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École des sciences criminologiques Léon Cornil Titre du mémoire : « Des forteresses dans le secteur de la Santé ? Etude des stratégies de prévention des risques de violences et d’agressions à l’encontre des personnels des pharmacies d’officine » Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en criminologie. Nom du mémorant : Joffrey Verkercke Sous la direction de: Sybille Smeets Année académique: 2014-2015

Des forteresses dans le secteur de la Santé ? Etude des stratégies de prévention des risques de violences et d’agressions à l’encontre des personnels des pharmacies d’officine

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École des sciences criminologiques Léon Cornil

Titre du mémoire :

« Des forteresses dans le secteur de la Santé ? Etude des

stratégies de prévention des risques de violences et d’agressions à

l’encontre des personnels des pharmacies d’officine »

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade

de Master en criminologie.

Nom du mémorant :

Joffrey Verkercke

Sous la direction de:

Sybille Smeets

Année académique:

2014-2015

2

“I robbed pharmacies because in the late 70’s there were still many independent drug stores; not the corporate chains that

predominate today. This was before federal laws prohibited pharmacies from carrying large quantities of narcotics,

amphetamines, tranquilizers and barbiturates. With a little luck you could get literally tens of thousands of dollars worth of

pharmaceutical drugs in one good score and put them right on the street where there was a tremendous market.”

- Robert Stapelton (2012)

« [...] le deuxième [braqueur] qui est venu était très aimable, très poli...il a dit bonjour en entrant...puis il m’a, il s’est

excusé, il m’a dit « madame je suis désolé pour vous mais c’est le gouvernement qui me pousse à faire ça » et…c’était fou !

Mais...moi ses excuses ça ne m’a rien fait [...] »

- Gérante de pharmacie interrogée

“How do you do? I'm Captain Feeney. Captain Feeney at your service. To whom have I the honor of speaking? […]How do

you do Mr. Barry? And now I'm afraid we must get on to the more regrettable stage of our brief acquaintance. Turn around,

and keep your hands high above your head, please.”

- Captain Feeney (“Barry Lyndon”)

Remerciements:

Mes remerciements les plus chaleureux vont à tous les personnels pharmaceutiques ayant accepté de rogner sur leur temps de travail pour répondre à mes questions, m’ayant fait confiance ayant dépassé leurs craintes et réticences initiales pour m’accueillir dans leur pharmacie. La réalisation de cette recherche et de ce mémoire n’auraient pas été possibles sans eux.

Je remercie ma promotrice de mémoire, Mme Sybille Smeets, pour avoir accepté d’assurer la supervision de mon mémoire et d’en avoir ainsi permis l’aboutissement.

Je remercie la Direction de l’information policière et des moyens ICT de la Police fédérale ainsi que, tout particulièrement, Mme Patrizia Klinckhamers pour la compréhension dont ils ont fait preuve à l’égard de ma requête d’accès à leurs bases de données statistiques. Leur contribution a été des plus précieuses et des plus enrichissantes.

Je tiens également à remercier le Service « Prévention vols et Thématiques » de la Direction Sécurité locale intégrale du SPF Intérieur pour les conseils et les documents qu’ils ont apportés à la réalisation de ce mémoire durant toute la durée de mon stage au sein de leur équipe. Mes remerciements vont à Cathy Grimmeau, Leen Cortebeeck et, tout particulièrement, Jacques Ickx et Dafne Vanhelleputte pour avoir consacré de leur temps à me présenter le développement de la politique du SPF Intérieur en matière de sécurisation des pharmacies.

Je remercie le Directeur Général de l’Association Pharmaceutique de Belgique, M. Luc Adriaenssens, d’avoir accepté de me recevoir et de s’entretenir avec moi au sujet de la sécurité des pharmacies en Belgique et des initiatives développées par son organisation. Son témoignage et son expertise ont grandement enrichi l’analyse à la base de ce mémoire.

Je remercie très chaleureusement mes parents pour le soutien et les encouragements sans failles dont ils ont fait preuve à mon égard tout au long de ce second Master universitaire. Je remercie tout particulièrement ma mère, Nadine Wojda, pour sa relecture patiente et la grande disponibilité dont elle a fait preuve au cours de la rédaction de ce mémoire.

Je remercie vivement Sacha Levis et Lukasz Vandersmissen pour leurs expertises criminologiques et leurs remarques constructives exprimées à chaque étape de ma recherche. Je remercie également le Dr. Olivier Body pour ses conseils rédactionnels et méthodologiques avisés. Je tiens également à témoigner mes remerciements à Nicolas Mortier pour avoir partagé avec moi sa connaissance fine du monde pharmaceutique et pour m’avoir aidé à constituer l’échantillon de recherche de ce mémoire. A tous je leur adresse toute ma fraternité et ma gratitude pour les grandes qualités humaines dont ils ont fait preuve et pour l’amitié sincère qu’ils m’ont témoignée.

Je remercie également toutes les personnes de ma Famille ou parmi mes amis qui ont permis, par leur soutien

et leurs qualités personnelles, de faciliter l’aboutissement de ce mémoire.

3

I. Introduction : ............................................................................................................................................... 6

A. Etat général de la sécurité dans les pharmacies d’officine en Belgique : .............................................. 10

B. Les types de faits délictueux commis à l’égard des pharmacies d’officine en Belgique : ..................... 16

1. La prédominance des vols au sein des pharmacies d’officine : ........................................................... 16

2. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine en Belgique : le cas des vols à main armée et des

vols avec violence : ....................................................................................................................................... 20

C. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine : l’apparente spécificité de Bruxelles : .................... 25

II. Problématique :......................................................................................................................................... 31

A. Les initiatives des pouvoirs publics et des organisations professionnelles de pharmaciens face aux

risques de violence : ......................................................................................................................................... 31

1. Les initiatives de prévention situationnelle : un arsenal de mesures techno-préventives : ............... 32

a. Les mesures fiscales et réglementaires : ......................................................................................... 34

b. Les systèmes de télésurveillance policiers : .................................................................................... 36

2. Les incitations à la déclaration des faits violents et au dépôt de plainte : situer la violence chez les

pharmaciens d’officine et lutter contre l’impunité : .................................................................................... 39

3. La coopération entre organisations professionnelles pharmaceutiques et les pouvoirs publics : ...... 42

B. Des logiques d’action en apparence difficilement conciliables : la réaction des pharmaciens face aux

risques d’agressions et de violence : ............................................................................................................... 46

1. La dimension sociale et la dimension médicale du métier de pharmacien d’officine : ....................... 46

2. La dimension commerciale du métier de pharmacien d’officine : ...................................................... 48

3. La logique sécuritaire, élément sous-jacent à la dimension commerciale : ........................................ 50

III. Méthodologie : .......................................................................................................................................... 57

A. Un recentrage sur les méthodes qualitatives : ....................................................................................... 57

B. Une démarche essentiellement inductive : ............................................................................................ 59

C. Etablissement du protocole de recherche : ............................................................................................ 61

1. Choix de l’échelle de la recherche : ..................................................................................................... 61

2. Justifications empiriques et théoriques de notre choix d’échelle : ..................................................... 61

3. Sélection des terrains de recherche : .................................................................................................. 64

4. Caractéristiques de l’échantillon constitué : ....................................................................................... 67

IV. Analyse des données empiriques: ......................................................................................................... 70

A. Victimisation et représentations des risques de violence : ................................................................... 70

1. L’évaluation de la profession de pharmacien d’officine en termes de risques de sécurité : .............. 70

a. Une profession très exposée aux risques de violence : .................................................................. 71

2. Le vol à main armée comme principale forme de violence expérimentée par les pharmaciens

d’officine : ..................................................................................................................................................... 73

a. Une crainte générale du braquage, y compris chez les pharmaciens n’en ayant jamais été

victimes : .................................................................................................................................................. 74

b. La diffusion de la crainte du vol à main armée par les expériences des collègues ou des proches :

74

4

c. Un forme extrême mais marginale de l’anticipation du vol à main armée : la banalisation du

risque de vol à main armée : .................................................................................................................... 75

3. Les faits de violence commis par les toxicomanes ou d’autres catégories de personnes marginales :

une violence d’importance secondaire mais néanmoins relativement répandue : ..................................... 76

4. L’agressivité générale des patients comme violence latente : ............................................................ 77

5. Les facteurs de risques de violence en pharmacie d’officine identifiés par les pharmaciens : ........... 79

a. Des éléments matériels incitant les vols avec violence :................................................................. 79

b. La féminisation de la profession comme facilitateur des vols avec violence : ................................ 80

c. Le manque de protection en comparaison avec d’autres types de commerces : ........................... 81

6. Conclusions sur la perception des risques de violence chez les pharmaciens d’officine : .................. 81

B. Les stratégies de prévention des risques de vol à main armée développées par les pharmaciens : ... 83

1. Une domination des mesures de prévention « classiques » issues de la techno-prévention : ........... 84

a. Les principaux types de mesures techno-préventives mobilisés : .................................................. 84

b. Différents profils d’utilisateurs de mesures techno-préventives : .................................................. 86

i. La conception « utilitariste » de la techno-prévention: une utilisation minimale de la techno-

prévention et ses motivations : ........................................................................................................... 87

Une oscillation entre l’absence de besoin ressenti et la conformation à des obligations: .... 87

Une utilisation proportionnée à certains phénomènes délictueux de moindre gravité, une

utilisation partiellement influencée par l’opportunité :.................................................................. 90

L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des

interactions avec les usagers ........................................................................................................... 92

ii. Une conception intermédiaire, « réaliste » : l’utilisation modérée de mesures techno-

préventives et ses motivations : .......................................................................................................... 95

Une utilisation motivée par la prudence : .............................................................................. 95

Une volonté de sécurisation de la pharmacie qui rencontre certaines limites : .................... 96

L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des

interactions avec les usagers ........................................................................................................... 98

iii. La conception « absolutiste » de la techno-prévention : l’utilisation maximale des mesures

techno-préventives et ses motivations : ........................................................................................... 101

Une utilisation maximale des mesures techno-préventives marquée par la renonciation à

l’accès libre à la pharmacie : ......................................................................................................... 102

…mais susceptible d’être encore radicalisée : ...................................................................... 107

Une caractéristique significative dans le parcours des pharmaciens « absolutistes » : le

traumatisme des épisodes de victimisation .................................................................................. 108

L’identité professionnelle de ces pharmaciens : une attitude de prévention s’inscrivant dans

le prolongement d’une logique économique mais n’en favorisant pas la réalisation .................. 109

2. Des stratégies de protection « offensives » fondées sur la confrontation directe des assaillants : .. 114

a. L’opposition aux assaillants ou le recours à la force : ................................................................... 114

b. La question de l’usage d’armes par les pharmaciens d’officine : .................................................. 116

c. La motivation de cette volonté de confronter l’agresseur : refuser l’impuissance : .................... 117

3. Des stratégies de prévention innovantes : ........................................................................................ 119

5

4. Conclusions sur les stratégies de prévention et de protection développées par les pharmaciens

d’officine : ................................................................................................................................................... 122

V. Conclusions générales :.......................................................................................................................... 127

VI. Bibliographie : ......................................................................................................................................... 132

VII. Annexes : .................................................................................................................................................. 143

A. Statistiques complètes de la Police fédérale sur la criminalité commise à l’égard des pharmaciens

d’officine en Belgique, par Région : ............................................................................................................... 143

B. Taux de victimisation par vol à main armée des pharmaciens d’officine de Belgique, par Région et

pour l’année 2012 : ........................................................................................................................................ 145

C. Taux moyens de vols à main armée à l’encontre de pharmaciens, par Région et sur la période 2009-

2012 : .............................................................................................................................................................. 147

D. Principes du système Télépolice communiqués par Eurovigilance : ................................................... 147

6

I. Introduction :

Ce mémoire se voudra porter sur la représentation et l’appréhension des risques

d’agressions et de victimisation chez un corps de métier paramédical précis, à savoir les pharmaciens

d’officine, ainsi que sur les conséquences induites par ces risques sur les rapports établis avec la

clientèle/patientèle. Comment ce personnel paramédical conçoit-il les risques d’agressions,

comment tente-t-il de les prévenir et quelle stratégie développe-t-il lorsque ce risque se matérialise

en acte de violence concret, telles sont les interrogations de base qui sous-tendent notre démarche

de recherche. Au regard de l’importance qu’a pris la violence au sein des secteurs de la santé, en

Europe comme ailleurs dans le monde occidental, ces interrogations ne semblent nullement

dérisoires. En effet, de nombreuses études empiriques ont démontré le caractère grandissant du

risque d’agression et de victimisation auquel devait faire face le personnel médical dans son

ensemble. L’Observatoire des violences en milieu de santé (ONVS) indiquait ainsi, pour l’année 2012,

un nombre de cas d’agressions et de faits de violence rapportés contre des membres du personnel

médical en milieu hospitalier en France de plus de 11.0001, contre seulement près de 5000 pour

l’année 20102. Les établissements belges ne semblent pas déroger à cette tendance de progression

de la violence au sein des milieux hospitaliers, bien que sensiblement moins d’informations semblent

exister à ce sujet. Ainsi, en 2008, le ministre de l’intérieur Guido De Pacht, annonçait

l’enregistrement de 7.454 cas d’agressions contre le personnel médical en milieu hospitalier pour

l’année 2007, confirmant la progression du phénomène de victimisation du personnel médical en

milieu hospitalier3. La plupart des études mettant en exergue ce phénomène s’accordent également

pour en souligner la dimension inconnue, non-signalée. Le nombre de cas d’agressions non-détectés

à l’égard du personnel médical, bien que variable selon les Etats, serait en effet très élevé, d’aucuns

avançant le chiffre de 3% de signalisations des actes d’agressions physiques à l’encontre de membres

du personnel médical en milieu hospitalier4.

Comme mentionné précédemment, les pharmacies d’officine semblent ne pas pouvoir

échapper à cette tendance de renforcement de la violence et de la victimisation à l’égard du

personnel médical. En effet, et comme nous le verrons en détails plus tard, si les statistiques

officielles de la Police fédérale montrent une certaine continuité, voire une progression lente dans le

nombre de vols à main armée ou avec violence et sans arme5, le nombre total de faits pouvant être

qualifiés « d’agressions» concernant les pharmacies d’officine pourrait être sensiblement plus élevé

selon diverses études. Le Syndicat Neutre des Indépendants (SNI) avançait, en 2013, le chiffre d’une

progression de 20% du nombre de braquages des pharmacies d’officine entre 2007 et 2012 pour 1 Observatoire National des Violences en Milieu de Santé, « Rapport annuel 2012. Observatoire national des

violences en milieu de santé », Ministère des affaires sociales et de la santé, 2013, p.4, consulté en ligne le 05/10/2014 sur http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_2012_ONVS-2.pdf 2 IZEOS, « Les agressions de personnels hospitaliers en hausse en 2010 », article mis en ligne le 01/09/2011,

consulté le 04/10/2014 sur http://www.infirmiers.com/ressources-infirmieres/documentation/les-agressions-de-personnels-hospitaliers-en-hausse-en-2010.html 3 RTBF, « Les agressions en hôpitaux ne cessent d’augmenter », article mis en ligne le 28/04/2009, consulté le

04/10/2014 sur http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_les-agressions-en-hopitaux-ne-cessent-d-augmenter?id=5045753 4 DE PACHT, Guido, « Question écrite n°5-564 à la ministre de l’intérieur», 16/12/2010, consulté le 02/10/2014

sur http://www.senate.be/www/?MIval=/Vragen/SchriftelijkeVraag&LEG=5&NR=564&LANG=fr 5 Chambre des représentants de Belgique, « Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de

l’Egalité des chances du 29 avril 2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », p.149-150, http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf

7

l’ensemble de la Belgique6, et soutenait sur base de ces chiffres qu’une pharmacie d’officine sur 25

connaitrait au moins un braquage7. La lecture de ces chiffres doit cependant se faire avec prudence,

en raison du manque d’information entourant la manière dont ceux-ci ont été établis ainsi qu’en

raison de la nature corporatiste de l’entité les ayant publiés. Corrélativement à cette tendance

statistique, le SNI soutient la thèse d’un déplacement du champ d’action des malfaiteurs, ceux-ci

délaissant au fil du temps les anciennes cibles telles que les banques, les supermarchés et bureaux de

poste pour se concentrer sur des cibles plus petites, plus nombreuses mais également plus

vulnérables telles que bijouteries, les magasins de nuit ainsi que les pharmacies8. Si ces chiffres, issus

des statistiques policières et de plusieurs études indépendantes, indiquent une augmentation du

nombre total de faits de violence à l’égard des pharmacies d’officine, ceux-ci ne refléteraient qu’une

partie relativement réduite de l’ensemble des faits de violence et d’agression affectant ce type

d’activité professionnelle.

Face à semblables menaces et à une situation sécuritaire aux apparences critiques, il nous

semble juste de s’interroger sur les impacts que celles-ci ont eues, ou peuvent avoir à l’avenir, sur les

pratiques professionnelles et sur la réalité au quotidien du métier de pharmacien d’officine. En dépit

des vastes dimensions du sujet, ainsi que du sentiment d’urgence qui semble animer bon nombre

d’acteurs de terrain préoccupés par la sécurité des pharmaciens et de leurs établissements, ce

problème a reçu un intérêt scientifique extrêmement indigent et proche de l’inexistence. A côté de

quelques rares études empiriques à portée exploratoire sur la sécurité des pharmacies9, menées

dans quelques Etats où le sujet à fait l’objet d’un intérêt scientifique plus poussé, et d’une petite

littérature vieillissante sur les implications multidimensionnelles de la problématique des stupéfiants

en pharmacie10, peu d’études sont susceptibles d’être trouvées par quiconque s’intéressant aux

questions entourant la délinquance et la sécurité au sein des pharmacies. De manière générale, il

semblerait d’ailleurs que la pharmacie d’officine ne constitue pas, à l’inverse du milieu hospitalier et

du secteur infirmier par exemple11, un terrain d’étude particulièrement prisé par les chercheurs

sociologues ou criminologues attachés à l’analyse des risques de sécurité et de la violence dans les

milieux professionnels et, plus particulièrement, de la santé. Même les circuits scientifiques du

secteur pharmaceutique semblent avoir délaissé les dimensions sociologiques de la profession de

pharmacien d’officine pour se consacrer surtout à ses aspects éthiques et organisationnels liées à

certaines questions non-strictement médicales, telle que l’évolution des soins pharmaceutiques et

leurs implications. Au final, les principales sources de données et d’analyses statistiques sur la

sécurité des pharmacies et du personnel officinal demeurent les organismes corporatifs des

pharmaciens ainsi que les services administratifs de sécurité intérieure de l’Etat, malgré le fait que

leurs apports dans ce domaine soient relativement limités en quantités et fluctuants au travers du

temps.

6 Syndicat Neutre des Indépendants, « Chaque jour un bijoutier, un pharmacien ou un night shop se fait

braquer », consulté en ligne le 04/10/2014 sur http://www.nsz.be/fr/nouvelles/juridique/chaque-jour-un-bijoutier-un-pharmacien-ou-un-night-shop-se-fait-braquer/ 7 Idem, « Pharmacies et stations-services ont le plus de risque d’être braquées », consulté en ligne le

04/10/2014 sur http://www.nsz.be/fr/nouvelles/secteurs/pharmacies-et-stations-services-ont-le-plus-de-risque-detre-braquees/ 8 Idem, « Chaque jour un bijoutier, (...) », op.cit.

9 Voir infra note 35.

10 Voir infra p.45-48.

11 Voir infra note 19.

8

Au final, nous sommes bien incapables de fournir la moindre piste a priori sur la façon dont

les pharmaciens vivent et se représentent l’expérience de la violence dans le cadre de leur métier, et

encore moins sur les ensembles de moyens qu’ils mobilisent pour y faire face et assurer leur sécurité,

ainsi que sur les stratégies de prévention des risques de violences et d’agressions qu’ils développent.

Ces éléments constitueront néanmoins nos principaux axes de recherche. Nous souhaitons évaluer

les différents aspects de la sécurité des pharmaciens en Belgique, et plus particulièrement dans la

Région de Bruxelles-Capitale, pour déterminer, en l’absence de tout travail scientifique antérieur

pouvant nous servir de base, les impacts objectifs et subjectifs des risques de violences et

d’agressions sur les pharmaciens d’officine. Quelles sont leurs représentations subjectives de la

violence et quels en sont les avatars dominants ? Ont-elles évoluées avec le temps et avec la

modification des structures de la délinquance ou sont-elles demeurées constantes ? Et surtout,

comment les pharmaciens y répondent-ils concrètement ? Comment assurent-ils leur sécurité au

quotidien dans l’exercice de leur profession ? Les Interrogations sont multiples et traduisent autant

la richesse du sujet que son étendue.

Outre le simple intérêt de faire progresser la recherche sur ce sujet précis largement

méconnu et, plus généralement, sur les questions de sécurité affectant les secteurs médical et

paramédical dans leur globalité, la problématique de la sécurité et des stratégies de prévention des

risques de violences et d’agressions dans les pharmacies comporte une dimension « politique », de

par l’investissement croissant des derniers gouvernements fédéraux belges et le développement de

stratégies d’action transversales face à l’urgence de la situation, qui n’est pas sans ajouter de l’intérêt

à cette recherche. Le secteur des pharmacies d’officine semble être parcouru par plusieurs

mouvements dans le domaine de la sécurité, émanant tant de la multitude des pharmaciens au sein

même des officines et à l’échelle microscopique que des acteurs intéressés par la sécurité publique à

l’échelle macroscopique. Le résultat est néanmoins inconnu et, face aux pressions sécuritaires

générées par les comportements violents et délinquants, il se pourrait que les modes d’organisation

et de fonctionnement typiques des pharmacies en soient profondément affectés.

Les Etats-Unis offrent à ce titre, toutes proportions et différences de nature gardées avec la

situation sécuritaire des pharmacies en Europe, l’illustration des extrémités auxquelles certaines

pharmacies sont prêtes à aller afin de se prémunir des risques de violences et d’agressions. Les deux

exemples suivants n’ont qu’une valeur anecdotique mais ont pour vocation de fournir une

illustration concrète de l’ampleur des mutations profondes du mode de fonctionnement et

d’organisation que peut subir une pharmacie à l’issue d’un processus de sécurisation

particulièrement poussé. Dans la zone urbaine de Syosset, dans l’Etat de New York, certaines

pharmacies ont entrepris de transformer complètement leur stratégie de sécurité en se coupant

virtuellement du monde extérieur. Cette nouvelle stratégie nous est décrite en ces termes,

“First, you open this outer door and walk into a little vestibule. They look at you through a camera, and

only then, if they decide they’re going to let you in, that’s when they open the inner door. You walk past an

employee who’s carrying a Glock 9 millimeter. You have to do all that, just to get to the waiting room.”12

De façon plus générale, c’est la plupart des pharmacies de la région de Long Island qui se sont

résignées à adopter une approche plus radicale de la sécurité face à la croissance du nombre

d’agressions et de braquages, incitant ceux-ci à :

12

ABC Local, « High-tech security at Long Island pharmacy », 07/02/2012, consulté en ligne le 29/07/2015 sur http://abclocal.go.com/story?section=news/local/long_island&id=8534800

9

“to strengthen their security precautions, and to wrestle with fear. Some have gone so far as to install

bulletproof glass partitions or entry systems where customers must be buzzed in. A few have hired guards,

or are considering getting guns.”13

Ces exemples traduisent un phénomène de « fortification » des pharmacies et de recours à

certains moyens de protection extrêmes impliquant, pour le moins, une distanciation du pharmacien

par rapport au patient. Si ces exemples ont été volontairement choisis en raison de leur caractère

extrême, pour souligner les implications éventuelles d’un processus de sécurisation poussé à son

paroxysme, et ne sont applicables qu’au contexte américain, ils font écho à des tendances similaires

constatées dans d’autres pays 14 . Ne connaissant pas la nature et l’étendue des stratégies

développées par les pharmaciens en Belgique, nous ne pouvons dire si pareil phénomène de

« fortification » est à l’œuvre au sein de leurs pharmacies ; tout au plus nous n’écartons pas cette

éventualité.

Notre recherche se décomposera en plusieurs séquences que nous annonçons d’emblée afin

d’en faciliter la lecture. Dans un premier temps nous tenterons de réaliser une analyse statistique des

risques de sécurité et de violence auxquels sont confrontés les pharmaciens d’officine de Belgique. A

travers cette analyse nous ambitionnons de parvenir à une présentation claire et exhaustive de la

situation de ces pharmaciens sur le plan de la sécurité, ainsi que son évolution dans le temps, cela

tant afin de fournir au lecteur certains éléments clés pour appréhender le sujet de cette recherche

que pour dégager un socle factuel solide sur laquelle pourra se développer notre problématique.

Celle-ci constituera le deuxième temps de notre recherche et visera à dégager certaines pistes

d’exploration sur les stratégies de protection et de prévention des risques de sécurité développées

par les pharmaciens. Dans cette problématique nous mettrons en avant tant les diverses tentatives

des autorités publiques et des organismes corporatifs de développer, auprès des pharmaciens,

certains plans d’action centrés sur le développement de réponses techno-préventives, que les

logiques d’action contradictoires se développant au sein de la profession de pharmacien d’officine et

influençant les stratégies concrètes mises en œuvre dans les pharmacies en matière de sécurité et de

prévention. Cette problématique s’articulera en parallèle de la section dédiée à l’aspect

méthodologique de notre recherche qui viendra, quant à elle, éclairer le lecteur sur les méthodes de

recherche mobilisées et justifier les divers choix d’orientation que nous avons dû poser, le premier

de ceux-ci étant la limitation de notre zone de recherche à certaines communes de la Région de

Bruxelles-Capitale. Les données que nous avons obtenues à l’issue de nos entretiens qualitatifs ne

seront applicables qu’à cette Région, ce qui constitue une des principales limites de cette recherche.

La dernière partie de notre recherche sera consacrée à l’analyse de ces données de terrain et à la

présentation des principaux résultats qui en auront émergé. A l’issue de cette analyse nous espérons

parvenir à découvrir les différentes représentations des risques de violences et d’agression existantes

chez les pharmaciens, de même que les stratégies de prévention de ces risques et les pratiques

concrètes qui en seraient issues.

13

New York Times, « Behind the counter, an acute anxiety », 08/01/2012, consulté en ligne le 29/07/2015 sur http://www.nytimes.com/2012/01/09/nyregion/anxious-days-for-long-island-pharmacies.html 14

ERDOGAN, Ozlem Nazan & KAYA, Safiye, « Safety research on community pharmacies in Kocaeli », African Journal of Pharmacy and Pharmacology, Vol.4 (5), 2010, p.209-210.

10

A. Etat général de la sécurité dans les pharmacies d’officine en Belgique :

Les données statistiques recueillies nous permettent de dresser une représentation globale

de la situation des pharmacies d’officine en Belgique sur le plan de la sécurité et de son évolution

dans le temps. Pareil exercice constitue un impératif préalable à tout travail d’investigation sur

l’appréhension des risques d’agressions et de violences chez les pharmaciens d’officine et sur les

stratégies de prévention de ces risques développées et appliquées au sein de celles-ci. En effet, au

regard de la faible quantité de données complètes et précises relatives à la sécurité au sein des

pharmacies d’officine disponibles dans le domaine public, il nous semble nécessaire de parvenir à

une compilation et à une présentation extensives de données statistiques afin de réaliser un aperçu

global de la situation sécuritaire des pharmacies d’officine. Bien que nous soyons pleinement

conscients des limites intrinsèques à l’analyse statistique, celle-ci nous a semblé constituer, sinon

une étape obligée, au moins un moyen utile afin de parvenir à un exposé introductif large et

intelligible d’une situation sécuritaire complexe. Cette partie se décomposera dès lors en plusieurs

points au travers desquels nous aborderons la situation de la sécurité des pharmacies d’officine à

partir de ses caractéristiques les plus larges, en l’occurrence les risques de criminalité à l’égard des

pharmacies d’officine sans distinctions, pour en évaluer ensuite des aspects plus spécifiques tels que

les différents types de faits délictueux commis à l’égard des pharmacies d’officine et de leur

personnel, ainsi que la proportion des faits violents parmi ceux-ci.

Les statistiques de la Police fédérale constituent la meilleure source statistique dont nous

disposons pour décrire l’état général de la sécurité au sein des pharmacies d’officine en Belgique. Ces

données statistiques, couvrant la période 2005-2013 et présentées dans le graphique 1 situé ci-après,

permettent d’emblée de réaliser certaines observations quant à l’état général de la sécurité dans les

pharmacies d’officine. Premièrement, il devient apparent que les pharmacies d’officine ont fait

l’objet d’un nombre relativement important de faits criminels au cours de la période susmentionnée.

De manière globale on constate l’existence d’une augmentation progressive et relativement rapide

du nombre de faits criminels commis à l’encontre des pharmacies d’officine en Belgique qui ne s’est

arrêtée que récemment ; l’année 2011 ayant constituée l’année où le plus de faits criminels ont été

constatés par les services de police. Depuis 2012, une certaine baisse des faits criminels constatés à

l’encontre des pharmacies d’officine est observable, le nombre de faits enregistrés baissant à un

rythme constant et relativement soutenu. En dépit de cette baisse apparente, les chiffres absolus des

faits criminels commis à l’encontre des pharmacies d’officine et enregistrés demeurent cependant

conséquents, les chiffres de l’année 2013 étant toujours supérieurs à ceux enregistrés au cours des

années 2005 et 2006, années qui ont connu les plus faibles niveaux de faits criminels enregistrés à

l’égard des pharmacies d’officine, à notre connaissance.

Plusieurs précisions doivent être réalisées par rapport à ces statistiques et plus

particulièrement par rapport à cette baisse apparente du nombre total de faits criminels à l’encontre

des pharmacies d’officine formellement enregistrés. La répartition par Région des faits commis à

l’encontre de celles-ci nous permet d’affiner nos observations et de relativiser la baisse du nombre

de faits criminels commis à l’encontre des pharmacies d’officine formellement enregistrés. Si toutes

les Régions de Belgique semblent expérimenter une baisse du nombre de ces faits criminels depuis

quelques années, cette baisse se décline différemment et inégalement en fonction de la Région.

Ainsi, la Région wallonne semble avoir été la Région ayant connu la plus forte baisse de faits criminels

commis à l’égard des pharmacies d’officine et se trouverait donc à l’origine de la baisse générale de

11

ces faits criminels. La trajectoire de la courbe des faits criminels commis à l’encontre des pharmacies

d’officine en Région wallonne est très similaire à la trajectoire de la courbe des faits commis au

niveau national, les deux courbes enregistrant un pic et une baisse subséquente simultanés.

Parallèlement, la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale ont connu une relative stabilité

dans le nombre de faits criminels à l’égard des pharmacies d’officine enregistrés sur leur territoire, la

Région de Bruxelles-Capitale se distinguant par un niveau de faits criminels comparativement très

bas et ayant subi des fluctuations beaucoup moins fortes que celles survenues dans les deux autres

Régions entre 2005 et 2013.

Graphique 1 : évolution du nombre de faits criminels commis à l’égard des pharmacies d’officine en

Belgique, sans distinction qualitative, répartis au niveau national et au sein des différentes Régions sur la

entre 2005 et 2013.

Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Police fédérale – Direction DRI (Information

policière & ICT) – Business Politique et Gestion. Données transmises le 17/06/2015.

Ces premiers chiffres nous donnent une représentation de l’état général de la sécurité au

sein des pharmacies d’officine mais ne nous renseignent pas sur les types de faits criminels commis à

l’encontre de celles-ci et de leur personnel, ces faits étant ici amalgamés dans une seule et même

« méta catégorie ». La première limite inhérente à pareille présentation de ces faits criminels dans

une catégorie unique est que nous sommes dans l’incapacité la plus totale de déterminer la nature

de ces faits, ceux-ci pouvant se décliner sous des formes très variées et de plus ou moins grande

gravité. Dans la mesure où nous souhaitons nous intéresser spécifiquement à la violence commise à

l’égard des pharmacies d’officine, pareilles données statistiques ne nous sont que d’une utilité toute

relative. Si nous pouvons observer une augmentation, suivie d’une certaine diminution, de la

criminalité ciblant spécifiquement les pharmacies d’officine en Belgique au cours des dernières

années, nous ne pouvons savoir dans quelle mesure cette criminalité englobe des faits violents à

l’instar des vols à main armée ou d’autres formes d’agressions. Ces statistiques étant constituées à

partir des constatations policières enregistrées sur le terrain et répondant à une nomenclature

2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Région Bruxelles-Capitale 325 235 259 285 273 246 278 259 211

Région flamande 469 395 426 471 607 647 623 600 559

Région wallonne 389 409 416 358 403 478 661 581 457

Belgique 1.183 1.039 1.101 1.114 1.283 1.371 1.562 1.440 1.227

0200400600800

10001200140016001800

Faits criminels commis à l'égard des pharmacies d'officine répartis par Région

Région Bruxelles-Capitale Région flamande Région wallonne Belgique

12

propre15, les faits criminels ainsi présentés peuvent regrouper des infractions très différentes, allant

des crimes tels que les agressions violentes à de simples délits ou contraventions de nature

beaucoup moins grave et suscitant bien moins souvent une notification aux services de police.

Cette précision soulève une autre limite inhérente aux données statistiques présentées ci-

dessus. En effet, ces données amalgamant tous les faits infractionnels commis à l’encontre des

pharmacies d’officine et enregistrés par les services de police dans une seule catégorie de « faits

criminels », il est fort probable que cette catégorie unique englobe des faits inégalement rapportés

par les victimes auprès des services de police. Si on peut raisonnablement supposer que les faits

infractionnels les plus graves impliquant des coups et blessures ou des menaces de violence font

l’objet d’une déposition systématique ou quasi-systématique auprès des services de police, il n’en est

certainement pas de même pour les faits infractionnels jugés moins graves par les pharmaciens

d’officine. Ces statistiques sur la délinquance dirigée contre les pharmacies d’officine seraient dès

lors centrées sur un type particulier de faits violents, d’agressions, à savoir le vol à main armée ou

avec violence mais sans arme et accorderaient une place trop importante à ces types de faits

infractionnels par rapport à d’autres formes d’agressions ou de violence d’intensité plus basse,

potentiellement plus récurrentes et banalisées par les victimes. Les rares études scientifiques portant

sur la sécurité et la victimisation des pharmaciens d’officine ont mis en évidence le fait que,

tendanciellement, ces derniers ne rapportent que les faits les plus graves, négligeant de signaler un

grand nombre de faits aux services de police. Les pharmaciens d’officine australiens, interrogés par

Peterson et al. sur leurs réactions face aux faits délictueux dont ils étaient victimes, ont ainsi indiqué

dans leur majorité qu’ils ne rapportaient que les faits les plus graves à l’instar des vols à main

armée16, considérant les autres types de faits comme « insignifiants » ou contre lesquels rien ne

pouvait être fait et ne les signalant que dans une très faible proportion17. Pareille tendance est

également suggérée par Fitzgerald et Reid en ce qui concerne le personnel des pharmacies d’officine

irlandaises, bien que les deux auteurs se contentent prudemment d’avancer que leurs résultats

relatifs à la violence expérimentée par ce personnel sont supérieurs à ceux obtenus jusqu’alors en

Irlande18. Cette tendance, au demeurant, ne concerne pas uniquement le personnel des pharmacies

d’officine mais frappe l’ensemble des professions appartenant au monde médical. Ainsi, un nombre

très important d’études ont pointé l’existence d’une tendance très prononcée au sous-signalement

15

MINE, Benjamin, « L’absence d’identifiant unique et d’harmonisation entre les nomenclatures relatives aux infractions : deux obstacles majeurs à la production en Belgique d’une statistique « criminelle » intégrée » dans VANNESTE, Charlotte & VESENTINI, Frédéric & LOUETTE, Julie (ed.) « Les statistiques pénales belges à l’heure de l'informatisation. Enjeux et perspectives », Academia Press, 2012, p.63-64. 16

PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267. 17

Ibid., p. 268. 18

FITZGERALD, Deirde & REID, Alex, « Frequency and consequences of violence in community pharmacies in Ireland », Occupational Medicine, 2012, p.635.

13

des faits violents par les infirmières19 et, plus particulièrement, par le personnel des départements

d’urgence20.

Cette surreprésentation relative des faits délictueux particulièrement violents et graves dans

les statistiques de la criminalité commise à l’égard des pharmacies d’officine est particulièrement

apparente et soulignée dans certaines études réalisées au sein du secteur pharmaceutique dans

certains pays limitrophes de la Belgique. Les études statistiques réalisées annuellement par l’Ordre

National des Pharmaciens de France sur la sécurité des pharmacies d’officine sont, à ce titre,

particulièrement éclairantes et méritent que nous en fassions mention avant de continuer notre

analyse de la délinquance commise à l’égard des pharmacies d’officine en Belgique. Ces statistiques,

plus finement détaillées et présentées au sein de catégories différentes de celles utilisées par les

services de police belge, nous invitent à relativiser l’importance que nous accordions d’emblée et de

manière intuitive aux faits délictueux de grande violence tels que les braquages et les agressions

physiques à l’intérieur des statistiques sur la sécurité des pharmacies d’officine. En effet, si nous

pouvons supposer, au regard des enseignements empiriques, que ces types de faits devaient faire

l’objet d’une intervention des forces de police de manière plus systématique, réduisant l’importance

des faits violents de plus faible intensité telles que les agressions verbales ou les menaces, il

semblerait que cela ne soit pas le cas et que ces faits violents de plus basse intensité puissent

également faire l’objet d’une réaction de la part de leurs victimes et d’une notification auprès des

services de police. Ainsi, l’Ordre National des Pharmaciens de France semble démontrer au sein de

ses études statistiques sur la sécurité des pharmacies d’officine que la proportion de faits délictueux

plus violents et plus graves, identifiés comme les vols à main armée et les agressions physiques sans

arme, est demeurée relativement réduite et relativement stable dans le temps en ce qui concerne les

faits d’agression physique sans arme. Nonobstant les fluctuations plus conséquentes des chiffres des

vols à main armée au cours de la période 2011-2014, les statistiques de l’Ordre National des

Pharmaciens de France présentées ci-dessous dans le graphique 2 montrent que les faits de vols à

main armée et d’agressions physiques sans arme ne représentaient, en 2014, que 28% de tous les

faits d’agression enregistrés, soit un niveau équivalent à celui enregistré pour l’année 2011.

19

MAYHEW, Claire & CHAPPEL, Duncan, “Workplace violence in the healthsector – A case study in Australia”, The Journal of Occupational Health and Safety — Australia and New Zealand 2003, vol 19(6), 2003, p.6-7; SPECTOR, Paul, E. & ZHOU, Zhiqing, E. & CHE Xin Chuan, “Nurse exposure to physical and nonphysical violence, bullying, and sexual harassment: A quantitative review”, International Journal of Nursing Studies, 2013, p.78-79; WHELAN, Trish, “The escalating trend of violence toward nurses”, Journal of Emergency Nursing, 2008, p.132. 20

ERICKSON, Lisa & WILLIAMS-EVANS, “Attitudes of emergency nurses regarding patient assaults”, Journal of Emergency Nursing, Vol.26, N°3, 2000, p.210-215; KENNEDY, Marcus P; “Violence in emergency departments: under-reported, unconstrained, and unconscionable”, Medical Journal of Australia, Vol.183, N°7, 2005, p.363.

14

Graphique 2 : pourcentages des types d’agressions commis à l’encontre du personnel des pharmacies

d’officine en France, entre 2011 et 2014.

Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Sources : Ordre National des Pharmaciens,

« Déclarations à l’Ordre d’agression des pharmaciens d’officine de France métropolitaine », 2012, 2013 ;

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmaciens d’officine. Panorama », 2014, 2015.

Si ces chiffres ne concernent que les pharmacies d’officine françaises et ne sont valables que

dans le contexte français, ils invitent néanmoins à considérer avec prudence l’importance que nous

pourrions accorder aux faits délictueux plus violents et plus spectaculaires tels que les vols à main

armée et les attaques ou agressions physiques sur le personnel des pharmacies d’officine. En effet,

les faits d’agression a priori moins graves et qui devraient susciter une réaction plus épisodique

auprès des services de police semblent au contraire, si l’on en croit les statistiques françaises, faire

l’objet d’une réaction relativement importante de la part des pharmaciens d’officine.

Une dernière remarque que nous pouvons réaliser dans le cadre de ce premier point, nous

ne pouvons écarter l’existence d’un chiffre noir d’une importance inconnue de certaines formes

d’agression dont serait victime le personnel officinal. Bien que, comme nous avons pu le voir au

travers des statistiques françaises sur la sécurité des pharmacies d’officine, les types d’agression ou

de violence plus communs et moins graves font également l’objet d’un signalement relativement

important auprès des services de police, leur nombre réel pourrait être bien supérieur, un grand

nombre de membre du personnel de pharmacies d’officine semblant préférer éviter de signaler

certains types d’incidents considérés comme étant insuffisamment graves pour justifier une

notification auprès des services de police ou de services de plainte corporatifs21. Il serait aventureux

de chercher à mesurer l’étendue de ce chiffre noir et, à notre connaissance, aucune étude en

Belgique ou dans un pays limitrophe n’est parvenue à en réaliser une estimation même

approximative. Seule indication dont nous disposons et traduisant néanmoins la réalité du

phénomène de sous-signalement de certains faits délictueux ou criminels commis à leur égard par le

personnel des pharmacies d’officine, l’Ordre National des Pharmaciens de France déplore avec force

21

PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267.

44%

38%

31%

52%

28,% 27,% 29,%

20,%

12% 10% 11% 11% 16%

24% 28%

17%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

2011 2012 2013 2014

Pourcentages des types d'agressions commis à l'encontre du personnel des pharmacies d'officine

en France

Agression verbale Menace Agression physique Vol à main armée

15

dans chacune de ses publications portant sur la sécurité au sein des pharmacies d’officine que « le

nombre d’agressions déclaré soit en-deçà de la réalité », cela en raison, entre autres, d’une

« perception de complexité et de lourdeur des procédures »22. Pareils propos sont de nature à

considérer avec prudence les faibles taux de victimisation des pharmaciens d’officine rapportés en

France et en Belgique et se situant bien souvent en dessous de 1%, ainsi que les statistiques

policières ou corporatives sur la criminalité commise à l’encontre du personnel de pharmacies

d’officine de manière plus générale.

L’ensemble des données mobilisées jusqu’à présent ont servi à pointer certaines tendances

de fond relatives à la criminalité commise à l’encontre du personnel des pharmacies d’officine et à

leur enregistrement au sein de statistiques officielles. Si nous avons pu constater l’existence d’une

réelle tendance au renforcement de la délinquance commise à l’encontre du personnel des

pharmacies d’officine en Belgique au cours des années 2000, contrebalancée par une réduction très

récente de celle-ci, nous ne sommes toujours pas parvenu à détailler les différentes formes de

délinquance à l’œuvre au sein des pharmacies d’officine et dont leur personnel est victime.

Préalablement à la continuation de l’exposé de la situation sécuritaire des pharmacies d’officine en

Belgique nous avons tenu à mettre en exergue deux limites importantes mais néanmoins inhérentes

aux statistiques de la délinquance au sein des pharmacies d’officine par les différentes institutions et

services compétents. Premièrement nous avons démontré la nécessité de ne pas réduire la

délinquance au sein des pharmacies d’officine à ses formes violentes les plus extrêmes et les plus

spectaculaires. En effet, si par réflexe nous avons tendance à ramener la délinquance et la violence

prenant place au sein des pharmacies d’officine à quelques formes extrêmes telles que le vol à main

armée ou l’attaque ou agression physique, force est de constater que d’autres formes de violence ou

d’agression de plus faible intensité sont également fortement présentes en pharmacie d’officine et

que le personnel de celles-ci semble suffisamment concerné par ces formes d’agression pour en faire

rapport aux services compétents dans des proportions relativement importantes quoique très

variables d’année en année.

Deuxièmement, nous avons également fait mention de la tendance chez un nombre

potentiellement important de membres du personnel de pharmacies d’officine à sous-rapporter les

faits délictueux et de violence survenant au sein de leur officine. En effet, bien que nous soyons

incapable de chiffrer cette omission de rapport de certains faits délictueux et violents à l’intérieur

des pharmacies d’officine, plusieurs études tendent à confirmer cette impression qu’un grand

nombre de faits délictueux plus ou moins graves échappent à notre connaissance, comme nous

avons pu le voir précédemment. Si les raisons de pareil phénomène demeurent hypothétiques et

potentiellement multiples, d’aucuns identifient l’impression de complexité des procédures de

plainte23, les pressions sociales et organisationnelles associées au dépôt de plainte24, ainsi que la

banalisation des faits25 comme autant de possibles raisons expliquant ce phénomène, du moins en ce

22

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.2. 23

CHAPMAN, Rose & STYLES, Irene, « An epidemic of abuse and violence: nurse on the frontline », Accident and Emergency Nursing, 2006, p. 246. 24

RIPPON, Thomas, « Aggression and violence in health care professions », Journal of Advanced Nursing, 2000, p.454-455, 457-458; KENNEDY, Marcus P; “Violence in emergency departments: under-reported, unconstrained, and unconscionable”, Medical Journal of Australia, Vol.183, N°7, 2005, p. 363. 25

ERICKSON, Lisa & WILLIAMS-EVANS, “Attitudes of emergency nurses regarding patient assaults”, Journal of Emergency Nursing, Vol.26, N°3, 2000, p.213; JONES, Jacqueline & LYNEHAM, Joy, “Violence: part of the job for Australian nurses?”, Australasian Emergency Nursing Journal, Vol.4, N°1, 2001, p.10-14.

16

qui concerne le secteur infirmier et hospitalier. Selon toute vraisemblance, et particulièrement en

raison de cette tendance à la banalisation ou à la relativisation des faits délictueux et violents les plus

courants et de moindre intensité, certains faits tels que les faits d’agression verbale ou les menaces

seraient largement sous-évalués dans les statistiques officielles sur la sécurité au sein des pharmacies

d’officine, le personnel des pharmacies d’officine préférant ne pas faire rapport de ces faits à leurs

directions, organisations professionnelles et aux services de police.

Ces remarques et limites se doivent d’être posées d’emblée car elles viennent éclairer sous

une nouvelle perspective les statistiques déjà utilisées et celles que nous serons amenés à utiliser

plus tard, de même qu’elles viennent relativiser l’excès de confiance que nous pourrions être tentés

de placer directement et sans prise de distance critique dans ces statistiques. Elles doivent être

gardées à l’esprit lorsque nous développerons les points sur les différents types de faits délictueux et

de faits violents dans la suite de notre exposé, également sur base de la méthode de l’analyse

statistique.

B. Les types de faits délictueux commis à l’égard des pharmacies d’officine en

Belgique :

1. La prédominance des vols au sein des pharmacies d’officine :

Les statistiques de la police fédérale relatives aux faits criminels commis au sein des

pharmacies d’officine s’avèrent une nouvelle fois constituer la source statistique la plus appropriée

pour entamer une analyse plus poussée de la situation sécuritaire des pharmacies d’officine en

Belgique au cours de ces dernières années. A l’inverse de ce que nous avons réalisé précédemment

au début de notre recherche, nous ne nous intéresserons plus simplement au nombre global de faits

criminels survenus au sein des pharmacies d’officine sans distinction qualitative mais nous opérerons

un certain raffinement de ces données afin de parvenir à cibler quels sont les principaux types de

faits délictueux survenant au sein des pharmacies d’officine et tenter de déterminer l’étendue de la

violence déclinée sous ses différentes formes.

Comme nous le supposions précédemment, les statistiques fournies par la Police fédérale sur

les différents types de faits délictueux survenus en pharmacie d’officine au cours des années 2000

reprennent un grand nombre de catégories correspondant à des phénomènes criminels très distincts

les uns des autres. Par souci de clarté et pour éviter une opacification de notre analyse par des

données statistiques non-pertinentes ou moins pertinentes au regard des objectifs de ce mémoire,

nous avons décidé d’opérer une sélection des données disponibles par Région en isolant les trois

principales catégories de faits délictueux, à savoir « les vols et extorsions », « les infractions contre la

foi publique » et « les dégradations de propriété », et en compilant les données de celles-ci afin d’en

obtenir une représentation applicable à l’échelle de la Belgique. Le choix de ramener le nombre de

catégories statistiques étudiées à trois procède d’un choix délibéré et que d’aucuns pourraient

considérer comme arbitraire, nous reprochant d’éluder d’autres catégories potentiellement

importantes et de réduire la diversité qualitative des données. Si ce dernier point est correct dans

l’absolu, nous sommes néanmoins d’avis que l’impact de choix de restriction qualitative des données

mobilisées est extrêmement limité dans la mesure où les catégories ainsi éludées étaient

17

statistiquement insignifiantes et de valeur purement anecdotique, celles-ci incluant bien souvent un

nombre de faits très réduit voire virtuellement inexistant. Les tableaux reprenant, en annexes, les

données complètes ainsi que leur présentation graphique attesteront de ce poids statistique relatif

ainsi que de l’impact limité de leur élusion sur la suite de notre développement26.

Une lecture rapide de ces statistiques ainsi sélectionnées et présentées dans le graphique 3

ci-après permet de se rendre compte de l’importance des faits de vols et d’extorsion au sein des

pharmacies d’officine sur l’ensemble de la Belgique. Il s’agit d’abord du premier type de fait

infractionnel touchant les pharmacies d’officine, confirmant ainsi plusieurs analyses scientifiques ou

corporatives attestant de l’importance du phénomène de vol au sein des pharmacies d’officine en

général, en Belgique comme dans d’autres Etats de par le monde27. L’Ordre National des

Pharmaciens de France indiquait ainsi, dans son rapport sur la sécurité des pharmacies d’officine en

2014 et selon sa méthodologie propre de calcul des statistiques de la délinquance, que les vols

d’espèces représentaient la principale motivation des agressions à l’encontre du personnel des

pharmacies d’officine, la proportion de ceux-ci oscillant entre 40 et 50% entre l’année 2011 et

l’année 201428. Les pharmacies d’officine en Belgique ne dérogent pas à cette tendance générale

non-limitée à un contexte national particulier. De manière relativement analogue à la France, nous

pouvons également constater une augmentation soudaine et une diminution subséquente tout aussi

soudaine des vols et extorsions au sein des pharmacies d’officine en Belgique29, à la différence près

que les statistiques françaises parlent «d’agressions motivées par le vol », catégorie statistique plus

précise qui explique dès lors le nombre plus restreint de cas repris dans celle-ci.

Les pharmacies d’officine en Belgique seraient aujourd’hui moins visées par le vol et

l’extorsion qu’au tout début des années 2000 ou qu’au cours de l’année 2011 si l’on se réfère aux

statistiques de la Police fédérale30. Ici encore, nous ne pouvons être certains que la tendance

apparente au sein de ces statistiques reflète réellement et dans les même proportions une tendance

de fond sur le terrain, ces fluctuations statistiques pouvant trouver une explication tant dans

l’activité policière englobant la recherche et l’appréhension des auteurs de ce type de faits31 que

dans l’attitude du personnel des pharmacies d’officine face à celui-ci. En effet, comme nous l’avons

dit précédemment, il n’est pas impossible que l’attitude des membres du personnel de pharmacies

d’officine à l’égard de ce type de faits soit fluctuante et qu’elle ne se traduise pas par un signalement

systématique auprès des autorités et services compétents. Par souci de prudence nous ne pouvons

dès lors qu’affirmer que les cas de vols survenus en pharmacie d’officine et effectivement signalés à

la police sont en diminution depuis l’année 2012, suivant ainsi la baisse générale de la criminalité à

l’égard des pharmacies d’officine que le graphique 1 semble montrer.

Il en est de même pour la deuxième principale catégorie des faits délictueux à l’égard des

pharmacies d’officine en Belgique, à savoir les infractions contre la foi publique ; celle-ci suit un

26

Voir annexe A. 27

ERDOGAN, Ozlem Nazan & KAYA, Safiye, « Safety research on community pharmacies in Kocaeli », African Journal of Pharmacy and Pharmacology, Vol.4 (5), 2010, p.207-208 ; Ohio State Board of Pharmacy, «The Ohio State Board of Pharmacy News », August 2008, p.3-4 ; New Jersey State Board of Pharmacy, «The New Jersey State Board of Pharmacy News », April 2013, p.1. 28

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.5-6. 29

Voir graphique 3. 30

Voir graphique 3. 31

PILLON, Véronique, « Normes et déviances », Bréal, 2003, p.79-82.

18

renforcement progressif depuis plusieurs années relativement similaire à celui expérimenté par les

vols et extorsions, en présentant néanmoins la particularité de demeurer à un niveau élevé et

relativement instable depuis l’année 2011, repartant à la hausse après la baisse générale de la

criminalité à l’égard des pharmacies d’officine durant l’année 2012. A l’inverse des vols et extorsions

et de la troisième principale catégorie de faits délictueux survenant en pharmacie d’officine, les

dégradations de la propriété qui ne sont présentes qu’à un niveau très modeste, les infractions

contre la foi publique n’impliquent de facto aucune forme de violence dans la mesure où elles ne se

matérialisent que par l’utilisation de faux32 et qu’elles se basent sur l’atteinte à la confiance publique

plutôt que sur la coercition. Si cette catégorie de faits infractionnels nous éclaire sur les types de faits

criminels affectant les pharmacies d’officine et confirme une tendance criminelle claire de vouloir

dérober par la force ou par la tromperie les ressources monétaires des pharmacies d’officine, elle

ne nous renseigne nullement sur l’état de la violence au sein des pharmacies d’officine, à l’inverse

des deux autres catégories sélectionnées.

La principale catégorie de faits infractionnels, les vols et extorsions, semble beaucoup plus

riche d’enseignements sur ce plan, bien qu’elle comprenne une limite méthodologique inhérente la

rendant difficilement utilisable. Conformément à l’un des présupposés initiaux de ce mémoire, il

s’avérerait que le risque de violence soit un risque réel aux proportions importantes, en faisant une

composante à part entière de la profession de pharmacien d’officine, une part relativement

importante du personnel officinal ayant dû faire face à ce type de faits violents ces dernières années.

En effet, l’extorsion étant définie comme la remise de fonds ou de valeurs par l’emprise ou par la

force33, cette catégorie de faits infractionnels englobe également les vols à main armée, par

agression physique ou par menace de faire usage de la violence qui constituent les faits les plus

violents dont peuvent être victimes le personnel des pharmacies d’officine. S’il est manifeste que les

vols dans leur ensemble sont prédominants au sein des pharmacies d’officine en Belgique, il est

néanmoins impossible de déterminer si ces vols sont simples ou s’ils sont accompagnés de violence,

la nomenclature employée dans les statistiques policières dont nous disposons ne faisant pas de

distinction entre ces deux formes de vols34. L’amalgame des faits d’extorsion et de vol simple au sein

d’une seule et même catégorie nous empêche de déterminer le poids relatif de chacun de ces deux

types de phénomènes criminels à l’intérieur de celle-ci et de jauger l’importance de la violence en

pharmacie d’officine par la même occasion. Nous pourrions poser l’hypothèse d’une absence

d’égalité entre ces deux phénomènes criminels, les vols simples tels que les vols à l’étalage ou les

vols par ruse pouvant largement dépasser les vols à main armée en valeur absolue. Cette limite

méthodologique propre aux statistiques de la police fédérale belge nous laisse dans une certaine

impasse qui nécessitera la mobilisation d’autres sources statistiques afin d’évaluer la part des vols

avec violence dans la criminalité affectant les pharmacies d’officine.

Toujours dans la perspective d’évaluer la violence s’exerçant à l’égard du personnel des

pharmacies d’officine, nous avons également inclus au graphique 3 deux autres catégories de faits

infractionnels potentiellement liées à la violence, à savoir les « infractions contre l’intégrité

physique » et la catégorie des faits référencés « drogues » dont nous ne pouvons malheureusement

pas déterminer les contours de façon précise. Ces deux catégories de faits doivent nous renseigner

sur des types de faits non encore abordés ici, à savoir les agressions physiques non-motivées par le

32

DELRUE, Geert, « Faux en écritures », Maklu, 2007, p.12-14. 33

KUTY, Franklin, « Principes généraux du droit penal belge: tome 1 – la loi pénale », Larcier, 2009, p.228-229. 34

Voir graphique 3.

19

vol ainsi que les faits infractionnels impliquant le vol ou l’usage illégal de stupéfiants. Ces deux types

de faits étant régulièrement identifiés par les rares études scientifiques35 ou statistiques36 sur la

sécurité des pharmacies d’officine comme étant des menaces potentielles pour les pharmacies

d’officine, nous avons fait le choix de les extraire des statistiques policières générales afin d’en

évaluer la magnitude au niveau national ainsi que de déterminer si, et dans quelle mesure, ils

constituent un risque de violence effectif pour les pharmacies d’officine en Belgique.

A notre grand étonnement ces deux catégories se sont révélées quasiment insignifiantes, ne

contenant que des nombres très limités de faits effectivement constatés par les services de police.

Ainsi, tant les agressions physiques que les infractions liées aux stupéfiants dans les pharmacies

d’officine ont été très peu constatées entre l’année 2005 et l’année 2011, évoluant de manière très

stable au cours du temps à des niveaux comparativement très bas au regard de ceux enregistrés par

les catégories de faits infractionnels « vols et extorsion » et « infraction contre la foi publique ». Les

agressions physiques, de même que les infractions liées à l’usage de stupéfiants, constituant des faits

relativement graves sur le plan pénal, nous pouvons légitimement supposer que ceux-ci sont de

nature à susciter une réaction policière quasi-systématique, les pharmaciens d’officine ayant tout

intérêt à ne pas laisser pareils types de faits méconnus de leurs directions ou des services de police. Il

est donc fort probable que les chiffres contenus dans ces catégories statistiques reflètent en grande

partie les nombres de ces faits se déroulant effectivement au sein des pharmacies d’officine. Le

chiffre noir pour ces deux types de faits serait dès lors relativement faible, essentiellement en ce qui

concerne les vols à main armée37 même si d’autres études viennent relativiser38 ou infirmer39 cette

hypothèse. Si cette hypothèse était néanmoins valide, cela impliquerait que les pharmacies d’officine

en Belgique seraient relativement peu exposées à ces types de faits infractionnels et violents, malgré

le fait qu’elles présentent des résultats relativement identiques à ceux de leurs homologues français,

abstraction faite des différences méthodologiques existantes entres les statistiques belges et

françaises dans ce domaine.40

35

PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia : incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p267-269; WINSTOCK, Adam R. & LEA, Toby & SHERIDAN, Janie, “Problems experienced by community pharmacists delivering opioid substitution treatment in New South Wales and Victoria, Australia”, Addiction, Vol.105, 2010, p.337-339; SHERIDAN, Janie & BUTTERWORTH, Gihan & GLOVER, Christine, “Professional conflicts for the front-line pharmacist” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.127-129. 36

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.5-6. 37

WEISEL, Deborah Lamm, « Bank robbery », Problem-oriented guides for police. Problem-specific guides series, n°48, US Department of Justice, 2007, p. 2-4, 22. 38

DESROCHES, Frederik, John, « Force and fear », Canadian Scholars’ Press, 2002, p.4-8. 39

SKOGAN, Wesley, G, « Dimensions of the dark figure of unreported crime », Crime and delinquency, 1977, p.45-46. 40

Ordre National des Pharmaciens, op.cit., p.5-6.

20

Graphique 3 : principaux types de faits criminels commis à l’égard du personnel des pharmacies

d’officine en Belgique, entre 2005 et 2013.

Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Police fédérale – Direction DRI (Information

policière & ICT) – Business Politique et Gestion. Données transmises le 17/06/2015.

2. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine en Belgique : le cas des vols à main

armée et des vols avec violence :

Comme il a été mentionné précédemment, les statistiques de la police fédérale, si elles nous

ont permis de préciser les contours de la situation sécuritaire au sein des pharmacies d’officine en

Belgique et de souligner l’importance des faits de vols en général à leur égard, ne nous ont

néanmoins pas permis de cerner avec précision les dimensions de la violence effectivement

constatée au sein des pharmacies d’officine. Tout au plus sommes-nous parvenus à déterminer avec

plus ou moins d’assurance le caractère statistiquement négligeable des faits d’agression physique et

d’infractions liées aux stupéfiants sur l’ensemble de la Belgique, cela alors que plusieurs études en

soulignaient l’importance relative dans d’autres contextes nationaux.

Ce point sera consacré à l’évaluation des dimensions des phénomènes infractionnels les plus

violents pouvant survenir au sein des pharmacies d’officine, à savoir les vols à main armée ainsi que

les vols avec violence mais se déroulant sans l’usage d’armes. Les statistiques policières mobilisées

jusqu’à présent étant méthodologiquement inadaptées pour parvenir à cet objectif, nous avons

décidé de recourir aux statistiques délivrées par le Service Public Fédéral (SPF) Intérieur dans le cadre

des réponses aux questions parlementaires. Si ces statistiques proviennent également de la Banque

2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Drogues 39 24 21 32 36 35 33 18 23

Infraction contre l'intégrité physique 13 21 15 17 19 15 19 13 20

Dégradation de la propriété 80 91 91 84 82 101 83 85 55

Infraction contre la foi publique 159 166 194 212 186 260 311 210 276

Vol et extorsion 791 618 636 654 752 800 916 912 674

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

No

mb

re d

e fa

its

enre

gist

rés

Types de faits criminels commis à l'encontre du personnel des pharmacie d'officine en Belgique

Vol et extorsion Infraction contre la foi publique

Dégradation de la propriété Infraction contre l'intégrité physique

Drogues

21

de données Nationale Générale (BNG)41 et sont établies sur base des procès-verbaux établis par les

services de police, se trouvant dès lors sujettes aux mêmes limites et nécessités de précaution que

celles mises en exergue précédemment42, elles se trouvent néanmoins reformulées avec plus de

clarté et en dehors de la nomenclature policière, supposément afin d’être conformes aux questions

posées par les parlementaires. Ces statistiques se trouvent dès lors affinées par rapport aux

statistiques policières brutes utilisées jusqu’à présent et nous permettent de pallier à certaines de

leurs limites que nous avions pu constater dans les premiers points de cette partie de notre

recherche, telles que, principalement, l’impossibilité de déterminer l’importance des vols avec

violence en raison de leur amalgame avec les différentes formes de vols simples.

Cet écueil se trouve en effet dépassé par les statistiques offertes par le SPF Intérieur et nous

offrent la possibilité de déterminer avec précision les dimensions des formes violentes de vols

commises à l’encontre du personnel des pharmacies d’officine. De par son importance en termes

statistiques et par rapport au sujet de cette recherche, nous nous intéresserons essentiellement au

phénomène de vols à main armée en Belgique représenté graphiquement au sein du graphique 4 ci-

après.

Graphique 4 : nombre de vols à main armée commis à l’encontre des pharmacies d’officine en Belgique,

par Région, entre 2009 et 2012.

Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,

« Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril

2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 152,

consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf

41

Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril 2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 151, consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf 42

PILLON, Véronique, « Normes et déviances », Bréal, 2003, p.79-82 ; MINE, Benjamin, « L’absence d’identifiant unique et d’harmonisation entre les nomenclatures relatives aux infractions : deux obstacles majeurs à la production en Belgique d’une statistique « criminelle » intégrée » dans VANNESTE, Charlotte & VESENTINI, Frédéric & LOUETTE, Julie (ed.) « Les statistiques pénales belges à l’heure de l'informatisation. Enjeux et perspectives », Academia Press, 2012, p.63-64.

2009 2010 2011 2012

Région Bruxelles-Capitale 74 48 52 50

Région flamande 48 36 38 54

Région wallonne 97 84 99 79

Belgique 219 168 189 183

0

50

100

150

200

250

Vols à main armée commis à l'encontre des pharmacies d'officine par Région

Région Bruxelles-Capitale Région flamande Région wallonne Belgique

22

Comme nous l’avions supposé précédemment, les chiffres des vols à main armée à l’échelle

de la Belgique se révèlent être nettement inférieurs à ceux des vols et extorsions présentés dans le

graphique 3. En partant du postulat que les vols à main armée correspondent, en tout ou en partie,

aux extorsions reprises dans la catégorie des « vols et extorsions « et en y rapportant les chiffres des

vols à main armée repris dans le graphique 4, nous pouvons supposer que les vols simples

constituent le principal type de fait délictuel auquel sont confrontés les personnes travaillant au sein

des pharmacies d’officine de Belgique, représentant deux à trois fois plus de faits enregistrés par

rapport aux vols à main armée. Ces observations sont à considérer avec grande prudence dans la

mesure où, ne connaissant pas les définitions employées par la police fédérale pour constituer sa

catégorie statistique de « vols et extorsions », nous ne pouvons être certains que les vols à main

armée repris dans les statistiques du SPF Intérieur au sein du graphique 4 puissent correspondre aux

« extorsions » enregistrées par les services de police. Il est en effet possible que les extorsions

reprises dans la catégorie « vols et extorsions » puissent être plus larges que les vols à main armée et

englober d’autres phénomènes violents similaires. Il est néanmoins probable que les chiffres des vols

à main armée, repris dans le graphique 4, se retrouvent en tout ou en partie dans la catégorie « vols

et extorsions » des statistiques policières brutes que nous mobilisions précédemment, limitant de ce

fait les risques de distorsions dans nos observations.

Au-delà de la supposition que les vols simples constituent la principale forme de délinquance

à laquelle soit confronté le personnel des pharmacies d’officine que nous évoquions dans notre

analyse du graphique 3, nous pouvons observer ici une relative importance des vols à main armée au

niveau national ainsi qu’une certaine stabilisation de leur niveau ces dernières années. Malgré le fait

que nous ne disposions pas des données statistiques pour ce type de phénomène délictuel pour les

années 2013 et 2014, les données existantes pour la période 2009-2012 dépeignent une situation où

presque 200 faits de vols à main armée étaient commis chaque année en Belgique au sein des

pharmacies d’officine. Ce nombre de cas de vols à main armée, ramené au nombre total de

pharmacies d’officine, indique que ce type de phénomène ne concerne qu’une part très réduite de

personnes travaillant au sein de pharmacies d’officine, leur taux de victimisation pour ce type de fait

criminel s’établissant, à titre d’exemple, autour de 3% pour l’année 201243. Cependant, nous pouvons

constater que la Région-Bruxelles Capitale affiche un taux de victimisation largement supérieur à la

moyenne nationale et aux taux présentés par les autres Régions, indiquant une plus grande

exposition des pharmaciens bruxellois aux risques de vols à main armée44. De manière plus générale,

cela n’empêche néanmoins pas les pharmacies d’officine de constituer l’une des principales cibles

des vols à main armée parmi les petits commerces en Belgique. Ainsi, selon le directeur général de

l’Association Pharmaceutique de Belgique (APB), les pharmacies d’officine figureraient toujours

parmi les trois types de commerces les plus ciblés par les braqueurs en Belgique, déclarant à ce

sujet :

43

Voir annexe B. 44

Voir annexe B.

23

« Quand on voit dans leurs statistiques [de la police fédérale] quels sont….les types de magasins qui

sont le plus sensibles c’est a) les nightshops, b) les joailliers et troisièmement c’est les pharmacies, donc

on est dans leur top trois quand même… »45

Il convient de noter que ces chiffres avaient déjà été avancés, en 2013, par certains observateurs des

activités des petits commerces et des professions libérales, attestant que cette situation perdure

déjà depuis un certain temps46.

Egalement, afin de jauger l’importance relative des vols à main armée dirigés contre les

pharmacies d’officine nous pouvons ramener ces chiffres à ceux de l’ensemble des vols à main armée

enregistrés dans le secteur commercial par les services de police en Belgique sur la même période. A

l’issue de ce calcul nous pouvons constater que les vols à main armée affectant les pharmacies

d’officine représentent en moyenne 3.5% de l’ensemble des vols à main armée commis en Belgique

et effectivement constatés par les services de police entre 2009 et 201247. Si ce taux n’est pas

démesuré nous ne pouvons néanmoins pas le considérer comme inexistant et, potentiellement, non-

problématique pour les acteurs de la sécurité publique et, principalement, pour les pharmaciens

d’officine.

Une dernière observation, que nous développerons en détails plus loin, constitue

indéniablement la proportion relativement forte de vols à main armée enregistrés au sein de la

Région de Bruxelles-Capitale, comparativement aux chiffres présentés par les autres Régions. Si en

termes absolus la Région wallonne dépasse largement les deux autres Régions, la Région de

Bruxelles-Capitale affiche cependant des niveaux élevés de vols à main armée au regard de sa

population ainsi qu’au regard du nombre total de vols à main armée enregistrés sur son territoire. En

effet, de manière étonnante, nous pouvons constater que le taux moyen de vols à main armée

commis à l’égard des pharmacies d’officine sur le territoire de Bruxelles-Capitale par rapport au

nombre total de faits de vols à main armée commis sur ce même territoire entre 2009 et 2012

s’élève à 3.6%, soit un taux très légèrement supérieur à celui enregistré au niveau national pour la

même période48. Le fait que la Région de Bruxelles-Capitale présente un taux moyen de vols à main

armée commis à l’égard des pharmacies d’officine sur son territoire quasi identique à celui applicable

à l’ensemble du territoire de la Belgique indique clairement le poids proportionnellement important

de ce phénomène au sein de cette Région. Plus étonnant encore, la Région de Bruxelles-Capitale

présente un nombre très important de cas de vols à main armée pour la population qu’elle abrite sur

son territoire. En effet, si nous rapportons les chiffres des vols à main armée commis à l’égard des

pharmacies d’officine de chaque Région à leur population totale pour une année de référence, nous

constatons que la Région de Bruxelles-Capitale se détache clairement des autres Régions et du

niveau national dans son ensemble. Ainsi, pour l’année 2012, la Région Bruxelles-Capitale affichait un

taux de vols à main armée commis à l’égard des pharmacies d’officine par 10.000 habitants près de

trois fois supérieur à celui de la Belgique dans son ensemble au même moment comme cela peut

être constaté dans le tableau 1 ci-après. Ce dernier élément statistique vient confirmer et renforcer

45

Entrevue avec le Directeur Général de l’Association Pharmaceutique de Belgique, Luc Adriaenssens, réalisée le 09/06/2015. 46

Retail Detail, « Bijoutiers, pharmaciens et night shops, cibles préférées des braqueurs », créé le 30/09/2013, consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.retaildetail.be/fr/f-belgique/bgq-general/item/16652-chaque-jour-au-moins-un-bijoutier-un-pharmacien-ou-un-night-shop-est-victime-d%E2%80%99un-braquage 47

Voir annexe D. 48

Voir annexe D.

24

la thèse, que nous développerons plus loin, d’une situation particulière et plus grave en termes de

risques de violences et de vols à main armée pour les pharmaciens d’officine à l’intérieur de la

Région Bruxelles-Capitale.

2012

Bruxelles-

Capitale

Région

wallonne

Région

flamande

Belgique

Population totale

1.138.854

3.546.329

6.350.765

11.035.948

Nombre de vols à mains armée commis

à l’égard des pharmacies d’officine

50

79

54

183

Taux de vols à main armée commis à

l’égard des pharmacies d’officine par

10.000 habitants

0.44

0.08

0.22

0.16

Tableau 1 : taux de vols à main armée commis à l’égard des pharmacies d’officine par 10.000 habitants,

en Belgique et par Régions, pour l’année 2012.

Tableau réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,

« Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril

2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 152,

consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf

Avant de clôturer ce point consacré à l’analyse des vols, et particulièrement des vols avec

violence, commis à l’encontre des pharmacies d’officine en Belgique, nous pouvons également

mentionner rapidement le cas des vols violents sans armes commis à l’égard de ceux-ci au niveau de

la Belgique. Dans la mesure où les chiffres pour ce type de faits s’inscrivent dans les observations

déjà réalisées dans les paragraphes précédents, n’apportant pas de grande plus-value à notre

analyse, nous ne nous attarderons pas longuement sur ceux-ci. A l’instar des agressions physiques

non-motivées par le vol, les vols avec violence sans utilisation d’armes ne semblent pas concerner un

nombre important de pharmaciens d’officine en Belgique49. Deux observations peuvent être

réalisées cependant à partir de ces chiffres. Premièrement, même si les cas de vols avec violence

demeurent très limités en termes absolus, la Région Bruxelles-Capitale concentre également des

niveaux très importants de vols avec violence à l’égard des pharmaciens d’officine, affichant des

niveaux équivalents à celui de la Région flamande et comptant pour près de la moitié des cas

rapportés sur l’ensemble de la Belgique en 201250. Ce type de fait criminel conserve donc une

certaine prégnance dans la Région Bruxelles-Capitale, et est susceptible d’avoir un impact réel sur le

travail des pharmaciens d’officine et sur les risques de violence auxquels ils doivent faire face.

Dernièrement, si ces chiffres corroborent ceux contenus dans une étude statistique du SPF Intérieur

sur la sécurité des pharmaciens d’officine, réalisée en 2006, et indiquant qu’une majorité des faits

violents répertoriés dans cette étude au cours de l’année 2005 ont impliqué l’usage d’une arme ou

une menace d’utilisation d’une arme51, ils se distinguent dans une certaine mesure des chiffres

enregistrés auprès des pharmaciens d’officine français. En effet, si les statistiques de l’Ordre National

49

Voir annexe C. 50

Voir annexe C. 51

Service Public Fédéral Intérieur, « Etude sur la sécurité auprès des indépendants et des professions libérales. Résultats concernant le secteur des pharmaciens », 2006, p.5.

25

des Pharmaciens de France indiquent que les vols à main armée demeurent toujours supérieurs aux

autres faits impliquant des actes de violence physique, la tendance est aujourd’hui à une évolution

de ces types de faits criminels vers des proportions plus équivalentes, les pharmaciens agressés pour

la première fois en 2014 ayant fait l’objet dans leur extrême majorité d’agressions sans armes52.

C. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine : l’apparente spécificité de

Bruxelles :

Par l’analyse des données statistiques délivrées par le SPF Intérieur en 2013, nous avons pu

constater que la Région de Bruxelles-Capitale se distinguait des autres Régions par des niveaux élevés

de vols à main armée commis à l’égard de pharmaciens d’officine lorsque comparés au nombre total

de vols à main armée sur son territoire et au regard de sa population. La concentration d’un nombre

relativement élevé de vols à main armée commis à l’égard des pharmaciens d’officine au sein de la

plus petite Région du pays semble indiquer l’existence d’une situation sécuritaire particulière pour ce

type d’acteurs, les risques d’être victime de vols violents semblant nettement exacerbés au sein de

cette Région. Ces données nous ont amenés à considérer la situation des pharmaciens d’officine en

termes de risques de violence dans la Région Bruxelles-Capitale comme une spécificité de cette ville-

Région. Le territoire couvert par les 19 communes de Bruxelles ainsi que sa périphérie constituerait

un espace beaucoup plus risqué pour les pharmaciens d’officine en termes de violence que n’importe

quel autre territoire au sein de la Belgique. Afin de vérifier cette hypothèse et de déterminer dans

quelle mesure Bruxelles se distingue, non seulement des autres Régions, mais également des autres

grandes villes du pays en termes de risques de violence pour les pharmaciens d’officine, nous avons

entrepris de nous intéresser aux niveaux de vols à main armée commis à l’égard des pharmaciens

d’officine enregistrés dans les différents arrondissements judiciaires de Belgique. Par cela, nous

devrions être en mesure de comparer les niveaux enregistrés à Bruxelles avec ceux enregistrés par

les autres grandes villes du pays et de déterminer si Bruxelles se distingue effectivement des autres

Régions et des autres principales grandes villes de Belgique sur le plan des risques de violence pour

les pharmaciens d’officine.

L’hypothèse avançant la particularité de Bruxelles sur le plan des risques de violence pour les

pharmaciens d’officine semble clairement confirmée au regard des données statistiques du SPF

Intérieur. Bruxelles, ainsi que sa périphérie, se démarquent nettement des autres grandes villes et

arrondissements judiciaires belges par les niveaux comparativement très élevés de vols à main

armée commis à l’égard des pharmaciens d’officine. Les enseignements de la littérature scientifique

au sujet de la relative faiblesse du chiffre noir pour ce type de phénomène criminel53, ou pour la

plupart des faits violents en général54, nous permettent également d’inférer que ces chiffres ne

souffrent pas d’une distorsion majeure et reflètent, en toute probabilité, la réalité de ce phénomène

criminel.

Comme nous pouvons le constater dans le graphique 5, Bruxelles et sa périphérie

concentreraient des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmacies d’officine dépassant

52

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.4. 53

WEISEL, Deborah Lamm, « Bank robbery », Problem-oriented guides for police. Problem-specific guides series, n°48, US Department of Justice, 2007, p. 2-4, 22. 54

TIBBETTS, Stephen G., « Criminological theory: the essentials », SAGE, 2011, p.13-14.

26

largement les autres grandes villes belges. Seules quelques villes d’importance font montre de

niveaux relativement élevés pour ce type de faits et parfois proches des niveaux enregistrés à

Bruxelles lors de certaines années. Néanmoins, une fois cumulés et considérés sur l’ensemble de la

période 2011-2014, ces niveaux demeurent deux ou trois fois moins importants que ceux enregistrés

à Bruxelles. Seul l’arrondissement de Liège a semblé, pendant un temps, connaître une situation

analogue à celle vécue à Bruxelles sur le plan des risques pour les pharmaciens d’officine de faire

l’objet d’un vol à main armée, relativisant légèrement l’hypothèse d’une situation particulière et

propre à Bruxelles et à sa périphérie. Cependant, force est de constater que cette similarité ne s’est

pas maintenue dans le temps. Ainsi, si l’arrondissement de Liège présentait en 2011 un niveau de

vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine très proche de celui enregistré à Bruxelles

pouvant laisser penser à une certaine équivalence en termes de risques d’être victime de violence

pour ce type d’acteurs, ces chiffres n’ont cessé de décroître par la suite. Si Liège a continué d’afficher

des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine relativement importants

jusqu’à récemment, ceux-ci ne sont nullement comparables à ceux expérimentés en 2011 et ceux

enregistrés par Bruxelles et sa périphérie.

De façon plus étonnante encore peut-être, nous pouvons constater que, si les niveaux de vols

à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine a globalement baissé sur l’ensemble des

arrondissements judiciaires de Belgique entre 2011 et 2014, ces niveaux ont baissé à un rythme

moins rapide à Bruxelles et dans sa périphérie qu’ailleurs en Belgique, contribuant ainsi à y maintenir

des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine comparativement beaucoup

plus élevés. Une observation pouvant indiquer une potentielle future aggravation, ou du moins une

stabilisation, des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine à Bruxelles peut

être réalisée à partir des chiffres de l’année 2014. Dans la mesure où il ne s’agit que des chiffres du

premier semestre de l’année 2014, ceux-ci ne donnent qu’une représentation provisoire de la

situation des vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine et sont plus que probablement

amenés à augmenter dans l’avenir lorsque l’ensemble des données statistiques pour l’ensemble de

l’année 2014 seront disponibles. Cependant, nous pouvons déjà constater que ces chiffres sont déjà

relativement élevés au premier semestre pour Bruxelles et sa périphérie, se rapprochant déjà du

niveau de vol à main armée enregistré au cours de l’année 2013 et laissant imaginer une possible

égalisation avec ce dernier, voire son dépassement. Il ne s’agit pas, sur ce dernier point uniquement,

d’une exception propre à Bruxelles, l’arrondissement de Charleroi affichant une augmentation du

nombre de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine au premier semestre de l’année

2014 par rapport au niveau enregistré pour ces vols au cours de l’année 2013. L’arrondissement de

Charleroi subirait donc une croissance des vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine

déjà confirmée sur le plan statistique, alors que nous ne pouvons que la supposer en ce qui concerne

Bruxelles et sa périphérie.

27

Graphique 5 : nombre de vols à main armée enregistrés par arrondissement judiciaire en Belgique entre

2011 et 2014. En raison de l’extrême faiblesse statistique des chiffres pour l’arrondissement judiciaire

de Halle-Vilvoorde, et afin de faciliter notre démonstration, nous avons procédé à la fusion de ce dernier

avec l’arrondissement de Bruxelles dans ce graphique.

Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,

« Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes

et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel

du 05 mars 2015 », 2015, p.110, consulté en ligne le 07/07/2015 sur

http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf

Ces mêmes observations pour Bruxelles et sa périphérie sont également applicables au

phénomène de vols avec agression physique, comme nous pouvons le voir dans le graphique 6. Face

à ce phénomène criminel, Bruxelles et sa périphérie demeurent encore le territoire le plus exposé sur

l’ensemble de la Belgique, dépassant encore largement les autres villes et arrondissements

judiciaires du pays, quoique dans des proportions ici moins grandes qu’en ce qui concerne les vols à

main armée comme nous l’avons vu précédemment. Ces données viennent confirmer certaines

observations déjà réalisées dans des points précédents quant à la prégnance des vols avec violence

en Belgique. Même si ce type de phénomène semble plus prégnant à Bruxelles et dans sa périphérie

qu’ailleurs en Belgique, nous ne pouvons le considérer comme étant un phénomène de premier plan

au regard de son poids statistique relatif. La possibilité de l’existence d’un chiffre noir relativement

conséquent et distordant la représentation statistique de ce phénomène n’est certes pas à écarter,

néanmoins certaines études déjà mobilisées nous poussent à considérer que le rapport de pareil

phénomène criminel par les pharmaciens en étant victimes est relativement important et que, dès

AnversBrabantwallon

Bruxelles(Capitaleet BHV)

Charleroi Mons Louvain Liège LimbourgLuxembo

urgNamur

Flandreorientale

Flandreoccident

ale

2014 4 0 26 13 3 1 5 1 0 0 1 0

2013 9 3 35 12 18 0 20 3 2 1 10 3

2012 21 9 62 22 19 0 25 4 1 3 9 8

2011 19 11 57 27 8 5 47 3 1 5 4 2

020406080

100120140160180200

Vols à main armée par arrondissement judiciaire

2011 2012 2013 2014

28

lors, les statistiques obtenues reflètent en partie la réalité de ce phénomène55. A l’instar des

agressions physiques « simples », n’impliquant pas de vols, les vols avec violence physique à l’égard

des pharmaciens d’officine représenteraient donc un phénomène criminel relativement marginal sur

le plan statistique, particulièrement au regard des chiffres très importants enregistrés en ce qui

concerne les vols à main armée. Si nous n’éludons nullement ces phénomènes criminels moins

développés, nous ne nous étendrons pas dans une analyse extensive de ceux-ci.

Graphique 6 : nombre de vols avec violence sans utilisation d’arme enregistrés par arrondissement

judiciaire en Belgique entre 2011 et 2014. Les arrondissements de Halle-Vilvoorde et de Bruxelles ont

été fusionnés pour les mêmes raisons que dans le graphique 5.

Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,

« Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes

et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel

du 05 mars 2015 », 2015, p.110, consulté en ligne le 07/07/2015 sur

http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf

Nous sommes parvenus jusqu’ici à exprimer ce qui nous semblait constituer une spécificité

de Bruxelles en termes de violence à l’égard des pharmaciens d’officine, les vols avec violence et les

vols à main armée affectant un plus grand nombre de pharmaciens d’officine sur le territoire de

Bruxelles et de sa périphérie que n’importe où ailleurs en Belgique. Cependant, nous devons prendre

garde aux formulations des observations réalisées jusqu’à ce point. En effet, ayant fait abstraction

jusqu’à présent des différences de tailles entre les populations des arrondissements judiciaires

étudiés, nous n’avons pu raisonner que de manière hypothétique, ne parvenant pas à affirmer que le

personnel des pharmacies d’officine bruxelloises aurait une plus grande probabilité d’être victime de

faits violents que leurs homologues établis dans d’autres arrondissements judiciaires en Belgique.

55

PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267.

AnversBrabantwallon

Bruxelles(Capitaleet BHV)

Charleroi Mons Louvain LiègeLimbour

gNamur

Flandreorientale

Flandreoccident

ale

2014 1 0 2 1 0 0 1 1 0 2 0

2013 6 0 4 1 2 0 1 3 1 1 0

2012 3 0 13 4 1 3 1 1 0 1 3

2011 3 2 7 2 0 0 4 1 0 2 0

0

5

10

15

20

25

30

Vols avec violence sans arme par arrondissement judiciaire

2011 2012 2013 2014

29

Il nous faut, dès lors, veiller à prendre en compte les différences importantes au niveau de la

taille et de la densité de population entre Bruxelles et sa périphérie et les autres villes et

arrondissements judiciaires pris en considération. Bruxelles présente la particularité démographique

de disposer d’une population dépassant largement celle des autres grandes villes de Belgique ; dès

lors, il nous faut prendre garde à l’écueil d’une comparaison entre les niveaux de vols à main armée

ou de vols avec violence des différentes villes belges en valeurs absolues, non-corrigées par la taille

de leur population respective et non-exprimées en taux. Pareille comparaison en valeurs absolues,

bien que n’invalidant nullement la particularité d’une forte concentration de crimes violents à l’égard

des pharmaciens à Bruxelles, tend à créer une distorsion dans l’élément mesuré explicable par la

simple différence du nombre d’habitants résidant dans chaque unité géographique à l’étude.

Chamlin et Cockran, se fondant sur les écrits de Gibbs et d’Erickson, soulignaient l’importance de

prendre en compte cet écueil en rappelant que

« macro-criminologists use rates in lieu of raw numbers because more populous social units contain a

greater number of potential victims and offenders. Hence, “[w]ithout such control, the incidence of

crime is virtually certain to be greater for California than for, say, Wyoming.” »56

Ces remarques ne s’appliquent bien évidemment pas à toute tentative de mesure des effets

relatifs d’une variable sur une autre57 mais demeurent pertinentes si nous tentons de jauger les

risques de violence pesant sur une population donnée et, ainsi, sur sa propension à la victimisation58.

Dans la mesure où nous ne disposons de données complètes que pour l’année 2012, nous nous

devons de faire preuve de prudence dans les observations que nous pouvons avancer. Comme il a

été rapidement mentionné précédemment, il semblerait que les pharmaciens de la Région Bruxelles-

Capitale soient plus exposés aux risques de vols à main armée, si l’on en croit les taux de

victimisation par vol à main armée chez les pharmaciens que nous avons établis pour l’année 2012.

En effet, alors que la moyenne nationale est de 3.5% pour l’ensemble des pharmaciens du pays, les

pharmaciens de Bruxelles-Capitale présentent le taux de victimisation très supérieur de 8%59. Pareil

résultat est la conséquence d’une très forte concertation de pharmacies sur le territoire de la Région

Bruxelles-Capitale, générant une forte population de pharmaciens, ainsi que de la relative

importance du nombre de vols à main armée commis à leur encontre. Cependant, pour cause de

manque de données nous ne pouvons pousser l’exercice de calcul du taux de victimisation plus loin

et nous ne pouvons l’appliquer aux différents arrondissements judiciaires, nous empêchant de jauger

avec précision l’importance relative des vols à main armée commis à l’égard des pharmaciens

bruxellois par rapport aux autres arrondissements judiciaires.

Nous devons dès lors nous contenter d’un raisonnement en valeurs absolues et nous ne

pouvons que supposer l’existence d’une situation relativement plus risquée pour les pharmaciens

d’officine situés à Bruxelles face aux vols violents sans toutefois pouvoir la prouver sur le plan

statistique. Cela n’empêche toutefois pas de constater un rythme de décroissance apparemment

relativement plus lent des niveaux de vols à main armée à Bruxelles et dans sa périphérie, ainsi

qu’une concentration importante de cas de vols à main armée en valeurs absolues dans ces

territoires.

56

CHAMLIN, Mitchell B., « An excursus on the population size-crime relationship », Western Criminology Review, 2004, p.119-120. 57

Ibid., p.120. 58

Ibidem. 59

Voir annexe B.

30

Quels enseignements pouvons-nous tirer de l’exploitation que nous avons faite des

différentes sources statistiques sur la criminalité à l’égard du personnel des pharmacies d’officine en

notre possession ? Premièrement, nous sommes parvenus à l’établissement d’un aperçu global et

précis de la situation des pharmacies d’officine en Belgique sur le plan de la sécurité ou, selon

d’autres termes, du risque général de victimisation auquel leur personnel s’est trouvé confronté

depuis plusieurs années. Deuxièmement, si les statistiques de l’Ordre National des Pharmaciens de

France nous ont indiqué que l’importance, aux yeux du personnel des pharmacies d’officine, de

certaines formes de violence de plus basse intensité ou d’apparence moins grave ne devaient pas

être négligées, il est apparu que les pharmacies d’officine en Belgique et leur personnel semblaient

bien plus affectés par les faits de vols et d’extorsions, sans que nous puissions clairement distinguer

les proportions respectives de ces deux types de phénomènes criminels dans les statistiques

policières brutes dont nous disposons. Dernièrement, nous avons pu identifier une relative

importance du phénomène de vols à main armée à l’égard du personnel des pharmacies d’officine en

Belgique et, plus particulièrement, au sein de la région bruxelloise, bien que nous n’ayons pas été en

mesure de pouvoir prouver la plus grande propension des pharmaciens d’officine bruxellois à être

victimes de vols violents.

Si ces démonstrations statistiques successives ont pu paraître redondantes ou maladroites,

elles nous ont semblé nécessaires afin de parvenir à dresser un aperçu complet des risques de

criminalité et de violence auxquels le personnel des pharmacies d’officine était confronté dans les

différents territoires de la Belgique. En raison du peu d’informations complètes et systématisées

disponibles sur ce sujet, ainsi qu’en raison du caractère méconnu des risques de sécurité auxquels le

personnel des pharmacies d’officine, en Belgique et dans l’absolu, est confronté, cet exercice nous

est apparu comme un prérequis nécessaire au développement de notre problématique et de notre

recherche empirique. La prochaine partie de ce mémoire sera consacrée à l’introduction et au

développement de notre problématique. Pour ce faire, nous aborderons dans un premier temps les

initiatives des pouvoirs publics et des différentes organisations professionnelles du secteur

pharmaceutique face aux différentes menaces criminelles et aux risques de sécurité et de violence

affectant le personnel des pharmacies d’officine. Dans un second temps, nous aborderons les enjeux

sous-jacents à la question de la sécurisation des pharmacies d’officine, en portant notre intérêt sur

les logiques d’action et les dynamiques professionnelles à l’œuvre chez le personnel officinal.

31

II. Problématique :

A. Les initiatives des pouvoirs publics et des organisations professionnelles de

pharmaciens face aux risques de violence :

Les efforts déployés par les pouvoirs publics et les différentes organisations professionnelles

du secteur pharmaceutique compétentes face aux risques de victimisation du personnel des

pharmacies d’officine ne sont pas inexistants, en dépit du fait qu’ils soient méconnus de par la

faiblesse de l’intérêt médiatique et du grand public pour ceux-ci. Ils s’avèrent également

relativement récents, développés en parallèle de la croissance de la criminalité visant spécifiquement

les pharmacies d’officine et de la prise de conscience par les différents acteurs intéressés de

l’urgence d’une réaction et de stratégies préventives destinées à juguler ce phénomène. Ce n’est

respectivement qu’à la fin des années 90 et au début des années 2000 que peuvent être datées, en

France et en Belgique, les premières initiatives concrètes en matière de sécurité pour les pharmacies

d’officine, ainsi que la formulation des premières stratégies de collaboration et de prévention

destinées à répondre efficacement à la progression de la criminalité à l’égard des pharmacies

d’officine et de leur personnel.

C’est à ces initiatives et à ces efforts que nous nous intéresserons dans ce premier point et

cela pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu’il s’agit d’initiatives destinées à servir d’outils au

personnel des pharmacies d’officine pour se prémunir des risques de violence que fait reposer sur lui

la criminalité. Tant les pouvoirs publics et les différents services de l’Etat que les organisations

professionnelles des pharmaciens compétentes en la matière se sont ingéniés à concevoir des

stratégies préventives se voulant complètes et cohérentes, ainsi que des mesures pratiques devant

pouvoir être assimilées et mobilisées par le personnel des pharmacies d’officine afin qu’il puisse se

prémunir des risques de violence dans le cadre de leur travail ou qu’il puisse y réagir dans les cas où

ces risques n’auraient pu être prévenus et qu’ils se seraient matérialisés en actes violents concrets. Il

y a donc eu une volonté, que nous pourrions qualifier de « politique » même si non limitée aux

structures de l’Etat et portée également par des acteurs intimement liés au secteur des pharmacies

d’officine, d’intervenir au niveau des pratiques professionnelles du personnel officinal et d’influer sur

celles-ci afin qu’elles se conforment au maximum à des logiques de prévention de la délinquance et

de défense par rapport à celle-ci. Il s’agit donc de cumuler des logiques qui, si elles ne sont pas

antagoniques les unes par rapport aux autres, n’ont a priori que peu en commun et n’ont pas

vocation à se mêler et à se confondre. Fruit de la collaboration des services policiers et préventifs de

l’Etat ainsi que des responsables du secteur des pharmacies d’officine, ces stratégies et initiatives

sécuritaires et de prévention seraient assimilables à des créations exogènes se destinant à être

captées et intégrées par le personnel officinal sur le terrain. En cela, leur analyse ne constitue pas

simplement un intérêt anecdotique mais bien un élément central pour la suite de notre

problématique.

Deuxièmement, il convient de nous intéresser à ces stratégies et à ces mesures concrètes car,

en dépit du fait qu’elles soient relativement récentes, elles existent depuis maintenant près de dix

ans voire plus et sont susceptibles d’avoir laissé leurs premières marques sur les logiques

professionnelles et comportements effectifs du personnel officinal dans le cadre de leur travail. Tout

du moins s’agit-il là d’une possibilité car il n’est pas à exclure que ces initiatives aient été en tout, ou

seulement en partie intégrées, voire même qu’elles ne l’aient absolument pas été, manquant dès lors

32

totalement d’effectivité et relevant plus de l’abstraction et de l’intention politique, bien que nous

pouvons supposer qu’il s’agisse là d’une supposition trop radicale pour être crédible. En définitive, il

convient de nous intéresser à ces initiatives car nous ne savons pas quels ont été, et quels sont

toujours, leurs effets potentiels sur les pratiques du personnel officinal dans l’absolu et face aux

risques de violence plus particulièrement. Nous tâcherons donc d’analyser les types d’initiatives

créées afin de prévenir les risques de violence et de délinquance à l’égard du personnel officinal en

nous basons sur des données issues des contextes nationaux belge et français, ceux-ci constituant les

deux seuls Etats pour lesquels suffisamment de données en la matière ont pu être rassemblées. Ces

initiatives peuvent, selon nous, être regroupées en plusieurs catégories que nous nous attacherons à

présenter successivement ci-après.

1. Les initiatives de prévention situationnelle : un arsenal de mesures techno-

préventives :

Une grande partie des initiatives prises par les pouvoirs publics afin de protéger les

pharmacies d’officine des risques de violence et de délinquance peut être considérée comme

découlant de l’approche situationnelle de la prévention. Plus précisément et comme nous le verrons

plus loin, ces initiatives constitueraient un vaste ensemble de mesures techniques suivant les

ressorts de la prévention situationnelle, ce qui nous permettrait de les qualifier de mesures de

techno-prévention. La prévention situationnelle pourrait être définie sommairement comme une

approche particulière de la prévention centrée sur la réduction des opportunités de passage à l’acte

criminel plutôt que sur l’acte criminel per se et sur ses différents déterminants60. L’approche

situationnelle de la prévention procède donc d’une analyse des différentes circonstances, plus ou

moins récurrentes, favorisant la commission de certains types de crimes61. Ce type de prévention

prétend agir sur les possibilités de passage à l’acte criminel dans leur globalité, réduisant ainsi à la

fois les conditions de réalisation de tous les types de crimes sans distinction et pouvant, selon la

prétention de ses théoriciens, également être déclinée en des dispositifs extrêmement précis et

limités en échelle d’action pour cibler des faits criminels bien définis62.

En cohérence avec son ancrage dans l’ensemble théorique du choix rationnel63, la prévention

situationnelle véhicule une représentation du délinquant comme une personne dont le choix du

passage à l’acte criminel est conditionné par l’existence de structures d’opportunités lui permettant

d’agir à l’encontre d’une cible et de retirer un avantage de son acte64. Le délinquant est donc

considéré comme une personne rationnelle et sensible à l’évolution des opportunités de

délinquance, celles-ci pouvant s’étendre autant que se contracter. Le passage à l’acte est donc, dans

cette perspective, le résultat d’un calcul rationnel réalisé par une personne opportuniste et, a priori,

non-prédestinée à la délinquance dans l’absolu, celle-ci se contentant de « saisir l’occasion » pour

60

CLARKE, Ronald V., “Introduction” in CLARKE, Ronald V., “Situational crime prevention. Successful case studies. Second edition”, Harrow and Heston, 1997, p.2-3. 61

Ibid., p.2. 62

Ibid., p.4-5. 63

Ibid., p.6, 9-10. 64

CUSSON, Maurice, « Prévenir la délinquance. Les méthodes efficaces », Presses Universitaires de France, 2002, p.45-47.

33

passer à l’acte65. A partir de pareilles conceptions de la personne délinquante et du passage à l’acte,

il est aisé de comprendre pourquoi la prévention situationnelle se donne pour tâche d’agir sur les

opportunités de passage à l’acte en complexifiant celui-ci par divers moyens ou en en réduisant les

bénéfices qu’une personne délinquante peut en escompter66. Les principaux théoriciens de la

prévention situationnelle ont dressé des listes successives, et régulièrement sujettes à extension et à

complexification67, des différents types de mesures et techniques de prévention situationnelle68 ; il

n’est pas étonnant, comme nous pourrons le voir plus loin, que l’essentiel des mesures promues à

l’égard des pharmaciens d’officine par les acteurs publics et corporatifs pour se prémunir des risques

de violence et de délinquance se retrouvent dans pareilles listes, confirmant sans peine le caractère

situationnel de ces mesures de protection à destination des pharmaciens d’officine.

Cette inscription des mesures de sécurité à destination des pharmaciens d’officine dans une

approche situationnelle de la prévention n’est guère étonnante et est assez aisément constatable, en

ce qui concerne les principaux Etats européens en tout cas. Comme l’ont noté Hebberecht et Duprez,

on constate une réorientation et une recomposition des politiques de prévention et de sécurité dans

la plupart des Etats européens dans la période charnière des années 80 et 9069, ces politiques

intégrant massivement les principes des théories de la prévention situationnelle nouvellement

apparues dans le monde anglo-saxon70. Réorganisations des services de police, nouveaux types de

partenariats entre entités étatiques et avec de multiples intérêts privés, et surtout prévention de la

victimisation et du passage à l’acte dans les espaces publics et semi-publics par le biais d’une

panoplie de mesures techniques remodelant l’espace physique et les interactions sociales, la

prévention situationnelle s’impose dans tous les aspects des politiques de prévention71. Les deux

principaux Etats qui ont servis de cadres d’étude à ce mémoire jusqu’à présent, à savoir la Belgique

et la France, ne dérogent pas à cette lame de fond. Si la France s’est maintenue dans une optique de

prévention sociale pendant les premiers temps de la mise en œuvre et de l’étoffement de sa

politique de prévention, s’attachant à l’intervention sur les conditions sociales favorables à la

délinquance et à la désaffiliation sociale72, elle a également semblé basculer progressivement vers

l’approche situationnelle au sein de ses politiques de prévention et de sécurité, essentiellement par

le biais des Contrats Locaux de Sécurité et par la rénovation de l’action policière au niveau local73. En

Belgique, les nouvelles politiques de prévention, s’inscrivant dans le mouvement de réformes

profondes apportées aux systèmes policier et judiciaire74, ont été immédiatement et fortement

65

CUSSON, Maurice, « Prévenir la délinquance. Les méthodes efficaces », Presses Universitaires de France, 2002, p.46. 66

CLARKE, Ronald V., “Introduction” in CLARKE, Ronald V., “Situational crime prevention. Successful case studies. Second edition”, Harrow and Heston, 1997, p.4. 67

WORTLEY, Richard, “Guilt, shame and situational prevention”, in HOMEL, Ross, “The politics and practice of situational crime prevention” Criminal Justice Press, 1996, p.115-120. 68

CLARKE, Ronald V., op. cit., p.15-25; CUSSON, Maurice, op.cit., p.40-41. 69

HEBBERECHT, P & DUPREZ, Dominique, « Sur les politiques de prévention et de sécurité en Europe : réflexions introductives sur un tournant », Déviance et Société, 2001, p.371-374. 70

CRAWFORD, A., « Les politiques de sécurité locale et de prévention de la délinquance en Angleterre et au pays de galles : nouvelles stratégies et nouveaux développements », Déviance et Société, 2001, p.432-433. 71

HEBBRECHT, P. & DUPREZ, Dominique, op.cit., p.374-376. 72

BODY-GENDROT, Sophie & DUPREZ, Dominique, « Les politiques de sécurité et de prévention dans les années 1990 en France », Déviance et Société, 2001, p.380-381. 73

Ibid., p.377, 389-390. 74

CARTUYVELS, Yves & HEBBERECHT, P., « La politique fédérale belge de sécurité et de prévention de la criminalité (1990-1999) », Déviance et Société, 2001, p.405-406.

34

marquées par une approche technique et situationnelle de la prévention. Si ces nouvelles politiques

intégrées et intégrales se veulent holistiques et également tournées vers l’intégration sociale et

l’intervention sur les causes sociales de la délinquance, elles demeurent néanmoins à dominante

situationnelle et policière75.

L’objet de ce mémoire n’étant pas la prévention situationnelle per se ainsi que son évolution

dans les politiques de prévention des divers Etats européens, nous laisserons là cette introduction à

la notion de prévention situationnelle pour nous recentrer sur l’analyse des initiatives de sécurité et

de prévention orientées vers les pharmaciens d’officine en Belgique ainsi que, de façon plus

résiduelle, en France. Dans la prochaine sous-section, nous tenterons de déterminer l’influence de la

prévention situationnelle dans les initiatives de sécurité développées par les pouvoirs publics et les

organisations professionnelles du secteur pharmaceutique à l’égard des pharmaciens d’officine ; cela

dans la mesure où nous pensons que le secteur pharmaceutique et les initiatives de sécurité

développées à son égard n’ont pas échappé à l’influence de la prévention situationnelle et, plus

particulièrement, de sa déclinaison technique, la techno-prévention.

a. Les mesures fiscales et réglementaires :

En Belgique les premières initiatives fédérales visant la sécurité des pharmacies d’officine et

de leur personnel peuvent être liées aux efforts entrepris par le Ministre de l’Intérieur, Patrick

Dewael, dans le domaine de la sécurisation des indépendants76. Investissant largement ce dossier, le

Ministre de l’Intérieur de l’époque a impulsé certaines mesures destinées à soutenir les efforts du

personnel officinal, entre autres, pour se prémunir des risques de délinquance. Les principales

mesures observables dans ce domaine à l’époque s’inscrivent dans la théorie de la prévention

situationnelle et dans son application techno-préventive, ainsi que dans une philosophie libérale de

l’action étatique en matière de prévention77. En effet, ces initiatives ont pris la forme de mesures

fiscales destinées à amortir les coûts d’achat et d’installation des équipements et systèmes de

sécurité et, ainsi, servir d’incitants à l’amélioration de la sécurité des pharmacies d’officine. Le SPF

Intérieur, à l’initiative du Ministre Dewael, a élaboré plusieurs mesures fiscales générales, applicables

à tout indépendant ou profession libérale, prenant la forme de réductions d’impôts78 ou de

déductions de frais professionnels liés aux investissements pour la sécurisation79. Dans le cadre de

ces deux mesures, des arrêtés royaux modifiant le code des impôts sur les revenus de 1992

précisaient, dans l’article 49/1, les types de matériels de sécurité pour lesquels ces mesures

s’appliquaient ainsi que les montants pouvant être perçus80. L’Institut National d’Assurance Maladie

Invalidité (INAMI) et le gouvernement fédéral ont élaboré, en 2006, une mesure fiscale destinée à

75

CARTUYVELS, Yves & HEBBERECHT, P., « La politique fédérale belge de sécurité et de prévention de la criminalité (1990-1999) », Déviance et Société, 2001, p.408-410. 76

Service Public Fédéral Intérieur, « Sécurité et Prévention. Rapport d’activités 2006 », 2006, p.28-29, 64-65. 77

VAN OUTRIVE, Lode, « Duiding als misdaad in toekomstperspectief», Fondation Roi Baudouin, 1998, p.56-62. 78

Le Soir, « Les investissements en sécurisation », 7 juin 2003, consulté en ligne le 10/07/2015 sur http://archives.lesoir.be/fisc-les-investissements-en-securisation_t-20030607-Z0N78Z.html 79

G4S, « Réductions d’impôts importantes pour les particuliers et les indépendants investissant dans leur sécurité », consulté en ligne le 10/07/2015 sur http://www.livios.be/files/pressbulletins/1047_1.pdf 80

Fisconetplus, « Arrêté royal d’exécution du code des impôts sur les revenus 1992», consulté en ligne le 10/07/2015 sur http://ccff02.minfin.fgov.be/KMWeb/document.do?method=view&nav=1&id=a1234cde-2c30-4167-9d72-93711ac3992f&disableHighlightning=true#findHighlighted

35

améliorer le niveau de sécurité au sein de ce type de commerce. Etablie officiellement par l’Arrêté

royal du 1er juillet 2006 portant application de l'article 36undecies de la loi relative à l'assurance

obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, cette mesure stipulait que

« une intervention unique de 500 euros est accordée à chaque pharmacien-titulaire d'une officine

ouverte au public pour les frais relatifs à la sécurité et à l'informatique. »81. Dans l’ensemble de ces

mesures l’objectif, clairement affiché par les pouvoirs publics, était d’inciter les pharmaciens

d’officine à prendre la responsabilité de l’amélioration de la sécurité de leurs locaux en recourant à

un large panel de mesures techno-préventives, confirmant ainsi l’orientation techniciste et

situationnelle de la politique de prévention et de sécurité développée par les pouvoirs publics à

l’égard des pharmacies d’officine.

Les pharmacies d’officine françaises ont pu bénéficier de mesures d’inspiration similaire

quoiqu’ayant pris une forme différente, plus réglementaire. Comme l’ont noté, en 2001, les

inspecteurs généraux des affaires sociales à l’origine d’un rapport sur les violences subies par le

personnel de santé en France, les pouvoirs publics français ont été amenés assez rapidement à

considérer les pharmacies d’officine comme des établissements à risque et à adopter à leur égard

une politique de sécurité et de prévention similaire à celle pronostiquée pour les banques82. Les

propriétaires de pharmacie se sont vus appliquer certaines dispositions légales relatives aux

obligations de surveillance ou de gardiennage pour les établissements présentant un risque pour la

sécurité, devenant ainsi contraints d’assurer une surveillance constante de leur officine sous peine de

sanctions83. Le décret à l’origine de cette obligation comprend également une liste de moyens de

surveillance, techniques ou humains, précisant les contours de cette obligation, allant du simple

« dispositif de vidéosurveillance autorisé asservi à un dispositif d'alerte » à des mesures beaucoup

plus lourdes et sécuritaires telles que des rondes quotidiennes d’un ou de plusieurs agents de

gardiennage ou à leur présence en faction à l’intérieur de l’établissement84. Le Ministre de l’Intérieur

Jean-Pierre Chevènement requérait à cet égard, au travers d’une circulaire ministérielle du 26 juin

2000, qu’en parallèle d’une mise en œuvre opérationnelle d’un dispositif policier adapté85 soient

appliquées les dispositions réglementaires susmentionnées, précisant que « les pharmaciens dont les

officines ne répondront pas à ces obligations seront invités à se mettre en conformité avec les textes

en vigueur »86 et que les préfets pourront demander aux directeurs départementaux de la sécurité

81

Institut National d’Assurance Maladie Invalidité, « Arrêté royal du 1er

juillet 2006 portant application de l’article 36undecies de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 », consulté en ligne le 10/07/2015 sur https://www.inami.fgov.be/webprd/docleg/sp/63122-136?1&tmpl=kdoc&OIDN=500418&-DTRF=16/03/2015&-VIEW=1 82

COSTARGENT, Georges & VERNEREY, Michel, « Rapport sur les violences subies par les professionnels de santé », Inspection Générale des Affaires Sociales, 2001, p.31-32 83

Legifrance, « Décret n°97-46 du 15 janvier 1997 relatif aux obligations de surveillance ou de gardiennage incombant à certains propriétaires, exploitants ou affectataires de locaux professionnels ou commerciaux », article7, dernière modification réalisée 4 octobre 2012, consulté en ligne le 10/07/2015 sur

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000381545&dateTexte=20131231 84

Ibid., art. 4. 85

Ministère de l’Intérieur, « Circulaire sur la sécurité des pharmaciens d’officine », 26 juin 2000, NOR/INT/C/00/00140/C, art.1, consulté en ligne le 10/05/2015 sur http://www.interieur.gouv.fr/content/download/6505/61672/file/INTC0000140C.pdf 86

Ministère de l’Intérieur, « Circulaire sur la sécurité des pharmaciens d’officine », 26 juin 2000, NOR/INT/C/00/00140/C, art.2, consulté en ligne le 10/05/2015 sur http://www.interieur.gouv.fr/content/download/6505/61672/file/INTC0000140C.pdf

36

publique de désigner des agents de police pour conseiller les pharmaciens d’officines dans leur mise

en conformité avec ces dispositions87.

b. Les systèmes de télésurveillance policiers :

Si ces types de systèmes ne sont pas propres à la Belgique et s’ils existent également en

France sous une forme différente, ils semblent néanmoins avoir fait l’objet de beaucoup moins

d’investissements par les pouvoirs publics français laissant ainsi, à notre connaissance, une nette

avance à la Belgique dans ce domaine. Le principal système belge de télésurveillance policier est le

système « Télépolice », système d’appel direct entre un commerce et le dispatching de sa zone de

police88. Ce système repose sur le principe de l’établissement d’une liaison directe entre les services

de police et un commerçant victime d’un acte délinquant, à la demande de ce dernier. Cette liaison

directe offre la possibilité aux forces de police d’observer directement la situation en cours dans le

commerce ayant signalé une urgence et, ainsi, d’évaluer au mieux la menace encourue par le

commerçant et de récolter directement les premiers éléments nécessaires à l’enquête policière89.

Testée en 1995 au sein de certains commerces considérés « à risques » dans la commune

bruxelloise de Koekelberg90, le système Télépolice a connu un succès conséquent en Région

wallonne91 et au sein de la Région Bruxelles-Capitale tout particulièrement. En effet, depuis le début

de l’année 2015, le système s’est quasiment généralisé à l’ensemble de la Région, rassemblant 17

des 19 communes bruxelloises à l’exception notable des communes de Bruxelles-Ville et d’Ixelles92.

Les pouvoirs communaux bruxellois se sont avérés être, en majorité, des promoteurs actifs de ce

système auprès de leurs concitoyens opérant dans des établissements considérés « à risques » et de

ceux désireux d’améliorer le niveau de sécurité de leurs locaux, prenant à leur charge une large part

des frais d’installation et de fonctionnement du système dans certains cas, à l’instar d’Etterbeek93 et

de Woluwe-Saint-Lambert94 entre autres.

A titre d’exemple, nous pourrions également mentionner le cas plus particulier et

relativement précurseur du système « Liaison Police – LIPOL » développé dans la Ville de Liège avec

le concours actif des différents services de sécurité et de prévention. Ce vaste système de

sécurisation des commerces à risques, basé également sur une technologie similaire et des principes

87

Ministère de l’Intérieur, « Circulaire sur la sécurité des pharmaciens d’officine », 26 juin 2000, NOR/INT/C/00/00140/C, art.2, consulté en ligne le 10/05/2015 sur http://www.interieur.gouv.fr/content/download/6505/61672/file/INTC0000140C.pdf 88

Voir annexe E. 89

Voir annexe E. 90

Le Soir, « Les magasins à risque reliés au commissariat, Télé-police à Koekelberg », 15 mai 1995, consulté en ligne le 11/05/2015 sur http://archives.lesoir.be/les-magasins-a-risque-relies-au-commissariat-_t-19950515-Z09HXF.html?queryand=%22tele-police%22&firstHit=0&by=10&when=-1&sort=dateasc&pos=1&all=25&nav=1 91

Télépolice Vision, « 17 communes bruxelloises sur 19 adoptent le Télépolice », 27 décembre 2014, consulté en ligne le 11/07/2015 sur http://www.telepolice.be/telepolice_vision_belgique/fr/component/search/?searchword=17%20communes&searchphrase=all&Itemid=482 92

Ibidem. 93

Commune d’Etterbeek, « Système Télépolice Vision », consulté en ligne le 11/07/2015 sur http://www.etterbeek.irisnet.be/nos-services/classes-moyennes/systeme-telepolice-vision 94

Le Soir, « « Télépolice-Vision » : sécuriser le commerce », 28 mars 2012, consulté en ligne le 01/07/2015 sur http://archives.lesoir.be/-telepolice-vision-securiser-le-commerce_t-20120328-01VW9X.html

37

analogues à ceux de Télépolice, a été développé en 2000 et mis en œuvre par le Plan de prévention

de la Ville de Liège95 et est toujours en application en dépit des différentes crises que celui-ci a pu

connaitre96. A la différence du système Télépolice en vigueur dans la Région Bruxelles-Capitale, les

coûts afférents au système « LIPOL » sont entièrement supportés par les services communaux de la

Ville de Liège, ne semblant requérir, a priori, aucun effort financier de la part des commerçants y

souscrivant97. Pareille intervention financière de la part des pouvoirs communaux dans les coûts

impliqués par l’installation et l’entretien du système Télépolice ne semble, à l’inverse, pas être

généralisée au sein des différentes communes bruxelloises y ayant souscris, certaines d’entre-elles

prenant à charge une partie des frais98 tandis que d’autres, à l’instar de Koekelberg99, en assurant la

gratuité totale. Ce système semble également être mis prioritairement à disposition des commerces

« à risques » tels que les librairies, les pharmacies d’officine et les cabinets médicaux, exception faite

des bâtiments publics100. Les données relatives aux installations du système « LIPOL » auprès de ces

trois catégories de commerces « à risques » semblent démontrer une utilisation relativement

importante de ce système par les pharmacies d’officine à Liège. En effet, comme le montre le

graphique 7 ci-après, les pharmacies d’officine représentent les premiers utilisateurs de ce système,

le nombre de pharmacies y ayant souscris demeurant stable dans le temps et dépassant largement

celui des libraires et les cabinets médicaux.

Graphique 7 : nombre d’utilisateurs du système « LIPOL » par catégorie d’utilisateurs, entre 2008 et

2014.

95

The Global Network on safer cities, « 100 promising practices on safer cities. Collation of urban safety practices », 2014, p.165, consulté en ligne le 30/06/2015 sur http://efus.eu/files/2014/12/FINAL_-100-PROMISING-PRACTICES-ON-SAFER-CITIES-WORK-IN-PROGRESS.pdf 96

Collège communal de la Ville de Liège, « Communiqué Collège du 28/10/2011. Sécurisation des commerces à Liège : jugement rendu », communiqué de presse du 28 octobre 2011, consulté en ligne le 01/07/2015 sur http://www.liege.be/vie-communale/le-college-communal/college-communal-archives-communiques/communiques-college-2011/copy_of_communique-college-du-28-10-2011 97

The Global Network on safer cities, op.cit., p.165. 98

Voir supra notes 67, 68. 99

Commune de Koekelberg, « Rapport annuel 2011-2012 », 2012, p.142, consulté en ligne le 01/07/2015 sur https://www.koekelberg.be/p4w/user_files/Secretariat/rapport_annuel/Annees%20precedentes%20-%20vorige%20jaren/FR_2011_2012.pdf 100

Ville de Liège, « Rapport administratif 2008 », 2008, p.14.

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

Librairies 51 46 44 42 39 32 27

Pharmacies 63 63 60 60 57 66 59

Médecins 0 32 31 31 31 31 35

0

10

20

30

40

50

60

70

Nombre d'utilisateurs du système "LIPOL"

Librairies Pharmacies Médecins

38

Graphique et tableau statistique réalisés par l’auteur du présent mémoire. Sources : Ville de Liège,

Rapports administratifs 2008-2014.

Cette utilisation relativement élevée du système « LIPOL » par les pharmaciens d’officine

liégeois peut, selon nous, trouver deux explications hypothétiques. Il est possible que cette tendance

soit le reflet d’un sentiment d’insécurité et d’un risque de victimisation plus élevés chez les

pharmaciens d’officine que chez les autres propriétaires de commerces « à risques », les

pharmaciens d’officine liégeois étant vraisemblablement réceptifs à pareils types de systèmes de

sécurité. Néanmoins, il est également possible que ce système de télésurveillance policier ait été

particulièrement investi par les commerçants à risques et par les pharmaciens d’officine en raison

des avantages relatifs qui y étaient liés et des efforts des autorités publiques pour le développer.

Nous avions déjà mentionné la gratuité du système « LIPOL » rendue possible par le soutien financier

des autorités communales de la Ville de Liège, attestant selon nous d’une volonté manifeste de la

part de celles-ci d’assurer le développement de ce système et une nette orientation en faveur des

mesures techno-préventives. Si l’adhésion des autorités communales et provinciales liégeoises à ce

système semble manifeste en raison de la promotion en étant faite, l’orientation techno-préventive

des politiques préventives et de sécurité liégeoises pourrait être avancée face à l’apparente faiblesse

du nombre de mesures préventives non-strictement techniques et situationnelles à destination des

pharmaciens d’officine. En effet, durant l’année 2013 seules 3 séances d’information ont été

dispensées aux étudiants en pharmacie de Liège101 , impliquant des conseils en matière de

sécurisation des pharmacies d’officine102, tandis qu’aucune n’a été dénombrée pour les pharmaciens

d’officine titulaires. Si ces informations ne nous permettent pas de conclure à une absence de

formations ou de mesures non-strictement techno-préventives dans les programmes de prévention

de la Ville de Liège à destination des pharmaciens d’officine, attestant d’une orientation des

autorités et services publics liégeois dans la prévention situationnelle, nous ne pouvons l’exclure non

plus. Les explications hypothétiques développées dans ce paragraphe n’étant pas antagoniques et

mutuellement exclusives, il se pourrait également que celles-ci soient en tout ou en partie valides et

combinées, ce que nous ne pouvons là encore ni démontrer ni exclure.

Enfin, pour conclure ce point consacré aux systèmes de télésurveillance policiers, nous

pouvons également faire une rapide mention des données fournies par l’Ordre National des

Pharmaciens de France à ce sujet. Nous indiquions précédemment que ce type de système ne

semblait pas particulièrement développé parmi les pharmacies d’officine françaises, celles-ci étant

incitées à souscrire à d’autres types de systèmes de télésurveillance ou à d’autres types de mesures

de protection103, ce que semble confirmer l’Ordre français dans son dernier rapport sur la sécurité au

sein des pharmacies d’officine françaises. En effet, si un nombre croissant de pharmacies d’officine,

ayant participé à l’enquête annuelle diligentée par l’Ordre français, semblent avoir adopté un

système de télésurveillance policier, celles-ci demeurent toujours minoritaires par rapport aux autres

pharmacies d’officine ayant opté pour d’autres types de mesures de protection104. La majorité des

pharmacies d’officine continue d’opter pour des mesures plus traditionnelles et moins lourdes et

contraignantes, à l’instar des simples systèmes de vidéosurveillance non reliés à la police ou à des

101

Ville de Liège, « Rapport administratif 2013 », 2013, p.29. 102

Ibidem. 103

Voir supra note 58. 104

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.14.

39

sociétés de gardiennages, quand elles ne choisissent pas de se passer de toute mesure de protection

tout simplement105.

2. Les incitations à la déclaration des faits violents et au dépôt de plainte : situer la

violence chez les pharmaciens d’officine et lutter contre l’impunité :

Ce point concernera un type d’initiative largement répandu en France et porté par les

organisations professionnelles du secteur des pharmacies d’officine depuis maintenant plusieurs

années. Il s’agit des efforts déployés essentiellement par l’Ordre National des Pharmaciens de France

pour inciter le personnel officinal à déclarer systématiquement aux services compétents les faits de

violence dont il serait victime. Comme nous l’avons mentionné précédemment dans ce mémoire106,

l’Ordre français déplore depuis maintenant plusieurs années la tendance de nombre de personnes

issues du personnel officinal à ne pas déclarer les faits violents dont ils sont pourtant victimes. Cette

tendance aurait deux conséquences principales. Premièrement, et de manière assez évidente, elle

entrainerait une sous-représentation statistique des faits violents à l’égard des pharmaciens

d’officine et, de ce fait, une sous-estimation de la violence ou des risques de violence subis par ceux-

ci107. Ces phénomènes dont est victime le personnel officinal ne pourraient dès lors être jaugés

correctement par les autorités publiques et les représentants professionnels du personnel des

pharmacies d’officine, renvoyant dès lors des signaux distordus et aux conséquences potentiellement

graves, dans la mesure où l’on ne pourrait connaitre les risques réels d’exposition à la violence de ces

professionnels et où l’on pourrait involontairement en minimiser les effets.

La deuxième conséquence à laquelle nous pourrions penser découle plus spécifiquement de

la faiblesse de dépôt de plainte par le personnel officinal subissant des violences. Car si le nombre de

déclarations de faits violents, d’incidents, en officine aux organisations professionnelles est inférieur

au nombre réel de faits se déroulant en officine, le nombre de plaintes formulées par les

pharmaciens victimes est encore plus faible. En effet, comme le démontre le graphique ci-après

réalisé à partir des données de l’Ordre français, la disparité entre le nombre de déclarations

d’agressions communiquées à l’Ordre et le nombre de plaintes déposées est énorme. Pire, alors que

le nombre de déclarations à l’Ordre de la part de pharmaciens agressés demeure assez stable, le

nombre de plaintes déposées par ces mêmes pharmaciens ne cesse de chuter depuis 2011 pour

s’effondrer et atteindre un seuil relativement insignifiant en 2014. Face à cette situation alarmante,

d’aucuns parmi les représentants professionnels du personnel officinal pointent le risque d’une

absence de réaction judiciaire et politique108 et le développement d’un sentiment d’impunité chez les

infracteurs ciblant les pharmacies d’officine109.

105

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.14. 106

Ibid., p.2 107

FITZGERALD, Deirde & REID, Alex, « Frequency and consequences of violence in community pharmacies in Ireland », Occupational Medicine, 2012, p.662-663. 108

Ordre National des Pharmaciens, « Sécurité : sensibiliser, déclarer, agir », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, 2011, p.8. 109

BRIOT, Aline, « Pharmaciens d’officine, face à la délinquance dont vous pouvez être victimes, êtes-vous bien préparés ? », thèse universitaire, Faculté de Pharmacie Université de Lorraine, 2013, p.58.

40

Graphique 8 : évolution du nombre de déclarations d’agressions communiquées par les pharmaciens

d’officine à l’Ordre National des Pharmaciens de France et du nombre de plaintes déposées, entre 2011

et 2014.

Graphique et tableau statistique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Sources : Ordre National des

Pharmaciens, «Déclarations à l’Ordre d’agression des pharmaciens d’officine de France métropolitaine »,

2012, 2013 ; Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmaciens d’officine », 2014, 2015.

Les organisations professionnelles françaises des pharmaciens d’officine ont, depuis

maintenant près de vingt ans, tenté d’endiguer ces tendances à la sous-déclaration et au sous-dépôt

de plainte parmi le personnel officinal victime de faits violents. Nous pouvons faire remonter les

premières initiatives visant à inciter les pharmaciens d’officines victimes à notifier ces faits et à les

faire suivre par un dépôt de plainte formel auprès des services de police à la fin des années 90,

période durant laquelle la criminalité à l’égard des pharmaciens d’officine était forte et où

virtuellement rien, ou très peu, semblait exister pour aider les victimes à réagir sur le plan judiciaire

et sur le plan de l’assistance professionnelle. Ainsi, sous la pression des pharmaciens d’officines d’Ile-

de-France semble-t-il110, le Conseil Régional de l’Ordre National des Pharmaciens a entrepris de

mettre en place les premières fiches de déclaration d’agression devant permettre aux pharmaciens

d’officine victimes d’alerter les organes centraux de l’Ordre sur leur situation et de réagir par des

procédures formelles agréées111. Si le bilan tiré en 2011 était plus que mitigé, l’Ordre a opté pour une

tentative d’actualisation et redynamisation de ces fiches afin de les rendre plus accessibles et surtout

de « mobiliser les confrères afin qu’ils déclarent systématiquement les agressions dont ils sont

victimes. »112. Comme nous en avons fait mention précédemment, l’Ordre fait toujours référence à

l’urgence de la situation du manque de déclarations de faits violents et de dépôts de plainte dans ses

110

COSTARGENT, Georges & VERNEREY, Michel, « Rapport sur les violences subies par les professionnels de santé », Inspection Générale des Affaires Sociales, 2001, p.18. 111

Ordre National des Pharmaciens, « Sécurité : sensibiliser, déclarer, agir », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, N°3, mai 2011, p.8. 112

Ibidem.

2011 2012 2013 2014

Déclarations d'agressions 176 142 161 152

Dépôts de plainte 115 84 78 28

0

20

40

60

80

100

120

140

160

180

200

nombre de déclarations d'agressions communiquées à l'Ordre français des pharmaciens et nombre de plaintes déposées

Déclarations d'agressions Dépôts de plainte

41

publications annuelles sur l’état de la sécurité des pharmaciens d’officine en France113, de même qu’il

accorde toujours une vaste publicité dans chacune des éditions mensuelles de son journal

professionnel114. Dernière réaction de l’Ordre face à ce problème crucial et à la situation toujours

sombre vécue par le personnel officinal sur le plan des risques d’agressions et de violence, Alain

Marcillac, conseiller ordinal et référent national sécurité de l’Ordre National des Pharmaciens,

rappelait, dans un communiqué de presse de mai 2015, l’importance de la déclaration d’agression et

du dépôt de plainte pour les victimes car « il est indispensable que les pharmaciens déposent plainte

afin que les autorités prennent en compte le phénomène. »115.

Ces initiatives prises par l’Ordre National des Pharmaciens ne sont pas sans rappeler des

initiatives similaires, mais plus radicales, prises dans d’autres contextes nationaux et dans d’autres

secteurs de la santé confrontés aux mêmes problèmes de violence endémique et de manque de

réaction des victimes face à des faits violents. Ainsi, les organisations professionnelles des secteurs

infirmiers britannique et américain, tous deux confrontés à des niveaux très importants de

victimisation ainsi qu’à un manque de déclarations d’incidents et de dépôts de plainte de la part des

victimes, ont entrepris de réagir depuis plusieurs années. Au Royaume-Uni, le National Health Service

(NHS) a, depuis les années 90 et avec le concours actif des syndicats et organisations professionnelles

du secteur, lancé une campagne de « zero tolerance » destinée à inciter le personnel infirmier

victime de faits violents à les rapporter aux services compétents, ainsi qu’à développer une politique

d’engagement systématique de poursuites judiciaires à l’égard des infracteurs116. Pareille position

radicale vis-à-vis des faits violents exercés à l’égard du personnel infirmier a été également adoptée

par des organisations professionnelles et des administrations publiques sectorielles dans d’autres

Etats, à l’instar de la province australienne du New South Wales qui a également fait sienne la

politique du « zero tolerance » à l’encontre des auteurs de faits violents ou d’infractions dirigés

contre le personnel hospitalier et, plus particulièrement, infirmier117. De la même façon, les

organisations professionnelles américaines du secteur infirmier, l’American Nurses Association et

l’Emergency Nurses Association, requéraient, il y a quelques années, plus de soutien de la part des

administrations hospitalières et des autorités politiques face au problème de la violence en milieu

hospitalier, et rappelaient la nécessité pour le personnel infirmier de déclarer les incidents violents

dont ils étaient victimes et de leurs donner suite sur le plan judiciaire118. Ces appels, de la part des

organisations et syndicats professionnels du secteur hospitalier et médical, ne sont pas restés sans

réactions des pouvoirs politiques et judiciaires, ceux-ci se conjuguant à une tendance au

durcissement des peines encourues par les auteurs de faits violents à l’égard du personnel médical

ainsi qu’à un développement de législations spécifiquement dédiées à la protection de plusieurs

113

Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmaciens d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.2. 114

Idem, « Pourquoi et comment déclarer une agression auprès de l’Ordre ? », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, N°49, juillet-août 2015, p.14. 115

Idem, « Les tensions économique et sociale en France se répercutent sur les pharmaciens d’officine », communiqué de presse du 26 mai 2015, p.1-2, consulté en ligne le 04/07/2015 sur http://www.ordre.pharmacien.fr/Communications/Communiques-de-presse/Les-tensions-economique-et-sociale-se-repercutent-sur-les-pharmaciens-d-officine 116

House of Commons Committee of Public Accounts, « A safer place to work: protecting NHS hospital and ambulance staff from violence and aggression », 39

th Report of Session 2002-2003, 2003, p.5, 8-9, 13-14.

117 MORPHET, Julia (ed.) & al., « At the crossroads of violence and aggression in the emergency department:

perspectives of Australian emergency nurses », Australian Health Review, 2014, p.195. 118

RAY, Mercer Melinda, « The dark side of the job: violence in the emergency department », Journal of Emergency Nursing, 2007, p.258-259.

42

métiers du secteur médical. Mentionnons, à titre illustratif, l’implémentation, en 2008 au Royaume-

Uni, du « Criminal Justice and Immigration Act » prévoyant des amendes et des peines

d’emprisonnement renforcées pour les auteurs de faits violents à l’encontre du personnel

hospitalier119, ou le « West Virginia Health Care Protection law » renforçant la sévérité des peines

criminelles pour les auteurs de toute agression sur un professionnel de la santé, quel que soit le

cadre où ces faits ont pris place120.

Les organisations professionnelles françaises dans le secteur des pharmacies d’officine

sembleraient s’orienter, quoique dans une perspective moins radicale et de façon moins aboutie que

les organisations professionnelles des travailleurs hospitaliers évoqués précédemment, vers une

attitude « judiciarisante » à l’égard des faits de violence subis par le personnel officinal. En effet, que

cela soit au sein du secteur pharmaceutique ou du secteur hospitalier, l’attitude des directions, des

syndicats et des organisations professionnelles semble être clairement une attitude réactive dans

laquelle la volonté de signaler et de condamner les faits de violence et leurs auteurs est manifeste. Il

s’agirait donc d’une volonté de mobiliser les procédures judiciaires pour garantir le respect des droits

des professionnels victimes d’agressions dans le cadre de leur travail et de sanctionner les infracteurs

entretenant l’important risque de victimisation de ces professionnels. En ce sens, nous assisterions à

une poursuite du phénomène de judiciarisation du domaine de la santé et des rapports entre

professionnels de la santé et patients ou extérieurs121, à la différence près qu’il couvrirait des

dimensions juridiques peu développées jusqu’à présent et mobiliseraient de nouvelles logiques. En

effet, si le phénomène de judiciarisation de la santé a déjà été étudié et décrit, c’est bien souvent en

termes de litiges portant sur des erreurs médicales s’inscrivant dans le droit privé et le droit des

patients122. Dans le cas qui nous intéresse il s’agirait plutôt d’une plus grande mobilisation du droit

pénal par les professionnels de la santé à l’égard des patients ou des extérieurs qui auraient porté

atteinte, ou menacé de porter atteinte, à leur intégrité physique et morale, inversant la dynamique

judiciaire habituelle où le professionnel de la santé serait attaqué en justice par l’un de ses patients.

Avec le développement, ou les tentatives de développement, de législations et de règlements

professionnels fondés sur le principe de la tolérance zéro et du dépôt de plainte systématique pour

les faits d’agression sur les professionnels de la santé, ces derniers se voient investis de la capacité de

mobiliser le droit et les instances judiciaires en leur faveur et se voient également vivement incités à

le faire. Ce la relève, à nos yeux, d’une certaine judiciarisation du médical, dans une perspective et

avec des dynamiques qui sont néanmoins encore peu répandues jusqu’à présent.

3. La coopération entre organisations professionnelles pharmaceutiques et les pouvoirs

publics :

Un dernier grand type d’initiatives pour lutter contre les risques de victimisation auquel le

personnel des pharmacies d’officine doit faire face est incarné par les accords de coopération établis

119

YORK, Tony W. & MACALISTER, Don, « Hospital and healthcare security. Sixth edition », Butterworth-Heinemann, 2015, p.523. 120

Ibidem. 121

ROUSSET, Guillaume, « Judiciarisation et juridicisation de la santé : entre mythe et réalité », Carnets de bord, N°16, 2009, p.23-28. 122

LAUDE, Anne & PARIENTE, Jessica & TABUTEAU, « La judiciarisation de la santé. Synthèse », Mission de recherche Droit et Justice, 2011, p.5-8.

43

entre les pouvoirs publics et les organisations professionnelles du secteur pharmaceutique. Ces

accords, bien que relativement peu nombreux, s’inscrivent clairement dans l’optique d’élaborer une

stratégie cohérente et complète impliquant l’ensemble des services publics affectés à la thématique

de la sécurisation des pharmacies d’officine et les organisations professionnelles du secteur, jouant le

rôle de relai auprès des pharmacies d’officine sur le terrain et leur personnel. Dans la mesure où ces

initiatives relèvent plus de la stratégie inter-organisationnelle et n’affectent pas directement les

pharmacies d’officine et leur personnel sur le terrain, nous n’en ferons qu’un rapide survol.

Néanmoins, il nous apparaît nécessaire d’en faire mention dans la mesure où elles déterminent, en

partie, le contenu des dispositifs d’action face aux risques de faits violents pesant sur le personnel

officinal et, surtout, leur orientation générale et leur portée.

La France devance largement la Belgique sur le plan de la coopération entre instances

représentatives du secteur des pharmaciens d’officine et les pouvoirs publics, présentant une

coopération plus institutionnalisée et largement antérieure à celle observable en Belgique, même si

elle reste relativement récente au demeurant. La pierre angulaire de la coopération entre l’Ordre

National des Pharmaciens et les pouvoirs publics s’avère être un protocole d’accord entre différents

ministères de l’Etat français et les conseils nationaux des différents ordres des professionnels de la

santé, portant sur la sécurité de ces professionnels et conclu le 10 juin 2010123. Cet accord s’inscrit

très fortement dans une approche policière, techno-préventive et judiciaire de la lutte contre les

risques de victimisation des pharmaciens d’officine et, au demeurant, de tous les professionnels de la

santé. Ce protocole désigne un certain nombre de fonctionnaires de police comme interlocuteurs

privilégiés avec les instances territoriales, sous-nationales, des divers ordres signataires à l’instar de

l’Ordre National des Pharmaciens124. Le texte fait de ces acteurs les échelons privilégiés d’un dialogue

et d’une collaboration « égale » ou « horizontale » entre représentants des pharmaciens d’officine

et pouvoirs publics dans la mesure où les demandes et informations peuvent émaner de n’importe

quel type d’acteur formellement désigné comme compétent125. Cependant les représentants des

pouvoirs publics et des forces policières semblent demeurer clairement avantagés et menant la barre

de la politique de sécurisation des pharmacies d’officine sur le terrain. En effet, ceux-ci s’avèrent

compétents pour dispenser des conseils de sûreté auprès des professionnels de la santé qui, selon les

dispositions du protocole, doivent être appliqués avec le concours des instances compétentes des

différents ordres126. Ces conseils s’avèrent extrêmement larges mais également fortement marqués

par l’optique de la techno-prévention et de la prévention situationnelle, ceux-ci devant :

« permettre aux professionnels de santé d’envisager les adaptations organisationnelles et matérielles

nécessaires à la prévention ou au rétablissement de la sécurité et de la tranquillité. Ces préconisations

doivent être de nature à répondre aux problèmes propres à chaque catégorie professionnelle, qu’ils

aient trait à la sécurité de leurs déplacements, à l’état de la réglementation, à la sécurisation des lieux

où ils exercent, à l’installation de dispositifs d’alarme ou de vidéo-protection. A cet égard, il sera

123

Ordre National des Pharmaciens, « Sécurité : sensibiliser, déclarer, agir », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, N°3, mai 2011, p.8-9. 124

Ministère de la Justice et des Libertés &Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé & Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités Territoriales et de l’Immigration, « Protocole d’accord relatif à la sécurité des professionnels de santé » [abrégé « Protocole d’accord], 10 juin 2010, art. 3, consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/protocole_professions_de_sante_ordres.pdf 125

Ibid., art.2, art.4. 126

Protocole d’accord, art.2.

44

recommandé aux maires d’intégrer les abords des cabinets et officines exposés au risque de

malveillance dans le périmètre couvert par le dispositif de vidéo-protection implanté dans leur

commune. ».127

Finalement le protocole d’accord prévoit également la facilitation du dépôt de plainte en cas de fait

délictuel commis à l’égard d’un membre du personnel d’une pharmacie d’officine128 et, surtout,

confère à l’Ordre National des Pharmaciens « la faculté d’exercer tous les droits réservés à la partie

civile et donc de mettre en mouvement l’action publique », lorsque les faits sont de nature à porter

préjudice aux intérêts de la profession129. On le voit, les pouvoirs publics, assistés par les

organisations professionnelles concernées, se sont activés à développer un cadre devant permettre

une déclinaison de dispositifs de prévention et de sécurité adaptés à la réduction des risques de

délinquance à l’égard des professionnels de la santé, en ce compris les pharmaciens d’officine. De

même, une coopération beaucoup plus étroite et systématique est recherchée entre acteurs issus

des forces de police, du pouvoir judiciaire et des secteurs de la santé, conférant une orientation

sécuritaire relativement marquée et assumée à cette coopération.

La situation belge s’avère tout autre, marquée par une certaine ébauche de coopération

entre organisations professionnelles et pouvoirs publics mais qui, pendant plusieurs années, s’est

avérée extrêmement ténue et épisodique, ne survenant que sur des points extrêmement précis.

Ainsi, l’APB a collaboré avec le SPF Intérieur à l’occasion de la campagne menée par ce dernier pour

la sécurisation des pharmacies d’officine, participant, en 2012, à la rédaction d‘un manuel pratique

de techno-prévention à destination des pharmaciens d’officine dénommé « Toolbox de sécurisation

des pharmaciens »130 et participant à sa diffusion parmi les pharmaciens d’officine. Cette coopération

s’est limitée, pour l’essentiel, à cela et n’a pas été renouvelée et redynamisée pendant plusieurs

années, en dépit des importantes variations que le secteur a pu connaitre sur le plan de la criminalité

comme nous avons pu le constater précédemment.

Cette coopération a néanmoins subi plusieurs changements récents, s’orientant vers le

développement d’une action commune et concertée plus importante et plus systématisée. En effet,

comme l’annonçait le 5 mars 2015 à la Chambre le Ministre de l’Intérieur Jan Jambon, un plan

d’action a été constitué par la police fédérale et l’APB afin de répondre à la criminalité affectant les

pharmacies d’officine et leur personnel131. Ce plan d’action se décompose en quatre axes principaux

devant former un ensemble cohérent ; interrogé à ce sujet par nos soins, le Directeur Général de

l’APB nous en faisait une description détaillée dont nous avons isolé les points essentiels :

« Et donc j’ai pris contact avec la police fédérale alors […] et ensemble avec la Région, avec l’Union

professionnelle bruxelloise nous avons établi un plan d’action qui contient quatre axes. Donc, premier

volet traite sur une enquête qu’on veut lancer, qu’on va lancer le quinze juin, donc prochainement. Une

127

Protocole d’accord, art.4. 128

Ibid.,art.6. 129

Ibidem. 130

Service Public Fédéral Intérieur, « Sécurisation des pharmaciens. Toolbox », 2012, consulté en ligne le 07/07/2015 sur https://www.besafe.be/sites/besafe.localhost/files/u1056/TOOLBOX%20SECURISATION%20DES%20PHARMACIENS.pdf 131

Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel du 05 mars 2015 », 2015, p.110-111, consulté en ligne le 07/07/2015 sur https://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf

45

enquête basée sur un questionnaire que nous avons élaboré ensemble avec la police fédérale […]le but

de ce questionnaire c’est a) de quand même montrer que l’Union fédérale des pharmaciens est quand

même sensible au problème de criminalité […b) c’est de demander à nos pharmaciens « tiens qu’est-ce

que vous avez déjà vécu comme incidents, comme expériences mais aussi, c), qu’est-ce que vous avez

déjà entrepris, ou qu’est –ce que vous avez pris comme mesures préventives ou réactives après un

cambriolage par exemple…et d) bien sûr le but de l’enquête c’est donc d’avoir un maximum

d’informations pour pouvoir se diriger vers des actions ponctuelles et donc surtout sur base de l’input

que nous avons reçu de la part des pharmacies. […] Le deuxième volet où nous allons organiser, l’APB

va organiser, des soirées d’information…au niveau local, donc de manière très décentralisée…où on va

donc donner les résultats de l’enquête a) ; b) on va donner, et c’est la police fédérale qui va collaborer

d’ailleurs, qui sera aussi sur place, qui va donner ses statistiques…troisièmement c’est…il y a quelques

mesures préventives qu’on va donner, on va aussi parler du fameux « Toolbox » que le SPF intérieur a

établi en 2012 et qui était très bien fait mais malheureusement pas encore assez bien connu je trouve

[…]Troisième axe de ce plan traite sur une collaboration que je voudrais faire avec des acteurs privés,

cela veut dire des sociétés privées qui ont…une offre de…ou un gamme technologique tout à fait

appropriée à l’officine donc…donc je vais leur demander d’établir des paquets spécifiques pour les

officines, pour la sécurité toujours bien sût…donc au niveau formations pour le personnel des officines,

au niveau technologique, au niveau du gardiennage, au niveau des télésurveillances, enfin donc il y a

toute une panoplie de services que plusieurs acteurs privés…que leur spécialisations peuvent offrir et je

voudrais donc négocier avec eux d’offrir des prix préférentiels pour les membres APB. […] Alors ça c’est

le troisième axe et le quatrième axe, ça sera pour plus tard dans l’année, à la demande de la police

fédérale d’installer un point permanent de contact entre l’ABP et la police fédérale et…pour justement

voir…s’il y a des nouvelles tendances, modus operandi au niveau de la criminalité, ou certaines vagues

qui se font par exemple au niveau de la criminalité. »132.

La coopération entre instances du secteur pharmaceutique et les pouvoirs publics en

Belgique, si elle est d’une taille et d’un degré de systématisation bien plus modeste qu’en France,

n’en présente pas cependant l’orientation sécuritaire et judiciaire affichée par la coopération

française. Si la volonté d’assurer le développement des mesures techno-préventives au sein du

réseau de membres de l’APB nous semble claire et si une coopération plus approfondie avec les

forces de police est recherchée, ce plan d’action se concentre principalement sur l’acquisition

d’informations relatives à la sécurité des pharmaciens d’officine par le biais d’une méthode de

victimisation rapportée et à leur diffusion, ainsi que d’autres informations plus générales relatives

aux risques de sécurité pesant sur les pharmaciens d’officine. A l’inverse du cas français, nous

pouvons noter que les organisations professionnelles des pharmacies d’officine, les services de police

et le pouvoir judiciaire belges ne collaborent pas au sein d’un cadre institutionnel et formel aussi

développé et de manière aussi active. Au-delà de ces différences, la prégnance des doctrines de la

prévention situationnelle et de la techno-prévention semble relativement forte à l’intérieur de ces

cadres de coopération inter organisationnels, influençant fortement la teneur des dispositifs

opérationnels destinés à lutter contre la délinquance à l’égard des pharmacies d’officine et de leur

personnel.

132

Entrevue avec le Directeur Général de l’Association Pharmaceutique de Belgique, Luc Adriaenssens, réalisée le 09/06/2015.

46

B. Des logiques d’action en apparence difficilement conciliables : la réaction des

pharmaciens face aux risques d’agressions et de violence :

Comme nous avons pu le constater jusqu’à ce point, les risques d’agressions et de violences à

l’égard du personnel officinal revêtent une réalité que l’on ne saurait ignorer, nombre de

pharmaciens d’officine étant chaque année victimes de faits infractionnels et, plus particulièrement,

de faits violents et cela quel que soit le pays à l’étude. De la même manière nous avons également pu

constater, qu’en ce qui concerne la Belgique et la France du moins, les pouvoirs publics ainsi que les

organisations professionnelles du secteur des pharmacies d’officine ont tenté de développer des

structures de coopération aboutissant à des dispositifs opérationnels de sécurité fortement marqués

par une approche situationnelle et techno-préventive. Les conséquences apparentes en sont, dès

lors, une tentative de prémunir les pharmacies d’officine des risques de faits infractionnels et de faits

violents par l’adoption de moyens techniques particuliers, par l’adaptation de leur organisation

interne et de leur environnement immédiat, ainsi que par une plus grande collaboration avec les

différents services des forces de police, qu’ils soient préventifs ou réactifs. C’est à partir de ces

éléments que nous élaborerons la problématique de ce mémoire, en tentant de mettre en exergue

ce qui nous semble constituer des logiques d’action et des référents contradictoires à l’œuvre au sein

des dynamiques professionnelles du personnel officinal.

Le personnel des pharmacies d’officine présente la singularité de devoir exercer des missions

qui, de par la nature même de la pharmacie, s’avèrent relativement difficilement conciliables, ou du

moins qui répondent à des logiques pour le moins divergentes et pouvant s’avérer contradictoires.

Ce personnel est amené à remplir quotidiennement plusieurs missions médicales et sociales au sens

large nécessitant une ouverture aux clients et patients ; ouverture et accessibilité des lieux, de la

pharmacie en elle-même mais également du personnel en lui-même qui se doit de se mettre à

l’écoute du client-patient.

1. La dimension sociale et la dimension médicale du métier de pharmacien d’officine :

Le personnel officinal se doit, premièrement, d’accomplir certaines missions sociales et

médicales, d’utilité publique, à l’égard des patients. Les missions médicales semblent prioritaires, de

prime abord, car il appartient par définition à la pharmacie d’officine et à son personnel d’agir

comme une sorte d’auxiliaire médical, complétant logiquement le travail de diagnostic et de

prescription du médecin en rendant possible la délivrance de produits médicamenteux133. Le

personnel officinal ne se cantonne cependant pas un simple rôle d’exécuteur des prescriptions

médicales et agit, à plus d’un titre, également comme service médical de première ligne amené à

poser les premiers éléments de diagnostic et les premiers conseils sur le plan d’un traitement, cela

dans la perspective des soins pharmaceutiques dépassant le rôle traditionnellement dévolu au

pharmacien134. Ainsi, outre les cas relevant de l’urgence médicale et pour lesquels le personnel

133

BOND, Christine M., « The role of pharmacy in health care » in REES, Judith A. & SMITH, Ian & WATSON, Jennie (eds.), « Pharmaceutical practice », Elsevier Health Sciences, 2014, p.3-4, 7-8. 134

WIEDENMAYER, Karin & al., « Elargir la pratique pharmaceutique. Recentrer les soins sur les patients. Manuel-édition 2006 », Organisation Mondiale de la Santé et Fédération Internationale Pharmaceutique, 2006, p.28-43.

47

officinal est tenu légalement et déontologiquement d’intervenir135, il est également appelé à agir sur

des cas d’une gravité bien moindre, un nombre conséquent de patients préférant vraisemblablement

demander certains conseils de santé au personnel officinal avant de se rendre chez un médecin136. Le

personnel officinal se voit donc revêtu d’une mission médicale très large, recouvrant un nombre de

cas potentiels a priori indéterminable, et pour lesquels la loi, dans certains cas137, mais surtout le

public le tiennent pour compétent et dans l’obligation d’agir.

Le personnel officinal est également amené à remplir des missions de conseil, à mi-chemin

entre le domaine médical et le domaine social. Pour bon nombre de personnes le pharmacien

d’officine incarne encore aujourd’hui un acteur disposant de conseils avisés, ou tout du moins

appréciables, sur l’attitude à adopter face à des problèmes ou des situations dépassant parfois

largement son domaine de compétence médicale, au sens strict comme au sens large. Si l’on attend

évidemment de lui qu’il soit capable d’aiguiller les patients vers des services médicaux, sanitaires ou

sociaux compétents en fonction du problème donné138, plusieurs personnes semblent attendre

également des conseils sur des problèmes sociaux ou familiaux dépassant totalement le cadre strict

du métier de pharmacien d’officine139. Ces situations et ces missions « atypiques » que le public

confère au personnel officinal semblent néanmoins être totalement assimilées par ce dernier, si bien

qu’elles constituent une dimension à part entière du métier de pharmacien d’officine. Plus

généralement et si l’on en croit certaines études réalisées sur le sujet, il semblerait que les

pharmaciens d’officine, par un mouvement de construction d’une identité professionnelle, soient

prompts à étendre le nombre de rôles associés à leur statut professionnel, se considérant comme

étant en droit et dans l’obligation « morale » ou éthique de prendre en charge des tâches d’ordre

médical et social qui, a priori, n’ont pas directement trait à leur métier140.

En tout état de cause, les pharmacies d’officine sont appelées pour ces raisons à maintenir un seuil

d’accessibilité très bas. Afin de pouvoir rencontrer au mieux les attentes des patients, le personnel

des pharmacies d’officine se doit de maintenir une ouverture constante vers l’extérieur141. Ouverture

physique de l’officine mais également, comme nous l’avons dit, ouverture du personnel qui se doit

de faire montre de qualité d’accueil, d’écoute, d’empathie par exemple. Car il ne suffit pas pour le

personnel officinal d’accepter d’endosser des missions sociales et médicales étendues, encore faut-il

adapter leurs dynamiques professionnelles et comportementales en conséquence pour pouvoir

remplir ces missions. Le personnel officinal se doit alors d’investir pleinement le domaine relationnel

et communicationnel et d’adopter une attitude d’ouverture et de bienveillance systématique à

l’égard des patients.

135

ESSE, Magali, « Les services rendus par le pharmacien d’officine en dehors de la délivrance de médicaments », thèse universitaire, Faculté de Pharmacie Université Henri-Poincaré-Nancy 1, 2005, p.19-25. 136

Ibid., p.26-34. 137

Voir supra note 109. 138

ESSE, Magali, op.cit., p.32-35. 139

Université de Genève, « La pharmacie d’officine comme lieu de premier recours du système de santé », 2004, p.4-5. 140

HEPLER, Charles D. & STRAND, Linda M., « Opportunities and responsibilities in pharmaceutical care », American Journal of Hospital Pharmacy, Vol.47, 1990, p.533-535 ; TAYLOR, Kevin M.G. & NETTLETON, Sarah & HARDING, Geoffrey, « Sociology for pharmacists : an introduction », CRC Press, 2004, p.28-31 ; HARDING, Geoffrey & TAYLOR, Kevin, « Responding to change : the case of community pharmacy in Great Britain », Sociology of Health and Illness, Vol.19, N°5, 1997, p.547-549, 555-557. 141

WATSON, Jennie, « Public health and pharmacy interventions » in REES, Judith A. & SMITH, Ian & WATSON, Jennie (eds.), « Pharmaceutical practice », Elsevier Health Sciences, 2014, p.465.

48

2. La dimension commerciale du métier de pharmacien d’officine :

Les dimensions médicale et sociale du métier de pharmacien d’officine, si elles sont

importantes, ne sont néanmoins pas les seules à l’œuvre. En effet, nous ne saurions saisir l’économie

générale d’une pharmacie d’officine et des logiques agissant sur son personnel si nous ne prenions

pas en considération sa dimension commerciale inhérente. La pharmacie d’officine est un lieu de

commerce dans lequel s’exerce une profession libérale. Les notions économiques et pécuniaires de

rentabilité et de chiffres d’affaires sont bien réelles et le personnel officinal, loin de ses missions

médicale et sociale, est appelé à assurer la viabilité économique de la pharmacie au sein de laquelle il

exerce à titre d’employé ou de titulaire. Dans cette optique, la pharmacie d’officine est amenée, par

définition, à exercer des activités commerciales et à disposer de sommes d’argent en espèces

potentiellement importantes. Si des changements, intervenus ces dernières années dans les modes

de paiement au sein des pharmacies d’officine, ont modifié grandement cette situation en

privilégiant les règlements par paiements électroniques, les pharmacies d’officine semblent

néanmoins toujours associées à des établissements disposant de liquidités et de revenus

importants142. Dans la mesure où les pharmacies d’officine, à l’instar de tous les commerces, sont

tenues légalement de permettre à quiconque de régler ses achats en liquidités, cette croyance n’est

pas dénuée de fondements, en dépit du fait que les sommes entreposées en pharmacie d’officine et

les conditions d’entreposage soient sans commune mesure avec celles en vigueur par le passé.

Plusieurs auteurs ont mis en évidence le décalage entre les logiques « médico-sociale » et

économique dans laquelle le personnel officinal occupe un rôle cantonné à la gestion économique de

la pharmacie. Parmi ceux-ci Reyes s’affiche incontestablement comme l’un des auteurs de référence,

ayant étudié en détail cette dualité de logiques et leur incidence sur les identités et comportements

professionnels au sein du secteur des pharmacies d’officine 143 . Le pharmacien d’officine se

caractériserait, par définition, par une dualité de rôles, celui-ci- étant partagé entre un rôle médical

dérivé de son statut de personnel de santé et un rôle gestionnaire ou commercial dérivé de son

statut d’indépendant144. De cette double identité naîtrait une ambiguïté et un conflit de rôles, ceux-ci

répondant à des logiques difficilement conciliables et poussant le pharmacien dans des modes de

fonctionnement contradictoires145. Cette dualité caractéristique du métier de pharmacien serait

également exacerbée par le contexte affectant le secteur des pharmacies d’officine, en France tout

du moins. En effet, la démonopolisation de la vente de produits médicamenteux par les pharmacies

142

COSTARGENT, Georges & VERNEREY, Michel, « Rapport sur les violences subies par les professionnels de santé », rapport n°2001.110, IGAS, 2001, p.18-19. 143

REYES, Grégory, « Les mutations du métier de pharmacien titulaire : le cas d’officines de centre commercial », Revue Management & Avenir, 2011, p.79-99 ; idem., « L’ambiguïté des rôles du pharmacien titulaire d’officine française : une lecture par l’identité de métier », Management international / International Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 4, 2013, p. 163-177 ; idem., « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, 26 p. ; idem., «Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, 26 p. 144

Idem., « L’ambiguïté des rôles du pharmacien titulaire d’officine française : une lecture par l’identité de métier », Management international / International Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 4, 2013, p.164-165. 145

Idem., “Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.9-10.

49

d’officine, ainsi que le recul du prix de vente des médicaments et la réduction recherchée du nombre

d’officines viennent placer les professionnels du secteur dans une situation économique délicate, les

contraignant à une attention particulière à l’aspect gestionnaire et économique de leur métier146. Ces

évolutions, causées par un contexte économique global et des réformes successives des politiques de

santé en France motivées par l’état de la sécurité sociale147, affectent directement les conditions de

travail des pharmaciens d’officine même si elles prennent leur origine dans des sphères sur lesquelles

ils n’ont aucune prise et qui échappent à leur connaissance. D’autres phénomènes, plus proches ou

du moins se manifestant à plus petite échelle, viennent également renforcer la détérioration de la

situation économique des pharmacies d’officine. Ainsi, la modification des comportements du

patient, privilégiant la recherche de l’avantage monétaire et les pratiques de consommateurs dans

ses rapports à la pharmacie d’officine, vient également participer à la prise d’importance de la

logique commerciale au sein du métier de pharmacien148. Pareille situation du secteur vient

transformer l’identité professionnelle prévalant auprès des pharmaciens d’officine et transformer ses

rapports à la patientèle, celle-ci étant de plus en plus perçue comme une clientèle qu’il faut appâter

et convaincre en termes pécuniaires et avec laquelle une distanciation et une dépersonnalisation

s’opèrent, le pharmacien délaissant les missions et pratiques afférentes à son rôle médical de

personnel de santé149. Les conséquences organisationnelles sont, lorsque le pharmacien d’officine se

situe dans cette logique commerciale, qu’il

« se focalise sur la rationalisation de son entreprise, l’animation des équipes et la relation avec ses

partenaires comme ses fournisseurs. Il est moins en contact avec le client car il se consacre aux tâches

stratégiques ce qui l’oblige à déléguer d’avantage. Il développe une réflexion sur l’avenir de son

entreprise en recherchant les moyens de s’affranchir des contraintes économiques et réglementaires

qui pèsent sur lui. ».150

De cela apparait également, toujours selon Reyes, une modification des rapports du

pharmacien à son officine, Reyes soutenant que la dualité identitaire du pharmacien d’officine et le

pôle identitaire ayant prévalence affectent le mode d’organisation appliqué à la pharmacie d’officine.

Ainsi, suivant le fait que le pharmacien s’identifie plus à un rôle de gestionnaire ou de professionnel

de santé, les fonctions attribuées à l’officine et l’agencement de l’espace suivront des logiques

radicalement différentes. Si dans le cas de la logique et du rôle médical l’officine doit pouvoir

favoriser le contact humain entre patient et pharmacien et répondre au mieux à ses besoins

médicaux au sens large, il n’en est pas de même dans le cas de la logique commerciale où l’officine

est vue comme un espace de commerce dont les fonctions sont de favoriser la vente et la réalisation

d’économies d’échelle 151 . Il s’agit ici de manifestations poussées à l’extrême, présentées

schématiquement et dans l’abstrait comme étant antagoniques et mutuellement exclusives, ce qui

n’est pas le cas dans la réalité empirique, ces logiques étant souvent amenées à agir de concert et à

146

REYES, Grégory, « Les mutations du métier de pharmacien titulaire : le cas d’officines de centre commercial », Revue Management & Avenir, 2011, p.89-91. 147

Idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.79, 82-84. 148

Ibid., p.85. 149

Idem., « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, p.13. 150

Idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.86-87. 151

Idem., «Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.17-18.

50

prendre l’avantage de manière fluctuante et contextuelle 152 . Néanmoins, au travers de ce

développement reposant sur un dualisme radical, on peut observer que chacune de ces deux

logiques véhicule des représentations du métier de pharmacien, du public et des types de rapports

devant être développés entre eux qui sont radicalement différentes.

Chiarello se distancie légèrement de ces conclusions dans la mesure où, si elle identifie une forte

tendance à la « commercialisation » des pharmacies d’officine et au développement d’une logique

économique de recherche de profit et de rentabilité chez les pharmaciens153, elle souligne que cela

ne constitue nullement une voie unique, un processus de transformation engageant l’ensemble de la

profession et renversant les logiques professionnelles sociales et médicales. Comme Reyes, quoique

de manière moins équivoque, Chiarello soutient que les logiques structurantes à l’œuvre au sein de

la profession de pharmacien d’officine sont de nature contingentes et ne sont nullement

mutuellement exclusives 154 . Chiarello identifie d’ailleurs un nombre bien plus important de

dimensions, ou de « contingences » selon sa terminologie, soulignant qu’il est impossible qu’une

seule d’entre elles en vienne à occulter complètement les autres, celles-ci se combinant en un

ensemble mouvant et dont les signaux dissonants créés sont réconciliés dans la pratique de façon

pragmatique155. Néanmoins, cet auteur rejoint Reyes en reconnaissant l’importance de deux grandes

logiques structurantes, à savoir la logique médicale et la « fiscale » ou commerciale156. De même,

l’auteur identifie également une tendance de fond à la commercialisation des pharmacies d’officine

et, plus largement, du secteur de la santé dans son ensemble157. Dans ce contexte et face à ce

phénomène, les différents types de pharmacies ne sont pas également exposés aux aléas et aux

pressions économiques, les pharmacies d’officine y étant vraisemblablement plus sensibles en raison

de la taille limitée de leur exploitation et de leur clientèle158. Les pharmaciens d’officine se voient

donc contraints de balancer précautionneusement intérêts médicaux des patients et intérêts

économiques de leur établissement, alternant en permanence entre logique socio-médicale et

logique gestionnaire et recherchant un point d’équilibre le plus optimal et le plus stable possible

entre celles-ci

3. La logique sécuritaire, élément sous-jacent à la dimension commerciale :

La problématique de la possession de stupéfiants par les pharmaciens, et des

comportements délinquants que pareilles substances peuvent occasionner, a mobilisé un nombre

relativement conséquent d’études criminologiques, surtout dans le monde anglo-saxon. Dans une

perspective très « normativiste » et pratique, Roberts a dressé une liste non-exhaustive des

différentes obligations légales et éthiques afférentes à l’exécution des services pour lesquels les

152

REYES, Grégory, «Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.20-21 153

CHIARELLO, Elizabeth, « Medical versus fiscal gatekeeping: navigating professional contingencies at the pharmacy counter », Journal of Law, Medicine and Ethics, 2014, p.527-531. 154

Ibid., p.531-532. 155

Ibid., p.522-525, 531-532. 156

Ibid., p.518-519. 157

Ibid., p.519-520. 158

Ibid., p.522-523.

51

pharmaciens d’officine sont habilités au Royaume-Uni159. Si cette liste est loin d’être exhaustive et ne

constitue qu’une entrée en la matière, elle n’en demeure pas moins relativement importante,

traduisant la volonté de régulation des services officinaux concernant certains types de substances

dont l’usage pourrait être détourné, exprimée par les pouvoirs publics et les organisations

professionnelles du secteur pharmaceutique160. Ces régulations traduisent également, à notre sens,

un réel sentiment de méfiance, voire de crainte, vis-à-vis des toxicomanes se répercutant sur les

attitudes des pharmaciens d’officine à l’égard de ce type d’usagers, ceux-ci étant appréhendés en

termes de risques de délinquance ou de violence. En effet, comme l’indique Roberts, les pharmaciens

britanniques sont invités à faire preuve de prudence et à gérer de manière spécifique certains profils

de toxicomanes, dans l’optique que ceux-ci peuvent constituer une réelle menace pour leur propre

sécurité mais également pour la sécurité du personnel officinal amené à interagir avec eux161. Le

pharmacien britannique serait, mais cela peut également être valable pour d’autres contextes

nationaux, tiraillé entre plusieurs obligations émanant de la loi et de codes de conduite

professionnels, celles-ci faisant jaillir des « dilemmes éthiques et légaux » avec lesquels celui-ci doit

composer162. Si cette analyse manque incontestablement de profondeur sociologique, l’auteur se

cantonnant à un exposé de surface des obligations normatives affectant les pharmaciens d’officine

britanniques dans l’exercice de leur profession, particulièrement à l’égard de certains types

d’usagers, elle laisse néanmoins entrevoir une certaine logique sécuritaire sous-jacente à la gestion

de certaines substances pharmaceutiques et de leurs utilisateurs.

D’autres auteurs ont également tenté d’analyser les effets de la problématique du contrôle

de la délivrance de produits stupéfiants ou assimilés sur les attitudes et les comportements des

pharmaciens d’officine dans l’exercice de leur profession. Sheridan, Butterworth et Glover ont ainsi

soutenu l’existence de situations éthiquement conflictuelles dans le chef du personnel officinal en ce

qui concerne la gestion des usagers de drogues, soulevant les problèmes de la présence de

substances stupéfiantes en pharmacie et de la délicate attitude du pharmacien à adopter par rapport

aux utilisateurs de pareilles substances163. Plusieurs situations problématiques peuvent émerger des

interactions entre personnel officinal et utilisateurs de produits stupéfiants et sont évoquées par les

ces auteurs. Au-delà des questions de confidentialité et d’intimité entourant les achats et les

administrations de substances stupéfiantes164, les pharmaciens d’officine peuvent êtes confrontés à

des situations sensibles ayant trait à ces substances et dans lesquelles les usagers toxicomanes

feraient peser de réels risques pour la sécurité des personnes dans l’officine165. Ces risques ne

seraient pas nécessairement et inextricablement liés à la personnalité des toxicomanes, dans une

perspective presque déterministe, mais pourraient advenir à partir d’attitudes stigmatisantes, ou

perçues comme telles, exprimées à leur égard par le personnel officinal ou de l’incompréhension de

159

ROBERTS, Kay, « Legal and ethical considerations for community pharmacists in the United Kingdom » in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.97-110. 160

Ibid., p.98-100. 161

Ibid., p.102-103. 162

Ibid., p.110-111. 163

SHERIDAN, Janie & BUTTERWORTH, Gihan & GLOVER, Christine, “Professional conflicts for the front-line pharmacist” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.125-126. 164

Ibid., p.126-127. 165

Ibid., p.127, 132-134.

52

règles et de procédures appliquées de façon strictes au sein de la pharmacie d’officine166. Encore une

fois, on peut souligner l’existence d’une certaine méfiance à l’égard des usagers consommateurs de

certaines substances dans le chef des pharmaciens d’officine, résultant en une certaine approche

sécuritaire de la problématique de la gestion de ces substances et de leurs consommateurs.

D’autres auteurs ont mis en évidence l’existence de représentations stigmatisantes dont les

usagers de substances stupéfiantes feraient l’objet par les pharmaciens d’officine et de l’impact de

celles-ci sur les interactions entre ces deux catégories d’acteurs. Ainsi, Matheson a fait ressortir, au

travers d’entrevues réalisées auprès d’usagers consommateurs de méthadone, que ces usagers

tendaient à voir dans l’attitude des pharmaciens d’officine à leur égard une association quasi

systématique aux stéréotypes des « junkies »167. Pareille association était, selon les données

collectées par cet auteur, potentiellement source de comportements négatifs, voire violents, de la

part de ces usagers à l’égard des pharmaciens d’officine168. Luty, Kumar et Stagias ont démontré

qu’une proportion non-négligeable de pharmaciens d’officine britanniques refusait l’accès de

patients sous traitement de substitution par méthadone à ces services au sein de leur pharmacie, de

crainte de voir survenir des incidents impliquant des déprédations ou des faits de violence169. Bien

des années plus tôt, Sheridan et d’autres auteurs avaient pointé le fait que près de la moitié des

pharmaciens d’officine de Grande Bretagne adoptaient ce type d’attitude à l’égard des usagers

toxicomanes, justifiant cela par le fait que ces usagers seraient à l’origine d’un risque accru de

« petits larcins, crimes violents et d’intimidation des autres clients »170.

Conséquence extrême de cette logique de méfiance et de volonté de se prémunir de risques

supposés de faits violents de la part de catégories spécifiques d’usagers, 50% des pharmaciens

d’officine interrogés par Morrison et établis dans des quartiers défavorisés de la Ville de New York

habités par des minorités hispanophones ou afro-américaines ne disposaient pas de stocks de

certains médicaments pouvant être utilisés comme stupéfiants de substitution171. Cette pratique, loin

de constituer le résultat de problèmes d’approvisionnement contingents, découlait d’une volonté

délibérée de ne pas disposer d’opioïdes afin de ne pas constituer, entre autres, une cible pour les

fraudes et les attaques172. Des résultats identiques ont été également confirmés pour l’Etat du

Michigan par Green et ses collaborateurs, bien que la crainte de fraude et d’attaques pour des

raisons liées à la détention de stupéfiants par les pharmaciens d’officine soit apparemment moins

forte173. Ces études, en dépit de leurs méthodes et de leurs sujets forts différents, témoignent de

166

SHERIDAN, Janie & BUTTERWORTH, Gihan & GLOVER, Christine, “Professional conflicts for the front-line pharmacist” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.126-127. 167

MATHESON, Catriona, “Drug users and pharmacists: the clients’ perspectives” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.91-92. 168

Ibid., p.92. 169

LUTY, Jason & KUMAR, Pramod & STAGIAS, Konstantinos, « Stigmatised attitudes in independent pharmacies associated with discrimination towards individuals with opioid dependence », The Psychiatrist, 2010, p.512. 170

SHERIDAN, Janie & al, op.cit., p.1746-1747. 171

MORRISON, Sean R. & al., « « We don’t carry that » - Failure of pharmacies in predominantly nonwhite neighborhoods to stock opioid analgesics », The New England Journal of Medicine, Vol.342, N°14, 2000, p.1023-1026 172

Ibid., p.1025. 173

GREEN, Carmen R. & al., “Differences in prescription opioid analgesic availability: comparing minority and white pharmacies across Michigan”, The Journal of Pain, Vol.6, N°10, 2005, p.694-696.

53

l’existence, à nos yeux, de ce que nous identifiions précédemment comme une logique sécuritaire

influençant les attitudes et les comportements des pharmaciens d’officine, ici à l’égard des

catégories de personnes associées à certaines substances stupéfiantes ou à certains médicaments et

considérées principalement et dans de nombreux cas en termes de risques pour la pharmacie

d’officine et pour la sécurité du personnel officinal.

Cette logique sécuritaire s’est également traduite sous d’autres formes, moins liées à

l’organisation de l’espace et des biens de la pharmacie d’officine, ayant plus trait à la coopération

avec des institutions et des services poursuivant des missions radicalement différentes de celles

assumées par les pharmacies d’officine. Il a été fait démonstration, particulièrement dans les Etats

anglo-saxons, du développement de partenariats larges visant le contrôle des usagers de substances

strictement réglementées et la lutte contre leur détournement174. Ces partenariats impliquent un

ensemble relativement large d’entités et d’acteurs, faisant intervenir divers services policiers et

institutions publiques mais également les pharmaciens d’officine ainsi que leurs corporations175. Il en

va ainsi pour plusieurs provinces australiennes où pareils types de partenariats entre services de

police et pharmaciens d’officine ont été développés au cours des dernières années176. Dans le cadre

de ces accords, les pharmaciens d’officine sont appelés à jouer un rôle de premier plan dans la

surveillance des usagers désirant obtenir certains produits amphétaminiques ou d’autres produits

soumis à des mesures de contrôle, devant vérifier la validité des prescriptions, enregistrer les

données de chaque usager et collaborer activement avec les services de police en cas de soupçons

sur la validité d’une prescription ou sur des activités illicites d’une personne qui seraient liées à des

produits contrôlés177.

Dans pareils cas, la frontière entre travail policier et travail de soins et de services

pharmaceutiques semble s’atténuer pour entraîner une certaine confusion des rôles et des tâches. A

bien des égards le pharmacien est appelé à devenir une sorte d’auxiliaire de police dans le domaine

particulier de la vente de certaines substances soumises à des régimes de contrôle spécifiques ; la

tâche de surveiller l’usage qui va être fait, voir même de le déduire à partir des informations

obtenables lors de l’interaction avec l’usager, revêt une grande importance aux yeux de la loi et des

services de police chargés de l’appliquer178. Il n’est alors pas difficile pour le pharmacien d’officine de

s’abandonner complètement à ces tâches dérivant du travail policier et d’adopter une logique

d’action et un mode de réflexion éloignés de la logique socio-médicale. Webster, dans le cadre de sa

thèse sur ces partenariats trans-sectoriels de lutte contre les détournements de produits stupéfiants

dans certaines provinces d’Australie, semble montrer la diffusion de cette logique d’action policière

parmi les pharmaciens d’officine de la province du Queensland ainsi que, de façon plus étonnante, la

satisfaction et le zèle avec lesquels les tâches de contrôle sont appliquées sur les usagers179. Si les

174

RANSLEY, Janet & al., « Reducing the methamphetamine problem in Australia: evaluating innovative partnerships between police, pharmacies and other third parties », National Drug Law Enforcement research Fund, 2011, 59 p.; WEBSTER, Julianne Louise, “Innovative police responses to drug problems: exploring a third-party policing partnership between police and community pharmacy”, university thesis, Faculty of Arts, Education and Law Griffith University, 2012, 350 p. 175

WEBSTER, Julianne Louise, op.cit., p.8-11, 29-34, 98-110. 176

Ibid., p.66-67, 99-110. 177

Ibid., p.59-63. 178

CHIARELLO, Elizabeth, “The war on drugs comes to the pharmacy counter: frontline work in the shadow of discrepant institutional logics”, Law & Social Inquiry, Vol.40, N°1, 2015, p.88-91. 179

WEBSTER, op.cit., p.148-157.

54

pharmaciens de cette province concevaient la difficulté de combiner ces tâches de contrôle avec

celles découlant de leur statut de personnel de santé, une grande majorité de ceux ayant été

interrogés semblaient désirer une plus grande coopération avec la police et un durcissement des

procédures de contrôle qu’ils pourraient exercer180.

De manière plus approfondie et suivant une analyse plus sociologique, Chiarello met en

évidence le développement de logiques analogues parmi les pharmaciens d’officine américains

soumis aux législations « antidrogues » de l’Etat fédéral181. L’auteur met en évidence la tentative des

pouvoirs publics et des services de police américains d’utiliser la proximité du pharmacien d’officine

par rapport aux usagers consommateurs de produits stupéfiants régulés, ainsi que sa position

unique de contrôleur et de dispensateur de ces substances, afin pouvoir détecter et agir au plus près

des personnes tentant d’en faire un usage illicite182. Les pharmaciens américains se trouveraient

confrontés à une tension résultant de logiques contradictoires, à savoir une logique médicale,

amenant à concevoir l’usager et sa demande en termes de besoins et de traitements médicaux, et

une logique judiciaire, amenant à concevoir l’usager et sa demande en termes de légalité et de

ressources légalement accordables ou non183. Ces deux logiques mobilisent des épistémologies, des

référents et des pratiques radicalement différentes, induisant des antagonismes se traduisant par

des tensions dans le travail du pharmacien et dans l’attitude à adopter face à ces usagers et aux

situations problématiques pouvant survenir184.

Ces logiques ne sont pas séparées l’une de l’autre et tendent à agir de concert dans les

pratiques du pharmacien d’officine, bien qu’à des intensités variables185 ; et si des attitudes

divergentes sont constatables vis-à-vis de l’application de la logique légale et des tâches de contrôle

et d’investigation de nature quasi-policière, certains les appliquant avec plus ou moins

d’enthousiasme et de zèle186, la majorité des pharmaciens d’officine semblent adopter une attitude

ambivalente, proche de la résignation apathique, voire une attitude pouvant être conçue comme une

forme de résistance187. En effet, si la confirmation aux dispositions légales et la coopération

systématique avec la police en cas de soupçons s’avère être une stratégie et une attitude possible,

d’autres existent également. Ainsi, les pharmaciens d’officine américains peuvent également opter

pour l’évitement du problème, pour sa déflection, en choisissant une solution désengageant leur

responsabilité légale188, ou peuvent également opter pour l’attribution du traitement demandé,

s’inscrivant alors dans la logique médicale propre à leur profession189. Si l’auteur n’est pas clair sur la

logique dominante parmi les pharmaciens interviewés, il met en évidence deux phénomènes

extrêmement enrichissants au regard des enseignements théoriques précédemment cités.

180

WEBSTER, Julianne Louise, “Innovative police responses to drug problems: exploring a third-party policing partnership between police and community pharmacy”, university thesis, Faculty of Arts, Education and Law Griffith University, 2012, p.157-163. 181

CHIARELLO, Elizabeth, “The war on drugs comes to the pharmacy counter: frontline work in the shadow of discrepant institutional logics”, Law & Social Inquiry, Vol.40, N°1, 2015, p.86-88. 182

Ibid., p.87, 91. 183

Ibid., p.97-98. 184

Ibid., p.98-99. 185

Ibid., p.99-102 186

Idem., « Medical versus fiscal gatekeeping: navigating professional contingencies at the pharmacy counter », Journal of Law, Medicine and Ethics, 2014, p.531-532. 187

Idem., “The war on drugs(…)” op.cit., p.102-103. 188

Ibid., p.110-112. 189

Ibid., p.103-105.

55

Premièrement, il met en évidence la pluralité de logiques à l’œuvre dans le cadre de la profession de

pharmacien d’officine, aux Etats-Unis du moins, ainsi que les tensions pouvant résulter de leur

incompatibilité mutuelle. De ces logiques naissent des référents moraux et organisationnels, ainsi

que des schémas de lecture et des attitudes particulières qu’il s’agit de prendre en compte pour

comprendre l’économie générale de cette profession et, plus précisément, les comportements des

pharmaciens face à ce qu’ils conçoivent comme étant des risques de violence. Deuxièmement, il

identifie clairement l’une des logiques dominantes comme étant une logique de nature judiciaire,

très proche de ce que nous dénommions logique sécuritaire dans les paragraphes précédents.

L’auteur procède aux manifestations de cette logique chez les pharmaciens d’officine de certains

Etats mais en dresse également une analyse des ressorts sociologiques, certains éléments

conditionnant le développement de cette logique étant mis en évidence, de même que les

implications cognitives et comportementales induites chez les pharmaciens d’officine se conformant,

en tout ou en partie, à cette logique ou s’y opposant franchement.

Ces études attestent, selon nous, de la réalité d’une coexistence de logiques d’action

opposées, difficilement conciliables, entre lesquelles le personnel officinal est partagé. Celui-ci

semble être tiraillé en permanence entre des logiques d’aide et d’assistance au public, issues du

domaine médical et du domaine social, et une logique plus sécuritaire découlant de la nature

commerciale des pharmacies d’officine et d’une méfiance à l’égard de certains types de patients-

clients. C’est sur base de cette tension résultant de ces logiques difficilement conciliables, ainsi que

des politiques et stratégies de nature techno-préventives développées et promues par les pouvoirs

publics pour sécuriser les pharmacies d’officine, que nous développerons notre problématique et

notre question de recherche. Nous entamions ce mémoire en partant du constat apparent que les

pharmaciens d’officine semblaient, en Belgique et en général, plus exposés aux risques de violence

que d’autres catégories socioprofessionnelles et nous nous interrogions sur la magnitude de cette

exposition. Cela étant fait, nous nous interrogerons, dans la suite de cette recherche, sur les

conséquences de cette exposition aux risques de violence sur les comportements et dynamiques

professionnelles des pharmaciens d’officine, ainsi que sur leurs représentations et appréhensions de

ces risques. Notre démarche se veut compréhensive et exploratoire dans la mesure où, tout comme

Bonnet le présente brillamment dans son étude sur l’emploi de prévention situationnelle dans

certains espaces semi-publics, « il ne s’agit pas d’évaluer « l’efficacité » de ces dispositifs de

prévention situationnelle, mais de comprendre les rationalités pratiques des organisations concernées

par les politiques de sécurité, et de voir comment leur travail et les dispositifs de prévention qu’elles

utilisent permettent de définir en creux leurs problèmes, leurs enjeux et leurs objectifs."190. A cette

fin, nous formulons cette interrogation sous la forme de la question de recherche suivante, qui

déterminera la direction de la suite de notre recherche : « quelles sont les stratégies mises en place

par le personnel des pharmacies d’officine vis-à-vis des risques de violence et quelle influence

exercent-elles sur leurs dynamiques professionnelles ?».

Il n’est pas impossible, face aux risques de faire l’objet de faits violents et de vols pour les

pharmaciens d’officine et aux fortes incitations à s’en prémunir sur le plan de la techno-prévention,

que la logique commerciale et la logique sécuritaire l’emportent relativement sur la logique socio-

médicale, affectant ainsi les représentations des pharmaciens d’officine du public, des patients et

190

BONNET, François, « Contrôler des populations par l’espace ? Prévention situationnelle et vidéosurveillance dans les gares et les centres commerciaux », Politix, N°.97, 2012, p.30.

56

modifiant leurs comportements à leur égard. La pharmacie d’officine et son personnel auraient alors

tendance à se centrer sur leur propre protection, sur la réduction ou la minimisation des risques de

survenance de faits de violence, éludant ou atténuant l’ouverture physique des lieux et l’ouverture

relationnelle du personnel. Cette fermeture relative de la pharmacie d’officine et de son personnel,

le repli de celui-ci sur des bases sécurisées, si ces phénomènes sont avérés, entraîneraient

corrélativement une modification des représentations du public dans le chef du personnel officinal.

Le public pourrait être perçu en termes de risques, la notion de patient laissant la préséance à la

notion de client potentiellement dangereux, pouvant constituer une menace en puissance, un risque

pour l’intégrité physique et psychique du personnel officinal ainsi qu’un risque pour les avoirs et les

valeurs de la pharmacie. Sur un aspect plus pratique, et en accord avec les approches technologique

et situationnelle de la prévention prégnante au sein des politiques et stratégies de sécurisation des

pharmacies d’officine, le personnel officinal pourrait être amené à développer des stratégies de

protection d’inspiration techno-préventive, s’inscrivant dans le mouvement de fermeture des

pharmacies d’officine et d’appréhension du public en termes de risques que nous évoquions plus

haut. Ces phénomènes, qu’il s’agisse de la modification des représentations et des référents des

pharmaciens d’officine autant que de la modification de leurs logiques d’action et de leurs

comportements au sein de l’officine, ne constituent ici que de vagues possibilités théoriques,

certaines données empiriques et statistiques précédemment mobilisées nous laissant cependant

penser qu’elles puissent être partiellement vérifiées dans les faits. Nous ferons néanmoins de ces

possibilités théoriques nos principales hypothèses de recherche, en dépit de leur caractère

extrêmement large et de leur imprécision et de la nature inductive de notre recherche, afin de nous

aider dans l’interprétation et la mise en forme des données de terrain. Nous aborderons plus en

détail les implications méthodologiques et les aspects pratiques de cette partie de notre recherche

dans la prochaine partie de ce mémoire consacrée à la méthodologie adoptée.

57

III. Méthodologie :

A. Un recentrage sur les méthodes qualitatives :

Nous avons fait le choix de faire reposer la suite de notre recherche sur les connaissances

détenues par les acteurs de terrain à l’étude, en l’occurrence les pharmaciens d’officine. En effet, en

plus de notre volonté de dresser un état des lieux relativement précis concernant les risques de

violence et de délinquance auxquels les pharmaciens d’officine en Belgique, et ailleurs, étaient

confrontés, nous avons également émis la volonté de nous intéresser aux conséquences vécues de

ces risques. En demeurant dans une perspective méthodologique centrée sur l’analyse statistique et

l’analyse de textes officiels, les observations réalisées jusqu’à présent ont souffert de certaines

limitations épistémologiques, ne nous permettant de concevoir les risques de violence et de

délinquance s’exerçant à l’égard des pharmaciens d’officine que d’un point de vue extérieur,

objectivé et non neutre, a priori. Si nous avons d’emblée souligné l’existence de certaines limites

méthodologiques inhérentes aux méthodes statistiques, ainsi qu’aux types de statistiques que nous

avons mobilisés dans la première partie de notre recherche, nous ne nous sommes guère intéressés

à leurs limites épistémologiques et aux divers biais que celles-ci pouvaient véhiculer. En effet, comme

l’a justement signalé Groulx, en se fondant sur plusieurs décennies de critiques de l’analyse

statistique en sociologie, l’analyse statistique s’accompagne nécessairement d’un certain

« emprisonnement » des acteurs et des connaissances dont ils sont seuls dépositaires dans un

ensemble de catégories prédéfinies et utilisées à des fins administratives191. Ainsi, les statistiques

officielles, et par extension la méthode analytique leur étant liée, « ont pour seul mérite de

décontextualiser les situations et de les réinterpréter dans un langage administratif, les individus se

trouvant dès lors entièrement définis selon leur handicap, leur incapacité ou leur déficience. »192. Ces

statistiques ne refléteraient que de façon imparfaite et partielle les dimensions recouvertes par un

phénomène étudié, en en sublimant certaines à l’excès ou, à l’inverse, en en occultant d’autres193.

Citant Merton, Kitsue et Cicourel évoquaient, bien avant la vision transversale de Groulx sur les

différentes critiques formulées à l’encontre de l’analyse statistique sur base de données officielles, la

critique selon laquelle les statistiques officielles pouvaient difficilement être employées dans le cadre

d’une analyse sociologique en raison de leur mode de production vicié194. Selon Merton, ces

statistiques, dans le domaine criminel, pèchent par une définition non-sociologique de la déviance et

par une succession de couches d’erreurs d’origine organisationnelle195. Si Kitsue et Cicourel

partagent en partie le diagnostic de Merton, soulignant le caractère socialement construit des

définitions à la base des statistiques criminelles et leur institutionnalisation, ils ne remettent pas

foncièrement en cause leur valeur analytique, à partir du moment où cette nature construite est

191

GROULX, Lionel-Henri « Contribution de la recherche qualitative à la recherche sociale » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.57-58. 192

Ibid., p.58. 193

Ibid., p.58-63. 194

KITSUE, John J. & CICOUREL, Aaron V., “A note on the uses of official statistics”, Social Problems, Vol.11, N°2, 1963, p.132-134. 195

Ibid., p.133-134.

58

prise en considération196. Ces deux auteurs dressent d’ailleurs une conclusion fort juste en soutenant

que

“The question of whether or not the statistics are « appropriately organized » is not one which is

determined by reference to the correspondence between the sociologist’s definition of deviant behavior

and the organizational criteria used to compile the statistics. Rather the categories which organize a

given set of statistics are taken as given – the ”cultural definitions”, to use Merton’s term, of deviant

behavior are par excellence the relevant definitions for research. […] Thus the question to be asked is

not about the appropriateness of the statistics, but about the definitions incorporated in the categories

applied by the person of the rate-producing social system to identify, classify and record behavior as

deviant.”.197

En dépit de cette limitation épistémologique des statistiques officielles, la question que nous devons

nous poser ici est de savoir si celles-ci constituent des instruments suffisants pour atteindre les

dimensions cognitives et comportementales des acteurs sociaux que nous souhaitons étudier. Force

est de devoir admettre que non et que d’autres méthodes, d’un autre ordre, doivent être mobilisées

à leur place. C’est afin de pallier aux limites de l’analyse statistique et de l’analyse de textes que nous

avons opéré un recentrage méthodologique et épistémologique vers la recherche qualitative. Ce

recentrage répond également à certains impératifs imposés par la perspective de recherche que

nous nous sommes fixés dans notre problématique. Dans la mesure où nous souhaitons découvrir et

évaluer les comportements des pharmaciens d’officine face aux risques de sécurité, cela nécessite de

mettre en œuvre des méthodes qualitatives afin de pouvoir interroger les acteurs à ce sujet dans un

premier temps, et récolter les données brutes dont ils sont dépositaires et les transformer en

données empiriques exploitables dans un second temps. Une nouvelle orientation épistémologique

de notre recherche intervient à ce point, dans la mesure où il nous faut atteindre des sources de

savoirs inatteignables par le biais des méthodes employées jusqu’à présent et appartenant à un

domaine radicalement autre. En effet, il s’agit d’atteindre des savoirs, des concepts, des objets qui

sont sensitifs et, a priori, indéterminés. Il nous faut atteindre, afin de pouvoir réaliser complètement

notre perspective de recherche, un type de savoir qui nous est difficile d’appréhender dans la mesure

où nous n’appartenons pas au monde des acteurs sociaux que nous étudions ici198. Ce type de savoir

est sensitif, comme Groulx le soutient, dans la mesure où il correspond à la manière dont l’acteur vit

l’action et la situation auxquelles elles se rapportent199 ; néanmoins, ce type de savoir est également,

selon nous, en partie performatif dans la mesure où il ne peut se révéler que lorsque que l’acteur est

directement interrogé à ce sujet et lorsque, par ce biais, il en prend réellement conscience200. Pareil

type de savoir ne peut être atteint que par d’autres méthodes que nos méthodes d’analyse

statistique et d’analyse de textes qui objectivent, a priori et de l’extérieur, les phénomènes sociaux et

qui ne s’attachent pas à leur compréhension dans l’optique de l’acteur. Notre sujet de recherche

196

KITSUE, John J. & CICOUREL, Aaron V., “A note on the uses of official statistics”, Social Problems, Vol.11, N°2, 1963, p.134-137. 197

Ibid., p.136. 198

POUPART, Jean, « L’entretien de type qualitatif : considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.193-195. 199

GROULX, Lionel-Henri « Contribution de la recherche qualitative à la recherche sociale » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.59. 200

ANADON, Marta, « La recherche social et l’engagement du chercheur qualitatif : défis du présent », Recherches Qualitatives, N°14, 2013, p.5-14.

59

n’ayant, jusqu’à présent, reçu qu’un intérêt très faible et limité au monde anglo-saxon, nous ne

saurions demeurer dans cette optique de conceptualisation et d’analyse de données extérieure à

l’objet que nous souhaitons étudier. De surcroît, ces études ayant toutes été réalisées dans une

démarche empirique ayant recours aux analyses statistiques ou dans le cadre de projets politiques,

leur exploitation dans le cadre de la constitution de notre méthodologie de recherche aurait

inévitablement soulevé certains problèmes de compatibilité, et d’éthique scientifique même dans un

certain sens.

B. Une démarche essentiellement inductive :

Nous avons souhaité interroger les acteurs qui sont les pharmaciens d’officine, au centre de

notre objet de recherche, à propos de certaines de leurs représentations et attitudes, ainsi qu’à

propos des terrains, de l’environnement auxquels ils se rapportaient. Nous avons voulu laisser

émerger les représentations développées par ces acteurs et conduisant leurs comportements, leurs

attitudes dans le cadre de leur métier et, plus spécifiquement, dans ses aspects liés à la violence ou

aux risques de violence du moins. Pour ce faire, nous avons préféré adopter une démarche

essentiellement inductive, nous contentant de baliser légèrement le cadre de notre recherche par

une certaine problématique, comme il a pu être fait démonstration précédemment. Par démarche

inductive, nous entendons la définition classique qui a pu être donnée par plusieurs auteurs, à

l’instar de Deslauriers, et qui peut se résumer par « un mode de collecte et d’analyse de données qui

a pour but de mettre au jour les éléments fondamentaux d’un phénomène et d’en déduire [sic], si

possible, une explication universelle »201. Cressey a développé la marche à suivre pour parvenir au

développement d’une démarche inductive dans une recherche en sciences sociales. Si nous ne

développerons pas toutes ces étapes en détails202, nous pouvons néanmoins en retenir les principes

essentiels dans la mesure où nous serons amenés à les employer plus tard dans ce mémoire. Cette

démarche implique la définition d’un phénomène étudié ainsi que la formulation d’une hypothèse

provisoire visant à l’expliquer. Cette hypothèse est éprouvée et affinée, voire reformulée

complètement, jusqu’à ce que l’ensemble des cas négatifs puissent être inclus dans cette hypothèse

et expliqués par celle-ci. En somme, il s’agit de développer, par étape, des propositions explicatives

entre chaque composante d’un phénomène détaillé de façon exhaustive. Le résultat final, si la

démarche a correctement été maîtrisée et transposée dans la recherche, devrait être la formulation

d’une explication hypothétique du phénomène à l’étude, explication vérifiée par son processus

même de création dans le sens où elle a émergé des données empiriques étudiées et où elle parvient

à englober celles-ci dans leur ensemble et à leur donner une portée, a priori, universelle203.

Le choix de cette démarche est délibéré et découle de la conviction que, au regard de la

faiblesse des connaissances accumulées sur le sujet des réactions des pharmaciens d’officine aux

risques de violence, nous ne pouvions prétendre à constituer un cadre théorique suffisamment

éprouvé et cohérent pour diriger notre recherche. Le risque aurait été grand de nous donner un

semblant de cadre théorique formulé à partir d’un nombre très restreint de théories et pour

201

DESLAURIERS, Jean-Pierre, « L’induction analytique » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.295-296. 202

SUTHERLAND, Edward Hardin & CRESSEY, Donald Ray & LUCKENBILL, Daniel F., “Principles of criminology”, Rowman & Littlefield, 1997, p.82-83. 203

DESLAURIERS, Jean-Pierre, op.cit., p.297-299.

60

lesquelles nous n’aurions pu déterminer le caractère approprié ou non. Il en aurait découlé alors,

vraisemblablement, une mise en forme a priori de notre terrain et de nos objets de recherche qui

aurait entrainé une occultation de dimensions et d’aspects que nous aurions été incapables

d’anticiper. Dans un autre registre, mais constituant un danger tout aussi important pour l’intégrité

scientifique de notre recherche, il aurait été hasardeux de notre part de nous inscrire uniquement

dans le prolongement des différentes études empiriques et statistiques réalisées par des acteurs

politiques ou corporatifs telles que celles mobilisées dans les premières parties de notre recherche.

Une adhésion trop prononcée à ces recherches aurait pu induire le risque que notre méthodologie et

notre épistémologie en viennent à se calquer totalement, ou du moins fortement, sur celles

adoptées par les auteurs de ces études. Si nous ne dénigrons nullement la nature scientifique des

méthodes mobilisées dans ces études, il nous faut néanmoins prendre en compte le fait que celles-ci

s’inscrivent dans certaines optiques institutionnelles qui constituent des points de vue d’acteurs à

part entière. Dès lors, leur mobilisation sans distanciation critique pourrait induire certains transferts

pouvant biaiser ou, du moins, orienter notre recherche. Glaser et Strauss avaient été les premiers à

évoquer la possibilité d’une contamination d’une analyse par des concepts issus de théories qui ne

conviendraient pas, ou peu204. Les auteurs indiquaient que certains emprunts théoriques étaient

possibles, y compris lors des premiers temps de l’analyse où le travail de conceptualisation et de

constitution des catégories analytiques est réalisé, mais s’accompagnaient de la possibilité de

manquer l’identification de nouvelles propriétés et de créer des catégories analytiques ne

correspondant pas entièrement aux données récoltées205. Ainsi, selon eux,

« As he discovers new categories, the sociologist realizes how few kind of behaviors can be coped with

by many of our concepts, straying out of traditional research areas into the multitude of substantive

unknowns of social life that never have been touched. »206

Dès lors, ils pronostiquaient de faire usage de la théorie déjà existante et de ne l’intégrer dans

l’ensemble d’observations et d’hypothèses constituées qu’à partir du moment où elle « émerge » et

qu’elle convienne à l’ensemble des propriétés et des catégories issues des données207. A l’instar de

ces auteurs, nous optons également pour une émergence de sens à partir des données empiriques

abordée dans une perspective d’ouverture et d’orientation théorique indéfinie, cela afin de nous

donner les meilleures chances d’en appréhender au mieux la diversité.

Nous avons préféré laisser la liberté aux acteurs de terrain de livrer leurs connaissances

relatives à leurs représentations des risques de violence et à leurs comportements face à ceux-ci.

Outre que la richesse des connaissances ainsi mises au jour serait bien plus importante que dans le

cadre d’une démarche hypothético-déductive, et que le risque de biais provenant d’études

épistémologiquement orientées et non-neutres serait moindre, la démarche inductive présenterait

selon nous l’avantage supplémentaire de permettre une mise en forme, une mise en cohérence

progressive des données au fur et à mesure de leur récolte. En faisant émerger progressivement des

tendances, des régularités parmi les données récoltées, la démarche inductive nous aurait permis de

ne pas forcer l’analyse des données dans un sens théorique bien précis, déterminé préalablement à

l’étude du terrain et de l’objet de recherche. Ainsi, cette démarche offrirait deux potentialités

204

GLASER, Barney G. & STRAUSS, Anselm L., “The discovery of grounded theory: strategies for qualitative research”, Aldine Publishing Company, 1979, p. 37. 205

Ibid., p.36-38. 206

Ibid., p. 38. 207

Ibid., p.40-42.

61

intéressantes pour le type de recherche que nous souhaitons conduire. Premièrement, elle

permettrait de laisser émerger des données dont nous ne pouvons a priori cerner les limites. Il nous

est impossible, même avec une mobilisation extensive des données disponibles sur la sécurité des

pharmaciens d’officine ou d’autres professions présentant certaines similitudes avec celle-ci, de faire

ressortir un nombre suffisant de caractéristiques et de dimensions pour arriver à une

prédétermination relativement complète de notre objet de recherche. Deuxièmement, elle

permettrait la constitution progressive d’un ensemble théorique approprié, émergeant des données

empiriques, permettant d’expliquer les tendances ayant émergé des données récoltées. En ce sens,

elle permettrait de définir a posteriori les théories les plus cohérentes et les plus adaptées à la

compréhension de l’objet de recherche à l’étude, ce qui est hautement nécessaire dans notre cas.

C. Etablissement du protocole de recherche :

1. Choix de l’échelle de la recherche :

Afin de pouvoir réaliser notre recherche sur les stratégies mobilisées par les pharmaciens

d’officine face aux risques de violence, ainsi que sur les représentations sous-jacentes de ces risques,

nous avons dû constituer un protocole de recherche précis ayant impliqué plusieurs difficultés

méthodologiques. La première difficulté méthodologique a été de déterminer le niveau auquel serait

menée notre recherche, la détermination de celui-ci conditionnant de facto le terrain d’observation

que nous aurions à investiguer par la suite. S’il était manifeste, pour des raisons de faisabilité et de

moyens, que cette recherche ne pourrait être réalisée à trop grande échelle, le choix du niveau

auquel elle serait réalisée demeurait relativement étendu. En effet, plusieurs unités géographiques,

d’échelles différentes, pouvaient être utilisées comme zones délimitant notre terrain de recherche,

sans que ne soient affectées les conditions de faisabilité de notre recherche. Ainsi, le choix de

conduire notre recherche à l’échelle des Régions, des arrondissements judiciaires, d’un ensemble de

communes, d’une commune spécifique ou de quartiers appartenant à une ou plusieurs communes

s’est imposé à nous. Ce choix n’est en aucun cas trivial car il charrie de nombreuses implications pour

la recherche, tant en termes de qualités des données récoltées qu’en termes de possibilité

d’inférences des résultats obtenus. Bromberger nous donne un aperçu des différents enjeux

épistémologiques liés au choix de l’échelle de l’objet et de la recherche dans son analyse historique

de l’évolution de la question de l’échelle dans l’ethnologie en France, soulignant que chaque

changement d’échelle s’accompagne également d’un changement d’optique, le type d’analyse

réalisé sur l’objet se transformant radicalement.208

2. Justifications empiriques et théoriques de notre choix d’échelle :

Nous avons fait le choix, pour plusieurs raisons, de situer notre recherche à l’intérieur de la

Région de Bruxelles-Capitale. La raison la plus évidente est également la raison la moins motivée sur

208

BROMBERGER, Christian, « Du grand au petit. Variations des échelles et des objets d’analyse dans l’histoire récente de l’ethnologie de la France », dans CHIVA, Isac & JEGGLE, Utz (dir), « Ethnologies en miroir. La France et les pays de langue allemande », Editions de la Maison des sciences de l’Homme, 1987, p.67-94.

62

le plan théorique, car elle procède des contraintes physiques et organisationnelles qui s’imposaient à

nous et avec lesquelles nous avons dû composer. Nous trouvant face à la difficulté de pouvoir assurer

de longs déplacements en dehors de Bruxelles et de pouvoir assurer une présence suffisante dans

d’autres endroits de la Belgique pour récolter une quantité suffisante de données, il nous est apparu

préférable de conduire notre recherche au sein de cette Région. Ce choix ne procède cependant pas

entièrement des contraintes ayant pesé sur notre recherche. En effet, comme il a été fait la

démonstration dans les premières parties de notre recherche, la Région de Bruxelles-Capitale nous

est rapidement apparue comme étant une zone géographique au sein de laquelle les faits de

violence à l’égard des pharmaciens d’officine semblaient relativement nombreux en nombre absolu,

laissant penser que la perception des risques d’en être un jour victime développée par les

pharmaciens de cette Région pouvait être relativement importante. En sus de cette justification

formulée à partir de nos observations personnelles, plusieurs autres justifications théoriques et

empiriques peuvent être formulées quant au choix de la Région de Bruxelles-Capitale comme

« méta-unité de recherche ».

Sur le plan empirique, plusieurs études, principalement réalisées dans le contexte américain,

ont souligné la propension des villes, et particulièrement des grandes villes, d’être sujettes à des

niveaux importants de vols à main armée. D’aucuns ont souligné ce caractère urbain du vol à main

armée en mettant en exergue le fait que les six plus grandes villes américaines concentraient jusqu’à

un tiers du total des vols à main armée ayant cours aux Etats-Unis, présentant une corrélation nette

entre la taille des villes et le taux de vols à main armée209. L’auteur américain Cooks, à l’origine de

plusieurs études sur les facteurs influençant les taux de vols à main armée aux Etats-Unis, a mis en

évidence l’influence de la densité de population sur les taux de vols à main armée210, désignant ce

phénomène criminel comme étant « urbain par essence »211. D’autres auteurs américains ont appuyé

cette thèse d’une influence de facteurs démographiques et géographiques sur les taux de vols à main

armée, soulignant que près de 96% des vols à main armée survenaient au sein de zones

métropolitaines, c’est-à-dire au sein de territoires accueillant plus de 50.000 habitants212, et que la

grande majorité des petites villes de moins de 10.000 habitants échappaient totalement ou quasi

totalement à ce phénomène.213 Bien que ce type d’étude soit bien moins répandu en Europe qu’aux

Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon, certains auteurs ont également concouru à la défense de

la thèse d’un lien entre démographie urbaine et taux de vols à main armée dans le contexte des Etats

européens. Ainsi, analysant la distribution de la criminalité entre plusieurs provinces italiennes,

certains auteurs ont également établi l’existence d’apparentes fortes corrélations entre

l’urbanisation, la densité de population et les taux de vols à main armée214. Ce premier ensemble

d’études nous a convaincu que le choix de Bruxelles-Capitale, en tant que Ville-Région, pour étudier

les conséquences des faits de violence à l’égard des pharmaciens d’officine était empiriquement

fondé, les grandes villes semblant présenter un nombre de faits de violence plus élevé que dans des

209

HAGAN, Frank E., “Introduction to criminology: theories, methods, and criminal behavior”, SAGE Publications, 2012, p.229. 210

COOK, Philip J., “Robbery in the United States: an analysis of recent trends and patterns”, National Institute of Justice, 1983, p.11-12. 211

Ibid., p.11. 212

Federal Bureau of Investigation, “Crime in the United States 2004. Uniform Crime Reports”, 2004, p.32. 213

Ibid., p.34. 214

SOLIVETTI, Luigi M., “Old and new criminality: territory, society and immigration in Italy”, in CANEPPELE, Stefano & CALDERONI, Francesco (eds), “Organized crime, corruption and crime prevention: essays in honor of Ernesto U. Savona”, Springer Science and Business Media, 2013, p.105-107.

63

villes de moindre importance. Si Bruxelles-Capitale s’inscrit bien dans cette tendance, il se pourrait

bel et bien que la propension des pharmaciens d’officine y travaillant soit relativement plus

importante, rendant dès lors le terrain a priori plus riche en termes d’expériences vécues et

d’appréhensions des risques de faits de violence par les acteurs de terrain.

Certaines théories viennent confirmer ces observations de nature exclusivement empiriques.

Si certains sociologues ont rejeté la théorie d’une association entre criminalité et taille de population,

d’autres ont, au contraire, suivi cette théorie et ont entrepris d’en démontrer la validité. Au regard

du volume d’études réalisées à partir de cette théorie, nous n’en citerons que quelques-unes à des

fins illustratives et, surtout, afin d’offrir une base de justification théorique à notre choix de

Bruxelles-Capitale comme « méta-unité de recherche » pour mettre à l’épreuve notre question de

recherche. Etudiant le phénomène d’urbanisation aux Etats-Unis dans le courant des années 1930,

Wirth soutenait déjà que certaines propriétés de ce phénomène pouvaient influer fortement sur les

modes de vie de chacun et sur les rapports sociaux se nouant entre individus215. Ainsi, la taille de la

population, de même que la densité de population et l’hétérogénéité sociale tendent, selon lui, à agir

de concert pour transformer radicalement le mode d’interaction et les rapports sociaux traditionnels

liant les individus216. Ces transformations des structures sociales et des modes d’interaction

traditionnels s’accompagnent de nouveaux comportements collectifs et d’évolution des consciences

pour nombre de nouveaux citadins. Face à un affaiblissement des mécanismes de solidarité

traditionnels ainsi que de mécanismes de contrôle institutionnels, et à de nouveaux types de

problèmes d’ordre social ou économique, certaines franges de la population citadines pourraient se

voir contraintes à de nouvelles formes de collaborations afin d’œuvrer dans leur intérêt et

pourraient, entre autres, être amenées à la déviance et au crime dans des proportions bien plus

grandes qu’en milieu rural217. Shaw, dans une perspective plus expérimentale, s’est inscrit dans la

continuité de la réflexion théorique de Wirth. Plus spécifiquement, cet auteur a tenté de déterminer,

au travers d’une étude sur la criminalité au Minnesota, si les taux de criminalité enregistrés

pouvaient être liés à certaines caractéristiques démographiques218. A l’issue de son étude de 87

comtés de cet Etat, Shaw concluait que les comtés les plus peuplés et les plus urbanisés tendaient

également à présenter des taux de criminalité plus importants219. Braithwaite avait également

soutenu sur le plan théorique, et démontré empiriquement, une thèse similaire voulant que la taille

d’une ville soit proportionnelle à son taux de criminalité enregistré220. En mettant en avant divers

facteurs propres à la vie en milieu urbain, tels que l’anonymat des individus et le faible degré de

contrôle social interindividuels221, Braithwaite est parvenu à la conclusion théoriquement motivée et

empiriquement démontrée que les Etats et les villes les plus peuplés semblaient enregistrer des taux

de criminalité plus élevés qu’ailleurs222.

215

WIRTH, Louis, « Urbanism as a way of life », The American Journal of Sociology, Vol.44, N°1, 1938, p.1-3. 216

Ibid., p.10-18. 217

Ibid., p.22-23. 218

SHAW, Van B., “Relationship between crime rates and certain population characteristics in Minnesota counties”, Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.40, N°1, 1949, p.43. 219

Ibid., p.45-49. 220

BRAITHWAITE, John, “Population growth and crime”, Australian & New Zealand Journal of Criminology, 1975, p.57-58. 221

Ibid., p.57. 222

Ibid., p.58-60.

64

3. Sélection des terrains de recherche :

Au-delà de la détermination de cette « méta-unité de recherche » dans lequel allait se tenir

notre recherche, nous avons dû déterminer avec plus de précision les différents lieux à partir

desquels seraient prélevées nos données empiriques. Si, dans un premier temps, nous avons songé à

couvrir l’ensemble des communes de la Région-Bruxelles Capitale afin d’obtenir des résultats

reflétant la diversité d’expériences et de points de vue des pharmaciens d’officine de cette Région,

cette possibilité fut rapidement écartée. Les faits de violence à l’égard des pharmacies d’officine et

de leur personnel n’étant certainement pas distribués de façon relativement égale parmi les

différentes communes de la Région, voire même entre différents quartiers d’une même commune, la

volonté de couvrir l’ensemble du territoire de la Région Bruxelles-Capitale se justifiait difficilement.

Un risque corrélatif à la volonté de couvrir l’ensemble de la Région était de multiplier la probabilité

d’obtenir des points de vue « non-pertinents », ou du moins complètement étrangers à notre sujet

de recherche, en incluant un grand nombre de pharmaciens d’officine qui ne se seraient pas sentis

concernés par les risques de violence ou qui n’en auraient jamais fait l’expérience concrète. Si nous

ne nous sommes pas positionnés dans l’optique de récolter des expériences et des points de vue

intrinsèquement liés à la violence subie et aux risques de violence, désirant au contraire confronter

une grande variété de points de vue divergents, nous ne pouvions prendre le risque de sélectionner

au hasard des acteurs de terrain sur le seul critère de leur appartenance à une commune de la

Région de Bruxelles-Capitale, le risque étant trop grand, par cela, que nous portions atteinte à la

diversité à l’intérieur de notre échantillonnage.

Pour tenter d’atténuer ce risque, nous avons décidé de procéder à une sélection des

pharmacies devant intégrer notre échantillon en deux étapes, allant vers un degré de sélectivité et

de précision de plus en plus important. Nous avons décidé de recourir à certains indicateurs

socioéconomiques et démographiques pour lesquels plusieurs instituts bruxellois ont accumulé et

compilé des données. Parmi l’ensemble des indicateurs disponibles nous avons choisi deux

indicateurs socioéconomiques, à savoir les revenus médians par déclaration de ménage223 et la part

des 18-64 bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale224, ainsi qu’un indicateur démographique à

savoir la densité de population par commune et par quartier225. Si nous ne nous situons pas dans un

raisonnement étiologique ou déterministe où ces facteurs constitueraient des éléments

conditionnant la commission de faits délictueux et de faits de violence à l’égard des pharmacies,

nous pensons néanmoins que ces indicateurs sont susceptibles de nous permettre de resserrer notre

sélection des terrains de recherche afin d’inclure des terrains présentant des situations

socioéconomiques et sociodémographiques contrastées, mais également des situations où des

facteurs pouvant influer sur le passage à l’acte délinquant sont présents. Si les enseignements de

Wirth laissaient déjà présager les théories de la désorganisation sociale et, plus généralement, à

l’ensemble des théories appartenant à l’Ecole de Chicago et se rapportant à l’étude des déterminants

223

Observatoire de la santé et du social Bruxelles, «Table ronde rapport pauvreté 2014. 3 mars 2015. Baromètre social 2014 », 2015, p.15. 224

Institut Bruxellois de Statistique et d’analyse, « Part des 18-64 ans bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale 2007 (%) », consulté en ligne le 12/07/2015 sur https://monitoringdesquartiers.irisnet.be/maps/statistiques-revenus-bruxelles/condition-sociale-region-bruxelloise/part-18-64-ans-revenu-integration-sociale/0/2007/ 225

Idem, « Densité de population 2012 (hab/km²) », consulté en ligne le 12/07/2015 sur https://monitoringdesquartiers.irisnet.be/maps/statistiques-population-bruxelles/densite-region-bruxelloise/densite-de-population/1/2012/

65

socio-économiques de la criminalité, c’est véritablement Shaw et McKay à qui l’on doit la formulation

de la première théorie d’ensemble à ce sujet. Fondant leur étude de référence sur la délinquance

juvénile dans les espaces urbains, les deux auteurs notaient l’existence d’une relation apparente

entre précarité socioéconomique et criminalité, en soutenant en ces termes que

“It may be observed, in the first instance, that the variations in rates of officially recorded delinquents

in communities of the city correspond very closely with variations in economic status. The communities

with the highest rates of delinquents are occupied by those segments of the population whose position

is most disadvantageous in relation to the distribution of economic, social, and cultural values. Of all

the communities in the city, these have the fewest facilities for acquiring the economic goods indicative

of status and success in our conventional culture.”226

Afin d’expliquer ce phénomène, Shaw et McKay ont soutenu l’existence de systèmes de valeurs et

de modes de socialisation, ou d’organisation sociale plutôt, à l’œuvre dans différentes communautés

au sein d’un même cadre urbain227. Si dans certaines communautés sociales la conjonction de ces

systèmes de valeurs et de ce mode d’organisation sociale inhibent les comportements délictueux,

dans d’autres l’effet est inverse228. En dépit de l’ancienneté de cette théorie, plusieurs auteurs ont

successivement entrepris d’en revérifier les postulats et les principaux aspects, assurant ainsi son

enrichissement scientifique et sa longévité229. Merton, dans sa théorie de l’anomie, a soutenu

également que la situation socioéconomique d’un individu pouvait influer sur sa propension à

développer des comportements déviants, tout en soutenant cependant qu’elle ne constituait qu’une

variable parmi un ensemble interdépendant de variables sociales et culturelles230. A ce titre, Merton

soulignait l’importance pour les sociologues de ne pas se laisser tenter par des explications simplistes

et étiologiques des corrélations entre pauvreté et criminalité, soutenant que

“Poverty as such, and consequent limitation of opportunity, are not sufficient to induce a conspicuously

high rate of criminal behaviour. Even the often mentioned “poverty in the midst of plenty” will not

necessarily lead to this result. Only insofar as poverty and associated disadvantages in competition for

the culture values approved for all members of the society is linked with the assimilation of a cultural

emphasis on monetary accumulation as a symbol of success is antisocial conduct a “normal” outcome.

[…] It is only when the full configuration is considered, poverty, limited opportunity and a commonly

shared system of success symbols, that we can explain the higher association between poverty and

crime in our society than in others where rigidified class structure is coupled with differential class

symbols of achievement.”.231

Forts de ces enseignements nous avons sélectionné, dans cette première étape fondée sur la

triangulation des données obtenues grâce à ces indicateurs, quatre communes bruxelloises

présentant des situations contrastées en termes de niveaux de revenus, d’intégration sociale et de

densité de la population. Ces communes peuvent être classées en différentes catégories selon nous.

226

SHAW, Clifford R. & MCKAY, Henry, D., “Juvenile delinquency in urban areas” in CULLEN, Francis T. & AGNEW, Robert (eds), “Criminology theory: past to present. Essential readings. Fourth edition”, Oxford University Press, 2011, p.99. 227

Ibid., p.99-104. 228

Ibid., p.103-104. 229

CULLEN, Francis T. & AGNEW, Robert, “The Chicago School: the city, social disorganization, and crime” in CULLEN, Francis T. & AGNEW, Robert (eds), “Criminology theory: past to present. Essential readings. Fourth edition”, Oxford University Press, 2011, p.91-93. 230

MERTON, Robert K., “Social structure and anomie”, American Sociological Review, Vol.3, N°5, 1938, p.680-681. 231

Ibid., p.681.

66

Dans une première catégorie nous pouvons retrouver les communes où se concentrent un nombre

important d’habitants et qui présentent, en majorité, une situation socio-économique relativement

précaire, les indicateurs socioéconomiques indiquant qu’une part importante de la population

bénéficient de revenus d’intégration sociale et que les revenus médians sont faibles. Nous avons

sélectionné, parmi ces communes, les communes de Molenbeek-Saint-Jean et d’Anderlecht. Si

d’autres communes s’offraient à notre choix et auraient également pu être sélectionnées afin

d’isoler des terrains de recherche précis, nous avons fait le choix de ces deux communes

spécifiquement par un mélange d’hasard et d’une relative connaissance de certaines parties de ces

communes. S’il y a indéniablement une part d’arbitraire dans le choix des communes, même s’il est

aiguillé par l’usage d’indicateurs précis, nous l’assumons et le signalons d’emblée comme limite

potentielle à notre procédure de sélection. La deuxième catégorie de commune ne contient qu’une

seule commune dont l’importance est centrale, tant en raison de son positionnement géographique

qu’en raison de ses propriétés socio-économiques et sociodémographiques. Il s’agit de la commune

de Bruxelles-Ville dont nous ne pouvions faire abstraction pour les raisons précédemment évoquées.

Cette commune a la particularité de présenter des situations très contrastées entre ses différents

quartiers, contenant tant des quartiers que l’on pourrait qualifier de « huppés » ou de quartiers

riches, que des quartiers que l’on pourrait qualifier de défavorisés ou de quartiers pauvres, au regard

des valeurs affichées par nos indicateurs. Ces valeurs extrêmement inégales témoignent de

l’existence de situations très différentes pour les acteurs, pouvant se traduire, a priori, par des

représentations subjectives contrastées. La dernière catégorie de communes ne regroupe également

qu’une seule commune dont les indicateurs témoignent d’un niveau de richesse et d’une qualité de

vie relativement élevée sur la très grande partie de son territoire. Il s’agit de la commune d’Ixelles

que nous avons sélectionné afin de constituer un groupe de pharmaciens d’officine expérimentant, a

priori, des conditions de travail et des rapports aux risques de violence plus avantageux que ceux

expérimentés par les groupes issus des autres communes sélectionnées, faisant office de groupe

contrôle dans notre recherche.

La seconde étape de la sélection de nos terrains de recherche a nécessité un degré de

précision plus important, dans la mesure où il s’agissait, dans ces quatre communes, de sélectionner

les pharmacies d’officine au sein desquelles nous réaliserions les entrevues avec le personnel

officinal. Nous avons également tenté de suivre, dans la mesure du possible, les valeurs affichées par

nos trois indicateurs pour les différents quartiers de ces communes. Si ces indicateurs ont pu,

pendant un temps, nous permettre d’isoler certains quartiers potentiellement intéressants au regard

de leur situation socio-économique et sociodémographique, cette méthode a rapidement rencontré

des limites dans son application concrète. En effet, ayant constitué des listes de pharmacies

d’officine potentiellement intéressantes à étudier dans différents quartiers et ayant tenté

d’interroger les pharmaciens y travaillant, nous avons été rapidement confronté à un nombre de

refus important ayant comme conséquence immédiate de rendre ces listes inutiles, ne pouvant les

suivre dans leur ensemble et ne pouvant en garantir la cohérence d’ensemble. En conséquence du

fait que cette partie de notre protocole de constitution de notre échantillon n’ait pas fonctionné tel

que nous le désirions, nous avons été contraints d’innover. A partir des adresses que nous avions

isolées dans un premier temps, et où nos demandes d’entrevue avaient été déclinées par le

personnel officinal, nous avons entrepris de rechercher d’autres pharmacies d’officine dans des

quartiers connexes en procédant par une visite de ces quartiers en suivant des cercles concentriques.

Chaque pharmacie rencontrée était notée et une demande d’entrevue était adressée au personnel y

67

travaillant. Cet exercice était répété jusqu'à ce que le personnel officinal de l’une de ces pharmacies

accepte notre demande d’entrevue ; dans ce cas nous considérions que nous avions obtenu des

données exploitables pour le quartier originellement visé, à moins que notre procédé alternatif de

sélection ne nous ait contraints à trop nous en éloigner, et que ces données étaient représentatives

de la réalité vécue par les pharmaciens d’officine de ce quartier. Ce procédé a été appliqué tout au

long du processus de sélection des pharmacies d’officine constituant notre échantillon d’étude et n’a

pas connu de défauts majeurs en dépit de son caractère très improvisé et l’incertitude qu’il

impliquait.

4. Caractéristiques de l’échantillon constitué :

Notre échantillon d’étude a présenté, dans sa version définitive, les caractéristiques

suivantes. Douze pharmacies d’officine ont été sélectionnées parmi les quatre communes choisies

dans la Région Bruxelles-Capitale. Parmi ces douze pharmacies d’officine trois provenaient de

différents quartiers de la commune d’Ixelles, deux provenaient de la commune de Molenbeek-Saint-

Jean, de même que deux provenaient de la commune d’Anderlecht. Les cinq pharmacies restantes

provenaient de différents quartiers de la commune de Bruxelles-Ville. Comme nous le précisions

précédemment, nous avons veillé à ce que chaque pharmacie d’officine sélectionnée appartienne à

un quartier en particulier. Nous avons veillé à ne pas interroger des pharmaciens issus de mêmes

quartiers, cela afin d’éviter les répétions d’expériences ou de faits ayant concerné tout un quartier et

le risque de données trop similaires. Les pharmacies sélectionnées ne sont dès lors pas issues de

quartiers proches les unes des autres et présentent toutes une distance importante entre elles. Le

nombre de pharmacies sélectionnées par commune répond tant à une limite pratique qu’à un

raisonnement fondé sur certains paramètres sociodémographiques. En effet, au vu de notre temps

limité pour constituer notre échantillon et réaliser nos entrevues, ainsi qu’en raison de l’important

nombre de refus d’entrevue que nous nous sommes vus signifier, nous avons préféré nous limiter à

un nombre total d’entrevues relativement restreint. Nous avons néanmoins tenté de répartir ces

entrevues entre les différentes communes sélectionnées en fonction de leur poids démographique

relatif, bien que cette règle n’ait pas été appliquée de manière stricte. Cette règle a surtout été

d’application dans la constitution du contingent de pharmacies d’officine de la commune de

Bruxelles-Ville, dans la mesure où nous avons veillé à ce qu’un plus grand nombre de pharmacies

appartenant à cette commune soit inclus dans notre échantillon. En ce qui concerne les trois autres

communes, celles-ci étant d’un poids démographique relativement similaire et d’une importance

égale à nos yeux, nous avons tâché de maintenir un équilibre entre leurs contingents respectifs de

pharmacies d’officine, le nombre de pharmacies appartenant à la commune d’Ixelles étant

relativement proche de celui appartenant aux communes d’Anderlecht et de Molenbeek-Saint-Jean

combinées. La taille relativement plus importante du contingent de la commune d’Ixelles s’explique

principalement par le fait qu’il occupe la fonction de contingent de contrôle, les pharmacies

d’officine s’y trouvant, évoluant dans un environnement socioéconomique et démographique

radicalement différent de ceux s’appliquant aux pharmacies des autres contingents et devant donc, a

priori, générer des résultats forts différents de ceux qui seront obtenus pour les autres contingents.

En nous basant sur la typologie des officines faisant autorité dans le secteur pharmaceutique232, nous

avons choisi de nous focaliser uniquement sur les pharmacies de quartier et de centre-ville, à

232

CHARLAS, Cédric, « Le guide de l’officine de pharmacie. Management », Publibook, 2009, p.21-22.

68

l’exclusion des pharmacies de centre-commercial qui constituent un cas particulier au regard de leur

taille et de leur implantation dans une vaste structure commerciale.

Au niveau du nombre et des caractéristiques des pharmaciens d’officine faisant partie de cet

échantillon, nous nous sommes donné comme consignes de base d’interroger un pharmacien, ou

membre du personnel officinal au sens large, par pharmacie sélectionnée, de même que nous

souhaitions conserver des proportions relativement égales entre hommes et femmes. Ces deux

consignes, en dépit de leur simplicité apparente, ont posé rapidement d’importants problèmes qui

nous ont suivis tout au long de la constitution de notre échantillon. Premièrement, il s’est

rapidement avéré que les pharmaciens d’officine ayant accepté de donner suite à notre demande

d’entrevue ne constituaient pas des acteurs dépourvus de revendications relatives au déroulement

des entrevues et acceptant, d’emblée, de se plier au pouvoir de l’enquêteur de définir les règles de

l’entrevue. Ainsi il est arrivé que, dans plusieurs cas, les pharmaciens d’officine interrogés fassent

intervenir d’autres membres du personnel officinal dans le cadre de l’entrevue ou que ces derniers

entrent, eux-mêmes, dans l’entrevue en cours en prenant l’initiative d’intervenir ou de répondre à

une question qu’ils avaient entendue. Ainsi, à titre d’illustration, l’assistante pharmacienne avec qui

nous avions convenu notre première entrevue nous imposa, de facto, la participation de son collègue

à l’entrevue en lui proposant de venir y assister et de répondre également aux questions. Au final, au

lieu des douze pharmaciens d’officine ou autre membre du personnel officinal que nous avions

initialement prévus d’interroger, nous en avons interrogé trois de plus, quoiqu’à des niveaux très

inégaux de participation, portant le nombre total de personnes interrogées à quinze.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’équilibre relatif entre les sexes au sein de notre

échantillon, la difficulté est venue du fait que nous ne pouvions pas connaitre le sexe de la personne

susceptible de répondre à nos questions avant d’entrer dans la pharmacie d’officine. De plus, la

possibilité existait également que la personne à qui nous demandions une entrevue accepte notre

demande mais se fasse remplacer par un ou une collègue à la dernière minute à cause d’une tâche

urgente à effectuer ou, comme nous en faisions mention précédemment, qu’elle se fasse

accompagner par quelqu’un d’autre. Dès lors nous n’avons eu que peu de contrôle sur cette variable

au sein de notre échantillon, nous contentant d’essayer au maximum de renverser les déséquilibres

entre les proportions de chaque sexe lorsque ceux-ci menaçaient de trop se creuser, avec le peu de

contrôle dont nous disposions pour ce faire. Au final nous sommes parvenus à un quasi équilibre

entre proportions d’hommes et de femmes au sein de notre échantillon, celui-ci se composant de

sept hommes et de huit femmes. Le même type de difficulté s’est posée lorsque nous avons envisagé

la variable des différents statuts. Si nous avions pleinement conscience que le personnel officinal se

répartissait entre différents statuts professionnels, allant de l’assistant pharmacien au pharmacien

titulaire, il nous aurait été difficile, voire impossible, de contrôler les proportions de personnes

interrogées appartenant aux différents statuts existants. En effet, au regard des rapports de

collaboration relativement difficiles à mettre en place entre nous et les pharmaciens abordés, nous

ne trouvions pas en position pour imposer de telles conditions, et pour requérir de pouvoir

interroger un profil bien précis de membre du personnel de l’officine. Bien souvent d’ailleurs, les

entrevues réalisées n’ont pu l’être que grâce à la délégation de tâches par le pharmacien interrogé à

ses employés subordonnés, les assistants pharmaciens prenant à leur charge la gestion de la

pharmacie pendant la durée de l’entrevue. Néanmoins, la répartition des statuts au sein de notre

échantillon ne souffre pas de profonds déséquilibres ; en effet, nous sommes parvenus à rassembler,

sur les quinze personnes interrogées, huit pharmaciens titulaires, deux gérants et cinq assistants

69

pharmaciens. Soit au final, si nous resserrons les catégories ainsi constituées, huit pharmaciens

titulaires/propriétaires et sept employés, de statuts différents cependant.

70

IV. Analyse des données empiriques:

Cette seconde partie de notre mémoire sera consacrée à l’analyse des données issues des

différentes entrevues réalisées auprès de pharmaciens d’officine de la Région Bruxelles-Capitale,

selon la méthodologie que nous avons détaillée précédemment. Cette partie se décomposera en

différents grands points que nous allons rapidement introduire ici à des fins de clarté. Si ces

différents points nous amènerons à aborder de nombreux éléments forts différents les uns des

autres liés aux représentations et aux attitudes des pharmaciens par rapport aux risques de violences

et d’agressions, gardons à l’esprit que ceux-ci doivent nous permettre de mettre en exergue les

stratégies développées par les pharmaciens d’officine vis-à-vis de ces risques et les effets de celles-ci

sur leurs logiques et comportements professionnels. Cela étant dit, notre démarche de recherche

inductive nous amènera certainement à faire surgir des résultats connexes, plus ou moins liés à notre

question de recherche mais nous permettant d’enrichir notre compréhension des représentations

des risques de violence chez les pharmaciens.

Il en va ainsi particulièrement pour le contenu du premier grand point de notre analyse qui

portera sur les expériences de victimisation et sur les représentations des risques de violence au sein

de notre échantillon de pharmaciens d’officine. Bien que les données présentées dans ce premier

grand point ne permettent pas directement de répondre à notre question de recherche, elles offrent

néanmoins la possibilité d’explorer en détails les conceptions subjectives des risques de violence et

des figures de la violence créées par les pharmaciens d’officine, nous amenant ainsi à saisir celles-ci

au travers de la vision des acteurs du terrain grâce à leurs expériences et non plus seulement au

travers de statistiques. Une fois ces représentations établies et analysées, nous aborderons les

conséquences de ces risques de violence ainsi que les attitudes et comportements qui en dérivent

chez les pharmaciens d’officine. C’est au sein de ces différents points que nous trouverons les

stratégies développées par ceux-ci pour prévenir et répondre aux différents types de risques de

violence identifiés. Ainsi, le second grand point sera consacré aux diverses stratégies développées

par les pharmaciens d’officine à l’égard du principal type de violence identifié, à savoir le vol à main

armée, ainsi qu’aux différentes conséquences induites par ce type de violence sur les personnalités

des pharmaciens et sur leurs attitudes professionnelles. Nous tenterons de déterminer les

différentes manières de réagir vis-à-vis des risques de vol à main armée, ainsi que les possibles

transformations du mode d’interaction avec la patientèle des pharmacies d’officine que ces

différentes formes de réactions pourraient entraîner.

A. Victimisation et représentations des risques de violence :

1. L’évaluation de la profession de pharmacien d’officine en termes de risques de

sécurité :

71

a. Une profession très exposée aux risques de violence :

Les pharmaciens d’officine interrogés dans le cadre de nos entrevues ont manifesté des

représentations divergentes de l’exposition de leur profession aux risques de violence et de la

dangerosité de celle-ci. Rapidement, de nombreux pharmaciens d’officine interrogés nous ont fait

part d’une conception générale de leur métier où les risques de violences et d’agressions occupaient

une position importante, voire centrale. Pour ces pharmaciens, le métier de pharmacien d’officine

n’est pas simplement considéré comme dangereux en soi, il est également comparé à d’autres

professions jugées moins exposées aux risques de violence, donnant lieu à une certaine

hiérarchisation de professions en termes d’exposition aux risques de violence, hiérarchisation où le

métier de pharmacien d’officine serait le plus exposé, ou du moins l’un des plus exposés. Interrogée

sur sa conception du métier de pharmacien d’officine sur le plan de la sécurité, Sylvie, assistante

pharmacienne dans la commune d’Ixelles, développe cette conception du métier de pharmacien

d’officine comme étant relativement plus exposé aux risques de violence que d’autres métiers :

Sylvie : « …Je ne sais pas…moyen. Par exemple, dans tous mes copains, dans tous les métiers de mon

entourage, des gens de mon âge…élevé. Si je me compare à des profs, si je me compare à…à un avocat

dans son cabinet, si je me compare à…dans mes copains, j’ai l’impression d’être une personne à risques

et je ne le vis pas toujours comme ça en même temps. ».

Jean, pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht, s’inscrit également dans cette

conception du métier de pharmacien d’officine comme un métier plus exposé aux risques de

violence ; interrogé, lui aussi, sur sa vision de son métier sur le plan de la sécurité, celui-ci nous

répond qu’il le considère :

Jean : « Comme l’un des métiers les plus dangereux… [rire] C’est triste mais euh…je crois que…avant

c’était stations-service, librairies et pharmacies, stations-service c’est fini parce que tout se fait de

manière automatique…et donc il reste pharmacies et librairies. Et d’après moi si on regarde les

statistiques ça fait partie des commerces les plus attaqués…donc on a un métier dangereux pour lequel

au départ on est pas du tout formé. »

Dans une perspective légèrement différente, certains pharmaciens ont également souligné

que l’exposition de leur métier aux risques de violence n’a fait que se renforcer au cours du temps,

rendant celui-ci de plus en plus dangereux pour ceux qui l’exercent. Evoquant ce renforcement des

risques de violence dans sa profession, Chantale, gérante de pharmacie dans la commune de

Bruxelles-Capitale, ne parvient néanmoins pas à y trouver une explication rationnelle :

Chantale : « Je pense oui que c’est un métier qui devient plus risqué, oui…oui mais je ne comprends

pas pourquoi, il n’y a pas plus d’argent chez nous que chez le boucher…le boucher ici plus loin il a

certainement des caisses plus importantes que moi le soir, mais je ne sais pas. »

a. Une relativisation de l’exposition de la profession aux risques de violence :

Ces trois pharmaciens précédemment cités convergent dans une conception de leur

profession où les risques de violence sont extrêmement prégnants, traduisant une réelle crainte de

faire l’objet de violence dans le cadre de l’exercice de leur métier. Cependant, d’autres pharmaciens

ont développé une conception de leur métier en termes d’exposition aux risques de violence plus ou

moins nuancée par rapport à la conception précédente. Ainsi, selon certains pharmaciens interrogés,

72

le métier de pharmacien d’officine ne serait pas plus exposé aux risques de violence que d’autres

métiers, même si les risques de violence conservent toute leur réalité. Ces risques sont d’autant plus

réels que, en raison de la sécurisation d’autres cibles potentielles pour les délinquants et auteurs de

faits violents, la violence se déplacerait vers des cibles plus vulnérables telles que les pharmacies,

entre autres. Linh, pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville, explique cette

conception en ces termes :

Linh : « Non parce que libraire c’est le même problème. C’est des…c’est des petites pharmacies, des

petits commerces où il y a une personne ou deux qui…où il n’y a pas beaucoup de systèmes, enfin les

banques sont maintenant tellement sécurisées qu’il n’y a plus moyen alors ils visent les petits

commerces et ceux qui sont…il n’y a pas que les pharmacies, il y a tous les petits commerces, enfin les

petits commerçants…les « night shops » je suppose qu’ils ont des problèmes aussi donc…donc voilà. »

Dans le cadre de cette conception plus relativiste, plus nuancée que la conception plus

radicale que nous présentions dans sous-point précédent, le métier de pharmacien d’officine

s’accompagne toujours d’une forte exposition aux risques de violence mais uniquement parce qu’il

constitue une cible potentielle facilement atteignable, à l’instar de nombreux autres types de

commerces. Si ce métier est donc un métier qui demeure dangereux, il n’impliquerait pas une

quelconque spécificité qui le rendrait intrinsèquement plus exposé aux risques de violence.

D’autres pharmaciens ont encore été plus loin dans la relativisation de l’exposition de leur

métier aux risques de violence, s’écartant radicalement d’une représentation globale de la sécurité

de leur profession, et prenant appui sur leur seule expérience personnelle au sein de leur pharmacie.

Dans pareils cas, seule semble réellement importer l’expérience personnelle des risques de violence,

les pharmaciens concernés ne se prononçant pas explicitement sur la sécurité en général de leur

exposition ou sur l’exposition de cette dernière à des risques de violence. Même s’ils n’en font pas

mention explicitement, leur expérience personnelle de la violence et leur appréhension personnelle

des risques de violence semblent être les éléments réellement importants. Dans certains cas même,

ces pharmaciens semblent projeter leurs expériences des risques de violences et d’agressions sur la

profession dans son ensemble, considérant peut-être, implicitement, que ces expériences sont

représentatives de ce à quoi la majorité des pharmaciens d’officine est confrontée.

Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Bah moi je trouve que c’est

assez sûr [le métier de pharmacien], moi j’ai pas beaucoup de problèmes de sécurité, je vais vous dire

moi j’emploie pas de guichet de garde c’est déjà pour vous dire hein. »

S’il semble manifeste que la majorité des pharmaciens d’officine interrogés considère que

leur profession implique des risques certains de violence, il s’agit de nous intéresser à quoi cette

notion de violence renvoie. En effet, nous avons jusqu’à présent isolé certains types de faits

délictueux affectant les pharmaciens d’officine et les avons identifiés comme des risques de violence

auxquels ceux-ci étaient exposés, cependant nous avons réalisé cet exercice par le biais de méthodes

statistiques très éloignées du vécu des acteurs de terrain. Il s’agira maintenant d’analyser, au travers

des données issues des entrevues réalisées avec les pharmaciens d’officine, ce que ceux-ci identifient

subjectivement comme des risques de violence voire même, plus généralement, ce à quoi la notion

de violence renvoie chez eux.

73

2. Le vol à main armée comme principale forme de violence expérimentée par les

pharmaciens d’officine :

Sans réel étonnement, la très large majorité des pharmaciens d’officine interrogés a désigné

le vol à main armée, le braquage, comme étant le principal type de violence auxquels les

pharmaciens étaient confrontés dans le cadre de leur métier. Spontanément, lorsque ceux-ci ont

abordé la place de la sécurité dans leur métier, les pharmaciens d’officine ont indiqué que le principal

risque de violence pesant sur leur établissement était celui du braquage, mentionnant également

souvent le fait qu’ils ont été victimes à répétition de braquages ou de tentatives de braquage. Ainsi, il

n’est pas inutile de mentionner le fait que, sur quinze membres du personnel officinal interrogés,

neuf ont indiqué avoir déjà fait l’objet d’un ou de plusieurs braquages ou de tentatives de braquage

au cours de leur carrière, confirmant l’importance que l’on devinait de ce type de violence. Dernière

observation relative à la victimisation de nos pharmaciens par des braquages, sur ces neuf personnes

deux d’entre elles ont rapporté avoir fait l’objet de violences physiques à l’occasion d’un braquage,

en laissant l’une d’entre elles dans une profonde détresse psychologique et en occasionnant des

blessures physiques permanentes pour l’autre. Pour la quasi-totalité des pharmaciens d’officine

interrogés, le braquage constitue donc la figure de la violence par excellence, celle-ci étant du moins

celle à laquelle ils font d’emblée référence et qui occupe le plus de place dans leurs récits. Dès les

premiers moments des entrevues, ces deux pharmaciens d’officine nous ont confié :

Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Ben c'est-à-dire que...malgré que le

quartier ait une très mauvaise réputation...je n'ai jamais eu aucun problème mais ces trois dernières

années j'ai quand même eu plusieurs braquages...donc c'est vrai que, mais c'est pas des gens du

quartier...donc c'est, mais comme c'est près de la Gare **** et que c'est une fuite assez facile...j'ai

quand même eu trois attaques assez, dont deux à main armée et une à l'arme blanche, donc ça, ça

refroidit un peu... »

Chantale [gérante de pharmacie dans la commune Bruxelles-Ville] : « Oui, ben moi je suis

retombée de haut, de très, très haut parce que j’ai…j’ai presque trente-cinq ans de carrière et…je…j’ai

été braquée deux fois, pour la première fois fin janvier, fin février. Auparavant, à la pharmacie où je

travaillais à Woluwe Saint-Pierre, on a été…on a été volé, enfin braqué oui, mais en pleine nuit. Une

voiture a foncé [une voiture bélier ?], oui une voiture bélier a foncé dans la vitrine et…évidemment c’est

un peu choquant mais ce n’est pas la même chose, on ne le vit pas de la même façon. »

Si tous n’ont pas été victimes d’un vol à main réussi, le risque demeure néanmoins bien

présent et s’impose d’une façon ou d’une autre aux pharmaciens de notre échantillon ; parfois sous

des formes triviales vues de l’extérieur, mais où le pharmacien peut néanmoins voir l’intention de

recourir au braquage. Ainsi, Ahmed, pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-

Jean, après avoir expliqué le développement des attaques de pharmacies d’officine dans son quartier

au cours des dernières années et souligné qu’il n’en avait pas été victime, ajoute :

Ahmed : « Une fois il y avait quelqu’un il…je, je regardais de l’autre côté il me dit « la caisse ! » et puis

je me retourne et je dis…moi je rigole, je dis « la caisse et bien il faut venir demain ou bien quelque

chose » [rire]…et puis, je sais pas s’il a essayé ou, je te jure…il est venu comme ça il m’a dit « la caisse »,

mais il n’avait rien dans ses mains, mais le ton de « la caisse » etcetera…et puis je me retourne je lui dis

« il faut revenir demain parce que maintenant elle est encore vide » ou je sais pas quoi…et puis, je sais

pas, il y a eu quelque chose qui se passe, et puis il sort et il me dit… « ouais mais Ahmed moi je rigole

avec toi », je lui dis « moi aussi je rigole avec toi », donc je ne sais pas si…moi j’avais l’impression qu’il a

essayé pour voir ma réaction…»

74

a. Une crainte générale du braquage, y compris chez les pharmaciens n’en ayant jamais été

victimes :

Même pour les pharmaciens d’officine n’ayant jamais fait l’expérience d’une quelconque

forme de vol à main armée, la possibilité d’en être victime représente une réelle crainte pour ceux-ci.

Plusieurs pharmaciens interrogés ont souligné qu’en dépit du fait qu’ils n’aient jamais été confrontés

directement à un braquage ou à une tentative de braquage, ils considéraient cela comme un risque

réel avec lequel il fallait compter et qui, dans une certaine mesure, les préoccupait dans l’exercice

courant de leur métier.

Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Je touche du bois on n’a jamais

été braqués. Donc ça c’est le pire du pire parce qu’on…allez c’est notre crainte je pense à tous, parce

que c’est quand même beaucoup braqué les pharmacies. Mais comme on est sur une place on n’a

jamais été braqués. »

Félix [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais vous imaginez vous êtes

à deux heures, trois heures du matin et il y a quelqu’un qui arrive, il rentre et vous lui dites « ah non

moi je ne peux pas vous donner parce que vous n’avez pas la prescription », ou bien « je ne veux pas

vous donner ça » hein ? Sincèrement, il te colle derrière une armoire…tu peux courir hein. En plus vu la

quantité de pharmacies qui se font braquer, qui se font agresser, etcetera, parce qu’il y en a une

série…lui [son collègue] c’est « ça va », il est au pays des merveilles, jusqu’au moment que il se fera

cogner dedans…Regardez, l’autre pharmacie à Vilvoorde elle s’est faite braquer trois fois en un an !

Alors comment on peut…en plus deux fois c’était à main armée avec les gens dedans, tout le monde à

terre, avec des pistolets. Comment on peut avoir la…naïveté. Vous êtes d’accord avec moi ? Je ne veux

pas voir le mauvais partout, mais il y a un minimum… »

b. La diffusion de la crainte du vol à main armée par les expériences des collègues ou des

proches :

L’ensemble des pharmaciens d’officine interrogés a indiqué avoir eu connaissance

d’expériences de collègues ou de proches en lien avec les vols à main armée. Si certains pharmaciens

n’ont pas semblés particulièrement affectés par ces expériences, en particulier ceux ayant été eux-

mêmes déjà victimes de faits du même type, il n’en a pas été de même pour tous. Ainsi, tous les

pharmaciens d’officine n’ayant pas personnellement subi de vols ou de tentative de vols à main

armée ont néanmoins fait part des expériences de vols à main armée, souvent accompagnés de

violence physique grave, que des collègues ou des proches leur ont transmises. Dans pareils cas, les

collègues et de proches victimes ont semblé avoir joué le rôle de vecteurs de diffusion de la crainte

de ce type de violence parmi les pharmaciens de notre échantillon qui n’en avaient pas été victimes

jusqu’alors, aidant à matérialiser un risque abstrait et à le rendre plus proche d’eux.

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Braqués non. Dans mes collègues

actuels non. J’en ai une qui n’est pas là aujourd’hui…je crois qu’elle, elle a été braquée une fois et

d’anciennes oui…clairement braquées et la pharmacie où j’ai fait mon stage à l’époque il y en avait eu

trois je pense…dont certains assez violents. J’ai une amie du côté de Charleroi qui a été…oui braquée

aussi par un gars armé. Oui, oui j’en connais quelques-uns quand même oui. »

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Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Bon déjà moi dans ma famille

perso, il y a mon papa qui a déjà été braqué quand j’étais plus jeune, j’étais aux études…et ils ont eu,

comme quoi c’est vraiment dans le trou du cul de la Belgique, c’était un tout petit village et ils ont eu

quand même un braquage armé, le flingue sur la tempe, un truc euh…Donc comme quoi voilà, nous on

est à Bruxelles on pourrait croire que et pourtant il ne nous est jamais rien arrivé, et là-bas même si

c’est reculé, bon ben il n’y a rien à faire…c’est paumé, il y a moins de passage, c’est plus…parfois il y a

des choses plus bizarres qui arrivent dans les villages. Enfin moi j’avais un collègue de mon père qui a

été ligoté, enfin il y a parfois des trucs un peu bizarres mais ça peut être partout, dans une librairie

comme dans une pharmacie… »

Cette diffusion de la crainte de devenir victime braquage auprès de certains pharmaciens

d’officine par le biais d’expériences de collègues ou de proches a pu être observée in situ alors que

nous interrogions une assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville. Tandis que celle-

ci nous faisait part d’un vol à main armée ayant concerné l’une de ses connaissances, une autre

assistante pharmacienne plus jeune a été invitée à écouter l’expérience racontée. Le court dialogue

suivant illustre notre point :

Caroline [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « J’en connais pas mal, oui j’en

connais pas mal. Dans mes amis proches quasiment tous. J’ai une amie…qui elle est à Huy, dans un

petit patelin, elle ils sont carrément rentrés à trois avec des kalachnikovs. »

Sophia [assistante pharmacienne dans la même pharmacie] : « Non ?! (…) Et elle a fait quoi ? »

Caroline : « Ben elle a rien fait, elle a donné ce qu’il fallait et puis ils sont partis et puis elle a mis des

caméras partout. Et…oui, non il y en a un qui a arrêté qui est devenu inspecteur à l’INAMI, il a vendu sa

pharmacie parce qu’il s’est fait braquer trois fois pendant qu’il était de garde, et on l’a ligoté à l’arrière

et la dernière fois, la troisième fois, on lui a carrément mis les doigts dans le nez et on a fait sortir sa

tête par…par le truc de garde quoi. (…) Voilà…mais ils ont quasiment tous été agressés hein, tous. »

Sophia : « Heureusement que tu ne m’as pas raconté ça avant la garde ! »

c. Un forme extrême mais marginale de l’anticipation du vol à main armée : la banalisation du

risque de vol à main armée :

L’une des entrevues réalisées avec les pharmaciens d’officine de notre échantillon a fait

apparaître un phénomène lié à la crainte du vol à main armée ou du moins à son anticipation sous

une forme extrême. Ce phénomène n’a pu être observé qu’à une occasion, une seule des

répondantes manifestant ce type d’attitude vis-à-vis du risque de vol à main armée, mais peut

traduire, selon nous, une appréhension réelle et extrême du risque d’en devenir victime, malgré le

fait que cette forme d’agression ait été présentée de façon relativement rationnalisée et objectivée.

Cette rationalisation très poussée du risque de faire l’objet d’un vol à main armée dans le cadre

professionnel pourrait également constituer une forme de protection psychologique par rapport à ce

type de violence, la personne tentant de se préparer au mieux à ce risque en se convainquant qu’il

est inéluctable. Les extraits suivants illustrent ce phénomène :

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Maintenant

j’avoue, quand j’ai fait mes études, le braquage c’était le truc qui allait m’arriver pendant le boulot…et

là tout le monde me dit « mais enfin, mais c’est scandaleux, on commence pas à faire un boulot en se

disant qu’on va avoir des tuiles »…(…) Ah déjà durant les études pour moi c’était un truc, oui ça allait

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d’office m’arriver sur ma carrière, me faire braquer…c’est comme avoir une maison et se dire qu’on ne

va jamais se faire cambrioler, enfin c’est...non, non, on va un jour te piquer ton portefeuille dans la rue,

il y a toutes les chances qu’un jour…on se fasse voler, il y a toutes les chances qu’un jour je sois braquée

dans ma pharmacie, pour moi c’était un risque pris au départ…mais j'ai plusieurs collègues que ça a

choqué quand j'ai dit ça, "ah non moi je suis pas d'accord", oui c'est pas que ça m'arrange mais il faut

être réaliste, c'est comme quand tu fais la médecin tu es sûr d'avoir un jour une tuile avec quelqu'un qui

va essayer de t'extorquer soit du fric, soit des substances...des stupéfiants quoi, enfin c'est, c'est...non

ça fait partie des risques du métier quoi c'est...le gars qui bosse sur les toits il prend le risque de se

casser la gueule un jour et j'ai envie de dire qu'ils sont tous tombés une fois...ils ont su se rattraper, ils

ont porté plainte mais ils ont quasiment tous eu des grosses galères les ouvriers; le menuisier sait qu'il

va y perdre un doigt...un menuisier sur deux perd un doigt à mon avis sur sa carrière, alors pas

forcément après deux ans, parfois après 25 mais...c'est le grand classique, j'en connais plus d'un qui ont

perdu une phalange ou deux quoi...c'est la vie et donc pour moi le braquage je mettais ça dans les

risques du métier mais les gens ne sont pas d'accord avec moi... »

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht » : « Moi c’est quelque chose que

j’avais intégré dès le départ parce que, mon père s’étant fait attaqué à l’époque…plusieurs fois aussi,

ça a toujours fait partie des choses…du métier. »

3. Les faits de violence commis par les toxicomanes ou d’autres catégories de

personnes marginales : une violence d’importance secondaire mais néanmoins

relativement répandue :

Si le braquage représente indubitablement le type de violence le plus répandu et le plus

craint parmi les pharmaciens d’officine que nous avons pu interroger, d’autres formes de violence

émanant de certaines catégories de personnes ont également été identifiées, bien que celles-ci aient

souvent été présentées comme d’importance et de gravité moindres. Ces formes de violence ont

souvent manifesté une forte hétérogénéité dans les données récoltées, allant de la simple

déprédation à la tentative d’agression. Cependant, chose intéressante, celles-ci ont souvent été

désignées comme émanant de toxicomanes ou de personnes en état de dépendance par rapport à

certains médicaments. Dans de nombreuses entrevues, ces personnes nous ont été rapidement

dépeintes par la représentation générique du « toxicomane », source de nuisance et pouvant, dans

certains cas, recourir à la violence. Interrogé sur les facteurs favorisant l’agressivité, un pharmacien

nous déclare :

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Clairement l’usage de stupéfiants.

C’est des gens avec qui il y a plus de problèmes parce que…parce qu’ils sont en manque, parce qu’ils

sont nerveux, c’est clairement l’abus de médicaments. Parce que sans parler de toxicomanes il y a des

gens qui abusent d’autres produits…ça peut être des benzodiazépines, des anxiolytiques, donc des

médicaments, des antidouleurs assez puissants, des dérivés morphiniques mais qui ne sont pas des

stups même pas. Des gens qui abusent de ça…à l’époque, maintenant ils sont tous sous prescr iption,

mais à l’époque il y avait simplement les sirops contre la toux à la codéine et il y a des gens qui

descendaient, en étant sur dix pharmacies, une bouteille par jour…donc c’est gens-là sont des

dépendants, pas des toxicomanes, ils sont plus à classer dans, comme des alcooliques ou quelque

chose comme ça, ils sont clairement dépendants. Ces gens-là si on leur refuse quelque chose ils vont

beaucoup plus vite dans l’agressivité clairement…voilà. Donc des gens qui viennent avec des

ordonnances, des fausses ordonnances, des ordonnances trafiquées ou…ces gens quand ils voient que

ça ne prend pas ou qu’ils sont pris au piège oui ils sont fort dans l’agressivité clairement. »

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Pour certains pharmaciens d’officine, cette agressivité ne se cantonne pas à une attitude

générale limitée à l’intimidation verbale mais peut prendre la forme d’une menace à l’aide

d’armes diverses pouvant faire craindre aux pharmaciens pour leur intégrité physique. Ainsi ces

deux pharmaciens nous déclaraient :

Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Oui…une fois

c’était aussi pendant la garde…donc la porte était ouverte et il m’a fait « machin, bazar, etcetera », j’ai

dit « non, demain » et puis…il me sort une seringue remplie de sang et…donc ça c’est une intimidation

ça c’est…et donc voilà, moi je suis, et puis il me parle de SIDA etcetera, ça c’est une intimidation

etcetera, donc tu te dis…tu te dis que t’aurais dû fermer la porte. Parce que là…SIDA, seringue remplie

de sang, je sais pas pourquoi d’ailleurs…c’est, c’est comme un flingue quoi ! »

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : «Il y a une certaine violence parfois

avec les toxicomanes…ça arrive, j’ai déjà eu quelques fois, mais alors c’est, en général ils ne sont pas

armés, juste un couteau ou…(…) Une des fois la personne avait vu, pensait avoir vu une boîte qui

l’intéressait…m’a menacé d’un couteau. »

Dans certains cas, relativement peu nombreux, ces formes de violence ne font l’objet

d’aucune réaction de la part des pharmaciens en étant victimes, cela en dépit de la gravité qu’elles

peuvent parfois impliquer. Une certaine forme de lassitude ou de banalisation de ces formes de

violence provenant des toxicomanes peut être observée chez certains pharmaciens d’officine. Ainsi,

une pharmacienne titulaire développe cette attitude :

Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ah ben avec des gens, avec

des drogués, mais ça, ça fait partie du métier. Donc quand…quand ils viennent avec des ordonnances

falsifiées on refuse, là il faut faire face quand même. J’ai déjà reçu le ramasse-monnaie en plein visage

[rire] enfin non, je l’ai quand même évité à temps mais…ou ils arrachent le parlophone du guichet de

garde parce qu’ils n’ont pas…quand on ne délivre pas ce qu’ils veulent mais bon les documents ne sont

pas en ordre, ils viennent chercher la dose avant la date prévue et qu’on refuse ça c’est difficile aussi,

mais voilà…ça fait partie du métier. »

4. L’agressivité générale des patients comme violence latente :

L’agressivité générale des patients, si elle n’a pas été désignée comme un risque de violence

important par les pharmaciens d’officine interrogés, a toujours été abordée plus ou moins

extensivement au détour de l’une de nos questions, il n’est donc pas inutile d’en faire mention.

Nombre de pharmaciens d’officine ont évoqué le fait d’être confrontés régulièrement à une

agressivité plus ou moins latente de la part de patients, demeurant très souvent à un niveau de faible

intensité et s’exprimant par certaines attitudes générales qui ne sont pas réellement détaillées par

les pharmaciens interrogés. Les pharmaciens d’officine suivants nous évoquent cette forme

d’agressivité :

Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « L’agressivité c’est la réalité

hein. L’agressivité des fois vient du client, du patient…L’impatience ça c’est déjà un. L’impatience, les

gens deviennent moins…patients donc ça donne aussi une agressivité qui augmente. (…) Oh c’est déjà

arrivé. C’est déjà arrivé qu’ils se gueulent dessus hein…même les clients entre eux ! Oui ! Parce que l’un

a dépassé l’autre, ça arrive. »

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Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Oui…des gens qui…qui sont, qui

exigent ou qui prétendent à des choses auxquelles ils n’ont pas droit ou…qui n’acceptent pas qu’on

applique quelque chose, enfin qui veulent un médicament et qu’on ne veut pas leur donner parce que

voilà ils n’ont pas l’ordonnance et parce qu’ils ne sont pas en règle, il y a des gens qui ont un caractère

plus nerveux et qui ont tendance à plus s’énerver…donc le ton peut monter. Généralement quand on

montre de l’assurance ou qu’on est droit dans ce qu’on fait ça se passe généralement bien, il y en a qui

partent en claquant la porte…il y en a qu’il faut un peu pousser dehors mais c’est rare, c’est très rare.

Mais ça peut arriver oui, des gens qui sont…qui s’énervent rapidement hein ça clairement. Il faut de la

psychologie quoi. »

Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Là c’est…c’est zéro respect, c’est

une fois de plus une question de religion parce que c’est une question de…respect de la

femme…c’est…c’est…j’aime pas dire ça mais on le constate malheureusement, « si tu ne me donnes pas

ça c’est que t’es une connasse… ». Jamais nous on nous parle comme ça, jamais on ne m’a insulté,

jamais…jamais, jamais, jamais. Même si on a des altercations, même si on se dispute, jamais on ne va

être insulté. On reste d’égal à égal, il y a quand même un minimum. Elle c’est pas le cas dans son

quartier. »

Cette agressivité n’est cependant pas limitée à des formes d’aussi faible intensité. Dans

certains cas, plus rares, cette agressivité latente et souvent exprimée dans le registre verbal se

décline en des formes plus graves impliquant un recours à la force et à la violence physique à l’égard

des pharmaciens d’officine ou de leur établissement.

Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ça arrive souvent des

gens qui vous traitent de tous les noms d’oiseaux et tout, ça arrive souvent hein parce que vous n’êtes

pas d’accord, parce que vous ne donnez pas le médicament qu’il faut , par exemple les toxicomanes, ça

arrive oui…ça arrive aussi des gens qui ne sont pas toxicos hein, j’ai déjà été agressée par un médecin

hein, parce que je ne parlais pas flamand…oui…(…) On essaye d’être patient, essayer…essayer de ne

pas répondre pour que ça ne dégénère pas…voilà…mais quand bien même c’est déjà arrivé il y a un, à

l’époque j’avais une table…de vitrine, tout ça était en vitre les bureaux…il y en a un qui me l’a cassée,

avec un coup de poing, oui j’ai dû porter plainte à la police, la police est venue…et jusqu’à présent je ne

sais même pas où en est le…ça, ça arrive. »

Les attitudes des pharmaciens à l’égard de cette agressivité divergent. Si la plupart, comme

on a pu le voir, tentent de gérer au mieux cette agressivité et les différentes formes qu’elle peut

revêtir, d’autres finissent également par la considérer comme une propriété quasi-inhérente au

métier de pharmacien avec laquelle il faut composer. Ainsi, une certaine forme de « normalisation »

de l’agressivité des patients a pu être observée dans plusieurs entrevues, celle-ci pouvant même aller

jusqu’à une banalisation assez radicale où, a priori, les pharmaciens pensent que rien ne peut être

fait et acceptent cette agressivité. «

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Oui ben ça

dégénère rarement hein. Parfois ils crient un peu et ils me balancent quelques injures et puis ils s’en

vont. Je vais pas appeler les flics parce qu’on m’injurie, si, il y en a sûrement qui perdent leur temps à ça

hein quand je vois comme ils peuvent prendre la mouche parce qu’on a critiqué leur mère ou leur frère

ou je ne sais pas quoi…mais euh…non objectivement je ne vois pas l’intérêt, on passerait notre temps

alors à les appeler, enfin dans le sens où…oui, il y a au moins une fois par semaine un épisode un peu

plus compliqué ou un peu plus violent…si dès qu’on me dit « pauvre conne » je dois appeler la police on

est pas sorti de l’auberge hein [rire]. »

79

5. Les facteurs de risques de violence en pharmacie d’officine identifiés par les

pharmaciens :

Les pharmaciens interrogés ont tous présentés différentes analyses sur les facteurs de

risques de violence existant au sein des pharmacies d’officine. Si des explications variées ont été

données, certaines ont été plus récurrentes que d’autres et ont semblé emporter l’adhésion d’une

large part des pharmaciens de notre panel. Ces explications présentent également un point commun

important, dans la mesure où elles ont toutes été formulées en termes d’opportunité. Ainsi, selon

l’ensemble des pharmaciens interrogés, les risques de violence au sein des pharmacies trouveraient

leur origine dans diverses propriétés organisationnelles ou « humaines » de la pharmacie d’officine

qui en ferait un lieu propice à l’apparition de comportements violents.

a. Des éléments matériels incitant les vols avec violence :

Parmi ces multiples raisons, la première et la plus évidente serait certainement la présence

d’objets ou de valeurs ayant un effet incitant pour nombre de personnes susceptibles de recourir à la

délinquance et à la violence. La présence de liquidités surtout, mais également de médicaments et de

substances stupéfiantes pouvant être consommées ou revendues, sont identifiés comme des

facteurs de risques de violence dans les pharmacies d’officine. Ces pharmaciens nous l’expliquent en

ces termes :

Sébastien [assistant pharmacien dans la commune d’Ixelles] : « On est quand même exposé par

le fait qu’on manipule de l’argent. Les drogues j’ai jamais…enfin, entendu si, mais eu des patients avec

qui on a eu des problèmes pour des stupéfiants ou autres non. Les gens râlent parce qu’ils veulent leurs

médicaments, sans ordonnance ou autre mais bon voilà…de là à avoir un toxicomane qui veut vraiment

sa dose et qui menace pour son médicament, ça non. En général les gros problèmes c’est pour

l’argent. »

Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean]: « Ben les risques

d’abord ben c’est l’argent, mobile pharmacie ou n’importe quel commerce c’est l’argent…peut-être les

pharmacies c’est peut-être les drogues, tu sais ils croient que…nous on a plein de trucs, mais moi j’ai

pas grand-chose c’est pour ça qu’ils savent, peut-être…peut-être la drogue aussi, ils rentrent et ils

cherchent des… »

Certains pharmaciens d’officine interrogés, s’ils ne nient pas que des risques réels de violence

soient engendrés par la présence d’argent et de certaines substances en pharmacie, relativisent

néanmoins fortement les fondements de ces facteurs de risques, soulignant les dimensions

exagérées que les délinquants prêtent aux sommes d’argent et aux substances présentes en

pharmacie. Plusieurs pharmaciens démythifient la représentation du métier de pharmacien comme

métier financièrement porteur, surtout dans une conjoncture sectorielle impliquant une baisse

tendancielle de la rentabilité des pharmacies d’officine. Ainsi, deux pharmaciens nous expliquent, à

très juste titre :

Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais…maintenant

honnêtement je ne sais pas ce qu’ils cherchent ! Parce que…parce qu’il n’y a plus de drogues en

pharmacie, vous ne trouvez plus de cocaïne, ici vous ne trouvez même pas de méthadone. Avant on

trouvait ce genre de choses, donc je peux comprendre que les gens allaient parce que…pour revendre

80

de la cocaïne ou des choses comme ça oui, ça on peut…bon maintenant oui on pourrait prendre les

produits Laroche Posay, des produits ceci, mais vous allez ressortir avec un sac comme le Père Noël

bon…Et la caisse il y a quoi ? Il y a 400 euros…franchement. »

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Je pense

que l’image que le pharmacien gagne très bien sa vie et que donc les caisses sont très bien remplies…je

crois que c’est ça qui reste…c’est pas le cas, d’abord il y a des Bancontact, en suite le coût des

médicaments dégringole…les gens ne s’en rendent pas compte parce qu’ils ne regardent que la partie

qu’ils payent à la mutuelle à leur charge et donc ça diminue moins, mais les plus grosses baisses que

moi j’ai connues c’est un médicament quand j’ai commencé à travailler il était à 1650 euros et il est à

1100 euros aujourd’hui…et un mois il a baissé de 300 euros…donc le truc que t’as stocké dans ton stock

et que t’as acheté 1500 euros et que le lendemain on te le rembourse que 1200 et bien les 300 euros tu

les as perdus hein »

b. La féminisation de la profession comme facilitateur des vols avec violence :

Plusieurs des pharmaciens de notre panel s’étant exprimés sur les facteurs de risques de

violence en pharmacie ont identifié la forte proportion de femmes parmi le personnel officinal

comme l’un de ces facteurs. La seule présence de femmes dans une pharmacie d’officine n’est, bien

souvent, pas suffisante pour générer des comportements violents et n’est donc pas perçue comme

une cause de violence. Cependant, la forte présence de femmes parmi le personnel officinal semble

être considérée comme un facteur facilitant le déclenchement de comportements violents et

délictueux, les auteurs de ces faits identifiant vraisemblablement cette présence comme une

opportunité pour réaliser certains méfaits avec moins de risques ou, plus simplement, pour prendre

avantage sur le personnel officinal. De façon peut-être assez étonnante, cette analyse des risques de

violence en termes de genre est formulée tant par des hommes que par des femmes au sein de notre

panel d’étude, les pharmaciennes s’identifiant très clairement comme une catégorie de personnes

plus vulnérables et ayant une plus grande propension à attirer des comportements violents à leur

encontre ou à l’encontre de leur établissement. Deux pharmaciens interrogés expliquent ces

différents cas de figure possibles :

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « C’est facile,

la pharmacie c’est souvent des nénettes…oui c’est souvent des nanas, pour moi c’est 90% de femmes

les pharmaciens, c’est quand même souvent des nanas alors il n’y a rien à faire on n’a pas forcément la

même force physique. »

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Mais je crois que la raison principale

c’est que c’est vrai que si moi je devrais braquer un commerce je penserais peut-être pharmacie dans le

sens où c’est une profession très féminine…et je crois que ce n’est pas dangereux de braquer une

pharmacienne…»

Dans des cas plus rares, il s’avérerait que le simple fait d’être une pharmacienne puisse

constituer une cause de violence, le genre ne se limitant plus à être un simple facteur facilitant

l’exécution de certains délits ou faits violents mais devenant alors une cause directe à part entière. Si

un seul de nos pharmaciens a évoqué cette possibilité, elle traduit néanmoins l’impact réel qu’exerce

le facteur du genre sur la perception des risques de faire l’objet de violence pour le personnel

officinal.

81

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Au niveau pharmaciens,

maintenant je ne sais pas quel pourcentage mais je crois qu’on est à…plus de 70, voire plus de 80% de

pharmaciennes…ça dépend comment elles réagissent mais…pour moi oui je crois qu’on est à

80%...c’est pas évident. (…) Moi j’ai toujours su réagir et en étant un homme…la violence peut être là

plus vite qu’avec une femme…mais malgré tout ça en dissuade certains. Donc là ça joue déjà. Mais il ne

faut pas oublier qu’il y a quelques années, et c’était passé à la télévision, pour rentrer dans certaines

bandes il fallait…attaquer une pharmacie, tabasser quelqu’un et violer quelqu’un. C’était les trois

choses, ça a été dit à la télévision par plusieurs bandes, c’est ce qu’il fallait faire. Et il y en a qui

essayaient de faire les trois en même temps…entrer dans une pharmacie, c’est une femme, c’est la

pharmacie, c’est la frapper et tenter de la violer…et quand ça passe à la télévision je peux vous dire que

certaines pharmaciennes quand elles entendent ça euh…on se dit mais dans quel monde est-ce qu’on

vit ? »

c. Le manque de protection en comparaison avec d’autres types de commerces :

Le dernier facteur de risques de violence identifiés par les pharmaciens de notre échantillon

serait la relative faiblesse des pharmacies en termes de protection face à la criminalité. La pharmacie

d’officine est bien souvent vue comme un type de commerce mal protégé, ou du moins faiblement

protégé au regard des moyens de protection mobilisés par d’autres types de commerces. Ainsi, les

pharmacies d’officine seraient victimes d’un déplacement de la criminalité et de la violence, celles-ci

s’exerçant moins à l’égard des commerces investissant largement dans leur protection et se

concentrant plus sur des cibles moins protégées, à l’instar des pharmacies d’officine.

Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Ben je crois que c’est des, des, en

général les…ceux qui s’attaquent aux pharmacies et aux libraires ce sont des petites frappes…donc

c’est facile quoi c’’est, c’est…on va attaquer un petit commerce…mais en général ils leur faut aussi une

petite somme, c’est pour…pour leur dose journalière ou…donc c’est facile en fait, donc c’est vrai que

maintenant les banques, les grandes surfaces, il y a beaucoup de protection, tandis que la pharmacie

on ne sait pas se payer un…un vigile devant donc c’est simplement ça, c’est des attaques faciles…et

c’est vrai que tout ce qui est gros est bien protégé donc on s’attaque, on s’attaque aux faibles…tout

simplement. »

Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : On a quand même du cash, pas

mal et…et le fait qu’ils savent que ce sont des petites équipes aussi. On est pas…enfin il n’y a pas

personne, il n’y a jamais personne qui va se cacher derrière, voilà on est deux et si les deux sont devant

et bien il n’y a plus personne. C’est très facile, enfin je trouve, de braquer une pharmacie dans le sens

où…c’est pas comme dans une banque où on se dit « waw, ils vont mettre le système de sécurité, les

portes vont se fermer », ils savent que chez nous, il n’y a pas des trucs de fou quoi. Oui on a un système

de surveillance, on a quand même Télépolice., on a un système où t’appuie sur un bouton et…mais

euh…c’est pas pareil quoi, c’est pas le même niveau de sécurité. »

6. Conclusions sur la perception des risques de violence chez les pharmaciens

d’officine :

Quels enseignements peuvent être retenus de cette analyse des représentations des risques

de sécurité et de violence afférents au métier de pharmaciens des membres de notre échantillon ?

Nous avons pu constater que les pharmaciens interrogés concevaient leur métier comme étant

82

fortement exposé aux risques de délinquance et de violence, y compris au regard d’autres

professions réputées « à risques ». Pour la plupart d’entre eux, le métier de pharmacien d’officine

implique un certain niveau de dangerosité et un certain degré de violence, quoique des divergences

relativement fortes aient pu être observées sur ces points, nos pharmaciens se partageant entre ceux

convaincus d’être fortement exposés aux risques de violences et d’agressions et ceux relativisant ces

risques. Plus important, le vol à main armée, ou plutôt le « braquage » selon l’expression employée

de façon récurrente, s’est imposé dans les discours des pharmaciens comme la forme de délinquance

et de violence revenant le plus régulièrement dans l’évocation les risques de sécurité des

pharmacies. Le vol à main armée constitue indéniablement la principale figure de la violence et de la

délinquance dans les représentations des risques de sécurité des pharmaciens, celle-ci étant

considérée comme étant la forme la plus grave et la plus préoccupante de violence et de délinquance

à laquelle ils peuvent être exposés. Si d’autres formes de violence, telles que les agressions physiques

simples et des formes plus latentes d’agressivité émanant des patients, ne sont pas absentes des

représentations des pharmaciens sur les risques de violence et la sécurité en général, elles sont

néanmoins sans commune mesure avec le vol à main armée qui occupe une place beaucoup plus

importante et qui est évoqué en des termes traduisant une plus grande préoccupation. Dans la

plupart des cas, comme on a pu le constater, l’incidence et la gravité des autres formes de violence

étaient généralement minimisées ou partiellement éludées, laissant toute la latitude au vol à main

armée pour s’imposer comme principale figure de la violence et de la délinquance dans les discours

des pharmaciens sur les risques de violence et de sécurité.

Les implications de ces observations sont multiples. Premièrement, elles viennent confirmer

notre intuition de départ, issue de l’analyse statistique de la délinquance affectant les pharmacies

d’officine, que le vol à main armée constitue un risque de violence perçu comme étant très

important. Malgré le fait que ce phénomène délictuel ne soit pas celui qui affecte le plus les

pharmacies d’officine, statistiquement et objectivement parlant, c’est néanmoins celui qui est perçu

comme étant la forme de violence la plus redoutée. En d’autres termes la prévalence statistique

relativement modérée des faits de vol à main armée commis à l’égard des pharmaciens ne l’empêche

pas d’être le risque de violence et de délinquance suscitant le plus d’appréhension chez les

pharmaciens. Ces implications vont à rebours des conclusions de nombreuses études statistiques

réalisées sur la sécurité et les risques de victimisation chez les pharmaciens menées dans plusieurs

Etats233. Celles-ci avaient mis au jour des tendances relativement similaires à celles que nous avons

obtenues pour la Belgique sur le plan de l’incidence de différentes formes de délinquance et de

violence dans les pharmacies, constatant que les pharmaciens n’étaient que modérément exposés

aux vols à main armée, à l’inverse de ce qu’il en était pour d’autres types de faits d’agression ou de

violence comme les menaces ou les insultes. S’arrêtant à cette approche statistique, ces études

relativisaient les risques objectifs pour les pharmaciens de faire l’objet de vols à main armée, sans

s’intéresser à la perception de ces risques par les pharmaciens ce qui, comme on l’a vu, génère des

résultats pour le moins différents.

233

FITZGERALD, Deirde & REID, Alex, « Frequency and consequences of violence in community pharmacies in Ireland », Occupational Medicine, 2012, p.633-636; PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267-272; LENELL, Amy Nicole, “Pharmacy security: a survey on pharmacists’ perceptions and preparedness ton handle prescription fraud and pharmacy robbery”, University thesis, College of Pharmacy and Health Science of Butler University, 2007, p.9-11.

83

La deuxième implication majeure est que, à l’inverse des acteurs des secteurs hospitalier et

para-hospitalier, les pharmaciens semblent relativement peu confrontés, sur le plan objectif, et

concernés par les risques d’agressions physiques. Alors que ces risques sont omniprésents dans le

cadre hospitalier, influant grandement sur les perceptions de la violence chez les personnes y

travaillant, ils ne sont que faiblement présents chez les pharmaciens, ceux-ci n’en faisant que très

peu mention dans leurs discours sur leurs représentations des risques de violence. Il n’est pas

étonnant de constater que l’essentiel des stratégies de prévention des risques de sécurité en milieu

hospitalier, de même que l’essentiel des études réalisées sur la victimisation et les représentations

de la violence du personnel hospitalier, soient tournées vers les risques d’agressions physiques234.

Dès lors, peu de liens peuvent être tracés entre la prévention et la gestion des risques de violence en

milieu hospitalier et au sein des pharmacies, ces risques étant qualitativement différents et n’étant

pas perçus de la même façon par les acteurs de terrain. Les pharmaciens semblant plus concernés

par les risques de vols à main armée que par les risques d’agressions physiques, ou encore d’autres

formes d’agressions et de violences, il est fort à parier que la manière dont ceux-ci tenteront de se

protéger et de prévenir les risques de violence et de sécurité en sera fort influencée ; la situation est

exactement inverse au sein des milieux hospitaliers, les stratégies de prévention se concentrant sur

les risques d’agressions sous diverses formes et ne traitant absolument pas des risques de vols à

main armée, risques virtuellement inexistants dans ces milieux. En reprenant les catégories et la

terminologie de la principale typologie des violences au travail, développée l’Occupational Safety and

Health Administration du Département de la Santé américain, nous pourrions dire que nous nous

situons dans l’étude des perceptions et de réactions d’acteurs face à une « violence intrusive »235,

englobant les vols à main armée, et non face à une « violence liée au consommateur »236, englobant

les réactions agressives d’usagers ou de patients à l’instar de ce à quoi le personnel hospitalier est

confronté237. Cette dernière remarque est particulièrement importante dans la mesure où nous nous

intéresserons, dans la prochaine section et dans les prochains points, aux stratégies de prévention

des risques de violence et plus particulièrement de vol à main armée développées par les

pharmaciens d’officine.

B. Les stratégies de prévention des risques de vol à main armée développées par les

pharmaciens :

234

WINSTANSLEY, Sue & WHITTINGTON, Richard, “Aggression towards health care staff in a UK general hospital: variation among professions and departments”, Journal of Clinical Nursing, 2013, p.3-10; RIPPON, Thomas, “Aggression and violence in healthcare professions”, Journal of advanced Nursing, Vol.31, N°.2, p.452-460; CRILLY, Julia & al., “Violence towards emergency department nurses by patients”, Accident and Emergency Nursing, 2004, p.67-73. 235

BOWIE, Vaughan, “Defining violence at work: a new typology” in GILL, Martin & FISHER, Bonnie & BOWIE, Vaughan (eds), “Violence at work. Causes, patterns and prevention”, Willan Publishing, Newcastle-under-Lyme, Staffordshire, 2002, p.6-7. 236

Ibid., p.7-8. 237

LEATHER, Phil, “Workplace violence: scope, definition and global context” in COOPER, Cary L. & SWAMSON, Naomi (eds), “Workplace violence in healthcare sector. State of the art”, International Labour Organization, 2002, p.14.

84

1. Une domination des mesures de prévention « classiques » issues de la techno-

prévention :

Le vol à main armée incarne clairement, pour les pharmaciens d’officine de notre panel, le

principal type de violence auquel ils sont ou pourraient être confrontés dans le cadre de leur

profession. Comme nous avons pu le voir, le risque de faire l’objet d’un vol à main armée domine les

discours des pharmaciens d’officine, celui-ci étant mis en évidence dans la plupart des cas lorsque la

problématique de la sécurité des pharmaciens d’officine et des risques de violence est abordée. Pour

cette raison nous faisons la supposition que les pharmaciens d’officine de notre panel auront

largement investi dans le domaine de la techno-prévention et auront développé des stratégies de

prévention orientées vers les risques de vols à main armée et visant, directement, à les réduire.

Sans réelle surprise nous avons pu observer que les mesures de techno-prévention ont fait

l’objet d’un large investissement par les pharmaciens d’officine que nous avons pu interroger. En

effet, sur l’ensemble des pharmacies d’officine visitées et sur l’ensemble des pharmaciens interrogés,

la totalité a présenté un certain investissement dans la techno-prévention, faisant apparaître des

mesures classiques de nature techno-préventive auxquelles nous pouvions déjà penser dans le

développement de notre problématique. Cependant, si ces mesures sont largement répandues au

travers de toutes les pharmacies d’officine que nous avons pu étudier, elles présentent

d’importantes différences en termes de degrés de développement, d’extension et de cohérence ; les

pharmaciens d’officine ne considérant pas identiquement ces types de mesures de prévention et

développant, vis-à-vis de celles-ci, des attitudes pour le moins divergentes. Nous présenterons, dans

un premier temps, les principaux types de mesures de techno-prévention investis par les

pharmaciens d’officine de notre panel ; dans un second temps nous montrerons que ceux-ci ont

développé des attitudes divergentes vis-à-vis de ces types de mesures et que différents modes

d’utilisation des mesures de techno-prévention peuvent être dégagés.

a. Les principaux types de mesures techno-préventives mobilisés :

Au cours de nos entrevues, quatre grands types de mesures techno-préventives ont pu être

identifiés. La plupart d’entre eux correspondaient à des types de mesures techno-préventives

classiques que l’on pouvait s’attendre à retrouver dans la plupart des commerces. Ainsi, il n’est pas

surprenant de voir des pharmacies d’officine massivement dotées de systèmes de télésurveillance et

de systèmes d’alarme, les données statistiques laissant déjà largement prévoir ces résultats. Deux

autres types de mesures se sont avérés plus intéressants. Premièrement, le système de Télépolice ou

de bouton pressoir établissant une liaison directe entre un pharmacien d’officine et un point de

contrôle policier ou une centrale d’alarme. Si nous avons pu présenter les grands principes de ce

système dans la première partie de ce mémoire, nous ne pouvions savoir dans quelle proportion ce

type de mesure allait être répandu au travers des pharmacies d’officine à Bruxelles. De manière

relativement étonnante nous avons pu constater que ce type de système était relativement bien

implanté au travers des pharmacies d’officine que nous avons pu étudier, en dépit des contraintes

financières et techniques afférentes à ce système et, surtout, de par le caractère relativement invasif

que certains peuvent lui prêter.

85

Deuxièmement, un type de mesure particulier et que nous n’avions pas anticipé s’est

détaché des entrevues, à savoir les systèmes de verrouillage des portes d’entrée de la pharmacie

pouvant être déclenchés à distance et étant utilisés afin de filtrer les entrées. Ce type de mesure

tranche par sa radicalité et par le fait qu’à l’inverse des autres types de mesures, il fasse du

pharmacien un acteur de la sécurité, lui permettant immédiatement et directement d’agir sur

l’accessibilité et la sécurité de sa pharmacie. Si ce système revêt une dimension préventive en

permettant le filtrage des personnes ayant accès à la pharmacie, il revêt également une dimension

réactive dans la mesure où un pharmacien peut décider de bloquer quelqu’un en dehors ou à

l’intérieur de sa pharmacie selon son appréciation d’une situation et des risques de sécurité. De plus,

ce type de mesure est le seul permettant une action physique sur les personnes, les autres types de

mesures identifiés ne permettant que l’avertissement des autorités et la facilitation éventuelle du

travail d’enquête a posteriori. En dépit de sa radicalité, nous avons pu constater qu’un certain

nombre de pharmacies de notre panel étaient dotées de pareil type de mesure de techno-

prévention, laissant penser à une appréciation positive de celui-ci ou à une nécessité de le mettre en

œuvre pour certains pharmaciens d’officine.

Nous avons compilé les différents résultats verbatim issus de l’analyse des entrevues

réalisées avec nos pharmaciens d’officine et les avons présentés, à des fins de clarté, sous une forme

schématique offrant une vue d’ensemble de la répartition des différents types de mesures de

techno-prévention au sein des pharmacies de notre échantillon. Cette présentation ne nous sert que

d’indication sur les tendances apparentes et objectives relatives à l’usage des mesures techno-

préventives dans les pharmacies mais ne nous permet pas encore d’accéder aux différences

d’attitudes existantes chez les pharmaciens de notre échantillon par rapport à celles-ci. Tout au plus

nous permet-elle d’en deviner certains contours de façon vague, en mettant en évidence certaines

différences au niveau du nombre de types de mesures mises en œuvre à l’échelle de la pharmacie

d’officine, mais sans que nous en connaissions les motivations profondes et que nous puissions les

expliquer. C’est ce que nous tâcherons de mettre à jour dans les prochains points de cette section.

Systèmes de

télésurveillance

Systèmes

d’alarme

Bouton pressoir/

Télépolice

Système de

verrouillage des

portes d’entrée

Pharmacie de Luc

[Anderlecht] Oui

Pas

d’indication Pas d’indication Non

Pharmacie de

Jean

[Anderlecht]

Oui Pas

d’indication Oui Oui

Pharmacie

d’Ahmed

[Molenbeek-

Saint-Jean]

Oui Oui Oui Non

86

Tableau 2 : répartition des principaux types de mesures techno-préventives identifiées entre les

pharmacies de notre échantillon.

b. Différents profils d’utilisateurs de mesures techno-préventives :

Une analyse plus détaillée des choix des pharmaciens d’officine au niveau des types de

mesures de techno-prévention mises en œuvre dans leur pharmacie nous ont permis de faire

ressortir certaines tendances divergentes. Tous les pharmaciens de notre échantillon ne concevraient

pas la techno-prévention et son usage concret de manière identique, lui accordant plus ou moins

d’importance dans le processus de sécurisation de leur pharmacie. Nous avons pu constater

l’existence de certaines régularités dans les données issues de nos entrevues en ce qui concerne les

conceptions du recours à la techno-prévention pour assurer la sécurité d’une pharmacie d’officine. A

partir de ces conceptions nous avons pu procéder à l’établissement de catégories, ou profils

Pharmacie de

Mélanie

[Molenbeek-

Saint-Jean]

Oui Pas

d’indication Oui Oui

Pharmacie de

Linh

[Bruxelles-Ville]

Oui Oui

Télépolice

remplacé par un

autre système

Oui

Pharmacie de

Pierre & Félix

[Bruxelles-Ville]

Oui Non Non Non

Pharmacie de

Chantale

[Bruxelles-Ville]

Oui Oui Oui mais désactivé Oui

Pharmacie de

Caroline &

Sophia

[Bruxelles-Ville]

Non Oui Non Non

Pharmacie de

Thérèse

[Bruxelles-Ville]

Oui Pas

d’indication Pas d’indication Oui

Pharmacie Sylvie

& Sébastien

[Ixelles]

Oui Oui Oui Non

Pharmacie de

Nicolas

[Ixelles]

Oui Oui Oui Non

Pharmacie de

Nathalie

[Ixelles]

Oui mais

désactivés Oui Oui Non

87

d’utilisateurs des mesures techno-préventives parmi les pharmaciens de notre échantillon. Ces

profils sont définis en fonction du degré d’extension de l’usage de mesures techno-préventives,

allant de l’utilisation la plus minime à l’utilisation maximale. Pour chaque profil nous avons pu

déterminer un degré d’extension de l’utilisation des mesures techno-préventives allant crescendo,

mais également des motivations récurrentes pouvant expliquer ces différences d’utilisation. Nous

développons ces catégories dans les sous-points suivants. Dans les points suivants, nous

développerons le contenu de ces différents profils à l’aide des données issues de nos entrevues. Afin

de faciliter la lecture de notre développement, nous introduisons déjà les termes qui serviront à

référencer ces différents profils d’utilisateurs, nommément les « utilitaristes », les « réalistes » et les

« absolutistes ». Nous tenterons également de mettre nos observations en correspondance avec

l’ensemble théorique élaboré par Reyes sur les profils managériaux et les stratégies

organisationnelles des pharmaciens d’officine, cela afin de déterminer l’existence de liens éventuels

entre les conceptions identitaires des pharmaciens marquées par l’importance des considérations

économiques et leurs attitudes dans le domaine de la sécurité.

i. La conception « utilitariste » de la techno-prévention: une utilisation minimale de la

techno-prévention et ses motivations :

Une oscillation entre l’absence de besoin ressenti et la conformation à des obligations:

Plusieurs pharmaciens de notre échantillon ont présenté une utilisation des mesures de

techno-prévention pour se prémunir contre les risques de sécurité et de vols à main armée que nous

avons qualifiée d’utilitariste. Pour parvenir à cette qualification, comme à celles que nous

mobiliserons pour les autres catégories de pharmaciens identifiées, nous nous sommes basés sur

deux groupes d’indicateurs, objectifs et liés au nombre de mesures mises en œuvre, et subjectifs et

liés aux motivations des pharmaciens quant à leurs choix relatifs à l’usage de mesures techno-

préventives. Premièrement, cette qualification dérive d’une utilisation d’un nombre très réduit de

types de mesures techno-préventives, les pharmaciens appartenant à cette catégorie se contentant

de quelques types de mesures bien spécifiques, en évitant d’avoir recours aux types de mesures les

plus extrêmes à l’instar des mécanismes de verrouillage à distance des accès de la pharmacie. Nous

avons considéré qu’une utilisation pouvait être objectivement qualifiée de minimale lorsqu’elle

n’impliquait que l’usage de deux types, ou moins, de mesures techno-préventives. Cependant, ces

indicateurs ne sont pas suffisants pour qualifier généralement un recours aux mesures techno-

préventives. En effet, deuxièmement, nous considérons qu’une utilisation des mesures techno-

préventives n’est utilitariste que lorsque qu’elle s’accompagne également de motivations qui ne

procèdent pas d’une réelle adhésion à la philosophie sous-jacente des mesures techno-préventives,

et relèvent d’une logique marquée par la recherche d’une utilité subjective ou, du moins, de la

meilleure solution. Nous procéderons au développement en détails de ces groupes d’indicateurs

d’une utilisation minimale des mesures techno-préventives dans les prochains paragraphes, ne

s’agissant ici que d’une explication relativement sommaire de notre méthode de conceptualisation et

de la teneur de la première qualification mobilisée.

La plupart des pharmaciens que nous avons qualifiés « d’utilitaristes » dans leur approche

des mesures techno-préventives se caractérisent par une utilisation minimale des mesures techno-

88

préventives pour se protéger des risques de vols à main armée et motivent ce choix par une absence

de nécessité de recourir à pareils types de mesures. Plusieurs raisons précises ont été avancées pour

expliquer le fait que seulement quelques types de mesures techno-préventives soient utilisés dans

les pharmacies d’officine de notre échantillon, mais celles-ci semblent toutes se rapporter à la

conviction des pharmaciens que ces types de mesures ne sont pas nécessaires pour assurer la

sécurité au sein de leurs établissements. Cette conviction, ainsi que les raisons plus précises qui en

dérivent et qui expliquent la faible utilisation des mesures techno-préventives, peut provenir d’une

croyance subjective mais elle peut également procéder d’une analyse objective des risques de

sécurité d’une pharmacie et d’un raisonnement rationnel, le pharmacien réalisant une sorte de

diagnostic de sécurité de son établissement. Les pharmaciens se rapportant à ce dernier cas de

figure justifient leur choix de n’utiliser que faiblement les mesures techno-préventives en mettant en

avant les avantages objectifs, les externalités positives, en termes de sécurité fournis par

l’implantation particulière de leur pharmacie.

Auteur du mémoire : « Mais ici c’est vrai, vous m’avez dit que vous êtes dans un quartier déjà plus

sécurisé… »

Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais oui c’est ça. Il y

a des gardes à côté…même si c’est…même si c’est pas leur boulot, je m’entends bien avec eux donc je

sais que si j’ai un problème je peux faire appel à eux. »

Dans certains cas, les avantages de l’implantation particulière de la pharmacie d’officine et la

protection « naturellement » assurée par le quartier, ou par certains acteurs y étant implantés, se

complète par une disposition de l’établissement, une organisation particulière de l’espace, réduisant

les risques de vols à main armée et d’actes délictueux.

Auteur du mémoire : « En plus la disposition des lieux est assez bien faite »

Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ah oui, il faut

d’abord descendre l’escalier en colimaçon et le temps qu’ils descendent [les voleurs] moi je suis déjà

là…Ils croient qu’on ne les voit pas mais ils n’ont pas de chance. »

Les mesures techno-préventives sont également, parfois, considérées avec circonspection

quant à leur efficacité à prévenir la survenance de faits violents et de vol à main armée. Les

pharmaciens relativement sceptiques quant à l’efficacité des différents types de mesures techno-

préventives pour assurer leur sécurité ont souvent développé cette attitude à l’issue d’une

expérience malencontreuse où ces mesures se sont révélées décevantes, les convainquant par la

suite de leur relative inefficacité pour prévenir les risques de vols à main armée, voire même pour

faciliter tout travail d’enquête pouvant être réalisé par la suite.

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Il y a des systèmes comme ces

systèmes de caméras qui enregistrent qui sont, comme je disais tantôt, plus pour accumuler des

preuves dans un dossier…que pour servir à l’instant…parce que moi, l’un des derniers que j’ai eu était

euh…à visage découvert, il attendait son tour comme tout le monde et tout ça ! Or le caméra il l’a

vu…et après la centrale d’alarme m’a tout de suite dit « ah oui c’est le même qui a attaqué une autre

pharmacie il y a une demi-heure, hier il a fait une pharmacie et…un hôtel »…donc ces caméras étant

reliées à un endroit, la personne qui visionne les images a tout de suite reconnu la personne…Ils s’en

fichent ! Ça permet parfois de retrouver les gens, d’avoir leur description plus complète même si ça n’a

pas encore une valeur légale…»

89

Dans pareils cas, la volonté d’entretenir ces types de mesures s’en trouve souvent fortement

affectée, les pharmaciens choisissant de ne pas renouveler leurs systèmes de protection et se

contentant d’arrangements de façade, maintenant une apparence de sécurité des lieux à destination

des personnes qui seraient tentées de commettre des agressions ou des vols à main armée. A cette

perception de la relative inefficacité des mesures techno-préventives viennent s’ajouter des frais liés

à l’utilisation et l’entretien de ces mesures qui, pour plusieurs pharmaciens, peuvent devenir

prohibitifs et en justifier une réduction de leur utilisation.

Nathalie [pharmacienne titulaire d’Ixelles] : « Et autre chose, Mme. **** avait installé une caméra,

ça coûtait une plombe donc…ben j’ai été obligée de continuer le contrat, j’ai continué le contrat…ça a

toujours été compliqué de voir les images et puis de toute façon quand j’ai été braquée la caméra

fonctionnait et j’ai quand même été braquée, on n’a quand même pas retrouvé le gars puisqu’il était

cagoulé et donc…ben voilà, la caméra est toujours là mais je n’ai plus de contrat…on a l’impression

qu’elle fonctionne parce qu’elle est toujours allumée en vert mais en fait elle ne fonctionne pas, donc je

trouve que son pouvoir dissuasif est très, très bien et largement suffisant, et je n’ai pas envie de

dépenser plus d’argent là-dedans pour de toute façon…en 2012 elle fonctionnait et ça n’a servi à rien,

j’ai quand même été braquée, on n’a pas su, enfin les images n’étaient pas potables, pas positives donc

voilà… »

La plupart des pharmaciens de notre échantillon rattachés à ce profil ont mis en lumière des

effets, relativement ambigus et paradoxaux par moments, des polices d’assurance sur leur gestion

des risques de certains phénomènes délictueux comme le vol et, par extension, sur leurs choix de

stratégies pour s’en prémunir. Il semblerait, au moins pour deux de nos pharmaciens, que les polices

d’assurance auxquelles ils aient souscrit influent fortement sur leur choix de faire un usage minimal

des mesures techno-préventives existantes, justifiant un détachement relativement prononcé de leur

part vis-à-vis des risques de vols. Ces deux pharmaciens, ne disposant respectivement que d’un

système de vidéosurveillance et d’un système d’alarme, déclarent au sujet des risques de vols et de

leurs polices d’assurance :

Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « [une fraude] Aux faux

billets on a jamais…on a eu une fois…deux fois. Deux fois sur toute la pharmacie c’est pas énorme hein,

et puis on a une assurance pour ça et pour les vols donc on s’en fout énormément, on contrôle même

pas les billets. C’est pas comme dans la plupart où ils ont des petites machines, nous on a une

assurance globale dans les pharmacies, on s’en fout de tout ça. Et tous les pharmaciens vous allez voir,

tous les pharmaciens, il n’y en a jamais un ou pas beaucoup qui…comme ils ont cette assurance elle

couvre tout ! Et donc…ils s’en foutent !»

Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Maintenant il y

aurait quelqu’un qui rentrerait ici avec un…avec un fusil ou quoi et qu’il dirait « la caisse ! », mais qu’il

prenne la caisse hein ! C’est…Mais psychologiquement à mon avis ça sera très difficile à passer, mais

au sinon je lui donne la caisse voilà, et je vais lui donner 400 euros que je déclare à mon assurance. »

La police d’assurance offrirait une certaine facilité pour ces pharmaciens d’officine, leur

permettant d’éviter de devoir investir dans de nombreuses mesures techno-préventive de différents

types et de maintenir un niveau de protection relativement bas, les risques matériels liés aux

différentes formes de vols, y compris les vols violents comme le vol à main armée, étant couverts par

l’assurance. Un autre cas a renforcé cette impression que les compagnies d’assurance influenceraient

fortement les attitudes de ces a-pharmaciens vis-à-vis des risques de sécurité et sur leurs stratégies

pour s’en prémunir. En effet, il semblerait qu’au moins un des pharmaciens interrogés, et

90

appartenant à cette catégorie des faibles utilisateurs des mesures techno-préventives, n’ait installé

des mesures techno-préventives dans sa pharmacie que par obligation imposée par sa compagnie

d’assurance, nous laissant présumer que rien, ou très peu, aurait été appliqué en matière de techno-

prévention en dehors de cette obligation. Si l’on peut supposer que ce type d’attitude à l’égard des

risques de sécurité et de leur prévention est minoritaire, il n’empêche qu’il traduit un état d’esprit

particulier de certains pharmaciens pour lesquels ces risques ne constituent pas une source

d’inquiétude particulière et ne justifient, dès lors, pas de traitements et d’aménagements spéciaux.

L’échange suivant en fournit une illustration :

Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « De l’argent il n’y en

a quasiment plus. Ici oui, oui c’est vrai ça, on a défoncé la porte deux fois en un an et demi. Les gens

ont pris la monnaie qu’il y avait, mais même les cents hein, ils ont tout mis dans un sac et puis…mais en

attendant ils ont foutu ma porte en l’air et… »

Auteur du mémoire : « C’est pour ça que vous avez mis des alarmes ? »

Caroline : « Non, ça c’est une obligation légale, rapport aux assurances… »

Une utilisation proportionnée à certains phénomènes délictueux de moindre gravité, une

utilisation partiellement influencée par l’opportunité :

Même si le risque du braquage constitue le risque le plus important et le principal avatar de

la violence pour l’énorme majorité des pharmaciens de notre échantillon, tous ne semblent pas

désirer modifier l’organisation de leur pharmacie et y intégrer certaines mesures de techno-

prévention pour faire face à ces risques. Certains pharmaciens, quoique minoritaires, semblent ainsi

plus préoccupés par d’autres types de phénomènes délictueux que par les risques de braquages,

délaissant largement ces derniers sans pour autant en faire complètement abstraction dans leurs

discours lorsqu’interrogés sur les risques de sécurité pesant sur les pharmacies d’officine. Les risques

de vols à main armée, de braquages, ne sont néanmoins pas vus comme étant suffisamment

importants pour justifier le développement de stratégies particulières articulées autour de

nombreuses mesures de techno-prévention au sein de leur pharmacie. Les rares mesures techno-

préventives qui peuvent y être trouvées sont alors motivées par le besoin de lutter contre des

phénomènes délictueux bien moins importants en termes de gravité et dont on pourrait penser, a

priori, qu’ils seraient relégués au bas des priorités des pharmaciens dans le domaine de la sécurité.

Néanmoins, certains pharmaciens d’officine interrogés ont explicitement justifié la mise en œuvre de

rares mesures techno-préventives par le but de prévenir, ou de réagir face à certains types de

phénomènes délictueux communs à l’instar des vols à l’étalage. Le développement de systèmes de

protection extensifs n’apparaît pas comme étant justifié à ces pharmaciens, dans la mesure où ce

sont des phénomènes délictueux communs et relativement plus faciles à prévenir qui occupent le

haut de la hiérarchie des priorités de sécurité. L’utilisation de mesures techno-préventives se veut,

dans ces cas, relativement proportionnée face aux besoins de prévention induits par les phénomènes

délictueux identifiés comme prioritaires, les pharmaciens ne semblant pas désireux d’investir alors

plus que nécessaire dans le développement de mesures techno-préventives qu’ils ne considèrent pas

comme étant utiles pour réaliser leurs objectifs. L’échange suivant illustre cette attitude particulière

vis-à-vis des risques de sécurité :

Auteur du mémoire : « …il y a quand même des caméras. »

91

Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Des caméras, oui des

caméras. Oui, c’est vrai des caméras ! Peut-être qu’on les a installées aussi pour ça…mais c’est pour

différentes… »

Auteur du mémoire : « Pourquoi vous les avez installées alors ? »

Pierre : « Mais pour différents trucs, pour les vols…pour les vols, pour enregistrer les gens au cas où

quelque chose est volé comme ça on peut regarder sur les caméras. Parce que si c’est quand même des

gros blocs il faut quand même faire attention. Si c’est un produit on s’en fout encore mais si c’est…des

gros blocs qui ont disparu, qui a volé ça quoi? Parce qu’alors il faut quand même qu’on se re-mémorise

cette personne, que si elle re-rentre « buiten ! », plus envie de la voir quoi. Des trucs pareils mais…aussi

pour éviter des vols dans la caisse, des vols dans…ouais il y a plein d’autres raisons, et en même temps

aussi un peu l’agressivité aussi vu que ça montre que c’est enregistré quoi…donc ils vont se calmer. »

De façon plus simple, certains pharmaciens semblent s’être dotés de certains types mesures

de techno-prévention uniquement parce que l’opportunité de le faire s’est présentée à eux. Cette

décision ne procède alors nullement d’une réflexion ayant porté sur les risques de sécurité auxquels

leur pharmacie serait plus exposée ou d’une stratégie rationnelle et ciblée dans le but d’y répondre

le plus efficacement possible, ces pharmaciens s’étant contentés de saisir un avantage passager sans

plus de précisions sur les motivations sous-jacentes les ayant conduits à ce choix.

Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Par rapport aux vols qui avaient

eu lieu pendant la nuit…aux cambriolages, elle a installé une alarme sur le volet et donc…cette alarme

sur le volet ça fonctionne avec une télécommande et sur cette télécommande il y avait un plus, l’appel

à la police…il y avait la possibilité de mettre en plus l’appel à la police. »

L’opportunité de développer certains types de mesures techno-préventives, même

lorsqu’elle est réelle et pouvant sembler a priori avantageuse, ne conditionne pas mécaniquement le

choix des pharmaciens de saisir cette opportunité et de la concrétiser. D’autres éléments semblent

entrer en jeu dans la réflexion des pharmaciens sur le niveau de sécurité à adopter et sur les types de

mesures techno-préventives dans lesquelles il conviendrait d’investir. Ainsi, lorsque ces pharmaciens

se trouvent dans une optique favorable à une utilisation minimale des mesures techno-préventives,

les chances sont grandes que ceux-ci ne saisissent pas d’emblée les opportunités de sécurisation se

présentant à eux et, même, qu’ils ne favorisent nullement le développement de pareilles

opportunités.

Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Ben pour la sécurité des

pharmaciens il y a des communes qui travaillent déjà avec un système d’appel à la police pendant les

gardes par exemple…Je ne sais pas franchement si ça change quelque chose mais…donc ça c’est une

chose, ça n’existe pas ici, personnellement j’en ressens pas le besoin, les pharmaciens dans mon rôle de

garde je pense qu’ils n’en ressentent pas le besoin non plus parce qu’au sinon c’est quelque chose

qu’on pourrait mettre très facilement en place, et on a des réunions très régulières, enfin au moins

deux fois par an…et donc on en a déjà discuté et ça n’est pas…voilà. »

Auteur du mémoire : « Vous en avez déjà parlé donc ? »

Nathalie : « De faire appel à la police ? Oui en réunion de garde on en a déjà parlé. Voilà, on n’a pas

mis ça en place parce que…Non, on trouve qu’on peut être agressés n’importe quand…enfin voilà, ça

n’évite pas tous les risques et finalement on ne se sent pas plus menacé en garde et…et en plus vous

allez encore passer une plus mauvaise nuit parce que vous allez être appelé par la police et puis

92

seulement les gens vont arriver une demi-heure ou une heure après donc…qu’est-ce que vous faites

pendant cette heure-là ? Et donc voilà, on trouve que ce n’est pas très intéressant. ».

L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des

interactions avec les usagers

Comment ces pharmaciens se représentent-ils leur métier et les fonctions qui en dérivent ?

De même, comment considèrent-ils les usagers de la pharmacie et la façon d’interagir avec ceux-ci ?

Nous pourrons peut-être trouver dans ces interrogations une piste d’explication aux attitudes des

pharmaciens, vis-à-vis des mesures techno-préventives et de la gestion des risques de sécurité,

présentées précédemment. Nous nous rattachons ici directement aux travaux de Reyes sur

l’approche identitaire des attitudes et des pratiques professionnelles des pharmaciens, seul auteur à

avoir, à notre connaissance, traité de ce sujet jusqu’à présent. Dans son approche, Reyes a développé

la théorie voulant que l’identité professionnelle duale du pharmacien affecte directement la manière

dont celui-ci conçoit ses stratégies et ses pratiques organisationnelles dans le cadre de son métier.

Comme on a pu le voir dans notre problématique, selon Reyes, les logiques médicale et commerciale

à l’œuvre dans l’identité professionnelle sont engagées dans une dynamique de compétition influant

sur les pratiques et « l’identité » organisationnelles du pharmacien, l’amenant à privilégier soit la

dimension commerciale, soit la dimension médicale de son métier238. Nous allons voir dans quelle

mesure les concepts et typologies développés par Reyes dans le domaine du management des

pharmacies peuvent s’appliquer au domaine de la sécurité, et contribuer à l’explication des attitudes

développées par les pharmaciens par rapport à l’usage des mesures techno-préventives.

Construisant sur la typologie des profils de dirigeants de très petites entreprises, développée

par Jaouen239, Reyes a établi sa propre typologie de titulaires de pharmacies d’officine dans le

domaine des stratégies de gestion. Si de nombreux éléments au sein de cette typologie ne nous

intéressent pas dans la mesure où ils sont liés à des représentations et des comportements

managériaux du pharmacien, celle-ci nous renseigne néanmoins sur les visions développées par les

pharmaciens vis-à-vis de leur métier ainsi que les compétences professionnelles que ceux-ci

privilégient pour les réaliser240. Ainsi, pour différents types de pharmacies, séparées par leurs zones

d’implantation, correspondraient différents profils de pharmaciens titulaires, développant

différentes représentations de leur métier et différentes compétences professionnelles. Deux de ces

profils nous apparaissent particulièrement intéressants et susceptibles d’éclairer les attitudes des

pharmaciens dans le domaine de la sécurité que nous avons précédemment mis en exergue. En

l’occurrence il s’agit de ce que Reyes nomme les pharmaciens titulaires « hédonistes-artistes » et

« hédonistes-carriéristes », appartenant essentiellement aux pharmacies rurales et pharmacies de

quartier241. Ces deux profils de pharmaciens sont intéressants car ils impliquent une identification à

238

REYES, Grégory, « L’ambiguïté des rôles du pharmacien titulaire d’officine française : une lecture par l’identité de métier », Management international / International Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 4, 2013, 165-166, 168-170 ; Idem, « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale du Management Stratégique, 2013, p11-21. 239

JAOUEN, Annabelle, « Typologie des dirigeants de très petite entreprise », Journal of Small Business and Entrepreneurship, Vol.23, N°.1, 2010, p.142-147. 240

REYES, Grégory, « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p.303-307. 241

Ibid., p306-307.

93

la mission de professionnel de la santé incombant au pharmacien et le développement de pratiques

centrées sur la proximité avec le patient. Si la dimension économique du métier et la volonté de

développer l’activité commerciale propre à la pharmacie n’est pas absente chez ces pharmaciens,

celle-ci demeure inféodée dans les deux cas à la volonté de maintenir un rapport de proximité avec le

patient et de satisfaire au mieux ses besoins, par croyance dans la mission de santé consubstantielle

à l’identité professionnelle du pharmacien ou par volonté d’assurer sa fidélisation242. Ces différents

profils impliquent également différentes manières pour le pharmacien de considérer le mode

d’organisation de sa pharmacie et de projeter sa vision stratégique sur celle-ci. Le mode

d’organisation de la pharmacie traduit alors, outre la logique dominante dans son identité

professionnelle, la manière dont un pharmacien se représente son métier et la fonction qu’il assigne

à sa pharmacie, comme nous le verrons en détails plus loin.

Les pharmaciens que nous avons identifiés comme appartenant au profil « utilitariste » de

l’utilisateur de mesures de techno-prévention semblent manifester une représentation de leur

métier et du mode d’interaction avec les usagers de la pharmacie étonnamment similaire avec celle

identifiée par Reyes pour ce qu’il nomme les « titulaires hédonistes » et, plus particulièrement, les

« hédonistes-carriéristes » travaillant majoritairement dans des pharmacies de quartier. Ainsi, tous

les pharmaciens de notre échantillon faisant preuve d’un usage limité des mesures de techno-

prévention ont mis en avant une volonté de cultiver une proximité relationnelle avec les usagers de

leur pharmacie, demeurant à l’écoute de leurs besoins mais également de leurs problèmes et tentant

d’y apporter des réponses non-strictement pharmacothérapeutiques.

Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Il y a le côté de l’expérience, il y a le

côté…ils me disent ça parfois…donc la manière de parler, d’écouter, donc…mais moi aussi je fais toujours

très attention à l’accueil, j’essaie d’accueillir les gens d’une manière souriante et donc ils se sentent

déjà…même s’ils sont parfois totalement déprimés je les accueille donc ils sont déjà un peu déconcertés de

voir « tiens quelqu’un me dit bonjour »…je vois qu’il y a aussi la manière d’aborder les gens, la façon de les

regarder aussi donc…s’intéresser quand même à ce qu’ils racontent donc… »

La logique commerciale et l’aspect managérial, entrepreneurial du métier de pharmacien est

pour le moins évanescent dans leurs discours lorsqu’ils présentent leur manière de concevoir leur

métier et les implications de celui-ci. Elle n’est, bien évidemment pas complètement absente, ces

pharmaciens ayant conscience qu’ils ont un commerce à gérer ; cependant, elle n’est qu’une logique,

une dimension parmi d’autres et la notion de patient demeure toujours au centre de leur

représentation, celle-ci définissant nombre de leurs pratiques professionnelles qui ne dérivent pas

réellement d’une approche centrée sur la maximisation du chiffre d’affaire ou la fidélisation du

client.

Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « J’essaie de leurs donner un maximum

de conseils, j’essaie de…d’être le plus à l’écoute possible et d’être…oui de répondre à leurs questions, à leurs

attentes sans les bourrer de médicaments. Et c’est au fur et à mesure des années qui passent que je peux de

mieux en mieux les connaître et donc je peux proposer de plus en plus de produits en fonction de leurs

besoins et ça c’est sûr que par rapport il y a dix ans, il y a dix ans je…je donnais des conseils sur des

questions très ciblées et maintenant je sais aller plus loin parce que je connais les gens et je connais leurs

besoins ».

242

REYES, Grégory, « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p.304-305.

94

Le choix de ces pharmaciens de recourir à des niveaux d’utilisation de mesures techno-

préventives très bas pourrait se comprendre comme produit de cette conception particulière du

métier de pharmacien centrée sur la proximité avec le patient. Ces pharmaciens sembleraient vouloir

demeurer proches de leurs patients afin de pouvoir mieux les comprendre et cibler leurs besoins

médicaux et pharmacothérapeutiques. Au regard de cette conception du métier de pharmacien, de

cette identité professionnelle particulière, il se pourrait que les mesures techno-préventives soient

considérées comme autant d’éléments inutiles et entravant l’établissement de rapports de proximité

avec le patient ou, du moins, créant une impression de distanciation du pharmacien par rapport à

ses patients. Le mode d’organisation de la pharmacie, de son espace, correspondrait à celui que

Reyes identifie sous le concept de « design organisationnel » : « la structure est agencée pour faciliter

l’accueil et favoriser la convivialité. Toutes ses activités sont organisées en fonction de sa volonté à

assumer sa mission de santé. (…) Le conseiller expert s’appuie sur cet attrait lié à la proximité (le

quartier) pour organiser le maximum de services au client afin de le fidéliser. Le titulaire multiplie les

marchés complémentaires au médicament susceptible d’améliorer la qualité de la prestation. Le

temps consacré aux patients est plus long afin de favoriser le contact et le conseil. »243. Ce mode

d’organisation de la pharmacie semble se retrouver parmi nos pharmaciens faisant faiblement usage

des mesures techno-préventives.

Il semble y avoir une proximité entre ce que Reyes identifie comme les « titulaires hédonistes »

et nos pharmaciens « utilitaristes » dans leur utilisation des mesures de techno-prévention, les

individus appartenant à ces deux types de profils semblant démontrer des représentations du métier

de pharmacien très similaires, de même que pour les pratiques professionnelles et organisationnelles

dont ils font preuve. De cette similarité que pouvant nous dire ? Nous pouvons avancer, avec

prudence, qu’il existe une corrélation entre les propriétés afférentes au profil établi par Reyes et les

propriétés de notre présent profil, ce qui pourrait impliquer que les pharmaciens faisant prévaloir

une logique médicale dans leur profession et un style de gestion fondé sur la proximité avec le

patient privilégient un usage « utilitariste », minimal des mesures techno-préventives. Cette

proposition hypothétique s’inscrit néanmoins dans la continuité des observations de certaines

études ayant porté sur les rapports entre pharmaciens et patients et leurs conséquences

organisationnelles pour la pharmacie244. En effet, si la littérature scientifique existante est d’un faible

recours en raison du fait que les pharmacies aient peu été étudiées sous l’angle sociologique ou du

management, il semblerait que certains éléments liés au mode d’organisation de la pharmacie tels

que la taille et l’ouverture des espaces offerts à la clientèle ou encore l’agencement de comptoirs,

qui sont autant d’éléments dont la fonction première est détournée afin de réduire les risques de

sécurité245, affectent les rapports entre le pharmaciens et usagers246. Certains pharmaciens semblent

conscients de ces effets et tentent de les amoindrir tant que faire se peut, voire même de les éviter

243

REYES, Grégory, « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°.248, 2015, p.87-88. 244

ALBEKAIRY, Abdulkareem M., “Pharmacists’ perceived barriers to patient counselling”, Journal of Applied Pharmaceutical Science, Vol.4, N°.1, 2014, p.70-73; FORTNER, Kim, “Physical barriers to the practice of pharmaceutical care in the retail setting”, CAPSI University of Saskatchewan, 2008, 15 p.; EMMETT, Dennis & al., “Pharmacy layout: what are consumers’ perceptions?”, Journal of Hospital Marketing & Public Relations, 2006, p.67-77. 245

WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.24-25 246

ALBEKAIRY, Abdulkareem M., op.cit., p.71-72.

95

totalement en procédant à une organisation de leur pharmacie pour satisfaire au mieux les attentes

et besoins des usagers247.

ii. Une conception intermédiaire, « réaliste » : l’utilisation modérée de mesures techno-

préventives et ses motivations :

Un autre profil de pharmaciens, au regard de l’utilisation faite des mesures techno-

préventives pour se protéger des risques de sécurité et de braquages, a été qualifié de « réalistes».

Comme pour la catégorie précédente de pharmaciens, nous avons procédé à une analyse des

données et à un découpage de celles-ci en recourant à des indicateurs objectifs et subjectifs, la

combinaison de ceux-ci nous permettant finalement d’arriver à la qualification de « réalistes » sur le

plan de leur recours à des mesures de techno-prévention pour un certain nombre de pharmaciens

issus de notre échantillon. Nous avons considéré, sur le plan objectif, que les pharmaciens pouvaient

être qualifiés de « réalistes » lorsque ceux-ci faisaient montre d’un investissement plus important

dans les mesures techno-préventives, se traduisant par l’utilisation d’au moins trois types de

mesures techno-préventives. Nous avons également pu constater, sur le plan des indicateurs

subjectifs, l’existence de motivations relativement plus élaborées dans cette catégorie d’utilisateurs

que chez les pharmaciens réalisant une utilisation minimale des mesures techno-préventives. Parmi

ces motivations peuvent se retrouver une volonté d’anticiper et de prévenir les risques de sécurité

de manière large, de même que de pallier aux faiblesses de sécurité détectées. Néanmoins cette

volonté de rechercher la sécurité n’est pas disproportionnée, certaines limites étant fixées à cette

volonté et au processus de sécurisation de leur pharmacie, de sorte que la recherche de la sécurité

absolue ne constitue pas une priorité.

Une utilisation motivée par la prudence :

Les pharmaciens appartenant à cette catégorie ont, pour la plupart, axé leurs justifications de

recourir à un nombre relativement important de mesures de techno-prévention autour de la notion

générale de prudence. Ces pharmaciens semblent avoir réalisé une analyse plus ou moins étendue et

complète de l’exposition de leur pharmacie à certains risques de sécurité et à certains phénomènes

délictueux violents tels que le braquage et ont, en conséquence, adapté l’organisation de leur

pharmacie afin de prévenir ces risques le mieux possible. Ces pharmaciens présentent la particularité

de tenir un raisonnement abstrait, une anticipation de risques de sécurité hypothétiques se fondant

sur une inclinaison personnelle à la prudence d’un côté, mais également sur certaines informations

concernant la sécurité d’autres pharmacies qu’ils ont pu obtenir. Il y a donc un raisonnement logique,

rationnel à l’œuvre chez ces pharmaciens visant à se prémunir au mieux des risques éventuels

pouvant apparaître dans le domaine de la sécurité, ce qu’aucun des pharmaciens appartenant à la

première catégorie n’a démontré.

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « On a un système d’alarme, [du style

bouton pressoir ?] non ça c’est Télépolice, non on a un système d’alarme pour quand c’est fermé,

contre les cambriolages parce que pendant un moment on cambriolait beaucoup les pharmacies de

247

WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.24-25.

96

façon assez violente juste pour prendre la caisse quand c’était fermé. On a des volets…parce qu’il y a

une époque il doit y avoir sept, huit ans de ça la tendance était de forcer les portes électriques des

pharmacies…qui n’avaient pas de volets, ils forçaient les portes, ils arrachaient les caisses, ils partaient

avec, ils n’avaient pas plus de 200 ou 300 euros de fond de caisse…voilà, pour ça nous on a des volets,

quand on a transformé on a mis des volets pour ça, donc ça fait partie de la prévention…euh…Voilà,

c’est une serrure de sécurité sécurisée à l’arrière…et le système d’alarme, plu Télépolice donc oui je me

sens relativement en sécurité. »

Auteur du mémoire : « Et ces mesures vous les avez…vous les avez implémentées après…à un

moment précis, par rapport à un certain fait ? »

Nicolas : « Non. Non, je…j’ai toujours été convaincu qu’il fallait des volets mais je suis quelqu’un

d’assez prévoyant et de méfiant, donc je me suis équipé comme ça. Dès qu’il y a eu Télépolice et que

j’ai pu le faire j’ai pas attendu qu’il se passe quelque chose. Je connais trop de gens qui ont mis une

alarme après leur troisième cambriolage et pas avant, voilà c’est… »

L’effet dissuasif et rassurant semble être également recherché, ou du moins apprécié, par les

pharmaciens mettant en œuvre un nombre relativement plus conséquent de mesures techno-

préventives de différents types. Le but recherché est autant d’essayer de dissuader de potentiels

assaillants de passer à l’acte que de parvenir à l’établissement d’un environnement de travail

sécurisant. Cette volonté d’agir sur le climat au sein de la pharmacie et de dissuader, autant que faire

se peut, les assaillants et voleurs potentiels s’inscrit dans cette attitude générale marquée par la

prudence que nous évoquions précédemment.

Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Ben nous, le jour où ça été mis en

place au tout début là après le…Ben oui, parce qu’on a quand même eu…qu’est-ce qu’on avait eu en

fait…on a quand même eu un truc, j’avais déjà oublié cette histoire…Il y a deux types qui étaient venus

nous demander la même chose. On a déjà appelé la police mais je ne sais plus pourquoi c’était…mais il

y avait eu en tout cas un suspect, je sais plus c’était pour du vol, un vol ou je ne sais plus quoi. Et on

avait pu revisionner les images quand on les appelle, bah ils nous disent faites le lien et on peut

revisionner…mais bon ça prend quatre heures, faut généralement avoir l’envie de faire ça, mais on peut

le faire si on veut. Et je trouve qu’on se sent plus…je sais pas comment expliquer…il y a une preuve quoi.

Même s’il ne s’est rien passé on se dit ben on l’a peut-être dans la boîte quoi, « on a ton visage »…Je

trouve que…ouais c’est rassurant. On se dit « bon ben il y a quelque chose au moins », on a son visage,

on a les preuves quoi. Après on se sent moyennement rassuré, enfin ça n’a pas vraiment d’effet sur les

gens parce qu’on a normalement une affiche dans un but dissuasif où il est marqué Télépolice, ici c’est

filmé. Mais vu que notre femme de ménage l’a tellement lavé et que c’était en lambeaux elle s’est dit

c’est tout moche je vais l’enlever. Finalement on a plus l’affiche mais normalement le but, la caméra

elle est jaune enfin ça se voit, le but c’est d’être vu en fait. Au début moi j’avais même pas compris, je

disais « m’enfin c’est vraiment »…oui mais le but c’est de dissuader avant de corriger quoi. Donc, si on

est content quand même. On se sent…pas en sécurité, mais ils vont voir qu’on a une caméra et moi

j’aime mieux quoi. Même pour les petits vols quoi. »

Une volonté de sécurisation de la pharmacie qui rencontre certaines limites :

Si les pharmaciens faisant preuve d’une utilisation modérée des mesures techno-préventives

existantes manifestent une volonté claire de se prémunir des risques de faits délictueux ou violents,

réels ou supposés, celle-ci n’est pas absolue. En effet, pour certains pharmaciens que nous avons

classés dans cette catégorie, si assurer la sécurité de sa pharmacie est une nécessité et s’il est normal

97

pour cela d’investir dans plusieurs types de mesures techno-préventives, cela n’implique par le

développement d’un ensemble de systèmes de sécurité parfaitement cohérent et systématisé. Leur

investissement dans les mesures de techno-prévention demeure relativement important,

particulièrement au regard des attitudes présentées par nombre de pharmaciens de notre

échantillon que nous avons présentés précédemment, mais souffre de quelques défauts néanmoins,

certains de ces pharmaciens semblant s’accommoder relativement bien de failles dans leurs

dispositifs de sécurité tant que celles-ci demeurent limitées. Cependant, il convient de noter qu’à

l’inverse des pharmaciens appartenant à la première catégorie, ces failles de sécurité sont comblées

lorsque celles-ci ont permis la matérialisation d’un fait violent ou délictueux. Cela traduit à notre

sens, comme nous le disions précédemment, une volonté d’assurer une sécurisation continue de la

pharmacie ainsi qu’une gestion rationnelle des risques de sécurité.

Auteur du mémoire : « Et toutes les…les mesures, les caméras etcetera vous les avez installées

euh…par rapport à quelque chose, un fait spécifique ou les avez installées comme ça ? »

Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Non, par rapport

à un fait spécifique ! Dans le temps il y a, quand on est venu ici c’est vrai qu’ils nous ont cambriolé, ça

c’est le…le…la bienvenue ça, voilà ils ont cambriolé etcetera, nous on avait fait installé un système

d’alarme mais on voulait le changer parce qu’il tombait en panne…donc il est tombé en panne, on

voulait le changer et…je ne sais pas s’ils sont malins ou je ne sais pas si c’est par hasard…donc entre

le…le…vendredi et le lundi il n’y avait pas d’alarme et ils sont entrés, cassé, le problème c’est qu’ils ont

cassé, cassé, cassé, cassé…donc…la porte était ouverte, voilà c’est pour ça qu’on a changé de

système. »

De même, certains pharmaciens issus de cette deuxième catégorie d’utilisateurs de mesures

techno-préventives affichent ouvertement un certain scepticisme face à l’opportunité de faire usage

des types les plus radicaux et les plus « invasifs » des mesures de techno-prévention. Ces mesures, si

elles sont considérées comme appréciables de par l’effet rassurant qu’elles peuvent amener, ne sont

néanmoins pas accueillies sans équivoque par tous les pharmaciens d’officine, certains d’entre eux

les concevant comme des solutions partielles aux problèmes de sécurité, dont l’efficacité et la

justesse pourraient être questionnées.

Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Mais c’est vrai

qu’avec Télépolice on était rassuré…c’était rassurant psychologiquement mais je ne sais pas si j’appuie

sur le bouton est-ce qu’ils vont venir dans dix minutes ou dans deux heures, ou bien ils ne vont pas venir

du tout…mais c’est vrai que psychologiquement tu te dis « voilà, j’ai un bouton si jamais il y a quelque

chose » mais…je reste à dire que ce n’est pas la meilleure solution si vous vous faites attaquer…donnez

et…ayez une assurance et restez calme. »

Les mesures les plus extrêmes, agissant physiquement sur la pharmacie et ses accès tel que

les systèmes de verrouillage à distance des portes d’entrée, ne sont généralement pas considérées

favorablement par les pharmaciens ayant été identifiés comme appartenant aux utilisateurs modérés

de mesures techno-préventives. En effet, s’ils abordent la possibilité de mettre en œuvre ce type de

mesure, ou s’ils en font usage effectivement, ils en soulignent néanmoins les effets néfastes en

termes de contact avec les patients et le fait qu’il s’agisse d’une mesure imparfaite imposée par les

contraintes de sécurité. Le recours à ce type de mesure techno-préventive, à ce type de modification

de l’organisation et des pratiques professionnelles au sein de la pharmacie, n’est pas réalisé de gaité

de cœur par ces pharmaciens qui, il est intéressant de le noter, semblent également tentés de s’en

départir dès que cela s’avère possible.

98

Auteur du mémoire : « C’est juste, je rebondis par rapport à ce que vous disiez, vous adaptez vos

heures d’ouverture en fonction de…la période de l’année et du… »

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Heures d’ouverture non, maintenant

en garde clairement, si on est en hiver, qu’il fait noir, qu’il fait dégueulasse, qu’il fait froid, je vais

fermer mon volet et servir par le guichet, je vais dire…au plus tard à vingt heures, même si c’est pas

évident pour les clients. En été, quand il fait chaud, quand tout le monde se promène en short et en

tongs parce qu’ils vont au restaurant et tout…je vais rester ouvert au moins jusqu’à 21 heures voire

plus parce que s’il est 21H30 et que les gens ils font leur shopping parce que c’est une ambiance

différente et que je sers au guichet ils vont me regarder comme un fou. »

La possibilité d’appliquer ce type de mesure en permanence, par défaut, est rejetée, avec

plus ou moins de virulence, par la plupart de ces pharmaciens. La perspective d’utiliser des systèmes

de verrouillage à distance des portes d’entrée et de ne plus conserver d’accès libre à la pharmacie est

considérée comme une dénaturation du métier qui ne peut être acceptée. Dans certains cas, cette

perspective a clairement été présentée comme la limite ultime imposée par les pharmaciens à la

sécurisation de leur établissement, la restriction générale de l’accès à la pharmacie semblant être

considérée comme une concession trop importante pour être acceptée et comme l’antithèse de leur

représentation du métier de pharmacien.

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Non, travailler comme ça je ne

voudrais pas. Si demain on me dit que je dois fermer mon volet comme dans une bijouterie avec un sas

et faire sonner les gens, j’arrête. Je ne veux pas travailler comme ça. Guichet de garde la nuit on le fait

parce qu’on n’a pas le choix…les gens râlent déjà la moitié du temps, « et pourquoi ? J’ai une tête

honnête pourtant », oui mais je dois leur expliquer qu’on ne sait pas qui entre derrière eux, c’est ça le

problème hein. Dans les cas exceptionnels où quelqu’un entre vous ouvrez le volet pour laisser sortir,

vous voyez un peï qui rentre derrière et voilà on est coincé et il faut être strict, donc…les gens n’aiment

pas, pour nous c’est pas gai non plus de travailler comme ça, être dans un petit…un guichet de garde,

c’est pas gai, donc travailler comme ça toute la journée je ne voudrais pas. Je…voilà. Je ne le ferais

pas. »

L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des

interactions avec les usagers

Les représentations de ces pharmaciens de leur métier et de l’usager ne diffèrent que peu de

celles que nous avons identifiées chez les pharmaciens employant très peu de mesures techno-

préventives pour assurer leur sécurité. Dès lors, les comparaisons avec les typologies et autres

enseignements issus des théories de Reyes semblent plus limitées dans le cas présent qu’elles ne

l’étaient avec la catégorie des pharmaciens « utilitaristes », même si certaines observations

relativement intéressantes peuvent être faites. Nous nous attendions cependant à ce que l’exercice

de comparaison soit plus complexe avec la présente catégorie de pharmaciens, ceux-ci présentant

une similarité relativement importante avec les pharmaciens « utilitaristes », ne s’en distinguant que

par une utilisation plus extensive des mesures techno-préventives et par certaines motivations leur

étant propres. Dans ce cas, et si le mode d’utilisation des mesures de techno-prévention est lié à la

façon dont le métier de pharmacien est envisagé et concrètement organisé comme nos

comparaisons avec les utilitaristes semblent l’avoir montré, il est relativement peu probable que

99

nous puissions faire correspondre un autre type de profil de pharmacien gestionnaire à notre présent

profil de pharmacien utilisateur de mesures techno-préventives.

Dans leur grande majorité, les quelques pharmaciens appartenant à la catégorie des

« réalistes » semblent concevoir globalement leur métier et leur mode d’interaction avec les usagers

de pharmacie de façon analogue aux pharmaciens que nous avons qualifiés « d’utilitaristes ».

Comme eux, et à l’instar de ce qu’avait observé Reyes, ils accordent une grande importance à la

satisfaction des besoins du patient et à l’écoute de celui-ci. Cependant, certaines divergences

peuvent également être observées. Au premier plan de celles-ci, se trouve la place relativement plus

importante qu’occupe la figure du client et les autres notions connexes se rapportant à la dimension

commerciale du métier de pharmacien. Alors que chez les pharmaciens ne faisant que faiblement

usage de mesures techno-préventives la figure du patient est omniprésente, régissant les pratiques

du pharmacien dans tous les aspects de son métier, elle est ici plus ténue, se conjuguant avec celle

du client entre différents discours de pharmaciens interrogés, et même au sein d’un même discours

parfois. Certains concepts, certains aspects du métier de pharmacien sont ainsi mis en avant dans

leurs discours réflexifs sur leur profession, même si ils en relativisent la portée. Leur simple mention,

et le fait que le discours du pharmacien soit construit autour d’elles, indique à yeux une importance

plus grande accordée à ces aspects.

Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Je pensais que ce métier c’était

plus…Mon père était pharmacien indépendant et donc j’ai toujours eu cette image de…de

l’indépendant. Moi moyen, c’était plus…Ici on fait partie d’un groupe donc c’est différent, ça n’a rien à

voir, c’est même pas une seule officine dont on fait partie, donc c’est vraiment très différent. Et quelque

part on fait partie d’un groupe d’indépendants qui…c’est pas Multipharma et compagnie, donc il

respecte très fort le…enfin le statut de pharmacien et de choix en fait, donc on a aucune obligation de

vendre ceci- cela en temps normal. Donc moi ça ne correspond pas ce que…à mes espérances mais c’est

pas plus mal, ni mieux. C’est différent. »

Les impératifs de vente, s’ils sont niés dans leur effet contraignant, font néanmoins partie de

la conception de cette pharmacienne de son métier, attestant de l’importance relativement plus

importante de la dimension commerciale au sein de celui-ci. De même, plusieurs de ces pharmaciens

nous ont fait part de leur expérimentation, dans certains lieux où ils ont été amenés à exercer, de

certaines interactions avec les usagers de pharmacie très impersonnelles et marquées par une

logique commerciale, l’usager occupant le rôle de consommateur. Ces expériences semblent avoir

atteint leur représentation du métier de pharmacien, ou du moins semble leur en avoir dévoilé la

dimension commerciale, même si elles ne semblent pas avoir eu un réel effet structurant.

Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Effectivement, il n’y a pas de…il

n’y a pas de fantaisies. Bon nous c’est tous les jours fermés...ben c’est comme tout commerce, on

ferme à la même heure on ouvre à la même heure. On finit assez tard mais je trouve qu’on fait un

métier où on a encore de la chance, parce qu’on est respecté…même si ça change. Etre pharmacien il y

a cinquante ans c’était vraiment…enfin voilà, après le curé dans le village et le médecin

c’était…maintenant c’est plus comme ça, on est plutôt caissier. Mais je trouve qu’ici, heureusement

comme les gens sont « éduqués »…je trouve qu’on nous respecte encore beaucoup. Ils nous prennent

pas trop pour des…ben je trouve qu’on a encore un certain respect de leur part et…je pense que dans

les plus petites aussi parce qu’on est quand même d’une utilité certaine. Puisqu’on est quand même la

barrière avant le médecin donc ça permet d’éviter des rendez-vous chez le médecin et ça aide quand

même pas mal. Mais je pense que par exemple à Uccle les gens sont plus…parvenus. On est parfois

moins bien traité. C’est-à-dire que…on est qu’un pharmacien, « de toute façon on n’a même pas besoin

100

de vous ». Ça devient comme aux Etats-Unis, c’est du self-service quelque part. « Ma boîte de Dafalgan

je peux l’acheter sans vous », enfin on nous considère un peu plus comme ça je pense tandis qu’ici je

trouve qu’on a encore de la chance. »

Sébastien [assistant pharmacien dans la commune d’Ixelles] : « C’est vrai que le métier évolue

surtout…et c’est vrai qu’en fonction des quartiers…enfin, je pense à Rue des Tongres surtout, ou c’est

vrai que De Fré où ils n’hésitent pas à dire « oui mais je le paye cash le médicament. Pas besoin

d’ordonnance »…[tu me le donnes] oui c’est ça, « tu me le donnes en main et puis voilà je te donne

l’argent et puis… ». Or que voilà, on a quand même une obligation légale à respecter…et, voilà…les

gens n’ont plus le même respect qu’avant, ils pensent qu’avec leur argent on ne peut rien leur refuser,

leur donner tout ce qu’ils veulent. Et c’est vrai qu’après quand tu travailles dans d’autres petits villages

comme Brugelette ou d’autres, vraiment au fond du Hainaut, ben là…c’est un peu différent, c’est

vraiment…On est, les gens nous considèrent plus vraiment plus…avant le médecin, vraiment…[l’intello

du village]. Oui voilà c’est un peu ça. »

Ces quelques témoignages sont le reflet de l’évolution des structures du marché des produits

pharmaceutiques qui déteignent sur la représentation du pharmacien de son métier et, par ricochet,

sur le mode d’interaction développé avec les usagers et les pratiques organisationnelles suivies. Face

à ces difficultés, Reyes soutient que deux formes principales de réactions sont possibles de la part du

pharmacien ; celui-ci peut décider de résister à la pression instituée par les mutations des structures

du marché, se retranchant dans son rôle de professionnel de santé en refusant, par exemple, de

jouer à fond les avantages concurrentiels en termes de prix248. Il peut également décider de

s’adapter, adoptant une vision stratégique centrée sur le maintien de la compétitivité de son activité,

ainsi que des pratiques et des instruments correspondant à un autre profil de pharmacien

gestionnaire249. Dans ce denier cas de figure, l’usager est perçu essentiellement comme un client

qu’il s’agit de fidéliser et de satisfaire. A l’inverse des pharmaciens gestionnaires « hédonistes »,

semblant pouvoir correspondre à nos pharmaciens utilitaristes dans le domaine de l’utilisation de

mesures techno-préventives, ces pharmaciens plus réceptifs aux pressions du marché identifiés par

Reyes ne correspondent que très partiellement aux pharmaciens faisant un usage modéré des

mesures techno-préventives dont nous parlions plus haut. Hormis le fait que nos pharmaciens

« réalistes » semblent plus influencées par la dimension commerciale du métier de pharmacien,

accordant plus ou moins d’importance à la logique commerciale et aux pratiques organisationnelles

afférentes, et qu’ils partagent une vision stratégique où la satisfaction du client est relativement

présente250, nous ne sommes en mesure d’identifier d’autres correspondances avec d’autres

catégories de pharmaciens gestionnaires identifiées par Reyes, cela dans la mesure où nous

manquons de données quant aux stratégies organisationnelles et managériales développées par nos

pharmaciens.

Nous ne sommes donc pas en mesure d’explicitement relier les pharmaciens d’officine

réceptifs aux pressions du marché, ou de profil « alimentaire » et portés sur la survie de leur

entreprise selon Reyes251, et les pharmaciens développant une attitude « réaliste » par rapport à

248

REYES, Grégory, « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, p.16-17 ; idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.85. 249

Idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.85. 250

Idem., « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p.304-307. 251

Ibidem.

101

l’emploi de mesures techno-préventives, ne pouvant soutenir que l’une complète vraisemblablement

l’autre par plus que nous ne pouvons l’écarter dans l’absolu. Si quelques attitudes relativement

résistantes manifestées par certains de nos pharmaciens face aux pressions croissantes du marché et

des consommateurs tendent à plaider pour les considérer comme des pharmaciens attachés à la

défense de la dimension médico-sociale de leur métier, à l’instar des pharmaciens « hédonistes »,

cela n’est pas le cas de tous. Ainsi, quand certains pharmaciens de notre présente catégorie

réaffirment leur rôle de professionnel de santé face aux comportements jugés « inappropriés » des

usagers, les rapprochant des observations de Reyes, d’autres éludent complètement toute référence

au patient dans leurs discours réflexif sur leur métier, laissant imaginer que d’autres figures et

notions ont plus d’importance à leurs yeux. Devant pareille hétérogénéité de représentations au sein

de notre catégorie de pharmaciens, abstenons nous de conclusions trop radicales et trop incertaines.

Par prudence, nous pouvons raisonnablement avancer l’hypothèse que notre catégorie de

pharmaciens rassemble aussi bien certaines formes de pharmaciens résistants aux pressions du

marché («pharmaciens « hédonistes artistes ») que de pharmaciens y étant plus sensibles

(pharmaciens « hédonistes carriéristes », « alimentaires ») ; il est dès lors possible, toujours de

manière hypothétique, qu’en matière de sécurité ces deux sortes de pharmaciens gestionnaires

s’orientent, à des degrés variables, vers une attitude de prévention des risques de sécurité telle que

celle développée pour les pharmaciens « réalistes », optant pour un recours modéré aux mesures

techno-préventives motivé par la conscience des risques et de la nécessité de les réduire.

iii. La conception « absolutiste » de la techno-prévention : l’utilisation maximale des mesures

techno-préventives et ses motivations :

La dernière catégorie d’utilisateurs de mesures techno-préventives identifiée est, de loin,

celle qui a le plus retenu notre intérêt, au regard de notre sujet de recherche. En effet, certains

pharmaciens semblent se caractériser par une utilisation très extensive et très « radicale » des

différents types de mesures techno-préventives existants, établissant des stratégies de protection à

l’égard des risques de sécurité influant grandement sur l’organisation de la pharmacie et sur

l’accessibilité de celle-ci. Sur le plan strictement objectif et matériel, ces pharmaciens font preuve

d’une utilisation extensive des différents types de mesures techno-préventives existants en

investissant massivement en temps et en capital dans l’achat et l’entretien de divers systèmes de

protection. Nous avons également considéré comme indicateur d’un mode d’utilisation

« absolutiste » des mesures techno-préventives le choix volontaire de contrôler directement les

entrées au sein de la pharmacie et de réduire la libre accessibilité de celle-ci, cela se traduisant par

l’installation de systèmes de verrouillage à distance des portes d’entrée. Ce type particulier de

mesure étant le plus extrême que nous ayons pu observer dans le domaine de la techno-prévention

au sein des pharmacies, nous avons considéré que celui-ci était susceptible de traduire une volonté

de sécurisation de l’officine poussée à l’extrême. Sur le plan des motivations, nous avons supposé

que cette utilisation extensive et radicale des mesures techno-préventives devait nécessairement

s’accompagner d’une recherche de la plus grande sécurité possible, au prix de concessions

potentiellement importantes dans l’organisation de la pharmacie et dans la conduite des pratiques

professionnelles du métier. Les pharmaciens ayant recours aux types les plus radicaux de mesures

techno-préventives devraient manifester une réelle volonté, voire un réel besoin, d’assurer leur

protection vis-à-vis de certains types de faits délictueux et, selon toute probabilité, violents.

102

Une utilisation maximale des mesures techno-préventives marquée par la renonciation à

l’accès libre à la pharmacie :

Une caractéristique majeure des stratégies de prévention des risques de sécurité

développées par cette catégorie de pharmaciens est, incontestablement, le recours à des mesures

empêchant l’accès libre à la pharmacie. Si nous avons fait de cette mesure la propriété charnière des

pharmaciens manifestant un conception « absolutiste » des mesures techno-préventives c’est bien

parce qu’elle ne constitue pas une simple mesure techno-préventive d’un genre particulier venant

s’ajouter à un arsenal de prévention déjà mis en œuvre par un pharmacien, mais qu’elle vient

profondément altérer l’un des principes fondamentaux de la pharmacie, à savoir l’accessibilité et

l’ouverture au public. Il y a ici un antagonisme entre un principe de base de fonctionnement d’une

pharmacie et la logique de sécurisation incrustée dans cette mesure, le pharmacien étant contraint

de consentir à la renonciation, ou du moins à la profonde altération, d’un des principes élémentaires

de sa profession pour favoriser sa sécurité et celle de son établissement. Dès lors, nous avons fait de

l’application d’un système de verrouillage à distance des portes d’entrée de la pharmacie un

indicateur particulier, conditionnant le regroupement des pharmaciens au sein de cette catégorie de

pharmaciens « absolutistes » dans leur approche de la sécurité et de la techno-prévention. Tous les

pharmaciens rassemblés dans cette catégorie ont donc appliqué, volontairement et en connaissance

de cause, ce type de mesure à leur pharmacie. Par le biais de ce regroupement nous pouvons

espérer parvenir à isoler et mettre en lumière les motivations de ces pharmaciens pour recourir à ce

type de mesure, ainsi que la manière dont ils le conçoivent. Au final, nous pourrions alors être en

mesure de déterminer en quels termes ces pharmaciens considèrent la limitation de l’accessibilité de

leur pharmacie et les conséquences que cela implique sur leur mode d’interaction avec les usagers.

Cette catégorie est composée de quatre pharmaciens d’officine présentant tous une utilisation

effective d’un système de verrouillage à distance des portes de la pharmacie. Il est à noter que,

même si un autre pharmacien de notre échantillon (Jean) disposait également de ce type de mesure

dans sa pharmacie, nous ne l’avons pas retenu et inclus dans la présente catégorie en raison du fait

qu’il s’agissait d’un héritage du temps de son père et qu’il ne lui conférait qu’une valeur

« symbolique », ne le gardant que par habitude et par accommodation.

Le recours à ce type de mesure particulier procède d’une progression vers un degré de

sécurisation toujours croissant pour l’ensemble des pharmacies appartenant à cette catégorie. Il

s’agit, en quelque sorte, de l’étape la plus aboutie à notre connaissance d’un continuum de

sécurisation de la pharmacie. La mise en œuvre de systèmes de contrôle à distance des accès de la

pharmacie ne s’est pas réalisée soudainement mais procède d’un ajustement par étape, les

pharmaciens ayant procédé à des renforcements successifs de la sécurité au sein de leur officine par

la multiplication des types de mesures techno-préventives employés et du nombre de dispositifs de

protection en fonction. La décision de réguler les entrées dans la pharmacie serait donc

l’aboutissement d’un processus de sécurisation marqué par un renforcement progressif du niveau de

sécurité au sein de l’officine, en réaction à plusieurs épisodes délictueux et violents. On peut noter,

au préalable, les tentatives des pharmaciens de consolider leurs dispositifs de sécurité déjà existants

pour en maximiser l’efficacité, avant de prendre la décision de recourir aux systèmes restreignant

l’accès à la pharmacie et de changer ainsi radicalement leur stratégie de prévention.

103

Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ben quand je suis

arrivée, il y avait trois caméras, il y en a une à l’extérieur, il y en a une là et là [différents endroits à

l’intérieur de la pharmacie] et…donc il y a l’écran derrière qui, qui…l’ordinateur qui enregistre et

puis…après le premier braquage on a commencé à discuter de voir ce qu’on pouvait améliorer, on a

donc installé l’ouvre-porte, le système magnétique…et alors une quatrième caméra, ça c’est moi qui l’ai

demandée parce que les trois caméras on ne voit pas bien le visage, là il est vraiment, la caméra est

vraiment mise sur l’entrée…bon, en gros, la personne se met là, moi j’ai pas d’autre ordinateur [caisse],

donc la personne se met là et c’est là qu’on peut voir son visage…Donc on ne sait pas faire grand-chose

de plus. »

La mise en place de ce type de mesure, en plus d’intervenir à l’issue d’un processus de

renforcement et d’extension des dispositifs de sécurité déjà existants, s’inscrit également dans la

constatation d’une certaine faillite des dispositifs de sécurité déjà implémentés, ou du moins de leur

relative incapacité à juguler les risques de phénomènes délictueux et violents au sein de la

pharmacie. Certains types de mesures techno-préventives plus répandus, mais néanmoins

relativement avancés, ne semblent pas à même d’assurer une protection suffisante de la pharmacie

pour certains de ces pharmaciens, ne parvenant ni à dissuader le passage à l’acte délictuel, ni à

permettre une réaction de défense lorsque celui-ci se concrétise en actes.

Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Au fur et à mesure, après

chaque agression, je me dis « qu’est-ce que je pourrais faire pour améliorer [la sécurité] ? ».

Donc…donc j’ai mis une caméra qui enregistre au-dessus et…et une sonnette quoi…et le guichet de

garde pour la garde, mais ça je l’ai toujours mis dès le départ donc…c’est tout. »

Auteur du mémoire : « Vous n’avez pas…pas un bouton d’alerte ? »

Linh : « Avant j’avais ça, parce que 1000 Bruxelles faisait ça pour les petits commerçants et puis un

moment ils ont arrêté le contrat donc…donc j’ai un système d’alarme ici que j’ai financé moi-même et

donc en cas de problème on peut appuyer quoi mais…mais on n’a pas le temps, même si on sait qu’on a

ça, c’est trop tard…ils pointent l’arme, qu’elle soit factice ou pas…on ne bouge pas quoi, donc on n’a

pas le temps de bouger vers l’endroit où on a mis le bouton pour appuyer quoi, donc c’est bien pour se

rassurer mais quand ça arrive on n’a pas le temps…d’appuyer sur ce bouton-là. »

Sur le plan des « attitudes psychologiques » des pharmaciens, liées à la restriction de l’accès

à la pharmacie, on peut constater la prégnance d’un sentiment de méfiance très général. En effet, les

pharmaciens regroupés dans cette catégorie nous ont tous fait part d’une crainte aux contours

imprécis les animant dans l’exercice de leur profession. Dans pareille disposition mentale, toute

personne requérant l’entrée à la pharmacie est a priori suspecte et fait l’objet d’une méfiance

générale, « par défaut », les pharmaciens craignant une attaque de braqueurs qu’aucune

caractéristique physique ou attitude ne permet d’identifier avant le passage à l’acte.

Chantale : [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-ville] : « Une fois que je suis

dans la pharmacie il n’y a aucun problème mais c’est vraiment les gens sur le chemin, à l’allée, au

retour c’est vraiment…Je rencontre probablement des gens qui…qui pourraient, qui auraient pu me

braquer, et alors je ne supporte plus de voir…quelqu’un avec un capuchon. Les gens qui

sonnent…maintenant, aujourd’hui j’ai encore demandé à un jeune homme, ce ne sont pas tous des

voyous évidemment mais…je me fais force et je me dis, voilà, je fais signe qu’il l’enlève et s’il ne l’enlève

pas je n’ouvre pas. »

104

Cette méfiance générale se voit bien souvent justifiée ex post par nombre de cas de vols à

main armée et d’agressions de pharmaciens dans lesquels la bonne foi et la bienveillance de ceux-ci

ont directement permis à ce que ces vols et agressions se concrétisent. En effet, la méfiance générale

semble, pour ces pharmaciens, une nécessité au regard du nombre de figures, a priori inoffensives,

dont les braqueurs et agresseurs de pharmaciens ont pu faire usage afin de réaliser leurs méfaits.

Dans pareils cas de figure où les apparences extérieures sont trompeuses, et sont susceptibles de

servir à masquer des intentions criminelles et d’être utilisées comme « cheval de Troie » par les

criminels afin de pénétrer au sein des pharmaciens, la méfiance extrême et générale devient une

attitude naturelle de laquelle le pharmacien ne peut s’éloigner. Les nombreux récits circulant dans la

profession de pharmaciens s’étant fait agresser et braquer car n’ayant pas fait preuve d’assez de

prudence témoignent de la pénalisation de la bienveillance et de l’ouverture à l’égard du public, et

confirment nos pharmaciens dans leur attitude de méfiance générale et systématique.

Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Donc…je savais, j’étais

à côté, une fois pendant la…un samedi…il pleuvait…et il y a un couple qui vient…avec…une poussette et

la femme était enceinte, pour un produit ils voulaient rentrer dans la pharmacie, je dis « je l’ai pas, je

l’ai pas mais allez à la pharmacie… », je leur indique la pharmacie et tout ça…c’était une fausse

grossesse, et ils ont braqué la pharmacie qui était là ! La pharmacienne les a fait entrer parce qu’elle a

vu que la femme était enceinte et tout, c’était une fausse grossesse et…elle a été agressée ! (…) Et cette

fois-là on a eu beaucoup de chance, beaucoup de chance ! Parce que d’habitude quand il y a quelqu’un

qui vient comme ça à…quand je ferme, je les laisse entrer, je dis toujours « ah elle est enceinte et

tout », je compatis…mais je sais pas, j’ai dit non, j’ai dit « c’est pas possible, vous devez aller, il y a une

pharmacie de garde, allez à la pharmacie de garde »…et j’ai bien fait, ils sont allés à la pharmacie de

garde, il pleuvait, la femme les a fait entrer et ils l’ont…ils l’ont agressée. »

Autre conséquence, les pharmaciens ayant recours à la commande à distance du verrouillage

des accès semblent développer une méfiance générale à l’égard de l’ensemble de leur quartier,

procédant à une surveillance de ce qu’il se passe dans les endroits adjacents à leur établissement.

Dans les cas les plus extrêmes, où la victimisation répétée et la crainte des risques d’agressions et de

braquages ont miné la confiance dans le quartier, les pharmaciens semblent se retrancher dans leur

pharmacie et se donnent pour tâche la surveillance des abords de leur officine, considérés

apparemment comme une zone tampon devant être sécurisée, cela afin d’essayer de voir venir les

dangers potentiels.

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Et donc je

suis plus méfiante. En journée je regarde quand même beaucoup plus les gens qui entrent et qui

sortent qu’avant…Il m’arrive de checker un peu ce qu’il se passe dehors, je faisais jamais ça avant, rien

à cirer de ce qu’il se passe sur le trottoir dans ma pharmacie, c’est le cadet de mes soucis, je suis dans

la pharma pour bosser, ce qu’il se passe devant…ça me concerne pas, mais je regarde quand même

plus qu’avant et euh…oui ça, ça…oui, j’ai une certaine méfiance mais plus de ce qu’il se passe dehors

quelque part…une fois que les gens sont dans la pharmacie…soit je les identifie dès la porte comme

ennemi et voilà, mais c’est trop tard…soit c’est juste des clients et par rapport au client je ne pense pas

que ça change quoi que ce soit. Mais je suis oui…globalement plus méfiante, à plus guetter ce qu’il se

passe dehors. »

Ces pharmaciens apparaissent victimes, dans un certain sens, de leur stratégie de prévention

des risques de sécurité et des dispositifs ou politiques qu’ils ont mis en œuvre afin de se protéger.

Sans dénier l’utilité de ces stratégies et dispositifs, les pharmaciens semblent en effet conscients que

ceux-ci affectent grandement leurs comportements et leurs schèmes cognitifs et redessinent

105

complètement leurs habitudes de travail. L’attitude de méfiance systématique, ainsi que les

stratégies de prévention qui la soutiennent, paraissent parfois être considérés par les pharmaciens

comme un poids limitant leur liberté et participant à la dégradation des relations sociales avec les

usagers. Comme certaines études qualitatives sur la victimisation des commerçants l’ont indiqué, ce

sentiment d’une perte en liberté est un effet déjà connu de la victimisation. Certains commerçants

victimes de crimes, en tentant de se préserver d’une répétition de la victimisation, en viennent à

sacrifier à contrecœur une part de leur temps et de leur liberté, ajoutant ainsi un sentiment de

contrainte à leur crainte de la nouvelle victimisation252. De même, la méfiance développée à l’égard

du monde extérieur, procédant d’une crainte difficilement personnalisable et identifiable, conduit

bon nombre de victimes, à l’instar de nos pharmaciens, à éviter le contact avec de personnes

inconnues ou certaines situations jugées suspectes ou dangereuses253, conduisant ainsi à leur

isolement et à un délitement des rapports sociaux courants ou de courtoisie254.

Une stratégie de prévention sujette à certaines limites… :

En dépit du recours effectif et extensif à cette stratégie de prévention particulière, centrée

sur la restriction de l’accès à la pharmacie par le biais de systèmes de contrôle des portes, par nos

pharmaciens, ceux-ci s’avèrent parfois critiques quand à celui-ci, en soulignant clairement qu’il ne

parvient pas à leur assurer une protection optimale en dépit de leurs efforts pour y parvenir.

Plusieurs failles ou effets secondaire regrettables ont ainsi identifiés par les pharmaciens ayant

recours à ces systèmes limitant l’accès à leur pharmacie. En premier lieu, nous pouvons mentionner

le fait que le contrôle exercé par le pharmacien sur les entrées de la pharmacie est loin d’être absolu,

certaines personnes parvenant à entrer dans la pharmacie sans que le pharmacien ne puisse faire

quoique ce soit pour l’en empêcher et sans qu’il puisse jauger si la personne constitue ou non un

danger pour lui et son établissement.

Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Quoi que c’est pas sûr

à 100% parce que quand la porte, quand quelqu’un rentre il faut un laps de temps pour qu’elle se

referme et pendant ce temps-là quelqu’un peut rentrer. Ou bien mes clients ouvrent aussi…ça, ça

arrive, pour faire plaisir…ils se permettent d’ouvrir. Bon, j’ose pas trop leur dire que ça ne se fait pas

mais… »

S’ils ne peuvent empêcher, dans tous les cas, l’entrée de personnes potentiellement

malveillantes dans la pharmacie, ces systèmes de contrôle des accès s’avèrent également

susceptibles d’augmenter le danger auquel le pharmacien peut être confronté, contribuant parfois à

l’augmentation de la tension qui, à son tour, pourrait susciter des comportements violents de la part

d’un délinquant qui ne saurait s’échapper de la pharmacie.

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Alors

même la pharmacie fermée hein, l’autre pharmacie en fait, suite aux multiples braquages, elle a

installé un système où il faut sonner pour pouvoir rentrer...le problème c’est qu’ils tiennent la porte et

le suivant passe...donc c’est qu’à moitié sécurisant parce que si on ne rouvre pas ils ne savent pas

252

BARIL, Micheline, « Ils n’ont plus la liberté : réactions à la victimisation et ses conséquences », Criminologie, Vol.13, N°.1, 1980, 97-99. 253

Idem., « Une illustration de la peur concrète : le cas des victimes », Criminologie, Vol.16, N°.1, 1983, p.34-36. 254

BARIL, Micheline & MORRISSETTE, Anne, “Du côté des victimes, une autre perspective sur le vol à main armée“, Criminologie, Vol.18, N°2, 1985, p.A26-127.

106

sortir, ça c’est le détail qui me déplaît hein...je me dis je ne suis pas à côté, ils ont fini, ils ont pris leurs

trucs, ils veulent sortir, ils n’y arrivent pas, il se passe quoi ? C’est moi qui suis enfermée dedans

hein...et ça, son système à elle moi j’en suis pas fan... »

En tout état de cause, les pharmaciens ayant opté pour une stratégie de prévention

restreignant l’accès à leur pharmacie semblent s’être fait à l’idée que les systèmes de contrôle des

accès ne peuvent leur garantir une sécurité absolue. Certains de ces pharmaciens vont jusqu’à,

implicitement, reconnaître un état de faiblesse relatif contre lequel virtuellement rien ne peut être

fait. La sécurisation de leur officine et la recherche de la prévention des risques d’agressions et de

braquages prend la forme, dans les discours de ces derniers, comme une entreprise sisyphéenne où

chaque avancée dans le domaine de la sécurité n’est que provisoire et est appelée à être dépassée

par l’innovation criminelle.

Linh : [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « En fait au début, la

première fois je n’avais pas de sonnette donc c’était…ils rentraient avec des casques de moto et des

gants…et ça je n’ai pas fait attention, et là ils ont pointé une arme et ils ont pris la caisse. La deuxième

fois c’était quoi ? Je n’avais pas encore de sonnette encore, j’avais une caméra et…mais ça n’a servi à

rien, on ne les a pas trouvé. Et la troisième fois j’ai mis une sonnette et ils ont demandé à un petit

garçon de sonner…ils sont cachés derrière la porte et ils sont rentrés à trois. Voilà, donc je pense que

quoi qu’on fasse ils trouveront toujours la faille pour rentrer s’ils veulent vraiment et…bon moi je fais

tout ça pour moi, pour me sentir en sécurité mais…ils trouveront toujours la manière de rentrer en fait

et…et voilà, quoi qu’on fasse. »

Sur le plan psychologique, si nous pouvions penser a priori que pareille stratégie de

prévention devait parvenir à rassurer les pharmaciens dans l’exercice de leur métier, il semblerait

que les effets ne soient pas univoques. Certains pharmaciens, ayant subis des assauts à répétions et

ayant été contraints d’adapter l’organisation de leur pharmacie en restreignant considérablement

son accès, nous ont ainsi fait part d’un malaise par rapport aux systèmes de verrouillage des portes,

démontrant une certaine ambiguïté dans la manière dont ils les conçoivent.

Chantale [gérante de pharmacien dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais ici…en fait je me

sens en prison. C’est plutôt ça. C’est pas que je me sens en sécurité, en même temps je suis enfermée

c’est plutôt ça mais je…je sais qu’il y a cette porte qui est fermée et…bon c’est moi qui décide qui

entre. »

Le malaise peut également porter sur la profonde modification du mode d’interaction avec

les usagers que la stratégie de prévention fondée sur la restriction de l’accès induit. Le malaise ne

porte alors plus sur la limitation de la liberté du pharmacien mais sur la détérioration de la qualité de

l’accueil réservé à l’usager et de la qualité des relations sociales qui en découlent. Le pharmacien

expérimentant pareil malaise semble partagé entre des sentiments contradictoires d’empathie pour

l’usager et de méfiance vis-à-vis de celui-ci et de l’environnement extérieur. Néanmoins, ce malaise

demeure confiné au stade de ressenti émotionnel ou de réflexion abstraite, nos pharmaciens

interrogés ne changeant en rien leur stratégie de prévention et appliquant les politiques qu’ils se

sont fixées en matière de contrôle de l’accès à la pharmacie de façon rigide.

Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Le problème c’est que

après huit…il y a toujours des petits attroupements le soir pour la drogue et ça, moi quand je suis de garde, c’est

horrible parce que les gens n’osent pas descendre de leur voiture, ils voient des petites troupes là et ils ne

viennent pas, ils passent, ils téléphonent pour passer à la pharmacie et ils ne viennent jamais parce que ça fait

107

peur, ils n’osent pas descendre de la voiture et donc ils vont à une autre pharmacie de garde. Donc moi je perds

mon temps et…bon je les comprends parce que rester à l’extérieur…parce que moi je n’ose pas ouvrir non plus

donc ils doivent rester à l’extérieur…(…) Ou il y a des femmes que je laisse dehors et elles râlent aussi, je

comprends aussi parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité et qu’elles voudraient rentrer…mais il y a des

situations où on met une femme devant, on ouvre et ceux derrière ils se cachent, ils rentrent et on ne sait pas,

on ne sait pas comment…[interruption téléphone] »

…mais susceptible d’être encore radicalisée :

Face à la perspective de faire encore évoluer cette stratégie de prévention vers un contrôle

renforcé du public désireux d’accéder à la pharmacie pour assurer plus de sécurité au personnel

officinal, les pharmaciens de la présente catégorie semblent pour le moins divisés. Pour certains, la

perspective d’un approfondissement des dispositifs techniques de sécurité, de cette stratégie de

prévention où l’accès à la pharmacie est déjà restreint et où le public est déjà filtré, demeure une

possibilité qui n’est pas éludée. Et bien que cette perspective d’avenir ne semble pas susciter un

grand enthousiasme chez les pharmaciens qui nous l’ont présentée en des termes relativement plus

positifs, celle-ci ne peut être considérée comme une simple spéculation n’ayant jamais été

considérée sérieusement. En effet, certains pharmaciens semblent avoir déjà envisagé sérieusement

la possibilité de modifier leur stratégie de prévention vers un renforcement des contrôles exercés sur

les usagers de pharmacies ou, du moins, semblent avoir déjà discuté cette possibilité.

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Ah mais on

s’était dit que l’idéal c’était de mettre un sas comme dans les banques…mais euh…c’est pas

faisable…autant matériellement ce, ça prend de l’espace, machin et puis euh…si on doit faire rentrer

des gens dans des sas, maintenant il paraît qu’en Espagne par contre ils reçoivent comme à la banque

avec, avec des vitres blindées etcetera ! (…)Mais le coup de la porte à sas, souvent on en a déjà reparlé

plusieurs fois en disant ben en fait ça serait l’idéal mais nous on le fera pas parce que c’est « too

much »…mais euh…mais on se dit quand même que c’est un idéal…on pense que ça serait la meilleure

option…mais…mais c’est pas faisable, enfin c’est pas faisable, ça me semble difficilement

réalisable…humainement parlant déjà…matériellement aussi, ça doit quand même être assez

exorbitant. »

Tous ne semblent pas prêts à adopter des mesures aussi radicales et à renforcer le contrôle

exercé sur les accès de la pharmacie. En effet, pour certains, la stratégie de prévention impliquant

une restriction du libre accès à la pharmacie et, surtout, l’amputation de l’ouverture sur l’extérieur

du métier de pharmacien est une concession déjà lourde qui ne saurait être encore renforcée. Dès

lors, l’idée de l’implémentation de mesures additionnelles visant à accentuer le contrôle du

pharmacien sur les personnes entrantes dans la pharmacie et, ainsi, à le couper un peu plus du

monde extérieur est une phase du processus de sécurisation qui viendrait rompre un certain

équilibre au sein de leur identité professionnelle. Dans ces cas où l’accord de la primauté à la logique

sécuritaire par rapport aux autres logiques et dimensions du métier de pharmacien paraît

inacceptable, le retrait de la vie professionnelle semble devenir une possibilité envisagée. La

littérature scientifique sur les réactions à la victimisation a mis en exergue cette possibilité, certaines

108

victimes se révélant prêtes à résister au risque de victimisation jusqu’à un certain point mais pouvant

recourir à la fuite au-delà de celui-ci.255

Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ben travailler avec un

guichet comme à la banque…ne pas avoir de contact direct avec les gens…enfin je ne vois pas d’autre

solution. Pourtant, ma banque j’y suis allée justement hier chez Belfius, à Stockel, maintenant ils ont

comme dans un hall d’aéroport ils ont un…allez, un comptoir avec un grand siège où le client se

présente devant, il n’y a pas de…de contact…[interruption] »

Auteur du mémoire : « Est-ce que vous sauriez faire ce dont vous parliez, enfin, devoir mettre un

guichet…est-ce que vous trouveriez ça compatible avec votre manière de travailler ? »

Chantale : « Ben non parce que justement c’est à partir de ce moment-là que je pourrais arrêter de

travailler. C’est…ça…j’aime beaucoup, vraiment beaucoup mon métier mais je me dis, parce que

justement les conditions sont telles, déjà cette sonnette ça m’énerve et j’ai travaillé avec la porte

ouverte toute l’année dernière, l’été était beau, la porte grande ouverte…et…maintenant rester la

porte fermée ça me…ça m’ennuie donc…j’aime bien, parce que ce sont des conditions telles…mais je ne

suis pas faite pour être une employée derrière un guichet. »

Une caractéristique significative dans le parcours des pharmaciens « absolutistes » : le

traumatisme des épisodes de victimisation

L’analyse détaillée des discours des pharmaciens que nous avons catégorisés « absolutistes »,

au regard de leur conception particulière de l’utilisation de la techno-prévention, a révélé une

particularité dans leurs parcours et dans leurs expériences concrètes du braquage que les autres

catégories de pharmaciens n’ont pas démontré. Il s’agit d’une expérimentation particulièrement

traumatique du braquage, la quasi-totalité de ces pharmaciens nous ayant fait part d’avoir vécu

personnellement un ou plusieurs braquages traumatisants. L’important, dans leur discours, semble

moins être le nombre d’épisodes de braquage auxquels ils ont été confrontés que la violence

ressentie lors de ces braquages. En effet, le traumatisme découlant de ces expériences ne semble pas

particulièrement lié au taux de victimisation, les pharmaciens ne mettant pas particulièrement en

évidence le nombre de braquages vécus comme élément central dans leur explication de leur

traumatisme, mais s’attardant beaucoup plus sur la vision qu’ils en ont eue et la violence qu’ils en

ont perçue, même dans les cas où celle-ci n’est demeurée que situationnelle et non traduite en

atteinte physique.

Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ben la première fois

c’était…c’était…c’était dramatique, enfin j’étais enceinte déjà, j’étais en fin de grossesse et avoir ça, ça

m’a un peu…j’avais peur de recommencer, de revenir travailler et d’un côté je me suis dit « si je ne le

fait pas tout de suite, après ça sera trop tard », donc je me suis forcé à y aller et…c’était, c’était dur la

première fois. La deuxième fois on commence à être habitué [rire]. Et la troisième fois c’était pas moi

c’était ma collègue, et elle était quand même traumatisée quoi. Donc…et…elle a dû quand même suivre

un petit…enfin je crois qu’elle a quand même été voir un psy un certain moment pour pouvoir

débloquer la peur mais…mais voilà, c’est beaucoup de…c’est pas vraiment la perte en elle-même mais

255

BARIL, Micheline, « Ils n’ont plus la liberté : réactions à la victimisation et ses conséquences », Criminologie, Vol.13, N°.1, 1980, p.97, 100-101 ; SKOGAN, Wesley G. & BLOCK, Richard, “Resistance and injury in non-fatal assaultive violence”, Victimology, Vol.8, N°.3-4, 1983, p.220

109

c’est…l’aspect psychologique après, on doit avoir la force d’aller travailler, se sentir, et dès que

quelqu’un rentre avec…un chapeau, une cagoule en hiver on a peur en fait. »

Comme on peut le voir, et contrairement à ce que certaines études pouvaient nous laisser

imaginer256, le nombre d’épisodes de braquage vécus et la violence objective déployée n’est pas

toujours fonction du degré de traumatisme vécu par la victime. En l’occurrence, notre pharmacienne

semble avoir été marquée essentiellement par le premier braquage auquel elle a été confrontée,

probablement pour la raison contextuelle de sa grossesse, en dépit du fait qu’il n’ait pas impliqué de

coups et blessures et qu’il ait été suivi par d’autres braquages par la suite. Relativisons néanmoins la

portée de ce cas particulier car les autres pharmaciens appartenant à cette catégorie semblent,

quant à eux, avoir subi une grande violence dans les braquages auxquels ils ont été confrontés ; ce

qui semble également être à l’origine de l’aspect traumatique de ces braquages aux yeux de ceux-ci.

Dans ces cas, la violence n’est plus seulement situationnelle mais elle se traduit objectivement par

diverses formes d’atteintes à l’intégrité physique du pharmacien, le traumatisme dérivant alors

vraisemblablement de ce caractère violent du braquage et des blessures portées à la victime.

Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Non ça a toujours été

un quartier très gentil…une forte mixité mais une mixité dangereuse, j’ai déjà été agressée, j’ai une

cicatrice encore, j’ai fermé pendant un temps, j’ai eu le visage fracassé hein…ici ! Oui, oui, ici en

2008…donc c’est vous dire que…voilà quoi (…) et depuis que j’exerce c’est…c’est la seule fois où j’ai été

agressée physiquement…donc, les agressions verbales ça il y a toujours hein…mais physiquement c’est

la seule fois et c’était assez grave hein, je pouvais y laisser ma vie hein ! »

Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Donc moi je…je ne

m’attendais pas…à ce que ça, parce que surtout c’est arrivé déjà un an après que je sois arrivé ici donc

je me sentais tout à fait à en confiance et…euh…là c’est…je dirai que je me suis rendue compte

que…que le choc était important…pas sur le moment, évidemment la première semaine je ne me

sentais pas mal, je me disais « bon ça va, ça va aller, ça va aller », et puis ça a commencé mais…une

fois…la deuxième fois quand c’est arrivé euh…ça a été la catastrophe, c’est…(…) Oui, en plus moi j’ai

été brûlée par le gaz lacrymogène, parce que je ne savais pas ce que c’était. Je suis vraiment naïve

parce qu’il avait son révolver et quand je lui ai donné l’argent il l’a levé et…je…je me suis mise comme

ça…il a tiré, pour moi il a tiré, mais j’avais pas vu qu’il avait un spray, en fait il a fait aller son spray sur

mon visage et je me dis « tiens, il a un pistolet à eau », je ne savais pas ce que c’était ! Donc j’ai

attendu, je ne me suis même pas lavé la figure…vingt minutes après donc ça puait dans toute la

pharmacie et…je ne savais pas, je ne savais pas. »

L’identité professionnelle de ces pharmaciens : une attitude de prévention s’inscrivant dans

le prolongement d’une logique économique mais n’en favorisant pas la réalisation

A bien des égards, les pharmaciens présentant les visions les plus positives des stratégies de

prévention centrées sur la restriction du libre accès aux pharmacies sont également ceux qui

semblent s’inscrire le plus dans une logique d’action économique et managériale, au sens défini par

Reyes. La lecture qu’ils réalisent de leur exposition aux risques de violence et de délinquance, ainsi

que de leurs stratégies afin d’y répondre, semble mobiliser activement des notions commerciales et

256

BARIL, Micheline & MORRISSETTE, Anne, “Du côté des victimes, une autre perspective sur le vol à main armée“, Criminologie, Vol.18, N°2, 1985, p.A26-127 ; WYNNE, Tom, « An investigation into the fear of crime : is there a link between the fear of crime and the likelihood of victimization ? », Internet Journal of criminology, 2008, p.17-20.

110

économiques, celle-ci se centrant sur la figure du client et sur l’impact négatif de la restriction de

l’accès à la pharmacie sur le chiffre d’affaire. Ces pharmaciens semblent difficilement assimilables

aux autres catégories de pharmaciens abordées précédemment, au regard de la manière dont ceux-

ci semblent interagir avec les usagers de pharmacie et considérer le mode d’organisation de leur

pharmacie. Si dans les deux catégories précédentes la figure du patient était fort présente, à des

degrés variables, dans les discours tenus sur le métier de pharmacien et ses implications

fonctionnelles, celle-ci est ici considérée de manière plus ambigüe. Les pharmaciens que nous avons

identifiés comme développant une conception « absolutiste » de la techno-prévention nous ont fait

part, dans leur majorité, de la réalité de la dimension commerciale dans l’exercice de leur métier,

abordant le mode d’interaction avec les usagers en des termes inédits jusqu’alors. Dans ces discours

revenait de façon récurrente le problème de distanciation de l’usager par l’effet de la stratégie de

prévention fondée sur la restriction de l’accès à la pharmacie ; problème présenté, uniquement et à

notre grand étonnement, sur le plan de l’impact sur les ventes.

En effet, pour la majorité de ces pharmaciens, si l’adoption de mesures techno-préventives

restreignant l’accès à la pharmacie s’avère être une nécessité au regard des risques de sécurité

auxquels ils se considèrent confrontés, ces mesures ne facilitent pas le déroulement de l’activité

commerciale de la pharmacie. Ces pharmaciens semblent confrontés à une tension entre plusieurs

logiques et, principalement, entre deux logiques particulières dont nous n’avions pas anticipé la

possible opposition. Il ne s’agit plus ici d’une tension entre une logique médico-sociale liée à

l’identité professionnelle du pharmacien et une logique sécuritaire, bien qu’elle ne soit pas tout à fait

absente, mais bien d’une tension entre une logique commerciale poussant à la vente et à la

satisfaction du client et une logique sécuritaire poussant au repli et à la distanciation par rapport au

client. Cette tension s’avère particulièrement visible lorsque, comme dans l’extrait suivant, le

pharmacien désire exercer son métier en se prémunissant de risques de sécurité qu’il considère

comme réels et nécessitant une réaction de sa part, mais que cette stratégie de prévention implique

une distanciation par rapport à ses clients.

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « **** donc la pharmacienne

dans l’autre pharmacie qui a une sonnette, dit « mais oui mais pourquoi vous ne bloquez pas votre

porte ? »…mais il y a trop de gens ! Je ne peux pas passer mon temps à pousser sur ce bouton pour

ouvrir et fermer quoi ! Déjà chez elle ça me rend dingue…mais…mais chez nous on a 30 ou 40% de

clientèle en plus, non, non ! Je…Ah non, pour moi c’est pas faisable passer mon temps à pousser sur le

bouton quoi. Sans compter qu’il sonne, tu pousses, ah mais ils ouvrent pas, faut pousser une deuxième

fois, t’es occupé avec quelqu’un, il râle parce que c’est pas ouvert…non, non c’est…trop…enfin, trop

compliqué à mes yeux d’aller mettre ce système-là dans la grande pharmacie, dans la petite ça

m’énerve déjà mais dans la grande…impossible. Ça m’énerverait moi et ça énerverait les clients »

La figure du client semble occuper une place centrale dans cette réflexion sur les stratégies

de prévention à adopter pour sécuriser la pharmacie et sur leurs conséquences sur les activités s’y

déroulant. Dans certains cas, cette figure semble prendre un poids écrasant, occultant en grande

partie la figure du patient qui, comme on l’a vu précédemment, mobilise des logiques et des

pratiques différentes. Certains pharmaciens de la présente catégorie semblent s’être parfaitement

identifiés à la logique commerciale, révélant, du moins lorsqu’ils évoquent les implications de leurs

modes de protection, une conception de l’interaction avec l’usager de pharmacie où celui-ci occupe

avant tout le rôle d’un client. Dans ces cas, l’éloignement de certains usagers par la fermeture

relative de la pharmacie est présenté comme un effet secondaire malencontreux de la stratégie de

111

prévention adoptée, créant certaines pertes financières. La figure de patient et les notions de

besoins sociaux ou médicaux, ou d’éthique pharmacienne, ne sont pas abordées, ces pharmaciens

préférant aborder ces situations en termes de complexification de l’activité commerciale et d’un

manque à gagner dans leur chiffre d’affaire.

Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : «Ben…si un jour j’enlève la

sonnette je me sentirais en sécurité et que n’importe quel q-client pourra pousser la porte je n’aurais

pas peur et…ce n’est pas encore le cas, c’est loin d’être le cas donc…le jour où j’arriverais à faire ça

c’est que je me sentirais en sécurité. C’est tout. Parce qu’une pharmacie normalement c’est ouvert au

public et on ne met pas de sonnette, c’est pas, ce n’est pas non plus…Mais ça fait baisser ma clientèle

ça aussi, mais je n’ai pas le choix donc…oui j’aimerais enlever mais, mais ce n’est pas le moment. »

Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-ville] : « Il y a une diminution de

la clientèle, tu perds des clients parce que quand quelqu’un pousse la porte il s’en va, tu n’as pas

toujours le temps de…parfois tu es sur l’ordinateur, tu peux être occupé à faire du rangement, si la

personne sonne et pousse la porte et que tu ne la vois pas, la personne s’en va, donc ça cause une

diminution de la clientèle…mais est-ce que la vie…vaut la peine si, si tu passes de l’autre côté ? Non !

Peut-être gagner moins mais être en vie ! »

Ces observations nous permettraient-elles d’inférer sur le mode de gestion de ces

pharmaciens et de les relier aux typologies établies par Reyes ? Probablement pas car le même

problème de manque de données que soulevé précédemment interdit pareil exercice d’inférence.

Nous pouvons seulement constater que plus les pharmaciens semblent se doter de stratégies de

prévention étendues et radicales, plus ils semblent accorder de l’importance à la figure du client et

aux implications commerciales et financières de la criminalité et de sa prévention. Si nous savons que

cette figure revêt une grande importance dans le mode de gestion et les stratégies managériales

déployés par certains profils de pharmaciens, réceptifs aux signaux du marché et à la logique

économique257, identifiés par Reyes, nous sommes bien incapables de déterminer si l’une de ces

catégories correspond, dans le domaine managérial, à nos pharmaciens « absolutistes ». Si la

possibilité demeure ouverte, nous ne sommes malheureusement pas en la possession de données

suffisamment détaillées pour l’évaluer, ne disposant que de très peu d’indications sur les modes de

gestion et les stratégies et pratiques managériales des pharmaciens appartenant à notre échantillon.

Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est que les personnes composant notre dernière catégorie de

pharmaciens semblent privilégier une identifié professionnelle plus portée sur la dimension

économique du métier de pharmacien et accordant plus d’importance à la figure de client.

En outre, ces pharmaciens ne semblent pas capables, malgré eux et malgré leur inclinaison à

privilégier l’aspect commercial de leur métier, de développer un mode d’organisation de leur

pharmacie favorisant la vente de produits et la pleine exploitation de la dimension commerciale du

métier de pharmacien, comme Reyes l’avait soutenu. En effet, Reyes avait soutenu que les

pharmaciens privilégiant cette dimension adaptaient leur mode d’organisation de la pharmacie en

correspondance dans le sens suivant « Le cœur de l’activité s’articule autour de la vente de

médicaments et de produits hors médicament en s’appuyant sur des compétences managériales. (…)

Ils sont moins en contact avec le client mais ne délaissent pas pour autant leur mission de

professionnel de santé. (…) Le client est au cœur de leur préoccupation car ils s’inscrivent dans une

257

REYES, Grégory, « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p. 304-305, 310-311.

112

relation commerciale avec celui-ci. Ainsi, l’identité de commerçant est très présente dans leur

conception du métier. L’orientation stratégique des titulaires est la croissance de l’activité en

développant leur entreprise par la distribution de produits. »258. Plus tard, Reyes a complété cette

description en ajoutant « Le titulaire qui s’identifie comme le gestionnaire d’un commerce se repose

davantage sur l’aspect distribution de son métier. Dès lors, le design de son officine est orienté pour

faciliter la distribution. Cela suppose que l’espace de vente soit strictement étudié pour maximiser la

rentabilité du linéaire et faciliter la fréquentation de l’officine. »259.

Comme on a pu le constater, le mode d’organisation de la pharmacie adopté par nos

pharmaciens présente une différence flagrante avec le modèle « idéal-typique » de Reyes. Dans le

cas de nos pharmaciens « absolutistes », ceux-ci développent et n’organisent nullement leur officine

dans l’optique de maximiser leurs ventes. Si ceux-ci semblent très attentifs à la dimension

commerciale de leur métier et à ce que cela implique sur le plan organisationnel, ils semblent

néanmoins organiser leur pharmacie par rapport à un référent sécuritaire, même si cela revient à

entraver la bonne marche du commerce. Les effets dépressifs sur les ventes des dispositifs de

sécurité relativement lourds et invasifs ont déjà été constatés par certains auteurs, même s’ils ne

font pas consensus. En effet, alors que certains n’ont pas constaté d’effets apparents sur les ventes

et sur les rapports avec les usagers découlant de l’introduction de portes sécurisées contrôlées à

distance260, à l’inverse d’autres types de mesures261, d’autres auteurs ont rapporté que les

commerçants avaient pleinement conscience des effets commerciaux négatifs liés à l’utilisation de ce

type de mesure de prévention, acceptant la perte de clients potentiels au nom de leur sécurité262. Ce

référent, cette dimension, sécuritaire joue selon nous un rôle essentiel auprès de certains

pharmaciens dans leurs stratégies managériales et leurs pratiques organisationnelles, celui-ci

conditionnant le degré d’ouverture de la pharmacie et le mode d’interaction du pharmacien avec les

usagers.

Les pharmaciens les plus réceptifs à cette dimension sécuritaire sont, corrélativement, ceux

qui ont le plus tendance à considérer les usagers de pharmacie en termes commerciaux et par le

prisme de la figure du client. De cela nait deux projets contradictoires qui tendent à s’annuler

mutuellement, contraignant le pharmacien à un choix entre les deux : privilégier la dimension

commerciale de la pharmacie en augmentant le volume des ventes et le nombre de clients, ce qui

implique un plus grand flux de personnes dans la pharmacie, ou privilégier la dimension sécuritaire

en réduisant les risques d’exposition à la délinquance et la violence, ce qui implique la restriction de

l’accès à la pharmacie. Au regard de nos données, il semblerait qu’objectivement les pharmaciens

« absolutistes » aient tranché en faveur de l’option sécuritaire mais sans pour autant avoir renoncé à

en accepter totalement les implications commerciales ; la résultante en serait le développement

d’une tension dans le chef du pharmacien entre ces deux projets, ces deux logiques de

fonctionnement, se traduisant dans leurs discours par une déploration de la baisse de la clientèle par

258

REYES, Grégory, « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, p.21. 259

Idem., “Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.20. 260

WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.26. 261

Ibid., p.24. 262

BARIL, Micheline, « Une illustration de la peur concrète : le cas des victimes », Criminologie, Vol.16, N°.1, 1983, p.39-40.

113

le fait de leurs stratégies de prévention des risques de sécurité limitant le libre accès à la pharmacie,

mais également par une totale absence de volonté de les modifier.

Il est assez étonnant, à notre sens, d’observer un établissement médical-commercial où

l’accessibilité devrait occuper une place centrale, opter pour un mode de contrôle de l’espace aussi

radical. Les pharmacies constitueraient, hormis de très rares exceptions, le seul type de commerce

pratiquant la restriction de l’accès afin de se protéger des risques de sécurité, cela au mépris des

principes commerciaux et sociaux les plus élémentaires. Ainsi, mêmes les commerces ou zones

constituant des cibles privilégiées pour plusieurs formes de délinquance en raison de leur caractère

« semi-public » et de leur grande accessibilité adoptent un mode de contrôle de l’espace plus subtil

et plus modéré dans leurs stratégies de prévention des risques de délinquance263. Si la plupart de ces

espaces commerciaux, auxquels nous faisons référence, bénéficient indéniablement d’avantages

d’échelle dont les pharmacies ne peuvent disposer leur permettant d’exercer un contrôle total mais

plus diffus sur leur espace, ceux-ci semblent néanmoins toujours attacher une grande importance à

ce que leurs stratégies de prévention ne portent pas atteinte au climat propice au commerce264.

Comme le soulignaient plusieurs auteurs à propos des centres commerciaux, la logique commerciale

l’emporte sur la logique sécuritaire dans le contrôle de l’espace et la gestion des risques de sécurité,

chaque usager étant considéré comme un client potentiel plutôt qu’une menace potentielle265. Tant

les centres commerciaux, ou galeries de tailles plus réduites, que les pharmacies poursuivent un

objectif relativement similaire que Goss définit comme l’établissement d’un “strategic space, owned

and controlled by an institutional power, which, by its nature, depends upon the definition,

appropriation and control of territory. Its designers seek to deny the possibility of tactics, an

oppositional occupation by everyday practices; that is, activities which do not require a specific

localization or spatially but which may temporarily use, occupy or take possession of strategic

space.”266 Cependant, la différence d’échelle entre ces entités rendrait ces pratiques de contrôle plus

visibles et plus directes dans les pharmacies, celles-ci ne disposant pas d’une grande marge de

manœuvre pour assurer un contrôle discret des flux de personnes et devant agir au plus près de

celles-ci afin de contrôler leurs comportements.

263

ANDRE, Pascal & al., « Quelle gestion des incivilités dans les entreprises accueillant du public ? », Lien Social et Politiques, N°.57, 2007, p.151-162 ; BONNET, François, « Les effets pervers du partage de la sécurité. Polices publiques et privés dans une gare et centre commercial », Sociologie du Travail, 2008, p.505-520 ; Idem., « Contrôler des populations par l’espace ? Prévention situationnelle et vidéosurveillance dans les gares et les centres commerciaux », Politix, N°.97, 2012, p.25-46 ; 264

Idem., « Les effets pervers du partage de la sécurité. Polices publiques et privés dans une gare et centre commercial », Sociologie du Travail, 2008, p.509-510. 265

Idem., « Contrôler des populations par l’espace ? Prévention situationnelle et vidéosurveillance dans les gares et les centres commerciaux », Politix, N°.97, 2012, p.43-44 ; WYVEKENS, Anne, «Espace public et civilité : réinventer un contrôle social ? Perspectives pour la France », Lien Social et Politiques, N°.57, 2007, p.41. 266

GOSS, Jon, “The “magic of the mall”: an analysis of form, function, and meaning in the contemporary retail built environment”, Annals of the Association of American Geographers, Vol.83, N°.1, 1993, p.35.

114

2. Des stratégies de protection « offensives » fondées sur la confrontation directe des

assaillants :

a. L’opposition aux assaillants ou le recours à la force :

Au-delà du recours massif aux différents types de mesures techno-préventives pour assurer

la défense de leur personne et de leur établissement, certains pharmaciens semblent avoir

développé d’autres types de stratégies qui ne visent pas à prévenir les risques de sécurité mais bien

à contrer directement ceux-ci lorsqu’ils se matérialisent en menaces concrètes. Dans ces stratégies

plus directes et offensives, les pharmaciens ne développent pas une approche passive des risques de

sécurité et de violence, souhaitant agir sur les opportunités de passage à l’acte délictuel au moyen de

mesures techno-préventives, mais semblent bien se voir comme des acteurs à part entière capables

de réagir face au danger et de confronter directement les individus identifiés comme menaçants. Ces

pharmaciens, s’ils font également usage de mesures techno-préventives à des degrés différents, se

distinguent néanmoins par leur recours à des moyens d’action de nature offensive et impliquant

l’usage de la force physique. Pour cette raison nous privilégierons l’emploi du concept de protection,

au lieu du concept de prévention, nous inspirant des définitions conceptuelles de Smith et de Yu sur

la sûreté et la sécurité. Dans cette perspective, la protection serait liée à la neutralisation des risques

d’atteintes directes et délibérées à l’intégrité d’un individu ou de sa propriété par un acte criminel267.

En cela, la protection agirait sur la menace elle-même et non plus sur les conditions, les opportunités

de sa réalisation.

Alors que la grande majorité des pharmaciens semble ne pas considérer la confrontation de

leur assaillant comme une possibilité, les pharmaciens présents font montre d’une volonté de

pouvoir atteindre physiquement la menace et de la neutraliser, ce que nous n’avions pas considéré

comme étant une attitude courante et pouvant être anticipée. Le moyen d’action le plus simple, et

recourant le moins à la force physique, mobilisé par certains de ces pharmaciens s’est avéré être,

tout simplement, le refus d’obtempérer aux injonctions des braqueurs et la confrontation verbale de

ces derniers. Si l’on peut douter de l’efficacité de pareil type de moyen d’action, le rare cas présent

dans nos données nous démontre que ce moyen s’est avéré suffisant pour déstabiliser et mettre en

défaut les braqueurs.

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Une des premières fois

euh…c’était juste avant la fermeture…je servais un patient, il y a quatre jeunes qui rentrent, cagoulés,

un qui s’est mis devant moi avec son arme pointée, il m’a juste dit « la caisse ! »…j’ai…je l’ai juste

regardé dans les yeux, je me suis dit « là il y a quelque chose qui ne va pas », et j’ai dit « non ! »…j’ai

avancé, je suis passé au-dessus du comptoir, mais dès que j’ai commencé à avancer en disant non celui

qui était armé, j’ai même pas regardé les autres…n’a pas su quoi faire, il a détalé, les autres l’ont imité

aussi vite. »

Toutes les réactions « offensives » de pharmaciens face à une tentative de braquage ne se

réalisent pas par le biais de moyens d’action non-violents. Dans certains cas, dont il faut néanmoins

souligner la très grande rareté, le pharmacien s’engage dans une utilisation de la force physique à

267

NEWTON, Andrew & CECCATO, Vania, “Aim, scope, conceptual framework and definitions” in NEWTON, Andrew & CECCATO, Vania (eds), “Safety and security in transit environments: an interdisciplinary approach”, Palgrave Macmillan, 2015, p.10-11.

115

l’égard de son assaillant, répondant à la violence du braqueur par une violence qui, parfois, s’avère

être de même nature et de même niveau.

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « L’une des dernières fois, là c’est

quelqu’un qui a attendu que la pharmacie était pleine avec euh…même euh…deux grand-mères avec

leurs filles et les petits enfants dans les bras, d’autres personnes…et il a aussi sorti son arme, au

moment où il l’a sortie j’ai bloqué l’arme et je ne l’ai plus lâchée…si bien que c’est moi qui l’aie

eue…donc la police quand elle est arrivée ben…elle a pris l’arme et…qui finalement était un…une arme

factice de Beretta mais qui était lourde et avec tout…et il a fallu que la police l’ouvre pour le voir. »

Ce type de réaction extrême et relativement irréfléchi est, implicitement du moins, défendu

par le pharmacien en question qui semble avoir considéré agir pour la sécurité de sa personne et

surtout, plus particulièrement, des autres personnes se trouvant au sein de sa pharmacie, celui-ci

évoquant d’emblée la présence de personnes vulnérables au moment des faits. Ces cas sont, on peut

s’en douter, aussi extrêmes que rares, dans la mesure où aucun autre pharmacien ne nous a

rapporté avoir effectivement engagé physiquement leur assaillant lors d’une tentative de braquage.

Cependant, d’autres pharmaciens ont rapporté avoir pensé ou voulu recourir à pareil type de

réaction à l’occasion d’un braquage, sans toutefois oser le concrétiser. Le fait que plusieurs

pharmaciens aient fait part de cette éventualité envisagée de recourir à la force en plein braquage,

plutôt que de préférer la coopération ou le recours à une mesure techno-préventive, nous indique

que l’attrait de ce type de réaction auprès de certains pharmaciens est plus fort que nous ne

l’imaginions à la base. Plusieurs études empiriques tendent néanmoins à confirmer cette volonté de

confronter l’assaillant parmi une part non-négligeable des victimes268. Ainsi, l’une de ces études a

démontré que, si plus ou moins 7% des victimes interrogées choisissaient instinctivement la

résistance face aux braqueurs, ils étaient 34% à avoir envisagé de changer d’attitude en plein

braquage et de confronter les braqueurs, sans néanmoins parvenir à en cerner précisément les

raisons269.

Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Mais c’est vrai que parfois, quand

c’est un gamin par exemple, on est tenté à intervenir…on dit ben oui celui-là je pourrais lui prendre son

arme mais je…je préfère ne pas le faire, c’est vrai qu’il y a moyen, le…l’attaque à l’arme blanche c’est

vrai que je me suis dit après…il y a peut-être moyen de l’assommer mais…est-ce que ça vaut la peine ?

Chacun son métier hein ? [rire] »

Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « C’est comme quand j’ai été

braquée, j’avais juste envie de foutre un coup de pied dans sa main et…j’étais pas…maintenant je me

suis dit que peut-être quand même c’était une vraie mais sur le coup j’étais persuadée que c’était une

fausse…et c’est…après quand je me dis, quand je me rends compte de la manière dont j’ai réagi, je me

dis « et si ça avait été une vraie, en étant encore plus agressive et encore plus sûre de toi, c’est encore

plus dangereux donc il faudrait réfléchir un petit peu avant d’agir quoi »…mais oui ça c’est vraiment…le

problème, c’est qu’instinctivement j’ai envie de rentrer dedans… »

268

SKOGAN, Wesley G. & BLOCK, Richard, “Resistance and injury in non-fatal assaultive violence”, Victimology, Vol.8, N°.3-4, 1983, p.220; WOLFGANG, Marvin E., “A tribute to a view I have opposed”, Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.86, N°.1, 1995, p.189-190. 269

BARIL, Micheline & MORRISSETTE, Anne, “Du côté des victimes, une autre perspective sur le vol à main armée“, Criminologie, Vol.18, N°2, 1985, p.122-123.

116

b. La question de l’usage d’armes par les pharmaciens d’officine :

Si nous entamions notre recherche de terrain avec l’appréhension assez naïve que les

données récoltées pourraient faire apparaître certains comportements relatifs à l’emploi d’armes

diverses, réelles ou improvisées, en prévision de braquages, force est de constater que peu de cas de

ce genre ont pu être observés. Néanmoins, certains cas de ce type ont bien été constatés à l’issue de

notre recherche, en dépit du fait que ceux-ci soient demeurés extrêmement marginaux et, somme

toute, de faible gravité. Ces observations s’avèrent relativement interpellantes, à plusieurs égards. En

effet, premièrement, le simple fait que certains professionnels de santé soient amenés à se tourner

vers la possibilité d’emploi d’armes, de quelconque catégorie officielle, dans le cadre de leur

profession soulève d’emblée plusieurs interrogations.

Ethiquement parlant il est difficile de ne pas questionner le choix de s’armer lorsqu’il émane

de professionnels chargés de mener des missions de santé publique et d’assistance aux personnes.

Dans la mesure où ceux-ci peuvent être amenés à devoir entrer en contact avec des personnes

malades, mentalement instables, ne disposant plus de la maîtrise de leurs facultés ou en situation de

grande détresse psychologique, la possibilité de développement de situations tendues et

potentiellement dangereuses s’avère bien réelle, comme nous avons pu le démontrer

précédemment dans ce mémoire. La présence d’armes, même non-létales, dans la pharmacie

laisseraient la possibilité au pharmacien, confronté à pareils types de situations complexes sur le plan

de la gestion des risques de violence et du patient, de les utiliser à l’encontre des patients identifiés

comme dangereux, surtout en cas de panique ou de perte de contrôle de la situation, aboutissant à

un résultat incertain et vraisemblablement condamnable.

De même, la présence d’armes au sein de la pharmacie pourrait, à bien des égards, renforcer

les risques de violence pour le pharmacien plutôt que de les réduire, le risque existant toujours que

ces armes soient retournées contre celui-ci par des assaillants. Sans verser dans l’alarmisme et faire

prendre à ses observations des proportions injustement gonflées, les seules armes dont il nous a été

fait mention étant des armes non-létales, nous estimons relativement interpellant et problématique

le fait que certains pharmaciens s’orientent vers le choix délibéré de se doter d’armes dans leur

pharmacie. Cela traduit, à notre sens, toute l’importance des risques de sécurité, pour une frange des

pharmaciens d’officine du moins.

Auteur du mémoire : « Comment est-ce que…vous faites pour vous protéger alors vis-à-vis des

risques d’agressions, de violence… »

Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Pendant longtemps j’ai

gardé une bombe…une bombe lacrymogène…oui, pendant longtemps j’ai gardé cette bombe

lacrymogène…mais maintenant je ne l’ai plus.(…) »

Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Moi je…moi je ne sais pas travailler

comme ça, je connais des pharmacies où il y a des guichets…je connais des pharmaciens qui utilisent

des chiens d’attaque…mais moi je ne sais pas travailler comme ça non, c’est…c’est pas possible. »

D’autres pharmaciens tiennent, à l’égard de l’usage des armes en pharmacie, un discours

plus mesuré et plus proche de l’attitude dominante sur cette question. Ainsi, abordant les moyens

d’action mis à la disposition des pharmaciens pour se défendre, et soulignant la différence entre

ceux-ci et des opérateurs d’autres types de commerces, certains de nos répondants font valoir le fait

117

que l’usage d’armes par les pharmaciens est une pratique improbable, quoique non réfutée ou

récusée explicitement, laissant planer une zone d’ombre sur l’étendue de cette pratique.

Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Mais je crois que la raison principale

c’est que c’est vrai que si moi je devrais braquer un commerce je penserais peut-être pharmacie dans le

sens où c’est une profession très féminine…et je crois que ce n’est pas dangereux de braquer une

pharmacienne…un pompiste ou un bijoutier il va vous sortir un flingue de derrière le comptoir plus

facilement, un pharmacien non; un pharmacien est quelqu’un de plus calme qui est censé quand même

avoir un niveau d’étude supérieur, donc il va peut-être plus réfléchir avant et donner plus facilement,

(…) »

Parmi les pharmaciens affichant une volonté de résister à leurs assaillants et de s’opposer

physiquement à l’accomplissement de leur délit, l’usage semble plus répandu d’utiliser le mobilier de

la pharmacie ou différents éléments du décor, non comme armes improvisées mais plutôt comme

éléments devant incommoder ou retarder la progression des braqueurs. Différents pharmaciens ont

ainsi fait état de l’utilisation de ces éléments, a priori anodins, comme faisant partie intégrante de

leurs stratégies de défense, avec certains succès dans les cas rapportés.

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Bon j’ai déjà eu une ou deux fois

des personnes dont je ne savais vraiment pas les intentions…et là il faut juste, je garde, comme j’ai dit,

distances de sécurité…ne pas rentrer par-là, ne pas rentrer par-là…parce que là…ils comprennent que là

ça ne va pas…il faut garder les distances parce qu’avec le comptoir, un pas et…ça bloque, impossible de

passer et je ne les laisse pas passer au-dessus…et ça ils comprennent aussi, parce qu’un jour il y en a un

qui a quand même essayé et j’ai…il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas parce que je le

bloquais. [rire] »

c. La motivation de cette volonté de confronter l’agresseur : refuser l’impuissance :

A bien des égards, ces moyens « offensifs » mobilisés par les pharmaciens, que nous avons

présentés jusqu’à présent, semblent difficilement procéder d’une analyse rationnelle des risques et

des conséquences pouvant potentiellement en émaner. En effet, comme nous l’avons déjà

mentionné précédemment, la résistance à un assaillant fait toujours peser de graves risques sur la

personne faisant ce choix et peut se terminer, dans les cas les plus graves, par des conséquences

terribles pour l’intégrité physique de celle-ci. Si les pharmaciens faisant usage de moyens d’action

impliquant l’usage de la force physique semblent savoir et reconnaître implicitement que ces moyens

comportent des risques inhérents à leur utilisation, ceux-ci ne regrettent pas pour autant leur choix

d’utiliser pareils moyens et ne considèrent nullement leur utilisation comme étant problématique.

Dans la majorité des cas que nous avons pu observer, la résistance aux agresseurs, sous quelque

forme qu’elle puisse prendre, constituerait la clé de voute d’une stratégie psychique pour éviter les

effets psychologiques de la victimisation. Cette résistance procéderait d’un refus de perdre le

contrôle de la pharmacie dont le pharmacien à la possession, ainsi que de ses activités et de son

métier. Par cela, le pharmacien refuserait tant d’endosser le statut de victime que la dépossession de

ses moyens et de sa volonté. L’opposition physique du pharmacien à son agresseur, à son braqueur,

constituerait, selon nos données, la manière pour lui de réaffirmer son contrôle sur son

environnement et de refuser une emprise d’autrui fondée sur la coercition. Ces résultats sont

118

corroborés par ceux d’études empiriques et qualitatives réalisées sur les victimes de vols à main

armée dans d’autres Etats270.

Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Donc j’ai chaque fois réagi, de

façon différente à chaque fois en fonction de la façon dont ça se passait mais le fait de réagir, même si

certains diront que ce n’est pas l’idéal, c’est ce qui m’a toujours permis de…de ne pas être marqué…et

la plupart du temps, quand la police arrivait moi je travaillais déjà…les choses continuaient. »

Auteur du mémoire : « C’est pas courant comme…manière de réagir je vais dire. »

Jean : « Non ! Et toujours en restant calme ! (…) Mais ça permet psychologiquement malgré tout de ne

pas être marqué…on n’a pas été victime, on n’a pas subi, on a réagi…et les choses se passent, en tous

cas pour moi, beaucoup mieux. »

Auteur du mémoire : « Vous avez gardé le contrôle sur la…sur la situation… »

Jean : « Oui, calmement et…sans subir…parce que c’est souvent pour moi ça qui doit poser à beaucoup

de personnes le plus de soucis…c’est l’impuissance…et là…moi ça ne m’a jamais, jusqu’à présent, pas

posé de gros problèmes. [rire] »

Cette volonté du pharmacien de réinstaurer son contrôle sur une situation qui lui échappe

totalement est présentée ici comme une solution aux problèmes psychologiques liés à la

victimisation mais elle peut, néanmoins, manquer tous ces buts et aboutir à des conséquences

terribles pour le pharmacien résistant. En effet, si la résistance aux agresseurs semble avoir payée

dans certains cas issus de nos entrevues, les pharmaciens évitant ainsi la victimisation et les

conséquences psychologiques pouvant éventuellement en résulter, dans d’autres cas bien plus

nombreux elle semble avoir été durement sanctionnée par les agresseurs, générant une violence

bien plus importante que celle manifestée dans les premiers temps du braquage.

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Maintenant

j'étais contente que ça soit ma cheffe parce qu'elle avait jamais fait derrière le comptoir, malgré toutes

ses années de carrière elle ne s'était jamais faite braquer elle directement...elle en était victime

quelque part, deux fois où j'ai été braquée elle était là...mais c'était pas elle directement, et quelque

part je me suis dit c'est bien elle va comprendre parce que c'était à chaque fois "bon pas grave, on s'en

fout", je dis "oui on s'en fout on voit bien que c'est pas toi qui fait trois nuits pourries, c'est pas toi

qui...", après j'aurais pas voulu être à sa place parce qu'elle s'est quand même pris des coups et tout,

j'ai jamais eu ça, il faut être réaliste...je pense que ça change aussi la donne ne fut-ce que parce qu'elle

avait mal pendant quelques jours et puis...et puis moralement...mais voilà, c'était des gamins, elle les a

regardé, elle a cinquante ans , elle a refusé d’obéir…"attends je vois trois voyous débarquer, j'ai

cinquante balais, ils vont se calmer les enfants hein" [rire] oui ben ça n'a pas bien marché hein sur ce

coup-là. »

De nombreuses études empiriques ont démontré que le choix d’une attitude résistante par la

victime en cas de braquage, si elle semble permettre de mettre plus souvent en défaut les

assaillants271, implique également un risque plus élevé d’une réaction violente de la part des

270

BARIL, Micheline, « Ils n’ont plus la liberté : réactions à la victimisation et ses conséquences », Criminologie, Vol.13, N°.1, 1980, p.100-101 ; MANSEAU, Hélène & GRENIER, Hélène, « Les petits commerçants victimes de vol à main armée en quête de justice », Criminologie, Vol.12, N°.1, 1979, p.59-61. 271

BLOCK, Richard, “Victim-offender dynamics in violent crime”, The Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.72, N°.2, 1981, p.748-751; KLECK, Gary & GERTZ, Marc, “Armed resistance to crime: the prevalence and nature of self-defence with a gun”, The Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.86, N°.1, 1995, p.151-152;

119

braqueurs pouvant se traduire par des blessures pour la victime résistante272 voire même, dans les

cas les plus extrêmes, par la mort273. Même certaines études sur les modes de résistance des

victimes, aux conclusions non-conventionnelles ayant bouleversé certaines conceptions établies274 ,

sont parvenues à démontrer que les probabilités que les victimes optant pour une résistance passive

ou à l’aide de certains armes fassent l’objet de violences étaient élevées275 , à l’inverse des victimes

optant pour une résistance accompagnée d’un usage d’armes à feu276. Si ces conclusions ont ouvert

un débat sur la justification de l’emploi des armes dans la prévention du crime qui dépasse le cadre

de ce mémoire, notons que ces résultats ne concernent que les Etats-Unis et qu’ils ne reflètent

qu’une certaine tendance statistique. D’autres études, au demeurant, ont démontré l’inutilité

relative de l’usage d’armes dans les secteurs médicaux pour prévenir les risques de violence,

indiquant même que la présence de certains types d’armes était corrélée avec des risques accrus de

sécurité et d’agressions physiques277. De même, que 10 à 18% des homicides issus de fusillades

enregistrées dans les services de soins aux Etats-Unis entre 2000 et 2011 ont été rendus possibles

grâce à la présence d’armes sur place, les assaillants parvenant à les dérober aux employés ou agents

de sécurité en ayant la garde278.

3. Des stratégies de prévention innovantes :

L’analyse des données issues de notre recherche nous a finalement permis de mettre au jour

des stratégies de prévention des risques liés aux braquages auxquelles nous ne nous attentions pas

et correspondant difficilement aux catégories traditionnelles de mesures de protection. Ces

stratégies, présentant d’importantes différences entre elles, nous ont semblé constituer une classe à

part entière nécessitant que nous nous y attardions quelque peu. Nous les avons qualifiées

« d’innovations » en matière de prévention pour plusieurs raisons. Premièrement, nous ne sommes

pas parvenus à les rattacher à l’une ou l’autre type de stratégies, types de mesures de prévention

que nous avons utilisées jusqu’à présent. Deuxièmement, parce que ces stratégies présentent

comme caractéristique commune le fait de combiner différents types de mesures, de

comportements et jouent de plusieurs ressorts, très différents les uns des autres. Ces stratégies

viendraient compléter des dispositifs de prévention déjà existants, mais sans représenter une simple

nouvelle couche, ou strate de mesures ajoutée à ceux-ci. Dans bien des cas ces stratégies viennent

articuler ces dispositifs d’une autre façon ou, du moins, viennent offrir de nouvelles façons de les

utiliser et ouvrir de nouvelles dimensions à la prévention des risques de sécurité en pharmacie.

WOLFGANG, Marvin E., “A tribute to a view I have opposed”, Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.86, N°.1, 1995, p.189-190; TARK, Jongyeon & KLECK, Gary, “Resisting crime: the effects of victim action on the outcomes of crimes”, Criminology, Vol.42., N°.4, 2004, p.900-904. 272

SKOGAN, Wesley G. & BLOCK, Richard, “Resistance and injury in non-fatal assaultive violence”, Victimology, Vol.8, N°.3-4, 1983, p.223-224; WOLFGANG, Marvin E., op.cit., p.189-191. 273

ZIMRING, Franklin E. & ZUEHL, James, “Victim injury and death in urban robbery: a Chicago study”, Journal of Legal Studies, Vol.XV, 1986, p.17-19. 274

WOLFGANG, Marvin E., op.cit., p.188. 275

KLECK, Gary & GERTZ, Marc, op.cit., p.150-152. 276

Ibid., p.172-177. 277

SCHOENFISCH, Ashley & POMPEII, Lisa, “Weapons used among hospital security personnel”, International Health Care Security and Safety Foundation, 2014, p.12-13, 15-16, 34-38. 278

KELEN, Gabor D. & al., « Hospital-based shootings in the United States: 2000 to 2011”, Annals of Emergency Medicine, Vol.60, N°.6, 2012, p.792-794.

120

Troisièmement, ces stratégies semblent développées par des pharmaciens ayant opté pour des

dispositifs de prévention et de sécurité très élaborés. Dans la totalité des cas répertoriés, il s’agit

d’ailleurs des pharmaciens que nous avons identifiés comme ayant développé une conception

« absolutiste » de l’emploi de la techno-prévention, pouvant dès lors difficilement accroître leur

niveau de sécurité par de nouvelles mesures techno-préventives. Ces stratégies « innovantes »

devraient pouvoir être comprises comme une tentative d’aller plus loin que le continuum du

développement de la techno-prévention dans leur pharmacie ; dans ce cas les pharmaciens ne se

contentent plus, selon nous, d’appliquer des méthodes classiques de prévention, mais innovent en

en inventant des nouvelles, adaptées aux risques auxquels ils sont confrontés, aux limites de leurs

dispositifs de prévention déjà éprouvés et aux atouts qu’ils peuvent mobiliser.

Pour illustrer notre propos nous pouvons prendre en exemple le cas de Chantale, gérante de

pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville. Chantale a fait l’objet de deux braquages

relativement violents, car ayant impliqué l’usage d’armes sur sa personne, et considérés comme

particulièrement traumatisants. En conséquence de quoi elle a développé un dispositif de prévention

très avancé, faisant un usage extensif des mesures techno-préventives existantes et allant également

jusqu’à adopter un système de verrouillage à distance des accès de sa pharmacie. Au cours de

l’entrevue, cette pharmacienne révèle avoir recherché divers moyens pour assurer au mieux sa

protection et celle de sa pharmacie, adoptant toutes les mesures techno-préventives s’offrant à elle

mais cherchant, également, à les utiliser au mieux. Abordant les bons rapports qu’elle entretient

avec son voisinage, elle nous présente la façon dont elle est parvenue à augmenter les effets de la

dernière mesure techno-préventive installée, en utilisant celle-ci en collaboration avec des voisins

s’étant proposés de l’aider et d’assurer en partie la surveillance de sa pharmacie.

Chantale [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Et bon, parfois je

passe… devant une maison ou un magasin et on me dit « attendez, attendez », on vous donne un

paquet de dattes ou…donc je crois qu’il y a une certaine…il y a un respect parce que…ils m’ont déjà dit

plusieurs fois « tu fais mettre une alarme qui sonne dans la rue comme ça s’il y a quelque chose qui ne

va pas, nous on arrive ». D’ailleurs c’est ce qu’on a…il y a une alarme qu’on a installée après le

deuxième braquage et…qui va sonner dans la rue si…si je l’actionne quoi ».

Ce système n’a, à notre connaissance, pas été employé par la pharmacienne au moment de

notre entrevue, nous empêchant de déterminer son effectivité et son efficacité. Cependant, certains

éléments livrés dans le discours de cette pharmacienne tendent à laisser penser que les habitants du

quartier ont déjà commencé à contribuer activement à la protection de la pharmacie par rapport aux

risques de braquages et d’agressions.

Chantale [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « alors il y a mes deux

clochards qui viennent et qui sont quand même un peu…un peu louches quand on les voit comme ça

euh…et il y a toujours un voisin qui fait les cent pas devant ma pharmacie, je leur ai déjà dit « mais

ceux-là ils ne sont pas dangereux, ceux-là je les connais…c’est mes amis », j’ai une photo d’eux derrière,

c’est vraiment…c’est…Mais bon, ils me surveillent quoi, je suis une petite bonne femme…c’est…et

euh…enfin, tout le monde le dit « oh on est désolé, on s’est sentis agressés dans le quartier », oui, ça

c’est vraiment…pour eux euh…s’ils avaient su…ils auraient couru, s’ils avaient pu courir ils l’auraient

attrapé…parce que c’était, parce que c’est moi mais aussi parce que c’est le quartier…voilà c’est,

voilà. »

S’il s’agit d’une mesure techno-préventive classique, en la figure d’un système d’alarme,

l’usage qui en est fait par cette pharmacienne est relativement peu commun, ou du moins procède

121

de ce qu’on pourrait qualifier d’une innovation. En effet, les avantages inhérents au système

d’alarme sont ici couplés à l’intervention du voisinage solidaire avec la pharmacienne. Celle-ci

bénéficiant d’une forte insertion dans le tissu social du quartier a pu compléter son dispositif de

prévention, associant les avantages d’une mesure techno-préventive particulière et la surveillance

sociale naturelle exercée par les habitants du quartier dans un même ensemble. En cela, cette

pharmacienne est parvenue à capter à son avantage tous les éléments participant à assurer la

sécurité d’une rue279, en particulier en parvenant à s’assurer de l’attention et l’intervention effective

des habitants du quartier en cas de danger.

Tous les pharmaciens ne peuvent pas compter sur le soutien d’un réseau de voisins à l’instar

de cette pharmacienne, certains ne bénéficiant pas d’aussi bons rapports de voisinage ou ne

considérant pas leur quartier de façon aussi favorable, identifiant ce dernier même plus comme une

source d’insécurité et de risques que comme une ressource potentielle. Dans ces cas, les

pharmaciens semblent néanmoins avoir tenté de rechercher d’autres atouts présents dans leur

environnement, dans leur entourage, afin de les utiliser pour améliorer leur sécurité et réduire les

risques d’être confrontés à de nouveaux braquages. Comme dans le cas de la pharmacienne

recourant en partie à l’assistance de personnes issues de son voisinage, la participation de tiers

semble jouer un rôle primordial, les systèmes de sécurité et les mesures de techno-prévention étant

complétées par des techniques de prévention collectives et sociales. Ainsi Thérèse, pharmacienne

titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville et victime d’une attaque l’ayant laissée physiquement et

psychologiquement marquée, indique avoir complété son important arsenal de prévention au sein de

sa pharmacie en embauchant ses enfants comme auxiliaires, ceux-ci venant l’assister dans son travail

et veiller à ne plus la laisser seule dans sa pharmacie.

Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Pendant longtemps j’ai

gardé une bombe…une bombe lacrymogène…oui, pendant longtemps j’ai gardé cette bombe

lacrymogène…mais maintenant je ne l’ai plus…parce que…j’ai cette porte qui fait, où il faut sonner et

de plus j’ai…j’ai fait venir mon fils, mes enfants pour m’aider…j’ai mes enfants qui viennent…souvent,

donc j’ai souvent du monde, je ne suis plus tout à fait seule comme avant. »

Les simples employés semblent également recourir à pareils types de techniques, même si

leur marge de manœuvre et leur emprise sur la sécurisation de leur pharmacie sont bien plus

limitées que celles des pharmaciens titulaires. On constate néanmoins, de leur part, des tentatives

de s’organiser au mieux, de développer des comportements collectifs afin de renforcer la sécurité au

sein de la pharmacie ou, du moins, de réduire l’impression de vulnérabilité et d’impuissance face aux

risques de braquage. Leur approche de la prévention n’est pas entièrement « technique » et passive,

s’en remettant entièrement aux dispositifs de sécurité d’inspiration techno-préventive, mais est

également coopérative et humaine, les employés de la pharmacie étant amenés à jouer un grand

rôle dans la définition de nouvelles façons de se protéger des risques de braquage.

Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « On est

jamais seule, on s’arrange pour toujours être à plusieurs et la pharmacie est conçue de manière à ce

qu’on puisse toujours surveiller...et on voit entre le labo et l’avance, ça a l’air fermé mais en fait il y a

une vitre tout le long, on voit hein c’est, c’est...mais ça permet de surveiller et de garder un œil sur ce

qui se passe...euh...On n’a plus de clés sur les portes...pour éviter d’être enfermé dans les toilettes, dans

la réserve, pas de clés. Il y a...les téléphones, donc on a plusieurs téléphones...portables, enfin les fixes

279

JACOBS, Jane, « Déclin et survie des grandes villes américaines », Pierre Mardaga, 1991, p.46-47.

122

qui sont portables, pas nos GSM...on ne met pas les deux téléphones au même endroit...dans l’optique

justement qu’en fonction de l’endroit où on est dans la pharmacie on puisse essayer d’appeler au

secours discrètement...l’autre jour j’ai une collègue qui me fait « je passerais bien aux toilettes, mais tu

vas être toute seule » et c’était un peu une heure de merde donc je dis « mais t’as qu’à prendre le

téléphone » [rire] c’est de l’humour mais c’est qu’à moitié de l’humour...et puis elle l’a quand même

mis juste devant la porte de la toilette donc elle a quand même veillé à ce qu’il y en ait un juste à la

sortie pour pouvoir si...personnellement je l’aurais carrément pris avec dans la toilette...parce que d’un

autre côté on est planqué et on entend tout ce qui se passe, donc faut éteindre la ventilation pour

vraiment tout entendre mais on entend vaguement et si j’ai un doute j’éteins les lum ières, je tends

l’oreille si j’entends un truc, il faut peut-être deux secondes pour qu’il se rende compte que, que...avant

qu’il se rende compte que je suis là et voilà ça me permet d’agir de là aussi, donc ça on essaye quand

même de...dispatcher...mais il n’y a pas mille mesures possibles non plus hein, voilà, ne pas être seule,

rester prudente et puis maximiser les zones de...de possibilités d’appel au secours...et puis

objectivement je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre. »

4. Conclusions sur les stratégies de prévention et de protection développées par les

pharmaciens d’officine :

Nous sommes parvenus à démontrer la présence d’une certaine diversité dans les stratégies

développées par les pharmaciens d’officine pour se prémunir des risques d’agressions et

principalement des risques de vols à main armée. Si la plupart se sont orientés vers le

développement de stratégies fondées sur la techno-prévention, tous n’y ont pas recours de façon

identique et pour les mêmes motivations. A partir de l’extensivité de l’utilisation des mesures

techno-préventives et des attitudes exprimées par rapport à celles-ci, nous sommes parvenus à

distinguer plusieurs profils d’utilisateurs de la techno-prévention parmi nos pharmaciens, allant des

utilisateurs les plus sceptiques quant à la nécessité et l’utilité des mesures techno-préventives pour

se prémunir des risques de vols à main armée, aux utilisateurs les plus radicaux et les plus convaincus

de la nécessité d’un usage extensif de ces mesures. Nous avons pu constater que la conception du

métier de pharmacien d’officine, et particulièrement, les implications du métier par rapport à

l’usager, de même que l’appréhension des risques de vol à main armée semblent jouer dans le choix

de recourir à une utilisation de la techno-prévention plus ou moins extensive et radicale. En effet, si

la volonté de maintenir un contact aisé avec l’usager semble contribuer au choix de ne pas utiliser

largement la techno-prévention et surtout de ne pas se couper de celui-ci par des mesures limitant

l’accès à la pharmacie, le fait d’avoir été victime de vol à main armée et de considérer les risques

d’en être à nouveau victime comme étant réels semblent pousser le pharmacien à utiliser toutes les

potentialités de la techno-prévention pour se prémunir du vol à main armée. Nous avons également

pu constater que certains pharmaciens recouraient, ou semblaient prêts à recourir, à des moyens de

protection plus « offensifs » et fondés sur la confrontation directe des assaillants. Les facteurs

influençant le choix de recourir à pareilles stratégies sont difficiles à isoler, mais il semblerait que la

motivation première soit le refus de la victimisation et de la perte de contrôle sur la situation au sein

de la pharmacie. Finalement, nous avons également observé le développement de stratégies

« innovantes » de la part de certains pharmaciens particulièrement marqués par des expériences de

victimisation et concernés par les risques de vols à main armée, ceux-ci inventant des stratégies

mobilisant des logiques transversales et des moyens de prévention ou de protection très différents.

123

Afin d’expliquer les raisons ayant pu amener les pharmaciens de notre échantillon à

s’orienter vers un type de stratégie de prévention ou de protection particulier nous avons

premièrement tenté de mobiliser les différentes théories managériales et sociologiques sur le

fonctionnement des pharmacies d’officine réalisées par Reyes. Partant du présupposé théorique

voulant que l’identité professionnelle construite par le pharmacien détermine, du moins en partie, la

logique d’action qu’il suivra ainsi que ses pratiques professionnelles, nous avons émis l’hypothèse

que les stratégies de prévention et de protection qu’il développe puissent également procéder de la

manière dont il construit son identité professionnelle. La typologie développée par Reyes sur les

différents profils managériaux de pharmaciens a servi de référent dans la mesure où une vision des

objectifs à atteindre, des stratégies organisationnelles et des pratiques professionnelles, traduisant

une certaine identité professionnelle, étaient identifiés pour chacun de ces profils. Nous avons pensé

pouvoir confronter cette typologie et celle que nous avons développée pour les utilisateurs de

stratégies de prévention techno-préventives afin de déterminer les possibles liens entre celles-ci. Ces

deux typologies se fondant en partie sur le mode d’interaction avec l’usager comme indicateur, pareil

exercice de comparaison a été rendu possible bien que relativement limité. En effet, si nous sommes

parvenus à démontrer que nos pharmaciens développant une conception « utilitariste » de la

techno-prévention partageaient, avec certains profils de pharmaciens issus de la typologie de Reyes,

la même volonté de demeurer proches de leurs patients et organisaient leur pharmacie et leurs

pratiques professionnelles à cette fin, nous ne sommes pas parvenus à pousser plus loin la

comparaison.

Si pendant un temps, forts de ces premières convergences entre notre typologie et celle de

Reyes, nous avons pensé pouvoir démontrer l’hypothèse d’une propension à utiliser des stratégies

de prévention plus développées qui serait croissante en fonction de l’importance accordée par le

pharmacien à une logique d’action commerciale, cela dans la mesure où les pharmaciens semblent se

distancier de leurs patients lorsqu’ils s’orientent vers l’aspect commercial de leur métier. Le

raisonnement sous-jacent à cette hypothèse voulait que, l’investissement dans des stratégies de

prévention et de protection plus élaborées et radicales étant freiné par la volonté de conserver une

proximité optimale avec les patients, les pharmaciens qui choisiraient de privilégier d’autres aspects

de leur métier que le contact très poussé avec leurs patients seraient moins dissuadés à investir plus

largement dans des stratégies de prévention des risques de sécurité. Cependant, par manque de

données, nous ne sommes pas parvenus à évaluer cette hypothèse, la typologie de Reyes étant trop

précise et recourant à des indicateurs complétement étrangers à nos données. Pour parvenir à une

comparaison nous permettant de tester notre hypothèse nous aurions dû pouvoir disposer de

données sur les pratiques gestionnaires des pharmaciens, traduisant des degrés de

« commercialisation » et de « managérialisation » de la profession de pharmacien, ce qui n’était pas

le cas. Ne disposant que de données sur les modes d’interaction avec l’usager développés par les

pharmaciens et sur les modes d’organisation de leurs pharmacies, ces données ne nous

renseignaient que très généralement sur l’identité professionnelle construite par ces pharmaciens

mais ne nous disaient rien sur leurs styles de gestion des affaires. L’évaluation de cette hypothèse

étant définitivement bloquée, nous nous sommes contentés de certaines observations a minima.

Nous ne sommes parvenus à mettre évidence qu’un certain rapport entre l’utilisation importante et

radicale de stratégies de prévention par certains pharmaciens et l’importance qu’ils accordent à la

notion de client, ceux-ci semblant manifester une plus grande propension à identifier les usagers de

leurs pharmacies comme des clients et à vouloir s’assurer de leur fidélisation. Si cette observation

124

suggère une corrélation possible entre logique d’action commerciale, caractérisée par certaines

pratiques professionnelles centrées sur la recherche de l’efficacité économique, cette dernière ne

peut néanmoins être prouvée au regard du peu d’indicateurs des pratiques commerciales et

managériales des pharmaciens appartenant à notre échantillon.

Comment pouvons-nous expliquer, dès lors, l’orientation des pharmaciens vers telle ou telle

sorte de stratégie de prévention ou de protection, vers une recherche plus ou moins grande de

prévention des risques d’agressions et de vols à main armée ? D’autres hypothèses peuvent être

avancées pour expliquer ces pratiques différentielles en matière de prévention de ces risques. La

première hypothèse envisagée, qui est également la plus évidente, serait que le choix de mettre en

œuvre des stratégies de prévention plus développées dépend du nombre d’épisodes de victimisation

subis par les pharmaciens. Les pharmaciens ayant été le plus souvent attaqués seraient donc les plus

susceptibles de faire un usage extensif des mesures de prévention pouvant être adoptées. Cette

hypothèse est soutenue par diverses études portant aussi bien sur les stratégies de prévention des

pharmaciens280 que celles développées par les PME281, celles-ci suggérant que la victimisation

répétée incite grandement les victimes à se doter de stratégies de prévention extensives afin de

minimiser les risques de faire l’objet d’une nouvelle attaque. Cependant, cette hypothèse ne semble

que partiellement vérifiée dans le cadre de notre analyse. En effet, si tous les pharmaciens faisant un

usage extensif des mesures techno-préventives, correspondant au profil des pharmaciens

« absolutistes » dans notre typologie, ont été sujets à des épisodes de victimisation répétée, toutes

les victimes n’appartiennent pas à ce profil et n’adoptent pas des stratégies de prévention aussi

développées. Plusieurs cas sont apparus au cours de notre analyse où des pharmaciens ayant subis

plusieurs tentatives de braquage ou plusieurs braquages réussis ne changeaient rien à leurs

stratégies de prévention et se contentaient d’adopter des stratégies « minimales », se rangeant dans

la catégorie des pharmaciens « utilitaristes » et n’appliquant que très peu de mesures techno-

préventives à leur pharmacie. Au regard de ces résultats cette hypothèse ne semble pas totalement

appropriée pour expliquer les choix de stratégies de prévention des risques d’agressions et de vols à

main armée. De même, une seconde hypothèse, relativement proche de celle évoquée

précédemment, voulant que la victimisation répétée affecte la radicalité des stratégies de prévention

et de protection mises en œuvre par les pharmaciens s’est révélée décevante pour les mêmes

raisons que celles avancées dans la première hypothèse. Malgré le fait que certains pharmaciens

ayant fait l’objet de nombreuses attaques aient été plus prompts à développer des stratégies

reposant sur des mesures radicales, à l’instar des dispositifs reliés directement à la police ou de

systèmes de verrouillage à distance des accès de la pharmacie, tous les pharmaciens ayant subis des

attaques ne se sont pas résolus à adopter des stratégies aussi radicales.

La victimisation ne semble pas, à elle seule, constituer un indicateur suffisant pour expliquer

les choix de stratégies de prévention et de protection des pharmaciens. Dès lors, nous nous sommes

orientés vers l’appréhension des risques d’agressions et de braquages, qui dérive en partie des

épisodes de victimisation subis. Bien que plus difficilement déterminable avec précision,

280

WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.25; PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, “Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications”, International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.271-272. 281

SURLEMONT, Bernard & LEMAITRE, André & WACQUIER, Hélène, « La criminalité contre les PME : étude exploratoire de victimisation et de prévention en Belgique francophone », Revue internationale P.M.E. : économie et gestion de la petite et moyenne entreprise, vol. 16, n° 2, 2003, p.22-24.

125

l’appréhension de ces risques semble constituer un indicateur plus approprié pour expliquer les choix

des pharmaciens quant aux stratégies de prévention et de protection à employer. Ainsi, l’hypothèse

voulant que le degré d’appréhension, ou de crainte des risques de braquage conditionne le degré de

développement de la stratégie de prévention mise en œuvre semble vérifiée. En effet, nous avons

pu constater dans notre analyse que les pharmaciens semblaient adapter leurs stratégies de

prévention en fonction de leur appréhension des risques de braquages, ceux-ci investissant plus

largement dans de nombreuses mesures techno-préventives lorsque que leur appréhension de ces

risques était plus grande. Pour chacun des profils d’utilisateurs de mesures techno-préventives nous

pouvons observer un degré différent d’appréhension vis-à-vis des risques de braquages et

d’agressions, les pharmaciens « utilitaristes » se caractérisant par un degré très bas d’appréhension à

l’exact inverse des pharmaciens « absolutistes » pour qui ces risques sont bien réels et suscitent une

véritable crainte. Plus étonnant encore, l’invention de stratégies de prévention « innovantes »,

combinant des logiques et des mesures préventives multiples dans un même ensemble, semble

également corrélée avec le degré d’appréhension des risques de braquages et d’agressions, certains

pharmaciens désirant améliorer par des moyens non-conventionnels leurs chances de prévenir la

réitération de braquages à l’encontre de leur pharmacie.

Le degré d’appréhension des risques de braquages et d’agressions n’est pas sans lien avec la

victimisation, comme nous avons également pu le constater. Si le nombre d’épisodes de braquages

ne semble pas être l’élément central dans la crainte de braquages futurs, la violence subie ou perçue

ainsi que le traumatisme qui en ressort semblent déterminants au regard de nos données. En effet,

plus le traumatisme accompagnant un épisode de victimisation par braquage est important, plus les

pharmaciens semblent s’orienter vers des stratégies préventives extensives, se dotant d’un nombre

important de mesures techno-préventives. De même, ce traumatisme semble jouer un rôle

déterminant dans la décision du pharmacien d’avoir recours à des mesures de prévention plus

radicales telle que la restriction de l’accès à la pharmacie ou, dans les cas plus rares, à des mesures

de protection telle que la détention d’armes ou d’éléments permettant de se défendre

physiquement. Ces observations viennent apporter un nouvel éclairage à certaines études

empiriques quantitatives ayant porté sur la sécurité des pharmacies d’officine. Ces études, abordant

entre autres les divers types de mesures de prévention et de protection utilisées par les

pharmaciens, ont conclu à une utilisation relativement faible des mesures les plus radicales telles que

les systèmes de fermeture à distance des portes de la pharmacie en dépit de taux de victimisation

parfois importants282. Celles-ci ne s’étant pas intéressées aux motivations sous-jacentes à l’emploi de

ces types de mesures et aux facteurs « qualitatifs », liés aux personnalités des pharmaciens, elles ne

parviennent pas à expliquer pourquoi ces mesures sont relativement peu utilisées, y compris par les

pharmaciens ayant déjà été victimes de braquages, se contentant seulement de constater cette

tendance. Cependant, si comme nous le pensons, ce n’est pas le taux de victimisation ou le

sentiment général d’insécurité seul mais bien le traumatisme vécu qui détermine, du moins

partiellement, la propension des pharmaciens à développer des stratégies de prévention radicales,

ces résultats ne sont pas étonnants. En effet, si cette hypothèse est correcte, le nombre de

282

WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, 25-26; PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, “Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications”, International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.272; LENELL, Amy Nicole, “Pharmacy security: a survey on pharmacists’ perceptions and preparedness ton handle prescription fraud and pharmacy robbery”, University thesis, College of Pharmacy and Health Science of Butler University, 2007, p.11, 21.

126

pharmaciens utilisant des mesures techno-préventives radicales ne sera probablement jamais très

élevé comparativement au nombre de pharmaciens ayant été victimes de tentatives de braquage ou

de braquages réussis, tous n’étant pas appelés à réagir de façon équivalente face à ces épisodes de

victimisation et encore moins face à la crainte subjective d’en être un jour victimes. Dès lors, il n’est

pas étonnant que les études réalisées dans divers endroits du monde n’indiquent, jusqu’à présent,

qu’une utilisation des systèmes de verrouillage à distance des portes ou des systèmes d’alerte de la

police qui oscille en moyenne autour des 20%. L’unique étude statistique réalisée dans ce domaine

en Belgique vient également corroborer cette tendance, indiquant par exemple qu’à peine 19% des

pharmaciens feraient un usage d’un système de verrouillage à distance des portes et que seulement

6% recourraient à des mesures plus radicales telle que l’utilisation d’un sas de sécurité283.

Nous sommes parvenus à trouver une proposition d’explication relativement satisfaisante en

ce qui concerne le recours aux stratégies de prévention impliquant un large usage de mesures

techno-préventives et marqué par un caractère pour le moins radical. Cette proposition pourrait être

entendue comme une proposition en deux temps, prenant la forme suivante : les pharmaciens

d’officine seraient d’autant plus incités à développer des stratégies de prévention et de protection

impliquant un usage extensif de la techno-prévention, ainsi que des mesures non-conventionnelles ou

compliquant l’accès à la pharmacie et l’établissement d’un contact direct avec le pharmacien, que

leur appréhension des risques de faire l’objet d’un vol à main armée est importante. Cette

appréhension serait, quant à elle, d’autant plus forte que les pharmaciens auraient été confrontés à

des épisodes de victimisation par vol à main armée impliquant une violence vécue de manière

traumatique. Ajoutons à cette proposition explicative une dernière partie portant, quant à elle, sur la

volonté de ne pas recourir ou de recourir de manière extrêmement limitée à des stratégies de

prévention fondées sur diverses mesures de techno-prévention. En effet, si la proposition

susmentionnée fournit les raisons dominantes expliquant le choix des pharmaciens de recourir aux

différentes formes de stratégies de prévention des risques de vol à main armée, elle ne fait pas

vraiment état de la multiplicité de raisons contribuant partiellement au choix inverse des

pharmaciens de ne pas se protéger par le biais de ces stratégies. Nous pouvons, dès lors, ajouter une

proposition d’explication complémentaire quant à ce choix et aux comportements concrets qu’il

recouvre, de sorte de parvenir à une explication hypothétique globale des pratiques des pharmaciens

dans le domaine de la définition de stratégies de prévention et de protection vis-à-vis des risques de

vols à main armée et d’agressions. Cette dernière proposition pourrait être présentée sous la

forme suivante : a contrario, les pharmaciens seraient d’autant moins incités à investir dans le

domaine de la prévention des risques de sécurité en général qu’ils seraient convaincus qu’aucune

stratégie préventive ne serait efficace ou opportune pour prévenir ces risques, ou qu’ils pourraient y

faire face par d’autres moyens. Ainsi se trouvent expliqués, de façon hypothétique et selon nos

données, les choix des pharmaciens de développer, à des degrés d’extensivité et de radicalité

différents, des stratégies de prévention des risques de vols à main armée fondées sur la techno-

prévention ou, au contraire, de choisir de ne pas développer de stratégie de prévention particulière

et de préférer exercer leur métier avec peu ou pas de mesures techno-préventives, ou en recourant à

des moyens d’un type radicalement différent à l’instar des armes ou d’autres éléments remplissant

une fonction de défense.

283

Service Public Fédéral Intérieur, « Etude sur la sécurité auprès des indépendants et des professions libérales. Résultats concernant le secteur des pharmaciens », 2006, p.20-21.

127

V. Conclusions générales :

En entamant ce travail nous nous interrogions sur la manière dont les pharmaciens se

représentaient la violence et sur les stratégies qu’ils mettaient en place pour prévenir les risques

d’en être un jour victimes. Cette interrogation très large nous a requis plusieurs éclaircissements

préalables ainsi qu’un important travail de recherche multidisciplinaire. En effet, ne pouvant nous

appuyer sur des nombreuses études préexistantes et ne disposant que peu d’informations sur la

situation sécuritaire des pharmaciens en Belgique, nous avons dû, tout d’abord, réaliser un état des

lieux des risques de sécurité auxquels ces pharmaciens étaient confrontés. Pareil exercice s’est révélé

complexe et a nécessité la collecte de multiples données statistiques et leur croisement, mais nous

ne pouvions pas, selon nous, nous permettre d’en faire l’économie. Dans la mesure où aucune étude

n’était susceptible de nous éclairer sur les types de faits violents et délictueux auxquels les

pharmaciens belges étaient confrontés, ou sur la magnitude cette violence, il nous a fallu réaliser une

analyse statistique à partir de chiffres officiels, cela afin de solidifier les bases de notre recherche. A

l’issue de cette analyse nous sommes parvenus à établir un aperçu global et exhaustif de la situation

des pharmaciens sur le plan de la sécurité en Belgique. Nous avons également pu identifier les

formes de violence les plus recensées au sein des pharmacies. Si le vol, sans plus de distinction, peut

être considéré comme le principal phénomène délictuel affectant les pharmaciens, c’est bien le vol à

main armée qui constitue la forme de violence à laquelle ceux-ci sont le plus souvent confrontés, sur

le plan statistique du moins. Ces statistiques étant marquées par certains biais résultants des

méthodes de production employées, nous ne pouvions exclure que celles-ci masquaient l’importance

d’autres types de phénomènes délictueux ou de violence de moindre gravité et que les

représentations de la violence chez les pharmaciens soient plus riches.

En nous aidant de certains apports théoriques de la sociologie des métiers, nous avons

constaté l’existence de logiques d’action relativement contradictoires et potentiellement

conflictuelles dans la profession de pharmacien d'officine, à savoir une logique « socio-médicale » et

une logique « économique et commerciale ». Ces logiques, procédant de l’identité professionnelle

développée par les pharmaciens, influencent l’ensemble de leurs pratiques professionnelles, de

même que leurs représentations des usagers et la façon dont ils interagiront avec eux. A partir de

cette perspective théorique, nous avons envisagé que les pharmaciens puissent être influencés, dans

leurs pratiques professionnelles et leur mode d’interaction avec les usagers, par une autre logique,

diamétralement opposée à la logique socio-médicale et plus proche de la logique commerciale, à

savoir une logique sécuritaire. Nous avons spéculé sur la possibilité que les choix des pharmaciens en

matière de stratégie de prévention des risques de violences et d’agressions puissent s’établir sur un

fond de tensions identitaires, résultant de logiques d’action contradictoires auxquelles les

pharmaciens seraient soumis. Cette spéculation n’étant que le produit d’une réflexion amorcée à

partir des rares études sociologiques portant sur le métier de pharmacien d’officine que nous avons

pu nous procurer, nous ne l’avons pas poussée plus loin dans son développement. Cependant, au

regard des niveaux de faits délictueux et violents affectant les pharmaciens et de la multiplication

des initiatives étatiques ou corporatives en matière de sécurité et de prévention à destination des

pharmaciens, nous avons été confirmés dans notre supposition que ceux-ci devaient être amenés à

adapter leurs pratiques professionnelles dans une magnitude inconnue et à développer un certain

nombre de stratégies pour assurer leur protection et éviter les risques de violences et d’agressions.

Les apports théoriques évoqués nous laissaient également imaginer que le développement de ces

128

stratégies pouvait résulter d’un processus complexe et non-exempt de conflictualité « axiologique »,

la probabilité étant alors grande que nos résultats démontrent l’existence d’une importante diversité

dans les stratégies de prévention développées et les attitudes des pharmaciens les sous-tendant.

Après avoir restreint notre champ de recherche à douze pharmacies indépendantes issues de

certaines communes de la Région Bruxelles-Capitale, essentiellement pour des raisons pratiques

ayant trait à la faisabilité, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec quinze personnes

appartenant à la profession de pharmacien d’officine, ayant néanmoins des statuts différents. Si nous

avons veillé à ce que les différentes grandes caractéristiques sociodémographiques et socio-

professionnelles soient réparties dans des proportions relativement équitables, afin d’assurer une

certaine diversité équilibrée au sein de notre échantillon, nous devions admettre d’emblée que nos

résultats ne seraient applicables qu’au contexte bruxellois, ce qui représente une limite de taille mais

néanmoins indépassable de notre recherche. Des données issues de ces entretiens qu’avons-nous pu

découvrir ? Premièrement, nous avons constaté la prégnance du vol à main armée dans les discours

des pharmaciens sur les risques de sécurité encourus. Si d’autres formes de violences ont pu

également être constatées et analysées, c’est bien le vol à main armée ou le « braquage » qui a

incarné la principale figure de la violence pour l’extrême majorité des pharmaciens interrogés. Le vol

à main armée n’est donc pas seulement apparu comme un risque objectif de sécurité, de violence

mais également comme une source de crainte plus ou moins forte chez les pharmaciens. Que ceux-ci

y aient été confrontés directement ou non, le vol à main armée a été identifié comme le phénomène

délictuel et la forme de violence les plus craints. A partir de cette observation, confirmant les

tendances issues de notre analyse statistique de départ, nous avons pu raisonnablement avancer

l’hypothèse que l’ensemble des stratégies de prévention, ou du moins leur très grande majorité,

serait développé dans l’optique de se prémunir des risques perçus de vol à main armée. Cette

hypothèse a été rapidement confirmée et nous avons fait le choix de nous focaliser sur les stratégies

développées par rapport à cette forme de violence particulière, écartant de notre analyse les autres

formes de violence de moindre importances ou les situations problématiques mentionnées par les

pharmaciens, mais néanmoins moins récurrentes dans leurs discours. Ce choix constitue une seconde

limite de notre recherche mais est néanmoins fondé à nos yeux dans la mesure où il procède de

l’importance écrasante qu’a pris le phénomène du vol à main armée dans les discours des

pharmaciens et dans leurs représentations des risques de violence et de sécurité afférents à leur

profession. Dans pareilles circonstances nous ne pouvions faire abstraction de cette tendance ayant

émergé de nos données, pas plus que nous ne pouvions risquer de nous perdre dans une analyse

trop extensive des risques de violence auxquels les pharmaciens de notre échantillon étaient

confrontés.

Deuxièmement, nous avons pu rapidement constater la prédominance des stratégies de

prévention fondées sur l’utilisation de mesures de techno-prévention. Cependant, au-delà de ce

résultat prévisible, nous avons observé une certaine diversité parmi ces stratégies ; diversité fondée

sur le degré d’utilisation de mesures techno-préventives, sur les types de mesures techno-

préventives utilisées, ainsi que sur les représentations de ces mesures et les motivations sous-

jacentes à leur utilisation. A partir de ces différents indicateurs, trois profils de pharmaciens utilisant

des stratégies de prévention fondées sur des mesures techno-préventives ont pu être établis. Pour

chacun de ces profils correspondaient une manière particulière de concevoir la techno-prévention

ainsi qu’une utilisation plus ou moins importante de mesures techno-préventives. Ainsi, aux côtés

des pharmaciens que nous avons qualifiés « d’utilitaristes », faisant un usage minimal de la techno-

129

prévention et ne souhaitant pas investir plus que ce qui leur semblait nécessaire dans leurs stratégies

de prévention, se trouvaient également les catégories de pharmaciens « réalistes », cherchant à

anticiper rationnellement les risques de subir un vol à main armée, et de pharmaciens

« absolutistes », faisant un usage maximal et radical de la techno-prévention dans le but de s’assurer

d’un niveau de sécurité aussi grand que possible. Dans chacun de ces profils nous avons également

pu observer des conceptions différentes de l’usager et de la manière qui convenait pour interagir

avec lui. Les pharmaciens recourant à des stratégies de prévention moins développées et moins

radicales ont parus, en partie du moins, motivés par la volonté de maintenir un contact aussi étroit

que possible avec des usagers qu’ils identifiaient principalement comme des patients, méritant soins,

conseils et attention. A l’inverse, les pharmaciens faisant usage de stratégies de prévention très

développées et très radicales, impliquant un accès très restreint à la pharmacie, ont fait preuve d’une

nette focalisation sur les implications commerciales de leur métier, considérant les usagers comme

des clients plutôt que comme patients et ayant tendance à s’en méfier dans un plus grand nombre

d’occasions, par crainte des risques de vols à main armée. Si ces observations ont réactivé notre

croyance d’une filiation entre logiques d’action procédant de l’identité professionnelle et attitudes

dans le domaine de la sécurité, nous ne sommes pas parvenus à exploiter cette piste d’analyse. La

vérification d’une hypothèse avançant une corrélation entre logique d’action commerciale, traduite

par des pratiques gestionnaires et managériales concrètes, et type de stratégie de prévention adopté

n’a pu être complétée faute de données suffisantes et pertinentes, même si certains éléments

tendent à laisser penser que cette corrélation n’est pas complètement infondée et impossible.

En marge de cette identification de plusieurs manières de concevoir et d’appliquer des

stratégies de prévention fondées sur la techno-prévention, nous avons également pu identifier deux

autres grands types de stratégies destinées aux risques de vols à main armée et de violences,

quoique d’une importance relative marginale. Certains pharmaciens semblent avoir eu recours à des

stratégies fondées sur la réponse directe et physique à des risques matérialisés en menaces

objectives, négligeant ainsi une approche plus préventive de ceux-ci ; pour cette raison nous avons

qualifié ces stratégies de stratégies de « protection », plutôt que de prévention. Typiquement, ces

stratégies ont impliqué l’usage d’armes diverses mais également d’autres moyens de protection, tous

présentant la particularité d’impliquer le recours à un certain degré de force physique et de chercher

à neutraliser une menace concrète. Le dernier type de stratégies de prévention a été caractérisé par

le recours à « l’innovation », la combinaison de mesures de prévention de différents types et

répondant à des logiques différentes dans le but d’atteindre un résultat non-conventionnel marqué

par la transversalité et semblant, a priori, plus à même d’assurer une meilleure réponse aux risques

de violences et de vols à main armée.

Cherchant à expliquer, à partir de nos données, les choix des pharmaciens de privilégier le

développement de l’une ou l’autre de ces stratégies identifiées, nous avons initialement privilégié

une explication fondée sur les épisodes de victimisation subis ce qui, malheureusement mais de

manière relativement prédictible, s’est avéré insuffisant. L’élément central ne semble pas tant être le

nombre d’épisodes de victimisation vécus personnellement, mais bien le degré d’appréhension du

vol à main armée, élément bien plus difficile à cerner avec plus ou moins d’exactitude et encore plus

à mesurer avec précision. Nous sommes parvenus à établir une proposition d’explication sur les choix

des pharmaciens en matière de stratégies de prévention vis-à-vis des risques de vols à main armée,

englobant l’ensemble des cas constituant notre échantillon. Cette proposition est hypothétique et

n’est applicable, ceteris paribus, qu’à la population des pharmaciens de Bruxelles-Capitale. Ainsi, il a

130

été proposé que les pharmaciens d’officine seraient d’autant plus incités à développer des stratégies

de prévention et de protection impliquant un usage extensif de la techno-prévention, ainsi que des

mesures non-conventionnelles ou compliquant l’accès à la pharmacie et l’établissement d’un contact

direct avec le pharmacien, que leur appréhension des risques de faire l’objet d’un vol à main armée

est importante. Cette appréhension serait, quant à elle, d’autant plus forte que les pharmaciens

auraient été confrontés à des épisodes de victimisation par vol à main armée impliquant une violence

vécue de manière traumatique. A contrario, les pharmaciens seraient d’autant moins incités à investir

dans le domaine de la prévention des risques de sécurité en général qu’ils seraient convaincus

qu’aucune stratégie préventive ne serait efficace ou opportune pour prévenir ces risques, ou qu’ils

pourraient y faire face par d’autres moyens.

Quelles dernières observations et pistes de réflexion pouvons-nous avancer pour clore cette

recherche ? Premièrement il est notable que les pharmaciens sont confrontés à des formes de

violences relativement différentes de celles auxquelles les autres professions des secteurs médical et

paramédical sont confrontées. Au-delà de la question de savoir si les pharmaciens présentent une

plus grande exposition aux risques de violences que ces autres professions, il est manifeste qu’ils

sont plus exposés aux risques de vols à main armée et de vols avec violence. A l’inverse des

personnels infirmiers et hospitaliers devant faire face à formes de violence plus « réactives » et

spontanées causées par des patients agressifs, les pharmaciens sont principalement concernés par

des formes de violences motivées par le vol. En raison de cette différence qualitative importante, il

est donc illusoire de considérer que la situation des pharmaciens sur le plan de la sécurité et de la

violence puisse être comparée à celle des autres professions de santé. Si ces deux situations

présentent certaines convergences et certaines propriétés communes, elles sont néanmoins

caractérisées par des formes de violence dominantes radicalement différentes.

Dès lors, le fait que les pharmaciens se comportement de plus en plus comme n’importe quel

type de petit commerçant devient moins intriguant. En effet, en étant confrontés aux mêmes risques

que les autres types de commerces régulièrement visés par les braqueurs, il est logique que les

pharmacies se voient dotées de mesures techno-préventives classiques et également mises en

œuvre dans d’autres types de commerces. De même, la relative méfiance vis-à-vis des usagers et la

volonté de s’en distancier, au mépris de l’éthique pharmaceutique traditionnelle mais en accord avec

la psychologie de n’importe quel professionnel se considérant particulièrement exposé aux risques

de braquages et de violences, devient plus compréhensible, les pharmaciens se recentrant sur leur

sécurité personnelle et sur une conception « minimale » des missions et services qu’ils sont amenés à

réaliser. Cependant, si ces phénomènes sont compréhensibles, ils n’en sont pas pour autant anodins

et dépourvus d’un aspect problématique. Il est paradoxal de voir une profession de santé, à la

dimension sociale non-négligeable, adopter une logique idoine à celle poursuive par des

établissements à vocation strictement commerciale, même si celle-ci est limitée au domaine de la

sécurité. Si nous ne sommes pas parvenus à démontrer que l’adoption de stratégies de prévention

similaires, mais parfois même plus importantes et plus radicales, à celles développées par certains

types de petits commerces, ainsi que par les centres commerciaux ou autres grands types

d’établissements commerciaux, s’accompagnaient de l’adoption d’une logique d’action et de

pratiques motivées par des intérêts strictement commerciaux, nous avons néanmoins maintenu

cette hypothèse ouverte.

131

Nous ouvrions ce mémoire par la présentation d’un exemple, aux apparences triviales, d’une

pharmacie américaine se transformant peu à peu en place forte dans le but de réduire son exposition

aux risques de braquages et d’autres actes délictueux. A ce titre, nous évoquions un phénomène de

« fortification » latente et progressive des pharmacies américaines, un nombre croissant d’entre elles

semblant se diriger vers pareille extrémité. Nous évoquions cet exemple pour illustrer les

conséquences d’un processus de sécurisation poussé à son paroxysme, la pharmacie ne conservant

de ses fonctions traditionnelles que celle de dispenser les médicaments, ayant fait disparaître tout

contact direct et spontané entre usagers et personnel officinal et limitant, au final, la pharmacie à un

vulgaire commerce de produits médicamenteux et para-médicamenteux. Si les pharmacies que nous

avons étudiées au cours de cette recherche ne semblent pas soumises à un phénomène de

« fortification » aussi poussé, certaines de ces caractéristiques ont pu néanmoins être observées,

traduisant peut-être la progression d’une logique assez proche dans les stratégies de prévention

développées par les pharmaciens belges. En effet, le recours à des systèmes de verrouillage à

distance des accès de la pharmacie, de même que la concentration de nombreuses mesures techno-

préventives effectives dans la pharmacie ou le recours à des moyens « offensifs » tels que les armes

ou les chiens dressés, constituent à nos yeux autant d’avatars amoindris de ce phénomène de

fortification des pharmacies. A ce titre, nous avons trouvé étonnant de trouver, au sein de notre

échantillon réduit, une proportion aussi importante de pharmaciens recourant à des stratégies de

prévention impliquant la renonciation d’un accès libre à leur pharmacie. Si ce type d’attitude était

rendue compréhensible par les récits de ces pharmaciens, le fait que ceux-ci aient renoncé à l’idéal

professionnel et éthique d’une proximité et d’une mise à disposition vis-à-vis du patient au profit

d’une sécurisation relative de leur personne et de leurs biens, et que certains se déclarent prêts à

repousser encore les limites de leurs stratégies de prévention, soulève certaines interrogations

légitimes. Dans quelle mesure les pharmacies pourront-elles encore servir de lieu de santé à part

entière et jusqu’où s’étendent les conséquences des processus de sécurisation que certains

pharmaciens ont initiés ? Ou encore, ces stratégies de prévention étant connues, dans quelle mesure

les pharmaciens sont-ils amenés à adopter des attitudes et des comportements différentiels face aux

personnes qu’ils identifient, à tort ou à raison, comme des menaces potentielles pour leur sécurité et

celle de leur établissement ? Voilà autant d’interrogations que nous n’avons pu aborder dans le cadre

de cette recherche, nous contentant de mettre en lumière l’existence de schémas organisationnels,

comportementaux et cognitifs développés par les pharmaciens vis-à-vis des risques de violences et

de vols à main armée, et rassemblés au sein de stratégies de prévention concrètes.

132

VI. Bibliographie :

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cessent-d-augmenter?id=5045753

143

VII. Annexes :

A. Statistiques complètes de la Police fédérale sur la criminalité commise à l’égard des

pharmaciens d’officine en Belgique, par Région :

Source : Police fédérale – Direction DRI (Information policière & ICT) – Business Politique et

Gestion. Données transmises le 17/06/2015.

2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Législation sur les étrangers 1 2 1 1 2 3 4 3

Drogues 5 1 2 4 2 7 1

Infraction contre autres valeurs morales etsentiments

6 2 7 5 2 4 1 1

Infraction contre l'intégrité physique 2 6 8 8 2 4 4 2 3

Fraude 8 4 5 5 3 7 3 4

Infraction contre la sécurité publique 3 4 12 6 15 5 8 3 4

Criminalité informatique 2 11 15 6 14 20 5

Dégradation de la propriété 19 19 24 15 14 20 22 23 13

Infraction contre la foi publique 20 21 20 31 17 36 23 29 32

Vol et extorsion 259 171 173 201 196 153 192 176 141

0

50

100

150

200

250

300

350

Faits criminels commis à l'égard des pharmaciens d'officine - Bruxelles-Capitale

Vol et extorsion Infraction contre la foi publique

Dégradation de la propriété Criminalité informatique

Infraction contre la sécurité publique Fraude

Infraction contre l'intégrité physique Infraction contre autres valeurs morales et sentiments

Drogues Législation sur les étrangers

144

Source : Police fédérale – Direction DRI (Information policière & ICT) – Business Politique et

Gestion. Données transmises le 17/06/2015.

2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Législation sur les étrangers 4 1 5 2 2 2 1 1 1

Infraction contre autres valeurs morales etsentiments

3 4 4 1 6 3 7 4 2

Infraction contre l'intégrité physique 9 5 4 3 10 3 8 5 6

Infraction contre la sécurité publique 1 6 4 6 15 15 3 8 4

Criminalité informatique 3 1 5 1 3 6 31 11 13

Drogues 27 16 14 26 30 25 18 14 20

Dégradation de la propriété 36 37 32 33 36 44 35 26 18

Fraude 31 27 21 31 36 39 39 48 37

Infraction contre la foi publique 94 105 101 122 126 161 181 153 177

Vol et extorsion 252 183 229 243 338 339 292 320 270

0

100

200

300

400

500

600

700

Faits criminels commis à l'égard des pharmaciens d'officine - Région flamande

Vol et extorsion Infraction contre la foi publique

Fraude Dégradation de la propriété

Drogues Criminalité informatique

Infraction contre la sécurité publique Infraction contre l'intégrité physique

Infraction contre autres valeurs morales et sentiments Législation sur les étrangers

145

Source : Police fédérale – Direction DRI (Information policière & ICT) – Business Politique et

Gestion. Données transmises le 17/06/2015.

B. Taux de victimisation par vol à main armée des pharmaciens d’officine de Belgique,

par Région et pour l’année 2012 :

Année 2012 Région

Bruxelles-Capitale

Région flamande

Région wallonne

Belgique

Nombre d’officines

624 2703 1859 5186

2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Armes et explosifs 1 2 3 1 6 1

Drogues 7 7 5 2 4 3 14 4 3

Infraction contre autres valeurs morales etsentiments

6 3 3 6 7 6 6 6 12

Infraction contre l'intégrité physique 2 10 3 6 7 8 7 6 11

Infraction contre la sécurité publique 4 8 5 5 6 7 6 10 6

Fraude 12 13 11 11 6 14 9 20 15

Dégradation de la propriété 25 35 35 36 32 37 26 36 24

Criminalité informatique 2 25 39 21 77 23 47 46 48

Infraction contre la foi publique 45 40 73 59 43 63 107 28 67

Vol et extorsion 280 264 234 210 218 308 432 416 263

0

100

200

300

400

500

600

700

Faits criminels commis à l'égard des pharmaciens d'officine - Région wallonne

Vol et extorsion Infraction contre la foi publique

Criminalité informatique Dégradation de la propriété

Fraude Infraction contre la sécurité publique

Infraction contre l'intégrité physique Infraction contre autres valeurs morales et sentiments

Drogues Armes et explosifs

146

Nombre de vols à main armée à

l’encontre de pharmaciens

50 54 79 183

Taux de victimisation

8% 2% 4.2% 3.5%

Sources : Chambre des Représentants de Belgique , « Réponse du vice-premier ministre et

ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes et de la Régie des

bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel du 05

mars 2015 », 2015, consulté en ligne le 07/07/2015 sur

http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf ; Sénat de Belgique, « Réponse de

la vice-première ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et

des Institutions culturelles fédérales du 08 mai 2012, à la question n°5-5988 de Louis Ide du

29 mars 2012 », consulté en ligne 07/07/2015 sur

http://www.senate.be/www/?MIval=/Vragen/SVPrint&LEG=5&NR=5988&LANG=fr

C. Vols avec violence sans arme à l’égard de pharmaciens d’officine, par

arrondissement judiciaire :

AnversBrabantwallon

Bruxelles(Capitaleet BHV)

Charleroi Mons Louvain Liège Limbourg NamurFlandre

orientale

Flandreoccident

ale

2014 1 0 2 1 0 0 1 1 0 2 0

2013 6 0 4 1 2 0 1 3 1 1 0

2012 3 0 13 4 1 3 1 1 0 1 3

2011 3 2 7 2 0 0 4 1 0 2 0

0

5

10

15

20

25

30

Vols avec violence sans arme à l'égard de pharmaciens

147

Sources : Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse du vice-premier ministre et ministre

de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes et de la Régie des bâtiments du 28 avril

2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel du 05 mars 2015 », 2015, consulté

en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf

D. Taux moyens de vols à main armée à l’encontre de pharmaciens, par Région et sur

la période 2009-2012 :

Période 2009-2012

Nombre total de vols à main

armée

Nombre total de vols à main armée sur des

pharmaciens

Taux moyens de vols à main armée à l’encontre de

pharmaciens

Région de Bruxelles-Capitale

6109 224 3.6%

Région flamande

6737 176 2.6%

Région wallonne

8901 359 4%

Belgique 21747 759 3.5%

Sources : Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse de la vice-première ministre et

ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril 2014, à la question n°1371 de

monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 152, consulté en ligne le

07/07/2015 sur « Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur,

chargé des Grandes Villes et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de

monsieur le député Olivier Chastel du 05 mars 2015 », 2015, consulté en ligne le 07/07/2015 sur

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en ligne le 13/03/2015 sur http://www.polfed-

fedpol.be/crim/crim_statistieken/app_crimestat/app_crimestat_dashboard_crimfig_misdrijve

n_fr.php

E. Principes du système Télépolice communiqués par Eurovigilance :

On retrouvera ces principes sur l’ensemble du territoire. Nos systèmes ont été

spécialement développés pour la lutte contre les VMA (Vols à Main Armée). Ils connaîtront,

ici, en 2015 une évolution adaptative significative en réponse aux nouveaux phénomènes

criminogènes.

148

Un avantage que nous retirons de notre couverture nationale est ainsi d’identifier des modes

opératoires existants déjà dans les pays de nos partenaires. La criminalité ne connaît pas les

frontières, de même que les modus operandi ! Couplés à l’expertise de nos partenaires, cela

permet à la police d’appliquer des techniques préventives de dissuasion et de répression en

lien avec l’évolution de la criminalité.

Télépolice Vision offre aux zones de police depuis de nombreuse années de pouvoir

bénéficier d’un système d’appel direct entre le commerce et le dispatching de la police

zonale. Les avantages sont multiples : Premièrement d’un point de vue policier cela permet

de limiter les risques pour les équipes, d'obtenir une évaluation en temps réel, d'obtenir un

contact direct avec la victime, d'obtenir les outils et supports à l’identification rapide d'un

suspect.

Côté commerçant : pouvoir mettre en avant une dissuasion forte d’un lien direct avec la

police, avoir un appel direct avec le service de police, avoir un dispositif simple et efficace

permettant l’envoi du son et des images lors d’un appel. Cela permet également au

commerçant de visualiser son commerce à distance pour évaluer une situation

potentiellement à risques. Par exemple, lors d’un cambriolage ou toute information dans

laquelle il peut courir un danger, il limitera le risque avec une levée de doute.

Un suspect qui passe devant les caméras Télépolice est figé dans le système et ne pourra se

soustraire à l’identification visuelle qui est protégée. Un exemple concret, lors d’un

cambriolage un commerce a été incendié. Les caméras Télépolice ont permis au service de

police d’obtenir des pistes, une description de la situation, des auteurs, du nombre et une

heure exacte,... Des informations qui permettent de débuter une enquête avec du concret…

Dans une autre situation l’enquêteur aurait reçu un dossier d’incendiaire sans le moindre

début de piste.

Le taux d’agression sur les commerces équipés par le système permet d’apprécier la

dissuasion qu’il apporte sur des commerçants habituellement ciblés par des agressions. Il est

bien évidemment impossible d’avoir une statistique de VMA évitée par la présence de

Télépolice !

Télépolice permet aux services de police d’obtenir plus de chances d’arrêter, d’identifier un

agresseur et donc de limiter l'impact sur les ressources de la zone en devoir

d’enquête.