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5 INTRODUCTION _______________ Nul n’ignore dans le monde la fulgurante évolution du progrès technologique. Cet élan est tel qu’on le voit s’emballer sous nos yeux au point de faire vaciller nos certitudes et d’ébranler nos modes de vies. Il faut avoir clairement conscience que nous ne venons pas seulement de changer de millénaire, mais nous entrons bel et bien dans une nouvelle civilisation où l’humanité se trouve intégrée dans une dynamique complexe et accélérée, devenue soudain insaisissable, voire incontrôlable. Certes, depuis qu’il a découvert le feu, l’homme n’a cessé d’être confronté au progrès technique, cependant le rythme des innovations

Le futur du monde arabe a-t-il un avenir ?

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INTRODUCTION_______________

Nul n’ignore dans le monde la fulgurante évolution du progrès technologique. Cet élan est tel qu’on le voit s’emballer sous nos yeux au point de faire vaciller nos certitudes et d’ébranler nos modes de vies. Il faut avoir clairement conscience que nous ne venons pas seulement de changer de millénaire, mais nous entrons bel et bien dans une nouvelle civilisation où l’humanité se trouve intégrée dans une dynamique complexe et accélérée, devenue soudain insaisissable, voire incontrôlable. Certes, depuis qu’il a découvert le feu, l’homme n’a cessé d’être confronté au progrès technique, cependant le rythme des innovations

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était lent et leur intégration dans la société était souvent absorbée avec douceur sans grands heurts ni bouleversements.

La révolution Copernicienne à laquelle nous assistons avec le nouvel ordre mondial et le développement des technologies de l’information a pris l’humanité de vitesse. Comme Janus, elle a deux visages :

- un visage accueillant qui s’affranchit de multiples contraintes en facilitant le mouvement des capitaux, des marchandises et des populations(sic), en rendant instantanément tout échange d’informations convivial et accessible. - un autre visage moins avenant où la globalisation des échanges, au-delà de l’engouement passager, crée des disparités énormes entre les pays du Nord et les pays du Sud.

Ce techno-globalisme, boîte de pandore pour certains, lucarne exceptionnelle sur la société de demain pour d’autres, est un fait, le nier produirait un contresens historique. Il faut cependant en corriger les effets, l’humaniser, en luttant contre les inégalités qu’il produit et en préparant les conditions nécessaires à son développement. Les pays occidentaux et asiatiques s’y attellent, les pays dits émergents sont encore dubitatifs face à ce défi majeur qui couve une sourde menace de déstabilisation.

Le monde arabe, quant à lui, qu’il le veuille ou non, est pris dans cette turbulence. Et bien qu’il dispose de grandes richesses, tant sur le plan humain que sur le plan des ressources naturelles, son potentiel est malheureusement

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broyé, gaspillé par des structures archaïques et une vision de la société rigide et poussiéreuse cherchant encore et toujours à affronter les réalités d’aujourd’hui et de demain avec les idées d’hier. Quel triste bilan ! Que de dynamismes brisés, de compétences perdues et de créativités évaporées.

Sans virage important, sans stratégie pour le changement, cette vision moyenâgeuse hypothèquera l’avenir des pays arabes. Cette transition est vitale pour éviter que notre avenir ne continue à se déterminer à l’extérieur. Elle exige une prise de position radicale de la part des intellectuels arabes, une prise de conscience de la société civile et un courage politique sans faux-fuyant de la part des dirigeants politiques. Nous devons ici et maintenant faire table rase de nos idées faussement consensuelles, fracasser contre les murs toutes nos vieilles certitudes, décloisonner nos esprits et faire fi de nos combats d’arrière-garde. Bien sûr, cela bouleversera nos sociétés, mais les choses doivent être claires, ce changement est la condition nécessaire afin d’échapper au sort qui fut jadis réservé aux dinosaures. Ainsi, soit nous nous adaptons au nouvel environnement économique et culturel, soit nous périssons par lui.

Alors, afin d’éviter que le futur n’arrive trop tôt et que l’onde de choc ne nous submerge, un seul mot d’ordre : la mobilisation de toutes les énergies et la mise en place de stratégies préparant à la démocratie. La liberté, l’accès au savoir et surtout une laïcité qui rompt le lien entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel en sont les conditions vitales pour qu’un destin collectif soit encore possible.

Introduction

«Il nous est aussi impossible d’avoir une vision objective du monde qu’un poisson de sortir de l’eau pour prendre une vue générale de l’océan».

A. Frossard

PREMIERE PARTIE_______________

REPENSER LA CULTURE ARABE

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BIFURCATION

Nous vivons une époque de mutation dont nous sommes à la fois acteurs et spectateurs. Ces changements se produisent de manière rapide et cette période est douloureuse car elle est marquée par un bouleversement des conditions de vie. L’évolution résultant du progrès technique, trop rapide pour notre mentalité, reste incomprise et donne à nos esprits l’impression d’une incohérence anarchique. Naguère, elle s’accomplissait en douceur de sorte que les sociétés avaient le temps de s’en accommoder, de l’assimiler. Mais au cours des dernières décennies, le rythme de l’évolution technique s’est emballé de manière vertigineuse, au risque d’échapper au contrôle de l’homme. Pour suivre cette accélération, il faut d’abord se placer à l’échelle des millénaires en ce qui concerne le passage de l’écrit à l’imprimerie, puis à celle des siècles en ce qui concerne la période séparant l’invention de l’imprimerie

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de celle du télégraphe. Il faut ensuite se placer dans l’ordre des décennies pour mesurer le temps qui sépare les grandes découvertes ultérieures : 40 ans environ entre le télégraphe et le téléphone, puis 20 ans à peu près pour passer aux liaisons sans fil et de la TSF à la radio, 15 ans de la radio à la télévision, et 10 de la télévision à l’ordinateur. Cette accélération est telle qu’au cours des trois dernières décennies l’évolution technique est plus importante que tout ce que l’homme a inventé depuis la découverte du feu.

Cette situation qui bouleverse nos vies et nos cultures suit un processus dynamique fait de ruptures et de continuités, à la fois constant et imprévisible. Sous cet angle chaque découverte représente à un moment donné une bifurcation1 qui modifie nos moyens et nos besoins, change notre perception du monde, ce qui engendre de nouveaux espaces de compréhension. De proche en proche, c’est l’ensemble de nos représentations symboliques qui se trouve transformé. Ce processus apparaît discontinu, faisant d’innombrables interactions entre les conditions sociales, culturelles et économiques, qui tantôt convergent, tantôt s’affrontent. Dans ce contexte existent des moments de ruptures, de rétroactions qui sont le théâtre de perturbations dans lequel apparaissent par contingence des phénomènes d’émergences et de bifurcations. Le Prix Nobel de Chimie, Ilya Prigogine2, montra qu’à partir d’une situation critique, ____________________

1 Une bifurcation est une division en deux branches, deux voies. Elle se produit lorsque la nature d’un système dynamique change à la suite d’une modification de certains paramètres qui le contrôlent.2 Prigogine appela cette conception «structures dissipatives», car le rôle de ce nouveau stade d’organisation consiste à dissiper l’influx d’énergie, de matière et/ou d’information responsable de la fluctuation. Pour cette théorie Prigogine a reçu le Prix Nobel de Chimie en 1977.

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des contraintes imposées à un milieu laissaient apparaître deux options : dans un cas le milieu était détruit par la fluctuation, dans l’autre, il passait à un nouveau stade d’organisation, sorte de nouvel ordre interne. D’ailleurs, dès 1908, Poincaré, précurseur de la théorie du chaos, affirma qu’ «un dixième de degré en plus ou en moins en un point quelconque [...] un cyclone éclate ici et non pas là». Selon ce paradigme, un milieu social est représenté comme un écheveau complexe d’influences étroitement liées, provoquant actions et réactions, ordre et désordre entre toutes ses parties. A un point d’instabilité, le système devient extrêmement sensible aux petits changements qui surviennent dans son environnement. Une petite fluctuation peut dès lors pousser le système à faire des choix qui peuvent influer, voire même changer le devenir d’une civilisation ou accélérer son cycle par l’apparition de nouvelles formes créant une «imprévisibilité dans le déterminisme» économique et social. Bien avant, Pascal avait déjà remarqué que les plus infimes modifications peuvent avoir des conséquences majeures et chacun se rappelle sa célèbre citation : «Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde en eût été changée».

Le rôle des événements contingents privilégie les brusques mutations dans l’évolution sociale et s’oppose à l’idée d’évolution linéaire et prévisible que prône le déterminisme historique ; certaines fluctuations ont eu des répercussions telles qu’elles ont changé l’orientation et le devenir même de civilisations. A ce sujet, une découverte parmi les plus importantes que l’humanité ait inventées et qui bouleversa la face du monde, ou du moins celle de l’Occident, a été interdite par des religieux musulmans à cause de son influence jugée néfaste. Il s’agit de l’imprimerie. Cette invention connue des Arabes

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plusieurs siècles avant Gutenberg s’est vue complètement prohibée par les docteurs de la loi islamique. En effet, après la domination musulmane sur l’Asie Centrale, au VIIIe siècle, les Arabes avaient introduit au contact des Chinois le papier qui servit de support à une abondante littérature et favorisa l’éclosion d’une industrie du livre, puis à la fin du XIe siècle, toujours de la Chine, un procédé hérité de la xylographie qui permettait la conception d’une imprimerie moderne à caractères mobiles, en glaise ou en bois3. Comme l’a relaté le savant persan Dawud el Bamakiti4 dans son livre le «jardin de l’intelligent» :

«Les Chinois peuvent reproduire les livres de telle façon qu’un texte ne peut subir aucun changement ou altération ... C’est ainsi que se transmettent leurs histoires».

Mais, à l’instar de la Chine dont la culture vieillissante fondée sur l’idéologie Confucéenne et sur le système du mandarinat élitiste et traditionaliste a été un facteur d’immobilisme, le monde musulman5 datant d’à peine quelques siècles, par le choix des gardiens du dogme, a aussi raté cette circonstance historique. Il est vrai qu’ils avaient le monopole de la reproduction manuscrite. Il fallut attendre quatre siècles pour que Gutenberg, vers 1450, (re)découvre l’imprimerie et contribue à la suprématie du monde occidental. La production des documents imprimés

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3 Joseph Needham, Dialogue des civilisations Chine-Occident. Ed. La Découverte 1991.4 Joseph Needham, “Clerks and craftsmen in China and the West”, Cambridge, 1970.5 Nous parlerons du monde musulman lorsqu’il s’agira de l’Islam et du monde arabe pour les problèmes arabes. Puisque bien évidemment tous les musulmans – la majorité – ne sont pas Arabes et que tous les Arabes ne sont pas musulmans.

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étant infiniment plus rapide, moins onéreuse et plus sûre que les manuscrits, les universités européennes étaient devenues mieux outillées et pouvaient dispenser un enseignement de meilleure qualité et permettre la construction de nombreuses bibliothèques au bénéfice des savants européens. Le centre de créativité scientifique s’est alors définitivement déplacé en Europe.

Pour mieux préciser les idées, nous allons évoquer l’ampleur de cette redécouverte sur la civilisation occidentale. Cette révolution technique a engendré une mutation majeure sur les transmissions de la connaissance, du savoir, et sur l’éveil des consciences. Avec elle, nous assistons au passage de la civilisation de l’oral qui imprégnait le Moyen-Age, à la civilisation de l’écrit qui préparait les temps modernes.Les conséquences d’un tel bouleversement furent incommensurables tant sur l’essor de la culture que sur l’émancipation des hommes.L’imprimerie servit de vecteur tout à la fois pour :

- propager la pensée et les échanges entre savants en favorisant la circulation des idées,- accroître les connaissances disponibles et permettre leur conservation,- faciliter la diffusion des livres au plus grand nombre,- favoriser les idées de la Réforme qui ont secoué l’Église Catholique et Romaine,- faire connaître les idées humanistes.

Tour à tour, l’imprimerie devint un moyen de communication, un outil pédagogique, un amplificateur culturel et surtout un facteur de conscientisation. Ce dernier point est crucial, car contrairement à la tradition orale

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propice à une pensée pré-rationnelle, l’écrit nécessite une structuration de la pensée, une articulation logique afin de donner à un texte une rigueur ou du moins une cohérence. Son influence, de par sa large diffusion, a permis de développer dans un premier temps chez les esprits cultivés une forme de rationalité et une distanciation critique renforçant le désir d’une plus grande autonomie, d’un besoin d’affirmation de soi et d’indépendance d’esprit. Ces positions sont complètement réfractaires à toute forme d’autoritarisme, avec pour corollaire une aspiration à la liberté individuelle. Ces évolutions annonçaient la philosophie des lumières et inauguraient la naissance de la démocratie.

Nous pouvons à la lumière de cette analyse nous poser une question ; si les docteurs de la loi avaient autorisé l’utilisation de l’imprimerie à une période où la culture musulmane permettait à l’humanité de faire un bond dans l’histoire des sciences et de la pensée, son destin aurait-t-il été le même ? Il est entendu qu’une technique selon les cultures subit des destins différents, mais son impact est d’autant plus crucial si l’invention coïncide avec une période de bifurcation. En effet, chaque décision fondamentale prise à un moment donné ouvre l’espace des possibles et son action, même infime initialement, peut à plus long terme par «effet papillon» avoir des répercussions importantes. L’interdiction de l’imprimerie à une époque où les conditions d’une bifurcation étaient réunies est un crime contre la civilisation arabo-musulmane. Cette décision est d’une gravité inouïe, car elle a provoqué une déviation du cours de l’histoire. Elle porte l’empreinte de l’obscurantisme et reflète les rigidités et les crispations dues à la mainmise du «clergé» sur la gestion de la cité et au rebut de la science jugée incompatible avec la foi.

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Et dire qu’en ce temps les savants d’expression arabe, qu’il s’agisse d’astronomie, de médecine, d’architecture, de littérature, de musique, de philosophie ou de mathématiques, favorisaient l’éclosion d’une prodigieuse civilisation avec un épanouissement et une effervescence intellectuelle fertilisant la pensée musulmane et rejaillissant sur la culture planétaire. Durant un intervalle de quelques siècles le possible était permis, l’avenir ouvert, l’intelligence en ébullition. La pensée scientifique musulmane était à son apogée.

Au lieu de favoriser la mise en place de l’imprimerie, véritable amplificateur de connaissances jusqu’alors inaccessibles au plus grand nombre, au lieu d’assurer une force de pénétration bien plus puissante que celle des manuscrits, permettant la formation de la pensée et la création intellectuelle, les «gardiens du temple» ont au contraire empêché son utilisation sous des prétextes fallacieux afin de préserver quelques intérêts particuliers et surtout de garder les esprits sous leur emprise. Au nom du dogme et surtout à cause d’une attitude psychorigide, ils ont poussé à la cécité intellectuelle en cherchant à stériliser la pensée et à crisper l’intelligence. Partant du principe qu’une société inculte ne peut que baigner dans l’obscurantisme, il leur fallait modeler sans grande résistance les structures mentales des musulmans en les enfermant dans un monde clos porteur des germes d’un totalitarisme théocratique où les interdits et les barrières sociales étaient très affirmés, favorisant ainsi le conformisme et l’obéissance de tous aux normes de la sharii’a6. Ces derniers devaient se limiter à suivre aveuglément leurs prédications.

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6 Loi reposant sur les écrits du livre sacré de l’islam, le Coran et sur la tradition prophétique, la Sunna.

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Fait surprenant, l’imprimerie n’a été introduite dans le monde arabe qu’au XIXe siècle ! Sans avoir certainement perçu la portée de leur acte, ils ont inconsciemment évité la mise en place des conditions nécessaires à la germination de la pensée critique et créative, à leurs yeux facteur de prise d’initiative et de changement. Il est vrai que les sociétés fermées n’aiment pas les esprits libres tant elles se sentent menacées dans leurs certitudes. Leurs descendants qui, sempiternellement, nous proposent un retour vers le passé assumeront-ils aujourd’hui cet héritage ? Je leur pose la question.

D’autres facteurs, bien évidemment, intervenaient pour expliquer l’implosion de la civilisation arabo-musulmane. Elle traversait des turbulences dues à des agressions externes nécessitant la défense du territoire contre les croisades. En outre, l’intérêt de l’État se portait plus sur les sciences juridiques et religieuses, instruments de gouvernement, que sur l’importance de la science. Toujours est-il que les querelles de «clergés», leur vision manichéenne, le rejet de la science et de la technique, ont entraîné des bouleversements énormes.

Il va sans dire que l’Islam ne se confond pas avec les différents mouvements islamistes, qui en son nom imposent leur volonté et considèrent leur perception comme vérité absolue et ultime. Avec l’apparition de l’Islam allait naître une société unie dans les objectifs et les aspirations. La diversité culturelle du monde musulman est née de contacts, d’emprunts, d’apports introduits au fur et à mesure de son expansion et s’inscrivant souvent dans une continuité de civilisations antérieures garantissant une grande stabilité et une grande tolérance. L’islam propose un Dieu unique et un message universel sans distinction de races et sans

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intermédiaire, ce rapport direct à Dieu n’accorde aucune distinction entre individus et ne donne aucune légitimité à ceux qui s’autoproclament porte-parole de Dieu.

Mais s’il est vrai que les pensées de ces derniers ont conduit au déclin du monde arabo-musulman, il n’en est pas moins vrai que l’instauration du califat se considérant de droit divin et n’ayant nul compte à rendre au peuple a abouti là aussi à la confiscation du pouvoir en instrumentalisant l’Islam. Cette alliance objective entre la pensée religieuse qui minore la liberté et le pouvoir du califat qui opprime le peuple a accéléré ce déclin.La pensée religieuse dominante a imposé sa vision de l’Islam et a occulté la diversité des courants7, alors qu’elle a été traversée par des pensées divergentes, antagonistes, voire contradictoires. De ce fait, une conception monolithique de la religion musulmane revient à imposer une construction idéologique fondée sur l’assujettissement et la soumission. De nos jours, tous les systèmes politiques des pays arabes sont imprégnés par l’idéologie religieuse qui dénie à l’individu son rôle d’acteur social. Partant de là, le pouvoir politique dans le monde arabe se légitimise en s’arrogeant une mission divine et considère que ses créances ne sont plus envers le peuple mais plutôt envers Dieu ; ce qui a empêché toute évolution démocratique et a favorisé le développement de systèmes politiques centralisés et autocratiques. Si actuellement le divorce est consommé entre les mouvements islamistes et les pouvoirs politiques, ce n’est pas parce que les dirigeants condamnent la rigidité de leur pensée et cherchent à défendre la liberté et la démocratie, mais parce qu’ils sentent leur pouvoir menacé. La politique des gouvernants

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7 Quatre courants : le mutazilisme, le soufisme, le sunnisme, le chiisme et à l’intérieur de chacun de ces courants s’expriment des visions différentes.

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a été de tout temps imprégnée de l’idéologie musulmane ; ainsi ils partagent avec les islamistes le mode de gestion de la cité fondé sur l’autocratie. Leur lutte, aux uns et aux autres, est une lutte acharnée pour le pouvoir, loin de l’émancipation du monde arabe.

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FACE À L’OCCIDENT

Deux facteurs bien distincts mais intrinsèquement liés ont constitué la culture et l’identité de la modernité occidentale :

- Le premier, associé à l’Europe des Lumières, se fondait sur la raison comme principe constitutif de la modernité elle-même. Au cœur de toute activité scientifique et technique, la pensée discursive a joué un rôle instrumental et utilitaire. L’ordre social, au cours des deux derniers siècles, en a été profondément transformé. Ce nouvel état d’esprit incarné par Voltaire, Rousseau et Diderot fut un mixte de modernisation, de libéralisation et de progressisme. Ces penseurs, éclaireurs d’un monde nouveau, par delà leurs divergences, poursuivaient la même quête ; s’émanciper de

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la tutelle des dogmes, des préjugés et des autorités de droit divin et établir un nouveau rapport de l’homme à lui-même. Ce siècle de l’émancipation – relative et équivoque, comme de bien entendu – était fécondé par la raison et la liberté. Aux problèmes d’eschatologie dans lesquels se complaisait l’Occident sous l’emprise de la religion, la raison éclairée substituait l’efficacité humaine du progrès dans la civilisation. Deux étapes historiques fondamentales marquées par des luttes d’influence permanentes ont engendré la constitution d’une laïcité à la française ; la révolution de 1789 et l’évolution des rapports entre l’Église et l’État au XIXe siècle. Ce nouvel espoir historique amena la liberté face au culte, l’instauration des droits inaliénables de l’homme et la séparation de l’Église et de l’État.

- Le deuxième facteur résultait d’une volonté d’expansion. Dans sa quête d’appropriation du monde, l’Occident a appris à définir sa propre unicité contre l’Autre. Même si, sporadiquement, il a été traversé par des conflits, il s’est forgé une représentation imaginaire de cet Autre, le «non-européen» servant à donner une identité et une cohérence à l’idéal de l’Occident.

a) Jeu de miroir

Depuis le temps des Croisades, les relations entre Musulmans et Chrétiens ont été fondées sur la méfiance, les appréhensions et les malentendus. Cette confrontation a été conflictuelle et intense et naturellement le monde musulman a constitué ce miroir à travers lequel l’Occident pouvait voir reflétée sa propre suprématie ; celle du triomphe de la raison et de la puissance technique. Obnubilé par sa domination, il en arrive à considérer sa pensée comme le

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fondement d’une culture universelle se confondant avec l’ordre naturel des choses. Il est vrai que de tout temps l’idéologie dominante prétend toujours à l’universalité.

Dans cette culture de la suprématie, l’Occident ne peut se penser autrement que comme puissance. Après s’être identifié par rapport à l’Autre, il se devait de le dénigrer. Il perçoit la culture musulmane à travers ses manques : modernité, rationalité, universalité et la définit en terme de retard et d’infériorité. Aux yeux de l’Occident, elle est celle de l’impossible modernisation. La modernité est définie contre la pré-modernité, la raison contre l’irrationalité et la superstition et sa culture contre une culture conservatrice, statique, médiévale et féodale.

Si par certains côtés le regard que l’Occident porte sur le monde musulman correspond à cette description, il faut raison garder. Son développement s’inscrit dans une évolution qui a traversé les cultures. La pensée universelle transcende toutes les cultures y compris celle de l’Occident. Ce sont les incidents historiques, les bifurcations dues aux idiosyncrasies individuelles, aux comportements de masse et aux accidents de la nature, qui agissent sur le devenir d’une culture. La rationalité et le concept de liberté, à moins d’être inscrits dans les gènes des occidentaux, font partie du patrimoine de l’humanité. D’autant plus que l’Occident ne peut occulter l’apport des civilisations anciennes, chinoise, musulmane et d’autres bien antérieures. Plusieurs siècles avant le mouvement des Lumières, les Mu’tazilites8 avaient ____________________

8 L’influence philosophique grecque entraîna au VIIIe siècle la fondation de la première école théologique islamique importante, mu’tazilisme, qui insistait sur la raison, la logique rigoureuse et la liberté de la volonté humaine.

Face à l’Occident

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posé les jalons d’une pensée affranchie d’obscurantisme et fondée sur la rationalité. Ils étaient les précurseurs du réveil de l’Occident et du siècle des Lumières.

Ni la raison, ni l’esprit des Lumières, ne sont le propre de l’Occident. Si leur éclosion s’est manifestée dans cette région du monde, les racines de cette émergence puisent leurs sources dans l’évolution des civilisations antérieures. Les sociétés européennes du Moyen-Âge ne peuvent être comparées aux sociétés européennes actuelles. Il y a à peine quatre siècles environ la culture religieuse et mystique était prépondérante, les gens croyaient en la vérité littérale de la Bible et voyaient dans tous les malheurs difficilement explicables la manifestation du mal. Cela illustre bien les changements que peut subir une culture au cours de son histoire. Mais l’Occident, pour ses missions dites civilisatrices, en défendant cette thèse, avait besoin d’inférioriser cet «Autre» afin de mieux le conquérir, la bonne conscience en prime. Les droits inaliénables de l’humain, aussitôt proclamés par «Les Lumières», se voient refusés aux peuples colonisés pour exploiter leurs ressources et mieux les asservir. Croisades, esclavage, conquêtes, colonialisme ; l’histoire de cette culture n’a pas toujours été porteuse de démocratie, de droits de l’homme et de développement. Les exterminations, les génocides ont provoqué des millions de victimes depuis les croisades jusqu’aux décolonisations. Bien évidemment, cette critique ne remet pas en cause les principes énoncés par les Lumières, elle dévoile au contraire le dur combat à mener au quotidien afin que les esprits s’en imprègnent et qu’au fil du temps une «écologie de l’esprit» finisse par prendre forme.

Il est vrai que par ses réussites technologiques ;

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son développement scientifique allant jusqu’à certaines ruptures épistémologiques ; par l’amélioration des modes de vie, l’Occident a contribué à l’élévation de la pensée et du mieux vivre. Cependant cette évolution s’est effectuée au détriment de l’environnement et menace d’épuiser les ressources de la terre en modifiant ses équilibres, ce qui constitue un second écueil. L’exploitation de l’énergie nucléaire, les progrès de la génétique et les risques eugéniques, l’introduction des organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture en sont la conséquence. Cette course folle du tout technique alliée à une productivité massive menace l’avenir de notre planète, sans parler du désarroi ressenti par les occidentaux eux-mêmes face à la perte de sens et à la désacralisation du monde par cette techno-culture. L’essor des sectes avec leur lot de «prêt-à-penser religieux» souligne ce sentiment. Toute société a besoin d’utopie et d’un idéal à atteindre afin de se fixer des repères et de donner une consistance à son existence.

b) Miroir déformant

Face aux avancées de l’Occident, le monde arabe s’arc-boute sur lui-même. L’Occident est aussi un miroir pour lui, mais un miroir déformant à travers lequel il n’arrive pas à se situer. Il n’aime pas le reflet qu’il lui renvoie, alors il cherche à exorciser le présent en rejetant désespérément cet «Autre» qui néanmoins le séduit. Les Arabes ne peuvent se passer de sa technologie, de ses films et même de son coca et de son mac-do. D’un côté ils sont en admiration refoulée devant la culture occidentale, de l’autre ils veulent se déterminer par eux-mêmes, exister, ne plus être spectateurs de leur devenir. Seulement ils n’ont que le passé à proposer. Cette schizophrénie crée une

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situation intenable qui provoque des tensions. Cependant elle interpelle et oblige les Arabes à se dépasser d’autant plus que la globalisation du monde, la numérisation et l’interconnexion des échanges les contraignent à se ressaisir.

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Si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis…

Saint-Exupéry

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FACE À NOUS-MÊMES

a) Entre déclin et expansion

Au XVe siècle, tandis que Christophe Colomb découvrait l’Amérique, le dernier Arabe chassé de Grenade quittait l’Espagne. Un monde meurt, un autre naît.Certes, l’impact de la civilisation arabe sur l’Occident fut décisif. Passant par l’entremise de pèlerins, marchands, croisés ou étudiants, les réalisations arabo-musulmanes ont peu à peu gagné l’Europe où elles ont joué un rôle déterminant dans l’éclosion de la civilisation occidentale, accomplissant ainsi un transfert de technologie de l’Orient vers l’Occident.

Afin de concrétiser cet impact, attardons-nous un peu sur un personnage qui, de l’avis unanime des historiens,

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incarne avec Gérard de Crémone et surtout Léonard de Pise, dit Fibonnaci, le passage du flambeau : Adélard de Bath9. Il retient notre attention pour deux raisons d’ailleurs corrélatives : d’une part, il a été l’un des premiers à faire connaître à l’Occident les textes scientifiques des Arabes. Il a par exemple, entre autres, traduit en latin les Éléments d’Euclide à partir d’une version arabe, l’Arithmétique d’Al-Kwàrismi, ainsi qu’un texte astronomique important : la brève introduction à l’astronomie d’Abû-Ma’shar. D’autre part, il a vigoureusement combattu le dogmatisme de l’église et reproché aux auteurs de son époque d’être sous l’emprise de positions qui s’appuient sur des exégèses dénuées de rigueur. Adélard, au contraire, se situe comme «moderne», en soulignant plusieurs fois dans ses écrits le mot latin modernus. Il préconise une recherche fondée sur l’exercice de la raison, tel que les Arabes le lui ont appris et qu’il cite fréquemment à juste titre10:

«Moi, j’ai en effet appris de mes maîtres arabes à prendre la raison pour guide, mais toi -s’adressant à ses contemporains-, soumis aux faux-semblants de l’autorité, tu te laisses conduire par un licou … Car ils ne comprennent pas que la raison a été donnée à chaque individu afin qu’il puisse discerner le vrai du faux, utilisant la raison comme juge suprême».

Ces propos sont révélateurs à plus d’un titre, tout d’abord ils soulignent la perception de l’Occident du XIIe siècle plein de considération pour la civilisation Arabo-

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9Moine bénédictin (1080 – 1150) connu pour avoir été le premier scientifique anglais.10 R.C. Dales, The scientific achievement of the Middle Age, University of Pennsylvania Press, 1973.

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Musulmane, même si de notre temps, certains occidentaux cherchent à renier ou du moins à minimiser cet héritage. Comme le souligne Alexandre Koyré11 :

«Ce sont les Arabes qui ont été les maîtres et les éducateurs de l’Occident latin… Car si les premières traductions d’œuvres philosophiques et scientifiques grecques en latin furent faites, non pas directement du grec mais à travers l’arabe, ce ne fut pas seulement parce qu’il n’y avait plus – ou encore – personne en Occident à savoir le grec, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il n’y avait personne capable de comprendre des livres aussi difficiles que la Physique ou la Métaphysique d’Aristote ou l’Almageste de Ptolémée et que, sans l’aide de Farabi, d’Avicenne ou d’Averroès, les Latins n’y seraient jamais parvenus. C’est qu’il ne suffit pas de savoir le grec pour comprendre Aristote ou Platon – c’est là une erreur fréquente chez les philologues classiques - il faut encore savoir de la philosophie. Or les Latins n’en ont jamais su grand chose. L’antiquité latine païenne a ignoré la philosophie…».

Tout cela nous montre par une ironie du sort combien les rôles se sont inversés depuis. Mais plus important, ils nous font voir comment l’Occident sans complexe a introduit le savoir musulman, comme du reste, les Arabes l’ont fait du temps de leur splendeur.

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11 Etudes d’histoire de la pensée scientifique. Gallimard, 1973.

Face à nous-mêmes

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b) À travers le miroir

Imaginons que la population du monde arabe se réduise proportionnellement à un village de 100 habitants. 90 personnes vivraient en dessous du seuil de pauvreté, 6 feraient partie de la classe moyenne et les 4 personnes qui restent posséderaient 95% des richesses du village. Parmi ces habitants un seul aurait un diplôme universitaire, 27 seraient alphabétisés ou du niveau secondaire et 72 personnes baigneraient dans l’ignorance la plus totale, les femmes étant bien entendu les plus défavorisées. Ce constat effrayant illustre bien les déficiences des idées et des modes de fonctionnement produits par la culture arabe. Comment dans ces conditions envisager de sortir du sous-développement économique et culturel ? Comment affronter le 21e siècle compte tenu de l’inertie considérable de nos soumissions et de nos démissions quotidiennes ? Selon une étude américaine12 l’avenir politico-économique du monde arabe est condamné s’il ne décide pas de changer radicalement. Regardons de plus près quelques extraits de cette analyse13 :

«Le monde arabe sera un foyer de jeunes chômeurs ayant un penchant pour l’extrémisme, prêt à s’engager dans des opérations à caractère terroriste, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur pays. Ils seront du genre à rejeter tout effet positif en provenance du monde civilisé, acceptant de vivre dans des sociétés habituées aux répressions».

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12 En 2001 la CIA a fait paraître un rapport sur le Monde Arabe.13 D’après une synthèse de Samir Sobh dans une chronique du journal «la Gazette du Maroc» N° 197 du 10 Janvier 2001.

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«Les gouvernements arabes seront incapables de gérer les affaires de leur population, qui souffrira toujours d’un manque de ressources et ne fera jamais le nécessaire pour la sauvegarde de l’environnement14 ; et adoptera des politiques qui feront fuir les investisseurs».

«Les pays arabes vont se concurrencer de plus en plus au lieu de chercher des dénominateurs communs qui créeraient les éléments de complémentarité existants entre eux…Ils iront jusqu’au surarmement pour s’entretue, voire pour engendrer des tensions ethniques et confessionnelles».«Les gouvernements n’encourageront ni de près ni de loin un secteur d’affaires indépendant comme ils refuseront toute réforme politique ou ouverture médiatique volontaire».

«Ils vont essayer de résister au vent de la démocratisation et s’opposeront aux systèmes éducatifs modernes. Le résultat de ce bras de fer fondé sur les pressions et l’immobilisme serait la montée des mouvements extrémistes contre ces régimes».

«Le secteur public arabe ne changera pas. Il continue à chasser l’investissement par son comportement irresponsable et fera la guerre à la transparence. Le sous-développement au niveau

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14 La CIA ne doit pas oublier que leur pays est le plus grand pollueur de la planète.

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des secteurs financiers et bancaires ainsi que l’incompatibilité des infrastructures avec les métamorphoses intervenues partout dans le monde vont faire de cette région une zone à éviter par tous ceux qui chercheraient des paradis fiscaux pour placer leurs capitaux».

Ce rapport manque de mesure à notre avis. Cependant sans être crédule sur ses motivations, s’il se révélait un tant soit peu juste, l’avenir des Arabes serait sans avenir. Cela dit, loin de paralyser, cette analyse doit servir d’électrochoc afin de les aider à sortir de leur sommeil léthargique.

c) Culture bloquée

Après toutes les expériences politiques, on constate depuis quelques décennies un échec dans les pays arabes. A côté des monarchies absolues, tout a été essayé sauf une véritable politique démocratique : un marxisme arabe, un arabisme laïcisant ou un parlementarisme dictatorial. Tous ces choix politiques ont découlé intentionnellement ou non d’une pensée religieuse figée depuis le début et qui s’impose à l’inconscient collectif.

Tous ces régimes ont conduit à des politiques socio-économiques et culturelles désastreuses. Partout il n’y a que coercition, pauvreté et ignorance. Trois fléaux qui imprègnent le paysage mental des Arabes et le maintiennent dans le conservatisme et l’archaïsme.

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Coercition

La coercition entraîne une soumission à tout ce qui représente l’autorité et un dédain pour tout ce qui représente une faiblesse. A force de vivre dans des systèmes coercitifs, les Arabes sont arrivés à ne plus respecter que la force et à mépriser toute autre forme de relation à leurs yeux symbole de faiblesse. Ce faisant, l’Arabe se trouve dans un mal existentiel, il vit dans un monde fermé, une culture bloquée, mais aspire aussi à étendre son territoire. Dans son imaginaire, il continue à véhiculer ses racines d’homme du désert, il rêve toujours de ces vastes étendues qui ne limitaient pas son horizon. Cette dualité entre liberté et contrainte, entre fierté et obéissance l’a conduit à deux orientations : l’une poussée vers un idéal fait de liberté qui a permis l’essor de la civilisation arabo-musulmane, l’autre fondée sur des contraintes qui l’ont réduit à ce présent insupportable. La situation actuelle correspond à la seconde orientation ; le présent des Arabes est dominé par la coercition au niveau de l’éducation dans les familles où la seule règle imposée en grande majorité est l’obéissance des mineurs, qu’il s’agisse d’enfants ou de femmes, ensuite du pouvoir politique15 qui s’estime seul apte à décider pour l’ensemble de la population et surtout du dogmatisme religieux, fléau des temps modernes. En effet, l’islamisme est un Armageddon pour le monde arabe, car ceux qui s’attribuent la gestion des vérités de la foi imposent une vision de la religion ritualisée, bicolore. Leur mainmise transforme une religion ouverte et tolérante, celle du juste milieu, en un dogme atrophié. Ils imposent leurs analyses fondées sur des structures mentales archaïques interdisant toute critique. La critique de leur pensée est

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15 Tous les systèmes politiques de tous les pays arabes sont autocratiques.

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perçue comme une critique contre l’Islam. Ils fonctionnent dans un système sans possibilité de changement ou de reconnaissance d’erreur, considérant que leur croyance représente la Vérité absolue parce qu’ils y croient et ils y croient parce qu’elle est infaillible. Cette circularité de la pensée, cette argumentation auto-validante, les conduit vers l’auto-sacralisation. Or, tout enfermement, toute vision monolithique est une régression, une blessure pour l’intelligence. Il faut garder à l’esprit qu’une pensée éminemment conservatrice produit inévitablement un monde clos. Cela dit, il est à remarquer que contrairement à ce que l’on croit, les barbus ne sont pas des conservateurs, car cela supposerait la perpétuation de ce qui existe et la préservation des structures dans leur état présent et actuel. Or, ce qu’ils combattent c’est ce présent même. Ils veulent au contraire conduire les Arabes et d’une manière plus large les musulmans vers le passé, un monde qui n’existe déjà plus que dans leur imaginaire. Tel est leur idéal. Ainsi, si les conservateurs cherchent à figer une culture dans un présent éternel, les intégristes cherchent plutôt à la détruire pour la remplacer par le passé en se retranchant dans la forteresse de leurs croyances fondées sur une logique mortifère, préférant à la vie un monde déjà mort.

Autre point, face à l’administration, la parole est bâillonnée, muselée. Les dirigeants arabes n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes. La police est là non pas pour protéger le citoyen mais pour le surveiller. Ainsi, à tous les rouages du système social, l’Arabe est quadrillé. Lorsque des voix s’élèvent et que la société civile, les intellectuels, les journalistes, réagissent et condamnent les dérives, le système crie au complot. Si on ne les enlève plus ou rarement, la justice, vitrine du pouvoir, est là pour les poursuivre. En effet, le système évolue, il ne ferme plus un journal, ne kidnappe plus son rédacteur en chef, non, il le

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poursuit en justice pour un motif quelconque et lui colle une amende pour le mettre en faillite, cela bien sûr au nom de la transparence.

Tous ces dirigeants répètent qu’ils oeuvrent pour la démocratie et que les Arabes sont dans un système démocratique. Je n’ose imaginer ce que représente la dictature pour eux ! En réalité les castes dirigeantes refusent le jeu démocratique qui permettrait au plus méritant de bousculer leurs privilèges. Elles se recroquevillent sur leurs acquis, étouffent toute initiative, refusent par couardise la concurrence et l’esprit de compétition, multiplient les mécanismes de blocage. Elles défendent leur intérêt et leur monopole, vampirisent les richesses des pays arabes et anémient leur culture. Les occidentaux passent du monde au cyber-monde, le monde arabe passe du pouvoir de l’administration et de la bureaucratie à celui de l’islamisme. A chacun son rythme.Dans ces conditions, l’individu est déresponsabilisé, infantilisé. Il ne faut pas oublier que nous sommes déjà dépendants de nos gènes, de notre inconscient et de notre environnement social, et le peu de marge et de libre-arbitre qui nous reste, les gardiens du temple et du pouvoir voudraient nous les confisquer en cherchant à nous pavloviser, pour notre salut semblerait-il, faisant presque l’éloge du masochisme. C’est à croire que les contraintes sont un épanouissement. Ils nous souhaitent et nous rêvent, à l’instar des moutons de panurge. Or l’homme, à l’opposé de l’animal, est un être culturel et tant qu’il est à la recherche de niches écologiques vitales à sa survie, il explorera toutes les possibilités nécessaires à sa protection et à son développement. Vivre dans un univers de contraintes tue la créativité. L’inventivité a besoin que l’esprit puisse vagabonder, qu’il soit réfractaire aux règles, défiant

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l’interdit, bousculant l’ordre établi, ennemi du consensus et de la voie unique. La pensée n’est fertile que lorsqu’elle est libre et responsable. Donc, plus l’homme vivra dans des conditions «kaléidoscopiques», libre, se nourrissant de la différence, mieux il contribuera à l’aventure humaine.

Pauvreté

Il va sans dire que les conditions économiques dans les pays arabes sont catastrophiques. Hormis quelques oasis bénéficiant des pétrodollars, l’ensemble vit dans un désert économique. Les trois-quarts de la population du monde arabe vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Cela conduit à une culture de la misère. Si l’on se fie à la pyramide de Maslow16, le monde arabe se situe presque au plus bas niveau, celui de la survie. Il n’est pas surprenant qu’une population dans cette situation cherche par tous les moyens à s’en sortir, l’opportunisme étant de règle. La loi du plus fort s’inflige en maître. Chacun applique à sa convenance l’adage «après moi le déluge. La misère produit sa propre culture et les corvéables, les gommés de la société, les dépossédés n’ont que faire d’idéaux fondés sur l’intérêt général, le respect des lois, tant ils se battent pour leur survie et leur quotidien. Cette situation conduit inévitablement à la déstructuration des sociétés et à leur maintien dans le sous-développement. Si l’on compare le monde arabe avec certains pays asiatiques après leur décolonisation, nous pouvons nous demander comment ils sont passés en une ou deux générations du sous-développement absolu au rang de

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16 Abraham Maslow exprima en 1954 une théorie relative à l’existence d’une hiérarchie dans les besoins naturels de l’homme. Bien qu’actuellement cette théorie soit en partie dépassée, elle reste encore pertinente.

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nouveaux pays riches. Comment expliquer cette différence entre le monde arabe et ces pays ? Sinon par le fait que nous baignons dans un système fait de hiérarchie, de conformisme, d’asservissement, de népotisme et de corruption, faisant perdre toutes illusions et annihilant ainsi tout goût de l’effort. La corruption, ce mal endémique, ronge tous les rouages des sociétés arabes et sert quelques puissants monopoles liés à des politiciens corrompus engendrant par leur attitude un mal-développement avec son cortège de mal-vivre, de misère et de mal-être. A ce fléau s’ajoute un carcan bureaucratique volontairement pesant qui décourage les initiatives et favorise les passe-droits et la corruption. Les services publics qui doivent être au service du public sont bien au contraire au service des puissants et de la clientèle des différents pouvoirs politiques. La bureaucratie ou pour la nommer plus justement la «Kleptocratie», utilise les rouages de l’Etat pour rechercher des profits faciles et immédiats. Quant aux mal-nés, ils sont exclus du partage et du système. L’écart se creuse entre une minorité qui profite au «profit» et les oubliés du présent. Cette situation est explosive et sert de terreau à l’islamisme et les jeunes devant qui l’avenir est fermé ne peuvent réagir autrement que par le rejet de la société et par la délinquance, animés par une force redoutable : le désespoir.

Ignorance

Des trois apocalypses, l’ignorance est le fléau le plus nuisible, tant la richesse des nations repose sur le savoir-faire et les compétences du potentiel humain. Là encore, l’analphabétisme sévit partout dans le monde arabe, plus chez les femmes que chez les hommes, plus dans le milieu rural que dans les villes. L’ignorance est la plus terrible

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des barrières qui divisent le monde en accordant la richesse à un groupe de nantis et en rejetant les autres dans la misère la plus noire. Les favorisés offrent une éducation à leurs enfants qui à leur tour accroissent leurs richesses. A l’autre bout de l’échelle, l’ignorance aboutit à la précarité. Les conséquences du manque d’éducation entraîne un comportement non civilisé et l’agressivité lorsqu’elle est déclenchée n’est ni canalisée et encore moins maîtrisée.

Chose curieuse, pour conduire une voiture on exige un permis, pour élever un enfant aucun effort n’est consenti, le système laisse les parents analphabètes éduquer et former les générations futures selon leurs propres schèmes et considérations, contribuant ainsi à produire une non-culture.

Il est impensable de sortir du sous-développement tant que la majorité des Arabes reste analphabète. Ils sont loin de la distance critique nécessaire pour que chacun d’eux se sente co-auteur de sa destinée et remplisse pleinement son rôle d’acteur social. On ne peut que déplorer cette situation qui conduit fatalement à la pensée magique. Certes, tous les pays arabes ont fourni des efforts pour scolariser les enfants. Mais le combat contre l’ignorance devait être aussi important que le combat contre le colonialisme. Les répercussions sont doubles, d’un côté l’économie du savoir consiste à convertir la valeur intellectuelle des ressources humaines en forces productives de haut niveau, en pouvoir de compétition et en nouvelles valeurs. De l’autre côté, l’ignorance conduit fatalement à l’esprit irrationnel et aux croyances magico-religieuses. Lorsque l’adhésion à ces croyances va de pair avec le rejet de la rationalité et de la science, le danger de l’obscurantisme et du fatalisme menace. L’esprit ayant horreur de l’incertitude s’ingénie à simplifier pour mieux comprendre ce qu’il aborde. De

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tout temps, l’être humain a eu besoin de sécurité et de signification et a toujours cherché à réduire ses craintes et ses incertitudes. Une explication se révèle nécessaire chaque fois qu’un mystère apparaît. Bien évidemment, nous ne pouvons vivre sans croyances, nous avons besoin de repères, de cohérence afin de donner un sens à notre vie. Toute la question est de savoir les mesurer à leur juste valeur. En effet, comment nous méfier de nos propres jugements et éviter de lire une causalité dans des situations où la simple coïncidence est à l’origine de ce que nous observons ? Comment rester vigilant face aux croyances dues au poids de notre éducation et de nos traditions culturelles ? Ces croyances favorisent le conformisme et endorment l’intelligence, tant il est vrai que la faiblesse de l’esprit critique laisse le champ libre à la crédulité qui, elle, est voisine de la superstition. L’accès au savoir, sans éradiquer totalement l’esprit irrationnel, contribue néanmoins à diminuer son influence.

En synthétisant ces trois facteurs, nous trouvons que la coercition conduit à la soumission, qui elle entraîne une infantilisation (ne décidant rien par soi-même, on abdique devant les forces dominantes) et à une déresponsabilisation (coupable de rien puisque responsable de rien). De plus, la combinaison de la soumission qui est une autocensure à l’action et à la décision et de l’ignorance, terrain favorable à la pensée pré-logique et ennemi de l’analyse critique, paralyse l’inventivité et favorise l’imitation. Dans ces conditions on exploite les niches existantes et on s’interdit d’en créer de nouvelles. De cela nous inférons que la structure mentale de l’Arabe est plus encline aux prêt-à-penser et aux croyances fondées sur le principe d’autorité, empêchant l’émergence de «l’individu» qui affiche sa différence et se distingue au

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sein du groupe. Si, en outre nous associons dans cette analyse la misère (survie) à la déresponsabilisation, nous aboutissons à une inférence de second niveau ; la non-émergence d’un citoyen co-auteur de lui-même et acteur de sa cité. En effet, notre univers mental est le produit de nos confrontations au réel. Lorsque le groupe est «fermé» et a des règles strictes laissant peu de marges de liberté et étouffant les initiatives supposées dérangeantes, la vie culturelle est flétrie. De plus, si les membres de ce groupe sont réfractaires au savoir et si ils vivent dans des conditions difficiles, les conséquences sont prévisibles, ils se réfugient alors dans l’irrationnel, deviennent une proie facile pour l’extrémisme religieux et cultivent un cadre de pensée rectiligne et étroit qui les réconforte face aux servitudes de la vie. Or aucun développement ne peut se réaliser sans changement et innovation et aucune innovation n’est possible sans prise de risque, ce qui implique une responsabilité.

Il est difficile d’investir dans un futur encore intangible si le système politique et social déresponsabilise et rend l’Arabe passif. Il est encore plus difficile de construire un idéal en commun si l’intérêt particulier prime sur l’intérêt général. Et il est impossible de tendre vers le progrès si nos structures mentales s’éloignent de la raison. Ainsi, la peur du changement, le chacun pour soi, le réconfort de fausses croyances bien ancrées favorisent l’inertie mentale, anémient la culture et inévitablement empêchent l’apparition de l’acteur social, individu désenchaîné et citoyen responsable.

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«Le fanatisme, c’est la mort de l’homme, en tant qu’abolition de sa pensée consciente. Si la conscience est la faculté de mettre à distance nos objets, le fanatique l’a perdue. Il ne peut plus penser sa croyance pour ce qu’elle est : une représentation humaine, fragile et ouverte au doute. La foi humaine, elle, s’exprime dans un Credo, qui est une profession de foi consciente, accessible à la compréhension et au doute, et non pas un savoir absolu. Le caractère inhumain du fanatique, c’est qu’il croit détenir le savoir d’un Dieu, contre lequel, ni le cri des enfants, ni les pleurs d’une mère, ni le désespoir d’un compagnon n’ont de poids : le fanatique a sombré du côté de l’inhumain, en se prenant lui-même pour un Dieu».

M. Le Guen

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ENTRE IMPARFAIT ET FUTUR ANTERIEUR

Il existe deux interprétations du monde, l’une fondée sur la croyance religieuse, l’autre sur la science. L’une et l’autre cherchent à éclairer l’homme et à déterminer sa place dans l’univers. De ce fait elles occupent le même espace : celui de la pensée humaine. La religion affirme une vérité éternelle. La science propose un système explicatif partiel et provisoire. Dès lors, entre les deux il y a conflit car leurs logiques s’opposent. L’Occident a réglé le problème en séparant l’éternel du temporel, en rendant à Dieu ce qui

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appartient à Dieu et à César ce qui appartient à César. Le monde musulman, lui, a imposé la religion comme seul moteur de la pensée et de la culture. Or, la force de la pensée moderne est de savoir que ses connaissances sont limitées, par conséquent elle a soif de défricher de nouveaux horizons. A l’opposé, la pensée musulmane estime détenir toutes les réponses nécessaires à sa spiritualité et à sa temporalité, ce qui la fige ; alors qu’en ce début de millénaire, le vertigineux développement de la techno-science relègue 5000 ans de l’histoire humaine à l’âge de pierre, les nouvelles technologies de l’information, sans parler de la bio-génétique, conduisent à une nouvelle forme d’organisation planétaire et à une nouvelle bifurcation décisive et cruciale.

Si par le passé la civilisation musulmane a produit une culture florissante, elle n’a duré que le temps de la gestation, mais une fois arrivée à maturité, les gardiens du dogme ont estimé que son apogée était atteinte et que plus rien ne devait venir perturber cet édifice. Celle-ci passa d’une culture en spirale à une culture en boucle. Le monde arabe est confronté à ce nouveau défi et pour sa survie doit le relever. Dans ces conditions, il semble fondamental pour chercher à redéfinir et à ré-interpréter la culture arabe d’aborder son passé afin d’éclairer ce qui influe sur son présent. En cherchant à observer le présent nous le changeons et nous le percevons avec les yeux d’aujourd’hui. Il est difficile de distinguer ce qui du passé conditionne à notre insu l’intelligence du présent et ce qui du présent déforme le passé où nous prétendons découvrir les signes d’une vérité. Sans chercher à faire de l’herméneutique, ni à nous substituer à l’historien dont c’est le métier, nous limitons

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notre investigation à l’étude de certains versets coraniques et à une analyse des hadith17 en nous appuyant sur un raisonnement discursif, cela afin d’éviter les ambiguïtés et les interférences dues aux distorsions de notre paysage mental, fruit d’ici et maintenant. En outre, nous nous sommes restreints dans l’étude du Coran à analyser la notion de liberté qui nous semble essentielle pour le développement de toute culture. Nous postulons que la culture arabe dans son essence n’est pas réfractaire à la liberté et si elle étouffe actuellement sous le poids de contraintes et d’interdits cela est plus du aux événements socio-historiques qu’à la matrice du dogme.

Nous commençons par la lecture de la Sourate 5, verset 50 :

«A chaque peuple, Nous avons donné une loi et une voie. Si Dieu avait voulu, Il vous aurait groupés en un seul peuple. Mais , Il a voulu voir l’usage que chaque peuple ferait de ce qu’Il leur a donné. Rivalisez d’effort pour le bien. Vous retournerez tous à Dieu. Il vous éclairera sur le sens de vos désaccords».

Nous constatons que l’analyse de ce verset montre comment Dieu, dans son Infinie Sagesse, en permettant l’existence d’une multitude de peuples et en leur donnant une voie et une vision différente, nous contraint à accepter l’Autre avec ses différences. La diversité des cultures à été voulue afin que les uns s’enrichissent des autres et non pour qu’ils s’entre-déchirent, ce que montre clairement la

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17 Recueil des discours prononcés par le Prophète Mohammad.

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Sourate 49, verset 13 :«Ô Hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et nous avons fait de vous des peuples et des tribus, afin que vous vous entre-connaissiez».

Dès lors, en reprenant le verset 50, nous pouvons nous demander pourquoi les fondamentalistes s’arrogent le droit de s’opposer à la diversité que Dieu a voulue et cherchent à nous enfermer dans une pensée étroite et coercitive. Ils ne peuvent refuser l’Autre dans sa différence sans être en conflit avec le Coran. L’accepter avec ses spécificités signifie reconnaître son droit à penser et à agir autrement. C’est le principe de tolérance, notion qui constitue le fondement de la liberté. De plus, puisque aucun peuple ne peut sous l’emprise «d’une police de la pensée» véritablement évoluer et faire émerger ses particularités, nous pouvons inférer qu’à la diversité des peuples correspond aussi la diversité des formes de pensées à l’intérieur des peuples ; c’est ce que propose la démocratie et que condamnent les barbus. La pluralité des peuples, des langues, donc des cultures et des modes de pensées favorise l’éclosion de la créativité et le développement des connaissances et des savoirs. Chaque peuple, par ses pratiques, ses croyances, ses modes de vies, élabore sa manière de concevoir le monde, les choses, et, dans ce cadre, effectue des découvertes difficiles à réaliser sous d’autres cieux, tant l’environnement culturel crée des conditions spécifiques et uniques. Cet enrichissement profite à l’humanité et l’histoire l’atteste ; les uns ont inventé l’écriture, les autres ont permis un progrès social et ensemble ils ont fait avancer la culture humaine.Il faut ajouter à cela que Dieu dans ce verset montre en plus que nous sommes libres face à nos choix, puisque :

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Il «a voulu voir l’usage que chaque peuple ferait de ce qu’Il leur a donné». A lui seul, ce passage montre le libre arbitre qui anime l’être humain et affirme que Dieu lui-même n’interfère nullement dans nos choix de vie, ce qui constitue une forme de respect qu’Il nous témoigne et cela quels que soient nos égarements. Dans ces conditions, le minimum demandé à ceux qui s’autoproclament ses vassaux est d’être dignes d’une telle conduite.

Le verset que nous venons d’étudier est une pensée profonde. Il nous incite à la tolérance, attitude qui conduit à accepter l’esprit de contradiction, les divergences d’opinions et à rejeter les idées imposées par les docteurs de la loi qui, dans leur myopie intellectuelle, limitent l’étendue et la vision de l’Islam aux limites de leur pensée. Ils sont impuissants à concevoir que l’Autre, celui qui pense autrement, puisse exercer librement son droit à la différence et en cela ils sont en totale contradiction avec la volonté divine. D’ailleurs que serait une foi sans liberté, sinon une contrainte18. La tolérance conduit à la liberté et la liberté devient un droit qui rend l’être humain responsable de ses actes. Cette relation entre droit et devoir trouve sa plus grande expression dans la démocratie.

D’autres versets mettent en relief une seconde donnée essentielle et complémentaire illustrant que rien n’est statique et qu’en fonction du contexte une situation peut varier, ce qui introduit une flexibilité et une intelligence

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18 le nombre d’interdits dans la religion musulmane est infime, ne dépassant pas la dizaine, comparé au judaïsme qui compte plusieurs centaines de mitsvot Ordres divins auxquels les juifs doivent se soumettre.

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contextuelle dans les lois islamiques. Certains versets coraniques ont été réfutés19 juste après leur révélation, ce qui créa une certaine incompréhension parmi les croyants.

Sourate 16, verset 101 :«Si Nous remplaçons un verset par un autre, Dieu Sait mieux que tous ce qu’Il fait descendre».

Sourate 13, verset 40 :«Dieu abroge et maintient ce qu’Il veut. Le germe du livre est en Lui».

Sourate 14, verset 39 :«Dieu abroge ce qu’Il veut ou le maintient et Il détient l’Écriture-mère».

A la lumière de ces versets, le lecteur moyen pourra être perplexe et se demander les raisons de ces abrogations. Dieu étant omniscient, Il pouvait initialement tout concevoir de manière à n’y apporter aucune modification. Le dogmatique, quant à lui, rétorquera que Dieu fait ce qu’Il veut et arrêtera là sa réflexion, tant il s’interdit toute interprétation. Une analyse plus fine nous révèle qu’il y a un message derrière le message qui permet de pénétrer les profonds desseins du Divin. Ce sub-message a pour visée de montrer que si le dogme demeure le même, la gestion temporelle varie selon les conjonctures et le contexte. Il y a homogénéité dans la pensée révélée, mais elle est nuancée par les contingences. Le hiatus introduit par Dieu à travers ces versets distingue

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19 Un des versets abrogés situé dans la sourate de l’étoile devait permettre l’intercession des musulmans auprès des divinités : Allât et al-‘Ozzâ et Manât. Reconnaissance qui risquait d’ébranler le polythéisme. L’ange Gabriel révéla plus tard au Prophète qu’il a été trompé par le Diable.

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le spirituel qui constitue le fondement de la religion et le temporel qui s’occupe de la gestion de la cité. Ainsi le sub-message a un sens bien particulier : préserver le dogme mais adapter le temporel aux nécessités du moment. Certes, l’Islam est «Din-wa-dounya20» mais si le spirituel et le temporel sont consubstantiels cela ne signifie nullement que le temporel est assujetti au spirituel. L’erreur des «Oulémas21» est de confondre interdépendance et dépendance.

Tant que la matrice qui constitue l’essence du dogme est respectée, le reste appartient à l’univers du possible et peut être adapté selon les circonstances. Sans détour aucun, cela signifie qu’il faudrait revoir l’Islam à la lumière des temps modernes, l’extirper de toute pensée et pratique moyenâgeuses. De plus, comme les gardiens du temple considèrent que le Coran, atemporel et incréé, traverse les âges et les peuples, ils doivent aussi accepter qu’il soit en accointance avec les cultures et les époques et ainsi parler à l’intelligence en s’adaptant aux changements des circonstances et des situations. Or, s’il est perçu dans sa forme littérale et si les lois promulguées demeurent statiques, il faudrait suspendre le temps et figer les cultures. Mais, si nos coutumes doivent être immuables afin de s’adapter aux règles islamiques, mieux vaudrait les inscrire directement dans nos gènes, ainsi nous vivrions un éternel recommencement en perpétuant de génération en génération, de manière presque intacte et sans évolution aucune, nos modes de vie. Une sorte de clonage culturel. Dans le cas contraire, il faudra admettre qu’elles soient sujettes à évolution et adapter la religion en conséquence.

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20 A la fois spirituel et temporel.21 Théologiens musulmans.

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Le Coran nous invite à l’interprétation et les messages dans les messages sont des signes cachés derrière l’apparent. En effet, si la lecture littérale représente le corps du dogme, l’interprétation, elle, représente son âme et sa quintessence en allant au delà du visible, comme en témoignent les versets suivants :

Sourate 29, verset 43 :«Nous citons de tels exemples à l’usage des hommes. Mais seuls les hommes sensés les comprennent».

Ou plus clairement encore,Sourate 49, verset 9 :

«Ceux qui savent sont-ils à mettre sur le même pied d’égalité que ceux qui ne savent pas ?».

Bien évidemment, cela heurte les fondamentalistes qui refusent toutes formes d’interprétations. En effet, il y a une opposition entre les tenants – hélas, majoritaires – de la perception littérale du texte sacré et les modérés dépassant le degré zéro de la compréhension. Les dogmatiques se trompent en pensant échapper à l’interprétation, puisqu’elle dépend de leur grille d’analyse, fruit bon gré, mal gré de leur époque. Chaque univers mental engendre une image de la réalité véhiculée par la langue. Dans une continuelle fluctuation culturelle, la langue agit sur la pensée et la pensée entraîne des changements dans les langues22. Un même mot, un même concept à quelques siècles de distance ne dénote plus la même acception. Dans ces conditions, vouloir échapper à l’interprétation est un leurre.

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22 Vygotski «Pensée et langage», Ed. La disparité.

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En s’appuyant sur leurs croyances et leurs principes, les dogmatiques ont tendance à les structurer selon un moule bien déterminé et à les sacraliser afin de conforter leur vision du monde. D’ailleurs, pour approfondir cette question, Henri Corbin23 nous rapporte une déclaration du Premier Imam ‘Alî ibn Abi-Tâlib24 :

«Il n’est point de verset coranique qui n’ait quatre sens : l’exotérique (zahir),l’ésotérique (bâtin), la limite (hadd), le projet divin (mottla’). L’exotérique est pour la récitation orale ; l’ésotérique est pour la compréhension intérieure ; la limite, ce sont les énoncés statuant le licite et l’illicite ; le projet divin, c’est ce que Dieu se propose de réaliser dans l’homme par chaque verset».

Si nous pouvons espérer un tant soit peu que le bon sens et l’intelligence (re)deviennent le moteur de nos actions et de nos réflexions, nous devons définitivement détruire les positions sectaires qui condamnent toute forme d’herméneutique et fossilisent ainsi le culte. Ce qui suppose que les intégristes se rendent compte de l’ignorance de leur ignorance, car à notre époque ce sont les plus incultes d’entre les musulmans qui s’instituent leurs guides. Les talibans, les intégristes algériens, les gardiens du culte saoudien en sont un exemple frappant, ils cherchent à imposer leurs croyances par la contrainte, alors que vraisemblablement le sentiment véritable qui les anime est opportuniste, tant il est vrai que si leurs chefs ne sont obnubilés que par le pouvoir, le reste, endoctriné, pense qu’en se débarrassant des «mécréants» et des «infidèles»,

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23 Henri Corbin «Histoire de la philosophie islamique» , p. 19-20, Gallimard.24 Ibid.

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il méritera le Paradis. On peut un peu par boutade se laisser à penser que la plupart d’entre eux in petto n’agissent pas par véritable piété mais plutôt pour la récompense tant convoitée : les vierges du Paradis qu’ils rêvent de violer à répétition ! Si les mêmes, derrière leur barbe, étaient assurés par un esprit malin que ces vierges habitent en réalité l’Enfer, je me demande s’ils hésiteraient un seul instant à signer un pacte avec le diable !.

Cette appropriation de la religion par l’homo-islamicus est la source de tous les maux et du malaise culturel que vivent les Arabes. Rappelons-nous encore que l’Islam en privilégiant un lien spirituel entre Dieu et l’homme sans l’intermédiaire d’un clergé se distingue du Christianisme et du Judaïsme. Les mouvements et les courants à l’intérieur de l’Islam ne doivent avoir qu’un rôle informatif sans s’imposer comme mode de pensée obligatoire et unique, sinon ils usurpent la religion. Cela montre combien un parti politique islamique est antinomique avec l’Islam puisque cela revient à mettre en place un clergé. Ce qui nous incline à penser que la laïcité tant décriée par les «maîtres à penser» est non seulement possible en terre d’Islam, mais elle s’impose.

Nous avons vu la nécessité logique de distinguer le spirituel du temporel, nous avons montré le besoin de tolérance puisque Dieu a voulu la diversité des peuples. Nous savons qu’entre Dieu et le croyant il n’y a pas d’intermédiaire. Nous avons vu aussi que l’homme était souverain dans ses choix et ses décisions. Ces données constituent les fondations sur lesquelles repose l’émergence d’une laïcité propre à la culture arabo-musulmane. Par laïcité nous entendons non pas la négation du fait religieux mais plutôt l’émancipation de l’Etat de la mainmise

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religieuse. La laïcité doit offrir la possibilité de cohabiter paisiblement sous une loi commune dans le respect des différences. Cette loi devrait être celle du peuple souverain et en cela s’opposer naturellement à une légitimité de droit divin. L’Islam condamne toute médiation entre Dieu et le musulman et par conséquent invite à la concertation et au dialogue dans un esprit de tolérance, en toute égalité entre les musulmans. Cela s’appelle la démocratie et la démocratie nécessite la laïcité. Il ne serait pas possible à la fois d’exprimer ses opinions et ses divergences en étant entièrement dépendant d’une idéologie religieuse qui interdit toute opinion hétérogène. La seule solution possible pour lever cette contradiction est la laïcité, sans elle nous resterons une société fermée. Une laïcité s’inspirant bien évidemment des «Lumières», mais étant nécessairement fille de sa propre histoire.

Partant de ce constat, la réforme de la pensée musulmane est nécessaire pour revivifier la culture arabe. D’un côté, comme «l’intelligence du Coran» ne peut être appréhendée sans un effort maximal d’intelligence humaine, il faut admettre l’interprétation comme moteur de réflexion. De l’autre côté, il faut rendre au Prophète ce qui appartient au Prophète et à Dieu ce qui appartient à Dieu en se fondant strictement sur le Coran. En effet, les musulmans sont écrasés sous des centaines de milliers de hadith qui étouffent toute liberté et toute initiative. Il est vrai que quelques siècles après la mort du Prophète, afin d’élaborer une jurisprudence musulmane, il semblait nécessaire de se référer à ses paroles. Mais ce qui devait servir de modèle pour guider et orienter les musulmans devint aussitôt un système de pensée bloquant et parfois «auto-bloquant».Le Prophète étant homme, ses paroles ont une dimension historique et par conséquent sont contextuelles et fluctuent

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avec le temps.Quatre arguments nous expliquent le rôle historique

des hadith et nous montrent qu’il n’est pas obligatoire de s’y plier.

Premier argument : Les hadith ont été écrits des décennies après la mort du Prophète. L’Imam Ahmed Ibn Hanbal en a recensé plus d’un million, mais n’en a retenu que vingt quatre mille, jugeant les autres apocryphes. Boukhari et Mouslim25, s’appuyant sur une méthodologie supposée rigoureuse, n’ont gardé que quelques milliers des trois cent mille hadith examinés. Cette méthodologie non fondée sur l’analyse du contenu est une approche subjective qui évalue l’éthique du rapporteur du commentaire et vérifie la chaîne de transmission, «Sânad».

Sans entrer dans la polémique sur la valeur de cette procédure d’identification, nous constatons qu’elle a néanmoins permis d’écarter plusieurs centaines de milliers de hadith, ce qui est énorme. Cela prouve qu’il y a eu volonté de corrompre les hadith et c’est ce point qui nous intéresse. En outre, si nous considérons que par rapport aux méthodes scientifiques modernes cette approche est fragile, nous pouvons facilement imaginer le nombre gigantesque d’infiltrations de hadith apocryphes, car quelle que soit la rigueur de cette démarche, étant d’élaboration humaine, elle reste sujette à l’erreur. Qui plus est, elle ne repose sur aucun critère scientifique, puisque pour cela il aurait fallu, en respectant le même protocole, que tout autre traditionniste26

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25 Grands Imams traditionnistes.26 Dépositaire des connaissances transmises par la tradition orale.

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obtienne les mêmes résultats, or une «technique» subjective ne peut être reproductible et cela fragilise, pour employer un euphémisme, cette approche d’authentification. D’ailleurs les traditionnistes que nous avons cités n’ont pas recensé le même nombre de hadith et n’ont pas gardé les mêmes hadith, ce qui jette un premier trouble sur la force tant défendue de cette approche.Les tenants de cette méthodologie se targuent de son infaillibilité et revendiquent sa scientificité, il est logique dans ce cas de leur appliquer le principe de réfutabilité27 qui considère que la moindre faille ou erreur dans un système de raisonnement remet en cause l’édifice de tout ce raisonnement, ce qui est le propre de la science, autrement ce serait une croyance par autorité.

De plus, chaque époque produit sa propre culture qui structure notre pensée et déforme notre vision du monde, ainsi, même concernant les supposés hadith véridiques, un décalage se crée à cause de la distance conceptuelle et contextuelle. Nos constructions et nos représentations mentales sont nécessairement altérées par les milieux qu’elles traversent et qui les transforment. Ce qui fait qu’un même hadith ne reflète pas la même conception entre hier et aujourd’hui. En outre, à moins de chercher à nous duper nous mêmes, l’intelligence veut que pour des intérêts d’état ou des intérêts opportunistes, des ajouts ou des modifications aient été effectués à certains moments de l’histoire des califats.

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27 Pour ce principe, chaque affirmation scientifique peut à tout moment être soumise au test de la vérification expérimentale, susceptible de la remettre en question, ce qui distingue les sciences expérimentales réfutables et les savoirs irréfutables.

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Second argumentLa principale critique que les musulmans font des

juifs et des chrétiens concerne l’authenticité de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ils leur reprochent l’altération de la parole de Dieu, vu que les saints livres n’ont pas été consignés lors de leur révélation. Seulement, il est aisé de constater une terrible contradiction. En effet, si l’on considère que les hadith sont, sans restriction aucune, véridiques malgré le décalage du à leur recensement, ayant été écrits longtemps après la mort du Prophète Mohammad, il faut admettre par comparaison que la Bible dans ce cas est pour les mêmes raisons authentique. Autrement la même règle produirait une vérité selon les circonstances et les convenances, ce qui est le propre de tout système inique et arbitraire.

Troisième argument

Nous avons vu précédemment que Dieu dans son infinie sagesse a abrogé certains versets coraniques afin de nous montrer la souplesse et l’adaptabilité du culte, devançant ainsi les crispations de certains esprits étroits. Pourquoi dans ces conditions, si on accorde un bénéfice de vérité aux hadith, s’interdire le droit de leur appliquer la même condition que pour le Coran ?Pourquoi ne pas choisir des hadith qui s’adapteraient de manière circonstancielle aux besoins du moment et récuser les autres ? Il ne faut pas que les musulmans dépendent des hadith, au contraire, ce sont les hadith qui doivent être au service des musulmans. Ils sont là pour éclairer et non pour contrôler et dominer.

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Quatrième argument

Comment se fait-il que l’on se fonde sur les hadith pour gérer notre quotidien alors que le Coran, parole du Tout Puissant, est par définition complet et se suffit à lui même ? La parole divine n’a nul besoin d’adjuvants et les docteurs de la loi, par leur référence constante aux hadith, circonscrivent et limitent sa portée. De ce fait chercher à lui ajouter les hadith revient à douter de sa complétude.Certes, les hadith étaient nécessaires au début de l’émergence de la pensée musulmane, mais plus pour éclairer et rendre intelligible la compréhension de l’Islam que pour les imposer comme une sorte de Coran «bis». Car si la parole du Prophète est aussi importante que la parole de Dieu, cela conduira à un hénothéisme28, ce qui est contraire à l’Islam. Oser remettre parfois en cause les propos du Prophète revient à accepter son imperfectibilité et donc son statut d’homme et reconnaître que seul Dieu est parfait.Comme nous le rappellent les propos de Abou Bakr 29 à la mort du Prophète :

«Ceux qui croient au culte de Muhammad doivent savoir qu’il est mortel et ceux qui croient en Dieu savent qu’Il est Eternel».

Ces quatre arguments, si l’on admet leur validité, ébranlent la mainmise des Oulémas qui s’appuient principalement sur les hadith et comme la loi islamique «sharii’a» élaborée à partir du Coran s’appuie surtout sur

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28 Hénothéisme (du grec «hen»= «un», par opposition à «monos» = «un seul»). Divers Dieu mais un seul dominant.29 Compagnon et beau-père du Prophète. Il fut le premier calife arabe.

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les hadith, donc la tradition, c’est tout l’édifice qu’il faudra sans tabous revoir. Ce que souligne l’écrivain Abdullahi An-Na’im30 disciple de Mahmoud Mohamed Taha et adversaire du fondamentalisme :

«Tant que la base de la Loi islamique moderne n’abandonne pas les textes du Coran et du Hadith, on ne peut éviter les violations graves pour les grands critères des droits universels de l’Homme. Le respect de la charii’a ne peut permettre l’abolition de l’esclavage ou l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes… l’Islam de Médine a joué son rôle historique. Il ne peut être une référence juridique et socio-politique pour notre époque. C’est l’Islam universel, celui de La Mecque, marqué par la tolérance et loin de l’état d’exception, vécu par les Musulmans à Médine, qui traverse le temps comme modèle de tolérance, de fraternité et de liberté de croyance».

Nous pouvons pousser le raisonnement à l’extrême, Dieu nous exhorte à croire en lui et en lui seul. L’athéisme et le polythéisme étant les seuls crimes irrévocablement impardonnables.

Sourate 4, verset 48 :«Dieu ne pardonne point qu’on lui associe d’autres divinités. Hormis cela, Il pardonne à qui Il veut. Celui qui donne des associés à Dieu commet un horrible forfait»

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30 Vers l’évolution de la Charii’a islamique, Le Caire, Sina, 1994, (en arabe), P.226.

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Arrêtons nous un instant. Durant des millénaires les cultures ont admis, voire encouragé, l’esclavage mais de nos jours cette notion est presque partout condamnable, même si des îlots d’asservissement subsistent par endroits dans les actes et dans les esprits31. Le temps n’est-il pas venu d’établir une relation entre Dieu et l’homme fondée non sur la soumission et l’assujettissement mais plutôt sur un contrat spirituel. Certes, nous sommes ses créatures, mais devons-nous pour autant n’être que soumis ! Il est vrai que nous sommes faibles et imparfaits et les commandements divins dans leur sagesse sont là pour nous guider, mais ne pouvons-nous pas les adapter aux besoins de nos époques ! Même si les choix que nous faisons sont des erreurs, ce seront nos erreurs et nous devons les vivre pour inventer et réinventer par nous-mêmes des manières d’agir et de penser afin de grandir et d’être seuls face à nos responsabilités d’hommes. Ainsi, toute restriction, toute interdiction non adaptée à notre époque doit être revue et modifiée. Les musulmans doivent faire leur Vatican II ; étant entendu que nous parlons de la gestion de la cité et non du fondement du dogme. La pensée religieuse musulmane, tel un phœnix, devrait être détruite pour mieux renaître en instaurant un système qui préserverait le dogme: un Dieu unique et une conduite éthique, mais en admettant avant tout que nous vivions la religion sans dépendre d’un clergé, qui de toute façon n’est investi d’aucun sacerdoce particulier. D’autant plus que rien ne nous interdit d’imaginer que la pensée divine s’adresse à tout ce qui existe à travers l’univers et que certains esprits, par leur méditation à des degrés divers, ont pu saisir cette pensée. Si nous acceptons ce postulat, deux remarques s’imposent :

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31 Le nazisme, l’apartheid, aujourd’hui l’intégrisme musulman etc.

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- La première est de dire que Dieu ne choisit pas un être plutôt qu’un autre, c’est l’homme qui par un effort spirituel «capte» la pensée divine, une pensée omniprésente, diffusée à travers l’univers que certains par leur sensibilité arrivent parfois à percevoir. Cette idée est importante car elle signifie que quiconque, homme ou femme sur cette planète ou au fin fond de la plus lointaine galaxie, s’il ouvre son cœur, son âme et son esprit à Dieu, peut recevoir Sa pensée. Dieu ne fait pas de discrimination entre les hommes, pas plus qu’Il ne fait de discrimination entre les peuples, Il ne choisit pas les uns au détriment des autres. Dès lors nous pouvons dire qu’il n’existe pas d’homme élu, pas plus qu’il n’existe de peuple élu, car nous sommes tous des Prophètes en puissance.

- La seconde remarque concerne la perception de la pensée divine. Cette pensée, puisqu’elle concerne toutes formes d’intelligences à travers l’univers, est par définition non verbale. Toute intelligence qui s’ouvre à elle la reçoit mais de manière voilée, car étant complexe pour un esprit humain quel que soit son potentiel elle ne peut être facilement appréhendée. Nous ne saisissons qu’une infime portion de la pensée divine et le peu que nous en percevons est transformé par les langues à cause des limites de l’expression verbale et surtout par le contexte socio-historique. Cela revient à dire que lorsqu’un Prophète recevait le message divin, ce message était tamisé par le système explicatif et interprétatif propre à son époque. Toutes ces limites altéraient le message divin.

Chaque avancée culturelle, rupture épistémologique, développement scientifique, ouvrent de nouveaux horizons de compréhension qui amplifient notre intelligence et nous permettent, de civilisation en civilisation, de mieux

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décrypter la pensée divine. De ce fait, l’investissement dans l’intelligence nous permet de mieux nous approcher de Dieu. C’est en interprétant et en réinterprétant continuellement notre vision du monde que nous pourrons pressentir la pensée divine. Figer un dogme nous interdit à jamais la perception du divin.

Dans ces conditions, le combat aujourd’hui est de libérer la religion de ses entraves et d’oser proposer un regard neuf sur le culte musulman. Cela exige la séparation du politique et du religieux, le respect des libertés de conscience, d’expression et d’opinion, le respect de la diversité des convictions et l’égalité entre tous les humains. Cela au nom de la tolérance que le Coran appuie avec vigueur. De plus, il n’est pas nécessaire de tout réinventer. En visitant l’histoire de la civilisation musulmane nous trouvons les mu’tazila qui dès le VIIIème siècle ont forgé une doctrine influencée par la pensée grecque et qui laissa une large place à la raison et à la rationalité. Les premiers mu’tazilites étaient pétris de connaissances humaines et philosophiques. Ils sont les fondateurs du “kalâm32”. Pour eux, lorsque le Coran n’est pas clair, c’est la raison qui permet de trouver la juste interprétation. Elle est plus efficace que la tradition car Dieu est accessible par la raison. Ils se sentaient donc assez libres vis-à-vis du texte coranique ou de la Sunna, ne se privant pas de justifier leurs positions en s’appuyant sur les nombreuses contradictions entre les textes.

Si, cette école de pensée avait pu progresser, elle

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32 Selon Henri Corbin, le Kalâm est une scolastique de l’Islam qui se caractérise comme une dialectique rationnelle pure opérant sur les concepts théologiques.

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aurait probablement favorisé l’émergence de la raison et de la tolérance, avec toutes les conséquences positives que cela aurait entraîné. Mais là aussi, comme pour l’imprimerie, les contrôleurs de la pensée leur ont barré la route. Ils ont combattu33 les mu’tazilites qui ouvraient un espace de réflexion dangereux à leurs yeux, contribuant encore une fois à la décadence du monde arabo-musulman. A notre avis, cette école de pensée doit ressusciter afin d’occuper le terrain laissé libre aux intégristes.

Ce dur labeur doit revenir à la société civile, manifestation de l’intelligence sociale, puisque chacun de nous est porte-parole de Dieu, prêtre en puissance et qu’aucun d’entre nous n’en a un privilège particulier.

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33 Notamment par le théologien Al-Ash’arî et ses adeptes.

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«Lorsqu’un seul homme rêve ce n’est qu’un rêve. Mais si beaucoup d’hommes rêvent ensemble, c’est le début d’une réalité».

Friedrich Hundertwasser

DEUXIEME PARTIE_______________

CONSTRUIRE LE FUTUR

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TRANSMODERNITE

Le monde arabe oscille inconfortablement entre le Moyen-Age et le XXIe siècle, un temps indécis en raison du dogmatisme et du despotisme. Les Arabes se doivent d’aborder, de comprendre et de résoudre les problèmes de leur temps. C’est une nécessité, celle de la renaissance.Nous venons de mettre en lumière le décalage entre l’essence du dogme qui responsabilise l’homme et lui laisse son libre arbitre et les interdits érigés en système. Aujourd’hui, le monde pose aux Arabes de terribles défis. Parviendront-ils à les surmonter ? Imaginons un instant qu’il ne soit pas encore trop tard, ils auront besoin d’une transformation radicale dans leur façon de se penser

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eux-mêmes, leur environnement, leur société et leur futur. Changer les politiques et les techniques sans changer de mode de pensée ne produira que des remèdes placebo sans réelle efficacité. Cette situation a rendu le monde arabe économiquement, scientifiquement, culturellement, tributaire de l’Occident. Il est entendu qu’il ne suffit pas d’importer de la technologie conçue ailleurs, ni d’assouplir les rouages de l’administration. Il faudrait surtout et d’abord repenser la culture, définir les cadres de sa pensée. Que veulent devenir les Arabes ? Comment veulent-ils vivre ? Quel avenir veulent-ils préparer ?

Pour l’homo-islamicus la crise traversée est due aux influences extérieures. Les maîtres à penser musulmans veulent se fermer à toute pénétration étrangère et retourner aux traditions. Ils préconisent de les effacer en redonnant une virginité à la culture afin de la retrouver là où les Arabes l’ont perdue il y a quelques siècles au temps de leur splendeur si galvaudée. Leur désir consiste à rejeter la modernité. Ils proposent d’opposer à la modernité occidentale une «modernité islamique» fondée sur le retour aux sources. Leur argumentation repose sur un raisonnement qui ignore les fluctuations de l’évolution. Dans leurs prêches, ils nous expliquent que le monde arabo-musulman est sous-développé parce qu’il s’est détourné de ses valeurs essentielles et qu’un retour aux traditions serait la réponse à tous les maux. Vouloir à nouveau imposer par la force et la violence ce retour vers le passé se traduira inévitablement par un drame qui sonnera le glas de la culture musulmane.

Partout dans le monde musulman ils s’organisent afin de s’accaparer le pouvoir avec le même leitmotiv : construire le futur avec le passé, ce qui revient à faire de l’avenir un futur antérieur. Partout dans le monde ils se

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préparent à détruire l’Occident. Leur rejet de l’Occident s’explique par la défaillance de leur projet. Comment convaincre les musulmans de revenir aux traditions si l’Occident les attire par ses réussites ? Ne pouvant lui opposer un modèle qui l’égale ou le dépasse, ils cherchent à le détruire afin de briser ce miroir, élément de comparaison pour la population musulmane. En réalité nos barbus34 refusent ces influences venues de l’extérieur qui reflètent la faiblesse de leur contribution. En interdisant de penser autrement, ils interdisent la pensée tout court.

Dans leur logique, ils sont en totale opposition avec la modernité perçue comme allogène du fait qu’elle affranchit l’homme et certains «moins barbus» dans les pays arabes flirtent avec leurs idées afin de se démarquer de l’Occident en confondant la modernité avec l’occidentalisation. Si la modernité dans son acception classique est un état d’esprit fondé sur la notion de liberté, condition fondamentale pour toute évolution et sur la rationalité sur laquelle reposent le savoir, l’intelligence et la créativité, l’occidentalisation revient à importer des technologies et à plaquer des modèles d’organisations sans tenir compte des pensées essentielles qui les sous-tendent.

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34 En somme, les islamistes sont pour la culture arabe ce que les fascistes ont été pour l’Europe. Il est nécessaire de s’inspirer des leçons de l’histoire pour éviter de vivre la barbarie que le monde a subie durant la première moitié du vingtième siècle. Mais peut être faudrait-il 50 ans d’un système théocratique pour purger la culture arabe de ses démons. Ce faisant, ce cauchemar politique conduirait directement les pays arabes vers l’âge de pierre et ils deviendraient immanquablement des cartes postales animées pour touristes.

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a) ModernitéNul ne le conteste, le Siècle des Lumières a été un

point de bifurcation décisif dans l’évolution de l’homme. Ce saut qualitatif l’a fait grandir. Les idées de liberté, d’égalité, la séparation entre la gestion de la cité et les croyances religieuses, ont ouvert l’espace du possible. Cependant, les turbulences dues à la foudroyante révolution technologique et à une globalisation déstabilisante brouillent les perspectives d’avenir. De plus en plus s’amoncellent les signes d’un monde dépourvu de sens et de repères. En outre l’Occident, à vouloir incarner un modèle élitiste qui refuse d’insérer ses avancées dans une continuité propre à la pensée humaine et en prétendant à une supériorité qui cherche à uniformiser les cultures, a précipité le monde dans le désenchantement. Ces temps d’incertitude ont annoncé l’avènement d’une postmodernité.

b) Postmodernité

Les postmodernes considèrent que le progressisme35 et l’optimisme humaniste ont failli puisque l’humanité ne maîtrise pas mieux son devenir que par le passé. Ils récusent l’ethnocentrisme occidental et remettent en cause la puissance de la raison et de la vérité scientifique. Dans leurs argumentations, les réalités sont plurielles et les vérités multiples, ce qui les conduit en introduisant un relativisme culturel à refuser les comparaisons entre les cultures et à minorer l’objectivité scientifique qui devient

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35 Les admirables découvertes scientifiques et inventions techniques de notre époque n’ont pas aidé l’humanité à s’émanciper de la misère des despotismes et de l’ignorance.

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alors une croyance parmi tant d’autres. Ce relativisme nourrit l’anti-humanisme contemporain et annonce la fin des certitudes36. Si la thèse postmoderne montre les impasses et les limites de la modernité, elle n’est pas pour autant valide car elle crée une confusion qui conduit certains à faire l’éloge de la déraison et permet à d’autres de revivifier l’irrationnel. Ce n’est pas parce que la connaissance scientifique ne peut pas être totalement objective et certaine qu’elle est pour autant complètement relative37. De plus, elle ouvre une brèche dans laquelle s’engouffrent tous les dictateurs et les exploiteurs qui leur permet de revendiquer pour leurs exactions une spécificité culturelle. Cette dérive conduirait à accepter, au nom de la différence, des régimes talibans, nazis ou staliniens et à tolérer l’excision, l’infibulation, l’esclavage, que sais-je encore, parce que faisant partie des coutumes !. Le postmodernisme trouverait sa raison d’être dans un monde où la liberté ferait partie intégrante de toutes les cultures et le savoir serait suffisamment présent. Sur cette base, chaque culture produirait ses spécificités et aucune d’elles ne prétendrait à une prépondérance quelconque. Mais le monde est loin de ce scénario ; les trois-quarts de l’humanité vivent dans la misère et l’ignorance par manque de démocratie et surtout à cause d’un ultralibéralisme planétaire déchaîné. Dans ces conditions, ____________________

36 Pour Feyrabend, tous les savoirs et systèmes de pensées sont relatifs, ils ne font que mettre en forme et habiller des croyances. Seulement si «tout est relatif», l’expression «tout est relatif» serait elle-aussi relative et dans ce cas rien n’est relatif, d’où contradiction. A lui seul ce raisonnement logique met à mal l’approche postmoderne relativiste.37 Aucun des penseurs postmodernes ne prendraient un avion dont les paramètres auraient été déterminés à partir de théories Vaudous !.

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pour les pays sous-développés en général et le monde arabe en particulier, la thèse des postmodernes est dangereuse car au nom de la différence elle les laisse à la marge du monde ; or refuser la distinction entre les cultures ne signifie pas refuser les comparaisons entre elles. Reste à définir ces critères de comparaison. A nos yeux, ils sont de deux ordres : la différence en matière d’efficacité technologique et la place que réserve une culture à la liberté, à l’équité, à la raison et aujourd’hui à l’écologie.

c) Transmodernité

L’humanité se partage un même dénominateur commun, nous considérons que ces liens constituent des repères universels. Ainsi, afin de dépasser ce conflit entre une modernité confisquée par l’Occident et la postmodernité, nous proposons une nouvelle approche qui allie à la fois l’universalité et la complémentarité des différences. Nous considérons que la modernité traverse les cultures et qu’en cela elle est transculturelle, pour ne pas dire transmoderne. Elle naît du mélange, de la rencontre, de la confrontation des «in-formations» et des «out-formations» des input et des output et baigne dans une continuelle fluctuation entre frein et accélération, entre linéarité et bifurcation. En cela, elle est une émergence qui s’abreuve des cultures autant qu’elle les enrichit, elle prend le meilleur de chacune d’elles et transmet le flambeau aux autres. Elle n’appartient à aucune culture et à la fois elle les transcende toutes. En les transcendant elle universalise l’universalité. Depuis l’aube de l’humanité, les peuples ont produit des savoirs et des modes de pensée et d’époque en époque se les sont partagés. Puis à chaque moment de l’histoire la culture dominante a cherché à s’approprier la

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modernité. Aujourd’hui l’Occident prétend à l’universalité, hier c’était l’Andalousie.

La transmodernité est multidimensionnelle, elle fluctue et évolue avec les cultures. Selon cette conception, une culture s’enrichie horizontalement de la différence et de l’apport des cultures propres à son époque et se nourrit verticalement du passé, pas seulement le sien, mais de tout ce qui a constitué la richesse des civilisations disparues. Appliquée à la culture arabe, cette conception suppose une ouverture sur les cultures contemporaines et un accès vers tous les passés possibles, sans se limiter à la seule civilisation arabo-musulmane.

La transmodernité est un «substrat universel» dynamique qui de manière symbiotique se lie à la culture dominante. Que serait l’Occident aujourd’hui si sa pensée ne s’était pas nourrie des apports d’autres civilisations ? Cependant, la transmodernité ne garde que le permanent et se détache du circonstanciel. Lorsqu’elle «adopte » une culture, elle se conforme aux mœurs mais ne les intègre pas en tant que pensées fondamentales. Elle s’imprègne des circonstances et des contingences, mais n’intègre que les invariants et les universaux. Les diverses civilisations qu’elle a traversées disposaient chacune de coutumes et de traditions intrinsèques. Ces traditions étaient une syntaxe par rapport à une sémantique que la transmodernité gère en fonction de contingences. Elle ne les garde que le temps de la civilisation. C’est ce qui distingue le permanent du contingent, autrement dit, la pensée universelle de la pensée circonstancielle. Une tradition est par essence propre à une culture et, puisqu’elle dépend des conditions socio-historiques qui l’ont produite, elle est au vu de l’histoire humaine circonstancielle. Par contre, les universaux

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traversent le temps et les cultures. En effet, un cercle est un cercle quelle que soit la civilisation, la science est universelle et avec elle la raison. Il n’y a pas de modernité alternative comme il n’y a pas de sciences alternatives. En sciences les différentes théories interprétatives s’expriment à l’intérieur d’un même référentiel, fruit de la pensée discursive.

Les choses se compliquent cependant lorsqu’il faut intégrer dans la transmodernité des catégories de la pensée qui relèvent de l’art, de la philosophie ou de la métaphysique. Nous considérons que cette dernière n’intègre pas la transmodernité, parce qu’elle relève de la foi et par conséquent elle est étrangère à la raison. La transmodernité est une production humaine et que l’on soit d’accord ou non, pour les religieux la religion est d’ordre divin. Donc, il ne peut y avoir une modernité islamique comme il ne peut y avoir de modernité non fondée sur la raison.

En ce qui concerne l’art et l’esthétique, ils relèvent selon nous du relativisme culturel, donc de nos jugements de valeurs et seule une dictature est assez arrogante pour imposer ses critères sur la beauté et la laideur.Là où la science vise une connaissance objective universelle, l’art cherche par le jeu des formes : couleurs, sons et mots, à toucher par de multiples facettes d’interprétation la subjectivité. L’art s’adresse à l’être dans sa dimension individuelle et non dans sa dimension globale et collective. Il vise l’homme et non l’humanité et cherche plus à toucher son affect que sa raison. Toutefois, la frontière qui sépare l’art de l’universel est mince ; que dire des Sept Merveilles du Monde, de Mozart de Bach de Chopin et autres compositeurs de génie, que dire parmi d’autres exemples des Mille et une Nuits et de Genji-monogatari, sinon que certains chefs-d’œuvre arrivent à traverser les

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époques et les cultures et que d’autres, parfois de qualité égale voire supérieure, restent confinés dans une sphère culturelle restreinte par des contraintes de langue, d’ouverture intellectuelle, de grille d’analyse et surtout d’opportunité historique. Comment apprécier toute la puissance poétique d’un Hölderlin ou d’un Moutanabi38 sans un dénominateur commun, sorte de passerelle culturelle ? Sur quel critère évaluer une œuvre africaine dite primitive(sic) et une œuvre New-Yorkaise d’égale qualité sinon moindre, lorsque l’une est disqualifiée par l’histoire39 et que l’autre bénéficie de l’ère Mac World !. L’art est la plus noble des activités humaines puisqu’il transcende nos limites et nos besoins. Il cherche à exprimer l’ineffable et à atteindre l’infini, il parle à l’âme et ne veut la toucher qu’en la respectant, en lui accordant le droit de s’émouvoir selon ses propres principes et affinités. Indirectement par sa grandeur, l’art s’abreuve des différences culturelles et nous laisse libres d’adhérer à ses productions. En cela, il est l’expression première de la liberté, car sans elle point de créativité. Quant à la troisième catégorie, elle est la plus complexe puisqu’elle concerne la philosophie. Il n’est pas question pour nous de définir cette discipline, nous retenons simplement que l’essence de la réflexion philosophique repose sur le logos qui appréhende le monde en utilisant le langage au service de la raison. La philosophie ne

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38 Célèbre poète arabe du XIe siècle qui eut la prétention entre autres de faire meilleure œuvre littéraire que le Coran lui-même. A ceux qui lui déniaient la capacité d’y parvenir, il répondait : «Apprenez mes poèmes et psalmodiez-les dans les mosquées pendant quatre siècles ensuite, vous me direz le résultat ».39 Sauf lorsque certains spéculateurs les introduisent sur le marché de l’art.

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peut être universelle, elle est le lieu de la réflexion par excellence et ne peut qu’être plurielle. Cependant son champ concerne l’homme et l’homme se mondialise et avec lui ses problèmes. Au fil de la pensée philosophique, deux principaux thèmes se sont universalisés : le concept de liberté et la mise en avant de la raison. En effet la liberté tout au long de l’aventure humaine a montré que son action a favorisé l’épanouissement et le progrès, elle représente l’âme de toutes organisations. L’histoire nous prouve que toute coercition et toute centralisation de décisions nuisent au développement40. Dans tout système un jeu s’établit entre le permis et l’interdit. Plus les contraintes sont importantes, plus les possibilités d’action diminuent. A l’inverse, plus la créativité est en effervescence, plus l’intelligence s’exprime. La liberté de ce fait s’universalise et rejoint la transmodernité. La raison, elle, depuis le Siècle des Lumières a rejoint la modernité, elle constitue ce qui distingue l’homme de l’animal et l’homme du divin. L’homme a besoin de l’intelligence pour résoudre ses problèmes, Dieu n’a nul problème et n’a donc en rien recours à l’intelligence. Ainsi, ce qui fait de nous des êtres distincts du divin et du règne animal, à quelques degrés près, est notre capacité de raisonner. Nous sommes ce que nous pensons sans être loin s’en faut des êtres entièrement rationnels. Cela dit, notre position est la pire des situations, nous ne sommes pas divins pour saisir le monde et nous ne sommes plus des animaux pour nous épargner les questions existentielles. Notre angoisse face à l’inconnu et au néant nous conduit à la recherche d’un ordre supérieur, autrement la vie n’a

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40 Nous avons déjà montré que les sociétés fermées étaient vouées à l’atrophie.

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plus aucun sens puisqu’au bout il y a la mort. Notre raisonnement vacille à la frontière du connu au delà duquel les paradoxes obscurcissent notre entendement. Les cadres de pensées classiques révèlent leurs limites lorsqu’ils sont confrontés aux ruptures scientifiques qu’a connues le XXe

siècle. Ils mettent à mal le rationalisme souvent mécaniste, réductionniste et voué à la linéarité.

Cependant les limites du rationalisme, si elles obligent à son dépassement41, ne doivent en aucun cas être confondues avec l’anti-rationalisme, brèche ouverte à toutes les fausses croyances. Le rationalisme, sous-ensemble de la pensée humaine, doit intégrer la théorie de la complexité et rejoindre la pensée fractale. Les limites de notre pensée nous montrent que notre raison se noie dans la raison, mais sans elle nous sommes perdus et à moins de devenir un automate ou un termite, notre devenir dépend quoi qu’il advienne de notre entendement. La rationalité est notre seul recours malgré ses faiblesses. On peut comprendre dès lors ceux qui se cachent derrière la spiritualité et la pensée magique. Ils se sentent réconfortés face au vide sidéral que représente leur angoisse métaphysique, cependant cette attitude les infantilise et ne leur permet pas de saisir pour autant l’ineffable. Alors ils construisent un monde carré, bicolore, sans ambiguïté qu’ils peuvent interpréter et appréhender aisément, c’est si rassurant. Seulement voilà, pour rendre l’humanité adulte, il faut couper le cordon ombilical. L’humanité doit d’abord croire en elle avant de chercher à croire en autre chose.

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41 La logique floue introduite par Lotfi Zadeh, éminent chercheur américain d’origine iranienne et musulmane, a permis le dépassement de la logique classique (binaire). Entre le vrai et le faux, il y a une gestion de l’imprécis et de l’incertain.

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En effet, l’homme ne peut exister que s’il croit en ses semblables, contrairement à l’homo-islamicus qui par son arrogance se prend pour un surhomme infaillible et parfait, condamnant et refusant toute fragilité et tout égarement. L’homme «normal » quant à lui se sait fragile et a besoin de ses semblables. Il se fie, lorsque la connaissance domine l’ignorance, au seul instrument qu’il possède ; sa raison. Elle constitue une torche face à l’inconnu qui l’entoure et éclaire ce qu’elle peut. Elle ne peut saisir le tout, mais le peu qu’elle peut saisir est préférable au rien que la pensée irrationnelle et la rigidité islamique imposent.

Comme on peut le constater, la transmodernité s’appuie sur deux invariants fondamentaux :

- La liberté avec dans son sillage les droits de l’homme, la démocratie, la tolérance et le respect des différences.

- La raison qui induit l’esprit critique et qui combat l’irrationnel et les «vérités» fondées sur le principe d’autorité.

De nos jours, face au déséquilibre de l’environnement qui menace la terre, peu à peu l’embryon d’un nouvel invariant prend forme ; celui de la pensée écologique. Une pensée que l’Occident redécouvre alors qu’elle constitue l’âme de plusieurs cultures : africaine, asiatique et indo-américaine. Tout près, un second invariant émerge tout aussi fondamental, il s’agit de l’éthique scientifique ; Toutes les manipulations génétiques, nucléaires, toutes les virtualités et les ubiquités dues à la révolution informatique obligent à un droit de regard sur le développement effréné de la science.

De plus les nouvelles technologies de l’information

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donnent progressivement naissance à un cyber-monde qui crée de nouveaux groupes culturels éclatés géographiquement et constitués grâce à l’ubiquité qu’offre l’informatique. Ces nouvelles organisations «tribales» sont les prémices d’un monde en voie d’émergence, dépassant les ethnies et les frontières. Le nouveau lien ne sera plus social mais cyber-tribal, il s’appuiera plus sur les intérêts partagés d’un groupe éclaté se situant à travers la planète et se retrouvant dans la dimension cybernétique que sur l’appartenance à un groupe géographiquement uni. Cette révolution modifiera nos modes d’agir et d’être et nécessitera un dénominateur commun.

La transmodernité dans la définition proposée permettra une stabilité et un ordre dans le nouveau désordre organisateur. Toutefois ces préoccupations sont encore le propre du monde occidental. Elles sont trop éloignées d’un tiers-monde situé en partie dans le moyen-âge. Cette partie du monde est encore assujettie à l’Occident et sa modernisation est le seul fruit de l’importation. Elle doit pour son expansion acquérir le savoir et la science qui lui permettraient de s’affranchir. Parmi le monde sous-développé, les pays musulmans sont les moins bien lotis, car ils subissent le joug d’une religion mal digérée et d’un despotisme peu ou mal éclairé.

Si l’on admet le paradigme de la transmodernité, plus aucune société ne pourra se retrancher derrière ses spécificités culturelles ni s’appuyer par alibi sur les arguments post-modernes. Ainsi, pour se régénérer la culture arabe doit puiser dans le patrimoine universel en intégrant les invariants culturels sans se laisser tétaniser par les inquisiteurs «new-age» qui avachis dans l’archaïsme refusent toute interpénétration culturelle.

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Pour clore, nous dirons que la transmodernité est une matrice42 pour les cultures. Elle permet de penser l’universalité dans la diversité et la pluralité des logiques culturelles. L’erreur des postmodernes en considérant la relativité des cultures absolue et quasi-imperméable revenait à considérer la modernité comme le propre de l’Occident, ce qui a aboutit dans leur logique à nier l’existence de valeurs universelles. Or l’ancrage des invariants culturels s’effectue dans la pluralité. Les civilisations en produisant des cultures ont contribué peu ou prou à mettre l’homme au centre du monde.La transmodernité pense l’universalité dans la pluralité, elle s’instruit des civilisations qu’elle traverse, retient ce qui peut servir de dénominateur commun, le conjugue avec la pensée rationnelle, le tout dans un esprit de liberté et d’équité. Elle se détache du circonstanciel, cohabite avec le relatif et fait un avec l’universel. Elle est une dialectique entre la modernité vue par les Lumières et la post-modernité.

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42 Chaque culture est élaborée à partir d’une méta-culture. La transmodernité est dans cette optique une méta méta-culture.

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LABYRINTHE ET FIL D’ARIANE

Le monde arabe ne maîtrise plus intellectuellement son destin. Du coup il se sent assailli et menacé par les bouleversements technologiques et conceptuels qui traversent son présent et comme pour conjurer le sort il s’agrippe à des schémas éculés dont l’inefficacité est avérée par l’histoire.

Dans la quête pour redéfinir la culture arabe les islamistes proposent de reconstruire le passé et les modernistes d’investir dans le futur, mais les deux vivent une schizophrénie culturelle ; les premiers souffrent du complexe de Saladin, les seconds se trouvent face à une culture anémiée en totale désynchronisation et décalage avec les productions intellectuelles contemporaines. Tous les sauts qualitatifs intellectuels entrepris ces derniers

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siècles sont l’œuvre de l’Occident. Comment dans ces conditions préparer le futur sans s’interroger sur la situation du monde arabe par rapport à la science et la rationalité et aussi par rapport à la liberté ? Comment cette culture intègre t-elle dans ses modèles explicatifs et interprétatifs les découvertes scientifiques qui ont bouleversé le référentiel intellectuel occidental ? Pour s’ouvrir au monde elle doit faire siennes ces transformations radicales et ces ruptures conceptuelles, émanations de la pensée universelle, en acceptant une nécessaire interrogation. Quelle réponse la culture arabe fournit-elle en dehors d’un silence assourdissant ?

A n’en pas douter, les représentations culturelles d’une société, son système de croyances, ses idéaux philosophiques et religieux sont étroitement entrecroisés avec les données scientifiques du moment qui d’une certaine manière déterminent la vision du monde, bouleversent l’espace mental et altèrent les mécanismes de la pensée. Il est frappant de constater que la culture arabe en tant que système de pensée n’intègre pas dans son référentiel les avancées scientifiques, même parmi les plus élémentaires, au point que certaines autorités religieuses surtout wahhabites se fondant par paresse mentale on l’imagine, sur une mauvaise lecture puisqu’elles s’interdisent d’interpréter donc de comprendre le texte coranique, en sont encore aujourd’hui à prétendre que la terre est plate43. Alors qu’en

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43 Ces soi-disant autorités s’appuient sur les sourates suivantes : Sourate 13, verset 3 : «Et c’est Lui qui a étendu la terre et y a placé montagnes et fleuves…». Sourate 70, verset 19 : «Et c’est Allah qui vous a fait de la terre un tapis». Sourate 7 verset 30 : «Et quant à la terre, après cela, Il l’a étendue».

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Occident, à la suite de Schrödinger, on envisage les univers parallèles ! On constate ahuri la distance conceptuelle qui sépare les deux formes de perceptions intellectuelles. Pendant que l’une tourne le dos à la pensée et à la science, l’autre par défi pour elle comme pour le reste du monde s’ingénie à prospecter l’inconnu. Dès lors, il est inutile de se demander pourquoi dans l’espace culturel arabe il n’y a aucun prix Nobel de Physique, de Chimie ou de Médecine, aucun prix Fields de Mathématiques et pas même un seul grand maître du jeu d’échecs, alors que les Arabes en sont sinon les inventeurs du moins les révélateurs. Est-ce une régression génétique44 ou une asphyxie culturelle ? Il est entendu que la richesse de l’environnement culturel joue un rôle essentiel dans le développement des arts et des sciences. Preuve en est qu’à titre individuel des Arabes et des musulmans maîtrisent et contribuent aux avancées scientifiques, hélas le plus souvent lorsqu’ils s’expatrient. Mais, lorsque l’on constate que les universités arabes forment des docteurs par centaines de milliers dans des domaines traitant de la poésie antéislamique ou de la rhétorique, on comprend mieux le pourquoi de ce vide culturel presque sidéral. En effet, ce n’est pas parce que les pays arabes ne disposent pas de laboratoires scientifiques que leur production intellectuelle est quasi nulle, c’est plutôt une disposition d’esprit, une sorte de brainstorming social qui manquent. Si la pensée arabe est en jachère c’est parce que ses croyances sont pour elle des certitudes.

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Au passage une légère digression sous forme de petit clin d’œil ; si la terre était plate, ceux qui habiteraient en son centre se prendraient pour les maîtres du monde. Comme elle est ronde, chaque individu est central, donc unique, aucune discrimination, l’homme n’est plus soluble dans le groupe, ni lénifié par un dogme et se distingue par sa singularité.44 La génétique a démontré que la notion de race est un faux concept. L’humanité est une et sa diversité n’est que d’ordre culturel.

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Or paradoxalement pour créer il faut baigner dans une ambiance d’incertitude et d’imprécision. En effet pourquoi chercher à explorer et à défricher l’inconnu si tout est défini d’avance ? La culture arabe ne se pose plus de questions et se conforte de réponses pré-existantes. Tant qu’elle ne s’exorcisera pas de tout ce qui la paralyse, elle continuera à vivre dans un système fermé qui tourne sur lui-même. Une société qui refuse le changement se considère parfaite, s’enferme dans ses certitudes et se recroqueville sur elle même. A quoi sert la pensée discursive si par avance la pensée musulmane estime que ses croyances représentent la Vérité absolue. Refuser toute intrusion de la pensée occidentale revient à enfermer la culture arabe dans un passé à jamais révolu et à la condamner à se nourrir d’elle-même. Ce cannibalisme culturel est une forme d’autodestruction, un suicide de civilisation. D’ailleurs, au vu de ce qui précède, la civilisation arabe a commencé à s’effilocher lorsque ceux-là mêmes qui veulent aujourd’hui lui donner des leçons se sont accaparés de la pensée. Les barbus imposent une conception du monde fondée sur l’interdit et le repli dans laquelle il n’existe qu’une réalité, à savoir la leur, avec la conséquence que quiconque voit les choses différemment est un hérétique ou un mécréant. Ils ont fermé la culture arabe et l’ont écartée du monde en l’empêchant de participer à l’aventure qui consiste à défricher l’univers. De ce fait, les Arabes ne font plus partie des prospecteurs d’horizons et leur paysage culturel, parce qu’il n’est plus producteur de sens, s’atrophie. Regardons de plus près :

- Aucune véritable infrastructure pour concevoir la technologie de haut niveau, hormis les usines «clés en mains» souvent construites par des coopérants.

- Peu de centres de recherche sont dotés de moyens permettant aux chercheurs arabes de s’adonner à

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la recherche scientifique, ce qui les oblige pour la plupart à rejoindre des laboratoires occidentaux.

- Un environnement culturel fait d’interdits et de tabous empêchant l’éclosion de pensées divergentes.

- Des «prêt à penser» en guise de réflexion. La culture arabe de par sa croyance religieuse estime que sa compréhension du monde est connue et qu’elle n’a nul besoin d’investigation scientifique.

- Une misère pour les 3⁄4 de la population arabe, ce qui fait que «les gens de peu » restent empêtrés dans leurs soucis quotidiens loin des préoccupations culturelles, scientifiques ou même éthiques.

- Une ignorance qui telle une épidémie propage une (in)compréhension du monde fondée sur l’irrationnel et l’intolérance.

Le constat est sévère et cette déficience, comme nous l’avons vu, est la conséquence de la coercition, de la pauvreté et de l’ignorance. Pour soigner ce corps malade qu’est le monde arabe il est nécessaire de mettre en place une grammaire de l’action, bouée de sauvetage culturelle. L’éducation et la liberté sont les remèdes sur lesquels doit reposer cette greffe culturelle.Comment atteindre cet objectif sinon par la mobilisation de l’intelligence sociale ; c’est à la société civile et aux intellectuels arabes qu’incombe cette «mission impossible». Ainsi, pour constituer la matrice du prochain devenir, il faut arracher la démocratie et la laïcité à ceux qui entravent le monde arabe, étant entendu qu’il ne faut pas s’attendre à ce que les gouvernants habitués au pouvoir absolu l’affranchissent au détriment de leurs intérêts, ni surtout à ce que les religieux admettent, même argumentation à

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l’appui, la laïcité. N’oublions pas que le catholicisme45 s’est opposé avec ténacité à la séparation de l’Église et de l’État. La laïcité doit s’imposer sans aucune négociation. Elle doit avoir force de loi. De ce fait, pour l’application d’une grammaire de l’action, il faut agir simultanément sur deux leviers. D’abord en mettant en place des réformes essentielles aux changements46, principalement en mettant l’accent sur l’éducation. Ce qui nécessite une révolution dans les méthodes d’enseignement qui ne peut se faire que par l’investissement total de toute l’intelligence sociale dans l’éducation de nos descendants. Car notre futur se construit aujourd’hui et ce futur ce sont nos enfants, il faut tout miser sur leur éducation et leur formation, tout mettre en œuvre pour que les générations futures maîtrisent le savoir. Seule une éducation renouvelée dans son esprit, dans ses moyens, dans son contenu, favorisera une révolution de l’intelligence puisque désormais la principale ressource stratégique est la «matière grise». Ensuite, par le biais des médias, des écrits, que ce soit dans les programmes pédagogiques au niveau du système scolaire ou dans le monde des arts à travers des pièces de théâtres, des films, des sites Internet etc. il faut introduire le souffle de la liberté. Partout les idées coercitives doivent être combattues, partout les idées d’ouverture, de tolérance

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45 Un texte est demeuré célèbre à cet égard ; le Syllabus de 1864 par le Pape Pie IX condamnant les «erreurs» modernes : «… Il serait tout à fait erroné de penser que le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne». Rf, Jean-louis Schlegel, in Histoire des idées.46 Ce qui suppose que les mécanismes sociaux ne soient pas rouillés par des fonctionnaires qui fonctionnent, ni verrouillés par des dirigeants politiques qui, sans soucis électoraux et contrôle du peuple, exercent leur domination et surtout pas sous l’emprise de barbus qui cherchent à bloquer les consciences.

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et de liberté doivent être défendues et encouragées. Ces nouvelles formes de pensée agiront en tant qu’entités infra-culturelles et contribueront progressivement par une sorte de «mémétique» 47 à modifier la manière d’être et de penser, car si l’on change un tant soit peu l’état initial d’un système, la nouvelle évolution temporelle peut diverger rapidement ce qui favorisera l’émergence d’attracteurs sociaux – nouveaux mode de croyances – qui peu à peu modifieront tout le référentiel culturel arabe.

Ainsi, l’éducation et la liberté sont les conditions vitales pour que l’utopie d’un monde arabe revigoré devienne réalité. Les deux prochains chapitres leur seront successivement consacrés.

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47 La mémétique a l’ambition d’étudier les faits de civilisation, les systèmes et les représentations mentales qui les sous-tendent. Un mème est une bribe d’information. Il influence le comportement (pensée, parole, ou action) et se transmet d’une personne à une autre tel un virus mental.

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«Si tes projets portent à un an, plante du riz ; à vingt ans, plante un arbre ; à plus d’un siècle développe les hommes».

proverbe chinois«Plus grande est l’ignorance, plus grand est le

dogmatisme».William Osler

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CAPITAL HUMAIN ET CAPITAL SAVOIR.

a) Progrès social et évolution des techniques

Pour une région de la planète qui souffre du sous développement ne pas investir dans le savoir est un non sens. Le monde arabe ne peut se contenter d’être consommateur de savoirs et de technologies conçus ailleurs. La science ouvre notre champ de compréhension et la technique influe sur notre paysage mental. Si on se restreint à la seule technique, le fait d’en être consommateur et non concepteur et développeur conduit à une passivité mentale. L’élaboration d’artefacts oblige à une structuration

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rigoureuse des processus cognitifs. De ce fait, la construction mentale qui en découle investit progressivement l’univers culturel qui l’a vu naître et impose un mode de pensée adapté à un développement technologique qui contribue à une croissance économique et progressivement à une plus grande compréhension du monde.

La science et la technique amplifient le savoir et renforcent les pays qui investissent en elles. En effet depuis l’aube de l’humanité de nombreuses innovations techniques correspondant à des périodes de mutation importantes ont favorisé l’évolution de l’espèce humaine. La découverte du feu a probablement été l’événement qui révolutionna le plus la vie des hommes préhistoriques, puisqu’ils pouvaient se protéger plus efficacement contre les prédateurs, se chauffer, mieux se nourrir et s’éclairer la nuit. La crainte dans laquelle ils vivaient céda la place à un peu plus de sécurité et de confort, leur vie se structura autour du feu, qui devint le centre de la tribu et organisa le campement. Sans nul doute ces conditions sont les prémices de l’évolution de l’homme, de sa suprématie sur le règne animal et malheureusement de son désir d’emprise sur la nature.

Mille ans avant notre ère les Phéniciens ont inventé l’alphabet, un mode d’écriture plus simple que les idéogrammes permettant de consigner faits et connaissances et d’y accéder facilement. L’écriture constitua alors une mémoire commune à un grand nombre qui pouvait communiquer désormais à distance et dans le temps. Cette invention s’est répandue au cours des âges et a favorisé l’épanouissement des cultures. Plus près de nous la révolution industrielle commencée au milieu du XVIIIe siècle en Angleterre s’est caractérisée par la mécanisation

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de l’industrie grâce à l’invention de la machine à vapeur qui a remplacé le travail manuel. Les machines actionnées par la vapeur ont accompli tant de tâches auparavant dévolues à l’homme en fabriquant vite et bien tout ce qui avait été jusqu’alors du ressort de l’artisanat. En un demi-siècle les modes de vie et les habitudes de travail ont été profondément transformés et d’énormes modifications de tous les aspects de la société humaine ont affecté à la fois, l’individu, son environnement, sa nourriture, ses loisirs, son éducation, son comportement social et même sa durée de vie. Cette révolution technique contribua largement au développement de l’Occident.

Ces sauts temporels à travers quelques inventions majeures sont là pour montrer d’une part l’interaction entre le milieu social et les innovations techniques et d’autre part les conditions d’émergence des découvertes. La technique modifie graduellement le comportement des individus et engendre une perception et une appropriation différentes de l’espace et du temps. Elle se déploie sous deux aspects: le progrès technique qui entraîne le changement social et la culture qui agit sur les contenus et les dispositifs techniques. En d’autres termes, entre l’être humain et la technique les liens sont consubstantiels. En créant des outils l’homme ouvre son horizon et développe son potentiel. Cela lui permet d’innover et d’imaginer de nouveaux procédés amplifiant à leur tour par cette dynamique ses possibilités. Ainsi grâce à ces artefacts, à ces prolongements de soi, du silex à l’ordinateur, en passant par le télescope ou le téléphone mobile, le rêve platonicien de sortir de la caverne et du mirage des ombres se réalise. Ce processus contribue à la mise en place des conditions nécessaires au développement de la science, à l’ouverture de l’esprit et dans une certaine mesure au progrès social. Certes, la

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technique48 ne se confond pas avec la science, mais elles maintiennent des relations logiques. La science a l’ambition de découvrir «l’ordre caché » de la nature alors que la technique est un savoir appliqué qui se met au service de nos besoins.

Le progrès technique observé depuis 150 ans est un moteur fondamental qui a permis un essor considérable du niveau de vie et a profondément bouleversé la vie en société. Cependant, comme nous l’avons vu, cette évidence est aujourd’hui discutée. Longtemps le progrès technique a raisonné en termes linéaires. Il devait entraîner automatiquement le progrès social, mais malgré les avancées extraordinaires accomplies par la science, le bien-être de nos sociétés n’a pas partout augmenté. Si le progrès technique a fait beaucoup pour améliorer la condition humaine, il n’est ni une fin en soi ni une finalité pour l’homme. Il est indéniablement nécessaire mais ne rend pas l’homme meilleur. La somme d’injustices, la misère et la famine dans le monde, les guerres, sont là pour l’attester.En effet, le progrès technique ne conduit pas vers plus d’éthique et n’empêche ni la barbarie ni l’exploitation humaine, sans parler évidemment des problèmes écologiques49 préoccupants que son utilisation engendre et des tentations de domination et d’hégémonie. L’hyper-puissance américaine en est l’exemple le plus frappant ;

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48 Le mot technique signifie les méthodes et les procédés d’un métier tandis que le terme technologie désigne l’étude de ces méthodes et de ces procédés. Lorsqu’on parle des technologies de l’information et de la communication «TIC», on effectue un glissement de sens métonymique.49 Nous savons que notre mode de civilisation menace d’épuiser les ressources de la Terre et de modifier ses équilibres. Mais si l’outil y contribue, il n’est néanmoins qu’un moyen, la responsabilité incombe aux choix des hommes généralement fondés sur le profit.

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par sa puissance technologique elle impose ses intérêts et sa culture au reste de la planète.

Pour autant, à moins de retourner à l’âge de pierre ou de remonter aux arbres, il n’y a pas d’alternative ; aucune civilisation ne peut prétendre se développer, s’épanouir, atteindre un haut degré de culture, d’art et de connaissances scientifiques et en même temps s’interdire des innovations, se fermer aux idées nouvelles et rejeter celles qui dérangent. Lorsqu’une civilisation en arrive à cette situation elle se ferme, s’atrophie et finit par disparaître. Cependant, l’ouverture au progrès technique ne doit pas se limiter à l’importation de la technologie et à l’imitation de certains comportements occidentaux. Ces derniers, même s’ils modifient peu à peu la culture arabe, l’anesthésient et la rendent mentalement passive, alors que la production de technologies induit de nouveaux moyens de représentation et favorise l’émergence de nouvelles intelligibilités élargissant la vision du monde. L’outil devient alors non seulement porteur et générateur de sens, mais aussi producteur de futurs possibles. Il amplifie le champ de compréhension et l’horizon culturel ne cesse de se modifier.

Rejeter les défis et les innovations technologiques ne peut aller sans danger pour l’avenir, car sans révision des mécanismes de raisonnements, sans implication dans la marche du monde, les Arabes resteront des consommateurs de technologies et de «sens ». Dès lors, nous pouvons aisément comprendre que s’ils restent fermés aux méandres de la pensée c’est parce qu’en grande partie ils sont simples interprètes et non acteurs de leur devenir.

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b) Capital savoir

Comme nous l’avons souligné, les civilisations naissent par le brassage de cultures différentes, ce qui se traduit par un processus d’accumulation du savoir, chaque culture bâtissant son œuvre sur des apports exogènes sans se limiter à son génie propre. C’est l’acquisition sélective de ces contributions qui favorise le progrès économique, social et culturel continu des peuples. Dans le contexte des économies nouvelles dominées par les avancées technologiques, l’éducation et la formation deviennent des facteurs fondamentaux de catalyse du changement, car le savoir est l’une des grandes richesses des nations et le principal levain du développement. L’investissement dans ce secteur aide à valoriser le capital humain et à forger une citoyenneté active. Non seulement l’éducation développe des aptitudes et des compétences pour la croissance économique et les réductions des inégalités, mais surtout elle développe des attitudes critiques et des capacités d’analyse et de discernement.

Nous vivons une ère nouvelle dans laquelle le véritable étalon n’est plus l’or mais désormais le «temps». Il est la seule donnée irréversible, puisque chaque seconde qui passe est définitivement révolue. Le temps est la véritable richesse, tout simplement parce que nous sommes mortels. Nous comprenons dès lors que ce n’est pas seulement l’argent qui motive les puissants, mais l’illusion de l’immortalité. En louant les forces du travail ils s’accaparent leur temps, car tout projet qui nécessite des centaines de personnes, s’il devait être réalisé par un seul individu, nécessiterait plusieurs vies. Ainsi une nouvelle conception de l’économie doit être élaborée à partir de

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«l’étalon temps». Disposer du temps, du sien ou de celui des autres, constitue la véritable puissance et richesse. Le savoir et la connaissance contribuent à la maîtrise du temps. Ils sont le moteur de notre devenir. Le monde passe de la révolution de l’industrie à celle de l’information. Quiconque la maîtrise contrôle le devenir de l’homme, donc son temps. Comme notre vie est un labyrinthe, disposer du savoir revient à disposer d’un fil d’Ariane qui nous montre le chemin parcouru et en cela nous enrichit d’expériences vécues. Le savoir devient alors le vecteur qui gère le temps, raccourcit l’espace et optimise les solutions. Dans ces conditions la connaissance assure la puissance et la suprématie de celui qui se donne les moyens de l’acquérir. Plus une culture s’accapare le savoir, plus elle se développe et devient dominante, distanciant les cultures avoisinantes. L’Occident par ses réussites technologiques et scientifiques surpasse le reste du monde. L’avènement de la culture de l’immatériel est en train d’entraîner une révolution analogue à celle qui a suivi l’invention de l’imprimerie ou de la machine à vapeur au XVIIIe siècle. Ce nouvel enjeu modifie les anciennes logiques d’organisation et nécessite des formes évolutives, des ajustements rapides loin des rigidités pyramidales de la centralisation des décisions et des modes de raisonnements linéaires. Plus nous sommes dans l’incertain, plus nous avons besoin d’informations et dans ce cas l’essentiel devient le capital savoir. Nulle réussite n’est désormais possible sans la mobilisation de toutes les ressources humaines et sans les infrastructures nécessaires à leur développement. Le changement n’est plus celui des choses mais de soi par rapport au savoir, car on ne peut affronter les réalités de demain avec les idées d’hier. Ceci induit une conséquence

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majeure: la réorientation des stratégies traditionnelles d’éducation : passer de l’assimilation boulimique des connaissances qui ne cessent de s’amplifier à l’acquisition des capacités à rechercher et à traiter avec pertinence l’information accessible.

Le monde arabo-musulman ne peut envisager sérieusement sortir de l’âge de pierre sans véritable révolution dans la formation des esprits. Il est face à une nouvelle bifurcation incommensurablement plus importante que les précédentes. Il a raté celle de l’imprimerie et il en paye encore aujourd’hui les conséquences. Il ne peut perdre la seconde. Pourtant tout laisse présager qu’il ne prend pas le bon chemin. Il est face non seulement aux nouvelles technologies de l’information mais plus important encore à la digitalisation de l’intelligence. Sans créer un véritable Golem, les pays développés s’attèlent à mettre en place des systèmes artificiels dotés de capacités de raisonnements50 pouvant résoudre des problèmes formalisés en un temps infinitésimal. Ces systèmes offrent rapidement et d’une manière synthétisée des solutions à des problèmes complexes voire insolubles à l’échelle humaine. Dans un monde mondialisé où la concurrence est terrible et les paramètres innombrables, donc incalculables, le seul jugement humain devient limité, insuffisant et nécessite le concours d’une cognition artificielle, seule à même de fournir une solution optimale à partir de simulations proposant de maximiser les gains et de minimiser les pertes. Les décideurs qui contrôlent ces outils cognitifs contrôlent la marche du monde.Notre ère par sa complexité est incertaine et imprécise.

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50 Le data warehouse, le data mining et le knowledge management en sont des exemples.

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Chercher à s’y adapter nécessite une capacité d’anticipation que seule l’analyse et la maîtrise de la connaissance peuvent produire et que seule la domestication de l’intelligence peut fournir en se dotant d’artefacts cognitifs qui amplifient nos capacités. La connaissance est puissance et les machines en amplifiant les connaissances amplifient les dimensions de cette puissance. Nous pouvons sans grande difficulté imaginer le rôle que jouent les nouvelles technologies avec la «maîtrise numérique de l’intelligence» dans la guerre économique mondiale que nous vivons.

Dans la perspective de préparer l’avenir nous devons impérativement agir à deux niveaux :

- En premier lieu, créer des pôles d’excellence qui favoriseraient la circulation de l’information scientifique et technique et renforceraient la collaboration entre les chercheurs arabes en leur offrant bien évidemment des conditions de recherches favorables, ce qui arrêterait la fuite des cerveaux et permettrait de participer aux progrès techniques dans le monde. Ils doivent avoir les moyens de concevoir, de constituer, d’organiser et de se partager le savoir.

Si le monde arabe ne veut plus rester assujetti à l’Occident, il doit non seulement investir dans la recherche fondamentale, mais surtout s’intéresser à la recherche appliquée qui est à même de transformer des découvertes en applications réelles, contribuant par là à la création d’entreprises donc à la création de richesses et d’emplois ; ce qui conduit à la bonne santé économique. Il n’est plus possible de continuer à compter essentiellement sur l’exploitation des ressources minières, souvent vendues sans leur transformation à des prix décidés ailleurs, ni sur le tourisme et l’agriculture. Surtout avec les barbus qui font fuir le touriste et le dérèglement du climat qui menace le pauvre fellah. Les

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pays arabes sont dans une logique économique dans laquelle ses principales ressources dépendent des aléas climatiques ou politiques ; un acte terroriste peut tuer une saison touristique, une sécheresse peut nuire à toute une récolte.

Ne pas investir dans la gestion de l’intelligence revient dans ces conditions à jouer à la roulette russe. Dans les années 50, les pays asiatiques, avec à leur tête le Japon, ont investi, maîtrisé puis dominé le monde de l’électronique avec tout le décollage économique qui s’en est suivi. Nous assistons aujourd’hui au balbutiement d’une nouvelle révolution technique dont l’impact sera bien plus grand que les NTIC ; il s’agit des nanosciences51.

Cette révolution engendrera des bouleversements énormes52. Les «dragons» de l’Asie ont sous-traité puis élaboré des «électro-produits». Peut-on imaginer que des pays arabes suivent leur exemple et investissent

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51 Les nanosciences engendrent la nanotechnologie qui consiste en la fabrication moléculaire ou plus simplement la construction des objets atome par atome. Un nanomètre est un milliardième de mètre et on peut placer environ 10 atomes dans un nanomètre. Il s’agit donc de manipuler les atomes individuellement et de les placer exactement où il faut pour produire la structure désirée. Cette capacité est pratiquement à notre portée.52 Le plus extraordinaire dans cette révolution est que les nanosciences transformeront les modes de productions. Créer un objet, un téléphone cellulaire par exemple, reviendra à disposer de son programme, c’est-à-dire de son organisation atomique, qu’une machine pilotée par un ordinateur «tricotera» Ce temps pas si lointain annoncera l’ère du clonage d’outils. Une question se pose, les nanotechnologies ouvriront-elles la boite de pandore ? (crise, explosion du chômage, famine etc.) ou alors offriront-elles les conditions d’une vie meilleure sans contrainte ? Puisque à travers l’Histoire nous sommes passés du travail gratuit et forcé (l’esclavage) au travail rémunéré, passerons-nous grâce à cette nouvelle technique au non-travail rémunéré ? Car, autrement, les nations imploseront. Seul le futur nous fournira la réponse.

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massivement en créant les conditions de recherches et de développement dans cette nouvelle discipline53 ; car rien n’empêche les Arabes de relever le défi sinon la bonne volonté ; les moyens financiers et le potentiel humain existent, mais à coup sûr ce rêve ne se réalisera pas, ou peut être dans un univers parallèle.

- Un autre point fondamental concerne la relation

avec les nouvelles technologies de l’information, non pas le téléphone mobile, la télévision numérique ou autres gadgets dont les Arabes sont férus et qui leur servent d’exutoires, mais plutôt celles qui allient accès et partage de connaissances dont Internet constitue le principal vecteur. Il est impératif de s’appuyer sur ce nouveau mode de communication afin de faciliter au plus grand nombre l’accès au savoir. Les pays arabes n’ayant ni la volonté ni les moyens de construire des bibliothèques dans les grandes villes et encore moins dans toutes les villes, empêchent leur jeunesse de s’instruire. Car il faut savoir que malgré le pétrole ces pays sont pauvres et incultes, leur PNB correspond à celui de l’Espagne et l’ensemble des livres vendus dans le monde arabe ne dépasse pas le nombre de livres vendus en Grèce54. Cela laisse sans voix ! À Paris comme dans le reste des villes occidentales, même sans le moindre centime n’importe qui peut accéder au savoir dans des bibliothèques disposant de centaines de milliers d’ouvrages et de revues, «Beaubourg» en est un bon exemple. Dans le monde arabe, hormis la

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53 En utilisant à leur avantage le «brain drain» : former des jeunes en Occident et s’assurer du transfert non seulement des technologies mais surtout des savoir-faire.54 Rapport publié en 2002 par le Programme des Nation-Unies pour le Développement, (PNUD).

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nouvelle bibliothèque d’Alexandrie en Égypte et quelques bibliothèques réservées aux chercheurs, rien de tout cela. Le lecteur arabe démuni se trouve malgré lui privé de connaissances hors de portée de sa bourse. Ce qui est le comble de l’absurde c’est que dans les librairies le coût des livres, surtout techniques, peut parfois avoisiner le tiers du Smig qui correspond dans le meilleur des cas à 150 Euros ! Certes, ces livres sont importés, ce qui justifie leur coût, mais cela démontre qu’aucune politique éducative et culturelle dans aucun des pays arabes n’a jamais été vraiment planifiée ni préparée, ou alors petitement. Sinon comment expliquer les 50% d’analphabètes. C’est à se demander à quoi servent nos dirigeants.

Le pire est que dans ce marasme certains prônent l’arabisation, position louable si ce n’est qu’elle nous ferme du reste du monde sans nous donner les moyens de nous l’approprier. Certains partis politiques - ils se reconnaîtront - font de l’arabisation leur cheval de bataille mais à notre sens cette position idéologique nullement pragmatique est une chimère. Si le monde arabe ne se donne pas les moyens financiers de traduire tous les livres, toutes les revues scientifiques ou littéraires, religieuses ou païennes apparaissant dans le monde et de les proposer à un prix avoisinant les livres de propagande wahhabite et cela, bien entendu sans censure aucune (sic), ces partis ne pourront revendiquer l’arabisation. À moins que leur objectif caché ne soit de chercher à utiliser l’arabisation pour contrôler l’esprit de ceux qui ont échappé à l’analphabétisme et qui risquent de s’ouvrir à la culture planétaire. Le monde arabe est inculte et ceux qui dans ce monde aspirent à la connaissance, s’ils ne sont pas bien nés, ne peuvent rien espérer sinon un savoir bradé et biaisé, d’autant plus que les dirigeants des partis politiques qui revendiquent l’arabisation sont les

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premiers à offrir à leurs enfants des études aux USA, sinon dans les meilleures universités européennes. Ils confinent les uns dans une monoculture et proposent aux leurs les moyens de domination.

Afin d’éviter de devenir les Cro-Magnon du futur, nous devons profiter de la nouvelle bifurcation qui nous offre une chance de contourner les étapes que l’Occident a franchies. Comme il est absurde d’investir des milliards dans le réseau téléphonique fixe si le mobile55 peut offrir les mêmes avantages à moindre coût, il est encore plus absurde de tout investir dans l’enseignement classique, véritable gouffre financier pour une région du monde anémiée et cela sans grand résultats, si le cybermonde peut contribuer à l’élargissement des connaissances.

Par un courage sans pareil nos dirigeants mériteront leurs salaires et leurs prérogatives s’ils se décident à conquérir ce monde cybernétique, réelle citadelle de la techno-culture, en offrant des conditions permettant de proposer un savoir numérisé à la portée de tout un chacun. Ils doivent en cela permettre un accès illimité à tous les Arabes qui désirent s’abonner à Internet pour un coût symbolique. Ce moyen de communication doit être, si nécessaire, subventionné. Cela peut paraître utopique surtout pour une région du monde où les pesanteurs priment sur les changements, seulement l’utopie n’est pas l’irréalisable mais l’irréalisé qui ne demande qu’à se concrétiser.

En second lieu, il faut concevoir une nouvelle

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55 Selon Jean Labbens : «Le développement technologique n’obéit pas à une loi d’évolution ; le travail du bronze présuppose le travail de la pierre, mais il n’y a pas de raison pour qu’une société ne passe pas de l’âge de la pierre à l’âge du fer sans l’intermédiaire du bronze».

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manière de former les jeunes. Les nouvelles connaissances qu’ils devront acquérir modifieront l’organisation de la société. Cependant ce ne sont pas les réformes qui changeront la réalité de la situation, même si elles sont nécessaires pour préparer le terrain. Il faudra agir au plus bas niveau, celui des enfants. Si le monde arabe veut se libérer de ses entraves et des blocages dus à une mauvaise compréhension de la religion, il devrait revoir ses systèmes pédagogiques. Seule une éducation renouvelée dans son esprit, dans ses moyens et dans son contenu est apte à préparer le citoyen de demain. C’est pourquoi il faut une vision à long terme.

Le système éducatif ne doit pas être réformé, il doit subir une révolution totale, tant il est en décalage avec sa mission, celle de former un citoyen émancipé, un être culturel ayant une formation solide lui permettant d’épouser son temps et de s’adapter aux besoins dus à l’accélération des technologies. Les changements nécessaires doivent commencer dès l’école primaire en lieu et place de la formation actuelle qui fragmente le savoir en diverses matières (histoire, géographie, maths, etc.) qui ont pour but d’inculquer un ensemble de connaissances éclatées concernant le monde. Les enseignants, au lieu de répondre aux questions que les enfants se posent, apportent souvent des réponses aux questions qu’ils ne se posent pas. Or, éduquer un enfant est-ce utiliser le potentiel dont il dispose au cours de sa croissance pour l’aider à se développer le mieux possible ou au contraire lui imposer les connaissances et les comportements que la société veut lui faire acquérir par des moyens dont elle se fait seul juge ? Nous nous acharnons à leur enseigner ce qu’ils doivent penser, au lieu de leur enseigner comment penser ! Ce système marche sur la tête et ne tient aucunement compte des étapes du

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développement psychologique de l’enfant, ni des travaux récents en neurobiologie et de la formation du réseau neuronal. Chose surprenante, on se presse les méninges à élaborer des méthodes pédagogiques pour mieux former nos enfants mais nulle part nous ne leur apprenons à réfléchir et à raisonner. Aucune matière n’est dédiée au développement du potentiel humain et des processus cognitifs. Pourtant les neurosciences peuvent contribuer à la mise en place d’un nouveau système éducatif. En effet, s’il est nécessaire d’engranger de l’information, il est encore plus important de pouvoir l’analyser. Les systèmes éducatifs actuels répondent très mal au premier critère et pas du tout au second. Comme la mutation technique que nous vivons actuellement correspond au passage de l’ère industrielle à l’ère de l’information, les méthodes de formation doivent suivre le mouvement en étant fondées sur l’acquisition et le traitement des connaissances. La démarche pédagogique souhaitable doit s’articuler autour des aspects cognitifs développant les mécanismes d’apprentissage et de raisonnement.

Un esprit sans capacité de raisonnement et d’analyse est à l’image d’une bibliothèque qui contient un ensemble d’ouvrages inutiles si personne ne les étudie. Elle constitue un ensemble de connaissances et seule une intelligence est à même de leur donner un sens. Autrement dit, le raisonnement est essentiel pour tirer du «savoir» d’un amas de données quel que soit son type d’organisation ou de représentation. De ce fait, apprendre à raisonner est une condition vitale au développement des esprits, car il est impensable de s’imaginer pouvoir les former en les gavant de données sans pour autant leur offrir les clefs du raisonnement. Au lieu d’apprendre aux enfants à résoudre des problèmes, à prendre des décisions efficaces, à planifier

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leurs tâches, à développer un raisonnement logique et rigoureux, en somme d’apprendre à apprendre et à créer de l’intelligence, les institutions scolaires se contentent malheureusement de «formater» les esprits.Apprendre aux enfants de manière ludique et à travers des jeux de rôles tous ces mécanismes de raisonnement contribuerait à leur fournir une matrice cognitive capable de discerner le vrai du faux, à organiser la pensée et à mieux se soustraire aux difficultés. A titre d’illustration, au lieu de les obliger à apprendre par cœur les règles grammaticales, il serait plus profitable de les aider à découvrir par eux-mêmes ces règles56. L’enseignement des matières classiques, une fois acquis les moyens de raisonnement et de réflexion, n’en serait que plus aisé. Si en plus cet enseignement est construit en tenant compte du travail en groupe plutôt que du travail individuel, il évitera le darwinisme scolaire consistant à récompenser les uns et à exclure les autres, ainsi nous apprendrons très tôt aux écoliers à développer l’esprit de coopération plutôt que de compétition. L’école dans ces conditions jouera son rôle formateur et atténuera les inégalités de développement cognitif dues à la reproduction sociale.

La refonte du système éducatif fondée sur cette approche permettra aux générations futures, donc aux enfants, d’être en mesure de convertir les connaissances acquises en compétences et en formes d’organisation sociale. Si les Arabes veulent dépasser les défis que la culture leur pose, ils doivent investir dans les générations futures. Quelle que soit la volonté des dirigeants, si volonté il y a, il est impensable de changer les modes de pensée des

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56 Les didacticiels multimédias jouent un rôle appréciable et leur utilisation doit se généraliser.

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adultes. Ce changement ne peut s’opérer que sur plusieurs générations. Notre présent se conjugue au futur et il faut, c’est une condition vitale pour notre survie, au plus bas niveau des formations scolaires, offrir à ceux qui nous remplaceront les conditions qui leur permettront de se prémunir contre les idées reçues et les «prêt-à-penser». Si nous voulons agir sur le cours de l’histoire, nous devons mettre toutes nos énergies et nos espoirs en ceux qui portent nos gènes, nous devons leur donner les armes intellectuelles qui leur permettront de contrôler leur destin, en mettant l’accent avant toute chose sur le développement de leur intelligence, ils auront tout le loisir par la suite de compléter leur érudition.

Autre point crucial, il nous semble fondamental d’introduire très tôt dans le système scolaire des cours de philosophie. Il n’est nulle matière plus apte à procurer une formation offrant aux jeunes une faculté de discernement que la philosophie. En d’autres termes, il est impossible de combattre l’islamisme sans proposer à la jeunesse un moyen de confronter ses idées. Les politiques passées afin de combattre le marxisme et de préserver les régimes en place avaient misé sur l’éducation religieuse. Le remède a été plus nuisible que le mal. Le retour du balancier a favorisé la montée de l’intégrisme. Afin de contre-balancer cette situation, il faut non pour l’amour de l’intelligence mais pour la survie de la culture arabe introduire la philosophie. Qui mieux que cette discipline peut explorer tous les horizons du possible, initier une jeune personne aux différentes excursions dans l’univers de la connaissance, favoriser l’éclosion et le jaillissement du savoir. Comment combattre les idées intégristes qui nous envahissent si nous ne proposons pas à la jeunesse un kaléidoscope de pensées divergentes ? La philosophie est le seul remède. Entre

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enfermer la jeunesse dans une pensée unique et lui offrir le monde de l’interrogation et le possible des réponses, le choix pour les responsables politiques dignes de ce nom doit être clair. La philosophie propose un champ de réflexion ouvert sur le monde et induit de facto la tolérance puisque dans la recherche du sens tous les chemins se valent. L’enseignement de la philosophie habitue à l’esprit critique, au raisonnement logique et à l’argumentation solide. Elle ouvre l’esprit sur la pluralité des modes de pensées, sur des perspectives et des horizons différents.

Si le monde arabe veut protéger sa jeunesse et l’immuniser contre le dogmatisme, s’il veut passer de la bêtise partagée à l’intelligence collective, s’il veut intégrer les valeurs humanistes, il lui faudra introduire la philosophie dans les cursus scolaires, toutes disciplines et orientations confondues. S’il opte pour un système éducatif qui assoit sa politique sur le développement des mécanismes de raisonnement chez les plus jeunes et sur le développement de la réflexion et de l’esprit critique grâce à la philosophie pour les autres, il permettra à coup sûr à la culture arabe de fleurir à nouveau.Il deviendra alors difficile d’endoctriner les esprits, la démocratie s’imposera d’elle-même.

L’essor de la civilisation arabo-musulmane a démarré grâce à la philosophie avec l’emprunt culturel grec et il a décliné à cause du dogmatisme et du rejet de la pensée et de la philosophie.

«La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un

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dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle se soumettre ce serait cesser d’exister».

Henri Poincaré

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Aucun système ne peut survivre sans liberté. En effet, une société libre est une société ouverte pour qui le futur est imprévisible, car rien dans le présent ne permet de définir le futur, il est par nature imprédictible57. Ainsi à la vision d’un système conçu comme une horloge s’oppose celui d’un système vivant, à la fois plus instable et imprévisible mais aussi plus ouvert et créateur. Sans liberté

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57 Lorsqu’un système est fermé et que ses sous-systèmes sont interdépendants, il y a déterminisme et prédictibilité, mais si le système est ouvert, quoique déterminé, il est imprévisible ; tant l’accroissement de variables en jeu rend exponentielle leur interaction. Par contre, s’il est ouvert avec des sous-systèmes dépendants et d’autres indépendants, là, l’aléatoire rend le système indéterministe.

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point d’évolution. Certes, la liberté offre des droits mais exige en retour des devoirs, ce qui se conçoit aisément. En effet, sans la liberté l’individu est nié, mais avec elle il retrouve son autonomie et par conséquent sa responsabilité d’acteur social. Cette responsabilité le conduit à assumer ses idées, ses actes et ses décisions. Il devient un être distinct du groupe au sein même du groupe alors que dans un système autocratique, infantilisé, il délègue souvent malgré lui sa responsabilité d’homme à l’oligarchie. Un système autocratique fonctionne à l’instar d’une ruche, il conduit à une organisation centralisée dans laquelle toutes les décisions importantes sont prises au plus haut niveau sans véritable concertation avec le peuple. Dans ce type d’organisation toute pensée divergente est perçue comme un corps étranger que le système immunitaire culturel cherche à détruire. Or il est impensable de s’imaginer pouvoir produire une culture florissante en niant le potentiel humain, c’est un non sens. Il serait vain de chercher à innover, à progresser et à s’épanouir dans un milieu stérile et complètement rigide. Pour vivre, il faut créer sa vie et non prendre une vie d’emprunt. Ce que souligne Karl Popper58 :

«Les êtres vivants dénués d’initiatives, de curiosité, d’imagination, doivent se disputer les niches écologiques occupées ; ceux qui au contraire exercent leur esprit d’initiative ont à leur disposition les niches écologiques qu’ils inventent».

Les régimes politiques des pays arabes qui se

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58 Karl Popper, Konrad Lorenz «l’Avenir est ouvert» Flammarion.

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fondent sur la pensée théocratique sont en contradiction avec l’essence du dogme qui favorise, nous l’avons vu, la diversité culturelle. La pluralité des cultures et à l’intérieur d’elles la pluralité des modes de pensée sont non seulement admises mais surtout recherchées et encouragées par le Coran, elles ne peuvent coexister sans esprit de tolérance. Car, pour que les cultures et les peuples se distinguent les uns des autres et déterminent leurs singularités, ils doivent disposer d’une liberté d’action, de réflexion et de décision nécessaire à tout développement, disposer de la liberté d’être différent, de penser autrement et admettre que les différences sont une richesse. En effet, une société libre soumet ses productions et ses réalisations au crible de l’analyse. Elle se sait perfectible et par conséquent admet l’amélioration, bouscule les croyances et les idées préconçues. Elle rejoint ainsi le doute initié par Descartes, tout en le dépassant.

Le doute, instrument du savoir, est la ligne de démarcation entre l’Occident et le monde musulman, il aboutit d’un côté à la raison raisonnante et de l’autre côté au Moyen-Age du Moyen-Age. Depuis notre prime enfance «ceux qui savent» nous ont obligés à croire que le monde était fini, connu et que le doute était banni. Seulement voilà, le doute est le sel de la réflexion. Sans le doute, point d’avancée. Comment véritablement aller de l’avant, découvrir des nouveautés, défricher de nouveaux terrains si nous ne l’intégrons pas dans nos pratiques de recherche et de compréhension. Interdire le doute revient à interdire la réflexion donc à interdire la pensée. Si tout est connu d’avance, pourquoi diable chercher à décrypter l’univers et le monde qui nous entoure. Nous devons pour la bonne santé de la culture arabe accepter que rien ne soit définitif et que tout fluctue en fonction du contexte et des circonstances.

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Le doute doit être en toute occasion le catalyseur de la pensée. Remettre en cause ce qui est revient à remettre en cause nos croyances. Comme nous sommes en partie prisonniers de nos modes de représentations, nous sommes ce que nous croyons. Briser le cours de ce que représente notre monde contribue à bousculer la culture arabe et par conséquent à nous altérer. Là aussi de tout temps on nous a appris que l’altérité est une perte d’identité. S’altérer reviendrait à se perdre. Les nationalistes, les religieux nous exhortent à sacraliser nos coutumes et nos traditions au point d’en être les otages. Ils s’acharnent à vouloir préserver la culture de toutes intrusions, comme d’autres ont cherché à préserver la race arienne, pure de tous mélanges. Les islamistes continuent à égorger les mal-pensants, les nazis ont gazé les mal-nés et ensemble au nom d’un dogme ou d’un groupe ethnique condamnent la différence. Or une culture pure comme une race pure ne peut qu’être pauvre, l’intelligence ne se nourrit que de la diversité. Il en est de la culture comme de la consanguinité ; à force de chercher la pureté dans l’uniformité, on finit par produire une culture trisomique. Il faut souligner aussi que l’Évolution elle-même est une altération, chaque avancée scientifique, chaque remise en cause est une altération, ou plus fortement dit, une «aliénation». Intégrer ce qui est différent pour enrichir nos connaissances, transformer ce en quoi nous croyons pour développer notre savoir est une aliénation par rapport à l’ignorance. Même vis à vis du passé le présent est une aliénation. Chaque fois que nous altérons nos croyances, nous nous aliénons et ce faisant nous progressons. Rien ne peut mieux appuyer ces réflexions que les propos de Popper :

«La vie elle-même cherche constamment l’aliénation : elle s’arrache constamment à sa

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niche écologique naturelle en se précipitant dans l’aventure d’un nouveau milieu. Lorsque le gène invente une membrane ou, lorsque nous mettons un manteau, c’est un phénomène d’aliénation par rapport à la nudité. Je tiens le discours sur l’aliénation pour un discours dangereux et ridicule. Il s’agit tout simplement de l’aventure du vivant qui cherche un cadre nouveau et étranger et qui s’y risque. Cela joue un rôle capital dans l’évolution vers un stade supérieur».

Certes, loin de nous l’idée de rejeter les traditions ! Ce que nous condamnons c’est le phénomène de sacralisation des coutumes59. Une coutume doit être critiquée lorsqu’elle ne s’adapte plus à la vie moderne60. L’esclavage a existé et il a fait partie de nos traditions, faudrait-il au nom de

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59 Nous tenons à nos racines, mais comme pour un arbre, les racines sont sous-terre et ne doivent en aucun cas empêcher l’arbre de pousser. Les islamistes en se crispant sur un temps révolu défient les lois de la nature. Ils cherchent à enfouir le tronc et à déterrer les racines. En somme, à produire une culture inversée, une culture anti-nature.60 Les traditions ont leurs cycles ; certaines ont été désapprises et sont de nos jours considérées incompatibles avec les mœurs arabes, entre autres l’utilisation de la fourchette inventée à Bagdad se voit aujourd’hui dédaignée par les masses arabes. Voici, ce que relate à ce sujet dans son roman historique Jamila Lahlou : «…Dans ses appartements privés, pendant ce temps, le jeune khalife s’extasiait devant une nouvelle fantaisie venue de Bagdad. Un messager de ce lointain orient lui avait rapporté d’étranges instruments en or, sorte de petits râteaux à deux branches qui servaient là-bas à déguster les plats les plus recherchés. On ne se sert plus de ses mains pour manger à Bagdad ? interrogea Hicham, étonné. Non ! Commandeur des Croyants, depuis longtemps : cet instrument plus raffiné permet de ne pas se salir les doigts. Cela doit être difficile à utiliser mais je ferai un effort. Ce sont de très jolis bijoux. Si les chrétiens voyaient ceci, je suis sûr qu’ils s’en serviraient ! Ils nous copient en tout ! soupira le jeune Khalife. Que peuvent-ils faire d’autre, Commandeur des Croyants ?».

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celles-la le tolérer encore aujourd’hui ? Il n’est de position contraire à la vie de l’intelligence que le rejet de toutes idées nouvelles parce que différentes et par conséquent dérangeantes.

Si nous considérons qu’une culture est l’émanation d’une intelligence collective plongeant ses racines dans le passé, nous pouvons dire qu’une intelligence qui se pose peu de questions et se contente d’explications toutes mâchées n’en est pas une. Les universités saoudiennes, par exemple, disposent de matériels de dernier cri sans aucune production à la clef tant leur mode de pensée est empêtré de croyances fossilisées et leur esprit contrôlé par l’hydre wahhabite. Einstein n’a eu besoin que de quelques feuilles de papier et d’un crayon pour bouleverser la physique et cela grâce au bouillon de culture qui l’environnait. Le génie n’est pas seulement une intelligence supérieure faite de dur labeur, mais une intelligence capable de remettre en cause le système établi, d’aller au delà de ce que les bien-pensants et la majorité croient. Henri Poincaré61 a pressenti avant Einstein la théorie de la relativité restreinte, mais n’a pas osé bousculer les croyances scientifiques de l’époque. Einstein, lui, n’a pas hésité, c’est ce qui a fait la différence. La culture arabe pour retrouver son génie créateur doit apprendre à bousculer ses modes de pensée et la société civile doit s’habituer à prendre en toutes circonstances

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61 Elie Zahar, dans «Poincaré et la découverte de la relativité», affirme que ce dernier «possédait toutes les bases nécessaires à l’établissement de la théorie de la relativité restreinte et qu’il était en mesure de devancer Einstein, mais, il n’a pas pu ou n’a pas voulu s’en servir. Son conventionnalisme ne lui a pas permis de croire suffisamment dans ce qu’il appelait la «mécanique nouvelle» et d’aller jusqu’au bout de son cheminement. De ce fait, il n’a eu ni l’audace ni l’approche révolutionnaire d’Einstein vis-à-vis de la relativité et il est resté en retrait de ce dernier».

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l’hypothèse inverse de la pensée dominante que je compare à un entonnoir lénifiant. D’ailleurs, c’est toujours des marges que viennent les idées qui dérangent et par conséquent régénèrent un système social. Dorénavant il faut revendiquer le droit à la contestation et à l’esprit critique, rejeter cette notion floue de consensus souvent imposée «démocratiquement» qui revient à la propagation d’une seule idée et au verrouillage de toutes les autres. C’est dans la diversité d’opinions, dans l’esprit de contradiction que naissent et surgissent les idées ; en effet les idées doivent s’entrechoquer, se comparer, lutter les unes contre les autres, elles sont le moteur de la créativité et de la bonne santé intellectuelle d’une culture. Ainsi, douter, confronter ses idées avec celles d’autrui, ne pas s’arrêter au premier raisonnement apparemment plausible et chercher plutôt les variables cachées, accepter l’altération en se nourrissant de ce qui est différent, constitue le ferment d’une culture vivante. Le doute, la transgression, l’altération sont un carburant pour la réflexion et un moteur pour l’action. Ils ne peuvent véritablement exister que dans les sociétés libres. C’est cet état d’esprit que la culture arabe doit «conquérir », un esprit fait de ruptures, de virages et de sauts qualitatifs, loin de la linéarité que la force des habitudes nous impose.

Certes, un système se rétracte durant les périodes de fragilité, de tension et dans les périodes de confiance il s’ouvre et s’enrichit des apports et des différences. L’Espagne a vu sa puissance grandir au XVIe siècle jusqu’à dominer l’Europe et le reste du monde. Mais comme pour la civilisation musulmane, l’arrivée d’une église fanatique animée d’une foi rigoureuse a figé l’essor de cette nation. Toute pensée contraire à son interprétation orthodoxe fut combattue sans pitié. La conséquence fut que l’Espagne a sombré pendant quelques siècles dans un

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sommeil dogmatique et n’a pu bénéficier de l’effervescence intellectuelle qui se développait en Occident. Elle doit son retour à l’instauration de la démocratie, au rejet du Franquisme et à son intégration à l’Europe.Plus récemment la Chine pendant la révolution culturelle se retourna contre ses intellectuels et contre la science occidentale, créant pour des raisons idéologiques une situation économique dévastatrice qu’elle surmonta avec peine. Chaque fois qu’un système autocratique impose sa volonté, enferme la liberté de pensée et d’agir dans des frontières restrictives, il contribue à sa perte. L’implosion de l’ex-URSS, le nazisme, sont là pour nous le rappeler. A contrario, il est à remarquer qu’une condition essentielle liée à l’apparition d’une civilisation dépend de son ouverture aux différents espaces et modes de pensées exogènes. Si l’on reprend le cas de la civilisation arabe, l’histoire nous apprend que son expansion a permis l’intégration d’autres cultures. Le contact avec d’autres peuples, d’autres ethnies, avec des modes de vies, des coutumes et un savoir différent a créé sous la bannière de l’Islam un immense espace fécond et florissant. Le monde musulman n’aurait jamais connu son âge d’or sans l’apport d’autres systèmes de pensée. Certes ils passaient par le filtre islamique, mais de par leur brassage, leur interaction, le soutien financier, le sentiment de puissance et de grandeur propre aux conquérants, ils ont contribué au développement du monde musulman.

Toutes les grandes civilisations ont des capacités extraordinaires d’assimilation des inventions et des idées nouvelles. Les États-Unis, hyper-puissance, offrent des conditions favorables afin de drainer vers eux les matières grises provenant du reste du monde, ce qui constitue pour ce pays une richesse formidable. Entre autres exemples, le Japon62 qui, par sa volonté et son désir de développement, a

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non seulement intégré mais fécondé les apports occidentaux sans renoncer pour autant à son identité propre. Pendant les décennies qui ont suivi la guerre, les Japonais se sont emparés de la technologie occidentale et l’ont améliorée au point de concurrencer férocement l’Occident.En effet, le monde moderne dans sa complexité est source d’incertitudes et d’ambiguïtés qui sont à la fois tant de portes ouvertes vers la créativité, l’innovation et l’initiative. Il est contradictoire de chercher à progresser donc à changer et évoluer tout en refusant le changement. Je ne sais par quel miracle il serait possible de promouvoir le progrès social et le progrès économique tout en prônant le maintien de l’intégrité de nos traditions et de nos méthodes de gouvernance. Cela reviendrait à promouvoir le changement dans la stagnation et l’évolution dans l’immobilisme. Étrange paradoxe! Nos sociétés doivent s’ouvrir, c’est une question de survie. Il faut libérer le potentiel d’intelligence que les forces de l’obscurantisme et les pouvoirs politiques ont comprimé durant des décennies sinon des siècles. Aucun développement ne peut s’effectuer sans la participation des hommes et des femmes qui constituent les sociétés arabo-musulmanes et aucune participation réelle ne peut s’effectuer sans que la femme et l’homme arabe ne se sentent maîtres de leur destin. Les Arabes doivent conquérir leur liberté. Le temps est venu pour eux de revendiquer leur autonomie, de s’affranchir et de s’émanciper, de devenir enfin des hommes libres ne dépendant ni d’un dogme ni d’un maître, vivant dans une société nécessairement démocratique qui respecte les droits de l’homme.

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62 Le Japon peut sembler un contre-exemple. Car, bien qu’ancré dans la tradition, de par l’existence de deux fortes croyances : le bouddhisme et le shintoïsme, il s’épargne le danger d’une seule vision du monde qui figerait sa pensée.

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Quelles que soient ses faiblesses, le système démocratique tente de réaliser cet objectif auquel la majorité du groupe participe dans une confrontation d’idées en vue d’élaboration de projets de société. En effet, toute société est un système complexe qui engendre des combinaisons incalculables et des interactions enchevêtrées. Cette situation conduit la centralisation des décisions inévitablement à l’échec, tant il est impossible de contrôler tous les événements qui se produisent dans une société. Ce procédé montre très vite ses limites alors que le partage des responsabilités permet par sa flexibilité et sa souplesse une plus grande efficacité dans la gestion de la cité. Il est manifeste que les mauvaises décisions émanant d’une sorte de «supra-structure» conduisent au désastre. Nous l’avons vu avec les pays de l’Est et nous le voyons avec les pays arabes. L’imbroglio63 dans lequel est tombé Saddam Hussein, dictateur, ex-maître de l’Irak, en envahissant le Koweït sans concertation avec son peuple aurait pu être évité, tout au moins espérons-le, si le pays avait été démocratique. Cela dit, si aucun pays arabe n’est une véritable démocratie, ils ne prônent pas tous la dictature. Ils sont tous pour un «despotisme éclairé», leur mode de gouvernance oscille entre un système autoritaire qu’ils savent révolu et une démocratie qu’ils n’osent véritablement proposer de peur d’être, à l’image d’un Gorbatchev, balayés par elle. Alors ils nous proposent un système qui n’est ni une démocratie ni une dictature, une sorte de «démocrature». Ce système bâtard ne peut conduire qu’à sa propre perte car il se situe entre deux logiques inconciliables. Certes la démocratie n’est pas un modèle théorique transposable d’une nation à l’autre. Elle est le produit de l’histoire et

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63 Trois guerres, un embargo et un pays en ruine.

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il est logique de l’adapter aux conditions socio-historiques du monde arabe.

On retient donc qu’une civilisation isolée, si elle ne meurt, se ferme et s’étiole. En revanche, à l’instar d’un corps vivant, une civilisation ouverte et tolérante qui offre un espace de liberté crée et utilise les acquis du savoir et les convertit en produits. Cela contribue à son développement et conduit à l’épanouissement culturel social et individuel. Les emprunts et les apports entre les nations sont des passerelles et correspondent à des échanges d’idées, sans pour autant constituer une menace. La multiplicité des savoirs et des modes de pensées contribue à la transmodernité et constitue la richesse du monde.Dans ces conditions, la liberté et la tolérance sont les éléments essentiels à la survie de toute culture, elles ne peuvent être obtenues que par l’émancipation des peuples. Comme nous l’avons vu précédemment, l’Islam invite à la mise en pratique de ces concepts. Accepter les différences de cultures et de croyances revient à admettre que chaque peuple, chaque individu, est libre de penser autrement.

Malheureusement les Arabes sont loin d’obtenir les droits de l’homme, ils en sont encore à revendiquer le droit d’être reconnu en tant que femme ou homme à part entière. Comme tout un chacun à travers le monde nous méritons de vivre dans des systèmes démocratiques, laïcs et équitables reconnaissant l’égalité entre les dirigeants et le peuple, les hommes et les femmes. Il faut cesser d’accepter des hommes qui s’arrogent des droits divins et des hommes qui refusent à la femme ses droits à être tout simplement un être humain . Ces deux formes de domination sont le résidu d’un système de pensée esclavagiste. La liberté que nous réclamons ne peut être totale sans une liberté égale pour la

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femme. a) Condition de la femme arabe

L’homme moderne ne dépend plus pour sa survie de ses muscles. Notre existence dépend de notre intelligence. Sur ce point la femme n’a rien à envier à l’homme. Si les productions scientifiques de haut niveau sont rares chez la femme, c’est tout simplement parce que sa condition la contraint très tôt à des tâches ingrates et à une vie pleine d’obstacles et d’interdits. Ceux qui pensent le contraire et considèrent néanmoins la femme inférieure intellectuellement se sentent-ils supérieurs à Marie Curie, une femme deux fois Prix Nobel de Physique ? En outre, acceptent-ils aussi que les Arabes soient inférieurs aux occidentaux, puisqu’ils n’ont plus rien inventé depuis des siècles ? Est-ce une régression génétique ou plutôt des situations culturelles défavorables ? Certes, pour un esprit objectif la réponse est claire, ce sont les conditions de création et de réalisation qui sont rares, voire inexistantes. A tel point que les deux Prix Nobel musulmans64 dans des matières scientifiques, hormis «Najib Mahfoud65», ont effectué leurs recherches dans des laboratoires occidentaux. Ainsi les arguments souvent utilisés pour décrier la femme, à savoir la force physique et l’intelligence, n’ont aucun fondement.

Interrogeons-nous un instant ; comment voulons-

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64 - Abdus Salam (1926-1996). physicien pakistanais, Prix Nobel 1979, connu pour ses travaux sur les interactions entre particules élémentaires.- Ahmed Zewail, chimiste, directeur du Laboratoire de sciences moléculaires à l’Institut de technologie de Californie, Américain d’origine égyptienne et premier scientifique d’origine arabe a avoir reçu le Prix Nobel en sciences en 1999. 65 Prix Nobel de Littérature.

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nous que la femme arabe et par extension la femme musulmane puisse contribuer au développement de la culture arabe si elle est privée du minimum vital ; exister en tant qu’être à part entière ? Il est incroyable de constater que la femme n’a même pas le statut d’un mineur non émancipé et a besoin pour toutes décisions de l’accord de son tuteur. Même un esclave peut être libre et recouvrer sa liberté s’il est affranchi. La femme n’a même pas cet espoir. Sa vie est faite de soumission et de privation. La vie de la femme dans les pays arabes est un apartheid. Nous avons tous été indignés face à la maltraitance des noirs par les afrikaners et par la terrible ségrégation qu’ils ont subie aux États-Unis. Nous nous sommes sentis proches d’eux. Réduire des êtres humains à l’état de sous-hommes à cause de la couleur de leur peau, c’est du racisme. Nous sommes tous prompts à le condamner. Les réduire à l’état de sous-hommes à cause de leur sexe, c’est encore une forme déguisée de racisme. Mais là nous sommes peu nombreux à le reconnaître. Car la culture arabe a enraciné cette discrimination au plus profond de nos structures mentales et de notre imaginaire au point que paradoxalement les femmes arabes, elles-mêmes prises dans ce piège, revendiquent parfois leur soumission tant elles sont inféodées à cet état d’esprit.

Certains rétorqueront que ce temps est révolu et que la femme arabe et musulmane est libre, puisque nous la voyons gérer des entreprises, faire de la politique, s’investir dans la société civile. Seulement voilà, il y a un hic, dans nos représentations mentales elle reste infériorisée, dans nos lois elle subit toujours l’inégalité. Une femme musulmane ne peut atteindre de hautes responsabilités que si elle obtient le consentement de son tuteur. Elle peut être premier ministre et craindre la «Dar atta’a»66. Ce qui montre

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le ridicule de la situation. Donc, la soi-disant liberté que la femme a acquise est un leurre. Car malgré les minuscules avancées, ses droits les plus élémentaires sont bafoués. Et si par malheur les barbus qui sont aux aguets pour prendre le pouvoir arrivaient à leur fin, ils commenceraient très naturellement par restreindre ce presque rien d’acquis et lui ajouter un fardeau d’obstacles pour finalement l’habiller, à l’instar des talibans, d’un linceul67.

Comment peut-on dès lors sérieusement espérer prospérer dans une société hémiplégique qui ampute la moitié de son corps social. Cette discrimination a des répercussions sur la culture arabe. Les islamistes veulent garder les femmes arabes analphabètes pour mieux les asservir. Il est à souligner que plus de 60% des femmes arabes sont incultes68. Espérer alors élever nos enfants dans des conditions favorables, loin de l’irrationnel et des fausses croyances, est presque une gageure.Le monde arabe ne pourra juguler les fortes natalités sans interdire la polygamie et la répudiation. Toutes les deux entraînent des conséquences majeures et graves dans les

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66 Selon la sharri’a, le musulman peut enfermer sa femme récalcitrante dans la «Dar atta’a» , une sorte de prison dans laquelle la femme doit abdiquer et se soumettre si elle désire retrouver sa liberté.67 Le 11 mars 2002, 14 fillettes décèdent dans l’incendie d’une école en Arabie Saoudite. La police religieuse les empêcha de se sauver car elles ne portaient pas de foulard et qu’aucun homme de leur famille n’était présent pour les accompagner. Non seulement les sauveteurs n’ont pu leur porter assistance à cause de la sharrii’a qui interdit qu’elles soient approchées par des hommes n’appartenant pas à leur famille, mais pire la police religieuse frappait les petites filles pour les faire rentrer dans l’école, les condamnant ainsi à périr dans les flammes. Ce dogmatisme n’a qu’un nom : l’horreur. (Amnesty International 2002).68 Programme des Nations Unies pour le Développement, (PNUD).

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sociétés musulmanes ; la fragilité de la situation de la femme la conduit souvent à multiplier malgré elle les naissances afin d’atteindre un statut de mère en espérant alourdir son époux de charges, dans le désir caché de l’empêcher de se remarier ou de la répudier. Sans s’arrêter à cette injustice qui se suffit à elle-même, cette situation provoque pour ceux qui ne s’intéressent - pourquoi pas d’ailleurs- qu’au développement économique une croissance démographique que les pays arabes ne peuvent en aucune manière gérer ni contrôler, contribuant à une dynamique de décadence. Le monde arabe est pauvre, les femmes et les hommes arabes sont aux trois-quarts ignorants, leurs enfants ne peuvent malheureusement en grande majorité que reproduire leur «modèle», contribuant ainsi à créer des générations d’enfants à la fois pauvres et incultes, même si ici ou là certains échappent à ce mauvais scénario que nous ne voulons pas voir se réaliser mais qui malgré tout s’impose à nous. Les coûts des soins et les frais d’éducation entre autres sont si lourds que les budgets octroyés sont toujours insuffisants.

Au sujet de la polygamie une remarque s’impose, le verset 3 de la sourate 4 stipule que l’homme peut épouser jusqu’à quatre femmes si il est juste et équitable envers chacune d’elle. Seulement le verset 129 de la même sourate dit explicitement qu’il est impossible d’être équitable, «…Vous ne pourrez jamais être équitable entre vos femmes, même si vous en êtes soucieux. …». A moins d’être fâché avec la logique cette condition invalide la polygamie. De ce fait, les hommes qui épousent plusieurs femmes cherchent à démontrer que Dieu se trompe et qu’ils sont capables d’être équitables.

Comment peut-on prétendre vivre en harmonie avec

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des femmes à moitié esclaves, à moitié libres. Nos filles, nos mères, nos femmes, par la contrainte diffuse, par la violence physique, sont des êtres colonisés, colonisés dans leur esprit, dans leur chair et certains, s’ils le pouvaient, souhaiteraient coloniser leurs propres rêves afin de mieux les contrôler. Les Arabes comprennent qu’un esclave aspire à la liberté, c’est un sentiment naturel. Mais une femme qui aspire à la liberté est une traînée. Que veut-elle faire de cette liberté sinon aller à la débauche ?

Pour ma part, je soutiens et je revendique haut et fort le droit à la femme d’être affranchie. Néanmoins ce combat est le sien et il lui revient en premier de le mener, car la liberté comme toute chose ne se donne pas, elle s’arrache. Il revient ainsi aux femmes de se mobiliser et de se battre. Et n’en déplaise à nos barbus qui par le rejet de la femme manifestent une tendance sexuelle ambiguë, préférant tellement la fréquentation des hommes et répugnant à celle des femmes. Il est vrai que l’une des principales raisons qui les offense se rapporte au sexe, celui de la femme bien sûr. Une femme qu’il faut cacher, voiler69, cloîtrer. Ils sont tellement dans la haine de ce qui est différent que le sexe qui représente l’amour et la vie les rebute. Il est plus noble et plus glorieux de tuer, c’est un acte chevaleresque, alors que l’amour symbolise à leurs yeux le sentiment le plus vil.

Que de fois nous avons été confrontés dans nos sociétés à des situations vraiment absurdes : Une famille regarde un film d’aventures, des «mecs» s’entretuent, rien d’anormal. Puis vient le moment où le héros embrasse une ____________________

69 Si on oblige la femme à se voiler, c’est peut-être parce que le regard de l’homme est corrompu. À méditer.

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femme sinon plus et tout d’un coup la famille s’éparpille, les femmes débarrassent la table, les hommes regardent ailleurs. La «hchouma» s’installe et tout le monde est honteux. C’est anormal, il aurait fallu que l’on soit heurté par l’agressivité et la violence et bienveillant face à la tendresse et à l’amour. Or, c’est le contraire qui se produit, nous condamnons l’amour et nous plébiscitons la violence. Il ne faut plus se le cacher, notre culture est à psychanalyser. Une culture qui fait l’éloge de la mort plus que celui de l’amour est une culture moribonde, certes en cela nous n’avons rien à envier à l’Occident.

Sans attendre un Martin Luther King conjugué au féminin, défenseur des droits de la femme arabe, nous devons lui rendre son autonomie et sa liberté. Le «I have a dream» doit permettre à la femme arabe de devenir citoyenne à part entière, libre de son corps, de ses mouvements, de sa pensée et de ses décisions, de briser les chaînes qui l’entravent, de détruire les idées et les croyances qui l’étouffent. Un être décolonisé, en somme un être humain dans toute son acception, pour qu’ensemble, hommes et femmes, en combinant nos forces nous puissions construire notre avenir. Mais tout cela ne deviendra réalité qu’en rendant caduques les lois dictées par la Sharii’a. Nous nous devons d’accuser de ségrégationnisme les Ibn Taymiya70, les puritains du nationalisme et autres juristes «machistes» de l’Islam. Leur négation de la femme n’a d’égale que les différentes formes d’interdictions qu’ils cherchent par tous les moyens à nous imposer, interdiction de penser autrement, de se singulariser, d’être libres. S’ils

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70 Ibn Taymiya est une référence pour les intégristes et les terroristes islamistes. Il représente les idées les plus rétrogrades et les plus réactionnaires de la pensée musulmane.

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le pouvaient, ils interdiraient même la femme.

Il est plus que temps de mener le combat pour défendre les droits de la femme arabe. Elle doit en toutes choses et en toutes actions être l’égale de l’homme, dans le mariage, dans le divorce, pour l’héritage. Il faut interdire la polygamie et la répudiation, accorder la parité dans l’héritage, interdire toutes les discriminations. La discrimination envers la femme dans nos sociétés est une ségrégation. Une ségrégation non pas contre un groupe ethnique, mais contre une partie de notre propre groupe, en somme contre nous mêmes.

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CONCLUSION

Nous venons de changer de millénaire et ce changement coïncide avec une nouvelle bifurcation dont l’impact est plus fort que celui joué par l’imprimerie. Il est vital de saisir cette ultime chance et de profiter de ce temps de changement qui se traduit, d’une part par le rôle grandissant des technologies de l’information qui transforment notre monde à une vitesse vertigineuse et d’autre part, par la mondialisation qui modifie les rapports entre les nations en déplaçant les centres de décision de leur niveau à celui de la planète. Il est indéniable, alors que nous vivons un tournant majeur pour l’humanité, que le monde arabe résiste de manière accrue à la mutation qui s’opère. Cependant même si nos politiques et nos religieux tournent le dos au bouleversement que nous subissons de manière insidieuse et diffuse, nos systèmes sociaux et nos systèmes de valeurs se transforment. Le développement des nouvelles technologies de l’information et des communications change le paysage culturel de nos sociétés. Internet et la télévision par satellite en sont le

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Cheval de Troie. Sans faire l’apologie de cette mutation planétaire

qui réduit le monde à une vaste entreprise et impose la suprématie de la culture McWorld, dans laquelle les multinationales exercent un pouvoir et une influence plus importants actuellement que les nations elles-mêmes n’obéissant qu’à un seul critère : la rentabilité. Sans faire non plus l’apologie du Cyber-Monde dans lequel l’Occident avec à sa tête les USA transforment leur domination technologique grâce à la révolution numérique en leadership culturel. Nous dirons seulement qu’il faut chercher à s’approprier ces nouvelles technologies afin d’arrimer les pays arabes au reste du monde, car il serait illusoire d’être à la fois dans le monde et hors du monde en marge d’un système mondialisé et mondialisant. Nous avons été tellement anesthésiés par une succession de contre-performances que nous ne nous étonnons plus que la situation empire d’année en année. Afin de sortir de cette impasse et de s’opposer à cette logique pernicieuse qui broie les potentiels et condamne l’avenir, il faut envisager une mutation des structures, une transformation en profondeur qui libère les énergies et valorise le capital humain, mettant en place des mécanismes sociaux permettant l’émergence de la démocratie, de la transparence, de l’éducation, d’une justice juste et de l’initiative privée, loin du modèle théocratique et autocratique existant.

Sans être pessimiste, la génération actuelle partout dans le monde arabe est condamnée, son esprit est empêtré dans les chaînes du dogmatisme, son évolution est construite sur un sol d’interdits et de coercitions. Une génération tendue devant les difficultés de s’adapter au présent et bien sûr dépassée dans la préparation de l’avenir.

Dans ces conditions, sous peine d’être disqualifié

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par l’histoire, le monde arabe doit à l’instar de l’Europe construire son union. Malheureusement les intérêts des dirigeants sont si divergents qu’ils ont volontairement éloigné ces pays les uns des autres. Partout des tensions [Maroc, Algérie],[Tunisie, Libye], [Irak, Syrie/Koweït], [Syrie, Liban] etc. Les stratégies politiques des gouvernants, si stratégie il y a (sic), sont inversement proportionnelles à la volonté des populations arabes.

Les Arabes, quelles que soient les frontières qui les séparent, se sentent viscéralement proches les uns des autres. Ils partagent une langue, une histoire, un imaginaire et ont un idéal en commun. La souffrance d’une mère palestinienne est une souffrance pour une mère marocaine et la mort d’un enfant irakien est une blessure pour tous les Arabes. Tout les réunit et seuls leurs dirigeants les séparent. Cela montre combien ces derniers sont en décalage avec la volonté de toute une nation et soyons sûrs qu’ils feront tout ce qui est en leur pouvoir afin d’empêcher tout rapprochement en accentuant un nationalisme inter-arabe71 dans l’espoir de diviser pour mieux gouverner. L’intérêt personnel et la préservation du pouvoir sont pour eux plus importants que le devenir de toute la nation arabe. Ce «crime contre l’humanité» atteint son paroxysme lorsqu’un dirigeant comme Saddam sacrifie son peuple pour préserver le pouvoir.

La malédiction du monde arabe est de deux ordres, le pétrole qui attire toutes les convoitises et les dirigeants de ce monde qui sont prêts à se vendre pour la puissance dominante afin de préserver leurs privilèges. Pour que les

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71 Le nationalisme est aussi néfaste que le racisme et le dogmatisme religieux. Ces trois «isme» conduisent les hommes à s’entretuer au non d’une race, d’une religion ou d’une frontière.

Conclusion

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pays arabes se fédèrent, il faut qu’ils soient au préalable démocratiques. Ce sont les dirigeants qui doivent être au service de la population et non l’inverse. Nous l’avons vu, les peuples sont prêts à s’unir. Mais si cette union peut rendre plus forts les Arabes, elle rend plus faibles leurs dirigeants qui perdraient leurs prérogatives. Ainsi, le principal obstacle à une «union» des pays arabes sont leurs propres gouvernants, même si, on l’imagine bien, des puissances étrangères s’y opposent.Mais, la volonté de toute une nation est à même de conjurer ce sort. L’accès au savoir est le seul recours pour tenter d’atteindre cet objectif et afin de le préparer il est vital de rompre radicalement avec nos façons d’agir et de penser. Ainsi ce à quoi les hommes de sens et de bon sens doivent consacrer leurs efforts et leurs réflexions concerne en premier lieu l’éducation des enfants car ils sont les héritiers de ce monde et les créateurs de celui qui naîtra. Aucun développement ne peut s’effectuer sans la démocratisation du savoir qui désenchaîne et libère les esprits. Si nous investissons dans le savoir, nous sèmerons les germes de la liberté que le temps finira par féconder. Autrement nous pouvons nous poser la question de savoir si nous sommes encore utiles à ce monde.

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Repères bibliographiques

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction.................................................... 5

PREMIERE PARTIEREPENSER LA CULTURE ARABE

1 Bifurcation………………………................... 11 2 Face à l’Occident…………….………....….... 21 a Jeu de miroir……………...…………....... 22 b Miroir déformant………..……………..... 25 3 Face à nous-mêmes………………………….. 27 a Entre déclin et expansion……..……….... 27 b À travers le miroir…………..…………... 30 c Culture bloquée…………..……………... 324 Entre imparfait et futur antérieur…........….. 41

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DEUXIEME PARTIECONSTRUIRE LE FUTUR

5 Transmodernité……………………........….… 63 a Modernité…………................................... 66 b Postmodernité………………….…....…… 66 c Transmodernité…………………...……... 68 6 Labyrinthe et fil d’Ariane……….................... 77 7 Capital humain et capital savoir...................... 85 a Progrès social et évolution des techniques………..…..…. 85 b Capital savoir……………………..…….... 90

8 Société ouverte et monde clos………….….… 103

a Condition de la femme arabe……….......... 114

Conclusion…………………………………………. 121

Bibliographie……………………………………..... 125