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Introduction à l’œuvre symphonique de Krzysztof Penderecki Une approche par la notion de texture Projet de recherche Directeur de recherche Pierre Michel Juillet 2006 Matthieu Becquart Master I Musique UMBS Année 2005/2006 1

Introduction à l'oeuvre symphonique de Krzysztof Penderecki

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Introduction à l’œuvre symphonique deKrzysztof Penderecki

Une approche par la notion de texture

Projet de recherche

Directeur de recherche Pierre Michel

Juillet 2006

Matthieu BecquartMaster I Musique

UMBSAnnée 2005/2006

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Avant-propos

Aborder l’œuvre symphonique d’un compositeur est une vaste entreprise.Surtout lorsque celui-ci est encore vivant (manque de recul), lorsqu’il se réclamede grands symphonistes (Brückner, Malher…) et lorsque, de son propre aveu, lasymphonie se met au service de sa quête de Dieu et du Sacré.

En réalité, c’est toute l’œuvre de K. Penderecki que l’on retrouve au travers deces Sept symphonies – la huitième a été créée au cours de l’été 2006 mais lasixième reste inachevée. « Chacune d’entre elles est une récapitulation desexpériences accumulées au cours de la période qu’elle parachève, tout enmarquant un tournant sur le chemin de ma création. » explique le compositeur 1.

En ce qui concerne la première symphonie, terminée en 1973, il est aisé decaractériser la période qu’elle parachève. Tout son matériau provient desexpériences réalisées par le compositeur au cours des années 60 dans un style queses compatriotes musicologues ont appelé « sonoriste ». Ce style se caractérise parune nouvelle approche de la matière sonore, sur laquelle nous reviendrons. C’est pourquoi on a pu parler à propos des œuvres de cette période de« musique de texture ». On a pu rapprocher à juste titre K. Penderecki d’uncompositeur comme G. Ligeti qui semble avoir été le premier a avoir parlé demanière spécifique de la texture et à avoir élaboré une théorie sur la micro-polyphonie.

C’est cette idée de composition au moyen de textures comme moded’organisation du timbre qui nous a intéressé. Et c’est cette approche qui nous aparu pertinente pour rendre compte de certains aspects de l’œuvre du compositeurK. Penderecki, tout du moins jusqu’à sa première symphonie.

Notre travail reposera sur l’étude de quelques documents de base : les travauxde Présentation de la notion de texture dans la revue Analyse sous la direction deP. Michel, les analyses de W. Schwinger concernant les symphonies de K.Penderecki (la première principalement), le texte de la musicologue polonaiseDanuta Mirka Texture in Penderecki's sonoristic Style ainsi qu’une thèse intituléeLa notion de texture dans la musique post-sérielle de Michaïl Embeoglou.

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Introduction

- L’« Ecole polonaise » - Eléments biographiques – « Automne aVarsovie »

Le terme d’ »Ecole polonaise de composition" a été employé au début desannées 1960 par la critique musicale allemande. Il permettait de désignerspécifiquement le style de la musique polonaise. Un évènement semble avoirfavorisé l’émergence d’une « Ecole polonaise" de composition : la création, enoctobre 1956, du Festival international de musique contemporaine l’Automne deVarsovie.

L'Automne de Varsovie a permis la première création polonaise denombreuses compositions devenues des classiques de la musique du XXe siècle(avec, notamment, LE SACRE DU PRINTEMPS d'Igor Stravinski). Le festivalest devenu très vite le rendez-vous des diverses esthétiques musicales polonaises.Au début prédominait la technique dodécaphonique puis l’on en vînt à parler detechnique « sonoriste » pour désigner la tendance générale des compositeurspolonais à se préoccuper du son de manière globale, dans lequel la couleur étaitl’élément principal de toute recherche sonore.

Cette esthétique fût représentée dans la musique polonaise avant tout parWitold Lutoslawski (1913-1994), Krzysztof Penderecki (né en 1933) et HenrykMikolaj Gorecki (né en 1933).

La carrière musicale de Krzysztof Penderecki a commencé à la fin desannées 1950. Dans un premier temps, l'exploration des ressources sonores par lecompositeur a consisté dans la recherche de nouveaux moyens dans l’utilisationdes instruments à cordes (jouer au-delà du chevalet, frapper la caisse del'instrument avec le bois) qu’il traite, comme dans Thrènes pour les victimesd’Hiroshima 8cf. analyse dans notre deuxième partie) en instruments à percussion.Il a développé dans le même temps sa propre méthode d'utilisation de clusters.Ainsi K. Penderecki a élaboré un langage musical très personnel, généralisant deseffets de timbres de type percussifs et un tissu –texture – de surfaces sonoresreposant notamment sur des effets de spatialisation.

Les principales oeuvres de Krzysztof Penderecki – en dehors de son œuvrepurement symphonique - sont : THRÈNE POUR LES VICTIMESD'HIROSHIMA (1960); I QUATUOR À CORDES (1960); ANAKLASIS pourcordes et percussion (1960); oratorio DIES IRAE à la mémoire des victimesd'Auschwitz (1967); COSMOGONIE (1970); pièces religieuses: PASSIONSELON SAINT LUC (1965); UTRENJA (1970); MAGNIFICAT (!974); TEDEUM (1980); REQUIEM POLONAIS (1984); opéras: LES DIABLES DELOUDUN (1969); LE PARADIS PERDU (1978); LE MASQUE NOIR (1986);UBU-ROI (1991); oeuvres pour orchestre: II CHRISTMAS SYMPHONY (1980);PASSACAGLIA (1988); ADAGIO (1989); concertos, entre autres pourvioloncelle, pour violon, pour alto; musique de chambre: TRIO POUR CORDES

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(1991). Ainsi qu’un sextuor à cordes et plusieurs concertos, notamment pourviolon, alto ou violoncelle.

Pour situer les œuvres que nous allons évoquer plus particulièrement, il nous asemblé intéressant de présenter – sans nous étendre sur la question - l’évolutiondes différentes périodes créatrices du compositeur telle que l’a décrite lamusicologue polonaise Regina Chlopicka :

1. Années préparatoires2. A la recherche d’un langage sonore individuel. Un jeu sonore dramatisé.

Des Emanations aux Fluorescences (1958-1962)3. A la recherche des valeurs universelles. Entre le jeu sonore de la

polyphonie. La dramaturgie de la grande forme. De la Passion selonsaint Luc au Magnificat (1962-1974)

La première symphonie parachève cette période.

4. A la recherche du « Paradis perdu » de la musique. Le circuitnéoromantique. Du paradis perdu à la deuxième symphonie. (1974-1980)

5. A la recherche de l’identité nationale. Entre la tradition liturgique et lethéâtre musical d’oratorio. Du Te Deum au Requiem polonais. (1980-1984)

6. A la recherche de tensions extrêmes. Une danse macabreexpressionniste. Une dramaturgie de l’accélération. Le Circuit duMasque Noir (1984-1986)

7. A la recherche d’expériences nouvelles. De la convention du jeuclassique au jeu de convention dans le théâtre post-moderniste. EntreSinfonietta et Ubu-Roi. (1986-1992)

8. A la recherche de la beauté classique. Le circuit de la « nouvellelyrique ». Du quatuor avec clarinette au deuxième concerto pour violon(1992-1995)

9. A la recherche de la synthèse. Le style monumental symphoniqued’oratorio. De la IIIème symphonie au Credo en passant par les Portes deJérusalem (1995-1998).

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I – Présentation de la notion de texture

Avant d’aborder cette question il nous a semblé préférable de procéder à uneprésentation générale du sonorisme tel qu’il a été étudié par les musicologuespolonais car la notion de texture y est incluse. Cela nous permet de mettre enperspective notre approche de la texture avec un ensemble plus vaste. Nous nousappuierons pour cela sur l’étude réalisée par Danuta Mirka et notamment sonarticle Texture dans le style sonoristique de K. Penderecki.

A- Le sonorisme

La musique de K. Penderecki fût perçue dès le début comme la première et laplus importante manifestation du sonorisme. A tel point que sa musique a puévoquer à elle seule tout le courant sonoriste.

Les premières œuvres de K.Penderecki, parmi lesquelles : Thrènes,Fluorescences, Polymorphia… sont représentantes de cette période.

D’où vient l’expression « sonorisme » ? Celle-ci dérive du verbe français« sonner » et met l’accent sur la qualité du son comme facteur premier.L’inventeur du terme fut le musicologue polonais Josef M. Chominski : « Larègle sonoriste consiste en une exploration des pures « valeurs » du son dans lematériel sonore. » En Allemagne, on parle de Klangflaschenmusik et en anglais de« sound-mass music ».

Les expériences des « sonoristes » sont motivées par une rechercheapprofondie sur le timbre et les couleurs instrumentales et orchestrales. Ce timbreserait organisé au sein de textures si spécifiques que celles-ci deviennent le cœurde procédés compositionnels dont nous pouvons rendre compte et que nouspouvons répertorier. Les explorations sonoristes ont conduit à la découverte d’unnouvel ordonnancement de « valeurs » sonores. « A la place de la mélodie, del’harmonie, du mètre et du rythme, la valeur du son devient le premier facteur »,selon Malecka, (1983)

La pensée sonoriste a recours à de nouvelles catégories fondées sur lespropriétés des masses sonores et des relations entre elles. Le timbre est alorsconsidéré comme une catégorie décisive de la valeur du son. La dépendance de lavaleur du son a l’égard du timbre est telle que l’on a pu les envisager commesynonymes. Le timbre est alors perçu comme une fonction de l’instrumentation etde l’orchestration. « Les instruments traditionnels sont employés dans la règlesonoriste d’une nouvelle façon. « Chominski, 1983

Son concept de composition reposait non pas sur un son simple mais sur lamatière sonore dans sa globalité. D’un point de vue technique, le sonorisme arecours à deux « systèmes », l’un régissant la texture ou « système de base »,

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l’autre reposant sur ses timbres, ou « système de timbre », qui régit la couleursonore.

Le système dans son entier s’articule selon des oppositions binaires(continu/discontinu, mobile/immobile…) appliqués à chaque paramètre : ladynamique, le temps et le volume. Ces oppositions binaires se justifient d’aprèsles concepts mathématiques de contradiction et de contrariété, même si K.Penderecki ne les a pas appliqués de manière rigide. Il n’entre pas dans le cadrede notre travail de développer cette question mais signalons tout de même que lesoutils mathématiques utilisés par le compositeur n’ont jamais été appliqués demanière directe et radicale, il s’en est plus ou moins inspiré…

La texture ou « système de base » concerne trois des quatre paramètresde la perception auditive : la dynamique, la hauteur et la durée, et se décomposeschématiquement ainsi :

- hauteur : - (opposition) grave/aigu- espace continu/discontinu- espace mobile/immobile

- tempo : - temps continu/discontinu - temps mobile/immobile

- volume : (dynamique) fort/faible

Le timbre lui peut provenir du bois, du métal ou du cuivre. Ces troismatériaux constituant les principales sources de la matière sonore. Signalons qu’ils’agit ici d’une classification différente de celle qui repose sur les différentsmatériaux du corps vibrant (cordophones, métallophones…)

Quelques explications : ce sont les combinaisons des catégories individuellesprises entre elles (temps continu, volume fort, par exemple…) qui forment uneunité dans le style sonoristique et la narration musicale peut être schématisée augré de l’emploi de ces catégories et de leurs combinaisons. En d’autres termes,l'émergence d'un type de texture ne dépend pas de l'action d'une composanteunique mais du jeu conjugué des différents paramètres : espace, hauteurs et temps.Le travail compositionnel consiste à faire converger les différentes configurationsde hauteurs, durées et même d’espaces qui feront apparaître telle ou telle texture.

Il est aisé d’illustrer schématiquement par une rosace (document annexe 1)l’étendue des possibilités que ce système permet en matière de texture sonore. Lamusicologue Danuta Mirka a élaboré toute une présentation des textures dans lespartitions « sonoristes » de Penderecki au moyen de signes + et – appliqués àchaque paramètre rencontré dans une séquence. ( voir document annexe 2a et 2b)Ce « système » peut être utile à l’analyste, comme aux « malaxeurs » de texturesque sont les compositeurs.

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Pour conclure, nous préciserons que, tout à fait singulier, le courant sonoristen’est pourtant pas très éloigné de préoccupations de compositeurs d’autres payscomme l’ « aural sonology » du norvégien Lasse Thoresen, l’école spectralefrançaise ou la micro-polyphonie de G. Ligeti, mais peut-être les a-t-il précédé…

B- La notion de texture stricto sensu

La notion de texture a été approfondie par la suite par de nombreuxcompositeurs et musicologues et il nous a semblé opportun d’en présenter lesgrandes lignes.

1 - Différentes définitions et acceptions du terme

« Par texture, on entend l’interaction de parties vocales ou instrumentalesdistinctes qui sonnent ensemble », Joël Lester

« Le terme texture vient du verbe désignant l’action de tisser (XVème siècle),initialement à propos des tissus organiques. Terme qui s’étend par analogie(XVIIIème siècle) à l’arrangement, à la disposition des éléments », Jean-YvesBosseur

« La texture peut être définie comme structure ou arrangement des partiesconstituantes », Reginald Smith-Brindle

On classe traditionnellement les textures en trois catégories :

- textures homophoniques et monophoniques, constituées d’unepartie principale et de son accompagnement ou d’une partie sonore unique

- textures polyphoniques, constituées de plusieurs parties derelativement même importance qui sonnent ensemble

- textures hétérophoniques, constituées par la superpositions departies ornées relatives à une même mélodie

Nous devons préciser d’emblée que le genre précis ou la nature du contrepointne peut être décrit par une telle terminologie. En parlant de texture à propos desoeuvres contemporaines, on se réfère au caractère général du son plutôt qu’à untype précis de construction. La texture sonore est en quelque sorte un premierguide pour l’auditeur. Elle se présentera en plusieurs reliefs qui peuvent êtredécrits en des termes comme densité, linéarité, homogénéité, régularité,progression…

Par contre, la texture peut permettre d’envisager une séquence sonore de manièreplus flexible que lorsque l’on conçoit une structure où les rapports entre les sonssont étroitement déterminés, selon Jean-Yves Bosseur.

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La notion de texture, entendue comme cela, permettrait de mettre en évidence lesénergies sonores et de les rendre perceptibles par une première approche formelledans des œuvres où celle-ci est d’une extrême complexité.

Très éclairante se trouve à ce propos l’approche des textures dans le mondevégétal. La texture d’une mousse par exemple n’a pas de forme par elle-même,elle se coule à l’intérieur d’un moule qui délimite son étendue. Par exemple, leslichens épousent la forme de la roche sur laquelle ils s’agrippent. Aussi pour nous,la texture d’un passage vient se greffer sur la forme compositionnelle, elle n’estpas vraiment cette forme mais peut en donner une premier approche, un aperçu,elle lui est dépendante et permet de l’entrevoir, de la confirmer… C’est pourquoi,dans la musique que nous allons étudier, la texture se situe au niveau de la couchede timbre. Elle peut être une notion très utile qui permet une première approcheformelle, notamment dans le cas de partitions très complexes comme nombre departitions contemporaines…

Par contre, les textures peuvent être, selon nous, différenciées de manièreautonome dans leur forme, c’est à dire qu’elles peuvent être obtenues selon desrègles formelles qui leurs sont propres (cf. modélisations mathématiques : règlesde croissance et automates cellulaires, par exemple). Il devient alors tout à faitcompréhensible et envisageable de « composer » la texture comme l’a fait parexemple Ligeti, selon un corpus de procédés et de règles reconnaissables telle lamicro-polyphonie.

« Les textures peuvent être très variées, cela grâce aux multiples possibilitésde l’écriture ; plusieurs éléments concourent à leur différenciation : l’ambitus, lafusion ou l’individualisation des parties instrumentales et le degré de mouvement,d’agitation. De ce point de vue, deux grandes familles de textures se dégagent del’audition : l’une faite de lignes instrumentales savamment mêlées au point qu’ilest souvent impossible de distinguer les timbres individuels, l’autre représentéepar des textures beaucoup plus éclatées et agitées où les instruments ressortentnettement de l’ensemble. » précise Pierre Michel

En réalité, l’on emploie le terme texture à propos des œuvres contemporaines pourdésigner des combinaisons sonores irréductibles à des catégories pré-déterminées.Cette terminaison est utile pour des œuvres que nous rattachons au « stylearchaïque » - au sens noble du terme, et au même titre que l’on parle par ailleursde « style classique » ou de « style romantique ». (cf. définitions)

Style archaïque auquel nous rattachons cette première symphonie.

2 - Le discours des compositeurs sur la texture

Le compositeur français Pierre Boulez continue à fixer tous les paramètresde la texture musicale dans leurs moindres détails. Même s’il louvoie peu avec lesformes d’organisation traditionnelles de ses stuctures : polyphonie, hétérophoniemais aussi polyphponie de polyphonie, hétérophonie de polyphonie, etc. Pour lui,il s’agit de fixer des critères de combinaison ou d’amènagement de ses« organismes sériels ». En extrapolant un peu, nous pourrions parler de la

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« texture de ses structures ». Il reconnaît cependant que le domaine textural s’estconsidérablement élargi et il lui attribue une nouvelle classification. Ainsi parle-t-il de la dimension (horizontale, diagonale et verticale) d’un côté, et de l’emploiindividuel ou collectif de ses structures. Il en déduit tout un ensemble decombinaisons, ou d’ordres, pouvant rendre compte de l’organisation syntaxique deson langage. Cette démarche, bien que sur un autre plan, est du même ordre quecelle présentée par Danuta Mirka à propos des textures pendereckiennes dans lesens où toutes les deux permettent de caractériser des textures très spécifiques aumoyen de combinaisons de différents facteurs. Notons d’ailleurs qu’il n’y a pas,selon nous, d’opposition de principe entre la technique sérielle et la musique « detexture », la différenciation des deux techniques se situe selon nous sur un autreplan.

« Plutôt que de parler de contrepoint, de polyphonie, de mélodieaccompagnée, etc., il serait possible de catégoriser différents types de textures. »précise le compositeur Tristan Murail. Pour le compositeur de musique spectrale,une image musicale complexe est composée de textures et d’objets… Pour l’écolespectrale – pourtant réticente à l’idée d’emploi systématique de la notion detexture, trop attachée à la recherche de matériaux nouveaux - la texture est unfacteur d’organisation susceptible de favoriser l’émergence de nouveaux modèlessonores.

Cette autre citation du même compositeur résume à elle seule l’attitude detoute cette nouvelle tendance dans laquelle nous incluons sans conteste lemouvement sonoriste :

« On a commencé à penser en termes de masses et non plus de lignes, de points,de contrepoints. La véritable révolution de la musique au XXème siècle se situelà. Basculement de la conception de l’écoute qui a permis d’entrer dans la matièresonore, au lieu d’empiler des briques ou des couches successives. Il y a oppositionentre la manière traditionnelle d’écrire la musique, par empilement et combinaisond’éléments et une méthode synthétique qui consiste à sculpter la musique endégageant les détails à partir d’une approche globale. »

G. Ligeti lui, a une approche organique de la texture : « On entend par textureun complexe (plus) homogène, moins articulé, dans lequel les élémentsconstitutifs se dissolvent presque complètement. Une texture doit (plutôt) êtredécrite d’après ses caractéristiques globales, statistiques. » György Ligeti

Le compositeur norvégien Lasse Thoresen est l’auteur de toute une théorie surles textures, auxquelles il associe les couches et les strates, etc. Au sein destextures musicales, il a remarqué que certaines couches étaient plus apparentesque d’autres, comme la couche de timbre dans la musique rock par exemple. « Les strates sonores sont la contrepartie des champs temporels – les champsétant des unités élémentaires successives (et composites), les strates étant desunités simultanées (et composites) dans la texture. Champs temporels et stratessonores forment pour ainsi dire la trame du tissu sonore de la musique. » LasseThoresen

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Le compositeur américain Elliott Carter partage les réticences de l’écolespectrale. Pour lui, la notion de texture risque de sous-entendre une attention tropimportante aux matières sonores au détriment de la dimension temporelle.

« On peut dès lors la mettre en relation avec la question de la morphologie del’objet sonore et se servir de la terminologie relative à l’intrication du coupleforme/matière: masse, timbre harmonique, dynamique, grain, allure, profilmélodique, profil de masse », ajoute Jean-Yves Bosseur

Pour résumer, nous dirons que l’on a vu émerger une réflexion sur la forme etsur la structure qui ne pouvait plus exclure la problématique de la texture.

3 – Un exemples d’emploi systématique de la texture

La pièce intitulée Textures enchaînées (1967) de J.P. Guezec met en scènequinze textures enchaînées qui obéissent à une direction allant de la « texture » laplus complexe (juxtaposition, superpositions, recouvrement, tuilages verticaux ethorizontaux) vers la texture la plus simple (juxtaposition seule).

4 - Essai de classification des textures

Avant de présenter une classification des textures, il peut être instructif ded’énumérer les facteurs influents sur la perception des textures, comme premièreapproche.

a - Facteurs influents sur la perception de la texture

Nous les limiterons à cinq : l’espace, le registre, le rythme, le timbre et lacouleur :

- la répartition dans l’espace, proximité plus ou moins grande desparties

- le registre, hauteur dans laquelle les parties se situent,grave/médium/aiguës

- le rythme : . égalité ou inégalité des niveaux d’activité pendant latexture

. prédominance des valeurs rapides ou lentes . synchronisation des changements intervenant dans lesdifférentes parties de la texture

- timbre

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- couleur tonale, fondu ou contrasté

b - Une typologie des textures

Nous présentons succinctement ici celle proposée par Anne-Sylvie Barthel-Calvet

On peut, selon la musicologue, distinguer deux grandes catégoriescorrespondant à deux modalités opposées du traitement de la masse : les texturesde dispersion sonore et les textures de fusion sonore.

I – Les textures de dispersion sonore

Le critère de distinction repose sur la perceptibilité d’une organisationlinéaire ainsi que sur des critères morphologiques.

A – Les textures de nuages

Elles se caractérisent par l’irrégularité d'au moins un des paramètres. L’on ytrouve une multiplicité et une indépendance totale des événements sonores (sansstructuration linéaire, c’est-à-dire sans mouvement mélodique).

Trois possibilités :

1. Répartition irrégulière des évènements sonores dans l'espacehauteur/temps

2. Répartition temporelle irrégulière des évènements sonores 3. Variation de hauteurs sur une répartition temporelle régulière

B – Les textures multilinéaires

Elles se caractérisent par des hauteurs stables dans un contexte derégularité rythmique. L’on y trouve une superposition de lignes plus ou moinsindépendantes, comme par exemple des strettes superposées…

Deux cas de figure :

1. Arborescences

2. Répartition irrégulière des événements sonores dans l'espacehauteur/temps

II – Les textures de fusion sonore

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Ce sont les textures linéaires (mélodie) et les textures verticales (agrégats)

A - Textures uni-linéaires

La mélodie peut être présente dans différentes strates agencées selon desmicro-décalages rythmiques. Les strates fusionnent alors en une seule structureprésentant un trait mélodique épais, parfois diffracté.

1. Superposition de lignes parallèles

Celle-ci peut être obtenue par une écriture homorythmique.

2. Micro-décalages temporels d'une même structure mélodique

Ici, une seule structure mélodique se retrouve dans les différentes lignessuperposées, comme dans l’hétérophonie réalisée au moyen d’une polymétrie. Lanotion de vitesse peut être introduite comme nouvelle donnée paramétrique(fusion d'évènements sonores rapprochés grâce à une vitesse importante).

B - Textures de plans sonores mobiles

Nous la retrouvons par exemple dans l’écriture de Varèse par planssonores. Elle se caractérise par des entrées décalées aux différentes voix d'unagrégat qui se fige (et se délite parfois) progressivement. Les décalages peuventêtre réguliers ou irréguliers.

Mais pour rendre opérationnelle cette classification, il convient de couplerces catégories à d’autres concepts comme ceux de densité, vitesse…

La densité : elle peut s'appliquer tant dans la dimension de successiontemporelle que dans l'espace des hauteurs. La densité est forte ou faible. Unevariation de densité peut faire passer une même configuration rythmique d'unecatégorie texturelle à une autre (par exemple, passage d'une texture de nuage à unetexture multilinéaire pour une superposition de strates dotées d'une mêmestructure rythmique).

La vitesse : elle joue le rôle de catalyseur dans les phénomènes de fusionsonore. Par exemple, si l'intervalle de temps entre deux sons est inférieur au seuilde perception auditive, ces deux sons fusionnent et la multi-linéarité se fond enune seule structure de type uni-linéaire

Les décalages : ils permettent de différencier les textures multi et uni-linéaires. De très petits décalages contribuent au phénomène de fusion sonore, desdécalages plus importants favorisent l'individualisation des strates. Latranscription graphique peut mettre en évidence le passage d'une texture uni-

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linéaire en une texture multilinéaire. Les décalages peuvent avoir un maillagerégulier ou non

En réalité, nous voyons bien que nous dérivions vers les domaines de laperception et de la psycho-acoustiques et qu’il faudrait entreprendre une étudeplus approfondie dans la direction de la perception…

« Notre conscience de la texture extérieure est immédiate, tandis que notrereconnaissance de la structure intérieure est plus lente », comme le note ReginaldSmith-Brindle.

A la limite, toute étude sur la texture devrait reposer sur des critères d’ordreperceptif, et il est sans doute possible de démontrer par des critèresmorphologiques ce qui s'impose dans la perception auditive.

Remarquons aussi qu’une autre classification possible pourrait reposer sur ladistinction entre l’aspect quantitatif de la texture, induit par la densité desévènements (le nombre des éléments et leur inscription dans un intervalle donné)et l’aspect qualitatif, engendré par la nature des interactions entre les diverscomposants.

En définitive, cette notion de texture est évolutive, et sera affinée au gré desnouvelles possibilités de traitement de la matière sonore par les compositeurs.L’idéal serait sans doute d’aboutir à un corpus de représentations graphiques,voire informatique des textures, du même ordre que ce que nous trouvons parfoissur les partitions de suivi – ou d’écoute – dans les musiques électro-acoustiques.Ce corpus permettrait au compositeur comme à l’analyste, ou tout simplementl’auditeur averti, d’identifier les textures et ou de les mettre à profit en fonctiondes effets recherchés.

II– Mise en évidence des textures dans l’œuvre dePenderecki

A - Un aperçu de l’utilisation des textures dans « Thrènes »comme exemple du style sonoriste de Penderecki

Cette analyse repose pour l’essentiel sur celle de M. Embeoglou présentéedans sa thèse intitulée La notion de texture dans la musique post-sérielle.

De manière générale, les textures de Penderecki sont claires et différenciées.Cela permet un découpage assez précis et net.

Le « Thrènes » (traduction « chant funèbre ») de Penderecki a été une œuvreimportante dans les années 1960. Œuvre clé de la période sonoriste, on a pu parlerà son propos de « composition texturale ». Nous l’abordons ici comme exempledu traitement de la texture en ce qui concerne l’orchestre à cordes par lecompositeur polonais : technique des clusters, notation quasi-graphique, massesonore, nuages de sons, effets bruitistes… Penderecki reconnaît d’ailleurs que les

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sonorités obtenues (parfois à la limite du soutenable) peuvent évoquer certainsévènements vécus par le compositeur lors de la seconde guerre mondiale (bruitsde sirènes ou de bombes, cris d’effrois…).

L’œuvre se divise en trois parties ( I : séquence 1 à 25 – II : seq 26 à 56 – III :seq 57 à 70). Dans cette musique, et dans une plus grande mesure que dans lesérialisme intégral, les composantes texturales traditionnelles comme la mélodieet l'harmonie sont absentes. On y retrouve la dialectique continu/discontinu : lemouvement sonore y est continu (clusters, disparition des notes individuelles)dans les première et dernières parties et discontinu (« points sonores » oupointillisme) dans la deuxième partie .

Le système de notation est spatial et les unités rythmiques (séquences) sontmesurées en secondes (la première dure quinze secondes, la deuxième onze…).

L’orchestre formé uniquement d’instruments à corde n'est pas organisé selonla répartition en cinq voix. Chaque instrument joue une partie indépendante, enfacilitant l'apparition de textures extrêmement denses. K. Penderecki utilise la« technique des groupes » : chaque groupe d'instruments est traité de façon àproduire un évènement indépendant. On trouve, par exemple, une bonneillustration de cette technique dans Gruppen de Stockhausen.

Examinons la deuxième partie (séquence 26 à séquence 56) dont le travailtexturale nous semble emblématique de l’écriture de Penderecki au cours de cettepériode. L’on y trouve en effet une illustration très intéressante de la technique degroupe : Penderecki a recours à trois groupes composés de la même manière ( 4violons, 3 altos, 3 violoncelles et 2 contrebasses), la traditionnelle division parpupitre n’est plus pertinente ici. (voir document annexe 3) Nous sommes enprésence de trente-deux solistes élaborant une « texture dense et fragmentée » (M.Embeoglou) alors que dans la première partie l’orchestre était traité par blocssonores ou clusters. Au début, seul le premier groupe est utilisé, par la suite lesdeux autres groupes viennent se superposer, ce qui produit du point de vuedynamique un effet de crescendo. Ce passage est une bonne illustration de ce queM. Embeglou appelle des textures polyrythmiques « donnant une impression defluctuation de la masse sonore ».

Bien que la complexité des « voix » individuelles comme des relations quiles relient entre elles convienne à cette œuvre, il se produit un effetd’accumulation textural. Dans le passage de transition entre la deuxième partie etla troisième partie, il y a superposition de la texture principalement pointilliste dela section intermédiaire et de la texture plus soutenue de la dernière section.

La troisième section se déroule selon un geste essentiellement continu, danslequel se produit un cluster, qui atteint son climax, et qui explose dans un tripleforte à la séquence 70. Celui-ci est maintenu trente secondes tandis que le niveaudynamique diminue et la pièce se termine en disparaissant dans un silence, quirappelle la fin de la première section.

B – Les symphonies de K. Penderecki

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A propos des symphonies

« Pleinement conscient de la difficulté de la tâche, je me tourne donc vers laforme de la symphonie pour y inscrire, en les transformant, les expériences denotre temps. Chaque fois que je posais ici la question du sens et de la possibilitéde construire une arche, je pensai au fond de moi à la symphonie, cette archemusicale, qui permettrait de préserver, pour les générations à venir, tout ce quenotre XXème siècle a apporté de meilleur dans l’histoire de la composition dessons. »

« Il n’est pas étonnant que la forme de la symphonie commence à revivremaintenant, à la fin d’une époque. La symphonie est une structure large etouverte. Il faut avoir de quoi la remplir. Arrivé au bout de ses possibilités, leXXème siècle a naturellement besoin d’une récapitulation. »

Tels sont les propos tenus par Penderecki à propos de sa démarche en matièresymphonique.(« Le labyrinthe du temps, cinq leçons pour une fin de siècle, K.Penderecki, ed. Noir sur blanc

Les sept symphonies de K. Penderecki

1- Première symphonie commandée en 1973 par la firme Perkins Engines, créée le19 juillet dans la Cathédrale de Peterborough par le London Symphony Orchestrasous la direction de Penderecki

2 - Deuxième symphonie (Christmas Symphony)avril 1980 commande de ZubinMehta pour l’Orchestre philharmonique de New York. Créée le 1er mai 1980 auAvery Fisher Hall

3 - Troisième symphonie. Ecrite de 1988 à 1995

4 - Quatrième symphonie. Commande du secrétaire d’Etat pour les relationsinternationales culturelles et Radio-France pour l’Orchestre National de France.Créée le 26 novembre 1989 à Paris sous la direction de Lorin Maazel.

5- Cinquième symphonie – Créée à Séoul, le 14 août 1992 sous la direction ducompositeur

6 - Sixième symphonie – inachevée. Elle devait être un hymne à la forêt.

7 - Septième symphonie « Les portes de Jérusalem ». Ecrite en 1996 à l’occasiondes trois mille ans de Jérusalem. Commandée par la ville de Jérusalem etl’orchestre symphonique de la radio bavaroise. Créée par Lorin Maazel le 9janvier 1997 dans la vieille ville de Jérusalem.

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8. Huitième symphonie – « Lieder der Vergänglichkeit » - créée en juillet 2005

1 - La première symphonie

a- le contexte

Elle fût écrite en 1973 à l’âge de quarante ans :

« J’avais alors tenté de faire le bilan de vingt années d’expérience musicalesqui avaient été le temps de l’avant-garde et des recherches les plus radicales. Cettesymphonie, c’était la somme de ce que j’étais en mesure d’exprimer en tantqu’artiste d’avant-garde. L’ensemble en quatre parties symétriques – Archè I,Dynamis I, Dynamis II, Archè II – témoignait d’une volonté de reconstruire lemonde sur de nouvelles bases. La grande destruction, inhérente à la logique del’avant-garde, impliquait en même temps le désir d’une nouvelle cosmogonie. »

La forme de la symphonie est donc conformément aux préoccupations ducompositeur… une grande arche. Arche 1 peut être considérée commel’exposition, Dynamis 1 comme le premier développement, Dynamis 2 le seconddéveloppement et Arche 2 la réexposition.

L’œuvre fait suite à une commande de la firme anglaise Perkins Engines et aété créée le 19 juillet 1973 dans la Cathédrale de Peterborough par le LondonSymphony Orchestra sous la direction du compositeur. Sans nous étendre sur laquestion, mentionnons tout de même que cette firme anglaise fabriquait desmoteurs à explosion à destination des locomotives. D’aucun ont pu voir dans lessonorités utilisées par le compositeur une évocation des sons et des mouvementsengendrés par les trains…

Comme nous l’avons dit, l’on retrouve dans cette symphonie l’ensemble dumatériau musical élaboré par le compositeur au cours de sa période dite« sonoriste ».

L’orchestre est traité selon la technique des groupes : le groupe despercussions, le groupe des vents, le groupe des cuivres et le groupes des cordes.Chaque pupitre étant en général divisé en sous-groupes. Une grande diversité detypes de textures en résulte.

La deuxième partie Dynamis I en présente un très grand nombre.

b - Analyse de Dynamis 1

Cette partie commence par une longue tenue aux deux cors sur la notecentrale LA. Les instruments à cordes commencent par des glissandi sur deuxcroches dans des ambitus restreints enchaînés sur des notes tenues. Cela produitun effet de clusters « mouvants » stabilisés par la tenue du La aux cors. (voirannexe document 4) Petit à petit les intervalles s’élargissent jusqu’à une distancede quinte descendante. S’élabore ensuite un contrepoint en imitation aux cordessur des motifs chromatiques très resserrés au quart de ton. S’ensuit une séquence

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polyrythmique qui met en jeu sept rythmes différents joués chacun par un grouped’instruments alors qu’harmoniquement le même principe d’une note centralefluctuant aux quarts de tons supérieurs et inférieurs semble se préciser. (voirdocument annexe 5) La texture de ce passage est très dense du fait de la polyrythmie et l’intensitéest à son comble lorsque les vents concluent la séquence sur un accord stridentdouble forte.

Les cors font à nouveau entendre la note centrale LA qui sera accompagnéecette fois par les cuivres dans une texture identique à celle des cordes dans lepassage précédent. Au chiffre 6a s’ajoutent les vents après que les cuivres ont faitévoluer un accord en jouant sur un effet saisissant de notes répétées dans desrythmes différents.

Des harmoniques de cordes créant un effet de balancement se font ensuiteentendre en alternance avec des glissandi aux vents. (voir document annexe 6) Lespetites percussions sonnent comme des scintillements alors que les vents fontentendre des enchaînements de différentes tierces sur des rythmes quasi-aléatoirealternativement avec des glissandi de pizzicati aux cordes. (voir document annexe7) Puis la texture élaborée par les pizzicati se complexifie avant d’être reprise parles cuivres ainsi que les percussions auxquelles s’ajoutent les claviers.

La texture résultante au chiffre 10 nous ramène à une technique pointillisteproche du sérialisme. C’est pourquoi, il ne nous paraît pas opportun de classercette musique radicalement derrière telle ou telle technique. Même dans la périodesonoriste, on trouve dans les partitions de Penderecki une trace du sérialisme(dans la deuxième partie de Thrènes par exemple, à partir de la séquence 26, lemusicologue Gérard Denizeau a identifié une série, même si elle n’est plusperceptible à l’audition). Tout ce qui se passe au chiffre 10 ne peut manquer denous faire penser ( l’emploi des percussions à la manière du gamelang ! ) auxsonorités très typées et aux textures paramétrées par les meilleurs « sérialistes »comme par exemple le français Pierre Boulez. (voir document annexe 8) Lepassage se termine sur une seul note do jouée à la harpe après un effet derétrécissement ( procédé par élimination ?) de la texture.

Dans la section suivante, les quatre cors font entendre simultanément unaccord de la mineur et un accord de la majeur (ambiguïté que nous n’osonsqualifier de tonale !) alors que les violons font entendre des gammes chromatiquesascendantes et descendantes suivis par les violoncelle et les contrebasses. Laséquence se termine par un glissando descendant decrescendo aux violonsproduisant un effet spatial d’éloignement tout à fait saisissant (voir documentannexe 9). Le passage suivant n’est qu’une succession de ces mêmes effetsd’éloignement et de rapprochement reposant sur une compréhensionexceptionnelle de la spatialité sonore. Nous ne pouvons non plus développer cettequestion ici mais il est bien évident qu’il y a des relations étroites entre les typesde textures mises en œuvre et le travail sur l’espace et la spatialisation des sonsrecherchée par le compositeur.

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Avant le chiffre 14, on retrouve aux basses des notes répétées que l’onretrouve tout le long de la partition et qui sonnent comme un Leitmotiv. (voirdocument annexe 10)

La section qui suit rappelle le début de cette partie Dynamis 1 avec cettefois un chromatisme de quarts de tons en double croches. Les cuivres se répondentdans un jeu spatial là encore tout à fait convaincant au milieu d’un cluster formantun paysage sonore d’arrière plan démontrant là aussi les liens entre texture etespace. Les enchaînements chromatiques se font à nouveau entendre avant unepolyrythmie qui démultiplie les composantes de la texture produisant un effet derelief sonore, ou « texture polyrythmique ». (voir document annexe 11) Peut-êtrela comparaison avec une image en trois dimensions n’est-elle pas fortuite tantnous semblons être sortis de tout contexte linéaire… Toujours est-il que lesdifférentes voix des cordes s’amassent dans un furieux tumulte, rejointes par lesvents dans une bruyante poussée sonore, jusqu’à un hurlement furioso !

Ce premier développement se termine sur un effet d’éloignement type « fade-out » et ce motif lancinant de notes répétées (La bémol cette fois) auxvioloncelles et contrebasses.

Note : l’analyse que nous venons de présenter nous est personnelle. Elle ne serecoupe pas forcément avec les classifications et typologie que nous avonsprésentée dans notre première partie. Notre objectif visait avant tout à mettre enrelief la très grande diversité des textures utilisées par le compositeur, à l’aided’une terminologie la plus évocatrice possible, au détriment peut-être de larigueur analytique.

2 - Traces et apports du « style sonoriste » (cf. textures…) dans lessymphonies néo-romantiques : la deuxième symphonie

Il nous a semblé opportun d’évoquer la deuxième symphonie car ellemarque un retour dans l’œuvre du compositeur a un style que lui-même qualifiaitde néo-romantique. Ce « retour à la tradition » lui a d’ailleurs été reproché etsemble avoir été mal compris par une bonne partie de l’avant-garde qui n’a jamaisvraiment pardonné à K. Penderecki ce « volte-face ». Dans cette symphonie « Dela veillée de Noël », Penderecki renoue de manière pleinement assumée avec latradition (de Wagner à Chostakovitch, en passant par Brückner, Mahler…).

Sa musique se fait ici plus humaine, plus intérieure mais ce qui nousintéresse ici, c’est qu’elle porte aussi la marque de ses premières expériences(chromatisme, technique des groupes…). Tout se passe comme si ses« trouvailles » antérieures venaient irriguer une manière d’écrire qui, sans cela,serait bien archaïque. Nous avons le sentiment en écoutant cette symphonie queK. Penderecki a transposé ses textures dans un contexte très proche de l’ancienne

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tonalité. Ces textures donnent à l’œuvre une densité extraordinaire. Car ce sontbien des masses sonores (le thème de basses dans le premier mouvement !) dont ils’agit, plus que de traitements individuels. L’on retrouve même certains rythmeshachés de la première symphonie dans le traitement des cuivres et despercussions. Les sonorités stridentes des cordes et les aigus des vents n’ont pasdisparus et réapparaissent à maintes occasions.

Le génie de cette symphonie réside selon nous dans la mélodie. Celle-ci estcomplètement sous l’ « empire » du chromatisme et pourtant la grande phrase etles longs développements lyriques jalonnent toute l’œuvre. Il n’est pas excluqu’une analyse approfondie de la partition mettrait en évidence l’emploi de sériesor – et cela restera semble t-il une préoccupation constante du compositeur pour lereste de son œuvre ( la septième symphonie !) – nous ne nous sentons à aucunmoment dans un « univers sériel ».

Conclusion

Les symphonies trois et quatre sont toutes empruntes de néo-romantisme.La quatrième est un long adagio poignant qui rappelle Brückner. La septièmesymphonie est une œuvre magistrale avec chœur et solistes, peut-être l’œuvremajeure du compositeur à ce jour. Tout y est et il faudrait y consacrer un ouvrageentier pour en faire ressortir toute la richesse. La sixième est à ce jour inachevée etle compositeur voulait en faire un hymne à la forêt qui disparaît chaque jour unpeu plus de notre planète (Penderecki se définit lui-même comme arboriculteur entant que deuxième métier….

Avec sa huitième symphonie, Penderecki semble avoir franchi une énièmeétape. Peut-être est-ce l’œuvre la plus « naturaliste du compositeur ». On yretrouve mêlées des sonorités que ni Messiaen ni Stravinsky n’auraient renié. Latexture d’ensemble y est beaucoup plus transparente et le tout est plus coloré quedans les symphonies précédentes. K. Penderecki s’est attaché ici à une peinturetouchante de la nature sans jamais tomber dans le pathos et laissant quelque peude côté ses élans néo-romantiques pour mettre à profit ses recherches en matièrede sonorités.

Note : n’ayant pu approcher la partition de cette œuvre, nous nous appuyons icisur nos impressions lors de son audition au festival Présences à Radio-France(Paris ) en février 2006.

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Table des matières

Avant-propos-----------------------------------------------------------------------------2Introduction-------------------------------------------------------------------------------3

- L’« Ecole polonaise » - éléments biographiques – « Automne a Varsovie » - Les phases stylistiques de l’œuvre de K . Penderecki----------------------4

I – Présentation de la notion de texture-------------------------------------------------5 A – Le sonorisme B – La notion de texture stricto sensu-----------------------------------------6 1 – Différentes définitions et acceptions du terme--------------------7 2 – Le point de vue des compositeurs-----------------------------------8 3 – Un exemple d’emploi systématique de la texture-----------------9 4 - Essai de classification des textures----------------------------------10 a - Facteurs influents sur la perception de la texture b - Une typologie des textures

II– Mise en évidence des textures dans l’œuvre de Penderecki----------------------11

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A - Un aperçu de l’utilisation des textures dans « Thrènes » commeexemple du style sonoriste de Penderecki

B - Mise en évidence (analyse) des textures dans l’œuvre symphonique dePenderecki-----------------------------------------------------------------------------------12

A propos des symphonies------------------------------------------------13 Les sept symphonies de K. Penderecki

1 - La première symphonie (1973)---------------------------------------------16 a- Le contexteb- Analyse de Dynamis I

2 - Traces et apports du style « sonoriste » (cf. textures…) dans lessymphonies neo-romantiques : deuxième symphonie---------------------------------18

Conclusion ---------------------------------------------------------------------------------19

Bibliographie-------------------------------------------------------------------------------20

Documents annexes------------------------------------------------------------------------21

Bibliographie

H. Schiller : „ Po prawykonaniu“ Wymiarow czasu i ciszy“ KrzysztofaPendereckiego, Ruch muzyczny (1960), no.21, p.5

M. Wallek-Walewski`Z warsztatu mlodych kompozytoròw: w kregu poszukiwanmaterielowych – Krzysztof Penderecki’ [From the young composers’ workshop:in the sphere of research material – Penderecki], Ruch muzyczny (1960), no.17,p.1

T.A. Zielinski: `Der einsame Weg des Krzysztof Penderecki´, Melos, xxix (1962),318

T. Kaczynski: ´ „ Polimorfia“ Krzysztofa Pendereckiego´’, Ruch muzyczny(1963), no.22, p.17

T.A. Zielenski: ´’“ Fluorescencje“ Krzystofa Pendereckiego“, Ruch muzyczny(1964), no.2, p.5

B. Pociej: „ Krzystof Penderecki: en traditionell kompositòr” Nutida musik, viii/1-2 (1965-6)

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K. Penderecki – Le labyrinthe du temps, cinq leçons pour une fin de siècle, Leséditions noir sur blanc, 1998 (traduit du polonais par François Rosset)

La notion de texture dans la musique du vingtième siècle, textes rassemblés etprésentés par P. Michel dans la revue Analyse Musicale du premier trimestre 2001(p. 50 à 103)

Texture in Penderecki’s sonoristic style, article en ligne de Danuta Mirka

Krzysztof Penderecki his life and work, Wolfram Schwinger, edition Schott(p.151 à 155)

La notion de texture dans la musique post-sérielle, Michaïl Embeoglou, thèse dedoctorat de musicologie, directeur de recherche Manfred Kelkel, université deParis-Sorbonne (Paris IV) juin 1997 (p. 369 à 406)

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