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L’eau : usages, risques et représentations Le rôle de l’eau dans les implantations des villae aquitano-romaines Sébastien Cabes “De toutes les choses du sol, les sources ont été, de tout temps, les plus précieuses à la vie humaine : l’eau qui coule, l’eau qui stagne, mais surtout l’eau qui jaillit de la terre, offrant à la fois à l’homme l’apaise- ment de sa soif et la guérison de ses maux”. Cette citation de C. Lacoste, extraite de son article sur Les Fontaines consacrées des pays landais, résume parfaite- ment l’importance de l’eau pour l’homme 1 . Il paraît évident que l’alimentation en eau est l’un des soucis majeurs que rencontre un propriétaire terrien. Les villae antiques, rappelons-le, sont avant tout de vastes domaines agricoles sur lesquels sont bâties de magni- fiques maisons de maître présentant tout le luxe de la ville 2 . L’eau est alors doublement une nécessité : elle doit permettre d’alimenter les hommes vivant sur le domaine ainsi que les cultures et doit aider à repro- duire tout le confort de la domus citadine. Nous ciblerons notre étude sur l’Aquitaine méridionale, c’est-à-dire approximativement l’Aquitaine de César, qui devint au Bas-Empire la Novempopulanie. Rappelons que cette région fait partie des marges de l’empire romain ; ainsi, une grande partie des villae d’Aquitaine méridionale ont avant tout une fonction agricole avant d’être des villae d’otium comme ce peut- être le cas dans certaines parties de l’empire Romain. 1- Lacoste 1965, 63. 2- Nous retiendrons cette définition sans entrer dans les controverses de l’historiographie de la villa. Pour les débats, voir Delaplace 2001, 15- 16 ou encore Leveau 2002. Les besoins en eau étaient donc importants, cepen- dant le climat océanique est pluvieux, ce qui ne nécessitait pas nécessairement d’irriguer les cultures. Rares sont aussi les exemples de citernes retrouvées en Aquitaine méridionale 3 . De plus, une des caractéris- tiques de cette région de la Gaule est l’abondance des rivières et des ruisseaux. Ce réseau hydrographique secondaire très dense devait faciliter les choix des implantations, la recherche de l’eau n’étant pas un problème majeur, sauf dans la partie septentrionale du département des Landes. Cette région alliant un manque de cours d’eau et une terre relativement pauvre, comme le rappelle Strabon 4 , se voit presque dépourvue de villae. Dans ces terres sablonneuses du grand marais landais, l’eau a un aspect répulsif et peut être malsaine 5 . Il nous faut nuancer cette affirmation, car à une échelle plus fine la présence de marécages sur un fundus n’est pas forcément négative, on pouvait par exemple y mettre des bêtes en pâture. 3- Une citerne a été retrouvée dans la villa de Barat-de-Vin à Sorde- l’Abbaye (40), mais elle n’a pas fait l’objet de fouilles (Lauffray 1964, 4). 4- Strabon (4.2.1) notait, pour l’époque préromaine, que “les terres océaniques de l’Aquitaine sont en majeure partie sablonneuses et maigres. Elles suffisent à l’alimentation pour le millet, mais sont plutôt improductives dans les autres cultures”. Notons que seules deux villae avérées, à Brocas et à Sarbazan, et une supposée à Labrit, sont installées sur ces sols de sables noirs. 5- Palladius, Traité d’Agriculture, 1.4, rappelle qu’ “il ne faut pas qu’elle provienne d’étangs ni d’un marais (…)”.

Le rôle de l'eau dans les implantations des villae Aquitano-romaines

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L’eau : usages, risques et représentations

Le rôle de l’eau dans les implantations des villae aquitano-romaines

Sébastien Cabes

“De toutes les choses du sol, les sources ont été, de tout temps, les plus précieuses à la vie humaine : l’eau qui coule, l’eau qui stagne, mais surtout l’eau qui jaillit de la terre, offrant à la fois à l’homme l’apaise-ment de sa soif et la guérison de ses maux”. Cette citation de C. Lacoste, extraite de son article sur Les Fontaines consacrées des pays landais, résume parfaite-ment l’importance de l’eau pour l’homme 1. Il paraît évident que l’alimentation en eau est l’un des soucis majeurs que rencontre un propriétaire terrien. Les villae antiques, rappelons-le, sont avant tout de vastes domaines agricoles sur lesquels sont bâties de magni-fiques maisons de maître présentant tout le luxe de la ville 2. L’eau est alors doublement une nécessité : elle doit permettre d’alimenter les hommes vivant sur le domaine ainsi que les cultures et doit aider à repro-duire tout le confort de la domus citadine. Nous ciblerons notre étude sur l’Aquitaine méridionale, c’est-à-dire approximativement l’Aquitaine de César, qui devint au Bas-Empire la Novempopulanie. Rappelons que cette région fait partie des marges de l’empire romain ; ainsi, une grande partie des villae d’Aquitaine méridionale ont avant tout une fonction agricole avant d’être des villae d’otium comme ce peut-être le cas dans certaines parties de l’empire Romain.

1- Lacoste 1965, 63.2- Nous retiendrons cette définition sans entrer dans les controverses de l’historiographie de la villa. Pour les débats, voir Delaplace 2001, 15-16 ou encore Leveau 2002.

Les besoins en eau étaient donc importants, cepen-dant le climat océanique est pluvieux, ce qui ne nécessitait pas nécessairement d’irriguer les cultures. Rares sont aussi les exemples de citernes retrouvées en Aquitaine méridionale 3. De plus, une des caractéris-tiques de cette région de la Gaule est l’abondance des rivières et des ruisseaux. Ce réseau hydrographique secondaire très dense devait faciliter les choix des implantations, la recherche de l’eau n’étant pas un problème majeur, sauf dans la partie septentrionale du département des Landes. Cette région alliant un manque de cours d’eau et une terre relativement pauvre, comme le rappelle Strabon 4, se voit presque dépourvue de villae. Dans ces terres sablonneuses du grand marais landais, l’eau a un aspect répulsif et peut être malsaine 5. Il nous faut nuancer cette affirmation, car à une échelle plus fine la présence de marécages sur un fundus n’est pas forcément négative, on pouvait par exemple y mettre des bêtes en pâture.

3- Une citerne a été retrouvée dans la villa de Barat-de-Vin à Sorde-l’Abbaye (40), mais elle n’a pas fait l’objet de fouilles (Lauffray 1964, 4).4- Strabon (4.2.1) notait, pour l’époque préromaine, que “les terres océaniques de l’Aquitaine sont en majeure partie sablonneuses et maigres. Elles suffisent à l’alimentation pour le millet, mais sont plutôt improductives dans les autres cultures”. Notons que seules deux villae avérées, à Brocas et à Sarbazan, et une supposée à Labrit, sont installées sur ces sols de sables noirs.5- Palladius, Traité d’Agriculture, 1.4, rappelle qu’ “il ne faut pas qu’elle provienne d’étangs ni d’un marais (…)”.

278 L’eau : usages, risques et représentations

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Saint-Lizier

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Dax

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0 50 km

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Chef-lieu de cité

Villa avérée

Cours d’eau

Territoire d’étude

Villae citées dans l’étude :

1. Aubiet, la Toulette / 2. Andernos-les-Bains / 3. Brocas / 4. Jurançon, las Hies / 5. Jurançon, Pont d’Oly / 6. Lalonquette /7. Labastide d’Armagnac / 8. Moncrabeau, Bapteste / 9. Montréal, Glésia / 10. Montréal, Séviac / 11. Maubourguet / 12. Peyrehorade /13. Poyartin / 14. Saint-Cricq-Villeneuve / 15. Saint-Sever / 16. Samadet / 17. Sarbazan / 18. Serres-Gaston / 19. Sorde-l’Abbaye, les Abbés / 20. Sorde-l’Abbaye, Barat-de-Vin

1

2

3

4

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6

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1816

17

1920

11

———Fig. 1. Carte de répartition des villae avérées et du réseau hydrographique d’Aquitaine méridionale.———————

Le rôLe de L’eau dans Les impLantations des villae aquitano-romaines 279

se rapprocher de L’eau ?

L’importance des cours d’eau

La majeure partie des villae d’Aquitaine méridio-nale s’implante le long des cours d’eau et des princi-pales vallées (fig. 1). Les fleuves, rivières et ruisseaux sont donc les principales ressources en eau avec un débit important, qui varie en fonction de la taille du cours d’eau et des saisons. Cet attrait du réseau hydro-graphique s’explique par les nombreux atouts qu’il procure aux habitants de la villa et qu’il convient d’énumérer.

Tout d’abord, ces secteurs alluviaux présentent des terres souvent riches et fertiles propices aux activités agropastorales. Prenons un exemple à l’échelle d’un micro-territoire, le fundus de la villa de Peyrehorade dans le département des Landes 6. Cet établissement est implanté dans un fond de vallée sur un éperon qui le protège des inondations (fig. 2). Ce fond de vallée inondable présente différents types d’alluvions du Quaternaire, des marnes à microfaune planctonique et des calcaires à nummulites. La villa est installée entre les sols bruns caillouteux et les sols hydro-morphes argilo-limoneux, en contact direct avec le Gave (fig. 3), formant une bande de longueurs variées (200 à 800 mètres de largeur selon les endroits). Ce type de sol est très régulièrement gorgé d’eau et privé d’oxygène. Le Gave et les ruissellements des coteaux constituent les principaux apports de ce sol. Ce sont

6- Larrere-Labeyriotte 2002, 110 ; Cabes 2006, 132-133.

100

50

0 500 1000 1500 2000 2500

S-SON-NE

Mètres

Mètres

53m

Les Gaves Réunis2m

6mVILLA

———Fig. 2. Coupe topographique de la villa de Peyrehorade (d’après la carte au 1/25 000e de l’IGN).———————

Villa

Igàs

L‘Arribere

Téoulères

Pardies

Le Gave

Sols hydromorphes argilo-limoneux

Podzols hydromorphes (sables noires)

Sols bruns caillouteux

Sols bruns sur alluvions fluvio-glaciaires

Ruisseaux

0 500 m

N

———Fig. 3. Carte pédologique et hydrographique du quartier d’Igàs-Pardies à Peyrehorade.———————

280 L’eau : usages, risques et représentations

les terres les plus favorables à l’agriculture dans le secteur, surtout à la culture des céréales, contraire-ment aux sols de podzols hydromorphes, c’est-à-dire des sables noirs, localisés à la base et sur les coteaux. Cette zone pouvait être dévolue à l’élevage des animaux. Les deux villae de Sorde-l’Abbaye ont une implantation identique dans la même vallée. Compte tenu de leur proximité, on peut affirmer sans prendre trop de risques que leurs fundi pouvaient être linéaires perpendiculairement au Gave, ce qui devait permettre la multiplication des terroirs. Cette organisation se rapprochait certainement de celle de la vallée de l’Alzon près d’Uzès 7.

Ces cours d’eau présentent aussi des ressources très variées. Ils peuvent notamment servir de réserve pour la pêche. Un peu plus de 60 % des sites sont implantés à moins d’un kilomètre d’un cours d’eau. Les distances sont donc réduites et l’accès à l’eau est ainsi facilité. Nous pouvons même noter que, dans le département des Landes, 83,32 % des villae sont implantées à moins de 500 mètres d’un cours d’eau (fig. 4).

Le matériel de pêche est très peu connu en Aquitaine méridionale, contrairement à des régions comme le Biterrois, où des plombs et des hameçons ont été retrouvés. La pêche devait cependant être pratiquée dans les nombreux cours d’eau aquitains, le

7- Pellecuer & Pomarèdes 2001, 509.

poisson constituant un aliment courant et peu onéreux. La plupart de nos établissements ont été dégagés au xixe s., et la majeure partie des dépotoirs n’a pas été fouillée, ce qui nous prive d’un certain nombre d’études archéozoologiques. Cependant nous retrouvons sur de très nombreux sites des restes de coquilles d’huîtres qui témoignent d’une pratique culinaire très répandue dans l’Antiquité.

En ce qui concerne les poissons, une étude menée sur la Préhistoire dans le pays d’Orthe nous renseigne correctement sur les poissons qui pouvaient être consommés à cette époque 8. Durant la Préhistoire, à l’Aurignacien et au Magdalénien Moyen, le peuple-ment des cours d’eau était constitué à 43,5 % de salmonidés (saumons, truites,…), le reste étant composé d’aloses, de perches, de brochets, d’anguilles, de goujons, de carpes,… Comme la répartition actuelle dans les Gaves 9 est relativement similaire, nous pouvons donc conclure que dans l’Antiquité il devait en être de même, les populations de poissons n’ayant guère évolué de la Préhistoire à nos jours. Une anecdote intéressante rapporte qu’au Moyen Âge, l’abbé de Sorde-l’Abbaye se réservait la chair du premier esturgeon capturé. Ce poisson, très rare aujourd’hui, devait être plus fréquent dans les eaux du Gave d’Oloron au Moyen Âge et certainement durant l’Antiquité. Le poisson le plus abondant dans les

8- Cabes 2006, 165-167. Nous pouvons étendre les conclusions de cette étude à de nombreux cours d’eau de l’Aquitaine méridionale.9- Les Gaves de Pau et d’Oloron s’écoulent entre les Pyrénées-Atlantiques et les Landes. Ils se réunissent à l’est de Peyrehorade, formant les Gaves Réunis.

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Au bord 1 à 250 250 à 500 Plus de 500

Nombre de villae

Distance au premier cours d'eau en mètres

———Fig. 4. Distance moyenne des villae landaises au premier cours d’eau (Cabes 2006).———————

Le rôLe de L’eau dans Les impLantations des villae aquitano-romaines 281

rivières d’Aquitaine est l’alose, qui a la particularité de remonter les cours d’eau le plus loin possible. On peut ainsi la trouver à l’intérieur des terres et sa pêche est d’une relative simplicité. Nageant à la surface, ce poisson peut avoir tendance à sortir du lit du fleuve lorsque l’Adour déborde ; comme il se retrouve piégé sur les terrains inondés, les hommes n’ont plus qu’à le ramasser quand l’eau redescend 10. D’autres poissons comme les anguilles et les carpes sont très communs dans les cours d’eau d’Aquitaine. On trouve aussi des lamproies ; ce poisson est d’ailleurs représenté sur des pavements des thermes de la villa de Saint-Cricq-Villeneuve. De nombreuses représentations ont été découvertes dans les parties thermales en Aquitaine méridionale 11, qu’il s’agisse d’animaux d’eau douce comme d’eau de mer (raies, poulpes, crustacés). Les mosaïstes avaient le souci du détail puisque l’on peut souvent identifier ces animaux rarement stylisés.

Les cours d’eau sont avant tout, dans l’Antiquité, un moyen de communication essentiel. La Novempopulanie présente un certain nombre de cours d’eau navigables dont l’Adour constitue en quelque sorte la colonne vertébrale 12. Notons cepen-dant que ce réseau fluvial est beaucoup moins impor-tant qu’en Aquitaine Première et Seconde. La taille du cours d’eau importe peu, pourvu que la villa ait un accès rapide à l’eau. En effet, de très nombreux sites sont à proximité d’un petit ruisseau au faible débit. Toutefois la présence d’une rivière au débit un peu plus fort n’est jamais négligée, même si celle-ci se trouve dans un rayon un peu plus important (fig. 1). En effet, dans le Gers, 62,5 % des établissements agricoles se situent à moins de 250 mètres d’un cours d’eau 13 et, dans les Landes, nous arrivons au même type de conclusion avec un total de 66,67 % des villae 14. Ces rivières ou fleuves permettaient aux occupants de l’établissement en question de naviguer, donc de se déplacer et d’échanger. Il est fort probable que de nombreuses rivières, même les plus modestes, furent utilisées et portèrent, quelques mois de l’année,

10- Thore 2001, 309-310.11- C’est le cas à Sarbazan, à Saint-Cricq-Villeneuve, ou, pour sortir légèrement de notre cadre d’étude, à Saint-Émilion et à Montcaret.12- Pour être navigable, il est généralement admis que le cours d’eau doit présenter un module de 8 à 10 m3/s.13- Colleoni 2007, 245.14- Cabes 2006, 159.

des barques. La navigabilité dépend évidemment de la saison, mais de nombreux cours d’eau étaient utili-sables durant un long moment de l’année, voire toute l’année lorsqu’il s’agit de flottage 15. L’Adour a été le théâtre d’une intense activité commerciale au xixe s. et était privilégiée pour le transport de marchandises et de produits encombrants. Notons que les routes étaient peu nombreuses et peu sûres. Il n’est pas risqué d’affirmer que ce constat peut s’étendre à l’Antiquité dans la région. Il est vrai que le réseau viaire est mal connu dans cette partie de la Gaule, mais la navigation était plus pratique et rapide. Nous prendrons donc en compte les voies navigables utili-sées durant la fin du xixe s. Nous n’en ferons pas ici un inventaire exhaustif mais nous présenterons les princi-paux axes auprès desquels les villae se sont implantées :

La Garonne constitue, pour l’Aquitaine méridio-nale, en quelque sorte une frontière. Ce fleuve était cependant très utilisé dans l’Antiquité comme le souligne Strabon 16. La Garonne du piémont pyrénéen 17 avait un débit suffisant pour une batellerie légère (60 m3/s.)

L’Adour était l’axe structurant et devait être l’une des principales voies de communication à peu près navigables tout le long de l’année jusqu’à Mugron et parfois même, en fonction des saisons, jusqu’à Aire. Le trafic de la partie Mugron-Aire s’est arrêté au xviiie s., mais est bien attestée avant cette date. Les établissements de Saint-Sever et de Montgaillard étaient reliés à Gouts, puis à Dax, trouvant ainsi des débouchés économiques. La navigation devait être importante jusqu’à Atura, le module de l’Adour étant de 40 m3/s, même si le niveau de l’eau baissait en été, avec un étiage de 8 à 9 m3/s, qui empêchait la naviga-tion de juillet à octobre 18.

La Midouze en aval de Mont-de-Marsan peut être utilisée sur environ 43 kilomètres 19. Ce cours d’eau devait connaître un trafic important à l’époque romaine et Mont-de-Marsan a sûrement été, de l’Anti-

15- Pour une étude sur la navigabilité, voir Iglesias Gil & Sillières 2005 et, pour une synthèse sur l’eau en Aquitaine romaine, voir Réchin 2004. 16- D’après Strabon 4.2.1, la Garonne était navigable “sur une distance d’environ 2000 stades” de Bordeaux au Salat.17- Dans les cités de Lugdunum Convenarum et des Consoranni.18- Sillières 1992, 433.19- Lerat 1957, 171.

282 L’eau : usages, risques et représentations

quité à l’époque Moderne, un lieu de déchargement des marchandises. En effet, les bâtiments mis au jour à Mont-de-Marsan pouvaient correspondre à une place commerciale, comme en témoignent les milliers de tessons d’amphores. S. Ruiné-Lacabe confirme l’existence d’une activité commerciale dans cette partie de l’Aquitaine au début de notre ère 20. Cet exemple montre que des échanges par voie d’eau étaient possibles même sur des cours d’eau au débit moyen, avec des bateaux à fonds plats de type galupes ou gabares, et qu’ainsi, les productions des parties agricoles des villae pouvaient trouver des débouchés. Des restes de ports modernes et contemporains comme à Gouts ou à Mont-de-Marsan avec leurs chemins de halage laissent entrevoir en partie l’organi-sation portuaire antique. B. Watier précise qu’il devait exister de nombreux petits “ports” constitués simple-ment d’un quai d’amarrage et d’un entrepôt 21.

Le Gave de Pau (débit moyen annuel de 55 m3/s) et le Gave d’Oloron (débit moyen de 47 m3/s) pouvaient être empruntés par une batellerie légère.

Le Gers a un module très modeste, le débit ne dépassant pas 10 m3/s. une quarantaine de jours par an et 8 m3/s les trois mois de l’hiver. À partir d’Auch et de Lectoure, une batellerie très légère a pu être utilisé pendant deux ou trois mois.

Le Midou qui coule près de la villa de Saint-Cricq-Villeneuve permet le flottage, comme la plupart des rivières.

Ces cours d’eau, qui apparaissent décisifs dans les implantations de certaines villes, semblent aussi importants dans les implantations de nombreuses villae d’Aquitaine, ne serait-ce que pour trouver des débouchés économiques à leurs productions. Les anciens devaient avoir souvent recours à une batellerie légère et rudimentaire, du type alveus et linter 22, sur de nombreuses petites rivières. Ces cours d’eau, plus encore que les routes, permettaient des liaisons et des échanges entre les villes et les villae. Comme le rappelle J. Andreau, les constructions des villae et les construc-tions urbaines ne sont en aucun cas deux phénomènes

20- Ruiné-Lacabe 1997, 42-43.21- Watier 1976, 314.22- Réchin 2004, 33.

indépendants 23. La majeure partie des villes d’Aqui-taine est reliée par voie d’eau aux demeures aristocra-tiques rurales environnantes, sauf Dax qui fait figure d’exception 24 ; la villa la plus proche est celle du Gleyzia d’Augreilh à Saint-Sever. Implantée sur la rive gauche de l’Adour, elle se situe à environ 40 kilomètres de la ville par voie d’eau.

Les sources

À l’inverse, très peu de sources ont été repérées à proximité des villae, mais pouvons-nous en déduire pour autant qu’elles n’étaient pas un critère discrimi-nant lors du choix du site d’implantation ? L’eau de source était conseillée par les agronomes latins 25 pour sa pureté mais aussi parce que l’approvisionnement en eau des rivières et des fleuves ne se faisait pas sans risque. Il est vrai que le chercheur se trouve en face d’un certain nombre de problèmes lors du repérage de ces sources ; il est difficile de les trouver sur le terrain, certaines n’étant pas pérennes. Il est aussi très compliqué de dresser un inventaire exhaustif de ces sources. Bien qu’incomplètes, les cartes topogra-phiques IGN permettent d’en situer un certain nombre 26. Certaines sources sont attestées comme accolées aux villae ou dans un environnement proche, mais ce n’est pas le cas de la majorité des établisse-ments. Il paraît évident que les demeures aristocra-tiques implantées sur des plateaux ou en hauteur devaient posséder une, voire plusieurs sources, à l’image de la villa de Séviac dans le Gers. Il est difficile de savoir si ces sources étaient connues des Anciens, du moins pour celles qui jaillissent dans les environs d’un établissement sans y être accolées. Très peu de sites sont à proximité directe d’une source. Ceci n’est pas une particularité de l’Aquitaine méridionale. Une étude sur la Haute-Bretagne signale que seulement 36,6 % des sites sont à proximité de sources 27. Pour la civitas des Vénètes, P. Naas conclut que l’approvision-nement en eau n’était pas une contrainte majeure.

23- Andreau 1985, 190.24- Très peu de villae sont connues autour de Dax ; on a identifié trois établissements dont il est très délicat de préciser la nature. Seule la villa de Poyartin se situe à environ 15 kilomètres. Quoi qu’il en soit, aucune villa avérée ne se situe dans un rayon de 12 kilomètres.25- Par exemple, Palladius, Traité d’Agriculture, 1.4.26- Nous reviendrons sur ce problème avec le cas de la villa d’Igàs-Pardies à Peyrehorade.27- Naas 1991, 149.

Le rôLe de L’eau dans Les impLantations des villae aquitano-romaines 283

Compte tenu du faible nombre de sources recensées dans notre territoire d’étude, nous pourrions pencher vers le même type de conclusion, mais nous resterons plus prudent pour deux raisons.

Tout d’abord, notre connaissance de leurs empla-cements est très lacunaire. Si nous reprenons l’exemple de la villa d’Igàs-Pardies à Peyrehorade dans les Landes, la carte topographique IGN 28 au 1/25 000e ne signale que quelques sources alors qu’une trentaine de fontaines existent dans le quartier d’Igàs. Les deux sources abondantes de “Pellegrin” et de “Gardera” alimentent un premier ruisseau qui vient de l’ouest. Les ruisseaux du Fourré et du Padescaux, qui passent à proximité de la villa, résultent de la réunion d’une quinzaine de sources 29. Le nom même d’Igàs, pourrait désigner des terres inondables, marécageuses.

La seconde raison est le développement, dans de nombreuses villae, de parties thermales imposantes qui devaient nécessiter beaucoup d’eau. Cependant, l’approvisionnement en eau de ces parties thermales est très mal connu en Aquitaine méridionale. Les sources devaient certes jouer un rôle important, comme dans la villa de Barat-de-Vin à Sorde-l’Abbaye, mais d’autres façons de se procurer de l’eau devaient exister. Si nous prenons l’exemple de la villa du Pont-d’Oly, à Jurançon, dans les Pyrénées-Atlantiques, un doute subsiste quant à l’approvisionnement en eau. Il est fort probable que l’eau des thermes provienne directement du Néez, qui coule en bordure de la construction, même si G. Fabre précise qu’une source jaillissant des coteaux à l’ouest aurait pu être captée 30. En ce qui concerne les villae de Sarbazan et de Saint-Cricq-Villeneuve, dans le département des Landes, les parties thermales sont détachées de la pars urbana et implantées en contrebas, près d’un ruisseau. Il est donc fort probable que les eaux de ruissellement en provenance du coteau furent recueillies par des canaux, puis stockées. Une petite salle interprétée comme un réservoir a été dégagée à Sarbazan 31. Les aqueducs, très mal connus en Aquitaine méridionale, ne devaient pas être absents pour autant, car on en retrouve ailleurs en Gaule. C’est le cas dans les grandes

28- Carte topographique série bleue, Peyrehorade 1344 E, 1/25 000e, IGN, 2005.29- Larrere-Labeyriotte 2002, 5-6.30- Fabre 2006, 128.31- Dufourcet et al. 1890, 259.

villae de la cité des Bituriges Cubi 32. Ils pouvaient présenter une structure très simple, faite seulement d’une suite de tegulae, comme à Gaujacq/Bastennes dans les Landes 33. Cet aqueduc devait recueillir l’eau sur les hauteurs de l’oppidum et la conduire vers l’éta-blissement implanté en contrebas 34.

Les puits permettaient aussi un accès à l’eau potable. Très peu d’exemples sont connus dans le territoire concerné. Il est possible cependant que certaines villae en possédaient, à l’image de la villa de Géou à Labastide-d’Armagnac, dont le puits se situait dans ce qui devait être une cour de ferme du Haut-Empire 35.

eau et architecture

Les balnéaires

Au-delà de sa fonction vitale liée à l’alimentation ou à la boisson et de son importance capitale dans les échanges économiques, l’eau peut servir aux loisirs et au bien-être. S’il y a bien un point commun entre les plus grandes demeures aristocratiques rurales d’Aqui-taine, c’est l’importance que les propriétaires attri-buaient aux balnéaires. Il n’est pas question ici de faire un exposé exhaustif des thermes ruraux d’Aqui-taine, tant la documentation littéraire et surtout archéologique est riche à ce propos mais d’en relever les grandes caractéristiques. Ces thermes sont porteurs d’une lourde symbolique, représentant un caractère aristocratique. En Aquitaine méridionale, ils présen-tent des volumes imposants 36, ce qui devait les rendre visibles de loin ; c’est le cas, par exemple, à Montréal-Séviac (Gers), où le troisième état couvre une super-ficie de 520 m2. Les villae de Saint-Sever et de Barat-de-Vin, dans les Landes, possèdent aussi de grands balnéaires à plan linéaire, d’une superficie respective de 370 m2 et 340 m2 pour les états tardifs. Les fouilles archéologiques ont souvent montré que ces thermes ont été maintes fois réaménagés et que les proprié-

32- Gandini 2008, 246.33- Boyrie-Fénié 1994, 91.34- Un autre aqueduc a été retrouvé à Moncrabeau-Bapteste, dans le Lot-et-Garonne.35- Bost et al. 1984, 659-661.36- Pour les superficies, Balmelle 2001, 179.

284 L’eau : usages, risques et représentations

taires terriens n’hésitaient pas à les décorer avec luxe 37, prouvant ainsi l’importance de ces espaces de détente. Certaines mosaïques représentent des poissons d’eau douce, mais aussi d’eau salée, des dauphins, des monstres marins et parfois même des divinités marines, comme le dieu Océan à Montréal-le-Glésia ou à Maubourguet par exemple.

Une grande diversité de bains peut-être observée en Aquitaine. C. Balmelle en a publié une typologie détaillée 38. Les plans sont divers et variés et souvent très recherchés : les thermes à plan linéaire sont les plus représentés (Jurançon Las-Hies, Sorde-l’Abbaye, etc.), mais d’autres relevaient de plans orthogonaux (comme à Lalonquette et à Jurançon-Pont-d’Oly) ou pouvaient encore être doubles (Montréal-Séviac). Les balnéaires étaient intégrés ou non à la villa. Certains en sont détachés, comme c’est le cas dans les Landes à Sarbazan ou à Saint-Cricq-Villeneuve, et sont implantés en contrebas 39.

Précisons que dans de nombreux balnéaires, le frigidarium était très développé à l’image de celui de la villa des Abbés, à Sorde-l’Abbaye, où il représente 41 % de la superficie totale.

Il est évident qu’un soin tout particulier était accordé à la construction de ces balnéaires, symboles même, dans la pratique, de la romanisation.

Eau et Amoenitas

Ces Aquitains, qui vivaient dans une société que l’on peut qualifier d’ “urbaine”, aimaient se rendre à la campagne. Cela constituait, pour ces aristocrates, une véritable coupure dans la vie de tous les jours. Ces riches demeures, au centre d’un vaste domaine agricole, étaient aussi des lieux de détente et de loisir. Ce sont elles que l’on qualifie généralement de villae d’otium. Ces lieux étaient propices à la réflexion, aux jeux d’esprit et à la méditation. Comme le soulignait Cicéron 40, l’otium studiosum est un style de vie. La domus urbaine s’oppose ici à la villa rurale, la vie stres-

37- Présence de marbre et de mosaïques, parfois à thèmes aquatiques.38- Balmelle 2001, 182-190.39- Nous ne reviendrons pas sur les questions liées à l’alimentation des thermes déjà évoquée. Les preuves archéologiques font souvent défaut.40- Att., 1.5.7.

sante des villes s’oppose à l’esprit et à la tranquillité des campagnes, qui permettent de revenir aux sources

et de retrouver les plaisirs de la nature en revenant aux valeurs d’antan, comme le rappelle Varron 41. L’eau était justement un facteur d’agrément et il était donc souvent nécessaire de s’en rapprocher le plus près possible, ce qui peut expliquer la proximité précédem-ment citée des villae et des cours d’eau. Il semblerait que les demeures aristocratiques rurales d’Aquitaine méridionale s’implantent plus ou moins indifférem-ment sur diverses positions topographiques (fond de vallée, flanc de coteau ou plateau). Ce phénomène est assez surprenant lorsque l’on sait qu’il est générale-ment admis qu’un grand nombre de villae gallo-romaines s’implantent en hauteur, de préférence sur les plateaux. C’est le cas par exemple de la Somme où ces sites sont à la recherche de points dominants 42. L’étude, menée par C. Balmelle, C. Petit-Aupert et P. Vergain dans le Lectourois 43, confirme plus ou moins la règle, car les établissements installés en fond de vallée représentent seulement 12,5 % du total des implantations, alors que les sites de plateau représen-tent 39,28 % des implantations (fig. 5).

Si l’on se tourne vers le département des Landes, on remarque que les implantations en fond de vallée représentent tout de même 31,58 % des implantations totales, ce qui équivaut exactement au nombre d’implantations sur les plateaux ; à elles seules, les villae situées à flanc de coteau représentent 36,84 %.

Il semblerait donc que les propriétaires aquitains n’étaient pas contre l’idée d’installer leur domaine dans la vallée à proximité plus ou moins immédiate d’un cours d’eau. Il faut aussi tenir compte du fait que le repérage de sites implantés en fond de vallée est beaucoup moins aisé que dans les autres situations topographiques, qui ne sont pas concernées par le phénomène de colluvionnement. Cela nous laisse une petite marge d’erreur au profit des implantations en fond de vallée. La position topographique n’était donc pas un critère majeur d’implantation, mais il est

41- “Nos aïeux, ces grands hommes, avaient bien raison de mettre les Romains de la campagne au-dessus de ceux de la ville” (Varron, Économie rurale, 2.1)42- Agache 1978, 352.43- Balmelle et al. 2001, 221.

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0

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Plateau Sommet et versant de coteau Vallée

Situation topographique

Pourcentage de villae

Landes Gers

———Fig. 5. Situation topographique des villae des Landes et du Gers.———————

100

50

0 500 1000 1500 2000S-SO N-NE

Mètres

Mètres

40m

Ancien lit du Gave

92m

15mVILLA

8mGave d’Oloron

———Fig. 6. Coupe topographique de la villa de Sorde-l’Abbaye, Barat-de-Vin (d’après la carte au 1/25 000e de l’IGN).———————

286 L’eau : usages, risques et représentations

plus intéressant d’observer le dénivelé par rapport à l’eau.

Le phénomène de “perchement”, si souvent observé, n’est pas une règle absolue en Aquitaine méridionale, même si un grand nombre de sites sont établis sur une terrasse à l’abri des inondations, sur un mamelon ou sur des hauteurs, pour éviter les crues 44 (fig. 6). En effet, on observe qu’un certain nombre d’implantations ne respectaient pas les préceptes des agronomes latins, comme à Lalonquette où la villa est implantée en bordure même du Gabas. Palladius rappelait qu’il fallait fuir les fonds de vallée qui étaient malsains pour la santé des habitants 45. Ces fonds de vallées sont donc perçus par les auteurs anciens comme malsains et engendrant la maladie. Varron renchérit en déconseillant cette position topogra-phique en raison des risques d’inondation 46. Ce qui semble compter le plus n’est donc pas la position topographique, mais le dénivelé par rapport à l’eau. Dans les Landes, le dénivelé moyen qui existe entre une villa et le cours d’eau le plus proche est de 13 mètres 47. La plupart des sites implantés en fond de vallée en Aquitaine méridionale se placent sur une première terrasse. Seuls 8 % des établissements agricoles gersois sont implantés en bordure même du cours d’eau 48.

La villa du Pont-d’Oly à Jurançon, construite visiblement en une seule campagne dans la seconde moitié du ive s. ou au début du ve, est un ensemble architectural bâti de part et d’autre d’un petit cours d’eau en fond de vallée 49. Le Néez constituait ainsi une sorte d’Euripe naturel (fig. 7). Avec cet exemple, on se rend bien compte que le propriétaire des lieux avait réfléchi en détail à la scénographie de son habita-tion. N’oublions pas que ces riches propriétaires

44- Les exemples sont nombreux : à Aubiet, au lieu-dit “la Toulette”, ou encore à Sorde-l’Abbaye, Barat-de-Vin.45- “Il faut fuir les fonds de vallée (…) il faut se garder de faire comme la plupart des gens, qui, pour avoir de l’eau, enfoncent leurs exploitations agricoles au creux des vallées, et préfèrent un agrément de quelques jours à la santé des habitants” (Palladius, Traité d’Agriculture, 1.16)46- “Quant aux orages subits et aux crues des torrents, grave danger pour ceux qui ont leurs bâtiments dans des fonds ou des creux (…)” (Varron, Économie Rurale, 1.12).47- Cabes 2006, 151-152.48- Colleoni 2007, 245.49- Fabre 2006, 127-129.

terriens recevaient chez eux des personnes impor-tantes et influentes et que l’architecture était un moyen d’affirmer sa supériorité et son rang : au Pont-d’Oly, la villa semblait maîtriser l’élément aquatique. Se réapproprier la nature était un des objectifs des villae d’otium, quitte à côtoyer le danger. Comme le soulignait P. Grimal 50, le “caractère commun est toujours d’ouvrir le plus possible la maison vers l’extérieur”, donc vers la nature. Il est possible que les propriétaires aient eu pour modèles les villae maritimes, ces riches établissements qui dominaient la mer ou l’océan 51.

On en trouve des exemples parlants en Aquitaine méridionale, comme nous l’avons vu au Pont-d’Oly, ou encore à Lalonquette, où le propriétaire transforma sa villa en construisant une grande galerie de façade tournée directement vers la rivière, en direction du soleil levant. Les fouilles des établissements de Saint-Cricq-Villeneuve et de Barat-de-Vin (Landes) nous apportent une meilleure connaissance des moyens architecturaux mis en œuvre pour ouvrir la pars urbana sur la nature et en particulier vers l’eau.

À Saint-Cricq-Villeneuve, il existait une galerie certainement ouverte, supportée par des colonnes et orientée en direction du Midou. En contrebas de cette galerie, existait un promenoir dallé, d’orientation identique, qui permettait de faire le même circuit mais à l’extérieur 52.

Pour la villa de Barat-de-Vin, à Sorde-l’Abbaye, le belvédère ouvert en direction des Pyrénées et du Gave d’Oloron est matérialisé par une galerie, mais qui n’est pas supportée par une colonnade. Il s’agit de larges baies ouvertes en direction du sud et munies chacune de deux colonnes de marbre 53. Une terrasse existe en contrebas du belvédère. Ainsi ces galeries et promenoirs constituaient ce lien avec l’extérieur. Comme l’explique I. Morand 54, la colonnade a la particularité d’ouvrir sur le paysage, tout en jouant “sur l’extérieur et l’intérieur à la fois, en faisant alterner dans un champ de vision architecture et nature”.

50- Grimal 1984, 220.51- Soulignons à ce propos qu’aucune villa maritima n’a été identifiée dans notre territoire d’étude, si ce n’est éventuellement le site d’Andernos-les-Bains, au bord du bassin d’Arcachon.52- Monturet & Rivière 1984, 428-430.53- Cousi & Stephant 2003, 8.54- Morand 2004, 139.

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———Fig. 7. Plan général des vestiges de la villa du Pont-d’Oly à Jurançon (Fabre 2006).———————

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Depuis la galerie, le champ de vision englobe les diffé-rentes colonnes permettant d’humaniser la nature ; il n’y a donc qu’un pas pour passer d’un “monde” à l’autre. Les larges baies de Barat-de-Vin fonctionnaient sans doute un peu différemment, car lorsque l’indi-vidu se place au centre de la baie, il plonge directement dans la campagne. Ces lieux, ouverts largement sur la nature (champs, montagnes par temps clair) et alliés au bruit agréable de l’eau, devaient être propices à la réflexion et à la pensée.

La galerie de la villa de Saint-Cricq-Villeneuve est orientée au nord-ouest. Cette orientation s’explique avant tout par la recherche d’une vue agréable et d’une ouverture sur les rives de sable blanc du Midou. Au sud, la vue est vite bouchée par les coteaux, de plus il était aussi intéressant pour le propriétaire d’orienter sa villa en direction de ses terres. Cela porte à croire que ces considérations d’ordre esthétique ont plus d’importance pour ces aristocrates que des considéra-tions d’ordre climatique. Les auteurs anciens conseillent d’ouvrir une villa vers le nord, sauf éventuellement dans les régions chaudes 55.

55- Par exemple, Palladius explique que pour “l’exposition du domaine (…) dans les régions froides, il doit être exposé à l’est et au midi, pour éviter qu’il ne soit glacé de froidure” (Palladius, Traité d’Agriculture, 1.7).

Nous ne connaissons pas l’orientation de tous les établissements d’Aquitaine méridionale, mais il est fort probable qu’un grand nombre de sites, surtout implantés à flanc de coteau, s’ouvraient en direction de la vallée et du cours d’eau, même si ces derniers étaient exposés au nord ou au nord-est 56.

Le choix du terrain où devait se construire la villa n’était absolument pas le fruit du hasard. Plusieurs facteurs s’entremêlaient pour pouvoir joindre l’utile à l’agréable. La recherche de l’utile, donc de terroirs riches et variés, était avec certitude le premier des critères, mais comme le prouvent les exemples que nous venons d’aborder, l’agréable n’était aucunement négligé. La présence de l’eau aux abords d’une villa se situe donc à la jonction de ces deux critères d’implan-tation pour l’Aquitaine méridionale. Varron insistait sur le fait que “les agriculteurs doivent tendre vers deux buts : l’utilité et le plaisir. L’utilité cherche le rapport, le plaisir veut l’agrément ; mais le premier rôle revient à ce qui est utile, avant ce qui est agréable” 57.

56- C’est le cas parmi bien d’autres des villae landaises de Samadet, implantée en bordure de plateau, et de Serres-Gaston, à flanc de coteau, qui devaient donner sur le Gabas.57- Économie rurale, 1.4.

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