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INTRODUCTION A LA TRADITION DES BESTIAIRES FRANÇAIS (XIIe-XIIIe siècles) Baudouin Van den Abeele a donné en 2005 une excellente définition du bestiaire comme genre : selon lui, les bestiaires se présentent comme des « recueils de notices brèves consacrées à des animaux (et parfois quelques plantes et pierres), dont les propriétés ou le comportement évoqués donnent lieu à une interprétation allégorique, morale ou sociale. » 1 Cette définition manque toutefois de préciser qu’il ne convient de parler de « bestiaire » qu’à partir du moment où la matière héritée du Physiologos est « contaminée » par l’apport de sources extérieures, notamment encyclopédiques : les Etymologiae d’Isidore dans un premier temps, puis le Polyhistor de Solin, qui reprend les livres VIII à XI de l’Historia naturalis de Pline. Toutefois, le Physiologos fonctionnait déjà en son temps d’une manière similaire aux bestiaires du Moyen Âge central. Aussi convient-il de revenir sur le modèle du genre, le Physiologos, et sur ses traductions dans le monde latin. Le Physiologos en effet informe les mécanismes herméneutiques du bestiaire au moins jusqu’au début du XIII e siècle. A Le Physiologos grec Le Physiologos 2 est un ouvrage anonyme, peut-être collectif, probablement rédigé au II e siècle après J.-C. 3 en terre égyptienne. L’ouvrage, intitulé d’après le pseudonyme de son auteur, le Physiologos (Φυσιολόγος) – s’il ne s’agit en réalité du nom donné par l’auteur à sa propre source , réunit un ensemble de quarante-neuf « notices » de structure bipartite : une narration, suivie d’une exégèse. Dans l’esprit, le Physiologos procède d’un courant d’exégèse caractéristique de la ville d’Alexandrie (le Didascalée). Ce courant, qui s’est développé dans les années 180 par l’entremise de saint Pantène et fut repris par Clément d’Alexandrie, s’opposait à une lecture littérale des Ecritures et tentait d’en donner une lecture symbolique. Arnaud Zucker, dans l’excellente édition qu’il a récemment donnée du Physiologos 4 , a mis en lumière la portée que cet ouvrage pouvait avoir dans le contexte religieux des premiers 1 Baudouin Van den Abeele, « Introduction », Bestiaires médiévaux. Nouvelles perspectives sur les manuscrits et les traditions textuelles, dir. Baudouin Van den Abeele, Louvain-la-Neuve, Institut d'études médiévales, 2005, p. vii. 2 Afin d’éviter toute confusion, nous emploierons Physiologos pour désigner l’original grec et Physiologus pour sa traduction en latin. 3 Pour connaître les arguments en faveur de cette datation, cf. Rudolf Riedinger, « Der Physiologos und Klemens von Alexandreia », Byzantinische Zeitschrift, 66, 1973, p. 273-307. 4 Physiologos, le bestiaire des bestiaires, éd. et trad. Arnaud Zucker, Grenoble, Jérôme Million (« Atopia »), 2005 [1 e éd. 2004].

Introduction à la tradition des bestiaires français (XIIe-XIIIe siècles)

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INTRODUCTION A LA TRADITION DES BESTIAIRES FRANÇAIS

(XIIe-XIIIe siècles)

Baudouin Van den Abeele a donné en 2005 une excellente définition du bestiaire comme

genre : selon lui, les bestiaires se présentent comme des « recueils de notices brèves consacrées

à des animaux (et parfois quelques plantes et pierres), dont les propriétés ou le comportement

évoqués donnent lieu à une interprétation allégorique, morale ou sociale. »1 Cette définition

manque toutefois de préciser qu’il ne convient de parler de « bestiaire » qu’à partir du moment

où la matière héritée du Physiologos est « contaminée » par l’apport de sources extérieures,

notamment encyclopédiques : les Etymologiae d’Isidore dans un premier temps, puis le

Polyhistor de Solin, qui reprend les livres VIII à XI de l’Historia naturalis de Pline. Toutefois,

le Physiologos fonctionnait déjà en son temps d’une manière similaire aux bestiaires du Moyen

Âge central.

Aussi convient-il de revenir sur le modèle du genre, le Physiologos, et sur ses traductions

dans le monde latin. Le Physiologos en effet informe les mécanismes herméneutiques du

bestiaire au moins jusqu’au début du XIIIe siècle.

A – Le Physiologos grec

Le Physiologos2 est un ouvrage anonyme, peut-être collectif, probablement rédigé au IIe

siècle après J.-C.3 en terre égyptienne. L’ouvrage, intitulé d’après le pseudonyme de son auteur,

le Physiologos (Φυσιολόγος) – s’il ne s’agit en réalité du nom donné par l’auteur à sa propre

source –, réunit un ensemble de quarante-neuf « notices » de structure bipartite : une narration,

suivie d’une exégèse.

Dans l’esprit, le Physiologos procède d’un courant d’exégèse caractéristique de la ville

d’Alexandrie (le Didascalée). Ce courant, qui s’est développé dans les années 180 par

l’entremise de saint Pantène et fut repris par Clément d’Alexandrie, s’opposait à une lecture

littérale des Ecritures et tentait d’en donner une lecture symbolique.

Arnaud Zucker, dans l’excellente édition qu’il a récemment donnée du Physiologos4, a

mis en lumière la portée que cet ouvrage pouvait avoir dans le contexte religieux des premiers

1 Baudouin Van den Abeele, « Introduction », Bestiaires médiévaux. Nouvelles perspectives sur les manuscrits et

les traditions textuelles, dir. Baudouin Van den Abeele, Louvain-la-Neuve, Institut d'études médiévales, 2005,

p. vii. 2 Afin d’éviter toute confusion, nous emploierons Physiologos pour désigner l’original grec et Physiologus pour

sa traduction en latin. 3 Pour connaître les arguments en faveur de cette datation, cf. Rudolf Riedinger, « Der Physiologos und Klemens

von Alexandreia », Byzantinische Zeitschrift, 66, 1973, p. 273-307. 4 Physiologos, le bestiaire des bestiaires, éd. et trad. Arnaud Zucker, Grenoble, Jérôme Million (« Atopia »), 2005

[1e éd. 2004].

siècles : « Le Physiologos semble réaliser l’objectif de l’enseignement et de la catéchèse de

Clément d’Alexandrie, figure majeure de ce double héritage, à savoir instruire les Chrétiens et

convertir les Grecs païens. […] Il opère une synthèse ponctuelle de la culture grecque et de la

spiritualité judéo-chrétienne, des connaissances antiques sur le monde animal et de la foi

chrétienne ».5

De fait, le Physiologos adapte la méthode alexandrine afin de permettre l’élucidation

non pas du sens des Ecritures mais de celui de la Création, considérée comme un livre rédigé

par Dieu.

Le Physiologos a donné lieu à diverses « collections » : la 1ère collection, dite

« chrétienne », est représentée par 23 manuscrits et comporte 49 notices. Les 2ème et 3ème

rédactions, dites « byzantine » (27 mss.) et « pseudo-basilide » (30 mss.), greffent quant à elles

un certain nombre de nouvelles notices à la 1ère collection : elles sont datées des XIe et XIIe

siècles6, soit bien après la première rédaction.7

De fait, les bestiaires latins et français dérivent tous de la 1ère collection, telle qu’elle fut

traduite dès la fin du IVe siècle dans la péninsule italienne.8

B – Le Physiologus latin et ses dérivés

La première collection du Physiologos a donné naissance à quatre traductions en latin,

différentes non seulement par leur degré de fidélité au texte grec mais également par leur

nombre de chapitres : la rédaction Y9, la plus fidèle au texte grec, comporte quarante-neuf

chapitres, comme l’original grec, là où les rédactions A et B n’en conservent que 36 environ10 ;

la rédaction C se caractérise quant à elle par un nombre singulièrement réduit de chapitres (26)

et montre une parenté certaine avec la traduction éthiopienne11.

La quasi totalité des bestiaires ultérieurs dérivent de la rédaction B.

5 Ibid., p. 41. 6 Cf. Ben Edwin Perry, « Physiologos », Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, vol. XX,

Stuttgart, 1941, col. 1114. 7 On dénombre ainsi un ensemble de 80 manuscrits : aux 77 manuscrits mentionnés par Francesco Sbordone dans

son édition (Physiologus, Milan, Società Anonima Editrice « Dante Alighieri », 1936, p. xiii-xxix), il convient

d’ajouter les trois manuscrits indiqués par Stavros Lazaris dans : « Le Physiologus grec et son illustration :

quelques considérations à propos d'un nouveau témoin illustré (Dujčev. gr. 297) », Bestiaires médiévaux…, op.

cit., p. 145, n. 15. 8 Concernant la datation des premières traductions latines, cf. Francis J. Carmody, Physiologus latinus : Editions

préliminaires. Versio B, Paris, Droz, 1939, p. 7-8. 9 La Version Y du Physiologus latin fut éditée en 1941 par Francis J. Carmody à partir de trois manuscrits (Y1, Y2

et Y3) : « Physiologus latinus Versio Y », University of California Publications in Classical Philology, XII, 1941,

p. 95-134. 10 La version A (36 chapitres), d’origine composite, est représentée par le ms. Bruxelles, Bibl. Roy., 10074, f.

140v-156v (Xe siècle) et fut éditée pour la première fois par Charles Cahier dans les Mélanges d’archéologie,

d’histoire et de littérature sur le Moyen Âge, II (1851), p. 106-232 ; III, 203-288 ; IV (1856), p. 55-87. La version

B (37 chapitres) est quant à elle représentée par le ms. Bern, lat. 233, f. 1-13 (VIIIe-IXe siècles) et fut éditée par

Francis J. Carmody en 1939 : op. cit. 11 La version C, représentée par le ms. Bern, Burgerbibliothek, lat. 318, f. 7-22v (IXe siècle), fut également éditée

par Charles Cahier, en vis-à-vis des versions A et B : cf. n. 10.

Entre le VIIe et le Xe siècle12, la rédaction B fut « contaminée » par l’ajout de passages

issus du livre XII des Etymologiae d’Isidore (†636)13, engendrant ainsi ce que l’on a appelé la

version B-Is du Physiologus. Ce phénomène a en quelque sorte donné naissance à ce qu’il

convient de désigner désormais du nom de « bestiaire »14.

Depuis les travaux de Montague Rhodes James à la fin des années 192015, il convient

de distinguer quatre familles d’inégale importance parmi les bestiaires issus de la rédaction B

et de diviser la première de ces quatre familles en trois sous-groupes (B-Is, H et T), à l’aide des

critères définis par Florence McCulloch en 1960.16

Nous laisserons de côté les deuxième17, troisième et quatrième familles, car les bestiaires

français dérivent tous de la première famille. Cette filiation s’explique par l’émergence tardive

des deuxième et troisième familles, respectivement datées des XIIe et XIIIe siècles : pour de

simples raisons de chronologie, ces deux familles n’ont pas pu avoir la même influence que la

première famille, qui était déjà fermement implantée à la fin du haut Moyen Âge.

Quant aux trois sous-groupes établis par Florence McCulloch pour la première famille

(B-Is, H et T), ils se distinguent essentiellement par leur structure. Si le sous-groupe B-Is

conserve l’ordre légué par la rédaction B, le sous-groupe H, désigné ainsi en raison de

l’attribution erronée qu’en a fait l’abbé Migne à Hugues de Saint-Victor, déconstruit

l’agencement d’origine.18 Le sous-groupe T (pour Transitional) adopte quant à lui, tantôt

l’ordre de B-Is, tantôt celui de H et tantôt celui d’Isidore de Séville.19

12 « When the additions were first made is not known, although the oldest manuscript that has been seen which

shows this change is Vatican, Palat. lat. 1074, f. 1-22 (Xe c.) », Florence McCulloch, Mediaeval Latin and French

Bestiaries, Chapel Hill, Univ. of North Carolina Press, 1962 [1re éd. : 1960], p. 29. 13 29 des 37 notices furent complétées par des citations d’Isidore : cf. Ibid., p. 29, n. 28. 14 Il n’est pas évident de définir ce qu’il convient d’entendre à proprement parler par « bestiaire » : a priori, le

bestiaire ne naît qu’à partir du moment où le Physiologus latin s’écarte d’un point de vue structurel du Physiologos

grec : aussi peut-on affirmer que l’âge des « bestiaires » commence avec l’apport des étymologies isidoriennes,

autrement dit avec les manuscrits regroupés par Florence McCulloch au sein du premier sous-groupe – B-Is – des

bestiaires latins. Cependant, on peut également estimer que le genre du bestiaire ne commence qu’avec l’ajout de

nouveaux animaux ; mais ce phénomène, de toute manière, s’était déjà produit dans deux des sept manuscrits du

sous-groupe B-Is : en plus des 37 notices d’origine, ces deux manuscrits évoquaient le loup, le chien, l’ibex et le

nicticorax… : cf. Florence McCulloch, ibid., p. 30. 15 Montague Rhodes James, The Bestiary : Being a Reproduction in Full of the Manuscript Ii.4.26 in the University

Library, Cambridge, Oxford, Roxburghe Club, 1928. 16 Florence McCulloch, op. cit. 17 Mentionnons toutefois, pour la deuxième famille, l’édition précieuse et richement informée qu’en a donnée

Willene Clark : A Medieval Book of Beasts: The Second-Family Bestiary. Commentary, Art, Text and Translation,

Woodbridge, The Boydell Press, 2006. 18 Le sous-groupe H correspond au deuxième livre du De bestiis et aliis rebus : le compilateur, anonyme, n’a pas

repris les oiseaux déjà mentionnés dans le livre précédent, souvent désigné du nom d’Aviarium et conçu par

Hugues de Fouilloi (†1172). Le remanieur anonyme du livre II ajoute cependant de nouveaux animaux (la vipère,

le lézard, le loup, etc.) et dédouble un certain nombre de notices préexistantes (éléphant, onocentaure, etc.),

parvenant ainsi à retrouver à peu près le même nombre de notices, c’est-à-dire 36. Le De bestiis et aliis rebus est

conservé dans la Patrologie Latine de Migne : vol. 177, Paris, 1855, col. 13-164. L’Aviarium fut édité par Willene

Clark : A Medieval Book of Birds: Hugh of Fouilloy's Aviarium, Binghampton (New York), Center for Medieval

and Early Renaissance Studies, 1992. 19 Cf. Florence McCulloch, op. cit, p. 28-34. Les problèmes posés par le sous-groupe de transition ont été

récemment abordés par Ilya Dines : « The problem of the Transitional Family of bestiaries », Reinardus, 24, 2012,

p. 29-52.

Probablement pour des raisons de chronologie là encore, les bestiaires français dérivent

pour la plupart du premier sous-groupe (B-Is) : le sous-groupe H date en effet du dernier quart

du XIIe siècle20, étant en stricte dépendance avec l’Aviarium, qui date quant à lui du troisième

quart du XIIe siècle. De ce fait, le sous-groupe H n’a pas eu le temps de supplanter le sous-

groupe précédent.

Etant donné son importance pour l’étude des bestiaires français, le sous-groupe B-Is a

fait, il y a fort longtemps, l’objet d’une édition par Max Friedrich Mann21 : il s’agit en réalité

d’une retranscription du texte conservé par le manuscrit Royal 2.C.XII du British Museum, qui

selon Max Friedrich Mann pourrait être à la source du Bestiaire divin de Guillaume le Clerc,

composé vers 1210.

C – Les bestiaires français

Du bestiaire de Philippe de Thaon au bestiaire de Cambrai en passant par le Bestiaire

d’amour, il est possible de recenser jusqu’à sept bestiaires en langue française, sur une période

allant des années 1120 aux années 1260.

1) Philippe de Thaon : première traduction en français du Physiologus

Le bestiaire de Philippe de Thaon est l’un des premiers textes littéraires en langue

française. Il se présente comme une traduction du Physiologus B-Is en octosyllabes (3194 vers).

Contrairement aux bestiaires ultérieurs de Pierre de Beauvais et de Guillaume le Clerc de

Normandie, celui de Philippe opère un réagencement habile dans l’ordre des notices contenues

dans B-Is. L’ouvrage est en effet structuré en trois parties distinctes : la première traite des

bestes (1 à 23 : du lion au cetus), la deuxième des oisels (24 à 34 : de la perdrix au nicticorax)

et la troisième de diverses pieres (35 à 38 : turrobolen, adamas, duze pieres et union).

Emmanuel Walberg22 pense que Philippe de Thaon a probablement eu pour modèle un

manuscrit similaire à celui dont se serait servi Guillaume le Clerc près d’un siècle plus tard, à

savoir le manuscrit de Londres que nous évoquions supra (British Museum, Royal 2.C.XII)23 :

20 « It was compiled ca. 1200 or slightly earlier, probably in Paris » : Willene Clark, « Four Latin Bestiaries and

De bestiis et aliis rebus », Bestiaires médiévaux…, op. cit., p. 51. 21 Max Friedrich Mann, « Der Bestiaire divin des Guillaume le Clerc », Französische Studien, VI Band, 2 Heft,

1888, p. 37-73. 22 Emmanuel Walberg a donné en 1900 la première édition critique de ce bestiaire : Le bestiaire de Philippe de

Thaün, éd. Emmanuel Walberg, Lund, Möller / Paris, Welter, 1900. Une nouvelle édition est parue en 2005 :

Shannon Hogan Cottin-Bizonne, Une nouvelle édition du Bestiaire de Philippe de Thaon, Paris, École nationale

des chartes, 2005. 23 « Pour ma part, je suis porté à croire que Philippe n’a fait, en somme, que traduire ce qu’il trouvait dans son

original, qui doit avoir eu à peu près le même caractère que le Cod. Reg. 2 C. XII » : Emmanuel Walberg, op. cit.,

p. xxx, n. 2. Max Friedrich Mann estimait quant à lui que ce bestiaire aurait pu avoir comme source le manuscrit

le plus ancien de la rédaction A (Bruxelles, Bibl. Roy, 10074), antérieur de deux siècles : « Der Physiologus des

Philippe von Thaön und seine Quellen », Anglia, 7, 1884, p. 443. De son côté, Florence McCulloch a comparé le

Philippe se serait ainsi contenté de réagencer la structure du manuscrit originel et de traduire

les notices d’après sa source.

La critique s’accorde pour dater le bestiaire de Philippe entre les années 1121 et 1135,

à partir de la dédicace à Adélaïde de Louvain (vers 1-24), reine d’Angleterre de l’avènement à

la mort d’Henri Ier Beauclerc.

Le bestiaire de Philippe est conservé dans trois manuscrits :

- L : London, British Library, Cotton Nero A. V, f. 41-82v (deuxième moitié du XIIe siècle,

dialecte anglo-normand, illustrations manquantes)

- C : Copenhague, Kongelige biblioteket, Gamle kgl. samml., 3466, f. 3-51 (deuxième moitié

du XIIIe siècle, dialecte francien, 28 illustrations24)

- O : Oxford, Merton College Library, 249, f. 1-10 (deuxième moitié du XIIIe siècle, dialecte

anglo-normand, 47 illustrations25)

2) Gervaise, Pierre de Beauvais et Guillaume le Clerc : le bestiaire comme

réaction pieuse à la littérature courtoise (fin du XIIe siècle / début du XIIIe siècle)

Trois nouveaux bestiaires sont nés entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle,

après une éclipse de plusieurs décennies en terre française : il s’agit des bestiaires de Gervaise,

de Pierre et de Guillaume.

Le bestiaire de Guillaume est le seul des trois pouvant être daté avec une relative

certitude : l’auteur évoque en effet aux vers 2707-2736 (éd. Reinsch26) l’interdit jeté par le pape

Innocent III sur l’Angleterre, le 23 mars 1208. Cet interdit, affirme Guillaume, aurait eu lieu

deux ans auparavant (v. 2710), ce qui permet de conclure que l’ouvrage fut très

vraisemblablement écrit durant l’année pascale 1210-1211.

Les bestiaires de Gervaise et de Pierre ne nous livrent quant à eux que bien peu d’indices

temporels. Paul Meyer, qui édita en 1872 le bestiaire de Gervaise27, estimait que ce dernier avait

dû être composé entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle.28 Quant à la date du

bestiaire de Pierre de Beauvais, les diverses dédicaces permettent de placer un terminus ante

quem en 1218. Des comparaisons ont cependant été effectuées entre le prologue du Bestiaire

de Pierre de Beauvais et un passage similaire de la version dite « Johannes III » de la Chronique

du pseudo-Turpin, qui permettent de penser selon Craig Baker que « la première rédaction du

bestiaire de Philippe avec un autre manuscrit, du début du XIIe siècle, Oxford, Bodleian Library, Laud. Misc. 247 :

cf. op. cit., p. 51-54. 24 Ce manuscrit est inachevé : il s’arrête au vers 1928. 25 Ce manuscrit présente quelques divergences avec les deux précédents : la dédicace à Adélaïde de Louvain y est

notamment remplacée au profit d’Aliénor d’Aquitaine. 26 Das Thierbuch des Normannischen Dichters Guillaume le Clerc, éd. Robert Reinsch, Leipzig, O. R. Reisland,

1892. 27 Paul Meyer, « Le bestiaire de Gervaise », Romania, 1, 1872, p. 420-443. 28 « Gervaise […] composait probablement à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe » : ibid., p. 423.

Bestiaire est très vraisemblablement antérieure à cette version de la Chronique et date, par

conséquent, d’avant 1206 ».29

Du fait de cette proximité temporelle, ces trois bestiaires s’inscrivent dans un

mouvement intellectuel caractéristique du règne de Philippe Auguste (1180-1223) : les

historiens de la littérature observent en effet le développement d’un mouvement de réaction

religieuse à l’omniprésence de certains codes courtois (le Cligès de Chrétien en était déjà un

exemple célèbre au milieu des années 1170).

Jean Bichon, dans sa thèse sur l’animal dans la littérature française des XIIe et XIIIe

siècles, a rappelé le rôle d’un tel contexte idéologique dans l’émergence de trois nouveaux

bestiaires dans les années 1200-1210 : selon lui en effet, ces trois bestiaires « illustrent l’effort

d’une école littéraire [l’école de la réaction religieuse anti-courtoise], pour répandre dans le

public le goût des œuvres littéraires orientées vers la vérité telle que la définissaient les

théologiens de l’école biblique morale, à savoir l’histoire sainte. »30

A la différence du bestiaire de Philippe de Thaon, qui s’adressait probablement à des

clercs, les bestiaires de Gervaise, Pierre et Guillaume ont pour cible un public laïc.

a) Le Bestiaire de Gervaise (c. 1200)

Le bestiaire de Gervaise ne comporte que 29 notices et se distingue des autres bestiaires

par le fait qu’il est issu non pas de B-Is mais des Dicta Chrysostomi, compilation anonyme

communément datée aux alentours de l’an mille.31 Cette compilation, faussement attribuée à

saint Jean Chrysostome (†407)32 et conservée dans une trentaine de manuscrits, écarte

volontairement les pierres et les plantes de son inventaire et répartit les bestiae en deux classes

distinctes : les reptilia et les aves.

Le bestiaire de Gervaise comprend 1280 vers octosyllabiques et n’est conservé que par

un seul manuscrit : London, British Library, Additional 28260, f. 84r-101v. L’illustration de ce

manuscrit, sommaire, est restée inachevée.

29 Craig Baker, « De la paternité de la Version longue du Bestiaire, attribuée à Pierre de Beauvais », Bestiaires

médiévaux…, op. cit., p. 1-29, cit. p. 8. Pour plus de détails concernant la filiation entre le bestiaire de Pierre de

Beauvais et la Chronique du pseudo-Turpin, cf. Paul Meyer, « Notice sur deux anciens manuscrits français ayant

appartenu au Marquis de La Clayette (Paris, BNF, Moreau 1715-1719) », Notices et extraits des manuscrits de la

Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, t. 33, 1, Paris, Imprimerie nationale, 1890, p. 10 sq. et Annie

Angremy, « La Mappemonde de Pierre de Beauvais », Romania, 104, 1983, p. 339 sq. 30 Jean Bichon, L'Animal dans la littérature française au XIIe et au XIIIe siècle, 2 vol., Lille, Service de

reproduction des thèses de l'Université, 1976, p. 552. Pour plus de précisions sur la réaction anti-courtoise, cf. ib.,

p. 528-531. 31 La seule édition connue est celle de Friedrich Wilhelm : « Dicta Chrysostomi », Münchener Texte, Heft 8 B

(Kommentar), 1916, p. 13-52. 32 Saint Jean Chrysostome est d’ailleurs explicitement mentionné aux vers 37-40 du bestiaire de Gervaise : « Celui

qui les bestes descrist / Et qui lor natures escrit / Fu Johanz Boche d’or nonmez, / Crisothomus rest apelez. » (éd.

Paul Meyer, art. cit.)

b) Le Bestiaire de Pierre de Beauvais (avant 1206 ?)

Par « bestiaire de Pierre de Beauvais » nous faisons référence à la version « courte » en

38 notices, éditée par Guy Mermier en 1977.33 Nous traiterons ultérieurement de la version

« longue », laquelle ne doit plus être attribuée désormais à Pierre de Beauvais, à la suite des

travaux de Craig Baker.34

Le bestiaire de Pierre de Beauvais, qui a la particularité d’être le premier bestiaire en

prose, dérive d’un B-Is n’ayant probablement pas été conservé : il a en effet pour spécificité de

donner deux notices supplémentaires, celles du loup et du chien.35

Cette version en 38 chapitres est conservée dans quatre manuscrits :

- L : Paris, BnF, n. a. fr. 13521, f. 22ra-30va (anc. ms. La Clayette, XIIIe s.)

- R : Paris, BnF, fr. 834, f. 39-48v (début XIVe s.)

- S : Paris, BnF, fr. 944, f. 14-34v (XVe s.)

- Ma : Leuven, Bibliotheek der Godgeleerdheid, Mechelen 32, f. 1-23 (milieu du XVe s.)36

Le manuscrit L est le seul qui soit illustré (37 miniatures).

c) Le Bestiaire divin de Guillaume le Clerc (c. 1210)

Le bestiaire de Guillaume le Clerc s’inspire d’un B-Is ordinaire, sans ajout de notices

supplémentaires. Il procède cependant à une amplification de la partie interprétative, qui justifie

l’épithète de « divin » contenue dans le titre. Le bestiaire proprement dit ne s’étend que jusqu’au

vers 3426. La suite (vers 3427-4174) se présente comme une péroraison parabolique et

moralisante.

Avec ses 23 manuscrits, le bestiaire de Guillaume est incontestablement le plus

répandu de tous ceux abordés jusqu’ici, comparativement aux bestiaires de Philippe (3 mss.) ou

de Pierre (4 mss.) :

- une douzaine d’entre eux se trouvent à Paris :

B : fr. 14969 (illustré) ; C : fr. 2168 (non illustré) ; D : fr. 25406 (illustration manquante) ; E :

fr. 14964 (ill.) ; F : fr. 1444 (ill.) ; G : fr. 14970 (ill.) ; H : 24428 (ill.) ; I : fr. 25408 (non ill.) ;

K : fr. 902 (non ill.) ; L : fr. 20046 (ill. + ill. mq.) ; O : Rothschild 2800 (ill.) et Arsenal 2691

(ill. mq.) ;

33 Le bestiaire de Pierre de Beauvais (version courte), éd. Guy R. Mermier, Paris, Nizet, 1977. 34 Craig Baker, art. cit. (2005) et id., « Retour sur la filiation des bestiaires de Richard de Fournival et du pseudo-

Pierre de Beauvais », Romania, 127, 2009, p. 58-85. 35 Toutefois, Florence McCulloch mentionne deux manuscrits du sous-groupe B-Is (Londres, BL, Stowe 1067 et

Cambridge, Corpus Christi Coll. 22), qui présentent quatre nouveaux animaux, dont le loup et le chien (cf. op. cit.,

p. 30) : dans la mesure cependant où le bestiaire de Pierre de Beauvais n’évoque pas les deux autres de ces quatre

animaux, nous pouvons en conclure qu’il témoigne d’un état intermédiaire interne au sous-groupe B-Is, non

conservé par la tradition manuscrite. 36 La désignation de ces manuscrits est le fait de Charles Cahier d’une part (pour R et S), de Florence McCulloch

d’autre part (pour L et Ma).

- trois à Londres :

A : Egerton 613 (ill.) ; M : Royal 16 E VIII (marges) et N : Cotton Vespasianus A VII (ill.) ;

- trois à Cambridge :

S : Fitzwilliam Museum, J. 20 (ill.) ; Fitzwilliam Museum, McClean, 123 (ill.) et Trinity

College Library, 0.2.14 (ill.) ;

- un à Lyon :

T : BM, Palais des Arts, 78 (ill.) ;

- un autre à New Haven

U : Yale University, Beinecke Library, 395 (non ill.) ;

- un dernier au Vatican :

Q : Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi Latini, 1682 (non ill.).

Sur les 23 manuscrits, 16 présentent des illustrations, preuve s’il en est du rapport

privilégié qu’entretient le bestiaire avec l’image.

3) Richard de Fournival et Pseudo-Pierre de Beauvais : renouvellement du

genre (deuxième tiers du XIIIe siècle)

Les bestiaires de Richard de Fournival et du Pseudo-Pierre de Beauvais témoignent

chacun à leur manière de l’obsolescence d’un genre au milieu du XIIIe siècle : le Bestiaire

d’amour de Richard de Fournival sape en effet l’allégorie religieuse au profit d’une allégorie

d’apparence courtoise, là où la version augmentée du bestiaire de Pierre de Beauvais est le

creuset de traditions encyclopédiques étrangères à celle du bestiaire moralisé. Ces deux

bestiaires renouvellent ainsi un genre qui pouvait sembler obsolète avec la redécouverte

d’Aristote et l’essor des sommes encyclopédiques.

Ces deux bestiaires entretiennent de nombreuses correspondances, qui n’ont de cesse,

encore aujourd’hui, d’interroger les critiques : la question consiste à savoir auquel de ces deux

auteurs il convient d’attribuer l’apport des éléments communs aux deux ouvrages.37

a) Le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival

Le Bestiaire d’amour est subversif à plus d’un titre : en plus d’adopter un registre

courtois au lieu du registre religieux ordinaire, Richard brouille les frontières qui

traditionnellement permettaient de distinguer les diverses notices. Il est par conséquent

impossible (et probablement vain) de comptabiliser le nombre d’animaux évoqués : ces derniers

37 Craig Baker a démontré à l’aide d’arguments convaincants la paternité du Bestiaire d’amour (cf. n. 34) ; Jean

Maurice a toutefois tenté de défendre la filiation traditionnelle, qui place la version longue de bestiaire de Pierre

de Beauvais avant le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival : cf. « Le Bestiaire d’amour et la Version longue

du Bestiaire attribuée à Pierre de Beauvais : retour sur la question de leur filiation », Le Moyen-Âge, t. 115, fasc.

1, 2009, p. 9-27). L’hypothèse de Craig Baker nous semble la plus pertinente.

peuvent en effet réapparaître d’un passage à l’autre du texte, ou même n’être que brièvement

évoqués, à titre de comparaisons secondaires.

De fait, le Bestiaire d’amour témoigne de cette vogue allégorique florissante que connut

le règne de saint Louis (1226-1270). Les 22 manuscrits38 qui en ont été conservés, ainsi que

l’écho qu’en donne la Response, témoignent d’une incontestable popularité.

On trouvera la liste de ces manuscrits dans l’édition de Gabriel Bianciotto.

b) Le Bestiaire du Pseudo-Pierre de Beauvais

Dans les années 2000, Craig Baker a fait avancer la recherche sur ce que l’on désignait

jusque là comme la version longue du Bestiaire de Pierre de Beauvais. Après lui en avoir retiré

la paternité à l’aide d’arguments pertinents39, Craig Baker a donné de ce bestiaire en 72

chapitres une édition savamment informée.40

Le compilateur de ce bestiaire a considérablement augmenté le nombre de notices du

bestiaire de Pierre de Beauvais. Ces ajouts ne sont pas les mêmes que ceux des bestiaires latins

de la seconde famille (fin du XIIe siècle – première moitié du XIIIe siècle), dans la mesure où

ils sont pour la plupart issus de textes étrangers à la tradition isidorienne : l’Image du Monge

de Gossuin de Metz, la Lettre du prêtre Jean, le Livre du Palmier, la Topographia Hibernica

de Giraldus Cambrensis, etc.41

Ce sont les emprunts à l’Image du Monde qui ont permis à Craig Baker de donner un

terminus post quem au bestiaire du Pseudo-Pierre de Beauvais : Gossuin de Metz ayant achevé

la première version versifiée de son encyclopédie en 1246, le bestiaire du Pseudo-Pierre lui est

nécessairement postérieur. On comprend dès lors l’enjeu qu’il peut y avoir à saisir le sens exact

de l’emprunt observé entre les bestiaires de Richard et du Pseudo-Pierre : si le Pseudo-Pierre

s’avérait être la source directe de Richard, le Bestiaire d’amour devrait dès lors être daté entre

1246 et 1260 (date de la mort de Richard). Cependant, si cette filiation devait être inversée, le

terminus ante quem devrait être placé en 1268, date du plus ancien manuscrit ayant conservé le

bestiaire du Pseudo-Pierre de Beauvais (Paris, Arsenal, 3516).

Nous avons conservé une demi-douzaine de copies de ce bestiaire singulier, dans des

manuscrits qui souvent contiennent également l’Image du Monde de Gossuin de Metz, preuve

de leur interaction textuelle :

38 Gabriel Bianciotto en a donné la liste dans son édition : Le « Bestiaire d’amour » et la « Response du Bestiaire »,

éd. Gabriel Bianciotto, Paris, Champion (« Champion Classiques »), 2009, p. 95-101. Aux 17 manuscrits recensés

par Cesare Segre dans son édition (Li bestiaires d'amours di Maistre Richart de Fornival e Li response du bestiaire,

éd. Cesare Segre, Milan et Naples, Ricciardi (« Documenti di filologia »), 1957), lesquels se répartissent en deux

familles distinctes (la famille des mss non-remaniés : {IDKOB (= α) + AHCE (= β) + J} et la famille des mss.

remaniés : FGLMPQV) s’ajoutent cinq nouveaux manuscrits, découverts après 1957 et mentionnés par Gabriel

Bianciotto dans l’introduction à son édition (éd. cit., p. 98 sq.) : WYSTR. 39 Cf. n. 34. 40 Le bestiaire. Version longue attribuée à Pierre de Beauvais, éd. Craig Baker, Paris, Champion (Les classiques

français du Moyen Âge, 163), 2010. 41 Bon nombre d’autres sources demandent encore à être identifiées.

- P : Paris, Arsenal, 3516, f. 198v-212v

(c. 1268, ill.42)

- Mon : Bibliothèque interuniversitaire, Section médecine, H 437, f. 195r-250v

(c. 1340, ill.43)

- V : Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 1323, f. 2r-36r

(c. 1475, non ill.)

- f : Freiburg im Breisgau, Universitätsbibliothek, 979, fragment de 2 folios

(XIVe s., ill.44)

- Ph : Collection privée, Virginie (E.-U.) ; ancien T. Phillipps, 6739, f. 1-50

(fin du XIIIe s., ill.45)

- B : Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II 6978, f. 22-62v

(1482, non ill.)

4) Le Bestiaire de Cambrai : extinction du genre (années 1260)

Nous ne nous attarderons que fort peu sur cet ultime bestiaire, qui, au fil de ses 32

notices, élimine systématiquement la partie exégétique caractéristique du bestiaire : seule

demeure la partie « descriptive », souvent d’un laconisme stupéfiant.

L’auteur ne semble manifestement pas avoir eu à cœur de décrire ou d’interpréter les

natures animales : son ouvrage est un compendium sans grande valeur, qui bien souvent, ne fait

que copier le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival.

Ce bestiaire est conservé dans un manuscrit de la bibliothèque municipale de Cambrai :

ms. 370 (anc. 351), f. 176v-178v. Il fut édité à deux reprises : à la veille de la Seconde Guerre

mondiale, par Edward Billings Ham46 ; et dernièrement47, dans une édition qui hélas présente

de nombreuses coquilles.48

42 Ce manuscrit comporte 67 miniatures. 5 notices n’ont pas été illustrées : il s’agit des notices consacrées à

l’hueran (XLVIII), à la mésange (LIV), à la taupe (LVII), à l’aimant (LXII) et au chien (LXV). 43 Ce manuscrit comporte également 67 miniatures (un portrait d’auteur + 66 notices). 6 chapitres présents dans le

ms. P manquent dans le ms. Mon : il s’agit des notices consacrées à l’hyène (XL), à l’arbre peridexion (LIX), à

l’aimant (LXII), à l’homme (LXVII), au muscaliet (LXXI) et à l’orphanay (LXXII). 44 Pour une description détaillée de ce fragment, ainsi qu’une présentation du manuscrit B (ces deux manuscrits

étant encore inconnus du temps de Florence McCulloch), cf. Baudouin Van den Abeele, « Deux manuscrits

inconnus du Bestiaire attribué à Pierre de Beauvais », Bestiaires médiévaux…, op. cit., p. 183-199. 45 Ce manuscrit comporte 72 miniatures. Il a été acquis par un collectionneur privé à Londres le 4 décembre 2007. 46 Edward Billings Ham, « The Cambray bestiary », Modern Philology, 36:3, 1938-1939, p. 225-237. Toutes nos

références au bestiaire de Cambrai renverront à cette édition. 47 Le bestiaire de Cambrai (1260), éd. et trad. Jean-François Kosta-Théfaine, Rouen, Chomant, 2010. 48 Certaines sont cocasses : « le pélican s’ouvre le flan [sic] », d’autres plus regrettables : « Dicta Chrystomani

[sic] ».

D – Les encyclopédies

Arrêtons-nous enfin sur deux encyclopédies françaises du XIIIe siècle, qui entretiennent

avec les bestiaires qui leur sont contemporains un rapport particulier, révélateur des

bouleversements intellectuels provoqués par la redécouverte des auteurs de l’Antiquité gréco-

romaine : Aristote, Pline, etc.

1) L’Image du Monde de Gossuin de Metz

Cette encyclopédie, qui s’inspire notamment de l’Imago Mundi (c. 1120) d’Honorius

Augustodunensis, comporte dans sa première version près de 6600 vers. Le texte, daté de 1246,

est aujourd’hui conservé dans plus d’une cinquantaine de manuscrits.

L’essentiel des descriptions se trouve dans le deuxième des trois livres que comprend

l’encyclopédie : il s’agit d’une mappemonde, similaire à celle de Solin. Le chapitre « Des

serpenz et des bestes d’Ynde » décrit plus ou moins brièvement (le nombre de vers pouvant

aller d’une demi-douzaine, comme pour le castor, jusqu’à quatre-vingt huit, pour l’olifant) un

grand nombre d’animaux présents dans le Physiologus.

2) Li livres dou tresor de Brunet Latin

Brunet Latin consacre les 70 derniers chapitres du premier livre du Livres dou tresor

aux animaux, selon une répartition rigoureuse : poissons, serpents, oiseaux, etc. Cette

encyclopédie, datée des années 1260, est d’un grand intérêt pour l’évolution des mentalités à

l’égard du savoir et de la vérité : Brunet Latin non seulement élimine le versant herméneutique

propre aux bestiaires, dans une démarche caractéristique de l’encyclopédisme, mais également

se livre à une sorte de synthèse critique des diverses autorités en matière de « zoologie » :

Aristote, Pline, Solin, le Physiologue, Isidore, etc.49 Un certain nombre de chapitres témoignent

en outre de l’émergence d’une littérature cynégétique.

Louis-Patrick Bergot

Université Paris-Sorbonne

2015

49 Jean Maurice a notamment étudié le rapport de Brunet Latin à la littérature de bestiaire : cf. Le Bestiaire d’amour

de Richard de Fournival et le Livre des animaux de Brunetto Latini : les bestiaires dans la seconde moitié du

XIIIème siècle, Lille, ANRT, 1990. L’auteur a également démontré comment Brunet Latin parvient à critiquer ses

sources : cf. « La place du Livre des animaux de Brunetto Latini dans la tradition des bestiaires médiévaux »,

Bestiarien im Spannungsfeld zwischen Mittelalter und Moderne, dir. Gisela Febel et Georg Maag, Tübingen, Narr,

1997, p. 40-47.