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1 Discrimination spatiale des femmes et ségrégation sur le marché du travail : l'exemple de Bruxelles Laurence BROZE 1 , Mathilde STEINAUER, Isabelle THOMAS 2 . Juillet 1999 L'objectif de cet article est de faire un état de la question de la discrimination spatiale des femmes en milieu urbain. Une revue de la littérature internationale est menée et conduit à la conclusion d'une très grande hétérogénéité des méthodes et des résultats obtenus. Une analyse exploratoire sur Bruxelles est ensuite réalisée, elle témoigne de l'existence d'une forte ségrégation spatiale à l'intérieur de l'agglomération, à relier avec le statut socioéconomique et familial. De nombreuses études économiques ont mis en évidence la discrimination sur le marché du travail entre hommes et femmes, en laissant étrangement de côté la ségrégation résidentielle. Pourtant des sociologues et des géographes ont montré la pertinence d'une analyse sexuée des distances entre domicile et lieu de travail; des économistes américains ont mis en lumière, pour les travailleurs noirs, que la discrimination sur le marché du travail est intimement liée aux ghettos, et donc à la ségrégation urbaine: une part importante des noirs américains sont spatialement ségrégués sur des bases raciales et leurs chances sont influencées de manière décisive par l'endroit où ils vivent. Dans la plupart des villes, on observe que la localisation des individus est fortement déterminée par le statut professionnel, le statut familial, le revenu et l'ethnie. Par exemple, dans les villes américaines, en moyenne, les personnes vivant en périphérie ont un niveau d'éducation élevé, des revenus importants, des emplois qualifiés, sont peu au chômage, n'appartiennent pas aux minorités et vivent en familles avec enfants. Par contre, au centre des villes, c'est le phénomène inverse qui s'observe. Dans les villes européennes, les schémas sont moins clairs. Si l'on pense par exemple à Paris, cette distinction centre/périphérie est moins nette parce que Paris a une structure plutôt polycentrique même si les zones les plus défavorisées se situent dans les banlieues. Pour Bruxelles, la situation est plutôt de type << américaine » puisque les individus les mieux rémunérés résident dans les quartiers périphériques aux logements spacieux et où il y a peu d'immigrés au statut précaire. Inversement, c'est au centre de l a ville, où les logements sont de moins bonne qualité, qu'on trouve la plus grande concentration d'immigrés, de travailleurs à faible revenu, de chômeurs. La littérature économique théorique a donné différents éclairages aux problèmes de discrimination sur le marché du travail et/ou de ségrégation urbaine. Cependant, dans tous les modèles proposés, le lien direct entre ces discriminations n'est pas explicite, sauf dans les modèles de mauvais appariement spatial (« Spatial Mismatch ») dont l'objectif est d'expliquer les taux élevés de pauvreté et de chômage parmi les groupes racialement discriminés au centre des villes américaines. Le mécanisme déterminant est celui de la délocalisation des entreprises vers les périphéries des villes (phénomène courant aux USA, mais aussi en Belgique, dans les années cinquante / soixante). Ceci est renforcé par l'attitude discriminatoire des propriétaires fonciers des banlieues aisées. La ségrégation sur le marché du logement limite les choix résidentiels et crée un accès plus difficile à l'emploi. 1 Les questions de genre en géographie 1 GREMARS, Université de Lille 3 et CORE, Université catholique de Louvain. 2 Département de Géographie et CORE, Université catholique de Louvain. Ce travail a bénéficié du soutien de la Ministre de l'Emploi et du Travail, chargée de la Politique d'Egalité entre les hommes et les femmes ainsi que du soutien du Ministre de l'Emploi de la Région Bruxelles-Capitale.

Discrimination spatiale des femmes et ségrégation sur le marché du travail : l'exemple de Bruxelles

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Discrimination spatiale des femmeset ségrégation sur le marché du travail : l'exemple de Bruxelles

Laurence BROZE1, Mathilde STEINAUER, Isabelle THOMAS2.Juillet 1999

L'objectif de cet article est de faire un état de la question de la discrimination spatiale des femmes enmilieu urbain. Une revue de la littérature internationale est menée et conduit à la conclusion d'une trèsgrande hétérogénéité des méthodes et des résultats obtenus. Une analyse exploratoire sur Bruxelles estensuite réalisée, elle témoigne de l'existence d'une forte ségrégation spatiale à l'intérieur del'agglomération, à relier avec le statut socioéconomique et familial.

De nombreuses études économiques ont mis en évidence la discrimination sur le marché dutravail entre hommes et femmes, en laissant étrangement de côté la ségrégation résidentielle.Pourtant des sociologues et des géographes ont montré la pertinence d'une analyse sexuée desdistances entre domicile et lieu de travail; des économistes américains ont mis en lumière, pourles travailleurs noirs, que la discrimination sur le marché du travail est intimement liée auxghettos, et donc à la ségrégation urbaine: une part importante des noirs américains sontspatialement ségrégués sur des bases raciales et leurs chances sont influencées de manièredécisive par l'endroit où ils vivent.

Dans la plupart des villes, on observe que la localisation des individus est fortement déterminéepar le statut professionnel, le statut familial, le revenu et l'ethnie. Par exemple, dans les villesaméricaines, en moyenne, les personnes vivant en périphérie ont un niveau d'éducation élevé,des revenus importants, des emplois qualifiés, sont peu au chômage, n'appartiennent pas auxminorités et vivent en familles avec enfants. Par contre, au centre des villes, c'est lephénomène inverse qui s'observe.

Dans les villes européennes, les schémas sont moins clairs. Si l'on pense par exemple à Paris,cette distinction centre/périphérie est moins nette parce que Paris a une structure plutôtpolycentrique même si les zones les plus défavorisées se situent dans les banlieues. PourBruxelles, la situation est plutôt de type << américaine » puisque les individus les mieuxrémunérés résident dans les quartiers périphériques aux logements spacieux et où il y a peud'immigrés au statut précaire. Inversement, c'est au centre de l a ville, où les logements sont demoins bonne qualité, qu'on trouve la plus grande concentration d'immigrés, de travailleurs àfaible revenu, de chômeurs.

La littérature économique théorique a donné différents éclairages aux problèmes dediscrimination sur le marché du travail et/ou de ségrégation urbaine. Cependant, dans tous lesmodèles proposés, le lien direct entre ces discriminations n'est pas explicite, sauf dans lesmodèles de mauvais appariement spatial (« Spatial Mismatch ») dont l'objectif est d'expliquerles taux élevés de pauvreté et de chômage parmi les groupes racialement discriminés au centredes villes américaines. Le mécanisme déterminant est celui de la délocalisation des entreprisesvers les périphéries des villes (phénomène courant aux USA, mais aussi en Belgique, dans lesannées cinquante / soixante). Ceci est renforcé par l'attitude discriminatoire des propriétairesfonciers des banlieues aisées. La ségrégation sur le marché du logement limite les choixrésidentiels et crée un accès plus difficile à l'emploi.

1 Les questions de genre en géographie

1 GREMARS, Université de Lille 3 et CORE, Université catholique de Louvain.2 Département de Géographie et CORE, Université catholique de Louvain.Ce travail a bénéficié du soutien de la Ministre de l'Emploi et du Travail, chargée de la Politique d'Egalité entre leshommes et les femmes ainsi que du soutien du Ministre de l'Emploi de la Région Bruxelles-Capitale.

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Les premières études féministes en géographie sont apparues dans les années 1970. LindaMcDowell (1993) repère un article de Pat Burnett (1973) comme étant le premier à adopter unpoint de vue féministe en géographie. Mais c'est dans les années 1980 que ces étudesdeviennent plus nombreuses et surtout plus visibles. Dans les années 1990, les débats sur lesquestions de genre sont devenus plus fréquents dans les assemblées et revues géographiques.Paradoxalement, de nos jours, la géographie féministe reste occultée par une partie desgéographes et n'est pas (ou ridiculement peu) mentionnée dans les manuels sur l'épistémologiede la géographie.

1.1 L'essor de la géographie féministe

La définition d'une géographie féministe peut poser quelques problèmes du point de vue del'originalité de l'approche géographique. En effet, dans les premières années, les géographesféministes ont importé des préoccupations de chercheuses féministes d'autres sciences sociales(travail, logement...) et parallèlement, les chercheuses d'autres disciplines ont senti le besoind'inclure la notion d'espace dans leurs problématiques. Il est donc difficile d'isoler la géographieféministe. Nous pouvons tout de même dire que la géographie féministe a deux objectifs:permettre une meilleure compréhension des activités humaines sur la terre en incluant lesfemmes dans les analyses dont elles étaient absentes, d'une part, et de fournir du matériel pourpromouvoir des politiques plus égalitaires entre les sexes, d'autre part.

Au début, c'est l'absence des femmes de la géographie qui a été dénoncée. Rendre les femmesvisibles a entraîné une série d'études empiriques, quantitatives, qui ont porté leur attention surles variations spatiales dans les statuts des femmes (de l'échelle locale à l'échelle globale). Ellesétaient nettement descriptives. Comme dans d'autres disciplines, un grand débat quantitatifversus qualitatif a traversé l a géographie féministe. Les premiers travaux, essentiellementqualitatifs, furent considérés comme subjectifs et ont donné lieu à des études statistiquesdestinées à objectiver les problèmes soulevés. Par l a suite, ce sont ces travaux quantitatifs quifurent critiqués en raison de leur caractère trop superficiel et de leur manque d'analysethéorique.

Des géographes féministes (Linda McDowell, Sandra Harding, Donna Haraway, ...) dénombrenttrois étapes chronologiques dans les différentes prises en compte des questions féministes engéographie : une géographie féministe empirique (ou rationnelle), une géographie féministeconstruite à partir de l'expérience collective des femmes (ou irrationnelle) et la géographieféministe post moderne fondée sur le concept de genre (ou post-rationnelle). Cependant ces «étapes » ne doivent pas être uniquement vues sous l'angle chronologique, elles coexistentlargement.

L'apport des questionnements féministes est particulièrement important en géographie urbaine.Susan Hanson et Geraldine Pratt (1995) ont mené une enquête de grande envergure sur les liensentre la structure spatiale de la ville et l'emploi de femmes dans la ville de Worcester,Massachusetts. Dans le cadre de cette recherche, Hanson et Pratt (1988a) appellent à unemodification profonde des concepts de la géographie urbaine, en mettant en cause la manièredont les géographes dissocient la sphère publique e t la sphère privée.

1.2 La relation domicile - travail en géographie urbaine

Hanson et Pratt (1988b) notent que le lien entre domicile et travail est un élément central dela géographie urbaine qui n' a pas été bien pris en compte dans la tradition géographique depuisles années 50 puisque domicile et travail sont vus comme deux sphères complètement distinctes; cette distinction se retrouve dans le découpage entre géographie économique (qui s'intéresse autravail) et géographie sociale (qui s'intéresse à ce qui tourne autour du domicile). Domicile ettravail sont non seulement vus comme des sphères distinctes, mais aussi sexuellement divisées(femmes - domicile versus hommes travail). Le lieu de travail et le domicile ont longtemps étéconsidérés comme des points reliés entre eux par une ligne. Les auteurs critiquent lesmodélisations mathématiques de la structure spatiale des villes où la localisation optimale dulieu de résidence est déterminée à partir de deux arguments: la distance au centre ville

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(considéré comme le lieu de travail) et les dépenses de logement, dans le cadre d'une contraintede budget. Ceci est particulièrement le cas du modèle d'Alonso (et de ses descendants).

Le lieu de travail est considéré comme prioritaire sur le choix du domicile: les modèlesmathématiques partent du principe que l'on recherche un lieu de résidence en fonction du lieu detravail (et des revenus).

Cette critique s'adresse aussi bien aux modèles du type `Alonso qu'à ceux qui expliquent le choixdu domicile en fonction du cycle de vie et des revenus du ménage (le choix du domicile y estencore une résultante du travail). Cette prédominance du travail sur le domicile conduit à unbiais sexiste: le ménage est constitué d'un travailleur et d'une femme au foyer et le travaildomestique est ignoré. Enfin, les contraintes intervenant dans les choix des femmes mariées quibien souvent choisissent leur lieu de travail à partir d'un domicile fixé ne sont pas prises encompte.

Bien que les modèles reconnaissent que le choix du domicile est fonction des revenus et despréférences des ménages, ils ne tiennent pas suffisamment compte des différences de besoinsentre les « sous-groupes » de ménages tels les ménages monoparentaux. Or, essayer decombiner emploi et tâches domestiques dans la journée d'un individu plutôt que dans la journéede deux individus modifie les contraintes intervenant entre lieu de travail et domicile. Lavariété des types de ménages nécessite que le lien domicile - travail soit redéfini.

Plusieurs améliorations, encore insuffisantes, ont été apportées au modèle classique d'Alonso:différents types de ménages sont introduits, mais il y a toujours priorité du travail sur ledomicile; des interactions sont rendues possibles entre la localisation des entreprises et le lieu derésidence, mais pour les choix des hommes uniquement; le contexte local est pris enconsidération, mais pas les questions importantes pour les femmes (localisation des écoles,problèmes de garde d'enfants, etc.). Les décisions au sein des ménages sont absentes des analyseset reléguées au plan privé (décision de travailler cu non, à temps plein cu partiel, etc.).

L'environnement du domicile devrait, selon Hanson et Pratt, être appréhendé sous trois angles:ccffnme source d'un emploi potentiel, comme source de services, comme agent de socialisation.Une grande partie des travailleurs cherchent un emploi à partir d'un lieu de résidence fixe.L'enquête sur Worcester montre une grande stabilité résidentielle (importance des foyers quiont reçu leur logement de la génération précédente notamment). Une partie des trajets troplongs peuvent être liés à l'enracinement résidentiel, et non à un choix rationnel. L'importancedu lieu de domicile sur les possibilités de travail est reconnue dans deux théories: le « spatialmismatch » de Kain (1968) qui met l'accent sur les difficultés des noirs américains vivant dansdes ghettos des centres-villes de trouver du travail suite aux délocalisations des industries vers lapériphérie, et le « spatial entrapment » des femmes blanches mariées des classes moyennes queNelson (1986) développe (des entreprises déplaceraient leurs bureaux de tertiaire de routineprès des zones résidentielles suburbaines où des femmes ayant reçu une bonne éducationreprésenteraient une force de travail bon marché et peu syndiquée). Pour Hanson et Pratt, ledomicile a une influence non seulement sur le fait de travailler mais aussi sur le type de travaileffectué, aspect qui a peu été exploré.

De plus, le voisinage peut offrir des services formels ou informels (loisirs, achats, gardesd'enfants, ...). Cette présence de services peut influencer les décisions de travail. Hanson etPratt montrent qu'en sociologie urbaine le regard sur le voisinage est passé du voisinage commelieu d'interactions sociales e t refuge par rapport au travail, au voisinage comme lieu répondantà un besoin en services. Les recherches qui ont tenté de faire le lien entre services et travailsont peu nombreuses, et toujours construites à une échelle macro-spatiale.

Enfin, le voisinage peut être vu comme un agent de socialisation qui permettrait lareproduction sociale, même si cette théorie a fait l'objet de nombreuses polémiques. Lareconnaissance et l'étude des effets du domicile et du voisinage sur la vie professionnelle,nécessitent selon Hanson et Pratt, une redéfinition du « domicile ». Si Hanson et Prattinsistent sur les effets du domicile sur le travail, elles n'en nient pas moins les effets du travail

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sur le domicile. Les interdépendances domicile - travail varient en fonction de la classesocio-professionnelle (les cadres supérieurs étant les plus susceptibles de déménager dans uneautre région urbaine pour leur carrière) et du nombre de travailleurs rémunérés dans un ménage.Hanson et Pratt reconnaissent également l'importance du contexte comme médiateur desinteractions entre le domicile et le travail: le contexte local du marché du logement, lecontexte local de l'emploi et, de manière plus globale le contexte sociétal.

2 Les différences de genre dans la navette

Depuis les années 1970, des études ont montré les différences de genre dans la mobilité liée autravail: les femmes ont des navettes plus courtes que les hommes en distance et en temps,même si pour cette donnée les résultats sont moins tranchés (Hanson et Johnston, 1985). Lesexplications avancées font état de la place qu'occupent les femmes dans le marché du travail etde la division inégale du travail domestique entre les hommes et les femmes (elles n'auraient pasautant de temps que les hommes à consacrer à leur navette à cause de la charge des tâchesdomestiques).

2.1 Synthèse de la littérature

Cette section synthétise les facteurs évoqués comme ayant un effet sur les différences de genredans les navettes. La comparaison des résultats des études est délicate car elles n'ont ni lesmêmes objectifs, ni les mêmes données, ni les mêmes échelles d'analyse.

2.1.1 Présentation générale

Janice Madden (1981) modélise les navettes en fonction des caractéristiques du travail (salaires,emploi, nombre d'heures) et du foyer (nombre de personnes, enfants, localisation) pour leshommes et les femmes afin de déterminer à quel point ces variables influencent les différencesobservées. Elle utilise les données du Panel Survey of Income Dynamics (Université duMichigan) de 1976. Cette enquête concerne 5 000 familles (chefs de famille et épouses sontinterrogés).

Gordon et al. (1989), dont la recherche est basée sur deux enquêtes sur les déplacementseffectuées dans les grandes villes des Etats-Unis en 1977 et 1983-84 (the Nationwide PersonalTransportation Study), contredisent les arguments des chercheurs qui avaient trouvé que lesnavettes réduites des femmes étaient liées à des contraintes (position sur le marché du travail,travail domestique, accès limité à l a voiture, ...).

Ces deux études ont comme point commun de ne pas prendre en compte les spécificités desstructures spatiales des villes. Elles se basent sur des moyennes nationales où la notion d'espacen'est appréhendée qu'à travers le nombre d'habitants (villes moyennes, grandes villes) et ladichotomie centre-ville /banlieue.

Anna Howe et Kevin O'Connor (1982) étudient pour Melbourne, le rôle de la structure spatialede la ville et les difficultés d'accessibilité pour expliquer le faible taux d'activité des femmes(données du recensement de 1976).

Susan Hanson et Ibipo Johnston-Anumonwo (1985) utilisent des données du Baltimore TravelDemand Data Set, enquête menée au printemps 1977 auprès de 967 ménages. Les auteurstentent d'expliquer le phénomène de navette réduite des femmes par des facteurs liés à leurposition sur le marché du travail, au double rôle des femmes salariées et aux moyens detransport utilisés à l'échelle métropolitaine. Johnston-Anumonwo (1992) reprend les mêmesdonnées mais porte son attention sur le nombre de travailleurs par ménage afin de testercomment la charge ménagère des femmes influence la longueur de la leur navette (résultat quin'était pas probant lors de l'analyse précédente et qui est contesté).

Rutherford et Werkele (1988) s'intéressent aux contraintes liées aux lieux de résidence, lieux detravail et mode de transport des hommes et des femmes. Ils analysent la navette et la structure

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spatiale de l'emploi à partir d'une enquête sur les transports conduite par le Toronto TransitCommission en 1983, concernant plus de 6 000 ménages.

Jeanne Fagnani (1986) s'intéresse à la manière dont les mères actives arrivent à concilier vieprofessionnelle et vie familiale. Elle décortique l'enquête française par questionnaire « viefamiliale et vie professionnelle » menée auprès de 3935 femmes ayant un enfant de moins de16 ans à charge, par l'INED et le CERC au printemps 1981 en France. Elle étudie les trajetsquotidiens des 1827 femmes salariées hors de chez elles pour voir quelles stratégies ellesmettent en place pour concilier v professionnelle et vie familiale.

Jeanne Fagnani (1989) examine le rôle des interactions conjugales dans le choix du lieu derésidence d couples bi-actifs. Elle considère le lieu de résidence comme un enjeu pour lesfemmes instruites des class moyennes afin de concilier vie professionnelle et vie familiale. Elleanalyse les résultats trouvés lors d'une enquête effectuée pour la CAF avec C. Castelain-Meunieroù elles ont interviewé 40 femmes et 20 de leurs conjoints.

Plusieurs études américaines testent l'hypothèse du mauvais appariement spatial des femmes, etparticulier des femmes des minorités; ces études ont souvent négligé la situation des femmespour s'intéresser qu'à celle des hommes. Or le travail des femmes des minorités joue un rôleimportant dans la lutte contre la pauvreté. De plus, aux Etats-Unis, les femmes des minoritéssont les plus nombreuses à être à la tête de familles monoparentales, et par-là, à souffrir d'uneforte discrimination dans le 1ogemeI Ces études utilisent la durée (ou la distance) des trajetsdomicile - travail comme indicateur du mauvais appariement spatial.

Sara McLafferty et Valérie Preston (1991, 1992, 1996, 1997) se sont intéressées à la situationdes femmes des minorités de New York. Elles partent d'abord du constat que les études sur lesdifférences de genre dans les navettes ont très peu pris en compte les différences entre lesfemmes des minorités (noirs américains et hispaniques) et les femmes blanches, et qu'elles onteu tendance à considérer les femmes comme faisant partie d'un groupe homogène, sansdistinction de classe ou de race (1). Leur première étude (1991) analyse les navettes destravailleurs du secteur des services en utilisant un échantillon du recensement de 1980 de plus de130 000 individus, pour les 24 comtés qui constituent New York CMSA (2 L'analyse desnavettes des travailleurs du secteur des services se justifie par le fait qu'ils représentent : 80 %de la main d'œuvre à New York. Elles montrent les différences de situations entre les femmesblanches et les femmes des minorités (qui effectuent des navettes beaucoup plus longues) eninsistant sur les facteurs économiques pour expliquer ces différences.

McLafferty et Preston (1992) testent l'hypothèse du mauvais appariement spatial pour lesfemmes noires américaines et latinas dans les dix comtés de New Jersey (New York). Leurenquête se base sur les données du recensement de la population de 1980 et concerne unéchantillon de 55 000 personnes exerçant une profession (elles ne prennent en compte que lesnoirs américains, hispaniques et blancs afin o comparer uniquement la situation des deuxminorités à celle des blancs).

Toujours à partir des données du recensement de 1980 pour les 24 comtés de New York CMSA,Presto McLafferty et Hamilton (1993) analysent l'importance de la situation familiale pourexpliquer les différences de navettes par genre et par race. McLafferty et Preston analysentensuite les données du recensement de 1990 pour les 24 comtés de l'aire métropolitainenew-yorkaise. Ces auteurs (1996) montrent l'évolution du mauvais appariement spatial destravailleurs des minorités entre 1980 et 1990. Elles évaluent le mauvais appariement spatial encalculant la différence entre la durée de la navette réelle pour un groupe donné (sexe/race) et ladurée théorique que ce groupe aurait s'il n'y avait pas c ségrégation (elle est calculée en fonctiondes caractéristiques des travailleurs comme s'ils étaient des hommes blancs).

Elvin Wyly (1996) analyse la manière dont la segmentation du marché du travail et sastructure spatiale dans la région de Minneapolis - St. Paul (Minnesota) interfèrent. Il regarde sila segmentation du travail a des effets directs sur les différences dans la navette des différents

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groupes étudiés (homme femmes, noirs-blancs). Il utilise, pour ce faire, les données desrecensements de 1980 et 1990 des se] comtés de la région urbaine de Minneapolis - St Paul.

Johnston-Anumonwo (1997) examine, pour Buffalo (état de New York), si les navettes desfemmes blanches et noires doivent être analysées comme un « compromis » (courte navette,petit salaire) ou comme une « contrainte » (longue navette, petit salaire). Elle utilise lesdonnées du recensement de 1990 (un échantillon de 18 200 travailleurs).

Kim England (1993) teste l'hypothèse du « spatial entrapment» des femmes blanches desclasses moyennes en menant une triple enquête dans deux zones suburbaines de Colombus(Ohio) en 1987-1988. L'enquête a démarré avec les entretiens des chefs du personnel de dixentreprises tertiaires relocalisées récemment dans les quartiers en question. Dans un deuxièmevolet, l'enquête analyse la localisation des employées, soit à partir des fichiers d'adresses, soit,plus finement, à partir d'un questionnaire auprès de 100 femmes. Le dernier volet prend commepoint de départ le lieu de résidence des femmes et non plus leur lieu de travail. Dans un premiertemps des statistiques descriptives sur 200 femmes ont permis de cerner les grandes lignes descaractéristiques de leur navette et du choix du travail; ensuite 30 femmes ont été interviewéesafin de mieux comprendre les différents enjeux de leur entrée dans le travail salarié.

England (1995) s'intéresse ensuite spécifiquement aux méthodes de recrutement des employéespeu qualifiées du tertiaire dans les entreprises de Colombus (Ohio) ainsi qu'à leur méthode derecherche d'emploi. La structure spatiale de la ville joue un rôle important de médiateur entreemployeurs et employées. Cette recherche se base aussi sur une triple enquête menée en 1990:questionnaires à 136 entreprises de tailles variées (centre-ville et périphérie), 20 entretiensavec des chefs du personnel, 30 entretiens avec des employées.

Hanson et Pratt (1988a) regardent, à partir des données du recensement de 1980, l'importancede l'espace dans les processus de ségrégation du marché du travail. Hanson et Pratt (1991)analysent aussi les méthodes de recherche d'emploi des femmes de Worcester à partird'entretiens menés auprès de un à deux adultes de 620 foyers en 1987.

Johnston-Anumonwo (1988) étudie la ségrégation verticale des femmes dans le marché del'emploi pour Worcester en prenant en compte les caractéristiques spatiales de cetteségrégation, en particulier les navettes. À partir d'un échantillon du recensement de 1980 (780femmes et 1 002 hommes), elle réfute l'idée souvent mise en avant que le niveau d'éducation oula présence d'enfants sont les facteurs déterminants de la ségrégation sexuelle dans le travail.

Brigitte Baccaïni (1996, a et b) étudie l'évolution des navettes des franciliens à partir d'unéchantillon longitudinal de plus de 11 000 personnes actives résidant et travaillant enIle-de-France (enquête INSEE et DREIF, 1991-92). Elle s'intéresse à l'évolution des navettes etaux déterminants socio-économiques des navettes en accordant une attention particulière auxdifférences de genre. Les résultats montrent que d'une manière générale, les individus ont réduitl'ampleur de leur navette.

Ronald Camstra (1996) s'intéresse aux différences de genre dans la navette en considérant larelation entre les longues navettes et la propension à déménager en identifiant les différentsmodes de vie des ménages étudiés. Il dispose d'une base de données récoltées auprès de 2 330individus aux Pays-Bas entre 1992 et 1993 (TelePanel data set).

Orna Blumen et Aharon Kellerman (1990) analysent l'évolution de trois composantes desnavettes à Haïfa (Israël) entre 1972 et 1983: la distance, la résidence et le lieu de travail. Pourcette étude transversale, les auteurs utilisent les données des recensements généraux de lapopulation (un ménage sur cinq répond à des questionnaires plus précis).

Damaris Rose et Paul Villeneuve (1988) analysent l'évolution de la distance entre domicile ettravail de 1971 à 1981 à travers trois aspects que sont le sexe, la position hiérarchique et lesecteur d'activité. Ils utilisent les données agrégées des recensements de 1971 et 1981 pourl'aire métropolitaine de Montréal.

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2.1.2 Diversité des sources

La brève présentation des études recensées permet de se rendre compte de la diversité dessources d'une étude à l'autre: par leur nature, par la taille des échantillons et l'espace auquel ellesse rapportent. Letype de source le plus souvent utilisé est le recensement de la population. L'emploi de cettebase de données pour une aire métropolitaine, implique que l'étude prend en compte lespersonnes qui y résident, et pas nécessairement toutes celles qui y travaillent. D'autres donnéesproviennent d'enquêtes sur les transports, d'entretiens, voire de base de données établies par lesemployeurs (voir Tableau 1).

Certaines études montrent une évolution dans les navettes, voire dans les différences de genreen la matière, mais cette notion n'est pas toujours abordée de la même manière, et il en résultedes différences de résultats (qui ne sont pas nécessairement contradictoires quand on sait que lanature des données varie).

Tableau 1: Typologie des études selon la source de données

Echelle métropolitaine Echelle nationale (ou nonmentionnée)

Nature desdonnées/Tailledel’échantillon

moins de 5000 De 5000à 15 000

Plus de 15 000 Moins de 15000

Plus de 15 000

Etude sur lestransports

Hanson etJohnston-Anumonwo(1992)

Baccaïni(1996)

Rutherford etWerkele (1988)

Camstra(1996)

Gordon, Kumaret Richarson(1989)

Recensementde lapopulation

Johnston-Anumonwo(1998)

Johnston-Anumonwo (1997)Blumen etKellerman (1990)Howe and O’Connor(1982)Preston, Mc Laffertyand Hamilton (1993)Mclafferty andPreston (1991,1992, 1996, 1997)Villeu,euve et Rose(1988)Wyly (1996)

Entretiens Hanson andPratt (1991)Fagnani (1989)

Autresenquêtes

Fagnani(1986)Madden(1981)

Etudes Mixtes England(1993, 1995)

Hansonet Pratt(1995)

2.1.3 Temps versus distance

Le mode de calcul de la navette à toute son importance. Elle peut être estimée par sa distance,sa durée ou encore les deux. Distance et durée ont leurs avantages et inconvénients.

Même si la distance est une mesure fixe, son calcul n'est pas aisé et suivant la manière dont ons'y prend, l'approximation est plus ou moins bonne. Plusieurs méthodes sont employées pourcalculer la distance. Celle qui semble la plus naturelle est la distance à vol d'oiseau entre deux

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adresses, souvent corrigée par un indice de courbe (Camstra 1996), mais les adresses ne sont pastoujours connues. La distance entre les centres des unités territoriales où se situent le domicileet le travail est une approximation fort utilisée (Villeneuve et Rose, 1988; England, 1993;Blumen, 1994). La distance peut être estimée à partir de 1 a durée de la navette et de la rapiditédu mode de transport utilisé (Wyly, 1996). Pour estimer si 1a personne travaille loin de sondomicile, une autre méthode consiste à regarder si la personne travaille dans une autre entitéterritoriale que celle de résidence. La diversité des tailles et des formes des entités territorialespose cependant la question de la pertinence de cette mesure (Howe et O'Connor, 1982).

Le temps de navette est estimé par les navetteurs eux-mêmes; il peut varier d'un jour à l'autre(en fonction de la circulation par exemple), d'une personne à l'autre ou suivant le mode detransport utilisé (Fagnani, 1986). Le temps de navette est surtout un élément important dubudget-temps d'une personne. La durée d'une navette n'est pas forcément proportionnelle à ladistance parcourue car les modes de transports ont des vitesses très différentes. Villeneuve etRose (1988) qui utilisent la distance pour l'analyse des navettes, regrettent de ne pouvoirprendre en compte les durées car ils reconnaissent que le métro, par exemple, accroît la vitessesur certains parcours: des distances identiques peuvent donc conduire à des navettes de duréestrès variables suivant les directions.

2.2 Les variables

On a vu plus haut l'importance du travail de Hanson et Pratt (1988) lorsqu'elles insistent sur lanécessité de prendre en compte les liens entre domicile et travail. Dans un effort de synthèse,nous allons cependant regrouper les variables qui influencent la navette des femmes selon troiscatégories: les variables qui se rattachent au domicile (caractéristiques du ménage, négociationinterne, localisation....), celles qui sont liées au travail et celles qui sont liées au déplacementdomicile travail.

2.2.1 Le domicile

2.2.1.a Inégalité du partage du travail domestique et caractéristiques démographiques dufoyer

Cités comme facteurs déterminants de la navette réduite des femmes (Madden, 1981), lalourdeur des tâches ménagères et leur partage inégal entre les sexes échappent auxrecensements de la population. Le statut marital et la présence d'enfants sont les critères lesplus souvent employés pour déterminer le poids du travail ménager. Si l'importance des chargesménagères tendait à réduire la navette des femmes, alors les femmes mariées devraient avoirdes navettes plus courtes que les femmes seules, et les femmes avec enfants que celles qui n'enont pas. L'évaluation de l'importance des tâches ménagères est quelquefois affinée par d'autresindicateurs (la présence d'un adulte qui ne travaille pas et qui serait donc susceptible « d'aider»...). C'est ainsi que les chercheurs obtiennent des résultats contrastés.

Madden (1981) trouve que les femmes mariées ayant des enfants et les femmes chefs de familleont une plus grande contrainte spatiale pour leur emploi que les autres femmes. I1 en résulteque leur navette ne change pas qu'elles habitent à la ville ou en banlieue. Pour les autres-mariées sans enfants et non mariées- la navette est plus longue quand elles vivent dans desbanlieues isolées. Ce résultat semble confirmer l'hypothèse que le poids du travail ménager tendà réduire la navette des femmes. Selon l'auteur, le travail ménager et l'inégalité du partage entreles sexes, sont suffisants pour expliquer 1 a navette réduite des femmes. Fagnani (1986) trouveque la présence des enfants, et particulièrement le passage de deux à trois enfants réduit lanavette des femmes. McLafferty, Preston et Hamilton (1993) mettent en avant la différenceentre les femmes blanches, pour qui les caractéristiques familiales ont le plus de répercutions surles navettes, et les femmes des minorités noires et hispaniques. La race est le facteur, selonelles, qui est le plus déterminant pour la durée du trajet domicile - travail. Elles notentcependant que le mariage, la présence d'enfants et l'âge des enfants influencent les navettes. Lescélibataires sans enfant sont celles dont la navette est la plus longue. Cette durée est réduite parle mariage, qu'il y ait ou non des enfants. Les femmes avec enfants ont une navette moindre

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que celles sans enfants, mais l'effet des enfants est plus fort pour les femmes mariées. Lesfemmes avec des jeunes enfants ont une navette plus importante que celles qui ont des enfantsd'âge scolaire (probablement en raison de problèmes de garderies ou de l'inclusion du temps deconduite des enfants dans le trajet domicile travail) .

La différence d'impact du statut familial sur la navette entre femmes blanches et femmes desminorités pourrait s'expliquer selon les auteurs par le fait que les noires et hispaniques, ayant unaccès au travail plus difficile que les blanches, développeraient d'autres stratégies pour faire faceaux tâches domestiques, elles auraient notamment plus souvent recours à la famille étendue.McLafferty et Preston (1996) complètent cette analyse en précisant que la composition duménage est la seule variable à avoir des effets différents sur les hommes et sur les femmes: leshommes mariés (avec ou sans enfants) ont des navettes plus longues que les célibataires. Lesauteurs proposent deux explications: soit cet allongement reflète le partage inégal des tâchesdomestiques, soit il reflète la tendance des couples mariés à emménager en banlieue.

Hanson et Johnston (1985) dans leur étude sur Baltimore trouvent que le statut familialn'influence pas 1 a navette des femmes. Elles découpent leur échantillon de 800 personnesselon la position dans le cycle de famille en fonction du nombre de travailleurs, du nombred'enfants et leur âge, et du nombre d'adultes qui ne travaillent pas. Lorsqu'elles comparent lesnavettes des femmes selon la composition du ménage, elles ne trouvent pas de différencesignificative. A statut familial identique, les navettes des femmes sont toujours inférieures àcelles des hommes, sauf celles des célibataires qui sont identiques et celles des parents de jeunesenfants qui ne diffèrent pas entre hommes et femmes.

Baccaïni (1996) reconnaît que la composition du ménage a un rôle sur la longueur de la navettemais cette influence diminue si on contrôle d'autres aspects. « Les actifs qui élèvent seuls leursenfants (familles monoparentales) voient leur propension à faire de longues navettess'accroître une fois contrôlés les effets du sexe (il s'agit souvent de femmes), du statutd'occupation du logement (il s'agit souvent de locataires) et de leurs autres caractéristiques. (...)Dans les couples où un seul conjoint travaille, les navettes sont plus longues lorsqu'il y a desenfants. C'est le contraire en cas de double activité: lorsqu'il y a des enfants, la probabilité defaire de longs trajets est nettement réduite et celle de travailler à son domicile, nettementaccrue. » (pll7).

England (1993), dans l'analyse des questionnaires du deuxième volet de son enquête (100femmes employées de bureau dans une entreprise située en banlieue résidentielle), ne parvientpas à démontrer que la présence d'un conjoint ou d'enfants réduit la durée de la navette desfemmes. Parmi les femmes qui ont répondu à son questionnaire, celles qui ont les durées denavettes les plus courtes sont les femmes célibataires sans enfant. Les femmes chefs de ménage(mères seules) sont celles qui ont les navettes les plus longues.

Les deux aspects complémentaires que sont la charge de travail domestique d'une part, et lepartage inégal de cette charge entre les sexes d'autre part, nécessitent des traitementsdifférents. Pour voir l'effet sur la navette, le premier aspect nécessite une comparaison entrefemmes de statuts familiaux différents, et le deuxième entre hommes et femmes de mêmestatut familial. La différenciation entre femmes des minorités et femmes blanches qui sembleêtre très pertinente aux Etats-Unis, se pose de manière différente dans le contexte bruxellois,mais devra être étudiée. En effet, la minorité que nous allons étudier se compose d'immigrés(première et deuxième génération) en provenance des pays du Maghreb et de Turquie.

2.2.1.b Lieu de résidence (centre versus périphérie)

La prise en compte du lieu de résidence est inégale selon les chercheurs. La dichotomie centre -périphérie est courante, même lorsque l'analyse ne s'effectue pas à l'échelle d'une région urbainedonnée (Gordon et al, 1989, Madden 1981). Dans les modèles économiques néoclassiques, leprix du terrain est considéré comme baissant en s'éloignant du centre ville, ce qui permetd'occuper un logement plus vaste ou moins cher. La localisation de la résidence est doncconsidérée comme le meilleur compromis que permet le salaire entre un logement spacieux et

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un trajet domicile - travail raisonnable (le travail étant situé au centre-ville). Mais la prise encompte de la structure du logement est plus rare.

Trois points ressortent: les différences de navettes entre les habitants des banlieues et ducentre-ville, une différence de taux d'activité des femmes suivant le lieu de résidence et, uneaction distincte des différents facteurs selon le lieu de résidence.

Les femmes et les hommes qui travaillent n'habitent pas les mêmes lieux, les femmes activessont surreprésentées dans les centres-villes, ce qui pourrait expliquer qu'elles aient des navettesplus courtes. Howe et O'Connor (1982) observent pour Melbourne que c'est dans le centre-villeet l'inner ring que les taux de participation au marché du travail sont les plus élevés pour lesfemmes. Dans les banlieues extérieures, plus aisées, le taux de participation au marché du travaildes femmes est le plus bas de l'aire métropolitaine (25% contre 38% en moyenne)

Il semblerait enfin que les différents facteurs influençant `la navette n'aient pas le même effetselon le lieu de résidence. McLafferty, Preston et Hamilton (1993) trouvent que d'une manièregénérale la durée du trajet domicile - travail est plus courte dans la banlieue qu'au centre. Dansles deux localisations, le statut familial influence la durée du trajet domicile - travail, avecpartout les femmes seules qui navettent plus longuement et les mariées avec enfants moinslonguement. Mais les différences de race sont beaucoup moins prononcées dans la banlieue quedans le centre. Dans les deux localisations, l'effet du statut familial est plus ou moins prononcéselon la race. L'effet de la localisation sur la durée du trajet domicile - travail est le plus fort surles mères célibataires (c'est pour elles que la réduction est la plus forte entre le centre et labanlieue). Au centre, c'est la race qui influence le plus la durée du trajet domicile - travail alorsqu'en banlieue c'est le statut familial qui l'influence le plus.

Dans le même ordre d'idée, Baccami (1996a) suggère que les différences de navette entre classessocioprofessionnelles varient selon le secteur géographique de résidence (nous verrons ceci plusloin dans le paragraphe 2.2.2.c sur l'influence de la structure spatiale de l'emploi).

2.2.1.c Mode de vie et milieu de résidence: arbitrage homme/femme dans le choix derésidence des couples bi-actifs, changement de domicile

Les études parisiennes montrent un dilemme pour les femmes: vivre en banlieue où le cadre estplus attractif pour les enfants ou vivre au centre de Paris où les services sont meilleurs et lesnavettes plus rapides: Camstra et Bacca~ni se sont penchés sur les effets d'un changement dedomicile sur les navettes des couples bi-actifs. Cette problématique part de l'hypothèse qu'il estplus difficile de choisir un lieu de résidence stratégique par rapport au lieu de travail quand il y adeux actifs à satisfaire plutôt qu'un. Camstra (1996) teste les quatre hypothèses suivantes:

1) la probabilité de déménager est plus fortement liée à la distance domicile - travail pour lesfemmes que pour les hommes;

2) les femmes quittent leur travail plus fréquemment que les hommes après un déménagement àlongue distance;

3) les femmes qui restent dans le même emploi après déménagement ont plus fréquemmentréduit leur navette que les hommes;

4) le mode de vie influence ces différences de sexe.

La première hypothèse semble confirmée dans la mesure où plus de deux fois plus de femmesdéménagent lorsqu'elles ont une longue navette que lorsqu'elles ont une navette modérée, ledéménagement étant plus lié à la distance domicile - travail pour les femmes que pour leshommes (autres facteurs contrôlés). En ce qui concerne la deuxième hypothèse, les résultatssont plus mitigés: les femmes changent plus fréquemment de travail après un déménagementque les hommes, mais quelle que soit la distance entre les deux lieux de domicile. Fagnani(1989) examine le rôle des interactions conjugales dans le choix du lieu de résidence en

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Ile-de-France. Son enquête par entretiens la conduit à la conclusion que les couples ont accordéla priorité aux besoins exprimés par la femme pour accommoder ses obligationsprofessionnelles et familiales. Ce sont souvent les femmes qui cherchent le plus activement unlogement peu éloigné de leur travail.

2.2.2 Le travail

2.2.2.a Faible revenu des femmes

Les travailleurs avec un faible revenu ont des navettes plus courtes que les travailleurs bienrémunérés. Hanson et Johnston (1985) trouvent que le moindre salaire des femmes n'expliquequ'en partie leur navette réduite car une fois le niveau de salaire contrôlé, les différences degenre existent encore. McLafferty et Preston (1991) montrent l'importance des facteurséconomiques pour expliquer les différences de genre chez les blancs en matière de navette.L'absence de différence dans la durée des navettes entre les hommes et les femmes desminorités s'explique par deux facteurs économiques: le type de travail et le revenu (les hommesdes minorités ont des bas revenus, ce qui diffère des hommes blancs). Wyly (1996) observe quele salaire et la longueur de la navette sont positivement corrélés: les travailleurs compensent unallongement de navette par de meilleurs revenus. Pour les noirs américains, cette relation estmoins évidente: ni les hommes, ni les femmes ne bénéficiaient d'un meilleur salaire lors d'unelongue navette en 1980, et en 1990, les noires américaines n'en tiraient toujours pas profit;l'auteur explique ce phénomène par la dépendance vis-à-vis des transports en commun qui estbeaucoup plus forte chez les noirs que chez les blancs, et chez les femmes noires (66 %) quechez les hommes noirs (33 %).

La prise en compte du revenu est importante pour deux raisons: d'une part, il a un effet sur ladurée des navettes; d'autre part, il permet de mettre en lumière les catégories de personnes quisont les plus contraintes dans leur accessibilité au travail.

2.2.2.b Ségrégation des femmes dans le marché du travail

La ségrégation dans le marché du travail s'observe sous plusieurs angles: une ségrégationverticale (les femmes occupent majoritairement des emplois peu qualifiés, sans pouvoir dedécision) et une ségrégation horizontale (les femmes et les hommes n'occupent pas le mêmetype d'emplois, ne font pas le même type d'activités). Les auteurs considèrent l'un ou l'autre deces aspects, mais rarement les deux. Dans leur analyse verticale, Hanson et Johnston (1985)trouvent que les navettes pour les femmes occupées dans des emplois typiquement fémininssont significativement plus courtes que celles des autres femmes.

Pour Howe et O'Connor (1982) c'est la structure spatiale de l'emploi associée à la ségrégationsexuelle dans le travail qui est à l'origine des différences de navette: plus de 70% des femmestravaillent soit dans leur « local gouvernement area » (LGA) soit dans la ville de Melbourne (oùsont situés les emplois de « clercs »); les hommes travaillent à plus de 50% dans le reste del'agglomération (ni leur LGA ni le centre-ville c'est-à-dire où sont situés les emplois deproduction qui sont la source principale des emplois masculins).

Wyly (1996) trouve pour 1980 et 1990 qu'il y a une forte division sexuelle entre production debiens de consommation et production de services, et qu'au sein de ces deux catégories, il y a unedivision entre races. Plus de la moitié des femmes noires de son échantillon travaillent dans desemplois typiquement féminins noirs. Cette ségrégation sectorielle dans le marché du travail ade très fortes répercussions sur les revenus et l'écart salarial pour les femmes (blanches etnoires) et les hommes noirs (ainsi que les hommes blancs, mais dans une moindre mesure)travaillant dans des emplois typiques s'est accru entre 1980 et 1990. Villeneuve et Rose (1988)trouvent que la différence dans les navettes homme - femme diminue pour les salariés du hautde l'échelle, alors qu'elle s'accroît légèrement pour les catégories de travailleurs les moinsqualifiés. Comme ces derniers sont majoritaires à Montréal, la différence moyenne de longueurde navette ne varie pas entre 1971 et 1981.

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Les différents résultats résumés ici semblent confirmer que les différences de genre dans le typed'emploi et le «rang» des travailleurs jouent un rôle dans les différences de longueur desnavettes. Cette influence est plus visible lorsqu'on considère les travailleurs d'un secteursexuellement typé.

2.2.2.c Localisation des emplois féminins et structure spatiale du marché de l'emploi

L'étude de la localisation des emplois féminins montre plusieurs éléments raccourcissant lanavette des femmes. Les centres-villes sont la source principale d'emplois des régions urbaines,alors qu'on remarque des différences de localisation entre emplois féminins et masculins: lesfemmes sont encore plus nombreusesj proportionnellement, que les hornmes à travailler aucentre-ville; parmi les emplois dans les zones résidentielles (éducation, commerce de détail,...)la majorité sont féminins.

Un phénomène de décentralisation de « back office » vers les banlieues résidentielles a étéobservé aux USA (Nelson, 1986 citée par England, 1993, Hanson et Pratt, 1988b). Desentreprises bénéficieraient ainsi pour leurs tâches dites tertiaires de routine, d'une main d'œuvrede femmes blanches des classes moyennes ayant reçu une bonne éducation, pour quil'avancement dans la carrière n'est pas une priorité, non-syndiquées et bon marché. Cetteexplication s'appelle la théorie du « spatial entrapment ».

Lorsque, dans le premier volet de son étude, England (i993) interroge les chefs du personnel de10 entreprises tertiaires délocalisées dans des banlieues résidentielles de Colombus (Ohio), troisd'entre eux affirment que le choix de cette localisation est lié à la main d'œuvre qu'ils ytrouvent. Les sept autres nient le lien entre délocalisation et main d'œuvre locale, maislorsqu'ils évoquent la manière la plus efficace de recruter leurs employées (réseaux desemployées en poste, cooptation), la notion de « spatial entrapment » réapparaît.

Hanson et Pratt (1995) montrent à quel point les facteurs spatiaux sont importants dans leprocessus qui mène les femmes à tenir des emplois typiquement féminins; elles contredisentl'hypothèse qui voudrait que la segmentation du marché du travail soit uniquement liée auxcaractéristiques personnelles des femmes (longueur des études, implication dans la vieprofessionnelle, etc.).

Hanson et Pratt (1991) comparent la répartition des emplois féminins et masculins afin detester l'hypothèse souvent énoncée que la moindre distance domicile - travail des femmess'expliquerait par une plus grande concentration de leurs emplois dans les zones résidentielles(elles devraient chercher moins loin leur emploi que les hommes). Elles ne trouvent pas dedifférence significative entre les répartitions des emplois féminins et masculins. Par contre,lorsqu'elles analysent le taux de féminisation de l'emploi à l'intérieur de chaque unitégéographique (Hanson et Pratt 1988b), elles s'aperçoivent qu'il existe une très grande disparitéentre les taux d'emplois féminins des différentes unités géographiques. Ce qui montre unedifférenciation de localisation des emplois masculins et féminins.

Blumen et Kellerman (1990) montrent qu'entre 1972 et 1983, les emplois se sont suburbanisésselon des directions différentes pour les hommes et les femmes: la suburbanisation des emploisféminins suit l a suburbanisation résidentielle, tandis que la suburbanisation des emploismasculins s'effectue vers des zones industrielles plus éloignées. Cette différence peut expliquerl'allongement des navettes masculines et l'accroissement des différences de sexe.

Madden (1981) remarque que les femmes mariées avec enfants et les femmes chefs de familleont des durées de navettes comparables, mais ne résident pas dans les mêmes quartiers (lesfemmes chefs de ménage sont plus nombreuses dans les centres-villes); il est probable qu'elles netravaillent pas non plus dans les mêmes quartiers.

Fagnani (1986) cite le cas des enseignantes qui, en France, sont les employées les plusnombreuses à avoir des courtes navettes: 51% d'entre elles travaillent à moins d'un quart d'heurede leur domicile (pour les cadres et les employées de bureau, les proportions sont

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respectivement de 38 et 45%): la grande dispersion des établissements scolaires dans les zonesrésidentielles pourrait expliquer ce phénomène.

Baccaïni (1996b) montre l'importance de la structure du marché de l'emploi pour expliquer lesnavettes des franciliens. Du fait de la forte structuration de l'emploi en Ile-de-France, l'ampleurde la navette dépend aussi de la localisation du domicile. Plus la distance de la commune derésidence à Paris est grande, plus la probabilité d'effectuer une grande navette est importante,mais d'un secteur à l'autre, l'avantage d'habiter près de Paris n'a pas le même poids. Dans labanlieue ouest les comportements des diverses classes socioprofessionnelles sont les plusproches les uns des autres, tandis que dans le sud-est, la propension à faire de longues navettesest plus liée à la profession. Bacaïni (1996b) illustre l'importance de la structure spatiale deParis en utilisant le taux de couverture de l'emploi c'est-à-dire le rapport entre le nombred'emplois offerts dans une unité géographique et le nombre d'actifs qui y résident, il traduit desdéséquilibres entre l'offre et la demande d'emploi. Pour être pertinent, le taux de couverture del'emploi doit être calculé pour chaque classe socioprofessionnelle. La comparaison entre l etaux de couverture de l'emploi et la propension des actifs à faire de longues navettesintercommunales montre que ces deux éléments sont fortement et inversement corrélés.

Ces résultats soulignent l'importance de la structure spatiale de l'emploi, qui, couplée à l adifférenciation homme-femme dans le marché du travail, joue un rôle dans les différences degenres dans les navettes.

2.2.3 Le trajet

2.2.3.a Mode de transport

Toutes les études recensées ici montrent que ce sont les femmes qui font le plus de trajets entransports en communs ou à pied. Ces modes de transport plus lents que la voiture particulière(on verra plus loin que cela peut dépendre de la destination plus ou moins bien desservie)peuvent allonger le temps de navette; moins pratique, ils restreignent les possibilités detravailler loin.

McLafferty et Preston (1996) trouvent que c'est le mode de transport qui a le plus d'effet sur ladurée des trajets. Lorsqu'elles contrôlent le sexe, la « race » et la localisation résidentielle, lestravailleurs qui utilisent les transports en communs effectuent des navettes de 20 à 40 minutesplus longues que ceux qui voyagent en voiture, ce qui n'implique pas forcément mauvaisappariement spatial. Ainsi, les femmes noires américaines résidant dans les banlieues nesubissent pas un mauvais appariement spatial entre leurs lieux de résidence et de travail, tout enayant une durée de navette plus longue que les autres. Cette longue navette est due à leur fortedépendance vis-à-vis des transports en commun. Quand le mode de transport est contrôlé, ellesont une navette comparable aux autres groupes étudiés.

Rutherford et Werkele (1988) différencient les utilisateurs de transports en commun qui le fontpar choix (par commodité) de ceux qui les utilisent par nécessité. Pour la première catégorie depersonnes, l'utilisation des transports en commun contribue à améliorer les conditions denavette, tandis que pour les autres, c'est le contraire. Il ressort que les « captive riders » (quiutilisent les transports en commun par nécessité) sont surtout des femmes.

Cette différenciation entre usagers des transports en commun semble être intéressante dans lamesure a~ des destinations sont très bien desservies en transports en commun et que leur usagepeut améliorer les conditions des navettes, alors qu'en général, ils sont plus lents que la voiture.Dans le même ordre d'idée, peu d'études font la différentiation, pourtant pertinente, entreconducteurs et passagers.

2.2.3.b Trajet à but unique ou multiple

Dans les études fondées sur le recensement, il n'est souvent pas possible de voir si les trajetsdomicile travail incluent d'autres arrêts susceptibles d'allonger la navette ou d'en influencer la

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direction. Hanson et Johnston (1985) (étude à partir d'une enquête transport) ont remarqué queles hommes et les femmes faisaient le même nombre d'arrêts mais pour des motifs différents:les femmes s'arrêtent pour des courses ou des raisons familiales tandis que les hommes s'arrêtentpour leur travail ou leurs loisirs. Gordon et al. (1989) affirment que les femmes entreprennentplus de trajets non professionnels que les hommes. Ceci pourrait être un facteur dedifférenciation du temps de navette entre hommes et femmes. Cependant, l a classificationemployée pour déterminer le but de ces trajets non professionnels ne permet pas d'interpréters'il s'agit d'une contrainte ou de loisirs.

Le nombre d'arrêts, dans les trajets domicile - travail et le motif de ces arrêts semblent être desdonnées capitales pour affiner les contraintes que les travailleurs subissent dans leur navette.Mais ces données ne sont que rarement accessibles.

2.3 Conclusions et hypothèses à examiner

Après examen des facteurs explicatifs des différences de genre dans la navette, on s'aperçoit queles résultats sont divergents d'une étude à l'autre, qu'ils sont difficilement synthétisables etcomparables. La grande hétérogénéité spatiale et temporelle entre les études recensées iciexplique en partie ces difficultés, mais il faut aussi prendre en compte les différences deproblématiques, de méthodologies et de bases de données.

Cependant, certaines hypothèses semblent être intéressantes à tester avec les données dontnous disposons sur Bruxelles et sa périphérie. La recension nous montre que l'influence du statutfamilial sur la longueur de la navette n'est pas très claire et qu'il faut prendre en compte lastructure de la famille dans toute sa complexité. Sur les différences de structures familiales,viendront se greffer des différences entre groupes ethniques, qui n'ont pas des structuresfamiliales identiques. Il faut tester les effets du lieu de résidence (notamment la distinctionentre centre et périphérie) sur les trajets domicile - travail ainsi que sur les moyens detransport.

Faute de données adaptées, nous ne pourrons malheureusement pas tester les effets du revenu àproprement parler, mais nous pourrons estimer le niveau de vie des ménages en fonctiond'indications sur le confort du logement, le statut d'occupation (propriétaires, locataires) et letype d'emploi exercé par les membres du ménage. La ségrégation dans le marché du travail, lalocalisation des emplois féminins et les modes de transports, retiendront toute notre attention.

3. Présentation des données et statistiques descriptives

Les données utilisées dans cette étude proviennent du Recensement de la Population et desLogements de 1991 réalisé par l'INS (3). Nous avons utilisé un échantillon d'environ 20 000individus, répartis en 9 000 ménages, tiré aléatoirement dans l'Agglomération BruxelloiseEtendue (Extended Brussels Area, EBA), zone composée de 41 communes (19 communes de laRégion Bruxelles-Capitale qui constituent le centreville et 22 communes de la périphérie).

Dans le but de mettre en évidence des différences sexuées, nous allons bien évidemmentconsidérer des sous-populations d'hommes et de femmes mais aussi tenir compte de la structurefamiliale (présence ou non d'un conjoint, d'enfants dans le ménage, ...). A titre de comparaison,nous rechercherons également des effets liés à la discrimination raciale.

3.1 La structure familiale

55% des ménages de l'échantillon possèdent une cellule familiale fondée sur un couple, marié ounon. 9% des ménages correspondent à des familles monoparentales. 83% d'entre elles sontconstituées d'une femme seule avec des enfants. 22% des femmes chefs de famillemonoparentale sont des veuves (29% chez les hommes), 16% sont célibataires (8% chez leshommes) et les 62% restants sont des femmes mariées, séparées, officiellement ou non (cechiffre est également 62% chez les hommes).

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Le tableau 2 montre que les familles traditionnelles habitent davantage la périphérie que lesfamilles monoparentales ou les isolés, conformément à l'attente.

Tableau 2: Répartition spatiale des ménagesTotalcouples

Femmesseuleschef deménage

HommesseulsChefs deménage

Totalménagesmonoparentaux

Femmesisolées

Hommesisolées

Total isolés

Centre 2576 63% 491 74% 75 69% 566 73% 1855 84% 1388 85% 3243 84%

Périphérie 1530 37% 171 26 % 34 31% 205 27% 358 16% 251 15% 609 16%total 4106

100%662 100% 109 100% 771 100% 2213

100%1639100%

3852100%

Les familles comportent en moyenne 1,2 enfants et on ne constate aucun écart significatifselon la structure centre- périphérie. Parmi ces enfants, il y en a, en moyenne par famille, 0,2qui sont âgés de moins de trois ans et 0,6 qui sont âgés de moins de douze ans. Les famillesmonoparentales comportent en moyenne 1,5 enfants. Un quart des familles monoparentalescomportent des enfants actifs dont le revenu constitue souvent la ressource principale de lafamille (voir Tableau 3). La catégorie « actifs » correspond à des personnesprofessionnellement actives ou au chômage. La catégorie « autres » regroupe des retraités, desinactifs, des invalides et handicapés.

Tableau 3: Familles monoparentales selon le statut professionnel du parent et des enfants

Femmes seulesChefs de ménage

Hommes seulsChefs de ménage

Total ménages monoparentaux

Avec sansEnfants actifs

total Avec sans Enfants actifs

total Avec sansEnfants actifs

total

Actifsautres

10% 67%14% 9%

77%23%

19% 62%13% 6%

82%18%

11% 66%14% 8%

77%23%

total 24% 76% 100% 32% 68%

100% 25% 75% 100%

3.2 La discrimination raciale

Nous avons isolé deux sous-populations particulières. La première est composée d'immigrés(première et deuxième générations) en provenance des pays du Maghreb (Algérie, Maroc etTunisie) et de la Turquie. La seconde est compose de Belges n'appartenant pas à la premièresous-population. Pour plus de simplicité, nous ferons l'abus de langage qui consiste à appeler «immigrés » les individus de la première catégorie et « belges » ceux de la seconde catégorie. Lereste de la population est composé d'étrangers en provenance d'autres pays que le Maghreb oula Turquie: cette sous-population comprend aussi bien des hauts fonctionnaires internationauxque des ouvriers polonais ou des réfugiés rwandais. C'est en raison de cette hétérogénéitésocio-économique que nous l'avons, le plus souvent, exclue de notre analyse.

Tableau 4: Répartition spatiale des individus et des ménages

Individus Immigrés Belges Autres totalCentrepériphérique

1523 97%49 3%

9750 63%5776 37%

2187 80%563 20%

13460 68%6388 32%

total 1572 100% 15526 100% 2750 100% 19848 100%Ménages Immigrés Belges Autres totalCentre 430 95% 5026 70% 1120 84% 6576 73%

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Périphérique 21 5% 2192 30% 218 16% 2431 27%total 451 100% 7218 100% 1338 100% 9007 100%

On constate une grande différence dans la répartition spatiale des Belges et des immigrés(Tableau 4). Presque la totalité des immigrés de l'échantillon résident dans le centre de la ville.Ce fait est confirmé par la figure 1. Les ménages d'immigrés ont, en moyenne, une taille plusimportante que les ménages belges. De même, ils ont une taille plus grande dans le centre-villequ'à la périphérie alors qu'on observe l'inverse pour les ménages belges (voir Tableau 5).

Tableau 5: Nombre moyen de personnes par ménage

immigrés belges totalMoyenne Ecart-

typeMoyenne Ecart-

typeMoyenne Ecart

type3,83 2,5 1,86 1,14 2 ,02 1,4

Centrepériphérique

3 2,35 2,52 1,28 2,54 1,3Total 3,79 2,5 2,06 1,22 2,16 1,39

3.3 L'accès à l'emploi

Concernant l'emploi, les données du recensement permettent de construire deux catégories depersonnes. La première comporte les individus qui déclarent exercer une profession, avoir unemploi, être aidant a apprenti. La seconde contient les individus qui sont à la recherche d'unemploi (éventuellement u~ premier emploi). Grâce à ces données, nous avons pu calculer destaux de chômage. Le tableau 6 montre que le taux de chômage des immigrés est beaucoup plusimportant que celui des Belges et que, quelle que soit la catégorie considérée, les femmes sontplus touchées par le chômage que les hommes. Le chômage est plus important au centre qu'enpériphérie. Et on a vu que le logement en périphérie est plus accessible aux Belges qu'auximmigrés (Tableau 4). Ceci est en faveur de la théorie du «spatial mismatch» pour les immigrés.

Tableau 6: Taux de chômage des Belges et des immigrés(n.s. = moins de 50 individus)

immigrés belges totalHommes femmes hommes femmes hommes femmes29 43% 9 14% 13% 17%Centre

périphérique N.S. N.S. 4% 10% 5 10%Total 29% 42% 7% 13% 10% 15%

Les femmes ne sont pas touchées uniformément par le chômage. Le Tableau 7 montre que lacatégorie 1 a plus concernée est celle des mères seules et que, quelle que soit la catégorie, cesont les femmes qui habitent le centre ville qui connaissent le plus fort taux de chômage.

Tableau 7: Taux de chômage des femmes

Méres seules Femmes isolées Femmes en couples

Total femmes

Centre 27% 16% 16% 17%Périphérie 17 % 12% 8°% 10%

Total 24% 16% 12% 15%

En ce qui concerne l'emploi, la figure 2 montre qu'un nombre important de femmes travaillentdans leur commune de résidence. Cette proportion est légèrement plus importante pour leshommes. Ce point sera analysé plus en détail dans le chapitre consacré aux durées de transportentre le domicile et le lieu de travail. Parmi les femmes qui travaillent, des différences entre le

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centre et la périphérie sont également très présentes. Le Tableau 8 montre que le temps partielest plus répandu en périphérie qu'au centre et parmi les femmes en couple. Ceci est en faveur du«spatial entrapment>> des femmes.

Tableau 8: Pourcentage de temps partiel

Mèresseules

Femmesisolées

FemmesEn couple

Totalfemmes

Centre 23% 19% 28% 24%Périphérie 30% 11% 33% 29%Total 25% 18% 3o% 26%

Le statut professionnel (Tableau 9) des femmes est relativement semblable suivant lesdifférentes catégories familiales, avec toutefois une surreprésentation des employées parmi lesfemmes isolées.

Tableau 9: Statut professionnel des femmes

Méres seules Femmes seules Femmes encouple

Total femmes

Indépendante 2% 2% 2% 2%Chef d’entreprise 10% 8% 9% 9%aidante 0% 0% 6% 5%Employées.public

29% 32% 27% 28%

Employées.privée

42% 45% 40% 41%

Ouvrière 16% 11% 16% 15%Apprentie 0% 0% 0% 0%Domestique 1% 2% 1% 1%Total 100% 100% 100% 100%

4. Les transports

Nous avons étudié les différents moyens de transport utilisés pour se rendre au travail. 60% desindividus de l'échantillon utilisent une voiture, soit comme conducteur (90%), soit commepassager (10%). 22% utilisent les transports en commun. 8% des individus se rendent à pied àleur travail. 7% utilisent une combinaison de moyens de transport (voiture et transport encommun). La voiture est utilisée davantage par les personnes habitant la périphérie, lestransports en commun par les personnes résidant au centre ville (voir figures 3, 4).

Les moyens de transport sont extrêmement différents selon les sexes. Les figures 5, 6, 7, 8montrent que les femmes sont majoritairement utilisatrices des transports en commun, de lavoiture comme passagère et surtout des moyens combinés (c'est-à-dire les coûteux en temps).Les hommes sont majoritairement conducteurs de leur voiture personnelle.

Concernant la navette domicile - travail, nous avons choisi d'analyser la durée totale detransport (aller + retour). La durée médiane est de 30 minutes pour l'ensemble de la populationconcernée. La durée du retour est légèrement supérieure à celle de l'aller. Les figures 9 et 10font apparaître une structure spatiale centre-périphérie bien marquée, quel que soit le sexe.

Afin de tenir compte de l'ensemble des facteurs susceptibles d'influencer ces durées de transport,nous avons estimé un modèle de Weibull dont les résultats figurent ci-dessous. Au niveau desinterprétations du modèle, cette estimation nous apprend que, toutes choses égales par ailleurs,les immigrés ont une durée de transport plus courte que les Belges, que les personnes mariéesont des durées plus longues que les isolés ou les personnes vivant en couple sans être mariés. Les

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personnes ayant un niveau de diplôme supérieur aux humanités ont des durées plus courtes. Lespersonnes propriétaires de leur logement ont des durées un peu plus longues, bien que cet effetne soit pas très significatif.

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StandardParameter Estimate Error P-valueCONST. -7.83746 .099710 ** [.000]IMMIGRE -.239789 .078497 ** [.002]FEM. MARIEE .080939 .035789 * [.024]HOM. MARIE .063755 .032449 * [.049]DIPL. SUP. -.074261 .030726 * [.016]PROPRIET. .033588 .028494 [.238]B 1.86590 .020805 ** [.000]

LOGL = -20748.93682

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5. Conclusion

L'objectif de cet article était de faire un état de la question de la discrimination spatiale desfemmes. Une revue de la littérature internationale a été menée et a conduit à la conclusiond'une très grande hétérogénéité des méthodes et des résultats obtenus. Une analyse exploratoiresur Bruxelles a ensuite été conduite; elle témoigne de l'existence d'une forte ségrégation spatialeà l'intérieur de l'agglomération, à relier avec le statut socio-économique et familial.

Plus particulièrement, l'accès aux moyens de transport est très inégal entre les sexes. Cettediscrimination est plus forte pour les femmes que pour les immigrés. Parmi les femmes, ce sontles femmes en couple qui sont les plus touchées, et particulièrement lorsqu'elles sont mariées.La conséquence spatiale de ces inégalités est une forte structure centre-périphérie. Une analyseplus fine devrait permettre une meilleure compréhension des phénomènes explicatifs sous-jacents. Malheureusement, les données disponibles pour l'instant ne nous permettent pasd'atteindre cet objectif. Une nouvelle enquête sur les transports, actuellement en cours, devraitnous permettre de progresser dans ce sens.

Notes

(1) Le mot race est entendu au sens où l'emploient les auteurs, pour différencier les travailleursde différentes origines. Cette donnée est plus ou moins bien renseignée dans les recensementsaux Etats-Unis; la définition de certains groupes (les hispaniques) pose cependant quelquesdifficultés.

(2) Consolidated Metropolitan Statistical Area (US)(3) Institut National de la Statistique (Belgique)

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