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Les anciennes mines métalliques des Vosges

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Les anciennes mines métalliques des Vosges

Bruno Ance! et Pierre Fluck

Sainte-Marie-aux-Mines: peinture du XVII' siècle montrant l'entrée dans les galeries, conservée à l'église de la Madeleine.

Pourquoi divers sites d'extraction de l'ar­gent , du cuivre ou du plomb, dans les Vosges , font-ils ou ont-ils fait l'objet de procédures de protection? Parce que l'âge d'or de l'industrie minière , dans ces régions , coïncide avec ce que l'on peut considérer, en Europe , comme un som­met technologique pour tous les temps. Nous trouvons dans le sous-sol du massif vosgien des fleurons incontestés de l'art et des techniques minières de la Renais­sance; la qualité des vestiges d'architec­ture souterraine n'a dans l'ensemble pas été altérée, comme c'est le cas en bien d'autres endroits de la <<Province mi­nière germanique» , par les reprises ulté­rieures. Enfin , l'expérience de leur mise en valeur , tracée par la spéléologie mi-

ni ère née dans les mines d'Alsace , puis structurée autour d'une archéologie mi­nière, reste unique.

Jusqu 'au XIV' siècle, les techniques n'évoluent guère en Europe, sans même atteindre le degré de technologie acquis par les Romains. Au cours du XVe siè­cle , l'Europe Centrale est le théâtre d'une révolution technologique et l'acti­vité minière en est l'un des principaux bénéficiaires voire l'un des moteurs. Grâce à la maîtrise de l'énergie animale, puis de l'énergie hydraulique, la structu­ration des exploitations tant sur le plan du travail que sur les plans sociaux et économiques , l'industrie minière <<ger­manique>> atteint alors des sommets dans l'art d'exploiter les richesses du sous-sol

et étend son influence à une grande par­tie de l'Europe. Il faut ensuite attendre le milieu du XVJe siècle pour observer de nouveaux progrès décisifs dans les tech­niques minières, notamment grâce à l'emploi généralisé des explosifs dans l'abattage de la roche. Enfin avec la ré­volution industrielle du xrxe siècle, les exploitations minières changent profon­dément d'aspect : introduction des ma­chines à vapeur, règne du fer et de l'acier, mais aussi dégradation de la condition des mineurs.

les Vosges, un site pilote C'est d'abord à travers les archives et l'iconographie que les historiens ont abordé l'étude des techniques minières 37

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d'autrefois. Très abondantes à partir de la fin du xve siècle, ces sources histo­riques apportent toutefois une vision in­complète du monde minier. Depuis près de vingt ans , les spéléologues-archéolo­giques miniers ont largement contribué à enrichir la connaissance du patrimoine minier, en développant une forme d'ar­chéologie souterraine dont les enseigne­ments bouleversent parfois la conception de ce passé et sans laquelle les princi­paux théâtres d'investigations resteraient hors de portée des scientifiques. Ces in­vestigations sont nombreuses et variées: topographie détaillée , photographie , désobstruction et consolidation des éboulements, dénoyages de puits inondés, fouille du sol des galeries, étude du mobilier, confrontation du terrain et des archives, datation par dendrochro­nologie , etc. et surtout observation na-

turaliste. Enfin , l'archéologie minière ne peut être comprise sans l' intervention des Sciences de la terre : elles mettent en évidence les caractéristiques des gîtes métalliques et leur influence sur leurs modes d'exploitation.

Avec ses 600 kilomètres de réseaux souterrains , le massif vosgien peut être considéré comme un site pilote pour l'étude des techniques minières: son mi­lieu souterrain constitue un patrimoine archéologique par le mobilier qu 'il ren­ferme et par son architecture qui carac­térise les techniques de l'époque. Les an­ciennes mines vosgiennes sont actuelle­ment explorées sur près de 80 km , soit environ 13 % de leur développement to­tal estimé (le seul district de Sainte-Ma­rie-aux-Mines est exploré sur 60 km). Elles revêtent des morphologies variées selon la nature de la roche encaissante et

Sainte-Marie-aux-Mines: maison de maître, symbole de la richesse industrielle de la vallée.

le type de filon exploité : on peut y dis­tinguer trois grands types d'excavations aux caractéristiques et aux fonctions bien marquées.

Un espace souterrain organisé Les mines sont tout d'abord constituées par des galeries qui explorent, en se ra­mifiant, l'espace souterrain dans un plan horizontal. Certaines d'entre-elles étaient devenues des voies de circulation privilégiées - notamment lorsqu'un filon était atteint et exploité- et ont ainsi été amenées à remplir de multiples fonctions (aérage, exhaure, roulage ... ). Certaines galeries ne mesurent que quelques mètres de longueur , alors que d'autres ont été poussées sur plusieurs kilo­mètres. La grande majorité des << mines >> ne sont en fait constituées que de gale­ries et sont donc des travaux de re­cherches infructueuses mais néanmoins nécessaires.

Les puits sont des traits d'union entre les différents niveaux de galeries et per­mettaient la circulation verticale du per­sonnel et des matériaux , vers les hau­teurs et les profondeurs de la mine à par­tir de la galerie principale qui s'ouvre au jour. Ainsi par l'intermédiaire de nom­breux puits disposés en relais, certains fi­lons ont pu être exploités sur plusieurs centaines de mètres de dénivelé. Au­jourd'hui ces anciens puits ont perdu leur équipement en bois et leur visite né­cessite l'emploi de cordes et la maîtrise des techniques spéléologiques.

Ces deux types d'ouvrages forment la trame d'une exploitation minière orga­nisée; ils donnent accès aux chantiers d'extraction du minerai. Les filons étant très souvent étroits et verticaux (assimi­lables à des corps planaires de quelques décimètres à quelques décimètres à quel­ques mètres d'épaisseur). Il résulte de leur exploitation des cavités semblables à de grandes fissures sub-verticales dé-

nommées couramment <<dépilages>>. Certains d'entre eux atteignent des di­mensions spectaculaires comme le Grand Dépilage de Saint-Michel à Sainte-Marie-aux-Mines qui se déve­loppe sur près de 100 rn de hauteur , 80 rn de longueur, pour une largeur n'ex­cédant pas 1 m. De par leur ampleur, l'instabilité de la roche au voisinage du filon et la présence de déblais stockés , ces ouvrages sont souvent partiellement éboulés, condamnant vers le bas l'accès à des zones encore inexplorés et donnant parfois naissance à de vastes salles d'ef­fondrement.

A ces trois principaux types de cavités qui caractérisent une exploitation mé­thodique s'ajoutent des ouvrages moins fréquents comme les << pingen >> ou puits au jour, les << verhaue >> ou dépilage au jour présents là où le filon affleurait en surface, les montages, les foncées, etc.

Mille ans d'histoire minière Les grandes périodes d'extraction mi­nière dans les Vosges peuvent être carac­térisées par la répartition et la morpho­logie de ces types d'ouvrages souter­rains. Les travaux les plus anciens à avoir été explorés et étudiés à ce jour remon­tent au Moyen Âge et concernent des fi­lons à plomb et argent. A Sainte-Marie­aux-Mines , ils appartiennent à une phase d'exploitation qui commence au début du x e siècle pour s'interrompre vers le XIIIe siècle. Les filons sont alors at­taqués depuis la surface par une multi­tude de << verhaue >> et de << pingen >> jus­qu 'à des profondeurs importantes pou­vant dépasser déjà la centaine de mètres. Les mineurs s'appliquent à suivre et à dépiler les zones minéralisées sans systé­matiquement recourir à des travaux d'approche en travers-bancs. Il en ré­sulte des cavités très conditionnées par la géométrie et la puissance des filons (ré­seau Porte de Fer à Sainte-Marie-aux-

Saint-Pierre-sous-l'Hâte: l'église des mineurs dans le village situé entre l'exploitation minière et Sainte-Marie-aux-Mines.

Mines) . Les galeries en roche dure sont rares , de petite taille et montrent une pente irrégulière et des sections souvent ovoïdes (mine Auf der Eyl au Silber­wald); le terme de boyaux convient par­faitement pour les décrire. L'analyse des travaux explorés à ce jour donne l'im­pression d'une extraction opportuniste réalisée à partir de grands puits au jour, seul endroit où la circulation des mineurs et des matériaux semble être organisée.

A la fin du Moyen Âge apparaissent des galeries plus spacieuses (largeur de 0,60 à 0,80 rn) caractérisées par une sec­tion rectangulaire ou en <<tonneau>> (ga­lerie de la Filature à La Croix-aux­Mines, Vieux Rimpy à Sainte-Marie­aux-Mines). Les caractéristiques de ces vieux travaux rendent leur accès diffi­cile: les puits sont comblés et l'on atteint les parties restées libres qu'à la faveur de travaux plus récents. Leur exploration relève du véritable parcours du combat­tant (exiguïté , comblements fréquents , instabilité des paroies) et déjà à l'époque les conditions de circulation devaient y être très pénibles.

Aux XVe et XVIe siècles , la reprise des vieux travaux et la découverte de nou­veaux filons d'argent et de cuivre béné­ficient des nombreuses innovations tech­niques qu'apportent les milliers de mi­neurs allemands qui participent à cette ruée vers les métaux nobles contenus en abondance dans le sous-sol vosgien. L'exploitation des filons est métho­dique : les zones minéralisées sont tout d'abord <<explorées >> par un réseau de galeries et de puits , puis systématique­ment dépilées du haut vers le bas . Les conduits d'aération , les voies de roulage et les machines d'exhaure permettent à certaines mines de se développer sur plu­sieurs kilomètres de longueur et at­teindre plusieurs centaines de 111ètres de dénivelé , jusqu'à plus de 300 rn sous le niveau des vallées. L'effort de prospec­tion est intense et des kilomètres de ga­leries de recherche sondent les champs filoniens de toutes parts . Au Neuenberg à Sainte-Marie-aux-Mines, on constate que 85 % des galeries sont tracées en zone stérile; effort qui a permis la décou­verte de tous les filons . L'art de sculpter

les entrailles de la terre est à son apogée ; les galeries creusées en roche dure attei­gnent une perfection de taille (largeur de 0,45 à 0,60 rn) et montrent une section dite <<ogivale tronquée >> caractéristique de cette période << Renaissance >> et commune à toute la Province minière germanique. Les rapports techniques, les comptes, les règlements et les plans sont abondants et permettent une confrontation fructueuse entre l'histoire et l'archéologie .

Au début du XVIIe siècle , le massif vosgien est à la pointe des techniques mi­nières. Dès 1615 , on note les premiers percements à la poudre qui vont radica­lement transformer l'aspect des travaux souterrains. Dans un premier temps , l'abattage est mixte (poudre et pointe­rolle) alors que l'outillage spécifique (fleuret pour la foration du trou) à cette nouvelle méthode se perfectionne (mines du Thillot). Au XVIII< siècle , la pointerolle n'est encore utilisée que pour tailler les encoches de poutres , et pour le percement dans les terrains tendres comme les grès (mines de fer des Vosges

Echery : la maison de la tour de l'horloge, ancien corps de garde et prison des mineurs.

Le Grand Dépilage du Chêne (état en 1984) : un plancher devrait être installé et permettra un accès en toute sécurité (D.R.).

du Nord) et les tufs (mines de fer de Bourbach). En roche dure comme les gneiss, la totalité des travaux portent les traces des coups d'explosifs ; notam­ment , les galeries montrent des parois ir­régulières et sont de plus grand gabarit (0 ,80 à 1,00 rn de largeur). Ces ouvrages vieux de deux siècles renferment encore de nombreux boisages en cours de dégra­dation. Dans les dépilages , on peut ainsi souvent observer des empilements de dé­blais suspendus sur des planchers de poutres et limités latéralement par des murets de pierres (filon Saint-Jacques , Saint-Jean et Saint-Guillaume au Neuen­berg, réseaux de Château-Lambert et du Thillot).

Au XJXc siècle, les galeries augmen-

tent encore de gabarit (largeur supé­rieure à 1 rn), puis apparaissent les voies ferrées . Durant la période allemande (1870-1918) les Vosges connaissent en­core une importante activité minière qui présente les caractères des exploitations modernes : galeries spacieuses (largeur 1,50 à 2 rn), muraillement des entrées, grands puits au jour. .. Mais la plupart de ces reprises vont échouer devant l'am­pleur des travaux anciens, notamment du XVIe siècle (mines de plombs à Al­tenberg , Tiefstollen et Engelsbourg au Neuenberg).

Un patrimoine à protéger et à valoriser

Depuis plus de vingt ans, les anciennes mines du massif vosgien sont ressorties

de l'oubli grâce à la spéléologie et à l'ar­chéologie minière. Cette extraordinaire aventure souterraine couplée à des re­cherches scientifiques pluridisciplinaires a permis et permet encore la découverte et la mise en valeur d'un patrimoine re­marquable. Hélas, elle s'est souvent ac­compagnée de dégradations souvent ir­réversibles : vandalisme (piétinement des voies de roulage, effondrement de boisages, destruction d'empilements et de parois par le prélèvement de miné­raux), pollution (papiers gras, piles) et pillage du mobilier archéologique ag­gravé par des fouilles clandestines, arra­chage des minéraux et des concrétions qui alimentent les magasins spécialisés. Ainsi , des sites uniques au monde ont to­talement disparu et le préj udice envers

les valeurs scientifiques et pédagogiques du patrimoine minier est très lourd.

Actuellement , une réflexion est me­née à l'échelle du massif pour définir une politique globale de mise en valeur et de protection de ce patrimoine inestimable. D'ores et déj à, plusieurs sites remar­quables ont fait l'objet de mesures de protection au titre des Monuments his­toriques: l'ensemble des travaux souter­rains du Neuenberg à Sainte-Marie-aux­Mines, le réseau des mines de Château­Lambert en Haute-Saône, et le puits d'extraction et d'exhaure de Lalaye dans le Val-de-Villé. B.A. et P.F.

La val(ée de Sainte-Marie vue depuis le mont Bonhomme ; l'un des premiers domaines argentifères d'Europe par l'ancienneté.