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La femme, le fisc et l’époux – Les réformes de l’abattement pour conjoint au Japon – Amélie CORBEL Ecole doctorale de l’INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE PARIS Programme doctoral de Science politique Majeure : Sociologie politique comparée Mémoire de recherche dirigé par M. Pierre LASCOUMES – Directeur de recherche, CNRS, Centre d’études européennes, SciencesPo. – Année académique 2012/2013

La femme, le fisc et le conjoint

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La femme, le fisc et l’époux

– Les réformes de l’abattement pour conjoint au Japon –

Amélie CORBEL

Ecole doctorale de l’INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE PARIS

Programme doctoral de Science politique

Majeure : Sociologie politique comparée

Mémoire de recherche dirigé par M. Pierre LASCOUMES

– Directeur de recherche, CNRS, Centre d’études européennes, SciencesPo. –

Année académique 2012/2013

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3

REMERCIEMENTS

Je souhaite tout d’abord remercier vivement mon directeur de mémoire, M. Pierre

Lascoumes. Votre disponibilité, vos conseils et vos relectures, des plus précieux, ont permis

la réalisation de ce travail de recherche. Plus je me plonge dans les travaux de politiques

publiques et plus cela me passionne, je crois que ceci n’est pas étranger à votre influence.

Merci encore.

C’est également à Mme Itô Ruri que va ma gratitude. Un grand merci pour m’avoir

suivie tout au long de mon séjour à l’université d’Hitotsubashi et pour m’avoir fait découvrir

l’histoire du féminisme japonais. Merci enfin de me tenir régulièrement informée des faits et

des méfaits de la droite japonaise.

Je tiens également à remercier Mme Nagase Nobuko et M. Tajika Eiji pour m’avoir

accordé un entretien. Leur expérience de la Commission fiscale m’aura été d’une grande aide

pour mieux appréhender le fonctionnement de cette institution dont les rapports constituent le

cœur de ce mémoire.

Après un séjour d’un an au Japon où l’appel du « shukkatsu » (recherche d’emploi) se

faisait de plus en plus fort, il n’aura fallu qu’une semaine à Sciences Po pour que je retrouve

l’envie de poursuivre une carrière académique. C’est aux professeurs du master que je le dois.

Merci beaucoup.

Parce que sans ses histoires sur le genre, les lesbiennes japonaises, et bien d’autres

encore, ces deux dernières années n’auraient pas été aussi drôles, je tiens à remercier

chaleureusement Aline Henninger. Tes conseils sur l’étymologie d’expressions japonaises

comme le terme « fujin mondai » pour n’en citer qu’un, m’ont évité plus d’un contre-sens.

Je voudrais également étendre mes remerciements à mes deux sempaï préférées :

Camille et Asmaa. Merci pour vos conseils précieux. Vos mémoires m’auront suivie tout au

long de la rédaction du présent travail : à la fois admirés et craints, ils m’auront surtout été

d’une grande aide quand l’inspiration venait à manquer.

A tous mes camarades de promos. A tous, je vous souhaite une excellente continuation

dans la recherche … ou ailleurs.

A ma famille et tout particulièrement à ma mère qui aura pris le temps de relire ce

mémoire avec soin.

A Yûri enfin, pour son rôle dans ma progression en japonais et pour bien plus encore.

4

SOMMAIRE

Remerciements.................................................................................................................................... 3

Sommaire ............................................................................................................................................ 4

Introduction......................................................................................................................................... 7

1. Intérêts du sujet ........................................................................................................................ 8

2. Cadrage théorique .................................................................................................................. 13

3. Méthodologie .............................................................................................................................................17

Partie 1 : Le « quoi » du changement .................................................................................... 23

Retour sur la Commission fiscale ...................................................................................................... 26

Phase n°1 : Introduction de l’abattement pour conjoint en 1961 ....................................................... 28

1. Les problèmes posés .............................................................................................................. 28

2. Les mesures proposées........................................................................................................... 33

3. Quelle est la solution choisie et pourquoi ?................................................................................ 36

Phase n°2 : Introduction de l’abattement spécial pour conjoint en 1987 ........................................... 38

1. Les problèmes posés .............................................................................................................. 38

2. Les mesures proposées........................................................................................................... 42

3. Quelle est la solution choisie et pourquoi ?................................................................................ 44

Phase n°3 : Suppression de la partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint en 2004...... 47

1. Les problèmes posés .............................................................................................................. 47

2. Les mesures proposées........................................................................................................... 51

3. Quelle est la solution choisie et pourquoi ?................................................................................ 54

Le conjoint, une personne à charge comme les autres ? .................................................................. 55

1. Analyse comparative de l’évolution des montants de l’abattement pour conjoint et de l’abattement

pour charge de famille...................................................................................................................... 55

2. Analyse de l’évolution des sous-catégories de l’abattement pour conjoint et de l’abattement pour

charge de famille ............................................................................................................................. 60

Partie 2 : Le « pourquoi » du changement ........................................................................... 63

Hypothese n°1 : L’EVOLUTION DES ABATTEMENTS POUR CONJOINT EST-ELLE AUTONOME OU DEPENDANTE DE

LA POLITIQUE FISCALE GENERALE ?........................................................................................................ 66

1. Les abattements pour conjoint : des outils d’ajustements fiscaux comme les autres ...................... 66

5

2. Pourquoi choisir d’agir sur la pression fiscale a travers un instrument tel que les abattements pour

conjoint ? ........................................................................................................................................ 70

Hypothèse n°2 : L’EVOLUTION DES ABATTEMENTS POUR CONJOINT S’EXPLIQUE-T-ELLE PAR LA PRISE EN

COMPTE DE PROBLEMES JUGES ‘TECHNIQUES’ OU PAR LA MISE EN CAUSE DE LEUR CARACTERE EQUITABLE ?76

1. La mise en problème du « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » .............................. 78

2. Le problème de la double voire de la triple jouissance d’un abattement humain de base................ 85

3. Vers une perte progressive de l’attrait de la logique de l’abattement ?.......................................... 91

Hypothèse n°3 : L’EVOLUTION DES ABATTEMENTS POUR CONJOINT EST-ELLE PORTEE PAR L’ENTREE EN

SCENE DE NOUVEAUX ACTEURS OU PAR LA MODIFICATION DU CADRE COGNITIF D’ACTEURS DEJA PRESENT ? 93

1. Vers une correction progressive des biais de genre des politiques publiques grâce à l’émergence de

l’administration chargée de promouvoir l’égalité homme-femme ........................................................... 95

2. Vers la mise en évidence des effets désincitatifs du système fiscal sur la pleine « mise en valeur » de

la main d’œuvre féminine par des acteurs économiques confrontés à un manque de ressources humaines

……………………………………………………………………………………………………….103

Hypothèse n°4 : Le MODELE FAMILIAL JAPONAIS EVOLUE-T-IL AU GRE DES HAUTS ET DES BAS DU

MOUVEMENT CONSERVATEUR OU DES PREOCCUPATIONS ECONOMIQUES?............................................... 108

1. Que nous apprennent les abattements pour conjoint de l’évolution du modèle familial promu par l’Etat

japonais ? ..................................................................................................................................... 108

2. Renforcement de la politique familiale sous l’influence du conservatisme japonais : l’exemple de la

« société-providence à la japonaise » (années 1980)........................................................................ 111

3. Eloignement du modele familial de l’après-guerre (années 1990-2000)...................................... 118

CONCLUSION................................................................................................................................. 123

Table des illustrations...................................................................................................................... 128

Annexes........................................................................................................................................... 131

Bibliographie.................................................................................................................................... 147

6

7

INTRODUCTION

« Japan’s tax system, like that of many other advanced economies, has implicitly compensated women for not fully participating in the workforce. This is because tax systems were originally designed to treat families, rather than individuals, equally. […] Reducing these tax distortions could encourage more married women to seek full-time employment.”

Ces propos extraits du rapport du FMI “Can women save Japan?”1 (Oct. 2012) sont

significatifs d’un débat qui a débuté il y a une dizaine d’années : faut-il supprimer du système

fiscal japonais l’abattement pour conjoint ? Ce dernier, et son proche cousin, l’abattement

spécial pour conjoint, sont régulièrement mis en cause par deux types d’acteurs aux projets

différents: les organismes tels le FMI qui œuvrent à la « mise au travail » des femmes, et les

groupes féministes, davantage concernés par les « biais de genre » des politiques publiques

existantes. Si l’on en croit les analyses économétriques disponibles, ces abattements n’ont de

fait que peu d’impact sur l’actuel taux d’emploi des femmes japonaises : leur suppression, à

elle seule, ne devrait pas faire du Japon un pays bien différent de celui qu’il est aujourd’hui. Il

ne fait néanmoins pas de doute que la survivance de ces abattements, conjuguée à celle

d’autres mesures similaires (pension de veuvage, droits dérivés, etc.), participent à la position

périphérique des femmes japonaises sur le marché du travail.

Ce mémoire se penche sur l’instrument fiscal qu’est l’abattement pour conjoint2. Nous

n’aurons pas de point de vue normatif sur ce sujet qui suscite beaucoup de controverse. Nous

aborderons ce sujet sous un angle différent, celui de l’analyse des politiques publiques. Ayant

été initialement attirée par ce sujet pour ce qu’il nous raconte de l’évolution de la politique

familiale japonaise, il nous a paru pertinent de l’aborder historiquement et selon une

problématique du changement. Notre question de départ est la suivante : dans quelle mesure,

le système d’abattement pour conjoint, mis en place à partir de l’année fiscale 1961 et

remanié plusieurs fois par la suite, a-t-il évolué ? Quels sont les principaux facteurs qui

expliquent les changements observés ? Ce sont donc le « quoi » et le « pourquoi » du

changement qui seront les deux points d’entrée de ce mémoire.

1 Rapport qui a probablement influencé la « stratégie de croissance » du Premier Ministre actuel (Mai 2013) Abe Shinzô. 2 Un abattement pour conjoint existe pour l’impôt sur le revenu et l’impôt local. Nous ne nous sommes pas préoccupés de ce dernier, les réflexions faites sur l’un étant valide pour l’autre.

8

1. INTERETS DU SUJET

« Il existe des objets de recherche, des thématiques vers lesquels on ne se porte pas spontanément ; a priori, la fiscalité (comme la gestion) peuvent entrer dans cette catégorie (il suffit de parcourir le code général des impôts ou simplement de remplir sa déclaration annuelle pour s'en convaincre). Pourtant, ces objets méritent d'être étudiés. »

Je ne peux qu’être d’accord avec ce commentaire d’Olivier Cléach (2010). Si l’étude

d’un micro-sujet tel que l’abattement pour conjoint peut, a priori, paraître rebutante, elle se

révèle être tout particulièrement intéressante par les différentes montées en généralité qu’elle

permet. Que ce soit la mise en évidence des biais de genre des politiques fiscales, l’analyse

du processus de changement sur temps long ou la révélation de la place faite aux femmes au

sein de la société japonaise, les intérêts théoriques ne manquent pas.

1) Intérêt théorique n°1 : une plongée dans le « genre » de la fiscalité

Comme le signale très bien Jane Jenson dans son article « Les politiques publiques

ont-elles un genre ? » (2006), historiquement, les politiques avaient un genre explicite : elles

maintenaient les femmes dans un rôle de dépendance et de soumission à l’égard des hommes.

Aujourd’hui, si l’égalité de droit a été obtenue, il n’en reste pas moins que les politiques

publiques ont toujours un genre, moins explicite cette fois-ci. La pseudo-neutralité des

politiques cachent une réalité où le référent – le citoyen dit « ordinaire » – sur lequel se

basent les décideurs politiques pour mener une réforme a souvent été un homme ayant une

famille à charge (« le bon père de famille »). Les travaux portant sur les Etats-Providences ont

mis en avant ces biais en faveur d’un modèle familial souvent ‘traditionaliste’ où le droit des

femmes à la Sécurité Sociale a avant tout été pensé comme dérivant de leur statut de mère ou

de femme dépendante, et rarement comme le fruit de leur travail. Si les chercheuses

féministes ont depuis longtemps mis en avant ce biais sexiste des politiques publiques, les

acteurs politiques ont des difficultés à admettre que le modèle républicain de l’intérêt général

était de fait largement biaisé en faveur des seuls intérêts des hommes.

La fiscalité est, au même titre que les politiques sociales, sujet à des biais de genre (de

l’anglais « gender bias »).

Si les structures fiscales ont un impact sur les choix des femmes à l’égard de l’entrée

(ou du retour) sur le marché du travail, les différentes études qui ont tenté de l’objectiver

n’ont pas abouti à des résultats concluants. Peu d’entre elles établissent une corrélation forte

entre le degré de « gender friendlyness » du système fiscal et la réalité de la structure

9

d’emploi des femmes (notamment le taux d’emploi partiel) – l’exemple le plus frappant étant

la France3 . L’enchevêtrement de politiques sociales et fiscales, aux incitations parfois

contraires, permet d’expliquer de tels résultats. C’est avec cette réalité à l’esprit que je me suis

engagée dans cette recherche. L’abattement pour conjoint n’est pas « la » mesure qui

contribue le plus à la position périphérique des femmes sur le marché du travail

japonais. Si « toutes choses égales par ailleurs » l’abattement pour conjoint a eu et continue

d’avoir un impact négatif sur la reprise du travail à temps plein des femmes, d’autres mesures

sociales, telles que les droits sociaux dérivés4, ont aujourd’hui un effet « trappe à inactivité »

plus important que celui de l’abattement pour conjoint. S’il n’est pas (ou n’est plus… comme

nous le verrons par la suite) la raison principale de la situation actuelle des femmes

japonaises, il n’en garde pas moins tout son intérêt scientifique. Une analyse sur temps

long permet ainsi de distinguer différentes phases quand à son impact sur les choix

économiques des femmes. Par ailleurs, l’abattement pour conjoint étant un des nombreux

exemples d’action publique contribuant à favoriser le modèle familial de l’homme

pourvoyeur et de la femme au foyer, son étude ne peut qu’enrichir les études sur le genre. Si

son impact économétrique en termes de désincitation à rejoindre le marché du travail est

difficile à déterminer, il ne faut pas oublier qu’il a également un impact indirect sur l’activité

des femmes. L’abattement pour conjoint, avec les prémisses de division sexuée du travail

qu’il porte en lui, participe au façonnement de l’image de la société japonaise et de la famille

japonaise ‘normale’ : une famille où la femme reste principalement au foyer.

2) Intérêt théorique n°2 : une plongée dans le processus de changement sur temps long

L’abattement pour conjoint est une thématique qui a souvent été traité par les

chercheurs(euses) s’intéressant au lien entre politique sociale (au sens large) et travail des

femmes. Les disciplines les plus mobilisées jusqu’à présent sont ainsi l’économie et les études

sur le genre. Si l’approche économique s’intéresse à l’impact des incitations fiscales sur les

préférences des femmes quant à leur retour sur le marché du travail, les approches plus axées

3 France, qui, malgré la mise en place d’un système d’imposition conjointe avec quotient familial, voit son taux d’emploi des femmes ‘anormalement’ (si l’en se limite aux prévisions) élevé qui se caractérise notamment par une proportion importante d’emplois à temps plein. 4 Les droits sociaux dérivés « désignent certains droits à prestations sociales dont bénéficie une personne en vertu d'un lien avec un assuré social » (en opposition avec le terme « droits sociaux propres »). Les bénéficiaires sont appelés « ayants-droits », ce sont souvent les enfants du principal assuré ou son conjoint. [VEZIN-DAVID Rachel, Résumé de la thèse de doctorat de droit présentée par Rachel VEZIN-DAVID, [En ligne]. URL : http://www.observatoire-retraites.org/index.php?id=182 (Consulté le 30 avril 2013)]

10

sur le « genre » tentent de mettre à jour les « biais » sexistes de la politique fiscale. Le plan

classique suivi par ces travaux consiste, dans un premier temps, à mettre en évidence, chiffres

à l’appui, les effets pervers des abattements pour conjoint, puis, dans un second temps, de

proposer un mécanisme fiscal susceptible de les remplacer voire de proposer leur suppression

pure et simple. Pour résumé, si ces travaux effectuent une prise de distance critique vis-à-vis

du sujet d’étude, rares sont ceux qui ne proposent pas de ‘solution’ au ‘problème’. La plupart

des articles sont normatifs et proposent des « solutions »5. Comme le montre ce rapide

éventail des approches mobilisées par la littérature existante, l’approche en termes d’action

publique et d’analyse des politiques publiques n’a absolument pas été abordée jusqu’à présent,

alors même qu’elle offre d’excellentes opportunités de recherche. Elle permet notamment de

renouveler les questionnements sur un sujet déjà largement traité par la littérature existante6.

Au Japon, cette absence générale de travaux en science politique adoptant un questionnement

sociologique peut en partie s’expliquer par fait que la plupart des sections de science politique

sont rattachées aux départements de droit des universités.

Nous avons choisi une perspective différente, compréhensive qui aborde

l’abattement pour conjoint selon la problématique du changement, approche très

courante de l’analyse des politiques publiques et de la science politique en général. Deux

interrogations nous importeront tout particulièrement. La première s’interroge sur la

définition même de ce qui peut être considéré comme un changement. En quoi consiste-t-il ?

A partir de quand peut-on affirmer qu’il y a, ou non, changement ? La seconde question est

celle des raisons du changement. Pourquoi y-a-t-il eu changement ? Quels en ont été les

principaux facteurs ?

A la première question, la plupart de la littérature existante se limite à distinguer trois

moments : la création de l’abattement pour conjoint en 1961, l’introduction de l’abattement

spécial pour conjoint en 1987 et la suppression de la partie supérieure de l’abattement spécial

pour conjoint en 2004. Ces trois moments de changement correspondent chacun à une

modification de la structure générale des abattements pour conjoint. Ces réformes ont fait

l’objet d’une couverture médiatique7 (article de journaux) et d’un discours politique. S’il est

compréhensible que l’attention des chercheurs se concentre sur ces ‘grandes réformes’, on ne 5 Pour donner un exemple, c’est le cas des travaux d’Endô Michi et du mémoire de Kitamura Miyuki [cela ne retire rien à l’intérêt de l’analyse effectuée] 6 La littérature à laquelle je fais allusion est exclusivement japonaise. Certains articles en langue anglaise et française abordent certes l’abattement pour conjoint mais cela ne dépasse jamais une dizaine de lignes. En français, on trouve mention de l’abattement pour conjoint dans l’article de Bernard Thomann sur l’évolution de l’emploi féminin. 7 Pour ce qui est des réformes de 1987 et 2004 _ je n’ai pas eu accès aux articles de journaux de 1960-1961 (la plupart des bases de données n’allant pas plus loin que les années 1980)

11

peut s’en contenter car elles ne donnent qu’une chronologie réductrice de processus plus

complexes. L’évolution incrémentale de cet instrument fiscal qu’est l’abattement pour

conjoint est en fait peu mentionnée par la littérature8. Ainsi, rares sont ceux qui mentionnent

l’augmentation progressive du montant de l’abattement pour conjoint ou la modification des

conditions d’éligibilité qui sont autant de ‘petits changements’ incrémentaux ayant conduit à

des modifications significatives de l’abattement pour conjoint. Sans une analyse attentive de

ces changements incrémentaux, la progressive équivalence entre l’abattement pour conjoint et

l’abattement pour charge de famille ne serait pas apparue au grand jour. Mais pour cela,

encore faut-il prendre au sérieux l’aspect technique de ces dispositifs fiscaux. Se plonger dans

les détails techniques d’un tel instrument fiscal éclaire d’un nouveau jour la politique mise en

œuvre.

Quant à la seconde interrogation (le « pourquoi » du changement), la littérature

existante n’effectue pas d’analyse systématique des facteurs de l’évolution du système

d’abattement pour conjoint. Un grand nombre d’articles évoquent, ici et là, le « contexte »

(背景) qui a porté le changement : l’évolution du taux d’emploi des femmes, le creusement de

l’écart entre la diversité des situations familiales japonaises ou le modèle familial unique qui

tient lieu de prémisse à l’abattement pour conjoint (un pourvoyeur et sa femme, au foyer).

Mais les analyses restent parcellaires. Par ailleurs, ces travaux se prononçant pour ou contre la

suppression de l’abattement pour conjoint, la mention du contexte est à la fois une simple

évocation des facteurs du changement et surtout un argument pour une poursuite (ou un refus)

du changement. Outre le manque de systématicité de ces analyses qui conduit à omettre un

nombre non négligeable de facteurs, les auteurs ne font pas l’effort de s’interroger sur les

vecteurs qui ont produit ces « contextes » de changement de la législation. Ainsi, aucune

réflexion n’est menée par exemple sur la mise sur agenda. Le présent mémoire espère

pourvoir combler ce vide.

Pour mener à bien cette tâche, l’adoption du temps long comme temporalité sujette à

l’analyse s’est avérée nécessaire. Dans leur article sur la « temporalité et [les] changements[s]

de politique publique », C. Hoeffer, C. Ledoux et P. Prat (2010, p.59) désignent la longue

durée comme « l’espace temporel qui dépasse celui encadrant l’action humaine individuelle

pouvant exister dans une institution publique », soit plus de 30 ans. La présente analyse de

l’abattement pour conjoint qui traverse plus de la moitié d’un siècle prend donc clairement le

pari de s’inscrire dans la longue durée. L’intérêt du temps long dans l’analyse du changement

8 A l’exception notable de quelques chercheuses telles que Sugii Shizuko (1990) et Kitamura Miyuki, (2007)

12

réside principalement dans le fait qu’il permet « d’éviter le monisme causal des explications

qui tenteraient de tout démonter soit par les jeux d’acteurs, soit par les idées » (Ibid. p.70).

3) Intérêt théorique n°3 : Un révélateur de la place faite aux femmes au sein de la société japonaise

Une politique publique ou fiscale nouvellement créée répond à des enjeux qui lui sont

contemporains. Le non-renouvellement régulier de la politique peut contribuer à la naissance

de « dissonances », cette dernière n’étant plus parfaitement adaptée à la situation économique

et sociale du pays. Les dissonances se multipliant, une réforme devient possible voire

nécessaire. Ce cycle relativement courant en politique publique nous offre un schéma simple

des changements sociaux auxquels la société fait face. Mais ce modèle est insuffisant. Les

politiques publiques sont sélectives : elles ne prennent en compte qu’une partie de la réalité

sociale. Le contexte économique et social est certes le matériau à partir duquel s’élabore

l’action publique mais il appartient au pouvoir politique de déterminer ce qui, parmi ces

éléments, mérite d’être soutenu, promu, etc. Entre l’image qu’ont les politiques de la société

et la réalité sociale de cette dernière, les écarts sont parfois considérables. La « réalité » telle

que saisie par les politiques est une lecture basée sur l’idéal sociétal poursuivi par ces derniers.

Analyser une politique publique permet ainsi de mettre à jour, à la fois, une partie du contexte

social mais aussi les modèles plus ou moins explicites qui sont portés par les élites politiques,

à un temps donné.

Pour ce qui est de l’abattement pour conjoint, nous nous intéresserons tout

particulièrement au modèle familial qui lui tient lieu de prémisse : un homme salarié marié à

une femme au foyer. La fin des années 1950 voit naître une tendance lourde :

l’industrialisation du pays. Jusqu’alors, le secteur primaire concentrait la majorité de la

population active et les femmes participaient aux tâches agricoles en tant qu’ « aide

familiale ». L’industrialisation et l’exode rural qui l’accompagne produit un autre modèle

familial : le lieu de travail se distinguant progressivement du lieu de vie, la femme ne peut

plus « aider » au travail du mari et devient progressivement une femme au foyer (専業主婦).

La contribution de la femme au travail de son mari prend alors une autre forme : la

participation directe est remplacée une participation indirecte. La femme se charge de toutes

les affaires de la maison (ménage, soins aux enfants) afin que son mari puisse se concentrer

exclusivement sur son travail et retrouver, une fois rentré, un espace ‘paisible’ qui lui

permettra de se reconstituer sa force de travail pour la journée suivante. Si l’idéal de la femme

13

au foyer existait depuis la fin du 19ème siècle (modèle du 良妻賢母 – « good wife, wise

mother »), seule la croissance économique de la seconde moitié du XXème siècle permet sa

généralisation aux classes moyennes9.

Le ralentissement économique de la seconde moitié des années 1970 modifie ce

modèle familial largement accepté. L’évolution des caractéristiques d’emploi des femmes

mariées conduit à l’apparition de dissonances croissantes avec l’abattement pour conjoint. Les

« problèmes » sont de plus en plus visibles. La réaction des sphères politiques et

administratives à ces dissonances grandissantes fera l’objet d’un traitement approfondi dans le

présent mémoire. Aux intérêts théoriques évoqués précédemment, se rajoute ainsi un

intérêt sociologique ; l’analyse de l’abattement pour conjoint conduisant à une prise en

compte de l’évolution de la condition des femmes (mariées) japonaises.

2. CADRAGE THEORIQUE

Nous avons précédemment évoqué comment la littérature japonaise sur l’abattement

pour conjoint traitait ce dernier sous l’angle du changement [1. 2)]. La présente section se

tourne quant à elle vers la littérature en science politique qui fait du changement sa

problématique principale. Nous avons choisi de restreindre ce panorama aux approches qui

nous paraissent les plus mobilisables pour le traitement de notre sujet. Pour un état de la

littérature plus complet, je conseille la lecture de Palier et Surel (2010) et de Hassenteufel

(2011)10.

La littérature d’action publique s’est beaucoup intéressée aux « dimensions du

changement » : Y a-t-il des types de changements ? Le travail de Peter Hall, qui distingue

des changements de premier ordre (changement dans le mode d’utilisation d’un instrument),

de deuxième ordre (création de nouveaux instruments) et de troisième ordre (changements des

objectifs de la politique publique) est souvent repris par la littérature. La seule approche de

Hall et ses ‘dimensions du changement’ ne nous serait pas d’une grande utilité, notre sujet

n’étant pas une politique publique au sens large mais un instrument fiscal. La contribution de

Hassenteufel est en cela précieuse : elle complète la typologie de Hall, retravaille les liens

d’interdépendance entre types de changements et retire l’aspect hiérarchique très présent chez

Hall. Hassenteufel retient quatre dimensions principales du changement : les instruments (que

9 Le Japon s’auto-considérant comme une « société classe-moyenne », le modèle devrait être accessible à tous… 10 Cette section se base principalement sur les articles suivants : PALIER Bruno et SUREL Yves (2010) et HASSENTEUFEL Patrick (2011). Des deux, l’article de Palier et Surel est le plus complet ; il retrace l’histoire des diverses approches qui ont parcouru les travaux sur le changement en science politique.

14

ce soit dans leur usage ou leur création), les acteurs (renforcement, affaiblissement,

émergence, disparition), le cadre d’interaction (institutions), et l’orientation de la politique

publique (hiérarchie des objectifs et systèmes de représentation). Un changement sur un de

ces aspects ayant des chances de contribuer à un changement chez d’autres (p.247).

Une partie conséquente de la littérature sur le changement s’est attachée à mettre

en évidence le « non-changement » ou tout du moins les obstacles au changement.

L’incrémentalisme (Lindblom) soutient que les changements, si changement il y a, sont

incrémentaux : ils se font par « petits pas ». La rationalité limitée des acteurs et leur diversité

expliquent selon Lindblom la difficulté de se démarquer du statut quo existant. Plus tard, la

théorie de la « path dependency »11 (Pierson, 2004) insistera également sur la nature

incrémentale des changements. Hassenteufel décrit la « path dependency » de la façon

suivante : « un processus d’auto-renforcement d’un choix initial dont l’irréversibilité croit

avec le temps ». Insistant sur la nature conservatrice des institutions (au sens large12), Pierson

insiste sur la difficulté, voire l’impossibilité, de revenir sur les choix passés13. La construction

d’intérêts autour de la politique, le coût de l’investissement initial, la présence de « verrous

cognitifs » (incapacité de penser une solution autre que celle existante) et la présence de

« veto points » sont autant de facteurs qui favorisent le statut quo. Ces deux théories

considèrent les changements incrémentaux comme des changements de degré faible. On verra

que cette affirmation sera par la suite contestée (Streeck & Thelen, 2005).

Qu’elles s’intéressent à des changements incrémentaux, radicaux ou bien à leur

alternance, les théories du changement font rarement l’impasse sur les raisons du

changement. Certaines théories insistent sur des facteurs exogènes à la politique et aux

acteurs concernés par cette dernière. La théorie du choix rationnel postule que toute

politique publique naît des interactions entre acteurs cherchant à maximiser leurs intérêts. Les

préférences de chacun n’étant pas sujettes à changement (autre prémisse de la théorie), tout

changement de la politique ne peut provenir que d’une modification des rapports de force

entre acteurs [=facteur exogène] ou d’une modification des anticipations des ces derniers. Les

théories qui insistent sur le « contexte », qu’il soit international ou de crise, participent à cette

littérature des facteurs exogènes. Les théories des dynamiques internationales de changement

et de la convergence internationale sont particulièrement fécondes. Si certains auteurs

11 Souvent traduit par « dépendance au sentier emprunté » 12 Institution (Pierson reprend une définition de North) = “the rules of the game in a society or, more formally,… the humanly devised constraints that shape human interaction” [Cité par Pierson (2004) p.27] 13 Exemple : une fois choisi le système de retraite par répartition, il est difficilement envisageable de revenir du jour au lendemain à un système par capitalisation.

15

postulent un « transfert » des normes internationales aux niveaux nationaux, d’autres abordent

la question sous l’angle de la « traduction », sous-entendant qu’un processus de reformulation

a lieu au niveau national. Pour les meilleurs d’entre eux, la réflexion sera poussée jusqu’à

l’analyse des acteurs qui reprennent à leur compte la direction lancée par les instances

internationales. Les théories de l’apprentissage sont quant à elles intéressantes pour expliquer

certains changements limités et incrémentaux. Des auteurs comme Bennett et Howlett

distinguent le processus de « governement learning » (= ajustement des instruments face à

l’apparition de problèmes et autres « dissonances ») du processus de « lesson-drawing »

(=refonte partielle de l’appréhension du problème). L’apparition de « problèmes » et de

dissonances étant à l’origine du changement, c’est encore une fois le facteur exogène qui est

privilégié dans l’explication du changement. Enfin, la théorie de Hall (1993) sur le

changement paradigmatique, et plus généralement les théories insistant sur l’importance des

idées, peuvent aussi être classées dans cette catégorie. Hall définit le paradigme de la façon

suivante : “framework of ideas and standards that specifies not only the goals of policy and

the kinds of instruments that can be used to attain them, but also the very nature of the

problems they are meant to be addressing”. Le passage du paradigme keynésien au paradigme

néolibéral est un exemple de changement de paradigme. C’est l’accumulation de

« dissonances » (ex : la stagflation) auxquelles le paradigme existant ne parvient pas à faire

sens qui conduit à un changement de telle ampleur.

De façon complémentaire aux théories que l’on vient d’évoquer, d’autres

approches abordent le « pourquoi » du changement sous l’angle des facteurs endogènes.

De façon générale, les travaux qui se focalisent sur l’interaction entre les acteurs peuvent être

classés dans cette catégorie. Le rôle des « acteurs intermédiaires » a été particulièrement mis

en lumière. Ces acteurs, bien que n’étant pas en mesure d’effectuer le changement par eux-

mêmes, ont un rôle cognitif important auprès des autres acteurs ; ce sont des « passeurs ».

Quant à la théorie des « équilibres ponctués » de Baumgartner et Jones (2009), le changement

provient d’un processus de construction/destruction de monopoles politiques, monopoles qui

portent à la fois autant sur « l’image » de la politique que sur les acteurs qui sont légitimes à

agir sur cette dernière. La mise en cause du monopole de l’un rend difficile le maintien du

monopole de l’autre. Ainsi « une modification des perceptions ou des institutions dominantes

entraîne en effet des changements rapides et radicaux » (Palier&Surel, 2010). Pour résumer, à

des phases de stabilité (monopole incontesté) se succèdent des périodes brèves de

changements rapides. Toujours dans la catégorie des travaux qui privilégient une approche en

termes de facteurs endogènes, on trouve les travaux qui prennent le problème par l’angle des

16

institutions. C’est notamment le cas de l’incrémentalisme et du path dependency, théories que

nous avons déjà abordées précédemment. Toujours dans le même registre mais dans une

posture opposée à ces deux dernières, l’approche du changement incrémental développée par

Streeck et Thelen (2005). Streeck et Thelen remettent en cause les théories qui ne voient que

du ‘petit’ changement dans les changements incrémentaux. A la vision « inerte » des

institutions, ils préfèrent y voir des lieus de lieu de changements, certes incrémentaux, mais

qui, à terme, peuvent avoir des effets transformateurs importants.

A la lecture de cette littérature très riche, nous en avons retiré deux questionnements

principaux : à partir de quand peut-on affirmer qu’il y a changement [Partie 1] ? Et, quels

sont les facteurs du changement [Partie 2] ? Malgré une apparente simplicité, ces questions

sont toutes deux particulièrement intéressantes.

Le « changement » souvent promis et annoncé par les hommes politiques a-t-il de fait

vraiment eu lieu ? Que ce soient les consensus rendus nécessaires par un manque de majorité

(processus de décision) ou le conservatisme de la bureaucratie face à un paradigme nouveau

(processus de mise en œuvre), les angles par lesquels le changement promis est

progressivement dénué de toute substance sont potentiellement infinis14. Pour l’instrument

fiscal qui nous concerne, les moments du changement peuvent a priori paraître évidents : les

réformes de 1961, 1987 et 2004. Pourtant, une analyse fine d’éléments qui sont généralement

passés sous silence par la littérature existante (montant des abattements, sous-catégories des

abattements pour conjoint et des abattements pour charge de famille) permet de reconstituer

une toute autre histoire. Si les trois grandes réformes restent des moments forts du

changement, toutes trois n’ont pas mené à un changement de même ampleur et d’autres

changements, incrémentaux cette fois, les ont accompagné.

Pour ce qui est des raisons du changement, là encore la réponse est plus complexe

qu’il n’y paraît. Si les théories existantes ont souvent tendance à se focaliser sur une

explication causale15, la réalité est souvent moins mono-causale, et ce d’autant plus qu’on

traite une politique ayant plus d’un demi-siècle. C’est pourquoi, nous avons décidé de ne pas

forcer notre sujet à « rentrer » dans une explication mono-causale et préféré enrichir notre

réflexion de l’ensemble des théories disponibles. Les théories mobilisées sont diverses ; nous

les évoquerons à mesure du développement. De façon générale néanmoins, l’approche par les

14 Je conseille à ce sujet la lecture du livre de Marylène Lieber (2008) qui traite de l’échec patent du projet de « sécurité au féminin » promu par B. Delanoë lors des élections à la mairie de Paris. 15 C’est surtout vrai pour la littérature américaine.

17

« trois i » de Surel et Palier – théorie qui a le mérite de réunir des réflexions souvent

dispersées – ainsi que la littérature sur le « genre » et la société japonaise seront

particulièrement mobilisés.

De cet aperçu des principales contributions de la littérature existante à la question du

changement, nous en avons tiré quatre hypothèses qui vont nous permettre d’aborder sous des

angles différents les nombreux enjeux de l’abattement pour conjoint. Les voici :

- H1 - Les abattements pour conjoint sont-ils autonomes ou dépendants de la politique

fiscale générale ?

- H2 - Comment expliquer le mouvement de remise en cause et de rectification

régulière des abattements pour conjoint ? Par la prise en compte de problèmes jugés

‘techniques’ et pouvant être résolus techniquement (A) ; ou, par la prise en compte de

problèmes qui mettent en cause le caractère équitable de l’instrument (B) ?

- H3 - La transformation des abattements pour conjoint est-elle portée par l’entrée en

scène de nouveaux acteurs (A) ou par la modification du cadre cognitif d’acteurs déjà

présents (B) ?

- H4 - L’évolution du modèle familial telle que révélée par les abattements pour

conjoint suit-elle le cours du mouvement conservateur japonais (A) ou l’évolution des

besoins économiques et de main-d’œuvre du pays (B) ? Autrement dit, est-elle

poussée par des arguments idéologiques ou pragmatiques ?

3. METHODOLOGIE

1) Sources primaires et secondaires

Les sources primaires sur lesquelles se base le présent mémoire sont les rapports de la

Commission fiscale japonaise16 et l’enregistrement des débats de cette dernière quand

disponibles (à partir des années 2000). Aux rapports de la Commission fiscale se rajoutent

d’autres rapports administratifs, des publications provenant principalement des

administrations chargées de la promotion de l’égalité homme-femme mais également

d’administrations économiques. Enfin, j’ai pu m’entretenir avec des anciens membres de la

Commission fiscale, M. Tajika Eiji [田近栄治 ], professeur à l’université d’Hitotsubashi

16 Pour plus de précisions, voir [Partie 1, Réforme de 1961]

18

spécialiste de politique fiscale, et Mme. Nagase Nobuko [永瀬伸子], professeur à l’université

d’Ochanomizu spécialiste de l’emploi des femmes.

Les articles scientifiques (hors articles de journaux, sauf exception) à traiter de

l’abattement pour conjoint et de l’abattement spécial pour conjoint ont constitué la majeure

partie des sources secondaires sur lesquelles ce mémoire prend appui (pour la liste des titres –

en japonais – voir Annexe 1). Surtout très utiles au début de la recherche pour obtenir des

informations et formuler quelques hypothèses, leur intérêt s’est progressivement atténué à

mesure que les recherches progressaient pour finalement être utilisées comme mesure de

l’intérêt porté à l’abattement pour conjoint [voir le graphique ci-joint].

Figure 1: Nombre d'articles scientifiques traitant de l'abattement pour conjoint et/ou de l'abattement spécial pour conjoint

Graphique n°1 _ Nombre d'articles scientifiques traitant de l'ab attement pour conjoint et/ou de l'abattement spécial pour conjoin t

0123456789

1966

1968

1970

1972

1974

1976

1978

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

2010

Année

Le graphique ci-dessus permet de se faire une idée de l’intérêt variable qu’a eu

l’abattement pour conjoint dans la littérature scientifique. Avant de nous pencher plus

précisément sur ce dernier, une mise en garde s’impose. Les articles choisis pour figurer sur

ce graphique sont exclusivement des articles scientifiques ou des débats – et non des articles

de journaux – où l’on retrouve les termes « abattement pour conjoint » et/ou « abattement

spécial pour conjoint » dans le titre (à l’exception près des articles de 1966 et 1969 qui portent

sur des réflexions plus générales sur le statut de la femme). Ces articles ont été sélectionnés à

partir du moteur de recherche de la Bibliothèque de la Diète japonaise, bibliothèque dont les

fonds pour ce qui relève des politiques publiques sont importants. Il y a néanmoins des

risques que tous les articles scientifiques parus au sujet des abattements pour conjoint n’aient

été répertoriés, et ce d’autant plus que leur date de parution est ancienne. N’ayant nous-

19

mêmes lu qu’une partie des 50 titres répertoriés, il y a un risque – minime mais existant – que

certains articles ne traitent pas de l’abattement pour conjoint sur l’IRPP mais sur un autre

impôt (ex : impôt sur la succession). Néanmoins, nous avons là un échantillon aussi

représentatif que possible.

De ce graphique, plusieurs conclusions peuvent être tirées. Tout d’abord, il semblerait

que l’abattement pour conjoint n’ait pas été un sujet de débats ou de recherches avant les

années 1990. L’introduction de l’abattement spécial pour conjoint fait à peine l’objet d’un

traitement (hors articles de journaux). On note deux pics d’intérêts : l’un en 1997 et l’autre en

2002. Pour ce qui est du premier, il faut savoir que la seconde moitié des années 1990 voit

naître un intérêt grandissant pour les questions relatives au travail des femmes. C’est aussi un

moment de renforcement de la machinerie de promotion de l’égalité homme-femme. Pour ce

qui est du pic de 2002 et des années qui suivent, il répond à l’impact de la suppression de la

partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint décidée en 2002 et effective à partir de

l’année fiscale 2004.

2) Difficultés rencontrées

La première difficulté à laquelle j’ai été confrontée est l’accès aux sources. Travailler

sur un instrument de politique fiscale datant de plus d’une cinquantaine d’années ne peut que

rendre l’accès aux sources difficile. Si les rapports de la Commission fiscale sont disponibles

en accès direct à la Bibliothèque Nationale de la Diète et en version électronique sur internet

pour les années 2000, ce n’est pas le cas de l’enregistrement des séances de débats de la

Commission, qui, eux, ne sont disponibles que pour les années 2000. L’intérêt que représente

l’accès aux enregistrements des débats est inestimable. Ils apportent un aperçu du

déroulement des débats et de l’enchaînement des idées qui ne nous est pas forcément donné

de voir dans les rapports – version conclusive des débats rédigée par le ministère des Finances

après vérification des membres de la Commission17. C’est ainsi grâce à la lecture du script des

débats que j’ai pu avoir accès aux différents arguments développés par les membres de la

Commission au sujet de la réforme de l’abattement spécial pour conjoint de 2004. Car il faut

bien le dire, tous les arguments prononcés lors des débats n’ont pas été intégré au rapport

final : les répliques ‘réactionnaires’ de certains et la méconnaissance des autres sont autant de

17 Information obtenue avec le professeur Nagase Nobuko et confirmée par les débats de la Commission : ils discutent du projet de rapport, et le modifient.

20

points de vue qui ne sortent pas des murs de la Commission alors même qu’ils sont d’un

intérêt évident pour comprendre l’évolution de l’abattement pour conjoint.

Le manque dû à l’impossibilité d’accès aux débats avant les années 2000 s’est

particulièrement fait sentir pour ce qui est de la réforme de 1987. Un de mes plus grands

regrets est ainsi de ne pas être parvenue à déterminer ce qui a mené la Commission à évoquer

le « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » dès le rapport de 1983. La présence

d’un « passeur », possiblement une personne du monde académique ou issue de

l’administration spécialiste des questions de travail des femmes, pourrait expliquer cet intérêt

précoce. L’accès aux débats étant le seul moyen qui aurait pu permettre de confirmer ou

d’infirmer cette hypothèse, le mystère reste entier.

Enfin, les rapports étant les seules sources qui me sont données d’avoir pour les

réformes de 1961 et de 1987, je n’ai eu d’autre choix que de me fier à eux pour développer

mon argumentation. Cette dépendance est une limite du travail. Comme on a pu l’évoquer

précédemment, les rapports ne disent pas tout : une partie des débats ne sont pas repris dans le

rapport. La discussion que j’ai eue avec le professeur Tajika fin avril a été très formatrice en

cela qu’elle m’a permis de prendre du recul avec la version officielle des rapports. M. Tajika

proposait une interprétation de l’introduction de l’abattement pour conjoint aux dépens de

l’introduction d’un système de quotient conjugal qui ne figure pas dans les rapports de la

Commission. Très « terre à terre », l’avantage comparatif de l’abattement pour conjoint

consiste pour lui en sa capacité de faire taire les critiques à moindre coût. L’expression qu’il

utilise « ocha o nigosu » (お茶を濁す) est une expression qui signifie « sauver les apparences

à titre provisoire 18». Si cela n’est qu’une opinion parmi d’autres, il demeure qu’elle met en

doute la véracité des rapports de la Commission et l’on est en droit de se demander dans

quelle mesure les véritables intentions (本音 – honne) des commissionnaires transparaissent

dans ces derniers. C’est avec cet avertissement à l’esprit que je me suis efforcée d’exploiter

les sources auxquelles j’avais accès.

La sociologie politique est une discipline très peu développée dans le champ

académique japonais. Ce manque de travaux en science politique à opter pour une approche et

un questionnement sociologique peut en partie s’expliquer par le rattachement des sections de

science politique aux départements de droit des universités. Ce constat explique pourquoi les

travaux abordant l’abattement pour conjoint ne s’interrogent pas sur des problématiques

18 お茶を濁すとは、いいかげんなことや適当なことを言ったりしたりして、一時しのぎにその場を取

り繕うこと。

21

d’action publique et se contentent bien souvent d’une argumentation normative quand bien

même ils veulent s’en détacher19. Pour se convaincre de la polarisation de la littérature

existante il suffit de jeter un coup d’œil aux titres des articles scientifiques parus : la plupart

mentionne le terme « suppression ». Si j’ai choisi de mentionner ces limites dans la partie

« difficultés rencontrées », c’est tout simplement parce que les interlocuteurs qui m’ont été

donné de rencontrer avaient eux-mêmes à l’esprit cette polarisation et ils ont pu se méprendre

sur mes intentions de recherche. Cela a probablement créé quelques biais dans les réponses

que j’ai pu obtenir.

Troisièmement, et c’est là où l’expression « last but not least » prend tout son sens, la

difficulté principale de ce mémoire a été de devoir effectuer les recherches avec pour seule

langue de travail le japonais. L’abattement pour conjoint n’est pas un sujet qui a été abordé

extensivement par la littérature anglaise et encore moins par la littérature française. Non

seulement les sources primaires (rapports) étaient en japonais, mais les sources secondaires

également (articles scientifiques). L’investissement de départ nécessaire à la réalisation de

cette recherche a été conséquente : non seulement il a fallu que je pose les bases du

fonctionnement de l’impôt sur le revenu, mais en plus il a fallu que je le fasse en japonais. Le

manque de connaissances techniques se rajoutant à la difficulté d’accès à la langue, le risque

de faire des contre-sens était particulièrement élevé. Si la lecture des rapports et autres articles

scientifiques a été rendu possible une fois les concepts de base et le vocabulaire technique

maîtrisés, il reste que je ne parvenais pas à les lire rapidement. Cette faiblesse a été source de

multiples frustrations car elle limitait l’ampleur des données auxquelles je pouvais avoir

accès : lire un rapport de quinze pages est une chose ; lire un livre sur la Commission fiscale

d’une centaine de pages en est une autre… Ce va-et-vient entre les deux langues était non

seulement un va-et-vient linguistique avec les problèmes de traduction que cela peut

impliquer, mais c’était également un va-et-vient technique entre deux systèmes fiscaux très

différents l’un de l’autre. Si l’acquisition du vocabulaire technique de base en japonais s’est

faite rapidement, j’ai dû parcourir le chemin inverse une fois engagée dans le processus de

rédaction. En effet, pour moi qui avais, pendant plusieurs mois, réfléchi à la fiscalité japonaise

en japonais, j’ai dû faire face à un problème de taille une fois engagée dans la rédaction à

proprement dite du mémoire. Outre la non-équivalence des systèmes fiscaux japonais et

français, c’est le manque de lecture de littérature fiscale en français qui a été, je pense, le

principal obstacle à une traduction des termes japonais en français. Lire des articles sur la

19 Je pense notamment au mémoire de Kitamura Miyuki

22

fiscalité française est un investissement de taille, investissement que je ne pouvais effectuer à

un mois de la remise du mémoire.

La première partie du mémoire abordera le « quoi » du changement. Après avoir

effectué un panorama des grands moments du changement (introduction de l’abattement pour

conjoint en 1961, introduction de l’abattement spécial pour conjoint en 1987 et suppression de

la partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint en 2004), nous nous tournerons vers

les changements incrémentaux, souvent oubliés par les travaux existants.

La seconde partie aborde quant à elle le « pourquoi » du changement et répondra aux

quatre hypothèses suivantes :

- H1 - Les abattements pour conjoint sont-ils autonomes (A) ou dépendants de la

politique fiscale générale (B)?

- H2 - Comment expliquer le mouvement de remise en cause et de rectification

régulière des abattements pour conjoint ? Par la prise en compte de problèmes jugés

‘techniques’ et pouvant être résolus techniquement (A) ; ou, par la prise en compte de

problèmes qui mettent en cause le caractère équitable de l’instrument (B) ?

- H3 - La transformation des abattements pour conjoint est-elle portée par l’entrée en

scène de nouveaux acteurs (A) ou par la modification du cadre cognitif d’acteurs déjà

présents (B) ?

- H4 - L’évolution du modèle familial telle que révélée par les abattements pour

conjoint suit-elle le cours du mouvement conservateur japonais (A) ou l’évolution des

besoins économiques et de main-d’œuvre du pays (B) ? Autrement dit, est-elle

poussée par des arguments idéologiques ou pragmatiques ?

23

Partie 1Partie 1Partie 1Partie 1

LE « QUOI » DU CHANGEMENT

24

25

Le « quoi » du changement

« Qu’est-ce que le changement ? ». A la fois évidente et complexe, c’est cette question

qui nous accompagnera tout au long de cette première partie.

Les trois premiers chapitres aborderont l’évolution des abattements pour conjoint à

travers une approche diachronique. Prenant appui sur les rapports de la Commission fiscale,

nous retracerons l’histoire de ces instruments fiscaux en prenant soin d’analyser la logique qui

conduit la Commission à proposer l’introduction ou la suppression d’un des abattements qui

nous concernent. Les trois grands moments du changement que sont les réformes de 1961, de

1987 et de 2004 sont des points de passage obligés. Nous les aborderons un à un en tâchant de

mettre en évidence les problèmes auxquels est confrontée la Commission (1) ainsi que les

différentes solutions proposées pour y remédier (2) avant de nous tourner vers la solution

retenue (3). En plus d’avoir le mérite d’être claire, cette structure est intéressante car elle

permet de reproduire au plus près le « récit » de l’adoption des abattements pour conjoint.

Nous veillerons tout particulièrement à conserver un œil critique sur les pérégrinations

intellectuelles de la Commission. L’usage fréquent des graphiques est à replacer dans cet

objectif. Si la mise en image permet de clarifier une réalité parfois complexe, elle est

également un excellent outil pour systématiser la réflexion et révéler les ‘failles’ du

raisonnement de la Commission. Ces dernières seront analysées plus en détail dans la seconde

partie de ce mémoire (le « pourquoi » du changement).

Si un nombre conséquent de chercheurs se satisfait de ce simple retour sur les trois

grands moments du changement, nous avons, pour notre part, fait le pari de nous plonger dans

la technicité de ces instruments fiscaux afin de mettre en évidence des changements moins

évidents, plus « lents » ; en bref, des changements incrémentaux (chapitre 4). Le pari est

réussi. Ce détour par l’aspect technique de ces dispositifs fiscaux (montants et sous-catégories

des abattements) offre un récit légèrement différent de celui qui nous est conté par les seuls

rapports de la Commission.

26

RETOUR SUR LA COMMISSION FISCALE

Nous nous sommes basés principalement sur les rapports de la Commission fiscale

pour bâtir la réflexion qui porte cette première partie. Pour comprendre l’intérêt de ces

rapports, un rapide tour d’horizon du rôle de la Commission fiscale (政府税制調査

会) s’impose.

La Commission fiscale est une commission rattachée à l’administration centrale du

Cabinet (内閣府)20. Elle est composée de civils, souvent des spécialistes de la fiscalité, mais

pas toujours. Elle « fait des recherches et délibère sur les points fondamentaux du système

fiscal en fonction de la consultation du Premier Ministre » (旧内閣府本府組織令 38条、40

条。旧税制調査会令). Une fois saisie par le Premier Ministre, la Commission débute les

débats, consultations et autres analyses pour publier un rapport dans l’année ou sous 3 ans s’il

s’agit d’une révision généralisée du système fiscal. Ishi Hiromitsu, dans son livre sur le

système fiscal japonais, met en lumière les différences qui existent entre la Commission

fiscale japonaise et son équivalent « occidental » (de fait principalement américain). Si la

Commission fiscale ‘occidentale’ est clairement orientée à gauche ou à droite (en fonction de

la couleur politique de la majorité), la Commission fiscale japonaise rassemble quant à elle un

nombre important d’intérêts divergents (elle rassemble notamment des représentants du

patronat et du salariat). Cette diversité des membres de la Commission complique la mise en

place d’un consensus, mais permet, une fois ce dernier atteint, une adoption sans heurt des

mesures proposées par la Commission, les principaux conflits latents ayant déjà été réglés.

C’était tout du moins le cas jusqu’aux années 1980.

This process, however, has recently changed with the interventions of the tax committee of the ruling party, the LDP (Jimintô)21 . […] The Tax Advisory Commission’s recommendations, which were adopted virtually intact a decade ago, have often been altered by the different views expressed within the LDP. Thus, the Tax Advisory Commission is inclined to exclude engineering features of tax proposals (ex: % of tax rates or the level of deductions) in order to avoid any possible conflicts with the LDP Tax Committee. Usually, its recommendations are merely made as a fundamental argument for tax reforms without supplying any concrete figures necessary to construct tax structures. The detailed framework of tax changes is politically decided by the LDP, not the Tax Advisory Commission.”

20 Elle a été supprimée en 2009 par le parti Minshutô (Parti démocrate japonais) nouvellement élu. 21 Il existe donc « la » Commission fiscale (gouvernementale) et la Commission fiscale du parti majoritaire, le Jimintô

27

Ishi place ce changement une dizaine d’années avant la parution de son livre, soit au

début des années 1980. Hanabuchi (2009) le place quant à lui, plus tôt, en 1973 précisément, à

l’arrivée de Tanaka Kakuei (politicien très influent du Jimintô) au poste de Premier Ministre.

Ce dernier utilisa de façon extensive la Commission fiscale du parti pour déterminer la

direction des réformes fiscales. Un autre politicien très actif dans la Commission fiscale du

Jimintô, Yamanaka Sadanori, aurait dit « On ne néglige pas la Commission Fiscale

gouvernementale. On l’ignore », donnant une idée générale du conflit latent qui pouvait

exister entre la Commission fiscale gouvernementale et la Commission fiscale du parti. A

partir des années 1990, le Jimintô n’est plus à même de conserver le pouvoir à lui seul ; c’est

le début d’un pouvoir de coalition (principalement avec le Kômeitô). Cependant, les

conclusions diffèrent sur l’impact que cet affaiblissement du Jimintô a eu sur l’équilibre des

forces entre les Commissions fiscales.

Pour le sujet qui nous concerne, ce débat n’a au fond que peu d’importance. En effet,

l’abattement pour conjoint et l’abattement spécial pour conjoint ne coûtent à l’Etat que

152 000 yens22 maximum par contribuable [380 000¥ x 40%] et bien souvent beaucoup moins.

Par rapport à l’impact d’autres abattements tels que l’abattement pour revenus salariaux,

l’abattement pour conjoint fait pâle figure. C’est un « petit problème »23 limitant les risques

d’intervention directe du Jimintô ou de la Diète sur les propositions faites par la Commission

fiscale gouvernementale. De fait, que ce soient les réformes de 1961, de 1987 ou de 2004, les

propositions de la Commission fiscale relatives à l’abattement pour conjoint et l’abattement

spécial pour conjoint ont toutes été adoptées par la Diète japonaise et appliquées dès l’année

fiscale suivante. L’analyse des rapports de la Commission permet ainsi de se faire une idée

des enjeux qui conduisirent à l’introduction ou à la suppression des abattements pour conjoint.

La lecture des débats menés au sein de la Commission24 est encore plus précieuse en cela

qu’elle donne à voir concrètement le déroulement des débats, les désaccords possibles et les

positions minoritaires, éléments qui n’apparaissent pas forcément dans les rapports.

22 Calcul = 380 000 x 40% (tranche d’impôt la plus élevée qui concerne les revenu annuels supérieurs à 141 000€) = 152 000 yens, soit l’équivalent de 1188€ [au taux de change du 29 avril 2013, soit 1 € = 127,993 ¥] 23 C’est ce qui ressort de l’entretien que j’ai mené avec M. Tajika Eiji. 24 Les débats sont disponibles pour les années 2000 mais pas avant.

28

PHASE N°1 : INTRODUCTION DE L’ABATTEMENT POUR CONJOINT EN 1961

S’il nous est aujourd’hui impossible d’avoir accès au déroulement détaillé des débats

relatifs à l’introduction de l’abattement pour conjoint, le rapport de la Commission fiscale de

décembre 196025 reste une très bonne source pour se faire une idée générale des arguments en

débat et ainsi comprendre la genèse de l’abattement pour conjoint. Avant d’aborder plus en

détails le contexte de naissance de l’abattement pour conjoint, j’aimerais faire un point sur la

logique générale du rapport. Le présent rapport a la prétention de vouloir procéder à la

première révision globale du système fiscal japonais depuis le rapport Shoup26. Si plusieurs

réformes fiscales ont été menées au cours des années 1950 dans le but de répondre aux points

précis qui faisaient « problème », aucune n’a été l’occasion d’une révision générale. Cette

fois-ci, la Commission se donne 3 ans pour réfléchir à une fiscalité qui conviendra à un Japon

en pleine croissance économique. Cette prise de recul nécessaire sera ainsi l’occasion de

prendre à bras le corps certains problèmes qui, s’ils avaient déjà été soulignés par les rapports

précédents, n’avaient jamais pu être régler de façon définitive. C’est notamment le cas du

problème d’iniquité fiscale entre contribuables ; thème qui nous intéresse au plus au point

puisqu’il sera au cœur des débats sur l’introduction de l’abattement pour conjoint.

1. LES PROBLEMES POSES

Pour ce qui est de l’impôt sur le revenu (IRPP), l’objectif du rapport est double :

réduire la pression fiscale à laquelle sont soumis les Japonais et, résoudre les problèmes

d’iniquité entre contribuables. La création de l’abattement pour conjoint est à replacer

dans ce contexte ; elle permet la satisfaction de ces deux objectifs. La mise en évidence de

déséquilibres fiscaux n’est pas nouvelle ; dès le rapport de 1956, les problèmes d’iniquité

entre entreprises individuelles et entreprises déclarées ‘personnes juridiques’ (1) ainsi

qu’entre salariés et indépendants (2) sont pointés du doigt par la Commission. A ces deux

problèmes d’iniquité fiscale, le présent rapport en rajoute un troisième, celui entre les foyers

où un seul des conjoints travaille et ceux où les deux conjoints travaillent (3).

25 Le « rapport relatif aux réformes fiscales à mettre en place dès à présent » (当面実施すべき税制改正に関する答申-税制調査会第一次答申) 26 La mission Shoup dirigée par l’économiste américain Carl Shoup est invitée au Japon par le Général Mac Arthur (alors Commandant Suprême des Forces Alliées au Japon) pour réformer et moderniser le système fiscal japonais. De cette mission naîtra le rapport Shoup,

29

1) Iniquité entre entreprises individuelles et entreprises déclarées ‘personnes juridiques’

Il existe deux types d’entreprises au Japon : les entreprises déclarées ‘personne

juridique’ et les entreprises individuelles, elles-mêmes composées des déclarants ‘bleus’ et

des déclarants ‘blancs’ (figure ci-dessous). L’iniquité entre ces deux types d’entreprises

survient de la nature de l’impôt auxquelles l’une et l’autre sont soumises. Les entreprises

déclarées ‘personne juridique’, soumises à l’impôt sur le revenu des personnes juridiques,

parviennent à se soustraire à la progressivité de l’impôt sur le revenu auxquelles sont

soumises les entreprises individuelles. La Commission fiscale en tire la conséquence que les

entreprises individuelles sont défavorisées par rapport aux entreprises déclarées ‘personne

juridique’.

Figure 2 : Récapitulatif des différents types de contribuables indépendants

2) Iniquité entre salariés et indépendants

L’iniquité fiscale entre salariés et indépendants est LE « problème » qui parcourt

l’histoire de l’abattement pour conjoint. L’affirmation de l’existence de cette iniquité a

souvent servi la cause de l’abattement pour conjoint. L’émergence de ce déséquilibre fiscal

tient pour partie à la nature même de la perception : les revenus des indépendants étant

appréhendés par déclaration, ces derniers peuvent plus facilement se soustraire à l’impôt, au

contraire des salariés, taxés directement à la source. Le rapport souligne tout particulièrement

le risque de fraude dans l’utilisation de certains mécanismes de réduction d’impôts offerts aux

indépendants. Outre la promesse d’une plus stricte surveillance des « excès », la Commission

propose d’augmenter l’abattement pour revenus salariaux (Voir partie 2, H1) afin de

Entreprises

Entreprises déclarées personne juridique

Entreprises individuelles

= contribuables indépendants

Soumises à l’impôt sur le revenu des personnes juridiques

Déclarants ‘bleus’

Déclarants ‘blancs’

au choix

Soumises à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP)

Impôt non progressif

Impôt progressif

Quelle différence ? Les déclarants bleus ont l’obligation de tenir des livres de compte qui respectent le système comptable en partie double. Si la tenue de ces comptes prend du temps, les déclarants bleus sont ‘récompensés’ par des avantages fiscaux non accordés aux déclarants ‘blancs’.

Récapitulatif des différents types de contribuables indépendants

30

compenser le déséquilibre existant. Une telle mesure aurait probablement suffit si le

« problème d’iniquité » entre salariés et indépendants ne trouvait son origine que dans la

différence de perception. Or, ce n’est pas le cas. L’existence de l’abattement pour aide

familiale est également mise en cause.

Avant d’aller plus loin dans l’analyse, je voudrais faire un rapide point sur

l’abattement pour aide familiale et plus généralement sur l’imposition des entreprises

familiales (= entreprises individuelles). Si le Japon a adopté depuis le rapport Shoup

l’individu comme unité d’imposition, le cas des entreprises individuelles fait exception à

la règle. Dans une stricte logique d’imposition séparée, chaque membre de la famille

participant aux activités de l’entreprise familiale devrait soit, déclarer ce qu’il a produit /

gagné dans l’année, soit recevoir un salaire de la part du « chef d’entreprise » (Voir la figure

ci-dessous, cas n°2). Cependant, aucune de ces propositions ne fut perçue comme réalisable

dans le Japon de l’après-guerre. D’une part, il est difficile de déterminer qui a gagné quoi

dans le cadre d’une entreprise familiale, et d’autre part, la pratique de verser un salaire aux

membres de sa famille aidant à l’exploitation ou au commerce n’était pas encore généralisée.

C’est pourquoi, l’administration japonaise adopta l’unité familiale dans le cas des entreprises

familiales : les revenus appartiennent à une seule personne, le « chef de famille », les autres

membres étant considérés comme n’ayant pas de revenus, à moins qu’ils aient un travail

salarié « d’appoint ». Cependant, un tel système d’imposition risquant de faire peser sur les

indépendants une pression fiscale trop importante (Cas n°1), il fut accorder aux ‘déclarants

bleus’ un abattement pour aide familiale (Cas n°3).

Figure 3 : Impact de l'abattement pour aide familiale sur le montant du revenu imposable

Cas n°1_Taxation d’une entreprise familiale SANS l’application de l’abattement pour charge de famille (hypothétique)

Père Mère Fils

Cas n°2_ Le père reste le chef d’entreprise officiel mais donne un salaire à sa femme et son fils, salaire correspondant à leur implication dans l’affaire familiale (hypothétique)

Revenu imposable

du chef d’entreprise (ici = le mari)

Abattement pour aide familiale qui réduit d’autant le revenu imposable du mari

Revenu imposable du

chef d’entreprise (ici = le mari)

Cas n°3_Taxation d’une entreprise familiale AVEC l’application de l’abattement pour charge de famille (déclarants bleus uniquement jusqu’en 1960)

Seuil d’imposition

Revenus inférieurs au seuil d’imposition = ni la mère ni le fils ne doivent payer d’impôts

Au vue des différences entre les revenus imposables des cas 1, 2 et 3, il est certain que le montant d’impôts à payer pour le cas 1 > 3 > 2

31

Comme l’indique l’extrait suivant, l’abattement pour aide familiale est compris

comme étant une des sources du déséquilibre fiscal qui existe entre salariés et indépendants.

« L’élargissement de l’abattement pour « aide familiale » – toute considération de son bien-fondé sur le plan fiscal mise à part – signifie au final une baisse d’impôt pour les entrepreneurs et exploitants. […] Or, la dissociation entre le budget domestique et les finances de l’entreprise est tout particulièrement difficile dans le cas des entreprises familiales. Dans ce contexte, on ne peut que comprendre que cette mesure ne fasse naître des ressentiments de la part des foyers où le chef de famille est salarié. Cela pose tout particulièrement la question [du statut] du travail domestique des femmes au foyer (shufu).27 » p.4-5

Le rapport évoque à plusieurs reprises ce « problème du statut du travail domestique

des femmes au foyer » sans pour autant expliciter clairement quel est le lien concret qui le lie

à l’existence de l’abattement pour aide familiale et plus largement au problème d’iniquité

entre salariés et indépendants. Une lecture attentive du rapport permet cependant de proposer

une interprétation. En mettant en avant le fait qu’il est difficile de dissocier ce qui relève de

l’entreprise de ce qui relève du foyer dans le cas des entreprises familiales, la Commission

indique à demi-mot que certains entrepreneurs bénéficient de l’abattement pour « aide

familiale » alors même que le rôle joué par leur conjoint dans l’entreprise familiale diffère peu

de celui joué par les femmes de salariés qui restent au foyer. Ainsi, passer le balai peut-être

considéré comme une activité économique pour les femmes d’entrepreneurs [si l’action a lieu

dans la boutique ou à la ferme] et être à ce titre sujet à des avantages fiscaux (abattement pour

aide familiale) alors que la même action sera considérée comme du travail domestique pour

les femmes de salariés. En insistant sur la proximité entre la nature du travail des femmes

d’indépendants et du travail des femmes au foyer, la Commission prépare le terrain pour

l’instauration d’une mesure capable « d’apprécier » pleinement la « contribution de la femme

au foyer au revenu du contribuable », mesure qui prendra la forme de l’abattement pour

conjoint.

3) Iniquité entre les foyers de type « pourvoyeur – femme au foyer » et ceux où les deux conjoints travaillent

Un troisième problème mis en avant par le rapport est le déséquilibre fiscal qui existe

entre les foyers de salariés où un seul des conjoints travaille et ceux où les deux conjoints

travaillent (Voir tableau suivant). Pour un même revenu brut, le foyer « pourvoyeur – femme

au foyer » sera davantage taxé que le foyer où les deux conjoints travaillent. Par ailleurs, plus

27 Traduction non littérale – le texte d’origine faisait plus de 5 lignes et n’était composé que d’une seule phrase

32

les revenus de ces derniers sont proches l’un de l’autre (ex : chacun participe à hauteur de

50% au revenu familial), plus le montant des impôts payés par le foyer dans son ensemble

sera faible. Cette iniquité horizontale entre foyers résulte de l’adoption par le Japon en

1950 de l’imposition séparée des conjoints et du système de progressivité de l’impôt sur

le revenu. Si l’imposition séparée permet de conserver une neutralité vis-à-vis des choix

matrimoniaux des contribuables et l’égalité entre contribuable, elle ne permet pas de préserver

l’égalité de traitement entre foyer.

Tableau 1 : Extrait d'un tableau de l'OECD relatif au degré d'équité des systèmes fiscaux face aux couples où les deux conjoints travaillent

Tableau 2 : Impact de l'imposition séparée sur des couples ayant le même revenu brut mais une composition des apports salariaux du mari et de la femme différente

Si les déséquilibres fiscaux précédemment

évoqués sont des thématiques récurrentes des rapports

de la Commission Fiscale, l’iniquité entre foyers l’est

beaucoup moins. Elle n’est pas évoquée dans le rapport

de 1956, pas plus que dans les autres rapports que j’ai

lus. Si l’on rajoute à cela l’utilisation quelque peu

« trompeuse » du graphique ci-joint, qui prend des

exemples de division du travail entre conjoints (Ex : le 5 : 5 ou le 6 : 4) très peu réalistes dans

le contexte économique et social de ce Japon du début des années 1960, on peut en conclure

que la mise en avant de ce déséquilibre entre foyers sert principalement à supporter la

mise en œuvre d’une mesure de rééquilibrage à la faveur des foyers « pourvoyeur –

femme au foyer ». La commission admet que les foyers où les deux conjoints travaillent ont

Revenu du foyer (en yens) 400 000

A _ Montant de l’impôt quand UN seul des conjoints travaille (en yens) 5 400

5 : 5 1 300

6 : 4 1 300

7 : 3 1 300

8 : 2 4 300

B _ Montant de l’impôt quand les DEUX conjoints

travaillent (en yens)

9 : 1 5 400

Extrait du tableau p. 46

33

des frais supplémentaires à prendre en charge, et pourraient en ce sens faire l’objet d’un

« abattement pour entretien de la maison » et pour « éducation des enfants » afin que ces

dépenses supplémentaires ne deviennent pas un fardeau pour le foyer concerné. Cependant, la

réflexion n’est pas poussée plus loin, la Commission considérant les avantages fiscaux dont

bénéficient les foyers où les 2 conjoints travaillent comme déjà bien supérieurs au montant

nécessaire pour couvrir les coûts de délégation des « activités domestiques » au marché.

Si les problèmes de déséquilibres fiscaux posés par la Commission dans son rapport de

décembre 1960 sont au nombre de trois, tous n’ont pas la même importance. Les problèmes

d’iniquité entre salariés et indépendants et entre entreprises individuelles et entreprises

déclarées ‘personne juridique’ bénéficient d’un niveau de reconnaissance important : tous

deux sont déjà mentionnés dans le rapport de 1956 et sont couverts dans la partie « générale »

du rapport. Ce n’est pas le cas du problème d’iniquité entre types de foyers. Ce problème

n’est évoqué qu’à partir du moment où sont examinés les arguments pour ou contre la

création d’un abattement pour conjoint. On peut ainsi en conclure qu’il ne sert que

d’argument support à la création de l’abattement pour conjoint.

2. LES MESURES PROPOSEES

Une fois les « problèmes » explicités, il reste à la Commission à proposer des

mesures ‘correctrices’. Pour ce qui est du problème de l’iniquité entre entreprises

individuelles et entreprises déclarées ‘personnes juridiques’, la Commission propose d’élargir

aux déclarants blancs le droit de bénéficier d’abattement pour aide familiale et d’augmenter le

plafond de ce dernier dans le cas des déclarants ‘bleus’. Cependant, si une telle réforme

permet le rétablissement de l’équilibre entre entreprises individuelles et entreprises déclarées

‘personne juridique’, elle aggrave celui qui existe entre indépendants et salariés, rendant

d’autant plus urgente la mise en œuvre de mesures de rééquilibrage fiscal. La Commission

propose à ce sujet deux mesures qui pourraient à la fois régler le problème d’iniquité entre

salariés et indépendants ainsi que celui entre foyers : (1) l’introduction d’un abattement pour

conjoint ou (2) l’introduction d’un système d’imposition conjointe avec quotient conjugal.

1) PROPOSITION N°1 : La mise en place d’un abattement pour conjoint

La création d’un abattement spécifique au conjoint est une des mesures discutées par

la Commission dans sa recherche d’une solution pouvant, à la fois régler les problèmes

34

d’iniquité entre types de contribuables, et améliorer le « statut fiscal » des femmes au foyer.

En limitant l’accès de cet abattement aux seuls contribuables ne bénéficiant pas de

l’abattement pour aide familiale, autrement dit les salariés et une partie des indépendants,

l’abattement pour conjoint devrait pouvoir alléger la pression fiscale des salariés,

proportionnellement supérieure à celle des indépendants. Par ailleurs, avec l’instauration d’un

plafond de revenu au-dessus duquel les femmes ne peuvent plus prétendre à être la cible d’un

abattement pour conjoint, la Commission s’assure que seuls les foyers « pourvoyeur – femme

au foyer » pourront en bénéficier, permettant ainsi la correction du déséquilibre entre types de

foyers. L’abattement pour conjoint est également perçu comme étant une solution au

problème du statut fiscal des femmes au foyer. La prise d’autonomie de l’abattement pour

conjoint de l’abattement pour charge de famille, toute considération du montant mise à part, a

pour but principal de ne plus considérer la femme au foyer comme « une simple personne à

charge ». L’objectif symbolique de cette mesure est donc non-négligeable : tout comme les

femmes d’entrepreneurs, les femmes de salariés « contribuent grandement » à la création de

richesses réalisées par leur mari même si leur impact est indirect. Dès lors, il est inapproprié

de les considérer comme des personnes à charge.

Figure 4: Mise en image du projet de la Commission fiscale

Couple « pourvoyeur –

femme au foyer » avec le mari salarié

Couple où les deux conjoints travaillent. Mari + femme = 2

contribuables

Entreprise individuelle composée du chef d’entreprise

(le mari) & de sa femme qui aide à l’affaire familiale

Seuil d’imposition Plafond de

revenu pour être la cible d’un abattement pour conjoint

Abattement pour conjoint

Abattement pour aide familiale

Revenu imposable

Revenu imposable

Revenu imposable

Revenu / production du mari Contribution de la femme au revenu de son mari

Revenu / production de la femme

L’individu comme unité fiscale

Le foyer comme unité fiscale, une exception à la règle

L’abattement pour conjoint = une solution aux problèmes de déséquilibres fiscaux _mise en image du projet de la Commission_

Revenu imposable sans l’introduction de

l’abattement pour conjoint

35

2) PROPOSITION N°2 : Adoption du foyer comme unité d’imposition : vers une imposition conjointe des conjoints.

La seconde mesure proposée par la Commission pour régler les problèmes

susmentionnés est le passage de l’imposition séparée des conjoints à leur imposition conjointe.

Autrement dit, elle propose de faire du foyer l’unité d’imposition du Japon. Parmi les

différents types d’imposition conjointe existants (voir la figure ci-après), la Commission

s’intéresse tout particulièrement à l’imposition conjointe avec quotient conjugal.

Figure 5 : Les différents systèmes d'imposition et leurs caractéristiques

Le plus grand avantage attendu de l’introduction de l’imposition conjointe est la

suppression des problèmes d’iniquité entre foyers, que ce soient entre les foyers de salariés et

d’indépendants, ou entre les foyers « pourvoyeur – femme au foyer » et les foyers où les deux

conjoints exercent une activité professionnelle rémunérée. Que le mari rapporte à lui tout seul

100 ou que les deux conjoints rapportent chacun 50, l’impôt à payer sera le même (voir figure

n°6). Par ailleurs, l’application du quotient conjugal permettra à tous les foyers japonais (hors

célibataires) qu’ils soient salariés ou indépendants, de bénéficier du même traitement.

L’abattement pour aide familiale, jusqu’alors accordé aux seuls indépendants, n’aura plus lieu

d’être accordé à l’épouse, réduisant ainsi le déséquilibre existant.

Pour ce qui est du statut fiscal de la femme au foyer et du problème de sa

catégorisation en tant que « personne à charge », catégorisation jugée inappropriée par

Foyer

Individu

Tiré de 国立国会図書館・財政金融化・岩田陽子 IWATA Yôko,「課税単位と配偶者控除・配偶者特別控除」 , ISSUE BRIEF、N° 401, 22 Août 2002, p.2

Un individu = un contribuable

Ex : Japon (1950~), Suède, Danemark, Italie, Australie, etc. Les conditions familiales du contribuable (notamment la présence d’enfants ou d’un conjoint sans revenus) peuvent être prises en compte sous la forme d’abattements, de réduction d’impôts, ou de crédits d’impôts. Unité

d’imposition

Un foyer = un contribuable [Le foyer = la famille nucléaire ou élargie ?]

Simple addition des revenus du foyer [合算非分割] Ex : Japon (1887-1950), France (1914-1945)

Addition suivie de l’applica-tion d’un quotient, conjugal ou familiale [合算分割]

Quotient conjugal [2分2乗] Le revenu familial est ÷ 2, le taux d’imposi-tion appliqué et le montant de l’impôt x 2 Ex : USA, Allemagne, Espagne, etc.

Quotient familial [n分n乗] Le revenu familial est ÷ par le nombre de parts, le taux d’imposition appliqué et le montant de l’impôt multiplié x par le nombre de parts. Ex : France

Ce qui intéresse la Commission

36

certains, l’adoption de l’imposition conjointe devrait pouvoir régler le problème, sur le plan

symbolique tout du moins. Plutôt que d’insister sur la logique propre qui siège à l’imposition

conjointe, à savoir la taxation de l’unité de consommation qu’est le foyer, le rapport préfère

interpréter la division du revenu familial en deux parts égales comme un moyen d’apprécier la

contribution de la femme au foyer au revenus engrangés par son mari.

Figure 6 : Calcul de l'impôt dans le cas de l'imposition conjointe avec quotient conjugal

3. QUELLE EST LA SOLUTION CHOISIE ET POURQUOI ?

Après avoir pesé le pour et le contre de l’imposition conjointe et de l’abattement

pour conjoint, la Commission opte pour le maintien de l’imposition séparée et

l’introduction de l’abattement pour conjoint. Comme nous le confirmera la comparaison

avec les rapports postérieurs, le présent rapport est tout particulièrement enthousiaste pour le

système de l’imposition conjointe. A aucun moment ne met-il en avant les avantages de

l’imposition séparée contrairement à l’imposition conjointe, qui elle, est louée pour sa

« rationalité ». C’est pourtant bel et bien vers la conservation du système actuel d’imposition

séparée que se tourne le choix de la Commission. Les arguments qui permettent à l’imposition

séparée de se maintenir sont d’ordre pratique. Le rapport insiste ainsi sur la complexité de

mise en œuvre de l’imposition conjointe et sur le risque non négligeable de complexification

du système fiscal qui en découle. L’impression générale qui se dégage de cet examen des

unités d’imposition est que la conclusion à laquelle est parvenu la Commission est davantage

un choix par défaut qu’un choix enthousiasmé pour les « qualités intrinsèques » de

l’imposition séparée. Le rapport revient sur les raisons qui l’ont poussé à rejeter le projet

d’introduction de l’imposition conjointe dans sa conclusion. Outre les arguments pratiques

100

100

70

30

Foyer pourvoyeur (salariés) – femme au

foyer

Foyer où les deux conjoints

sont salariés

Entreprise familiale

100

Etape n° 1 Additionne les revenus des

conjoints

Etape n° 2 Application du quotient conjugal

÷ 2

Etape n° 3 Application du taux

d’imposition

¥

Etape n° 4 Montant de l’impôt x 2

Montant de l’impôt à payer

= ¥¥

Qu’

impo

rte le

type

de

foye

r dès

lors

qu

e le

reve

nu b

rut e

st le

mêm

e

x 2

37

déjà développés dans le corps du texte, le rapport mentionne le fait que l’introduction de

l’imposition conjointe, si elle permet la suppression des iniquités entre foyers, en fera naître

de nouveaux entre individus, et notamment entre célibataires et personnes mariées. Le fait que

l’imposition conjointe est d’autant plus favorable aux foyers que leurs revenus sont élevés est

également pointé du doigt. Enfin, il semblerait que l’amélioration si souhaitée du ‘statut

fiscal’ de la femme au foyer aille trop loin : le rapport conclut qu’ « il est fictionnel de croire

que la femme contribue à la moitié du revenu de son mari, et ce d’autant plus que le revenu de

ce dernier est élevé ».

Tableau 3: Arguments pour ou contre l'imposition conjointe et séparée (rapport de 1960)

Type d’imposition Imposition conjointe Imposition séparée des conjoints

POUR

Arguments rhétoriques forts : imposition « la plus rationnelle » sur de nombreux plans : imposer le foyer qui est l’unité de consommation par excellence serait un choix « rationnel » & « logique ». Permettrait de régler les problèmes d’iniquité entre foyers de contribuables

Arguments qui, s’ils ne peuvent pas être qualifiés de « traditionnels » (système imposé par les Américains), se basent sur l’aspect pratique de la continuité.

Argu

men

ts

CONTRE

Arguments pratiques : difficulté de la mise en œuvre Naissance de nouveaux déséquilibres (arguments peu développés)

Pose le problème de l’iniquité entre types de foyer.

L’abattement pour conjoint est le grand « vainqueur » de ce débat sur l’unité

d’imposition : il conjugue les avantages de l’imposition conjointe sans avoir à en supporter les

conséquences pratiques. Enfin, il permet d’apprécier la « place de la femme au foyer » sur le

plan fiscal, sans pour autant tomber dans les excès susmentionnés de l’imposition conjointe.

Suivant les recommandations de la Commission, la création de l’abattement pour conjoint

sera adoptée à la Diète et aura la structure suivante.

Figure 7 : Structure de l'abattement pour conjoint à sa création en 1961

Revenu de la femme

Montant de l’abattement pour conjoint accordé au contribuable (le mari)

5

9 Seuil

d’imposition

Structure de l’abattement pour conjoint à sa création en 1961 _ En dizaine de milliers de yens_

38

PHASE N°2 : INTRODUCTION DE L’ABATTEMENT SPECIAL POUR CONJOINT EN 1987

L’introduction de l’abattement spécial pour conjoint28 en 1987 est à replacer dans un

contexte fiscal très tendu : l’introduction de la TVA. Si certains auteurs soulignent le

caractère opportuniste de son introduction, ils omettent d’expliquer la raison de ce choix

d’instrument par le gouvernement japonais. Pourquoi modifier la pression fiscale à travers cet

instrument précis ? C’est ce à quoi nous essayerons de répondre.

1. LES PROBLEMES POSES

1) De l’iniquité fiscale entre les salariés et les indépendants

Le problème de l’iniquité de traitement entre les salariés et les indépendants, déjà

évoqué en 1960, est de nouveau au cœur du débat en 1986. Si la thématique reste constante,

les détails du débat ont quelque peu évolué en 25 ans. Ainsi, la différence du système de

perception entre les salariés et les indépendants (à la source pour les uns, par déclaration

d’impôts pour les autres) n’est plus pointée du doigt ; le débat se concentrant uniquement

sur le traitement préférentiel accordé aux femmes de travailleurs indépendants. Avec la

réforme de 1967, les ‘déclarants bleus’ obtiennent le droit de verser un salaire aux membres

de leur famille – et notamment à leur femme – qui travaillent à l’affaire familiale. Plus encore

que les abattements pour aide familiale, ce nouveau système leur permet d’alléger la charge

fiscale à laquelle ils auraient été soumis sans son application. La réforme de 1967 accentue

ainsi l’iniquité entre indépendants et salariés.

Cependant, si la Commission reconnaît l’existence d’une iniquité fiscale entre

salariés et indépendants, elle ne va pas jusqu’à remettre en cause le système dont

bénéficie les indépendants. La Commission précise que si les versements de salaires aux

montants visiblement excessifs doivent être punis, la logique du système n’est pas en cause.

Revenir sur le droit accordé aux déclarants ‘bleus’ étant inenvisageable, le seul moyen pour

réétablir un semblant d’équité fiscale entre salariés et indépendants est d’introduire une

mesure de réduction fiscale à l’égard des seuls salariés. On pourrait croire que la position de

la Commission est relativement constante à ce sujet, or il n’en est rien. Ainsi, dans son rapport

de 1983, la Commission prend ses distances avec les arguments soutenant l’existence d’un

28 La présente section se basera sur les rapports suivants : 税制の抜本的見直しについての答申[Octobre 1986] & 課税単位に関する専門小委員会報告 [Avril 1986]

39

déséquilibre fiscal entre indépendants et salariés. Elle souligne alors que la non-taxation du

travail domestique et de ‘care’ effectués par les femmes au foyer est un avantage fiscal

accordé aux foyers dont le mari est salarié (sous-entendant par là que la plupart des foyers de

salariés se compose du mari, salarié, et d’une femme au foyer), « équilibrant » ainsi la

situation des salariés et des indépendants dont la femme travaille.

Le rapport de la Commission fiscale de 1986 prend ses distances avec le rapport de

1983. Si le « problème » de la non-taxation du travail domestique des femmes reste abordé,

son traitement diffère grandement. Ainsi, contrairement au rapport de 1983, le débat relatif à

ce « problème » se limite au seul contexte de l’introduction du système d’imposition

commune. Dans ce seul et unique cas de figure, la non-taxation du travail domestique des

femmes au foyer devient un « problème » nécessitant prise en charge.

« Dans le cas d’une adoption de l’imposition conjointe, il nous faudra examiner le traitement fiscal du travail domestique des femmes au foyer afin de satisfaire l’équilibre fiscal entre les couples où un seul des conjoints travaille et ceux où les deux travaillent. Ainsi, alors que le revenu gagné par les femmes exerçant une activité professionnelle est additionné au revenu marital, ce n’est pas le cas de la richesse produite par la femme au foyer, d’où la non-égalité de traitement. C’est pourquoi, si le Japon en venait à adopter un système d’imposition commune, il nous faudrait soit, estimer la valeur économique du travail domestique des femmes au foyer et l’additionner au revenu marital, soit, au contraire, déduire du revenu des femmes actives le montant correspondant.» p. 93

Figure 8 : Taxation de deux couples ayant le même revenu brut, l'un de type "pourvoyeur - femme au foyer", l'autre où les deux conjoints sont actifs (dans le cas d'une imposition séparée)

Revenu imposable du mari

La « contribution de la femme au revenu du mari » est récompensée par l’obtention de l’abattement pour conjoint = Réduction du revenu imposable du mari

Taxation de deux couples ayant le même revenu brut, l’un de type « pourvoyeur –

femme au foyer », l’autre avec deux conjoints (imposition séparée)

Revenu imposable du mari

Revenu imposable

de la femme

Ne bénéficie pas de l’abattement pour

conjoint

Surplus de travail domestique / de care produit par la femme au foyer par rapport à une femme active.

Couple « pourvoyeur – femme au foyer »

Couple où les deux conjoints sont actifs (salariés)

Création de richesse soumise à la taxation

57% 0 100 0 87

Création de richesse soumise à la taxation

87%

/!\ Du fait de l’imposition séparée et du caractère progressif de l’impôt, le montant d’impôt payé par l’homme et la femme est probablement inférieur à celui payé par l’homme « pourvoyeur » du couple de gauche.

Les chiffres indiqués sont fictifs, ils se basent uniquement sur les figures ci-dessus.

40

En résumé, l’argumentation tenue par la Commission est la suivante : la non-taxation

du travail domestique des femmes au foyer est un problème dans le seul cas

hypothétique où l’imposition conjointe serait adoptée. Ce refus de reconnaître la validité

du raisonnement évoqué ci-dessus dans le cadre de l’imposition séparée laisse fortement à

désirer du point de vue de la rigueur du raisonnement fiscal, comme le suggère la figure

précédente.

Pourquoi la Commission a-t-elle choisi de mettre de côté la rigueur du raisonnement

fiscal à l’occasion de la rédaction de ce rapport ? L’hypothèse la plus probable est que la

reconnaissance généralisée de l’existence de cette non-taxation du travail domestique - travail

réalisé en plus grande quantité par les femmes au foyer –, aurait risqué d’attirer l’attention sur

l’avantage fiscal qui est de fait déjà accordé aux foyers de type « pourvoyeur – femme au

foyer ». Il aurait dès lors été beaucoup plus difficile pour la Commission de soutenir un projet

(l’abattement spécial pour conjoint) dont le but premier était de favoriser encore davantage

ces derniers.

2) La mise en évidence d’un phénomène de trappe à inactivité : le « problème des travailleurs(euses) à temps partiel »

Trois ans avant la rédaction du présent rapport, la Commission fiscale de 1983

évoquait pour la 1ère fois un « problème » qui aura, dans les années qui suivent, un impact non

négligeable sur l’évolution de l’abattement pour conjoint : le « problème des

travailleurs(euses) à temps partiel ». Le « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » se

manifeste de la façon suivante : une fois le seuil d’imposition des 900 000 yens / an dépassé,

les personnes travaillant à temps partiel deviennent à la fois sujettes à l’impôt et perdent le

droit d’être la cible d’un abattement pour conjoint [ou d’un abattement pour charge de

famille]. Ainsi, qu’importe que la femme ait un revenu brut supérieur à celui dont elle

disposait quand elle était encore la cible d’un abattement pour conjoint, le revenu net du foyer

dans son ensemble a de fortes chances de diminuer. Les femmes, relativement conscientes de

l’existence de ce « mur des 900 000 yens », autolimitent leurs heures de travail afin de

s’assurer de ne pas dépasser le plafond des 900 000 yens. La forme présente de l’abattement

pour conjoint crée ainsi une « trappe à inactivité », ou pour être plus précise, une « trappe à

faible activité » qui touche principalement les femmes travaillant à temps partiel.

41

Figure 9 : Mécanisme du problème des travailleurs(euses) à temps partiel

3) Vers la mise en évidence d’un nouveau « problème » : la jouissance par les femmes travaillant à temps partiel de deux abattements ‘humains’

Outre le « problème des travailleurs(euses) à temps partiel », le rapport de 1986 met en

lumière un autre « problème » qui va prendre une place de plus en plus centrale dans les

débats sur les abattements pour conjoint dans les années 1990 et 2000. La Commission

identifie un avantage fiscal accordé aux femmes dont les revenus, non nuls, restent néanmoins

inférieurs au seuil d’imposition. Ces dernières jouissent en effet de « deux abattements

‘humains’ de base29 » : l’abattement de base, qui leur est accordé comme à toute personne

active, et l’abattement pour conjoint - dont elles sont la cible dès lors que leurs revenus restent

inférieurs à 900 000 yens. Il faut préciser que si elles en sont la « cible », ce sont leur mari qui

en bénéficie. De même que le « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » trouve son

origine dans la présence de seuils, c’est également le cas pour l’exemple qui nous concerne.

Ainsi, dès lors que l’individu a des revenus inférieurs au seuil d’imposition, il bénéficie du

même traitement fiscal que les personnes n’ayant aucun revenu.

La Commission met ainsi en avant un nouveau problème de déséquilibre fiscal, cette

fois-ci entre les foyers avec une femme au foyer et les foyers où la femme travaille à temps

partiel sans pour autant dépasser le seuil d’imposition. Comme le montre la figure ci-après,

les foyers avec une femme au foyer bénéficient d’un montant d’abattements humains de base

(1 abattement de base + 1 abattement pour conjoint déduits du revenu du mari) de l’ordre de

760 000 yens. Par contre, dès lors que la femme travaille à temps partiel et gagne entre 650

29 Les abattements humains de base = l’abattement de base, l’abattement pour conjoint et l’abattement pour charge de famille

Revenu de la femme

Montant de l’abattement pour conjoint

33

89 91

0

Revenu de la femme

= 89

Abattement pour conjoint

Revenu imposable

Revenu du mari

Revenu du mari

Revenu imposable

du mari

Revenu imposable de la

femme

Revenu de la femme

= 91

Mécanisme du problème des travailleurs(euses) à temps partiel

42

00030 et 1 030 000 yens, cette dernière bénéficie d’un abattement de base sans que pour autant

son mari ne soit privé de l’abattement pour conjoint. Ainsi, ce type de foyer bénéficie d’un

montant total d’abattements humains de base compris entre 760 000 et 114 000 yens. Il est

intéressant de noter que la Commission omet de signaler que ce « problème de double

jouissance de l’abattement humain de base » creuse également un déséquilibre avec les foyers

où la femme travaille à temps plein et n’est donc pas la cible d’un abattement pour conjoint.

Figure 10 : Le problème de la double jouissance d'un abattement humain de base

2. LES MESURES PROPOSEES

1) L’introduction de l’imposition conjointe avec quotient conjugal

Tout comme en 1960, l’introduction de l’imposition conjointe avec quotient conjugal

est une option sérieusement considérée par la Commission fiscale. Une commission spéciale

chargée de l’étude de l’unité d’imposition est d’ailleurs mise en place. Elle rend son rapport

final en avril 1986, soit 6 mois avant la publication du présent rapport. Les arguments étant

relativement similaire au rapport de 1960, nous n’y reviendrons pas ici.

30 Pourquoi 650 000 yens ? Parce que cela correspond au montant de l’abattement minimum pour revenu salarial

38

Couple pourvoyeur / femme au foyer

Couple mari salarié / femme travaillant à temps partiel

30

38

Mari Mari Femme Femme

38

38

Couple où les 2 conjoints travaillent à temps plein

Mari Femme

38

38

Cas non évoqué par le rapport de 1986

Abattement pour conjoint (en dizaine de milliers de yens)

Abattement de base (en dizaine de milliers de yens)

TOTAL du montant des abattements

humains de base = 76

TOTAL du montant des abattements

humains de base = 76

Le montant total des abattements humains est situé

entre +76 et -114 [ici = 106]

Le problème de la double jouissance d’un l’abattement humain de base [avant l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint]

Double jouissance de l’abattement humain de base

43

2) L’introduction d’un abattement spécial pour conjoint

La seconde option considérée par la Commission est l’introduction d’un abattement

spécial pour conjoint. Tout comme l’abattement pour conjoint avait en son temps permis de

« régler les problèmes », la Commission compte sur l’introduction de l’abattement spécial

pour conjoint pour mettre un terme aux quatre principaux ‘problèmes’ évoqués précédemment.

Tout d’abord, la restriction de l’accès de l’abattement spécial pour conjoint aux seuls

conjoints n’étant pas sujets à un abattement pour aide familiale (indépendants blancs) ou ne

faisant pas l’objet d’un versement de salaire par le mari (indépendants bleus) devrait travailler

à la résolution du déséquilibre fiscal qui existe entre salariés et indépendants (1).

L’augmentation du montant des abattements ayant pour cible le conjoint devrait également

permettre la meilleure appréciation du statut de l’épouse et plus particulièrement du rôle joué

par les femmes au foyer. Par ailleurs, l’introduction d’un système de dégressivité du montant

de l’abattement à mesure que le revenu de la femme augmente devrait aider à mettre un terme

au « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » (2) ainsi qu’au déséquilibre fiscal qui

existe entre les conjoints ayant un revenu propre et ceux n’en ayant pas (3).

Figure 11 : Vers l'adoption d'un système de dégressivité du montant de l'abattement à mesure de la hausse du revenu du conjoint

Comme le précise l’extrait suivant, la Commission considère l’introduction d’un

système de dégressivité du montant de l’abattement à mesure que le revenu de la femme

augmente à la fois dans le cas de l’abattement spécial pour conjoint mais également dans le

cas de l’abattement pour conjoint.

« L’introduction d’un système d’ajustement des montants de l’abattement pour conjoint et de l’abattement spécial pour conjoint au revenu de ce dernier (quand il en a), devrait permettre de faire évoluer avec fluidité la charge fiscale [globale] du foyer en fonction de l’augmentation du revenu du conjoint et/ou des membres familiaux à charge. Nous

Revenu du conjoint

Montant de l’abattement

Revenu du conjoint

Montant de l’abattement

Seuil d’imposition

Système avec des effets de seuils � Création de trappes à inactivité

Trappe à inactivité

Système de dégressivité du montant de l’abattement en fonction de la hausse du revenu du conjoint � Fin du problème des ‘trappes à faible activité’

Vers l’adoption d’un système de dégressivité du montant de l’abattement à mesure de la hausse du revenu du conjoint

44

pouvons attendre d’une telle mesure qu’elle contribue à la fois à la résolution du « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » ainsi qu’au rétablissement de l’équilibre fiscal entre les cas où le conjoint a un revenu propre et ceux où il n’en a pas. » p. 40

3. QUELLE EST LA SOLUTION CHOISIE ET POURQUOI ?

1) Un nouveau déboire pour l’imposition conjointe

Si les Commissions de 1960 et de 1986 parviennent à la même conclusion, les

arguments défendus par les uns et les autres au regard des avantages et des désavantages de

l’imposition conjointe ont évolué de façon non négligeable en l’espace de vingt-six ans. Ainsi,

si en 1960, prendre le foyer comme unité d’imposition est perçu comme étant le choix le plus

« rationnel » et « naturel », ce n’est plus le cas vingt-six ans plus tard. Les avantages

potentiels de l’imposition conjointe ne sont plus que de nature utilitaire : son introduction

permettant la résolution de plusieurs problèmes. Autrement dit, l’imposition conjointe n’est

plus intéressante ‘en soi’. On retrouve dans les deux cas l’utilisation d’arguments

pratiques quand il s’agit de décrire les inconvénients de l’imposition conjointe. En 1960,

outre les difficultés pratiques de mise en œuvre, le rapport ne mettait pas en avant d’autres

points pouvant légitimement faire douter de l’intérêt de passer à une imposition conjointe. Ce

n’est plus le cas en 1986. On ne compte pas moins de cinq arguments non techniques mettant

en avant les problèmes intrinsèques de l’imposition conjointe, que ce soit la non-neutralité

quant aux choix matrimoniaux du contribuable ou le traitement différentiel des foyers selon

leur composition [célibataire versus couple], etc. Ainsi, en vingt ans, la Commission est

devenue beaucoup plus réservée quant aux avantages comparatifs de l’imposition conjointe

face à l’imposition séparée. Ce n’est donc plus seulement l’aspect technique et pratique qui

freine l’introduction de l’imposition conjointe : l’intérêt même de son introduction est mis en

doute.

Que ce soit en 1960, comme en 1986, l’argument principal en faveur de la

conservation de l’imposition séparée repose sur l’ancrage du système existant. La

continuité, si elle n’est pas une valeur en soi, a pour elle de nombreux avantages pratiques. En

1986, à cet argument principal se rajoute le caractère fonctionnel de l’imposition séparée, et,

son caractère « en vogue ». Pour un pays comme le Japon dont le but principal depuis la 2nde

moitié du 19ème siècle a été de « rattraper l’Occident », les choix fiscaux des pays occidentaux

sont scrutés avec attention. Le fait qu’en l’espace d’une dizaine d’années plusieurs d’entre

eux se sont tournés vers le système d’imposition séparée ne peut que renforcer la légitimité de

45

ce dernier. Les rapports de 1960 et de 1986 diffèrent également de façon importante dans

leurs critiques formulées à l’égard du système d’imposition séparée. Si en 1960,

l’iniquité fiscale entre les foyers « pourvoyeur – femme au foyer » et les foyers où les deux

conjoints travaillent est mise en avant et longuement débattue, ce n’est plus le cas en 1986. Le

rapport de 1986 n’insiste tout simplement pas sur les problèmes « intrinsèques » de

l’imposition séparée. Si plusieurs problèmes sont mentionnés, leur résolution ne nécessite pas

le passage à une imposition conjointe.

Tableau 4 : Comparaison des arguments mobilisés pour ou contre l'imposition conjointe et séparée

Type d’imposition

Imposition conjointe Imposition séparée des conjoints

POUR

Les (potentiels) avantages de l’imposition conjointe sont tous de nature purement utilitaire : son introduction permettrait de régler plusieurs problèmes existants.

� Le système actuel est bien ancré au Japon, sa mise en application est fonctionnelle [permet la perception directe d’une partie non négligeable des contribuables] � L’imposition séparée a le vent en poupe : 6 pays de l’OCDE l’ont adoptée depuis 1970.

Argu

men

ts

CONTRE

� Son introduction engendrerait de nombreux problèmes : déséquilibre entre foyers, avantage excessif accordé aux foyers aisés, risque de freiner la participation des femmes au marché du travail. � La faisabilité concrète de son introduction est faible : pour réduire les problèmes évoqués ci-dessus, des mesures techniques devront être mises en œuvre complexifiant le processus de perception.

2) Vers l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint

Les préconisations de la Commission seront suivies dans leurs grandes lignes par la

majorité. L’introduction d’un système de dégressivité du montant de l’abattement spécial pour

conjoint répond ainsi aux consignes données par la Commission. On notera néanmoins que ce

système n’a pas été étendu à l’abattement pour conjoint (c’était une proposition de la

Commission même si elle n’apparaissait pas dans les recommandations finales). La figure ci-

après représente l’agencement entre l’abattement pour conjoint et l’abattement spécial pour

conjoint. Les femmes travaillant à temps partiel sans pour autant dépasser le seuil

d’imposition étaient jusqu’à présent sujettes à deux abattements humains de base, contre un

pour les contribuables et les femmes au foyer. Cette ‘iniquité’ fiscale a été réglée par

l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint et plus particulièrement par sa partie

supérieure droite (couleur orange). Désormais, une fois le revenu annuel de la femme

46

supérieur à 650 000 yens, le montant de l’abattement spécial pour conjoint diminue à mesure

que son revenu augmente. Cette hausse du revenu, se couple avec une augmentation

progressive du montant de l’abattement de base dont jouit la femme, nécessitant ainsi, pour

maintenir l’équité avec les femmes au foyer, de réduire le montant de l’abattement spécial

pour conjoint dont elles sont la cible.

Figure 12 : Structure de l'abattement spécial pour conjoint

Quant au « problème des travailleurs(euses) à temps partiel », il est réglé sur le plan

fiscal grâce à la partie inférieure droite de l’abattement spécial pour conjoint (couleur rose).

Une fois le seuil d’imposition dépassé, les femmes travaillant à temps partiel, si elles perdent

le droit d’être sujettes à un abattement pour conjoint, restent néanmoins sujettes à un

31

76

115 0

85

61

70

38

141 103 65

Revenu brut du conjoint (1 unité = 10 000 ¥)

Ab

attemen

t pou

r le conjo

int acco

rdé au

co

ntrib

uab

le (1 u

nité =

10 00

0 ¥

)

Abattement spécial pour conjoint

� SOURCE : 『図説・日本の税制 平成13年度版』財経詳報社 P.73 � LECTURE : Cas n°1 : Un(e) contribuable ayant un(e) conjoint(e) gagnant entre 800 000 et 850 000 ¥/an pourra bénéficier d’un abattement de 380 000 ¥ au titre de l’abattement pour conjoint et de 230 000 ¥ au titre de l’abattement spécial pour conjoint, soit au total 610 000 ¥ Cas n°2 : Un(e) contribuable ayant un(e) conjoint(e) gagnant entre 1 100 000 et 1 500 000 ¥/an ne pourra plus bénéficier de l’abattement pour conjoint mais pourra néanmoins obtenir un abattement spécial pour conjoint de l’ordre de 310 000 ¥

Montants de 2001, valides pour la période 1995-2003 [le mécanisme reste le même qu’en 1987-1994]

Abattements dont bénéficient les contribuables japonais au titre de Abattements dont bénéficient les contribuables japonais au titre de Abattements dont bénéficient les contribuables japonais au titre de Abattements dont bénéficient les contribuables japonais au titre de l’abattement (spécial) pour conjoint en fonction du rl’abattement (spécial) pour conjoint en fonction du rl’abattement (spécial) pour conjoint en fonction du rl’abattement (spécial) pour conjoint en fonction du revenu de leur conjointevenu de leur conjointevenu de leur conjointevenu de leur conjoint

Règlement du « problème des travailleurs(euses) à temps partiel » sur le

plan fiscal

Règlement du problème de la double jouissance d’un abattement humain

配偶者控除 Abattement pour conjoint

配偶者特別控除 Abattement spécial pour conjoint

47

abattement spécial pour conjoint (abattement dont bénéficient leur mari). Ce nouveau système

permet de limiter l’effet de seuil qui jusqu’alors fonctionnait comme une trappe à inactivité.

PHASE N°3 : SUPPRESSION DE LA PARTIE SUPERIEURE DE L’ABATTEMENT SPECIAL POUR CONJOINT EN 2004

La dernière réforme à modifier la structure des abattements pour conjoint a été votée

au cours de l’année 2003 et appliquée à partir de l’année fiscale 2004. Plusieurs rapports de la

Commission fiscale éclairent le déroulement des débats qui mena à la réforme : le « compte-

rendu du colloque sur la famille et le style de vie » [家族とライフスタイルに関する研究

会報告] daté de 2001, le rapport de juin 2002 sur « la direction générale à prendre pour la

mise en place d’un système fiscal souhaitable » [あるべき税制の構築に向けた基本方針]

et celui de novembre 2002 [平成 15年度における税制改革についての答申-あるべき税

制の構築に向けて] . Si le premier rapport analyse les grandes évolutions de la famille

japonaise et leurs conséquences sur le système fiscal existant, le second est plus général. Pour

ce qui est du contexte fiscal de l’époque, deux constats sont à faire. Tout d’abord, depuis la

crise asiatique de 1999, le gouvernement a œuvré pour réduire la pression fiscale qui pèse sur

les Japonais dans une stratégie de relance économique (baisse de près de 20% de l’IRPP).

Deuxièmement, si ces mesures spéciales prendront fin en 2007, dès 2002 – soit trois ans après

leur instauration, la Commission fiscale tire la sonnette d’alarme et propose plusieurs mesures

de compensation. L’abaissement du seuil d’imposition est une des propositions phares du

rapport de juin 2002 [広く公平に負担を分かち合う]. C’est dans ce contexte que naît le

débat sur la révision des abattements humains de base. Pour résumer, le dilemme auquel est

confronté la Commission fiscale est le suivant : dans tous les cas, certains abattements vont

devoir ‘sauter’, la question est de savoir lesquels.

1. LES PROBLEMES POSES

Une fois le problème de l’érosion fiscale de l’impôt sur le revenu posé, il reste à la

Commission fiscale la responsabilité de décider quel abattement fera les frais de

l’augmentation de la pression fiscale. Pour cela, la Commission va mettre en avant des

« problèmes » qui, à leur tour, appelleront la réaction de l’autorité étatique par la mise en

place de « mesures ».

48

1) Vers une révision du système des abattements humains de base

Si ce sont les abattements humains de base31 qui nous intéressent ici, il faut savoir

qu’ils ne se sont pas les seuls à faire l’objet d’une attention particulière de la part de la

Commission fiscale. Les autres abattements de l’IRPP sont également la cible de cette

révision générale. Les rapports de 2002 soulignent le niveau de complexité qu’a atteint le

système fiscal de par la création constante de nouvelles catégories d’abattements et

s’engagent dans un processus de rassemblement et de simplification . Si l’impôt sur le

revenu est loué pour sa capacité à prendre en compte les caractéristiques propres du

contribuable, ce qui lui vaut le qualificatif d’impôt le plus juste, se pose la question de savoir

jusqu’où l’impôt doit prendre en compte les particularités de chacun. Pourquoi prendre en

compte telle caractéristique et pas une autre ? Etc. Outre ces limites à la prise en compte

toujours plus précise des caractéristiques individuelles dans le calcul de l’impôt, la

Commission souligne la difficulté de trouver un consensus sur les caractéristiques qui

méritent d’être la cible d’abattements du fait de la diversification croissante des valeurs

partagées par le peuple japonais. Enfin, les rapports de 2002 insistent également sur le fait que

le développement du système de protection sociale et des infrastructures a désormais rendu

possible une simplification et/ou un regroupement de plusieurs abattements. Si aucun des

rapports ne semble prendre le temps d’expliciter cet argument, l’interprétation que j’en ai faite

est la suivante : tout comme la Suède n’accorde pas d’abattements pour charge de famille

pour la simple et bonne raison que le système de prise en charge des jeunes enfants est

suffisamment développé pour que la présence d’un enfant n’ait que très peu d’impact sur la

capacité d’imposition des parents, le Japon a un système de protection sociale assez

développé pour que les contribuables puissent se décharger de certaines de leurs

responsabilité de care sur l’Etat et ainsi conserver leur capacité d’imposition plus ou moins

intacte.

Si l’introduction d’abattements toujours plus nombreux était au départ destinée à la

meilleure prise en compte des caractéristiques familiales ou personnelles du contribuable, elle

a également contribué à faire naître de nouveaux déséquilibres fiscaux. Le développement

d’abattements « spéciaux » en est arrivé à un tel point que les abattements ayant pour cible les

membres de la famille du contribuable sont désormais plus généreux que ceux ayant pour

cible le contribuable lui-même. Pour un système où l’unité d’imposition est l’individu, un tel

31 Pour rappel, les « abattements humains de base » consistent en : l’abattement de base + l’abattement pour conjoint + l’abattement spécial pour conjoint + l’abattement pour charge de famille

49

constat doit être mûrement analysé et des conséquences doivent en être tirées. Si les

abattements ayant pour cible les membres de la famille du contribuable sont relativement

conséquents, certains de ses membres font l’objet d’un « traitement de faveur ». C’est

notamment le cas des conjoints. Avec l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint, le

conjoint fait désormais l’objet de deux abattements distincts d’un montant total de 760 000

yens, soit le double de l’abattement de base ou le double de l’abattement pour charge de

famille (pour la catégorie ‘normale’).

Figure 13 : Naissance de nouveaux déséquilibres fiscaux du à la multiplication des abattements

Enfin, les rapports insistent sur le manque d’adaptation des abattements humains de

base à l’évolution de la société japonaise. Si les abattements ayant pour cible les conjoints

« inactifs » (= femmes au foyer) ont pendant longtemps soutenu un modèle familial largement

partagé par la société japonaise, ce n’est plus le cas actuellement, les foyers « traditionnels »

étant en perte de vitesse.

« Quand l’abattement spécial pour conjoint a été établi, il avait été pensé dans une optique de réduction de la pression fiscale qui pesait sur les foyers « pourvoyeur – femme au foyer ». A l’époque, les foyers composés d’un mari pourvoyeur et d’une femme au foyer étaient le type même du modèle familial japonais. Mais, avec les changements économiques des années 1990, le nombre de foyers où les deux conjoints travaillent a désormais dépassé le nombre de foyers « pourvoyeurs – femmes au foyer ». On peut également voir un glissement dans les caractéristiques du travail des femmes : leurs salaires, longtemps qualifiés « d’appoints », sont désormais aussi essentiels à la bonne

marche des finances familiales que le salaire de leur mari. [Tiré du rapport «平成 15年度

における税制改革についての答申-あるべき税制の構築に向けて »]

De ce constat naît la nécessité de revoir le système actuel afin qu’il corresponde mieux

à la réalité sociale japonaise.

38

Couple pourvoyeur femme au foyer avec un enfant

Mari Femme

Abattement pour conjoint

Abattement de base

La multiplication des abattements a contribué à la naissance de nouveaux déséquilibres fiscaux

38

38

38

Abattement spécial pour conjoint

Abattement pour charge de famille

Les conjoints font l’objet de deux abattements

Les membres de la famille du contribuable font l’objet d’un montant total d’abattements 3 fois supérieur à celui que le contribuable perçoit pour sa propre personne

50

2) Vers un meilleur respect du principe de neutralité de la fiscalité

Les rapports de 2002 accordent une grande importance à 3 principes : l’équité, la

neutralité et la simplicité. Si le principe d’équité est un grand classique des rapports de la

Commission fiscale, c’est la première fois que le principe de neutralité fait son apparition

parmi les « principes de base ». Ainsi, s’il en était question dans le rapport de 1986, il ne

faisait cependant pas parti des quatre « principes de base » sur lesquels reposait la réforme.

Qu’entend la Commission par « neutralité » du système fiscal ? Une lecture attentive des

rapports permet de mettre en évidence deux types de discours. Le premier, déjà présent à la

fin des années 1980, est davantage tourné vers le monde économique. La fiscalité doit rester

neutre vis-à-vis des choix des acteurs économiques dans un monde où le marché a remplacé

l’Etat comme force d’orientation des comportements économiques. Le marché étant

autorégulateur, toute intervention de l’Etat ne pourrait que gêner le bon fonctionnement du

marché, et donc de l’économie. C’est ainsi que la Commission fiscale prend ses distances

avec l’époque de forte croissance économique (1945-1975) où la fiscalité était utilisée pour

soutenir les buts promus par l’Etat japonais, que ce soit l’épargne ou l’investissement dans un

domaine économique particulier. Le second type de discours est très proche du premier à la

différence de l’interlocuteur visé : ainsi, si le premier type de discours insiste sur la nécessité

de soustraire les choix des agents économiques à toute pression fiscale, le second insiste quant

à lui sur la nécessité de ne pas intervenir dans le libre choix des individus. Bien que présent

dans le rapport de 1986, ce dernier n’a vraiment pris toute son ampleur qu’à partir de la

seconde moitié des années 1990.

« Du point de vue fiscal, il nous faut éviter à tout prix d’intervenir dans les activités économiques et de consommation des entreprises et des individus et privilégier une approche neutre. S’en remettre aux choix et au jugement libre du secteur privé ne pourra que contribuer à la réactivation de l’économie dans son entier. » p. 17 du rapport de 1986

Les rapports de la Commission en ce début des années 2000 sont beaucoup plus explicites

dans ce qu’ils entendent par « ne pas intervenir dans les choix individuels ». La non-neutralité

de la fiscalité vis-à-vis du choix des femmes de rester au foyer pour s’occuper des enfants ou

de reprendre une activité économique rémunérée, qu’elle soit à temps plein ou à temps partiel,

est ainsi soulignée à plusieurs reprises.

« Par ailleurs, du point de vue de la formation de la société paritaire, la non neutralité [de la fiscalité] vis-à-vis des choix des hommes et des femmes est régulièrement souligné. »

51

On notera néanmoins l’usage assez distant de la forme passive32 de la citation présente qui

contraste avec les formes d’énonciation plus directes qui sont employées lorsqu’il s’agit du

problème de non-neutralité de la fiscalité vis-à-vis du libre choix des acteurs économiques.

Cela ne dénoterait-il pas un moindre engagement de la part de la Commission fiscale à l’égard

de la suppression des biais de genre présents dans le système fiscal ?

Le « compte-rendu du colloque sur la famille et le style de vie » (2001) se montre

quant à lui davantage préoccupé par ce problème. Fini les tournures « prudentes », le

problème est clairement mis en évidence. Partant du constat que les modes de vie se sont

diversifiés, accélérant la perte de vitesse du modèle familial « pourvoyeur – femme au foyer »,

le compte-rendu va cependant plus loin que ce simple constat. Il met ainsi en avant le fait que

la famille dite « moyenne » de la période de forte croissance est toujours celle qui tient lieu

de prémisse dans un grand nombre de mesures politiques et fiscales, favorisant certaines

familles aux dépends des autres.

2. LES MESURES PROPOSEES

A la suite de cet examen, la Commission propose deux orientations principales : la

simplification du système d’abattements (qui pourrait passer par le regroupement de certains

d’entre eux) et le respect du principe de neutralité. Pour ce qui est des abattements relatifs à la

personne du conjoint, la Commission semble s’orienter vers la suppression de l’abattement

spécial pour conjoint et la mise en place d’une mesure pour que le « problème des

travailleurs(euses) à temps partiel » ne réapparaisse pas.

Figure 14 : Deux possibilités pour la réforme : laquelle choisir ?

Les cas possibles répondant à

ces deux conditions sont

présentés dans la figure de

gauche. La différence

principale entre ces deux cas

réside dans le traitement qui est

réservé à l’abattement pour

conjoint. Dans le premier cas, l’abattement pour conjoint reste intact et seule la partie

supérieure de l’abattement spécial pour conjoint est supprimée. Dans le second cas, en plus de

32 Dans le texte d’origine, l’expression utilisée est : « les remarques sont nombreuses quant à …»

Revenu de la femme

Revenu de la femme

Montant de l’abattement

Montant de l’abattement

Possibilité n°1 Possibilité n°2

Permet de ne pas faire réapparaître le « problème des travailleurs(euseus) à temps partiel »

52

la suppression de l’abattement spécial pour conjoint, l’abattement pour conjoint voit sa forme

modifiée pour adopter le mécanisme de dégressivité du montant de l’abattement en fonction

de la hausse du revenu du conjoint. Le choix de l’un ou de l’autre dépend donc du sort qui

sera réservé à l’abattement pour conjoint.

L’enregistrement des débats de la Commission fiscale étant disponible pour les années

2000, il nous est possible d’entrevoir la forme qu’ont prise les débats autour de la possible

suppression de l’abattement pour conjoint. Deux positions principales s’affrontent : celles qui

sont favorables à une remise en cause du système existant et celles qui adoptent une position

prudente. Quantitativement parlant, ce sont les premières qui sont les plus nombreuses.

Malheureusement, l’identité des interlocuteurs n’étant pas précisée pour toutes les

commissions, il a été impossible d’analyser les opinions de chacun en fonction de sa

spécialité (est-il un fiscaliste ou pas ?) ou de sa légitimité (qui a de fortes chances de découler

de son degré de connaissances techniques). La figure 15 représente les types de discours

rencontrés au cours des débats des années 1999, 2000 et 2002.

Comme le montre les débats qui ont eu lieu au sein de la Commission fiscale,

l’abattement pour conjoint est un sujet relativement sensible qui ne prête pas facilement au

compromis. C’est pourquoi, la Commission ne prend pas le risque de se positionner

clairement sur le sujet et se limite à faire trois propositions. Au législateur de trancher. Les

trois propositions sont les suivantes :

1) La proposition du non-changement : conservation des trois abattements humains

de base, à savoir l’abattement de base, l’abattement pour conjoint et l’abattement

pour charge de famille. Une 2nde version propose le regroupement de l’abattement

pour conjoint et de l’abattement pour charge de famille dans un unique abattement,

qualifié provisoirement « d’abattement familial ».

2) Suppression de l’abattement pour conjoint et limitation de l’abattement pour

charge de famille aux seuls enfants et personnes âgées. Toute personne en âge de

travailler ne peut faire l’objet d’un abattement pour charge de famille. Tout ceci en

parallèle d’une augmentation du montant de l’abattement de base.

3) Suppression de l’abattement pour conjoint. L’abattement pour charge de famille

est remplacé par une réduction d’impôts accordée aux contribuables ayant des

enfants à charge et le montant de l’abattement de base est augmenté. Cela profitera

davantage aux foyers modestes.

53

Figure 15 : Représentation des arguments tenus par les pro et les anti-suppression de l'abattement pour conjoint33

Pour les extraits correspondants, voir Annexe 3.

33 Sources : 平成 11年 10月 29日開催_税制調査会第 37回総会

平成 12年 5月 19日開催_税制調査会第 48回総会 平成 14年 8月 30日開催_税制調査会第 17回基礎問題小委員会*** 平成 14年 11月 5日開催_税制調査会第 35回総会議 平成 14年 9月 27日開催_税制調査会第 18回基礎問題小委員会

Met en évidence les faiblesses de la logique de l’abattement pour conjoint

A la poursuite d’un idéal

POSITION PRUDENTE A L’EGARD

DE LA SUPPRESSION DE

L’ABATTEMENT POUR CONJOINT

1. La logique fiscale voudrait que le travail

domestique des femmes au foyer soit

taxé et non pas sujet à abattements

5. Contradiction entre le principe (unité individuelle) et la

réalité (considérations familiales importantes)

9. Non-neutralité de la fiscalité (x7)

2. Si le but de l’abattement pour conjoint est

l’appréciation du travail domestique / de care, alors d’autres mesures semblent

être plus à même d’atteindre le but souhaité (x5)

8. Le système actuel est basé sur la prémisse d’un homme marié qui

travaille pour nourrir sa famille ; nous devons le modifier pour qu’il

corresponde aux idéaux de la société paritaire = changement de

modèle référent

7. Le système japonais est

en opposition avec la tendance mondiale : mise en place d’un système fiscal qui soutienne les couples où les

deux conjoints travaillent.

4. Les femmes au foyer sont issues

de foyers favorisés = pas besoin d’un

abattement

6. L’abattement pour conjoint est né dans un contexte politique très

particulier ; or, ce contexte n’est plus

d’actualité

3. La fiscalité a des effets secondaires bien au-delà

du seul domaine fiscal = les « catégories » créer par la fiscalité étant reprises par

d’autres acteurs

D. C’est un problème politique

(x3)

E. L’abattement pour conjoint concerne un nombre conséquent

de foyers (x5)

G. L’importance de la place de la famille doit

se traduire dans le système fiscal = pour une politique familiale

A. Les femmes au foyer n’ont pas de revenu : il est

normal qu’elles fassent l’objet d’avantages fiscaux &

sociaux

B. Certaines femmes n’ont tout simplement pas le

choix, leurs responsabilités au foyer les empêchent de

travailler

C. L’impact du système fiscal sur la décision de travailler

est surévalué, devenir femme au foyer = un

choix F. Les femmes au foyer ne sont pas inactives, leur rôle auprès des enfants et personnes

âgées est on ne peut plus important. (x2)

Met en évidence les faiblesses du raisonnement des pro-suppressions de l’abattement pour conjoint

ARGUMENTS DE SOUTIEN A LA

SUPPRESSION DE L’ABATTEMENT

POUR CONJOINT

54

3. QUELLE EST LA SOLUTION CHOISIE ET POURQUOI ?

La réforme qui verra le jour à partir de l’année fiscale 2004 ne remet pas en cause

l’existence de l’abattement pour conjoint. C’est donc bien la solution 1 (dans sa version de

base) qui a été choisie. En conséquence, la suppression de l’abattement spécial pour conjoint

n’est que partielle : seule sa partie supérieure fait l’objet d’une suppression (possibilité n°2),

la partie inférieure étant laissée telle quelle afin que le « problème des travailleurs(euses) à

temps partiel » ne refasse surface. Il semblerait donc que la position prudente d’une partie des

commissionnaires ait eu raison de l’opposition à l’abattement pour conjoint. Les arguments

pragmatiques (couleur bleue) qui insistent sur le nombre de foyers bénéficiant de l’abattement

pour conjoint et ainsi de l’impact politique qu’aurait sa suppression sont probablement ceux

qui ont le plus influencé l’issue du débat. Une enquête réalisée sur un nombre limité de

Japonais (moins d’une centaine) montrait que la majorité d’entre eux étaient favorables à la

solution 1.

55

LE CONJOINT, UNE PERSONNE A CHARGE COMME LES AUTRES ?

Jusqu’à présent, nous avons parcouru l’évolution des abattements pour conjoint en

nous focalisant sur les trois principaux moments du changement : 1961, 1987 et 2004. Ces

« grands moments » du changement que sont la création ou la suppression d’abattements

relatifs au conjoint, aussi « remarquables » qu’ils soient, ne sont pas les seuls révélateurs du

changement. Bien que plus discrets, les changements incrémentaux tels l’évolution des

critères d’attribution ou du montant des abattements nous donnent à voir une réalité qui

diffère parfois du « récit » officiel des abattements pour conjoint. La question à laquelle nous

essayerons de répondre ici est la suivante : l’abattement pour conjoint, créé dans le but

explicite de différencier le conjoint d’une « simple » personne à charge, a-t-il été à même

de poursuivre cet objectif jusqu’à aujourd’hui ?

1. ANALYSE COMPARATIVE DE L’EVOLUTION DES MONTANTS DE

L’ABATTEMENT POUR CONJOINT ET DE L’ABATTEMENT POUR CHARGE DE

FAMILLE

L’analyse de l’évolution des montants de l’abattement pour conjoint nous renseigne

sur le traitement différentiel de ce dernier comme personne à charge « à part ». Avant de

porter le regard sur l’évolution de l’après 1961, il convient d’analyser le changement

concret qu’apporta la création de l’abattement pour conjoint sur le statut fiscal du

conjoint. Avant la réforme de 1961, le conjoint pouvait être la cible d’un abattement en tant

que « personne à charge ». L’abattement pour charge de famille distinguait la « première

personne à charge », de la deuxième, de la troisième, etc. La 1ère personne à charge était

sujette à un abattement d’un montant supérieur à celui de la deuxième, qui était elle-même

sujette à un abattement d’un montant supérieur à celui dont bénéficiait la troisième personne à

charge. Dans le cas où le contribuable avait un conjoint, ce dernier était comptabilisé par

l’administration fiscale comme étant la 1ère personne à charge, bénéficiant ainsi du montant

d’abattement le plus élevé. L’objectif principal de ce système de montant dégressif était de

refléter au mieux l’évolution des coûts d’entretien à mesure qu’augmentait le nombre de

personnes à charge. De par l’existence de coûts fixes (ex : habitation), la personne à charge

supplémentaire coûte généralement moins chère que la suivante. Afin de comparer le statut du

conjoint comme personne à charge « à part », il convient de mesurer le rapport suivant :

56

montant de l’abattement ayant pour cible le conjoint ÷ montant de l’abattement pour personne

à charge. Tout résultat supérieur à 1 signifie que le conjoint est la cible d’un abattement d’un

montant plus important que celui à destination des autres personnes à charge.

La lecture de la figure ci-dessous nous permet de dire que la création de l’abattement

pour conjoint n’a pas eu de répercussion majeure sur la place spéciale faite au conjoint : en

effet, aussi bien avant qu’après 1961, le montant de l’abattement pour conjoint était au moins

1,5 fois supérieur à celui de l’abattement pour les autres ‘personnes à charge’. La tendance

générale de ces « années 30 » (1955 = l’an 30 de l’ère Showa et 1965 = l’an 40 de l’ère

Showa) se décompose en 3 phases principales : une augmentation progressive du rapport

entre 1955 et 1960, une baisse en 1961 et de nouveau une augmentation entre 1961 et 1965.

Le résultat trouvé pour l’année fiscale 1961 est contre-intuitif : si l’on avait pu espérer en

cette année de l’introduction de l’abattement pour conjoint une augmentation relative de

l’avantage fiscal accordé au conjoint, ce n’est pas le cas. En effet, le rapport entre les deux

montants passe de 2,33 à 1,8 démontrant ainsi une réduction relative de l’avantage fiscal

accordé au conjoint. Cette baisse ne sera néanmoins que passagère : dès 1965, le rapport entre

les montants dépasse le « record » précédent et s’établit à 2,4. Le montant de l’abattement

pour conjoint est alors 2,4 fois plus important que celui accordé aux personnes à charge de +

de 15 ans.

Figure 16 : Le conjoint, une personne à charge comme les autres ? (1955-1965)

Le conjoint, une personne à charge comme les autres ? (1955-1965)

0

2

4

6

8

10

12

14

1955

1956

1957

1958

1959

1960

1961

1962

1963

1964

1965

Mon

tant

des

aba

ttem

ents

1

1,5

2

2,5

Rap

port

ent

re le

s m

onta

nts Montant de l'abattement

ayant pour cible le conjoint(en dizaine de milliers deyens)

Montant de l'abattement pourcible une personne à chargeautre que le conjoint (endizaine de milliers de yens)

Rapport entre le montant del'abattement pour conjoint etle montant de l'abattementpour personne à charge

La lecture du rapport de 1956 de la Commission fiscale donne quelques clés pour

comprendre la hausse de l’avantage comparatif accordé au conjoint pour l’année fiscale 1957.

Le rapport recommande l’augmentation du montant de l’abattement de base et de l’abattement

pour charge de famille (première personne uniquement) de 10 000 yens chacun afin de

compenser la suppression d’un autre abattement. Il souligne néanmoins avec insistance le fait

57

que cette hausse n’est que compensatrice et ne trouve aucunement son origine dans une

quelconque faiblesse du montant des abattements humains de base. Cette insistance nous

éclaire sur l’importance qui était alors accordée à la proportionnalité entre le montant de

l’abattement et le coût d’entretien réel de la personne à charge ciblée par l’abattement. La

dégressivité du montant de l’abattement pour charge de famille était un moyen d’assurer cette

proportionnalité. Or, la réforme de 1961 supprime cette dégressivité pour introduire un

système qui perdure jusqu’à aujourd’hui, à savoir la différenciation du montant de

l’abattement en fonction du type de personne à charge concernée (enfants / jeunes, etc.).

L’analyse comparative du montant des abattements ayant pour cible le conjoint et de

ceux ayant pour cible les autres personnes à charge semble donc indiquer une certaine

continuité entre l’avant et l’après réforme fiscale de 1961. Cependant, il faut se garder

d’interpréter cela comme un « non-changement ». En effet, la « prise d’autonomie » de

l’abattement pour conjoint affaiblit les arguments en faveur de la stricte proportionnalité entre

le montant des abattements et le coût d’entretien réel. On peut émettre l’hypothèse que cette

évolution facilitera l’augmentation du montant de l’abattement pour conjoint par la suite.

De 1961 jusqu’en 1986, année qui précède la création de l’abattement spécial

pour conjoint, le conjoint perd peu à peu sa place de personne à charge « à part ». La

période 1961-1986 peut être découpée en 3 sous-périodes. La 1ère [1961-1967] se caractérise

par une hausse régulière de l’avantage relatif accordé au conjoint : en 1961, le montant de

l’abattement pour conjoint est 1,8 fois supérieur à celui de l’abattement pour charge de famille,

contre 2,6 fois pour l’année fiscale 1967. Cette hausse poursuit la tendance déjà commencée

en 1955 et qui n’avait été stoppée dans son élan que par la réforme de 1961.

Figure 17 : Le conjoint, une simple personne à charge ? (1961-1986)

Le conjoint, une simple personne à charge ? [1961-1 986]

0

5

10

15

20

25

30

35

1961

1964

1967

1970

1973

1976

1979

1982

1985

Mon

tant

des

aba

ttem

ents

1

1,2

1,4

1,6

1,8

2

2,2

2,4

2,6

Rap

port

ent

re le

s m

onta

nts

Montant de l'abattement pourconjoint (en dizaines demilliers de yens)

Montant de l'abattement pourpersonne à charge (endizaines de milliers de yens)

Rapport entre le montant del'abattement pour conjoint etle montant de l'abattementpour personne à charge

58

La deuxième période [1968-1975] se caractérise par le mouvement inverse, à savoir

l’égalisation progressive du montant des abattements ayant pour cible le conjoint et ceux

ayant pour cible les autres personnes à charge. L’écart relatif le moins important enregistré

jusqu’alors datait de 1955 (1,6), un nouveau ‘record’ est enregistré en 1970 : la barre

symbolique des « 1,5 » est franchie. Il ne faudra dès lors que 5 ans pour que le montant des

deux abattements ne s’égalise (1975). La troisième période [1975-1986] se caractérise par la

stabilisation du mouvement d’égalisation des montants : toute hausse du montant d’un

abattement est désormais suivie par celle des autres. Avec l’égalisation du montant de

l’abattement de base et de l’abattement pour conjoint en 1968, l’année 1975 marque

l’égalisation non pas de deux abattements mais bien des trois abattements humains de base.

Nous pouvons ainsi voir que la tendance générale est à l’étiolement de la qualité du

conjoint comme personne à charge « à part » au profit d’une certaine uniformisation

avec l’abattement pour charge de famille.

L’introduction en 1987 de l’abattement spécial pour conjoint met un terme au

mouvement d’égalisation du montant des abattements ayant pour cible le conjoint et de

l’abattement pour charge de famille. Le conjoint redevient à nouveau une ‘personne à

charge’ « à part », sujet à des abattements dont le montant total est le double de ceux des

autres personnes à la charge du contribuable. En effet, avec la création de l’abattement spécial

pour conjoint, les femmes dont le revenu annuel est inférieur à 650 000 yens sont non

seulement la cible de l’abattement pour conjoint mais également de l’abattement spécial pour

conjoint. Même si le montant de l’abattement pour conjoint et de l’abattement pour charge de

famille restent égaux, la création d’un second abattement à destination du conjoint vient

naturellement déséquilibrer le rapport de force entre ces derniers. Ceci se vérifie jusqu’à la

réforme de 2004 qui voit la partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint être

supprimée.

Comme l’explicite la figure ci-après, les femmes ayant un revenu compris entre

650 000 et 1 000 000 yens (cas n°3) sont sujettes à l’abattement pour conjoint ainsi qu’à

l’abattement spécial pour conjoint. Cependant, du fait de la dégressivité de l’abattement

spécial pour conjoint, la différence est moindre que dans les cas des femmes au foyer [et plus

largement des cas n°2 également].

59

Figure 18 : Montants des abattements ayant pour cible le conjoint en fonction du revenu de ce dernier (1987-2003) – mise en image du « récit » de la Commission

La réforme fiscale de 2004, qui voit la partie supérieure de l’abattement spécial pour

conjoint être supprimée, modifie une nouvelle fois le poids relatif des abattements pour

conjoint et de l’abattement pour charge de famille. L’égalité est de nouveau instaurée faisant

perdre au conjoint la « place spéciale » qu’il avait acquise sous la réforme de 1987. Cette

évolution a été permise par le fait que l’abattement spécial pour conjoint n’est désormais plus

applicable qu’aux conjoints dont le revenu est supérieur au seuil d’imposition. Ainsi, tout

contribuable bénéficiant de l’abattement pour conjoint ne peut prétendre à bénéficier

également de l’abattement spécial pour conjoint, leur condition d’accès s’excluant l’un l’autre.

Comparer l’évolution du montant des abattements ayant pour cible le conjoint

avec celui de l’abattement pour charge de famille nous aura permis de confirmer

certaines hypothèses, d’en rejeter d’autres, et surtout de mettre en lumière certaines

évolutions peu visibles. Ainsi, contrairement à ce que l’on aurait pu supposer, la réforme

fiscale de 1961 n’a pas augmenté de façon significative l’avantage relatif accordé au conjoint

par rapport aux autres personnes à charge. Le traitement différentiel du conjoint était déjà

fortement marqué avant l’introduction de l’abattement pour conjoint, il le restera après. Les

réformes de 1987 et de 2004 répondent quant à elles à nos « attentes ». Toutes deux marquent

l’avènement d’un changement majeur dans le poids relatif accordé au conjoint face aux autres

personnes à charge du contribuable ; la première le renforçant et la 2nde le réduisant. Enfin,

cette analyse comparative nous aura permis de mettre en évidence le processus d’égalisation

du montant de l’abattement pour conjoint et de l’abattement pour charge de famille à partir de

la 1ère moitié des années 1970. Cette évolution rapide qui prit place en 5 années seulement se

2. Revenu de la femme inférieur au montant

minimum de l’abattement pour revenu salarial (-65)

1. Femme au foyer

(Revenu = 0)

3. Revenu de la femme compris entre

65 et 100

4. Revenu de la femme compris entre

100 et 135

Femmes travaillant à temps partiel

35

15

20

Abattement pour conjoint

Abattement spécial pour conjoint

35

35

35

35

TOTAL = 70 TOTAL = 70 TOTAL = entre

35 et 70

TOTAL = entre 0 et 35

Montants des abattements ayant pour cible le conjoint en fonction du revenu de ce dernier [1987-2003]

LEGENDE

35

Montant de l’abattement pour une personne à charge ‘normale’

1

2 2

<1

1 - 2

Chiffres pour l’année fiscale 1989

60

solde par l’égalisation du montant des trois abattements humains de base34. Une telle

évolution serait passée inaperçue si l’on s’était limité à étudier les « 3 grands moments » du

changement que sont les réformes fiscales de 1961, 1987 et 2004.

Figure 19 : Résumé de l'évolution du rapport entre le montant des abattements ayant pour cible le conjoint et le montant de l'abattement pour charge de famille

RESUME _ Evolution du rapport entre le montant des abattements ayant pour cible le conjoint et le montant de l'abattement pour charge familiale [1955-2012]

11,21,4

1,61,8

22,2

2,42,6

1955

1958

1961

1964

1967

1970

1973

1976

1979

1982

1985

1988

1991

1994

1997

2000

2003

2006

2009

2012

2. ANALYSE DE L’EVOLUTION DES SOUS-CATEGORIES DE L’ABATTEMENT

POUR CONJOINT ET DE L’ABATTEMENT POUR CHARGE DE FAMILLE

Une des insatisfactions soulignée par la Commission fiscale dans son rapport de 1960

concerne la catégorisation du conjoint comme d’une « simple » personne à charge ».

« Cependant, étant donné que le conjoint contribue grandement au revenu engrangé par son conjoint, il est injustifié de le considérer comme une simple personne à charge. [C’est

pourquoi] certains sont d’avis de reconnaître fiscalement le « statut de la femme » [妻の座] et

de créer un abattement pour conjoint du même montant que l’abattement de base. » Rapport de 1960_ p. 39

L’introduction de l’abattement pour conjoint permet la stricte séparation entre le

conjoint et les ‘personnes à charge’. Si l’existence de ces deux abattements permet de

distinguer dans les faits comme dans le discours le conjoint des autres « personnes à charge »,

ces deux abattements n’ont-ils pas plus de points en commun qu’on veut bien le dire ? Plus

précisément, l’abattement pour conjoint et l’abattement pour charge de famille ne

partagent-ils pas la même logique de fond à savoir éviter de saper la capacité de prise en

charge financière des « personnes à charge » par le contribuable ? Si cette hypothèse se

34 Si d’autres chercheuses comme Sugî Shizuko ont mis en évidence le fait que les montants de l’abattement pour conjoint et de l’abattement pour charge de famille s’égalisent en 1975, je suis la seule à avoir poussé la réflexion aussi loin (calcul du rapport entre les montants des abattements, etc.)

1961 1987 2004

Femmes dont le revenu est compris

entre 65 et 100

Femmes au foyer

61

vérifiait, cela ne pourrait que renforcer l’idée, déjà développée dans la partie précédente, que

le traitement fiscal du conjoint n’est finalement pas tellement différent de celui des ‘autres’

personnes à charge.

La ‘raison d’être’ des abattements pour « charge familiale » est de faire en sorte que le

contribuable ne soit pas taxer à un niveau l’empêchant de faire face aux coûts nécessaires à

l’entretien des personnes qu’il a en charge : enfants, parents âgés, etc. Avant la réforme

fiscale de 1961, le système de dégressivité du montant de l’abattement pour charge de famille

à mesure que le nombre de personnes à charge augmentait assurait une certaine

proportionnalité entre le montant de l’abattement et le coût d’entretien réel de la personne à

charge ciblée par l’abattement. La réforme de 1961 met fin à ce système. Désormais, ce sont

les caractéristiques personnelles de la personne à charge qui déterminent le montant de

l’abattement pour charge de famille. Ainsi, en 1961, deux sous-catégories apparaissent : les +

de 15 ans, cible d’un abattement de 50 000 yens et les – 15 ans, cible d’un abattement de

30 000 yens. Cette distinction trouve son origine dans le fait que les + de 15 ans coûtent plus

cher à entretenir que les enfants d’un plus jeune âge. Dans la même logique est introduite en

1972 la catégorie « + de 70 ans » : ces derniers bénéficient d’un abattement de 160 000 yens

contre 140 000 pour les charges de famille « de base ». Si le critère de l’âge est régulièrement

mobilisé pour créer des sous-catégories de potentiels bénéficiaires, il n’est pas le seul. En

effet, avec l’introduction en 1982 de la catégorie « handicapé », c’est la condition physique de

la personne à charge qui est prise en compte. [Pour plus de précisions, voir le tableau ci-

dessous]

Tableau 5 : Principales évolutions des sous-catégories de l'abattement pour charge de famille et de l'abattement pour conjoint

Abattement pour charge de famille (en dizaine de milliers de yens)

1961 + 15 ans = 5 || - 15 ans = 3

1964 + 13 ans = 5 || - 13 ans = 4

1966 Base = 6 (qu’importe l’âge)

1972 Base = 14 || + 70 ans = 16

1975 Supprime la mention « s’il n’y a pas de conjoint à charge, + ~pour la 1ère personne à charge)

1979 Base = 29 || + 70 ans = 30 || + 70 ans & cohabitation avec le contribuable = 40

1982 Base = 29 || + 70 ans = 30 || handicapé = 34 || + 70 ans & cohabitation = 40

1988 Base = 33 || parents ou beaux-parents de + 70 ans + cohabitation = 46 || Autre proche de +70 ans + cohabitation = 39 || handicapé = 47

1989 Base = 35 || « personnes à charge déterminées » = 45 || parents ou beaux-parents de + 70 ans + cohabitation = 46 || Autre proche de +70 ans + cohabitation = 39 || handicapé = + 30

2011 Suppression de la catégorie « handicapé »

62

Abattement pour conjoint (en dizaine de milliers de yens)

1977 Base = 29 || + 70 ans = 35

1982 Base = 29 || + 70 ans = 35 || handicapé + cohabitation = 34

1984 Base = 33 || + 70 ans = 39 || handicapé + cohabitation = 40

1989 Base = 35 || + 70 ans = 45 || handicapé + cohabitation = 65 || + 70 ans + handicapé + cohabitation = 75

2011 Base = 38 || + 70 ans = 48 (suppression des catégories relatives aux handicapés)

Qu’en est-il de l’abattement pour conjoint ? Différencie-t-il également les

« conjoints » selon leurs caractéristiques propres afin de mieux prendre en compte la

« charge » qu’ils représentent pour les finances du contribuable ? Il est intéressant de

constater que si l’abattement pour conjoint tel qu’instauré en 1961 ne contient aucune sous-

catégorie, ce ne sera plus le cas à partir de 1977. La sous-catégorie « + de 70 ans » est

introduite en 1977, soit 5 ans après son introduction dans l’abattement pour charge de famille.

En 1982, une nouvelle sous-catégorie est instaurée : il s’agit des handicapés. Cette fois-ci, on

notera qu’il n’y a pas de décalage temporel entre l’adoption de cette sous-catégorie par

l’abattement pour charge de famille et son adoption par l’abattement pour conjoint. Le

montant de l’abattement pour conjoint devient ainsi de plus en plus proportionnel à la

charge que fait peser ce dernier sur les finances du contribuable. Cette tendance se

confirme en 1989 quand la sous-catégorie « conjoint de + de 70 ans & handicapé » est créée.

Clairement, l’abattement pour conjoint n’a pas seulement pour but de « récompenser la

contribution du conjoint au revenu du contribuable » ; il partage, avec l’abattement pour

charge de famille, l’objectif de maintenir intacte la capacité d’entretien du chef de famille. Ce

dernier doit toujours être capable d’entretenir sa famille, même après le paiement de l’impôt.

On pourra rajouter enfin, que la suppression simultanée des sous-catégories relatives au

handicap en 2011 confirme la proximité qui existe entre l’abattement pour conjoint et

l’abattement pour charge de famille.

Le « récit » de la « spécificité » de l’abattement pour conjoint est donc à relativiser.

63

Partie Partie Partie Partie 2222

LE « POURQUOI » DU CHANGEMENT

64

65

Le « pourquoi » du changement

Question souvent mise de côté par les travaux sur l’abattement pour conjoint, le

« pourquoi » du changement, en plus de mettre en évidence les principaux facteurs d’une

évolution donnée, a également le mérite d’interroger le mécanisme de mise sur agenda. Nous

nous y pencherons dans cette seconde partie.

S’il fallait trouver une faiblesse à la littérature « mainstream » sur le changement, ce

serait sa tendance à se focaliser sur une seule explication causale. Pour un instrument dont

l’histoire traverse plus d’un demi-siècle, l’explication mono-causale a des limites évidentes.

L’approche par les « trois i », développée par Surel et Palier (2005) a le mérite de faire

discuter des variables souvent traitées séparément : les idées, les institutions et les intérêts. La

hiérarchisation des variables explicatives vient après, selon un découpage séquentiel.

Quatre hypothèses seront développées dans cette seconde partie, chacune approchant

le changement sous un nouvel angle. La première s’intéresse au lien qui unit l’évolution des

abattements pour conjoint à l’évolution générale de la politique fiscale japonaise, interrogeant

le caractère autonome des abattements. La seconde aborde le changement par le phénomène

de « mise en problème » – phénomène déjà en partie évoqué lors de la première partie. La

troisième hypothèse se charge d’identifier les acteurs qui se sont mobilisés à partir de la

seconde moitié des années 1990 contre le système des abattements pour conjoint. Enfin, la

dernière hypothèse revient sur la perte progressive de l’influence du modèle familial de type

« pourvoyeur – femme au foyer » en testant le rôle de deux variables principales : l’évolution

du contexte économique et la perte d’influence du conservatisme japonais.

66

HYPOTHESE N°1 : L’ EVOLUTION DES ABATTEMENTS POUR CONJOINT EST-ELLE AUTONOME OU DEPENDANTE DE LA POLITIQUE FISCALE GENERALE ?

L’abattement pour conjoint et l’abattement spécial pour conjoint sont, avant

toute chose, des instruments fiscaux, des ‘abattements’. De leur jouissance naît une

« réduction légale de la base d'imposition avant l’application de l’impôt »35. Toute création ou

augmentation du montant d’un abattement contribue à l’augmentation du seuil d’imposition

du contribuable et corollairement du revenu non soumis à l’impôt. Cela produit en une baisse

de l’impôt à payer, toutes choses égales par ailleurs. Dans le cas de l’abattement pour conjoint,

cette baisse de l’impôt ne bénéficie qu’aux contribuables ayant un conjoint à charge, la notion

de « conjoint à charge » étant déterminée par le niveau de revenu de ce dernier. Pour certains

contribuables, l’augmentation du montant des abattements peut permettre une descente de leur

tranche d’imposition. Jouer sur le montant des abattements, et notamment des abattements

pour conjoint, est un moyen pour le gouvernement de modifier la pression fiscale qu’il fait

peser sur certains foyers. La question principale de cette première section est la suivante : Les

mesures fiscales concernant le conjoint sont-elles autonomes (A) ou dépendantes (B) de

la politique fiscale générale ? Autrement dit, s’agit-il d’un programme d’aide à la

famille ou d’une simple mesure fiscale ?

1. LES ABATTEMENTS POUR CONJOINT : DES OUTILS D’AJUSTEMENTS

FISCAUX COMME LES AUTRES

Des deux hypothèses, c’est l’hypothèse B qui semble se vérifier. Pour preuve, les

grandes réformes des abattements pour conjoint suivent l’évolution de la politique fiscale.

Dans les périodes de baisse de la pression fiscale, de nouveaux abattements tels que

l’abattement pour conjoint ou l’abattement spécial pour conjoint sont créés, tandis qu’en

période de hausse de la pression fiscale, ils sont supprimés. Jamais, une ‘grande réforme’ des

abattements pour conjoint n’est allée à contre-sens du mouvement impulsé par la politique

fiscale. [Voir la figure ci-après]

35 Lexique juridique – Définition : abattement fiscal, [En ligne]. Adresse URL : http://www.vosdroitsendirect.com/lexique-134-abattement-fiscal.html

67

Figure 20 : Evolution parallèle de la politique fiscale générale et les mesures fiscales relatives au conjoint

1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010

1950 2010 2000 1990 1980 1970 1960

Reforme fiscale de grande envergure se basant sur le rapport Shoup

= Passage à une imposition séparée

Création de l’abattement pour conjoint

Création de l’abattement spécial pour

conjoint

Suppression de la partie

supérieure de l’abattement spécial pour

conjoint

57-61 : Procès relatif à la possibilité de verser une partie de son salaire à son conjoint

1966_ Réflexion sur les modes

d’appréciation de la contribution de la femme au revenu du mari (régime

matrimonial, etc.)

Plusieurs pays de l’OCDE passent au système d’imposition séparée

Dépenses fiscales toujours à la hausse alors même que le ralentissement économique entraîne une baisse des ressources fiscales. Solution = emprunt

Réforme fiscale de grande ampleur : introduction de la TVA

Rapports insistant sur la nécessité de rendre le système fiscal neutre vis-à-vis des choix individuels et notamment de la participation des femmes au marché du travail

� Evolution générale de la situation fiscale du Japon

Dépenses en forte hausse : système de protection sociale & travaux publics La croissance économique apporte des ressources financières suffisantes pour baisser régulièrement les impôts.

Malgré des mesures de réduction des dépenses, la tendance de dépendance croissante à l’emprunt se confirme

Vers une hausse de la

pression fiscale // baisse des

dépenses (dette = 140% PIB)

� Eléments relatifs à l’évolution de l’abattement pour conjoint

1999_ Politique de relance après la crise asiatique : baisse d’impôts

68

L’introduction de l’abattement pour conjoint à partir de l’année fiscale 1961 est à

replacer dans le contexte fiscal des années de forte croissance économique : une volonté

affichée du gouvernement de réduire la pression fiscale afin de soutenir la croissance

économique36. Dès le rapport de 1956, la Commission fiscale met en avant la pression fiscale

à laquelle les Japonais sont soumis, comparaisons internationales à l’appui. On y perçoit

également un vent de ‘nationalisme fiscal’, une volonté de faire correspondre le système fiscal

pensé par Shoup (« rapport Shoup » = rapports commandité par l’autorité américaine

d’occupation) à la situation japonaise et, de façon plus générale, à un contexte de forte

croissance économique. Si les dépenses de l’Etat japonais sont en forte hausse, dopés qu’elles

sont par la mise en place d’un système moderne de protection sociale et l’investissement

massif dans des infrastructures, la croissance économique permet des rentrées fiscales

suffisantes et ce, même en effectuant des mesures de baisse d’impôt régulièrement.

L’abattement pour conjoint est une des nombreuses mesures destinées à réduire la pression

fiscale. Sans ce contexte de baisse généralisée des impôts, nul doute que le problème de

déséquilibre entre salariés et indépendants se soit réglé d’une façon autre que la création d’un

nouvel abattement.

La bonne santé des finances japonaises connait un coup d’arrêt avec le choc pétrolier

de 1973 et le ralentissement économique mondial qui s’en suit. L’augmentation ‘naturelle’

des recettes fiscales, portée par des taux de croissance qui atteignaient régulièrement les 10%,

ne s’effectue plus ; alors même que du côté des dépenses, la situation se dégrade. Le coût des

plans de relance et l’arrivée à maturité des systèmes de protection sociale expliquent ce

gonflement des dépenses. L’Etat et les collectivités locales sont contraints de se tourner vers

l’emprunt national pour couvrir leurs déficits croissants. La dépendance à l’emprunt de l’Etat

japonais ira crescendo entre 1975 et 1980. D’après les informations qui ressortent du rapport

de 1983, l’assainissement des finances devient une préoccupation de la Commission à partir

de 1980. Cette année-là, seulement 60% du budget est couvert par les recettes fiscales, le reste

étant couvert par l’emprunt. Des efforts de réduction des dépenses sont entrepris mais ils

n’aboutissent pas aux résultats escomptés. Une réduction des dépenses n’ayant pas été

conclusive, la Commission propose de réformer profondément le système fiscal japonais. A

cette réforme, deux axes principaux : une révision à la baisse des fonctions de l’Etat et un

retour à « l’équité » fiscale, équité appréhendée ici comme le juste rapport entre la

contribution des uns et les bénéfices accordés aux autres. Pour un pays qui se considère

36 Ce panorama de la situation générale de la politique fiscale japonaise prend appui sur les rapports de la Commission fiscale et plus particulièrement sur leurs introductions.

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comme une « société classe moyenne », la contribution égale de chacun aux recettes de l’Etat

devient une condition sine qua non de l’équité fiscale. Ce discours, rapporté par la

Commission fiscale, présage un ‘rééquilibrage’ entre taxes directes et indirectes. Cette

direction sera maintenue dans le rapport de 1986 qui se positionne pour l’introduction d’une

taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Egalisation des salaires qui réduit la nécessité d’axer la

fiscalité sur la redistribution des revenus (tâche principale des impôts directs), division par

deux du poids des impôts sur la consommation en trente ans, non-taxation des services – alors

secteur montant de l’économie japonaise, sont autant de raisons qui permettent à la

Commission fiscale de déclarer le contexte japonais comme « propice » à l’introduction de la

TVA. A cela se rajoutent les critiques répétées du poids excessif de l’IRPP sur les foyers de

salary-man, le grand fautif étant une progressivité trop rapide. Pour un Etat japonais en quête

de ressources fiscales, la seule issue consiste donc à augmenter les impôts indirects. Ce sera

chose faite dans le courant de l’année 1988 avec la création de la TVA pour une application à

partir de l’année fiscale 1989. Comment alors replacer la création de l’abattement spécial

pour conjoint dans ce contexte ? A priori, la baisse de la pression fiscale qu’engendre sa

création va à contre-sens du mouvement d’augmentation de la pression fiscale voulue par la

Commission et l’Etat japonais. Une telle interprétation omet néanmoins la forme qu’a pris

cette augmentation de la pression fiscale, à savoir une hausse des impôts indirects. Les impôts

directs (tels que l’IRPP) ont, au contraire, été sujets à des baisses d’impôts conséquentes. Une

fois replacée dans ce contexte de rééquilibrage du poids des impôts directs versus impôts

indirects, la création de l’abattement spécial pour conjoint fait tout à fait sens. Le doublement

de son montant pour l’année fiscale 1989 (il passe de 165 000 en 1988 à 350 000 en 1989) ne

trouve d’explication que dans une volonté de « faire passer la pilule » de l’introduction de la

TVA, prévue pour la même année.

Petit bond dans le temps : nous voilà en 1999. La crise asiatique qui débuta avec

l’éclatement de la bulle financière thaïlandaise en juillet 1997 se fait sentir jusqu’au Japon. Le

gouvernement japonais met en place une politique de relance qui passe notamment par une

baisse d’impôts (定率減税) [cette dernière prendra fin en 2007]. Ces réductions d’impôts ont

pour conséquence première une baisse du seuil d’imposition. La Commission, dans son

rapport de 2002, met en exergue le niveau « particulièrement faible » du seuil d’imposition

japonais, comparaison internationale à l’appui. En 2002, la reprise économique se fait sentir :

les entreprises font à nouveau des profits, les investissements augmentent, la production est

repartie et on commence à voir une amélioration de la situation de l’emploi. On ne peut en

dire autant de la situation des finances publiques : la Commission prévoit pour la fin de

70

l’année 2003 une dette publique de près de 700 billions de yens. Les finances japonaises sont

en « situation de crise » : l’équilibre entre recettes et dépenses ne pourra être atteint qu’en

augmentant de 50% les recettes fiscales. Si la Commission ne va pas jusqu’à proposer une

telle hausse des impôts, il reste qu’un mouvement d’augmentation de la pression fiscale est

bien enclenché. La Commission veut « simplifier » le système fiscal actuel. Cela passe,

comme on a pu le voir dans la partie 1, par la suppression de plusieurs abattements

« spéciaux », l’abattement spécial pour conjoint (sa partie supérieure) en faisant partie

[réforme de 2004].

Nous venons donc de confirmer l’hypothèse B : les mesures fiscales relatives au

conjoint sont dépendantes de la politique fiscale générale. Elles sont ainsi mieux appréhender

par le qualificatif de « simples mesures fiscales » plutôt que par celui de « aide aux familles ».

2. POURQUOI CHOISIR D’AGIR SUR LA PRESSION FISCALE A TRAVERS UN

INSTRUMENT TEL QUE LES ABATTEMENTS POUR CONJOINT ?

Une question reste néanmoins à trancher : pourquoi le gouvernement a-t-il choisi cet

instrument là plutôt qu’un autre pour modifier la p ression fiscale ? Pourquoi les

abattements pour conjoint ? Non pas qu’ils aient été les seuls instruments sur lesquels l’Etat

s’est appuyé lors des grandes réformes de 1961, 1987 et 2004. Loin de là. Mais l’Etat avait

tout à fait la possibilité de ne pas faire appel à eux pour augmenter ou baisser le niveau

d’imposition, or il l’a fait. Qu’apportaient-ils de plus ?

Sous-hypothèse n°1_ Le gouvernement ne voulait viser qu’un type précis de contribuables, ce que les abattements pour conjoints permettent

L’abattement pour conjoint et l’abattement spécial pour conjoint ont la particularité de

ne concerner qu’un certain type de contribuables : les hommes mariés – principalement les

salariés37 - dont la femme s’occupe principalement des ‘affaires du foyer’38. De cet aperçu, on

retiendra deux caractéristiques principales : le contribuable type est un salarié (a) et c’est un

homme marié (b). Le choix des abattements pour conjoint comme instrument d’ajustement de

37 Les indépendants peuvent également en bénéficier si leur femme ne bénéficie pas de l’abattement pour aide familiale ou ne fait pas l’objet d’un versement de salaire de la part du mari. 38 Le plafond de ressources à ne pas dépasser rend impossible l’exercice d’un emploi à temps plein.

71

la pression fiscale pourrait s’expliquer par une volonté affichée du gouvernement de viser

cette population précise : les salary-man de classe moyenne39.

Tout d’abord, pourquoi vouloir viser les salariés ? Nous l’avons déjà abordé dans

la première partie de ce mémoire, les salariés ont pendant longtemps été considérés comme

étant lésés par rapport aux entrepreneurs individuels (les « indépendants »). Dès les années

1950, plusieurs rapports mettent en avant l’inégale contribution fiscale des indépendants et

des salariés. Deux causes majeures à cette iniquité : la nature différente de la perception qui

‘permet’ la fraude chez l’un mais pas chez l’autre et la possibilité qu’a l’un de verser un

salaire (ou d’obtenir un abattement pour aide familiale) aux membres de la famille qui

« aident » à l’entreprise familiale. Cette seconde caractéristique est également l’occasion

d’abus en tout genre (ex : versement d’un salaire au grand-père qui est incapable de travailler),

contribuant au sentiment d’injustice que certains salariés peuvent ressentir.

Si l’abattement pour conjoint est un outil permettant d’accorder aux seuls

salariés un avantage fiscal, il n’est pas le seul. Le principal outil de rééquilibrage à être

utilisé par les gouvernements successifs est l’abattement pour revenus salariaux. Introduit en

1913 (Iemoto, 2007), cet abattement a été initialement créé pour déduire du revenu imposable

des salariés les « dépenses nécessaires » à leur activité professionnelle, que ce soit le transport,

l’achat de vêtements ou de cravates, etc. Cet abattement – devenu un moyen privilégié pour

réduire la pression fiscale des salariés – est désormais proportionnel au revenu salarial (avec

un montant minimum et pas de plafond depuis 1974) et n’a plus grand-chose à voir avec les

dépenses effectives liées à l’activité professionnelle.

Une question reste : Pourquoi les dirigeants japonais et autres membres de la

Commission fiscale ont-ils choisi d’agir à la fois sur l’abattement pour revenus salariaux

et sur les abattements pour conjoint ? Pourquoi ne pas condenser la baisse de la pression

fiscale sur le seul abattement pour revenus salariaux ? La réponse réside dans le traitement

fiscal qui est fait du « conjoint » des indépendants. Les indépendants ‘bleus’ sont autorisés à

verser un salaire aux membres de leur famille – dans la majorité des cas, leur conjoint – qui

participent aux activités de l’entreprise familiale. Ces salaires étant considérés comme des

« dépenses nécessaires », ils ne sont pas soumis à l’impôt, allégeant la pression fiscale qui

39 Je me permets (ici) de prêter une équivalence entre hommes mariés dont la femme est au foyer et salariés de classe moyenne, car dans les faits, le modèle du ‘pourvoyeur – femme au foyer’ s’est particulièrement développé dans cette section de la population pour y devenir un modèle très largement majoritaire. Cette affirmation est vraie jusqu’à la fin des années 1980.

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pèse sur les indépendants alors même que l’argent reste au sein du foyer40. Comme on a pu

l’évoquer dans la première partie, la Commission fiscale, dans ses rapports de 1960 et 1986, a

fait un parallèle entre le travail prodigué par la femme de l’indépendant et le travail

domestique prodigué par la femme au foyer (femmes de salariés). Toutes deux « contribuent »

aux revenus de leur mari. Or, si l’une d’elle est autorisée à percevoir un salaire de la part de

son mari, permettant ainsi une division des revenus au sein du foyer et par là une réduction

des impôts à payer, l’autre ne l’est pas. L’introduction de l’abattement pour conjoint et de

l’abattement spécial pour conjoint est à replacer dans cette appréhension du problème

d’iniquité entre salariés et indépendants. Leurs introductions permettaient de réduire la

pression fiscale des salariés tout en « faisant comme si » cette réduction correspondait à

« l’appréciation » de la contribution de la femme au revenu (salarial !) de son mari.

Supposons que le gouvernement japonais veuille réduire de trente la pression fiscale

qu’il fait peser sur les salariés : il peut choisir (1) d’effectuer cette baisse à travers la seule

hausse du montant de l’abattement pour revenus salariaux ou (2) la réaliser à travers la hausse

du montant de l’abattement pour revenus salariaux (qui comptera pour vingt) et de celui des

abattements pour conjoint (qui compteront pour dix). Le choix de la solution n°1 ou n°2

dépend de l’appréhension qui est faite du travail domestique de la femme au foyer. C’est

tout du moins la conclusion à laquelle je suis parvenue. Si le travail domestique effectué par

la femme au foyer est considéré comme « contribuant » au revenu du mari, au même

titre que le travail effectué par la femme d’un entrepreneur individuel, il y a de fortes

chances pour que la solution n°2 soit préférée à la solution n°1.

Se pose alors la question de savoir quels sont les variables qui déterminent le fait

qu’un parallèle soit effectué entre ces deux situations. Voici quelques intuitions :

- Hypothèse i : Plus le salariat est un mode d’organisation du travail historiquement

nouveau et plus un parallèle aura tendance à être fait. Pourquoi une telle intuition ?

Parce que le caractère récent du salariat signifie également la relative nouveauté de la

séparation lieu de résidence / lieu de travail et l’idée d’une « participation » de la

femme au travail du mari était encore largement ancrée.

- Hypothèse ii : Si le travail domestique est considéré comme étant une contribution au

revenu du mari, et non un apport d’un revenu supplémentaire de type non-monétaire

40 Du point de vue de l’indépendance des femmes, il y a néanmoins une différence conséquente entre un tel système et une imposition commune avec quotient conjugal : si dans les deux cas, le foyer est gagnant du le point de vue fiscal, seul le premier cas permet une indépendance financière de la femme ; cette dernière ayant des revenus à son nom et étant bénéficiaire de droits propres (et non dérivés).

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(imputed income), alors il y a de fortes chances pour qu’un parallèle soit effectué entre

le travail de la femme au foyer et celui de la femme d’un entrepreneur individuel.

Si la possibilité donnée aux indépendants ‘bleus’ de verser un salaire à leur conjoint et

autres « aides familiales » reste sujette à critiques pour être l’occasion d’abus en tous genres

(discussion avec Tajika Eiji), il reste que plus aucune référence n’a été faite sur la

comparabilité du travail effectué par les femmes au foyer et les femmes d’indépendants

depuis le rapport de 1986. Si nos hypothèses sont justes, une telle évolution devrait faire

perdre l’attrait de l’abattement pour conjoint dans le règlement du problème d’iniquité entre

salariés et indépendants au profit du seul abattement pour revenus salariaux41.

Sous-hypothèse n°2_ Les abattements pour conjoint ont profité de l’ouverture de fenêtres d’opportunité.

Le modèle de la fenêtre d’opportunité développé par Kingdon (Ravinet, 2011) tente de

formuler un cadre général pour mieux appréhender la mise sur agenda. Pour Kingdom, une

proposition d’action a des chances de passer sur l’agenda décisionnel quand 2 à 3 des

« courants » suivants se rejoignent : la mise en évidence d’un problème (« problem stream »),

la présence d’une solution disponible (« policy stream ») – qu’elle ait été créée ou pas pour

répondre à ce problème, et une situation politique favorable au changement (« political

stream »). Pour qu’une « fenêtre d’opportunité » s’ouvre, il faut qu’au moins deux des

courants se rejoignent : le courant des problèmes et/ou le courant politique + le courant des

solutions.

Comment interpréter l’évolution parallèle des abattements pour conjoint et des

grandes vagues de la politique fiscale japonaise au regard de ce modèle ? D’après le

modèle de la fenêtre d’opportunité, la création ou la suppression d’un des abattements pour

conjoint est une solution ‘disponible’ au sein de la « policy stream ». Ces deux propositions

existent indépendamment de tout problème ; « elles flottent à la recherche de problèmes

auxquels venir s’accrocher, ou d’événements qui les rendent soudain plus visibles. » (Ravinet,

2011, p.276). En conséquence, l’abattement pour conjoint ou l’abattement spécial pour

conjoint peuvent être mobilisés par des « entrepreneurs politiques » pour répondre à un

problème pour lequel ils cherchent une solution. Ces entrepreneurs politiques ont un rôle très

important dans la mise sur agenda car ce sont eux qui font la promotion de la mesure auprès

41 Pour le confirmer, il aurait fallu lire des articles récents sur le problème d’iniquité entre indépendants et salariés.

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des décideurs politiques. La bonne disposition du courant des problèmes et/ou du courant

politique [= ouverture d’une fenêtre d’opportunité] permet généralement le passage de la

mesure. Dans notre cas, que sont ces fenêtres d’opportunités ? Dans le cas des réformes

fiscales que nous évoquions précédemment, le problème auquel étaient confrontés la

Commission fiscale et le gouvernement était tout simplement de trouver un moyen pour

augmenter ou baisser le niveau d’imposition. Mis en évidence au bon moment par des

« entrepreneurs politiques », les abattements pour conjoint ont très bien pu être adoptés

parce qu’ils correspondaient à une solution possible au problème auquel était confronté

la Commission, à savoir augmenter ou baisser les impôts. Que le but du décideur politique

diffère de celui de l’entrepreneur politique (ou pas) ne change rien au fait que la mesure aura

été adoptée. Reste à savoir qui sont ces ‘entrepreneurs politiques’ et quels sont leurs objectifs

propres ? Dans le cas de la réforme de 2004, un des ‘entrepreneurs politiques’ qui souhaitait

voir l’abattement spécial pour conjoint disparaître était l’administration chargée de

promouvoir l'égalité homme-femme [Voir Partie 2. H.3]. Le but recherché était

essentiellement de nature féministe. La Commission fiscale – bien qu’en prenant en compte

ces considérations – a probablement pris la décision finale en ayant en tête, non pas ces

considérations féministes, mais l’impact qu’une telle mesure aurait sur le budget de l’Etat. La

suppression de l’abattement spécial pour conjoint allait dans le sens recherché qui était une

hausse d’impôt ; la mesure est donc passée.

Cette seconde sous-hypothèse ne doit pas être comprise comme étant exclusive de

la première. Selon les périodes, l’une peut être jugée plus pertinente que l’autre pour

expliquer le parallèle qui existe entre les réformes des abattements pour conjoint et les

réformes fiscales générales. Pour ce qui est de la réforme de 1961, le manque de sources est

tel qu’il est difficile d’en tirer des conclusions. Néanmoins, si l’on considère l’insistance du

rapport de la Commission sur la « contribution de la femme au foyer au revenu de son mari »

et sur l’iniquité indépendants vs salariés, la sous-hypothèse n°1 semble relativement

pertinente.

La réforme de 1987 avec l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint est,

quant à elle, mieux appréhendée par la seconde sous-hypothèse : l’ouverture d’une fenêtre

d’opportunité par laquelle certains « entrepreneurs politiques » se seraient engouffrés. Si la

question de l’iniquité entre salariés et indépendants est toujours d’actualité et que l’abattement

spécial pour conjoint est présenté comme étant une « solution » (partielle) au problème, il

reste que le manque de logique dans la rhétorique mobilisée met un doute sur les réelles

75

motivations de la Commission. Une analyse en termes de politique familiale volontariste nous

semble plus intéressante pour expliquer la réforme de 1987. Une telle hypothèse rentre

parfaitement dans le cadre de la « fenêtre d’opportunité » : des entrepreneurs politiques

poussant pour la meilleure prise en compte de la « famille » dans diverses politiques sociales

et fiscales auraient profité de la grande réforme de 1987 pour faire passer une réforme

favorable aux familles de type « pourvoyeur – femme au foyer ». Des deux solutions

proposées (imposition conjointe ou création d’un nouvel abattement), c’est la seconde qui a

été préférée par la Commission et adoptée par la Diète car répondant aux contraintes

suivantes : permettre une réduction de la pression fiscale de la classe moyenne sans pour

autant provoquer une érosion du seuil d’imposition.

Si la sous-hypothèse n°1 est plus pertinente pour expliquer la création d’un abattement

pour conjoint plutôt que sa suppression, la logique qui la soutient reste valide dans les deux

cas. Dans le cas de la réforme de 2004, si l’iniquité fiscale entre salariés et indépendants reste

d’actualité42, plus aucun parallèle n’est effectué entre le travail domestique des femmes au

foyer et la contribution des « aides familiales » au revenu du chef d’entreprise. Le travail

domestique est désormais appréhendé comme étant un « imputed income » et n’est plus

considéré comme devant faire l’objet d’un traitement fiscal favorable, bien au contraire. Cette

évolution va de pair avec une mise en cause progressive des abattements pour conjoint. Cette

corrélation tend à aller dans le sens de l’hypothèse 1. L’hypothèse 2 se vérifie également dans

le cas de la réforme de 2004 : la suppression de l’abattement spécial pour conjoint, supportée

par plusieurs entrepreneurs politiques aux motivations parfois divergentes comme nous le

verrons dans un troisième point (Partie 2, Hypothèse 3), est allée se ‘greffer’ au problème

auquel était confronté la Commission. Elle a donnée corps à la baisse tant voulu du taux

d’imposition.

Ce modèle très attractif de la « fenêtre d’opportunité » n’a néanmoins pas vocation à

expliquer le changement, comme le souligne très justement Pauline Ravinet (2011, p.281). Il

s’agit davantage d’un cadre d’analyse qui permet de structurer sa pensée. C’est d’ailleurs

pourquoi nous le retrouverons régulièrement au cours des sections suivantes.

42 Si les rapports que j’ai eu en main mentionnent de moins en moins le problème d’iniquité entre salariés et indépendants, la réaction de professeur Tajika Eiji, également membre de la Commission fiscale dans les années 2000, semblerait indiquer que le problème est toujours aussi « vivant » qu’auparavant.

76

HYPOTHESE N°2 : L’EVOLUTION DES ABATTEMENTS POUR CONJOINT S’EXPLIQUE-T-ELLE PAR LA PRISE EN COMPTE DE PROBLEMES JUGES ‘TECHNIQUES’ OU PAR LA MISE EN CAUSE DE LEUR CARACTERE EQUITABLE ?

Comme cela est sous-jacent à la lecture de la première partie de ce mémoire, un des

principaux mécanismes de changement du système des abattements pour conjoint a été la

mise en évidence répétée de « problèmes » nécessitant une intervention de la puissance

étatique. Les étapes du changement pourraient être résumées de la façon suivante : mise en

évidence du problème, suivie d’une prise en compte du dit « problème » par les acteurs

concernés et enfin, la réforme. Si une telle description a pour elle l’attrait de la simplicité et de

la rationalité, sa linéarité est trompeuse. Plusieurs éléments importants du phénomène de

changement manquent : tout d’abord, tous les problèmes ne font pas l’objet d’un même

traitement. Comme nous avons pu le voir précédemment, la présence d’une fenêtre

d’opportunité est souvent une condition nécessaire à la mise sur agenda d’un problème. Par

ailleurs, l’approche qui est faite du « problème » a tendance à le naturaliser au lieu d’insister

sur son caractère de construit social. C’est en effet oublier que tous les phénomènes sociaux et

économiques ne deviennent pas des « problèmes » et qu’il existe, en amont, une sélection de

ceux qui seront ainsi labelliser. La figure ci-dessous décrit de façon plus réaliste le processus

de changement.

Figure 21 : Représentation graphique des étapes de définition du problème et de mise sur agenda

Pour Rochefort et Cobb (1993), deux des principaux auteurs à avoir théorisé la « mise

en problème », « définir des problèmes consiste à décrire, à expliquer, à recommander et

surtout à convaincre » (Kübler & Maillard, 2012, p.21). La mise en problème d’un

phénomène suppose donc la création d’un récit. Ce récit devra éclairer plusieurs éléments : la

cause du problème et son degré de sévérité, tous deux sources de moult débats. Il devra

également identifier les populations concernées (Sont-elles « bien vues » par la population ?)

� �

Existence de « phénomènes » sociaux

Le phénomène devient « problème »

Mise sur agenda institutionnel

Tous les phénomènes ne deviennent pas problèmes

Tous les problèmes ne feront pas l’objet d’une action publique

« PROBLEMATISATION » MISE SUR AGENDA

77

et proposer une solution (Est-elle réaliste ? Si oui, quel est son coût ?). Selon la réponse

apportée à ces éléments, le problème aura une chance plus ou moins grande de passer à

l’étape suivante qu’est la mise sur agenda. Mais avant même l’étape de la mise en récit du

phénomène en problème, encore faut-il qu’un acteur y voit un « problème ». On retrouve ici

le rôle on ne peu plus important des entrepreneurs politiques que nous avions déjà abordé

précédemment. Tant qu’un acteur ne se saisira pas d’un phénomène pour en faire un

« problème », peu importe que le phénomène soit « problématique », il restera invisible aux

yeux de la scène publique.

Prenant appui sur cette littérature abondante, la question qui nous intéresse ici est la

suivante : Comment expliquer le mouvement de remise en cause et de rectification

régulière des abattements pour conjoint ? Par la prise en compte de problèmes jugés

‘techniques’ et pouvant être résolus techniquement (A) ; ou, par la prise en compte de

problèmes qui mettent en cause le caractère équitable de l’instrument (B) ?

A cette approche par la « mise en problème » – fil rouge de cette partie – se rajoute

une autre approche, celle des instruments. L’approche par les instruments apporte un nouvel

éclairage sur la plasticité de l’instrument. Alors que « la politique de mise en problème »

souligne le caractère malléable des instruments, mobilisés de façon arbitraire par les acteurs,

l’approche par les instruments insiste, au contraire, sur leur caractère autonome. La

complémentarité de ces approches nous a semblé intéressante à exploiter. Avant de rentrer

dans le vif du sujet, nous aimerions faire un rapide aperçu des apports théoriques de ces

travaux.

Dans les dix dernières années, plusieurs travaux (Lascoumes & Le Galès, 2005 ;

Lascoumes 2007) ont fait le pari d’analyser les politiques publiques par l’angle des

instruments. Prenant leurs distances avec les travaux qui ne voient dans l’instrument qu’un

moyen technique et rationnel de mise en œuvre de la politique publique, ils insistent sur le

caractère non-neutre des instruments. Si toutes les caractéristiques attribuées aux instruments

ne sont pas forcément pertinentes pour l’étude de l’abattement pour conjoint, deux

dimensions sont utiles pour notre cas. La première concerne l’effet cognitif des instruments.

Par le rôle central qu’ils jouent dans la catégorisation et la pondération des phénomènes

sociaux, les instruments influencent notre interprétation du monde. Le second apport de

l’approche par les instruments est de montrer la force d’action autonome des instruments.

Ces derniers ont la caractéristique de « produire des effets indépendants des objectifs affichés,

des buts qui leur sont assignés » (Lascoumes, 2007, p. 76). Nous y reviendrons.

78

1. LA MISE EN PROBLEME DU « PROBLEME DES TRAVAILLEURS(EUSES) A

TEMPS PARTIEL »

Déjà longuement abordé dans la première partie [Partie 1, réforme de 1987] de ce

mémoire, nous retrouvons ici le « problème des travailleurs(euses) à temps partiel »,

appréhendé cette fois-ci sous l’angle de la « mise en problème ».

Phase n°1 : la mise en évidence d’un « problème » La première trace que l’on a du problème des travailleurs(euses) à temps partiel date

de 1983. S’il est fort probable que le problème ait été mentionné avant cette date, nous

n’avons pu remonter qu’à 1983, n’ayant accès aux sources avant cette date43. Le document à

évoquer pour la 1ère fois [dans la limite de nos sources] le problème des travailleurs(euses) à

temps partiel n’est autre que le rapport de la Commission fiscale. La cause principale du

problème étant appréhendée comme la structure en seuil de l’abattement pour conjoint,

pourquoi ce problème ne s’est-il pas déclaré plus tôt ? Après tout, la forme de l’abattement

pour conjoint date de 1961. Il s’est donc passé douze ans sans que ce « problème » ne soit mis

en évidence. L’hypothèse la plus à même d’expliquer ce décalage temporel est à chercher

du côté de l’évolution de la structure d’emploi des femmes. A la création de l’abattement

pour conjoint, très peu de femmes conservaient leur emploi une fois mariées. A cela, trois

raisons principales44 : les stratégies de ressources humaines des entreprises japonaises

(système de démission forcée des femmes « just married ») qui excluaient les femmes du

modèle d’emploi à vie (push factor), l’augmentation généralisée des salaires qui permettait à

un nombre conséquent de couples de vivre sur un seul salaire (faisabilité) et enfin l’image

positive que véhiculait alors le modèle de la femme au foyer (pull factor). Le marché de

l’emploi n’offrait alors que très peu d’opportunités pour les femmes qui souhaitaient

reprendre un travail, ne serait-ce qu’à temps partiel, une fois les enfants devenus grands. Il est

dès lors compréhensible que la structure de l’abattement pour conjoint, pourtant prône à créer

une trappe à inactivité, n’ait été pointée du doigt à l’époque : si aucune femme ne cherchait à

reprendre un travail, le « mur » ne pouvait se manifester.

Si l’année 1975 marque l’apogée du modèle de la femme au foyer (le taux d’emploi

des femmes atteint son plus bas score : 46%45), elle marque aussi le début du changement

43 Pour plus de précisions, voir la partie « Introduction », section « Difficultés rencontrées » 44 Pour plus d’informations sur la situation des femmes au Japon d’après-guerre, voir les écrits de Ueno Chizuko. 45 Le Japon se caractérise par une courbe de la participation des femmes au marché du travail en forme de « M ». Cette dernière met en évidence le cycle de vie professionnelle non-linéaire des femmes japonaises : elles quittent

79

structurel qui touchera l’économie comme la société japonaise. La restructuration de

l’économie modifie les opportunités d’emploi offertes aux femmes mariées : la tertiarisation

de l’économie, couplée au ralentissement de l’après choc pétrolier, entraîne une hausse de la

demande de main d’œuvre flexible et bon marché. En parallèle, les femmes au foyer

cherchent à reprendre un travail quelques heures par semaine pour aider aux finances

familiales, mises en difficultés par le ralentissement économique. Ce nouveau contexte

entraîne un changement majeur dans la structure d’emploi des femmes.

“The greatest change in the life course of women after [1975] was that the suspension-re-entering the workplace pattern became the life course of the majority of women in the past 2 decades or so, whereas there were practically no women of this type at the start of the rapid growth period.” (Ueno Chizuko, 2009, p.43)

Figure 22 : Evolution contrastée du nombre de foyers "pourvoyeur-femme au foyer" (en rouge) et des foyers où les deux conjoints sont salariés (en bleu) [1980-2010]

Graphique tiré du Livre blanc pour une société paritaire (version de 2011) 46

La figure précédente indique clairement la perte d’influence (ou l’infaisabilité ?) du

modèle familial d’après-guerre. Les foyers de salariés où les deux conjoints travaillent (à

temps plein ou à temps partiel) dépassent en 1992 ceux où seul le mari travaille.

leur travail à l’arrivée de leur premier enfant (ou au moment du mariage) pour retourner sur le marché du travail une fois ceux-ci devenus ‘grands’. Le « creux du M » est à son plus fort en 1975. /!\ Cette courbe en forme de « M » n’est pas spécifique au Japon. 46 Attention, cette figure ne prend en compte que les foyers de salariés. Si les indépendants et « aides familiales » étaient pris en compte, le croisement des deux courbes auraient eu lieu quelques années plus tôt (1989 au lieu de 1992).

80

Le retour massif des femmes mariées sur le marché du travail dans des emplois

« atypiques » à temps partiel a fait émerger un « mur » à l’emplacement du plafond de revenu

de l’abattement pour conjoint. C’est la naissance du problème des travailleurs(euses) à temps

partiel. Si son apparition était latente pendant les années 1960 et le début des années 1970, il

ne s’est vraiment manifesté que lorsque des femmes ont souhaité reprendre un travail. Pour le

dire d’une autre façon, le problème des travailleurs(euses) à temps partiel ne pouvait exister

tant qu’il n’y avait pas de travailleurs(euses) à temps partiel…

Vers l’adoption d’une « solution » au « problème » : la création de l’abattement spécial pour conjoint

Nous venons de voir que le problème des travailleurs(euses) à temps partiel a été mis

en évidence à partir du rapport de la Commission fiscale de 1983. Sa résolution sur le plan

fiscal date de 1987 avec l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint (la décision est

prise en 1986). Il s’est donc passé quatre ans avant que ce problème ne parvienne à se

hisser sur l’agenda institutionnel et qu’une réforme soit lancée. Pourquoi un tel décalage

temporel ? Répondre à cette question nécessite tout d’abord de revenir au rapport de 1983

pour comprendre pourquoi les propositions de réformes (évoquées dans la section précédente)

n’ont pas abouti.

Après avoir mis en évidence le problème des travailleurs(euses) à temps partiel et

proposé quelques voies possibles de réforme, le rapport de 1983 s’empresse de démentir la

gravité de la situation et donc toute nécessité d’intervention. Divers arguments sont mobilisés.

La gravité du problème est évacuée en insistant sur le nombre croissant de femmes à travailler

à temps partiel et dont le revenu dépasse le dit « mur » : le « mur » ne serait donc pas

infranchissable. D’autres encore arguent que « même une femme (主婦), passée un certain

niveau de revenu, doit contribuer proportionnellement à l’impôt » (sous-entendant par là que

le « mur » ne correspond pas au plafond de l’abattement pour conjoint mais au seuil

d’imposition). La solution la plus prometteuse – la création d’un système de dégression

progressive du montant de l’abattement pour conjoint – est quant à elle, jugée

« particulièrement difficile à appliquer ». Enfin, certains mettent en avant l’iniquité qui existe

entre ces femmes qui gagnent autant tout en restant la cible d’un abattement pour conjoint et

les femmes au foyer. Le rapport conclut de la façon suivante :

« Si l’on prend en considération les différents points soulignés précédemment, dans l’immédiat, il est adéquat de poursuivre avec le système actuel qui associe le plafond

81

d’application de l’abattement pour conjoint au montant des abattements salariaux (abattement de base + abattement pour revenus salariaux) ».

Quatre années plus tard, ces arguments ne font plus l’unanimité ; ils ne sont même pas

mentionnés dans le rapport de la Commission. Le système de dégression progressive du

montant de l’abattement pour conjoint, jugé trop complexe quatre ans plus tôt, est adopté par

la Diète japonaise. La discussion avec le professeur Tajika Eiji le confirme : une telle

structure d’abattement était faisable depuis déjà bien longtemps. L’hypothèse peu

vraisemblable que ces quatre ans aient été le lieu d’une amélioration technique fiscale se

trouve donc invalidée. Il était techniquement possible de mettre en place une structure

dégressive semblable à celle de l’abattement spécial pour conjoint dès 1983, or cela n’a pas

été fait. Cela suggère que le problème des travailleurs(euses) à temps partiel ne revêtait

pas une importance assez grande pour faire l’objet d’une mise sur agenda.

Un problème supposé ‘réglé’ qui subsiste : vers une réévaluation des causes

La mesure d’un problème est souvent une étape décisive dans l’acceptation par le grand

public de sa qualité de « problème ». Les chiffres rationnalisent le phénomène étudié :

l’aspect « construit social » du problème est gommé par la nouvelle neutralité dont il s’est

entouré. Comme le rappellent justement Rochefort et Cobb, la définition d’un problème est

aussi et surtout une affaire de persuasion. Or, la mesure quantitative du phénomène et de ses

effets sont souvent un passage obligé pour une rhétorique qui se veut convaincante. Sans cela,

l’argumentation perd de sa puissance. Dans le monde des politiques publiques, la mesure d’un

phénomène passe bien souvent par les statistiques. Elles éclairent l’administration et les

politiques sur « l’état du royaume ». La logique rationaliste voudrait que la mise en évidence

de phénomènes dans les statistiques précède leur « problématisation ». Or, il semblerait que

dans notre cas, c’est l’inverse qui se soit produit. L’impact des abattements pour conjoint sur

l’activité économique des femmes a été mis en évidence par des statistiques pour la 1ère fois à

l’occasion de la publication du rapport sur la condition des travailleurs(euses) à temps partiel

en 1990. Les actes d’ajustement à la baisse des heures de travail, effectués par les femmes

ainsi que les raisons qui les poussent à ‘s’autocensurer’ gagnent en visibilité. Les membres de

la Commission fiscale qui supportèrent la création de l’abattement spécial pour conjoint en

1986 n’avaient pas à disposition de telles statistiques47. Il semblerait donc que les statistiques

47 N’ayant pas accès aux débats de la Commission en 1986, il nous est impossible de dire quels étaient les documents auxquels les membres de la Commission ont eu accès. On peut néanmoins supposer l’existence de statistiques eu égard à la répartition des revenus des femmes travaillant à temps partiel. La concentration des

82

dont on dispose aujourd’hui aient été créées pour documenter un phénomène qui avait déjà été

souligné et en partie réglé (avec la création de l’abattement spécial pour conjoint).

Le rapport sur la situation des travailleurs(euses) à temps partiel48 éclaire les choix

d’ajustement à la baisse des heures de travail effectués par les travailleurs(euses) à temps

partiel. Les statistiques nous informent à la fois de l’ampleur du phénomène (ou

« problème ») [Q. n°1] et des raisons invoquées par les travailleurs [Q. n°2]49.

Tableau 6: Evolution du contenu des rapports sur la situation des travailleurs(euses) à temps partiel – temps partiel de type A [1990-2013]

Corps du texte

Q° : « Que faites-vous lorsque votre revenu annuel s’apprête à dépasser le seuil de non-imposition ? » Variables : type d’emploi partiel (un vrai temps partiel VS un temps plein avec statut précaire) Pas de point sur les raisons d’un tel choix

1990

Annexes 2 pages

Q°1 : « Que faites-vous lorsque votre revenu annuel s’apprête à dépasser le seuil de non-imposition ? » Q°2 : « En dehors de raisons liées à l’impôt sur le revenu, quelles sont les raisons qui vous poussent à ajuster vos horaires de travail à la baisse ? » Variables : type d’emploi partiel + sexe

Corps du texte

Q°1 & Q°2 ���� Apparaîssent dans la partie principale du rapport Variables : type d’emploi partiel + sexe

1995 Annexes 6 pages

Q°1 + Q°2 Variables : type d’emploi partiel + sexe + catégorie professionnelle

Corps du texte

Q°1 : « Effectuez-vous un ajustement à la baisse de vos horaires de travail ? » Q°2 : « Quelles sont les raisons qui vous poussent à effectuer ces ajustements ? » Variables : type d’emploi partiel + sexe 2001

Annexes 3 pages

Q°1 & Q°2 Variables : Type de temps partiel + sexe + catégorie professionnelle + situation matrimoniale (présence on non d’un conjoint)

Corps du texte

Q°1 & Q°2 Variables : type d’emploi partiel + sexe + situation matrimoniale

2006 Annexes 6 pages

Q°1 & Q°2 Variables : Type de temps partiel + sexe + catégorie professionnelle + situation matrimoniale + âge

Corps du texte

Q°1 & Q°2 Variables : Sexe + situation matrimoniale

2013

Annexes Données non accessibles

revenus juste avant le plafond de l’abattement pour conjoint aurait pu être interprétée comme l’impact direct de ce dernier sur les choix des femmes. 48 パートタイマーの実態―パートタイム労働者総合実態調査報告 – enquête réalisée par le Ministère du Travail de 1990 à 1995 et par son successeur, le Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales, de 2001 à 2013. 49 Le rapport se compose de deux parties : une partie générale qui comprend des textes explicatifs et des tableaux, et une annexe avec un nombre important de tableaux statistiques non fournis ou non analysés dans le corps du rapport.

Réponses proposées à la Q°2 :

� Parce que je ne ferai plus l’objet d’abattements fiscaux (dont jouit le conjoint) � Parce que l’on (le foyer) ne recevra plus d’allocations familiales (dont jouit le conjoint) � Parce que je devrai souscrire à l’assurance santé � Parce que je devrai souscrire à l’assurance chômage � Parce que l’entreprise de mon conjoint sera mise au courant � Autre

Réponses proposées à la Q°2 :

� Parce que je vais devoir payer des impôts si je dépasse le seuil d’imposition � Parce que mon conjoint ne pourra plus bénéficier de l’abattement pour conjoint et le montant de l’abattement spécial pour conjoint diminuera � Parce que mon conjoint ne pourra plus bénéficier des allocations familiales de son entreprise � Parce que je ne pourrai plus bénéficier de droits dérivés en ce qui concerne la sécurité sociale et la retraite � Parce que si je travaille plus de 20 heures / semaine, je devrai souscrire à l’assurance chômage � Parce que si je travaille plus d’un ¾ temps, je devrai souscrire à l’assurance maladie et à la retraite � Parce que si je travaille davantage le montant de ma retraire diminuera. � Autre

83

Selon les années, les variables mobilisées ou les réponses proposées à la question n°2

évoluent, laissant entrevoir un changement dans la prise de conscience du problème des

travailleurs(euses) à temps partiel. Le tableau p.82 résume les principaux changements (en

gras).

Si les statistiques disponibles à partir de 1990 (voir annexes) ne peuvent nous aider à

comprendre la mise en évidence du problème des travailleurs(euses) à temps partiel en 1983

et 1986, elles ont néanmoins joué un rôle non négligeable dans sa redéfinition. Comme le

montre la figure ci-dessous, les statistiques mettent en évidence la résistance du problème,

et ce, malgré la création de l’abattement spécial pour conjoint, censée l’avoir réglé.

Figure 23 : Choix d'ajustement des femmes travaillant à temps partiel –type A [1990-2013]

Choix d'ajustement des femmes travaillant à temps p artiel

30,4 37,626,7 22,4 17,5

2325,6

2622,9 33,6

27,318,6 35,4 43,5 35,9

19,3 18,2 11,9 7,3 8,6

0%

20%

40%

60%

80%

100%

1990 1995 2001 2006 2013

Ajustement Pas d'ajustement effectué Revenus trop faibles "Je ne sais pas"

Ces statistiques sont donc l’occasion de découvrir la résistance du problème. On a

même l’impression qu’il augmente entre 1990 et 1995 pour ensuite diminuer progressivement.

Les statistiques, en sondant les travailleuses à temps partiel sur les raisons qui les poussent à

effectuer un ajustement à la baisse de leurs heures de travail, soulignent le rôle toujours

vivace de l’abattement pour conjoint. Ce dernier arrive en tête des réponses fournies par les

femmes : 80% admettent poser une limite à leur revenu afin qu’il ne dépasse pas le plafond de

l’abattement pour conjoint50. La deuxième raison la plus invoquée est la crainte de perdre le

titre « d’ayant-droit » de l’assurance santé et de devoir ainsi commencer à cotiser

individuellement (40%). Enfin, la troisième raison à être le plus invoquée est la crainte de

perdre les allocations familiales attribuées jusqu’alors par l’entreprise du mari (entre 35 et

50 Les rapports de 1990 et 1995 ne proposent pas la réponse : « Parce que je vais devoir payer des impôts si je dépasse le seuil d’imposition ». Une fois cette proposition introduite, l’abattement pour conjoint ne sera plus que la 2ème raison la plus invoquée.

84

40% des réponses). La persistance de l’impact de l’abattement pour conjoint sur les choix

d’ajustement des femmes ne fait pas sens si l’on se focalise sur le seul système fiscal. L’effet

« trappe à inactivité » aurait dû disparaître avec la création de l’abattement spécial pour

conjoint. Or, il semblerait que ce ne soit pas le cas. Ces statistiques obligent une redéfinition

du problème des travailleurs(euses) à temps partiel ; les causes attribuées au phénomène sont

revues pour mieux faire sens des données disponibles. Ce qui était de la seule faute de

l’abattement pour conjoint devient une responsabilité partagée avec le système des droits

dérivés et des allocations familiales des entreprises japonaises.

Il est important de noter que ce questionnaire suscite un intérêt croissant. Les rapports

récents mettent davantage en avant des variables telles que le sexe et le statut matrimonial de

l’interrogé(e) dans les pratiques d’ajustement. Alors qu’aucune d’entre elles n’était

mentionnée dans le corps du texte en 1990, elles sont désormais [rapport de 2013 (enquête de

2011)] les seules variables évoquées dès le corps du texte. Cet intérêt croissant pour l’impact

des « droits dérivés » et autres abattements liés à la condition maritale sur les pratiques

salariales des femmes est particulièrement visible au tournant des années 2000 quand la

variable « statut matrimonial » fait son apparition. C’est également à partir du rapport de 2001,

que les réponses proposées à la question n°2 (Quelles sont les raisons qui vous poussent à

effectuer ces ajustements ?) se diversifient, dénotant une augmentation de l’intérêt que suscite

l’enquête. Ces statistiques seront par la suite réutilisées par plusieurs livres blancs et autres

documents administratifs, permettant ainsi la diffusion des données.

Revenons au questionnement principal de cette partie : L’évolution des abattements

pour conjoint s’explique-t-elle par la prise en compte de problèmes jugés ‘techniques’ et

pouvant être résolus techniquement (A) ; ou, par la prise en compte de problèmes qui mettent

en cause le caractère équitable de l’instrument (B) ? Dans le cas du problème des

travailleurs(euses) à temps partiel, c’est l’hypothèse A qui est la plus pertinente. Les

membres de la Commission pensait pouvoir régler l’effet « trappe à inactivité » de

l’abattement pour conjoint, appréhendé avant tout comme le résultat d’un effet de seuil, par la

mise en place d’un système de dégressivité du montant de l’abattement à mesure que les

revenus du conjoint augmentait. Il s’agit donc bien d’un problème jugé « technique », et

pouvant être réglé « techniquement ».

Outre une meilleure compréhension du « problème » des travailleurs(euses) à temps

partiel, ce développement aura également permis de proposer quelques pistes de réflexion sur

le rôle joué par les statistiques dans la politique de définition des problèmes. Les statistiques,

85

tout comme les abattements fiscaux, sont des « instruments » privilégiés de l’action publique.

En ce sens, elles participent à la construction des phénomènes qu’elles mettent en évidence.

L’interprétation très rationaliste des statistiques comme instrument de simple mise en

évidence des problèmes, oublie souvent que le choix des sujets et des variables fait déjà

l’objet d’un débat où s’affrontent les opinions sur ce qu’est un sujet pertinent d’étude. Il est

dès lors fort probable que les « problèmes » soulignés par les statistiques aient déjà fait l’objet

d’un traitement par des entrepreneurs politiques quelconques. Cela ne retire en rien

l’importance du rôle joué par les statistiques. Bien au contraire. Les résultats des enquêtes

mettent parfois en évidence des phénomènes différents de ceux qui étaient prévus à l’origine.

Cette partie nous a également permis de mettre en évidence la force d’action autonome

des abattements pour conjoint. Leurs effets désincitatifs sur l’activité économique des femmes,

un « non-pensé » de la Commission de 1960, a du être maîtriser techniquement par

l’introduction d’un second abattement. Autre apport de cette partie : la mise en évidence de

l’impact de l’abattement pour conjoint sur la catégorisation des phénomènes sociaux. En

déterminant les personnes susceptibles de prétendre à son application de celles ne le pouvant

pas, l’abattement pour conjoint crée de fait la catégorie fiscale de « conjoint dépendant »51.

Cette catégorie – au départ propre à la seule administration fiscale – s’est peu à peu diffusée à

d’autres acteurs, et notamment, aux entreprises japonaises soucieuses de déterminer les

conditions d’attribution des allocations familiales. Ainsi, la grande majorité des entreprises

japonaises restreignent le versement d’une allocation familiale52 aux seuls salariés dont la

femme est en situation de « dépendance financière », une situation définie selon les modalités

de l’administration fiscales [être sujet ou pas à l’abattement pour conjoint].

2. LE PROBLEME DE LA DOUBLE VOIRE DE LA TRIPLE JOUISSANCE D’UN

ABATTEMENT HUMAIN DE BASE

Ce second « problème » a pour point commun avec le problème des travailleurs(euses)

à temps partiel d’avoir été latent pendant de nombreuses années avant d’être finalement

« découvert » et de faire l’objet d’un traitement par la Commission fiscale. Ce décalage

temporel pose de nouveau la question du moment de la découverte (Pourquoi à ce moment

précis ?) et plus généralement du processus de formulation du problème. Plusieurs phases de

51 Et ce, indépendamment du fait que l’introduction de l’abattement pour conjoint avait été initialement pensée comme moyen de défaire le conjoint de cette qualité de « dépendant » ou de « personne à charge », jugée inappropriée. 52 D’un montant proche de cent euros.

86

mise à l’agenda se succèderont : les années 1980, le début des années 2000 et enfin la 2nde

moitié des années 2000. Chaque phase aborde le « problème » sous un angle différent avec

pour seul point commun la critique du caractère « inéquitable » de la distribution du nombre

d’abattements humain de base53 par foyer. Si « l’iniquité » de la situation reste une constante,

son contenu évolue grandement, mettant en évidence le caractère socialement construit de ce

qui peut-être considéré comme « inéquitable ». A la différence du problème des

travailleurs(euses) à temps partiel, le présent « problème » a la caractéristique de mettre en

lumière l’omission volontaire d’une partie du phénomène traité dont seule une partie sera

« problématisée ». Cela transparaît notamment dans le rapport de 1986 de la Commission

fiscale.

Phase n°1_ Mise en avant du préjudice subi par les femmes au foyer

Dans son rapport de 1986, la Commission identifie un avantage fiscal accordé aux

femmes dont les revenus, non nuls, restent néanmoins inférieurs au seuil d’imposition. Ces

dernières jouissent en effet de « deux abattements ‘humains’ de base » : l’abattement de base,

qui leur est accordé comme à toute personne active, et l’abattement pour conjoint - dont elles

sont la cible (mais pas le bénéficiaire) dès lors que leurs revenus annuels restent inférieurs à

970 000 yens. Le rapport insiste tout particulièrement sur le fait que cet avantage creuse un

déséquilibre avec les femmes au foyer, qui elles, ne sont l’objet que d’un seul abattement

humain de base, l’abattement pour conjoint. Dès le rapport de 1983, la Commission fiscale

donnait un ‘avant-goût’ de ce problème sans pour autant préciser d’où provenait l’origine de

cette iniquité dont étaient victimes les femmes au foyer. Le rapport n’allait pas dans les détails

du problème et aucune mention n’est faite d’un « problème de double jouissance d’un

abattement humain de base par les femmes ».

S’il s’est passé quatre années entre la première mention du problème et sa prise en

charge par la Commission, le décalage qui existe entre l’actuelle existence du phénomène

décrit et sa mise sur agenda est encore plus important. En effet, dès la création de l’abattement

pour conjoint (1961), les foyers où la femme travaillait pour un revenu inférieur au plafond de

l’abattement pour conjoint, faisaient l’objet d’un nombre d’abattements humains de base

compris entre deux et trois (non compris) contre seulement deux pour les couples où la

femme restait au foyer [voir la figure 24, cas �&�]. L’explication la plus probable de ce

53 Rappel : Les abattements humains de base [人的控除] comprennent : l’abattement de base [基礎控除], l’abattement pour conjoint [配偶者控除], l’abattement spécial pour conjoint [配偶者特別控除] et l’abattement pour charge de famille [扶養控除].

87

²décalage temporel d’une dizaine d’années réside dans le retour tardif des femmes mariées sur

le marché de l’emploi. En effet, avec un nombre croissant de femmes ayant un revenu tout en

restant la cible de l’abattement pour conjoint, un « problème » d’iniquité qui n’était alors que

latent est soudain devenu apparent.

Si toute « définition d’un problème » est discriminatoire en cela qu’elle acte la «

bonne » interprétation du problème, aux dépens des autres, le cas présent est tout

particulièrement intéressant pour étudier cette « discrimination » à l’œuvre. Dans son rapport

de 1983 tout comme dans celui de 1986, la Commission omet de signaler que le « problème

de double jouissance de l’abattement humain de base » creuse également un déséquilibre avec

les foyers où la femme travaille à temps plein [Voir la figure ci-après]. Cette dernière, ayant

un revenu supérieur au seuil d’imposition, ne fait pas l’objet d’un abattement pour conjoint et

ne bénéficie que de son abattement de base. Il aurait donc fallu que ce cas de figure soit

mentionné par la Commission, or, il n’en est rien. C’est comme si les couples où les deux

conjoints travaillent à temps plein ne rentraient pas dans son champ de vision. On comprend

alors bien que l’objectif de la Commission n’est pas d’égaliser le nombre d’abattement

humains de base dont sont la cible les contribuables, mais de faire en sorte que les femmes au

foyer fassent l’objet de deux abattements à elles-seules (l’abattement pour conjoint +

l’abattement spécial pour conjoint). D’ailleurs, l’écart entre le nombre d’abattements humains

de base dont font l’objet les uns et le nombre de ceux dont font l’objet les autres augmente

après la réforme de 1987.

Avant l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint (cas � de la figure), les

couples de type « pourvoyeur – femme au foyer » ainsi que ceux où les deux conjoints

travaillent, bénéficiaient en tout et pour tout de deux abattements humains de base, contre un

chiffre compris entre deux et trois (non compris) pour les couples où la femme travaillait à

temps partiel sans pour autant dépasser le seuil d’imposition. En conséquence, l’écart entre les

uns et les autres était toujours inférieur à un. Une fois la réforme adoptée (cas � de la figure),

cet écart monte à un. L’objectif de la réforme qui était de favoriser fiscalement les foyers avec

femme au foyer est accompli : ces derniers font désormais l’objet de trois abattements

humains de base. Les foyers où les deux conjoints travaillent n’ayant pas fait l’objet d’une

attention quelconque, leur nombre d’abattements humains de base reste inchangé : deux.

L’écart se creuse donc.

Si l’on rajoute l’omission volontaire d’un cas de figure au fait que la situation après

réforme soit tout aussi « inéquitable », voire plus, nous sommes en droit de nous demander ce

que la Commission entendait alors par « iniquité ».

88

Figure 24 : Contraste entre la réalité des déséquilibres (à gauche) et leur appréhension par la Commission fiscale (à droite)

Revenu de la femme non nul < seuil de l’A.C.

Seuil de l’A. C. < revenu de la femme < seuil d’imposition

Pourvoyeur & femme au foyer

Revenu de la femme > seuil d’imposition

2 2>n>3

2

Pourvoyeur & femme au foyer

Revenu de la femme < seuil d’imposition

Revenu de la femme > seuil d’imposition

2

2 2>n>3

Pourvoyeur & femme au foyer

Revenu de la femme < seuil d’imposition

Seuil d’imposit° < revenu de la femme < limite max de l’A.S.C

Revenu de la femme > limite max de l’A.S.C.

3

3

2>n>3

2

2004 Pourvoyeur &

femme au foyer Revenu de la femme < seuil d’imposition

Seuil d’imposit° < revenu de la femme < limite max de l’A.S.C

Revenu de la femme > limite max de l’A.S.C.

2>n>3

2

2 2>n>3

1>n>2

Evocation rapide dans le rapport de 1983 & prise en compte dans le rapport de 1986

Pourvoyeur & femme au foyer

Revenu de la femme < seuil d’imposition

2 > 2 Iniquité entre les femmes au foyer et les femmes qui travaillent à temps partiel tout en restant la cible d’abattement pour conjoint

Les rapports de la Commission fiscale du début des 2000s

Pourvoyeur & femme au foyer

Revenu de la femme < seuil d’imposition

Il existe deux abattements ayant pour cible le conjoint = c’est trop !

MISE EN EVIDENCE DES « PROBLEMES »

Revenu de la femme < seuil d’imposition

Seuil d’imposit° < revenu de la femme < limite max de l’A.S.C

2>n>3 2>n>3

un mal pour un bien

Mise en évidence de la double jouissance par le conjoint de 2 abattements humains de base � vers la mise en place d’un abatte-ment humain de base transférable ?

1987

1981

1961

2 Nombre d’abattements humains de base par foyer (couple sans enfants)

Abattement de base

Abattement pour conjoint

Abattement spécial pour conjoint

Seuil d’imposition (pour une personne sans dépendants)

Seuil de revenu au dessus duquel le conjoint ne peut plus faire l’objet d’un abattement pour conjoint (avant 1981, ce plafond ne correspondait pas au seuil d’imposition)

LEGENDE

REALITE DE LA SITUATION DES

ABATTEMENTS HUMAINS DE BASE

Contraste entre la réalité des déséquilibres et leur mise en évidence sélective par la Commission fiscale

OMISSION totale de ce

3ème cas

89

Phase n°2_ Deux abattements pour conjoint, c’est un de trop

Comme nous avons pu le voir dans la 1ère partie, le rapport de 2002 de la Commission

fiscale souligne deux anomalies. La 1ère concerne le poids trop important qu’occupent les

« considérations familiales » dans le calcul de l’impôt. La 2nde concerne l’existence de deux

abattements pour conjoint. Avec l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint, le

conjoint fait désormais l’objet de deux abattements distincts d’un montant total de 760 000

yens, soit le double de l’abattement de base ou le double de l’abattement pour charge de

famille (pour la catégorie ‘normale’). Cet avantage fiscal accordé au conjoint est jugé

inapproprié par la Commission, quinze ans après son introduction . Il faut bien voir que si

la Commission critique la double jouissance d’un abattement pour conjoint, elle ne va pas

jusqu’à critiquer la double jouissance d’un abattement humain de base. Ainsi, ni les femmes

faisant l’objet d’un abattement de base et d’un abattement pour conjoint (650 000 yens <

revenu < 1,3 million de yens) ni celles faisant l’objet d’un abattement de base et d’un

abattement spécial pour conjoint (1,3 millions de yens < revenu < 1,41 millions de yens) ne

sont ciblées par ces mesures.

Phase n°3_ Vers un système qui accorde un seul abattement humain de base par personne ?

Si la dernière réforme des abattements pour conjoint remonte à 2004, les débats

perdurent. De la double jouissance d’un abattement pour conjoint, les regards se sont

désormais tournés vers la double jouissance d’un abattement humain de base. Les

critiques s’attardent tout particulièrement sur les personnes – principalement des femmes –

qui font l’objet d’un abattement pour conjoint et d’un abattement de base. Pour celles qui

bénéficient d’un abattement de base et d’un abattement spécial pour conjoint, les critiques

sont plus douces, les auteurs y voyant un « mal nécessaire » car permettant de supprimer le

problème des travailleurs(euses) à temps partiel sur le plan fiscal. Suite à ces réflexions,

plusieurs projets de réforme ont émergé. Si certains proposent de supprimer l’abattement pour

conjoint [point de vue que l’on développera dans la partie 2, hypothèse 3], d’autres se lancent

dans l’élaboration de solutions dites « plus réalistes ». Elles sont plus réalistes en cela qu’elles

prennent mieux en compte la réalité du Japon, à savoir, la présence d’un nombre non

négligeable, bien qu’en constante diminution, de femmes au foyer. L’introduction d’un

abattement de base transférable (移転的基礎控除) est l’un de ces projets (Kitamura, 2007). Il

90

offre l’avantage de supprimer l’effet « trappe à inactivité » de l’actuel abattement pour

conjoint en adoptant la structure dégressive de l’abattement spécial pour conjoint, tout en

donnant l’opportunité aux couples de type « pourvoyeur – femme au foyer » de continuer à

bénéficier de deux abattements de base.

Figure 25 : Système de l'abattement de base transférable

Son fonctionnement est le suivant : à chaque individu est attribué un abattement de

base, si l’abattement n’est pas entièrement « consommé » [= revenus inférieurs au seuil

d’imposition], la partie restante est transférée au conjoint (voir la figure ci-après). Si un tel

projet était adopté, le « problème » de double jouissance d’un abattement humain de

base disparaîtrait car quelque soit la composition des revenus du ménage (sans dépendants),

ce dernier ne pourrait faire l’objet que de deux abattements humains de base en tout et pour

tout. De la réforme de 1986 qui omettait volontairement de son champ de vision les couples

où les deux conjoints travaillent, à la considération de propositions comme celles que nous

venons de voir, nous ne pouvons que constater le chemin parcouru.

Avec son insistance sur le caractère « inéquitable » des abattements pour conjoint, le

problème de la double (voire triple) jouissance d’un abattement de base s’inscrit clairement

dans le cadre de l’hypothèse B : « la prise en compte de problèmes qui mettent en cause le

caractère équitable de l’instrument ».

Revenu (de la femme)

Montant de l’abattement dont

le mari peut bénéficier

900 000 yens (65+25)

38-25=13 Soit 130 000 yens

Chaque individu bénéficie d’un abattement de base d’un montant de 380 000 yens. Si ce dernier n’est pas entièrement « consommé », la partie restante est transférée au conjoint

Abattements dont bénéficie

le mari

Abattements de base de la femme (revenu inférieur au

seuil d’imposition)

Système de l’abattement de base transférable

Portion non consommée de l’abattement de

base

91

3. VERS UNE PERTE PROGRESSIVE DE L’ATTRAIT DE LA LOGIQUE DE

L’ABATTEMENT ?

Avant d’être un abattement pour conjoint ou un abattement spécial pour conjoint, l’un

comme l’autre sont avant tout de ‘simples’ abattements fiscaux sur l’IRPP. La logique d’un

abattement sur l’impôt sur le revenu est de prendre en considération les particularités de

chaque contribuable pour éviter des situations d’iniquité. Le cas le plus souvent rencontré est

la prise en compte de la situation familiale. Du fait de la prise en compte de ces particularités

individuelles, l’impôt sur le revenu est souvent considéré comme l’impôt le plus juste. Or,

comme on a pu le voir précédemment, depuis le début des années 2000, plusieurs rapports

signalent la complexité du système fiscal et tentent d’œuvrer à sa simplification. Les

abattements en feront les frais avec la suppression de plusieurs d’entre eux ; ce sera

notamment le cas de la partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint. Outre la

simple question de visibilité et de simplicité du système fiscal, on rencontre d’autres

arguments destinés à promouvoir une réforme des abattements existants. En voici un bref

aperçu :

- Tout d’abord, la Commission argue de la non-nécessité d’un tel système. Le Japon

aurait désormais acquis des « structures assez développées » (notamment sociales),

réduisant d’autant la nécessité de toujours prendre davantage en compte la situation

familiale du contribuable. [Voir partie 1, réforme de 2004 pour plus de détails]

- Par ailleurs, le rapport met en avant le poids – trop important – qu’a acquis la prise en

compte de la situation familiale dans le calcul de l’impôt. Un chiffre qui revient

souvent : le montant des abattements relatifs à la situation familiale (abattement pour

conjoint, abattement spécial pour conjoint, abattement pour charge de famille, etc.),

qui dépasse de beaucoup celui destiné à la propre personne du contribuable.

- Enfin, un dernier argument met en lumière le caractère régressif des abattements.

C’est sur ce dernier argument que j’aimerais insister. De par leur nature même, les

abattements bénéficient d’autant plus au contribuable que son revenu est élevé. Or, la

mauvaise condition économique auquel le Japon doit faire face depuis le début des années

1990 et la restructuration de l’économie (pratiques néolibérales) ont paupérisé une partie de la

population : les inégalités se creusent dans la société qui fut un temps qualifiée de ‘société

classe moyenne’. On comprend alors mieux que le caractère régressif des abattements ait fait

l’objet d’une plus grande attention. Dès son rapport de 2002, la Commission propose – parmi

trois propositions – un éloignement progressif du ‘tout abattement’. Concrètement [troisième

92

proposition], elle propose une augmentation du montant de l’abattement de base, la

suppression de l’abattement pour conjoint et le remplacement des abattements pour charge de

famille par des crédits d’impôts. Ce projet sera repris par le Minshutô (Parti Démocrate du

Japon), qui prend le pouvoir en 2009 (pour le perdre fin 2012), avec comme principale

promesse électorale « le passage d’un système d’abattements à un système d’allocations

familiales » (「控除から手当へ」). L’objectif principal d’un tel ‘changement de paradigme’

est la volonté affichée de mieux toucher les foyers modestes. Si les réalisations du

gouvernement Minshutô s’éloigneront de ses promesses électorales54, cela ne remet pas en

cause ce mouvement d’éloignement progressif de la logique de l’abattement.

Cette évolution des abattements vers un système de crédits d’impôts ou d’allocations

est surtout palpable dans le domaine des abattements pour charge de famille (enfants). Pour ce

qui concerne l’abattement pour conjoint, on voit néanmoins mal un tel changement se

produire. Avec les critiques dont fait l’objet l’abattement pour conjoint et les pressions de la

part de l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme pour rendre le

système « gender neutral », il est difficilement imaginable de voir naître une allocation

destinée aux femmes au foyer qui remplacerait l’abattement pour conjoint. Qu’une réforme

soit l’occasion de supprimer l’abattement pour conjoint, oui ; qu’elle soit l’occasion de créer

une ‘allocation parentale’, non.

La perte d’attractivité du « tout abattement » est à replacer dans un contexte

d’accroissement des inégalités, où le caractère régressif des abattements paraît de plus en plus

inapproprié. C’est donc bien le caractère équitable de l’impôt qui est remis en cause.

L’ hypothèse B est ainsi validée pour ce troisième problème.

Si nous avons pu analyser avec précision la « politique de mise en problème » des

abattements pour conjoint, il nous reste à mettre en évidence l’identité des « entrepreneurs

politique » qui ont « porté » ces problèmes sur l’agenda de la Commission. Si les sources ne

nous permettent pas de remonter jusqu’à leur identité dans le cas du « problème des

travailleurs(euses) à temps partiel », ce problème ne se pose pas pour la réforme de 2002.

C’est d’ailleurs ce sur quoi nous allons nous penché dans la partie suivante.

54 Notamment l’augmentation du taux de la TVA – pour plus de détails, voir所得税法における人的控除の問

題点 -「控除から手当へ」の検証-

93

HYPOTHESE N°3 : L’ EVOLUTION DES ABATTEMENTS POUR CONJOINT EST-ELLE PORTEE PAR L ’ENTREE EN SCENE DE NOUVEAUX ACTEURS OU PAR LA MODIFICATION DU CADRE CO GNITIF D’ACTEURS DEJA PRESENT ?

Nous venons de voir que le cycle de mise en évidence de « problèmes techniques » est

un des principaux moteurs de l’évolution des abattements pour conjoint. Or, un « problème »

ne naît pas sui generis. Il est toujours formulé et prend forme grâce à l’action d’acteurs,

souvent nommés « entrepreneurs politiques ». Si les sources ne permettent pas toujours de

mettre en évidence les acteurs qui ont eu le rôle principal dans la formulation des

« problèmes » et leur mise sur agenda lors des réformes de 1961 et 1987, les données sont

très riches pour la réforme de 2004. La lecture des débats de la Commission fiscale fournit

beaucoup de détails sur les initiatives et les influences qui ont conduit à la mise au point du

texte. Lors de ces débats, on observe une nouvelle définition du « problème ». La

Commission a dû trancher entre plusieurs dimensions et les a hiérarchisé. Notre 3ème

hypothèse porte donc sur les acteurs qui se sont emparés du « problème » des abattements

pour conjoint. La question à laquelle nous essayons de répondre est la suivante : L’évolution

de la problématisation de l’enjeu des abattements pour conjoints s’explique-t-elle par

(H.1) l’entrée en scène de nouveaux acteurs ou par (H.2) l’évolution des cadres cognitifs

et des buts d’acteurs déjà présents ?

Baumgartner et Jones (2009) ont bien souligné dans leurs travaux les liens

d’interdépendance existants entre acteur et « image » d’une politique. Leur thèse est la

suivante : tout comme la modification de l’image d’une politique publique a de fortes chances

de créer un ‘appel d’air’ et d’entraîner la mobilisation de nouveaux acteurs, un changement

des acteurs ‘ légitimes’ aura également un impact sur l’image de la politique publique.

Baumgartner et Jones le formulent ainsi:

“People, political leaders, government agencies, and private institutions which had once shown no interest in a particular question become involved for some reason. That reason is typically a new understanding of the nature of the policies involved. Where proponents claim that a practice serves only to promote equality and fairness, two widely shared goals in America, opponents may argue that in fact it harms the environment, leads to profits for foreign investors, is a waste of taxpayer resources, or something else.” (B&J, 2009, p.8)

94

Ces acteurs que nous nommons « légitimes » ne sont pas seulement les acteurs ayant

un pouvoir de décision direct sur les abattements pour conjoint (dans notre cas : la

Commission fiscale, la Commission fiscale du Jimintô ou la Diète). De façon plus large, il

s’agit des acteurs qui ont pris position sur leur sujet en se mobilisant de façon tangible afin

d’être entendus par les acteurs chargés de la décision. Dans les parties précédentes (Partie 2,

H.1&2) nous les avons nommés « entrepreneurs politiques », l’idée est ici la même.

Avant de revenir sur les acteurs, faisons le point sur les grands traits de l’évolution de

« l’image » des abattements pour conjoint. Avant l’introduction de l’abattement pour conjoint

en 1961, le conjoint qui avait un revenu inférieur à un certain plafond pouvait faire l’objet

d’un abattement pour charge de famille, au même titre que les enfants et parents âgés du

contribuable. Le conjoint était alors catégorisé comme une personne dépendante et

l’abattement dont il faisait l’objet avait pour but principal de ne pas réduire la capacité

d’imposition du mari. L’objectif affiché de l’abattement évolue avec la réforme de 1961.

L’abattement pour conjoint est désormais décrit comme étant une « appréciation de la

contribution de la femme au foyer au revenu de son mari ». Même si, concrètement,

l’interprétation de l’avant 1961 ne disparaît pas, l’image globale de l’abattement évolue de

façon conséquente.

Durant les années 1990, une nouvelle « image » de l’abattement pour conjoint est

élaborée. L’abattement pour conjoint est désormais considéré avant tout pour ses effets

négatifs, comme étant un frein à l’activité des femmes. Cette nouvelle image, s’impose

d’autant plus lentement dans les sphères de décision, et notamment au sein de la Commission

fiscale, qu’elle comporte une dimension critique. Si tous les acteurs impliqués ne s’accordent

pas sur cette nouvelle image, elle va rallier un nombre croissant d’entre eux. Ce que l’on peut

dire avec certitude, c’est que cette nouvelle image, si elle n’est pas encore parvenue à

s’imposer chez tous les acteurs en charge de la décision, a atteint un tel niveau de soutien

qu’il est désormais difficile de l’ignorer.

La question qui se pose alors est de savoir quels sont les acteurs qui ont porté ce

changement d’image. A partir des matériaux que nous avons analysés, deux acteurs

principaux émergent : l’administration chargée de promouvoir l’égalité homme-femme et les

acteurs économiques. Nous analyserons comment, ces deux acteurs aux logiques d’action

très différentes se sont mobilisé et ont créé une « coalition de fait ».

95

1. VERS UNE CORRECTION PROGRESSIVE DES BIAIS DE GENRE DES

POLITIQUES PUBLIQUES GRACE A L’EMERGENCE DE L’ADMINISTRATION

CHARGEE DE PROMOUVOIR L’EGALITE HOMME-FEMME

Au Japon comme dans beaucoup de pays, l’administration chargée de promouvoir

l'égalité homme-femme a été renforcée au cours des dernières décennies et tout

particulièrement lors des années 1990. Cette évolution se conjugue avec un renouvellement de

l’image publique de l’abattement pour conjoint. De cette corrélation, il serait tentant de tirer la

conclusion que le seul renforcement de la « machinerie nationale »55 a permis un

renouvellement du « problème » de l’abattement pour conjoint. Or, ce serait oublier le fait que

l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme ne s’est intéressée à ce sujet

que récemment, et ce, plusieurs années après sa ‘promotion’ statutaire. Au renforcement de

l’administration s’ajoute donc un autre élément tout aussi important : le renouvellement de

l’approche relative à « la question des femmes ».

1) Retour sur la genèse et l’évolution du « féminisme d’état » japonais

La première administration à être en charge des questions relatives aux femmes naît en

1947 sous le nom de « section des femmes [fujin] et des jeunes du Ministère du Travail » (労

働省婦人少年局). Jusqu’au milieu des années 1970, les deux principales préoccupations de

la section sont la mise en place de règles protectionnistes à destination de la main-d’œuvre

féminine56 et la suppression du système de démission forcée des jeunes femmes mariées. La

« section des femmes [fujin] et des jeunes du Ministère du Travail » existait déjà quand

l’abattement pour conjoint a été créé mais aucune source n’indique qu’elle se soit mobilisée

pour ou contre son avènement.

Suite à la première conférence mondiale sur les femmes, organisée par l’ONU à

Mexico en 1975, le Japon renforce sa « machinerie nationale ». Trois nouvelles instances sont

créées :

- Le « siège de promotion des projets [relatifs à] la question des femmes » (婦人問題企

画推進本部) qui fait office d’organisme de liaison entre les vice-ministres de chaque

ministère. A sa tête, le Premier Ministre. Le Directeur général du Cabinet prend la

direction adjointe et les vice-ministres en deviennent les membres. 55 Terme onusien désignant les administrations chargées de promouvoir l'égalité homme-femme 56 Interdiction du travail de nuit, limitation stricte du nombre d’heures supplémentaires, droit à des jours de congés au moment des menstruations, etc.

96

- A ce siège se rajoute l’équivalent d’une assemblée délibérante57 dite « l’assemblée

d’experts pour la promotion des projets [relatifs à] la question des femmes » (婦人問

題企画推進有識者会議) composée de 33 personnes.

- Enfin est créée une « section chargée de la question des femmes » (総理府婦人問題

担当室) au sein du Bureau du Premier Ministre (= Cabinet). En tant que ‘secrétariat’

des deux instances précédentes, c’est elle qui se charge de formuler des projets et de

faire des enquêtes. [« Section » par la suite]

Cependant, ces instances sont faibles, l’Assemblée et la Section n’ayant pas

d’existence formelle [accord oral en Conseil des Ministres] (Bando, 2002)

La signature de la Convention sur l’élimination de toutes formes de discriminations à

l’encontre des femmes (CEDAW en anglais) par le Japon en 1980 est un autre moment fort de

l’histoire du « féminisme d’Etat » japonais58. Afin de préparer sa ratification, trois réformes

sont menées : une réforme de la loi sur la nationalité59, une réforme des programmes

scolaires60 et l’adoption d’une loi sur l’égalité homme-femme au travail. Plus que les deux

réformes sur le code de la nationalité et l’éducation, c’est l’adoption de « la loi sur l’égalité

des chances à l’emploi entre hommes et femmes » (EEOL – Equal Employment Opportunity

Law – en anglais) qui va concentrer les difficultés. Les débats se crispent autour du maintien

ou de la suppression des lois protectrices spécifiques aux femmes. Le patronat et le salariat ne

parvenant pas à un consensus, c’est au final une loi « faible », sans caractère coercitif, qui est

adoptée en 1986 (Arai, LeChevalier, 2004).

La création de l’abattement spécial pour conjoint décidée en 1986 et appliquée à partir

de l’année fiscale 1987 est contemporaine à l’instauration de l’EEOL. Si des auteurs tels que

Mizuta Tamae (1986) soulignent la contradiction qui existe entre l’adoption de l’un et de

l’autre, aucune des sources auxquelles nous avons eu accès ne semble indiquer une

quelconque intervention des sections chargées de la question des femmes au sujet de la

création de l’abattement spécial pour conjoint.

57 Attention, elle n’en a pas le titre. 58 Le contexte conservateur de ce début des années 1980 n’est pourtant pas des plus favorables à la signature de la Convention. Cependant, à la pression de plusieurs groupes féministes et du Ministère des Affaires Etrangères s’est rajoutée une situation « inespérée » de chaos politique qui permet l’obtention d’un accord à deux jours de l’ouverture de la Conférence de Copenhague. 59 Jusqu’à la réforme de 1985, seuls les hommes japonais avaient le droit de transmettre la nationalité japonaise. 60 Les cours « d’économie domestique » obligatoires pour les seules filles, deviennent obligatoires pour les garçons et les filles au collège et optionnels au lycée.

97

La première moitié des années 1990 se caractérise par un renforcement de

l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme61. Un premier renforcement

de l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme a lieu en 1992. Le

Secrétaire général du Cabinet devient le ministre responsable des problèmes des femmes (女

性問題担当大臣) [à noter le passage du terme « fujin » au terme « josei »] permettant ainsi à

la section chargée de la question des femmes d’obtenir enfin une base légale. Un second

renforcement a lieu en juillet 199362. Le siège et la section changent de nom : l’expression

« la question des femmes » est remplacée par « la participation conjointe des hommes et des

femmes », expression que nous traduirons par « société paritaire »63. Le siège prend ainsi le

nom de « Siège de promotion pour une société paritaire » (男女共同参画推進本部) et la

section, le nom de « section pour une société paritaire » (男女共同参画室). A ce changement

d’appellation se rajoute une amélioration du statut du Siège, ses membres n’étant plus des

vice-ministres mais des ministres. La troisième et la plus importante réforme a lieu en juin

1994. Pour la première fois depuis 1955, le Jimintô n’est plus au pouvoir. C’est une coalition

large « anti-Jimintô » (pour ne pas dire éclatée) menée par le parti socialiste qui tient les rênes

du pouvoir depuis août 1993. La réforme de 1994 constitue un fort backup législatif pour

le Conseil et la section, toutes deux placées au sein du Bureau du Premier Ministre.

Enfin, on notera le transfert de compétences entre la section ‘femme’ du Ministère du travail

et la section pour une société paritaire du Bureau du Premier Ministre pour ce qui relève de la

coordination entre les ministères64. Jusqu’à ce changement législatif, seule la section du

Ministère du Travail était à même d’effectuer cette coordination : il y a donc, pour reprendre

le terme de Baumgartner et Jones, un changement de « policy monopoly » (Baumgartner et

Jones, 2009, p. 7). Ce changement de « monopole » permet un élargissement des

« problèmes » associés à la question de l’égalité homme-femme, la section chargée de la

coordination n’étant plus rattachée à un ministère spécifique.

61 La fin des années 1980 et le début des années 1990 62 Décret 「男女共同参画社会づくりに関する推進体制の整備について」. 63 La traduction littérale de 男女共同参画 est « participation conjointe des hommes et des femmes ». Le terme est souvent traduit en anglais par « gender equality » (ex : 男女共同参画局 est traduit par ‘gender equality Bureau’) alors même que les termes de « gender » (jendâ en japonais) ou d’« égalité » (byôdô en japonais) n’apparaissent pas dans le titre japonais. Pour mieux traduire ce contentieux qui entoure le terme de男女共同参

画, j’ai préféré au terme « égalité de genre » l’expression « société paritaire » car elle a le mérite de mettre en évidence le poids des mots dans le contexte français. Je remercie Aline Henninger pour la suggestion. 64 Voici le texte d’origine : 当時労働省に婦人少年局があり、労働省設置法に「婦人行政に関する連絡調

整」が労働省が行うと明記してあり、別にもう一つ女性行政を行う部局を作ることは出来ませんでし

た。(Bando, 2002, p. 17)

98

En juin 1996, le Conseil pour une société paritaire présente au Premier Ministre

Hashimoto (Jimintô) le rapport : « une vision pour une société paritaire : création de nouvelles

valeurs pour le 21ème siècle » (男女共同参画ビジョン:二十一世紀の新たな価値の創造).

Ce rapport officiel imagine un Japon sans discriminations sexuelles et propose des mesures

pour y parvenir65. Il a eu une influence très importante sur l’orientation de la politique

d’égalité homme-femme poursuivi par le Japon et a contribué à modifier l’appréhension qui

était faite des abattements pour conjoint. Les féministes siégeant au Conseil pour une société

paritaire “refused to see gender issues as a simple matter of improving the status of women.

Rather, they sought to abolish gender as a paradigm shaping Japanese society, or, in other

words, to develop a « gender-free » society” (Osawa, 2005, p. 161). Le rapport va donc

beaucoup plus loin que la définition donnée à la société paritaire par l’ordonnance de 1994.

C’est d’ailleurs la première fois qu’un rapport officiel utilise le terme « gender » (ジェンダ

ー), terme devenu populaire à l’issue de la Conférence de Pékin en 1995. Le changement de

perspective sur l’appréhension de l’égalité homme-femme qu’induit Vision devient apparent

quand on le compare avec le Nouveau plan d’action pour l’année 2000, rapport qui date de

1991 (西暦 2000 年に向けての 新国内行動計画第一次改定).

“First, the 1991 New National Plan consists mainly of priority objectives targeted at women (and children) with the purpose of improving the status and welfare of women. By contrast, nearly all of the priority objectives contained in the Vision are targeted at men and women with the purpose of attaining gender equality. Second, […] the Vision includes an unprecedented group of new priority objectives under the subtitle, “Forming a society with no gender-related prejudice”. In this section, the Vision identifies gender bias in social institutions and in customs and practices as a serious problem within Japanese society generally.” (Osawa, 2005, p. 164)

Parmi les systèmes sociaux et fiscaux mis en cause par le rapport, on trouve les abattements

pour conjoint. C’est la première fois qu’un rapport officiel souligne l’existence de ‘biais de

genre’ au sein du système d’abattements pour conjoint. La loi-cadre de 1999 (男女共同参画

社会基本法 ) reprend les grandes lignes de Vision. L’article 4 de la Loi-cadre intitulé

Considération des systèmes sociaux ou des pratiques reprend ainsi :

“In consideration that social systems or practices can become factors impeding formation of a Gender-Equal Society by reflecting the stereotyped division of roles on the basis of gender, etc., thus having a non-neutral effect on the selection of social activities by women and men, care should be taken so that social systems and practices have as neutral an impact as possible on this selection of social activities.” (Basic Act for Gender-Equal Society (Act No. 78 of 1999), Chapitre 1, article 4)

65 Les informations sur le rapport Vision sont principalement tirées de : OSAWA Mari, “Japanese government approaches to gender equality since the mid-1990s”, Asian Perspective, Vol.29, No.1, 2005, p. 157-173

99

La dernière modification de l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-

femme remonte à la réforme administrative de 200166 (application de la loi votée en juillet

1999). Le Conseil pour une société paritaire (男女共同参画審議会審議会審議会審議会) voit son statut renforcer

(男女共同参画会議会議会議会議) : il fait désormais partie des quatre organes consultatifs de la nouvelle

administration centrale du Cabinet. Une nouvelle administration qui a désormais plus de

pouvoir que les ministères eux-mêmes. Son secrétariat, anciennement « section pour une

société paritaire » passe du statut de simple « section » (室) à celui de « bureau » (局). Son

rôle est également élargi : à son rôle de liaison entre le ministère se rajoute l’élaboration de

projets relatifs à l’égalité homme-femme (Osawa, 2005, p. 169).67

Les années 1990 et le début des années 2000 ont ainsi vu le renforcement de l’appareil

administratif chargé de promouvoir l’égalité homme - femme. A cette évolution de la

structure administrative se superpose l’évolution des problématiques abordées. De « la

question des femmes » (婦人問題) à la « promotion d’une société paritaire » (男女共同参画

社会), la perspective d’approche de l’égalité homme-femme a beaucoup évolué. L’utilisation

du terme genre, évoqué pour la première fois dans le rapport Vision, procède de l’adoption

progressive d’un nouveau point de vue sur la tactique à adopter quant aux politiques d’égalité

homme-femme : d’une stratégie qui se concentre sur la suppression des discriminations

évidentes entre homme et femme, on passe à une stratégie qui insère dans son champ de

vision les hommes et des discriminations de genre plus subtiles et difficiles à mettre en

évidence. L’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme s’est ainsi

progressivement intéressée aux biais de genre portés par les politiques publiques, et

notamment par les politiques sociales et fiscales. Rendre neutre les politiques publiques vis-à-

vis du genre devient un leitmotiv du Bureau. La nouvelle problématisation de l’abattement

pour conjoint est à replacer dans cet effort généralisé de mettre fin aux « systèmes »

[politiques publiques] ayant comme prémisse une division sexuelle du travail.

66 Des scandales à répétition et la mauvaise gestion de l’éclatement de la bulle spéculative viennent ternir l’image de l’administration japonaise. « Rétablir le leadership politique » devient un thème politique récurrent des années 1990. Cela aboutit en 2001 à une réforme d’envergure de l’administration : réduction du nombre de ministères et des effectifs. Le « dépeçage » (dixit Tiberghien) du Ministères des Finances est le clou de cette reprise en main de la bureaucratie par le politique. Les services du Premier Ministre (le nom change passant de 総理府 à 内閣府) sont renforcés. Pour plus d’informations, voir Tiberghien, 2004. 67Si Osawa Mari semble relativement optimiste sur le futur de l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme, ce n’est pas le cas d’Iwamoto Misako. La raison principale de ce pessimisme est la persistance de la culture bureaucratique japonaise qui rend toute activité transversale difficile. A cela se rajoute le manque d’intervention du Bureau dans les pré-carrés des ministères et sur les terrains les plus polémiques comme ce fut le cas pour les débats autour de la réforme du code civil.

100

2) Une nouvelle appréhension de l’abattement pour conjoint

Cette mise en lumière des biais de genre des politiques publiques sera approfondie

par une commission du Conseil : la Commission d’enquête spécialisée dans l’analyse de

l’impact [des politiques publiques] (影響調査専門調査会). L’analyse aboutira en avril 2002

par la publication d’un rapport provisoire68 intitulé « les choix de style de vie et les systèmes

de protection sociale, d’emploi et de fiscalité » (ライフスタイルの選択と税制・社会保障

制度・雇用システム). Si le rapport souligne les points ‘problématiques’ des abattements

pour conjoint, l’appréhension générale du système fiscal y est relativement « conciliante ».

Jamais le rapport ne met en cause la légitimité du modèle « pourvoyeur – femme au foyer » :

ce modèle reste un « choix » effectué par un grand nombre de couples, choix qu’il faut

respecter. Le discours tenu est donc plutôt celui de l’inadaptation au temps présent : les

abattements pour conjoint ne conviendraient plus au Japon des années 2000. Chiffres à

l’appui, le rapport insiste sur le fait que, désormais, une majorité de femmes japonaises

travaille. Or, cette tendance lourde de la société japonaise ne s’est pas accompagnée d’une

remise en perspective des systèmes sociaux et fiscaux, qui ont encore pour prémisse un

modèle familial où la femme restait au foyer. De cet écart naissent des problèmes. Ce discours

a l’avantage stratégique de ne pas mettre en cause l’existence même des abattements pour

conjoint et donc de limiter les réactions hostiles. Les abattements pour conjoint ont eu leur

utilité par le passé, dans un temps où la structure familiale se composait d’un mari salarié et

d’une femme au foyer. « This time is over, let’s move on » pourrait très bien résumer la

position du rapport. Autrement dit, les abattements pour conjoint sont « en retard sur leur

temps » (時代遅れ).

Une fois le contexte général établi, le rapport souligne l’effet dissuasif des abattements

sur l’activité professionnelle des femmes mariées69. Etudes du Ministère du Travail à l’appui,

le rapport met en évidence la très forte concentration des revenus annuels des travailleuses à

temps partiel à hauteur d’un million de yens (voir annexe 9), confirmant ainsi la présence

d’un « mur ». Les chiffres sur les choix d’ajustement sont également mobilisés. Cherchant des

explications à ce phénomène de mur, la Commission d’enquête met en avant une

contradiction souvent mentionnée par les auteurs, mais trop peu analysée : la persistance du

« mur » alors même que le phénomène de seuil, principal responsable de ce dernier, a été

68 Je n’ai pas eu connaissance de la version finale du rapport. 69 Des économistes comme Nagase Nobuko voient dans les abattements pour conjoint et autres droits dérivés une des causes principales au faible revenu horaire des travailleurs à temps partiel. (Nagase, 2002)

101

neutralisé sur le plan fiscal en 1987. Comme on l’a vu dans la [partie 2, H.2], cette persistance

s’explique en partie par les conditions de versement des allocations familiales. Cependant ceci

n’explique pas tout comme nous le laisse suggérer le présent rapport. En toute logique, un

autre « mur » devrait exister à hauteur de 1,3 millions de yens70, or il n’en est rien. Seul le

plafond de l’abattement pour conjoint semble avoir une telle influence sur les comportements

des femmes. Ce que nous confirment les statistiques sur les raisons des choix d’ajustement

des femmes.

Figure 26 : Extrait de l'annexe n°4 - Raisons des ajustements (Chiffres de 1990 et 1995)

Si l’abattement pour conjoint n’avait pas d’effet en soi sur les

comportements d’ajustement des femmes et n’était que la

réflexion des conditions d’accès aux allocations familiales, les

réponses « parce que je ne ferai plus l’objet d’abattements

fiscaux » et « parce que l’on ne recevra plus d’allocations

familiales » devrait se situer à un niveau relativement égal. Or,

il n’en est rien. Le taux de réponse « abattement pour conjoint »

est le double de celui des « allocations familiales ».

La Commission d’enquête en fait la conclusion suivante :

« De tels résultats sont contradictoires. Cette contradiction peut s’expliquer en partie par le fait que les personnes concernées par ces ajustements se méprennent sur le système fiscal, qu’ils en ont une mauvaise compréhension ou qu’ils ne souhaitent pas devenir imposables tout simplement. Quoi qu’il en soit, il est certain que des ajustements à la baisse des heures de travail, du revenu et du salaire horaire sont effectués avec pour arrière-plan les

systèmes fiscaux, de sécurité sociale et d’allocations familiales. » [I. / Section 4) 再就業 /

オ. 全体的評価]

La Commission d’enquête souligne par ailleurs les contradictions des abattements :

tout en reconnaissant la valeur du travail effectué par les femmes au foyer, ils leur accordent

un avantage fiscal alors que la logique aurait voulu au contraire que ce travail créateur de

richesses soit sujet à taxation. Pour ce qui est des solutions au « problème », la Commission

d’enquête se positionne très clairement contre l’adoption du système d’imposition conjointe

avec quotient conjugal, une solution régulièrement proposée par la Commission fiscale

comme on a pu le voir. Pour ce qui est des abattements pour conjoint, le rapport souligne

que :

« Le temps est venu de revoir le système d’abattement pour conjoint et d’abattement spécial pour conjoint. Concrètement, une réduction voire une suppression des différentes

70 1,3millions de yens correspond au plafond des droits dérivés en matière de santé et de retraite.

102

considérations à l’égard de la famille est à envisager […] Cependant, étant donné qu’un grand nombre de personnes bénéficient de ces divers abattements, toute réforme devra prendre soin de compenser la hausse de la pression fiscale qui s’en suivra si l’on veut qu’elle soit supportée par le peuple. »

Ainsi, la Commission d’enquête se positionne clairement pour la suppression des

abattements pour conjoint, tout en laissant une marge de manœuvre importante à la

Commission fiscale quant aux détails de la mise en œuvre concrète.

3) La propagation de cette nouvelle « image » à la Commission fiscale

Si l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme a fourni une

nouvelle appréhension du « problème » des abattements pour conjoint à partir d’une analyse

en termes de biais de genre, il nous reste à savoir dans quelle mesure cette nouvelle

problématisation s’est propagée aux autres administrations. Nous nous intéresserons ici

exclusivement au cas de la Commission fiscale.

Un simple calcul du nombre d’apparitions du terme « société paritaire » [男女共同参

画(社会)] dans les rapports de la Commission fiscale permet déjà de mettre en évidence la

reprise du cadrage (« frame ») ou de l’appréhension du « problème » de l’abattement pour

conjoint tel qu’il a été développé par l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-

femme.

Figure 27 : Nombre d'apparitions du terme "société paritaire" dans les débats de la Commission fiscale

Nombre d'apparitions du terme "société paritaire" dans les débats de la Commission évoquant les abattements pour conjoint

0

2

4

6

8

10

12

14

16

1999 2001 2000 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Comme nous le montre le graphique précédent, le terme « société paritaire » est bel et

bien mobilisé au moment des débats sur la suppression de l’abattement spécial pour conjoint

et sur l’avenir de l’abattement pour conjoint. Il faut dire que la directrice de la Commission

103

d’enquête spécialisée dans l’analyse de l’impact [des politiques publiques], Ôsawa Mari (大

澤真理), professeure à Tôdai, est intervenue lors d’une des réunions de la Commission

fiscale71. Elle y résume les constats et les propositions relatifs au système fiscal du rapport

provisoire. Au vue de ces échanges entre la Commission fiscale et la Commission d’enquête

du Conseil pour une société paritaire, il n’est guère étonnant de constater que le discours de

cette dernière se retrouve dans l’argumentation de certains membres de la Commission fiscale

comme nous le montre la figure n°15. Il faut néanmoins souligner que cet échange n’aura pas

permis la formation d’un consensus général sur les abattements pour conjoint : les positions

« conservatrices » perdurent72.

La littérature l’indique, notre étude de cas le confirme: les acteurs sont essentiels à la

« mise en problème » et au changement d’image d’une politique publique. Au début des

années 2000, alors que se discutait un projet de réforme fiscal d’envergure, l’administration

chargée de promouvoir l'égalité homme-femme s’est engagée en faveur d’une réforme des

abattements pour conjoint. Durant cette séquence, ces administrations correspondent

davantage au cas de l’entrée en scène d’un nouvel acteur. Pour revenir à notre questionnement

initial : « L’évolution de la problématisation donnée aux abattements pour conjoints

s’explique-t-elle par (A) l’entrée en scène de nouveaux acteurs ou par (B) l’évolution des

objectifs et des cadres cognitifs d’acteurs déjà présents ? », c’est donc l’hypothèse B qui est

pertinente à leur sujet.

2. VERS LA MISE EN EVIDENCE DES EFFETS DESINCITATIFS DU SYSTEME

FISCAL SUR LA PLEINE « MISE EN VALEUR » DE LA MAIN D’ŒUVRE

FEMININE PAR DES ACTEURS ECONOMIQUES CONFRONTES A UN MANQUE

DE RESSOURCES HUMAINES

Si des acteurs « nouveaux », tels que le Conseil pour une société paritaire, se sont

emparés de la question de l’abattement pour conjoint, ils ne sont pas les seuls. Le milieu des

années 1990 est témoin de la venue d’un autre type d’acteur : les acteurs économiques. Leur

71 Pour être plus précise, il s’agissait de la 9ème session de la commission sur les questions de base du 2 avril 2002. [税制調査会第 9 回基礎問題小委員会] 72 La session de questions – réponses qui suit la prise de parole de大澤真理 (Osawa Mari) est extrêmement intéressante pour mettre en évidence ces positions que je qualifierai de « conservatrice » ou de « prudente ». Ainsi les premières questions posées à l’intervenante seront les suivantes : « Lors de la rédaction de ce rapport provisoire, avez-vous écouté l’opinion des femmes au foyer ou de ces femmes qui ont un revenu inférieur à 1,3 million de yen ? Si oui, quel était leur point de vue ? » « Cette femme au foyer, que disait-elle ? » (税制調査会

第 9 回基礎問題小委員会_02/04/2002)

104

intérêt nouveau pour la question des abattements pour conjoint résulte de l’évolution

inquiétante du contexte économique japonais. Ainsi, si le Conseil pour une société paritaire

aborde l’égalité homme-femme, à la fois comme objectif (rationalité axiologique) et comme

moyen de résoudre les problèmes sociaux et économiques du Japon (rationalité téléologique),

seule la seconde rationalité est présente dans le discours des acteurs économiques. L’extrait

suivant tiré d’un article d’Ôsawa Mari revient sur le contexte qui a permis cet intérêt soudain

de la part des acteurs économiques.

“First, by the mid-1990s, there was a growing perception among LDP (Jimintô) politicians and their colleagues in the industry that gender equality was good for business (1). There was also a mounting sense of crisis about the tumbling birth rate in Japan (2) and a realization that it would not reverse until women had a sense of financial security, thereby allowing them to have larger families. At the time, the continued decline among the active working population meant that women’s labor had to be used more effectively than it had in the past(3).” (Osawa, 2005; p. 159)

La main-d’œuvre devenant une denrée rare, les acteurs économiques se tournent vers

un facteur de production au potentiel « sous-exploité » voire négligé : les femmes mariées.

L’un des premiers rapports à souligner l’effet délétère des systèmes sociaux et fiscaux sur

l’emploi des femmes s’intitule « Vers un marché de l’emploi dynamique et libre » (自由で活

力のある労働市場をめざして ). Il est rédigé par un groupe de travail du Conseil

économique (経済審議会行動計画委員会, 雇用・労働ワーキング・グループ) et publié en

octobre 1996. Comme le souligne Ôsawa Mari, la préoccupation principale de ces acteurs est

la mise en valeur de ressources humaines jusqu’alors sous-exploitées. Cette réforme fait partie

de la stratégie globale de « réforme structurelle » de l’économie japonaise.

Après avoir listé les systèmes qui créent un obstacle à la pleine participation des

femmes sur le marché du travail (pension de veuvage, droits dérivés de la femme au foyer en

matière de retraite, abattement pour conjoint, etc.), le rapport « excuse » leur création en

arguant qu’ils répondaient aux besoins de l’époque où ils ont été créés. On retrouve ici un

discours de type « en retard sur son temps » déjà rencontré dans le rapport du Conseil pour

une société paritaire, à la différence près que le présent rapport insiste davantage sur l’intérêt

que représentaient ces systèmes à leur création, comme le montre l’extrait suivant.

« Ces systèmes ont à leur manière [joué un rôle important] sur le plan historique. Jadis, à une époque où le Japon était en phase de développement économique, que le niveau de revenu de la population était faible, tout comme les opportunités de travail des femmes et que ce dernier était appréhendé comme un simple salaire d’appoint au revenu marital, ces systèmes ont permis d’aider les personnes à faible revenu, de stabiliser le budget

105

domestique et d’égaliser les revenus, et ainsi ont contribué à la stabilisation de la société. »

73 p.44 Figure 28 : Discours tenu par les acteurs économiques au sujet des abattements pour conjoint et autres systèmes qui portent préjudice à l’activité économique des femmes

Si ces systèmes pouvaient faire sens dans les années 1960 ou 1970, ils sont désormais

appréhendés avant tout comme des obstacles à l’emploi des femmes. Au cœur de ce

problème : le phénomène de « trappe à inactivité » ou plus exactement de « trappe à faible

activité » (逆転現象). Comme nous l’avons déjà vu, une fois le plafond de l’abattement pour

conjoint atteint, le revenu après imposition du foyer diminue, alors même que la contribution

salariale de la femme a augmenté. Si les administrations chargées de promouvoir l'égalité

73 Version originale : これらの制度は歴史的にはそれなりの存在意義があった。すなわち、日本がかつ

て発展途上段階にあり、人々の所得水準が低く、女子労働力に対する就業機会が不十分で、しかも、

既婚女子の就業は家計補助的なものに限られるとの通念が支配的であった時代において、これらの制

度は低所得者の救済、家計の安定及び所得の平等化による社会の安定などの意義を有していたと考え

られる。

Acteurs économiques

Discours axé sur une rhétorique « restrictions VS libération promise »

Restrictions systémiques

Restrictions de la demande de main-d’œuvre féminine

Obstacles

Limite les opportunités de déploiement des

compétences de la main–d’œuvre

féminine

Nous devons libérer les femmes de ces restrictions

Eliminer les obstacles

CONTEXTE

Réforme structurelle de l’économie

Vieillissement de la population

Manque de main d’œuvre

Rôle de + en + important des femmes et des

seniors

OBJECTIFS

Mise en valeur efficace

Amélioration des compétences

Elargissement de l’offre de main d’œuvre

Amélioration de la position sociale des femmes

PROBLEME Décalage avec la réalité de

l’économie japonaise Retraites

Assurance santé

Allocations familiales

Réglementation protectives à l’égard de la main-d’œuvre féminine Abattements pour

conjoint

Trappes à inactivité

Quoi ?

Cercle vicieux

Baisse de la motivation à travailler

des femmes

Les employeurs ne leur confient pas de postes à

responsabilité

106

homme-femme parlent « d’ajustement à la baisse des heures de travail » (就業調整) pour

évoquer l’effet pervers de cette trappe à inactivité, le présent rapport préfère parler de « baisse

de motivation à travailler »74 (就業・社会参加意欲), les femmes choisissant de ne pas

s’investir davantage (en temps) dans l’entreprise. La conséquence logique de ce phénomène

est la non-promotion des femmes : leurs employeurs ne leur confient pas de responsabilités,

ne pouvant compter sur elles en fin d’année75. C’est la naissance d’un cercle vicieux.

Si le problème a été adouci en 1987 avec l’introduction de l’abattement spécial pour

conjoint, le problème est loin d’être réglé. C’est pourquoi le rapport propose une solution plus

radicale : « l’élimination » de tous les obstacles à la pleine « exploitation » (au sens de ‘mise

en valeur’) de la main-d’œuvre féminine. Concrètement, il préconise la suppression des deux

abattements pour conjoint. Il est intéressant de comparer cette solution à celle proposée par la

Commission d’enquête du Conseil pour une société paritaire. La première est beaucoup

plus radicale que la seconde, qui demande que des mesures de compensation soient

mises en place afin que les foyers ne subissent pas une hausse d’impôt. La suppression

pure et simple de l’abattement pour conjoint, longtemps voulu par certaines féministes, est

désormais regardée avec suspicion par certaines d’entre elles. La réappropriation de cette

mesure par des acteurs économiques n’y est pas étrangère. Ainsi, une auteure comme Endô

Michi favorable à la suppression des abattements pour conjoint dans les années 1990, adopte

une position plus « prudente » dans les années 2000 et propose un système de substitution aux

abattements. Outre la préoccupation de l’impact fiscal qu’une suppression des abattements

aurait sur le revenu du couple, ces auteures féministes soulignent le fait que le contexte

japonais n’est pas propice à la conciliation vie professionnelle / vie familiale et que certaines

femmes n’ont d’autre choix que de rester au foyer pendant quelques années. Plutôt que

d’augmenter la pression fiscale de ces foyers, elles arguent pour une meilleure prise en charge

des jeunes enfants avec un investissement conséquent dans les systèmes de garde.

Pour revenir à notre question de départ qui était : « L’évolution de la problématisation

donnée aux abattements pour conjoints s’explique-t-elle par (A) l’entrée en scène de

nouveaux acteurs ou par (B) l’évolution des objectifs et des cadres cognitifs d’acteurs déjà

présents ? », il importe de distinguer la réponse selon les acteurs. Si, comme nous l’avons vu,

74 Le phénomène de limitation des heures de travail est mis en évidence par le rapport mais le terme même d’ajustement à la baisse des heures de travail n’apparaît pas. 75 Elément très bien illustré dans : 全国婦人税理士連盟, 「配偶者控除なんかいらない!? : 税制を変える、

働き方を変える」, Tokyo, 日本評論社, 1994, 205 p.

107

l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme correspond davantage à

l’entrée en scène d’un nouvel acteur, ce n’est pas le cas des acteurs économiques. Leur

positionnement correspond à celui d’acteurs déjà présents, antérieurs sur l’enjeu, mais qui ont

envisagé différemment la question des abattements pour conjoint à l’occasion d’un

changement de contexte général. L’hypothèse B est confirmée dans leur cas. Ainsi, les

abattements pour conjoint n’étaient pas un « enjeu » et encore moins un « problème » pour

les acteurs économiques tant que la croissance dépassait les 5% et que la main-d’œuvre ne

manquait pas. La « décennie perdue » (années 1990) changea la donne.

Dans le cas étudié, c’est donc une combinaison de modifications dans la configuration

des acteurs économiques et de l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-

femme qui explique les changements observés. Nous pouvons également avancer que même

s’il n’y a pas eu de concertation directe entre ces deux types d’acteurs, leurs

engagements simultanés à créé une « coalition de fait ». La « coalition de fait » se

différencie de sa cousine la « coalition de cause »76 par le caractère non-prémédité voire non-

voulu de la coalition et par le non-partage de valeurs communes au sein des acteurs engagés

en faveur du même changement. Le changement souhaité est souvent un « moyen » pour

atteindre des objectifs, différents pour chacun des acteurs (Lascoumes, 2012). Dans notre cas,

la suppression des abattements pour conjoint est avant tout un moyen de renforcer l’égalité

homme-femme pour l’un et un moyen d’augmenter l’offre de travail pour l’autre. Si aucune

concertation n’a eu lieu entre ces deux acteurs, il est intéressant de constater que le discours

de l’un est repris par l’autre. Ainsi le rapport économique mentionne brièvement77 la

réalisation d’une société paritaire dans son argumentation. Le phénomène est plus frappant

dans le cas de l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme qui reprend

quelques arguments économiques au sein de son argumentation que ce soit l’élargissement de

l’offre de travail, la dispersion des risques de fluctuations du revenu familial en cette ère

d’instabilité économique, ou l’augmentation générale du revenu familial.

76 Définie par Kübler et Maillard comme « un ensemble d’acteurs appartenant à des institutions diverses, partageant un même système de croyances et se coordonnant mutuellement dans le but de promouvoir ce dernier » (2012, p.216) 77 Concrètement, c’est du « name-dropping », rien d’autre.

108

HYPOTHESE 4 : LE MODELE FAMILIAL JAPONAIS EVOLUE -T-IL AU GRE DES HAUTS ET DES BAS DU MOUVEMENT CONSERVATEUR OU DES PREOCCUPATIONS ECONOMIQUES?

Les hypothèses que nous avons développées jusqu’à présent nous ont appris : (1) que

la politique fiscale globale expliquait en grande partie le timing des réformes ; (2) que le

« cycle des problèmes » a été au cœur de l’évolution de l’instrument et (3) que la nouvelle

appréhension de l’abattement pour conjoint découle de l’intérêt qu’il fait naître auprès de

deux types d’acteurs distincts. La dernière question à laquelle nous allons répondre est la

suivante : L’évolution du modèle familial telle que révélée par les abattements pour

conjoint suit-elle les cours du mouvement conservateur japonais (A) ou l’évolution des

besoins économiques et de main-d’œuvre du pays (B) ? Autrement dit, l’évolution du

modèle familial est-elle poussée par des arguments idéologiques ou pragmatiques ?

1. QUE NOUS APPRENNENT LES ABATTEMENTS POUR CONJOINT DE

L’EVOLUTION DU MODELE FAMILIAL PROMU PAR L’ETAT JAPONAIS ?

Avant de nous pencher sur cette question, revenons sur ce que nous apprend l’histoire

de l’abattement pour conjoint sur le modèle familial promu par l’Etat japonais.

Dans la première partie de ce mémoire, nous avons vu que, contrairement au discours

tenu par la Commission, l’introduction de l’abattement pour conjoint en 1961 n’avait pas

constitué une rupture du point de vue de l’importance accordée au conjoint par rapport aux

autres personnes à charge. Il faut donc relativiser la portée de ce changement de législation

fiscale sur les foyers de type « salary-man – femme au foyer ». L’avantage concret qui leur a

été accordé est moindre que ce qu’il en laisse paraître. Par contre, cela n’enlève rien au

symbolisme que représente la décision de distinguer le conjoint des « simples » personnes à la

charge du contribuable. Il y a, symboliquement, une volonté « d’asseoir la place de la femme

au foyer ». Il s’agit donc bien d’une mesure qui, non seulement, favorise les couples de type

« pourvoyeur – femme au foyer », mais qui assoit également leur légitimité.

L’introduction de l’abattement spécial pour conjoint en 1987 est plus complexe à

analyser car elle répond à deux objectifs distincts. La dualité des objectifs est elle-même

supportée par la structure duale de l’abattement spécial pour conjoint, composée d’une partie

supérieure et d’une partie inférieure.

109

Figure 29 : Structure duale voire triple de l'abattement spécial pour conjoint

La partie supérieure de l’abattement spécial pour

conjoint peut être interprétée comme un « cadeau »

offert aux foyers de type « pourvoyeur – femme au

foyer ». La partie inférieure répond, quant à elle, à

un objectif plus proche de la politique d’emploi

que de la politique familiale (au sens large) : en

réglant le problème des travailleurs(euses) à temps partiel, cette partie inférieure de

l’abattement spécial pour conjoint permet aux femmes d’augmenter leur revenu sans que cela

n’entraîne une baisse du revenu global du foyer. Les foyers qui ont tiré parti de cette réforme

sont de deux sortes : d’une part, les foyers « salary-man – femme au foyer » dont le revenu ne

dépasse pas dix millions de yens78, et d’autre part, les foyers où la femme rapporte un

« salaire d’appoint » au revenu principal du foyer qui reste le revenu marital.

La réforme de 2004 est la première à prendre le contre-pied de la direction vers

laquelle tendaient les réformes précédentes. Pour la première fois, un avantage accordé aux

foyers avec une femme au foyer est supprimé. Les foyers où la femme occupe un emploi à

mi-temps ou à quart-temps sont également concernés par la hausse de la pression fiscale.

Cette réforme permet donc un certain rééquilibre entre les foyers évoqués ci-dessus et les

foyers où les deux conjoints travaillent.

Un autre point d’entrée pour mettre en lumière l’évolution du modèle familial promu

par la politique fiscale : l’appréhension du travail domestique effectué par les femmes au

foyer. Les rapports de la Commission fiscale de 1960 et de 1986 se montrent très admiratifs

de la « contribution de la femme au foyer au revenu de son mari », à tel point qu’ils veulent

« l’apprécier » à sa juste valeur en faisant bénéficier ces dernières d’un abattement. Comme le

soulignent à juste titre plusieurs articles, la position de la Commission fiscale est

discriminante car elle sous-entend que seules les femmes au foyer effectuent des tâches

domestiques et de care. C’est oublier la « double journée » des femmes qui ont un emploi hors

du domicile familial. Si l’objectif visé par la Commission était « d’apprécier » la valeur du

travail domestique et de care, il aurait dû élargir l’abattement à toutes les femmes, et non aux

seules femmes au foyer.

78 L’éligibilité à l’abattement spécial pour conjoint repose sur des conditions de ressources de la femme et du mari contrairement à l’abattement pour conjoint accessible à tous dès lors que le conjoint respecte les conditions de ressources.

Revenu de la femme

Montant de l’abattement spécial pour conjoint

380 000

760 000

110

Ce discours sur la « contribution des femmes au foyer aux revenus de leur mari »

implique la mise en œuvre de mesures de réduction d’impôts pour les foyers concernés,

comme nous l’avons déjà vu (P.2/Hyp.1). Or, les rapports semblent se détourner

progressivement de cette interprétation du travail domestique. Voir la figure ci-dessous pour

un aperçu de l’évolution.

Figure 30 : Evolution de l'appréhension du travail domestique et de care effectué par la femme au foyer

Cette perte d’usage de la rhétorique de la « contribution au revenu du mari » a pour

corollaire la montée en force de l’appréhension du travail domestique comme étant un revenu

supplémentaire. De « contribution à », le travail domestique s’individualise pour enfin être

considéré comme un revenu à part. La conséquence principale de ce changement rhétorique

est la remise en cause de la logique fiscale qui avait supporté l’introduction des abattements

pour conjoint. Le travail réalisé par la femme au foyer, jusqu’à présent cible d’avantages

fiscaux, devient ainsi une cible potentielle d’imposition. Si des difficultés techniques rendent

difficiles une estimation de la valeur de ce travail et donc, in fine, son imposition, cette

nouvelle argumentation justifie la suppression des avantages fiscaux accordés jusqu’à présent

aux foyers de type « pourvoyeur – femme au foyer ».

Activités réalisées par la ménagère qui sans sa présence auraient dû être achetées sur le marché.

Rapport de 1961 Rapport de 1983

Contribution de la femme au salaire de son mari

Salaire du mari

Le revenu marital est gagné par l’effort coordonné du couple : le travail domes-tique et de care effectué par la femme contribue au revenu du mari. En conséquence, le revenu marital doit être soit (1) sujet à abattement soit, (2) être considéré comme étant le revenu des 2 conjoints (imposition conjointe)

La femme au foyer crée une richesse à part qui, théorique-ment, devrait être taxée.

2001_ Rapport du séminaire sur la famille

et le mode de vie

Rapport de 1987

Objectif de la mise en évidence de ce « imputed income » : réfuter l’existence d’un déséquilibre fiscal entre indépendants et salariés

Imposition conjointe

Imposition séparée

Objectif : Eviter toute critique du projet finalement adopté : la création de l’abattement spécial pour conjoint

Il n’y a pas de contre-indication à accorder à la femme un abattement pour charge de famille ; par contre la richesse qu’elle crée doit être soumise à imposition.

Evolution de l’appréhension du travail domestique et de care effectué par les femmes au foyer

La non-taxation de la création de richesse effectuée par la femme au foyer est considérée comme problématique dans le seul cas où le système d’imposition conjointe serait adopté

111

Les éléments que l’on vient d’évoquer nous le confirment, la politique fiscale

japonaise semble se détourner progressivement d’une stratégie active de soutien au

modèle familial de l’après-guerre. Pour autant, cela signifie-t-il que les fiscalistes ont

remplacé ce modèle familial par un autre comme prémisse à toute réflexion fiscale ? Non. Le

modèle du pourvoyeur et de la femme au foyer n’est pas concurrencé par l’apparition d’un

autre modèle familial qui ferait référence. Si certains rapports de la Commission fiscale

soulignent la diversification des formes de foyer (augmentation du nombre de personnes

seules, de couples mariés sans enfants, de couples mariés avec enfants où les deux conjoints

travaillent, etc.), les documents de travail des membres de la Commission et autres ouvrages

fiscaux se réfèrent toujours au modèle familial traditionnel dans leurs calculs79. Depuis le

rapport de 1956, seul un élément a changé dans le modèle familial référent des fiscalistes : le

nombre d’enfants. Si les rapports de 1956 et de 1960 réfléchissent à partir du cas d’un père

salarié, d’une mère au foyer, et de trois enfants, le nombre d’enfants passe à deux à partir du

rapport de 198380. Les textes fiscaux sont donc un observatoire privilégié des changements

qui touchent la politique familiale japonaise (au sens large). Si l’on note une progressive

« neutralisation » du système fiscal au regard des différents types de foyers, nous

pouvons également voir que le modèle « pourvoyeur – femme au foyer » semble

conserver son rôle référent.

2. RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE FAMILIALE SOUS L’INFLUENCE DU

CONSERVATISME JAPONAIS : L’EXEMPLE DE LA « SOCIETE-PROVIDENCE A

LA JAPONAISE » (ANNEES 1980)

Le terme de « politique familiale » est sujet à polémique quant à l’étendue de son

champ d’analyse. Une première approche s’attache à analyser les avantages fiscaux et sociaux

accordés aux familles. C’est la perspective que nous avons abordée dans l’hypothèse 1

[« Autrement dit, s’agit-il d’un programme d’aide à la famille ou d’une simple mesure

fiscale ? »]. Une seconde approche élargit le champ d’analyse pour inclure la politique

d’emploi et de logement (etc.) dans la définition de la politique familiale (Commaille et al.,

2002, Segalen, 2000 ; Singly, 2004). Une dernière approche, enfin, définit la politique

familiale comme « une politique publique qui a pour objectif l'univers privé des individus au

79 C’est notamment le cas du manuel de Nakamura Minoru, 2012, p.99. L’abattement pour conjoint est ‘naturellement’ inclus au calcul du seuil d’imposition du contribuable alpha, prouvant la continuité du modèle « pourvoyeur – femme au foyer » dans les grilles de lectures (ou cadres cognitifs) des fiscalistes. 80 Rappel : Seuls les rapports des années 1956, 1960, 1983, 1986 et 2002 ont été lus. La date de 1983 n’indique donc pas la première apparition de ce nouveau modèle familial référent.

112

travers d'une entité appelée la « famille », elle présuppose que l'État serait en mesure

d'orienter les comportements dans la sphère privée, au nom des intérêts supérieurs de la

société, en termes de reproduction biologique et de reproduction sociale » (Commaille et al.

2002, introduction). Cette partie prend appui sur cette dernière approche.

Le degré d’intervention des Etats auprès de l’entité familiale a beaucoup varié au

cours de l’histoire, tout comme les instruments privilégiés de la politique familiale. La figure

ci-dessous éclaire les raisons qui poussent l’Etat à s’intéresser à cette entité sociale qu’est la

famille.

Figure 31 : En quoi la "famille" est-elle de nature à intéresser l'action gouvernementale ?

Comme le montre la figure ci-dessus, promouvoir un modèle familial précis est un

moyen d’action privilégié de l’Etat sur la société. Selon la structure familiale, la famille

remplira des rôles plus ou moins extensifs [« lieu de solidarité »]. Favoriser une famille

« élargie » où les grands-parents vivent avec leurs enfants peut ainsi être un moyen pour l’Etat

de limiter le montant des investissements publics dans le domaine des infrastructures

d’accueil des personnes âgées. La structure familiale étant grandement influencée par la

stratégie d’ascension sociale des personnes qui la pratique, cette dernière est associée à une

classe sociale en particulier [« lieu de reproduction sociale »]. La promotion de ce modèle

sera l’occasion pour l’Etat de légitimer et de favoriser la classe sociale qui en est à l’origine.

Enfin, la famille – en tant que lieu privilégié de la reproduction biologique – a longtemps été

visée par des politiques de natalité. Ce fut notamment le cas du Japon impérial qui lança en

Lieu de la reproduct°biologique

Lieu de la reproduct°

sociale

Lieu de

solidarité

� Limiter la dépendance de la société à l’égard de l’Etat providence.

� Obliger la solidarité entre les parties à travers le droit � Faire en sorte que la cellule de solidarité ne se désintègre pas

� Avoir une population nationale suffisamment nombreuse et « de qualité »

� Favoriser / défavoriser les naissances à travers diverses incitations financières, etc. � Développer l’éducation nationale et les services sociaux

� Encourager un type de famille = favoriser une classe sociale

Le « modèle familial » à promouvoir est au cœur des conflits car il reflète les stratégies de promotion sociale des diverses classes sociales.

En quoi la « famille » est-elle de nature à intéresser l’action

gouvernementale ?

113

plein cœur de la seconde guerre mondiale une vaste politique nataliste dont le slogan

« Umeyo, Fuyaseyo » (生めよ、増やせよ – « Enfantons, multiplions-nous !) est resté dans

les mémoires.

Comme le note justement Harada Sumitaka (1998), si les gouvernements japonais de

l’après-guerre ont pu limiter les dépenses sociales allouées aux familles (politique familiale au

sens strict), c’est en partie parce qu’ils s’étaient assurés en amont que la famille continuerait à

s’acquitter de ses fonctions de solidarité (politique familiale au sens large). La promotion du

modèle familial du mari pourvoyeur et de la femme au foyer est à replacer dans ce contexte.

Si la démocratisation du Japon a rendu caduque et politiquement délicat les méthodes très

incitatives de l’ère impériale en termes de politique familiale, d’autres méthodes moins

intrusives, telles que l’abattement pour conjoint, ont néanmoins fait leur apparition. Depuis

1945, les gouvernements successifs ont été plus ou moins prompts à s’aventurer sur le terrain

de la politique familiale (au sens large). Si pour certains, elle est un point de passage obligé

pour la « stabilité de la société », pour d’autres, il s’agit d’une atteinte au libre choix des

citoyens.

Dans son article sur la « machinerie nationale », Iwamoto (2007) souligne que seules

les périodes d’affaiblissement du Jimintô ont été propices à un renforcement des instances

administratives chargées de la promotion des droits de la femme. Les périodes d’hégémonie

des factions conservatrices furent, au contraire, peu propices au changement. Cette relation

mise en évidence par Iwamoto se vérifie également pour la politique familiale. Le

conservatisme des années 1980, porté par les gouvernements Ôhira (1978-1980) et Nakasone

(1982-1987), a été particulièrement opportun à la promotion du modèle familial

« traditionnel ». Le discours conservateur sur « la société-providence à la japonaise » est ainsi

pour beaucoup dans la création de la partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint

(le « cadeau » offert aux foyers avec une femme au foyer).

Le milieu des années 1970 est, au Japon comme ailleurs, une période de changements

économiques importants. Le ralentissement, voire la crise économique que connaissent

l’Europe, les Etats-Unis et le Japon coïncide avec la perte de légitimité du modèle

économique dominant : le keynésianisme. Il est progressivement remplacé par un nouveau

paradigme économique : le néolibéralisme (Hall). Margaret Thatcher au Royaume-Uni et

Ronald Reagan aux Etats-Unis prennent position pour « moins d’Etat » et pour un

accroissement des responsabilités individuelles. Le Japon n’échappe pas à ce courant. Dès

1975, le Jimintô entame une « révision de l’Etat-providence » (福祉見直し). En 1979 paraît

114

le livre « [Pour une] société-providence à la japonaise » (日本型福祉社会) où le Jimintô

rassemble des propositions jusqu’alors dispersées et soumet un projet de société. Le titre

même de « société-providence à la japonaise » est explicite. A l’expression « Etat-

providence » est ainsi préférée l’expression « société-providence », sous-entendant une

moindre prise en charge du welfare par l’Etat qui délègue ses responsabilités à la « société ».

Rien n’indique encore en quoi consiste cette « société ». Quant au terme « à la japonaise », il

indique une mise à distance des modèles occidentaux et un retour aux valeurs dites japonaises.

“Despite the apparent similarities, the vision of a Japanese-style welfare society was something more than a warmed-over version of Thatcherism and Reaganism (free-market individualism). Japan’s new welfare policy owed much to indigeneous attitudes dating back to the early 20th century, if not before. When the LDP’s [Jimintô] Fukuda Takeo warned in 1975 that the “completion of the social security system might lead to a citizenship losing its sense of independence, and to the production of lazy people,” he invoked language once used by Meiji-era [second half-of the 19th century] bureaucrats to criticize poor relief.” (Sheldon, 1997, p.223)

Outre le caractère autochtone du discours de « société-providence », souligné

justement par Sheldon, nous pouvons également rajouter que ce discours traite tout autant de

politique familiale que de politique sociale. Avant d’aborder ce point, voici une brève

présentation du projet porté par le Jimintô en cette fin des années 1970.

La première partie du livre (Nagayama, 2005), est une charge contre le modèle

européen de l’Etat-providence. Deux pays y tiennent lieux de repoussoirs : le Royaume-Uni et

la Suède. Le développement d’une mentalité d’assisté au sein de la population est le principal

symptôme de la « maladie anglaise ». Le modèle suédois, quant à lui, est critiqué pour son

coût, jugé exorbitant. Modèle souvent sujet à éloge au Japon comme ailleurs, le livre en

profite pour montrer « l’envers du décor » du modèle suédois. Le taux de suicide élevé, la

criminalité galopante et l’alcoolisme sont autant de preuves du mal-être de ce pays.

L’exemple le plus usité dans les références japonaises reste néanmoins le sort des personnes

âgées, décrites comme étant abandonnées par leur famille et menant une vie solitaire. L’article

de Takeuchi (1979) joint même plusieurs photos où l’on voit des hommes âgés se promener

au parc « seuls » et « l’air triste ». Contrairement aux Etats-Unis ou à l’Angleterre qui veulent

« externaliser » la délivrance des soins et autres services publics au marché, le Japon mise sur

les corps intermédiaires.

Le Jimintô propose ainsi de se détourner de l’Etat-providence pour embrasser un

nouveau modèle, celui de la « société-providence ». Au lieu de déléguer un nombre croissant

de responsabilités à l’Etat, le Jimintô propose de faire reposer le welfare sur trois acteurs :

l’individu, son entourage, et pour finir, l’Etat. L’auto-prise en charge de l’individu est au

115

coeur de ce concept axé sur la responsabilité de chacun. Si l’individu n’est pas capable de

subvenir à ses besoins, c’est à son entourage que la responsabilité incombe. L’entourage

signifie à la fois la famille, l’entreprise et la communauté. L’Etat n’intervient que quand les

deux maillons précédents sont défaillants et dans le seul cas où la personne est invalide, c'est-

à-dire dans une incapacité réelle de travailler. L’équilibre entre ces trois maillons est le point

d’orgue de cette « société-providence » : la délégation complète du welfare à l’Etat ouvrant la

porte à l’affaiblissement de la famille et de la morale de chacun. Contrairement à ses

homologues occidentaux, la famille japonaise reste stable. Néanmoins, les changements

économiques font craindre un affaiblissement, c’est pourquoi il est jugé nécessaire de mettre

en place une politique de « renforcement des bases de la famille ».

Le rôle délégué à la famille est donc essentiel : c’est la première institution à intervenir

quand l’auto-prise en charge de l’individu est défaillante. Le livre développe longuement le

cas de la prise en charge des parents âgés par leurs enfants. Décrit comme étant « le trésor

caché du bien-être japonais » par le Libre Blanc du Ministère de la Santé et des Affaires

Sociales de 1968, le taux de familles où trois générations cohabitent fait figure de fierté

nationale. Si pour l’instant, le Japon fait donc figure d’exception pour la stabilité familiale, les

transformations économiques que connaît le pays sont autant de risques potentiels

d’affaiblissement. Le Jimintô propose donc de mettre en place une politique destinée à

« consolider les bases de la famille ». Le groupe de recherche sur la « consolidation des bases

de la famille », formé par le Premier Ministre Ôhira Masayoshi (1978-1980) en 1979, rend

son rapport un an plus tard. Après avoir décrit la famille comme « ce lieu rempli de sérénité et

d’attentions »81 (家庭基盤充実研究グループ, 1979, p.21), le rapport souligne l’importance

des femmes au foyer. A une époque où le taux d’emploi des femmes augmente à nouveau

après des décennies de baisse régulière et que la « profession » de femme au foyer semble

moins attirer les jeunes filles, le rapport insiste sur la valeur sociale des femmes au foyer. Un

chapitre leur est même consacré. Y est évoqué le travail de fond qui doit être fait pour

améliorer le statut social des femmes au foyer. Voici les trois principaux points du chapitre

tels qu’ils étaient résumés dans l’introduction :

1. Avec l’allongement de la durée de vie et la réduction du nombre d’enfants [par

femme], [il importe de] supporter le plan de vie et la raison d’être des femmes d’âge

moyen à avancé qui n’ont plus d’enfants à charge82.

81 Il s’agit du point de vue des hommes : pour les femmes au foyer, la maison est un lieu de travail. 82 Version originale : (1) 長寿化、子供の数の減少などにより、子供に手がかからなくなった後の、中高

年婦人の生きがいと生活設計への支援。(2) 婦人の育児活動に対する社会的評価―母親としてのプロ

116

2. [Au sujet de] la valeur sociale du travail d’éducation effectué par les femmes auprès

des enfants en bas-âge – Les mères doivent prendre conscience qu’elles sont de vraies

professionnelles de l’éducation, tout comme les femmes au foyer doivent prendre

confiance en elles et être fières de ce qu’elles sont.

3. [Au sujet des] femmes qui se lancent dans de nouvelles activités au sein de la société

– [Nous devons travailler] à la formation d’une société où les femmes verront s’ouvrir

devant elles des choix [d’avenir] divers. Pour les femmes qui souhaitent [travailler ou

avoir une carrière (?)], la promotion de l’égalité homme-femme sur le lieu de travail

et dans l’emploi selon les compétences de chacun [est un enjeu important]. (家庭基盤

充実研究グループ, 1979, p.14-15 – corps du texte).

Si les femmes au foyer font l’objet d’une telle attention, c’est parce qu’elles sont au

cœur du bon fonctionnement de la « société-providence ». Quand le Jimintô évoque le rôle de

« la famille », il pourrait tout aussi bien remplacer le terme « famille » par « femme » ou

« femme au foyer », le sens resterait exactement le même. La famille, ce n’est pas le père, ce

« corporate warrior » qui quitte le domicile conjugal à sept heures du matin pour ne revenir

qu’à vingt-trois heures du soir. Le welfare prodigué par la dite « famille » est bien souvent

fourni par la seule femme. Le gouvernement attend d’elles qu’elles prennent soin du nombre

grandissant de personnes âgées : « Si au moins un des enfants prend la décision de cohabiter

avec ses parents âgés83, et s’applique à prendre en charge leurs soins, alors, le problème du

bien-être des personnes âgées sera pour moitié résolu » (Takeuchi, 1979, p.189). Les femmes

au foyer interviennent également à un autre échelon, celui de la « communauté », entité

sociale dont dépend le bon fonctionnement de « la société-providence à la japonaise » comme

le laisse entendre l’extrait suivant : «Dans les années quarante84 (1965-1975), nous nous

sommes reposés sur les collectivités locales qui ont augmenté le nombre d’aides familiales.

Cependant, tout cela a un coût, c’est pourquoi il est préférable de s’en remettre au bénévolat.

Pour ces personnes dont la famille s’est effondrée et qui n’ont plus de contact avec leurs

[anciennes] relations de travail, n’est-il pas mieux d’être confiées à des bénévoles ?» (月刊

自由民主 , 1981, p.259). En dehors des retraités, les femmes au foyer sont les seules

personnes pouvant se consacrer pleinement au volontariat.

意識、専業主婦の自信と誇りの確立 (3) 社会に新たな活力を当てる婦人の進出―女性にとって開かれ

た、多様な選択の可能な社会の形成。希望する女性に、能力に応じた雇用・職場における男女平等の

促進。 83 Le cas le plus commun : le fils aîné emménage avec ses parents et c’est à la bru (yome) de prendre soin de ses beaux-parents 84 Les années quarante de l’ère Shôwa correspondent aux années 1965-1974.

117

Ce discours politique autour de la « société-providence » à la japonaise s’est-il

concrétisé ? Si oui, comment ? Sheldon indique que le sujet ne fait pas consensus parmi les

chercheurs, certains n’y voyant que « de l’idéologie, l’évocation d’idéaux passés, qu’ils aient

été réels ou mythiques, par une élite conservatrice essayant de dissimuler une réalité qui

avait déjà changé » (Campbell cité par Sheldon, 1997, p. 215 – extrait traduit de l’anglais).

S’il est vrai que les changements structuraux de la société et de l’économie japonaise rendront

rapidement caduques cet idéal sociétal (voir la partie 3 de ce chapitre), Sheldon a raison de

prendre au sérieux l’idéologie, tant elle participe au façonnement des cadres cognitifs partagés

par les hommes politiques. Concrètement, l’idéologie de la « société-providence à la

japonaise » et son insistance sur la place de la femme au foyer vont conduire à l’introduction

de plusieurs mesures (Harada Sumitaka, p.50) :

- [1980] Augmentation de la part d’héritage dont bénéficie la femme à la mort de son

mari : de un tiers, elle passe à un demi.

- [1985] Création d’une nouvelle catégorie d’assuré au sein du système national de

retraite : la catégorie 3 _ Les conjoints à la charge d’un assuré de catégorie 2 (salarié

ou fonctionnaire) obtiennent le droit de bénéficier d’une retraite de base sans avoir

besoin de cotiser85.

- [1985] Création d’un abattement spécial pour conjoint sur l’impôt sur les donations.

- [1987] Création d’un abattement spécial pour conjoint sur l’IRPP.

A ces réformes qui ambitionnent l’ « amélioration du statut » de la femme au foyer, se

rajoutent des mesures incitatives qui visent à la promotion du modèle de cohabitation à trois

générations, ce « trésor caché » du bien-être (au sens de welfare) japonais. Ainsi, une nouvelle

catégorie au sein de l’abattement pour charge de famille est créée en 1979. Les contribuables

cohabitant avec leurs parents âgés de plus de soixante-dix ans bénéficient dès lors d’un

abattement d’un montant de 400 000 yens, soit 100 000 yens de plus que pour une personne à

charge ‘normale’.

Pour résumer, si le moment de l’introduction de l’abattement spécial pour conjoint

[l’année 1986] s’explique le mieux par l’hypothèse n°1 (évolution de la politique fiscale

générale), il reste que la Commission fiscale et les législateurs n’auraient pas porté leur

choix sur cet instrument fiscal précis sans l’influence du discours sur « la société-

providence à la japonaise » et son corollaire, « la consolidation des bases de la famille ».

L’augmentation des incitations fiscales à devenir femme au foyer est à replacer dans ce

85 Japan Pension Service, « National pension », [En ligne]. URL : http://www.nenkin.go.jp/n/www/english/detail.jsp?id=38 (Consulté le 16/05/13)

118

contexte conservateur des années 1980. Si cette idéologie ne durera pas (comme nous allons

le voir dans la partie suivante), dévaluer son importance historique est une erreur. La

« société-providence à la japonaise » reste une doctrine de référence pour une partie de la

droite japonaise86.

Au questionnement principal de cette section : « L’évolution du modèle familial […]

suit-elle les cours du mouvement conservateur japonais (A) ou l’évolution des besoins

économiques et de main-d’œuvre du pays (B) ? », il importe de distinguer la partie supérieure

de la partie inférieure de l’abattement spécial pour conjoint. Le conservatisme des années

1980 a été propice à l’introduction de mesures favorisant le modèle familial d’après-guerre.

L’hypothèse A semble donc être la plus appropriée pour expliquer l’introduction de la partie

supérieure de l’abattement spécial pour conjoint – véritable « cadeau » aux foyers de type

« pourvoyeur – femme au foyer ». Pour ce qui est de la partie inférieure de l’abattement

spécial pour conjoint, destiné avant tout à régler le problème des travailleurs(euses) à temps

partiel, l’hypothèse B semble la plus à même à expliquer le changement. L’introduction de

l’abattement spécial pour conjoint aura donc été à la fois portée par des arguments

idéologiques ainsi que par des arguments pragmatiques.

3. ELOIGNEMENT DU MODELE FAMILIAL DE L’APRES-GUERRE (ANNEES 1990-2000)

Depuis les années 1990, l’Etat japonais ne mène plus de politiques actives de

promotion du modèle familial d’après-guerre. Comme nous le montre la suppression de la

partie supérieure de l’abattement spécial pour conjoint, certaines mesures mises en place sous

l’influence du conservatisme des années 1980 ont même été supprimées. Le renforcement de

l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme y est pour beaucoup. En

mettant en évidence l’existence de biais de genre au sein des politiques sociales et fiscales, le

féminisme d’Etat japonais a contribué à la perte de légitimité de ces mesures de politique

familiale au sens large. Néanmoins, plus que ce discours de « gender equality », c’est

l’apparition d’un nouveau contexte économique auquel l’Etat japonais a dû s’adapter qui a le

plus participé à l’éloignement progressif du modèle « pourvoyeur-femme au foyer ».

Les bouleversements économiques et démographiques que connaît le Japon depuis la

seconde moitié des années 1970 ont contribué à la remise en cause de l’hégémonie du modèle

86 Un article récent d’un professeur d’université en faisait l’éloge (Hidetsugu, 2011).

119

familial traditionnel. Celui qui a été un temps loué pour sa rationalité économique (la

division stricte des tâches) et sa contribution à la stabilité de la société japonaise est

désormais mis en cause sur ces deux plans. Comme le souligne avec justesse Ueno (2009),

le modèle « pourvoyeur – femme au foyer » suppose que les conditions suivantes soient

remplies : (1) un revenu marital permettant l’entretien de la famille entière et, (2) la sécurité

de l’emploi. Or, ces prémices s’effondrent peu à peu pour une partie grandissante des

Japonais. Si le ralentissement économique des années 1970 avait déjà entamé la première

condition, c’est la « décennie perdue » avec son lot de licenciements qui les met à terre. En

dehors de quelques privilégiés, le salary-man lambda n’est plus assuré de voir son salaire

croître régulièrement, pas plus qu’il n’est assuré de finir sa carrière dans l’entreprise qui l’a vu

grandir. Le modèle familial d’après-guerre, caractérisé par une division stricte du travail entre

le mari et la femme, devient un « risque ». Le sociologue Yamada Hisahiro (山田 昌弘)

popularise cette idée avec la publication en octobre 2001 du livre « Un risque nommé

famille » (『家族というリスク』). Faire reposer le revenu familial sur le seul apport

financier du mari devient un choix risqué.

La rationalité économique du modèle familial de type « pourvoyeur – femme au

foyer » est également remis en cause par la transformation du paysage économique et

démographique du Japon. Le premier « problème » démographique à toucher le Japon est le

vieillissement de la population. Il sera suivi à partir des années 1990 de la chute de la natalité.

De ces deux phénomènes nait le concept de « shoshikôreika » (少子高齢化 – société

vieillissante et dont le taux de natalité chute). Si les conservateurs essayent un temps de

déléguer aux familles la prise en charge des personnes âgées, les réalités démographiques

montrent vite les limites d’une telle approche. L’Etat se doit d’intervenir. Cependant, ce

problème du vieillissement de la population se couple rapidement avec des taux de natalité

qui ne cessent de baisser mettant en danger, à terme, la viabilité du système de protection

sociale japonais. Comme le dit Garon Sheldon :

“Few Japanese today would be unable to recite the following jeremiad: Japan, which has had a relatively small percentage of elderly, currently possesses the most rapidly aging society among the advanced nations; its shrinking base of younger working people will be hard-pressed to pay for pensions and old-age as Japan becomes the oldest population sometime around 2025.” (Sheldon, 1997, p.222)

Si la baisse de la natalité se fait sentir dès la seconde moitié des années 1970, elle ne

devient un « problème public » qu’à partir de 1990 (le « choc des 1,57 ») quand le taux de

natalité passe sous la barre symbolique des 1,58 enfants par femme, taux jusqu’alors le plus

120

bas datant de l’année 1966 où le nombre d’enfants avait soudainement chuté pour des raisons

superstitieuses87.

Avec une population active à la baisse et des dépenses sociales croissantes, le modèle

économique japonais est en crise. A une époque où la main-d’œuvre manque, il devient

difficile de promouvoir un modèle familial qui éloigne du marché du travail une partie

conséquente de la population en âge de travailler. A cela se conjugue une remise en cause du

lien entre travail des femmes et taux de natalité. Le travail des femmes qui fut longtemps

considéré comme un danger au corps maternel et une cause de faible natalité, est désormais

considéré d’un meilleur œil. Pour certains, il est même devenu une condition sine qua non à

un taux de natalité élevé. Comparaisons internationales à l’appui, l’administration chargée de

promouvoir l'égalité homme-femme souligne la corrélation qui existe entre des taux d’emploi

des femmes élevés et le taux de natalité. Ce changement de perspective, allié à un besoin de

main-d’œuvre, encourage la mise en place d’une politique familiale au sens strict (=aides à la

famille). Plusieurs mesures sont prises pour permettre une meilleure conciliation de la vie

familiale et professionnelle comme la création en 1994 du congé parental. L’Etat augmente

également le montant de ses investissements dans les structures d’accueil des jeunes enfants

(ex : les « Angel plan » successifs). Il semblerait donc que l’Etat japonais se détourne

progressivement d’une politique de soutien aux foyers « pourvoyeur – femme au foyer »

pour aider les foyers où les deux conjoints travaillent.

Conjuguée à l’infaisabilité économique du modèle familial traditionnel, la

modification des attentes des femmes à l’égard du mariage et de la famille a également porté

un coup à l’attrait de la ‘profession’ de femme au foyer. La montée des valeurs post-modernes

telles que l’autonomie ou la réalisation de soi ont rendu la famille traditionnelle moins

attirante qu’elle ne l’était par le passé. Le choix de ne pas se marier [非婚化] (Henninger,

2012) se développe au sein de la population féminine, bien que cela reste un choix minoritaire.

Les caractéristiques de l’éducation des femmes ont également beaucoup évolué (voir Annexe

10). Après avoir rejoint les cursus universitaires en quatre ans au cours des années 1970, un

nombre croissant de jeunes filles poursuit désormais des études scientifiques et techniques –

jusqu’alors pré carré des garçons – leur assurant de conserver une valeur sur le marché du

travail même après la prise d’un congé parental. Néanmoins, si le nombre de femmes à

accorder de l’importance à leur carrière professionnelle est en constante augmentation, cela ne

87 1966 = année « spéciale » du cheval ; les filles nées cette année-là sont censées avoir mauvais caractère et porter malheur à leur mari, ce qui réduit d’autant leur chance de se marier.

121

signifie pas pour autant une perte d’attrait pour la ‘profession’ de femme au foyer. L’image de

la bonne mère reste encore largement associée à la figure de la femme au foyer. A cela se

rajoute un autre phénomène mis en évidence par Ueno : dans une enquête réalisée auprès de

ses étudiantes au début des années 1980 et en 1988, Ueno Chizuko (2009, p. 50) met en

évidence un mouvement de regain d’attrait pour la « carrière » de femme au foyer.

“Being a full-time housewife now became a ‘proof of affluence’. This is confirmed by results of surveys of female students about what they associate with housewives. In the 1970s full-time housewives were associated with ‘smells of the kitchen’, ‘being worn out with domestic chores’, and ‘lack of individuality’. In contrast, ten yens later, in the late 1980s, full-time housewives were described as ‘stylish’ and ‘living in comfort’. In the decade from the 1970s to the 1980s, the image of the full-time housewife changed 180° from negative to positive.” (Ueno, 2009, p.52)

Davantage qu’une profession, être femme au foyer est désormais un « statut social »

prouvant l’aisance financière du foyer. De façon générale, on note une augmentation de son

attrait en périodes de difficultés économiques. Néanmoins, comme le souligne Ueno, seule

une partie de ces femmes sera en mesure de se marier avec un homme dont le revenu permet

l’entretien de toute une famille (ou même du seul couple).

Pour résumer, si l’on note une autonomisation des femmes et une évolution de

leurs idéaux, le modèle familial traditionnel n’a pas pour autant perdu son attrait

auprès d’une partie des femmes.

L’autonomisation des femmes et l’évolution des besoins économiques et de main-

d’œuvre du pays ont joué en faveur d’une prise de distance avec les politiques de soutien au

modèle « pourvoyeur – femme au foyer ». Néanmoins, un mouvement conservateur a mis en

péril cette évolution au cours de la première moitié des années 2000. Intitulé « backlash »

[pour « gender-free backlash »], ce mouvement conservateur s’attaque à la notion de « gender

free », interprétée comme la suppression de toute distinction entre filles et garçons. Plusieurs

courants se mêlent au sein de ce mouvement conservateur. Des universitaires comme Hayashi

Michiyoshi accusent les féministes de fomenter une révolution communiste. D’autres

s’inquiètent de l’avenir de certaines fêtes traditionnelles du Japon (comme le « hina-

matsuri ») (Yamaguchi et Al. 2012). Ce mouvement conservateur naît à l’occasion des débats

autour de la réforme du code civil88 et lors de l’adoption par les Conseils régionaux des

arrêtés relatifs à la loi-cadre sur la société paritaire. Plusieurs collectivités locales insèrent des

88 Débats autour de la réforme du code civil concernant l’obligation pour les couples de choisir au moment du mariage le nom de famille d’un des époux comme nom de famille du couple [à 95% c’est la femme qui prend le nom de son mari (夫婦別姓)

122

mentions jugées ‘conservatrices’ dans la partie introductive des arrêtés. Ainsi, la ville de

Tokyo précise qu’elle poursuivra la réalisation d’une société paritaire « tout en reconnaissant

les différences qui existent entre hommes et femmes ». Ce « backlash » est l’occasion pour

certains de rappeler la « valeur » et le « rôle social » des femmes au foyer. Le mouvement

s’essouffle autour de 2004 – 2005, après que le gouvernement ait décidé de retirer le terme

« gender-free » de ses documents officiels89.

S’il s’agit d’un des premiers revers pour le féminisme d’Etat japonais nouvellement

renforcé, ce mouvement conservateur n’est pas parvenu à mettre en cause le projet de

construction d’une société paritaire. La suppression de l’abattement spécial pour conjoint

proposée en 2002 n’a d’ailleurs pas été touchée par ce regain de conservatisme. S’il est

probable90 que le « backlash » ait conduit l’administration chargée de promouvoir l'égalité

homme-femme à adopter une rhétorique plus « prudente », qui attaque moins directement la

division sexuée du travail, les arguments économiques n’ont eux pas été mis en cause.

A notre questionnement de départ qui était : « L’évolution du modèle familial […]

suit-elle le cours du mouvement conservateur japonais (A) ou l’évolution des besoins

économiques et de main-d’œuvre du pays (B) ? », c’est l’hypothèse B qui semble être la plus

pertinente pour la période [1990-2010]. L’éloignement progressif du modèle familial d’après-

guerre répond davantage à des besoins économiques et de main-d’œuvre qu’à

l’affaiblissement du mouvement conservateur japonais. Pour preuve, le regain de

conservatisme de la première partie des années 2000 n’a pas remis en cause le mouvement de

fond qui caractérise la période.

89 Le terme « gender » continue d’être utilisé. 90 C’est une hypothèse à vérifier.

123

CONCLUSION

L’objectif de ce mémoire était triple. Tout d’abord, interroger le « quoi » du

changement en confrontant le récit de la réforme de l’abattement pour conjoint à l’évolution

concrète de l’instrument sous ses aspects techniques. A la fois « sources » et « récits », les

rapports de la Commission fiscale auront été disséqués et comparés afin que leurs

contradictions ressortent noir sur blanc. A cette lecture critique des rapports, se rajoute

l’analyse des changements incrémentaux de l’abattement pour conjoint ; analyse qui nous a

permis de mettre en évidence une évolution parfois distincte de celle qui apparaît dans le

« récit officiel ». Second objectif : établir le « pourquoi » du changement à travers la

mobilisation de la littérature sur les politiques publiques. Une attention aura tout

particulièrement été accordée à la mobilisation de théories diverses, afin d’éviter un

« monisme causal » (Hoeffer et al, 2010, p.70) trop souvent rencontré dans la littérature.

Enfin, réfléchir au « genre » des politiques publiques japonaises à travers l’étude d’un

instrument fiscal concret. Plutôt que de chercher à mesurer l’impact des abattements pour

conjoint sur la position des femmes sur le marché du travail, nous nous sommes intéressés à

l’évolution de l’appréhension de cet impact : à partir de quand est-il mis en évidence ? Le

« problème » est-il jugé assez important pour faire l’objet d’une solution ? Etc. Questions

souvent laissées de côté par la littérature japonaise sur l’abattement pour conjoint. Ce

mémoire proposait, en somme, de renouveler les questionnements sur un sujet déjà largement

traité par la littérature existante.

Plusieurs apports se dégagent de ce travail. De par son ancrage dans une perspective

de temps long, ce mémoire a contribué à identifier les facteurs explicatifs les plus pertinents

pour chaque moment du changement (voir tableau ci-après). Mais plus que cela, l’apport

principal de cette approche par le temps long aura été de permettre un séquençage par les

temporalités des variables explicatives (Hoeffer et al, 2012, p.70). Tout comme différents

« courants » convergent pour permettre la création d’une fenêtre d’opportunité à un moment t,

les variables explicatives que nous avons identifiées convergent pour permettre le changement.

Or, ces variables sont loin d’être uniformes dans leur temporalité : si certaines sont de court-

terme, d’autres sont de moyen voire de long-terme. Le temps du changement est ainsi une

convergence de différentes temporalités qu’il revient au chercheur d’identifier. Pour revenir à

notre étude de cas, nous pouvons identifier les réformes fiscales comme des variables de

124

court-terme : ce sont elles qui expliquent au mieux le moment du changement. Avec une

temporalité d’environ cinq ans, les « hauts et les bas » des mouvements conservateurs

japonais peuvent être qualifiés de changements de moyen-terme. Le renforcement de

l’administration chargée de promouvoir l'égalité homme-femme ainsi que les changements

économiques sont, quant à eux, des changements de moyen à long-terme. C’est à la

convergence de ces différentes variables aux temporalités diverses que nous devons les

réformes des abattements pour conjoint.

Tableau 7 : Résumé des principaux résultats - quelles hypothèses ont été validées ? Q1 : Les abattements pour conjoint sont-ils autonomes (A) ou dépendants (B) de la politique fiscale générale ? Q2 : Le changement s’explique-t-il par la prise en compte de problèmes jugés ‘techniques’ et pouvant être résolus techniquement (A) ou par la prise en compte de problèmes qui mettent en cause le caractère équitable de l’instrument (B) ? Q3 : L’évolution de la problématisation de l’enjeu des abattements pour conjoint s’explique-t-elle par l’entrée en scène de nouveaux acteurs (A) ou par l’évolution des cadres cognitifs d’acteurs déjà présents ? (B) Q4 : L’évolution du modèle familial suit-elle les cours du mouvement conservateur japonais (A) ou l’évolution des besoins économiques et de main-d’œuvre du pays (B) ?

Q.1 Q.2 Q.3 Q.4

1961 B – non traitée – – non traitée – – non traitée –

1987 B A – non traitée – B pour la partie

supérieure et A pour la partie inférieure

2004 B B A et B (distinction selon le type d’acteurs) A

Autre apport de ce travail : la mise en évidence du double caractère autonome et

plastique des instruments. Autonome, car l’instrument agit sur la réalité sociale et produit des

effets indépendants des objectifs qui lui étaient assignés (Lascoumes, 2007, p. 76). La trappe à

inactivité qui naît de la structure en seuil de l’abattement pour conjoint en est un exemple. Si

certains voudront attribuer cette « trappe à inactivité » à une volonté de marginalisation des

femmes par le gouvernement, nous nous positionnons autrement. Y voir un effet prévu et

voulu de l’instauration de l’abattement pour conjoint, ce serait oublié qu’en ce début des

années 1960, l’hégémonie symbolique du modèle familial de type « pourvoyeur – femme au

foyer » était telle que la Commission n’imaginait tout simplement pas que des femmes

puissent vouloir (ou doivent) reprendre un travail après une période de retrait. Si l’on rajoute à

cela le manque de débouchés professionnels pour les femmes mariées à l’époque,

125

« l’aveuglement »91 de la Commission se comprend [mais ne s’excuse pas]. Le présent

mémoire aura également mis en évidence le caractère plastique des instruments. La définition

d’un « problème » est l’occasion pour les entrepreneurs politiques de faire tenir des rôles

différents aux instruments selon l'angle sous lequel ils l'envisagent. L’exemple le plus parlant

est très certainement la définition successive de problèmes d’iniquité fiscale alors même que

le matériau sur lequel prend appui ces critiques – à savoir l’instrument – reste le même.

Enfin, plus modestement, le présent travail aura contribué à une meilleure

appréhension de la perte d’influence du modèle familial d’après-guerre au sein des politiques

fiscales japonaises. Là où certains travaux se focalisent sur les seuls effets désincitatifs des

abattements pour conjoint sur l’emploi des femmes, nous avons préféré élargir la perspective

afin de mieux couvrir les divers biais de genre qui parcourent la politique fiscale japonaise.

L’analyse d’un nombre conséquent de rapports, conjuguée à la lecture des débats de la

Commission fiscale pour la réforme de 2004 nous ont permis de mettre en évidence

l’influence grandissante du principe de neutralité au sein de la fiscalité japonaise. D’un

concept qui profitait au seul néolibéralisme (non-intervention de l’Etat dans les affaires

économiques), la neutralité devient, au cours des années 1990, un outil théorique mobilisé

par les partisans du « gender-mainstreaming »92. La suppression partielle de l’abattement

spécial pour conjoint en 2004 est à replacer dans ce contexte. Cependant, cette évolution n’a

pas permis de détrôner le modèle familial de type « pourvoyeur – femme au foyer » de son

rôle de référent. Les fiscalistes continuent d’avoir des difficultés à sortir de son cadre cognitif,

l’hégémonie du précédent « modèle familial » n’ayant pas été remplacée. L’image du

contribuable « ordinaire » est ainsi toujours celui d’un salarié pourvoyant à l’entretien de sa

femme et de ses deux enfants.

A l’issue de ce mémoire, plusieurs questions restent néanmoins sans réponses. Pour ce

qui est de la réforme de 1961, la restriction des sources aux seuls rapports de la Commission

fiscale limitent grandement l’appréhension du contexte de naissance de l’abattement pour

conjoint. Comment une mesure qui ne traversait même pas l’esprit de la Commission fiscale

en 1956 a-t-elle été adoptée en l’espace de quatre ans ? Qui sont les acteurs qui ont porté cette

91 Si l’on veut poursuivre la métaphore de Bereni L. et al (2008) sur les « lunettes de genre ». 92 Selon le Groupe de spécialistes pour une approche intégrée de l’égalité (EG-S-MS) du Conseil de l’Europe, le gender mainstreaming est : "la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques." [URL : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/domaines_action/gender_mainstreaming/]

126

mesure lors de la réforme fiscale de 1960 ? Seul un accès aux débats de la Commission

permettrait de répondre à ces questionnements.

Nous ne sommes pas non plus parvenus à éclairer les raisons qui ont poussé la

Commission à créer un nouvel abattement en 1987 plutôt que de modifier la structure de

l’abattement existant. Cette structure superposée trouve-t-elle son origine dans une volonté

délibérée de distinguer un abattement ouvert à tous sans conditions de ressources (abattement

pour conjoint) d’un abattement sous conditions de ressources (l’abattement spécial pour

conjoint) ? Probablement pas93. Une approche en terme de « path dependence » paraît être la

plus appropriée pour expliquer cette difficulté que semble avoir la Commission fiscale à

modifier la structure de l’abattement pour conjoint. Néanmoins, là encore, les sources ne sont

pas suffisantes pour valider ou invalider une telle hypothèse.

Si nous l’avons partiellement abordé au cours de l’hypothèse 3, il serait intéressant

d’approfondir le changement de perspective qui s’est produit au sein des instances du

féminisme d’Etat japonais à l’égard de l’égalité homme-femme. Comment l’égalité homme-

femme en est-elle venue à être approchée sous une perspective de genre ? Toutes les

politiques relatives à l’égalité homme-femme ont-elles connues cette même évolution ? Qui

sont les « passeurs » de cette nouvelle approche ?

Enfin, même si ce ne sont pas des acteurs explicitement visibles dans le processus de

décision, il serait également nécessaire d’approfondir le rôle des mouvements de femmes94

ainsi que les positions qu’elles ont soutenues. Ont-elles eu ou non une problématisation

originale de la question ? Y a-t-il eu des points de passage entre réflexions militantes, experts

et décideurs ? Répondre à ces questions suppose de déterminer précisément quels sont les

groupes concernés et d’effectuer un travail d’archives. Travail de longue haleine, il promet

néanmoins d’être passionnant. Il serait aussi intéressant d’aller interroger la Fédération

nationale des consultantes fiscales (全国女性税理士連盟 ). C’est une des premières

associations à souligner la contribution des abattements pour conjoint à la position

périphérique des femmes sur le marché du travail avec la publication en 1994 d’un libre

intitulé : « L’abattement pour conjoint, on en veut pas ! ».

93 Un contribuable ne peut pas bénéficier d’un abattement spécial pour conjoint si son revenu dépasse les dix millions de yens (soit l’équivalent de 75 000 €). Au vue de la hauteur du plafond, nous en avons conclu que l’objectif de limiter l’accès de l’abattement spécial pour conjoint à certains contribuables n’était pas une explication convaincante à la structure superposée des abattements pour conjoint. 94 Nous serions tout particulièrement intéressés par une étude de la position des divers mouvements de femmes au foyer.

127

La poursuite de la réflexion entamée dans le présent mémoire peut prendre plusieurs

directions. La première consisterait à comparer le cas japonais à un cas similaire

(l’Allemagne) afin de confirmer ou d’infirmer les hypothèses que nous avons développées. La

deuxième voie possible serait d’étendre le spectre des politiques analysées afin de mieux

appréhender la politique familiale japonaise dans son ensemble. Tout comme l’abattement

pour conjoint a été un analyseur d’enjeux plus larges que la simple politique fiscale, les

politiques d’emploi ou de conciliation vie professionnelle / vie familiale sont autant de portes

d’entrée vers des enjeux plus larges qui englobent des problématiques de politiques publiques

et de genre. Enfin, une troisième direction pourrait consister à coupler la dimension de genre à

celle de « race » à travers une étude de la politique japonaise en matière de mariages

internationaux et d’attributions de visa « conjoint ». Quelque soit la direction poursuivie,

mobiliser la littérature sur les politiques publiques devrait permettre d’aborder les sujets sus-

mentionnés sous un angle nouveau.

128

TABLE DES ILLUSTRATIONS

GRAPHIQUES ET FIGURES

Figure 1: Nombre d'articles scientifiques traitant de l'abattement pour conjoint et/ou de l'abattement

spécial pour conjoint .............................................................................................................................. 18

Figure 2 : Récapitulatif des différents types de contribuables indépendants.......................................... 29

Figure 3 : Impact de l'abattement pour aide familiale sur le montant du revenu imposable ................... 30

Figure 4: Mise en image du projet de la Commission fiscale ................................................................. 34

Figure 5 : Les différents systèmes d'imposition et leurs caractéristiques............................................... 35

Figure 6 : Calcul de l'impôt dans le cas de l'imposition conjointe avec quotient conjugal ...................... 36

Figure 7 : Structure de l'abattement pour conjoint à sa création en 1961 .............................................. 37

Figure 8 : Taxation de deux couples ayant le même revenu brut, l'un de type "pourvoyeur - femme au

foyer", l'autre où les deux conjoints sont actifs (dans le cas d'une imposition séparée)......................... 39

Figure 9 : Mécanisme du problème des travailleurs(euses) à temps partiel .......................................... 41

Figure 10 : Le problème de la double jouissance d'un abattement humain de base.............................. 42

Figure 11 : Vers l'adoption d'un système de dégressivité du montant de l'abattement à mesure de la

hausse du revenu du conjoint ................................................................................................................ 43

Figure 12 : Structure de l'abattement spécial pour conjoint.................................................................... 46

Figure 13 : Naissance de nouveaux déséquilibres fiscaux du à la multiplication des abattements........ 49

Figure 14 : Deux possibilités pour la réforme : laquelle choisir ? ........................................................... 51

Figure 15 : Représentation des arguments tenus par les pro et les anti-suppression de l'abattement

pour conjoint .......................................................................................................................................... 53

Figure 16 : Le conjoint, une personne à charge comme les autres ? (1955-1965) ................................ 56

Figure 17 : Le conjoint, une simple personne à charge ? (1961-1986).................................................. 57

Figure 18 : Montants des abattements ayant pour cible le conjoint en fonction du revenu de ce dernier

(1987-2003) – mise en image du « récit » de la Commission ................................................................ 59

Figure 19 : Résumé de l'évolution du rapport entre le montant des abattements ayant pour cible le

conjoint et le montant de l'abattement pour charge de famille ............................................................... 60

Figure 20 : Evolution parallèle de la politique fiscale générale et les mesures fiscales relatives au

conjoint................................................................................................................................................... 67

Figure 21 : Représentation graphique des étapes de définition du problème et de mise sur agenda .... 76

Figure 22 : Evolution contrastée du nombre de foyers "pourvoyeur-femme au foyer" (en rouge) et des

foyers où les deux conjoints sont salariés (en bleu) [1980-2010]........................................................... 79

129

Figure 23 : Choix d'ajustement des femmes travaillant à temps partiel –type A [1990-2013]................ 83

Figure 24 : Contraste entre la réalité des déséquilibres (à gauche) et leur appréhension par la

Commission fiscale (à droite)................................................................................................................. 88

Figure 25 : Système de l'abattement de base transférable .................................................................... 90

Figure 26 : Extrait de l'annexe n°4 - Raisons des ajustements (Chiffres de 1990 et 1995) ................. 101

Figure 27 : Nombre d'apparitions du terme "société paritaire" dans les débats de la Commission fiscale

............................................................................................................................................................. 102

Figure 28 : Discours tenu par les acteurs économiques au sujet des abattements pour conjoint et autres

systèmes qui portent préjudice à l’activité économique des femmes................................................... 105

Figure 29 : Structure duale voire triple de l'abattement spécial pour conjoint ...................................... 109

Figure 30 : Evolution de l'appréhension du travail domestique et de care effectué par la femme au foyer

............................................................................................................................................................. 110

Figure 31 : En quoi la "famille" est-elle de nature à intéresser l'action gouvernementale ? ................. 112

TABLEAUX

Tableau 1 : Extrait d'un tableau de l'OECD relatif au degré d'équité des systèmes fiscaux face aux

couples où les deux conjoints travaillent................................................................................................ 32

Tableau 2 : Impact de l'imposition séparée sur des couples ayant le même revenu brut mais une

composition des apports salariaux du mari et de la femme différente.................................................... 32

Tableau 3: Arguments pour ou contre l'imposition conjointe et séparée (rapport de 1960).................... 37

Tableau 4 : Comparaison des arguments mobilisés pour ou contre l'imposition conjointe et séparée... 45

Tableau 5 : Principales évolutions des sous-catégories de l'abattement pour charge de famille et de

l'abattement pour conjoint...................................................................................................................... 61

Tableau 6: Evolution du contenu des rapports sur la situation des travailleurs(euses) à temps partiel –

temps partiel de type A [1990-2013]...................................................................................................... 82

Tableau 7 : Résumé des principaux résultats - quelles hypothèses ont été validées ?........................ 124

130

131

ANNEXES

132

Annexe 1 : Liste des articles scientifiques traitant de l'abattement pour conjoint Les articles où le nom de l’auteur apparaît en caractères latins ont été lus. 1966 Débat 家族法上の妻の地位-夫婦の財産とその妻への帰属分

1969 Nakahara Seiichi 女性の地位に関する憲法判例

1986 Mizuta Tamae 専業主婦特別控除は女性への挑戦-凝集された男女差別の構造

1987 dans 労政時報 所得税法・租税特別措置法--所得税率を大幅に改正,配偶者特別控除を創設

1990 Sugii Shizuko パートタイムの配偶者控除と女性の自立

1992 足立 喜美子 パートタイム労働と税制--配偶者控除を中心に

1993 Endô Michi 配偶者控除、配偶者特別控除の廃止を-女性の経済的自立と福祉社会を求

めて

1994 Union nationale des

consultantes fiscales 配偶者控除なんかいらない!? : 税制を変える、働き方を変える

1996 Sugii Shizuko 配偶者控除・配偶者特別控除の撤廃提言をどうみるか

1996 杉井 静子 配偶者控除・配偶者特別控除の撤廃提言をどうみるか--経済審議会雇用・

労働ワーキング・グループ報告書を読んで

1997 Yamada Ikuko 規制緩和と「配偶者特別控除」

1997 Ooda Hiroko 女性と税制-配偶者控除などの検証

1997 Endô Michi 配偶者控除を考える(第 2回完)

1997 品川 芳宣 租税理論からみた配偶者控除是非論の検証(上)(下)

1997 Endô Michi 配偶者控除を考える--高齢社会に向けて所得控除のあり方とともに

1998 Taniguchi Ayako, etc. 配偶者控除の現状と課題

1998 Endô Michi 配偶者控除に替わるもの (特集 1 年金改革と女性労働)

1998 桑原 洋子 巻頭言 高齢社会の社会保障と女性--配偶者特別控除制度

1999 Iino Yasushi 配偶者控除の廃止は尚早である!

2000 渡部 尚史 配偶者控除の廃止と基礎控除の引き上げ

2001 樋口 美雄,西崎 文

平,川崎 暁 配偶者控除・配偶者特別控除制度に関する一考察

2002 Iwata Yôko 課税単位と配偶者控除・配偶者特別控除

2002 Endô Michi 配偶者控除廃止の代替案と児童手当-人的所得控除は基礎控除と扶養控除

2002 袖井 孝子 配偶者控除・配偶者特別控除の廃止

2002 岩田 陽子 課税単位と配偶者控除・配偶者特別控除

2002 森信 茂樹 経済探求(14)女性の自立と税制--配偶者控除等の問題

2002 山崎 久民 「配偶者控除」「配偶者特別控除」が引き起こしていること--性別役割分

担を助長する税制の問題点

2002 飛田 英子 Policy Proposals 配偶者控除の在り方と少子化・子育て対策--望まれる一体

133

的視点からの見直し

2002 増田 雅暢 配偶者特別控除廃止論に疑問

2003 Nakazawa Shûichi ライフスタイルの選択に中立な税制-配偶者控除・配偶者特別控除を中心に

して-

2003 Iidzuka Yayohi 人的控除のあり方(配偶者に関する控除を中心に)」

2003 佐藤 英明 配偶者控除および配偶者特別控除の検討

2003 碓井 光明 女性の社会進出に対する税制の影響--配偶者控除等の廃止論をめぐって

2003 飛田 英子 配偶者控除・配偶者特別控除の改革の望ましい方向性--女性のライフ・ス

タイルに中立な税制を構築する観点から

2003 Endô Michi 課税最低限と配偶者控除に代わるもの--その制定経緯と問題点

2003 星野 重雄 今月の研究課題 個人住民税における配偶者特別控除(上乗せ部分)の廃止に

ついて

2004 Endô Michi 配偶者控除に替わる制度を考える

2004 Maruyama Katsura 女性と税制・年金に関する歴史的考察

2004 小野澤,景子 所得税における配偶者控除の是非と今後に関する考察

2004 矢崎 ふみ子,高橋

健太郎 控除縮小 正しい理解が必要!配偶者特別控除縮小後の留意点

2005 今道 雄介 今月の研究課題 配偶者控除制度の沿革とその課題について

2008 Abe Noriyuki 人的控除と給与所得控除のあり方-税調「抜本的な税制改革に向けた基本

的な考え方」を題材に

2008 田代 昌孝 配偶者控除と課税ベースの侵食

2008 萩原 里紗 女性の労働供給増加に向けて--配偶者控除・特別控除制度の廃止と低所得

者向け税額控除制度の導入

2009 酒井 克彦 個人所得課税上の控除を巡る諸問題(第 26回)配偶者控除及び配偶者特別控

除についての一考察(上)

2009 森 剛志,浦川 邦夫 配偶者特別控除の廃止が労働供給に与えた影響のパネルデータ分析

2010 高橋 新吾 配偶者控除及び社会保障制度が日本の既婚女性に及ぼす労働抑制効果の測

定 (特集 税制・社会保障と労働)

2010 酒井 克彦 個人所得課税上の控除を巡る諸問題(第 27回)配偶者控除及び配偶者特別控

除についての一考察(下)

2011 中村 良広 「持続可能な社会」と税制--配偶者控除見直し問題にふれて

2011 阿部 徳幸 「控除から手当へ」の税制改革についての検討--配偶者控除を題材に

134

Annexe 2 : Evolution par année des montants et des catégories des principaux abattements humains de base

Année 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 Abattement de base 9 10 11 12 13 14 ≈15 16

Abattement pour conjoint

9 10 Condition : revenus du conjoint < 5

10,5 11 12 13 ≈15 Condition : salaire du conjoint < 10 OU revenus non salariaux < 5

16

Abattement pour charge de famille

+15 ans = 5 -15 ans = 3 Quand il n’y a pas de conjoint pouvant être la cible de l’abattement pour conjoint, l’abattement pour charge de famille monte jusqu’à 7 pour la première personne à charge. Condition : revenus < 5

-15 ans = 3,5

+13 ans = 5 -13 ans = 4

+13 ans = 5 -13 ans = 3 Quand il n’y a pas de conjoint pouvant être la cible de l’abattement pour conjoint, l’abattement pour charge de famille monte jusqu’à 8 pour la première personne à charge.

6 (qu’importe l’âge)

8 Quand le contribuable n’a pas de conjoint, l’abattement pour charge de famille est de 10 pour la 1ère personne à charge. Quand le conjoint ne peut pas faire l’objet de l’abattement pour conjoint, l’abattement pour charge de famille est de 8 pour la 1ère personne à charge.

Abattement minimum pour

revenus salariaux

L’abattement pour conjoint = double de l’abattement pour charge de famille

x 2,4 abattements pour charge de famille

Comment comprendre cette condition ?

Sources : [1961-1988] : 大蔵省主税局,『所得税百年史』Tokyo, 1988, p. 159-195 [1989-2009] : 国税庁統計年報書(平成元年度版-平成 22年度版) [2011-2012] : 中村 稔 NAKAMURA Minori, 『日本の税制平成 24年度版』, Tokyo, 財経詳報社 , 2012, 363p. [et la version 平成 23年度版] [1975-2012] (montant de l’abattement minimum pour revenu salarial) :家元 克弥, 『給与所得控除の実額控除導入に向けて』, 明治学院大学法学部 卒業論文, 2007 [En ligne]. URL : http://www.meijigakuin.ac.jp/~hogakkai/sotsuron/iemoto.pdf [Il s’agit d’un mémoire de Licence réalisé par un étudiant japonais sur l’abattement pour revenu salarial]

135

Année 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 Abattement de base 17 18 20 20 21 24 26

Abattement pour conjoint

17

18 20 Condition : salaire < 15 OU revenus non salariaux < 10

20 21 24 Condition : salaire < 20 OU revenus non salariaux < 10

26

Abattement pour charge de famille

10 (+ 1 pour la 1ère personne à charge si le contribuable n’a pas de conjoint)

12

14 14 Quand la personne a + de 70 ans : 16

16 (+ 2 pour la 1ère personne à charge si le contribuable n’a pas de conjoint) Quand la personne a + de 70 ans : 19

22 (+0,5 pour la 1ère personne à charge si le contribuable n’a pas de conjoint) Quand la personne a + de 70 ans : ≈25

26 Quand la personne a + de 70 ans : 32

Abattement minimum pour revenus salariaux

10 10 13 13 16 44 50

1,5 abattement pour charge de famille

x 1,3 abattements pour charge de famille

Les montants de l’abattement pour conjoint et de l’abattement pour charge de famille s’égalisent. L’abattement pour conjoint retrouve donc sa qualité de simple ‘abattement pour charge de famille ‘

136

Année 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 Abattement de base 26 29 29 30

Abattement pour conjoint

26 29 Quand le conjoint a + de 70 ans = 35

Condition : salaire < 29, OU revenus non salariaux < 10

Quand le conjoint est handicapé = 34

30 Condition : salaire < 30, OU revenus non salariaux < 10 Quand le conjoint a + de 70 ans = 36 Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 35

Abattement pour charge de famille

Quand la personne a + de 70 ans = 30

29 Quand la personne a + de 70 ans = 35

Quand la personne a + de 70 ans : 30 Quand la personne a + de 70 ET vit au domicile du contribu-able = 40

Quand la personne est handicapée = 34

30 Quand la personne a + de 70 ans = 36 Quand la personne a + de 70 ans ET vit sous le même toit que le contribuable = 41 Quand la personne est handicapée = 35

Abattement minimum pour revenus salariaux

50

Le milieu des années 1970 voit la fin de l’augmentation régulière du montant des abattements individuels. Le ralentissement de la croissance économique entraine à sa suite un ralentissement de la hausse des salaires et de l’inflation, rendant moins nécessaire l’augmentation régulière du seuil d’imposition.

Les conditions de revenu pour faire l’objet d’un abattement pour conjoint rejoignent le montant de l’abattement de base [qui détermine le seuil d’imposition]. Jusqu’à présent, le plafond à ne pas dépasser était inférieur au seuil d’imposition… Pourquoi ? Vers une plus grande ‘rationalité’ : une personne dont le revenu n’atteint pas le seuil d’imposition peut être considéré comme étant à la charge du chef de famille.

Mesure fiscale qui vise à promouvoir les foyers à 3 générations. Dans le cadre des mesures de promotion de la « société providence à la japonaise » ?

137

Année 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 Abattement de base 33 35

Abattement pour conjoint

33 Condition : salaire < 33, OU revenus non salariaux < 10 Quand le conjoint a + de 70 ans = 39 Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 40

Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 47

38 33

35 Condition : salaire < 35 Quand le conjoint a + de 70 ans = 45 Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 65 Quand le conjoint est âgé(e), handicapé et vit avec le contribuable = 75

Abattement spécial pour conjoint

11,2 [le montant de l’abatte-ment diminue à mesure de l’augmentation du revenu du conjoint] Condition : revenu du contribuable < 800

16,5 35

Abattement pour charge de famille

33 Quand la personne a + de 70 ans = 39 Quand la personne a + de 70 ans ET vit sous le même toit que le contribuable = 46 Quand la personne est handicapée = 40

Quand la personne est handicapée = 37

Quand la personne a + de 70 ans : 30 Quand la personne a + de 70 ET vit au domicile du contribu-able = 40

Parents ou beaux-parents du contribuable, âgés de + de 70 ans et vivant sous le même toit que ce dernier = 46 Autre personne de + de 70 ans vivant sous le même toit que le contribuable = 39 Quand la personne est handicapée = 47

35 Personnes à charge déterminées = 45 Parents ou beaux-parents du contribuable, âgés de + de 70 ans et vivant sous le même toit que ce dernier = 55 Autre personne de + de 70 ans vivant sous le même toit que le contribuable =45 /!\ + 30 quand la personne est handicapée

Abattement minimum pour revenus salariaux

57

65

138

Année 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 Abattement de base 35 38

Abattement pour conjoint

35 Condition : salaire < 35 Quand le conjoint a + de 70 ans = 45 Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 65 Quand le conjoint est âgé(e), handicapé et cohabite avec le contribuable = 75

38 Condition : salaire < 38 Quand le conjoint a + de 70 ans = 48 Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 68 Quand le conjoint est âgé(e), handicapé et cohabite avec le contribuable = 78

Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 73 Quand le conjoint est âgé(e), handicapé et cohabite avec le contribuable = 83

Abattement spécial pour conjoint

35 38

Abattement pour charge de famille

35 Personnes à charge déterminées = 45 Parents ou beaux-parents du contribuable, âgés de + de 70 ans et vivant sous le même toit que ce dernier = 55 Autre personne de + de 70 ans vivant sous le même toit que le contribuable =45 /!\ + 30 quand la personne est handicapée

Personnes à charge déterminées = 50

38 Personnes à charge déterminées = 53 Parents ou beaux-parents du contribuable, âgés de + de 70 ans et vivant sous le même toit que ce dernier = 58 Autre personne de + de 70 ans vivant sous le même toit que le contribuable = 48 /!\ + 30 quand la personne est handicapée

Personnes à charge déterminées = 58 /!\ + 35 quand la personne est handicapée

Abattement minimum pour revenus salariaux

65

Donnés NON

disponibles

139

Année 1999 2000 2001 2002 2003-2009 2010 2011 Abattement de base 38

Abattement pour conjoint

38 Condition : salaire < 38 Quand le conjoint a + de 70 ans = 48 Quand le conjoint est handicapé et vit avec le contribuable = 73 Quand le conjoint est âgé(e), handicapé et cohabite avec le contribuable = 83

38 Condition : salaire < 38 Quand le conjoint a + de 70 ans = 48 [* les catégories conjoint ou personne à charge handi-capés passent dans une autre catégorie d’abattement]

Abattement spécial pour conjoint

38 38 MAIS /!\ suppression de la

partie supérieure de l’abattement spécial pour

conjoint

Abattement pour charge de famille

38 Personnes à charge déterminées (19-23 ans) = 63 [ « Jeunes » = 48] Parents ou beaux-parents du contribuable, âgés de + de 70 ans et vivant sous le même toit que ce dernier = 58 Autre personne de + de 70 ans vivant sous le même toit que le contribuable = 48 /!\ + 35 quand la personne est handicapée

SUPPRIME

* Les montants des abattements restent les mêmes. Par contre la catégorie « normale » de l’abattement pour charge de famille (38) ne recouvre désormais plus les enfants de – de 16 ans. Cela s’explique par l’élargissement du montant des allocations familiales à destination des – de 16 ans.

38 (16-18ans) Personnes à charge déterminées (19-23 ans) = 63 Parents ou beaux-parents du contribuable, âgés de + de 70 ans et vivant sous le même toit que ce dernier = 58 Autre personne de + de 70 ans vivant sous le même toit que le contribuable = 48

Abattement minimum pour revenus salariaux

65

English version

Les montants des abattements restent stables preuve que le revenu des Japonais a peu augmenté ces dernières années

Annexe 3 : Extraits des arguments tenus par les pro et les anti-suppression de l'abattement pour conjoint - Voir figure 15 du mémoire

Pour ce qui est des arguments en faveur de la suppression de l’abattement pour conjoint :

1. « Les services produits par les femmes au foyer devraient en principe être ajouté au revenu familial et taxés,

or c’est le contraire qui se passe. »

2. « Il y a plusieurs points que je ne comprends pas, tout d’abord, qu’elle est la raison d’être de l’abattement

pour conjoint et de l’abattement spécial pour conjoint ? De prendre en considération le travail domestique? Si

oui, pourquoi sont-ils déduits du revenu imposable du mari ? Cette considération du travail domestique

fonctionnerait parfaitement bien et ne causerait pas d’incitations négatives sur la décision de travailler des

femmes si elle était réduite de leurs propres revenus imposables. Par contre, en la réduisant du revenu

imposable du mari, il n’y aucune garanti que cela ne bénéficie à la femme qui est pourtant à la source de cet

abattement. On a beau dire que l’imposition japonaise se base sur l’unité individuelle, de fait ce n’est pas du

tout le cas, la logique est contredit ici et là. »

3. « En conservant l’abattement pour conjoint, on préserve également les systèmes qui s’y accrochent tels que

les allocations pour conjoint des entreprises qui viennent directement se rajouter au salaire du mari. C’est

pourquoi, en prenant en compte ces effets secondaires du système fiscal, il me semble souhaitable de

supprimer l’abattement pour conjoint. »

4. « C’est une question sémantique mais, je pense que certains d’entre vous oublient que les femmes qui

peuvent se permettre de rester au foyer sont issues de milieux favorisés. En bref, les femmes qui sont la

cible d’un abattement pour conjoint sont tout sauf pauvres : leur mari gagne un revenu suffisamment élevé

pour qu’elles n’aient pas à travailler. Un tel constat devient clair à la vue des statistiques. »

5. « Il faut se rappeler que le processus de création de l’abattement spécial pour conjoint a été fortement

influencé par la politique. L’abattement spécial pour conjoint est né de pressions politiques particulièrement

« déformées ». Dès lors, il est tout à fait normal de le supprimer. »

6. « Le Japon respecte en principe l’unité d’imposition individuelle ; et pourtant entre 20 et 25 millions de foyers

bénéficie d’un abattement pour conjoint. C’est une unité individuelle déformée. »

7. « Le Japon est le seul pays où le système [fiscal] est construit sur le prémisse qu’un des conjoints ne travaille

pas. »

8. « Avec l’accélération de la baisse de la fertilité et du vieillissement de la société, il nous faut réfléchir à un

environnement propice au travail des femmes sur le plan fiscal. L’ensemble de la société japonaise s’articule

autour des hommes, ou plus exactement des maris. Mais aujourd’hui, nous devons nous tourner vers la

réalisation d’une société paritaire et partir de ce point de vue dès lors que nous avons à réfléchir au système

fiscal. »

9. « Il y a à peu près 12 millions de femmes concernées par le problème de l’abattement pour conjoint, mais

une enquête du Ministère du travail précise qu’environ 3 à 4 millions d’entre elles travailleraient davantage s’il

n’y avait pas d’abattement pour conjoint. Nous avons ici un vrai goulot d’étranglement (bottleneck). »

- 141 -

Positions prudentes vis-à-vis de la suppression de l’abattement pour conjoint :

A. « L’abattement pour conjoint vise les femmes qui n’ont pas de revenus. De même, pour ce qui est de la retraite, le

fait que les femmes au foyer n’aient pas à payer de cotisation est peut-être un problème pour les finances du

système de retraite, mais il ne faut pas oublier que la raison d’être de ce système est tout simplement que les

femmes au foyer n’ont pas de revenus propres… Nous devons le garder à l’esprit quand on réfléchit sur l’avenir de

l’abattement pour conjoint. »

B. « Même si l’on va jusqu’à supprimer l’abattement pour conjoint, de fait il restera un nombre important de personne

qui, de fait de leurs responsabilités de care auprès de personnes âgées ou de jeunes enfants, ne pourront

travailler quand bien même elles le voudraient. […] »

C. « On entend souvent des arguments de type : « l’abattement pour conjoint n’est-il pas un frein à l’activité

économique des femmes ? Ne devrions-nous pas le réduire voire le supprimer ? ». Mais, moi, personnellement, je

pense que le choix de travailler ou de choisir de rester auprès des siens en tant que femme au foyer est un

choix. »

D. « Cette histoire, c’est un problème politique. Dans un pays où près de 9 millions de femmes sont femmes au foyer,

il va sens dire qu’un discours qui fait fi de leur existence ne mènera jamais aucun parti au pouvoir.

E. « Une suppression de l’abattement pour conjoint et de l’abattement spécial pour conjoint sera politiquement très

difficile à faire passer étant donné de la moitié des femmes japonaises est une femme au foyer. Quelqu’un

n’aurait-il pas une mesure de remplacement pleine de sens à proposer ? »

F. Par ailleurs, même si je n’irai pas jusqu’à dire qu’elles contribuent au revenu de leur mari, je pense que le travail

non rémunéré qu’elles exercent, que ce soit l’éducation des enfants ou la prise en charge des personnes âgées, a

une valeur très importante. C’est pourquoi, je pense qu’il faut être très prudent lorsque l’on aborde la question de

l’abattement pour conjoint.

G. « Je pense que traiter la famille avec égard est un principe extrêmement important auquel l’état doit se plier. […]

J’aimerais que le système fiscal accorde de l’importance à l’unité familiale, unité qui fait sens dans la vie de tous

les jours. »

- 142 -

Annexe 4 : Principales raisons des choix d'ajustement (graphique basé sur les enquêtes de 1990 et 1995) Source : Le rapport sur la situation des travailleurs(euses) à temps partiel [パートタイマーの実態―パートタイ

ム労働者総合実態調査報告], Versions de 1990 et 1995

Principales raisons des choix d'ajustement

0

10

2030

40

50

6070

80

90

Parce que jene ferai plus

l’objetd’abattements

fiscaux

Parce que l’on(le foyer) nerecevra plusd’allocationsfamiliales

Parce que jedevrai

souscrire àl’assurance

santé

Parce que jedevrai

souscrire àl’assurancechômage

Parce quel’entreprise demon conjointsera mise au

courant

Autre

1990 1995

Annexe 5 : Choix d'ajustement des hommes travaillant à temps partiel Source : Le rapport sur la situation des travailleurs(euses) à temps partiel [パートタイマーの実態―パートタイ

ム労働者総合実態調査報告], Versions de 1990, 1995, 2001, 2006 et 2013

Choix d'ajustement des hommes à temps partiel

9,9 11,3 9,3 14,7 11,2

29,135,4 34,9 27,3

41,9

2117,9

33,839,9

2540 35,4

21,9 11,7 12,5

0%

20%

40%

60%

80%

100%

1990 1995 2001 2006 2013

Ajustement Pas d'ajustement effectué Revenus trop faibles "Je ne sais pas"

- 143 -

Annexe 6 : Choix d'ajustement des femmes selon leur situation matrimoniale Source : Le rapport sur la situation des travailleurs(euses) à temps partiel [パートタイマーの実態―パートタイ

ム労働者総合実態調査報告], Versions de 2006

Choix d'ajustement des femmes selon la situation ma trimoniale en 2006

05

101520253035404550

Ajustement Pasd'ajustement

Revenus tropfaibles

"Je ne saispas"

pour

cent

age

Femmes mariées

Femmes non-mariées

Annexe 7 : Evolution du nombre de foyers de type "pourvoyeur - femme au foyer" Source : Livre Blanc de la vie des citoyens édition 2001,『平成 13年度 国民生活白書 家族の暮らしと構

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Pourcentage de femmes au foyer dont le mari est salarié parmi les femmes mariées

Nombre de femmes au foyer (en dizaines de milliers)

Nombre de foyers où le mari est salarié et la femme au foyer (en dizaines de milliers)

- 144 -

Annexe 8 : Décomposition du type d’emploi occupé par les femmes japonaises de 1982 à 1997 comparativement aux hommes (colonne de droite) Source : ibid., Graphique 2.10「まとめ-夫婦の働き方の現状」 [En ligne]. URL : http://www5.cao.go.jp/seikatsu/whitepaper/wp-pl/wp-pl01/html/13201600.html

Annexe 9 : Répartition des revenus des travailleurs à temps partiel - mise en évidence d'un "mur" à hauteur de 1 million de yens Source :男女共同参画会議・影響調査専門調査会「ライフスタイルの選択と税制・社会保障制度・

雇用システム」に関する中間報告, Graphique 23-1, p. 28

Travailleur indépendant

Aide familial

Salarié en CDI (contrat d’emploi « typique »)

Autre type d’emploi

Sans emploi (dont les retraités)

Travailleur à temps partiel (contrat d’emploi atypique)

Femme Mari

Annexe 10 : Evolution des femmes japonaises

147

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