18
Article original Études stratigraphique, sédimentologique et paléomagnétique des travertins de Kocabas ¸, Bassin de Denizli, Anatolie, Turquie, contenant des restes fossiles quaternaires Stratigraphic, sedimentological and paleomagnetic study of the Kocabas ¸ travertines, Denizli Basin, Anatolia, Turkey, bearing Quaternary fossil remains Samir Khatib a , Pierre Rochette b, * , Mehmet Cihat Alçiçek c , Anne-Elisabeth Lebatard b , François Demory b , Thibaud Saos d a Laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret, 33 bis, boulevard Franck-Pilatte, 06300 Nice, France b Université d’Aix-Marseille, CNRS-IRD-Collège de France, UM 34 CEREGE, Technopôle de l’Arbois, BP 80, 13545 Aix-en-Provence, France c Département de géologie, université de Pamukkale, 20070 Denizli, Turquie d Centre européen de recherches préhistoriques, avenue Léon-Grégory, 66720 Tautavel, France Disponible sur Internet le 27 fe ´vrier 2014 Résumé Le travertin du bassin de Denizli, situé à proximité du village de Kocabas, dans la région de Denizli en Turquie, a fait l’objet d’études stratigraphiques, sédimentologiques et paléomagnétiques, suite à la découverte paléontologique de 2002. Les études stratigraphiques et sédimentologiques montrent au moins deux grands cycles de travertin en masse, séparés par un dépôt fluviatile et surmontés d’un dépôt fluvio- lacustre. Ces travertins ont se former dans des milieux de fort hydrodynamisme (ruisseaux ou chutes d’eau) et se localisent préférentiellement au niveau des ruptures de pente. L’étude paléomagnétique montre que l’ensemble de travertin de la carrière Faber présente une polarité géomagnétique inverse. Par contre, le dépôt détritique fluvio-lacustre situé au-dessus du travertin présente une polarité géomagnétique normale, excepté à son sommet elle est inverse. Compte tenu de la présence, dans l’unité supérieure du travertin, www.em-consulte.com Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect L’anthropologie 118 (2014) 1633 * Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (S. Khatib), [email protected] (P. Rochette), [email protected] (M.C. Alçiçek), [email protected] (A.-E. Lebatard), [email protected] (F. Demory), [email protected] (T. Saos). 0003-5521/$ see front matter # 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.01.005

Études stratigraphique, sédimentologique et paléomagnétique des travertins de Kocabaş, Bassin de Denizli, Anatolie, Turquie, contenant des restes fossiles quaternaires

Embed Size (px)

Citation preview

Article original

Études stratigraphique, sédimentologiqueet paléomagnétique des travertins de Kocabas,

Bassin de Denizli, Anatolie, Turquie, contenantdes restes fossiles quaternaires

Stratigraphic, sedimentological and paleomagnetic studyof the Kocabas travertines, Denizli Basin, Anatolia, Turkey,

bearing Quaternary fossil remains

Samir Khatib a, Pierre Rochette b,*, Mehmet Cihat Alçiçek c,Anne-Elisabeth Lebatard b, François Demory b, Thibaud Saos d

a Laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret, 33 bis, boulevard Franck-Pilatte, 06300 Nice, Franceb Université d’Aix-Marseille, CNRS-IRD-Collège de France, UM 34 CEREGE, Technopôle de l’Arbois, BP 80,

13545 Aix-en-Provence, Francec Département de géologie, université de Pamukkale, 20070 Denizli, Turquie

d Centre européen de recherches préhistoriques, avenue Léon-Grégory, 66720 Tautavel, France

Disponible sur Internet le 27 fevrier 2014

Résumé

Le travertin du bassin de Denizli, situé à proximité du village de Kocabas, dans la région de Denizli enTurquie, a fait l’objet d’études stratigraphiques, sédimentologiques et paléomagnétiques, suite à ladécouverte paléontologique de 2002. Les études stratigraphiques et sédimentologiques montrent au moinsdeux grands cycles de travertin en masse, séparés par un dépôt fluviatile et surmontés d’un dépôt fluvio-lacustre. Ces travertins ont dû se former dans des milieux de fort hydrodynamisme (ruisseaux ou chutesd’eau) et se localisent préférentiellement au niveau des ruptures de pente. L’étude paléomagnétique montreque l’ensemble de travertin de la carrière Faber présente une polarité géomagnétique inverse. Par contre, ledépôt détritique fluvio-lacustre situé au-dessus du travertin présente une polarité géomagnétique normale,excepté à son sommet où elle est inverse. Compte tenu de la présence, dans l’unité supérieure du travertin,

www.em-consulte.com

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

L’anthropologie 118 (2014) 16–33

* Auteur correspondant.Adresses e-mail : [email protected] (S. Khatib), [email protected] (P. Rochette), [email protected]

(M.C. Alçiçek), [email protected] (A.-E. Lebatard), [email protected] (F. Demory), [email protected](T. Saos).

0003-5521/$ – see front matter # 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2014.01.005

d’un crâne d’Homo erectus archaïque et de restes paléontologiques villafranchiens, l’ensemble du travertinse situerait dans la période de Matuyama supérieur, plus récent que l’événement d’Olduvai (1,78 Ma). Lapolarité normale enregistrée dans le dépôt fluvio-lacustre supérieur pourrait correspondre à l’excursion deCobb Mountain datée de 1,22 Ma.# 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Travertin ; Conglomérat fluviatile ; Matuyama ; Cobb Mountain ; Denizli ; Turquie

Abstract

Stratigraphic, sedimentological and paleomagnetic studies were conducted on the travertine fromDenizli Basin, near Kocabas village, in the Denizli region in Turkey, following the paleontologicaldiscovery in 2002. The stratigraphic and sedimentological studies show at least two main cycles of masstravertine, separated by a fluvial deposit and overlain by a fluvio-lacustrine deposit. These travertines musthave formed in environments with strong hydrodynamics (streams or waterfalls) and are preferentiallylocated at breaks of slopes. The paleomagnetic study shows that all the quarry travertine presents reversemagnetic polarity. On the other hand, the detrital fluvio-lacustrine deposit above the travertine presents normalgeomagnetic polarity, except at the top, where it is reversed. Given the presence of an archaic Homo erectusskull and Villafranchian paleontological remains in the upper travertine unit, the whole travertine dates fromthe upper Matuyama, and is more recent than the Olduvai event (1.78 Ma). The normal polarity recorded in theupper fluvio-lacustrine deposit could correspond to the Cobb Mountain excursion, dated to 1.22 Ma.# 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Travertine; Fluviatile conglomerate; Matuyama; Cobb Mountain; Denizli; Turkey

Le bassin de Denizli est connu pour ses importantes formations de travertin quaternaireexploitées industriellement comme marbre (Fig. 1). Ce bassin se situe au point de jonction desfossés tectoniques de Büyük Menderes et de Gediz en Anatolie sud-occidentale (Westaway,1993) et est considéré comme une des régions turques les plus actives au niveau tectoniquedepuis le Miocène (Alçiçek et al., 2007). Dans ce bassin, les formations de travertin sont étenduessur environ 100 km2 (Sun, 1990).

Lors de notre mission en décembre 2011, la carrière Faber située à proximité du village deKocabas (Fig. 1) présentait une masse de travertin et de dépôts détritiques, d’environ 90 md’épaisseur.

Un fragment crânien d’Homo erectus et des restes de grands mammifères (équidés, cervidés etbovidés) ont été trouvés en 2002 près de la carrière Faber hors contexte stratigraphique(Kappelman et al., 2008 ; Vialet et al., 2011, 2012). En effet, lors de la découpe de blocs detravertin pour la fabrication de dalles de marbre. Ces restes paléontologiques provenaient del’une des carrières de Kocabas (Dalmersan, Kömürcüoglu, Mayas ou Faber). Ces carrières étaientsituées l’une à côté de l’autre, à la même altitude, et renfermaient des formations de travertin dumême niveau stratigraphique.

En 2011, seule la carrière Faber est restée en activité commerciale. Nous avons donc choisi deprélever dans cette carrière car elle renferme une séquence stratigraphique assez puissante(environ 90 m d’épaisseur) et elle est la seule carrière restante à conserver le même niveau detravertin que les autres carrières exploitées en 2002.

Le fragment crânien de Kocabas présente des caractères archaïques semblables au crâne deZhoukoudian en Chine (Vialet et al., 2012) et à Homo erectus africain comme KNMER3733,OH9 et spécimens Bouri-Daka, et peut être considéré comme le plus ancien Homo erectus connuen Turquie.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 17

Parmi les grands mammifères, il a été identifié Equus sussenbornensis, espèce marqueur duPléistocène moyen et de début du Pléistocène inférieur (Erten et al., 2005 ; Boulbes et al., dans cevolume).

Des datations par la méthode de thermoluminescence et par ESR ont été effectuées surles différents niveaux de travertin de Denizli (Engin et Güven, 1997 ; Engin et al., 1999) : cesdatations ont donné des âges compris entre 1,1 et 0,82 Ma. Des datations récentes par la méthode10Be/26Al (Lebatard et al., 2014) place le niveau fossilifère du travertin entre 1,1 et 1,3 Ma.

Trois coupes de cette carrière ont été étudiées en détail et des prélèvements destinés auxanalyses sédimentologiques et paléomagnétiques ont été réalisés afin de déterminer les paléo-environnements du bassin de Denizli, l’âge précis du travertin et l’origine probable des restespaléontologiques.

D’autres prélèvements destinés à l’étude paléomagnétique ont été réalisés en décembre2012 afin de compléter la série de prélèvements sur toute la hauteur de dépôts détritiques autourde la carrière Faber.

1. Études stratigraphiques et sédimentologiques

1.1. Coupe principale de travertin (section A)

Cette coupe, de 78 m d’épaisseur, située dans la partie est de la carrière, est composée de troisunités stratigraphiques majeures (Fig. 2).

1.1.1. L’unité inférieureL’unité inférieure correspond à une masse de travertin de couleur beige clair et beige rosé, de

16 m d’épaisseur (Fig. 3). Il s’agit d’un travertin très compact renfermant quelques petites cavités

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3318

Fig. 1. Contexte géologique du bassin de Denizli (selon Sun, 1990).Geological context of Denizli basin (after Sun, 1990).

centimétriques remplies de calcite secondaire. C’est le travertin le plus pur et le plus induré de lacarrière Faber.

Il est à noter que lors de la découverte des restes paléontologiques en 2002, cette unité detravertin n’était pas encore atteinte par les travaux. Ceci exclut donc la provenance du crâned’Homo erectus et des restes paléontologiques de ce niveau.

On remarque ici que la stratification est pratiquement verticale et les fissurations d’originetectonique sont à la fois sub-horizontales et sub-verticales.

L’analyse sédimentologique réalisée sur un échantillon de ce travertin montre qu’il estcomposé de 97 % de carbonates de calcium et de 3 % de silice. La granulométrie de cette dernièreest inférieure à 0,05 mm (limon et argile). Ceci indique que les éléments détritiques sont en trèsfaible proportion dans ce travertin.

1.1.2. L’unité moyenneL’unité moyenne surmonte le travertin inférieur et correspond à des dépôts détritiques

fluviatiles de 12 m d’épaisseur. Il s’agit d’une alternance de conglomérats, de sables grossiers et

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 19

Fig. 2. Logs stratigraphiques de la carrière Faber.Stratigraphic logs from the Faber Quarry.

de lits crayeux de travertin. Certaines couches conglomératiques peuvent atteindre 2 md’épaisseur et sont parfaitement consolidées par des carbonates de calcium (Fig. 2 et 3).

Toutes les couches de conglomérat, de sable et de travertin présentent un pendage allant del’ouest vers l’est et peuvent être suivies sur environ 150 m de distance.

L’observation détaillée de cette unité met en évidence trois cycles sédimentaires répétitifs ;chaque cycle commence par un dépôt de conglomérat, ensuite de sable et se termine par une

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3320

Fig. 3. Carrière Faber : échantillonnage du travertin par carottier et différents faciès stratigraphiques observés.Faber Quarry: travertine coring and different observed stratigraphic facies.

couche fine de travertin ne dépassant pas 30 cm d’épaisseur. Ces cycles répétitifs sont liés, sansdoute, à ceux de la compétence du régime fluviatile, qui commencent par une forte énergietransportant des galets, parfois d’origine lointaine, et se terminent par une très faible énergieformant en surface des couches fines de travertin.

L’étude granulométrique du conglomérat met en évidence une forte proportion de graviers etde galets > 2 mm (70 %) par rapport à la fraction fine < 2 mm (30 %).

La fraction grossière est composée essentiellement de galets et de graviers calcairesoriginaires de formations géologiques proches de la carrière (Jurassique, Crétacé et Néogène,Fig. 1). Quelques galets en quartz, en grès quartzite et en roches métamorphiques proviennentégalement de formations paléozoïques proches du site.

La fraction fine comprend 80 % de sables, essentiellement grossiers, 17 % de limons et 3 %d’argiles (Fig. 4).

La fraction sableuse (2 mm à 0,05 mm) renferme 65 % de carbonates de calcium, 29 % dequartz, 2 % de feldspaths, 1 % de grès quartzite et 3 % de minéraux d’origine métamorphique etvolcanique (Fig. 5). Cette minéralogie du sable concorde avec la pétrographie des galets etprouve l’origine commune des éléments détritiques. Ces derniers sont issus de l’érosion deformations géologiques proches, par les courants d’eaux.

1.1.3. L’unité supérieureL’unité supérieure correspond à une grande masse de travertin de 50 m d’épaisseur, de couleur

généralement blanc mat. Ce travertin est très poreux à la base et au sommet mais plus compact aumilieu. Il a révélé sur toute sa hauteur d’abondants restes de plantes et de gastéropodes.

Des cavités de plusieurs mètres de diamètre ont été observées dans la partie supérieure de cetteunité, tapissées de calcite sous forme de stalagmites et de stalactites (Fig. 3). Ces formationsstalagmitiques semblent s’être formées après la mise en place du travertin.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 21

Fig. 4. Courbes granulométriques des sédiments fins < 2 mm.Granulometric fine sediment curves < 2 mm.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3322

Fig. 5. Données minéralogiques de la fraction sableuse (0,5 à 0,315 mm).Mineralogical data for the sandy fraction (0.5 to 0.315 mm).

Fig. 6. Diagramme de diffractomètre de rayons X pour l’unité supérieure de travertin. La position des pics en degrés2 theta (82Th) et l’intensité en nombre de coups.X-ray diffractometer diagram for the upper travertine unit. The position of the peaks in degrees 2 theta (82Th) and countintensity.

Durant notre mission en décembre 2011, seules deux grandes cavités étaient encorevisibles dans la carrière mais aucun os de grands mammifères ni pièces lithiques n’ont pu êtretrouvés.

L’analyse sédimentologique réalisée sur plusieurs échantillons de ce travertin montre qu’il estcomposé de 97 à 99 % de carbonates de calcium et de 1 à 3 % de silice. Comme pour l’unitéinférieure, les éléments détritiques ici sont également en très faible proportion.

Un échantillon de ce travertin a été analysé par diffractométrie des rayons X et a montré qu’ils’agit de calcite pure (Fig. 6). Cette dernière, étudiée au microscope électronique, montre descristaux sous forme de minces plaquettes, discontinues et intercalées (Fig. 7). Dans la massecalcitique, on observe des fragments de coquilles de gastéropodes.

Le résidu de travertin obtenu après attaque à l’acide chlorhydrique paraît huileux et gras, decouleur noirâtre, avec une granulométrie inférieure à 0,05 mm. L’observation de cette matièregrasse au microscope électronique à balayage montre la présence de silice sous forme de finesbaguettes et la présence de bactéries (Fig. 7D). Les formations de travertin dans la carrière Faberpeuvent être donc d’origine chimique et biochimique.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 23

Fig. 7. Photos au MEB dans le travertin supérieur. A et B. Calcite sous forme de minces plaquettes discontinues etintercalées. C. Empreinte de gastéropode dans la masse de calcite. D. Résidu huileux de travertin supérieur, après attaque àl’acide chlorhydrique, montrant des baguettes fines de silice et des bactéries.SEM photos of the upper travertine. A and B. Thin discontinuous and interleaved calcite plates. C. Gastropod imprint inthe calcite mass. D. Oily residue of upper travertine, after hydrochloric acid treatment, showing the fine silica needles andbacteria.

1.2. Coupe supérieure de formation fluvio-lacustre (section B)

Cette coupe, de 13 m d’épaisseur, située dans la partie ouest de la carrière, repose endiscordance sur le sommet de la coupe principale de la formation massive de travertin (Fig. 2).Ces deux coupes sont distantes d’environ 150 m et les affleurements continus permettent unecorrélation précise entre les deux coupes.

L’étude stratigraphique détaillée permet de mettre en évidence plusieurs ensemblessédimentaires :

� un ensemble de marne brune, de 2,5 m d’épaisseur, reposant en discordance sur le travertin dela coupe principale. Nous pouvons distinguer ici une douzaine de couches marneuses brunesséparées par des lits millimétriques de marnes verdâtres. Cet ensemble est surmonté d’abordpar une couche de sable verdâtre contenant des gastéropodes, puis par une couche de travertincrayeux de 0,8 m d’épaisseur. L’ensemble des sédiments est assez induré ;� un ensemble de conglomérat et de sable grossier, d’environ 1,20 m d’épaisseur, très friable. Il

se caractérise par une granulométrie décroissante de la base au sommet, allant de gros galetscentimétriques à la base, des graviers millimétrés lités au milieu puis jusqu’à du sable grossierlité au sommet.

L’étude granulométrique du conglomérat met en évidence une forte proportion de gravier et degalets > 2 mm (83 %) par rapport à la fraction fine < 2 mm (17 %). Comme pour l’unitéfluviatile inférieure, les galets sont ici en calcaire, en quartz, en grès quartzite et en rochesmétamorphiques originaires de formations géologiques proches du site.

La fraction fine comprend 91 % de sables, essentiellement grossiers, 7 % de limon et 2 %d’argile (Fig. 4).

La fraction sableuse (2 mm à 0,05 mm) renferme 46 % de carbonates de calcium, 43 % dequartz, 2 % de feldspaths, 2 % de grès quartzite et 7 % de minéraux métamorphiques etvolcaniques (Fig. 5) :

� un ensemble de marne blanc-beige, de 3,50 m d’épaisseur, renfermant plusieurs couches finesde marne grise. Cet ensemble induré est surmonté par une couche de travertin de 3 md’épaisseur. Ce travertin ne contient pas de restes de plantes ni de gastéropodes et il ne présentepas une qualité commerciale. Ceci exclut donc la provenance du crâne humain et de restespaléontologiques de ce travertin ;� un ensemble de marne verte et d’argile brune, peu induré, de 1,5 m d’épaisseur, situé au

sommet de la coupe.

1.3. Coupe supérieure de formation fluvio-lacustre (section C)

Cette coupe, de 30 m d’épaisseur, est située à environ 450 m de distance de la coupe principalede travertin dans la direction WNW et représente la continuité stratigraphique de la section B(Fig. 2). Elle a été relevée en décembre 2012 et échantillonnée en son sommet pour compléter lesanalyses paléomagnétiques.

Il s’agit essentiellement de niveaux conglomératiques, alternés de sable, de marne et d’argile.Ce dépôt correspond probablement au bord nord-ouest du lac ou les dépôts deviennent de plus enplus grossiers (galets et graviers fluviatiles).

Cette coupe n’a pas fait l’objet d’une étude sédimentologique.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3324

1.4. Interprétation des faciès

Le complexe stratigraphique de la carrière Faber, observé sur environ 90 m d’épaisseur, ne selimite pas aux accumulations carbonatées car il montre plusieurs faciès alluviaux, lacustres etpaléosols.

Le premier faciès observé à la base de la carrière correspond à une masse de travertin compact,peu poreux et sans empreintes végétales. Il se caractérise également par une stratificationverticale. Ce travertin a dû être formé dans le chenal et s’est développé à la faveur d’unhydrodynamisme relativement important avec des conditions favorables à la carbonatation. Il estle résultat d’une précipitation rapide de carbonates dans un cours d’eau chaude suivant une penteverticale au bord du bassin de Denizli.

Les dépôts de travertins du bassin de Denizli sont en règle générale le résultat de laprécipitation de CaCO3 à partir de sources hydrothermales tout au long des fractures et des failles(Altunel et Hancock, 1993). Dans le site de Pammukale (Fig. 1), on observe ce genre de cascadesde travertin qui se forment actuellement grâce aux sources hydrothermales de températureavoisinant les 408 (Mesci et al., 2012).

La très faible présence de sédiments détritiques originaires de collines proches, dans ce travertin,plaide pour un cours d’eau calme à très faible énergie permettant la formation verticale de travertinmais l’absence d’empreintes végétales, de mollusques et de restes paléontologiques ne permet pasde définir l’environnement contemporain de la formation de cette unité de travertin.

Le faciès détritique, situé entre deux grandes masses de travertin, traduit une évolutionenvironnementale et morphosédimentaire. En effet, la présence de couches conglomératiques àgalets roulés et à graviers, sur environ 12 m d’épaisseur, indique un milieu fluviatile à hauteénergie. Les galets sont généralement en calcaire mais certains sont de nature différente (quartz,quartzite, et métamorphique) ce qui plaide pour une origine sédimentaire proche. Il s’agit, sansdoute, de la rivière Büyük Menderes qui a contribué à la mise en place de ce dépôt détritique àpartir des collines calcaires et paléozoïques. Dans ce milieu fluviatile, la formation de travertinn’avait pas la possibilité de s’exprimer et de s’accumuler en grande masse.

Par contre, des lits de travertin de faible épaisseur, contenant des empreintes de feuilles et desmollusques, ont pu se former entre les couches conglomératiques sans doute durant des périodesoù la compétence fluviatile était très restreinte.

Ils ont pu se former dans l’axe des chenaux au niveau de très faibles pentes et représentent deszones aux caractéristiques marécageuses à tranche d’eau limitée et de faible hydrodynamisme(Ollivier et al., 2006).

Le faciès supérieur correspond à une grande masse de travertin de 50 m d’épaisseur, dont lastratification est plutôt sub-horizontale ou horizontale.

La base de cette unité correspond à des lits minces de travertin orangé, de quelquescentimètres d’épaisseur (Fig. 2 et 3). Ces lits sont séparés par des horizons argileux brun-foncé dequelques millimètres d’épaisseur. Ils correspondent à des précipitations interrompues detravertins et à des périodes d’érosion. Ils ont subi, ultérieurement, une altération géochimiqueprofonde libérant des oxydes de fer et des argiles. Il s’agit ici d’un paléosol bien marqué.

Ensuite, des travertins homogènes, poreux et vacuolaires, contenant des feuilles et desgastéropodes fossiles, s’accumulent en grande masse. Ce type de travertin poreux et vacuolairepeut être assimilé à des tufs calcaires. Ce faciès est associé à des milieux de fort hydrodynamisme(ruisseaux ou chutes d’eau) et se localise préférentiellement au niveau des ruptures de pente quiaccentuent, par leur brassage, le dégazage des eaux et accélèrent la sursaturation des solutionsresponsables de la précipitation des carbonates (Lu et al., 2000). Les édifices construits peuvent

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 25

aboutir dans certains cas à la formation de barrages à l’amont desquels se développent des zonespalustres ou des étendues lacustres.

L’unité de travertin supérieure indique donc un paléo-environnement caractérisé par uneabondante végétation d’eau douce et par des zones marécageuses, entouré de collines calcairessèches. Il a pu attirer de grands herbivores représentés par les découvertes paléontologiques, descarnivores et des hominidés anciens suivant ces proies.

Cette évolution morphologique verticale aboutit enfin à des dépôts purement fluvio-lacustresen amont du travertin supérieur. Des dépôts détritiques (marnes, sables, conglomérats, argiles)présentent plus de 30 m d’épaisseur et sont souvent associés à des gastéropodes. Ils sont lerésultat d’un transport fluviatile provenant des différentes formations géologiques de la région deDenizli et déposés dans un lac marécageux et peu profond. Néanmoins, durant des périodes oùl’hydrodynamisme était faible, des lits de travertin et des tufs calcaires se sont formés dans ce lac.

Cette unité détritique correspond vraisemblablement à une migration latérale du chenalprincipal et à une phase d’érosion ou d’instabilité du milieu.

2. Étude paléomagnétique

2.1. Échantillonnage et méthodologie

Les échantillons destinés à l’étude paléomagnétique ont été effectués dans la carrière Faberavec un carottier équipé d’une boussole (Fig. 3) (Lebatard et al., 2014). Ces échantillons ont étéréalisés tous les 0,5 à 1 m sauf dans les couches détritiques où seuls les niveaux indurés ont étéprélevés. Cent soixante-cinq échantillons ont fait l’objet de cette étude paléomagnétique (Fig. 8).Il s’agit principalement de carottes de 25 mm de diamètre mais également de quelqueséchantillons prélevés à la main dans les niveaux peu consolidés, ainsi que des barreaux de 10–

20 cm retaillés dans le forage réalisé en fond de carrière. À noter que pour ceux-ci on ne disposepas de l’orientation azimutale mais seulement de la verticale.

Ces échantillons orientés ont été découpés en cylindres, barreaux ou en cubes de dimensionstandard afin de procéder aux mesures de leur aimantation rémanente naturelle (NRM) avec unrémanomètre supraconducteur 2G DC-Squid (SRM) et un bruit de fond de l’ordre de 10�6 A/m.

La direction de l’aimantation rémanente naturelle (ChRM) a été obtenue au moyen d’unedésaimantation pas à pas par champ alternatif (AF), ou par désaimantation thermique (au moyend’un four MMTD) et en analysant la courbe de désaimantation en utilisant l’analyse encomposantes principales (ACP).

La susceptibilité magnétique a été mesurée à l’aide d’un bridge MFK1 et normalisée par rapportà la masse. L’aimantation rémanente isotherme (ARI) a été acquise dans un champ pulsé de 3 T etmesurée avec le 2G SRM pour différentes valeurs de désaimantation en champ alternatif.

Les cycles d’hystérésis ont été mesurés sur quelques échantillons fortement magnétiques aumoyen d’un magnétomètre à échantillon vibrant Micromag (VSM).

Les polarités géomagnétiques cohérentes indiquées par les directions ChRM ont étéinterprétées par comparaison avec l’échelle des polarités géomagnétiques (GPTS, Laj etChannell, 2007).

2.2. Résultats paléomagnétiques

Les intensités d’aimantation rémanente naturelle (ARN) mesurées varient de quelques10�6 A/m (c’est-à-dire juste au-dessus du bruit de fond) à plus de 10�4 A/m. La faible intensité

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3326

caractérise l’unité supérieure de travertin qui présente également une susceptibilitédiamagnétique proche de celle de la calcite pure (Fig. 8). Le comportement des échantillonslors de la démagnétisation de l’ARN par champ alternatif ou par méthode thermique a été étudiégrâce à 20 échantillons pilotes (Fig. 9).

On constate que l’aimantation secondaire, en proportion relative variable, est essentiellementéliminée après une chauffe au-dessus de 150–200 8C et avec un champ alternatif de quelquesdizaines de mT, bien que la démagnétisation thermique semble plus efficace.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 27

Fig. 8. Les différents paramètres magnétiques et isotopiques en fonction de la hauteur stratigraphique des sections A etB : (a) porosité obtenue selon la densité des cylindres paléomagnétiques et la densité des grains de 2,66 � 0,03, mesuréesur 20 échantillons avec le pycnomètre à hélium, (b) susceptibilité magnétique mesurée avec MFK1 et corrigée à partird’une sensibilité de la calcite pure de �4,8 � 10�9 m3/kg, (c) la rémanence de saturation (IRM) acquise dans un champ à3 T, (d) et (e) compositions isotopiques d’oxygène et de carbone exprimées en d % par rapport à PDB. Les valeursisotopiques sont normalisées par rapport à la norme internationale NBS-19. La moyenne de la reproductibilité externe aété de 0,03 % pour d 13C et 0,05 % pour d 18O (Lebatard et al., 2014).The different magnetic and isotopic parameters in relation to the stratigraphic location of sections A and B: (a) porosityobtained according to the density of the paleomagnetic cylinders and grain density 2.66 � 0.03, measured on 20 sampleswith the helium pycnometer, (b) magnetic susceptibility measured with MFK1 and corrected with pure calcitesusceptibility of �4,8 � 10�9 m3/kg, (c) saturation remanence (IRM) acquired in a 3 T field, (d) and (e) oxygen andcarbon isotopic composition as d% compared to PDB. The isotopic values are normalized in comparison withthe international standard NBS-19. The external reproducibility average was 0.03% for d 13C and 0.05% for d 18O(Lebatard et al., 2014).

Pour traiter le reste des échantillons, nous avons opté pour une combinaison d’une chauffeunique à 180 8C et une démagnétisation par champ alternatif AF par étapes jusqu’à 50 mT. Il n’apas toujours été possible d’obtenir une ACP raisonnable en raison du fait que le bruit dépasserapidement le signal de l’ARN après quelques étapes de démagnétisation. Pour cela nous avonsutilisé la moyenne des étapes de 10 à 20 mT. En raison de la très faible teneur en minérauxrémanents, la plupart des techniques de la minéralogie magnétique était inapplicable.

Deux échantillons plus fortement magnétiques (à une hauteur de 24 et 30 m) ont révélé unemagnétite pseudomonodomaine (PSD) avec Mrs/Ms = 0,15, Bcr/Bc = 2,2, Bcr compris entre22 et 27 mT, et un rapport S de 0,96. La dominance de magnétite PSD est confirmée par latempérature maximale de déblocage à près de 580 8C et un champ médian destructif entre 20 et50 mT.

Dans le travertin supérieur, l’ARI est en moyenne de 1,5 � 10�6 Am2/kg (Fig. 8), ce quiindique une teneur en magnétite de l’ordre de 0,1 ppm. Environ 10 % de l’ARI subsiste après unchamp alternatif (AF) de 100 mT. Cette magnétite PSD est d’origine volcanique etpédogénétique (transportée par le vent à partir des sols régionaux et des dépôts volcaniques)ou encore d’origine biogénique (liée à l’activité bactérienne spécifique à la formation detravertin). Quoi qu’il en soit, nous considérons que la direction ChRM obtenue est unenregistrement fiable du champ géomagnétique présent lors du dépôt en raison de la lithificationinstantanée de sédiments liée à la précipitation du carbonate.

Comme le montre la latitude du pôle géomagnétique (VGP), calculée en fonction de laprofondeur (Fig. 10), une polarité inverse domine fortement sauf dans la partie supérieure de lacoupe fluvio-lacustre (B) où la polarité est normale. Les 3 échantillons situés au sommet dutravertin supérieur (section B) sont également inverses. Par conséquent, le changement depolarité semble coïncider avec la discordance.

Dans la coupe principale du travertin (Fig. 2, section A) où la polarité est inverse, quelqueséchantillons présentent des latitudes VGP positifs, vers 30 à 35 m. Pour tester si cela peut

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3328

Fig. 9. Quelques exemples représentatifs de la démagnétisation thermique et en champ alternatif du NRM (diagrammeZijderveld et courbes décroissantes de l’intensité). Projections orthogonales (Zijderveld, 1967) et courbes décroissantesd’intensité pour des échantillons représentatifs soumis à une démagnétisation par champ thermique et alternatif. Sur lesdiagrammes de projection orthogonale, les cercles vides et pleins représentent respectivement les projections sur les plansverticaux et horizontaux (Lebatard et al., 2014).Several representative thermal demagnetization examples and in alternative NRM field (Zijderveld diagram anddecreasing curves of intensity). Orthogonal projections (Zijderveld, 1967) and decreasing intensity curves for repre-sentative samples submitted to demagnetization in thermal and alternative fields. On the orthogonal projection diagrams,the empty and filled circles represent projections on vertical and horizontal planes respectively (Lebatard et al., 2014).

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 29

Fig. 10. Caractéristiques des directions paléomagnétiques (soit latitude VGP pour les échantillons de surface ouinclinaison pour des échantillons de forage) en fonction de la hauteur de la stratigraphie du fond de la carrière, ainsique la corrélation proposée avec les GPTS (Laj et Channell, 2007) et les résultats cosmonucléides (Lebatard et al., 2014).Les données des sections A, B et C (Fig. 2) sont représentées respectivement avec des carrés, des croix, des triangles. Lescercles représentent l’échantillonnage de 2012 de la section A, ainsi que deux nouveaux affleurements de la partiesupérieure du travertin. Les symboles noirs et gris pour les sections A et B correspondent à ChRM obtenue par l’APC ou lemoyen directionnel de 160 8C et l’étape de démagnétisation de 10–20 mT.Characteristics of the paleomagnetic directions (either VGP latitude for the surface samples or tilt for the cored samples)in relation to the height of the stratigraphy at the back of the quarry, as well as the correlation proposed with the GPTS(Laj and Channell, 2007) and the cosmonuclide results. Data from sections A, B and C (Fig. 2) are represented by squares,crosses and triangles respectively. The circles represent the 2012 sampling in section A, and the two new outcrops in theupper part of the travertine. The black and grey symbols for sections A and B correspond to ChRM obtained by APC or thedirectional mean of 160 8C and the demagnetization stage of 10–20 mT.

correspondre à l’enregistrement partiel d’une courte excursion normale, nous avons ré-échantillonné ce niveau latéralement dans une autre coupe de la même carrière. Ces autreséchantillons ont donné une polarité inverse. Par conséquent, les polarités normales suspectes sontprobablement le résultat de mesures de qualité médiocre dans cette partie de faible intensité ou derémagnétisations liées à la circulation de l’eau dans une faille néotectonique ouverte, observée àmoins d’un mètre des échantillons.

Enfin, la section C (Fig. 2), correspondant à une poursuite latérale plus épaisse de la section B(Fig. 2), montre une polarité inverse à l’exception des échantillons les plus bas. Seule la partiesupérieure de la section a été échantillonnée (en raison de matériaux non consolidés). Nouspouvons conclure que la polarité normale observée dans la section B est délimitée à l’intérieur depolarités inverses.

L’interprétation la plus plausible est de placer tous les dépôts étudiés dans la période deMatuyama supérieur (780 000 à 1 780 000 ans) et par conséquent la polarité normale dans lessections fluvio-lacustres (B et C) correspondrait à une courte inversion durant cette longuepériode de Matuyama.

3. Autres paramètres physiques et isotopiques

3.1. Méthodes

Afin d’apporter d’autres contraintes sur l’évolution temporelle de la série étudiée, nous avonsmesuré d’autres paramètres, sur les carottes paléomagnétiques, en insistant sur le travertinsupérieur afin de rechercher la marque éventuelle de cycles climatiques.

La mesure des paramètres magnétiques intrinsèques, susceptibilité et aimantation rémanenteisotherme (ARI) est décrite en Section 2.1. La densité apparente et la porosité ont été estimées enmesurant masse, volume total (dimension du cylindre) et volume solide (par pycnométrie àl’hélium).

Les rapports isotopiques du carbone et de l’oxygène ont été mesurés sur un fragment decarotte à l’aide du spectromètre Delta Plus Advantage Thermo-Finnigan. Les valeurs de d13C etde d18O sont exprimées par rapport à la valeur de référence PDB et sont normalisées par rapportau standard NBS-19. La reproductibilité moyenne est inférieure à 0,03 % pour d13C et 0,05 %pour d18O. Ces rapports sont en fonction de la composition de l’eau souterraine à l’origine de laprécipitation travertineuse ainsi que de la température de précipitation. On peut donc s’attendre àretrouver un signal des variations climatiques dans ces mesures isotopiques.

3.2. Résultats

La densité solide du travertin, mesurée sur 20 carottes, est de 2,66 � 0,03, en accord avec lavaleur de la calcite pure (2,71). La porosité (Fig. 8a) varie entre 3 et 29 % et montre en moyenneune légère tendance à l’augmentation vers le haut, avec en particulier des valeurs moyennes pourles travertins inférieur et supérieur de 7 � 2 et 12 � 3 %.

La susceptibilité magnétique est diamagnétique dans le travertin et positive dans les niveauxfluviatiles (Fig. 8b). Ce paramètre ainsi que l’ARI (Fig. 8c) indique dans le travertin supérieur àune teneur en magnétite minimale au milieu et plus forte à la base et au sommet de la formation.

Les rapports isotopiques évoluent de manière régulière en fonction du temps (Fig. 8). Ils neprésentent pas de cyclicité nette, de même que les paramètres physiques, ce qui suggèrent soitqu’ils sont insensibles aux fluctuations liées aux cycles climatiques, soit que le dépôt de

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3330

l’ensemble du travertin supérieur s’est fait sur une durée inférieure ou égale à un seul cycle(Fig. 8d et e).

4. Interprétation chronologique

Les âges d’enfouissement obtenus par la méthode 10Be/26Al (1,1 à 1,6 Ma) sur les quartz desniveaux fluviatiles (Lebatard et al., 2014 ; Lebatard et al., dans ce volume) permettent de proposerune interprétation cohérente de l’ensemble des résultats (Fig. 10).

La polarité inverse enregistrée dans le conglomérat inférieur pourrait être située soit justeaprès, soit juste avant l’événement d’Olduvai. La seconde hypothèse est moins probable car elleimplique que cet événement n’a pas été enregistré ou s’exprime seulement de manière cryptiqueà travers quelques altitudes PGV positives obtenues vers 30–35 m. De plus, un rééchantillonagelatéral des niveaux à 30–35 m a révélé une polarité inverse franche sur l’ensemble des carottes(cercles sur la Fig. 10). Par conséquent, une interprétation plus raisonnable place la base de lasection A à un âge plus récent que 1,78 Ma.

Pour l’unité détritique supérieure, de polarité normale, elle peut être corrélée avec l’excursionde Cobb Mountain avec sa base à 1,22 Ma (Fig. 10).

Une autre interprétation consisterait à attribuer la polarité normale au Jaramillo, débutant à1,07 Ma. Cependant, cela implique une surestimation de 0,1 Ma de l’âge du dépôt détritique etl’impossibilité d’enregistrer l’excursion de Cobb Mountain. D’autre part, la polarité normaleenregistrée à la base du travertin supérieure peut être attribuée à l’excursion de Gilsa datée de1,56 Ma (Laj et Channell, 2007). Ceci est également compatible avec l’âge cosmonucléideobtenu. Cependant, l’excursion Gilsa est de courte durée et a rarement été enregistrée,contrairement à l’excursion de Cobb Mountain.

L’interprétation la plus probable placerait donc les niveaux fossilifères du travertin supérieur àun âge entre 1,1 Ma et �1,6 Ma. Cette interprétation implique une modification importante de lavitesse de dépôt. L’ensemble supérieur de travertin aurait été déposé à environ 10 m par 100 ka,ce qui est en accord avec la fourchette d’âge et l’épaisseur de la formation de travertin dePamukkale qui est toujours en activité. Par contre, l’unité détritique supérieure enregistrantl’excursion de Cobb Mountain aurait été déposée à une vitesse triple de 13 m en moins de 35 ka.

Comme notre interprétation suggère que la section du travertin supérieur pourrait couvrirplusieurs cycles climatiques, nous avons recherché des oscillations climatiques avec desmoyens isotopiques et magnétiques (Fig. 8). Les paramètres mesurés semblent cependantindiquer que le travertin a été vraisemblablement construit dans un cycle climatique unique. Parconséquent, l’âge de la section de travertin fossilifère est probablement autour de 1,2–1,3 Ma, cequi rendrait le taux de dépôt comparable entre travertin supérieur et formation fluvio-lacustresupérieure et serait en parfait accord avec la faune de grands mammifères. Cette tranche d’âgeest également en conformité avec l’analyse anthropologique qui fait ressortir la similitude entrele crâne fragmentaire de Kocabas et Homo erectus africain comme ER3733, OH9 et spécimensBouri-Daka datés à 1,78 ; 1,4–1,5 et 1 Ma, respectivement (Feibel et al., 1989 ; Schwartz etTattersall, 2003 ; Gilbert et Asfaw, 2008).

5. Conclusion générale

L’évolution verticale de la séquence stratigraphique de la carrière Faber montre au moins deuxgrands cycles de travertin en masse séparés par des dépôts détritiques. Ces travertins ont dû seformer dans des milieux de fort hydrodynamisme (ruisseaux ou chutes d’eau) et se localisent

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 31

préférentiellement au niveau des ruptures de pente qui accentuent le dégazage des eaux etaccélèrent la sursaturation des solutions responsables de la précipitation des carbonates.

Étant donné que la base du premier cycle de travertin de la carrière n’était pas encore atteintelors de cette étude, le deuxième cycle débute par des galets alluviaux et se poursuit par des sables,des argiles, des lits de travertin puis du travertin en masse (principal corps carbonaté de laformation). La dernière évolution morpho-sédimentaire se termine par une incision et uneérosion de la masse de travertin supérieur qui aboutit à la formation d’un grand lac marécageux.

L’étude paléomagnétique montre que l’ensemble de travertin de la carrière présente unepolarité géomagnétique inverse y compris les dépôts fluviatiles situés au sein du travertin.Quelques échantillons par contre ont montré une polarité normale vers 30–35 m de hauteur. Ledépôt détritique fluvio-lacustre situé au-dessus du travertin présente une polarité géomagnétiquenormale alors que le sommet du dépôt présente une polarité inverse.

Compte tenu de la présence, dans l’unité supérieure du travertin, d’un crâne d’Homo erectusarchaïque et de restes paléontologiques villafranchiens, l’ensemble du travertin se situerait dansla période de Matuyama supérieur, plus récent que l’événement d’Olduvai (1,78 Ma).

La polarité normale enregistrée à la base du dépôt fluvio-lacustre supérieur pourraitcorrespondre à l’excursion de Cobb Mountain datée de 1,22 Ma.

Enfin, les dalles de travertin qui renferment les restes paléontologiques, mises à notredisposition en 2011, proviennent vraisemblablement de l’unité de travertin supérieure,développées avec texture, couleur, porosité semblables et présence de fossiles que l’on neretrouve pas dans les autres niveaux.

Remerciements

Le programme de recherche portant sur le fossile de Kocabas dans la région de Denizli estcoordonné par l’Institut de Paléontologie Humaine, en France, en partenariat avec l’UniversitéPamukkale, en Turquie. Il bénéficie du soutien du programme TUBITAK-CNRS (financementno 110Y335), TUBITAK no 105Y280 et de l’Académie des Sciences de Turquie. La sociétéPernod-Ricard en Turquie a également apporté son soutien financier aux missions réalisées sur leterrain, qu’elle en soit ici vivement remerciée.

Références

Alçiçek, H., Varol, B., Özkul, M., 2007. Sedimentary facies, depositional environments and palaeogeographic evolutionof the Neogen Denizli Basin, SW Anatolia, Turkey. Sedimentary Geology 202, 596–637.

Altunel, E., Hancock, P.L., 1993. Active fissuring and faulting in Quaternary travertines at Pamukkale, western Turkey.Zeitschrift für Geomorpholgie Supplement Series 94, 285–302.

Erten, H., Sen, S., Özkul, M., 2005. Pleistocene mammals from travertine deposits of the Denizli basin (SW Turkey).Annales de Paléontologie 91 (Issue 3) 267–278.

Engin, B., Güven, O., 1997. Thermoluminescence dating of Denizli travertines from the southwestern part of Turkey.Applied Radiation and Isotopes 48, 1257–1264.

Engin, B., Guven, O., Koksal, F., 1999. Electron spin resonance determination of a travertine sample from thesouthwestern part of Turkey. Applied Radiation and Isotope 51, 689–699.

Feibel, C.S., Brown, F.H., McDougall, I., 1989. Stratigraphic context of fossil hominids from the Omo Group deposits,northern Turkana Basin, Kenya and Ethiopia. American Journal of Physical Anthropology 78, 595–622.

Gilbert, W.H., Asfaw, B., 2008. Homo erectus: Pleistocene Evidence from the Middle Awash, Ethiopia. Univ. Californiapress. Asfaw (eds), 481 p.

Kappelman, J., Alçiçek, M.C., Kanzancı, N., Schultz, M., Özkul, M., Sen, S., 2008. Brief communication: first Homoerectus from Turkey and implications for migrations into temperate Eurasia. American Journal of PhysicalAnthropology 135, 110–116.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–3332

Laj, C., Channell, J.E.T., 2007. Geomagnetic excursions. In: Kono, M. (Ed.), Treatise on Geophysics, Vol. 5,Geomagnetism. Elsevier, Amsterdam, pp. 373–416.

Lebatard, A.-E., Alçiçek, M.C., Rochette, P., Khatib, S., Vialet, A., Boulbes, N., Bourlès, D.L., Demory, F., Guipert, G.,Mayda, S., Titov, V.V., Vidal, L., de Lumley, H., 2014. Dating the Homo erectus bearing travertine from Kocabas(Denizli), Turkey) at at least 1.1 Ma. Earth and Planetary Science Letters 390, 8–18.

Mesci, B.L., Tatar, O., Piper, J.D.A., Gürsoy, H., Altunel, E., Crowley, S., 2012. The efficacy of travertine as apalaeoenvironmental indicator: palaeomagnetic study of neotectonic examples from Denizli, Turkey. Turkish Journalof Earth Sciences 21, 1–15.

Lu, G., Zheng, C., Donahoe, R.J., Berry, Lyons, W., 2000. Controlling processes in a CaCO3 precipitating stream inHuanglong Natural Scenic District, Sichuan, China. Journal of Hydrology 230, 34–54.

Ollivier, V., Guendon, J.L., All, A., Roiron, P., Ambert, P., 2006. Évolution postglaciaire des environnements travertineuxprovençaux et alpins : nouveau cadre chronologique, faciès et dynamiques morphosédimentaires. Quaternaire 17 (2)51–67.

Schwartz, J.H., Tattersall, I., 2003. The Human Fossil Record volume 2. Craniodental Morphology of Genus Homo(Africa and Asia) Wiley Liss, New York.

Sun, S., 1990. Denizli-Usak Arasının Jeolojisi ve Linyit Olanakları (Geology and Lignite Potential of Denizli-UsakRegion). Mineral Res. Expl. Direct. Turkey (MTA), Scientific Report No: 9985. Ankara, Turkey (in Turkish) , pp. 92.

Vialet, A., Guipert, G., Alçiçek, M.C., 2011. Reconstitution 3D et étude de l’Homo erectus de Kocabas en Turquie.Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris 23, S38.

Vialet, A., Guipert, G., Alçiçek, M.C., 2012. Homo erectus found still further west: reconstruction of the Kocabas cranium(Denizli, Turkey). Comptes Rendus Palevol. 11, 89–95.

Westaway, R., 1993. Neogene evolution of the Denizli region of western Turkey. Journal of Structural Geology 15, 37–53.Zijderveld, J.D.A., 1967. Demagnetization analysis of results. In: Methods in paleomagnetism. Elsevier Ed, Amsterdam,

254–286.

S. Khatib et al. / L’anthropologie 118 (2014) 16–33 33