle de la Pentecôte. Mais ce

témoignage ne concerne que deux péricopes sur l’ensemble du livre.

Plus tardif, un témoin bien plus précis sur la lecture liturgique des Actes en l’Afrique

est Augustin. Ses œuvres nombreuses, à commencer par ses sermons, sont une source

d’innombrables renseignements pour les historiens de la liturgie. Elles donnent l’image d’un

cycle de lecture encore mal défini, mais qui commence à se mettre en place. Il semble bien

que l’église d’Hippone connaissait un ordo des lectures avant l’épiscopat d’Augustin47, au

moins pour certains temps liturgiques : mais le fait qu’on connaisse par ses œuvres quatre

ordines différents pour la seule semaine sainte montre bien que l’évêque dispose encore d’une

grande liberté dans le choix des lectures liturgiques. Nombreuses sont les allusions chez

Augustin qui montrent que la lecture a été librement choisie par le prédicateur48.

Toutefois, quand Augustin évoque la lecture liturgique des Actes, il semble se référer à

un cycle bien établi, connu de ses auditeurs et qu’il ne maîtrise pas : la lecture des Actes doit

avoir lieu au Temps pascal. Cet usage semble si bien établi qu’Augustin l’emploie même

comme un élément de reconnaissance du livre, qu’il juge efficace pour que son auditoire

identifie livre biblique auquel il se réfère très souvent. Il précise même à plusieurs reprises 45 EGERIE, Journal de voyage (Itinéraire), Paris, Cerf, 1982 (SC 296), p. 298. 46 EGERIE, op. cit., p. 300. 47 S. POQUE, « Les lectures liturgiques de l’Octave pascale à Hippone d’après les traités de saint Augustin sur la première épître de saint Jean », dans Revue Bénédictine 74, 1964, pp. 217-241. 48 « Toutefois, quant au contenu de ce passage que j’ai demandé qu’on vous lise aujourd’hui… » (S. 93,1) ; « Me rappelant la promesse que je vous ai faite, j’ai choisi des passages de l’évangile et des épîtres qui pouvaient être chantés » (S. 362,1)… Parfois, il fait relire les mêmes textes le lendemain, quand son commentaire n’est pas achevé (voir En. Ps. 90, 2, 1 ; Io. ev. tr. XLVI, 8).

20

commence le dimanche même de Pâques49. Il s’agit là, non d’un choix de l’évêque, mais de

« la coutume de l’Eglise », qui exprimée ainsi paraît déjà ancienne.

L’œuvre d’Augustin témoigne également de la lecture liturgique des Actes dans les

fêtes liées à des événements qui y sont rapportés : c’est le cas, sans surprise, pour les

solennités de l’Ascension50 et de la Pentecôte51. C’est aussi le cas pour des fêtes de saints,

selon une pratique qui ne sera jamais abandonnée : on la repère chez Augustin pour la saint

Etienne, dont le récit du martyre est lu au cours de la messe52, et pour la fête de la conversion

de saint Paul53.

Un siècle plus tard, en Gaule, Germain (496-543), évêque de Paris, évoque

sommairement le cycle des lectures liturgiques et confirme pour la Gaule du VIe siècle la

pratique, semble-t-il assez générale, de la lecture des Actes au Temps pascal :

Actus autem Apostolorum vel Apocalypsis Iohannis pro novitate gaudii paschalis leguntur, servantes

ordinem temporum.54

Ces mentions, que l’on pourrait certainement compléter, sont cependant loin de

répondre à toutes nos questions. On ignore en particulier quels passages du livre des Actes

étaient précisément lus lors du cycle le plus complet, celui du Temps pascal. On imagine

assez naturellement que le livre fait l’objet d’une lecture complète, le lecteur reprenant chaque

jour la lecture là où il s’est arrêté la veille ; mais des historiens de la liturgie, notant le

caractère très ancien de la division en péricopes liturgiques, nous mettent en garde contre le

caractère évident d’une telle lectio continua55. Nous devons admettre que, dans le cas des

Actes, nous n’en savons rien à ce jour.

b. Listes de péricopes et premiers lectionnaires

Les premières indications plus précises n’apparaissent pour nous qu’avec les

premières listes de péricopes liturgiques, puis les premiers lectionnaires. Notre information ne

remonte malheureusement pas à la période patristique au sens propre, puisqu’elle ne fournit

49 Les attestations sont nombreuses. On en retiendra par exemple : PL 38, Sermon 227 (In die Paschae, IV), col. 1099 : Modo incipit liber ipse legi : hodie coepit liber qui vocatur Actuum Apostolorum ; Sermon 315, col. 1426 : Actus Apostolorum liber est de Canone Scripturarum. Ipse liber incipit legi Dominico Paschae, sicuto se consuetudo habet Ecclesiae. 50 PL 38, S. 265, col. 1218. 51 PL 38, S. 378, col. 1673. 52 PL 38, S. 318, col. 1437 : Audistis, cum passionis eius lectio legeretur de libro canonico Actuum apostolorum… 53 PL 38, S. 278, col. 1268 : Hodie lectio de Actibus Apostolorum haec pronuntiata est. 54 E. C. RATCLIFF (éd.), Expositio Antiquae Liturgiae Gallicanae, HBS 98 (London 1971) 5-6, cité par C. VOGEL, op. cit., p. 301. 55 MARTIMORT, op. cit., p. 19.

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d’éléments assurés qu’à partir du VIe siècle. S’il est bien possible que les cycles dont nos

documents témoignent soient plus anciens, rien ne permet de l’affirmer avec certitude.

Nos premiers témoins ne sont pas de véritables lectionnaires, ni même des listes

liturgiques, mais les notations marginales de certaines Bibles, qui indiquent l’étendue des

péricopes et le jour de leur lecture liturgique. Ces manuscrits sont toutefois largement

lacunaires, et en particulier il semble que le livre des Actes soit toujours absent des Bibles –

partielles, comme très souvent pour les manuscrits aussi anciens – contenant ces notes

marginales : nous n’avons donc aucune indication sur les Actes par cette source ancienne56.

Puis apparaissent, avant les lectionnaires proprement dits (livres proposant le texte des

lectures pour chaque jour), des listes de péricopes qui, sans donner le texte intégral des

lectures, en proposent un sommaire de références : ce qu’on appelle exactement des

capitularia57. Pour notre étude, nous en comparerons trois, qui sont parmi nos sources les plus

complètes : le capitulaire de Luxeuil, principal témoin d’une église burgonde de la fin du VIIe

siècle ou du début du VIIIe siècle, sur lequel on fonde une bonne part de notre connaissance

du cycle « gallican » ancien des lectures58 ; l’épistolier du capitulaire de Würzburg,

probablement notre plus ancien témoin du lectionnaire de la liturgie romaine, dont il

indiquerait l’usage au début du VIIe siècle59 ; enfin, probablement un peu plus tardif (VIIIe

siècle, peut-être tout début du IXe), le capitulaire de Murbach60, lui-même témoin de la

liturgie romaine dans son évolution61.

Les listes proposées par les deux derniers concernant les Actes sont très proches, mais

diffèrent plus sensiblement sur ce sujet du premier : le capitulaire de Luxeuil propose trente-

quatre lectures issues des Actes, tandis que celui de Würzburg n’en compte que la moitié et

celui de Murbach dix-neuf. Mais il est frappant de constater qu’ils présentent tous les trois les

mêmes caractéristiques fondamentales, et en particulier l’extrême encadrement de l’usage des 56 C’est du moins ce qui ressort de la liste établie dans MARTIMORT, op. cit., pp. 23-26. L’immense majorité des notations marginales nous renseigne sur le cycle des évangiles, mais on trouve quelques recueils de lettres de Paul, et même trois manuscrits de l’Ancien Testament. 57 R. GREGOIRE, Homéliaires liturgiques médiévaux. Analyse de manuscrits, Spolète, Centro italiano di Studi, 1980, p. 5. Les textes étudié par la suite sont fréquemment désignés, même par leurs éditeurs, par d’autres termes, principalement « lectionnaire » (qui désigne un livre donnant le texte intégral des lectures) et comes. 58 DOM P. SALMON , Le lectionnaire de Luxeuil, Paris, ms.lat.9427, édition et étude comparative. Contribution à l’histoire de la Vulgate et de la liturgie en France au temps de Mérovingiens, Rome, Libreria Vaticana, 1944 (Collectanea biblica latina 7). Cette édition propose (p. 228) une comparaison avec plusieurs manuscrits, témoins de la liturgie gallicane, dont nous constatons qu’ils diffèrent peu du lectionnaire de Luxeuil concernant les Actes. 59 Würzburg, Universitätsbibliothek, cod.M.p.th.f.62, éd. : G. MORIN, « Le plus ancien Comes ou lectionnaire de l’Eglise romaine », dans Revue bénédictine, 27 (1910), p. 41-74. 60 Besançon, Bibliothèque municipale, ms. 184. Ed. : A. WILMART , « Le Comes de Murbach », dans Revue bénédictine, 30 (1913), p. 25-69. 61 La période qui sépare les deux lectionnaires est précisément celle de l’élaboration, assez lente, de la liturgie romaine. Voir MARTIMORT, op. cit., p. 51 : « Les livres des lectures de la messe marquent pour leur part les jalons de cet intense travail d’élaboration et de fixation, qui s’est accompli entre le VIe et le VIIIe siècle. ».

22

Actes, usage qui ne se rapporte qu’à deux grands types d’occasions. Ce sont précisément ces

convergences qui nous permettent d’estimer suffisant cet examen pour nous faire une idée,

certes non définitive, de l’usage liturgique des Actes dans l’Eglise ancienne.

Le temps pascal

Le point le plus évidemment net, c’est le poids du temps pascal dans les lectures des

Actes : les lectures liées à ce temps liturgique qui va en ce temps-là du jour de Pâques à

l’octave de la Pentecôte sont vingt-sept sur les trente-quatre lectures des Actes dans

l’année du capitulaire de Luxeuil, quatorze sur les dix-sept du capitulaire de Würzburg et

quatorze sur les dix-neuf du capitulaire de Murbach.

Au sein du temps pascal, trois moments semblent privilégiés : l’octave de Pâques, dont

chaque jour est associée à un saint particulier, et où les Actes fournissent presque

quotidiennement l’épître ; la fête de l’Ascension, éventuellement augmentée de sa vigile ;

l’octave de la Pentecôte, une semaine qui s’est mise en place progressivement en Occident,

par imitation de la liturgie orientale, et qui est elle aussi largement dominée par la lecture des

Actes comme épître.

Les fêtes de saints

Le sanctoral fournit les autres occasions de lecture des Actes, avec quelques fêtes

assez précises. Les trois lectionnaires que nous comparons s’accordent pour montrer l’usage

des Actes pour la fête de saint Etienne. Les témoins de la liturgie romaine les introduisent

également pour les fêtes de Pierre (le dies natalis et sa vigile) et de saint Paul (le dies natalis,

mais aussi la fête de la conversion du saint). La liturgie gallicane s’en distingue – mais elle

sera, au moyen âge, bien moins influente sur ce point – en proposant des lectures des Actes

pour la fête de la chaire de saint Pierre, une fête (qui n’a pas de correspondance dans la

liturgie romaine) des saints Jacques et Jean, et la saint Jean-Baptiste.

Une lecture très partielle

Les lectures sont, on le voit, toutes liées à des fêtes déterminées, du temporal (Pâques,

Ascension, Pentecôte) ou du sanctoral (Etienne, Pierre, Paul). On n’est donc amené à n’en lire

que les passages liés à ces fêtes, de manière plus ou moins immédiate. Il en résulte que la

lecture liturgique des Actes que nous présentent ces listes de péricope est extrêmement

lacunaire : tous lectionnaires confondus, en intégrant même à notre comput les manuscrits

gallicans consultés par le P. Salmon, on n’atteint qu’une trentaine de péricopes différentes. De

plus, ces péricopes sont tirées de quinze chapitres différents ; cela signifie que pas moins de

treize chapitres des Actes, soit près de la moitié du livre, ne font jamais l’objet d’une lecture

publique à la messe. Les premiers chapitres font l’objet d’une attention assez soutenue : les

23

chapitres 1, 2 et 4 sont parfois lus intégralement – bien que la lecture en soit morcelée – et de

très larges parties des chapitres 3 et 5 sont également proclamés dans la liturgie. Mais plus on

avance dans le livre des Actes, moins en on lit, et passé le chapitre 19, plus aucun texte n’est

jamais lu dans la liturgie de la messe. On est donc bien loin d’une lecture complète !

On est également très loin d’une lectio continua : les péricopes sont lues, même dans

les semaines où elles fournissent quotidiennement l’épître, sans suivre l’ordre du livre, mais –

puisque chaque jour de l’octave de Pâques ou de l’octave de la Pentecôte est consacré à la

mémoire d’un saint précis – en fonction du saint dont il est fait mention. Les auditeurs ne

connaissent donc pas, des Actes, l’unité du récit : ils n’en entendent pas se dérouler l’histoire,

mais s’arrêtent sur quelques figures, quelques discours. Il en va de même pour le prédicateur

qui s’appuierait sur les textes de la liturgie : il ne pourrait en rendre le mouvement, mais sera

tout naturellement conduit à construire des images figées, des instantanés.

c. La liturgie des heures

Une étude du Sitz im Leben de la lecture des Actes serait incomplète si l’on ne

mentionnait que les clercs ont une autre occasion de rencontrer les Actes : l’office de la

liturgie des heures. Cette liturgie des clercs prévoit, à l’office des Vigiles, un certain nombre

de lectures bibliques ou patristiques, dont les Actes font partie.

L’étude des cycles exacts serait à la fois difficile et, pour notre propos, relativement

inutile, car toutes nos sources vont dans le même sens : la liturgie des heures donne à lire ou

entendre le livre des Actes une fois par an, souvent dans son ensemble, sous forme de lectio

continua, et en général au Temps pascal comme plusieurs autres livres du Nouveau

Testament62. C’est un lieu important, puisqu’il est également l’occasion – en général –

d’entendre des commentaires patristiques consacrés au livre en question : c’est donc un lieu

de transmission, d’apprentissage, mais aussi, comme nous aurons l’occasion de le voir à

propos des homéliaires, d’élaboration, de sélection des commentaires.

62 C’est le cas pour les principales familles d’office en Occident : l’office romain, l’office bénédictin, l’office ambrosien (limité à Milan et à sa région). Cf. MARTIMORT, op. cit., pp. 69-73. La difficulté d’une telle étude tient au fait que peu de livres spécifiques existent, comme il existe des lectionnaires pour la messe : puisque à l’office la lecture est continue, on utilise en général la Bible, qu’elle soit en un ou plusieurs volumes. Toutefois, quelques Bibles où l’ordre des livres est fonction des cycles de la liturgie des heures nous sont parvenues (MARTIMORT, p. 73). Pour l’office romain, on consultera de préférence les ordines 13 et 14, cités par P.-M. GY, « La Bible dans la liturgie au Moyen Age », p. 551. Voir également H. MAROT, « La place des lectures bibliques et patristiques dans l’office latin », in La prière des heures, Paris, 1963, p. 149-165.

24

B- Les auteurs patristiques face aux Actes

La période patristique nous intéresse au premier chef pour les processus que nous

venons d’étudier : l’établissement du texte, sa traduction, sa réception canonique et son usage

liturgique. Cependant, rares, les commentaires patristiques des Actes proprement dits ne sont

pas inexistants dans le monde latin ; ces textes n’ont d’ailleurs jamais cessé d’être accessibles

aux auteurs médiévaux, pour lesquels ils tiraient une autorité importante de l’antiquité et de la

sainteté de leurs auteurs.

Si l’on adopte la typologie que propose Jérôme dans la préface de sa traduction des

homélies d’Origène sur Jérémie et Ezéchiel63, on peut répartir les œuvres exégétiques de

l’époque patristique en trois grandes catégories : les commentaires proprement dits, ou tomes,

qui sont des traités méthodiques qui donnent l’explication d’un livre dans sa totalité ; les

homélies, qui s’adressent aux fidèles de manière plus large, moins technique ; les scholies

enfin, qui sont de courtes notes portant sur tel ou tel passage. Concernant les commentaires

patristiques latins des Actes, la première catégorie n’est pas représentée : pratiquement tous

les textes qui nous sont parvenus ressortissent des deux derniers genres.

Au sein de ce corpus, la distinction entre ces deux genres est d’ailleurs aisée. Certains

textes sont des explications, au caractère didactique – sinon scolaire – assez marqué, voire des

instruments de travail ; les autres sont des sermons, commentaires oraux de l’Ecriture dont

l’objectif est d’abord pastoral. Ces deux directions, qui continueront à se manifester au moyen

âge, ne connaissent pour l’œuvre qui nous intéresse pas de croisements notables : l’une et

l’autre ne s’influencent pas comme elles le feront par la suite. On n’aura donc pas de scrupule

à les étudier séparément. Une œuvre, au demeurant mineure, reste inclassable : on y viendra à

la fin de ce chapitre.

1. Les scholies

On regroupera sous ce nom de brefs ouvrages didactiques, écrits pour aider à l’étude et

qui deviendront au moyen âge de véritables livres d’école.

a. Jérôme

Le grand traducteur et commentateur de la Bible ne joue dans notre histoire qu’un rôle

secondaire : de même qu’il n’a ni traduit, ni réellement préfacé les Actes, il n’en a nulle part

donné de commentaire suivi.

63 PL 25, col. 585-586.

25

Textes et authenticité

Jérôme nous intéresse toutefois comme étant l’auteur d’un instrument de travail au

succès considérable, dont une partie porte sur les Actes des apôtres : le Liber interpretationis

hebraicorum nominum64. Il s’agit de petits lexiques, portant chacun sur un livre de la Bible,

recensant les noms propres et en proposant une traduction ; contrairement à ce que son titre

laisserait penser, Jérôme y traite aussi bien des noms grecs que des noms hébreux. Son succès

au moyen âge lui vaudra d’être modifié et augmenté selon différentes listes qui circulent

concurremment (la plus fréquente porte à l’incipit Aaz apprehendens)65. Nous retrouverons

ces listes quand il sera question de l’exégèse scolaire ou universitaire.

Un autre texte, formellement assez proche du précédent, a également circulé sous le

nom de Jérôme : dans l’édition de Migne, il porte le nom de Liber nominum graecorum ex

Actibus66 ; c’est un lexique qui propose pour plusieurs noms propres des Actes (pas tous

nécessairement grecs au demeurant) une interprétation. Si le genre littéraire du dictionnaire

peut bien se réclamer de Jérôme, l’attribution de ce texte précis est parfaitement fantaisiste,

comme le fait remarquer Migne lui-même dans son introduction à l’aide de plusieurs

exemples67, avant de conclure :

In cod. autem nostro ms. quem domi habemus, et ad quem vulgatum exegimus, errorem ipsa cavet

inscriptio : Nomina Regionum atque Locorum de Actibus Apostolorum, non a Hieronymo, sed ab alio

quodam descripta.

Une fausse attribution à un auteur aussi important que Jérôme n’a rien de rare, si l’on

en croit la longue liste d’apocryphes dressée par B. Lambert dans sa Bibliotheca

hieronymiana68. On a même pu identifier l’auteur de ce lexique : M. L. W. Laistner, éditeur

des œuvres de Bède relatives aux Actes dans l’édition de Cambridge (Massachusetts)69

reproduite dans le Corpus christianorum70, défend sans hésitation, et non sans arguments, la

64 L’édition de référence, réalisée par P. DE LAGARDE en 1868 à Leipzig, est reproduite dans CCSL 72, pp. 142-150. 65 Sur tout cela, voir G. DAHAN , « Lexiques hébreu-latin ? Les recueils d’interprétations des noms hébraïques », dans Les manuscrits des lexiques et glossaires, de l’Antiquité à la fin du moyen âge, éd. J. Hamesse, Louvain-la-Neuve, 1996, pp. 481-526. 66 PL XXIII, col. 1297. 67 A l’entrée « Damascus », l’auteur précise : « Nunc est metropolis Saracenorum », ce que Jérôme n’aurait guère pu écrire. Et à l’entrée « Smyrna », devant une incertitude du texte des Actes, l’auteur du lexique se réfère explicitement, pour trancher la question, à l’autorité… de Jérôme. 68 Citée dans QUASTEN, Introduction aux Pères de l’Eglise, Paris, Cerf, 1986, t. IV, p. 321. 69 M. L. W. LAISTNER, Bedae Venerabilis Expositio Actuum Apostolorum et Retractatio, Cambridge (Mass.), 1939 ; p. 147-158 (editio critica libri De nominibus, quod opus genuinum Bedae esse defendit, ex 12 codicibus). 70 CCSL 121, p. 165-178.

26

thèse d’une attribution au Vénérable. Nous admettrons ici cette thèse, qui a pour elle les

mentions de plusieurs manuscrits.

Il faudrait encore citer ici un petit apport de Jérôme, qui n’a pas écrit, comme on l’a

vu, de prologue au livre des Actes. Certains copistes, soucieux d’orner chaque livre biblique

d’un prologue authentiquement hiéronymien, ont donc reproduit un petit paragraphe relatif

aux Actes, issu de sa correspondance71. Ce bref passage n’est pas sans importance sur

l’attitude que Jérôme entend adopter vis-à-vis de ce livre dans lequel il refuse de voir une

« simple histoire », immédiatement accessible et ne nécessitant pas une exégèse spirituelle.

b. Eucher (né vers 380-mort en 449 ou 450)

Eléments biographiques72

Né à Lyon, Eucher est issu d’une famille illustre, liée indirectement à l’empereur

Avitus et à plusieurs dignitaires de la Gaule romaine : cela explique qu’il ait pu recevoir une

éducation soignée, au point de savoir lire le grec, ce qui est de plus en plus rare. Converti dans

des circonstances que nous ignorons, il décide, avec sa femme Galla, de se consacrer au

Christ et choisit la vie monastique près de Lérins, à Sainte-Marguerite ; il confie ses fils

Salone et Véran, qui deviendront respectivement évêques de Genève et de Vence, à l’abbaye

de Lérins.

Il reste en contact avec plusieurs grandes figures de la Gaule chrétienne, comme

Honorat, Hilaire ou Cassien, qui lui dédie ses deuxièmes Conférences. Il devient évêque de

Lyon vers 435, mais nous ignorons l’essentiel de son action épiscopale, à l’exception de sa

participation au concile d’Orange en 441.

Auteur de nombreux ouvrages que nous qualifierions « de spiritualité », il écrit

également deux commentaires de l’Ecriture qui nous sont parvenus. Le premier, Formularum

spritualis intelligentiae liber unus, est adressé à son fils Véran ; c’est une explication du

vocabulaire biblique le plus usuel. Le second, Instructionum ad Salonium libri duo, adressé à

son second fils, est divisé en deux livres : le premier est, sous la forme de questions, une

explication rapide de passages difficiles de l’Ecriture ; le second, une traduction des noms

71 SAINT JEROME, Lettres, Paris, « Belles lettres », 1953, p.22-23. Lettre 53, au prêtre Paulin, sur l’étude de l’Ecriture : Actus apostolorum nudam quidem sonare videntur historiam, et nascentis Ecclesiae infantiam texere : sed, si nouerimus scriptorem eorum Lucam esse medicum, cuius laus est in Euangelio [2Co8] ; animauertemus, pariter omnia verba illius, animae languentis esse medicinam. 72 Sur la vie d’Eucher, voir L. CRISTIANI, « Eucher (saint) », DS IV, col. 1653-1660 ; B. HEURTEBIZE, « Eucher (saint) », DB 2, col. 2042 ; Histoire littéraire de la France, t. II, p. 275 ; A. GOUILLOUD, Saint Eucher. Lérins et l’Eglise de Lyon au Ve siècle, Lyon, Briday, 1881 ; Initiation aux Pères de l’Eglise, t. IV, A. di Bernardino (dir.), Paris, Cerf, 1986, p. 668-671.

27

hébreux de la Bible. Quelques autres ouvrages d’exégèse lui sont parfois attribués, mais

semble-t-il sans raison convaincante.

Ces œuvres ont connu une grande diffusion au moyen âge, en particulier dans le

monde monastique où elles ont souvent servi de manuels, comme en témoignent les très

nombreuses copies modifiées, complétées, interpolées qui nous sont parvenues.

Texte et authenticité

Le premier commentaire latin, si l’on met à part la prédication, qui nous soit parvenu

se trouve dans une œuvre d’Eucher dont personne n’a mis en doute l’authenticité : les

Instructionum ad Salonium libri duo. Les manuscrits qui le transmettent73 ont nécessité un

important travail critique de la part de leur éditeur, K. Wotke, qui a présenté en 1894 un texte

fortement restauré dans le corpus dit de Vienne74 ; son texte a été très fortement critiqué, en

particulier par C. Mandolfo75, qui propose un nouveau texte critique dans la collection Corpus

christianorum76.

On notera que les six questions consacrées aux Actes des apôtres ont également

circulé, dans certains manuscrits, sous le nom de Bède77. L’édition de Migne, qui reproduit le

texte une première fois sous le nom d’Eucher78, n’hésite pas à le présenter une seconde fois, à

quelques variantes insignifiantes près, dans un volume des œuvres de Bède79. Mais

l’attribution à Eucher ne fait aucun doute pour les critiques.

Contenu et doctrine

La forme adoptée par Eucher, qui procède par questions et réponses, ne présente

aucune originalité. Le genre littéraire des « questions » était d’abord courant dans la

discussion philosophique ; il a été pratiqué par plusieurs auteurs chrétiens, Eusèbe, Acace de

Césarée, et en Occident Jérôme, l’Ambrosiaster et Augustin80, auteurs qu’Eucher connaît

bien. Ces questions sont présentées comme venant de son fils Salone, mais il s’agit

probablement d’un artifice littéraire.

73 Ms cité par Stegmüller (n° 2261) : Cambridge Univ. 1242 (Ff. III 34) (XI) ; Karlsruhe, Landesbibl. Aug. Perg. 218 f. 158-199 ; Paris, nat. lat. 9380 ; Vaticana, vat. lat. 552. 74 CSSEL 31 (1894), p. 134-136. 75 C. MANDOLFO, « Per una nuova edizione delle opere maggiori di Eucherio di Lione », Annali di storia dell’Esegesi (Atti del VII Seminario nazionale di ricerca su “Studi sulla letteratura esegetica cristiana e giudaica antica », Sacrofano 18-20 ottobre 1989), 7 (1990). 76 CCSL 66. 77 Voir Stegmüller n° 1682, ainsi que BTT 4, p. 156. 78 PL 50, col. 809-810. 79 PL 92, col. 1031-1034. 80 Une histoire de ce genre littéraire en exégèse est esquissée par G. BARDY, « La littérature patristique des Quaestiones et responsiones sur l’Ecriture sainte », Revue biblique, t. 41, 1932, p. 210 et s.

28

Par rapport à ses devanciers, la principale originalité formelle de l’œuvre d’Eucher est

sa concision. « Son plus grand mérite est d’avoir réalisé une œuvre brève, d’avoir condensé en

quelques pages l’essentiel des longues questions de l’Ambrosiaster et de saint Augustin.

Ceux-ci étaient encore des intellectuels qui s’intéressaient à la Bible pour elle-même ; Eucher

est un homme de gouvernement, qui se contente d’un manuel où sont résumés les problèmes

essentiels. »81

Les auteurs, prompts à dénoncer « la science, un peu courte parfois, il faut l’avouer, du

saint évêque Eucher »82, soulignent fréquemment l’absence d’originalité de son œuvre

exégétique83. Lui-même ne s’en cache pas, qui conclut modestement son livre :

Et quidem haec de opinionibus doctissimorum virorum exigenti tibi a me prolata sunt. Si quis tamen in

praedictarum quaestionum disputationibus adtulerit, quae magis probentur reprehendens pertinanciam,

quae in plerisque esse solet, non abnuo me secuturum esse meliora.

G. Bardy relève que les sources les plus couramment utilisées par Eucher sont Jérôme,

Augustin et l’Ambrosiaster. Il les décalque même souvent de très près. Toutefois, si les Actes

sont même un des livres du Nouveau Testament sur lesquels il s’attarde le plus, nous ne lui

connaissons pas de devancier latin auquel il aurait pu se référer. Mais on n’en conclura pas

pour autant à son originalité : au contraire, Eucher renvoie même explicitement à un auteur

antérieur dont il rapporte une interprétation possible84.

Quant au contenu de son exégèse, il s’agit essentiellement d’expliciter des passages

mystérieux ou apparemment contradictoires. Le plus souvent, les explications données sont

brèves, sur des points de détail (l’observance du sabbat, les règles alimentaires juives, une

question sur le rituel du baptême…), mais la deuxième question, portant sur les deux dons de

l’Esprit distincts rapportés par le Nouveau Testament (Jn 20,22 et Ac 2,1), donne lieu à des

développements plus théologiques et moins anecdotiques.

81 G. BARDY, « La littérature patristique des Quaestiones et responsiones sur l’Ecriture sainte (suite) », Revue biblique, t. 42, 1933, p.19. 82 G. BARDY, op. cit., p.14. 83 « Il est bien certain que saint Eucher ne fait aucun effort pour apporter des explications personnelles » (G. BARDY, op. cit., p. 18). 84 EUCHER, CSSEL 31, p. 135 : « Egregie quidam doctor exposuit dicens de eo… »

29

c. Cassiodore

Eléments de biographie85

Né vers 485 en Calabre, Cassiodore, d’une famille probablement syrienne, compte

parmi les personnages les plus considérables du monde romain finissant, et n’hésite pas à

offrir à la royauté gothique la collaboration qu’elle recherche avec l’aristocratie romaine : il

exerce les plus hautes fonctions auprès des empereurs ostrogoths Théodoric, Athalaric et

Vitigès, auprès desquels il est consul en 514, puis trois fois préfet du prétoire. Peut-être

devant la reconquête byzantine, il se retire une première fois de la vie publique en 537,

choisissant l’état monastique, mais il est forcé de passer environ dix ans à Constantinople en

compagnie du pape Vigile. C’est après son retour en Italie qu’il fonde, dans son domaine

familial de Calabre, un monastère du nom de Vivarium, dans sa région natale, où il se retire

après 554, sans vivre avec la communauté. Il y mourra très âgé, vers 580.

Dans une Italie ravagée par les invasions, les ambitions intellectuelles du monastère du

Vivarium sont considérables, et la priorité est donnée à l’étude de la Bible, sans pour autant

que les lettres séculières soient tout à fait négligées.

Il semble que Cassiodore ait tenu à doter son monastère d’une bibliothèque

importante, où sont notamment rassemblées plusieurs éditions différentes du texte biblique.

Ce matériau permet au monastère de réaliser une belle édition soignée de la Vulgate de

Jérôme, pour la première fois rassemblée en un seul volume. Cette édition, dite Codex

grandior, réalisée en collationnant plusieurs manuscrits et en intégrant, contient pour la

première fois également préfaces et commentaires dans le même volume que le texte biblique.

Si cette réalisation est aujourd’hui perdue, sa postérité, qui a donné lieu à bon nombre

d’hypothèses, est aujourd’hui bien étudiée86.

Quelques-uns de ses commentaires bibliques sont également perdus pour nous : un

commentaire de la lettre aux Romains, qui serait en fait une édition expurgée du commentaire

de Pélage, ainsi qu’un Memorialis, sorte de réunion de sommaires analytiques de son édition

de la bible. L’Expositio in Cantica canticorum qui a circulé sous son nom serait en réalité une

traduction d’une œuvre grecque, peut-être d’Epiphane.

Nous sont en revanche parvenus plusieurs autres commentaires bibliques de la main de

Cassiodore : le plus célèbre, l’Expositio in Psalterium, est un commentaire très développé,

85 P. BATTIFOL, article « Cassiodore », D.B. (2,1), col. 337-340 ; J. GRIBOMONT, « Cassiodore et la transmission de l’héritage biblique antique », in BTT2, pp. 143-152 ; Flavio Magno Aurelio Cassiodoro. Atti della settimana di studi (Cosenza-Squillace 19-24 settembre 1983), Sandro Leanza (éd.), Rubbettino editore, 1986. Réédition Naples-Rome, Ed. scientifiche italiane, 1995. Voir surtout D. M. CAPPUYNS, “Cassiodore (Senator)”, in DHGE 11, 1349-1408, qui présente une riche bibliographie. 86 B. FISCHER, « Codex Amiatinus und Cassiodor », dans Biblische Zeitschrift N.F., 6, 1962, pp. 56-79.

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verset par verset, de l’ensemble du psautier. La petite encyclopédie de littérature biblique et

patristique à laquelle il ne cessera jamais de travailler, le De institutione divinarum litterarum,

fourmille d’indications précieuses sur les éditions et les commentateurs. Concernant les Actes,

la notice est très brève et ne nous apporte guère d’éléments nouveaux sur les commentateurs :

In actibus apostolorum sancti Iohannis episcopi Constantinopoli graeco sermone commenta

repperimus ; quae amici nostri in duobus codicibus LV omeliis iuuante Domino transtulerunt.87

La traduction des sermons de Chrysostome sur les Actes ici mentionnée est

aujourd’hui perdue, et nous n’en avons aucune autre trace que cette brève mention chez

Cassiodore, et il ne semble pas qu’elle ait jamais eu une diffusion significative en Occident.

Les Complexiones

L’œuvre biblique de Cassiodore qui nous intéresse le plus ici est son commentaire des

Epîtres, des Actes et de l’Apocalypse, nommé Complexiones in Epistulas Apostolorum, in

Actus apostolorum et in Apocalypsim88 et rédigé vraisemblablement vers 580, dans la

vieillesse de Cassiodore.

Le mot complexiones, dans ce contexte, reste mystérieux : apparaissant avec

Cassiodore dans ce contexte, il ne désignera jamais par la suite un genre exégétique comme il

semble le faire pour cet auteur. Mais si l’on peine à expliquer le recours à ce mot rare, le

genre d’exégèse qu’il désigne est très net : Cassiodore isole quelques versets importants de

chaque livre qu’il étudie et en donne, dans une courte note, une explication brève, sans former

un commentaire suivi.

Concernant les Actes, les Complexiones de Cassiodore couvrent relativement bien

l’ensemble du livre, dont il ne commente pas moins de soixante-douze versets, non sans

rappeler en introduction qu’il met dans ce chiffre un hommage à Luc, qui rapporte dans son

évangile l’envoi des soixante-douze disciples. Sur certains chapitres, il ne s’étend guère, ne

relevant qu’un verset, mais il n’y a pas un chapitre de notre actuelle capitulation qui soit privé

de tout commentaire.

Le commentaire que livre Cassiodore dans ces brèves notes ne quitte jamais le sens

littéral ; il se limite même le plus souvent à résumer l’action rapportée par le livre des Actes.

On est très loin du travail monumental, riche et informé, réalisé par le même auteur sur les

psaumes quelques années plus tôt ! Il est très difficile de rechercher sur quelles sources

Cassiodore aurait pu travailler : la simple lecture du livre des Actes semble suffire à fournir

tous les éléments qu’il présente.

87 CPL 0906, éd. R. A. B. MYNORS, Oxford, 1961, liv.1, chap. 9, p. 33. 88 PL LXX, 1381-1406.

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Toutefois, à en croire Cassiodore lui-même, il aurait connu l’un des principaux

commentaires grecs des Actes, les homélies que Jean Chrysostome leur avait consacrés ; il

aurait même disposé d’une traduction latine de cette œuvre. Un examen superficiel ne montre

pas qu’il ait tiré un profit considérable de cette source, qui n’est au demeurant ni le plus

original, ni le plus éloquent des commentaires du patriarche de Constantinople. De cette

traduction latine, nous n’avons pas d’autre trace ; il est probable qu’elle n’a jamais circulé par

la suite dans le monde latin89, qui ne connaîtra ces travaux que par la traduction d’Erasme.

L’influence de ces Complexiones, sans commune mesure avec d’autres œuvres de

Cassiodore comme ses Institutions, très prisées au moyen âge, ne doit pas être surévaluée : un

seul manuscrit90 les a transmis jusqu’à nous, ce qui indique les limites vite atteintes de sa

diffusion. Notons au demeurant que ce manuscrit date du VIe siècle, au plus tard du VIIe :

cela semble suffisant à James O’Donnell91 pour conclure que ce texte était inconnu du moyen

âge.

2. Les sermons

Les commentaires patristiques sur les Actes issus de la prédication qui nous sont

parvenus ne sont guère plus nombreux que les scholies. Toutefois, ils sont souvent porteurs

d’une théologie plus complexe, plus nourrissante, et auront pour plusieurs d’entre eux une

diffusion plus importante.

a. Augustin

Prétendre résumer ici les rapports d’Augustin au texte biblique serait joindre le

ridicule à l’inutile. Nous nous concentrerons uniquement sur la présentation des sermons que

le docteur d’Hippone a consacrés au texte des Actes des apôtres. Une fois de plus, pour un

auteur aussi prolixe qu’Augustin, le résultat est assez maigre.

Œuvres authentiques

Comme le note P.-P. Verbraken, « quiconque s’intéresse à l’œuvre oratoire de saint

Augustin se trouve d’emblée confronté à des problèmes redoutables. […] Avant tout, dans la

masse énorme de sermons qui se réclament de l’évêque d’Hippone – aucun auteur ancien,

sauf peut-être saint Jean Chrysostome, et encore, n’a été à ce point plagié et pastiché – que

faut-il retenir qui soit authentiquement augustinien ? »92 En l’absence d’une édition critique

89 C’est l’opinion, qui nous paraît vraisemblable, de Dom Chrysostomus BAUR (S. Jean Chrysostome et ses œuvres dans l’histoire littéraire, Louvain, 1907, p. 66. 90 Verona, Bibl. Capitolare XXXIX – 37 (VII) f. 67-95. 91 J. J. O’Donnell, Cassiodorus, Berkeley, University of California Press, 1979, p. 225. 92 P.-P. VERBRAKEN, Etudes critiques sur les sermons authentiques de saint Augustin, Steenbrugge, Brepols, « Instrumenta patristica » 12, 1976.

32

des sermons d’Augustin, nous nous fierons aux résultats actuels de la recherche93, qui au

demeurant semble peu douter de l’authenticité de trois des sermons qui nous sont parvenus.

Il s’agit des sermons numérotés 148, 149 et 150 dans l’édition des Mauristes imprimée

à Paris en 167394. Le sermon 148, relativement court, commente l’épisode d’Ananie et de

Saphire (Ac 5,1-12) ; il aurait été prononcé, d’après Dom Lambot95, à Hippone le dimanche

après Pâques, après 409. Le sermon 149, dont la date est discutée entre 400 et 412, et

vraisemblablement prononcé le samedi après Pâques, répond à quatre questions scripturaires

dont seules les deux premières sont relatives à un passage des Actes, la vision de Pierre à

Joppé (Ac 10). Quant au sermon 150, relatif à la prédication de Paul aux Athéniens (Ac

17,18), il aurait été prononcé à Carthage en 413 ou 414.

Ces sermons sont tous trois classés, dans l’édition bénédictine, parmi les Sermones de

scripturis. Il est très clair qu’au moins les deux premiers ont été prononcés dans le cadre de la

lecture liturgique des Actes au Temps pascal. Si l’on ignore les circonstances liturgiques

exactes du troisième, la mention d’une lecture des Actes avant le sermon, lecture que le

prédicateur ne paraît pas avoir décidée lui-même, incite à penser qu’il est à placer dans la

même période du temps liturgique.

Ces trois sermons connaîtront des destins différents, au gré des collections qui les

diffusent. Les deux premiers, en effet, font partie de la même collection antique, proche des

collections africaines, dite De Alleluia, ainsi appelée à cause de son premier article (sermon

255). Cette collection, très ancienne, résulte de la compilation de trois recueils encore plus

anciens, dont un provenait de Carthage et un autre d’Hippone. « Son rayonnement, demeuré

faible, s’est limité au nord de la Gaule. »96.

Le sermon 150, en revanche, devait connaître une diffusion beaucoup plus grande. Il

est en effet intégré à la collection dite De bono coniugali, collection arlésienne qui tire son

93 P.-P. VERBRAKEN, Etudes critiques sur les sermons authentiques de saint Augustin, Steenbrugge, Brepols, « Instrumenta patristica » 12, 1976. ID., « Mise à jour du fichier signalétique des Sermons de saint Augustin », dans M. Van Uytfanghe et R. Demeulenaere (éd.), Aevum inter utrumque (Festschrift G. Sanders), « Instrumenta patristica » 23, Steenbrugge, Brepols, 1991, p. 483-490. 94 L’édition bénédictine est reproduite par Migne dans PL XXXVIII, où nous l’avons lue. Les sermons 148 à 150 occupent les col. 799 à 814. 95 Cité par P.-P. VERBRAKEN, op. cit. 96 P.-P. VERBRAKEN, op. cit., p. 198. Le cas du sermon 149, que nous étudierons par la suite plus en détail, est plus complexe : il est repris très largement, et littéralement, par le sermon 176 de Césaire d’Arles, et circule fréquemment sous le nom d’Augustin (ce qui, après tout n’est que justice). Cette reprise par Césaire doublée d’une mauvaise attribution fait que le contenu d’une partie du sermon connaît, et sous le nom d’Augustin, une diffusion bien plus large que le sermon lui-même.

33

nom de son premier article et que recensent cinq manuscrits97. Il sera par la suite intégré, avec

une partie de cette collection ancienne, à une autre collection dite « de Bruxelles », qu’on

trouve jointe à la collection dite « de Cluny » dans un manuscrit de l’abbaye bourguignonne.

Œuvres apocryphes

En plus de ces trois sermons, il faut en citer trois autres que certains manuscrits ont

attribués à Augustin, mais que déjà l’édition des Mauristes rejetait, comme apocryphes

(Sermones suppositi), en appendice du tome V.

Le sermon apocryphe numéroté 99, qui commente la montée au temple de Pierre et

Jean (Ac 3,1-8) semble n’avoir pas encore trouvé sa paternité véritable. Quant aux deux

suivants, les sermons apocryphes 100 et 101, ils ont été depuis attribués par des éditeurs

critiques respectivement à Maxime de Turin et à Césaire d’Arles.

Les sermons festifs

Comme les autres prédicateurs que nous rencontrerons au cours de cette étude,

Augustin se trouve plusieurs fois face aux Actes dans sa prédication à l’occasion des lectures

de telle ou telle fête liturgique qui la prévoit. C’est le cas, pour le lectionnaire temporal, de

l’Ascension et de la Pentecôte, mais jamais le prédicateur ne développe un commentaire d’un

passage du livre à proprement parler : tout au plus retiendrons-nous, pour notre propos,

quelques passages du sermon 266, pour les vigiles de la Pentecôte – un sermon polémique

contre les donatistes, mais qui développe (§ 4) un résumé des premiers chapitres des Actes.

La moisson n’est guère plus abondante pour les sermons du sanctoral : si Augustin

atteste explicitement de la lecture liturgique des Actes en plusieurs occasions, comme la

conversion de saint Paul98 ou le martyre de saint Etienne99, c’est à peine s’il se réfère parfois,

comme un point de départ, à la lecture qui vient d’être faite, et développe des éléments plus

généraux sur le saint ou sur les controverses du moment.

Pour Augustin comme pour les autres prédicateurs, nous ne retiendrons dans cette

étude que les sermons qui commentent réellement et explicitement le livre des Actes.

b. La prédication patristique (hors Augustin)

Avec Augustin, nous avons rencontré la prédication et plusieurs des difficultés que ce

genre de commentaire ne cessera de nous poser : d’une part, la définition du corpus, sachant

que bien des sermons festifs correspondent à des événements rapportés dans les Actes, mais 97 Berlin, Staatsbibl. Phill. 1712 (x), Metz ? puis Clermont. Bruxelles, Bib. roy. 10615-729 (xii) Nicolas de Cues. Bruxelles, Bib. roy., 14920-22 (x) Cluny. Gent, Universiteitsbibl. 292 (x) Saint Maximin de Trèves. Paris, Bibl. nat. n.a.1. 1448 (ix) Cluny. Roma Bibl. Vat. Pal. lat. 210 (vi-vii) Lorsch. 98 PL 38, Sermon 278, col. 1268. 99 PL 38, Sermons 314-319 (col. 1425-1442).

34

sans les commenter à strictement parler ; d’autre part, les véritables attributions, qui nous sont

le plus souvent parvenus dans une tradition manuscrite foisonnante et contradictoire.

Sur la première difficulté, nous essaierons de nous en tenir à la règle que nous avons

donnée plus haut : nous en tenir aux sermons qui, réellement, commentent le texte des Actes.

Mais nous ne pouvons nier qu’il est bien des cas limites, et que la décision d’inclure ou non

tel ou tel sermon peut bien paraître arbitraire. Quant à la seconde difficulté, nous nous en

tiendrons au moins à ce stade à l’état de la recherche, avec ses incertitudes, sans nous livrer à

des attributions pour lesquelles notre compétence est infime.

Commençons par les sermons que nous avions déjà mentionnés, parmi les sermons

attribués à Augustin. Le sermon C100 dans l’appendice du cinquième volume de l’édition des

Mauristes consacré aux sermons apocryphes a été depuis lors attribué à Maxime de Turin, et

le sermon CI101 à Césaire d’Arles.

Maxime de Turin

Premier évêque de Turin dont le nom nous soit parvenu, Maxime102, mort entre 408 et

423, a été longtemps assez mal connu, car ses biographes semblaient s’être acharnés à

brouiller les pistes : en particulier, le cardinal Baronius l’avait identifié à un autre Maxime,

mort après 456, et cette confusion, doublée d’une tradition manuscrite complexe, a été source

de nombreuses erreurs qui n’ont pu être corrigé que dans la seconde moitié du XXe siècle.

L’édition longtemps la plus répandue de ses sermons103, ainsi que toute la bibliographie

antérieure, sont donc à n’utiliser qu’avec une extrême prudence.

L’authenticité des sermons de Maxime a fait l’objet de nombreuses études104 qui ont

abouti à une bonne édition critique105, établie par Mutzenbecher pour le Corpus

christianorum. Cette dernière a permis un grand nombre de travaux consacrés à ces sermons

riches et vivants, qui nous fournissent de plus un grand nombre d’indications sur l’histoire de

la liturgie.

Le premier biographe de Maxime, Gennade de Marseille, semblait nous annoncer une

moisson prometteuse, qui disait de lui :

100 PL XXXIX, col. 1937, Sermo C, De verbis Actuum : Nemo quidquam ex eo quod possidebat, suum proprium esse dicebat. 101 PL XXXIX, col. 1939, Sermo CI. 102 Initiation aux Pères de l’Eglise, t. IV, A. di Bernardino (dir.), Paris, Cerf, 1986, pp. 728-730. 103 Edition établie par Bruni en 1784, et reproduite dans PL 57, col. 221-760. 104 Parmi lesquelles on retiendra M. PELLEGRINO, Sull’autenticità di un gruppo di omelie e sermoni attribuiti a s. Massimo di Torino, Atti dell’Academia di Scienze di Torino 90, 1955-56, pp. 1-113 ; ID., Intorno a 24 omelie falsamente attribuite a s. Massimo di Torino, Studia patristica t. 1 (TU 63), Berlin, 1957, pp. 134-141. 105 CCSL 23 (1962).

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Sed et de capitulis Euangeliorum et Actuum Apostolorum multa sapienter exposuit.106

Toutefois, si ces commentaires nombreux ont existé, nous n’en avons guère conservé

que quelques exemples. Le sermon pseudo-augustinien que nous avons mentionné, consacré à

l’épisode d’Ananie et Saphire, reçoit dans cette édition le numéro 17107 ; il y est suivi d’un

second sermon108, probablement prononcé peu après, qui le complète. Ces deux sermons,

prononcés sans cadre d’une fête liturgique, sont des sermons moraux, qui fustigent l’avarice :

ils annoncent en cela l’usage principal que les prédicateurs médiévaux, qui citent d’abondance

cette péricope, feront des Actes.

Le sermon 2109 de l’édition Mutzenbecher, pour la fête des saints Pierre et Paul,

s’appuie pour l’essentiel sur la vision de Pierre à Joppé ; il est intéressant de le comparer au

sermon 1, pour la même fête, qui se fonde lui sur thèmes issus des legenda sanctorum110, qui

développent considérablement quelques versets des Actes (sur la légendaire rivalité entre

Pierre et Simon le Magicien).

Césaire d’Arles

Notre deuxième prédicateur est davantage habitué à la confusion avec Augustin. Né à

Châlons-sur-Saône vers 470, moine à Lérins à l’âge de vingt ans, puis prêtre et enfin évêque

(en 503) de l’importante métropole gauloise d’Arles, Césaire111 joue un rôle de premier plan

dans la vie politique et ecclésiastique gauloise du début du VIe siècle.

Auteur de nombreux traités et de règles monastiques, il a laissé également un très

grand nombre de sermons, sur lesquels a longtemps régné la plus grande confusion : son style

étant marqué par celui d’Augustin, c’est souvent sous le nom de l’évêque d’Hippone qu’ils

ont circulé pendant des siècles. Les homéliaires médiévaux ont également transmis beaucoup

106 GENNADIUS, De Viris inlustribus, XLI, éd. CUSHING RICHARDSON, in Texte und Untersuschungen, XIV, 1, Leipzig 1896, p. 76, cité par R. GREGOIRE, Homéliaires liturgiques médiévaux. Analyse de manuscrits, Spolète, Centro italiano di Studi sull’alto medioevo, 1980, p. 75. 107 CCSL 23, s. 17, pp. 63-65 : De eo quod scriptum est in Actibus Apostolorum : Erant eis omnia conmunia, et de Cain et Annania. 108 CCSL 23, s. 18, pp. 67-69 : Sequentia de avaritia et de Anania 109 CCSL 23, pp. 6-8. Malgré l’absence de ce sermon du codex de Saint-Gall (CCSL 23, pp. xliv-xlv), il semble devoir être tenu pour authentique, car il comporte cinq des quinze indices d’authenticité que Mutzenbecher a rassemblés : il est identifiable dans la liste de Gennadius ; il contient une opposition ; plusieurs caractéristiques stylistiques sont propres à Maxime, de même que certains thèmes (la nourriture spirituelle…) ; il est influencé par Ambroise de Milan. Sur cette authenticité, voir F. BOVON, De Vocatione Gentium. Histoire de l’interprétation d’Act. 10,1-11.18 dans les six premiers siècles, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1967, p. 160, n. 4. 110 CCSL 23, pp. 1-3. Maxime s’y réfère aux Actus Petri cum Simone, cap. 32, et Passio apostolorum Petri et Pauli, cap. 54-56. 111 A. MAINORY, S. Césaire, évêque d'Arles, Paris, 1894. — P. LEJAY, Le rôle théologique de Césaire d'Arles, Paris, 1905; ID., art. Césaire d'Arles, dans D. T. C., il, 2168-2185. — I. FASSY, S. Césaire d'Arles, Paris, 1939. — M. CHAILLAN , S. Césaire d'Arles, Paris, 1912. — A. D'ALES, S. Césaire, dans Recherches, 1935, pp. 315-384. — G. BARDY, La prédication de S. Césaire d'Arles, dans R. H. E. F., xxix, 1943, pp. 201-236.

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de ses sermons de façon anonyme ou sous les noms les plus divers. Il a fallu le travail

considérable et la patience inaltérable de Dom Morin112 pour parvenir à une édition

critique113, jugée définitive, des œuvres de l’évêque gaulois. Les deux tomes du premier

volume, qui renferment les sermons, en dénombrent 238.

Parmi eux, le sermon 176114 est consacré au commentaire de la vision de Pierre à Joppé

(Ac 10, 9-15). C’est lui que nous avions rencontré sous le nom d’Augustin, mais déjà écarté

comme inauthentique dans l’édition des Mauristes. Dès 1899, Dom Morin l’avait rendu à son

auteur légitime115. Nous étudierons plus bas, et davantage en détail, cette œuvre significative

de la grande dépendance de son auteur à l’égard d’Augustin, dont il reprend littéralement les

formules, se contentant de sélectionner et de raccorder.

Quelques sermons festifs

A ces sermons consacrés à un passage des Actes, il faut encore ajouter quelques

sermons prononcés à l’occasion de fêtes liturgiques qui s’appuient sur le texte des Actes.

C’est d’abord le cas de sermons attribués à Fulgence de Ruspe, ou ayant un temps

circulé sous son nom. De l’évêque de Ruspe116, qui prêchait en Afrique du Nord quelques

années seulement après Augustin (à partir de 507) et dont la vie nous est rapportée par le

diacre Ferrand, de nombreux sermons sont parvenus jusqu’à nous, non sans de sérieuses

difficultés d’attributions. L’édition de Migne relègue six sermons festifs consacrés à des

passages des Actes, mais considérés comme apocryphes, en appendice117. Au bout du compte,

un seul sermon retenu par l’édition critique de J. Fraipont118 concerne des textes des Actes : le

martyre d’Etienne et la conversion de Paul.

Il faut citer encore, davantage pour mémoire qu’autre chose, quelques sermons de

cette collection homilétique anonyme, qui a circulé un temps sous le nom d’Eusèbe d’Emèse,

et qu’on désigne depuis Baronius sous le nom d’Eusèbe « le Gaulois »119. Dans l’édition

112 Un très grand nombre d’articles de Dom Morin – trop grand pour qu’ils soient cités ici –, parus dans la Revue bénédictine depuis 1894, témoignent de cette patiente recherche. 113 S. Cesarii Arelatensis episcopi opera, Dom Morin (éd.), Maredsous, 1937-1940. Edition reproduite dans CCSL, vol. 103 à 106. 114 CCSL 104, s. 176, pp. 712-716. 115 Revue bénédictine 16 (1899), p. 253. 116 Sur F., on consultera M. JOURJON, « Fulgence de Ruspe », DS 5, col. 1612-1615 ; C. COURTOIS, Les Vandales et l’Afrique, Paris, 1955 ; G.-C. LAPEYRE, Saint Fulgence de Ruspe. Un évêque africain sous la domination vandale. Essai historique, Paris, 1929. 117 PL LXV, col. 860 (sermons 2 et 3 : Saint Etienne, Ac 7,56), 916-918 (sermons 50, 51, 52 : Pentecôte, Ac 2,2), 928 (Saint Pierre et saint Paul, Ac 9,4). Les sermons 2 et 3 correspondent à des sermons pseudo-augustiniens (215 et 214), tandis que le sermon 51 correspond au sermon 271 – authentique celui-là – d’Augustin. 118 CCSL 91 A (J. Fraipont, 1968), S. 3, De sancto Stephano protomartyre et Conversione S. Pauli, p. 905-909. 119 Sur cette collection, voir M.-L. GUILLAUMIN , « Eusèbe le Gaulois », DS 4, col. 1695-1698 ; A. SOUTER, « Observation on the Pseudo-Eusebian collection of gallican sermons », in Journal of theological studies, t. 41, 1940, pp. 47-57.

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critique120 de cette collection que l’on s’accorde à dater du Ve siècle, cinq sermons121

concernent des événements rapportés dans les Actes ; seul le sermon 28, consacré à

l’Ascension, utilise réellement le texte de Luc.

3. La poésie exégétique : Arator

Il faut faire place ici à un auteur qui représente à lui seul un genre exégétique à part,

qui ne sera d’ailleurs pas tout à fait sans postérité au moyen âge : Arator122, poète chrétien, a

consacré aux Actes des apôtres un vaste poème exégétique. C’est un genre original, dont

Arator peut être considéré comme l’inventeur et le principal représentant, dans la mesure où

son poème ne se contente pas, comme les très nombreux poèmes d’inspiration biblique qui lui

sont antérieurs ou contemporains123, de raconter l’histoire sainte, mais entend bien

l’interpréter.

Officier de la cour de Ravenne, devenu sous-diacre en 541 à Rome, où il assiste le

pape Vigile, Arator offre le 6 avril 544 au pape son poème De Actibus apostolorum124, appelé

plus rarement Historia apostolica ex Luca expressa. Le poème, en hexamètres, se présente

comme un complément de l’ouvrage de référence de la poésie chrétienne, la paraphrase

versifiée de l’Evangile écrite vers 324 par Juvencus, prêtre de Bétique : il entend présenter les

Actes des apôtres par deux livres, dont le premier est centré sur la figure de Pierre et le second

sur celle de Paul. De ce poème fut donnée une lecture publique, en quatre séances, dans la

basilique de Saint-Pierre-ès-Liens.

L’ouvrage ressemble aux autres réalisations de la poésie chrétienne contemporaine par

ses nombreuses références à la tradition épique latine, notamment l’Enéide et surtout La

Pharsale, qui est son principal modèle poétique. Mais il s’en distingue, reprenant une pratique

plus rare chez Sedulius, par l’introduction systématique d’une exégèse à la fin de chaque

section narrative. Le style, presque ampoulé dans les passages épiques, devient sobre, moins

soigné, quand il s’agit d’expliciter, après la lettre épique, le sens spirituel de l’Ecriture.

L’œuvre d’Arator est surprenante, déroutante et ne manque pas de défauts. Est-ce à

dire qu’elle mérite pour autant le jugement méprisant de la New Catholic Encyclopedia : « an

amallgam of faulty prosody, uninspired rhetoric, excessive allegory, ant the mystical

120 CCSL 101 121 Sermones 3, de s. Stephano protomartyre ; 27 et 28, De ascensione Domini ; 29, de Pentecosten ; 33, in natale apostolorum Petri et Pauli. 122 C. RIGAULT , article « Arator », DB. (1), col. 882 ; CEILLIER, Histoire des auteurs ecclésiastiques, t. XVII, p. 356 ; J.-L. CHARLET, « L’inspiration et la forme bibliques dans la poésie », in BTT2, pp. 642-643. 123 Sur l’histoire du genre, voir J.-L. CHARLET, op. cit., p. 631 et sq. 124 On dispose désormais pour cet ouvrage de deux éditions critiques différentes : CSEL vol. 72 (McKinlay, 1951). CCSL 130-130A (A. P. Orban, 2006).

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interpretation of numbers »125 ? Longtemps condamnée sans appel mais aussi sans procès,

négligée par les critiques et davantage décriée que lue, l’œuvre a fait récemment l’objet d’un

regain d’intérêt et d’estime assez spectaculaire, qui s’exprime notamment par deux études

conséquentes qui en remettent en valeur la richesse. La première126 est plus philologique et

littéraire qu’historique ou théologique, et rend justice à une composition littéraire qui n’a pas

la médiocrité qu’on lui prête volontiers. La seconde127, sans d’ailleurs renoncer à une analyse

littéraire, se veut plus attentive aux dimensions théologiques, et n’hésite pas à analyser les

présupposés herméneutiques de l’épopée. Remarquant la méfiance de la plupart des

commentateurs concernant la rigueur exégétique du poète, dont l’œuvre tiendrait davantage

du récit hagiographique, du catéchisme romain ou du poème panégyrique, il entend prendre

au sérieux les intentions exprimées par Arator lui-même dans la lettre au pape Vigile qui sert

à introduire l’œuvre : il s’agit bien, en dernière analyse, d’exposer le sens allégorique, de faire

entrer le lecteur dans la res mystica que renferme le livre des Actes.128

L’œuvre est importante pour notre propos à plus d’un titre : outre sa forme originale,

elle se distingue par une claire sympathie pour le livre des Actes, qu’elle cherche à tout prix à

rendre attirant pour ses contemporains, fût-ce par des spéculations sur les nombres qui nous

paraissent aujourd’hui étranges. Contrairement à la pente naturelle des commentateurs devant

un texte généralement considéré comme « historique », il met en valeur systématiquement un

sens allégorique : cela lui vaudra d’être utilisé avec ferveur par un auteur aussi important que

Bède. De plus, peut-être parce qu’il offre ce commentaire au Pape, Arator exprime clairement

plus de sympathie, sinon d’enthousiasme, pour la figure de Pierre que pour celle de Paul. Cet

aspect a fait l’objet d’une attention particulière dans l’étude de Paul-Augustin Deproost129, qui

met en lumière les importantes conséquences, littéraires et théologiques, de ce choix qui

accentue encore l’originalité d’une œuvre qui n’en manquait déjà pas.

On a dit le désintérêt des modernes pour le poème130 ; on ne saurait en conclure qu’elle

ait également peu intéressé les médiévaux. Les éléments patiemment rassemblés par M.

Manitius131 et A. P. Mac Kinlay132 témoignent au contraire d’un succès extraordinaire, dont

125 NCE t. 1, New York, McGraw-Hill, 1967, pp. 738-739. 126 P.-A. DEPROOST, L’apôtre Pierre dans l’épopée du VIè siècle : l’Historia apostolica d’Arator, Paris, IEA, 1990. 127 B. BUREAU, Lettre et sens mystique dans l’Historia apostolica d’Arator, Paris, IEA, 1997. 128 B. BUREAU, p. 348. 129 Voir en particulier le chapitre II, « De Pierre à la papauté » (pp. 101-217). 130 P.-A. DEPROOST, p. 34 : « Malgré son immense succès auprès des lettrés du moyen âge, et en dépit de nombreuses éditions de son œuvre depuis le XVe siècle jusqu’au début du XXe, on peut affirmer sans conteste qu’Arator n’a pas été, jusqu’il y a peu, un auteur privilégié par la critique moderne. » 131 M. MANITIUS, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, Munich, Beck, 1911-1931, à la rubrique « Arator » de l’Index nominum qui termine chaque volume : I, p. 728 ; II, p. 831 ; III, p. 1090.

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nous avons peine à mesurer – et à comprendre – l’ampleur. Bède l’imite dans son poème De

vita sancti Cuthberti et le cite comme principale autorité de son propre commentaire sur les

Actes : dès le début du VIIIe siècle, il est donc présent dans une bibliothèque monastique

anglaise ; les références nombreuses qu’y feront Alcuin et Adhelme renforcent la certitude

d’un succès insulaire du poème. Copié et commenté par les lettrés carolingiens, il sera encore

cité par un poète du XIIIe siècle comme Rutebeuf.

132 A.-P. MAC K INLAY , introduction dans CSEL 72, sous la rubrique « De arte et vita Aratoris testimonia », pp. xxi-lix.

40

Deuxième partie

LA LECTURE DES ACTES AU HAUT MOYEN AGE

LE TEMPS DES SYNTHESES

Quand nous passons de l’antiquité au haut moyen âge, force est de constater que nous

n’avons guère la main plus heureuse dans notre recherche de commentaires, si du moins on

évalue le bonheur de la moisson au nombre de textes récoltés : cinq textes en tout et pour tout,

et dont deux sont au vrai très brefs, pour trois auteurs différents entre le VIIe et le XIe siècle.

Même si l’on tient compte de la relative rareté des entreprises littéraires sur la période, on

remarque que c’est bien peu et que, en la matière du moins, le haut moyen âge est bien le

continuateur de l’antiquité tardive.

On aurait tort toutefois d’en rester à cette constatation qui, au demeurant, ne nous

surprend plus guère. En effet, le travail de lecture, de sélection, de compilation et de

réélaboration des auteurs patristiques est sans commune mesure avec ce qui sera accompli par

les commentateurs postérieurs, qui se contenteront bien souvent d’une seconde main

carolingienne.

A- Les commentaires du haut moyen âge

1. Bède le Vénérable

a. Textes, authenticité et éditions

Probablement l’esprit le plus considérable de son temps, le moine anglo-saxon né en

673133, au sein d’une œuvre foisonnante et encyclopédique, n’a pas négligé l’exégèse134.

133 Sur Bède, la bibliographie est des plus abondantes. On ne citera que quelques titres, consultés pour le présent travail. F. PLAINE , « Bède », DB, t. 1er, 2e partie, col. 1538-1541 ; F. J. E. RABY , « Bède le Vénérable », DHGE, 7, col. 388-402 ; F. VERNET, « Bède le Vénérable », DS 1, col. 1321-1329 ; F. BRUNHÖLZL, Histoire de la littérature latine du moyen âge, t. I/1 : L’époque mérovingienne, Louvain-la-Neuve, Brepols, 1990 (trad. de Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, 1975), pp. 201-220 (et bibliographie pp. 289-292) ; W. LAISTNER, Thought and letters in western Europe A.D. 500 to 900, 2e édition, Londres, 1957, pp. 156-166 ; C. LEONARDI, Il venerabile Beda e la cultura del secolo VIII (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 20), Spolète, 1973. 134 De nombreuses études spécifiques ont été consacrées à l’exégèse de Bède ; on en retiendra notamment : C. SPICQ, Esquisse d’une histoire de l’exégèse latine au moyen âge, Paris, Vrin, 1944, pp. 29-32 ; D.F. CALLAHAN « Ademar of Chabannes and His Insertions into Bede's Expositio Actuum Apostolorum », Analecta Bollandiana 111 (1993) 385-400 ; J.N. HART-HASLER « Bede's Use of Patristic Sources: The Transfiguration », Studia Patristica 28 (1993) 197-204 ; A.G. HOLDER « Bede and the tradition of patristic exegesis », Anglican Theological Review 72 (1990) 399-411 ; P. MEYVAERT, “Bede's Capitula Lectionum for the Old and New Testaments”, Revue Bénédictine 105 (1995) 348-80 ; ID., “Bede, Cassiodorus, and the Codex Amiatinus” Speculum 71 (1996) 827-83; R. RAY “What do we know about Bede's Commentaries?” Recherches de théologie

41

Il est aussi l’un des auteurs les plus prolixes et probablement les plus originaux dans

son exégèse des Actes, puisque nous ne possédons pas moins de trois ouvrages de sa main

consacré au deuxième livre lucanien : l’Expositio in Actus apostolorum, la Retractatio in

Actus, enfin le Nomina Regionum et Locorum de Actibus apostolorum. Leur authenticité – au

moins pour les deux premiers, les plus importants – ne fait quasiment aucun doute : peut-être

par solidarité d’historien, Bède nous a en effet laissé, à la fin de son Histoire ecclésiastique135,

une liste de ses écrits jusqu’à l’année 731 ; cette liste est peut-être incomplète136, mais les

livres qu’elle mentionne sont à attribuer à Bède sans hésitation. Or, il y dit avoir composé « in

actus apostolorum, libros ii », ce qui ne peut renvoyer qu’à nos deux ouvrages137. La tradition

manuscrite138, particulièrement abondante, a généralement joint ces deux livres l’un à l’autre.

L’attribution du troisième, ce petit glossaire que nous avons déjà rencontré à propos de

saint Jérôme, est plus discutée. Les arguments139 mis en avant par son éditeur, M. L. W.

Laistner, l’un des grands connaisseurs de Bède, nous paraissent suffisants pour emporter

l’adhésion : d’une part, une lecture superficielle suffisant à invalider l’attribution à Jérôme,

Bède reste le seul candidat proposé par la tradition manuscrite, en particulier la plus ancienne,

qui accole systématiquement ce petit glossaire à l’Expositio, qu’elle devait initialement

compléter ; de plus, Bède fait plusieurs fois allusion, dans sa Retractatio, à un commentaire

qu’il aurait donné précédemment, commentaire qu’on chercherait en vain dans l’Expositio

mais qui se trouve en toutes lettres dans le petit glossaire.

On écartera en revanche sans hésitation les cinq questions sur les Actes que Migne,

non sans précautions, publie avec les œuvres de Bède140, mais qui sont en réalité l’œuvre

d’Eucher de Lyon que nous avons présentée plus haut.

« It is fair to say that, apart from the editions of the historical works by Smith (1722)

and, above all, by Plummer (1896), Bede has not been fortunate in his editors. » Ce constat,

dressé et bien étayé par M. L. W. Laistner, est aujourd’hui dépassé, en ce qui concerne nos

ouvrages, grâce à Laistner lui-même, qui a donné de ces trois textes une très bonne édition

ancienne et médiévale 49 (1982) 5-20 ; B. ROBINSON “The Venerable Bede as Exegete”, Downside Review 112 (1994), pp. 201-26. 135 PL 95, col. 288-292. 136 C’est l’opinion de LEHMANN (Abhandl. d. bayer. Akad der Wiss., t. IV, 1919, p. 20), cité in RABY , col. 396. 137 Contre l’opinion qui voudrait que la Retractatio ne fût pas concernée par cette mention, parce qu’elle serait plus tardive, LAISTNER a présenté des arguments parfaitement convaincants : « However, I do not know of a single MS of Ex in which that work is divided into two books or sections, although such subdivisions are found in other, longer commentaries. » (M. L. W. LAISTNER, Bedae Venerabilis Expositio Actuum apostolorum et Retractatio, Kraus reprint, New York, 1970, p. xiii). 138 Une précieuse présentation de cette tradition se trouve dans W. LAISTNER ET H.H. K ING, A hand-list of Bede manuscripts, Ithaca, New York, 1943. 139 p.xxxvii. 140 PL 92, col. 1031-1034. Sur cette question, voir BTT 4, p. 156.

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critique en 1939141 ; cette édition a été reproduite en 1970, puis reprise dans la collection

Corpus Christianorum142, malheureusement sans l’importante introduction de l’éditeur.

On n’insistera jamais assez sur l’importance considérable de ces œuvres dans

l’ensemble de la production médiévale. A en croire les manuscrits qui nous sont parvenus,

l’intérêt des médiévaux pour Bède exégète ne s’est jamais démenti, et ne saurait être limité

aux siècles du haut moyen âge : leur nombre est au contraire considérable au XIIe et au début

du XIIIe siècle ; et si, jusqu’à la fin du XIVe siècle, la copie des commentaires de Bède a

connu une éclipse relative, elle redevient très importante tout au long du XVe siècle143. Cet

intérêt pour l’exégèse de Bède se double, dans le cas de ses commentaires des Actes, d’un

point particulier : il est le premier des grands exégètes à signer un commentaire complet des

Actes, et à ce titre ses livres serviront longtemps de commentaire de référence. C’est sur lui en

particulier – ainsi que, à titre au moins égal, sur Raban Maur – que la Glose ordinaire fondera

par exemple le commentaire standard des Actes.

b. L’Expositio in actus apostolorum

L’ Expositio est donc une œuvre relativement précoce dans la carrière littéraire de

Bède, carrière qui ne commence qu’avec son ordination sacerdotale en 703. Quelques

éléments internes permettent de dater avec une certaine précision cette œuvre, écrite peu après

709144 ; selon toute vraisemblance, l’index De nominibus a été écrit dans le même

mouvement. Mais Bède dit l’avoir rédigée et mise en forme en toute hâte, à partir de notes

écrites auparavant ; quelques indices, peu décisifs, pourraient laisser penser que ces notes

initiales sont très anciennes, peut-être antérieures à 703145.

La lettre à l’évêque Accan qui ouvre le commentaire nous fournit des précisions sur

les circonstances de l’écriture du commentaire, auxquelles on ne peut toutefois pas tout faire

dire. L’évêque avait demandé à Bède des commentaires du Nouveau testament ; le moine lui a

déjà envoyé un commentaire de l’Apocalypse, mais ne peut achever dans l’immédiat un

141 M. L. W. LAISTNER, Bedae Venerabilis Expositio Actuum apostolorum et Retractatio, Cambridge (Mass.) 1939 (editio critica ex 15 codicibus) : Kraus reprint, New York, 1970. 142 CCSL CXXI (Pars II, Opera exegetica, 4). 143 M. L. W. LAISTNER, op. cit., p. xii. 144 Elle est à dater après 708, qui est l’élévation à l’épiscopat de Accan, à qui l’œuvre est dédiée, et bien avant 716, date la plus tardive du commentaire de Samuel, qui est postérieur au commentaire de Luc, lui-même postérieur au commentaire des Actes. 145 Le point problématique de la datation de l’Expositio est que Bède, commentant Ac 13,21 y attribue vingt ans de règne à Samuel et vingt à Saül. Il corrigera cette erreur dans sa Retractatio, restituant à Samuel douze ans de judicature. Mais l’erreur est déjà corrigée dans son De temporibus (PL 90, col. 530-531), qu’on date généralement de 703. Comme il est impossible que l’Expositio soit publiée avant 708, une solution envisageable est que les notes, reprises à la hâte, étaient antérieures à cette correction, et que Bède n’a pas pris le temps de revenir sur son erreur.

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commentaire sur Luc, à la fois du fait de la difficulté d’un tel travail et de circonstances

extérieures que l’évêque connaît bien. Aucune tentative d’identification précise de ces

circonstances ne s’est jusqu’à présent imposée ; mais la formule de Bède pourrait bien n’être

qu’une clause de style.

La présentation que Bède fait de son ouvrage revendique fortement l’absence

d’originalité. Il est regrettable que beaucoup se soient laissé tromper par cette profession de

tradition somme toute très commune, et colportent ce lieu commun d’un Bède essentiellement

compilateur. Certes, Bède reprend des développements à ses prédécesseurs, et il semble même

avoir été le premier à signaler explicitement, dans les marges de ses manuscrits, les références

des auteurs qu’il cite146. Il n’est, il est vrai, guère original dans les auteurs qu’il affectionne :

« Parmi les auteurs qu’il utilise, Ambroise, Jérôme, Augustin et Grégoire le Grand viennent

en tête ; de cette manière, il est sans doute le premier à donner la prééminence à ces quatre

auteurs qui, par la suite, acquerront peu à peu le rang de doctores ecclesiae par

excellence. »147 Au demeurant, on peut rester surpris par l’autorité principale qu’il annonce

dans sa lettre introductive :

In quo me opusculo, cum alii plurimi fidei catholicae scriptores, tum maxime iuuauit Arator, sanctae

romanae ecclesiae subdiaconus, qui ipsum ex ordine librum heroico carmine percurrens nonnullos in

eodem metro allegoriae flores admiscuit, occasionem mihi tribuens uel alia ex his colligendi uel eadem

planius exponendi.

Arator n’est pas un Père au plein sens du terme, et on ne le voit guère invoqué

d’ordinaire comme une autorité. On pourrait voir dans ce choix un premier élément

d’originalité de la part de Bède si l’on ne se souvenait que la période patristique s’est montrée

particulièrement peu généreuse en commentaires des Actes. Bède, si apparemment soucieux

de ne transmettre que les commentaires autorisés par la tradition, a en fait, pour lire les Actes,

le champ libre dans le détail, n’étant pas lié par un corpus organisé d’interprétations

d’autorités contraignantes ; des interprétations existent bien, mais elles sont dispersées ici et

là, et il ne tient qu’à lui de s’en servir ou de les ignorer. Non pas qu’il renoncerait – loin de

là ! – à s’appuyer sur la foi des Pères, ni même à compiler librement des dizaines de citations

plus ou moins littérales : ces citations sont innombrables148. Mais il est libre de les

146 C’est ce que remarque M. L. W. LAISTNER, « Source-marks in Bede Manuscripts », Journal of theological studies 34 (1933), pp. 350-355. 147

F. BRUNHÖLZL, op. cit., p. 215. 148

LAISTNER, qui a identifié de nombreuses références ou citations (CCSL 121, Index Scriptorum, p. 165-167), avoue modestement (op. cit., p. xxxix) : “Bede’s reading was so extensive and his library so varied that the task of indicating all his sources is one of great difficulty. An editor may indeed hope that he has tracked down most of the borrowed material in Ex and Re; at the same time he must, if he is honest, admit that there may be some quotations or adaptations, especially from Augustine, that he had missed.”

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recomposer à son idée, pour expliquer un texte que domine déjà un commentaire largement

reçu.

Faut-il voir ici l’expression de la distinction formulée par le R. P. Spicq à propos de

notre moine ? « Il faut distinguer deux hommes en lui, l’allégoriste et le littéraliste. Le

premier est surtout un compilateur de textes patristiques, qu’il abrège, en y ajoutant à

l’occasion quelques réflexions personnelles. […] Mais il y a un autre Bède qui fait preuve

d’un réel sens critique. »149 La distinction semble, dans le cas d’espèce, inopérante : Bède y

est plus original que jamais, mais il est également fidèle à son goût prononcé pour le

commentaire allégorique. Bien qu’élevé dans un monastère fondé par Benoît Biscop, ce qui

aurait pu l’amener à suivre la méthode d’exégèse de Théodore de Tarse, Bède ne néglige pas

le sens littéral mais n’y voit qu’une porte d’entrée vers le sens spirituel. Dans un livre qui

paraît n’être qu’une histoire, c’est une position herméneutique fondamentale. Le choix

d’Arator comme autorité principale était, de ce point de vue, tout un programme ; Bède

rappelle d’ailleurs, dès les premières lignes, la citation de la lettre de Jérôme qui circulera

bientôt comme prologue au livre des Actes, et qui met en garde le lecteur contre l’oubli du

sens spirituel :

Actus igitur apostolorum, ut beatus Hieronimus ait, nudam quidem sonare uidentur historiam et

nascentis ecclesiae infantiam texere, sed si nouerimus scriptorem eorum Lucam esse medicum cuius

laus in euangelio est, animaduertimus pariter omnia uerba illius animae languentis esse medicinam.

Bède, d’ailleurs, s’était donné un programme essentiellement « allégorique » :

Ea quae uel mystice gesta uel obscurius dicta uidebantur, ut potui, dilucidare temptaui.

La lecture du commentaire montre que Bède n’a pas oublié son programme : s’il est

attentif à clarifier le sens littéral de tel ou tel élément du récit, qu’il explique souvent au

moyen d’une érudition principalement biblique, la chair la plus consistante de son

commentaire est généralement spirituelle150 ; plus d’une fois, on est même surpris de trouver

un commentaire allégorique pour un élément purement narratif151.

A qui s’adresse ce commentaire ? La dédicace à l’évêque Accan ne doit pas nous

tromper : Bède est un enseignant, et plusieurs indices – comme les annotations marginales des

149

C. SPICQ, Esquisse d’une histoire de l’exégèse latine au moyen âge, Paris, Vrin, 1944, pp. 29-30. 150 L’explication du verset 1,12, Qui est iuxta Hierusalem sabbati habens iter, est significative de cette double attention parfaitement hiérarchisée (CCSL 121, p. 9) : « Iuxta historiam indicat montem oliuarum spatio miliarii ab urbe Hierusalem esse discretum; sabbato enim iuxta legem plus quam mille passus incedere non licebat. Iuxta allegoriam uero, qui gloriam domini ad patrem ascendentis intus intueri merebitur et spiritus sancti promissione ditari, hic sabbati itinere urbem perpetuae pacis ingreditur; erit que ei iuxta Esaiam sabbatum ex sabbato, quia qui hic cessauit a peruerso opere illic quiescet in caelesti retributione. At contra, qui in hoc saeculo quasi per tempus sex dierum salutem operari neglexerit, illo perpetuae quietis tempore de finibus Hierusalem beatae excludetur, illud euangelicum contemnens: Orate ne fiat fuga uestra hieme uel sabbato. » 151 Ainsi l’explication de VIII,26 (p. 41).

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sources – nous rappellent que le commentaire servira aussi, sinon d’abord à des élèves. Bien

entendu, la distinction entre une œuvre « scolaire » et une œuvre « spirituelle » est beaucoup

moins nettement marquée, dans le style, qu’elle ne le sera par la suite ; mais le glossaire qui

accompagne le commentaire en annexe en est une marque bien caractéristique.

c. Le De nominibus

L’index des noms de lieux est un genre littéraire que Bède n’inaugure pas : la route en

est déjà alors balisée, en particulier par Jérôme, auteur d’un Liber interpretationis

hebraicorum nominum 152 ; Bède, quand il écrit sur les noms de lieux spécifiques aux Actes, a

déjà publié un recueil plus général sur les noms de lieux dans la Bible153, auquel il se réfère à

plusieurs reprises dans son ouvrage sur les Actes ; cela aura une grande postérité154.

Plus d’un élément de critique interne semble indiquer que le glossaire des noms de

lieux qui, dans beaucoup de manuscrits, suit les commentaires de Bède, soit intrinsèquement

lié au projet de l’Expositio, tandis que la Retractatio, plus tardive, serait venue s’insérer à tort

entre ces deux œuvres inséparables.

L’ Expositio guide le lecteur dans la découverte des sens, littéral et allégorique, du livre

des Actes ; le De nominibus vient faciliter cette lecture en rappelant ce que l’on doit savoir

des lieux, peu familiers à un moine anglais, où se déroulent les événements du récit. Bède

s’épargne ainsi un fastidieux et répétitif travail d’érudition au sein même du commentaire :

des noms de lieux, il ne retiendra dans l’Expositio que la signification spirituelle, et pourra

négliger de revenir à des explications trop terre-à-terre. A l’inverse, l’index ne comprend

aucun excursus à dimension tant soit peu spirituelle. Le caractère complémentaire des deux

ouvrages saute aux yeux sur quelques noms de lieux, comme pour Gaza (Ac 8,26) : là où le

glossaire rappelle quelques données essentielles de l’histoire de la ville, le commentaire

développe plusieurs interprétations allégoriques de l’évocation de la ville à cet endroit.

Cette petite somme d’érudition amène naturellement à s’interroger sur les sources à

partir desquelles Bède travaillait. Elles ont été recensées par l’éditeur de Bède, Laistner, et

présentent peu de surprises pour ce type de travail : Pline, Jérôme, Orose, Isidore sont les

principales sources identifiées. Le recours à ces autorités n’est pas nécessairement suffisant :

peu suspect de préjugés défavorables à Bède, Laistner prononce un jugement sans illusion.

152 CCSL 72, pp. 142-150. 153 De locis sanctis, PL 92, 1033-1040. 154 Nous avons déjà renvoyé le lecteur à G. DAHAN , « Lexiques hébreu-latin ? Les recueils d’interprétations des noms hébraïques », dans Les manuscrits des lexiques et glossaires, de l’Antiquité à la fin du moyen âge, éd. J. Hamesse, Louvain-la-Neuve, 1996, pp. 481-526.

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« It is not a very distinguished performance, and one has to admit that Bede’s own knowledge

of Mediterranean geography was not impeccable. »155

d. La Retractatio

« C’est peut-être le seul écrit du docteur anglo-saxon qui ait eu besoin d’être corrigé »,

croit pouvoir écrire F. Plaine156, dans le dictionnaire de la Bible, à propos de l’Expositio in

actus apostolorum. Probablement a-t-il été trompé par le titre que Bède avait donné au

deuxième commentaire qu’il avait consacré aux Actes, dans une référence explicite à

l’exemple d’Augustin :

Scimus eximium doctorem ac pontificem Augustinum, cum esset senior, libros retractationum in

quaedam sua opuscula quae iuuenis condiderat fecisse, ut quae ex tempore melius crebro ex lectionis

usu ac munere supernae largitatis didicerat.157

Comme souvent avec Bède, il faut faire la part de la littérature, et du rôle de modèle

que joue pour lui l’évêque d’Hippone. Il semble d’ailleurs que Bède ait voulu, à la fin de sa

vie, entreprendre lui aussi une révision générale de son œuvre, afin qu’on n’abritât pas après

sa mort le mensonge de son nom.158 Mais on aurait grand tort de prendre pour argent

comptant la similitude de titres : la Retractatio in Actus apostolorum ne ressemble en rien à

l’ouvrage d’Augustin159 qui lui aurait servi de modèle. Rappelons qu’Augustin présente sous

ce nom une suite de notices, une pour chacun de ses ouvrages, qui expliquent les

circonstances de rédaction de l’œuvre, les corrections qu’il serait nécessaire d’y introduire et

les premiers mots qui permettront de l’identifier.

La Retractatio de Bède n’a, elle, rien d’un correctif. Elle ne prétend pas corriger des

erreurs de l’œuvre passée, qu’elle ne mentionne même pas : il s’agit simplement d’un autre

commentaire, composé à nouveaux frais. Tout au plus ne revient-il pas sur ce qui a déjà été dit

quelques années plus tôt : ou bien Bède propose, sur le même verset, quelques explications

155 LAISTNER, op. cit., p. xxxvii. 156 Op. cit., col. 1541. 157 CCSL 121, p. 103 (Praefatio). 158 CUTHBERT, Epist. ad Cuthwinum, PL 90, col. 40 : In istis diebus duo opuscula multum memoria digna, exceptis lectionibus quas accepimus ab eo, et cantu psalmorum facere studebat. Evangelium scilicet sancti Ioannis in nostram linguam ad utilitatem Ecclesiae convertit, et de libris Notarum Isidorri episcopi Exceptiones quasdam, dicens : « Nolo ut discipuli mei mendacium legant, et in hoc ipso post obitum meum sine fructu laborem. » col. 50 : « Iam multo ante sua opuscula grandi studio emedaverat ; nunc quoque lasso scilicet anhelitu indeficienter deficeret quaedam quidem minima quae maiorum fuerant occupatione neglecta saepius emendando eadem repetebat, ut cum amodo requiescens a laboribus suis in pace factus fuerit locus eius… eius non solum non sententia ecclesiasticum lectorem offendat, sed nec oratio aut hiulca vocalibus, aut spera consonantibus docibilem grammaticum moveat. » 159 NBA 12.

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qu’il n’avait pas données précédemment ; ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, il commente

des versets qu’il avait jusque-là laissés de côté.

Ce n’est pas le souci de corriger ses erreurs qui pousse Bède, ni une évolution de sa

pensée qui l’aurait amené à envisager les choses différemment, mais simplement

l’augmentation de son savoir. En particulier, la simple lecture de la Retractatio montre que le

principal élément de nouveauté, sans lequel ce nouveau commentaire n’aurait probablement

jamais vu le jour, est l’accès de Bède au texte grec des Actes, par une version interlinéaire

dont le manuscrit, qui nous est conservé, a été identifié par Laistner160. La plupart des

commentaires introduits dans la Retractatio sont des découvertes que Bède, un des derniers

Latins sachant bien le grec, a pu faire en prenant connaissance des mots même du texte de

Luc : il indique au lecteur les rapprochements que la traduction latine aurait pu lui masquer.

Au besoin, il compare différentes traductions pour déterminer la plus exacte, ou rechercher le

meilleur texte. Le souci critique dont il fait preuve – il va jusqu’à s’excuser de ne pouvoir

collationner les manuscrits grecs pour présenter un meilleur texte – peut nous surprendre chez

celui qu’on présente souvent comme un compilateur besogneux.

On aurait pourtant tort de ne faire de cette Retractatio qu’une œuvre de critique. Parmi

les commentaires ajoutés, l’allégorie a toute sa place ; elle est même devenue souvent plus

hardie161. Plus que jamais, la distinction qu’introduisait le R. P. Spicq entre un Bède

allégoriste et un Bède littéraliste paraît difficile à tenir : entre l’Expositio et la Retractatio,

Bède a affiné à la fois son souci de la lettre et son goût de l’allégorie.

Une autre différence avec la première Expositio mérite d’être notée : Bède a, d’un

commentaire à l’autre, gagné en indépendance. Les citations se font moins nombreuses, les

160 Le premier commentaire était composé d’après le texte latin du Codex Amatianus, tandis que pour le second, Bède s’est principalement appuyé sur le manuscrit bilingue Laudianus graecus 35. M. L. W. LAISTNER, “The latin Versions of Acts know to the Venerable Bede”, Harvard theological Review, 1937, pp. 37-50. 161 Un exemple parmi d’autres, le commentaire que donne Bède sur la mention de Simon le corroyeur dans Ac 10,6 (Hic hospitatur apud Simonem quendam coriarium cuius est domus iuxta mare), p. 139-140 : « Omnia plena figuris spiritalibus in scriptura sancta, etiam nomina et positio locorum. Hospitatur Petrus in domo Simonis, id est oboedientis, et ipse est coriarius, quia doctor ecclesiae ; ibi gratam habet mansionem et hospitium dilectum ubi oboedientes inuenerit auditores, ubi eos qui castigent corpus suum et seruituti subiciant, qui a deo muniti in uirtutum arce consistant ut omnis saeculi labentis undas transgressi tranquilla mentis libertate despiciant. Hoc est enim Simonem coriarium domum, in qua Petrum recipiat in ea parte ciuitatis qua est iuxta mare, habere, perfectos uerbi auditoresillam in sanctae ecclesia conuersationem tenere, qui uel fluxam saeculi gloriam uel temporales ac uolubiles eius terrores una fidei non fictae constantia spernant. » Pour un élément de comparaison, Chrysostome avait lui-même commenté ce verset (Hom. sur les Actes, éd. Jeannin, t. IX, hom. XXII, p. 103). On peine à croire qu’il s’agit du même texte ! « Pour prévenir toute erreur des envoyés, l’ange ne se contente pas de dire le surnom [de Simon-Pierre], il marque aussi le lieu où l’on trouvera celui que l’on cherche. Qui est logé chez un corroyeur, nommé Simon, dont la maison est près de la mer. Voyez-vous comme les apôtres, dans leur amour de la solitude, de la tranquillité, recherchaient les parties des villes qui se trouvaient à l’écart ? Que serait-il arrivé s’il s’était trouvé un autre Simon, corroyeur aussi lui-même ? Mais l’ange donne encore une autre indication : l’habitation près de la mer. Ces trois circonstances ne pouvaient pas se rencontrer. »

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idées semblent plus personnelles : de manière assez naturelle, Bède est devenu plus sûr de lui

en vieillissant.

2. Le pseudo-Raban

a. Raban a-t-il écrit un commentaire des Actes ?

Un apparent consensus semble nier à Raban l’attribution d’un commentaire des Actes

des apôtres : depuis la première liste des œuvres de Raban, établie au IXe siècle, jusqu’à la

plus récente, publiée en 2006, l’existence d’une telle œuvre n’est jamais prise en compte. Et la

grande majorité des maillons intermédiaires s’accordent avec ces deux termes.

La première liste des écrits de Raban que nous ayons, établie par Rodolfus dans ses

Miracula sanctorum in Fuldenses ecclesias translatorum162, ne mentionne aucun

commentaire des Actes ; il est vrai qu’elle passe également sous silence plusieurs

commentaires qu’on s’accorde à tenir pour authentiques (Isaïe, Ezéchiel, Daniel, cantiques

bibliques…), et de ce fait l’argument n’est pas absolu163. Par la suite, aucune des impressions,

même prétendument complètes, des œuvres de Raban ne le comprend164 ; les auteurs de

l’ Histoire littéraire de la France rejettent la discussion de l’existence d’une telle œuvre dans

le chapitre consacré à « Ses écrits perdus, ou encore cachés », et émettent les plus expresses

réserves sur son existence même165. Les notices de dictionnaires ou de manuels ne

mentionnent jamais ce commentaire, tout en reconnaissant généralement qu’une partie de

l’œuvre de Raban leur est encore inconnue.

Enfin, dans son œuvre monumentale attribuée à l’œuvre exégétique de Raban166,

Silvia Cantelli Berarducci ne prend pas même en compte, contrairement aux auteurs de

l’ Histoire littéraire, la possibilité d’un tel commentaire. Au contraire, elle tire argument de

l’absence de commentaire de Raban pour prouver qu’il n’a commenté que des œuvres laissées

162 Dans Monumenta Germaniae historica, Scriptores in folio t. XV, pars 1, pp. 329-341. La liste est p. 340. Nous l’avons consultée dans la version reprint, Stuttgart, 1963. 163 S. C. Berarducci, qui tire argument de cette liste, limite la portée de ces omissions (p. 7) : « A riguardo è da tener presente che a non essere inclusi nell’elenco sono i commentari […] che Rabano compose dopo la perdita della carica di abate (sicuramente avvenuta prima dell’aprile dell’842). La mancata menzione di questo gruppo specifico di commentari è importante in quanto avvalora la testimonianza di Rodolfo, nel senso che essa fornirebbe l’elenco completo dei commentari redatti da Rabano durante i lunghi anni dell’abbazziato o nel periodo immediatamente precedente. » Comme on ignore tout de la date possible de rédaction du commentaire des Actes, la liste ne présente donc dans le cas d’espèce qu’un indice, mais non une preuve. 164 Voir en particulier les Opera omnia dans PL 107-112, qui reproduisent l’édition de Georg Colvener, parue à Cologne en 1626. 165 Histoire littéraire de la France, v. V (1740), rééd. 1866, p. 191. Les auteurs admettent toutefois, pour finir : « On assure que l’on conserve encore à présent dans la bibliothèque du Collège de Balieul à Oxfort, son commentaire manuscrit sur les Actes des apôtres ». Le manuscrit, on l’a vu, s’y trouve toujours. 166 S. CANTELLI BERARDUCCI, Hrabani Mauri Opera exegetica. Repertorium fontium, Instrumenta patristica et mediaevalia (38), Turnhout, Brepols, 2006.

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de côté par Bède167, et ainsi remettre en cause d’autres attributions : l’idée que Raban se serait

pensé avant tout comme appelé à compléter les vides laissés par Bède et Alcuin dans leurs

commentaires bibliques est même une des thèses essentielles de l’ouvrage. Pourtant, au détour

d’hypothétiques développements sur les livres que Raban aurait probablement pu aimer

commenter, elle livre une considération très curieuse, dont le fondement nous échappe, sur

l’intention qu’aurait pu avoir l’abbé de Fulda de commenter les Actes.

Beda infatti ne aveva fornito un’esposizione in cui venivano considerati solo alcuni versetti,

prevalentemente secondo il senso letterale. Successivamente egli scrisse una seconda opera, che intitola

Retractatio, la quale, sempre incentrata sulla lettera, integra la prima. Esistevano pertanto le condizioni,

perché Rabano pensasse ad una fusione dei due scritti bediani, da completare, per quanto riguarda

l’esegesi spirituale, con l’aggiunta di spiegazioni a singoli versetti fornite da altri autori.168

Toutefois, la possibilité que Raban ait pu commenter les Actes mérite au moins d’être

étudiée de près. D’une part, parce qu’une opinion très ancienne, bien que très minoritaire

chez les chercheurs contemporains, voudrait que Raban eût commenté, ou plus exactement

glosé, la totalité des livres bibliques. A la fin du IXe siècle, Nokter le Bègue pouvait écrire :

Si glossulas volueris in totam Scripturam divinam, sufficit Rabanus Magontiacensis archiepiscopus.169

Le terme glossulae évoque même des gloses brèves, plutôt que des commentaires

développés comme le sont souvent ceux que nous possédons de Raban. Mais cette notation

serait de peu de poids si ne venait, dans le cas des Actes, l’appuyer un double témoignage.

D’autre part, donc, des attributions explicites d’un commentaire des Actes à Raban

existent. C’est d’abord le cas de la Glose ordinaire qui, dans toutes les versions que nous

avons consultées170, recourent presque exclusivement à deux autorités explicitement

nommées, Bède et Raban. En marge du f. 2 d’un manuscrit de Cambridge, on trouve même la

notation :

167 S. CANTELLI BERARDUCCI, op. cit., p. 8 : « Né la circostanza puo’ ritenersi casuale, se teniamo conto che dei libri del Nuovo Testamento Rabano non ha commentato né gli Atti degli Apostoli né le Epistole cattoliche né l’Apocalisse, per i quali esistevano già le esposizioni di Beda. » 168 S. V. BERARDUCCI, op. cit., p. 11, n. 34. Manifestement, les commentaires de Bède, qui n’ont rien d’un commentaire littéral mais contiennent au contraire de très nombreux développements allégoriques, ne sont connus que par ouï-dire. 169 NOKTERUS BALBULUS, De interpretibus divinarum Scripturarum, PL 131, col. 997. 170 Nous nous appuyons sur les deux éditions courantes de la Glose (glose de Strasbourg et glose d’Anvers), sur l’édition de Migne qui reproduit la glose de Douai, mais aussi sur deux manuscrits du XIIIe siècle : Vaticana Urb. lat. 20 et Cambridge Trinity College B. I. 34. Ermenegildo Bertola, dans « La Glossa ordinaria biblica ed i suoi problemi », RThAM 45 (1978), p. 72, cite dans le même sens la glose de Lyon, sans donner toutefois de référence précise permettant de le vérifier. Déjà au XIIe siècle, le commentaire d’Etienne Langton (Paris, BnF, lat. 14526), qui utilise largement la Glose, attribue le même texte à Raban.

50

Rabanus et Beda magistri necessarii in expositione171

Une notation au début du commentaire d’Etienne Langton va dans le même sens :

Nota quod glosse sunt Bede et Rabani172

Si la date de la glose des Actes est incertaine, elle ne peut guère être plus tardive que le

début du XIIe siècle, et c’est au plus tard à cette période que l’on peut faire remonter

l’attribution d’un texte à Raban. Ce texte fait l’objet de citations nombreuses, mais plus rares

que celles du texte de Bède. Il est vrai que la Glose ordinaire peut se montrer hasardeuse dans

certaines attributions, mais Raban ne constitue en tous cas pour elle un auteur rare : plus d’une

glose ne s’appuie guère que sur l’abbé de Fulda173.

De plus, deux manuscrits174 aujourd’hui en Angleterre, datant d’un du XIIe et l’autre

du XIIIe siècles, contiennent un commentaire des Actes qu’ils attribuent explicitement à

Raban Maur. C’est précisément ce texte, que nous avons consulté dans le manuscrit d’Oxford,

dont nous voulons discuter ici l’attribution.

En effet, cette attribution si unanime reste problématique, en particulier par son

caractère tardif. Comment un texte ancien, d’un auteur si important, ayant connu d’ailleurs un

tel succès175, a-t-il pu parvenir jusqu’à nous par seulement deux manuscrits, qui plus est

relativement tardifs ?

b. Un texte antérieur à la Glossa ordinaria

La première évidence qui frappe le lecteur du manuscrit, c’est l’étroite proximité qui

lie son texte avec le texte que la Glossa ordinaria attribue à Raban : il n’y a guère de doute

qu’il s’agit du même. En effet, toutes les citations attribuées à Raban par la glose se trouvent

de façon souvent presque littérale dans le manuscrit d’Oxford. De plus, la quasi-totalité des

passages non explicitement attribués par la glose s’y trouvent également : c’est le cas des

passages anonymes de la glose marginale, mais également de presque toute la glose

interlinéaire, qui est absolument anonyme. Cela n’exclut pas que les commentaires soient eux

aussi de Raban, car un phénomène tout à fait identique se trouve dans la glose du livre de la

171 M. H. JAMES, The Western Manuscripts in the library of Trinity College, Cambridge. A descriptive catalogue, v. I, Cambridge, University Press, 1900, p. 44. 172 Paris, BnF lat. 14526, f. 174 v°. 173 C’est notamment le cas de la Glose du livre de la Sagesse, ou de l’Ecclésiastique, dont Raban était le premier à produire un commentaire complet. 174 Cambridge, Univ. Ee III 51 (XIII, script. per fratrem Johannem Lambert Carmelitam), f. 198-238; Oxford, Balliol College 167 (XII, Guilelmus Gray), f. 143-174. 175 Les deux commentaires originaux des Actes, dont les commentateurs postérieurs ne sauront se détacher, sont ceux de Bède et de notre manuscrit. Ce texte est probablement la référence la plus citée par les auteurs postérieurs quand il s’agit de commenter les Actes.

51

Sagesse : certains passages sont anonymes dans la glose, mais proviennent eux aussi du

commentaire de Raban, dont l’authenticité est cette fois assurée.

Toutefois, la stricte contemporanéité des manuscrits de la Glose et du commentaire

nous obligent à nous interroger : le commentaire attribué à Raban est-il nécessairement la

source de la Glose ? Le manuscrit d’Oxford n’est-il pas au contraire un commentaire fait à

partir de la Glose ?

Plusieurs motifs semblent devoir interdire cette possibilité. Il est vrai, certes, que la

Glose, quand elle cite Raban, propose souvent un texte plus satisfaisant que le manuscrit

d’Oxford, et permet plus d’une fois de le corriger176. Les exemples seraient nombreux, mais

cela ne prouve rien, sinon qu’à une étape de la transmission du texte qui a abouti au manuscrit

d’Oxford, et une étape qui pourrait bien être la dernière, le texte a été confié à un copiste

pressé et probablement peu cultivé.

En sens contraire, deux arguments nous paraissent décisifs. Tout d’abord, le texte

d’Oxford est beaucoup plus complet que celui que cite la Glose : l’hypothèse d’un auteur

s’employant à reconstituer le commentaire initial en s’ingéniant à combler les trous est

hautement improbable. De plus, quand elles diffèrent – toujours légèrement – les phrases

citées aussi bien par le manuscrit d’Oxford que par la Glose sont toujours plus longues dans le

premier texte, sans que cette longueur paraisse le moins du monde surajoutée : c’est au

contraire la Glose qui, en voulant abréger, en devient parfois laconique. Ainsi, il semble

évident que la glose à Ac 10,10 (Vidit celum apertum, la vision de Pierre à Joppé) :

non reseratione elementi sed diuina reuelatione et spiritali

est une abréviation du commentaire rapporté par le manuscrit d’Oxford, et non la base

ayant permis à ce dernier d’allonger le commentaire :

Apercio autem celi non reseratione ut prediximus elementi sed spiritalibus oculis diuina reuelatione

facta est.177

De plus, il faut compter avec un fait extrêmement curieux : le texte rapporté par le

manuscrit d’Oxford ne dépend en aucune façon du commentaire de Bède. Jamais il ne s’en

inspire ni ne le cite d’aucune façon. Quand d’aventure, les deux textes se rejoignent, c’est

simplement qu’ils ont une source commune : nous n’avons pour le moment identifié qu’une

seule source que nous deux auteurs utilisent, et qui n’a rien d’original dans la bibliothèque

176 Ainsi, commentant le fameux prout cuique opus erat (Ac 4, 52), le texte d’Oxford propose : Non secundum personas et munera, sed secundum indulgentiam. L’intervention de l’indulgence dans ce contexte, sauf à l’attribuer à la vacuité d’un vocabulaire pieux passe-partout, ne se comprend guère qu’avec la correction d’après la Glose : Non secundum personas et munera, sed secundum indigentiam. 177 f. 161.

52

d’un exégète médiéval, le recueil d’interprétations des noms hébreux de Jérôme178. Il est

d’ailleurs certain que l’auteur du texte rapporté par le manuscrit d’Oxford ne dépend pas de

Bède dans sa connaissance de cette œuvre de Jérôme : il l’utilise dans plusieurs cas où Bède

ne le fait pas179.

Peut-on déduire de tout cela que l’auteur de notre commentaire ne connaît pas Bède ?

C’est extrêmement probable. En effet, on ne perçoit entre les deux textes aucune

complémentarité qui permettrait de supposer que notre auteur ait cherché à compléter le

commentaire de Bède : les mêmes versets sont souvent commentés, aussi bien littéralement

qu’allégoriquement, par les deux auteurs. De plus, l’auteur du commentaire du manuscrit

d’Oxford ignore manifestement des corrections au texte biblique proposées par Bède180. Cette

ignorance de Bède suffit à démontrer que le texte d’Oxford est antérieur à l’établissement de

la Glose ordinaire, dont il est une source importante. On ne peut toutefois absolument exclure

qu’ils dépendent tous deux d’une source commune : mais en ce cas, de cette source, le

manuscrit d’Oxford serait un témoin infiniment plus complet et fiable, et qui plus est le seul

témoin aussi complet. Il s’agit en tout état de cause d’un texte antérieur au XIIe siècle.

Les éléments que nous venons d’évoquer, notamment l’indépendance vis-à-vis de

Bède, permettent-ils de dépasser cette datation sommaire et de discuter l’attribution à Raban ?

Si l’argument n’est pas décisif, notons que l’absence d’utilisation de Bède ne concorde guère

avec cette attribution : l’abbé de Fulda connaissait en effet le commentaire de Bède, du moins

l’ Expositio. La présence à Fulda du commentaire de Bède est attestée par deux manuscrits du

IXe siècle, issus du scriptorium de l’abbaye181. Silvia Cantelli Berarducci relève douze

citations, dans l’œuvre exégétique de Raban, de ce commentaire182. C’est un chiffre modeste,

mais suffisant pour démontrer la présence d’un exemplaire de l’œuvre de Bède à la

disposition de Raban. L’indépendance vis-à-vis de Bède rend improbable que Raban soit donc

178 Ainsi, quand le manuscrit d’Oxford explique (f. 170 v°) l’explication suivante du nom d’Eutychès : EUTHICUS ebraice amens interpretatur, grece uero fortunatus, il ne s’agit en réalité que d’une reprise de Jérôme : Eutyches amens. Porro graece dicitur fortunatus. 179 Ainsi, f. 151 v° : Ioseph auctus. 180 Ainsi, au v. 11 du chapitre 28, s’agissant du navire d’Alexandrie qui va mener Paul à Rome, le texte biblique de notre commentaire, tout comme celui de Bède, note cui insigne erat castrorum, ce qui n’est ni fidèle au grec (∆ιοσκουροι), ni satisfaisant pour le sens. Bède avait corrigé cette erreur : Credo primitus insigne Castorum esse positum sed uitio librariorum literam adiectam, sicut frustra panis pro frusta et adpropriat pro adpropiat saepe scriptum in antiquissimis exemplaribus inuenimus. Or le texte du manuscrit d’Oxford ignore cette correction au point de commenter, non sans quelques contorsions, la présence des châteaux sur la figure de proue du navire. Si son auteur avait eu accès au commentaire de Bède, il se serait certainement épargné cette peine. 181 S. CANTELLI BERARDUCCI, op. cit., p. 231, n. 549. 182 S. CANTELLI BERARDUCCI, op. cit., vol. 3, pp. 1360-1361.

53

l’auteur du commentaire. Tout au plus pourrait-on imaginer que Raban l’ait écrit avant que le

commentaire de Bède ne soit connu à Fulda183, mais on sent bien la fragilité de cette option.

c. Un texte biblique d’origine irlandaise

Le commentaire contenu dans le manuscrit d’Oxford ne cite pas l’intégralité du texte

biblique, mais seulement les passages qu’il commente : cela suffit à reconstituer un texte

suffisamment suivi pour en étudier quelques variantes qui, si elles sont nombreuses, peuvent

devenir significatives.

Il est évident que le texte commenté est issu de la Vulgate. Aucune des variantes que

nous avons relevées par rapport à l’édition critique de cette dernière ne correspond aux

Vieilles latines collationnées par Dom Sabatier184. Mais l’identification précise de la Vulgate

utilisée est naturellement plus délicate : les variantes repérables sont souvent minces, et de

peu d’importance. Nous n’avons d’ailleurs à ce stade procédé qu’à des sondages, et non à une

vérification systématique des variantes ; toutefois, si les variantes que nous avons relevées par

rapport au texte établi par Weber ne trouvent généralement pas de correspondance dans

l’apparat critique qu’il propose, plusieurs de ces variantes vont dans le même sens, et

indiquent une grande proximité avec le manuscrit noté D de l’édition de Wordsworth et

White. Ces rapprochements n’existent qu’accidentellement dans le cas des variantes purement

orthographiques, mais deviennent extrêmement nombreux quand il s’agit du remplacement

d’un mot par un synonyme, ou d’une légère modification de la structure grammaticale185.

Plus significative encore est, au chapitre 28, la variante du verset 11, qu’on lit en

édition critique : Post menses autem tres, nauigauimus in naui alexandrina, quae in insula

hiemauerat, cui erat insigne castorum. Nous avons déjà noté que le manuscrit d’Oxford

suivait la leçon cui erat insigne castrorum, leçon fréquente dans les manuscrits anciens, et que

suit entre autres le manuscrit D. Ce qui est plus frappant, c’est que le commentaire du

manuscrit d’Oxford poursuit :

183 On ignore bien sûr la date d’apparition du commentaire de Bède à Fulda. La liste des citations qu’en fait Bède dans ses ouvrages ne peut guère nous aider : si huit des douze occurrences viennent de l’homéliaire de Raban, œuvre de sa dernière vieillesse, les quatre autres se répartissent entre les commentaires des Paralipomènes, des Maccabées et du Lévitique. Il est probable que les deux premiers datent de la même période, mais nous n’en savons guère davantage. 184 Dom P. SABATIER (éd.), Bibliorum sacrorum latinae versiones antiquae, tomus tertius, Reims, 1743, que nous avons consulté dans la version Reprint, Brepols, Turnhout 1987. 185 Le chapitre 28 des Actes en fournirait plusieurs exemples : ainsi, au v. 13, là où le texte établi par Wordsworth et White porte circumlegentes, le manuscrit d’Oxford commente un texte portant circumnauigantes (f. 174), variante relevée par l’apparat critique pour le seul manuscrit D. Au v. 15, le texte établi dit Fratres occurrerunt nobis usque ad apii forum et tribus tabernis ; le manuscrit d’Oxford achève par les mots tres tabernas, variante que comporte également le manuscrit D (mais cette fois quelques autres manuscrits la portent aussi).

54

Cui erat insigne insule ut quidam castrorum aliqua castra antiquitus edificata parasse, ac si dicatur ad

preparandos modios hiermauerat. Chorus autem trenta modios habet…

L’apparition du mot chorus, souligné comme un lemme biblique, surprend le lecteur :

il semble que le commentateur ait fait une confusion entre le sens proprement maritime du

mot modius (« cavité où s’engage le mât d’un vaisseau », dit Gaffiot qui s’appuie sur Isidore

de Séville), et son sens plus banal d’unité de mesure. Mais même cette confusion n’explique

pas qu’il ait recours à une définition, empruntée à saint Jérôme, du mot chorus – qui peut

désigner lui aussi une unité de mesure – totalement inutile dans ce contexte. Sans que

l’écheveau soit tout à fait débrouillé, cette apparition impromptue s’explique davantage si l’on

prend en compte un ajout que le manuscrit D est seul à proposer :

Cui erat insigne castrorum parasse modios . XX. chorus186

Cet ajout reste obscur, mais il est extrêmement probable que notre commentateur ait

eu sous les yeux un texte biblique qui le comportait : cela seul peut expliquer l’apparition

inattendue du mot chorus, qui n’a rien à faire dans le commentaire s’il n’est pas appelé par un

texte biblique lui-même fautif.

Il nous semble donc acquis, tant que le texte du manuscrit d’Oxford ne fait pas l’objet

d’une édition critique, que le texte biblique sur lequel il se fonde est au moins très proche,

sinon identique, au texte du manuscrit D. Ce manuscrit D, pour Dublinensis, est un manuscrit

irlandais datant du IXe siècle, clairement identifié comme porteur de plusieurs variantes de la

famille celtique.

Nous ne connaissons à ce jour pas d’étude sur le texte biblique dont disposait Raban ;

Silvia Cantelli Berarducci ne s’y est pas essayée et considère le point comme difficile187. La

possibilité de la circulation d’un texte irlandais dans le monde continental carolingien ne

saurait être exclue a priori, et mériterait des investigations précises. Toutefois, l’hypothèse

d’un travail de Raban sur un texte irlandais n’a pas pour elle le plus grand degré de

probabilité. Là encore, il n’y a pas à ce jour d’argument décisif, mais l’attribution à Raban

n’en sort guère confortée.

d. Les auteurs cités

Avant d’en venir au style à proprement parler, remarquons les auteurs utilisés par le

commentaire du manuscrit d’Oxford. Ce commentaire est, autant que nous puissions en juger,

186 Wordsworth et White, p. 224, n. 11. 187 S. CANTELLI BERARDUCCI, op. cit., p.131 : « Difficile dire qualcosa di sicuro sul testo della Scrittura utilizzato da Rabano. » Elle finit par supposer, sans vérification, qu’il dispose d’un texte alcuinien, qui circule en effet à Fulda. Mais une recherche plus systématique, dans les textes mêmes de Raban, reste à mener.

55

largement original ; cela n’est guère surprenant, compte tenu de la rareté des commentaires

patristiques et de l’indépendance vis-à-vis de Bède. Cela n’empêche pas toutefois, pour tel ou

tel passage célèbre (l’Ascension, la Pentecôte), pour l’interprétation des noms ou au détour

d’une distinction plus théologique, l’utilisation par l’auteur, explicitement ou non, de textes

patristiques. Mais nous n’avons pu identifier, dans ce domaine, que des sources extrêmement

classiques : Augustin, Jérôme et Grégoire, et toujours des œuvres importantes. Cette triade ne

peut guère nous aider sur la voie d’une attribution plus précise, tant ils constituent le fond

commun de toute l’exégèse médiévale.

Un autre auteur est peut-être plus significatif : le grammairien Donat, dont plusieurs

définitions sont littéralement citées, non sans pédanterie, dès les premières pages du

commentaire188. Ce recours à Donat ne permet pas une attribution plus précise. Il n’est pas

incompatible avec une attribution à Raban, qui connaissait le grammairien. Il laisse à penser,

sans toutefois constituer une preuve formelle, que l’œuvre est de l’époque carolingienne, où

l’œuvre de Donat a joué pour la dernière fois un rôle de premier plan189, même si elle a pu

être encore utilisée par la suite. Mais l’immense fortune du grammairien dans l’Irlande du

VIIIe siècle, où Donat, maintes fois commenté, est un acteur majeur de l’essor culturel, peut

également se prêter à des rapprochements cohérents avec l’utilisation d’un texte biblique

irlandais. S’il ne s’agit une fois encore que d’hypothèses, l’utilisation de Donat ne nous

éloigne en tous cas pas d’un rapport quelconque à l’Irlande.

188 Le commentaire des premiers mots du livres, Primum quidem sermonem, en est rempli (les citations tirées de Donat sont en gras) : PRIMUM QUIDEM SERMONEM, id est ewangelium quod sanctus scripsti Lucas. Primus autem sermo dicitur, dum duos tantum canonicos ediderit libros. Primus uero de multis dicitur, prior de duobus. Siue quia de futuris predicat quasi non multa sit scripturus, siue primus pro priore posuit ut solocismus sit per comparacionem, id est positiuus pro comparatiuo postius, siue ut multum primum pro aduerbio scriptum est. Quidem conuiccio ad sermonem respicit, id est actus apostolorum sermonem. Sermo totus ewangelii liber uocatur. Quamuis multa sunt uerba unus tamen sensus est, non diuersus. Aut per sinodochen enim est significatio pleni intellectus capax cum plus minusue pronunciat, ut sermo unus dictus pro sermonibus multis indicatur. Quelques lignes plus loin, le commentateur a de nouveau recours au grammairien : FECI. Non ait : dixi. Acirologia enim, id est improperia diccio est ut « hunc si potui tantum sperare dolorem » : sperare enim dixit pro timere.188 189 L. HOLTZ, Donat et la tradition de l’enseignement grammatical. Etude sur l’Ars Donati et sa diffusion (IVe-IXe siècle) et édition critique, Paris, CNRS, 1981, p. 326 : « La Renaissance carolingienne est la dernière occasion au cours de laquelle l’Ars Donati a assumé le rôle de présider à la redécouverte d’une langue correcte, et par là, de renouer avec la tradition des auctores. […] Il est normal qu’après avoir permis à toute une génération de renouer avec les grandes traditions, l’ Ars Donati soit un peu dévaluée. Elle a permis de retrouver l’essentiel, et cette tâche une fois accomplie, lentement – car l’attachement au nom de Donat reste grand et le symbole ne vieillit pas – mais sûrement, elle cède peu à peu la place. » Sur le rôle majeur de l’Ars dans la Renaissance carolingienne, voir pp. 323-326.

56

e. Méthode exégétique et style

Une tentative sommaire de critique interne ne plaide guère, à nouveau, en faveur de

l’attribution à Raban.

Le lecteur du manuscrit d’Oxford est frappé par la diversité interne du commentaire

qu’il contient. Alors que les premières pages proposent des commentaires longs, suivis,

assortis de citations patristiques parfois explicites, toujours au moins formulés dans des

phrases complètes, d’autres passages ne font guère l’objet que de gloses souvent extrêmement

courtes. Qu’on en juge par quelques lignes du f. 170 (le texte biblique est en petites

capitales) :

SUPER FENESTRAM historicam uel mistice fidem. SOMPNO GRAUI carnali uel spiritali per infirmitatem

fidei. DISPUTANTE DIU causam dicit somnui. EDUCTUS SOMNO CECIDIT more uigilantium. CECIDIT DE

TERCIO CENACULO. Historice uel aliqua de Trinitate errorem demonstrat. SUBLATUS de terra uel de sensu

prauitate. MORTUUS carne uel etiam spiritu. CUM DESCENDISSET de cenaculo uel cum passus esset.

Un tel laconisme n’est pas dans la manière de Raban, qui parle d’ordinaire

d’abondance. Il est vrai qu’il aurait cette fois affaire à un texte biblique que l’absence de

prédécesseurs patristiques l’obligerait à commenter largement à nouveaux frais ; mais c’est le

cas d’autres livres commentés par Raban, comme le livre de la Sagesse, et force est de

constater que le passage que nous venons de citer, dont nous ne connaissons aucune source,

ne ressemble guère aux commentaires que Raban expose de son propre fonds.

Une caractéristique de notre commentaire, très disparate dans sa forme littéraire,

semble être également l’absence de méthode exégétique structurante : il n’a rien d’un

commentaire scolaire, ce qui corrobore une datation antérieure au XIIe siècle, mais cela va

plus loin. La structuration du commentaire par le niveau des sens, nettement distingués, est

caractéristique des commentaires propres de Raban ; ici, on n’en trouve guère la trace

qu’accidentellement. Le commentaire peut être aussi bien spirituel que littéral, selon les

passages, sans que l’auteur du commentaire semble particulièrement préoccupé de suivre un

système des sens.

En conclusion, si aucune certitude n’apparaît au terme de notre examen, l’attribution à

Raban semble assez affaiblie et ne peut être tenue, même à titre provisoire : il s’agit

probablement d’un pseudo-Raban. Mais notre étude, qui ne résout pas les problèmes, amène

au contraire à en poser de nouveaux.

Le premier de ces problèmes concerne l’attribution. Si l’auteur de ce commentaire si

influent n’est pas Raban, de qui s’agit-il ? La réponse n’est pas aisée : une datation

57

carolingienne semble assez probable, mais nous n’avons guère d’autres indices, sinon l’usage

d’une Bible irlandaise. La piste, incertaine, mériterait d’être suivie davantage : peut-on

remonter à un groupe, sinon proprement irlandais, du moins issu des Iles britanniques installé

sur le continent ? Ne faudrait-il pas regarder du côté de Jean Scot190 et de ses disciples ? Nous

n’avons guère, à cette heure, que des questions.

Un autre problème de taille consisterait à comprendre comment a pu naître cette

attribution tardive mais sans exceptions à Raban. Le point reste pour nous extrêmement

mystérieux.

Une édition critique de ce commentaire apportera peut-être quelques lumières sur la

genèse de ce texte, et donc sur l’ensemble de la compréhension des Actes des apôtres au

moyen âge.

3. D’autres commentaires du haut moyen âge ?

Le haut moyen âge a contribué à l’exégèse des Actes par deux textes majeurs. De deux

autres commentaires aussi anciens, nous avons conservé une trace, souvent décevante.

a. Le commentaire introuvable du pseudo-Haymon

L’attribution d’un commentaire des Actes à Haymon fait partie des rumeurs tenaces,

dont la persistance est plus solide que le fondement. La première trace, qui prend la forme

d’un démenti, en est rapportée par les auteurs de l’Histoire littéraire de la France, qui

pourtant croient fiable l’attribution à Haymon de Halberstadt, moine de Fulda et compagnon

d’études de Raban Maur, des très nombreux commentaires qu’on lui prête. Ils doutent

toutefois qu’il soit l’auteur d’un commentaire des Actes :

« 7°. Trithème et Possevin comptent encore au nombre des écrits d’Haimon

d’Halberstadt, un commentaire sur les Actes des apôtres. Mais le premier non plus peut-être

que l’autre, ne l’avoit point lû ; puisqu’il n’en donne pas le commencement, comme il a

coutume de faire à l’égard des ouvrages dont il a pris la lecture. Le P. Labe, Crowei, M.

Dupin et le P. le Long, qui ne parle ici le plus souvent que d’après Frisius, vont encore plus

loin, et produisent une édition de ce commentaire, faite à Cologne en 1573 in-8°. selon les

uns, ou même in-folio selon les autres. Mais on ne voit point paroître cette édition ni dans M.

190 Un premier regard se révèle toutefois décevant : les gloses bibliques de Jean Scot, qui ont fait l’objet d’une édition critique récente (Glossae divinae historiae. The Biblical Glosses of John Scottus Eriugena, John J. Contreni and Padraig P. O’ Neill (éd.), Florence, Sismel – edizioni del Galluzzo, 1997), et qui ne couvrent que l’Ancien Testament, sont très différentes de notre texte. Beaucoup de mots de vieil irlandais s’y mêlent, ce que nous n’avons pas noté dans le manuscrit d’Oxford ; il ne s’agit que de gloses d’explicitation, presque jamais d’interprétation ; enfin, le texte biblique utilisé est celui de Théodulfe (p. 38), et pas un texte « celtique ».

58

Cave, ni dans les catalogues des meilleurs bibliothèques de France, d’Italie et

d’Angleterre. »191

On regrette que cette édition de Cologne, déjà disparue au XVIIIe siècle, n’ait pas été

retrouvée depuis lors ; tout aussi introuvables semblent les manuscrits qui feraient état d’une

telle attribution, si bien que les auteurs de l’Histoire littéraire paraissent exprimer une critique

fondée. Au demeurant, l’œuvre est absente de l’édition des commentaires attribués à Haymon

que propose Migne192. La rumeur lancée par Trithème et Possevin reparaît en revanche au

XXe siècle, dans le répertoire de Stegmüller : il mentionne l’existence d’un commentaire qu’il

désigne comme du « Pseudo-Haimon de Halberstadt »193, contenu dans un manuscrit de

Munich194 ; mais le répertoire ne nous en dit pas davantage sur ce manuscrit, et, suivant le

mauvais exemple de Trithème et Possevin, il déroge à son habitude en n’en donnant ni

l’ incipit, ni l’explicit. Faut-il en conclure qu’il « ne l’avoit point lû » lui non plus ?

Il ne peut en être autrement, car un rapide coup d’œil au manuscrit permet de

s’apercevoir qu’il y a là une erreur d’attribution, due certainement au fait que le texte suit

immédiatement l’homéliaire attribué, ici explicitement, à Haymon de Halberstadt, mais

probablement de la plume de Haymon d’Auxerre. Il ne peut s’agir d’un commentaire de

Haymon, d’Auxerre ou de Halberstadt, pour la simple raison qu’il ne s’agit pas d’un

commentaire des Actes, mais du texte biblique lui-même, copié avec soin et précédé du

classique prologue Lucas natione.

Cette piste abandonnée, nous n’avons plus la moindre trace d’un commentaire de

Haymon. Faut-il, sur la fois de Trithème, Possevin et d’une possible édition de Cologne

disparue, continuer à le chercher ? Sans doute pas. Au demeurant, encore faudrait-il définir de

quel Haymon il s’agit. En effet, « pas une seule des œuvres exégétiques imprimées sous le

nom d’Haimon n’est de l’ancien condisciple de Raban »195, nous apprend la critique

contemporaine. L’abondante bibliographie rassemblée sous son nom par le catalogue du

savant abbé Jean Trithème compte en réalité plusieurs auteurs, dont aucun n’est Haymon

d’Halberstadt, mais essentiellement Haymon d’Auxerre (commentaires sur les douze petits

191 Histoire littéraire de la France, v. V (1740), rééd. 1866, p. 120. 192 PL 117. 193 Steg. n° 3100, t. III, p. 14. 194 Ms. Munich, clm. lat. 13513. Le manuscrit est décrit dans Catalogus codicum manu scriptorum Bibliothecae regiae monacensis (t. IV, pars II), Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1968, p. 112 : Ex bibliotheca monasterii S. Blasii ordinis praedicatorum Ratisbonensis. 13513 (Rat. Dom. 113) in 2° a. 1458. 287 fol. Haymonis sermones super evangelia et de tempore. – f. 268 Actus apostolorum. 195 F. BRUNHÖLZL, Histoire de la littérature latine du moyen âge, t. I/2 : L’époque carolingienne, Louvain-la-Neuve, Brepols, 1991 (trad. de Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, 1975), pp. 98-99 (et bibliographie p. 286).

59

prophètes, sur les épîtres de saint Paul et sur l’Apocalypse), un anonyme du IXe siècle

(commentaires sur Jérémie, Ezéchiel, Daniel, Joël, Amos et Abdias) et un anonyme du XIIe

siècle (commentaires sur les psaumes et sur les cantiques de l’Ancien Testament). Mais parmi

ces grands ensembles, les chercheurs ne se sont jusqu’à présent guère souciés de placer notre

improbable commentaire sur les Actes. En particulier, à l’auteur de commentaires

« haymoniens » le plus étudié, Haymon d’Auxerre, un tel ouvrage n’est jamais attribué dans

les études récentes196.

b. Un commentaire de Remi d’Auxerre ?

Le second est un commentaire que rapportent deux manuscrits197, datant du Xe et du

XIe siècle. Dans les deux cas, le commentaire est anonyme, mais dans les deux cas, il est

rapporté par un manuscrit contenant plusieurs commentaires bibliques que l’on pourrait

attribuer à Remi, le dernier grand maître de l’école de Saint-Germain d’Auxerre, qui a

enseigné à Auxerre puis à Paris, et dont on perd la trace après 908198. Exégète important,

apprécié tout au long du moyen âge, Remi a laissé de nombreux commentaires bibliques, et la

tradition manuscrite mouvante, que ne vient éclaircir quasiment aucune édition critique, rend

les attributions le concernant souvent problématiques.

Faute de précision supplémentaire, on suppose que c’est en s’appuyant sur le contenu

des manuscrits que Stegmüller donne au commentaire une timide attribution à Remi, tempérée

il est vrai d’un point d’interrogation. Le premier des deux manuscrits contient un grand

nombre de petits commentaires bibliques : deux commentaires de la Genèse (f. 1-12, puis f.

13-57), Exode (f. 58-68), Lévitique (f. 68-71), Nombres (f. 71-74), Deutéronome (f. 74-95),

Josué (f. 97-99), Juges (f. 100-104), Ruth (f. 104-105), Rois (f. 105-125), Chroniques (f. 125),

Daniel (f. 125-128), les Actes (f. 128-133), le prologue d’Isaïe (f. 134), les Psaumes (135-

160). Tous ces commentaires sont anonymes ; mais le commentaire du Deutéronome199 est

identique à celui qui circule, dans deux autres manuscrits, sous le nom de Remi. Mais l’affaire

se complique étrangement quand on se penche sur les commentaires de la Genèse contenus

dans ce manuscrit. Le premier est bien différent des deux commentaires de la Genèse qui se

196 Nous avons consulté sur Haymon d’Auxerre, outre la liste des œuvres proposée par F. BRUNHÖLZL : H. BARRE, « Haymon d’Auxerre », DS, t. VII, col. 91-97 ; L’école carolingienne d’Auxerre de Muretach à Rémy (830-908), dir. par D. Iogna-Prat, C. Jeudy, G. Lobrichon, Paris, Beauchesne. 197 Ms. Paris, nat. lat. nouv. acq. 762 (le commentaire des Actes se trouve aux f. 128-133) et Ms. Munich, clm lat. 3704. 198 F. BRUNHÖLZL, Histoire de la littérature latine du moyen âge, t. I/2 : L’époque carolingienne, Louvain-la-Neuve, Brepols, 1991 (trad. de Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, 1975), pp. 238-241 (et bibliographie pp. 318-321). 199 Steg. 7200.

60

disputent depuis des siècles l’authenticité dans l’œuvre de Rémi200 ; mais le second

correspond au n° 7194 de Stegmüller, et classe notre manuscrit, selon B. Edwards, dans une

famille qu’il appelle γ201, qui comprend essentiellement des manuscrits également anonymes :

“These manuscripts come from eastern France or western Germany. Only the

manuscript preserved in The Hague contains an attribution – to Alcuin.”202

Le second manuscrit203 contient lui aussi diverses gloses bibliques, attribuées cette fois

explicitement à Remi, et le même commentaire de la Genèse (Steg. 7194) qu’on lui a

longtemps attribué à tort.

Dans son étude consacrée à « L’œuvre de Remi d’Auxerre »204, Colette Jeudy accepte

sans les discuter les conclusions de B. Edwards sur le commentaire de la Genèse, et ne fait

aucune mention d’un commentaire de Remi sur le livre des Actes. Dans la Clavis des œuvres

de Remi publiée en fin de l’ouvrage205, elle ne mentionne pas même ce commentaire parmi

les « œuvres possibles » ni les « œuvres rejetées ». Les manuscrits qui la rapportent ne sont

jamais mentionnés.

Le fondement d’une attribution à Remi paraît donc extrêmement mince et aurait

besoin, pour s’étayer, de solides éléments de critique interne : nous n’avons pas encore vu les

manuscrits, dont les microfilms ne paraissent pas disponibles en France, mais seul cet examen

permettra d’avancer sur le sujet. Notons enfin que l’influence du commentaire au moyen âge

paraît avoir été singulièrement circonscrite, sinon nulle, compte tenu de l’ancienneté des deux

seuls manuscrits qui nous ont transmis ce commentaire.

En revanche, on note que Remi aurait commenté le poème De actibus apostolorum

d’Arator206 ; ce commentaire est attesté pour la première fois dans un catalogue de Saint-Remi

200 B. EDWARDS, « In search of the authentic commentary on Genesis by Remigius of Auxerre », in L’école carolingienne d’Auxerre de Murethach à Remi (830-908), pp. 399-412. Les deux commentaires se trouvent, chez Stegmüller, sous les numéros 7194 et 7195. B. Edwards propose d’attribuer le premier à Haymon d’Auxerre, et voit dans le second le commentaire authentique de Rémi. 201 Il classe dans cette famille les manuscrits suivants : München, S.B., Clm 3704 ; ’s-Gravenhage, Rijksmuseum meermanno-Westreenianum, 10A7 ; Reims, B.M. 451 (E.365). 202 B. EDWARDS, p. 403. 203 Voir Catalogus codicum latinorum Bibliothecae Regiae monacensis, t. I, pars II (2501-5250), Munich, 1894. p. 124 : Codices e bibliotheca ecclesiae cathdr. Augustanae. « 3704 (Aug. eccl. 4) membre in 4°. s. XI. 182 fol. Remigii Autesiodorensis, glossae in Pentateuchum, libros Josue, Judicum, Ruth, Regg., Paralipp. Daniel. f. 170 b Glossae in actus apostolorum. Commentarius in Genesim impressus est in Patrol. ed. Migne vol. 131 col. 51. » 204 C. JEUDY, « L’œuvre de Remi d’Auxerre. Etat de la question », in L’école carolingienne d’Auxerre de Murethach à Remi (830-908), pp. 373-396. 205 C. JEUDY, « Remigii autissiodorensis opera (Clavis) », in L’école carolingienne d’Auxerre de Murethach à Remi (830-908), pp. 457-500. 206 Voir C. JEUDY, pp. 388 et 484.

61

de Reims du XIIIe siècle207, mais on est à ce jour incapable de l’identifier avec quelque

probabilité208.

B- Les homéliaires du haut moyen âge

Nous connaissons mal la prédication du haut moyen âge, et si par là on entend la

prédication effective, il serait plus juste de dire que nous n’en savons à ce jour presque rien209.

La période qui nous intéresse ici, allant du VIIe siècle à l’aube du XIIe siècle, nous a

essentiellement transmis des homéliaires210. On désigne sous ce nom une collection

d’homélies disposée selon le cycle de l’année liturgique qu’elle englobe en son entier. Sous

cette structure générale, des homéliaires au contenu très différent nous sont parvenus :

longueur, diversité des auteurs, richesse du cycle liturgique.

Il semble que ces homéliaires aient rempli des rôles relativement distincts : tous ne

sont pas des homéliaires liturgiques ; ils ont pu être destinés tantôt à la lecture privée et à

l’édification personnelle, tantôt à la lecture publique – en particulier avec le développement

du mouvement monastique, qui a besoin de lectures patristiques pour l’office de vigiles211 ; le

texte proposé peut également être lu tel quel à la messe, pour commenter une lecture qui vient

d’être faite, ou servir à la préparation du sermon du prédicateur qui, peu inspiré, y trouvera un

modèle ou du moins de la matière. Ces diverses possibilités ne sont d’ailleurs pas exclusives

l’une de l’autre.

Ces homéliaires sont donc une source tout à fait importante, qui nous renseigne sur les

cycles liturgiques, mais surtout sur la réception des commentaires bibliques, patristiques ou

contemporains : le travail de sélection et d’élaboration des auteurs d’homéliaires est assez

207 F. DOLBEAU, « Un catalogue fragmentaire des manuscrits de Saint-Remi de Reims », Revue des études augustiniennes, 23, 1988, p. 24. 208

MCK INLAY , « Arator », dans C.T.C., 1, 1960, p. 241-247. 209 Tout au plus peut-on former des hypothèses à partir des textes transmis par les homéliaires, qui ont certainement servi à des prédicateurs comme modèles, de la législation carolingienne concernant la prédication ou des conseils aux prédicateurs donnés par Raban (PL 107, col. 293-420) ou Alcuin (MGH Epistolae t. 4, p. 157-166). Les véritables sermons que nous possédons sont très peu nombreux : le recueil du pseudo-Eloi (E. VACANDARD, « Les homélies attribuées à saint Eloi », in Revue des questions historiques 64 (1898), p. 471-480), un recueil anonyme italien (P. MERCIER éd., XIV homélies du IXe siècle d’un auteur inconnu de l’Italie du Nord, Paris, Cerf, 1970, SC 161). Et nous n’avons rien de comparable à ce que seront, pour les siècles suivants, les reportationes, source imparfaite mais irremplaçable de connaissance de la prédication effective. 210 H. BARRE, « Homéliaires », DS 7 (1969), col. 597-606. J. LONGERE, Histoire de la prédication, Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1983, pp. 35-54 211 « Codices autem legantur in vigiliis divinae auctoritatis tam veteris Testamenti quam novi, sed et expositiones earum quae a nominatis et orthodoxis catholicis Patribus factae sunt », demande Benoît dans sa Règle (Reg. 9).

62

significatif, et il est probable que le résultat de ces travaux, les textes des homéliaires, soit le

principal contact des moines et peut-être des clercs avec des commentaires bibliques.

Les chercheurs distinguent en général deux grands types d’homéliaires du haut moyen

âge : les homéliaires patristiques et les homéliaires carolingiens. Le critère de distinction n’est

pas chronologique, mais d’usage : les premiers servent à l’office liturgique (messe ou surtout

liturgie des heures), les seconds à l’usage personnel ou pastoral. Mais il semble bien que la

distinction, commode, doive dans certains cas être nuancée.

1. Les homéliaires patristiques

La quasi totalité des homéliaires patristiques qui nous sont parvenus, et que R.

Grégoire a patiemment présentés212 en les accompagnant de notices précieuses, ne

transmettent que des homélies commentant les évangiles, laissant les épîtres de côté : c’est le

cas, en particulier, des homéliaires les plus répandus au moyen âge, comme celui de Paul

Diacre213 ou de Bède214, mais aussi plusieurs homéliaires « romains »215. Plusieurs d’entre eux

comptent également des sermons pour le sanctoral ou le temporal qui ne sont pas sans lien

avec les Actes (saint Etienne, Ascension), mais sans que les textes proposés commentent le

texte des Actes relatifs à la fête du jour. Le nombre, faible mais non infime, de références aux

Actes que ferait apparaître une lecture hâtive de l’Index biblique216 de l’ouvrage de Grégoire

est trompeur : dans la plupart des cas, les références renvoient à des homéliaires pour l’office

de vigiles qui indiquent les lectures bibliques qui précèdent les lectures patristiques ; et la

lecture patristique arrivant en complément des lectures des Actes ne les commente jamais.

Toutefois, une recherche dans l’univers des homéliaires patristiques latins ne nous

laisse pas totalement démunis pour notre étude : elle nous confronte à un homéliaire, ou plus

exactement un sermonnaire, à l’histoire relativement complexe, le sermonnaire du pseudo-

Fulgence217. Il se distingue par des lemmes bibliques qui semblent indiquer un commentaire

du texte de l’épître de telle ou telle fête liturgique ; en réalité, le lien au texte annoncé est

212 R. GREGOIRE, Homéliaires liturgiques médiévaux. Analyse de manuscrits, Spolète, Centro italiano di Studi sull’alto medioevo, 1980. 213 Cet homéliaire, composé à la demande de Charlemagne et destiné explicitement à l’office de nuit, est le plus copié et utilisé au moyen âge, et « le bréviaire romain en est encore aujourd’hui tributaire » (H. BARRE, col. 602). Il fait l’objet d’une longue et précise étude dans R. GREGOIRE, pp. 423-486. On en trouve une édition, fortement interpolée de pièces d’origine carolingienne, dans PL 95, col. 1159-1566, qui reproduit l’édition parue à Cologne en 1539. 214 Recueil plus bref, publié dans CCSL 122 (1955). R. GREGOIRE, pp. 72-73. 215 On désigne ainsi les homélaires d’Alain de Farfa (R. GREGOIRE, pp. 127-221), de Saint-Pierre-au-Vatican (pp. 223-244), et d’Agimond 216 R. GREGOIRE, p. 520. L’index note dix-neuf références 217 R. GREGOIRE, pp. 89-125.

63

relativement lâche, et risque de nous décevoir. L’attribution de cette collection de soixante-

dix-neuf sermons à Fulgence semble tardive, peut-être du XVIe siècle, et les pièces qui le

constituent appartiennent probablement à différents auteurs, sans qu’on puisse déterminer à

qui218. Sept d’entre eux se présentent comme des commentaires des passages des Actes liés à

la fête du jour : les sermons XLVIII et XLVIIII pour l’Ascension (Ac 1,9-11), les sermons L à

LII à la Pentecôte (Ac 2,1-4) et les sermons LVIII et LVIIII aux fêtes de Pierre et Paul. Les

trois premiers sont des sermons pseudo-augustiniens219 ; le quatrième est le sermon 271

d’Augustin, que nous avions déjà rencontré sous une fausse attribution à Fulgence ; les trois

derniers, enfin, que Migne publie sous le nom de Fulgence220, sont à ce jour anonymes.

2. Les homéliaires carolingiens

Parce qu’ils n’ont plus le caractère liturgique des homéliaires patristiques, mais sont

destinés à l’étude ou la méditation individuelles, les homéliaires carolingiens seront pour

notre travail des sources bien plus intéressantes. Cette différence de destination entraîne en

effet deux modifications de taille : certains d’ente eux s’occupent désormais aussi bien des

épîtres (donc des Actes) que des évangiles221, et ils adoptent véritablement le genre

« homélie », c’est-à-dire un exposé complet et suivi de la lecture liturgique.

Dans le tableau comparatif que propose Henri Barré222 de plusieurs homéliaires

carolingiens commentant les épîtres, réalisé sur six homéliaires différents, propose des

commentaires pour seize péricopes différentes des Actes. On ne sera guère surpris de

constater que ces péricopes sont lues dans l’octave de Pâques, à l’Ascension, dans l’octave de

la Pentecôte et aux fêtes d’Etienne, Pierre et Paul (y compris la conversion de l’Apôtre) : la

218 Les avis sont très partagés, et jamais définitifs. Dom G. MORIN considère seulement que ces sermons sont presque tous apocryphes (« Notes sur un manuscrit des homélies du Pseudo-Fulgence », RB 26 (1909), pp. 223-228). Pour P. GODET (« Fulgence de Ruspe », DTC VI, col. 970) : « 40 autres sermons appartiennent en réalité soit à saint Augustin, soit à saint Pierre Chrysologue, soit pour la plupart à un auteur africain demeuré inconnu ». Quant à P.G.-G. LAPEYRE (Saint Fulgence de Ruspe. Un évêque africain sous la domination vandale. Essai historique, Paris 1929, p. 253), il écrit : « Quelques uns de ces sermons sont très vraisemblablement de saint Fulgence, d’autres de saint Augustin, de saint Césaire d’Arles, d’autres, peut-être, de saint Pierre Chrysologue, le plus grand nombre enfin d’auteurs inconnus. » 219 PL 39, col. 2085-2086, 2086-2087 et 2091-2092. 220 PL 65, col. 918-920, 928-929, 929-930. 221 C’est du moins le cas des principaux d’entre eux, qui vont nous occuper ici. Beaucoup d’homéliaires carolingiens plus secondaires ne commentent encore que les évangiles : l’homéliaire de Saint-Père de Chartres, ou plusieurs homéliaires bavarois ou italiens étudiés par H. BARRE, Les homéliaires carolingiens de l’école d’Auxerre, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1962, pp. 17-30. Ce dernier auteur, à la différence de Raymond Etaix ou de Jean Longère, considère qu’en commentant les épîtres, Smaragde ou Raban sont des exceptions. 222 H. BARRE, Les homéliaires carolingiens de l’école d’Auxerre, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1962, pp. 214-235. Le tableau, qui ne se limite pas à des homéliaires de l’école d’Auxerre, compare le pseudo-Bède, Raban, Smaragde et trois collections auxerroises.

64

place des Actes dans le cycle liturgique qui s’était mise en place à la fin de l’Antiquité et dans

les premiers siècles du moyen âge semble désormais bien stable. Les péricopes correspondent

d’ailleurs bien aux passages que la liturgie romaine avait déterminés dès le VIIe siècle. Les

commentaires des homéliaires carolingiens ne couvrent donc qu’une faible partie du texte des

Actes des apôtres.

L’homéliaire du pseudo-Bède

Le premier homéliaire consacré exclusivement aux épîtres, circulant probablement dès

le début du IXe siècle sous le titre Explanationes lectionum seu epistolarum, est attribué à tort

à Bède223. Cette collection comprend cent vingt-quatre homélies qui couvrent l’ensemble du

cycle liturgique. Editée à Cologne en 1535 par Jean Gymnich (d’où le nom, fréquemment

attribué au recueil, de « Gymnicus »), elle n’a pas été rééditée depuis et se trouve bien

difficile à consulter. Toutefois, Henri Barré en présente huit manuscrits224, allant du IXe au

XIe siècles, qui en attestent l’ancienneté comme la diffusion.

Parce que plusieurs passages de ce recueil se retrouvent dans les homéliaires de Raban

Maur ou de Haymon de Halberstadt, on a pu penser qu’ils leur avaient été empruntés ; en

réalité, la datation oblige à convenir que ce sont les autres homéliaires, celui de Raban ou les

homéliaires d’Auxerre, qui y ont eu recours.

Nous n’avons pas pu consulter directement le texte de ces homélies, apparemment

introuvable en France225, mais Henri Barré en signale onze (hom. 6, 50, 51, 60, 62, 63, 64, 65,

79, 80, 81) qui commentent des passages des Actes. A ce jour, nous ne connaissons pas

d’étude précise de ces sermons qui permettrait d’en identifier les sources.

L’homéliaire de Smaragde

L’homéliaire de l’abbé de Saint-Mihiel est, quant à lui, plus aisément datable (autour

de 820) et d’une authenticité à peu près assurée. L’objectif de ses Collectiones epistolarum et

evangeliorum de tempore et de sanctis est, comme l’indique l’auteur dès les premières lignes

de sa préface226, de mettre à la portée du plus grand nombre le sens mystique de l’Ecriture ;

comparant les textes collationnés à des « fleurs d’allégorie », il énumère la longue liste des

223 H. BARRE, pp. 6-9. 224 H. BARRE, p. 8 : Munich, Staatsbibl., clm 6264 (XIe), 14410 et 14472 (IXe) ; Oxford, Bodl. Laud. Misc. 472 (IXe) ; Melk, Bibl. mon. Q. 52 (Xe) ; Cologne, Bibl. capit. 172 (Xe) ; Avranches, Bibl. mun. 29 (Xe), f. 1-98 ; Trèves, Stadtbibl. 216 (XIe). 225 H. BARRE, p. 7, n. 24, signale l’existence de trois exemplaires de l’édition Gymnicus : l’un est à la bibliothèque nationale de Rome, un second au British Museum de Londres et un troisième à Munich. 226 PL 102, col. 13.

65

Pères où il est parti à la cueillette : Hilaire, Jérôme, Ambroise, Augustin, Cyprien, Cyrille,

Grégoire, Fulgence, Chrysostome, Cassiodore, Eucher, Tychon, Isidore, Bède, Primasius et,

moins connus, Victor ou Figulus, mais également – de caute legendis, se sent-il tenu de

préciser – Pélage et Origène. Avec un sens de la propriété littéraire qu’on reconnaît rarement

aux compilateurs carolingiens, il précise d’ailleurs, dans chaque homélie, le ou les Pères

auxquels il a eu recours.

« Une vingtaine de manuscrits des IXe et Xe siècle attestent que l’abbé de Saint-

Mihiel avait vu juste. Ses Collectiones répondaient à un réel besoin spirituel des âmes ; elles

furent tout de suite très appréciées, aussi bien dans les régions germaniques qu’en pays

franc », note Henri Barré, qui ajoute quelques manuscrits supplémentaires à ceux du catalogue

de Stegmüller227.

Onze de ces homélies (que nous numéroterons 4, 31-34, 43, 45, 46, 55-57, bien que

cette numérotation soit absente de Migne)228 commentent des péricopes des Actes. Bien que

ces homélies soient en général assez brèves, et qu’il cite de préférence les commentaires de

Bède, Smaragde semble avoir recours à un grand nombre de Pères pour les expliquer, si l’on

en croit les nombreuses références marginales qu’il indique. Mais quelques vérifications

rapides risquent de modérer notre admiration pour une culture si étendue : en réalité, qu’il

l’avoue (pour Clément d’Alexandrie229) ou non (par exemple pour Flavius Josèphe ou Arator,

cités dans la même homélie comme de première main), c’est chez Bède qu’il découvre ces

auteurs, c’est à Bède qu’il emprunte la plupart de ses références patristiques. On voit que les

commentaires des Actes du moine anglo-saxon étaient devenus, dès le début du IXe siècle, un

classique, le véritable manuel d’accès aux Actes.

L’homélie 34 (jeudi de l’octave pascale, Ac 8, 26-40) présente une particularité tout à

fait surprenante : ayant expliqué le texte, qui s’achève par l’arrivée de Philippe à Césarée,

l’homélie achevée en substance rebondit avec ces mots :

Sed quia in hoc loco de civitatibus mentio facta est, necessarium duximus, ut de pluribus isitus libri

civitatibus, locis, provinciisve mentionem in hoc loco faciamus.

Suit alors intégralement le petit glossaire que nous avons plusieurs fois rencontré au

cours de cette étude, attribué à tort à Jérôme mais avec raison à Bède le Vénérable, qui fournit

une brève notice érudite sur chaque nom de lieu évoqué dans les Actes. Cette mention montre

bien que les Collectiones de Smaragde ne sont pas écrites pour la chaire, mais pour la table de

travail : impossible d’imaginer un prédicateur lisant ce dictionnaire savant, qui a en revanche

227 H. BARRE, p. 13 et n. 46. 228 Respectivement PL 102, col. 35-38 ; 386-387 ; 389-390 ; 395-397. 229 S. 56, In natali sancti Petri, PL 102, col. 389.

66

toute sa place dans la bibliothèque d’un exégète en formation. Ajoutons que le glossaire est

introduit sans nom d’auteur, comme s’il venait de Smaragde lui-même, ce qui relativise la

précision des mentions d’auteur qu’il indique. Cela ajoute un élément de plus, s’il en était

besoin, sur la centralité de Bède, dès le début du IXe siècle, dans la lecture des Actes des

apôtres.

L’homéliaire de Raban Maur

Raban est en réalité l’auteur de deux homéliaires distincts. Le premier, adressé à

l’archevêque de Cologne Haistulfe, publié par Migne sous le titre Homiliae de festis

praecipuis, item de virtutibus230, compte soixante-dix sermons sur les évangiles et se rattache

davantage aux homéliaires liturgiques ; c’est au second, l’homéliaire adressé à l’empereur

Lothaire, que nous nous intéresserons ici.

C’est en 854 que l’empereur Lothaire, après un carême appliqué à la méditation de

l’Ecriture, demanda à Raban, alors évêque de Mayence depuis dix ans, une collection de

textes tirés des écrits des Pères commentant les épîtres et les évangiles, destinée à lui être lue

pendant les repas231. Il s’agit donc d’un homéliaire d’édification personnelle, privé, sans

portée liturgique ni même véritablement pastorale. Raban, très âgé, suivit assez exactement la

commande, en compilant sans originalité232 quelques écrits auxquels il ajoute simplement

quelques lignes d’introduction et une brève exhortation spirituelle de conclusion (ou, pour le

dire joliment avec Henri Barré, « un petit fervorino final »233).

On sait qu’il envoya à l’empereur une première partie de la commande, couvrant le

cycle liturgique de Noël à Pâques. Cette partie n’a jamais été imprimée, mais nous est

parvenue par un manuscrit234 un peu tardif pour être le manuscrit original, et dont Raymond

Etaix a donné une analyse235 stimulante et précise. Dans cette partie du cycle liturgique, on

n’est pas surpris de ne trouver qu’une homélie sur un texte des Actes : c’est l’homélie 10 (f.

230 PL 110, col. 9-134. 231 L’instructive correspondance échangée entre l’évêque et l’empereur à cette occasion se lit dans RABAN , Epistolae 49-51, éd. E. DÜMMLER, MGH : Epistolae Karolini Aevi, t. III, (1899), pp. 503-506. Seule, la seconde lettre de Raban – qui annonce la troisième partie de l’homéliaire – est reproduite par Migne (PL 110, col. 135). 232 « Le vieil archevêque n’avait pas le loisir de se mettre beaucoup en frais, et une partie du travail venait d’être faite par le pseudo-Bède et Smaragde. Lui-même avait déjà rassemblé bien des dicta Patrum dans ses propres commentaires scripturaires […]. Il va donc recourir à ces ouvrages récents, aussi bien qu’à ceux, très classiques, de Jérôme, de l’Ambrosiaster et de Bède. » (H. BARRE, op. cit., p. 15). 233 H. BARRE, op. cit., p. 15. Son analyse de l’homéliaire : pp. 13-17. 234 Ms. Iéna, Bibl. Univ., El, f° 32. 235 R. ETAIX , « L’homéliaire composé par Raban Maur pour l’empereur Lothaire », in Recherches augustiniennes XIX, Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1984, p. 211-240.

67

17v-18v) in natale s. Stephani, qui commente Ac 6,8. Le commentaire, d’après Raymond

Etaix, reproduit celui de l’homéliaire du pseudo-Bède236.

De la deuxième partie de l’homéliaire, envoyée par Raban peu de temps après et qui

va de la vigile pascale au cinquième dimanche après la Pentecôte, nous n’avons au contraire

conservé aucun manuscrit, mais une édition réalisée à Cologne en 1626 à partir d’un

manuscrit qui se trouvait alors à Fulda, et reproduite par Migne sous le titre Homeliae in

Evangelia et Epistolas237. C’est naturellement dans cette partie du cycle liturgique que se

placent le plus grand nombre d’occurrences du livre des Actes : seize homélies commentent

les seize textes classiques prévus par la liturgie, dans l’octave de Pâques238, à l’Ascension239,

au cycle de la Pentecôte240, aux fêtes de Pierre241 et de Paul242.

Raymond Etaix a présenté, pour chaque homélie, les textes dans lesquels Raban

semble avoir trouvé son inspiration : les cycles de Pâques et de l’Ascension, ainsi que les

sermons des fête de Pierre et Paul sont des reprises littérales du Pseudo-Bède et de

Smaragde243 ; quant aux homélies du cycle de la Pentecôte, elles s’inspirent, mais de manière

cette fois beaucoup moins littérale, des commentaires de Bède244 : une partie de plusieurs de

ces homélies (t. II, hom. 59, 61, 63, 65, 69) semble originale, ou issue d’une source qui n’a

pas été identifiée.

On ne connaît aucun exemplaire d’un troisième tome de l’homéliaire qui viendrait le

compléter jusqu’à la fin de l’année liturgique, et les avis sont partagés pour savoir s’il a

jamais été rédigé245 ; toujours est-il qu’on n’y trouverait vraisemblablement pas de

236 Ed. Gymnicus, S. 6, pp. 13-15 : Beati martyris Christi Stephani annuam …/… proficiant in operibus bons, per I.C.D.N. 237 PL 110, col. 135-458. Nous adoptons la numérotation de Migne, qui ne suit pas exactement celle de l’édition de Cologne (R. ETAIX , p. 230). 238 Hom. V (col. 142), feria II ; hom. VII (col. 145), feria III, Ac 13,26sq ; hom. IX (col. 151), feria IV Ac 13,12sq ; hom. XI (col. 157), feria V Ac 8,26sq. 239 Hom. XLVI (col. 231), in die Ascensionis Domini, Ac 1,1sq. 240 Hom. LV (col. 252), in vigilia Pentecostes Ac 19,1sq ; hom. LVII (col. 255), dominica in Pentecoste Ac 2,1sq; hom. LIX (col. 260), feria II post Pentecosten, Ac10,42sq ; hom. LXI (col. 262), feria III, ad sanctam Anastasiam, Ac 8,14sq ; hom. LXIII (col 266), feria IV Ac 2,14sq ; hom. LXV (col 270), feria V Ac 8,5sq ; hom. LXVII (col. 273), feria VI Ac 2,22sq ; hom. LXIX (col. 277), sabbato Ac13,44sq. 241 Hom. CVII (col. 347), in vigilia sancti Petri apostoli Ac 3,1sq ; hom. CIX (col. 350) in natali sancti Petri Ac 12,1sq. 242 Hom. CXI (col. 354) in natali sancti Pauli Ac 9,1sq. 243 Hom. V, XLVI, CVII et CXI sont du Pseudo-Bède (G. 50, pp. 117-119, G. 60, pp. 142-144, G. 79, pp. 186-189, G. 81, pp. 191-194), tandis que hom. VII, IX et XI sont de Smaragde (S. 32, PL 102, col. 234-236 ; S. 33, col. 241-242 ; S. 34, col. 251-254). On notera toutefois que, reprenant le s. 34, Raban ne recopie pas à son tour le glossaire issu de Bède. Enfin, l’hom. CIX est un mélange du Pseudo-Bède (G. 80, pp. 189-191) et de Smaragde (S. 56, col. 389-390). 244 R. ETAIX , p. 232, donne les références précises des emprunts. 245 H. BARRE (p. 15) propose : « Peut-être la mort de l’empereur survint-elle avant son achèvement », tandis que R. Etaix, analysant les influences de l’homéliaire sur d’autres manuscrits, déduit de façon convaincante (p. 237) :

68

commentaire des Actes, car la liste de péricopes sur laquelle Raban semble avoir travaillé246

ne contient plus de texte des Actes.

Raymond Etaix refuse l’affirmation d’Henri Barré, selon lequel le recueil « semble

bien n’être pas sorti des mains de son destinataire » : au moins une copie, celle que nous

possédons, a été réalisée postérieurement247. Mais, s’il souligne la difficulté de trouver les

traces d’une collection si peu originale dans les recueils postérieurs, il en donne toutefois

quelques exemples. Nous retiendrons ce manuscrit espagnol du XIe siècle248, qui reprend

l’homélie 65 (sur Ac 8,5sq), composition originale de Raban, ainsi qu’un codex de

Cracovie249 plus tardif, dont les emprunts sont plus nombreux, mais ne concernent pas les

Actes.

Les homéliaires de l’école d’Auxerre

Plusieurs homéliaires, étudiés avec beaucoup de précision par Henri Barré250, semblent

se rattacher à l’école carolingienne d’Auxerre, et en particulier à ses trois grands maîtres,

Haymon, Heiric et Remi. La tradition manuscrite en est complexe, car les attributions en sont

particulièrement embrouillées, et les interpolations paraissent y être nombreuses.

Concernant les Actes, notons que Henri Barré juge suspecte toute homélie sur les

Epîtres dans ces recueils :

« Puisque la plupart des homéliaires carolingiens ne présentent primitivement que les

homélies sur les Evangiles des Dimanches et Fêtes, il y a tout lieu de soupçonner des

interpolations assez considérables, et l’on devine déjà où elles ont pu se glisser de

préférence. »251

Ce critère souffre des exceptions aussi considérables que les homéliaires du Pseudo-

Bède, de Smaragde ou de Raban, mais Henri Barré parvient en général à décrire avec

précision l’origine et le cheminement des sermons interpolés. En définitive, son étude permet

d’identifier trois collections, souvent très lacunaires, d’homélies sur les épîtres, qui

contiennent quelques sermons sur les Actes : une collection auxerroise252 qui contient une

homélie pour la Pentecôte, pour la saint Etienne (5), pour la saint Pierre (18) et pour la saint

« Le lectionnaire de Cracovie nous confirme que Raban a effectivement eu le temps de terminer l’œuvre demandée par Lothaire ». 246 R. ETAIX , pp. 239-240, soutient que Raban a travaillé sur la liste fournie par le Comes de Murbach. 247 R. ETAIX , p. 234. 248 Seo de Urgel, Bibl. cap., ms. 180, 6. 249 Cracovie, Archiwum Kapituly Metropolitalnej, cod. 142. 250 H. BARRE, op. cit. 251 H. BARRE, p. 49. 252 On la trouve dans ms. Lyon, Bibl. mun., 628 et dans ms. Paris, BnF lat. 3802. H. BARRE, p. 95-98.

69

Paul (19) ; des homélies interpolées dans l’homéliaire authentique d’Haymon d’Auxerre,

qu’on retrouve dans l’édition qu’en donne Migne253, et qui commentent trois des textes de

l’octave de Pâques (71, 73, 75) et celui du mercredi de l’octave de la Pentecôte (103) ; enfin,

une collection partielle sur les épîtres qu’un manuscrit annexe à l’homéliaire de Liverani254,

qui commente les textes de la saint Etienne (3) et de l’octave de Pâques (25-28).

Caractères généraux

Ce relevé des homéliaires carolingiens montre qu’ils ont des caractères communs.

Tout d’abord, même si certains sont lacunaires, tous commentent des textes proposés pour les

dimanches et fêtes par la liturgie romaine telle qu’on l’a vue se mettre en place entre le VIIe

et le VIIIe siècle : sur ce point, on note une grande stabilité du calendrier et du choix des

péricopes. On ne sera donc pas surpris de retrouver, cette fois encore, un très petit nombre de

péricopes commentées, qui ne sont jamais plus de seize, dans les recueils les plus complets.

La connaissance que pouvaient avoir les clercs carolingiens des commentaires sur les Actes à

travers la liturgie est donc extrêmement partielle.

Un autre élément est frappant, du moins sur les textes que nous avons pu consulter :

leur grande homogénéité de contenu, qui ne s’explique pas seulement par l’important plagiat

d’un homéliaire à un autre, mais aussi par l’influence de Bède. Le commentaire du moine

anglo-saxon, directement ou par l’intermédiaire d’un autre homéliaire, irrigue très largement

toute la méditation sur les Actes dont les homéliaires sont pour nous les témoins.

253 PL 118. Voir H. BARRE, p. 50-54. 254 Ms. Paris, BnF lat. 3782. Sur l’homéliaire Liverani, voir H. BARRE, p. 195-208.

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Troisième partie

COMMENTER LES ACTES AU MOYEN AGE CENTRAL

A- Les commentaires des Actes au XIIe siècle – Le poids de la Glose

1. La Glossa ordinaria

Nul besoin de revenir ici sur l’importance considérable, pour l’exégèse médiévale, du

commentaire biblique désigné généralement sous le nom de « glose ordinaire ». De nombreux

travaux255, dans la deuxième moitié du XXe siècle, en ont souligné aussi bien l’intérêt que la

complexité, si bien que nous ne pouvons guère tenir pour parfaitement acquis que deux

points : c’est un texte primordial, et nous n’avons pas de certitudes sur sa genèse.

Pour le premier point, nous savons que la Glossa est, dès la fin du XIIe siècle, le

manuel de base de l’enseignement exégétique et donc théologique, seulement concurrencé par

le recueil des Sentences de Pierre Lombard. La fréquence des citations, explicites ou non, de

la glose jusqu’au XIVe siècle dans la littérature exégétique est extrême. Beaucoup de

commentaires bibliques ne sont en réalité que des reprises, plus ou moins développées, du

commentaire proposé par la Glose.

Quant au second point, il n’est pas moins évident. L’attribution traditionnelle de la

Glose à Walafrid Strabon a fait l’objet d’une remise en cause presque unanime, sans qu’on

parvienne à s’accorder sur une attribution plus certaine. L’opinion de Beryl Smalley, selon

laquelle l’œuvre serait à attribuer à l’école de Laon, autour d’Anselme et de son frère Raoul, a

pour elle de solides raisons, mais elle ne convainc pas unanimement, et se trouve

constamment nuancée par son auteur même256. La date même de sa composition est l’objet de

tous les doutes : si la composition au IXe siècle, opinion qu’accompagnait l’attribution

traditionnelle à Walafrid Strabon, n’est pas attestée par les manuscrits, rien ne permet

d’affirmer avec certitudes que les gloses qui apparaissent au XIIe siècle ne soient pas le fruit

de travaux antérieurs257.

255 Au premier rang d’entre eux viennent les travaux de B. SMALLEY , « La Glossa Ordinaria. Quelques prédécesseurs d’Anselme de Laon », RThAM IX (1937), pp. 365-400 ; ID., The study of the Bible, p. 61 et ss. ; ID., “Gilbertus Universalis, Bishop of London (1128-1134) and the Problem of the Glossa ordinaria”, RThAM VII (1935), pp. 235-262. G. LOBRICHON, « Une nouveauté : les gloses de la Bible », in BTT 4, pp. 95-114. 256 Cette nuance fait l’objet d’un article précis, qui cherche à mettre en lumière les maillons antérieurs à l’école de Laon : B. SMALLEY , « La Glossa Ordinaria. Quelques prédécesseurs d’Anselme de Laon », RThAM IX (1937), pp. 365-400. 257 S’il est très improbable que Strabon soit l’auteur de notre glose, il reste toutefois assuré qu’il est l’auteur de commentaires bibliques ayant adopté la forme de gloses, comme la glose du Lévitique composée à partir de

71

Ces deux acquis, la certitude de l’importance et l’incertitude de la naissance, se

retrouvent à plein en ce qui concerne la glose des Actes. La rareté des autres sources

disponibles sur les Actes, pour les commentateurs médiévaux, conforte la primauté de la

Glose, qui est souvent copiée et utilisée, sans que son auteur nous soit connu avec certitude.

a. Le texte de la Glose

En l’absence d’une édition critique du texte de la Glose, nous avons adopté comme

texte de référence celui de la Glose dite de Strasbourg, lu dans l’édition Adolph Rusch de

1480, dans sa version reprint258. La consultation de quelques manuscrits montre que l’édition

de Strasbourg reproduit une version très courante de la glose médiévale, qui correspond très

largement au texte le plus répandu : c’est le cas d’un manuscrit de la bibliothèque vaticane259

et d’un manuscrit de Cambridge260, tous deux du début du XIIIe siècle ; mais on retrouve

sensiblement le même texte dans les commentaires d’Etienne Langton261 ou de Pierre le

Chantre262, qui faisaient cours la glose à la main. D’après Ermenegildo Bertola263, le texte de

l’édition de Lyon – dont il ne fournit toutefois pas les références – correspond lui aussi au

texte de l’incunable de Strasbourg. On peut ajouter que les deux manuscrits utilisés par

Stegmüller264 ont un incipit et un explicit, cités longuement dans le Repertorium biblicum, qui

correspond très exactement au texte proposé par l’incunable de Strasbourg.

L’édition de Migne265, qui reproduit l’édition de Douai, propose en revanche un texte

légèrement différent : il ne comporte que la glose marginale, et non la glose interlinéaire ; il

ajoute quelques citations supplémentaires d’autres auteurs, comme Tertullien ou

Chrysostome. Or l’apparition de ce dernier, dont les homélies sur les Actes seront inconnues

en Occident jusqu’à la Renaissance, prouve le caractère tardif de la compilation dont

témoigne l’édition de Migne. Ce texte ne remet donc pas en question une constatation de Raban. « Ut quia memoriae tenacitatem in me non cognosco, saltem ad putatia glosslarum recurrens, aliquam eorum quae mihi tradita sunt partem recognoscam. », STRABONIS Epitome commentariorum Rabani in Leviticum, PL 114, col. 795. De meme, Nokter le Bègue témoigne de l’existence de gloses, toujours liées à l’œuvre de Raban : « Si glossulas volueris in totam Scripturam divinam, sufficit Rabanus Magontiacensis archiepiscopus », NOKTERI De interpretibus divinarum Scripturarum liber, PL 131, col. 998. Cela permet à un auteur comme E. BERTOLA (« La Glossa ordinaria biblica ed i suoi problemi », RThAM 45 (1978), p. 46) de revenir à une datation ancienne. 258 Biblia latina cum glossa ordinaria, Facsimile Reprint of the Editio Princeps Adolph Rusch of Strassburg 1480/81, vol. IV, Turnhout, Brepols, 1992. 259 Ms. Vatican, Urb. Lat. 20. 260 Ms. Cambridge, Trinity College, B. I. 34, 435. 261 Ms. Paris, BnF. lat. 14526. 262 Ms. Paris, Maz. 176 (87). 263 E. BERTOLA, « La Glossa ordinaria biblica ed i suoi problemi », RThAM 45 (1978), p. 72. 264 Stegmüller, t. IX, p. 530, n°11831 : Luxembourg, Nat. 77 (XIII ; Aureae vallis), f. 1-95 ; Paris, BnF. lat. 404, f. 127-200. 265 PL 114

72

notre fréquentation des textes : une seule version de la Glose des Actes semble circuler au

moyen âge, ou du moins les variantes sont toujours mineures.

Le texte de l’incunable de Strasbourg, qui correspond donc au texte le plus courant au

moyen âge, occupe soixante pages (pp. 451-510) et inclut aussi bien des gloses marginales

que des gloses interlinéaires. Par rapport aux autres livres du Nouveau Testament, il se

distingue par la relative rareté des gloses qu’il propose : en effet, si les premiers chapitres du

texte biblique sont encore accompagnés d’un certain nombre de gloses, celles-ci se font de

plus en plus rares ; le texte biblique, qui n’occupe d’abord qu’entre un quart et la moitié de la

page, en occupe bientôt la quasi-totalité, et à partir du début du chapitre XVIII, les gloses

marginales sont si peu nombreuses qu’elles n’empiètent plus jamais sur les colonnes centrales

de la page. S’il est fréquent que la densité des gloses se réduise en cours de commentaire, un

phénomène aussi massif n’apparaît jamais pour le Nouveau Testament. Négligés des

commentateurs, les Actes restent, au sein même de la Glose ordinaire, le texte du Nouveau

Testament le moins commenté, et de loin.

Mais si les commentaires sont rares, les auteurs compilés pour les constituer le sont

bien davantage : dans la glose marginale, nous avons relevé six citations d’Augustin, trois de

Jérôme et une de Grégoire. Toutes les autres citations attribuées, précédées de lettres R. et B.

(ou plus rarement Ra. et Be.), viennent de deux auteurs : le pseudo-Raban et Bède le

Vénérable. L’essentiel des gloses marginales anonymes, ainsi que la quasi-totalité des gloses

interlinéaires, sont également issues du commentaire attribué à Raban. Cette domination

écrasante est bien connue des manuscrits, qui la soulignent souvent :

Rabanus et beda magistri necessarii in expositione

précise d’emblée le manuscrit de Cambridge, ce que confirme d’emblée Etienne

Langton au début de son propre commentaire :

Nota quod glose huius libri sunt Bede et Rabani.266

La dépendance à l’égard du pseudo-Raban apparaît encore davantage dans le prologue,

principalement constitué de passage de saint Jérôme, mais qu’on retrouve intégralement dans

le texte du pseudo-Raban : il semble que, comme pour beaucoup de commentaires marginaux

et interlinéaires, le texte de la glose soit une abréviation du texte du pseudo-Raban.

Le petit nombre d’autorités utilisées par la Glose ne doit pas nous surprendre : il est

relativement fréquent dans la glose, et dans ce cas il s’explique logiquement par l’absence,

hormis chez nos deux auteurs, de tout autre commentaire complet pouvant servir de référence.

266 Ms. BnF lat. 14526, f. 174v°.

73

L’attribution du commentaire principal à Raban peut surprendre, mais nous avons vu qu’elle

était unanime au XIIe siècle.

b. L’origine de la glose des Actes

Si les sources utilisées sont particulièrement claires, l’origine de la Glose des Actes se

révèle bien difficile à cerner. Sa datation même est problématique. Nous avons des bornes

relativement assurées pour le terminus ad quem : nous savons qu’elle est antérieure à la fin du

XIIe siècle, période où un texte unique, sensiblement identique au texte de Strasbourg, sert de

référence à plusieurs enseignants, comme Pierre le Chantre ou Etienne Langton ; il semble

que le texte soit alors déjà classique. On peut même, d’après un passage d’Etienne Langon

cité par Beryl Smalley267, faire remonter l’habitude d’enseigner en commentant la glose des

Actes à Gilbert de la Porrée268, dont le texte d’appui serait, sur le point cité par Etienne

Langton, le même texte que la nôtre. Cette notation d’Etienne Langton ferait remonter

l’utilisation de la glose à Paris à la période de l’enseignement parisien de Gilbert de la Porrée,

c’est-à-dire les années 1140 ; nous voici tout proches d’Anselme de Laon, très peu de temps

après la composition par ce dernier de l’essentiel de la Glose du Nouveau Testament. De plus,

si l’anecdote est exacte, elle démontre que déjà à l’époque de Gilbert, la glose n’est pas un

aide-mémoire à destination des seuls enseignants, mais un livre auquel les étudiants ont accès,

et sur lequel ils viennent chercher des éclaircissements auprès de leurs professeurs.

Mais le terminus a quo est bien plus difficile à déterminer : nous n’avons aucune trace

de la glose des Actes avant son apparition à Paris comme ouvrage classique. Si nous n’avons

pas répertorié, loin de là, la totalité des manuscrits contenant la Glose ordinaire, nous n’en

avons pas à ce jour rencontré qui soit antérieur au XIIe siècle. Cette donnée, qui mériterait au

demeurant une vérification plus systématique, n’est pas une preuve, car les manuscrits

peuvent avoir disparu. Mais on ignore jusqu’à la datation exacte de l’une des deux sources

majeures de la glose, le commentaire attribué à Raban. De plus, l’absence presque totale – à

l’exception du seul mais problématique Remi d’Auxerre – de commentaires des Actes qu’on

puisse dater entre le IXe et le XIIe siècle rend très difficile d’examiner l’évolution des

commentaires et la mise en place du texte de la glose ordinaire. Impossible d’en évaluer la 267 B. SMALLEY , art. cit., p. 370. 268 En commentant un passage des Chroniques (II Paral. 4,4 : Et ipsum mare super duodecim boues impositum erat), Etienne Langton précise que c’est sur ce passage que se fonde la glose quand, commentant la liste des douze apôtres (Ac 1,13), elle ajoute à la litanie des types bibliques allant par douze qu’elle égrène, elle ajoute « xii. boues sub aeneo mari » (Strasbourg, p. 453). Si on ne connaît pas la référence, à vrai dire assez difficile, le passage reste obscur, et c’est pourquoi, au dire d’Etienne, un de ses étudiants avait interrogé Gilbert : « Super hoc requisitus Gilbertus Porrecarius respondit se hanc historiam nunquam inuenisse, et ita deceptus est, quia ad memoriam non reduxit hoc ». (Ms. Paris, BnF lat. 14414, f. 93d).

74

(tout hypothétique) progressive mise en place dans les écoles de la fin du XIe siècle, comme

on peut le faire pour les commentaires des épîtres de Paul. On en est réduit à quelques

hypothèses incertaines.

Parmi les attributions faites avec une certaine assurance, les Actes n’apparaissent pas.

Si Beryl Smalley pense pouvoir attribuer avec certitude la version définitive plusieurs livres

de la Glose du Nouveau Testament (le psautier, les lettres de Paul, les évangiles de Matthieu,

Luc et Jean) à Anselme de Laon et à son frère Raoul269, les Actes n’en sont pas ; de même

peut-elle identifier, comme dernier compilateur de la glose du Pentateuque et des Prophètes,

un élève d’Anselme, Gilbert l’Universel. Mais quand elle donne un nom au compilateur de la

glose des Actes, il convient de n’y rien voir d’autre qu’une hypothèse. Beryl Smalley

remarque en effet qu’un manuscrit de la Glose des Actes précise en marge du f. 2 :

Rabanus et beda magistri necessarii in expositione et glosa

magister albericus270

Non sans prudence, Beryl Smalley271 veut voir dans ce maître Albéric le compilateur

de la Glose, à partir des deux auteurs mentionnés, et elle remarque qu’on connaît un Albéric

de Reims, disciple d’Anselme de Laon et proche de Gilbert l’Universel, à qui le rôle irait fort

bien. On remarque toutefois la fragilité de cette séduisante hypothèse : la mention du

magister albericus n’apparaît que dans un seul manuscrit, de la fin du XIIe siècle ou du début

du XIIIe, donc plus tardif, ce qui fragilise l’assurance d’avoir identifié le compilateur ; et,

quand on admettrait qu’il s’agit bien du compilateur, le nom n’a rien de si rare qu’il puisse

être aussi aisément identifié à Albéric de Reims sans autre indice.

Peut-on pour autant aller plus loin, ou proposer d’autres pistes ? Il ne semble pas que

nos connaissances le permettent. Une meilleure identification du pseudo-Raban, ainsi qu’une

connaissance plus précise du texte attribué à Remi, permettront peut-être de progresser dans la

préhistoire de la Glose des Actes, qui nous est pour le moment presque inaccessible. En l’état,

il nous faut accepter de ne la voir apparaître que déjà pleinement constituée quand, sans doute

au milieu du XIIe siècle, elle sert aux maîtres parisiens d’aide-mémoire, et aux étudiants de

manuel.

269 B. SMALLEY , “Gilbertus Universalis, Bishop of London (1128-1134) and the Problem of the Glossa ordinaria”, RThAM VII (1935), pp. 235-262. 270 Ms. Cambridge, Trinity College, B.I.34. La notation marginale est reproduite dans Montague JAMES, The Western Manuscripts in the library of Trinity College, Cambridge. A descriptive catalogue, v. I, Cambridge, University Press, 1900, p. 44. 271 B. SMALLEY , “La glossa ordinaria”, p. 366. Toutefois, dans The Study of the Bible, p. 61, la prudence semble abandonnée et l’attribution à Albéric de Reims presque assurée, sans que les arguments aient évolué entre les deux écrits de Beryl Smalley.

75

2. Richard de Saint-Victor

Au nombre des absents remarqués dans le bal des manquants qu’est l’exégèse des

Actes, on doit signaler l’école victorine, qui a joué un si grand rôle dans le renouveau des

études exégétiques au XIIe siècle : aucun commentaire des Actes, même partiel, ne nous est

parvenu qui sortît de cette matrice pourtant féconde. Nous n’avons guère qu’un sermon

portant sur Ac 12,1-11272, Misit Herodes rex manus, dont l’attribution à Richard de Saint-

Victor n’est elle-même pas assurée, que nous mentionnons ici comme un des rares indices de

la lecture que l’on pouvait faire des Actes au milieu du XIIe siècle, avant les maîtres de

l’école biblique-morale.

Notre biographie de Richard273 est assez imprécise, sans doute parce que sa vie ne

présente pas les reliefs aventureux de quelques autres intellectuels de son siècle, comme

Abélard ou Gilbert de la Porrée. Né très vraisemblablement en Ecosse dans la première moitié

du XIIe siècle274, Richard fut moine à Saint-Victor de Paris, où on ignore s’il eut l’occasion

de suivre les leçons de Hugues (peut-être n’y arriva-t-il qu’après sa mort, en 1141). Un

document nous apprend qu’il est sous-prieur de Saint-Victor en 1159, puis il sera prieur trois

ans plus tard, jusqu’à sa mort en 1173. L’abbaye parisienne connaît alors une période

troublée, marquée par un relâchement que lui reprochera le pape Alexandre III en visite à

Paris, et il semble que Richard ait sur ce point connu des conflits nombreux avec son abbé,

Ervisius, auquel il reproche une trop grande complaisance vis-à-vis des désordres de la

communauté monastique.

L’œuvre laissée par Richard, « certainement le meilleur bibliste du XIIe siècle » (C.

Spicq), est abondante : Carmelo Ottaviano ne compte pas moins de quarante-deux ouvrages

dont l’attribution soit certaine, et sans inclure la correspondance. S’il parvient à distinguer,

pour les besoins d’un classement typologique, des œuvres exégétiques des œuvres

philosophico-théologiques, il nuance aussitôt cette distinction qui n’a encore rien d’évident

pour un théologien du milieu du XIIe siècle :

In realtà, eccettuato il solo De Trinitate, tutte le opere di Riccardo, non esclusi i pochissimi Sermoni,

sono nel senso rigoroso del termine esegetiche, perchè traggono occasione e si svolgono come

272 Le sermon est publié, sous son ancienne attribution à Fulbert de Chartres, dans PL CXLI, 277-306. Le texte reproduit l’édition Galland, dans la Bibl. veterum Patrum, t. XIV, p. 177. 273 Sur Richard, voir C. OTTAVIANO , Riccardo di S. Vittore. La vita, le opere, il pensiero, Rome, Accademia nazionale dei Lincei, 1933 ; C. SPICQ, Esquisse, pp. 128-130 ; B. SMALLEY , The study of the Bible, pp. 106-111. 274 C. OTTAVIANO , p. 5, propose une large fourchette allant de 1114 à 1138, mais sa préférence va vers une date autour de 1123.

76

commento e interpretazione di passi biblici ; pero’ nelle opere della seconda categoria tale carattere è

puramente e manifestamente estrinseco e risponde al gusto letterario dell’epoca.275

A l’inverse, la liste des commentaires de l’Ecriture attribués à Richard est longue et

bien fournie, mais elle recèle beaucoup de discussions d’ordre théologique ; mais on trouvera

par exemple dans les sept livres In Apocalypsim Iohannis276 un commentaire nourri de

références patristiques qui s’appuie largement sur la glose. Malgré la diversité des livres

bibliques abordés par Richard, ce n’est qu’en 1950 que Jean Châtillon y ajouta quelques pages

relatives aux Actes des apôtres277 ; il ne s’agit d’ailleurs pas d’une œuvre proprement

exégétique, mais d’un sermon, à ajouter aux trois sermons déjà repérés par Carmelo

Ottaviano. Jusque-là, ce sermon portant sur Ac 12,1-11 était attribué à Fulbert de Chartres,

dont il constituait la seule œuvre exégétique connue ; Jean Châtillon ne néglige du reste pas

les arguments que la tradition manuscrite présente en faveur de l’attribution traditionnelle à

Fulbert, qui est notamment le fait du manuscrit « le plus ancien, le plus soigné, le mieux écrit

et le plus sûr de tous ceux que l’on a pu repérer jusqu’à ce jour »278, mais s’appuie sur six

autres manuscrits et la critique interne pour rendre sans hésitation le texte à Richard. Henri

Silvestre279, un peu plus tard, ajoute un peu de confusion en apportant des arguments en

faveur de l’attribution à Fulbert, pour conclure : « Est-ce à dire qu’il faille en revenir à

Fulbert ? Je ne le crois absolument pas. Mais une petite preuve supplémentaire en faveur de

Richard ne serait pas malvenue. »

Le sermon, que nous avons lu chez Migne, est un commentaire soigné, précis et

développé, qui s’attache successivement à chaque verset du passage proposé. Il semble qu’il

ait été réellement prononcé, vraisemblablement le jour de la fête de saint Pierre-ès-liens,

puisqu’il mentionne qu’il commente la lecture du jour :

Hodie namque nobis, de more Ecclesiae, apostolorum Actuum lectio recitatur, in qua frater Ioannis

Iacobus gladio narratur occisus, apostolus quoque Petrus et comprehensus legitur et exceptus.280

Nous connaissons donc le jour où le sermon fut prononcé (le 1er août), mais non

l’année : nous n’en avons aucun indice dans le texte, et tout au plus savons-nous que

275 C. OTTAVIANO , p. 14. 276 PL 196, col. 683 et sq. 277 J. CHATILLON , « Misit Herodes rex manus. Un opuscule de Richard de Saint-Victor égaré parmi les ouvres de Fulbert de Chartres », in Revue du moyen âge latin, t. VI, 1950, pp. 287-298. Voir aussi la note complémentaire du même auteur dans la même revue, t. VII, 1952, p. 256, n. 23. 278 J. CHATILLON , p. 293. Il s’agit du ms. Troyes 644, datant de la seconde moitié du XIIe siècle et provenant de Clairvaux. 279 H. SILVESTRE, « Un nouveau manuscrit du Misit Herodes rex manus », in Scriptorium 13 (1959), p. 259. Il ajoute aux recherches de J. Châtillon une mention du catalogue de la bibliothèque de Pontigny, qui possédait au XIIIe siècle un sermo Fulberti Carnotensis episcopi de uinculis s. Petri, qui ne peut guère renvoyer qu’à notre opuscule. 280 PL 141, col. 278.

77

l’essentiel des œuvres de Richard est à dater entre son sous-priorat (1159) et sa mort (1173),

ce qui laisse un éventail assez large.

Le commentaire proprement dit est précédé de remarques intéressantes pour une juste

compréhension de l’articulation des sens de l’Ecriture : ce qui peut être péché au sens littéral

(le meurtre d’Urie par David) ne renvoie pas nécessairement à un péché au sens spirituel

(puisque David est alors figure du Christ). Le commentaire qu’il livre du passage est très

largement allégorique, même s’il se défend de mépriser le sens littéral281 ; mais nous sommes

loin ici du paladin du sens littéral que décrit le R.P. Spicq sur la base de son commentaire de

la vision d’Ezéchiel. Richard fait preuve d’une culture aussi bien classique (il cite des vers

d’Ovide et de Virgile) que biblique et patristique (il a plus d’une fois recours, notamment, aux

Interprétations des noms hébreux de Jérôme), mais il compose un commentaire tout à fait

original de ce passage. Il voit notamment dans le personnage d’Hérode une figure du diable,

et tout le passage va montrer les apôtres – Jacques, puis surtout Pierre – aux prises avec

l’ennemi du genre humain dans un combat spirituel et moral. Il est frappant de constater que

Richard ne dépend pas le moins du monde des deux commentaires qui deviendront, quelques

années plus tard, les commentaires standard, celui de Bède et celui du pseudo-Raban. Ce

dernier282 se contente de brèves gloses d’explicitation, avec quelques notations

grammaticales ; Bède283, de son côté, se concentre essentiellement sur l’aspect historique des

choses, n’hésitant pas à citer Flavius Josèphe ou Clément d’Alexandrie pour débrouiller les

homonymies et les confusions chronologiques possibles.

Il est probable toutefois que Richard connaissait le commentaire de Bède, d’une

manière ou d’une autre. En effet, les deux auteurs se rejoignent fugacement sur un point,

l’interprétation du v. 7 (percussoque later Petro)284. La lecture qu’ils en donnent n’est pas si

originale, ni si littéralement identique, qu’on puisse tout à fait exclure que cette rencontre soit

le fruit du hasard, mais on ne s’explique pas autrement le début de Richard, « sicut iam et ante

nos dictum est », car nous n’avons retrouvée cette explication chez aucun Père hormis Bède. Il

est donc fort probable que Richard se soit délibérément éloigné de Bède, dont les explications

281 Col. 281 : « Sicut supra, beati Jacobi martyrium juxta historiam venerabiliter amplexantes, quomodo juxta internam intelligentiam accipi posit ostendimus, sic nun quoque, servato textu historiae, quomodo juxta eumdem sensum haec beati Petri comprehension intelligi valeat ostendamus. » 282 Ms. de Cambridge, f. 163. 283 CCSL 121, pp. 57-59. 284 Bède commente ainsi : « Percussio lateris commemoratio passionis Christi est, de cuius uulnere salus nostra profluxit » (CCSL 121, p. 58) ; Richard développe davantage : « Sicut jam et ante nos dictum est, percussio lateris commemorationem designat Dominicae passionis. Nam quia aperto latere Redemptoris, sanguis et aqua manavit, quorum unum ad pretium, aliud vero ad lavacrum, recter haec utraque peccatori conversio ad memoriam revocantur, ut et , dignitatem sui pretii perpendens, peccare ulterius dedignetur, et, inquinatus post lavacrum, poenitentiae fontibus iterum baptizetur. » (PL 141, col. 295).

78

lui paraissaient trop étroitement littérales dans ce passage, pour proposer une lecture

allégorique complète et cohérente.

Il convient de noter que ce commentaire de Bède du v. 7 est repris dans la glose

ordinaire. Est-ce par là que Richard l’a connu ? Si l’on en croit Etienne Langton, la glose était

déjà connue à Paris lors de l’enseignement de Gilbert de la Porée, qui est antérieur à celui de

Richard : l’hypothèse n’est donc pas impossible. Mais rien ne permet de l’affirmer. Le

commentaire de Bède a largement circulé, et ce point n’autorise donc aucune spéculation. S’il

a connu la glose, Richard n’y fait aucune référence, et sait s’en détacher sans peine pour

proposer un commentaire original et substantiel. Il diffère en cela de tous les commentaires

postérieurs, toujours extrêmement dépendants de la glose dès les premières pages dépassées.

Mais Richard n’a pas composé un commentaire complet du livre, et son commentaire brillant

n’aura guère de postérité.

3. L’école « biblique morale »

Le renouveau d’études sur les Actes s’affirme réellement avec ce qu’il est convenu

d’appeler, à la suite de Mgr Grabmann285 puis de Beryl Smalley286, l’ « école biblique

morale ». Cette appellation permet de désigner des maîtres parisiens qui, dans le sillage de

Pierre Lombard, ont renouvelé profondément l’étude de la Bible. Beryl Smalley rappelle avec

prudence que ces maîtres (essentiellement Pierre le Mangeur, Pierre le Chantre et Etienne

Langton, mais aussi Pierre de Poitiers) ne forment pas une école à proprement parler :

The word ‘school’ brings us on to dangerous ground. Our three masters represent three overlapping

generations : the Comestor died about 1169, the Chanter in 1197; Langton, who died in 1228, became a

cardinal and left the schools for good in 1206. It would be pleasant to arrange them neatly in order as

masters and pupils; but this is not possible.287

Les maîtres concernés n’en gardent pas moins d’incontestables caractères communs,

en particulier des préoccupations communes, comme le souci du rapport entre la vie

intellectuelle et la prédication, ou l’intérêt pour les questions de morales. Peut-être est-il

même possible de reconstituer plus précisément les relations qui les unissent ; mais ces

reconstructions restent largement hypothétiques288.

285

MGR GRABMANN , Die Geschichte der scholastischen Method, ii, Fribourg-en-Br., 1911, p. 467 et sqq. 286 B. SMALLEY , The study of the Bible in the Middle Ages, Oxford, 1952, p. 196 et sqq. 287 B. SMALLEY , p. 197. 288 L’essai le plus important dans ce sens, qui reconstitue le groupe de Pierre le Chantre, se trouve dans J. W. BALDWIN , Masters, Princes and Merchantes. The Social Views of Peter the Chanter and his Circle, 2 vol., Princeton, New Jersey, 1970.

79

Il faut ajouter à ces auteurs un point commun supplémentaire : les voies par lesquelles

leur exégèse nous est en général parvenue, en particulier l’usage de la reportatio289. Il ne

s’agit plus, comme pour les Pères, d’une dictée que l’auteur corrigera et aura soin

d’uniformiser, pour conserver à son œuvre sa dimension proprement littéraire : la reportatio

n’a aucune prétention à la littérature, mais est au contraire une mise au net, par l’étudiant lui-

même, des notes de cours qu’il a pu prendre pendant la leçon du maître. Le style en est direct,

rapide, sans beauté. Certaines de ces reportationes, toutefois, étaient relues par le maître, et

devenaient la version officielle, tandis que d’autres, qui généralement circulaient moins, sont

des notes « privées ».

a. Pierre Lombard

Intellectuel considérable, qui a profondément renouvelé les études à Notre-Dame de

Paris, où il enseigne à partir de 1143, Pierre Lombard290 (env. 1100-1160) a consacré une

partie de ses nombreux travaux à l’exégèse. Ses commentaires sur les psaumes et les épîtres

de Paul rencontreront un succès considérable, devenant pour un temps le texte de référence291.

Le maître des Sentences n’a toutefois pas écrit de commentaire sur les Actes, du moins

selon toute vraisemblance. Mais le répertoire de Stegmüller (n° 6651) signale un manuscrit, à

Bruxelles292, qui présenterait un Accessus ad Acta de la plume du Lombard. Ce témoignage à

ce jour unique, pour un auteur dont l’œuvre a remporté un si grand succès, semble bien mince.

De plus, il ne peut s’agir, si l’on en croit la notice du répertoire des manuscrits de

Bruxelles293, d’un texte considérable : l’ensemble du Nouveau Testament est couvert par trois

folios. Il ne s’agit que d’une œuvre mineure pour notre propos, et son attribution est

évidemment très douteuse.

J. de Ghellinck, dans un article294 très érudit dont les conclusions n’ont pas été remises

en question, remet en cause l’attribution opérée par ce manuscrit – et par l’auteur du catalogue

289 B. SMALLEY , pp. 201-205. 290 Voir I. BRADY, Magistri Petri Lombardi Sententiae in IV libris distinctae, t. 1, pars. 1 : Prolegomena, Quarracchi, ed. Collegi S. Bonaventurae, 1971 ; Id., « Pierre Lombard », DS t. XII-2, ; J. DE GHELLINCK, Le mouvement théologique au XIIe siècle. Etudes, recherches et documents, Paris, Lecoffre, 1914 ; ID., « Pierre Lombard », DTC, XII-2, col. 1976 ; M. COLISH, Peter Lombard, Leiden-New York-Köln, E. J. Brill, 1994, 2 vol. 291 Sur l’exégèse des psaumes et de Paul du Lombard, voir le chapitre « Sacra pagina », in M. COLISH, op. cit., vol. 1, pp. 155-226. 292 Ms Bruxelles, Bib. royale, 214 (1485-1501). 293

J. VAN DEN GHEYN, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque royale de Belgique, t. 1 : Ecriture sainte et Liturgie, Bruxelles, Henri Lamertin, 1901. La notice qui nous intéresse se trouve p. 97, au n° 7 : « (f. 110-113v). Accessus magistri Petri Lombardi super Mattheum et Novum Testamentum. Inc. Facit Deus duo luminaria. Des. quid sub quo tempore gestum sit evidenter agnoscere possit. » 294 J. DE GHELLINCK, « Les opera dubia vel spuria attribués à Pierre Lombard », Revue d’Histoire ecclésiastique 28 (1932), voir surtout p. 837. Il reprend les mêmes conclusions dans DTC, t. XII-2, col. 1976.

80

des manuscrits de Bruxelles – comme un exemple parmi d’autres de l’attribution aussi fautive

que fréquente du texte de la Glose ordinaire au Lombard, pour des livres qu’il n’a jamais

commentés, le cas des psaumes et des épîtres pauliniennes étant plus complexe. Il semble

qu’il n’ait pas vu qu’il ne s’agit ici que d’introductions au texte du Nouveau Testament, et non

de gloses. Le R. P. Spicq, sans citer ce manuscrit spécifique, avançait d’ailleurs l’hypothèse

que les manuscrits qui attribuent le texte de la Glose au Lombard ne contiennent en réalité de

sa plume que les prologues295, ajoutés avant le texte standard. Mais il faudrait toutefois voir le

manuscrit pour avancer davantage.

b. Pierre le Chantre

Plus importante pour notre propos est l’œuvre de Pierre le Chantre296 (mort en 1197).

Nous ignorons encore beaucoup de choses – notamment son lieu de naissance et, ce qui est

plus grave, tout de sa formation – sur ce maître parisien actif de 1171 à 1196. Chantre de

l’église épiscopale de Paris depuis 1184, candidat malheureux au siège épiscopal de Tournai,

il refuse celui de Paris en 1196, pour accepter la charge de doyen du chapitre de Reims, qu’il

n’aura pas le temps d’exercer avant de mourir.

On regrette qu’une figure aussi riche n’ait pas davantage intéressé les chercheurs, et

qu’on ne dispose comme synthèse de référence que d’un ouvrage de plus d’un siècle. Nous ne

disposons que d’un nombre très réduit d’éditions critiques, dont heureusement depuis peu son

célèbre Verbum abbreviatum297.

Passionné par l’exégèse et la prédication, Pierre semble avoir conçu son travail

intellectuel avant tout comme une explicitation du sens de l’Ecriture. Son œuvre la plus

célèbre, le Verbum abbreviatum, tient tout à la fois de l’essai herméneutique (voire, par

instants, du pamphlet) et du manuel biblique. Il semble avoir été l’un des premiers maîtres à

ne pas se contenter de commenter les psaumes et les épîtres de Paul, mais à avoir étendu son

ambition de commentateur à l’ensemble des livres bibliques : nous sont en tous cas parvenus

sous son nom un très grand nombre de gloses bibliques, « brèves en général, de

développement inégal et de qualité variable »298, d’une tradition manuscrite complexe ;

295 C. SPICQ, Esquisse d’une histoire de l’exégèse latine au moyen âge, Paris, Vrin, 1944, p. 127. 296 N. IUNG, « Pierre le Chantre », DTC t. XII-2, col. 1901-1906 ; J. W. BALDWIN , « Pierre le Chantre », DS, t. XII-2, col. 1533-1538. L’ouvrage de référence reste F. S. GUTJAHR, Petrus Cantor Parisiensis. Sein Leben und sein Schriften, Graz, 1899. Voir également C. SPICQ, Esquisse, pp. 134-135 ; B. SMALLEY , The study of the Bible, pp. 196-263 ; ID., The Gospels in the Schools c. 1100-c.1280, Londres, The Hambledon Press, 1985, pp. 101-118 et passim. 297 CCCM 196, M. Boutry éd. 298 N. IUNG, col. 1904.

81

rapportées par des manuscrits du XIIIe siècle, elles le sont en général sous forme de

reportationes, de notes de cours mises au net.

Un commentaire sur les Actes, sous forme de brèves gloses attribuées à Pierre le

Chantre, nous est parvenu par au moins six manuscrits, cités par Stegmüller (n° 6508), mais

ces manuscrits sont presque tous anonymes. D’après le même répertoire, ces manuscrits

portent sensiblement le même texte, qui commence par Liquefacta est terra [Ps 75,4] : c’est

généralement le cas pour les reportationes de Pierre le Chantre, qui ne présentent guère de

traditions divergentes. Depuis Oudin299, qui les attribue sans hésitation à Pierre le Chantre,

l’attribution n’est guère remise en question. Toutefois, les auteurs de l’Histoire littéraire de

la France300 les attribueraient plus volontiers à un dominicain du XIIIe siècle, Pierre de

Reims301 ; compte tenu des caractères si marqués de l’exégèse « biblique-morale »,

notamment dans le prologue, cette attribution nous paraît extrêmement peu probable. Notons

d’ailleurs que Pierre le Chantre, élu doyen du chapitre de Reims, sera parfois appelé lui aussi

Pierre de Reims.

Le manuscrit dans lequel nous avons lu cette glose302, vraisemblablement du XIIIe

siècle303, présente tous les éléments d’une reportatio d’étudiant ; en particulier, on y trouve

insérée en incise la mention Magister ait, le plus souvent après un développement personnel

de Pierre.

Le prologue du commentaire se distingue de tous ceux que nous avons rencontrés

jusqu’à présent, en s’ouvrant par une citation de l’Ecriture, ce qui donne au prologue l’aspect

d’un petit sermon et caractérise l’exégèse des écoles parisiennes de la fin du XIIe siècle304.

Nous retrouverons par la suite beaucoup d’autres prologues scripturaires, qui suivront le

même schéma. De plus, Pierre inaugure une tradition des prologues de commentaire des Actes

en tirant de sa citation une typologie des livres de l’Ecriture, où l’Ancien et le Nouveau

Testaments sont placés en parallèle, ce qui permet de mettre les Actes en perspective. Ces

typologies seront extrêmement nombreuses, et les Actes n’y occuperont pas toujours la même

place, servant de parallèle tantôt aux Prophètes, tantôt aux Hagiographes ; mais il devient

habituel de les replacer dans l’ensemble de l’économie biblique.

299 OUDIN, De Scriptoribus Ecclesiasticis, II, Paris, 1665. 300 Histoire littéraire de la France, XV, 299-301. 301 L’existence de ce dominicain est attestée par Quétif et Echard, Scriptores ordinis praedicatorum, Paris, 1719, t. I, 116-117. 302 Ms Paris, Mazarine 176 (87), f. 243-256. 303 Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Paris, Bibliothèque Mazarine, t. 1, Paris, Plon, 1886, p. 62. 304 Voir G. DAHAN , «Les prologues des commentaires bibliques (XIIe-XIVe s.) », in Les prologues médiévaux, éd. J. Hamesse, Turnhout, 2000, pp. 427-470 ; ID., L’exégèse chrétienne, pp. 262-271.

82

Pour le reste, Pierre innove moins. On connaît le goût de l’auteur du Verbum

abbreviatum, toujours prompt à critiquer la prolixité des gloses indigestes, pour la brièveté

dans le commentaire de l’Ecriture :

Sacra scriptura est navis nostra, qua transire debemus […] quae non est oneranda saburra, et superfluis

expositionibus, sed sufficientibus et necessariis tantum.305

C’est bien la première caractéristique du commentaire des Actes que contient le

manuscrit : il semble n’être, à première vue, qu’un abrégé du texte standard de la Glose

ordinaire, qui n’est elle-même pas particulièrement prolixe. Il semble bien que la Glose

ordinaire soit la source principale, sinon unique, de l’enseignement de Pierre ; passé le

prologue, qui semble original, sur un thème biblique choisi par le Chantre lui-même, passés

les commentaires des tout premiers versets, plus développés et personnels, le commentaire

n’est guère qu’une lecture de la Glose ordinaire, que le maître a selon toute vraisemblance

sous les yeux quand il fait cours. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le commentaire

proposé par Pierre des versets 7 à 12 du chapitre 20 ; le lemme est en petites capitales, tandis

que le texte en gras se trouve de manière littérale ou quasi littérale dans la Glose ordinaire :

UNA SABBATI, id est die dominico qui est primus a sabbato, scilicet prima sabbati.

PANEM corporalem uel congregati essemus ad spiritalem frangendum et conficiendum.

DISPUTANTE ideo in nocte disputabat et predicabat quia in crastino profecturus erat.

IN MEDIA quam secreta scriptura[rum] prolixa disputatione debemus attignere et eadem propter

infirmos lampade plene expositionis illustrare. Allegorice: cenaculum altitude carismatum, nox

obscuritas scripturarum, lampades expositions secretorum, dies dominica recordation

resurreccionis Christi uel nostre.

SUPER FENESTRAM historice uel mistice fidem.

SOMPNO corporali uel spiritali

MERGERETUR opprimeretur

DISPUTANTE per infirmitatem fidei

DIU Hec est causa sompni : longitudo disputationis. Non est ergo dormiendum inter uerba pauli

que singula sunt omnia, ne cum cum Eutico cadamus et moriamur.

EUTICUS amens uel fortunatus intrepretatur.

CECIDIT historice uel mistice.

DE TERCIO CENACULO tria sunt cenacula, fides, spes et caritas. Supremus caritas a quo cecidit

Euticus. Quia maior his est caritas qui hanc deserendo inter uoces apostoli dormitaer ceperit iam

inter mortuos computatur. Et uno enim offendens omnium est reus.

SUBLATUS de terra uel prauitate sensus.

MORTUUS carne uel spiritu.

305 PETRI CANTORIS Verbum abbreviatum (PL 205, col. 26). On trouverait dans cet ouvrage au titre déjà significatif bien d’autres remarques en ce sens. Ainsi, col. 24 : Fastidientis stomachi est multa degustare : quae, ubi varia sunt et diversa, inquinant, non alunt.

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DESCENDISSET de cenaculo uel compaciendo.

INCUBIT ET COMPLEXUS EST. Hoc est quod Paulus dicit : Filioli quos iterum parturio donec Christus

formetur in uobis [Ga 4,19, version patristique]. Operiosior enim est suscitatio eorum et

laboriosior qui per negligentiam peccant quam qui per infirmitatem. Et hi, scilicet negligentia

peccantes et gravius, per Euthicum, illi per Thabitam a Petro suscitatam exprimuntur. Ideo illa in

die moritur, hic in nocte.

IN EO EST. Qui iam rediit per orationem apostoli.

PANEM cibum sed paruum.

IN LUCEM mane

PROFECTUS scilicet apostolus.

CONSOLATI, passive legendum.306

L’extrême dépendance vis-à-vis de la Glose, à la fois interlinéaire et marginale, est

flagrante. Si son texte n’est pas une copie de la Glose, c’est simplement parce que, bien

souvent, il l’abrège et n’en retient que les premières lignes, mais l’apport original est ici nul.

C’est tout juste, dans ce passage, si le Chantre s’autorise quelques rares notations

personnelles, jamais pour donner plus qu’une explicitation du texte (il précise que le sujet de

profectus est bien l’apôtre) ou un synonyme de tel ou tel terme (opprimeretur pour

mergeretur) ; et il précise d’emblée, ce que la Glose ne fait que quelques lignes plus bas, que

le jour où se déroulent les événements est un dimanche. Le contenu de son explication n’est

pas très différente de celui de la Glose, dont il ne cherche pas, en en sélectionnant des extraits,

à gommer tel ou tel aspect : commentaire littéral et commentaire spirituel, en particulier, y

cohabitent harmonieusement.

On sait par ailleurs que Pierre le Chantre peut se montrer, dans ses commentaires

bibliques même, plus original ; mais nous remarquons que, de même que les Actes n’avaient

guère inspiré les Pères, ils ne poussent guère les commentateurs du XIIe siècle à l’originalité :

le commentaire standard de la Glose n’a jamais tant d’autorité que dans ce contexte.

Pour être cependant tout à fait juste, il convient de préciser qu’au sein de ce même

commentaire, Pierre sait se montrer plus créatif, ou du moins capable d’apporter une référence

d’autorité qui ne lui soit pas transmise par la Glose. Il arrive parfois qu’au détour d’une page,

on aperçoive fugitivement le contexte vivant de l’enseignement de Pierre. Ainsi, au f. 248 v°

du même manuscrit, sur Ac 10,14, alors que le développement antérieur est tout aussi

commandé par la Glose, paraît soudain une question qui semble interrompre le maître – bien

qu’il nous soit impossible de déterminer avec certitude s’il s’agit d’une question d’un étudiant

ou d’une question rhétorique posée par Pierre lui-même :

306 Ms Paris, Mazarine 176 (87), f. 252 v°. C’est nous qui ponctuons et ajoutons les majuscules pour faciliter la lecture.

84

ABSIT Sed nonne indutus uirtute ex alto ? quomodo ergo ignorabat hec animalia esse mactanda ?

R[esponde]o : licet plenus spiritus scilicet hoc sciret tamen ne scandalum preberet iudeis per transitum

ad gentes et quia adhuc etiam horrebat cibos comunes et quia timebat ire in gentes propter crudelitatem

eorum, et ut manifestius dominus ei euangelium ad gentes. Magister ait.

La réponse est originale, du moins dans sa formulation, et ne répond pas à une

question traditionnelle. Sa forme interrogative invite à la rapprocher d’un texte célèbre de

Pierre le Chantre sur la méthode d’explication de l’Ecriture :

In tribus consistit exercitium sacrae Scripturae : circa lectionem, disputationem et praedicationem.

Puis il continue :

Post lectionem igitur sacrae Scripturae et dubitabilium, disputationum et inquisitionum, et non prius,

praedicandum est.307

Dans le schéma tripartite que Gilbert Dahan met en évidence dans ce programme308,

on constate que la question ici posée entre dans la première étape, l’explicitation du texte

biblique (les « questions simples », qui ne nécessitent pas de développements théologiques

très élaborés). Il semble bien que le cours donné par le Chantre sur les Actes des apôtres n’ait

pas entendu aller plus loin, et se soit limité à une explication, largement fondée sur la Glose

ordinaire, du texte biblique.

c. Etienne Langton

L’autre grand nom de ce courant d’exégèse, Etienne Langton, une des personnalités

majeures, parmi les plus influentes et peut-être les plus attachantes de son temps, dépasse

Pierre le Chantre par l’ampleur de son œuvre biblique. Etienne Langton a-t-il été l’élève de ce

dernier ? Si les chercheurs ne s’accordent pas sur ce point, le travail de Baldwin, en cherchant

à prouver cette relation de maître à élève, met au moins en lumière la grande proximité des

deux auteurs entre eux.

On connaît relativement bien l’histoire d’Etienne, né en Angleterre entre 1150 et 1155,

puis venu faire ses études à Paris, où il enseigne sans doute dès 1180. Après ses années

d’enseignement, il sera élevé cardinal et archevêque de Cantorbéry, et jouera dans l’histoire

anglaise un rôle insigne qui a attiré sur lui le regard des chercheurs309 ; son œuvre

307 PL 205, col. 25. Nous acceptons pour le second texte la correction opérée par G. Dahan à partir du manuscrit BnF lat. 3247, fol. 1 vb (in G. DAHAN , L’exégèse chrétienne de la Bible, p. 97) 308 G. DAHAN , op. cit., p. 97: « Que les questions nées du texte biblique même (ce que j’appelle les « questions simples ») continuent à être totalement intégrées à l’explication du texte, mais que la disputatio elle-même s’en est séparée. […] Un schéma se dessine : 1) lectio + dubitabilia ; 2) disputatio, inquisitio ; 3) praedicatio. » 309 Sur le rôle politique d’Etienne, voir en particulier F.M. POWICKE, Stephen Langton, Oxford, 1928. Pour une approche plus générale et une bibliographie abondante et à jour, on lira R. QUINTO, ‘Doctor nominatissimus’. Stefano Langton († 1228) e la tradizione delle sue opere, Münster, Aschendorff, 1994 (la bibliographie proprement dite va des pp. ix à xxvii). Voir aussi A. LANDGRAF, Introduction à l’histoire de la littérature

85

d’enseignant est également considérable, se composant d’au moins une Somme (Summa de

vitiis et virtutibus)310, d’un bref commentaire des Sentences, de nombreuses questiones, de

sermons et surtout d’innombrables commentaires bibliques311. Ces derniers, pour l’essentiel

inédits312, posent de nombreux problèmes d’attribution, dus à une tradition manuscrite riche

et passablement complexe : beaucoup de manuscrits lui attribuent des commentaires différents

pour un même livre biblique ; le fait que ces commentaires, généralement donnés au cours

d’un enseignement oral, nous soient parvenus par des reportationes, ajoute une difficulté

supplémentaire, car un même commentaire peut connaître des versions divergentes. Beryl

Smalley propose, sur la base de nombreux manuscrits de commentaires bibliques, une clef

pour y voir plus clair : certains manuscrits rendent compte de l’interprétation littérale, d’autres

de l’interprétation spirituelle, tandis que d’autres encore sont des commentaires complets.

Est-ce le cas pour les Actes ? La solution serait séduisante, car sur le second livre de

Luc, nous disposons de deux textes nettement différents, mais attribués tous deux à Etienne,

par une tradition manuscrite qui n’est toutefois guère abondante. Mais en regardant ces deux

textes d’un peu plus près, cette remarque n’est pas transposable aux Actes.

Le premier de nos deux textes est rapporté par une grande majorité de manuscrits

anonymes ; mais l’attribution est attestée par deux manuscrits313. Il s’ouvre par un prologue

scripturaire partiellement original, formé sur le modèle de celui de Pierre le Chantre, replaçant

lui aussi les Actes au sein d’une typologie des livres bibliques, mais fondé sur un verset

différent, venu cette fois du Cantique (Mandragore in portis nostris dederunt odorem suum).

Il s’agit d’un commentaire très bref, qui passé les premières lignes du prologue ne présente

guère d’intérêt : les commentaires des lemmes sont peu nombreux, et dans leur quasi-totalité

ils viennent de la Glose ordinaire, mais très abrégée. S’il ne s’agit pas en toute rigueur d’un

commentaire littéral – car quelques notations empruntées à la Glose ont un caractère plus

spirituel –, la très grande majorité des commentaires ne sont que des explicitations, sans

théologique de la scolastique naissante, trad. par L.-B. Geyer, Montréal et Paris, Université de Montréal, Publications de l’Institut d’Etudes médiévales, 1973, pp. 167-172. 310 Il semble que la Somme de théologie « Breues dies hominis », que le ms. Bamberg, Staatsbibliothek, Patr. 136 attribue explicitement à Etienne ne puisse être son œuvre (sur ce sujet, voir R. QUINTO, op. cit., pp. 43-53). 311 L’œuvre biblique d’Etienne a été particulièrement étudiée par B. SMALLEY , dans The study of the Bible, pp. 196-263 ; ID., « Stephen Langton and the four senses of Scripture », in Speculum 6 (1931), pp. 60-76 ; l’article de référence reste G. LACOMBE/B. SMALLEY , « Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton », AHDLM 5 (1930), pp. 5-182. 312 On ne dispose à ce jour que du bref commentaire du livre de Ruth (G. LACOMBE/ B. SMALLEY , art. cit., pp. 86-126) et du commentaires des Chroniques (éd. par A. Saltman, Stephanus de Linguatona – Commentary on the Book of Chronicles, Bar-Ilan University Press, Ramat-Gan, 1978). 313 Voir la liste des manuscrits dans Stegmüller, n° 7905. Nous l’avons lu dans Paris, BnF lat. 14526.

86

grande portée ni érudition particulière. Il ne s’agit nettement que d’une lecture cursive des

Actes, tout juste appuyée à l’occasion sur quelques explications de la Glose ordinaire.

Quant au second commentaire, rapporté par un unique manuscrit difficile à lire314, il ne

s’agit pas à proprement parler d’un commentaire des Actes des apôtres, mais de la Glose des

Actes. Le texte biblique est parfois l’objet d’un lemme souligné, mais il est immédiatement

suivi d’un second lemme, souligné lui aussi, introduit par le signe « G », naturellement pour

Glossa. Le texte de la Glose, interlinéaire ou marginale, est noté de manière extrêmement

abrégée, à tel point qu’il est impossible de lire le manuscrit sans avoir devant soi le texte de la

Glose ; il est ensuite expliqué, sans y apporter de nouveautés particulières. La technique du

surcommentaire, de la glose sur la Glose, n’est pas fréquente ; elle authentifie pourtant

davantage encore le commentaire, car on connaît d’Etienne Langton une habitude similaire :

ses commentaires sur les lettres de Paul n’en sont pas, mais commentent en réalité la Magna

glossatura, la Glose augmentée de Pierre Lombard. Nous n’avons pas, ici, de Pierre Lombard,

pas de maillon intermédiaire qui aurait augmenté le texte de la Glose, mais c’est bien en la

commentant – et non plus, comme dans le cas du premier commentaire, en commentant le

texte biblique avec l’aide de la Glose – qu’Etienne Langton cherche déployer sa propre

pensée.

L’influence d’Etienne Langton sur ses contemporains et l’exégèse successive est

incontestable, mais elle est à peu près nulle dans le cas des Actes. La faiblesse du

commentaire qu’il en propose, encore plus sommaire que ne l’était le commentaire de Pierre

le Chantre, constitue un indice supplémentaire du relatif désintérêt de l’école biblique-morale

pour le deuxième livre de Luc.

d. Historia scolastica et Historia apostolica

Le moyen âge scolaire et universitaire, dit-on souvent, a trois livres de chevets : la

Glose ordinaire pour l’exégèse, les Sentences de Pierre Lombard pour la théologie et

l’ Historia scolastica pour l’histoire sainte315. L’auteur de cette dernière œuvre, Pierre le

Mangeur, en écrivant ce résumé de toute l’histoire du salut depuis la création du monde

jusqu’au temps des apôtres, a donné au moyen âge un instrument de transmission culturelle

central, qui précède et bien souvent ordonne la lecture même du texte biblique. Il en

314 Il s’agit du ms. Avranches 36, ff. 251-260. Notons que le même manuscrit contient d’autres commentaires bibliques d’Etienne, généralement à portée morale. 315 La comparaison de ces deux derniers ouvrages se trouve explicitement chez Etienne Langton, cité par B. SMALLEY , The study of the Bible, p. 214 : Blesse dis the man… that lodgeth near her house and fasteneth a pin in her walls, as they do who hand down some writings on Scripture, the Manducator who compiled the Histories, the Lombard who established the Sentences.

87

sélectionne des extraits importants, en résume d’autres, explique et parfois commente les

livres révélés dont il résout par avance les difficultés ; il doit aussi combler les vides et

présenter une chronologie concordant avec l’histoire de l’humanité, incluant l’enlèvement

d’Hélène ou les combats d’Hercule. On trouverait dans cette Histoire bien des notations

curieuses qui prêteraient à sourire316 ; mais son importance, signalée par exemple par les

commentaires317 qu’en feront bientôt les meilleurs esprits, comme Etienne Langton, est

considérable. Puisque la période couverte par les Actes des apôtres fait partie de l’ouvrage,

nous ne pouvons le négliger : par lui, bien des étudiants ont approché et lu le livre des Actes.

Toutefois, sur cette partie – la dernière – de l’Historia scolastica318, une difficulté

d’attribution a été soulevée et presque résolue par Philip Moore319. Dans son épître

dédicatoire à l’archevêque de Reims Guillaume aux Blanches-Mains, Pierre le Mangeur ne

prétendait pas inclure cette période dans son œuvre :

Porro a cosmographia Moysi inchoans riuulum historicum deduxi usque ad Ascensionem Saluatoris.320

Plusieurs manuscrits anciens présentent cette dernière partie comme distincte, et les

premières Glossae in historiam scolasticam, notamment celle d’Etienne Langton, s’arrêtent à

la fin de l’Evangile. De plus, deux manuscrits anglais321 proposent, pour l’Historia Actuum, le

nom d’un autre auteur que le Mangeur, et le second précise “commentarium magistri

Pictauensis”. Cette indication, selon Moore, ne peut guère s’appliquer qu’à Pierre de

Poitiers322, et plus précisément (car on en mentionne plusieurs) au Pierre de Poitiers qui fut

chancelier de Paris. Mgr Landgraf s’est rallié à cette attribution, et après lui la plupart des

auteurs ; en l’attente d’une édition critique des deux ouvrages, nous estimons cette attribution

comme fiable.

Né à Poitiers entre 1125 et 1135, il fut élève du Lombard à Paris avant 1158. Il

reprend en 1169 la chaire de théologie du Mangeur, et devient en 1193 chancelier de Paris,

avant de mourir en 1205. Les premiers manuscrits comportant l’Historia apostolica peuvent

être datés de 1183, ce qui oblige à en supposer la composition un peu avant, au cœur des

années d’enseignement de Pierre de Poitiers à Paris.

316 Un tel relevé, non exhaustif, se trouve chez C. SPICQ, Esquisse, pp. 132 et 133. 317 R. MARTIN, « Notes sur l’œuvre littéraire de Pierre le Mangeur », in Recherches de théologie ancienne et médiévale, 1931, pp. 45-66. 318 PL 198, col. 1645-1722, sous le titre Historia Actuum apostolorum. 319 PH. MOORE, The work of Peter of Poitiers Master in Theology and Chancellor of Paris (1193-1205), coll. Publications in Medieaeval Studies, Notre-Dame, Indiana, 1936. 320 PL 198, col. 1053-1054. 321 Cambridge, Corpus Christi College 313 (XII) f. 61-62; London, Brit. Museum, Stowe 5. 322 J. LONGERE, « Pierre de Poitiers, chancelier », DS, XII-2, col. 1639-1648. Voir J. DE GHELLINCK, Le mouvement théologique au XIIe siècle ; M. LANDGRAF, Introduction, pp. 142 et 145 ; C. SPICQ, Esquisse, p. 138 ; B. SMALLEY , The study of the Bible, pp. 214 et 215. L’étude fondamentale reste celle de PH. MOORE, déjà citée.

88

Reprenant docilement le genre littéraire de l’Historia scolastica, Pierre de Poitiers

propose essentiellement un résumé des Actes, dont il n’hésite pas à citer souvent des extraits.

Mais il a également recours avec fréquence aux historiens païens ou à Josèphe, pour rédiger

de longs passages historiques, par exemple sur les relations d’Hérode avec Tibère et

Caligula323 ; puis il revient à son résumé, qu’il reprend presque chaque fois par la même

formule :

Nunc redit historia ad ordinem suum.

Fidèle là encore à son prédécesseur, il commente et prend partie entre les diverses

opinions en présence. On n’est guère surpris de constater que les autorités qu’il cite le plus

volontiers sont, explicitement, Bède et « Raban »324 ; et l’on remarque que d’ordinaire, ces

références sont toujours présentes dans la Glose, où Pierre les a très probablement trouvées

sans recourir au texte lui-même : les manuels scolaires servent à l’élaboration d’autres

manuels... Pour autant, il serait tout à fait injuste de ne voir dans l’ouvrage qu’une

réélaboration de la Glose : Pierre a recours à des sources originales, non seulement

historiques, mais encore exégétiques. Il peut citer par exemple Ambroise de première main,

ou du moins sans recours à la glose325.

e. Pierre de Riga

Arator avait donné un premier exemple de poésie exégétique : si son exégèse a

remporté, comme nous l’avons constaté, un succès incontestable chez les commentateurs

postérieurs des Actes, la forme littéraire employée n’a guère suscité de vocation d’imitateurs.

On ne compte pas, à notre connaissance, d’autre commentateur en vers des Actes des apôtres ;

mais il convient de signaler, avec l’école biblique-morale, un auteur plus marginal, qui n’est

pas à proprement parler un exégète, Pierre de Riga (env. 1140-1209). Ce chanoine régulier de

Saint-Denis, à Reims, est l’auteur de l’Aurora, une paraphrase versifiée de la Bible qui se

323 Cap. LIII-LXIV : PL 198, col. 1680-1689. 324 On trouvera un exemple de ce double patronage au chap. LI, col. 1679, où Pierre paraphrase et commente Ac 11 : Super hunc locum dicit Beda, quia post revelationem sindonis coepit Ecclesia cesscere. Unde conjicitur quod speciem sindonis, vel lintei, vidit Petrus in visione, cum alibi dicatur vas fuisse, alibi discus. Delatum est autem ad aures Ecclesiae, quae erat Hierosolymis de conversione Antiochenorum, et volentes plenerer certificari, miserunt Barnabam in Antiochiam. Qui cum venisset et videret gratiam Domini, gavisus est et exhortatus est omnes, ut in propositio cordis manerent in Domino, quia erat vir bonus, plenus Spiritu sancto et fide. Et dicit super hunc locum Rabanus, Barnabam ideo multipliciter commendatum, ne putetur pro indignatione sua amisisse apostolatum. Et erat Rabanus in ea opinione, secundum quam dicitur Barnabas, ille super quem projecta est sors cum Matthia, postea tamen cum Paulo in apostolatum electus est. Nos aliam sequimur opinionem. 325 Ainsi PL 198, col. 1676 : Nam, ut dicit Ambrosius, in catechismo fit trina interrogatio, scilicet credis in Deum ? abrenuntias Satanae ? vis baptizari ? Similiter trina unctio, in vertice, sive fronte ; in scapulis, in pectore ; in baptismo quoque fit trina immersio.

89

présente comme le pendant poétique de l’Historia scolastica. Son succès fut immense : plus

de quatre cents manuscrits nous en présentent le texte, qui a fait l’objet d’une édition

critique326. Son éditeur, Paul E. Beicher, est parvenu à en éclairer la genèse : le poème a fait

l’objet de plusieurs éditions successives, chaque fois plus complètes. Les Actes des apôtres

sont intégrés à l’ensemble à la troisième édition, et l’ajout est en hexamètres rimés, tandis que

la plupart des livres précédemment paraphrasés l’avaient été en distiques élégiaques. Du

vivant même de Pierre Riga, l’œuvre a fait l’objet de divers remaniements et compléments de

la part d’un diacre parisien, Gilles. Cette œuvre est la plus notable d’un mouvement plus

important de renouveau de la poésie didactique et biblique, sensible dans la deuxième moitié

du XIIe siècle327.

Les livres bibliques sont diversement mis en vers, mais aussi diversement commentés :

certains font l’objet de véritables exégèse, mais ce n’est pas le cas des Actes des apôtres.

Contrairement à Arator, qui ajoutait systématiquement une interprétation, généralement

allégorique, du passage mis en vers, Pierre de Riga intervient très peu dans le récit. Tout au

plus trouve-t-on ici ou là quelques épisodes absents du texte de Luc, comme l’ordination de

Jacques comme évêque de Jérusalem, ordination que lui procurent Pierre et les fils de

Zébédée328. Ce détail est absent du texte biblique, mais il est revanche dans l’Historia

apostolica de Pierre de Poitiers, dont le texte de Pierre de Riga n’est qu’une simple mise en

vers329. On pourrait multiplier les exemples de ces reprises, comme l’excursus sur l’autel au

Dieu inconnu du discours de Paul aux Athéniens. L’effort exégétique de Pierre de Riga, qui

n’est jamais profondément original, est dans le cas des Actes à peu près nul : c’est une reprise

très proche du manuel d’histoire sainte le plus répandu.

Enfin, si l’on en croit Paul Beichner, l’apport de Gilles de Paris sur les Actes se limite

à l’ajout d’un court prologue, qu’il donne dans l’apparat critique (p. 626). 326 Aurora: Petri Rigae Biblia Versificata. A Verse Commentary on the Bible, P. Beichner éd., University of Notre-Dame (Indiana) Press, 1965, 2 vol. Cette édition est précédée d’une introduction substantielle (pp. xi-lv) qui fait le point sur l’état de nos connaissances concernant Pierre de Riga, et présente les différents états de la publication de l’Aurora. Une bibliographie précise est donnée à la fin du second vol., pp. [65]-[70]. 327 Sur ce renouveau, voir. C. SPICQ, Esquisse, p. 72. 328 Vers 315 à 323, p. 639 : Iacobus Alphei sancte fit episcopus urbis Vt regnat et presit que crediderant ibi turbis. Imponendo manus Petrus hunc in honore sacrauit, Et Iacobus cum fratre suo quem Christus amauit. Absque minore trium numero quod nemo sacrari Debet pontificum solet hac ratione probari. Doctores fidei uim passi gentis inique Preter apostolicum cetum sparguntur ubique. 329 Qu’on en juge par le texte de l’Historia que propose Migne (PL 198, col. 1668) : Tunc apostoli praevidentes, quod ad gentes in posterum essent transituri, providentes fidelibus, qui erant in Jerusalem remansuri, ordinaverunt Jacobum Alphaei episcopum Hierosolymorum, et imposuerunt ei manus Petrus, et Jacobus, et Joannes. Ideo non a paucioribus quam tribus episcopis, episcopus hodie consecratur.

90

En conclusion, on demeure frappé de l’influence considérable de la Glose des Actes

sur l’ensemble de la production exégétique sur le livre que produira la deuxième moitié du

XIIe siècle. Cette influence n’est pas propre à l’exégèse des Actes, mais elle prend ici une

coloration particulière, car la Glose n’est pas seulement la source principale : elle est souvent

unique, et semble permettre aux meilleurs exégètes de ne pas produire le moindre

commentaire propre sur le livre. Le désintérêt de l’exégèse scolaire vis-à-vis des Actes des

apôtres est patent : les exégètes victorins, si actifs dans le renouveau de la réflexion et de

l’activité exégétiques, n’y consacrent pas un seul commentaire, tandis que l’école « biblique-

morale » ne se risque guère au-delà des jalons posés par la Glose au début du siècle.

Les commentateurs de l’école biblique-morale se différencient à l’évidence de leurs

prédécesseurs, en ce qui concerne les Actes, par un souci de brièveté, par un abandon du souci

d’exhaustivité si marquants chez Bède et surtout le pseudo-Raban. Dans les cours, qui

constituent l’essentiel de notre matériau exégétique, le temps consacré aux Actes est compté,

et il ne semble guère généreusement accordé ; il ne s’agit d’ailleurs plus de trouver dans le

texte biblique un objet de méditation, mais, à l’évidence quand il s’agit des Actes, de

comprendre. La dimension scolaire est nettement sensible. Or, cette priorité donnée à la

compréhension explique certainement la faible créativité des commentateurs : les Actes, qui

racontent une histoire suivie, ne sont pas difficiles à comprendre. Le texte ne mérite que

quelques explicitations de détail, mais la lecture solitaire en est globalement aisée. Tout au

plus peut-on la faciliter ou la compléter : on n’est plus alors dans le commentaire, mais dans

la paraphrase, comme dans les cas de l’Historia apostolica ou de l’Aurora.

Cela explique certainement le désintérêt relatif de l’école biblique-morale vis-à-vis des

Actes. Ce désintérêt reste toutefois surprenant : alors même que le mouvement canonial et le

renouveau monastique cistercien ont remis peu avant à l’honneur la vita apostolica, l’intérêt

de la société pour la vie des Apôtres racontée par la Bible ne semble pas pénétrer les cercles

universitaires.

91

B- Les commentaires des Actes dans le premier XIIIe siècle – Regards

sur la vita apostolica

Le début du XIIIe siècle nous présente des commentaires assez différents, que nous

avons par commodité groupés dans des ensembles parfois disparates : les maîtres séculiers,

notre premier groupe, ne forment pas une école distincte, et les commentaires qu’ils

produisent peuvent être très variés ; plus cohérent en revanche est notre second ensemble,

celui des premières générations des frères prêcheurs.

1. Les maîtres séculiers

a. Adam de Courlandon

Le premier commentateur du XIIIe est un homme surprenant, à l’œuvre aussi isolée

qu’attachante et qui, à bien des égards, se rattache encore au siècle précédent. C’est du reste à

la fin du XIIe siècle qu’Adam de Courlandon330 a reçu sa formation intellectuelle, dans

l’entourage de Michel de Corbeil ; comme ce dernier, il sera élu doyen de Laon, probablement

en 1196. La ville, centre intellectuel ancien, avait rayonné d’un incontestable éclat au début

du siècle, sous la conduite des frères Anselme et Raoul, au temps de la formation de la Glose

ordinaire ; mais son importance n’avait cessé de décliner, en particulier devant le

développement de l’enseignement parisien, et les cours dispensés par Adam n’auront jamais

l’influence de ceux de ses prédécesseurs.

Si les auteurs de l’Histoire littéraire de la France nous renseignent abondamment sur

la vie aventureuse de ce doyen emprisonné dans les geôles tristement célèbres du sire de

Coucy pour avoir résisté à ses brigandages, ils restent en revanche plus discrets sur sa

production intellectuelle. Il semble qu’il ait travaillé, comme doyen, au règlement de

questions liturgiques, mais sa part dans les modifications qui lui sont parfois attribuées reste

sujette à débat. Mais son travail d’exégète est bien attesté, par un petit nombre de manuscrits

de la région de Laon : il est l’auteur de questions théologiques tirées de l’Ecriture sainte, selon

une pratique scolaire courante, d’un commentaire du Pentateuque, d’un commentaire de

Matthieu et d’un commentaire des Actes des apôtres331.

Difficile de dater ce commentaire dans la carrière du doyen. On sait toutefois que ses

Variae in sacram scripturam solutiones, dédiées à Michel de Corbeil, archevêque de Sens, se

330 Sur Adam, voir G. MOLLAT , « Adam de Courlandon », DHGE I, p. 472 ; Histoire littéraire de la France, vol. 17, pp. 334-336. 331 Ce commentaire nous est parvenu par un manuscrit, le ms. Laon 152.

92

placent nécessairement entre 1194 et 1199 ; cela indique un intérêt d’Adam pour les questions

de théologie biblique dès le début de sa charge de doyen, mais il est difficile d’en tirer des

conclusions pour notre commentaire, qui ne peut guère être daté plus précisément que de la

fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe.

Le commentaire des Actes laissé par Adam est curieux à plus d’un titre. Il s’ouvre par

un prologue scripturaire, sur la citation incorrecte d’Ex 5,3 : Ibimus itinere trium dierum non

noctium ut sacrificemus domino deo nostro. Mais si, par là, il semble sacrifier aux habitudes

et aux méthodes des maîtres parisiens, il s’en affranchit immédiatement et, semble-t-il,

joyeusement, pour annoncer simplement, à la manière d’une comptine d’enfant, qu’il entend

être bref et utile ; d’emblée, les considérations scientifiques que les autres commentateurs

s’efforcent de développer en ouverture sont ignorées. Il annonce en revanche un plan en trois

parties, en l’honneur de la Trinité :

Nam iste tractatus per tres libros distinguitur ut deus trinus trino sacrificio honoretur. In primo autem

libro agitur de operibus christi. In secundo de operibus apostolorum et maxime Petri. In tercio de

operibus Pauli.332

Suit une longue liste des chapitres à venir, qui annonce plus précisément ce que sera

l’ouvrage : une longue et paisible promenade spirituelle au bord des Actes des apôtres,

agrémentée de nombreux petits détours charmants, dans un latin parfois approximatif. Adam,

qui promettait d’abord d’être bref, est des plus prolixes, mais pas des plus denses : à chaque

idée, il consacre un petit chapitre, qui prend la forme d’une méditation. Qu’il lui donne la

forme d’une question ne doit pas tromper le lecteur pressé, et faire croire que l’ouvrage est

une suite de questions théologiques exposées à propos du texte biblique, comme le XIIe et

plus encore le XIIIe siècles nous en fournissent des exemples : les chapitres d’Adam ne sont

pas théologiques, au sens que le mot commence alors à prendre, mais sont bien davantage une

approche savoureuse de l’Ecriture.

Adam connaît les travaux de ses prédécesseurs, ou du moins la Glose ordinaire, à

laquelle il se réfère parfois explicitement. Mais, sans prétendre à une profonde originalité sur

le fond, il s’écarte très fortement de tous les commentaires antérieurs : il ne reprend pas le

plus souvent les explications de la Glose, contrairement aux autres commentateurs de la fin du

XIIe siècle. De plus, formellement, son commentaire est une suite de brefs chapitres qui

offrent chacun une méditation sur un thème, ne développant chaque fois guère plus d’une

idée ; mais ces chapitres mis bout à bout forment un récit à peu près continu de l’histoire des

Actes, en incluant il est vrai de très nombreux excursus.

332 Ms. Laon 152, f. 1.

93

Ce commentaire ne nous est parvenu que par un seul manuscrit, contemporain d’Adam

et conservé à Laon, qui pourrait bien être le manuscrit original. Si cela n’autorise pas de

conclusion définitive, il semble toutefois probable que ce commentaire n’a pas rencontré un

vaste succès dépassant le cercle des étudiants de Laon.

b. Gauthier de Château-Thierry

Originaire lui aussi de l’actuel département de l’Aisne, Gauthier de Château-Thierry333

est moins bien connu des historiens que son aîné. Il n’apparaît qu’en 1246 : il est alors déjà

maître en théologie, et chancelier de l’université de Paris ; c’est à ce titre qu’il intervient dans

la condamnation du Talmud. Au printemps 1249, il est élu évêque de Paris, mais son

épiscopat ne durera guère : il meurt le 23 septembre de la même année.

On connaît plusieurs œuvres de cet enseignant du monde parisien, listées par Palémon

Glorieux : des Quaestiones theologiae, des sermons et plusieurs commentaires bibliques. Pour

tous ces derniers, sur les évangiles de Matthieu, de Marc, de Luc ou sur le Cantique, Glorieux

propose une datation approximative, mais il y renonce en revanche pour le seul commentaire

des Actes. Ce commentaire nous est rapporté par un manuscrit334 qui nous transmet plusieurs

de ses travaux, et notamment toutes ses œuvres d’exégète.

Nous n’avons malheureusement pas lu ce commentaire, assez bref, qui ne compte pas

de prologue, mais commence immédiatement par l’explication du texte. Rapporté par un

manuscrit unique, il ne semble pas avoir connu une diffusion considérable.

c. Un commentaire perdu ? Nicolas de Tournai

On hésite à signaler, parmi les commentateurs des Actes, Nicolas de Tournai335, dont

nous ne savons presque rien et dont le commentaire, dont un manuscrit se trouvait à Saint-

Amand, est aujourd’hui perdu. Tout au plus peut-on penser qu’il s’agit d’un maître séculier,

car les manuscrits le désignent toujours comme « maître » et jamais comme « frère ». D’après

la date des manuscrits qui nous sont parvenus, Palémon Glorieux estime qu’il dut écrire à la

fin des années 1220, et il est probable que son enseignement de la théologie à Paris date de la

même période. Faut-il l’identifier au doyen de Tournai des années 1230 désigné par l’initiale

« N. » dans certains manuscrits ? C’est possible.

333 Sur Gauthier, voir Hist. litt. de la France t. 26, pp. 390-395, qui nous renseigne surtout sur l’activité de prédicateur de Gauthier ; P. GLORIEUX, Répertoire I, n. 144. 334 Ms. Paris, BnF lat. 15652. 335 P. GLORIEUX, Répertoire I, n. 131.

94

Faute de manuscrit parvenu jusqu’à nous, il est difficile de savoir si le commentaire

qui lui fut attribué lui revient en effet ; sa personne a fait l’objet de nombreuses confusions, en

particulier avec le dominicain Nicolas de Gorran336, auteur lui-même selon toute

vraisemblance d’un commentaire des Actes.

2. Les premières générations dominicaines

Les contemporains ont vu dans la naissance de l’ordre des prêcheurs un événement

important dans l’histoire de l’exégèse, même si tous ne vont pas, comme l’archevêque de Pise

Federico Visconti dans un de ses sermons, à y voir un épisode aussi capital que le

commentaire des Pères :

Erat enim prius Sacra Scriptura, antequam per sanctos, scilicet Ieronimum, Bedam, Ambrosium,

Rabanum et Augustinum, glosaretur, sicut gladius non acutus, non ductus ad rotam, sed per eorum

expositiones et glosas facta est clara et acuta qua prius erat opaca et ebetata. Sed pervenit beatus

Dominicus et Predicatores. Que per dictos sanctos declarata erat, fuit elucidata, quasi polita et affilata,

sicut patert, quia Vetus Testamentum et Novum totum postillatum est per fratrem Ugonem de ordine

Predicatorum.337

Ce témoignage est significatif d’un sentiment à la fois de tradition et de nouveauté. Le

mouvement de l’exégèse dominicaine est également d’emblée, pour le prédicateur, dominé

par une figure, celle d’Hugues de Saint-Cher, dont l’historiographie récente nous a toutefois

appris à reconnaître la dimension collective. Hugues n’est pas, comme nous le constaterons

pour les Actes, le seul exégète fourni par les premières générations dominicaines, mais il les

résume en quelque sorte par la dimension synthétique de son propre travail, par sa diffusion

auprès des commentateurs postérieurs et enfin par le projet qui anime son commentaire de la

Bible entière, projet commun à la plupart des exégètes dominicains des premières

générations : celui de fournir avant tout de la matière aux prédicateurs338.

a. Hugues de Saint-Cher

Sur cette figure exceptionnelle de l’exégèse médiévale, nous disposons à la fois d’une

bibliographie traditionnelle339 récemment renouvelée340. Ce docteur en droit canonique entré

336 Voir QUETIF ET ECHARD, op. cit., vol. I, 442. 337 F. V ISCONTI, s. 45, § 7, in N. BERIOU (dir), Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti archevêque de Pise (1253-1277), Ecole française de Rome, 2001, p. 687. 338 Voir L.-J. BATAILLON , « Les instruments de travail des prédicateurs au XIIIe s. », in Culture et travail intellectuel dans l’Occident médiéval, éd. G. Hasenor et Longère, Paris, 1981, et ID., « Lectio et praedicatio », in RSPT 70 (1986), pp. 559-575. 339 Voir par exemple QUETIF ET ECHARD, Scriptores ordinis praedicatorum, Paris, 1719, vol. I, pp. 198-207 ; P.

GLORIEUX, Répertoire I, pp. 43-51 ; l’article « Hugues de Saint-Cher » d’E. MANGENOT dans DTC, VII, Paris, 1930, col. 221-239 ; B. SMALLEY , The study of the Bible, pp. 269-274, 295-298, 333-334. La bibliographie la

95

chez les dominicains à Paris en 1225 a marqué l’histoire de son ordre et de son temps :

provincial de France dès 1227 (après deux ans chez les frères prêcheurs !), cardinal du titre de

Sainte-Sabine en 1244, il est légat du Pape en Allemagne (1251-1253) et exerce plusieurs

fonctions importantes à la Curie341. Il marque également l’histoire intellectuelle, par son

enseignement (il est maître en théologie à Paris en 1229) mais surtout par l’œuvre

considérable qui reste attachée à son nom : outre quelques ouvrages théologiques ou

liturgiques, ainsi que des sermons342, on lui attribue le premier commentaire des Sentences de

Pierre Lombard343, la première concordance biblique344, un important correctoire de la

Bible345, un commentaire de l’Historia scolastica, enfin les Postilles, un immense

commentaire de tous la totalité de la Bible346.

Les Postilles ont connu une très large diffusion, d’ailleurs irrégulière : de nombreuses

copies datent des années qui suivent la publication de l’œuvre (entre 1230 et 1260), puis une

forte diminution qui tourne au désintérêt au XIVe, enfin un regain d’intérêt au XVe siècle et

un grand nombre d’éditions imprimées. La tradition manuscrite en est donc extrêmement

complexe, beaucoup de manuscrits anciens attribuant à Hugues plusieurs commentaires

différents du même texte ; une étude récente, érudite et rigoureuse, de cette tradition ne

parvient pas à résoudre toutes les questions qu’elle soulève347. Au moins deux (un texte long

et un texte court), parfois trois, textes différents peuvent être identifiés pour la plupart des

livres bibliques. L’ampleur de la difficulté rend provisoires les réponses données aux

nombreuses questions que se pose la critique moderne sur le contenu même des Postilles, dont

nous ne retiendrons que deux pour notre étude.

Tout d’abord, au-delà des problèmes d’attribution de tel ou tel texte, le débat est

ouvert sur le véritable auteur des Postilles. Le nom de Hugues de Saint-Cher y est solidement

plus complète, et la plus récente, se trouve jointe à une liste des œuvres et des manuscrits chez T.

KAEPPELI, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, Rome, 1975, vol. 2, pp. 269-281. 340 Hugues de Saint-Cher, bibliste et théologien. Etudes réunies par L.-J. Bataillon, G. Dahan et P.-M. Gy, Turnhout, Brepols, 2004. Il s’agit des actes du colloque international tenu au Centre d’Etudes du Saulchoir à Paris en 2000, et consacré à l’œuvre du théologien dominicain mort en 1263 341 Sur toutes ces dates, des interrogations demeurent. Sur la biographie de Hugues, on se reportera à P.-M. GY, « Hugues de Saint-Cher dominicain», in Hugues de Saint-Cher, pp. 23-28. 342 Sur lesquels on verra B. HODEL, « Les sermons reportés de Hugues de Saint-Cher », in Hugues de Saint-Cher, pp. 233-252. 343 R. QUINTO, « Le commentaire des Sentences d’Hugues de Saint-Cher et la littérature théologique de son temps», in Hugues de Saint-Cher, pp. 299-324. 344 M. ALBARIC, « Hugues de Saint-Cher et les concordances bibliques latines (XIIIe-XVIIIe siècles) », in Hugues de Saint-Cher, pp. 467-480. 345 Sur les correctoires de la Bible, voir G. DAHAN , L’exégèse chrétienne, pp. 218-228. 346 Sur l’exégèse de Hugues de Saint-Cher, G. DAHAN , « L’exégèse de Hugues. Méthode et herméneutique », in Hugues de Saint-Cher, pp. 65-99. 347 P. STIRNEMANN, « Les manuscrits de la Postille », in Hugues de Saint-Cher, pp. 31-42.

96

attaché ; toutefois, l’ampleur de la tâche, sans compter certaines différences de style et de

méthodes, font légitimement douter de l’unité d’auteur de ces nombreux commentaires. Il

semble bien que Hugues ait surtout été l’animateur du groupe qui est l’auteur du

commentaire, comme de la concordance ou du correctoire348. Ce groupe, qui nous est mal

connu, semble avoir travaillé pour offrir aux prédicateurs des instruments de travail de qualité

et d’usage aisé. Mais l’usage premier de la Postille reste discuté : s’agit-il d’abord du contenu

de l’enseignement scripturaire d’un maître, ou d’un groupe de maîtres, ou d’une aide pour le

prédicateur peu expert en exégèse au même titre que la concordance ? Les deux termes de la

question, qui n’est pas tranchée, ne sont d’ailleurs pas exclusifs l’un de l’autre.

De plus, Hugues écrit dans une période qui est, à beaucoup de points de vue, celle

d’une transition. Cela explique la difficulté que l’on peut avoir à le situer : est-il le dernier des

maîtres de l’école « biblique-morale », ou le premier exégète « universitaire » ? La réponse

n’est évidemment pas simple, car il se situe bien entre les deux, et des réponses différentes

peuvent sembler tout aussi séduisantes. Ainsi, Robert Lerner place vigoureusement Hugues et

son groupe davantage dans la continuité de la tradition antérieure que dans l’anticipation de

leurs successeurs. Il ne s’appuie pour cela pas sur l’étude des procédés ou des conceptions

herméneutiques, mais entend profiter des notations incidentes de la Postille pour déterminer

les éléments d’une vision du monde. Il conclut nettement à la différence entre les conceptions

du groupe hugonien et celles de la génération immédiatement successive, en particulier Albert

le Grand ; il en veut pour critère le rapport à la philosophie et à la science, et croit pouvoir

déceler une rupture majeure, en quelques années, interne à l’ordre des prêcheurs349. La

réponse est en revanche bien plus nuancée dans l’étude des procédures d’exégèse de la

Postille : sur beaucoup de points (l’exégèse spirituelle en particulier), Hugues n’innove pas, et

il n’adopte pas toutes les manières de faire de l’exégèse universitaire ; mais il est un important

jalon dans la recherche d’une exégèse de type scientifique, qui influencera profondément les

méthodes de ses successeurs350.

Concernant les Actes des apôtres, nous disposons de deux textes identifiés par

Stegmüller (n° 3725 et 3726), de diffusion très inégale : le premier, plus long que le second,

est copié et imprimé partout, quand l’autre est très rare. Nous n’avons travaillé que sur le

premier, par un texte imprimé (Venise, 1703).

348 L’un des points acquis du colloque est précisément le consensus sur le caractère collectif de la rédaction de la Postille, œuvre de plusieurs frères de Saint-Jacques sous la direction de Hugues, sans qu’on puisse davantage préciser la nature exacte de son rôle (voir par exemple G. DAHAN , p. 66, n.2 ; R.E. LERNER, « The vocation of the Friars Preacher : Hugh of Saint-Cher beween Peter the Chanter and Albert the Great », p. 215). 349 Robert E. LERNER, p. 225-226. 350 Voir les conclusions de G. DAHAN , pp. 98 et 99.

97

Le prologue de ce commentaire est particulièrement remarquable : prologue à thème

scripturaire, dans la tradition des maîtres parisiens, soucieux là encore de replacer le livre

dans une typologie des livres bibliques351, il introduit immédiatement après la citation

biblique les quatre causes aristotéliciennes, qui sont une innovation en exégèse, mais qui

deviendront courantes dans l’exégèse universitaire352. Un seul exemple de prologues de

Hugues utilisant les quatre causes avait été jusque-là repéré353, celui de l’évangile de Marc ;

mais le prologue des Actes est encore plus remarquable que cette autre occurrence, car les

quatre causes y sont déduites de la citation biblique, alors qu’en Marc elles n’intervenaient

qu’à la fin du prologue. Il est tentant de voir, dans cette particularité du prologue, un élément

de datation : la Postille sur les Actes serait l’une des plus tardives, sinon la dernière ; mais

cela reste difficile à confirmer. De plus, la présence du schéma des quatre causes en tête de ce

long prologue n’empêche pas qu’on y trouve simultanément beaucoup d’éléments du schéma

dit d’accessus, propre à l’exégèse scolaire, que Hugues emploie souvent par ailleurs.

Pour le reste, la Postille sur les Actes n’a guère de titre remarquable. Si les premiers

chapitres font l’objet de commentaires fournis, les explications se font de plus en plus rares à

mesure qu’on avance dans le livre, et le texte biblique y occupe toujours davantage de place :

c’est que, contrairement à d’autres livres, l’auteur de la Postille n’y est guère original, et

innove peu par rapport à une Glose ordinaire déjà peu fournie sur la deuxième moitié du livre.

Certains passages ne sont d’ailleurs que de simples copies de la Glose. Plus souvent, le texte

est adapté, avec beaucoup d’ajouts de citations bibliques qui ne se trouvaient pas dans la

Glose. De plus, Hugues, ou son équipe, aime quand il le peut distinguer la matière qu’il

emprunte entre un sens littéral et le sens spirituel, qui sont exposés successivement pour une

péricope entière, le second étant précédé de l’adverbe mystice ; mais cette organisation n’est

pas systématique.

L’absence d’originalité, en particulier par rapport à la Glose, n’est pas une constante

des Postilles. Au contraire, certains livres jusque-là peu commentés, comme Esdras, prennent

avec Hugues une revanche brillante. Nous évoquions la dimension collective de l’élaboration

de la Postille : il y a fort à parier que l’équipe qui a travaillé sur les Actes n’était pas la plus

inventive.

351 Mais le parallélisme, classique, des Actes avec les livres prophétiques est ici cassé : la supériorité des apôtres sur les prophètes est longuement mise en avant. 352 G. DAHAN , « Les prologues des commentaires bibliques (XIIe-XIVe s.) », in Les prologues médiévaux, éd. J. Hamesse, Turnhout, 2000, pp. 427-470 ; ID., L’exégèse chrétienne, p. 262-267. Sur l’origine de ces prologues, encore non élucidée, voir également A. J. M INNIS, Medieval Theory of Authorship. Scholastic Literary Attitudes in the Later Middle Ages, 2e édition, Aldershot, 1988, pp. 40-85. 353 G. DAHAN , « L’exégèse de Hugues », p. 73.

98

b. Guerric de Saint-Quentin

Contemporain du précédent, bien que probablement un peu plus jeune, Guerric de

Saint-Quentin semble avoir écrit l’essentiel de ses commentaires bibliques après ceux de

Hugues, qu’il cite parfois ; il adopte en tous cas, d’une manière générale, une méthode plus

moderne, plus significative de l’exégèse universitaire, que son confrère. Malgré la difficulté

de dater les postilles de Hugues comme de Guerric, renforcée par le caractère probablement

tardif de la Postille de Hugues sur les Actes, nous le plaçons donc après Hugues.

Sur la vie de cette personnalité marquante de la genèse de l’ordre des prêcheurs, nous

ne manquons ni d’information, ni même de détails, fournis généreusement par les histoires

plus ou moins édifiantes des débuts de l’ordre354. Originaire de Saint-Quentin, il aurait été

docteur en médecine avant de rejoindre à Paris l’ordre des prêcheurs dès 1225. Des sources

incertaines le disent enseignant en Ecriture sainte à Bologne ; il est en tous cas le quatrième

dominicain maître en théologie à Paris, dans la seconde école du couvent Saint-Jacques, dans

les années 1230 : il côtoie Hugues de Saint-Cher, avec lequel sa biographie compte plus d’un

point commun. Il est ensuite élu prieur du couvent Saint-Jacques (1242 ?), puis brièvement

provincial de France, avant de mourir en 1245.

Tous ses biographes s’accordent à louer la sagesse et l’immense savoir de Guerric,

dont nous avons du reste un grand nombre d’œuvres théologiques ou bibliques ; mais la liste

de ses ouvrages pose encore quelques difficultés, qu’une confusion avec des homonymes –

notamment l’abbé cistercien d’Igny, bien antérieur – vient encore augmenter. C’est en

particulier le cas pour l’attribution de commentaires bibliques355 sous forme de postilles,

c’est-à-dire de commentaire continu. Complétant les listes de Quétif et Echard, puis de

Palémon Glorieux356, qui ne mentionnent nulle part de commentaire des Actes, F. M.

Henquinet357 propose une liste précise. Débrouillant de nombreux écheveaux d’attribution

qu’on croirait irrémédiablement mêlés, il attribue à Guerric de nombreux commentaires qui

354 Voir par exemple GERARD DE FRACHET, Vitas fratrum, I, 4, 11. Une première étude plus scientifique, assortie d’une liste des ouvrages attribués à l’auteur, se trouve chez QUETIF ET ECHARD, Scriptores ordinis praedicatorum, Paris, 1719, vol. I, p. 115. La liste la plus récente, qu’accompagne une bibliographie importe, se trouve chez T. KAEPPELI, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, Rome, 1975, vol. 2, pp. 61-70. Sur Guerric, on consultera également B. SMALLEY , The study of the Bible, en part. pp. 296-298 et 311 et sq, ainsi que la passionnante introduction de J.-P. TORRELL (pp. 1-166) à l’édition critique de GUERRIC OF SAINT-QUENTIN, Quaestiones de quolibet, éd. par Walter H. Principe, Studies and Text 143, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 2002. 355 Voir notamment l’Histoire littéraire de la France, vol. 21, l. c. : « D’autres attribuent [les postilles] à Guerric, abbé d’Igni. Nous sommes forcés de laisser la question indécise, comme on l’a fait avant nous. » 356 P. GLORIEUX, Répertoire I, n. 4. 357 F. M. HENQUINET ofm, « Les écrits du frère Guerric de Saint-Quentin, O.P », in RThAM 6 (1934), pp. 184-214 ; 284-312 ; 394-410. Voir aussi la « Note additionnelle sur les écrits de Guerric de Saint-Quentin », in RThAM 8 (1936), pp. 369-388. Les commentaires bibliques sont examinés dans RThAM 6, pp. 188-194.

99

prennent la forme de postilles, pour parvenir à une liste couvrant un grand nombre de livres

bibliques : les livres sapientiaux, Isaïe et les douze petits prophètes, un fragment d’Ezéchiel,

tout saint Paul, saint Jean, peut-être l’Apocalypse et un fragment de Luc ; une œuvre

considérable qui, à l’exception de fragments publiés par Beryl Smalley358, est inédite et donc

très mal connue. F. M. Henquinet introduit dans son compte des œuvres attribuées avec

certitude plusieurs commentaires connus par un manuscrit conservé à Naples359, datable

d’avant 1250, qui attribue explicitement au dominicain un commentaire sur Job et sur

l’Ecclésiaste inconnus par ailleurs ; il semble qu’on puisse se fier sur ce point au rubriquaire,

qui attribue aussi à Guerric des commentaires qui nous sont connus comme étant de lui par

d’autres manuscrits.

Toutefois, F. M. Henquinet ne précise pas que ce même manuscrit contient, aux folios

209 à 218, un commentaire anonyme des Actes des apôtres commençant par une citation du

prophète Habacuc : Scribe visum et explana illud in tabulis, ut percurrat qui legerit. C’est la

citation qui avait ouvert le prologue scripturaire de la Postille d’Hugues de Saint-Cher. Ce

genre de reprises est rare : le choix de la citation de l’Ecriture pour le prologue d’un

commentaire est généralement personnel, quand ce n’est pas le seul espace d’originalité que

s’autorisent les exégètes. Pour autant, le prologue du commentaire qui suit la citation est bien

différent de celui de Hugues : la citation n’est pas commentée, ce qui donne un aspect très

formel au caractère scripturaire du prologue ; l’auteur en vient directement aux quatre causes

aristotéliciennes, également présentes dans la Postille hugonienne, selon une méthode

d’exposition adaptée de la Faculté des Arts, qui remportera un très grand succès dans

l’exégèse universitaire360. Il est possible que Guerric ait été le premier à l’introduire en

théologie ; longtemps attaché lui aussi à la méthode traditionnelle du schéma d’accessus, qu’il

utilise dans ses prologues les plus anciens comme pour son commentaire de l’Ecclésiaste, il

en change par la suite pour au moins trois commentaires : la Sagesse, comme l’avait remarqué

Beryl Smalley, le Cantique, comme l’avait complété Riedlinger361, et les Actes si notre texte

est authentique.

358 B. SMALLEY , “A commentary on Isaias by Guerric of Saint-Quentin, O.P.”, in Miscellanea Giovanni Mercati II : Letteratura medioevale, “Studi e Testi 122”, Città del Vaticano, 1946, pp. 383-397; Id., “Some Thirteenth-Century Commentaries on the Sapiential Books”, in Dominican Studies 2 (1949), pp. 318-355. 359 Ms. Naples, Naz. VII A 16. 360 G. DAHAN , « Les prologues des commentaires bibliques (XIIe-XIVe s.) », in Les prologues médiévaux, éd. J. Hamesse, Turnhout, 2000, pp. 427-470 ; ID., L’exégèse chrétienne, p. 262-267. 361 H. RIEDLINGER, Die Makellosigkeit der Kirche in den lateinischen Hoheliedkommentaren des Mittelalters, „Beiträge zur Geschischte der Philosophie und Theologie des Mittelalters 38.3“, Münster W., 1958, p. 274, n. 4, qui cite le texte.

100

Les deux prologues diffèrent même au point de ne pas commenter le même prologue

pseudo-hiéronymien du livre des Actes : Hugues commentera le prologue Lucas Antiochensis

(voir annexe C, commentaire C.2), qui n’est pas attesté avant le XIIIe siècle, tandis que le

commentaire du manuscrit de Naples ne connaît que le prologue traditionnel Lucas natione

Syrus (C.1), plus ancien. Alors que Hugues n’avait adopté encore qu’une partie des procédés

qui deviendront caractéristiques de l’exégèse universitaire, comme un travail systématique de

divisio textus, l’auteur du commentaire anonyme s’y plie bien davantage.

Ces brèves remarques de critique interne vont dans le sens d’une attribution de ce

commentaire à Guerric, qui connaît Hugues mais cherche à s’en démarquer, et qui malgré le

peu d’années qui les sépare passe bien plus que son aîné aux méthodes de l’exégèse

universitaire. Un autre indice est la présence de cet anonyme dans un manuscrit qui contient

nombre de postilles authentiques de Guerric. Ces éléments semblent suffire à Thomas

Kaeppeli qui, sans s’en expliquer, ajoute le commentaire à sa liste des œuvres de Guerric362.

c. Thomas Agni de Lentini

Si les deux dominicains précédents ont su allier des activités pastorales à une

production exégétique de premier ordre, Thomas Agni de Lentini363, frère sicilien né près de

Catane et rentré chez les prêcheurs autour de 1220, a plutôt privilégié les premières à la

seconde : fondateur et premier prieur du couvent de Naples – il a certainement, à ce titre,

donné l’habit au jeune Thomas d’Aquin364 -, il exerce des responsabilités provinciales avant

de devenir évêque en Sicile, puis légat en Terre-Sainte et patriarche de Jérusalem, jusqu’à sa

mort en 1277. Son activité intellectuelle est en revanche plus modeste : nous sont parvenus

sous son nom une légende de saint Pierre martyr très souvent copiée365, quelques lettres et

ouvrages liturgiques, un beau recueil de sermons366 et un commentaire des Actes des apôtres,

rapporté par un seul manuscrit367.

Ce dernier commentaire fait l’objet, de la part de Stegmüller, de trois attributions

différentes368. La première, à Adénulphe d’Anagni, ne pose guère de difficultés : ce chanoine

de Notre-Dame de Paris n’est pas l’auteur du commentaire, mais le propriétaire du manuscrit,

362 T. KAEPPELI, op. cit., p. 68, n° 1391. 363 QUETIF ET ECHARD, op. cit., Paris, 1719, vol. I, p. 358-360 ; T. KAEPPELI, op. cit., pp. 325-328. 364 QUETIF ET ECHARD, p. 359. 365 T. KAEPPELI, op. cit., n° 3733. 366 SCHNEYER, Rep., V 663 501-670 599 (sous le nom erroné de Thomas de Lisle). 367 Ms. Paris, BnF lat. 14379, ff. 1-107. 368 Steg. t. I p. 15 (Adénulphe d’Anagni, attribution que Steg. signale comme erronée) ; 4763 (Jean de Lathbury) ; 8017 (Thomas Agni de Lentini).

101

qu’il a offert comme bien d’autres aux moins de Saint-Victor, comme le montre l’inscription

initiale qui a pu induire en erreur un lecteur trop pressé :

ab Adenulfo de Anagni dono datus conventui s. Victoris

Le manuscrit attribue explicitement le commentaire à Lentini. On est donc davantage

surpris par la troisième attribution proposée par Stegmüller, attribution dont il ne précise ni la

source ni le motif, à Jean de Lathbury. Mais quel qu’en soit le fondement, cette attribution n’a

aucune chance d’être exacte : ce docteur d’Oxford vivait au début du XVe siècle, quand notre

manuscrit est antérieur à 1289, année de la mort d’Adénulphe. Il n’a donc aucune chance d’en

être l’auteur.

Cette attribution à Lentini est encore renforcée, au-delà du nécessaire, par le lien étroit

qui existe entre ce commentaire et plusieurs sermons du patriarche. « Quand il prêche sur des

saints tels qu’Etienne, Matthias ou Barnabé, personnages qui figurent dans le livre des Actes,

ses sermons ne sont guère que des fragments de son commentaire. »369

La lecture du commentaire révèle un texte extrêmement intéressant, car très original ;

sans doute cela vient-il de la position relativement périphérique de ce frère sicilien dans le

monde intellectuel de l’Europe médiévale : bien qu’elle aussi informée d’abord par la Glose

ordinaire, que Thomas cite souvent, parfois en introduisant la référence par la mention gl. ou

in glo., son œuvre est assez différente de celle des maîtres parisiens de la fin du XIIe siècle,

mais aussi des commentaires dominicains du début du XIIIe. On ignore le lieu exact des

études de Thomas, et son environnement intellectuel est mal connu : a-t-il fréquenté le

studium de Naples fondé par Frédéric en 1224370 ? Son commentaire nous permet-il de mieux

connaître les spécificités de l’enseignement de l’Ecriture dans le sud de l’Italie ? Ce point

mériterait une étude précise que nous ne pouvons mener ici.

Le commentaire est difficile à dater. Aucun indice ne semble indiquer qu’il connaisse

l’œuvre d’Hugues de Saint-Cher, à laquelle elle est peut-être antérieure. Il faut probablement,

avec le P. Bataillon, y voir un commentaire antérieur à la première légation de Thomas en

Terre sainte, car il ne fait aucune référence à une connaissance personnelle des lieux qu’il

décrit.

Le prologue du commentaire, à thème scripturaire (Superaedificati estis supra

fundamentum apostolorum et prophetarum, ipso summo angulari lapide Christo Iesu in quo

omnis aedificatis consctructa crescit in tamplum sanctum in domino, in quo et uos

369 L.-J. BATAILLON , « Lectio et praedicatio », in RSPT 70 (1986), p. 573. Voir aussi, ID., La prédication en France au XIIIe siècle en France et en Italie, Aldershot (Variorum) 1993, V. 573. 370 Voir notamment F. DELLE DONNE, « La fondazione dello Studium di Napoli : note sulle circolari del 1224 e del 1234 », in Atti dell’Accademia Pontaniana, N. S. 42 (1993), pp. 179-197.

102

coaedificamini in habitaculum dei in spiritu sancto, Ep 2,20 et 21), adopte une forme

classique : les diverses parties de sa longue citation initiale forment le plan du prologue ;

l’auteur en tire une typologie des livres bibliques, où les Actes vont prendre place, comme le

font tous les commentateurs depuis Pierre le Chantre. Mais son explication, elle, est

originale : la place des Actes au sein de la Bible est plus valorisée que dans aucun autre

commentaire, puisque l’édifice lui-même – qui a pour fondement l’évangile –, c’est la

« doctrina apostolorum, qui compte trois parties. L’une d’entre elles se rapporte au

commencement de l’Eglise, et ce sont les Actes des apôtres. »371

Dans ce long prologue, on entend pour la première fois quelque écho de l’actualité.

Thomas décrit l’activité de Pierre, qui convertit plus de trois mille personnes, et en tire

l’enseignement suivant :

[Fiebat] edificacio per tria : per uerba, per exempla, per miracula apostolorum, ut sic in eis reluceret et

potestas in miraculis, et sapientia in doctrinis et bonitas in exemplis.

Cette construction ternaire introduit un nouvel élément dans une construction

traditionnelle à deux membres : on cite de manière habituelle les miracles et la prédication

comme les deux piliers de l’annonce apostolique372 ; Thomas ajoute l’exemple, la manière de

vivre des apôtres. Cet ajout évoque naturellement la formule augustinienne qui sert de

leitmotiv aux ordres mendiants, en spécialement à l’ordre des prêcheurs qui l’emploie

constamment : annoncer l’Evangile uerbo et exemplo. Le sujet des Actes, semble dire

Thomas, c’est bien cette uita apostolica que les ordres nouveaux entendent imiter ;

discrètement, la vie du prédicateur apparaît comme le choix de la vie parfaite.

Cela ne signifie pas que Thomas entreprenne un commentaire à nouveau frais. Comme

les autres, il se fonde d’abord sur la Glose ordinaire : beaucoup de commentaires en sont

littéralement extraits. Mais Thomas n’y a recours que comme à un instrument : d’une part, il

sélectionne ce qui l’intéresse, n’hésitant pas à négliger (ce qu’il est seul à faire) des

explications hiéronymiennes fantaisistes du sens des noms ; mais surtout, il explique des

versets entiers sans y avoir recours, non plus qu’à aucune source identifiable. Un certain goût

pour les questions morales y apparaît, mais sans exclusive.

371 Ms. Paris, BnF lat. 14379, f. 1: Quod uero dicitur de edificio pertinet ad doctrinam apostolorum cuius sunt tres partes. Quaedam pertinet ad inicium ecclesie et sic sunt Actus apostolorum. In quibus traditur doctrina spiritualiter de statu primitiue ecclesie et ad hoc refertur quod dicitur : Superedificati estis supra fundamentum apostolorum et prophetarum. Tunc per ministerium apostolorum paulatim edificabatur et construebatur et construebatur (sic) ecclesia. 372 Voir par exemple le PSEUDO-RABAN , Ms. Oxford, Balliol college 167, f. 157 v° : « INTENDEBANT. Credebant audientes uerba et uidentes signa. Que cause fidei fuerunt uerba predicacionis et signa uirtutum. »

103

Sur la méthode, également, Thomas est novateur et isolé. Son texte, assez long, se

distingue par une absence d’excursus pour rester constamment sur le texte étudié. Ses

explications sont exprimées en phrases souvent longues, toujours bien écrites, loin des

notations rapides des maîtres parisiens. Comme beaucoup de ses contemporains, il commence

l’explication de chaque péricope par son résumé suivi d’une diuisio textus ; mais à cet

exercice très bref chez Hugues de Saint-Cher, il ajoute des considérations développées sur le

sens qu’il convient de donner à la péricope. Par ce biais, Thomas dépasse réellement

l’explication verset par verset et prend en compte systématiquement le sens théologique d’un

récit ou d’un épisode.

Une édition critique de ce commentaire serait bienvenue, qui permettrait d’en

comprendre mieux les richesses et l’originalité.

d. Nicolas de Gorran

« Nicolas de Gorran doit être compté au nombre de ces personnages littéraires du

XIIIe siècle dont la célébrité contraste singulièrement avec la pénurie, l’incertitude ou la

divergence des renseignements qui nous ont été conservés sur leur véritable nom, le lieu de

leur naissance, leur vie et leurs écrits. » Cela n’empêche pas les auteurs de l’Histoire littéraire

de la France, qui dressent ce constat, de consacrer plus de trente pages373 à ce dominicain né

dans le Maine au début du XIIIe siècle, qui fut confesseur du roi Philippe le Bel et qui mourut

en 1295.

Sous son nom nous sont parvenus de très nombreux commentaires bibliques, couvrant

l’ensemble du texte sacré, souvent sous le nom de Postilles : le projet qui l’anime semble lié à

celui d’Hugues de Saint-Cher, dont il propose probablement une actualisation. La

ressemblance toutefois des projets, des circonstances et souvent du contenu a entraîné des

confusions entre Nicolas et son glorieux prédécesseur.

Ainsi, s’il est probable que Nicolas ait commenté les Actes, le commentaire plusieurs

fois imprimé374 qui circule sous son nom n’est autre que celui d’Hugues de Saint-Cher, qui

s’ouvre par la citation d’Habacuc : Scribe uisum et explana eum super tabulas. En revanche,

si on ne dispose pas de manuscrits attribuant à Nicolas un commentaire des Actes, Quétif et

373 Hist. litt. de la France, vol. 20, pp. 324-356 et les correctifs pp. 792-794. Voir également QUETIF ET ECHARD, op. cit., Paris, 1719, vol. I, p. 441. 374 Les trois éditions de ce commentaire attribué à Nicolas ont été réalisées à Hagenau en 1502, à Paris en 1521 et la troisième à Anvers en 1620.

104

Echard375 ont cru pouvoir identifier un anonyme dont la paternité peut lui revenir avec une

certaine probabilité : il s’agit du commentaire contenu aux folios 1 à 142 du manuscrit Paris,

BnF lat. 14265, qui fut offert à l’abbaye de Saint-Victor en 1289 ; le manuscrit contient en

effet le texte de la postille de Nicolas de Gorran sur l’évangile de Marc. De plus, le texte qui

s’y trouve correspond à celui d’un autre commentaire, également anonyme, contenu dans un

manuscrit d’Angleterre376 qui contient plusieurs postilles de Nicolas sur le Nouveau

Testament. Ce commentaire est d’ailleurs très largement inspiré de la postille d’Hugues de

Saint-Cher. La dimension d’instrument de travail est toutefois plus marquée chez Nicolas, qui

introduit dans son commentaire quelques esquisses de sermons377, des themata pour les textes

donnant lieu à des prédications fréquentes : Ascension, Pentecôte, temps pascal, commun des

Apôtres au temps pascal, fêtes de saint Paul378. Ces themata, dont on ne trouve aucun

équivalent chez Hugues dont Nicolas est si proche, semblent originaux ; Nicolas de Gorran,

qui réutilise fréquemment ses prédécesseurs, sait également innover, pour favoriser l’œuvre

commune des prêcheurs : la prédication pour le salut des hommes.

e. Un commentaire possible : Barthélémy de Bragance

Dominicain italien né au début du XIIIe siècle379, évêque de Nemosia puis de Vicence

en 1255, il a joué un rôle politique important, tant comme évêque d’une ville du nord de

l’Italie qu’au cours de nombreux voyages, en Orient avec saint Louis ou en Europe comme

légat du Pape. Des écrits qui lui sont attribués, parmi lesquels de très nombreuses gloses

bibliques qu’aurait contenu un manuscrit de la bibliothèque des frères prêcheurs de Vicence,

nous ignorons jusqu’à leur période de rédaction, et aucun ne nous est parvenu : nous n’en

savons donc pas davantage sur son commentaire des Actes des apôtres. On dispose toutefois

de quelques sermons de sa main portant sur des thèmes tirés des Actes des apôtres380.

375 QUETIF ET ECHARD, op. cit., t. I, p. 441 : « In Victorina cod. supra cit. 419 ante postillam supra laudatam Gorrani in Marcum, exta postilla in Actus. […] Etsi autem desit noemn auctoris, Gorrani facile crediderim, non solum quod eius in Marcum postillae juncta sit, sed quod maxime stylum eius redoleat, quod tamen explorent me otiosiores et peritiores. » 376 Ms. Londres, Brit. Museum, Royal 2C7, f. 131-170 377 Voir L.-J. BATAILLON , « Lectio et praedicatio », p. 562. 378 Ms. Paris, BnF lat. 14265, ff. 5r° (Cum hec dixisset uidentibus illis eleuatus est et nubes sucepit eum ab oculis eorum. Theuma in ascensione domini. Consuetudo est boni nuncii ut cognito negocio redeat ad mittentem…), 10r° (Theuma in Pentecoste. Repleti sunt omnes etc. Quemadmodum sol communicat lucem inferioribus habundanter…), 21v°, 57v°, 68v°. 379 Sur la vie de Barthélémy, voir QUETIF ET ECHARD, op. cit., vol. I, 258 ; A. VERSTEYLEN, « Barthélémy de Bragance », DHGE 6, col. 1036. 380 J.-B. SCHNEYER, Repertorium der lateinichen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, Münster, 1969-1980 (11 vol.), vol. 1, p. 390, ss. 284, 311, 321, 322, 323, 326.

105

C- Les Actes des apôtres dans la prédication (XIIe-XIVe siècle) – Jalons

pour une étude

Si les siècles du haut moyen âge se sont montrés avares de sermons vis-à-vis de la

postérité, la situation change radicalement à partir du XIIe siècle : notre documentation

devient alors abondante, trop abondante pour renseigner de manière exhaustive une étude aux

dimensions aussi modestes que la nôtre. Comme il convient cependant d’en commencer

l’exploration, nous avons résolu d’adopter successivement deux angles d’attaque différents,

qui devraient permettre d’aboutir à quelques conclusions provisoires : nous avons voulu

d’abord établir quelques statistiques générales, avant d’en venir à l’étude de l’utilisation des

Actes dans un corpus de sermons précis.

Pour l’étude de la prédication, nous dépassons le simple cadre des commentaires latins

sur les Actes : depuis la réforme grégorienne, et de plus en plus en progressant dans le temps,

la prédication en langue latine est restreinte à de rares cercles, et nous ne pourrions réduire

notre étude aux seuls sermons effectivement prêchés en latin ; toutefois, si les langues

vulgaires sont devenues centrales pour la prédication orale, le latin reste la langue de leur

forme écrite : qu’ils s’agissent de sermons modèles ou de reportationes, la grande majorité

des sermons qui nous est parvenue a été transmise en latin. Cela signifie qu’au-delà des

auditeurs potentiels, tous ceux qui ont connu le sermon par l’écrit l’ont connu par le latin. A

ce titre-là, nous n’hésitons pas à les prendre en compte dans notre étude.

1. Quelques données statistiques

L’étude que nous présentons ici n’a aucun caractère définitif. Elle demande à être

précisée, affinée, détaillée. De plus, l’échantillon sur lequel elle s’appuie n’est pas sans

défaut : il s’agit des sermons répertoriés par Schneyer381, de la lettre A à la lettre F382. Cela

présente des difficultés : la période retenue par Schneyer n’est pas exactement la nôtre,

puisqu’elle va de 1150 à 1350 ; l’échantillon ne couvre qu’une partie des sermons, et non

l’ensemble, donc les résultats seront moins certains que si nous avions travaillé sur la totalité

de l’ouvrage ; enfin, le Répertoire de Schneyer mêle sans distinction prédication effective et

sermons modèles, comme il ne présente aussi bien sermons latins que sermons en langue

vulgaire qui nous seraient parvenus en latin. Certains de nos résultats risquent donc d’être

381 J.-B. SCHNEYER, Repertorium der lateinichen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, Münster, 1969-1980 (11 vol.) 382 On trouvera la liste complète en annexe D.

106

influencés par tel ou tel de ces paramètres, et nous nous garderons bien de les défendre

comme des vérités définitivement établies : tout au plus s’agit-il d’un point de départ, pour se

former une image générale de la place occupée par les Actes dans l’ensemble de la

prédication latine du moyen âge central. Il sera temps, plus tard, de chercher à acquérir une

vision plus exacte ; mais ce premier aperçu n’est pas dépourvu d’enseignements intéressants.

Notre échantillon, qui couvre un peu plus d’un volume de l’ouvrage de Schneyer,

contient cent quatre-vingt-sept sermons dont le « thème » soit un verset des Actes. Depuis la

fin du XIIe siècle s’est peu à peu imposée la pratique, issue des milieux scolaires, de prêcher

sur un seul verset, généralement issu de la Bible, parfois de la liturgie383 : on parle de

« thème » du sermon, qui doit en proposer une explication complète et construite. Dans la

pratique, les sermons ne sont pas, ou pas nécessairement, des explications exégétiques du

verset thématique, mais l’utilisation du verset varie beaucoup d’un prédicateur à l’autre. Nous

n’avons pas relevé de proportions chiffrées de fréquence du livre parmi les « thèmes »

scripturaires des sermons ; toutefois une connaissance même superficielle de l’ouvrage suffit

à dire que cela place les Actes bien loin des évangiles, mais dans une moyenne respectable par

rapport aux autres livres bibliques. Sur ce point, on ne retrouve pas la grande discrétion du

second livre de Luc à laquelle nous étions jusqu’à présent habitués.

Pour autant, nous ne serons pas surpris de constater que l’immense majorité des

sermons portant sur les Actes se concentrent sur quelques temps de l’année liturgique, ceux

où le lectionnaire en propose la lecture : la saint Etienne, l’Ascension et la Pentecôte causent à

elles seules cent deux sermons, soit plus de la moitié. Outre l’Ascension (dix-huit sermons) et

la Pentecôte (quarante-cinq sermons), le cycle temporal n’offre que six autres occasions à nos

prédicateurs d’exercer leurs talents, toujours dans le cycle pascal.

La plupart des sermons sont donc liés au cycle sanctoral, et viennent dans presque tous

les cas fleurir des fêtes de saints mentionnés dans le livre des Actes : saint Etienne est

largement en tête, avec trente-huit sermons pour son martyre et un pour l’invention de ses

reliques ; les fêtes de Matthias (treize sermons), Pierre et Paul (douze sermons), la conversion

de Paul (onze sermons), saint Pierre ès liens (neuf sermons) sont ensuite celles qui permettent

le plus fréquemment de prêcher sur les Actes, suivies de manière plus rare par Barnabé (cinq

sermons), saint Jacques (quatre sermons), saint Denis (un sermon). Au milieu de ces apôtres

et compagnons d’apôtres, pour lesquels l’usage des Actes semble s’imposer, on trouve de plus

383 Voir D. D’A VRAY , The Preaching of the Friars. Sermons diffused from Paris before 1300, Oxford, 1985 ; L.-J. BATAILLON , La prédication au XIIIe siècle en France et en Italie, Aldershot, Variorum, 1993; N. BERIOU, L’avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au XIIIe siècle, Paris, Bibliothèque augustinienne, 1993.

107

une exception, une seule utilisation du livre dans une démarche d’actualisation : trois sermons

prononcés pour la fête de saint Dominique s’appuient sur un verset des Actes : Vas electionis

mihi est ille (Ac 9,15). La figure de l’apôtre Paul n’est pas si séparée du reste des hommes

qu’on ne puisse l’appliquer à un saint contemporain, quand il paraît digne de la vie des

apôtres. L’exception est significative, mais elle reste toutefois une exception.

Enfin, aux prédications suivant les cycles liturgiques, on doit ajouter trois sermons liés

à des circonstances particulières, en particulier des synodes ou assemblées du clergé ;

plusieurs autres sermons, dont les circonstances ne sont pas certaines, laissent à penser que

plusieurs passages des Actes, en particulier le discours de Milet (Ac 20), sont fréquemment

utilisés dans ce type d’événement. Les sermons fondés sur les Actes pour d’autres

circonstances (sermons pour les confirmations, ou sermons pro defunctis, par exemple) sont

très rares, mais pas inexistants.

La concentration des circonstances de prédication à partir des Actes aux fêtes

liturgiques où le livre est lu a un corollaire naturel : le faible nombre de textes commentés.

Soixante-et-un versets différents font l’objet d’un sermon, ce qui pourrait paraître beaucoup :

en réalité, trente-deux d’entre eux n’ont donné lieu qu’à un sermon, et surtout la diversité des

versets ne cache en général que quelques péricopes identiques. Les prédicateurs ne

s’intéressent en général qu’aux mêmes épisodes, ceux que la liturgie leur met sous les yeux :

c’est ainsi que six épisodes du livre des Actes (Ascension, élection de Matthias, Pentecôte,

choix et martyre d’Etienne, conversion de Paul, délivrance de Pierre) attirent à eux seuls cent-

trente-cinq sermons !

A l’inverse, de même qu’elle est négligée par la liturgie, la fin du livre semble

quasiment inconnue des prédicateurs : à partir du chapitre 13 inclus, on ne compte que dix-

sept sermons (sur cent-quatre-vingt-sept), et seulement quatre à partir du chapitre 18. Il n’y a

même plus qu’un seul sermon, bien isolé, pour les huit derniers chapitres des Actes.

Cette rareté, pour des textes mal connus, peu utilisés par la liturgie, rarement cités par

ailleurs, ne surprend guère. On demeure davantage interdit quand on constate l’absence de

sermons portant sur des textes comme les fameux sommaires des Actes, si souvent cités dans

les règles de vie religieuse et les correspondances, ou sur l’épisode d’Ananie et Saphire, dont

l’exemple revient pourtant si souvent dans la bouche des prédicateurs.

Que pouvons-nous en conclure ? Tout d’abord, que le lien entre prédication et liturgie

est dans le cas des Actes incontestable : on ne prêche jamais, à de très rares exceptions près,

que sur les textes proposés par la liturgie ; les textes ignorés par le lectionnaire sont négligés

par la chaire, tandis que les fêtes de saints donnent lieu à des sermons sur les textes du jour.

108

Cela laisse à penser que la prédication en question a toujours lieu dans le cadre liturgique de

la messe : s’il y a, comme on a tout lieu de le penser au moins à partir du XIIIe siècle, une

prédication non liturgique, elle ne s’emploie pas à expliquer le texte des Actes des apôtres –

ou bien les textes en ont été perdus.

La conséquence de cette première conclusion, qui en forme une seconde, c’est que la

prédication n’est pas un lieu de la transmission d’une connaissance des Actes plus large que la

liturgie proprement dite : par les prédicateurs, on ne connaît des Actes que quelques scènes,

celles que l’on entend déjà au cours de la lecture de la messe.

2. Les Actes dans les sermons de Federico Visconti

a. Les sermons de Federico Visconti

Pour étudier la place des Actes dans un corpus de sermons, nous avons arrêté notre

choix sur les sermons de l’archevêque de Pise Federico Visconti. Ce choix n’a rien d’une

évidence, mais plusieurs motifs l’ont guidé, au premier rang desquels l’existence d’une

excellente édition critique384 permettant de travailler aisément sur le recueil. Il ne s’agit pas de

sermons à succès, copiés dans toute l’Europe, mais d’un témoin fiable et abondant (106

sermons) d’une prédication effective385 intéressante mais sans originalité particulière. Il

couvre un ensemble très vaste de situations de prédication : prédication synodale, fêtes

liturgiques (l’essentiel du corpus) et circonstances particulières.

Demeure une difficulté chronologique : les sermons datent de l’épiscopat de Federico

(1253-1277), ce qui ne les place pas au sein de la période que nous étudions, mais exactement

au terme, le prédicateur disposant de tout le matériel exégétique que nous avons signalé

jusqu’à présent mais n’interagissant plus avec lui. La présente étude n’entend donc

aucunement présenter une histoire de la prédication sur les Actes, ni rien dire de son

évolution, mais seulement en examiner une photographie limitée. Là encore, les conclusions

ne peuvent être que provisoires.

b. Les « thèmes » tirés des Actes

Sur les cent-six sermons du recueil, sept ont pour thème un verset des Actes des

apôtres, ce qui fait du livre un des recueils de thèmes les plus utilisés : c’est le quatrième livre

384 N. BERIOU (dir), Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti archevêque de Pise (1253-1277), Ecole française de Rome, 2001. 385 Il semble certain que le recueil des sermons était d’abord pensé comme un instrument de travail, destiné à faciliter la prédication ; mais il n’en est pas moins constitué de sermons presque toujours effectivement prêchés, le lieu et l’occasion de leur prédication effective étant toujours signalés.

109

biblique fournisseur de thèmes de sermons, après l’Ecclésiastique (pas moins de seize thèmes)

et, de manière plus habituelle, les évangiles de Matthieu (onze thèmes) et Luc (douze

thèmes) ; l’évangile de Jean et le livre de Job arrivent au même niveau que les Actes, devant

les Psaumes et les Proverbes. On distingue aisément le goût du prédicateur pour les livres

sapientiaux, quand les livres historiques sont assez négligés : la bonne place des Actes n’en

est que plus remarquable.

Quatre de ces sermons sont écrits pour des fêtes de saints : on retrouve, sans surprise,

les fêtes de saint Etienne (S. 16, sur Ac 7,55), la conversion de saint Paul (S. 19 et S. 20, sur

Ac 9,4-12), saint Pierre-ès-liens (S. 42, sur Ac 12,11). Ce sont les versets les plus attendus

pour les fêtes des saints qui ont le plus fréquemment recours à un thème du livre des Actes.

Les trois autres thèmes des Actes se trouvent dans un contexte moins attendu : un sermon de

confirmation (S. 103, sur Ac 8,17) et deux sermons à l’occasion de décès386 (S. 61, sur Ac

13,36, et S. 70, sur Ac 14,21). Plus surprenante est l’absence de sermons liés aux fêtes de

l’Ascension et de la Pentecôte : le recueil présente un seul sermon pour chacune de ces fêtes,

et préfère s’appuyer sur des textes moins attendus387.

Dans la plupart des cas, le thème biblique n’est guère qu’un prétexte, un clou auquel le

prédicateur va accrocher des développements – généralement moraux – qui n’ont rien d’une

exégèse biblique. C’est le cas des sermons de circonstances : les Actes sont abondamment

cités (au-delà du seul thème) dans le sermon de confirmation, mais il s’agit d’une série

d’arguments scripturaire visant à légitimer la pratique actuelle de la confirmation ; le S. 61,

fondé sur l’exemple de David cité dans un discours de Pierre, ne s’intéresse pas du tout au

contexte de la citation, mais renvoie aux vertus du grand roi, modèle pour les croyants ; le S.

70 se sert également d’une citation hors de tout contexte pour développer une doctrine des

épreuves dans la vie spirituelle.

Mais cette utilisation du thème-prétexte se rencontre également dans des sermons

festifs : pour la saint Etienne, dont le thème est en réalité une antienne proposée par la liturgie,

il s’agit de parler des vertus du saint, sans que la liste de ces vertus ait d’ailleurs le moindre

fondement scripturaire ; dans ce cas, le contexte de la prédication est particulièrement

prégnant : Federico prêche à des moniales, et n’hésite pas à faire d’Etienne une sorte

386 « [Federico Visconti] est le premier clerc séculier dont on connaisse des sermons donnés à l’occasion de funérailles ou d’anniversaire de défunts. » (p. 105). 387 Toutefois, le prothème du sermon sur l’Ascension (S. 36) est un renvoi au prothème du S. 42 (saint Pierre-ès-liens), tiré d’Ac 10,44.

110

d’aumônier d’un monastère de sœurs, puisque les diacres s’occupaient des veuves…388 De

même, le premier sermon sur la conversion de saint Paul (S. 19), fait également à des

moniales, s’attache peu au texte des Actes : c’est un sermon sur la conversion, plus érudit que

les précédents, mais guère plus féru d’exégèse.

Il n’en va pas de même pour les deux autres sermons festifs, numérotés 20 (conversion

de saint Paul) et 42 (saint Pierre-ès-liens). Ils sont tous les deux construits selon un schéma

relativement identique.

Dans un premier temps, le thème est présenté, puis longuement remis en contexte, le

prédicateur n’hésitant pas à raconter, de façon plus ou moins libre, l’épisode dont il fait

partie : il ne s’agit pas seulement, selon une technique éprouvée que Federico pratique

abondamment, de relever l’attention des auditeurs par un récit ; l’archevêque, qui ne cache

pas son admiration pour les exégètes389, entend bien utiliser leurs ouvrages. Dans cette

première partie, donc, il expose des explications tirées – souvent explicitement, avec la

désignation « ut habetur in Ystoriis » – de l’Historia apostolica390 de Pierre de Poitiers, avec

souvent l’appoint ponctuel des Interpretationes de Jérôme ; il reprend explicitement des

interprétations spirituelles, issues massivement de la Glose ordinaire391, parfois d’un Père que

Federico connaît par la liturgie392. Pour expliquer les Actes, Federico a très majoritairement

recours à Pierre de Poitiers et à la Glose, ce qui ne nous surprend guère ; ce qui est plus

étrange, en revanche, c’est l’absence d’utilisation de la Postille d’Hugues de Saint-Cher, qui

est une des sources exégétiques par ailleurs les plus employées dans les sermons de

l’archevêque393 : sans doute la relative pauvreté de la Postille par rapport aux commentaires

antérieurs en est-il la cause394.

Puis le prédicateur entreprend de dégager, dans cette histoire, une morale : une vertu à

priser, un vice à fuir, une épreuve à accepter. Cette interprétation est généralement plus

388 p. 473 : Ab aspostolis fuit electus et prepositus ad curam dominarum, ut habetur Act. VI, et ideo iste domine moniales habent ipsum patronum. 389 S. 45 (in festo sancti Dominici), § 7 : « Erat enim prius Sacra Scriptura, antequam per sanctos, scilicet Ieronimum, Bedam, Ambrosium, Rabanum et Augustinum, glosaretur, sicut gladius non acutus, non ductus ad rotam, sed per eorum expositiones et glosas facta est clara et acuta qua prius erat opaca et ebetata. Sed pervenit beatus Dominicus et Predicatores. Que per dictos sanctos declarata erat, fuit elucidata, quasi polita et affilata, sicut patert, quia Vetus Testamentum et Novum totum postillatum est per fratrem Ugonem de ordine Predicatorum qui fuit presbyter cardinalis tituli Sancte Sabine. » 390 Ainsi, S. 20, § 3 et 4 (p. 505) ; S. 42, § 4 (p. 664). 391 Le S. 42 donne trois citations littérales de la Glose ordinaire. 392 C’est le cas de citations d’Augustin ou de Grégoire le Grand (S. 20, 2). 393 Sur les rapports de Federico Visconti et Hugues de Saint-Cher, voir Nicole BERIOU, « Federico Visconti, archevêque de Pise, disciple d’Hugues de Saint-Cher », in Hugues de Saint-Cher, bibliste et théologien. Etudes réunies par L.-J. Bataillon, G. Dahan et P.-M. Gy, Turnhout, Brepols, 2004, p. 253. 394 Federico Visconti, en effet, connaît la Postille sur les Actes, qu’il utilise à l’occasion d’un synode de la Pentecôte (S. 2, p. 357).

111

personnelle que l’exégèse proposée en première partie. Elle lui permet, pour finir, de

rapprocher la situation morale du saint de celle du fidèle qui l’écoute.

L’intention moralisante des deux sermons est très claire ; la science exégétique

déployée plus haut est au service de cette intention

c. Les citations des Actes dans le reste du corpus

Avec cent-onze citations de soixante-quinze versets différents apparaît comme un livre

moyennement cité dans le corpus des sermons de l’archevêque de Pise, un livre dont le poids

relatif est bien moindre que dans le choix des thèmes.

Les citations employées ne disent pas tout de la connaissance que le prédicateur peut

avoir des Actes, mais elle en est toutefois significative. C’est en tous cas un indice qui vient,

sur plus d’un point, concorder avec d’autres constatations. Tout d’abord, l’archevêque ne

s’intéresse qu’à la première moitié du livre : seules six citations viennent de ses douze

derniers chapitres, et les huit derniers chapitres des Actes ne sont absolument jamais cités. Ce

déséquilibre est une constante que nous avons toujours remarquée : les derniers chapitres du

second livre de Luc sont toujours négligés ; les faits qu’ils rapportent ne sont presque jamais

rapportés, et leur commentaire est généralement sommaire.

En revanche, le corpus témoigne d’une bonne connaissance de la première partie du

livre. Seule la moitié des citations (cinquante-sept) est extraite du quinté privilégié par la

liturgie et la prédication : Ascension, Pentecôte, martyre d’Etienne, conversion de Paul, Pierre

en prison. Les autres versets choisis témoignent d’une certaine originalité.

Mais l’originalité est plus notable encore dans l’usage qu’en fait Federico. Certes,

quelques épisodes font l’objet d’un traitement assez commun dans la prédication médiévale :

ainsi, au S. 19, il emploie comme un exemplum l’histoire d’Ananie et Saphire, lieu commun

de la mise en garde contre l’avarice ; la rapidité avec laquelle l’histoire est sommairement

résumée395 montre du reste qu’il considère que l’histoire est bien connue de ses auditeurs ou –

car il peut avoir, à l’oral, développé des notes succinctes – du moins de son lecteur. Mais

d’autres exemples montrent au contraire un rapport personnel au texte des Actes, permettant

un usage original.

395 S. 19, § 13 : Sed que proprium tenet <et> non vult sororibus misereri, nondum conversa est de hac conversatione terrena, scilicet avaritie. Hec significatur per Saphyram, Act. V, que, cum novisset omnia habere communia, partem sibi retinuit clam et sic defraudavit, propter quod coram beato Petro apostolo cadens in terram expiravit. Narra ystoriam. Malgré la notation finale, Federico ne semble pas reprendre le texte de Pierre de Poitiers.

112

On en jugera par l’usage que fait Federico d’un verset relativement peu utilisé du livre,

Ac 5,15 : ita ut in plateas eicerent infirmos et ponerent in lectulis et grabatis, ut veniente

Petro saltim umbra illius obumbraret quemquam eorum. Ce pouvoir miraculeux de l’ombre

de Pierre est cité par Federico dans pas moins de cinq sermons. Dans le S. 6396 et dans le S.

7397, l’emploi est à peu près identique : Federico l’insère dans un développement allégorique

sur la vigne, qui est le Christ ; il nourrit cette allégorie de plusieurs correspondances, parmi

lesquelles l’ombre bienfaisante de ses feuilles, semblables à l’ombre de Pierre. Le verset

semble fonctionner comme un automatisme lié à la thématique de l’ombre, à moins que le

prédicateur n’ait eu recours à une concordance biblique. Mais cette même image peut

également reparaître dans d’autres contextes. Quant il fait l’éloge de Pierre, au S. 34 ou au S.

36398, il cite ce pouvoir miraculeux comme une des plus grandes œuvres de l’apôtre, dont il

décrit aussi quelques miracles légendaires : le fait n’est plus un élément d’allégorie, mais un

motif d’admiration, un entraînement à la dévotion ; on sent qu’il fait partie des traits que

Federico aime à raconter de l’apôtre. Enfin, au S. 60, faisant l’éloge d’un légat aussi bien

capable de guérir les corps que les âmes, il rappelle encore ce pouvoir de Pierre, dont il

improvise une lecture spirituelle : de même que Pierre guérissait par son ombre, nous – et

surtout le haut clergé – devrions guérir par notre exemple, ce qui est loin d’être le cas. Le

verset devient ainsi une manière d’exemplum, qui s’intègre au raisonnement de manière

fluide, légère, et qui ne sent pas l’encre d’écolier.

Cet exemple ne prouve qu’une chose : que le livre des Actes soit, d’une manière

générale, assez négligé, n’empêche pas un prédicateur comme Federico d’avoir une

connaissance personnelle d’épisodes peu connus, et de les avoir suffisamment médités pour

en faire spontanément un usage varié.

396 S. 6, § 12, p. 383. 397 S. 7, § 11, p. 390. 398 S. 34, § 3, p. 593 ; S. 36, § 4, p. 601.

113

Quatrième partie

LA VISION DE PIERRE A JOPPE (AC 10,9-16)

ESQUISSE D’HISTOIRE D ’UN COMMENTAIRE

La présente étude n’est que partielle, mais son caractère préparatoire n’empêche pas la

nécessité de l’appuyer sur les commentaires d’une péricope précise : l’appuyer, et non

l’illustrer, car c’est bien dans la comparaison précise des textes, dans les influences

successives, dans le suivi exact des sources et de leur réélaboration, que nous pouvons

dépasser les lignes générales pour esquisser une généalogie rigoureuse.

Nous avons choisi de porter notre attention sur la vision de Pierre à Joppé, racontée

dans les versets 9 à 16 du chapitre 10 des Actes des apôtres399. Cet épisode est bien

caractérisé, mais relativement court ; rapportant une vision, il compte un grand nombre de

détails dont les commentateurs peuvent donner des interprétations ponctuelles, qui seront des

indices précieux pour suivre précisément les influences des uns sur les autres.

D’autres raisons que cette simple commodité ont guidé notre choix, qui sont davantage

théologiques. D’une part, la péricope est à plus d’un titre centrale dans l’économie des Actes :

par sa place, elle est à la charnière entre les deux grands cycles du livre, le cycle de l’Eglise de

Judée dominé par la figure de Pierre, et le cycle des voyages de Paul. Alors que, dans le

premier, les Gentils ne sont admis dans l’Eglise qu’à titre exceptionnel et individuel

(l’eunuque éthiopien converti par Philippe), le second montrera l’extraordinaire expansion

missionnaire de l’Eglise dans le monde païen ; pour passer de l’un à l’autre, pour faire ce pas

du monde juif à la gentilité qui est le sujet principal du livre des Actes, il faut la double

autorité d’une révélation divine et du prince des apôtres.

D’autre part, la place centrale qu’elle occupe objectivement dans le livre des Actes

n’empêche pas que son importance pour le lecteur dépend avant tout du contexte du lecteur

lui-même. Or ce contexte est extrêmement différent d’une époque à l’autre : quelle que soit

l’interprétation précise que l’on donne de la péricope, qu’on accepte une lecture plus littérale

399 Pour mémoire, rappelons le texte de la péricope dans la Vulgate. Nous citons la version Weber, que nous avons ponctuée pour faciliter la lecture ; les variantes seront nombreuses, mais rarement significatives, chez les commentateurs que nous étudierons. Postera autem die, iter illis facientibus et adpropinquantibus civitati, ascendit Petrus in superiora ut oraret circa horam sextam et cum esuriret voluit gustare. Parantibus autem eis, cecidit super eum mentis excessus et videt caelum apertum et descendens vas quoddam, velut linteum magnum quattuor initiis submitti de caelo in terram, in quo erant omnia quadrupedia et serpentia terrae et volatilia caeli. Et facta est vox ad eum : « Surge, Petre, et occide et manduca. » Ait autem Petrus : « Absit, Domine, quia numquam manducavi omne commune et inmundum. » Et vox iterum secundo ad eum : « Quae Deus purificavit ne tu commune dixeris. » Hoc autem factum est per ter, et statim receptum est vas in caelum.

114

(les interdits alimentaires juifs ne valent plus pour les chrétiens) ou une lecture plus

allégorique et vaste (les Gentils sont appelés à faire eux aussi partie de l’Eglise), ces

thématiques étaient importantes à l’époque de la rédaction du livre : il s’agit pour Luc de

légitimer la rupture de l’Eglise avec le monde juif traditionnel. A l’époque patristique,

certains débats – en sens inverse cette fois – avec des courants remettant en cause la

continuité du christianisme et de la Première Alliance vont donner une nouvelle vigueur à ces

thèmes, sans empêcher toutefois qu’ils perdent de leur actualité. Quant aux lecteurs

médiévaux de la péricope, ils ne se sentent guère plus concernés par ces questions : le rapport

de l’Eglise chrétienne au monde juif est stable, et ne fait plus guère l’objet de débats, du

moins comparables à ceux des premiers siècles. La rupture avec le judaïsme est une

évidence : personne ne réclame le retour aux interdits alimentaires ni ne remet en question le

baptême des païens. Et la réception, comme un héritage pleinement chrétien, par le biais

d’une lecture spirituelle, de l’Ancien Testament est une autre évidence que personne ne

discute plus. Que doit alors faire l’exégète ? répéter les affirmations des Pères sans les trier,

quitte à ne répondre à aucune question ? ou réélaborer des réponses qui, sous l’apparence de

la continuité, vont tenir compte des problèmes intellectuels et spirituels qui leur sont

contemporains ?

Ajoutons un point de méthode : si nous n’avions retenu, pour le corps de notre étude

sur les commentaires des Actes, que les commentaires suivis et à peu près complets, le travail

sur les sources patristique impose ici d’étendre la recherche à quelques notations éparses,

nécessairement beaucoup plus nombreuses, qui n’en serviront pas moins de sources aux

commentateurs médiévaux.

1. Les commentaires antérieurs à Augustin

Les commentaires grecs

On a signalé la plus grande abondance de commentaires grecs des Actes, pour n’en

citer que les exemples les plus susceptibles d’être connus du monde latin. Les exégèses de la

vision de Pierre sont, naturellement, plus nombreuses encore, et les analyser toutes n’entre pas

dans notre propos ; leur influence sera, comme on le verra, très limitée sur la tradition latine.

Dégageons toutefois quelques traits significatifs400.

400 Nous nous appuyons sur la recension établie et commentée par l’exégète suisse François BOVON dans sa thèse de doctorat publiée, De Vocatione Gentium. Histoire de l’interprétation d’Act. 10,1-11.18 dans les six premiers siècles, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1967, pp. 92-194.

115

François Bovon distingue dans le monde grec deux grandes lignes d’interprétation, qui

ne sont d’ailleurs pas exclusives puisque certains auteurs, comme Origène, les tiendront

simultanément. Avant de reprendre les termes commodes de sa typologie, signalons pour

éviter les effets d’optique qu’ils ne correspondent pas nécessairement à des choix

herméneutiques différents : la plupart des commentaires de la péricope que François Bovon a

rassemblés sont issus, non de commentaires suivis à proprement parler, mais d’écrits de

circonstance où la vision de Pierre vient servir d’exemple ou d’argument. Rien ne dit que tel

auteur, qui tient une ligne d’interprétation dans tel ou tel contexte précis de polémique ou

d’enseignement, n’en aurait pas tenu une autre dans des circonstances d’expression

différentes.

La première de ces lignes, que nous qualifierons de rituelle, interprète la vision de

Joppé comme la fin des interdits alimentaires posés par la Loi, et plus largement des

prescriptions légalistes. C’est une interprétation des plus littérales : la vision concerne la

nourriture, il s’agit donc de nourriture. C’est l’analyse que l’on retrouve chez un auteur aussi

ancien que Clément d’Alexandrie (fin du IIe siècle)401, dans sa version la plus restrictive :

témoin de débats de l’Eglise primitive, il défend la thèse de la liberté alimentaire, au nom de

l’indifférence, sans du reste en tirer de théorie plus générale sur le rapport des chrétiens à la

Loi juive. C’est ce sens littéral que, dans un contexte cette fois nettement polémique402,

reprendra Cyrille d’Alexandrie403 pour justifier l’abandon, déjà parfaitement accompli à son

époque, des observances alimentaires juives ; pour défendre le sens littéral de la vision,

Cyrille développe alors le sens allégorique de la Loi : les interdits alimentaires n’étaient

absurdes que littéralement, mais doivent être entendus spirituellement. On notera que les deux

auteurs dont nous venons de mentionner l’appui à la thèse « littéraliste » sont des auteurs de la

tradition alexandrine, réputée vigoureusement « allégoriste ». Cette version littérale aura,

comme nous le verrons, peu de succès chez les Pères et auteurs de langue latine.

Mais plusieurs Pères grecs, à l’inverse, interprètent la vision de Pierre comme une

allégorie, ou plus exactement une parabole présentée par Dieu à Pierre : les animaux purs ou

impurs qu’il aperçoit représentent tous les hommes, Juifs ou Grecs, tous appelés au même

salut. Cette interprétation s’appuie sur le texte même des Actes (Ac 10,28), et sera tenue par

Cyrille de Jérusalem404 ou Epiphane405. Ce dernier, dans le Panarion 30, où il combat le

401 Dans le Paedagogus, lib. I, cap. 2. Le commentaire d’Actes 10 se trouve dans PG 8, col. 405-408. 402 Le patriarche répond longuement aux critiques de l’empereur Julien, formulées dans l’Adversus Christianos, qui reprochait aux chrétiens de préférer la vision de Pierre à la Loi de Moïse. 403 Pro sancta christianorum religione, adversus libro athei Iuliani IX (PG 76, col. 984-992) 404 Catéchèse baptismale 17, PG 33 (col. 997-100).

116

végétarisme des Ebionites, écarte même explicitement une interprétation alimentaire de cette

péricope, interprétation qui pourrait le servir (elle montrerait qu’il est permis de se nourrir de

viande) mais dont il tient malgré tout à démontrer l’inanité. Mais c’est essentiellement en

Occident que cette interprétation sera développée.

Origène, quant à lui, tient à la fois les deux lignes d’interprétation : la vision indique à

la fois la fin des interdits alimentaires et l’appel des Gentils au salut ; il lui arrive même de ne

pas sembler distinguer les deux sens406 : exégèses littérale et allégorique se complètent

harmonieusement. On comprend que la plupart des Pères grecs n’aient pas eu à chercher plus

loin que dans les écrits d’Origène pour soutenir l’une ou l’autre ligne407, ou pour tenir comme

lui les deux lignes en même temps, comme le fera à son tour Jean Chrysostome408. Mais les

trois principaux passages409 où Origène se réfère à la scène montrent que ce qui l’y intéresse

davantage, c’est qu’elle s’ajoute à son dossier de justification de la lecture allégorique de la

Loi : Pierre a su (Ac 10,28) appliquer aux hommes ce qu’il a vu des animaux, et devient ainsi,

avec l’apôtre Paul dont il cite maintes fois les passages sur l’interprétation de la Loi, un maître

en lecture allégorique. L’influence d’Origène, plus que de tout autre Père grec, sur les

commentaires occidentaux sera grande : ses homélies sur le Lévitique seront connues, lues et

imitées dans le monde latin grâce à la traduction de Rufin410.

Les premières interprétations latines

Notons d’abord, chez quelques commentateurs latins, la forte influence des Pères

grecs. C’est le cas de Cassien411 et de Jérôme412, tous deux tenants de la double signification

de la vision, qu’ils héritent très probablement d’Origène. Pour François Bovon, l’influence

grecque est encore plus nette chez des auteurs, qu’il qualifie d’ « exceptions latines », qui ne

se réfèrent au texte que dans un contexte alimentaire ou légaliste, pour en donner une lecture 405 Panarion 28 et 30 (PG 41, col. 377-381 et 405-473). 406 PG 14, col. 1253 : « Ubi ergo omnes gentes per agnitionem fidei a contaminatione mundatur, ibi et omnnis cibus verbo Domini et oratione purgatur. » 407 F. BOVON, p. 103. 408 Dans ses homélies sur les Actes, il donne une interprétation de tendance plutôt littérale, mais poursuit par une lecture allégorique : « La nappe est un symbole de toute la terre », « les animaux qui sont dedans, ce sont les Gentils ; ‘Tue et mange’, cela signifie qu’il faut se rendre chez les Gentils. Que cela se produise trois fois désigne le baptême. » Mais la véritable originalité de Jean est à chercher dans l’interprétation qu’il donne de la psychologie de Pierre : il était déjà, bien avant Joppé, convaincu de l’inanité des interdits alimentaires et de l’ouverture aux païens, mais il lui fallait l’autorité de cette vision pour convaincre l’Eglise de Jérusalem, plus conservatrice. 409 De oratione 27,12 ; Homélies sur le Lévitique 7,4 ; Commentaire de la lettre aux Romains 5,1 et 10,3. 410 ORIGENES secundum translationem quam fecit Rufinus, In Leuiticum homiliae, CB 29 (W.A. Baehrens, 1920), p. 280-507. 411 Il se réfère à la vision dans ses Institutions cénobitiques III, 3, 4 (CSEL 17, pp. 35-36). 412 Jérôme utilise en particulier la vision de Pierre dans son commentaire de la lettre aux Galates, I. 2, 7-9 (PL 26, col. 361).

117

littérale, comme Pierre Chrysologue dans un sermon413 ou Eucher de Lyon dans le texte que

nous avons déjà rencontré. Parmi les six questions que ce dernier pose sur les Actes, l’une est

en effet relative à notre passage :

Quare prius communis cibus vocabatur, qui putaretur immundus? Quod contra interdictum tunc Dei in

commune caeteris pateret hominibus, qui in ciborum discretione legis obseruantiam non tenebant, per

quam Iudaei partem Dei se esse jactabant. Purificatus est autem etiam Domino dicente ad Petrum :

Quae Deus purificavit, ne tu commune dixeris.414

Mais cette question peut bien être posée directement, sans présupposer une nécessaire

influence patristique orientale : l’emploi péjoratif du mot communis, attesté dans la Bible

avant la Vulgate, n’était pas fréquent dans la langue latine, et semble avoir toujours surpris les

lecteurs de l’époque patristique415. Eucher ne s’en fait probablement que l’écho. Jérôme, dans

son Commentaire de Matthieu, reprendra pour la même explication les termes mêmes

d’Eucher, avant de les développer de façon plus originale416.

Mais ces interprétations latines ne sont pas les plus anciennes. La plus ancienne

exégèse de la vision qui nous soit parvenue, bien qu’originellement écrite en grec, doit être

comptée avec les Latins qui la connurent davantage, et semblent s’en être inspirés sur le fond :

c’est celle que présente Irénée dans son troisième livre Contre les hérétiques417, qui prend

résolument parti pour une lecture allégorique du passage.

Pierre voyait une révélation, dans laquelle la voix céleste lui dit : ‘Ce que Dieu a purifié, toi ne le

déclare pas commun’, ce qui signifie que le Dieu qui avait distingué par la Loi entre le pur et l’impur a

purifié les nations par le sang de son Fils.

Il faut voir dans cette vision une image de la réalité de l’économie chrétienne, de

l’œuvre de salut apporté par le Christ. Là encore, le contexte argumentatif d’Irénée n’est pas

sans influence : il entend démontrer, contre les gnostiques, que le Dieu de la Loi est bien le

même que le Dieu de Jésus-Christ, que l’Ancien et le Nouveau Testament témoignent de la

même promesse. Dans ces conditions, on comprend qu’il n’insiste guère sur l’épisode comme

fin des prescriptions alimentaires, qui risquerait de donner argument à ses adversaires, mais se

concentre sur cette rupture moins nette, l’ouverture au païen, où l’élément de rupture joue

413 Sermon 163, De terrenorum cura descipienda, PL 52, col. 628. 414 CCSL 66, p. 179. 415 Quelques références sur cet étonnement dans F. BOVON, p. 116, n. 1. Il faut ajouter Jérôme à la liste patristique qu’il propose. 416 CCSL 77, pp. 128-129 : « Populus iudaeorum partem dei se esse iactitans communes cibos uocat quibus omnes utuntur homines, uerbi gratia suillam carnem ostreas lepores et istiusmodi animantia quae ungulam non findunt nec ruminant nec squamosa in piscibus sunt. Vnde et in Actibus apostolorum scriptum est : Quod Deus sanctificavit tu ne commune dixeris. » 417 IRÉNÉE, Adversus haereses, III, 12, 7, SC 34, p. 224.

118

dans son sens : si Pierre hésite à baptiser Corneille, soulignera-t-il un peu plus bas418, c’est

bien parce qu’il est convaincu de continuer à servir le Dieu des Juifs, et non un Dieu différent.

Peu après lui, Tertullien reprendra dans une brève mention cette lecture allégorique et

universaliste419 de l’épisode, dans un contexte qui lui souffle un détail dont la postérité sera

grande : écrivant sur la prière, il trouve dans ce passage une preuve scripturaire du caractère

apostolique de la prière de sexte. Cela lui permet de fonder la prière des « petites heures » sur

des exemples apostoliques (tierce se fondant sur la Pentecôte, et none sur la montée de Pierre

et Jean au temple de Jérusalem), inaugurant une tradition différente de l’Orient (qui veut y

rappeler les différents moments de la passion de Jésus), une tradition qu’on retrouve chez

Cyprien420 ou chez Jérôme421, et dont l’influence est encore sensible aujourd’hui dans la

liturgie romaine des heures422.

Trois exégèses latines antérieures à Augustin complèteront ce tour d’horizon des

premières interprétations de la vision de Pierre à Joppé. Celle d’Hilaire intervient pour ainsi

dire en passant, au détour des dernières pages de son commentaire sur Matthieu423, où le

linceul du Christ lui rappelle cet autre linge que Pierre aperçoit en vision :

Hic munda sindone corpus involvit. Et quidem in hoc eodem linteo reperimus de coelo ad petrum

universorum animantium genera summissa. Ex quo forte non superflue intelligitur, sub lintei hujus

nomine consepeliri Christo ecclesiam : quia tum in eo, ut in confusione ecclesiae, mundorum atque

immundorum animalium fuerit congesta diversitas.

Hilaire paraît être le premier auteur, du moins dans le monde latin, à proposer une

troisième lecture du sens de la vision : non plus celle, littérale, de la fin des prescriptions

rituelles, ni celle, allégorique, du salut des païens, mais désormais, développant l’allégorie

hors du contexte littéral, la vision renvoie à la situation de l’Eglise, qui compte en son sein,

non des Juifs et des Grecs, mais des purs et des impurs, des bons et des mauvais. Il est aisé de

voir dans ce déplacement une adaptation à la situation d’Hilaire : la relation des Juifs et des

chrétiens venus du paganisme n’est guère centrale dans la vie des Eglises de Gaule de la

première moitié du IIIe siècle, tandis que la coexistence au sein de l’Eglise de chrétiens d’élite

418 IRENEE, op. cit., III, 12, 15 (SC 34, p. 250). 419 TERTULLIEN, De oratione, XXV, 3 (CCSL 1, p. 272) : « Petrus, qua die uisionem communitatis omnis in illo uasculo expertus est, sexta hora orandi gratia ascenderat in superiora. » Le passage est néanmoins difficile, du fait de l’ambiguïté du terme communitas, dont on ne sait s’il renvoie à l’universalité du salut ou à l’impureté des aliments. Jeu de mots ou distraction de Tertullien ? 420 CYPRIEN, De dominica oratione, 34 (CSEL 3). 421 JEROME, Commentaire sur Daniel II, 6, 10 (CCSL 75 A, p. 832). 422 Voir en particulier l’oraison de l’office du milieu du jour du mardi de la 2e semaine : « Dieu qui as révélé à l’Apôtre Pierre ta volonté de sauver tous les hommes, accorde-nous de déployer toutes nos énergies au service de ce dessein de ton amour. » (Livre des heures. Prière du temps présent, Paris, A.E.L.F., 1993, p. 780.) 423 HILAIRE DE POITIERS, Commentarius in Matthaeum, XXXIII, 8 (PL 9, col. 1075-1076). On s’étonne que F. Bovon, qui connaît ce texte, ne relève pas sa profonde originalité.

119

et de chrétiens tièdes, de martyrs et de lapsi, se pose avec la plus grande acuité. Il est probable

que cette situation pousse Hilaire à moraliser davantage cette péricope, quitte à s’éloigner

résolument du sens voulu par Luc.

Ambroise, sur plus d’un point, dépendra de Hilaire424 : dans son commentaire de

l’évangile de Luc, il reprendra ce rapprochement du linceul et de la nappe, pour en tirer un

enseignement un peu différent : il revient à l’interprétation classique des animaux comme

figure des nations païennes, sans reprendre l’interprétation morale de son devancier425. Mais

la plus longue interprétation que donne de la péricope l’évêque de Milan se trouve dans son

De Spiritu sancto426, où il utilise le passage pour appuyer des thèses sur l’égalité des

personnes divines dans la Trinité. C’est le rôle central de l’Esprit qui l’intéresse donc avant

tout, et qui commande l’essentiel de ses développements : la suite du récit montrera que

c’était déjà l’Esprit qui avait donné la vision ; et c’est le même Esprit qui en révèlera le sens

en se répandant sur les païens. Il ajoute une double interprétation de la triple répétition de la

vision : elle lui paraît exprimer le mystère de la Trinité ; il la rapproche également de la triple

confession de foi baptismale, une idée qu’il emprunte probablement à Origène427.

Maxime de Turin, contemporain d’Augustin, ne connaît sans doute pas l’œuvre de ce

dernier, mais il est comme lui influencé assez généralement par Ambroise. Cette influence

n’est guère sensible dans le sermon428 qu’il consacre à notre péricope. Contrairement aux

deux exégèses précédentes, celle que présente Maxime n’est pas fortuite, prise comme

argument ou illustration d’autre chose : il s’agit bien d’abord, pour le prédicateur, d’expliquer

la vision à ses auditeurs. Pour autant, ce commentaire est loin d’être complet : le récit est

tronqué, passant sous silence le refus de Pierre et la fin de la vision ; et le prédicateur, qui

paraît préférer expliquer les détails plutôt que l’économie du texte, passe d’un élément à un

autre sans ordonnancement très net. Fidèle à la tradition, Maxime voit dans cette vision

l’image de la vocation des Gentils ; le récipient figure pour lui l’Eglise, dont il précise

toutefois qu’elle est pure et sans tâche, pareille à une nappe de lin. Plus originale est son

424 Sur cette influence, voir G. TISSOT, « Introduction » à AMBROISE DE M ILAN , Traité sur l’évangile de S. Luc I, Paris, Cerf, 1956 (SC 45), p. 16. 425 CCSL 14, p. 385 : « Bonum linteum misit Ioseph ille uir iustus, et fortasse illud quod Petrus uidit e caelo ad se esse demissum, in quo reant genera quadrupedum et ferarum et uolucrum ad similitudinem gentium figurata. Mystico igitur uguento illo pistico consepelitur ecclesia, quae diuersitatem populorum fidei suae conmunione sociauit. » 426 AMBROISE, De Spiritu sancto, lib. II, cap. X, 103-106 (PL 16, col. 796-797). Dans ce passage, Ambroise entend montrer qu’il n’y a dans la Trinité qu’une seule volonté, vocation et jussion. 427 ORIGENES, Homiliae in Leviticum 7,4 (PG 12, col. 485) : « Quae enim mundavit, non su buna appellatione mundantur, neque sub secunda, sed nisi et tertia appellatio nominetur, nemo mundatur. » 428 Sermon 2, CCSL 23, pp. 6-8.

120

interprétation de la faim de Pierre : on ne peut, dit-il, l’entendre au sens littéral, car Pierre –

qui est un ascète – est en prière, et ne peut donc être sensible à la faim ; il faut donc y voir une

faim spirituelle.

Sed puto Petrum post orationem non cibum esurisse hominum sed salutem ; nec inedia uexatum esse

corporis, sed inopia credentium laborasse.

Pierre a faim du salut des Juifs, et n’est guère rassasié car ces derniers n’accueillent

pas sa prédication. Dieu va donc le rassasier par cette vision : il pourra nourrir son désir en

gagnant à Dieu non les seuls Juifs, mais également les païens. Et le premier fruit de cette

promesse de rassasiement, c’est l’ « immolation » de Corneille. Maxime utilise en effet une

version assez littérale, différente de la Vulgate mais aussi des Veilles latines plus

fréquentes429, qui met dans la bouche de Dieu l’ordre : « Immola et manduca ! », pointant

l’aspect sacrificiel de l’épisode présent dans le texte grec original.

Les premières exégèses latines de la péricope que nous avons rencontrées sont

incomplètes, souvent au service d’autres argumentations, rarement brillantes ; elles

témoignent d’un consensus sur l’interprétation générale, et d’une grande diversité dans le

détail. Elles s’accordent presque toutes sur le sens global à donner à la vision, qu’elles

interprètent comme une allégorie du salut des païens, mais quand il s’agit d’expliquer

précisément tel ou tel symbole, la créativité est grande : chaque auteur n’explique que les

détails qu’il veut, et souvent de manière personnelle ; nous n’avons pu relever que deux

traditions qui présupposent nettement qu’un auteur ait lu ses prédécesseurs : celle qu’inaugure

Tertullien sur la sexte, et l’influence d’Hilaire sur Ambroise dans l’image du linceul.

2. L’exégèse augustinienne

a. Augustin

La vision de Pierre à Joppé, « passage cher à Augustin » d’après Yves Congar430,

n’occupe pas le premier rang des passages cités et commentés par l’évêque d’Hippone431,

mais ce dernier s’y réfère malgré un nombre de fois significatif : environ trente-cinq

429 A notre connaissance, seul CHROMACE D’A QUILEE (Sermon 3, CCSL 9A, p. 616-617) connaît le même texte que Maxime de Turin. La Vulgate dira Occide et manduca, suivant la traduction la plus couramment attestée auparavant (Ambroise, Jérôme, Cassien et parfois Augustin). Toutefois, Augustin emploie le plus souvent une troisième version, Macta et manduca, que l’on retrouve chez beaucoup d’auteurs qui dépendent directement de l’évêque d’Hippone (Césaire d’Arles, Cassiodore, Arator, Grégoire…). 430 Bib. Aug. 28 Bruges, 1963, p. 586, n. 1. 431 H.-I. MARROU, Saint Augustin et l’augustinisme, Paris, 1959, donne quelques indications chiffrées (pp. 84-86) des passages les plus cités par Augustin, qui permettent de se faire une idée, sans prétendre à l’exhaustivité. Les trente-cinq occurrences d’Ac 10,9-16 le placent très loin d’une dizaine de passages (essentiellement de l’évangile de Jean, de la Genèse, des lettres aux Romains et aux Corinthiens ou de l’évangile de Matthieu) cités plusieurs centaines de fois.

121

occurrences, réparties dans des œuvres assez différentes – sermons, discours sur les psaumes,

traités polémiques, commentaire de la Genèse432... Les différences de contexte expliquent

qu’il ne s’intéresse pas toujours au même point du texte, privilégiant tantôt l’extase, tantôt le

contenu de la vision ; mais ces différentes occurrences, dans différentes contextes,

n’impliquent pas des exégèses différentes : on constate au contraire une grande unité

d’interprétation, qui correspond toujours à l’explication la plus complète et la plus longue que

donne Augustin de la péricope, dans son sermon 149433.

Au cours de ce sermon, prononcé probablement le samedi après Pâques, Augustin

entend répondre à plusieurs questions scripturaires, et commence par expliquer de manière

assez complète la vision de Pierre, à laquelle la moitié de ce long sermon est consacrée.

Soulevés quelques jours plus tôt au cours d’un sermon, quelques problèmes d’interprétation

de l’Ecriture n’avaient pas été résolus, en dépit des promesses répétées d’Augustin434. La

question initiale ou, pour mieux dire, l’accroche du sermon justifiant l’interprétation de la

vision est une critique qu’Augustin prête à quelque adversaire vraisemblablement imaginaire :

Dieu demande-t-il à Pierre de pécher en l’encourageant à la gloutonnerie ? La réponse sera

naturellement négative, et Augustin ne s’attarde guère sur cette question peu pertinente.

Son explication de la vision, particulièrement complète, progresse en deux temps

distincts. Il commence par une explication plutôt littérale, qui lui donne l’occasion

d’expliquer l’étonnement de Pierre devant l’ordre de Dieu, et donc de rappeler les interdits

alimentaires de la Loi juive ; mais, dès cette étape, Augustin rappelle les fondements de la

lecture allégorique du Premier Testament :

Omnia enim animalia quae iudaeis prohibita sunt manducare, signa sunt rerum, et sicut dictum est,

umbrae futurorum.

Suit une explication morale des interdits alimentaires, où le sabot fendu signifie les

bonnes mœurs et la rumination la méditation de la Loi de Dieu. Les chrétiens, l’ayant compris

par les paroles de l’apôtre, ne sont donc plus tenus à ces interdits alimentaires pris au sens

littéral, mais au respect d’un double commandement : la rectitude de la vie et la rumination de

l’Ecriture. Cette lecture n’a rien d’original : elle se trouve en substance chez Origène, dans la

septième homélie sur le Lévitique, et elle sera régulièrement reprise par les Pères. Mais là

432 Les références les plus significatives, sur lesquelles nous garderons malgré tout un œil car telle ou telle formule reviendra chez les auteurs postérieurs, sont Ennarationes in psalmos, Ps. 30, en. 2, s. 2, CCSL 38, p. ; Ps. 73, par. 16, CCSL 39, p. ; Sermo 266,6, PL 38 col. 1228. 433 PL 38, col. 800-807. L’explication de la vision de Pierre occupe les col. 800-803. 434 C’est peut-être à ces questions que font référence les dernières lignes du sermon 259 dans l’édition des Mauristes (PL 38, col. 1196). Migne l’affirme dans une note (qui parle fautivement du sermon 269), col. 800, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude.

122

n’est pas la clef de la vision : ce n’est qu’un élément de contexte qu’Augustin se voit obligé

de rappeler à ses auditeurs. Mais la vision doit être comprise comme une allégorie, et non

comme la levée d’interdits alimentaires qu’il juge évidemment périmés.

Ce qui le prouve, avance Augustin, c’est la présence des serpents dans le récipient.

Dieu ordonnerait-il à Pierre de manger des serpents, alors que non seulement les Juifs s’y

refusent, mais qu’aucun peuple de la terre ne s’y abaisserait ? Evidemment non. Ce n’est donc

pas de manger qu’il est ici question, mais d’intégrer à l’Eglise des peuples nouveaux, issus de

la gentilité. Le fond de cette interprétation n’a rien de nouveau, surtout dans le monde latin où

elle est la norme, mais Augustin présente des traits qui lui sont propres : d’une part, il insiste

sur la figure de Pierre, qui bien souvent représente toute l’Eglise ; d’autre part, surtout, on est

frappé par le réalisme de son expression. Pierre, qui est l’Eglise, doit s’assimiler les païens, et

pour cela doit d’abord les tuer, c’est-à-dire tuer le péché qui fait d’eux des païens :

Occidendi ergo erant et manducandi, id est, ut interficeretur in eis vita praeterita, qua non noverant

Christum ; et transirent in corpus ejus, tanquam in novam vitam societatis Ecclesiae.

On remarque l’équilibre et l’exhaustivité de l’explication d’Augustin : tout en prenant

partie sans ambigüité pour une ligne d’interprétation, l’interprétation allégorique et

universaliste, il ne néglige pas de présenter les éléments de l’autre ligne, en en donnant il est

vrai une lecture déjà fortement morale. Par cette synthèse vaste et relativement originale,

Augustin se prépare à fournir du matériau aux commentateurs ultérieurs, même si ces derniers

n’ont connu le plus souvent ce sermon qu’à travers des intermédiaires incomplets.

Augustin termine l’explication de la vision en ajoutant deux interprétations de détail.

La première concerne l’utilisation du mot linteum, propre d’ailleurs à la version latine de

l’épisode, qui est signe pour lui de pureté et d’incorruptibilité. La seconde porte sur la triple

répétition de la vision : à une interprétation trinitaire rapidement esquissée, qui ressemble à

celle d’Origène435, il ajoute diverses considérations sur les chiffres trois, quatre et douze qui

sont bien dans sa manière ; en revanche, il ne reprend pas à son compte la lecture résolument

baptismale d’Ambroise.

b. La postérité d’Augustin

Nous avons déjà signalé que le sermon 149 d’Augustin, qui n’est certes pas la seule

occurrence de l’interprétation que l’évêque d’Hippone donne de la vision mais demeure la

plus complète, n’a que relativement peu circulé, en particulier au moyen âge. Il sera pourtant

435 In Leviticum homeliae, 7, 4, p. 384 : Nisi enim in patre et filio et Spiritu sancto fueris mundatus, mundus esse non poteris.

123

très bien connu, et même souvent textuellement cité. Ce paradoxe ne surprend plus si l’on

étudie précisément la postérité immédiate du sermon : entre le Ve et le VIIe siècle, plusieurs

auteurs vont se l’approprier, qui serviront d’intermédiaires pour les auteurs médiévaux :

Arator ou Grégoire le Grand le seront pour la doctrine, mais Césaire d’Arles transmettra

jusqu’aux mots mêmes d’Augustin.

Césaire d’Arles

Dans un sermon436 manifestement prêché en temps pascal, un jour où la vision de

Pierre était une lecture liturgique437, l’évêque d’Arles reprenait littéralement le sermon 149

d’Augustin. Hormis la phrase d’introduction et un résumé final d’ailleurs sans originalité, il

n’a pas un mot du sermon qui lui soit personnel.

Pour autant, cette reprise n’est pas pour nous sans enseignement, dans la mesure où

Césaire ne reprend pas la totalité du sermon d’Augustin. Il est en particulier significatif qu’il

en ait retiré l’essentiel de la première partie, centrée sur l’interprétation littérale du texte ;

Césaire n’en retient, précisément, que la fin, qui construit déjà une lecture allégorique de la

Loi juive. La lecture allégorique, que le sermon d’Augustin privilégiait, est ici la seule

retenue.

Cette réélaboration n’est pas sans conséquences pour la suite : le sermon de Césaire,

comme souvent, a circulé au moyen âge et jusqu’à l’édition des Mauristes sous le nom

d’Augustin438. Il nous est parvenu par une collection de lettres d’Augustin439 et surtout

d’homélies d’Augustin440 : cette dernière a connu un très grand succès, bien plus que la

collection contenant le sermon 149 lui-même. Il y a fort à parier que c’est donc dans le

sermon de Césaire que les auteurs médiévaux ont lu, sous une fausse attribution à Augustin,

les mots même d’Augustin.

Il y a là davantage qu’une hypothèse pour un commentateur médiéval des Actes, et

non des moindres : Bède le Vénérable, à travers lequel beaucoup liront à leur tour, ou croiront

lire, Augustin. En effet, Bède utilise par exemple un passage du sermon 149, mais son texte

diffère légèrement de celui d’Augustin. En effet, là où Bède écrit :

436 Le sermon 176 déjà mentionné (CCSL 104, p. 173). 437 Les premiers mots du sermon le laissent penser : « Modo cum lectio Actuum apostolorum legeretur, audiuimus quod beatus Petrus circa horam sextam… » 438 Sur les collections auxquelles il a appartenu, voir CCSL 103, pp. lvi-lvii et lxxv-lxxxiv 439 Collectio Lemovicensis, par ms BnF lat. 2768 (Xe s.), fol. 110-145v. 440 Collectio quinquaginta homeliarum sancti Augustini (reprise par les Mauristes dans t. V), pour laquelle Morin cite pas moins de vingt-quatre manuscrits, dispersés dans l’Europe entière, allant du IXe au XIIIe s.

124

Linteum enim tinea non consumit quae uestes alias corrumpit. Et ideo qui uult ad mysterium ecclesiae

catholicae pertinere, excludat de corde suo corruptionem malarum cogitationum et ita incorruptibiliter

firmetur in fide, ut pravuis cogitationibus tamquam a tineis non rodatur in mente441,

on reconnaît sans peine les idées d’Augustin, mais ce dernier emploie des formulations

légèrement différentes442. Ce ne serait qu’un détail, ou le résultat d’une copie maladroite, si la

formulation de Bède ne se trouvait textuellement, au mot près, dans le sermon de Césaire. Le

texte a donc connu un étonnant voyage : écrit par Augustin, il est copié très largement par

Césaire, puis dans cette dernière version réattribué à Augustin, tandis que le véritable texte de

ce dernier ne circule guère plus.

Arator

S’il est probable que le poète-exégète ait connu l’explication d’Augustin et s’en soit

pour partie inspiré, il apparaît cependant comme un commentateur assez original, qui n’hésite

pas à interpréter minutieusement chaque détail de l’épisode dans le chapitre XXI, qu’il

consacre à la vision443.

D’Augustin, il reprend le réalisme de l’expression, pour parler de l’entrée dans

l’Eglise par assimilation :

Patet ergo, quod Auctor

Iussit in Ecclesiae transfundi uiscera gentes.

Il insiste également, comme Augustin, sur la figure de Pierre comme image de toute

l’Eglise. C’est encore parmi les lieux communs de l’augustinisme, mais non dans le sermon

149, qu’Arator va puiser l’interprétation de la « sixième heure » comme expression du

sixième âge du monde, celui du salut444 ; il y ajoute, de manière originale, une référence à la

rencontre de Jésus et de la Samaritaine. De même, il n’hésitera pas à développer

considérablement la brève notation trinitaire reçue d’Augustin, et de l’essentiel de la tradition

patristique, pour expliquer la triple répétition de la vision : sous la plume du poète, cette

affirmation de la Trinité devient polémique, et pourfend hardiment Ariens et Sabelliens.

441 CCSL 121, p. 49. 442 « Linteum tinea non consumit, quae uestes alias corrumpit. excludat unusquisque de corde suo corruptiones malarum concupiscentiarum, atque ita incorruptibiliter firmetur in fide, ut prauis cogitationibus tanquam tineis non penetretur. » (PL 38, col. 804). 443 CCSL 130, pp. 290-293. De eo ubi beatus Petrus hora diei sexta, cum esuriret in cenaculo, uas sibi cum omnium animalium generibus uidit ostendi. Vnde cum se negaret posse comedere, audiuit uocem, ne immunda aut communia diceret, quae Deus mundauit ; et hoc ter est factum. 444 La question des six âges du monde, le sixième étant celui du salut, correspondant aux six jours de la création, traverse la totalité de l’œuvre d’Augustin (par ex. dans le De Trinitate, CCSL 50, IV, 4 : Et sexta aetate generis humani filius dei uenit et factus est filius hominis ut nos reformaret ad imaginem dei.)

125

Mais sur l’interprétation générale qu’il donne du passage, Arator se démarque très

fortement d’Augustin. En effet, si les animaux de la vision désignent bien le monde entier, le

sous-diacre de Rome ne semble laisser aucune place à la problématique du rapport du monde

juif à la gentilité445. Au contraire, la diversité des animaux s’explique pour lui, comme avant

lui pour Hilaire, comme un motif moral : l’Eglise s’ouvre à tous les hommes, bons ou

mauvais.

Omne genus retinens uolucrum pecudumque, ferarum

Reptiliumque simul ; mortalibus ista cohaerent

Ex meritis uitiisque suis.

Originale aussi est l’image du Calvaire qui vient terminer le chapitre en donnant le

sens suprême de la vision : l’universalité de la Rédemption offerte en Jésus-Christ.

Grégoire le Grand

Plus dépendante d’Augustin sera la version que Grégoire le Grand utilisera

fréquemment, sans jamais donner toutefois de commentaire à proprement parler de la vision

de Joppé. Mais l’exemple revient sous sa plume une petite dizaine de fois, toujours chargé de

la même signification. Ainsi, c’est dans le contexte de la concurrence entre l’Eglise et la

Synagogue que Grégoire rappelle la décision des apôtres, divinement inspirés, de passer aux

païens :

Vnde et ipsi primo pastori quasi huius leaenae ori dicitur: macta et manduca. Quod mactatur quippe a

uita occiditur, id uero quod comeditur, in comedentis corpore commutatur. Macta ergo et manduca

dicitur, id est a peccato eos in quo uiuunt interfice et a seipsis in tua illos membra conuerte.446

L’interprétation reste celle, dominante en Occident, de l’intégration des Gentils dans

l’Eglise. On voit que Grégoire n’hésite pas à marquer encore le réalisme de l’expression déjà

présent chez Augustin, en insistant bien sur l’action d’avaler et d’incorporer. Cette image

semble du reste l’avoir tout particulièrement marqué, au point qu’il l’évoque spontanément

presque chaque fois que, dans son commentaire du livre de Job, il explique une page où il est

question de dents ; et dans ses éclaircissements, une certaine truculence se fait parfois jour447.

445 On s’étonne que DEPROOST (p. 95) puisse commenter ainsi le passage : « Arator reprend également l’interprétation de la vision telle que la proposait déjà saint Luc, dans le sens d’un élargissement des promesses du salut au monde païen. » Nous ne voyons aucune mention spécifique du paganisme ni du judaïsme dans le texte. 446 Moralia in Iob, lib. XVIII, cap. xxxv, 56 (CCSL 143A, p. 923). 447 Par exemple Moralia, XI, xxxiii, 45 (CCSL 143A, p. 610) ; XIV, l, 58 (idem, p. 733) ; le plus bel exemple reste XIII, xii, 15 (idem, p. 677), que nous ne résistons pas au plaisir de citer : « Percusserunt maxillam meam, satiati sunt poeni meis. Maxilla quippe Ecclesiae sancti praedicatores sunt, sicut sub Iudaeae specie per Ieremiam dicitur : Plorans plorauit in nocte et lacrimae eius in maxillis eius ; quia in aduersitate Ecclesiae illi

126

Cassiodore

Notre parcours patristique ne serait pas complet si nous ne mentionnions le

commentaire déjà cité de Cassiodore, qui n’apporte toutefois que peu de chose à notre propos.

Si l’influence d’Augustin sur le sénateur est nette dans ses copieux commentaires des

psaumes, elle est bien moins perceptible dans les Complexiones qui tiennent davantage, on l’a

dit, du résumé que de l’exposition. Qu’on ne juge par le passage qu’il consacre à la vision de

Joppé, que nous pouvons citer intégralement sans craindre de traîner en longueur :

Petro autem in supradicta domo posito circa horam diei sextam cum esuriret et gustare vellet, supra eum

cecidit mentis excesus : viditque vas, velut candidum linteum, in quo erant omnia quadrupedia, et

serpentia, et volatilia, summutti de caelo ; et facta est vox ad eum : Surge, Petre, macta et manduca ;

paulo post : Quae purificavit Dominus, tu ne dixeris immunda : quod factum est tertio, et vas receptum

constat in caelos : significabat enim Domino Christo totius mundi gentes esse credituras. 448

Seule la dernière phrase entend donner une explication, qui place Cassiodore dans la

ligne dominante en Occident mais ne nous renseigne pas davantage.

3. La vision de Pierre commentée au haut moyen âge

On a pu constater que le dossier patristique latin à la disposition des premiers

commentateurs médiévaux était loin d’être négligeable : sans être abondant, il représente un

nombre de matériaux disponibles bien plus sérieux que pour la plupart des passages des

Actes. Ces matériaux sont très divers dans le détail sont toutefois largement identiques dans

l’interprétation générale, et de plus dominés par la figure d’Augustin.

On a noté l’importance du haut moyen âge dans l’élaboration des commentaires

médiévaux : deux commentateurs, Bède et le pseudo-Raban, feront l’essentiel d’un travail que

les commentateurs ultérieurs réutiliseront largement. Or leurs commentaires de la vision de

Joppé montrent particulièrement bien en quoi le travail de ces deux auteurs, dans la manière

même de procéder, diffère considérablement.

amplous plangunt qui uitam carnalium confringere praedicando nouerunt. Per ipsos quippe sancta Ecclesia iniquos a uitiis conterit et quasi glutiens in sua membra conuertit. Vnde ipsi quoque primo praedicatori uelut maxillae Ecclesiae dicitur : Occide et manduca. Hinc est etiam quod Samson maxilla asini tenuit et hostes peremit ; quia Redemptor noster simplicitatem atque patientiam praedicantium suae manu uirtutis tenens, a uitiis suis carnales interfecit. Et maxilla in terram proiecta postmodum aquas fudit quia data morti praedicatorum corpora magna populis monstrauere miracula. Maxillam ergo Ecclesiae peruersi feriunt, cum bonos praedicatores insequuntur. » 448 PL 70, col. 1388-1389.

127

a. Bède le Vénérable

Bède ne s’est jamais caché de faire œuvre de compilateur : c’est particulièrement le

cas dans la première des œuvres qu’il a consacrées aux Actes, l’Expositio. L’apparat critique

des commentaires consacrés à Ac 10,9-16 dans l’édition de Laistner met déjà en lumière

plusieurs emprunts littéraux, essentiellement à Augustin (en fait, comme nous l’avons vu, à

Césaire d’Arles), à Jérôme et à Ambroise, auteurs de textes que nous avons déjà rencontrés et

auquel Bède exégète a constamment recours. Mais une lecture plus attentive nous révèle

d’autres emprunts. Le fond des commentaires sur Ac 10,9 est emprunté à Arator, mais mis en

prose : c’est chez ce poète qu’il trouve l’interprétation de la montée de Pierre sur la terrasse,

ou les références au sixième âge du monde ou au puits de la Samaritaine. De même, on

retrouve des formules d’Augustin tirées d’autres passages que le sermon 149, en particulier,

sur « Occide et manduca », l’injonction :

Occide in gentibus quod fuerant et fac quod es.449

Malgré cette mosaïque d’emprunts et d’inspirations, le commentaire de Bède n’est pas

sans originalité, dont la première réside paradoxalement dans les références bibliques dont son

exégèse est tissue : pas moins d’une douzaine de citations bibliques s’introduisent dans le

commentaire. Certes, les Pères expliquaient déjà la Bible par la Bible, et la méthode n’a rien

de nouveau ; mais ce qui l’est davantage, ce sont les textes utilisés. Certains rapprochements

avaient déjà été opérés par les Pères : la Samaritaine (Jn4) ou la triple confession de Pierre (Jn

21) étaient déjà apparus sous la plume d’Arator et d’Ambroise, sans même mentionner les

textes nécessaires à la compréhension des interdits alimentaires de l’Ancienne Alliance. Mais

Bède sait innover, et la plupart de ses citations sont originales : délaissant le rapprochement

opéré par Hilaire entre la toile de la vision et le suaire du Christ, il y voit plutôt la tunique sans

couture que jouent les soldats, une image d’ailleurs classique de l’Eglise ; il est aussi le

premier à utiliser l’Apocalypse dans son explication du passage.

Mais deux groupes de citations bibliques nous semblent particulièrement

significatives, bien que relativement discrètes. Tout d’abord, dans le commentaire de X,12, les

animaux qui apparaissent à Pierre lui donnent l’occasion d’une compilation, comme le moyen

âge en sera friand, de passages bibliques où à l’homme sont accolées des figures animales. Ce

sont toujours des images du péché, et leur convocation donne au verset un sens moral évident

que Bède n’explicite jamais. Ouvertement, il tient la ligne interprétative occidentale,

449 La formule est fréquente sous la plume d’Augustin : Ennarationes in psalmos, Ps. 30, en. 2, s. 2, CCSL 38, p. ; Ps. 73, par. 16, CCSL 39, p. ; Sermo 266,6, PL 38 col. 1228. Mais on ne la trouve pas dans le sermon 149, ni dans sa reprise par Césaire d’Arles : même pour Augustin, Bède a croisé différentes sources.

128

augustinienne, d’une vision signifiant l’introduction des païens dans l’Eglise au même titre

que les juifs ; dans les faits, il a recours à la même solution que Hilaire, sans que rien permette

d’affirmer qu’il l’ait connu : il moralise la vision, qui devient un encouragement pour l’Eglise

à travailler à la conversion des pécheurs, à s’assimiler les pécheurs, à les transformer en

saints. Il établit ainsi une forme de synthèse, que nous qualifierons par commodité de

« pagano-morale ».

Cette interprétation implicite vient être confirmée par un deuxième groupe de

citations, qui interviennent pour commenter X,13, Occide et manduca : ces citations viennent

de la lettre aux Galates, avec en particulier le célèbre « Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis,

c’est le Christ qui vit en moi » : cette union mystique au Christ vécue par Paul devient la clef

de l’appel de Pierre à dévorer les animaux de la vision. Les commentateurs antérieurs, en

particulier Grégoire, avaient déjà noté qu’en mangeant, Pierre, l’Eglise, s’assimilait les

animaux, les païens, pour ne faire plus qu’un : cette unité de tous les peuples au sein d’une

même Eglise devient pour Bède, à la faveur de son recours à Paul, l’union de chaque homme

au Christ, avec lequel il est appelé à s’assimiler, à ne faire qu’un. L’interprétation morale du

verset précédent tend à devenir, selon un mouvement naturel chez les commentateurs

monastiques, une interprétation mystique.

Le détachement de Bède vis-à-vis de ses prédécesseurs est donc aussi discret (une

lecture superficielle laisserait l’apparence de la plus totale continuité) que, sur le fond,

spectaculaire. Il répond évidemment à un changement de contexte : la question du rapport

juifs/gentils au sein de l’Eglise, déjà moins brûlante dans l’Antiquité tardive, est devenue sans

aucune actualité dans l’Angleterre du VIIIe siècle. Il correspond également à un changement

d’intérêt de la part du lecteur, plus désireux de trouver dans le texte biblique le matériel d’une

méditation mystique, d’un cheminement spirituel.

Sur la vision de Pierre, la Retractatio n’apportera guère de nouveauté décisive. Bède,

nous l’avions noté, a pour son nouveau commentaire travaillé sur le texte grec, et ajoute des

notations tout à fait originales : après Maxime de Turin, et de façon plus explicite, il peut par

exemple remarquer que le terme traduit généralement par Occide ou Macta, en grec θυσον,

signifie avant tout « sacrifier » : l’érudition philologique se met alors au service de

l’interprétation allégorique, puisqu’elle permet de rapprocher la vision du sacrifice du Christ.

On a déjà noté l’influence considérable des commentaires de Bède sur l’ensemble de

la production médiévale : nous aurons l’occasion de la constater dans ce cas précis. Bède joue

un double rôle : il est un commentateur lu pour lui-même, mais il est aussi le relais de la

tradition des Pères, qu’il a compilés, qu’il transmet, mais aussi vis-à-vis desquels il fait

129

largement écran. Rares en effet sont ceux qui, par la suite, prendront la peine d’aller lire

directement les Pères, sans passer par Bède.

b. Le pseudo-Raban

On connaît le caractère aussi mystérieux que fondamental de ce commentaire des

Actes, qui réserve de longs commentaires à la vision de Pierre450. Il inaugure le genre littéraire

de la glose, et commente dans le cas de notre péricope presque chaque détail d’un passage qui

en compte beaucoup. C’est le premier commentaire complet de la vision que nous

rencontrons, et probablement le plus complet de notre corpus.

L’auteur du commentaire cite ici moins fréquemment, moins littéralement que Bède,

les œuvres des Pères, mais le réseau de références patristiques est aussi serré que dans le

commentaire du moine anglais : ainsi, sur le placement de l’épisode à la sixième heure, il a lui

aussi recours au sixième âge du monde, emprunté à Arator, mais il y ajoute l’origine de la

prière de sexte, lue chez Tertullien.

Alors que Bède restait relativement sobre, le commentaire attribué à Raban laisse à

son lecteur un sentiment de confusion, dû à la multiplicité des idées exprimées ou évoquées,

voire frôlées : il semble ne jamais se résoudre à choisir, et rechercher l’exhaustivité, fût-ce au

prix de la clarté. Sans cesse, pour chaque détail, une interprétation morale originale peut se

doubler d’une allégorie classique451, l’explication d’un terme difficile voisine avec une

citation biblique, et une discussion sur la meilleure leçon à adopter avec une typologie

allégorique des vices humains.

Comme presque tous les auteurs que nous avons rencontrés, celui de notre

commentaire adopte la ligne d’interprétation allégorique sur le salut apporté aux nations

païennes. C’est ainsi qu’il conclut, par exemple, le commentaire de Et vidit celum apertum :

Spiritaliter uero celos ab hinc gentibus designat esse apertos.

Mais la vision elle-même reçoit deux interprétations différentes, qu’il présente

successivement et longuement, séparées par la formule : Alio quoque sensu. Dans la première,

la toile est l’image du corps physique de Jésus, sans péché, mort et ressuscité, puis monté au

ciel. On sent l’influence probable de l’image du suaire, trouvée par Hilaire et reprise par

Ambroise, mais le développement qu’en fait le pseudo-Raban est tout à fait personnel, et sans

450 Ms. Oxford, Balliol College 167, f. 161 r° et v°. 451 Ainsi, commentant la faim de Pierre : ET CUM ESURIRET. ieiunis simul et orationibus dantur exempla. mystice autem salutem gentium compaciendo esuriit. quae nunc in uisione ostenditur. Et ideo sexta hora uisa est quia sexta seculi etate facta est.

130

jamais se référer au suaire lui-même. Toute l’humanité (les animaux de la vision) doit devenir

le Christ, devenir ses membres :

ut omnes efficiantur eius membra.

Nous voilà arrivés au même résultat que Bède, mais par un chemin très différent.

D’ailleurs, les trois types d’animaux qui représentent l’humanité entière (bêtes sauvages,

reptiles, oiseaux) reçoivent une interprétation encore plus originale, d’ailleurs unique dans

l’histoire de l’exégèse du passage, puisqu’il veut y voir les trois parties de la philosophie452 ;

mais l’explication s’interrompt avant d’être arrivée à terme, sans doute par corruption du texte

dans le manuscrit d’Oxford que nous utilisons. Une édition critique semble décidément

nécessaire.

L’auteur propose alors un autre schéma d’interprétation : la toile n’est plus le corps

physique du Christ mais l’Eglise, son corps mystique, dans lequel les païens sont appelés à

entrer. Ce schéma correspond davantage à l’explication patristique traditionnelle. C’est

d’ailleurs sur des lignes d’interprétation tout à fait traditionnelles dans le fond que l’auteur

continue et achève son explication de la scène, notamment de l’hésitation de Pierre. Il rappelle

l’interprétation spirituelle traditionnelle, depuis Origène et Augustin, des interdits

alimentaires, mais en la personnalisant : si la rumination renvoie toujours à la méditation de la

Parole de Dieu, le sabot fendu ne signifie plus les bonnes œuvres, mais la distinction des sens

de l’Ecriture ou des personnes de la Trinité :

Ungulam itaque non diuidit qui litteram a spiritu uel trinitatis personas non distinguit.

Cet exemple résume bien la méthode de ce commentaire, qu’on retrouve presque

constamment : citer l’interprétation traditionnelle, souvent personnalisée, et y ajouter nombre

d’idées neuves et originales.

4. La vision de Pierre dans le moyen âge central

Beaucoup de commentaires du moyen âge central, comme nous l’avons précédemment

noté, se ressemblent ; les examiner tous serait ici inutile et fastidieux. Aussi avons-nous

préféré ne présenter que quelques commentaires importants ou significatifs. On s’étonnera

peut-être de ne rencontrer ni Etienne Langton, ni Hugues de Saint-Cher : ces deux auteurs

n’ont, au moins dans leur commentaire de cette péricope, rien apporté qui ne fût déjà dans la

452 QUADRUPEDIA ethicam id est moralem qui moribus terrenis uelut pecora incuruati sunt. REPTILIA physicam id est rationalem qui de supernis ut potuerunt – hoc est de diis et astrologia – meditati sunt. On croit reconnaître un reste de la tripartition classique, que l’auteur a certainement pu connaître par Augustin (Cité de Dieu VIII,6) : physique, logique, éthique. Mais le texte est manifestement corrompu et incomplet.

131

Glose ; le premier la résume très brièvement, quand le second la copie de manière plus

généreuse, mais jamais plus originale.

a. La Glose ordinaire

Si les deux commentaires principaux laissés par le haut moyen âge se sont révélés

assez différents, une synthèse – ou du moins une cohabitation – des deux exégèses est

possible : c’est du moins l’opinion du compilateur de la Glose ordinaire, qui n’hésite pas à

recourir massivement et simultanément aux deux commentateurs pour expliquer la vision de

Joppé.

Le pseudo-Raban fournit d’abord la quasi totalité de la glose interlinéaire : dans notre

texte, Bède y est utilisé une fois. Mais il est cité de manière ramassée, souvent résumée.

Quant à Bède, il est l’auteur le plus cité de la glose marginale, tant à partir de l’Expositio que

de la Retractatio, toutes deux mises à contribution.

La glose interlinéaire, malgré la brièveté de ses notations, ne se contente pas

d’expliciter le sens de mots difficiles : elle donne bien souvent des interprétations spirituelles,

parfois complétées de citations bibliques très abrégées. Parce qu’elle est empruntée à un

auteur unique, elle fournit une explication relativement cohérente de la vision : d’une part, le

uas quoddam est compris comme représentant le corps physique du Christ, comme le

proposait le pseudo-Raban de façon originale par rapport à la tradition patristique ; d’autre

part, les interprétations morales de tel ou tel détail sont souvent valorisées. C’est ainsi que la

glose interlinéaire s’écarte – ce qui est très rare – du pseudo-Raban453 et de son explication

philosophique, pour proposer une interprétation neuve du sens de chaque animal de la vision :

quadrupedia et serpentia [herentes terrenis / virulenti et dolosi / tria gentium genera que in vnitatem

redacta fuit ecclesia] terrae et volatilia [superbi] caeli.

La glose marginale, elle, est bien plus disparate. Si elle semble privilégier

l’interprétation ecclésiale de la vision454, c’est sans exclusive : elle y juxtapose également des

considérations textuelles, l’interprétation littérale et spirituelle des interdits alimentaires,

beaucoup d’allégories de détail et plusieurs citations de l’Ecriture.

453 Cette glose diffère du moins de la version du manuscrit d’Oxford, qui est incomplet et confus dans ce passage. Une vérification dans le manuscrit de Cambridge serait nécessaire. 454 Par exemple : « Vas quoddam. Beda [Ex]. Ecclesia incorruptibili veritate et fide praedita. Linteum autem tinea non consumit : quae vestes alias corrumpit. Ideo fidelis excludit de corde corruptionem malae cogitationis : sic incorruptibiliter firmatus fide : vt praua cogitatione. quasi a tinea non rodatur in mente. […] Quattuor initia quibus linteum dependebat : quattuor sunt plagae orbis quibus extendit ecclesia vel quattuor initia : euangelistae quattuor sunt. per quos ecclesia caelesti dono imbuta sublimatur. Linteum. Pro ecclesia. pro candore sanctitatis et mortificatione carnis. »

132

La lecture de la Glose ordinaire ne donne pas les idées claires. L’accumulation des

gloses interdit d’y trouver une ligne interprétative précise : la Glose ne choisit pas ; elle n’est

pas un commentaire à proprement parler, mais un outil de travail, qui permettra au véritable

commentateur de faire ses choix exégétiques en connaissance de cause, sans ignorer les

opinions de ses prédécesseurs.

b. Pierre le Chantre

Nous avons déjà remarqué la grande proximité de ce commentaire avec la Glose

ordinaire. Le fait est tout à fait visible dans le commentaire de la vision de Pierre455.

Le Chantre semble d’abord se contenter de lire les notations de la glose interlinéaire, y

ajoutant très occasionnellement un élément de la glose marginale456 ; il adopte donc d’abord

l’interprétation, tirée du pseudo-Raban, du uas quoddam comme symbolisant le corps

physique du Christ. On est alors surpris de trouver une réminiscence d’Hilaire de Poitiers, qui

ne se trouve pas dans la Glose :

unde et inuolitum corpus eius sindone munda

Pierre la connaît-il de première main ? Ou dispose-t-il d’une version de la Glose

légèrement différente de la nôtre ? Difficile d’en juger.

Puis le commentaire de Pierre s’interrompt, et l’adverbe mystice introduit une seconde

explication de la toile qui descend du ciel, en utilisant cette fois la glose marginale. Il ne s’agit

pourtant pas d’une interprétation plus spirituelle que la précédente, mais de l’interprétation

ecclésiale, qui prend ici une forme plus cohérente que dans la Glose ordinaire.

Puis le commentaire reprend, suivant fidèlement la glose interlinéaire, jusqu’à une

interruption plus surprenante, prenant la forme d’une question :

Sed nonne indutus uirtute ex alto ? quomodo ergo ignorabat hec animalia esse mactanda ?

R[esponde]o : licet plenus spiritus scilicet hoc sciret tamen ne scandalum preberet iudeis per transitum

ad gentes et quia adhuc etiam horrebat cibos comunes et quia timebat ire in gentes propter crudelitatem

eorum, et ut manifestius dominus ei euangelium ad gentes. Magister ait.

Notre manuscrit, rappelons-le, est une reportatio d’étudiant. Sans doute ce passage

témoigne-t-il de l’enseignement réel de Pierre, peut-être interrompu par un étudiant, à moins

qu’il n’ait introduit lui-même ce début de question théologique. Cette interruption est en tous

cas significative, car elle met l’accent sur un point jusque-là systématiquement négligé par les

commentateurs : les conditions de l’extase et le sens de l’inspiration apostolique. La réponse, 455 Ms. Paris, Mazarine 176 (87), f. 248 v°. 456 Pour expliquer Vidit celum apertum, il juxtapose les deux gloses (la glose marginale est en italique) : « non in reseratione elementi sed divuina reuelatione. in quo designatur celos gentibus terre apertos et introitum pandendum. »

133

toutefois, ne s’appuie que sur des éléments du récit, sans élaborer de doctrine théologique sur

le point soulevé.

Plus original que le commentaire d’Etienne Langton, ce commentaire du Chantre reste

donc très marqué par la Glose, dont il cherche toutefois à organiser la matière, présentant des

interprétations cohérentes successives.

c. L’Historia apostolica

Le chapitre 47 de l’Historia apostolica457 raconte l’épisode de la vision de Pierre. Son

auteur suit fidèlement la progression du texte biblique, qu’il cite d’ailleurs d’abondance, mais

en n’hésitant pas à en indiquer les variantes, ce qu’il fait d’après la Glose458.

Cette dernière semble bien la source principale de notre texte, mais l’auteur de

l’ Historia y fait une sélection tout à fait radicale : il ne se préoccupe pas du sens spirituel, et

ne cite de la Glose que ce qui permettra d’expliciter le sens littéral le plus simple. Sur ce

point, le matériel fournit par la Glose est déjà d’une grande richesse : notre auteur y trouve le

sens des mots difficiles, comme extasis459, ou l’explication de la crainte de Pierre devant ces

aliments « communs »460 ; mais il doit élaborer lui-même une complexe description de la toile

qui descend du ciel.

Ce souci exclusif du sens littéral souffre deux exceptions. La première touche le sens

de la vision, que l’auteur de l’Historia ne laisse pas sans explication :

« Et cum esuriret, facta est vox ad eum, dicens : Surge, petre, macta et manduca. » Ac si diceretur ei in

spiritu : Transi ad gentes, et occide in eis vitia, et sic Ecclesiae incorpora.

On reconnaît bien l’interprétation « pagano-morale », mêlant les deux thématiques : le

sens est bien l’ouverture aux païens (transi ad gentes), mais la note morale ne peut être

ignorée (occide in eis vitia).

L’autre exception surprend davantage, car elle n’est pas nécessaire à la compréhension

du récit. Elle concerne le sens de la triple ostension de la vision, que l’Historia comprend

dans un sens sacramentel traditionnel depuis Ambroise461. La référence à ce dernier se trouve

457 PL 198, col. 1675-1676. 458 Ainsi : « Postera autem die iter facientibus illis, et appropinquantibus civitati Joppe », vel « apparentibus », secundum aliam litteram. 459 « Cecidit super eum extasis », qua Domino operante, passus est alienationem mentis, ita ut non uteretur sensibus humanis 460 Et est idioma Hebraeorum, reputantium cibos immundos, quibus communiter utebantur gentes. Unde vocabant communes, quasi immundos. Abhorruit ergo Petrus, quod dictum est ei « manduca », quia ostensa ei fuerant quadrupedia et serpentia, secundum legem immunda, quia grave videbatur ei uti cibis in lege prohibitis, et maxime timebat reprehensionem Judaeorum, si uteretur cibis gentilium. 461 « Hoc autem factum est ei ter », scilicet vas semel, iterato, et tertio in terra demissum, et vox ter audita est, pro commendanda veritate visionis, vel fide Trinitatis. Nam, ut dicit Ambrosius, in catechismo fit trina

134

dans la Glose, où l’auteur l’a certainement lue, mais le développement qu’il en donne est

original.

A ses lecteurs, l’Historia apostolica donne donc à connaître un récit de la vision de

Pierre à la fois proche du texte biblique et, bien que dépouillé pour l’essentiel

d’interprétations allégoriques, tout à fait conforme à l’interprétation occidentale traditionnelle,

en particulier telle qu’elle s’est fixée avec Bède.

d. Thomas de Lentini

Comme nous l’avons déjà noté, ce dominicain sicilien propose une lecture, certes

traditionnelle, mais plus originale des Actes des apôtres. L’importance de la Glose reste

grande dans son explication de la péricope, mais elle est bien moins grande que pour les

commentateurs précédents.

L’explication de la vision de Pierre462 commence par le rappel de la diuisio textus du

chapitre (« secunda pars capituli : ut prius missionem Cornelii agitur, de aduentu petri ad

ipsum per uisionis reuelacionem ») et une diuisio de la péricope elle-même. Il ajoute des

notations sur la scène, comme s’il répondait à un questionnaire ou suivait une grille d’analyse

littéraire (« locus : ascendere. tempus : circa horam VI »). Le sens de la vision de Pierre est

immédiatement explicité, ce qui est nouveau : alors que les maîtres parisiens avaient

l’habitude d’accumuler les commentaires sans tenter de synthèse, Thomas montre

ouvertement quelle signification il donne à l’épisode, à travers une remarque qu’il est

d’ailleurs seul à faire.

Duplex autem fuit reuelacio : una fuit per uisionem, altera per inspiracionem. Una fuit de gencium

uocacione, altera de suo itinere ad uocandum gentes.

La suite du commentaire est, formellement, plus habituelle. Mais s’il utilise souvent

les explications de la Glose, il sait aussi s’en détacher longuement et ne pas l’utiliser pour tel

ou tel verset qu’il explique de manière originale. Ainsi, quelle signification donner à la

mention de la « sixième heure » ?

Hoc est plenitudo feruoris et lucis. Quod gentes uocandae erant ad feruorem fidei. Hac hora Ihesus sedit

super puteum, hac etate uenit – scilicet sexta –, hac die conceptus, hac hora crucifixus.

On reconnaît la traditionnelle référence à la Samaritaine et au sixième âge du monde,

mais tout le reste est original. Plus originale encore est l’explication donnée de la faim de

interrogatio, scilicet credis in Deum ? abrenuntias Satanae ? vis baptizari ? Similiter trina unctio, in vertice, sive fronte ; in scapulis, in pectore ; in baptismo quoque fit trina immersio. 462 Ms. Paris, BnF lat. 14379, ff. 61v° et 62.

135

Pierre, où après une réélaboration de l’interprétation spirituelle traditionnelle (Pierre a faim du

salut des nations), il ajoute un sens « littéral » propre :

Secundum litteram, habes in Petro triplex exemplum : orationis, abstinencie siue ieuinii et temperancie.

Unde dicit gustare, non uagare.

Intégralement originale, cette fois, sera son explication du verset « Occide et

manduca »:

Surge : per constantiam et sollicitudinem. Occide : per predicacionem siue carnis et erroris

mortificacionem. Manduca : per conuersionem, hoc est tibi incorpora. Et nota quod hoc primo dictum

est Petro qui erat caput ecclesie.

Thomas conserve le sens traditionnel, augustinien, de l’injonction divine (tibi

incorpora), mais il le double d’une dimension plus moralisante : Pierre n’est pas d’abord la

figure de l’Eglise, mais un modèle de vie chrétienne, qui doit exciter le lecteur à la vertu.

Cette dimension morale n’est toutefois pas systématique : alors que d’autres commentateurs

interprètent volontiers les interdits alimentaires de façon morale, Thomas passe très

rapidement sur cette explication, ne donnant guère que le nécessaire à la compréhension de

l’épisode de Pierre à Joppé.

136

CONCLUSION

Au terme de notre étude, le sentiment qui domine est celui de la distance par rapport à

nos interrogations initiales. Cela est normal : notre travail est un préalable, qui devrait

permettre une étude précise et informée du rapport que les médiévaux entretiennent avec le

second livre de Luc. Car ce qui aurait pu n’apparaître d’abord que comme un dépouillement

du Répertoire de Stegmüller nous a amené à découvrir nombre de difficultés – en particulier

d’attribution – dont nous ne soupçonnions pas initialement l’existence. Nous avons cherché à

les résoudre, et y sommes parvenus dans plus d’un cas ; d’autres fois, nous avons dû nous

contenter de conclusions provisoires.

Mais la distance ne vient pas seulement de la sécheresse d’un travail d’érudition. Les

commentaires eux-mêmes ne nous ont guère emmené, du moins à première vue, vers la vita

apostolica que nous cherchions initialement. Sans doute nous fallait-il le découvrir : dans

l’exégèse médiévale, tout est souvent plus complexe, plus subtil aussi, et les révolutions sont

muettes ; une citation biblique ajoutée, une glose omise, une inversion de termes peuvent

devenir bavardes si on prend le temps de les écouter, de les méditer, de les ruminer.

Notre travail ressemblant à une succession de petites études, il n’est pas inutile de

l’achever par une brève reprise de quelques considérations plus générales qui apparaissent dès

le travail préliminaire auquel nous nous sommes livré.

On notera tout d’abord que, malgré la popularité de certains passages des Actes, c’est

au moyen âge un livre mal connu des exégètes et des prédicateurs : passés les grands épisodes

des premiers chapitres, il est singulièrement négligé ; nous n’avons rencontré pour ainsi dire

aucun indice d’un intérêt soutenu pour la deuxième moitié de l’ouvrage, donc sur les voyages

de Paul. Cette figure pourtant si attachante, et si centrale, ne semble pas retenir l’attention de

nos auteurs, hormis l’épisode de sa conversion. Gardons-nous d’en tirer des conclusions

hâtives ; mais que cela nous évite également d’en rester à une image naïve, mais très

répandue, de clercs médiévaux jugés d’après la mémoire d’un saint Bernard : tous ne savent

pas la Bible par cœur, et la connaissance de l’Ecriture a comme toute autre connaissance ses

canaux et ses trous noirs.

On notera ensuite que le petit nombre de commentaires produits par les Pères n’a pas

eu sur les auteurs médiévaux l’effet d’un stimulant, d’une libération. Au contraire, le petit

nombre des modèles semble avoir rétrécit la liberté des exégètes, soucieux de tradition et ne

pouvant jouer de sa richesse pour exprimer des idées neuves.

137

Enfin, la première impression que nous retirons de cette étude est que l’exégèse

médiévale fonctionne en monde clos, par évolutions insensibles, sans se soucier des

changements du monde extérieur ; la fixité des commentaires, d’une époque à l’autre, est

parfois stupéfiante. Pour autant, à y regarder de plus près, le monde et ses besoins se font droit

à chaque époque qui, si elle ne renouvelle pas toujours le contenu d’une exégèse, l’utilise dans

un cadre différent, pour un objectif différent : même quand les mots employés sont identiques,

un cours de Pierre le Chantre n’est pas un volume de la Glose ordinaire, pas plus qu’un outil

de travail à l’usage des prédicateurs. L’adaptation de la forme est évidente, et elle est

première ; mais elle ne doit pas masquer que, sur le fond aussi, des éléments évoluent et

s’adaptent. Nous espérons l’avoir montré en étudiant la vision de Pierre à Joppé : les

inflexions sont subtiles, mais entendent souvent répondre à des questions théologiques ou

spirituelles du temps, alors même qu’on ne semble que répéter des centons patristiques sur

une situation – la situation respective des juifs et des païens dans l’Eglise – qui n’a plus guère

de réalité actuelle. Et, si l’exégèse des Actes ne semble pas précéder les mouvements de la

société, elle n’y est pas indifférente. Nous l’avons vu se dessiner chez Thomas de Lentini.

Une étude allant jusqu’à Nicolas de Lyre aurait vu voler en éclats certains cadre pour voir

apparaître, dans le commentaire, des références à François, Dominique ou d’autres faits bien

plus contemporains.

Reste le regret de n’avoir pu travailler réellement sur la réception des Actes au moyen

âge. Notre étude était un préalable, nécessaire sans doute, mais qui laisse un goût d’inachevé.

Ces commentaires et ses sermons gagneraient à être non seulement étudiés davantage, mais

aussi confrontés à d’autres documents : les règles monastiques, les correspondances, les

pamphlets, etc. Une étude plus complète permettrait de comprendre davantage comment

exégèse et société peuvent chercher à se rencontrer.

Cette étude reste à faire, tandis qu’il est temps de conclure la nôtre. Faciendi plures

libros nullus est finis, frequensque meditatio carnis adflictio est.

138

139

ANNEXE A

Liste des commentaires des Actes des apôtres

Cette liste, d’abord établie en dépouillant les volumes de Stegmüller463, a été

augmentée et corrigée en fonction de l’étude qu’elle accompagne. On n’y trouvera que les

commentaires, partiels ou complets, dont l’existence est assurée et vérifiable. Dans le cas

d’une édition critique, seule cette dernière est citée ; en cas contraire, on citera les éditions

éventuelles et les manuscrits identifiés.

Vè siècle :

A.5.1 : AUGUSTINUS (354-430)

Sermo 148

PL 38, col. 799-800 (Ac 5, 1-12)

Sermo 149

PL 38, col. 800-807 (Ac 10)

Sermo 150

PL 38, col. 807-814 (Ac 17,18).

A.5.2 : EUCHERIUS LUGDUNENSIS (mort en 449)

Instructionum ad Salonium libri duo.

CSSEL 31 (1894), K. Wotke éd. CCSL 66, C. Mandolfo éd.

Steg. : 2261.

VIè siècle :

A.6.1 : ARATOR (env. 500 – env. 550)

De Actibus apostolorum (Historia apostolica).

CSEL 72, McKinlay éd., 1951. CCSL 130-130A, A. P. Orban éd., 2006.

Steg. : 1423-1425

A.6.2 : CAESARIUS ARELATENSIS

Sermo 176 (Ac. 10, 9-15)

CCSL 104, pp. 712-716.

463 F. STEGMÜLLER, Repertorium Biblicum Medii Aevi, Madrid, Instituto Francisco Suarez, 1940-1980.

140

A.6.3 : CASSIODORUS (mort env. 583)

Complexiones Actuum Apostolorum.

PL 70, col. 1381-1406.

Ms. Vérone, Bibl. Capitolare XXXIX – 37 (VII) f. 67-95.

Steg. : 1896

VIIIè siècle :

A.8.1 : BEDA VENERABILIS (673-735),

Expositio actuum apostolorum

Retractatio in Actus apostolorum

Nomina regionum atque locorum de Actibus apostolorum

M. L. W. LAISTNER, Bedae Venerabilis Expositio Actuum apostolorum et Retractatio, Cambridge

(Mass.) 1939 (editio critica ex 15 codicibus) : Kraus reprint, New York, 1970. L’édition Laistner est reproduite

dans CCSL 121.

Steg. : 1615-1618

IXè siècle :

A.9.1 : PSEUDO RABANUS MAURUS Tractatus super Acta

Pas d’édition publiée.

Ms. Cambridge, Univ. Ee III 51 (XIII, script. per fratrem Johannem Lambert Carmelitam), f. 198-238;

Ms. Oxford, Balliol College 167 (XII, Guilelmus Gray), f. 143-174.

Steg. : 7063

Xè siècle :

A.10.1 : REMIGIUS ALTISSIODORENSIS (env. 841-908) [ ?]

Acta

Pas d’édition publiée.

Ms. Paris, nat. lat. nouv. acq. 762, f. 128-133 (anonyme). Ms. Munich, Clm. 3704, f. 170-178.

Steg. : 7230

XIIè siècle :

A.12.1 : GLOSSA ORDINARIA

Glossa ordinaria in Actus apostolorum.

Ed. de Strasbourg, Adolph Rusch, 1480-81, reproduite dans Biblia latina cum glossa ordinaria

[Karlfried Froehlich and Margaret T. Gibson, éd.], Turnhout, Brepols, 1992 [in IVe volume].

141

Steg. : 2584

A.12.2 : CLEMENS DE LLANTHONY

Actus

Pas d’édition publiée.

Londres, Brit. Museum, Royal 2 D 5 f. 1-300.

Steg. : 1984.

A.12.3 : PETRUS CANTOR (mort en 1197)

Glossa in Actus

Pas d’édition publiée.

Chartres 179, II f. 326-338 : anonyme. 180 f. 179 : anonyme. London, Brit. Museum, Royal 10 C 5

(XIII) f. 381-397 ; add. 39850. Paris, nat. lat. 682 (XIII) f. 98-147, 15565 f. 172. Paris, Mazarine 176 f. 243-

255 : anonyme.

A.12.4 : PETRUS LOMBARDUS (env. 1095-1160), Accessus ad Acta (ou Introitus ad

Acta).

Pas d’édition publiée.

Brüssel, Bibl. Royale 214 (1485-1501)

Steg. : 6651.

A.12.5 : PETRUS PICTAVIENSIS (env. 1130-1205)

Historia Actuum Apostolorum (Historia ecclesiastica)

PL CXCVIII 1645-1722

Cambridge, Corpus Christi College 313 (XII) f. 61-62; London, Brit. Museum, Stowe 5.

Steg. : 6785

A.12.6 : PETRUS DE RIGA (env. 1140-1209)

Aurora

Aurora: Petri Rigae Biblia Versificata. A Verse Commentary on the Bible, P. Beichner

éd., University of Notre-Dame (Indiana) Press, 1965, 2 vol.

Steg. : 6824-6825

A.12.7 : RICARDUS DE S. VICTORE (mort en 1173), De Actibus Apostolorum

142

Commentaire de Ac 12,1-11.

Ed. OUDIN, 1692. PL CXLI, 277-306 (l’attribue à Fulbert de Chartres).

Paris, nat. lat. 2872 (XI) ; 14167 (XI) ; Chartres 100 ; Vaticana, Reg. lat. 278 (XII).

Steg. : 7340,2.

A.12.8 : STEPHANUS LANGTON (env. 1155-1228)

Deux commentaires des Actes

Pas d’édition publiée.

Commentaire A (« Mandragore in portis nostris ») : Brügge, Stadtbibl. 37 f. 149-159

(anonyme) ; Paris, nat. lat. 393 f. 266-270 (anonyme) et 14526 f. 174v°-180 (anonyme) ; Paris, Mazarine 177 f.

106-113 (Stephanus Langton) ; Wien, Nat. 678 f. 48-83.

Commentaire B (« Sicut legi date per Moysen ») : Avranches 36 f. 251-260.

Steg. : 7905-7906

XIIIè siècle :

A.13.1 : ADAMUS DE CORTLANDON (mort env. 1233), Miscellanea theologica super

Actus Apostolorum : « Ibimus intinere trium. »

Pas d’édition publiée.

Ms. Laon 152 (XIII ; Notre Dame).

Steg. : 863.

A.13.2 : GALTERUS DE CASTRO THEODORICI (mort en 1249)

In Actus apostolorum

Pas d’édition publiée.

Ms, Paris, Nat. lat., 15.652 (f. 178r-185v).

Steg. : 2357

A.13.3 : GUERRICUS DE S. QUENTINO (mort vers 1245)

Postilla in Actus.

Pas d’édition publiée.

Ms Naples, Naz. VII A 16 f. 209-218.

Steg. : 2699.

A.13.4 : HUGO DE S. CARO (env. 1200-1263)

Postilla in Actus apostolorum

143

Version A : Cambridge, Emmanuel College 113 (II. I. 3) f. 309-335 (attribué à un anonyme);

Erlangen 29 f. 55-76; Firenze, Laurenziana, Sta. Croce XXIV dext. 8 f. 403-413 (attribué à Alexandre de Halès);

Oxford, Bodleian library, Laud. Misc. 446 (XIII) f. 198-291 (anonyme); Paris, nat. Lat. 15605 f. 200-232

(anonyme) ; Paris, nat. Lat. 15256 (XIII, Sorbonne 297) f. 37-39 (anonyme) ; Paris, Univ. 16 (XIII) f. 186-195

(anonyme) ; Poitiers 22 (anonyme) ; Toulouse 24 (XIII, Jésuites) (anonyme).

Version B : Paris, nat. Lat. 156 f. 354-378.

Steg. : 3725-3726.

A.13.5 : NICOLAS DE GORRAN o.p. (mort en 1295)

In Acta apostolorum

Pas d’édition publiée.

London, Brit. Museum, Royal 2C7 (XIII ; Worcester Cathedral), f. 131-170 : Anonyme. Paris, nat. lat.

14265 (St. Victor 419) f. 1-142 : anonyme.

Steg : 5784.

A.13.6 : THOMAS AGNI DE LENTINI (mort en 1277)

Super Actus apostolorum

Pas d’édition publiée.

Ms. Paris, Nat. lat. 14.379, II (f. 1-107).

144

ANNEXE B Liste des commentaires anonymes des Actes des apôtres

Liste établie d’après Stegmüller464. B.1 : Steg. : 8435

« Misit Herodes rex – Quem sub Herodis vocabulo accipere debeamus significatum, et nominis appellatione et operis crudelitate docemur. Exp : et arrha proponitur illius beatissimae visionis, in qua est dies sine nocte, requies sine labore, et gloria sine fine. Quam nobis misericorditer preparare et prestare dignetur, qui cum Patre etc. »

Arras 962 (720) f. 95-111 B.2 : Steg. 8630 : Historia apostolorum et ecclesie « Ordine igitur evangeliorum breviter decurso, ad historiam redeamus. Imperante

igitur Augusto et parato per eum toto mundo. – Ultimum autem tempus, quando venturus est Dominus ad iudicandos, quos in carne viventes invenerit. Expl: nam quis alius noster est finis, nisi pervenire ad regnum, cuius nullus est finis. – Quoniam totum mundum suo habebat subiugatum imperio, et omnia regna… quia Agrippa Romanis erat subditus.

Basel A VI 34 f. 114-123. B.3 : Steg. : 8706 « (Lucas natione) Syrus… proficeret medicina - (Actus apostolorum) nudam quidem

videntur sonare esse medicinam. – (Languentis esse medicinam) – Quorum omnis textus continet annos 28… sub quo tempore gestum sit, evidenter agnoscas. – (Primum quidem) – De omnibus. Non quod omnia comprehendere potuerit, sed quod de omnibus elegerit, unde sermonem faceret, quae iudicavit apta officio dispensationis suae. – (O Theophile) – Theophilus Dei amator. Quicumque ergo Dei amator est, ad se scriptum credat, suaeque hic animae, quia Lucas medicus scripsit, inveniat salutem.”

Act. 1,1-1,4 gloss. Basel B II 5 (XI) f. 127. B.4 : Steg. : 9017 Stephanus Langton, Introitus ad Acta : 7906. Carcassone 40 (XIII) f. 130v. B.5 : Steg. : 9075 “ In hoc opere videndum est quis sit auctor (Ms: Actus), et cui scribat et quae materia,

et quis sit finis, et quae intentio, et quis titulus et causa operis et modus tractandi. Huius auctor operis Lucas. – Lucas, natione – Ut numerus sorte electionis Domini compleretur, primo tamen Deo plenus. – Primum quidem sermonem – Ita : Quidquid. Quasi dicat : O tu, o Theophile, rogas, quod Actus apostolorum scribam. Et nec ego diffido me posse, quia iam priorem sermonem feci. – Et cum complerentur – In priori capitulo egit de Christi ascensione et de apostolorum in Jerusalem regressione. Expl: de qua est illa glossa : Paulus Romam etc. »

Durham, Cathedral A I 9 (XIII) f. 198-202.

464 F. STEGMÜLLER, Repertorium Biblicum Medii Aevi, Madrid, Instituto Francisco Suarez, 1940-1980.

145

B.6 : Steg. : 9406 “Repente (Ac 2,2), subito. Baiolabatur (Act. 3,2), protabatur. Consolidatae (Ac 3,7),

solidatae, firmatae. Extasi (Ac 3,10), stupefacti, vel mente excessi. Expl : sentis (Ac 28,22), intellegis. Conducto (Ac 28,30), locato. »

Glossarium biblicum, nr. 2230-2347 Ed. A. Labhardt, Glossarium biblicum codicis Augiensis CCXLVIII, Bibliotheca neocomensis 3 (1948),

60-63. Karlsruhe, Landesbibl. Aug. Perg. 248 f. 14rb-15ra B.7 : Steg. : 9551 De visione Zachariae et nativitate Johannis Baptistae. – Convenienter factum est, ut

Johannes […]- Quare Petrus paralytico dixit : Surge et ambula ? Magistri praeceptum servans, dicentis : Nolite habere aurum… hoc castigarentur exemplo. Expl : cui successit Herodes Agrippa, filius huius, viginti quattuor annis. Sub quo Jacobus, frater Domini, necatur.

Quaest. Evv. et Act. Leiden, Univ. Vulc. 46 (XII ; monasterii b. Mariae Virginis extra muros oppidi Fuldensis ; scripta per

manum Johannis decani anno 82. Bonifatii) f. 183r-186v. B.8 : Steg. : 9751 Initium deest. “Misit Herodes rex manus – Herodes pellicius interpretatur. Quo nomine recte

antiquus humani generis adversarius designatur. Expl : cuius tertia die nativitatis magi ab oriente venerunt Hierosolyman, dicentes : Ubi est, qui natus est, rex Judaeorum ?

Luxemburg, Nat. 87 (XII ; Orval) f. 85r-85v. B.9 : Steg. : 9803 “Quocumque ibant animalia, ibant pariter et recte sequentes spiritum. Spiritus enim

vitae era in rotis – Spiritus animalia precedebat, rote vero spiritum sequebantur et animalia. In hac visione totame continentiam nove legis assignat (Ms : assignans) Ezechiel propheta. Quae consistit in duobus, sicut vetus, scilicet in capite et in membris. Expl : quarto de conversione Pauli. Quinto actus eius explanat.

Introitus in Act. Milano, Ambrosiana F 97 Sup. (XII) f. 124r. B.10 : Steg. : 9876 « Fluvius egrediebatur de loco voluptatis ad irrigandum paradisum. Qui inde dividitur

in quattuor capita – Fluvius de loco voluptatis egrediens divinae paginae doctrina est. Quae de Christo, quasi de iucunditatis aeternae affluentia, ad terram nostri cordis irrigandam egreditur. Dividitur autem in quattuor capita. Quadripartita siquidem est divinae paginae intelligentia. Est enim in ea legalis obscuritas, prophetalis subtilitas, evangelica veritas et apostolicae scripturae profunditas. Haec est enim cortina in introitu tabernaculi, de quattuor pretiosis coloribus contexta et corona interrasilis alta digitis quattuor. Hi enim sunt quattuor pedes in mensa Domini. Et sicut in veteri testamento legi Mosaicae prophetia successit tempore, ita in novo terstamento evangelicae veritati scriptura successit apostolica. In qua non infimum locum tenent Actus apostolorum, quia sicut in dictis et factis Domini summa nostrae salutis, sic in dictis et factis apostolorum summa morum continetur. Expl: scriptorem fuisse Lucam medicum advertimus, omnia verba eius medicamenta animarum languentium.

München. Clm. 2627 f. 31v-32 r. Arras 663 (121) (XIII ; St. Vaast) f. 54-55.

146

B.11 : Steg. : 10018 Initium deest. Expl: “cursum consummavi, fidem servavi.” Napoli, Naz. VII A 40 (XII) f. 1-13. B.12 : Steg. : 10240 “Theophilus interpretatur Dei amator, vel a Deo amatus. Sabbati habens iter. Id est

mille passus. Expl : quod ipse sibi conduxerat. » Glossarium Act., cf. nr 5312. Paris, nat. lat. 346 f. 29v-30r B.13 : Steg. : 10727 « Primum quidem – De Ascensione Christi, premissio mandato, ne discipuli

discederent ab Jerusalem. De reditu discipulorum in Jerusalem et electione Matthiae in apostolum. De adventu sancti Spiritus in Pentecosten. Des : Post haec egressus. De adventu Pauli… de Apollo Judaeo et predicatione eius. De baptismo Johannis. »

Summaria Act. cap. 1-19 Paris, Arsenal 1116 f. 239-240. B.14 : Steg. : 10765 “Ecce duo viri – Mirum videtur et inquisitione dignum : Cur tam pauci missi sunt.

Expl : honestatis exemplum et iustitiae signaculum. » B.15 : Steg. : 11344 “ Qui operatus est Petro in apostolatum circumcisionis – In verbis istis tanguntur

quattuor causae introductoriae in Actus apostolorum, scilicet efficiens, materialis, finalis et formalis. Efficiens principalis Deus... et Matthiae electio solemnis. Haec est continentia primi capituli. – Lucas natione Syrus – Premittitur tamen prologus Hieronymi. In quo tria. Primo ponitur notificatio scriptoris. Secundo commendatio duplicis operis. – Et cum complerentur – Actus pertinentes ad sancti Spiritus missionem. Et illi sunt quinque. Primo ex parte apostolorum ponitur Spiritus sancti receptio. Secundo ex parte intuentium stupor et admiratio atque accusatio. – Vir autem – Opus veridicae praedicationis. Ubi duo. Petri doctrina principaliter, et quorundam aliorum incidenter. Expl : tertio cum fiducia praedictio ad omnes concluditur : Cum constituissent autem illi diem.

Troyes 1842 (XIII ; Clairvaux D 40) f. 238-240. B.16 : Steg. : 11546 “Lucas evangelista ad Theophilum scribit... futuros apostolos (nr. 638) – (Primum

quidem) – Nudam quidem sonare videtur historiam… esse medicamina. – Primum quidem – Sermonem. Id est evangelium. Feci de omnibus. Id est Christi dictis vel factis. Sermonem fecisse, scilicet ex multis pauca perstringens. Facere et docere. Bonus etenim magister bona docuit, exemplum relinquens sequentibus. – Et cum (ms : dum) complerentur – A quinquagesimo die resurrectionis, donec acceperunt Spiritum sanctum. Expl : sine prohibitione.

Vaticana, Ottob. lat. 278 (XII) f. 50v-74v.

147

ANNEXE C

Liste des prologues des Actes

Liste établie d’après Berger465, complétée par Stegmüller466.

C.1 : Berg. : 244. Steg. : 640. Arg. : Lucas natione Syrus, cujus laus in evangelio

canitur apud Antiochiam medicinae artis egregius et apostolorum Christi discipulus, postea

ad confessionem Paulum secutus. Expl : sed etiam animarum eius proficeret medicina. (cf.

arg. Luc. – Ranke, Belsh.)

Fuld. (546), tol. (VIIIè siècle), Mun. 6230. theod. Puy. Ham. 82. bamb. zur. bern.

grandv. B.N.1.3. paul. S. Gall 63 (IXè siècle). Compl². (IXè-Xè s.). B.N.6. Maz. 174 (Xè s.).

Berne A9. Vat. 4221. B.N. 305. Stuttg. Hofb. 52 (Xiè s.). sorb. (1270), et un assez grand

nombre de manuscrits. + Hugo de S. Caro ; Wordsworth NT 2, 1-2. Préfaces 209.

C.2 : Berg. : 245. Steg. : 637. Lucas Anthiocensis…

B.N. 17.11513 (XIIIè siècle). Laus. U 964 (XIIIè-XIVè s.). Dresde A 47 (XVè s.).

C.3 : Berg. : 246. Steg. : 639. Arg. Lucas evangelista apostolorum Actus sicuti

evangelium ad Theophilium quendam condiscipulum suum scribens, mystica narratione

contexuit… Expl : nolo mortem morientis, tantum ut convertatur et vivat.

Tol. (VIIIè s.). cav.(VIIIè-IXè s.). leg1. (920). compl². (Ixè-Xè s.). aem. (Xè s.). Dresde

A 47 (Xvè s.).Wordsworth NT 2,3. Préfaces 210.

C.4 : Berg. : 247. Steg. : 638. Lucas evangelista ad Theophilum scribit praecepisse

Dominum Iesum post resurrectionem suis apostolis, ne ab Hierosolymis abirent... Expl : in

omni terra testes sibi futuros apostolos. (Floril. Casin.).

B.N.6 ( L. ev. Dei – Xè s.). 12. Lyon 337 (XIIè s.). B.N. 15468. Cas. 35 (XIVè s.).

Laus. U 964 (XIVè-XVè s.). Wordsworth NT 2,3. Préfaces 210.

C.5 : Berg. : 248. Lucas evangelista apostholorum Hactus sicuti evangelium...

Tol. (VIIIè s.). cav. (VIIIè-IXè s.). compl². (Ixè-Xè s.). Strahov. 19 (XIVè-Xvè).

465

S. BERGER, Les préfaces jointes aux livres de la Bible dans les manuscrits de la Vulgate, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, I. série, tom. XI, 2. partie (1902). 466 F. STEGMÜLLER, Repertorium Biblicum Medii Aevi, Madrid, Instituto Francisco Suarez, 1940-1980.

148

C.6 : Berg. : 249. Steg. : 631. Actus apostolorum nudam quidem sonare historiam...

(ex Hieronymi ep. ad Paulin. 53 – Tomm.).

Tol. (nuda – VIIIè s.). cav. (it. – VIIIè-Ixè s.). Mun. 6230 (om. Act. ap.). vall. B.N. 2

(Ixè s.). compl². (nuda). Mun. 4179 (IXè-Xè s.). leg1. (it. – 920). aem. (it.). B.N. 6 (Xè s.).

M.B. IE8 (Xè-Xiè s.). Berne A 9. Vat. 4221 (XIè s.). B.N. 15180 (om. Act. ap.). Am. 14 (it.).

Bodl. auct. E infr. 2 (iudam – XIIè s.). Dij. 9b (1109). sorb. (1270). B.N. 13168 (om. Act. ap.

– XIIIè s.), et un certain nombre d’autres manuscrits. Hugo de S. Caro ; Wordsworth NT 2, 2-

3 ; Préfaces 6. PL 22, 548.

C.7 : Berg. : 250. Steg. : 633. Prol. S. Hier : Canit psalmista : Ambulabunt a

virtutibus in virtutem. Post apostoli Pauli epistolas dudum uno vobis volumine translatas,

Domnion et Rogatiane carissimi, Actus apostolorum compellitis… Expl : odio et detrectatione

iuvante Christo meum silebit eloquium. (Tomm.) Ex Hieronymi Ep. ad Domnionem et

Rogatianum.

Mun. 6230 (1ère moitié du IXè s.). paul. (IXè s.). B.N.6 (Xè s.). Vat. 4221 (XIè s.).

B.N. 16746 (XIIè s.). 11.15468.17950. Lyon 340. Vall. B 7 (XIIIè s.). Lyon 330. Laus. U 964

(XIIIè-XIVè s.). B.N. 174. 8848. 17952. Cas. 35 (XIVè s.). Strahov. 19 (XIVè-XVè s.). Eins.

2 (1420). Besançon 12 (1467). Dresde A 47. Karlsr. Reich. 28 (XVè s.).

Wordsworth NT 2,4 ; Hugo de S. Caro; Préfaces 209/10.

C.8 : Steg. : 632. Ad quae loca Paulus et Barnabas ad Antiochia dimissi a sancto

Spiritu pervenerunt. – Seleuciam, Cyprium, Salaminam... Puteolos, Romam.

Préfaces 212.

C.9 : Steg. : 634. Culmina caelorum calcata morte petente... quorum collectae

mirantur famina gentes.

Préfaces 212.

C.10 : Steg. : 635. De lingua quidem qua Actus Apostolorum scripti sunt, Hieronymi

tenenda est scientia… necessarium erat conscribi Actus Apostolorum.

Préfaces 212.

149

C.11 : Steg. : 636. Item de nominibus eorum in Actibus Apostolorum Lucas meminit

sic, Petrus et Iohannes, Iacobus et Andreas… sanum fecit Paulum.

Préfaces 211/2.

C.12 : Berg. : 251. Steg. : 642. Quaeritur a quibusdam : Quis huius voluminis egregii

possit esse conscriptor, qui in titulo liber Apostlorum Actuum praenotatur. Sed sicut nobis…

sancte tradidit ecclesiae retinendum.

Compl1. (IXè s.).

Préfaces 210/11.

C.13 : Berg. : 252. Steg. : 641. Praecepit Ihesus discipulis [Steg. : discipulus] suis.

Am. 14 (XIIè s.).

150

ANNEXE D

Les sermons médiévaux sur un thème scripturaire tiré des Actes

Liste partielle établie à partir de J.-B. SCHNEYER, Repertorium der lateinichen Sermones des

Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, Münster, 1969-1980 (11 vol.), lettre A à F.

Vol. 1 :

p. 44, Adamus de Dryburgh (Scotus, Carthuniensis) OPraem (1158 Canonicus

OPraem St. Andrew, Scotia ; 1184-87 abbas Dryburgh, c. 1188 carthus. Witham, + c. 1212.)

30 (S9) : Cum autem Stephanus esset plenus Spiritu sancto (Ac. 7,5) – In passione,

fratres, beati Stephani protomartyris patientiae nobis exemplum accipere possumus…

laudantes ac glorificantes Deum et Dominum nostrum Jesum Christum…

p. 47 Adamus de Perseigne OCist (Canonicus reg. August., deinde OSB, postea

OCist, abbas Perseniae 1188, + 1221).

12 (T39) : Dum complerentur dies Pentecostes (Ac 2,1) – Quam solemnitatem doni

Spiritus sancti colimus, quia in Spiritu Sncto convenumus, quia Spiritum Sanctum

invocamus… non confidit per Christum Dominum nostrum.

p. 57, Aegidius romanus OESA

Prothemata :

6 Non est aequum nos derelinquere verbum Dei (Ac. 6,2) – Verba ista scripta sunt Act.

6, ubi commendatur verbum Dei et eius auditus.

p. 68, Aelredus de Rievalle

Sermones additi et Ms. Oxford, trinity coll. 19 f. 131 v.-158 v :

108, Petrus et Johannes ascendebant in templum (Ac. 3,1) – Beatorum apostolorum

Petri et Pauli veneranda passio… ad caelestia… feliciter conscendamus.

109, Ecce quidam qui erat claudus (Ac. 3,2) – Habet series lectionis, quae de Actibus

apostolorum lecta est… ambulans et exiliens et laudans Deum.

p. 70, Alanus ab Insulis :

151

8 (T39) : Dum complerentur dies Pentecostes (Ac 2,1) – Sicut tres personae inter se

distinctae sunt, una autem communis essentia… thronum discretionis prudentiae auro vestiat.

p. 88, Albertinus Dertonensis :

20 (T36) Viri Galilaei, quid statis (Ac. 1,11) – Juxta historiam, quod in ipsa Domini

ascensione ad caelos viri isti, e quibus hoc loco fit mentio, intuebantur in caelum… quatenus

tandem aliquando perveniamus ad gloriam sempiternam.

23 (T39), Repleti sunt omnes (Ac. 2,4) – Non in solo pane vivit homo (Mt. 4,4) –

Verba, quad procedunt ex ore Dei, verba sacrae scripturae… Iste igitur spiritus operatur in

nobis istos suos affectus.

p. 95, Albertus Magnus

32 (S9, apud fratres Coloniae, in vulgari) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – Inter

plurima bona quae possent esse prinicpia loquendi de beato Stephano, quae leguntur de ipso,

legitur verbum istud… de aliis alias forte dicendum est.

33 (S9, in octava apud fr. Coloniae in vulg.) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – De

tribus vasis et eorum plenitudine dictum est in praecedenti sermone, modo restat dicere de

vase effectus, quod repletur fortitudine… Non vos estis, qui loquimini.. et sic patet ultimus.

Donet Dominus.

43 (T39) Repleti sunt omnes Spiritu Sancto (Ac. 2,4) – ex no(tis) fratris H(erbrandi ?)

– Tria dicuntur hic de apostolis scil. Quod repleti sunt SSo et quod loquebantur variis linguis

et terio modus locutionis eorum subjungitur… nunc loquitur et converuntur omnes..

44 (T39) Effundam de spiritu meo (Ac.2,17) – item ex no(tis) fratris H – Verba sunt

Patris de effusione spiritus sui tria dicentis. Primo enim promittit effusionem spiritus, secundo

dicit, cuius iste sit spiritus, et terti super quem effundetur… aurum, argentum, lapides, super

haec omnia infra.

45 (T39) Effundam de spiritu meo (Ac.2,17) – Istud verbum assumptum est de Joele et

confutat Petrus per illud falsam opinionem perfidorum… ab uberibus consolationis eius, a

quibus nos repleat ipse spiritus.

46 ex notulis fr. He. (T39) Effundam de spiritu meo (Ac.2,17) – De effusione

magnifica Sancti Spiritus sufficienter expeditum fuit et propter hoc de parcione ipsius…

beatus ? est dominus, dixit Lucas.

152

48 (T39, apud fratres Coloniae in vulg.) Effundam de spiritu meo (Ac.2,17) – Haec

verba quae beatus Petrus assumit ab ore Joelis prophetae optime congruunt festivitati

praesenti de aliis ad praesens non dicimus.

114 (T38/3) Imponebant manus super illos (Ac. 8,17) – In verbo proposito, quod

Lucas scribit in Act. tria notanda sunt circa acceptionem SSi, videl. modus acceptionis… ab

ipso vita procedit.

116 (T36) Et cum hoc dixisset videntibus illis (Ac. 1,9) – In ascensione sua Dominus

quaedam dixit discipulis suis ad eorum eruditionem et quaedam fecit coram eis ad

confirmationem… in hac luce posuit hodie Christus humanitatem nostram.

133 (S9) : Cum autem Stephanus esset plenus Spiritu sancto (Ac. 6,5) – Multas laudes,

quas beatus Lucas dixit de sancto isto concludit sic : Cum autem… convertit se ad caelum…

hacec dicta de vita et plenitudine sancti huius ad praesens sufficiant.

134 (S9) : Cum esset Stephanus (Ac. 7,55) – Diximus de commendatione istius sancti,

quae consistit in sanctitate vitae et in sanctitate spiritus. Nunc tertium membrum, quod est de

sanctitate praemii prosequamur… tunc sunt nobis aperta, immo sunt.

177 (S9) : Cum autem Stephanus esset plenus Spiritu sancto (Ac. 6,5) – Beatus

Stephanus in hac auctoritate commendatur a quattuor, a nomine, cum dicitur Stephanus, quod

interpretatur regula vel coronatus… sapientiae Dei non possunt resistere.

179 (S9) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – quia venit tempore plenitudinis, in quo

misit Deus filium suum in mundum et iste regis primitiarius protomartyr Stephanus… ubi

pleno ore gustavit quod sitivit, ad quam nos perducat Jesus Mariae filius.

218 (S46) : Et Petrus ad se reversus dixit : Nunc scio vere (Ac. 12,11) – Ex his verbis

colligitur quod Petrus erat extra se raptus. Sciendum ergo, quod quattuor faciunt homines

extra se, generaliter quodlibet mortale peccatum… Nunc scio vere.

332 (T36) : Hic Jesus qui assumptus est (Ac. 1,11) – Nota, quod Dominus ascendit, in

tubae concrepatione… ut eum in districto judicio cum gaudio videamus.

366 (S9) : Ecce video caelos apertos (Ac. 7,55) – Tria sunt hic notanda : I. Quis sit

iste, qui se caelos apertos videre protestatur ? … ut… osculum palmamque porrigeret et

coronam.

371 (S20) : Vas electionis est mihi iste (Ac. 9,15) – Duo principaliter sunt hic

notanda : I. Quare beatus Paulus a Domino vas electionis appellatur ? … ut tandem eius

meritis et precibus aeternam claritatem feliciter assequamur.

153

p. 156, Aldobrandinus de Cavalcantibus OP (1217 Florentiae ; prior S. Mariae

Novellae, Florentiae, et S. Romani Luccae ; 1262-68 provincialis ; episcopus Orvieto 1273 ; =

31-VIII-1279).

86 (T36) : Hic Jesus, qui assumptus est a vobis (Ac. 1,11) – Angeli sancti in verbis

istis tria faciunt. Primo asserunt ascensionem, ibi : Assumptus est a vobis… cum potestate

quantum ad malos. Rogemus.

90 (T39) : Repleti sunt omnes Spiritu sancto (Ac. 2,4) – Ostenditur in verbis istis, quod

descensus sive adventus Spiritus Sancti est cum largitate quia replet… contra hostes fidei,

quod est verbum Dei. Rogemus.

280 (S9) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – In epistola ista, quam scipsit notarius

aeterni regis Lucas, scil. agitur de conflictu qui fuit inter pugilem Christi Stephanum… Sap.

10,12 Certamen forte dedit illi.

281 (S9) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – In verbis istis notantur tria ad

commendationem beati Stephani. Primo enim commendatur a nomune, quo innotuit, ibi :

Stephanus… que omnia fuerunt in beato Stephano.

282 (S9) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – Accipe hoc tertium processum.

Ostenditur autem beatus Stephanus, quod vixit juste, sobrie et pie…

293 (S20) : Vas electionis (Ac. 9,15) – Ab ore veritatis triplex commendatio ponitur

hic circa beatum Paulum facta Ananiae. Primo commendat meritum… in laboribus plurimis.

324 (S40) : Dixit Spiritus Sanctus : Segregate mihi Barnabam (Ac. 13,2) – Ex verbis

istis possunt extrahi septem ad commendationem beati Barnabae. Primum si attenditur, quibus

hoc dictum fuerit… et per sanctum modum fuit electus.

325 (S40) : Joseph cognominatus est Barnabas (Ac. 4,36) – Ista sunt prima verba,

quae in sancto canone leguntur de bato Barnaba, in quibus commendatur a nomine, ibi :

Joseph… humiliatus sum usquequaque.

349 (S54) : Vas electionis est mihi iste (Ac 9,15) – Verba ista, quae dicuntur de

apostolo Paulo, competunt patrio nostro beato Dominico. Ille enim fuit summus praedicator

gentium… sapientibus et insipientibus debitor sum.

453 (T39) : Repleti sunt omnes (Ac. 2,4) – Nota, fuerunt septem in apostolis quae

etiam si in nobis fuerunt, replebimur Spiritu Sancto. Unum est humilitas. Unde dicitur : Erant

sedentes, in quo humilitas designatur… et mansionem apud eum faciemus.

474 (S9) : Stephanus plenus gratia (Ac. 6,8) – Stephanus idest coronatus est dignus

fuit ut tali vocaretur nomine, qui primo meruit corona martyrii coronari, ideo dicitur

protomartyr idest primus… sunt ergo coronae istae cavendae, illa vero praedictae appetendae.

154

475 (S9) : Stephanus autem plenus gratia (Ac. 6,8) – Commendatur autem beatus

Stephanus in ista epistola in quinque, scil. in vitae rectitudine, ibi : Stephanus, qui

interpretatur rectus… per quintum ad finem.

486 (S20) : Vas electionis est (Ac. 9,15) – Verba sunt Domini de beato Paulo in quibus

duo dicit de eo. Primo quod est vas electionis… Ab Jericho usque ad Jerusalem repletum est

evangelium Christi.

500 (S40) : Barnabas autem erat vir bonus (Ac. 11,24) – Notandum quod duo sunt

necessaria homini, scil. exterior conversatio propter proximum, interior perfectio propter

Deum… quae nobis similiter praestare bona.

595 (T36) : Hic Jesus qui assumptus est (Ac. 1,11) – Ascensio Domini Jesu, quam

hodie recolit ecclesia, est imitanda et veneranda et gratlabunda et est metuenda… Levate

capita vestra, quoniam appropinquabit redemptio vestra. Rogemus.

599 (T39) : Factus est repente de caelo (Ac. 2,1) – Hoc potest esse alius processus, in

quo agitur de venientis spiritus dignitate… Spiritus Domini replevit orbem terrarum.

Rogemus.

745 (T39) : Dum complerentur dies Pentecostes (Ac. 2,1) – Quando aliquod magnum

munus datur, quattuor solent notari, quare quaciunt ipsum munus magnum… dona Spiritus

Sancti, ad quae obtinenda nos idoneos faciat Jesus Christus.

793 (S9) : Ecce video caelos apertos (Ac. 7,56) – Dictum quoddam sancti prophetae :

Secundum multitudinem dolorum meorum. Impletum est hodie in sancto martyre, qui cum

esset in multitudinem dolorum… de quorum numero sancti Stephani meritis faciat nos Jesus

Christus. Amen.

807 (S54) : Vas electionis mihi est – Verba ista quae dicuntur de apostolo Paulo

competunt patrio nostro sancto Dominico. Ille fuit summus praedicator gentium, iste egregius

praedicator infidelium… omnibus praedicavit sine personarum acceptatione, Romanis,

Graecis et barbaris. Rogemus.

p. 222 Aldobrandinus de Toscanella OP (1287-92 lector Pisa, Pistoja, Siena,

Viterbo).

87 (T36) : Primum quidem sermonem feci (Ac 1,1) – Quando aliquis magnus dominus

vult a domesticis et consanguineis suis recedere… Ite maledicti et venite benedicti. Rogemus.

95 (T39) : Dum complerentur dies Pentecostes (Ac 2,1) – Post magnificentiam

resurgentis post gloriam ascendentis, post sublimitatem residentis congruum fuit, ut iustorum

laetitia adveniret… venit in sono, ut terreret pessimos. Rogemus.

155

219 (S9) : Stephanus plenus gratia – In tota serie huius epistolae beatus Stephanus

commendatur a quinque, quae habuit. Habuit enim in gratiis plenitudinis abundantiam… qui

perseverat in cursu et pervenit, meretur accipere. Patent ergo quinque supra dicta.

523 (T39) Apparuerunt illis dispertitiae linguae (Ac 2,1) – In istis verbis duo

notificantur. Primum est modus adventus Spiritus sancti… secundum est ipsius mansio in

apostolis… anima justi sedes est sapientiae Dei.

p. 271, Alexander Neckam OSACan (1157 St. Albans; docuit 1180-86 Parisiis; a.

1203 canonicus reg.; 1213 abbas Cirencester; mort 8.2.1217.

33 (T36) : Viri Galilaei, quid statis (Ac 1,11) – Jacob in somnis vidit scalam stantem

super terram et Dominum innixum scalae. Per hanc scalem ascensus Domini designatur… ut

cum Christo ascendere possimus.

73 : Nunc scio vere quia misit Dominus angelum suum (Ac 12,11) – Legitur in

annalibus quod Gaius Cesar Herodem tetrarcham, qui sanctum Johannem decollavit cum

uxore Herodiade relegavit in exilium… [f. 78vb. Petrus Comestor]

p. 279, Amandus de S. Quentin OP (1273-82 studiis immoratus est Parisiis, c. 1295-

98 legit sententias, magister 1299-1301.

3 (T39 1302) Repleti sunt omnes (Ac. 2,4) – Augustinus de sententiis prosp. 43 cap.

dicit sic : Veritas legis, quae docet peccatum vitandum… habeamus plenitudinem gratiae in

praesenti et… gloriae in futuro.

4 (T39 Collat.) Repleti sunt omnes – illam gloriosam virginem, quae concepit de

Spiritu sancto, in principio salutemus… Sic hodie dicebatur, festum SSi dividitur quoad IV in

verbis assumptis… operari viriliter et conversari suaviter.

p. 290 Antonius Azaro de Parma OP (Ingressus est in ordinem 1259 aut 160, adhuc

vivens 1314)

90 (T39) Cum complerentur dies pentecostes – Hodierna dies dicitur dies pentecostes

idest dies quinquagesima a die paschae… Venite benedicti patris mei… Quod ipse praestare

dignetur.

142 (S9) : Stephanus plenus gratia – In verbis istis commendatur beatus Stephanus a

tribus, primo a nominis dignitate… ad istam dexteram meritis et intercessionibus beati

Stephani perducat.

156

p. 314 Antonius de Padua (Lusitanus) OM

21 (T39) Cum complerentur dies pentecostes – Dicit Ez. Spiritus vitae erat in rotis.

Rotae volubiles fuerunt apostoli Dei Filium per totum mundum deferentes… Dicat omnis

spiritus Amen. Alleluja.

131 (T38) Cum complerentur dies pentecostes – Surrexit Elias, ut dicit Eccli., et verba

eius quasi facula ardens. Elias est praelatus ecclesiae… et unde mors orta fuerat, inde orietur

et vita.

Pseudo Antonius de Padua :

83 (T39) Cum complerentur dies pentecostes – Pentecostes graece, latine

Quinquagesimus, et antiquitus populus quinquagesium diem observabat… erunt omnes

discipuli parati ad suscipiendum gratiam Spiritus sancti.

84 (T39) Factus est repente (Ac 2,2) : Sonus est, quidquid sensibile auditur. Huius

sunt tria genera, voce ut per fauces… ipse maledixit ficulneae, in qua non invenit fructum, sed

folia tantum. Rogemus igitur.

Pseudo-Ardingus de Pavia (OP ?) (1227-1229 commorans Parisiis, canonicus

Paviae, 1231-49 episcopus Florentiae. Sermones sequentes huic auctori erronee attribuutur.

98 (S9) : Stephanus autem plenus gratia et fortitudine – Legitur, quod ille Jacob

patriarcha quadam vice vidit unam magnam arborem pulcherrimam… desiderat coronari,

quod nobis participare dignetur ipse Dei Filius. Nunc dicas legendam.

103 (S20) : Vas electionis est mihi iste (Ac. 9,15) – Secundum sententiam naturalis

philosophi : Virtus solis non potest ad ista inferiora descendere nisi primo transeunt per lunae

regionem… quod miraculum scribitur in epistola hodierna. Nunc dicas historiam praesentis

sollemnitatis.

106 (S24) : Cecidit sors super Matthiam (Ac 1,26) – Secudum sententiam naturalium

philosophorum in homine sunt duae substantiae, scil. naturalis et spiritualis, et secundum hanc

duplicem substantiam homo indiget duplici cibo… cum Christo Domino hic per gratiam et in

futuro per gloriam. Nunc dicas historiam hodiernam.

p. 358, Augustinus Triumphus de Ancona OESA (1243 Anconae, 1261 ordinem

ingressus est, + 1328).

84 (S9) : Stephanus plenus gratia et fortitudine – Carissimi, hodie sancta mater

ecclesia celebrat festum sancti Stephani protomartyris. Nam decens est quanto rex est

157

nobilior, tanto magis sit sociatus et decoratus… ad quam dormitionem et requiem meritis

beati Stephani perducat nos Christus.

85 (S9) : Cum autem esset Stephanus plenus Spiritu sancto (Ac. 6,5) – Proposita

verba, carissimi, quae scripta sunt Act VII possunt esse dicat secum [corriger : secundum]

unum modum exponendi in persona cuiuslibet praedicatoris, secundum alium modum.. in

persona beati Stephani… a dexteris virtutis Dei, cuius visionis participes nos faciat.

97 (S24) : Cecidit sors super Matthiam (Ac 1,26) – Verba proposita, carissimi, scripta

sunt in Act I, quae secundum sensum spiritualem possunt esse dicta de... praedicatoris

perfection, secundum sensum litteralem de beati Matthiae apostoli… in caelesti hierarchia

mortis beati Matthiae ipse Dominus Jesus Christus.

117 (S40) : Erat Barnabas vir bonus (Ac 11,34) – Haec auctoritas, quae scripta est

Act. XI, potest exponi dupliciter, primo spiritualiter de praedicatoris perfectione, secundo

litteraliter de beati Barnabae commendatione… cuius bonitatis, caritatis et veritatis eius

precibus et meritis participes nos faciat.

130 (S50) : Respondit Jacobus et dixit : Viri fratres, audite me (Ac 15,13) – Proposita

auctoritas, quae scripta est in Act. XV, dupliciter exponi potest, primo spiritualiter in persona

predicatoris, secundo litteraliter in persona beati Jacobi… hanc ergo doctrinam beati Jacobi

faciat nos imitari et eius precibus semper muniri ipse DJC.

131 (S52) : Petrus ad se reversus dicit : Nunc scio vere (Ac 12,11) – In proposita

auctoritate scripta Act. XII breviter.. nobis potest describi et notificari, qualis debet esse

praedicatoris..perfectio… qua custodiaa Christus nos custodiat.

p. 384, Balduinus de Ford(a) OCist (Exeter, ibi archidiaconus, abbas de Ford

(Devonshire), 1180 episcopus Worcester, 1184 archiepiscopus Canterbury, 1189 praedicavit

crucem, + 1190 Tyros in Syria.

1 Attendite vobis (Act. 5,35) – Apostolicus sermo ad vos dirigitur, o sacerdotes

Domini, ministri Dei nostri. Vobis dictum est et universi gregi Attendite vobis… ut exhibeatis

eam virginem castem sponso suo DNJCo.

p. 386, Barholomaeus (Abaliati) de Bononia OM (Studuit Parisiis, magister in

theologia Parisiis et Bononiae, 1285-88 minister provincialis Bononiae, + 1294).

10 (S46) : Isti homines servi Dei excelsi sunt (Ac 16,17) – Auris bona cum omni

concupiscentia audiet sapientiam. Verba ultima sun in Eccli, in quibus duo considerare

possumus… et ipse respondit : lucrum. Rogabimus Dominum.

158

11 Collatio : Isti homines servi Dei – Dictum fuit hodie quod totus mundus distinguitur

triplici hierarchia, scil. supercaelesti, subcaelesti et infernali… ut possimus ad aeterna gaudia

pervenire, quod nobis praestare.

p. 389, Bartholomaeus de Bregantiis OP (c. 1220 Vicenza, ingressus ordinem

Paduae, magister regens theol. in curia apostolica, 1252 episcop. Limassol in Cypria, 1255

episcop. Vicenza, + 1270).

284 Viri fratres, vos scitis, quod factum est verbum per universam Judaeam (Ac

10,37) – Videamus, quod verbum viri fratres per universam Judaeam factum viderunt… ad

ipsius judicium nos securos electos judice ipse perducat.

311 (T36) : Videntibus illis elevatus est (Ac 1,9) – Quia de ascensione Christi super

auctoritate Veteris et Novi Testamenti… sublimissimum in caelis JCo.

321 (T39) Dum complerentur dies pentecostes – Sicut veteris nostri hominis corporis

scil. organa… in praesenti et futuro participes faciat.

322 (T39) : Repleti sunt omnes (Ac. 2,4) – In verbis istis beatus Lucas ostendit quod

SS prius organa imperfecta hodie perfecit… paticipes efficiat, qui laudabilis et gloriosus vivit.

323 (T39) : Repleti sunt omnes – Et in Veteri et in Novo Testamento quosdam spiritu

impletos novimus… et ad plenum in futuro.

326 (T39) : Effundam de spiritu meo (Ac 2,17) – In libro Num. dictum fuit a Domino

Moysi : Auferam de spiritu tuo tradamque…

p. 424, Bartholomaeus de Exeter (ap. Montem S. Michaelis, 1161 episcopo Exeter, +

1184).

136 (S9) : Positis autem genibus beatus Stephanus adorabat (Ac 7,59) – Hodie in

honorem beati Stephani, cui locus dedicatus est, convenimus, quem qui honoraverit in terris…

in die tremendi judicii.

p. 462, Bernoldus Caesariensis (de Kaisersheim) OCist (1312)

60 (T36) : Hic Jesus, qui assumptus est (Ac 1,11) – Circa judiciariam Christi

potestatem, quae erit in extrema die, angeli.. duo innuut et ostendunt. Primo quod forma

humana est judicatura…

p. 472, Bertholdus de Ratisbona OM (c. 1210 ; c. 1226 OM, praedicavit in Bavaria,

Austria, Bohemia etc ; + 1272)

159

93 (S9) : Domine, ne statuas illis (Ac 7,59) – Quia festum sancti Stephani

protomartyris colimus, ideo aliqua de martyribus dicemus. Est triplex martyrium, nobile,

nobilius, nobilissimum… et cum hoc dixisset, obdormivit in Domino.

108 (S20) : Tremens ac stupens dixit (Ac 9,6) – Glossa : Tremens fulgore, stupens,

non putans Jesum esse in caelis,.. ideo stupescit… ut aeternam gloriam secum possidere

mereamur.

115 (S24) : Episcopatum eius accipiat alter (Ac 1,20) – Glossa : Hii versus plani sunt,

quia Judass praevaricationis poenam accepit… quia plurima supererogavit gaudia reddet.

142 (T36) : Hic Jesus qui assumptus est – Ascendit Christus in caelum cum magno

gaudio angelorum beatorum et magno ululatu angelorum malorum… istorum laeta jubilatio

hanc praestare dignetur.

153 (S46) : Petrus et Johannes ascendebant in templum (Ac 3,1) – Isti duo discipuli

praecipui significant duo praecepta praecipua, in quibus omnia alia comprehenduntur, videl.

dilectionem Dei et proximi… ut expresse apparet in eorum dictis.

154 (S46) : Transeuntes per primam… custodiam (Ac 12,10) – Sequitur : Nunc scio

vere. Verba sunt beati Petri a carcere Herodis per angelum, cuius hodie passionem

celebramus… Nunc scio etc.

163 (S52): Custodes ante ostium (Ac 12,6) – Ad vincula S. Petri duabus de causis

dicitur et colitur Alexander papa, qui sextus post beatum Petrum… Sap. 7 cum sit omnia

potens etc.

325 (S20) : Vas electionis – Duo principaliter sunt hic consideranda. Primum est,

quare beatus Paulus a Domino vas electionis appelletur… ut tamden eius meritis aeternam

claritatem seuamur.

370 : Per multas tribulationes (Ac 14,21) – Ut intraverunt filii Israel in terram, quam

eis Deus repromisit… Nota historiam de Abimelech.

p. 505, Bertrandus de Turre OM (1311/2 magister regens ; 1312 provincialis

Aquitaniae ; 1320 archiep. Saliane ; 1323 card. Tusculum ; 1328 administrator generalis F.

M. ; + 1332.

41 (S9) In diebus illis : Stephanus autem plenus gratia – Passio protomartyris non fuit

ista die, qua de ipsa solemnizat ecclesia… Benedictus, qui venit in nomine domini. Cuius

benedictionem tam gratiae quam gloriae nobis concedat.

160

42 (S9) : Stephanus plenus gratia – De sanctitate huius gloriosi militis beati Stephani,

qui per regem heri natum in terries hodie fuit natus et coronatus in caelis… Esto fidelis usque

ad mortem.

43 (S9) : Cum esset Stephanus plenus Spiritu sancto – Non sine causa dicit apostolus

Heb. ult. Jesus Christus heri et hodie… cuius gloriosa visio non deficiet in aeternum.

270 (T28/2) : Aperiens Petrus os suum (Ac 10,34) – vel sicut dicit Ecclesia : Portans

Petrus in medio aperiens.. – Petrus idest agnoscens scripturae veritatem stans per vitae

sanctitatem… et confessio ad salutem.

271 (T28/2) : Manducaviums et bibimus (Ac 10,41) – Vertex apostolorum Petrus

confirmans fidem teneram credentium… Beatus, qui manducat panem in regno Dei.

272 (T28/3) : Exsurgens Paulus (Ac 13,16) – Vas electionis Paulus et veritatis

evangelicae praedicator quattuor describit nobis in ista epistola praedicatoris personam…

verba epistola huius.

273 (T28/4) : Aperiens Petrus os suum – Humanum genus in praesenti vita facit

septuagesimam deviationis, sexagesimam viduationis, quinquagesimame subjectionis… sine

submersionis periculo manebimus in aeternum.

274 (T28/5) : Angelus Dominis locutus est ad Philippum (Ac 8,26) – Quoniam in

paschali sabbato, sicut dictum est superius, baptismus celebratur sollemniter in primitiva

ecclesia… in parvo tempore, quod faciant innocentes.

300 (T36) : Primum quidem sermonem faci – In sollemnitate ascensionis gloriosae

Salvatoris elegit sancta mater ecclesia loco epistolae in missa dicere primam partem libri

apostolicorum Actuum… cuius assumptionis et elevationis nos participes faciat Jesus

Christus.

301 (T36) : Videntibus illis elevatus est – Sanctus Augustinus in sermone ascensionis

Domini confrmatio catholicae fidei fuit, dum enim Christus humanam condicionem sideribus

imperavit… A qua quidem vindemiatione nos custodiat ipse Christus. Amen.

302 (T36) : Hic Jesus, qui assumptus est – Viros Galilaeos, scil. transmigrantes a

culpa ad poenitentiam, a mundo ad animam, ab imperfecto ad perfectum… et tunc lause rit

unicuique a Deo.

305 (T39) : Factum est, cum Apollo esset Corinthi (Ac 19,1) – In primitiva ecclesia bis

in anno celebrabatur sollemniter baptismi sacramentum, videl. in paschali sabbato… Ad quam

manifestationem.

161

306 (T39) : Baptizati sunt (Ac 19,5) – Quoniam in hoc sollemni sabbato in exordio

ecclesiae baptismus celebratur sollemniter et post baptismum confirmation… ut eius virtus

trahat et ducat nos ad superiora caeli.

307 (T39): Cum complerentur dies Pentecostes – Quare autem legat ecclesia hanc

epistolam ista die sanctissima a ressurectione Christi quadragesima, in qua Spiritus sanctus

super apostolos visibiliter venit… Ad illam pacem quae exsuperat omnem sensum.

308 (T39) : Repleti sunt omnes Spritus Sancto (Ac 2,4) – Ad honorem praesentis

sollemnitatis, in qua Spritus Sanctus in primis fidelibus datus fuit, ecclesia pro sermone

aedificatorio sumit verbum istud… et nobis proficient ad salutem.

309 (T39/2): Aperiens Petrus os suum – Verba hujus epistolae dicit Petrus apostolus in

Caesarea, cum venerat de Joppe… ut nullus fidelium pereat, sed habeat vitam aeternam.

604 (S24) : Et dederunt ei sortes (Ac 1,26) – Fuit enim sors, quae ab apostolis missa

fuerat, a Domino temperate… fuerunt sine sortibus ordinate.

613 (S46): Petrus et Johannes ascenderunt in templum – De gloriosissimis mundi

principibus et revendissimis omnium ecclesiarum patribus… perpetuo cum sanctis omnibus

gratias agens.

614 (S46): Petrus et Johannes ascenderunt in templum – De natali glorioso

praecipuorum ecclesiae principuum… ut inhabitem in domo Domini omnibus diebus vitae

meae, supple in Jerusalem superna.

615 (S46) : Misit Herodes rex manus (Ac 12,1) – Sicut patet in romano ordinario

praesens lectio loco epistolae legitur… satis proprie cantatur illud verbum hodie in introitu

missae : Nunc scio.

620 (S52) : Misit Herodes rex manus (Ac 12,1) – Sictu dictum fuit superius in

Sanctorali majori in festo cahedrae S. Petri… Venit Jesus in partes Caesareae.

621 (S52) : Misit Dominus angelum suum (Ac 12,11) – Princeps apostolorum et vertex

ecclesiae Petrus loquens de seipso ad litteram… Anima nostra sicut passer erepta est. Quam

quidem liberationem.

622 (S53) : Stephanus plenus gratia – De glorioso protomartyre Stephano referuntur

quattuor insigna… accipias prom themate illud verbum Job IIIc ut sequitur.

929 : Ascendit in cor eius, ut visitaret fratres suos (Ac 7,23) – Moyses tranquillus

animo dilectus a Domino proponitur populo…

999 : Fratres estis, ut quid vocetis alter alterutrum (Ac 7,26) – Dolosus humani

generis inimicus occasiones quaerit studiosius occupari…

[Même auteur, sermones de mortuis]

162

1080 : David patriarcha defunctus (Ac 2,29) – De isto venerabili patre papa vel

patriarcha scil. tali vel tali… intrabit cum sanctis patribus Jerusalem supernam. Quod sibi et

nobis.

1088 : David, cum administrasset voluntati Dei, dormivit (Ac13,36) – In exequiis

alicuius boni praelati ecclesiastici vel alicuius magni principis mundani… Quod isti venerabili

domino et nobis concedat.

1160 (T39) : Dum complerentur dies pentecostes – Notatur in his verbis…

praedicationis fervorem.

1162 (T39/2) : Cecidit spiritus super omnes (Ac 10,44) – in epistola hodierna – Quia

homo compositus est ex duplici natura scil. visibili et invisibili… fons aquae salientis in vitam

aeternam.

1163 (T39/3) : Oraverunt pro ipsis, ut acciperent Spiritum sanctum (Ac 8,15) – in

epistola hodierna – Considerans divina providentia Domini quod disposuerat dare fidelibus

summa pretiositatem… vel de oratione in sermone de Letaniis.

1215 (S46) : Dii similes facti hominibus descenderunt (Ac 14,10) – Unaquaeque res

sufficienter exprimit ad suum supremum medium… siquidem sunt dii multi et domini multi.

p. 592, Bonaventura :

239 (T36) : Non est vestrum nosse tempora (Ac 1,7) – In his verbis Salvator curiosos

docet omnem perfectudinis formam… et renovabis faciem terrae.

343 (S9) : Stephanus plenus gratia – Dominus misit me Jesus ad te (Ac 9,17) – Verba

ultima sunt Ananiae ad Saulum, qui postea factus est Paulus et doctor gentium… resultant in

numerum seagenarium. Rogabimus Dominum.

344 (S9) : Stephanus plenus gratia – Dictum est, quod beatus Stephanus commendatur

in verbis istis primo, quantum ad plenitudinem supernorum charismatum… Hoc etiam docet

fides christiana et beatus Stephanus lapidatus.

350 (S9) : Cum esset Stephanus plenus Spiritu sancto – Secundum quattuor sui

nominis interpretationes… Ad dexteram orientis.

354 (S9) : Cum esset Stephanus plenus Spiritu sancto – In verbis his commendatur

beatus Stephanus a tribus… Scimus quoniam si terrestris domus nostra.

355 (S9) : Video caelos apertos – In verbis his beatus Stephanus primo ostendit saue

revelationis consolationem mirificam… Videbunt filium hominis venientem.

356 (S9) : Domine Jesu, suscipe spiritum meum (Ac 7,58) – Verba sunt gloriosi

protomartyris Stephani ad Christum… In deficiendo ex me spiritum meum.

163

376 (S24) : Tu Domine qui corda nosti (Ac 1,24) – Describitur hic excellentia beati

Matthiae in forma apostolicae electionis… Ibi fuerunt gigantes.

665 (S20) : Vas electionis – Vera virtus et vera sapientia Christus commendat in his

verbis beatus Paulum a duobus, scil. a perfectione virtutis in vita.

674 (S24) : Tu Domine qui corda nosti (Ac 1,24) – Tria enim scil. devota invocatio

divinae majestatis, pia protestatio summae virtutis…

702 (S52) : Angelus Domini astitit (Ac 12,7) – In verbis istis agitur secundum

historiam de beati Petri incarceratione et liberatione…

745 (C14) : Attendite vobis et universo gregi (Ac 20,28) – Nobilis animarum zelator

apostolus Paulus exhortans praelatos ad gregis dominici sollicitudinem specialem tria facit in

propositis verbis. Primo excitat eorum attentionem…

761 (S9) : Video caelos apertos – Duo ponit beatus Stephanus. Primo ostendit suae

revelationis consolationem… cum sederit filius hominis in sede majestatis.

762 (S9) : Cum esset Stephanus plenus Spiritu sancto – A tribus commendatur hic

beatus Stephanus, primo ab excellentia vitae… Video caelos apertos.

855 (T39): Factus est repente (Ac 2,1) – Tria notantur in auctoritate praefata quantum

ad diem Pentecosten. Primum est desideratae consolationis exuberantia…

874 (S9) : Stephanus plenus gratia – In his verbis beatus Stephanus commndatur 1° a

plenitudine meritorum, quia plenus gratia, 2° a multitudine miraculorum… omne quod foris

sustinet.

887 (C15) : Tu Domine qui nosti corda (Ac1,24) – In quibus verbis beatus Petrus tria

explicat ad praelati electionem necessaria. Primum est divinae bonitatis humilis et devota

invocatio… proicietur in tenebras exteriores.

888 De poenitentia. Poenitemini et convertimini (Ac 3,19) – In quibus verbis beatus

Petrus peccatorem a Deo aversum, ad creaturam conversum et poenis aeternis obligatum

revocat… qui desiderant vitam aeternam.

912 (S46): Isti homines servi Dei excelsi sunt (Ac 16,17) – In quibus verbis

ostenduntur isti apostoli sanctitatem perfectissimi, quia servi Dei… Beati servi tui qui astant

ante te semper.

916 (S52) : Surge velociter (Ac12,7) – In quibus verbis describitur officium

angelicum, quod est excitare et stimulare ad bonum… Surrexi et adhuc tecum sum.

[Sermones pseudographi]

164

946 (S20) : Surrexit Saulus de terra (Ac 9,8) – Si quis epistolae hodiernae historiam

diligenter perlegerit, aperte videbit, quod duplex fuit visio in Paulo… ob amorem propriae

civitatis.

947 (S20) : Vas electionis mihi est ille (Ac 9,15) – Duplicem electionem legimus in

scriptura, unam aeternalem, alteram temporalem… in vasa testea opus mnuum figuli.

971 (S52) : Surge velociter (Ac12,7) – Cum liberatio apostoli Petri facta fuerit in die

dominicae incarnationis… non arbitror hic ponenda.

p. 657, Bonaventura d’Iseo (Brescia) OM (c. 1247) :

317 (T36) : Videntibus illis scil. apostolis elevatus est – Glossa. Ut qui testes

resurrectionis sunt, sunt testes ascensionis… nullus malus impunitus supple erit. A qua poena

nos liberet.

333 (T39) : Repleti sunt omnes Spiritu sancto – Nota, quod est repletio temporalis

substantiae, repletio iniquitatis et malitiae, repletio infernalis miseriae, repletio divinae

gratiae, repletio caelestis gloriae… postea beatitudinis habeatis plenitudinem. Ad quam.. ipse

auctor ipsius plenitudinis.

p. 716, Conradus de Brundelsheim OCist (1282 abbas Heilsbronn ; + 1321).

178 (T39) : Accipietis donum Spiritus sancti (Ac2,38) – Dicit Gregorius : Quibusdam

gradibus ad altiora virtutum incrementa pervenimus… ut in contrarium valeat difficulter

Domino meo Jesu Christo adjuvante.

275 (S9) : Video caelos apertos – Dicit Gregorius : Sacrae scipturae sic in veritate

credantur factae ut tamen per significationem nobis aliquid insinuent… aliquid de se nostris

sensibus aperit Dominus noster.

297 (S24) : Cecidit sors super Mathiam – Dicit Augustinus : Omnipotens Deus, quia

summe bonus est vult omes homines salvos fieri… nemo virorum illorum gustabunt cenam

meam. A quo juramento.

298 (S24) : Cecidit sors super Mathiam – Sapiens Salomon ex persona Dei : Beatus

homo, qui audit me… Hic accipiet benedictionem a Domino et misericordiam a Deo salutari

suo hoc totum operante in vobis Domino nostro.

326 (S52) : Erat Petrus dormiens (Ac 12,6) – Dicit Gregorius : Res gesta aliquid in

sancta ecclesia signat gerendum, sic quippe necesse est, ut audiamus quae facta sunt… de

carcere cathenisque egreditur ad regnum, adjuvante Christo.

165

p. 748, Conradus Holnicker de Saxonia OM (* Braunschweig ; 1247-62 lector

Hildesheim ; 1272-79 provincialis Saxoniae ; + 1279).

30 (S9) Lapidabant Stephanum (Ac 7,58) – Lapidatur homo… Moyses mandavit

nobis.

156 (T36) : Hic Jesus qui assumptus est a vobis – Considerandum est, quando ierit in

caelum Jesus, et sic videbimus, quomodo in die novissimo veniet… Levabo ad caelum

manum meam.

166 (T39) : Factus est repente – In his verbis Spiritus sanctus ostenditur repentins,

sonorus, validus, repletivus, lignosus, igneus… Deus sedet super sedem sanctam suam.

167 (T39) : Factus est repente – Supradictae Spiritus sancti operationes significari

possunt in septenario sanctorum in evangelio… unde ait : et manentem super eum.

175 (T39/2) : Repleti sunt omnes Spiritu sancto – Sicut replentur nubes humido,

camini foco… inebriabuntur ab ubertate.

176 (T39/2) : Repleti sunt omnes – Repletio Spiritus Sancti est purgativa, illuminativa,

perfectiva… Verbo Domini.

266 (S20) : Vas electionis est mihi – Vere electionis vas est apostolus, qui non solum

ad suam, sed ad multorum salutem electus est… sententia damnationis.

274 (S24) : Episcopatum eius accipiat alter (Ac 1,20) – Ista prophetia impleta est in

beato Mathia, qui Juda traditore abjecto episcopatum eius accepit… coronatus est in mundo

(coronatus corona gloriae in caelo).

275 (S24): Tu Domine qui corda nosti – Verba ista dixerunt beati apostoli orantes et

ad divinam electionem recurrentes… Ostendam vobis, quem timeatis.

276 (S24) : Ostende quem elegeris (Ac1,24) – Heu, quam multi in electionibus

faciendis magis sequuntur electionem diaboli… pauci vero electi.

306 (S50) : Occidit autem Jacobus (Ac 12,2) – Jacobus iste frater est Johannis

evangelistae, filius sororis mariae… Minus enima jacula feriunt, quae praevidentur.

366 (C5) : Per multas tribulationes oportet (Ac14,21) – Require in festo decollat .s.

Johannis Baptistae in sermone : Illum oportet.

501 (T36): Cum inuerentur in caelum (Ac 1,10) – In his verbis agitur de duobus

notabilibus. Primo exemplo apostolorum diligenter post ascendentem Christum aspicientium

erudimur… cum apostolis euntem in caelum respiciamus Dominum nostrum Jesum Christum.

505 (T39) : Factus est repente de caelo (Ac 2,2) – Tria sunt virtutum spiritualiumque

donorum insignia… Spiritus sanctus in nobis, qui cum Patre et Filio adoratur et gloriatur.

166

Vol. 2 :

p. 2, Ebehardus de Valle scholarum (Vilaines) (*Vilaines, studuit Parisiis, a. 1259

mgr theol., 1267 prior s. Catharinae Paris, + 1272).

62 (S24) : Dederunt sortes eis – Quia beatus Matthias sicut dicitur sorte fuit electus

ideo in verbo proposito duo notantur. Eligendi modus… videbimus eum sicuti est..

71 (T25) : Rogo vos accipere cibum (Ac 27,34) – In verbo proposito duo notantur, ad

quae apostolus nos hortatur. Primo hortatur quemlibet nostrum ad perceptionem sacrae

communionis… Nobis ergo, qui Israel hoc est Deum videntes sumus vitam aeternam donare

dignetur.

88 (T36) : Viri Galilaei, quid statis – In verbo propositio notantur tria. Primo enim

notatur attentio congregationis discipulorum… Haec est vita aeterna.. quem misisti Jesum

Christum. Ad quam vitam aeternam..

89 (T39) : Repleti sunt omnes – In verbo proposito (in quo apostoli dicuntur fuisse

repleti Spiritu sancto) tria notantur. Pimo enim notatur repletae cognitionis generalitas…

Gratiam et gloriam dabit Dominus. Ad quam gloriam..

93 (S40) : Barnabus hortabatur omnes (Ac 11,23) – In verbo proposito tria notantur, a

quibus beatus Barnabas commendatur. Primo enim commendatur a dignitate personae…

Venite benedicti Patris mei.. Ad quod regnum..

94 (S40) : Segregate mihi Saulum et Barnabam (Ac 13,2) – In verbo proposito

notantur duo. Primo enim notatur segregatio et electio specialis… Omnis lingua confiteatur..

in gloria Dei Patris.

107 (S50) : Occidit autem Jacobum (Ac 12,2) – Ad litteram. Ita fuit, quod beatus

Jacobus apostolus frater sancti Johannis evangelistae occisus fuit gladio Herodis jussu et

auctoritate… Act. 14,21 Per multas tribulationes oportet nos ingredi regnum caelorum.

145 (S74) : Dionysius Areopagita credidit (Ac 17,34) – In verbo proposito tria

notantur, a quibus beatus Dionysius commendatur. Primo a nomine… reportantes finem fidei

vestrae salutem animarum vestrarum.

p. 33, Engelbertus de Colonia OM

32 (S9) : Stephanus plenus gratia – Cum primum in quolibet genere debeat esse

mensura omnium aliorum, ideo beatus Stephanus qui fuit primus martyr… vel propter salutem

aliorum vel propter gloriam Dei.

167

40 (S24) : Sors cecidit super Matthiam – Sicut videmus in naturalibus, quod natura

non potest sustinere vacuum ; statim enim uno corpore de loco recedente aliud subintrat… in

omnibus virtuose consummando.

54 (S50) : Occidit autem Jacobum (Ac 12,2) – Iste est dictus Jacobus major ad

differentiam alterius, vide breviter legendam. Commendatur autem apostolus in hoc verbo a

passione gloriosa… nisi assit virtus altior? movens, quae gratia.

55 (S52) : Misit Dominus angelum suum (Ac 12,11) – Quia secundum beatum

Bernhardum ingratitudo est quasi ventus urens et exsiccans rivulos divinae misericordiae…

nos eripit de manibus inimicorum nostrorum.

p. 46, Ferrarius Catalanus OP (claruit 1265-75, praedicavit Parisiis 1267, 1274/75).

30 : Erat vir timens Deum (Ac 10,2) – In rebus bellicis solent viris militantibus in

bello agentibus strenua facta suorum praecedentium ad memoriam reducere… quam magna

ergo multitudo, ad quam nos perducat..

64 (S54) : Vas electionis mihi est iste – Nota quod veste unius alteri decenter induitur

aliis. Sic verba proposita licet sint dicat de beato Paulo tamen eleganter de beato Dominico

dici…

p. 64, Franciscus de Mayronis (Meyronnes) OM (* Digne, 1323 mgr theol, + p.

1328).

104 (S9) : Stephanus plenus gratia – Secundum doctrinam beati Augustini aliqua

opera Christi fuerunt mirabilia… praeter illam felicitatem, quae est communis omnibus

sanctis aliis.

126 (S46) : Petrus et Johannes ascendebant in templum (Ac 3,1) – Sicut in statu

ecclesiae surgentis apud Judaeos Petrus et Johannes fuerunt principales apostoli… Sanctus,

sanctus, sanctus Dominus Deus Sabaoth. Sic fuit Isaiae revelatum. Ad illud templum..

127 (S46/2) : Vas electionis est mihi – Quia secundum doctrinam beati Dionysii de

divinis nominibus : Omnis creatura secundum gradum suae entitatis est quoddam

receptaculum divinae bonitatis… Vasa castrorum in excelsis collocantur.

p. 80, Fredericus Pisanus (Visconti) (ex familia vicecomitum, studuit Parisiis,

capellanus Sinibaldi Fieschi (postea Innoc. IV), canonicus Pisae, archiep. Pisae 1254

(consecr. 1257)-1277, + 1277).

168

16 (S9) In vulgari, ad populum, in ecclesia s. Stephani : Stephanus vidit caelos apertos

(Ac 7,55) – Nolite subtrahere verbum (Jer 26,2) – Sic dicit Dominus per Jeremiam 24 cuilibet

praedicatori. Idem dicit per Is 58. Clama, ne cesses.. Stephanus vidit caelos apertos – In hac

auctoritate, quam sumpsit beatus Gregorius Act 7f dictuntur duo. Primum quod beatus

Stephanus vidit caelum apertum… ad gaudia sanctorum intrare, ad quos nos perducat..

19 (S20) In vulgari, in monasterio s. Pauli de Pugnano : Surrexit Saulus de terra (Ac

9,8) – Orate pro nobis, ut sermo Domini currat (2Thess. 3,1) – In verbis ultimo propositis

possunt duo notari quae in qualibet praedicatione requiruntur. Primum ut pradicatio

inelligibilis.. Surrexit Saulus de terra – Verba ista.. possunt dupliciter exponi. 1° ut competunt

hodiernae festivitati… quod ipsius precibus nobis et vobis concedat, qui vivit..

20 (S20) apud s. Paulum de Horto : Audivit vocem de caelo dicentem : Saule (Ac 9,4)

– Dabitur pluvia semini tuo (Is 30,23) – Expositionem huius prothematis infra require in

sermone btae Agnetis, qui incipit : Flores apparuerunt.. Audivit vocem – Narra historiam,

quomodo Saulus omnes discipulos Christi et christianos persequebatur…

36 (T36) In vulgari, apud s. Petrum ad gradus : Ascendens Christus in altum (Eph 4,1)

– Loquente Petro cecidit SS (Ac 10,44) – Istud prooemium require in sermone XLae Nunc

scio vere.. Ascendens Christum in altum – Ista auctoritas ex eo, quod est Psalmistae fuit

prophetia ascensionis DNJCi… illuc ascendere valeamus, quo ipse hodie ascendit ad

dexteram Dei sedens, ad quam nos perducat… Per Christum significatur uilibet christanus, a

Christo enim christianus dicitur..

43 (S46) In vulgari, in s. Petro ad vincula : Nunc scio vere, quia misit Dominus

angelum suum (Ac 12,11) – Loquente Petro cecidit SS (Ac 10,44) – Secundum quod in verbis

ultimo propositis continetur praedicnte beato Petro populo, sicut nos praedicamus modo

vobis.. Nunc scio vere – Verba ista, quae lecta sunt hodie in epistola hodierna possumus

exponere duobus modis. Primo prout competunt historialiter beato Petro… finaliter per

gloriam in ecclesia triumphante, quod nobis concedat..

71 pro + hydropica monacha s. Matthaei : Oportet transire per multas tribulationes

(Ac 14,21) – Verba ista sunt beati Pauli apostoli, quae dixit discipulis suis, ut se preparent ad

poenitentiam… ad eandem coronam pervenire possimus.

101 in visitatione capituli : Revertentes visitamus fratres per universas civitates (Ac

15,36).

111 : Imponebant manus apostoli super baptizatos (Ac 8,17) – Dabitus vobis in illa

hora (Mt 10,19) – Imponebant manus apostoli – Secundum historiam huius auctoritatis

169

debetis scire, quod postquam apostoli receperunt spiritum de caelo… quod spectet ad gloriam

suam et ad salutem animarum nostrarum.

Sigles employés :

T25 = fer. 5 in coena Dni

T29 = dnca in albis

T30 = dnca 2 post pascha

T31 = dnca 3 post pascha

T32 = dnca 4 post pascha

T33 = dnca 5 post pascha

T35 = in vigilia ascensionis Dni

T36 = in ascensione Dni

T38 = in vigilia pentecostes

T39 = dnca pentecostes et de Spiritu sancto

S9 = Stephano

S20 = in conversione s. Pauli

S24 = de s. Matthia

S40 = de s. Barnaba

S46 = Petro et Paulo

S50 = de s. Jacobo

S52 = de s. Petro ad vincula

S54 = de s. Dominico

S74 = de s. Dionysio

C2 = apostolo, apostolis

C5 = de pluribus martyribus

C14 = in synodo (ad praelatos, sacerdotes, clerum)

C15 = in electione (et confirmatione) episcopi, praelati

170

Abréviations et sigles couramment employés

BTT : Bible de tous les temps (Paris, Beauchesne)

CCCM : Corpus christianorum, Continuatio medievalis (Turnhout, Brepols)

CCSL : Corpus christianorum, Series latina (Turnhout, Brepols)

CSEL : Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum (Vienne)

DB : Dictionnaire de la Bible

DHGE : Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques

DS : Dictionnaire de spiritualité

IEA : Institut d’Etudes augustiniennes.

PG : Patrologia greca cursus completus (Paris, Migne)

PL : Patrologia latina cursus completus (Paris, Migne)

RThAM : Recherches de Théologie ancienne et médiévale (Louvain, Mont César)

RB : Revue biblique

RSPT : Revue des Sciences philosophiques et théologiques (Paris, Vrin)

SDB : Supplément au Dictionnaire de la Bible

Steg. : F. STEGMÜLLER, Repertorium Biblicum Medii Aevi, Madrid, Instituto Francisco

Suarez, 1940-1980.

171

Bibliographie

Une étude prétendant couvrir douze siècles de production exégétique ne peut

évidemment espérer fournir une bibliographie tant soit peu exhaustive. Nous n’avons donc

retenu ici que les titres les plus importants, qui ont fait l’objet d’une lecture ou d’une

consultation pour la réalisation de ce travail. Les catalogues de bibliothèque ne sont pas

mentionnés.

1. Instruments de travail

Biblia patristica. Index des citations et allusions bibliques dans la littérature

patristique, Paris, éditions du CNRS, 6 vol., de 1986 à 1997.

F. BRUNHÖLZL, Histoire de la littérature latine du moyen âge, t. I/1 : L’époque

mérovingienne, Louvain-la-Neuve, Brepols, 1990 (trad. de Geschichte der lateinischen

Literatur des Mittelalters, 1975).

t. I/2 : L’époque carolingienne, Louvain-la-Neuve, Brepols, 1991 (trad. de Geschichte

der lateinischen Literatur des Mittelalters, 1975).

Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, par A. Baudrillart et al.,

Paris, Letouzey et Ané, depuis 1912, 27 vol.

Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, de 1932 à 1995.

Dictionnaire de la Bible, par M. Vigouroux et al., Paris, Letouzey et Ané, 1891-1912,

5 vol.

Supplément au Dictionnaire la Bible, par L. Pirot et A. Robert, puis J. Briend et M.

Quesnel, Paris, Letouzey et Ané, à partir de 1928.

P. GLORIEUX, Répertoire des maîtres en théologie de Paris au XIIIe siècle, Paris, Vrin,

2 vol. 1933 et 1934.

Histoire littéraire de la France, commencée par Dom Rivet, continuée par l’Académie

des Inscriptions et Belles-Lettres, 42 volumes parus.

T. KAEPPELI, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, Rome, 1975, 4 vol.

C. OUDIN, De Scriptoribus Ecclesiasticis, Paris, 1665.

J. QUASTEN, Introduction aux Pères de l’Eglise, Paris, Le Cerf, 1955-1986, 4 vol.

QUETIF ET ECHARD, Scriptores ordinis praedicatorum, Paris, 1719, 2 vol.

172

J.-B. SCHNEYER, Repertorium der lateinichen Sermones des Mittelalters für die Zeit

von 1150-1350, Münster, 1969-1980, 11 vol.

H. SIEBEN, Exegesis patrum. Saggio bibliografico sull’esegesi biblica dei Padri della

Chiesa, Rome, Istituto Patristico Augustinianum, 1983.

F. STEGMÜLLER, Repertorium Biblicum Medii Aevi, Madrid, Instituto Francisco

Suarez, 1940-1980.

2. Ouvrages généraux sur l’exégèse médiévale

COLLECTIF, Le Moyen Age et la Bible (P. Riché et G. Lobrichon, éd.), Paris,

Beauchesne (Bible de tous les temps 4), 1998.

COLLECTIF, The Bible in the Medieval World. Essays in Memory of Beryl Smalley (K.

Walsh et D. Wood, éd.), Oxford, Blackwell, 1985.

P. C. BORI, L’interpretazione infinita. L’ermeneutica cristiana antica e le sue

trasformazioni, Bologne, Il Mulino, 1987.

G. CREMASCOLI et F. SANTI (éd.), La Bibbia del XIII secolo. Storia del testo, storia

dell’esegesi, Florence, SISMEL/Galluzzo, 2004.

G. CREMASCOLI ET C. LEONARDI, La Bibbia nel Medio Evo, Bologne, EDB, 1996.

G. DAHAN , L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (XIIe-XIVe siècle),

Paris, Le Cerf, 1999.

M. GIBSON, ‘Artes’ and Bible in the Medieval West, Variorum, 1993.

W. LAISTNER, Thought and letters in western Europe A.D. 500 to 900, 2e édition,

Londres, 1957.

J. LECLERCQ, L’amour des lettres et le désir de Dieu. Initiation aux auteurs

monastiques du moyen âge, Paris, Le Cerf, 1957.

H. DE LUBAC, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Ecriture, Paris, Aubier, 1949-

1964, 4 vol.

B. SMALLEY , The study of the Bible in the Middle Ages, 3è édition revue, Oxford,

Blackwell, 1983 (éd. originale : 1952).

ID., The Gospels in the Schools c. 1100-c.1280, Londres, The Hambledon Press, 1985.

C. SPICQ, Esquisse d’une histoire de l’exégèse latine au Moyen Age, Paris, Vrin, 1944.

173

3. Ouvrages sur le texte biblique et le livre des Actes

S. BERGER, Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du moyen âge, Nancy,

1893 ; réimpr. Hildesheim, Olms, 1976.

ID., Les préfaces jointes aux livres de la Bible dans les manuscrits de la Vulgate,

Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, I. série, tom. XI, 2. partie, 1902.

M. E. BOISMARD, Le texte occidental des Actes des apôtres (EtB 40), Paris, Gabalda,

1985.

M. E. BOISMARD ET A. LAMOUILLE , Texte occidental des Actes des apôtres.

Reconstitution et réhabilitation, Paris, Ed. Recherche sur les civilisations, 1984 (2 vol. : I.

Introduction et textes ; II. Apparat critique).

P.-M. BOGAERT, « La Bible latine des origines au Moyen Age. Aperçu historique, état

des questions », in Revue théologique de Louvain, 19, 1988.

F. BOVON, De Vocatione Gentium. Histoire de l’interprétation d’Act. 10,1-11.18 dans

les six premiers siècles, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1967.

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ID., Préfaces de la Bible latine, Namur, 1920.

E. DELBECQUE, Les deux Actes des apôtres (EtB 6), Paris, Gabalda, 1986.

J. DUPONT, Les sources du livre des Actes. Etat de la question, Bruges, Desclée de

Brouwer, 1960.

B. FISCHER, Beiträge zur Geschichte der lateinischen Bibeltexte, Fribourg en B.,

Herder, 1986.

J. A. FITZMEYER s.j., The Acts of the Apostles. A new translation with introduction and

commentary, Anchor Bible 31.

W. GASQUE, A history of the criticism of the Acts of the Apostles, Tübingen, J. C. B.

Mohr, 1975.

A. J. MATTILL et M. BEDFORD, A classified bibliography of literature on the Acts of

the Apostles, Leiden, Brill, 1966.

W. E. MILLS, A Bibliography of the Periodical Literature on the Acts of the Apostles

1962-1984, NovTSup 58, Leiden, Brill, 1986.

P. STUEHRENBERG, “The Study of Acts before the Reformation: A Bibliographic

Introduction”, in Novum Testamentum, vol. XXIX, 2 (1987).

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4. Ouvrages et articles sur l’époque patristique

COLLECTIF, Le monde latin antique et la Bible, (J. Fontaine et C. Pietri, éd.), Paris,

Beauchesne (Bible de tous les temps 2), 1985.

COLLECTIF, Saint Augustin et la Bible (A.-M. de la Bonnardière, éd.), Paris,

Beauchesne (Bible de tous les temps 3), 1986.

G. BARDY, « La littérature patristique des Quaestiones et responsiones sur l’Ecriture

sainte », Revue biblique, t. 41, 1932, p. 210 et s.

ID., « La littérature patristique des Quaestiones et responsiones sur l’Ecriture sainte

(suite) », Revue biblique, t. 42, 1933, p.19.

ID., La prédication de S. Césaire d'Arles, dans R. H. E. F., xxix, 1943, pp. 201-236.

B. BUREAU, Lettre et sens mystique dans l’Historia apostolica d’Arator, Paris, IEA,

1997.

P.-A. DEPROOST, L’apôtre Pierre dans l’épopée du VIè siècle : l’Historia apostolica

d’Arator, Paris, IEA, 1990.

A. VON HARNACK, Marcion. L’évangile du Dieu étranger, Paris, Cerf, 2003 [trad. de

l’allemand : Marcion. Das Evangelium wom fremden Gott, Leipzig, 1924]

H.-I. MARROU, Saint Augustin et l’augustinisme, Paris, 1959.

ID., Saint Augustin et la fin de la culture antique, Paris, De Boccard, 1938.

A. G. MARTIMORT, Les lectures liturgiques et leurs livres, Turnhout, Brepols, 1992 :

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M. PONTET, L’exégèse de saint Augustin prédicateur, Paris, Aubier, 1944.

S. POQUE, « Les lectures liturgiques de l’Octave pascale à Hippone d’après les traités

de saint Augustin sur la première épître de saint Jean », dans Revue Bénédictine 74, 1964.

G. TISSOT, « Introduction » à AMBROISE DE M ILAN , Traité sur l’évangile de S. Luc I,

Paris, Cerf, 1956 (SC 45).

P.-P. VERBRAKEN, Etudes critiques sur les sermons authentiques de saint Augustin,

Steenbrugge, Brepols, « Instrumenta patristica » 12, 1976.

ID., « Mise à jour du fichier signalétique des Sermons de saint Augustin », dans M.

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« Instrumenta patristica » 23, Steenbrugge, Brepols, 1991, p. 483-490.

C. VOGEL, Medieval Liturgy. An introduction to the sources, Washington, The Pastoral

press, 1986.

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5. Ouvrages et articles sur l’époque médiévale

COLLECTIF, Hugues de Saint-Cher, bibliste et théologien. Etudes réunies par L.-J.

Bataillon, G. Dahan et P.-M. Gy, Turnhout, Brepols, 2004.

COLLECTIF, L’école carolingienne d’Auxerre de Muretach à Rémy (830-908), dir. par

D. Iogna-Prat, C. Jeudy, G. Lobrichon, Paris, Beauchesne.

J. W. BALDWIN , Masters, Princes and Merchantes. The Social Views of Peter the

Chanter and his Circle, 2 vol., Princeton, New Jersey, 1970.

E. BERTOLA « La Glossa ordinaria biblica ed i suoi problemi », RThAM 45 (1978), p.

72.

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égaré parmi les ouvres de Fulbert de Chartres », in Revue du moyen âge latin, t. VI, 1950, pp.

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Glossa ordinaria”, RThAM VII (1935), pp. 235-262.

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ID., “Some Thirteenth-Century Commentaries on the Sapiential Books”, in Dominican

Studies 2 (1949), pp. 318-355.

ID., « Stephen Langton and the four senses of Scripture », in Speculum 6 (1931), pp.

60-76.

6. Ouvrages et articles sur la prédication

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Oxford, 1985.

H. BARRE, Les homéliaires carolingiens de l’école d’Auxerre. Authenticité, inventaire,

tableaux comparatifs, initia, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1962.

L.-J. BATAILLON , « Les instruments de travail des prédicateurs au XIIIe s. », in

Culture et travail intellectuel dans l’Occident médiéval, éd. G. Hasenor et Longère, Paris,

1981.

ID., « Lectio et praedicatio », in RSPT 70 (1986), pp. 559-575.

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ID., La prédication en France au XIIIe siècle en France et en Italie, Aldershot,

Variorum, 1993.

N. BERIOU, L’avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au XIIIe

siècle, Paris, Bibliothèque augustinienne, 1993, 2 vol.

ID. (dir), Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti archevêque de Pise

(1253-1277), Ecole française de Rome, 2001.

R. ETAIX , « L’homéliaire composé par Raban Maur pour l’empereur Lothaire », in

Recherches augustiniennes XIX, Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1984, p. 211-240.

R. GREGOIRE, Les homéliaires du moyen âge. Inventaire et analyse des manuscrits,

Rome, Herder, 1966.

ID., Homéliaires liturgiques médiévaux. Analyse de manuscrits, Spolète, Centro

italiano di Studi sull’alto medioevo, 1980.

J. LONGERE, La prédication médiévale, Paris, Institut d’Etudes Augustiniennes, 1983.

179

SOMMAIRE

Remerciements, p. 2

Introduction , p. 3 PREMIERE PARTIE : LES ACTES DES APOTRES A L’EPOQUE PATRISTIQUE . FRAGMENTS

D’EXEGESE A- Réception et adaptation des Actes en Occident latin , p. 7 1. La canonicité des Actes des apôtres, p. 7 2. Les textes des Actes des apôtres, p. 12

a. Les traditions textuelles, p. 12 b. Traduction latine et texte « occidental », p. 12 c. Le texte de la Vulgate, p. 15 d. Le titre latin du livre, p. 16

3. Les prologues des Actes, p. 17 4. L’usage liturgique des Actes des apôtres, p. 18

a. La lecture liturgique des Actes à l’époque patristique, p. 19 b. Listes de péricopes et premiers lectionnaires, p. 20

c. La liturgie des heures, p. 23 B- Les auteurs patristiques face aux Actes, p. 24 1. Les scholies, p. 24 a. Jérôme, p. 24 b. Eucher, p. 26 c. Cassiodore, p. 29 2. Les sermons, p. 31 a. Augustin, p. 31 b. La prédication patristique (hors Augustin), p. 33 3. La poésie exégétique : Arator, p. 37 DEUXIEME PARTIE : LA LECTURE DES ACTES AU HAUT MOYEN AGE . LE TEMPS DES

SYNTHESES A- Les commentaires du haut moyen âge, p. 40 1. Bède le Vénérable, p. 40

a. Textes, authenticité et éditions, p. 40 b. L’Expositio in actus apostolorum, p. 42 c. Le De nominibus, p. 45 d. La Retractatio, p. 46

2. Le pseudo-Raban, p. 48 a. Raban a-t-il écrit un commentaire des Actes ? , p. 48 b. Un texte antérieur à la Glossa ordinaria, p. 50 c. Un texte biblique d’origine irlandaise, p. 53 d. Les auteurs cités, p. 54 e. Méthode exégétique et style, p. 56

3. D’autres commentaires du haut moyen âge ? , p. 57 a. Le commentaire introuvable du pseudo-Haymon, p. 57

180

b. Un commentaire de Rémi d’Auxerre ? , p. 59 B- Les homéliaires du haut moyen âge, p. 61

1. Les homéliaires patristiques, p. 62 2. Les homéliaires carolingiens, p. 63

TROISIEME PARTIE : COMMENTER LES ACTES AU MOYEN AGE CENTRAL A- Les commentaires des Actes au XIIe siècle – Le poids de la Glose, p.70 1. La Glossa ordinaria, p. 70 a. Le texte de la Glose, p. 71

b. L’origine de la glose des Actes, p. 73 2. Richard de Saint-Victor, p. 75

3. L’école biblique-morale, p. 78 a. Pierre Lombard, p. 79 b. Pierre le Chantre, p. 80 c. Etienne Langton, p. 84

d. Historia scolastica et Historia apostolica, p. 86 e. Pierre de Riga, p. 88

B- Les commentaires des Actes dans le premier XIIIe siècle – Regards sur la vita

apostolica, p.91 1. Les maîtres séculiers, p. 91 a. Adam de Courlandon, p. 91

b. Gauthier de Château-Thierry, p. 93 c. Un commentaire perdu ? Nicolas de Tournai, p. 93

2. Les premières générations dominicaines, p. 94 a. Hugues de Saint-Cher, p. 94

b. Guerric de Saint-Quentin, p. 98 c. Thomas Agni de Lentini, p. 100 d. Nicolas de Gorran, p. 103

e. Un commentaire possible : Barthélémy de Bragance, p. 104 C- Les Actes des apôtres dans la prédication (XIIe-XIVe siècles) – Jalons pour une étude, p. 105 1. Quelques données statistiques, p. 105 2. Les Actes dans les sermons de Federico Visconti, p. 108 a. Les sermons de Federico Visconti, p. 108 b. Les « thèmes » tirés des Actes, p. 108 c. Les citations des Actes dans le reste du corpus, p. 111 QUATRIEME PARTIE : LA VISION DE PIERRE A JOPPE (AC 10,9-16) - ESQUISSE D’HISTOIRE

D’UN COMMENTAIRE 1. Les commentaires antérieurs à Augustin, p. 114 2. L’exégèse augustinienne, p. 120 a. Augustin, p. 120 b. La postérité d’Augustin, p. 122

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3. La vision de Pierre commentée au haut moyen âge, p. 126 a. Bède le Vénérable, p. 127 b. Le pseudo-Raban, p. 129

4. La vision de Pierre dans le moyen âge central, p. 130 a. La Glose ordinaire, p. 131

b. Pierre le Chantre, p. 132 c. L’Historia apostolica, p. 133 d. Thomas de Lentini, p. 134 Conclusion, p. 136 Annexe A, p. 139 Annexe B, p. 144 Annexe C, p. 147 Annexe D, p. 150 Abréviations couramment employées, p. 170 Bibliographie, p. 171 Sommaire, p. 179