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École des sciences criminologiques Léon Cornil
Titre du mémoire :
« Des forteresses dans le secteur de la Santé ? Etude des
stratégies de prévention des risques de violences et d’agressions à
l’encontre des personnels des pharmacies d’officine »
Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade
de Master en criminologie.
Nom du mémorant :
Joffrey Verkercke
Sous la direction de:
Sybille Smeets
Année académique:
2014-2015
2
“I robbed pharmacies because in the late 70’s there were still many independent drug stores; not the corporate chains that
predominate today. This was before federal laws prohibited pharmacies from carrying large quantities of narcotics,
amphetamines, tranquilizers and barbiturates. With a little luck you could get literally tens of thousands of dollars worth of
pharmaceutical drugs in one good score and put them right on the street where there was a tremendous market.”
- Robert Stapelton (2012)
« [...] le deuxième [braqueur] qui est venu était très aimable, très poli...il a dit bonjour en entrant...puis il m’a, il s’est
excusé, il m’a dit « madame je suis désolé pour vous mais c’est le gouvernement qui me pousse à faire ça » et…c’était fou !
Mais...moi ses excuses ça ne m’a rien fait [...] »
- Gérante de pharmacie interrogée
“How do you do? I'm Captain Feeney. Captain Feeney at your service. To whom have I the honor of speaking? […]How do
you do Mr. Barry? And now I'm afraid we must get on to the more regrettable stage of our brief acquaintance. Turn around,
and keep your hands high above your head, please.”
- Captain Feeney (“Barry Lyndon”)
Remerciements:
Mes remerciements les plus chaleureux vont à tous les personnels pharmaceutiques ayant accepté de rogner sur leur temps de travail pour répondre à mes questions, m’ayant fait confiance ayant dépassé leurs craintes et réticences initiales pour m’accueillir dans leur pharmacie. La réalisation de cette recherche et de ce mémoire n’auraient pas été possibles sans eux.
Je remercie ma promotrice de mémoire, Mme Sybille Smeets, pour avoir accepté d’assurer la supervision de mon mémoire et d’en avoir ainsi permis l’aboutissement.
Je remercie la Direction de l’information policière et des moyens ICT de la Police fédérale ainsi que, tout particulièrement, Mme Patrizia Klinckhamers pour la compréhension dont ils ont fait preuve à l’égard de ma requête d’accès à leurs bases de données statistiques. Leur contribution a été des plus précieuses et des plus enrichissantes.
Je tiens également à remercier le Service « Prévention vols et Thématiques » de la Direction Sécurité locale intégrale du SPF Intérieur pour les conseils et les documents qu’ils ont apportés à la réalisation de ce mémoire durant toute la durée de mon stage au sein de leur équipe. Mes remerciements vont à Cathy Grimmeau, Leen Cortebeeck et, tout particulièrement, Jacques Ickx et Dafne Vanhelleputte pour avoir consacré de leur temps à me présenter le développement de la politique du SPF Intérieur en matière de sécurisation des pharmacies.
Je remercie le Directeur Général de l’Association Pharmaceutique de Belgique, M. Luc Adriaenssens, d’avoir accepté de me recevoir et de s’entretenir avec moi au sujet de la sécurité des pharmacies en Belgique et des initiatives développées par son organisation. Son témoignage et son expertise ont grandement enrichi l’analyse à la base de ce mémoire.
Je remercie très chaleureusement mes parents pour le soutien et les encouragements sans failles dont ils ont fait preuve à mon égard tout au long de ce second Master universitaire. Je remercie tout particulièrement ma mère, Nadine Wojda, pour sa relecture patiente et la grande disponibilité dont elle a fait preuve au cours de la rédaction de ce mémoire.
Je remercie vivement Sacha Levis et Lukasz Vandersmissen pour leurs expertises criminologiques et leurs remarques constructives exprimées à chaque étape de ma recherche. Je remercie également le Dr. Olivier Body pour ses conseils rédactionnels et méthodologiques avisés. Je tiens également à témoigner mes remerciements à Nicolas Mortier pour avoir partagé avec moi sa connaissance fine du monde pharmaceutique et pour m’avoir aidé à constituer l’échantillon de recherche de ce mémoire. A tous je leur adresse toute ma fraternité et ma gratitude pour les grandes qualités humaines dont ils ont fait preuve et pour l’amitié sincère qu’ils m’ont témoignée.
Je remercie également toutes les personnes de ma Famille ou parmi mes amis qui ont permis, par leur soutien
et leurs qualités personnelles, de faciliter l’aboutissement de ce mémoire.
3
I. Introduction : ............................................................................................................................................... 6
A. Etat général de la sécurité dans les pharmacies d’officine en Belgique : .............................................. 10
B. Les types de faits délictueux commis à l’égard des pharmacies d’officine en Belgique : ..................... 16
1. La prédominance des vols au sein des pharmacies d’officine : ........................................................... 16
2. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine en Belgique : le cas des vols à main armée et des
vols avec violence : ....................................................................................................................................... 20
C. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine : l’apparente spécificité de Bruxelles : .................... 25
II. Problématique :......................................................................................................................................... 31
A. Les initiatives des pouvoirs publics et des organisations professionnelles de pharmaciens face aux
risques de violence : ......................................................................................................................................... 31
1. Les initiatives de prévention situationnelle : un arsenal de mesures techno-préventives : ............... 32
a. Les mesures fiscales et réglementaires : ......................................................................................... 34
b. Les systèmes de télésurveillance policiers : .................................................................................... 36
2. Les incitations à la déclaration des faits violents et au dépôt de plainte : situer la violence chez les
pharmaciens d’officine et lutter contre l’impunité : .................................................................................... 39
3. La coopération entre organisations professionnelles pharmaceutiques et les pouvoirs publics : ...... 42
B. Des logiques d’action en apparence difficilement conciliables : la réaction des pharmaciens face aux
risques d’agressions et de violence : ............................................................................................................... 46
1. La dimension sociale et la dimension médicale du métier de pharmacien d’officine : ....................... 46
2. La dimension commerciale du métier de pharmacien d’officine : ...................................................... 48
3. La logique sécuritaire, élément sous-jacent à la dimension commerciale : ........................................ 50
III. Méthodologie : .......................................................................................................................................... 57
A. Un recentrage sur les méthodes qualitatives : ....................................................................................... 57
B. Une démarche essentiellement inductive : ............................................................................................ 59
C. Etablissement du protocole de recherche : ............................................................................................ 61
1. Choix de l’échelle de la recherche : ..................................................................................................... 61
2. Justifications empiriques et théoriques de notre choix d’échelle : ..................................................... 61
3. Sélection des terrains de recherche : .................................................................................................. 64
4. Caractéristiques de l’échantillon constitué : ....................................................................................... 67
IV. Analyse des données empiriques: ......................................................................................................... 70
A. Victimisation et représentations des risques de violence : ................................................................... 70
1. L’évaluation de la profession de pharmacien d’officine en termes de risques de sécurité : .............. 70
a. Une profession très exposée aux risques de violence : .................................................................. 71
2. Le vol à main armée comme principale forme de violence expérimentée par les pharmaciens
d’officine : ..................................................................................................................................................... 73
a. Une crainte générale du braquage, y compris chez les pharmaciens n’en ayant jamais été
victimes : .................................................................................................................................................. 74
b. La diffusion de la crainte du vol à main armée par les expériences des collègues ou des proches :
74
4
c. Un forme extrême mais marginale de l’anticipation du vol à main armée : la banalisation du
risque de vol à main armée : .................................................................................................................... 75
3. Les faits de violence commis par les toxicomanes ou d’autres catégories de personnes marginales :
une violence d’importance secondaire mais néanmoins relativement répandue : ..................................... 76
4. L’agressivité générale des patients comme violence latente : ............................................................ 77
5. Les facteurs de risques de violence en pharmacie d’officine identifiés par les pharmaciens : ........... 79
a. Des éléments matériels incitant les vols avec violence :................................................................. 79
b. La féminisation de la profession comme facilitateur des vols avec violence : ................................ 80
c. Le manque de protection en comparaison avec d’autres types de commerces : ........................... 81
6. Conclusions sur la perception des risques de violence chez les pharmaciens d’officine : .................. 81
B. Les stratégies de prévention des risques de vol à main armée développées par les pharmaciens : ... 83
1. Une domination des mesures de prévention « classiques » issues de la techno-prévention : ........... 84
a. Les principaux types de mesures techno-préventives mobilisés : .................................................. 84
b. Différents profils d’utilisateurs de mesures techno-préventives : .................................................. 86
i. La conception « utilitariste » de la techno-prévention: une utilisation minimale de la techno-
prévention et ses motivations : ........................................................................................................... 87
Une oscillation entre l’absence de besoin ressenti et la conformation à des obligations: .... 87
Une utilisation proportionnée à certains phénomènes délictueux de moindre gravité, une
utilisation partiellement influencée par l’opportunité :.................................................................. 90
L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des
interactions avec les usagers ........................................................................................................... 92
ii. Une conception intermédiaire, « réaliste » : l’utilisation modérée de mesures techno-
préventives et ses motivations : .......................................................................................................... 95
Une utilisation motivée par la prudence : .............................................................................. 95
Une volonté de sécurisation de la pharmacie qui rencontre certaines limites : .................... 96
L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des
interactions avec les usagers ........................................................................................................... 98
iii. La conception « absolutiste » de la techno-prévention : l’utilisation maximale des mesures
techno-préventives et ses motivations : ........................................................................................... 101
Une utilisation maximale des mesures techno-préventives marquée par la renonciation à
l’accès libre à la pharmacie : ......................................................................................................... 102
…mais susceptible d’être encore radicalisée : ...................................................................... 107
Une caractéristique significative dans le parcours des pharmaciens « absolutistes » : le
traumatisme des épisodes de victimisation .................................................................................. 108
L’identité professionnelle de ces pharmaciens : une attitude de prévention s’inscrivant dans
le prolongement d’une logique économique mais n’en favorisant pas la réalisation .................. 109
2. Des stratégies de protection « offensives » fondées sur la confrontation directe des assaillants : .. 114
a. L’opposition aux assaillants ou le recours à la force : ................................................................... 114
b. La question de l’usage d’armes par les pharmaciens d’officine : .................................................. 116
c. La motivation de cette volonté de confronter l’agresseur : refuser l’impuissance : .................... 117
3. Des stratégies de prévention innovantes : ........................................................................................ 119
5
4. Conclusions sur les stratégies de prévention et de protection développées par les pharmaciens
d’officine : ................................................................................................................................................... 122
V. Conclusions générales :.......................................................................................................................... 127
VI. Bibliographie : ......................................................................................................................................... 132
VII. Annexes : .................................................................................................................................................. 143
A. Statistiques complètes de la Police fédérale sur la criminalité commise à l’égard des pharmaciens
d’officine en Belgique, par Région : ............................................................................................................... 143
B. Taux de victimisation par vol à main armée des pharmaciens d’officine de Belgique, par Région et
pour l’année 2012 : ........................................................................................................................................ 145
C. Taux moyens de vols à main armée à l’encontre de pharmaciens, par Région et sur la période 2009-
2012 : .............................................................................................................................................................. 147
D. Principes du système Télépolice communiqués par Eurovigilance : ................................................... 147
6
I. Introduction :
Ce mémoire se voudra porter sur la représentation et l’appréhension des risques
d’agressions et de victimisation chez un corps de métier paramédical précis, à savoir les pharmaciens
d’officine, ainsi que sur les conséquences induites par ces risques sur les rapports établis avec la
clientèle/patientèle. Comment ce personnel paramédical conçoit-il les risques d’agressions,
comment tente-t-il de les prévenir et quelle stratégie développe-t-il lorsque ce risque se matérialise
en acte de violence concret, telles sont les interrogations de base qui sous-tendent notre démarche
de recherche. Au regard de l’importance qu’a pris la violence au sein des secteurs de la santé, en
Europe comme ailleurs dans le monde occidental, ces interrogations ne semblent nullement
dérisoires. En effet, de nombreuses études empiriques ont démontré le caractère grandissant du
risque d’agression et de victimisation auquel devait faire face le personnel médical dans son
ensemble. L’Observatoire des violences en milieu de santé (ONVS) indiquait ainsi, pour l’année 2012,
un nombre de cas d’agressions et de faits de violence rapportés contre des membres du personnel
médical en milieu hospitalier en France de plus de 11.0001, contre seulement près de 5000 pour
l’année 20102. Les établissements belges ne semblent pas déroger à cette tendance de progression
de la violence au sein des milieux hospitaliers, bien que sensiblement moins d’informations semblent
exister à ce sujet. Ainsi, en 2008, le ministre de l’intérieur Guido De Pacht, annonçait
l’enregistrement de 7.454 cas d’agressions contre le personnel médical en milieu hospitalier pour
l’année 2007, confirmant la progression du phénomène de victimisation du personnel médical en
milieu hospitalier3. La plupart des études mettant en exergue ce phénomène s’accordent également
pour en souligner la dimension inconnue, non-signalée. Le nombre de cas d’agressions non-détectés
à l’égard du personnel médical, bien que variable selon les Etats, serait en effet très élevé, d’aucuns
avançant le chiffre de 3% de signalisations des actes d’agressions physiques à l’encontre de membres
du personnel médical en milieu hospitalier4.
Comme mentionné précédemment, les pharmacies d’officine semblent ne pas pouvoir
échapper à cette tendance de renforcement de la violence et de la victimisation à l’égard du
personnel médical. En effet, et comme nous le verrons en détails plus tard, si les statistiques
officielles de la Police fédérale montrent une certaine continuité, voire une progression lente dans le
nombre de vols à main armée ou avec violence et sans arme5, le nombre total de faits pouvant être
qualifiés « d’agressions» concernant les pharmacies d’officine pourrait être sensiblement plus élevé
selon diverses études. Le Syndicat Neutre des Indépendants (SNI) avançait, en 2013, le chiffre d’une
progression de 20% du nombre de braquages des pharmacies d’officine entre 2007 et 2012 pour 1 Observatoire National des Violences en Milieu de Santé, « Rapport annuel 2012. Observatoire national des
violences en milieu de santé », Ministère des affaires sociales et de la santé, 2013, p.4, consulté en ligne le 05/10/2014 sur http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_2012_ONVS-2.pdf 2 IZEOS, « Les agressions de personnels hospitaliers en hausse en 2010 », article mis en ligne le 01/09/2011,
consulté le 04/10/2014 sur http://www.infirmiers.com/ressources-infirmieres/documentation/les-agressions-de-personnels-hospitaliers-en-hausse-en-2010.html 3 RTBF, « Les agressions en hôpitaux ne cessent d’augmenter », article mis en ligne le 28/04/2009, consulté le
04/10/2014 sur http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_les-agressions-en-hopitaux-ne-cessent-d-augmenter?id=5045753 4 DE PACHT, Guido, « Question écrite n°5-564 à la ministre de l’intérieur», 16/12/2010, consulté le 02/10/2014
sur http://www.senate.be/www/?MIval=/Vragen/SchriftelijkeVraag&LEG=5&NR=564&LANG=fr 5 Chambre des représentants de Belgique, « Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de
l’Egalité des chances du 29 avril 2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », p.149-150, http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf
7
l’ensemble de la Belgique6, et soutenait sur base de ces chiffres qu’une pharmacie d’officine sur 25
connaitrait au moins un braquage7. La lecture de ces chiffres doit cependant se faire avec prudence,
en raison du manque d’information entourant la manière dont ceux-ci ont été établis ainsi qu’en
raison de la nature corporatiste de l’entité les ayant publiés. Corrélativement à cette tendance
statistique, le SNI soutient la thèse d’un déplacement du champ d’action des malfaiteurs, ceux-ci
délaissant au fil du temps les anciennes cibles telles que les banques, les supermarchés et bureaux de
poste pour se concentrer sur des cibles plus petites, plus nombreuses mais également plus
vulnérables telles que bijouteries, les magasins de nuit ainsi que les pharmacies8. Si ces chiffres, issus
des statistiques policières et de plusieurs études indépendantes, indiquent une augmentation du
nombre total de faits de violence à l’égard des pharmacies d’officine, ceux-ci ne refléteraient qu’une
partie relativement réduite de l’ensemble des faits de violence et d’agression affectant ce type
d’activité professionnelle.
Face à semblables menaces et à une situation sécuritaire aux apparences critiques, il nous
semble juste de s’interroger sur les impacts que celles-ci ont eues, ou peuvent avoir à l’avenir, sur les
pratiques professionnelles et sur la réalité au quotidien du métier de pharmacien d’officine. En dépit
des vastes dimensions du sujet, ainsi que du sentiment d’urgence qui semble animer bon nombre
d’acteurs de terrain préoccupés par la sécurité des pharmaciens et de leurs établissements, ce
problème a reçu un intérêt scientifique extrêmement indigent et proche de l’inexistence. A côté de
quelques rares études empiriques à portée exploratoire sur la sécurité des pharmacies9, menées
dans quelques Etats où le sujet à fait l’objet d’un intérêt scientifique plus poussé, et d’une petite
littérature vieillissante sur les implications multidimensionnelles de la problématique des stupéfiants
en pharmacie10, peu d’études sont susceptibles d’être trouvées par quiconque s’intéressant aux
questions entourant la délinquance et la sécurité au sein des pharmacies. De manière générale, il
semblerait d’ailleurs que la pharmacie d’officine ne constitue pas, à l’inverse du milieu hospitalier et
du secteur infirmier par exemple11, un terrain d’étude particulièrement prisé par les chercheurs
sociologues ou criminologues attachés à l’analyse des risques de sécurité et de la violence dans les
milieux professionnels et, plus particulièrement, de la santé. Même les circuits scientifiques du
secteur pharmaceutique semblent avoir délaissé les dimensions sociologiques de la profession de
pharmacien d’officine pour se consacrer surtout à ses aspects éthiques et organisationnels liées à
certaines questions non-strictement médicales, telle que l’évolution des soins pharmaceutiques et
leurs implications. Au final, les principales sources de données et d’analyses statistiques sur la
sécurité des pharmacies et du personnel officinal demeurent les organismes corporatifs des
pharmaciens ainsi que les services administratifs de sécurité intérieure de l’Etat, malgré le fait que
leurs apports dans ce domaine soient relativement limités en quantités et fluctuants au travers du
temps.
6 Syndicat Neutre des Indépendants, « Chaque jour un bijoutier, un pharmacien ou un night shop se fait
braquer », consulté en ligne le 04/10/2014 sur http://www.nsz.be/fr/nouvelles/juridique/chaque-jour-un-bijoutier-un-pharmacien-ou-un-night-shop-se-fait-braquer/ 7 Idem, « Pharmacies et stations-services ont le plus de risque d’être braquées », consulté en ligne le
04/10/2014 sur http://www.nsz.be/fr/nouvelles/secteurs/pharmacies-et-stations-services-ont-le-plus-de-risque-detre-braquees/ 8 Idem, « Chaque jour un bijoutier, (...) », op.cit.
9 Voir infra note 35.
10 Voir infra p.45-48.
11 Voir infra note 19.
8
Au final, nous sommes bien incapables de fournir la moindre piste a priori sur la façon dont
les pharmaciens vivent et se représentent l’expérience de la violence dans le cadre de leur métier, et
encore moins sur les ensembles de moyens qu’ils mobilisent pour y faire face et assurer leur sécurité,
ainsi que sur les stratégies de prévention des risques de violences et d’agressions qu’ils développent.
Ces éléments constitueront néanmoins nos principaux axes de recherche. Nous souhaitons évaluer
les différents aspects de la sécurité des pharmaciens en Belgique, et plus particulièrement dans la
Région de Bruxelles-Capitale, pour déterminer, en l’absence de tout travail scientifique antérieur
pouvant nous servir de base, les impacts objectifs et subjectifs des risques de violences et
d’agressions sur les pharmaciens d’officine. Quelles sont leurs représentations subjectives de la
violence et quels en sont les avatars dominants ? Ont-elles évoluées avec le temps et avec la
modification des structures de la délinquance ou sont-elles demeurées constantes ? Et surtout,
comment les pharmaciens y répondent-ils concrètement ? Comment assurent-ils leur sécurité au
quotidien dans l’exercice de leur profession ? Les Interrogations sont multiples et traduisent autant
la richesse du sujet que son étendue.
Outre le simple intérêt de faire progresser la recherche sur ce sujet précis largement
méconnu et, plus généralement, sur les questions de sécurité affectant les secteurs médical et
paramédical dans leur globalité, la problématique de la sécurité et des stratégies de prévention des
risques de violences et d’agressions dans les pharmacies comporte une dimension « politique », de
par l’investissement croissant des derniers gouvernements fédéraux belges et le développement de
stratégies d’action transversales face à l’urgence de la situation, qui n’est pas sans ajouter de l’intérêt
à cette recherche. Le secteur des pharmacies d’officine semble être parcouru par plusieurs
mouvements dans le domaine de la sécurité, émanant tant de la multitude des pharmaciens au sein
même des officines et à l’échelle microscopique que des acteurs intéressés par la sécurité publique à
l’échelle macroscopique. Le résultat est néanmoins inconnu et, face aux pressions sécuritaires
générées par les comportements violents et délinquants, il se pourrait que les modes d’organisation
et de fonctionnement typiques des pharmacies en soient profondément affectés.
Les Etats-Unis offrent à ce titre, toutes proportions et différences de nature gardées avec la
situation sécuritaire des pharmacies en Europe, l’illustration des extrémités auxquelles certaines
pharmacies sont prêtes à aller afin de se prémunir des risques de violences et d’agressions. Les deux
exemples suivants n’ont qu’une valeur anecdotique mais ont pour vocation de fournir une
illustration concrète de l’ampleur des mutations profondes du mode de fonctionnement et
d’organisation que peut subir une pharmacie à l’issue d’un processus de sécurisation
particulièrement poussé. Dans la zone urbaine de Syosset, dans l’Etat de New York, certaines
pharmacies ont entrepris de transformer complètement leur stratégie de sécurité en se coupant
virtuellement du monde extérieur. Cette nouvelle stratégie nous est décrite en ces termes,
“First, you open this outer door and walk into a little vestibule. They look at you through a camera, and
only then, if they decide they’re going to let you in, that’s when they open the inner door. You walk past an
employee who’s carrying a Glock 9 millimeter. You have to do all that, just to get to the waiting room.”12
De façon plus générale, c’est la plupart des pharmacies de la région de Long Island qui se sont
résignées à adopter une approche plus radicale de la sécurité face à la croissance du nombre
d’agressions et de braquages, incitant ceux-ci à :
12
ABC Local, « High-tech security at Long Island pharmacy », 07/02/2012, consulté en ligne le 29/07/2015 sur http://abclocal.go.com/story?section=news/local/long_island&id=8534800
9
“to strengthen their security precautions, and to wrestle with fear. Some have gone so far as to install
bulletproof glass partitions or entry systems where customers must be buzzed in. A few have hired guards,
or are considering getting guns.”13
Ces exemples traduisent un phénomène de « fortification » des pharmacies et de recours à
certains moyens de protection extrêmes impliquant, pour le moins, une distanciation du pharmacien
par rapport au patient. Si ces exemples ont été volontairement choisis en raison de leur caractère
extrême, pour souligner les implications éventuelles d’un processus de sécurisation poussé à son
paroxysme, et ne sont applicables qu’au contexte américain, ils font écho à des tendances similaires
constatées dans d’autres pays 14 . Ne connaissant pas la nature et l’étendue des stratégies
développées par les pharmaciens en Belgique, nous ne pouvons dire si pareil phénomène de
« fortification » est à l’œuvre au sein de leurs pharmacies ; tout au plus nous n’écartons pas cette
éventualité.
Notre recherche se décomposera en plusieurs séquences que nous annonçons d’emblée afin
d’en faciliter la lecture. Dans un premier temps nous tenterons de réaliser une analyse statistique des
risques de sécurité et de violence auxquels sont confrontés les pharmaciens d’officine de Belgique. A
travers cette analyse nous ambitionnons de parvenir à une présentation claire et exhaustive de la
situation de ces pharmaciens sur le plan de la sécurité, ainsi que son évolution dans le temps, cela
tant afin de fournir au lecteur certains éléments clés pour appréhender le sujet de cette recherche
que pour dégager un socle factuel solide sur laquelle pourra se développer notre problématique.
Celle-ci constituera le deuxième temps de notre recherche et visera à dégager certaines pistes
d’exploration sur les stratégies de protection et de prévention des risques de sécurité développées
par les pharmaciens. Dans cette problématique nous mettrons en avant tant les diverses tentatives
des autorités publiques et des organismes corporatifs de développer, auprès des pharmaciens,
certains plans d’action centrés sur le développement de réponses techno-préventives, que les
logiques d’action contradictoires se développant au sein de la profession de pharmacien d’officine et
influençant les stratégies concrètes mises en œuvre dans les pharmacies en matière de sécurité et de
prévention. Cette problématique s’articulera en parallèle de la section dédiée à l’aspect
méthodologique de notre recherche qui viendra, quant à elle, éclairer le lecteur sur les méthodes de
recherche mobilisées et justifier les divers choix d’orientation que nous avons dû poser, le premier
de ceux-ci étant la limitation de notre zone de recherche à certaines communes de la Région de
Bruxelles-Capitale. Les données que nous avons obtenues à l’issue de nos entretiens qualitatifs ne
seront applicables qu’à cette Région, ce qui constitue une des principales limites de cette recherche.
La dernière partie de notre recherche sera consacrée à l’analyse de ces données de terrain et à la
présentation des principaux résultats qui en auront émergé. A l’issue de cette analyse nous espérons
parvenir à découvrir les différentes représentations des risques de violences et d’agression existantes
chez les pharmaciens, de même que les stratégies de prévention de ces risques et les pratiques
concrètes qui en seraient issues.
13
New York Times, « Behind the counter, an acute anxiety », 08/01/2012, consulté en ligne le 29/07/2015 sur http://www.nytimes.com/2012/01/09/nyregion/anxious-days-for-long-island-pharmacies.html 14
ERDOGAN, Ozlem Nazan & KAYA, Safiye, « Safety research on community pharmacies in Kocaeli », African Journal of Pharmacy and Pharmacology, Vol.4 (5), 2010, p.209-210.
10
A. Etat général de la sécurité dans les pharmacies d’officine en Belgique :
Les données statistiques recueillies nous permettent de dresser une représentation globale
de la situation des pharmacies d’officine en Belgique sur le plan de la sécurité et de son évolution
dans le temps. Pareil exercice constitue un impératif préalable à tout travail d’investigation sur
l’appréhension des risques d’agressions et de violences chez les pharmaciens d’officine et sur les
stratégies de prévention de ces risques développées et appliquées au sein de celles-ci. En effet, au
regard de la faible quantité de données complètes et précises relatives à la sécurité au sein des
pharmacies d’officine disponibles dans le domaine public, il nous semble nécessaire de parvenir à
une compilation et à une présentation extensives de données statistiques afin de réaliser un aperçu
global de la situation sécuritaire des pharmacies d’officine. Bien que nous soyons pleinement
conscients des limites intrinsèques à l’analyse statistique, celle-ci nous a semblé constituer, sinon
une étape obligée, au moins un moyen utile afin de parvenir à un exposé introductif large et
intelligible d’une situation sécuritaire complexe. Cette partie se décomposera dès lors en plusieurs
points au travers desquels nous aborderons la situation de la sécurité des pharmacies d’officine à
partir de ses caractéristiques les plus larges, en l’occurrence les risques de criminalité à l’égard des
pharmacies d’officine sans distinctions, pour en évaluer ensuite des aspects plus spécifiques tels que
les différents types de faits délictueux commis à l’égard des pharmacies d’officine et de leur
personnel, ainsi que la proportion des faits violents parmi ceux-ci.
Les statistiques de la Police fédérale constituent la meilleure source statistique dont nous
disposons pour décrire l’état général de la sécurité au sein des pharmacies d’officine en Belgique. Ces
données statistiques, couvrant la période 2005-2013 et présentées dans le graphique 1 situé ci-après,
permettent d’emblée de réaliser certaines observations quant à l’état général de la sécurité dans les
pharmacies d’officine. Premièrement, il devient apparent que les pharmacies d’officine ont fait
l’objet d’un nombre relativement important de faits criminels au cours de la période susmentionnée.
De manière globale on constate l’existence d’une augmentation progressive et relativement rapide
du nombre de faits criminels commis à l’encontre des pharmacies d’officine en Belgique qui ne s’est
arrêtée que récemment ; l’année 2011 ayant constituée l’année où le plus de faits criminels ont été
constatés par les services de police. Depuis 2012, une certaine baisse des faits criminels constatés à
l’encontre des pharmacies d’officine est observable, le nombre de faits enregistrés baissant à un
rythme constant et relativement soutenu. En dépit de cette baisse apparente, les chiffres absolus des
faits criminels commis à l’encontre des pharmacies d’officine et enregistrés demeurent cependant
conséquents, les chiffres de l’année 2013 étant toujours supérieurs à ceux enregistrés au cours des
années 2005 et 2006, années qui ont connu les plus faibles niveaux de faits criminels enregistrés à
l’égard des pharmacies d’officine, à notre connaissance.
Plusieurs précisions doivent être réalisées par rapport à ces statistiques et plus
particulièrement par rapport à cette baisse apparente du nombre total de faits criminels à l’encontre
des pharmacies d’officine formellement enregistrés. La répartition par Région des faits commis à
l’encontre de celles-ci nous permet d’affiner nos observations et de relativiser la baisse du nombre
de faits criminels commis à l’encontre des pharmacies d’officine formellement enregistrés. Si toutes
les Régions de Belgique semblent expérimenter une baisse du nombre de ces faits criminels depuis
quelques années, cette baisse se décline différemment et inégalement en fonction de la Région.
Ainsi, la Région wallonne semble avoir été la Région ayant connu la plus forte baisse de faits criminels
commis à l’égard des pharmacies d’officine et se trouverait donc à l’origine de la baisse générale de
11
ces faits criminels. La trajectoire de la courbe des faits criminels commis à l’encontre des pharmacies
d’officine en Région wallonne est très similaire à la trajectoire de la courbe des faits commis au
niveau national, les deux courbes enregistrant un pic et une baisse subséquente simultanés.
Parallèlement, la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale ont connu une relative stabilité
dans le nombre de faits criminels à l’égard des pharmacies d’officine enregistrés sur leur territoire, la
Région de Bruxelles-Capitale se distinguant par un niveau de faits criminels comparativement très
bas et ayant subi des fluctuations beaucoup moins fortes que celles survenues dans les deux autres
Régions entre 2005 et 2013.
Graphique 1 : évolution du nombre de faits criminels commis à l’égard des pharmacies d’officine en
Belgique, sans distinction qualitative, répartis au niveau national et au sein des différentes Régions sur la
entre 2005 et 2013.
Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Police fédérale – Direction DRI (Information
policière & ICT) – Business Politique et Gestion. Données transmises le 17/06/2015.
Ces premiers chiffres nous donnent une représentation de l’état général de la sécurité au
sein des pharmacies d’officine mais ne nous renseignent pas sur les types de faits criminels commis à
l’encontre de celles-ci et de leur personnel, ces faits étant ici amalgamés dans une seule et même
« méta catégorie ». La première limite inhérente à pareille présentation de ces faits criminels dans
une catégorie unique est que nous sommes dans l’incapacité la plus totale de déterminer la nature
de ces faits, ceux-ci pouvant se décliner sous des formes très variées et de plus ou moins grande
gravité. Dans la mesure où nous souhaitons nous intéresser spécifiquement à la violence commise à
l’égard des pharmacies d’officine, pareilles données statistiques ne nous sont que d’une utilité toute
relative. Si nous pouvons observer une augmentation, suivie d’une certaine diminution, de la
criminalité ciblant spécifiquement les pharmacies d’officine en Belgique au cours des dernières
années, nous ne pouvons savoir dans quelle mesure cette criminalité englobe des faits violents à
l’instar des vols à main armée ou d’autres formes d’agressions. Ces statistiques étant constituées à
partir des constatations policières enregistrées sur le terrain et répondant à une nomenclature
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Région Bruxelles-Capitale 325 235 259 285 273 246 278 259 211
Région flamande 469 395 426 471 607 647 623 600 559
Région wallonne 389 409 416 358 403 478 661 581 457
Belgique 1.183 1.039 1.101 1.114 1.283 1.371 1.562 1.440 1.227
0200400600800
10001200140016001800
Faits criminels commis à l'égard des pharmacies d'officine répartis par Région
Région Bruxelles-Capitale Région flamande Région wallonne Belgique
12
propre15, les faits criminels ainsi présentés peuvent regrouper des infractions très différentes, allant
des crimes tels que les agressions violentes à de simples délits ou contraventions de nature
beaucoup moins grave et suscitant bien moins souvent une notification aux services de police.
Cette précision soulève une autre limite inhérente aux données statistiques présentées ci-
dessus. En effet, ces données amalgamant tous les faits infractionnels commis à l’encontre des
pharmacies d’officine et enregistrés par les services de police dans une seule catégorie de « faits
criminels », il est fort probable que cette catégorie unique englobe des faits inégalement rapportés
par les victimes auprès des services de police. Si on peut raisonnablement supposer que les faits
infractionnels les plus graves impliquant des coups et blessures ou des menaces de violence font
l’objet d’une déposition systématique ou quasi-systématique auprès des services de police, il n’en est
certainement pas de même pour les faits infractionnels jugés moins graves par les pharmaciens
d’officine. Ces statistiques sur la délinquance dirigée contre les pharmacies d’officine seraient dès
lors centrées sur un type particulier de faits violents, d’agressions, à savoir le vol à main armée ou
avec violence mais sans arme et accorderaient une place trop importante à ces types de faits
infractionnels par rapport à d’autres formes d’agressions ou de violence d’intensité plus basse,
potentiellement plus récurrentes et banalisées par les victimes. Les rares études scientifiques portant
sur la sécurité et la victimisation des pharmaciens d’officine ont mis en évidence le fait que,
tendanciellement, ces derniers ne rapportent que les faits les plus graves, négligeant de signaler un
grand nombre de faits aux services de police. Les pharmaciens d’officine australiens, interrogés par
Peterson et al. sur leurs réactions face aux faits délictueux dont ils étaient victimes, ont ainsi indiqué
dans leur majorité qu’ils ne rapportaient que les faits les plus graves à l’instar des vols à main
armée16, considérant les autres types de faits comme « insignifiants » ou contre lesquels rien ne
pouvait être fait et ne les signalant que dans une très faible proportion17. Pareille tendance est
également suggérée par Fitzgerald et Reid en ce qui concerne le personnel des pharmacies d’officine
irlandaises, bien que les deux auteurs se contentent prudemment d’avancer que leurs résultats
relatifs à la violence expérimentée par ce personnel sont supérieurs à ceux obtenus jusqu’alors en
Irlande18. Cette tendance, au demeurant, ne concerne pas uniquement le personnel des pharmacies
d’officine mais frappe l’ensemble des professions appartenant au monde médical. Ainsi, un nombre
très important d’études ont pointé l’existence d’une tendance très prononcée au sous-signalement
15
MINE, Benjamin, « L’absence d’identifiant unique et d’harmonisation entre les nomenclatures relatives aux infractions : deux obstacles majeurs à la production en Belgique d’une statistique « criminelle » intégrée » dans VANNESTE, Charlotte & VESENTINI, Frédéric & LOUETTE, Julie (ed.) « Les statistiques pénales belges à l’heure de l'informatisation. Enjeux et perspectives », Academia Press, 2012, p.63-64. 16
PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267. 17
Ibid., p. 268. 18
FITZGERALD, Deirde & REID, Alex, « Frequency and consequences of violence in community pharmacies in Ireland », Occupational Medicine, 2012, p.635.
13
des faits violents par les infirmières19 et, plus particulièrement, par le personnel des départements
d’urgence20.
Cette surreprésentation relative des faits délictueux particulièrement violents et graves dans
les statistiques de la criminalité commise à l’égard des pharmacies d’officine est particulièrement
apparente et soulignée dans certaines études réalisées au sein du secteur pharmaceutique dans
certains pays limitrophes de la Belgique. Les études statistiques réalisées annuellement par l’Ordre
National des Pharmaciens de France sur la sécurité des pharmacies d’officine sont, à ce titre,
particulièrement éclairantes et méritent que nous en fassions mention avant de continuer notre
analyse de la délinquance commise à l’égard des pharmacies d’officine en Belgique. Ces statistiques,
plus finement détaillées et présentées au sein de catégories différentes de celles utilisées par les
services de police belge, nous invitent à relativiser l’importance que nous accordions d’emblée et de
manière intuitive aux faits délictueux de grande violence tels que les braquages et les agressions
physiques à l’intérieur des statistiques sur la sécurité des pharmacies d’officine. En effet, si nous
pouvons supposer, au regard des enseignements empiriques, que ces types de faits devaient faire
l’objet d’une intervention des forces de police de manière plus systématique, réduisant l’importance
des faits violents de plus faible intensité telles que les agressions verbales ou les menaces, il
semblerait que cela ne soit pas le cas et que ces faits violents de plus basse intensité puissent
également faire l’objet d’une réaction de la part de leurs victimes et d’une notification auprès des
services de police. Ainsi, l’Ordre National des Pharmaciens de France semble démontrer au sein de
ses études statistiques sur la sécurité des pharmacies d’officine que la proportion de faits délictueux
plus violents et plus graves, identifiés comme les vols à main armée et les agressions physiques sans
arme, est demeurée relativement réduite et relativement stable dans le temps en ce qui concerne les
faits d’agression physique sans arme. Nonobstant les fluctuations plus conséquentes des chiffres des
vols à main armée au cours de la période 2011-2014, les statistiques de l’Ordre National des
Pharmaciens de France présentées ci-dessous dans le graphique 2 montrent que les faits de vols à
main armée et d’agressions physiques sans arme ne représentaient, en 2014, que 28% de tous les
faits d’agression enregistrés, soit un niveau équivalent à celui enregistré pour l’année 2011.
19
MAYHEW, Claire & CHAPPEL, Duncan, “Workplace violence in the healthsector – A case study in Australia”, The Journal of Occupational Health and Safety — Australia and New Zealand 2003, vol 19(6), 2003, p.6-7; SPECTOR, Paul, E. & ZHOU, Zhiqing, E. & CHE Xin Chuan, “Nurse exposure to physical and nonphysical violence, bullying, and sexual harassment: A quantitative review”, International Journal of Nursing Studies, 2013, p.78-79; WHELAN, Trish, “The escalating trend of violence toward nurses”, Journal of Emergency Nursing, 2008, p.132. 20
ERICKSON, Lisa & WILLIAMS-EVANS, “Attitudes of emergency nurses regarding patient assaults”, Journal of Emergency Nursing, Vol.26, N°3, 2000, p.210-215; KENNEDY, Marcus P; “Violence in emergency departments: under-reported, unconstrained, and unconscionable”, Medical Journal of Australia, Vol.183, N°7, 2005, p.363.
14
Graphique 2 : pourcentages des types d’agressions commis à l’encontre du personnel des pharmacies
d’officine en France, entre 2011 et 2014.
Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Sources : Ordre National des Pharmaciens,
« Déclarations à l’Ordre d’agression des pharmaciens d’officine de France métropolitaine », 2012, 2013 ;
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmaciens d’officine. Panorama », 2014, 2015.
Si ces chiffres ne concernent que les pharmacies d’officine françaises et ne sont valables que
dans le contexte français, ils invitent néanmoins à considérer avec prudence l’importance que nous
pourrions accorder aux faits délictueux plus violents et plus spectaculaires tels que les vols à main
armée et les attaques ou agressions physiques sur le personnel des pharmacies d’officine. En effet,
les faits d’agression a priori moins graves et qui devraient susciter une réaction plus épisodique
auprès des services de police semblent au contraire, si l’on en croit les statistiques françaises, faire
l’objet d’une réaction relativement importante de la part des pharmaciens d’officine.
Une dernière remarque que nous pouvons réaliser dans le cadre de ce premier point, nous
ne pouvons écarter l’existence d’un chiffre noir d’une importance inconnue de certaines formes
d’agression dont serait victime le personnel officinal. Bien que, comme nous avons pu le voir au
travers des statistiques françaises sur la sécurité des pharmacies d’officine, les types d’agression ou
de violence plus communs et moins graves font également l’objet d’un signalement relativement
important auprès des services de police, leur nombre réel pourrait être bien supérieur, un grand
nombre de membre du personnel de pharmacies d’officine semblant préférer éviter de signaler
certains types d’incidents considérés comme étant insuffisamment graves pour justifier une
notification auprès des services de police ou de services de plainte corporatifs21. Il serait aventureux
de chercher à mesurer l’étendue de ce chiffre noir et, à notre connaissance, aucune étude en
Belgique ou dans un pays limitrophe n’est parvenue à en réaliser une estimation même
approximative. Seule indication dont nous disposons et traduisant néanmoins la réalité du
phénomène de sous-signalement de certains faits délictueux ou criminels commis à leur égard par le
personnel des pharmacies d’officine, l’Ordre National des Pharmaciens de France déplore avec force
21
PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267.
44%
38%
31%
52%
28,% 27,% 29,%
20,%
12% 10% 11% 11% 16%
24% 28%
17%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
2011 2012 2013 2014
Pourcentages des types d'agressions commis à l'encontre du personnel des pharmacies d'officine
en France
Agression verbale Menace Agression physique Vol à main armée
15
dans chacune de ses publications portant sur la sécurité au sein des pharmacies d’officine que « le
nombre d’agressions déclaré soit en-deçà de la réalité », cela en raison, entre autres, d’une
« perception de complexité et de lourdeur des procédures »22. Pareils propos sont de nature à
considérer avec prudence les faibles taux de victimisation des pharmaciens d’officine rapportés en
France et en Belgique et se situant bien souvent en dessous de 1%, ainsi que les statistiques
policières ou corporatives sur la criminalité commise à l’encontre du personnel de pharmacies
d’officine de manière plus générale.
L’ensemble des données mobilisées jusqu’à présent ont servi à pointer certaines tendances
de fond relatives à la criminalité commise à l’encontre du personnel des pharmacies d’officine et à
leur enregistrement au sein de statistiques officielles. Si nous avons pu constater l’existence d’une
réelle tendance au renforcement de la délinquance commise à l’encontre du personnel des
pharmacies d’officine en Belgique au cours des années 2000, contrebalancée par une réduction très
récente de celle-ci, nous ne sommes toujours pas parvenu à détailler les différentes formes de
délinquance à l’œuvre au sein des pharmacies d’officine et dont leur personnel est victime.
Préalablement à la continuation de l’exposé de la situation sécuritaire des pharmacies d’officine en
Belgique nous avons tenu à mettre en exergue deux limites importantes mais néanmoins inhérentes
aux statistiques de la délinquance au sein des pharmacies d’officine par les différentes institutions et
services compétents. Premièrement nous avons démontré la nécessité de ne pas réduire la
délinquance au sein des pharmacies d’officine à ses formes violentes les plus extrêmes et les plus
spectaculaires. En effet, si par réflexe nous avons tendance à ramener la délinquance et la violence
prenant place au sein des pharmacies d’officine à quelques formes extrêmes telles que le vol à main
armée ou l’attaque ou agression physique, force est de constater que d’autres formes de violence ou
d’agression de plus faible intensité sont également fortement présentes en pharmacie d’officine et
que le personnel de celles-ci semble suffisamment concerné par ces formes d’agression pour en faire
rapport aux services compétents dans des proportions relativement importantes quoique très
variables d’année en année.
Deuxièmement, nous avons également fait mention de la tendance chez un nombre
potentiellement important de membres du personnel de pharmacies d’officine à sous-rapporter les
faits délictueux et de violence survenant au sein de leur officine. En effet, bien que nous soyons
incapable de chiffrer cette omission de rapport de certains faits délictueux et violents à l’intérieur
des pharmacies d’officine, plusieurs études tendent à confirmer cette impression qu’un grand
nombre de faits délictueux plus ou moins graves échappent à notre connaissance, comme nous
avons pu le voir précédemment. Si les raisons de pareil phénomène demeurent hypothétiques et
potentiellement multiples, d’aucuns identifient l’impression de complexité des procédures de
plainte23, les pressions sociales et organisationnelles associées au dépôt de plainte24, ainsi que la
banalisation des faits25 comme autant de possibles raisons expliquant ce phénomène, du moins en ce
22
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.2. 23
CHAPMAN, Rose & STYLES, Irene, « An epidemic of abuse and violence: nurse on the frontline », Accident and Emergency Nursing, 2006, p. 246. 24
RIPPON, Thomas, « Aggression and violence in health care professions », Journal of Advanced Nursing, 2000, p.454-455, 457-458; KENNEDY, Marcus P; “Violence in emergency departments: under-reported, unconstrained, and unconscionable”, Medical Journal of Australia, Vol.183, N°7, 2005, p. 363. 25
ERICKSON, Lisa & WILLIAMS-EVANS, “Attitudes of emergency nurses regarding patient assaults”, Journal of Emergency Nursing, Vol.26, N°3, 2000, p.213; JONES, Jacqueline & LYNEHAM, Joy, “Violence: part of the job for Australian nurses?”, Australasian Emergency Nursing Journal, Vol.4, N°1, 2001, p.10-14.
16
qui concerne le secteur infirmier et hospitalier. Selon toute vraisemblance, et particulièrement en
raison de cette tendance à la banalisation ou à la relativisation des faits délictueux et violents les plus
courants et de moindre intensité, certains faits tels que les faits d’agression verbale ou les menaces
seraient largement sous-évalués dans les statistiques officielles sur la sécurité au sein des pharmacies
d’officine, le personnel des pharmacies d’officine préférant ne pas faire rapport de ces faits à leurs
directions, organisations professionnelles et aux services de police.
Ces remarques et limites se doivent d’être posées d’emblée car elles viennent éclairer sous
une nouvelle perspective les statistiques déjà utilisées et celles que nous serons amenés à utiliser
plus tard, de même qu’elles viennent relativiser l’excès de confiance que nous pourrions être tentés
de placer directement et sans prise de distance critique dans ces statistiques. Elles doivent être
gardées à l’esprit lorsque nous développerons les points sur les différents types de faits délictueux et
de faits violents dans la suite de notre exposé, également sur base de la méthode de l’analyse
statistique.
B. Les types de faits délictueux commis à l’égard des pharmacies d’officine en
Belgique :
1. La prédominance des vols au sein des pharmacies d’officine :
Les statistiques de la police fédérale relatives aux faits criminels commis au sein des
pharmacies d’officine s’avèrent une nouvelle fois constituer la source statistique la plus appropriée
pour entamer une analyse plus poussée de la situation sécuritaire des pharmacies d’officine en
Belgique au cours de ces dernières années. A l’inverse de ce que nous avons réalisé précédemment
au début de notre recherche, nous ne nous intéresserons plus simplement au nombre global de faits
criminels survenus au sein des pharmacies d’officine sans distinction qualitative mais nous opérerons
un certain raffinement de ces données afin de parvenir à cibler quels sont les principaux types de
faits délictueux survenant au sein des pharmacies d’officine et tenter de déterminer l’étendue de la
violence déclinée sous ses différentes formes.
Comme nous le supposions précédemment, les statistiques fournies par la Police fédérale sur
les différents types de faits délictueux survenus en pharmacie d’officine au cours des années 2000
reprennent un grand nombre de catégories correspondant à des phénomènes criminels très distincts
les uns des autres. Par souci de clarté et pour éviter une opacification de notre analyse par des
données statistiques non-pertinentes ou moins pertinentes au regard des objectifs de ce mémoire,
nous avons décidé d’opérer une sélection des données disponibles par Région en isolant les trois
principales catégories de faits délictueux, à savoir « les vols et extorsions », « les infractions contre la
foi publique » et « les dégradations de propriété », et en compilant les données de celles-ci afin d’en
obtenir une représentation applicable à l’échelle de la Belgique. Le choix de ramener le nombre de
catégories statistiques étudiées à trois procède d’un choix délibéré et que d’aucuns pourraient
considérer comme arbitraire, nous reprochant d’éluder d’autres catégories potentiellement
importantes et de réduire la diversité qualitative des données. Si ce dernier point est correct dans
l’absolu, nous sommes néanmoins d’avis que l’impact de choix de restriction qualitative des données
mobilisées est extrêmement limité dans la mesure où les catégories ainsi éludées étaient
17
statistiquement insignifiantes et de valeur purement anecdotique, celles-ci incluant bien souvent un
nombre de faits très réduit voire virtuellement inexistant. Les tableaux reprenant, en annexes, les
données complètes ainsi que leur présentation graphique attesteront de ce poids statistique relatif
ainsi que de l’impact limité de leur élusion sur la suite de notre développement26.
Une lecture rapide de ces statistiques ainsi sélectionnées et présentées dans le graphique 3
ci-après permet de se rendre compte de l’importance des faits de vols et d’extorsion au sein des
pharmacies d’officine sur l’ensemble de la Belgique. Il s’agit d’abord du premier type de fait
infractionnel touchant les pharmacies d’officine, confirmant ainsi plusieurs analyses scientifiques ou
corporatives attestant de l’importance du phénomène de vol au sein des pharmacies d’officine en
général, en Belgique comme dans d’autres Etats de par le monde27. L’Ordre National des
Pharmaciens de France indiquait ainsi, dans son rapport sur la sécurité des pharmacies d’officine en
2014 et selon sa méthodologie propre de calcul des statistiques de la délinquance, que les vols
d’espèces représentaient la principale motivation des agressions à l’encontre du personnel des
pharmacies d’officine, la proportion de ceux-ci oscillant entre 40 et 50% entre l’année 2011 et
l’année 201428. Les pharmacies d’officine en Belgique ne dérogent pas à cette tendance générale
non-limitée à un contexte national particulier. De manière relativement analogue à la France, nous
pouvons également constater une augmentation soudaine et une diminution subséquente tout aussi
soudaine des vols et extorsions au sein des pharmacies d’officine en Belgique29, à la différence près
que les statistiques françaises parlent «d’agressions motivées par le vol », catégorie statistique plus
précise qui explique dès lors le nombre plus restreint de cas repris dans celle-ci.
Les pharmacies d’officine en Belgique seraient aujourd’hui moins visées par le vol et
l’extorsion qu’au tout début des années 2000 ou qu’au cours de l’année 2011 si l’on se réfère aux
statistiques de la Police fédérale30. Ici encore, nous ne pouvons être certains que la tendance
apparente au sein de ces statistiques reflète réellement et dans les même proportions une tendance
de fond sur le terrain, ces fluctuations statistiques pouvant trouver une explication tant dans
l’activité policière englobant la recherche et l’appréhension des auteurs de ce type de faits31 que
dans l’attitude du personnel des pharmacies d’officine face à celui-ci. En effet, comme nous l’avons
dit précédemment, il n’est pas impossible que l’attitude des membres du personnel de pharmacies
d’officine à l’égard de ce type de faits soit fluctuante et qu’elle ne se traduise pas par un signalement
systématique auprès des autorités et services compétents. Par souci de prudence nous ne pouvons
dès lors qu’affirmer que les cas de vols survenus en pharmacie d’officine et effectivement signalés à
la police sont en diminution depuis l’année 2012, suivant ainsi la baisse générale de la criminalité à
l’égard des pharmacies d’officine que le graphique 1 semble montrer.
Il en est de même pour la deuxième principale catégorie des faits délictueux à l’égard des
pharmacies d’officine en Belgique, à savoir les infractions contre la foi publique ; celle-ci suit un
26
Voir annexe A. 27
ERDOGAN, Ozlem Nazan & KAYA, Safiye, « Safety research on community pharmacies in Kocaeli », African Journal of Pharmacy and Pharmacology, Vol.4 (5), 2010, p.207-208 ; Ohio State Board of Pharmacy, «The Ohio State Board of Pharmacy News », August 2008, p.3-4 ; New Jersey State Board of Pharmacy, «The New Jersey State Board of Pharmacy News », April 2013, p.1. 28
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.5-6. 29
Voir graphique 3. 30
Voir graphique 3. 31
PILLON, Véronique, « Normes et déviances », Bréal, 2003, p.79-82.
18
renforcement progressif depuis plusieurs années relativement similaire à celui expérimenté par les
vols et extorsions, en présentant néanmoins la particularité de demeurer à un niveau élevé et
relativement instable depuis l’année 2011, repartant à la hausse après la baisse générale de la
criminalité à l’égard des pharmacies d’officine durant l’année 2012. A l’inverse des vols et extorsions
et de la troisième principale catégorie de faits délictueux survenant en pharmacie d’officine, les
dégradations de la propriété qui ne sont présentes qu’à un niveau très modeste, les infractions
contre la foi publique n’impliquent de facto aucune forme de violence dans la mesure où elles ne se
matérialisent que par l’utilisation de faux32 et qu’elles se basent sur l’atteinte à la confiance publique
plutôt que sur la coercition. Si cette catégorie de faits infractionnels nous éclaire sur les types de faits
criminels affectant les pharmacies d’officine et confirme une tendance criminelle claire de vouloir
dérober par la force ou par la tromperie les ressources monétaires des pharmacies d’officine, elle
ne nous renseigne nullement sur l’état de la violence au sein des pharmacies d’officine, à l’inverse
des deux autres catégories sélectionnées.
La principale catégorie de faits infractionnels, les vols et extorsions, semble beaucoup plus
riche d’enseignements sur ce plan, bien qu’elle comprenne une limite méthodologique inhérente la
rendant difficilement utilisable. Conformément à l’un des présupposés initiaux de ce mémoire, il
s’avérerait que le risque de violence soit un risque réel aux proportions importantes, en faisant une
composante à part entière de la profession de pharmacien d’officine, une part relativement
importante du personnel officinal ayant dû faire face à ce type de faits violents ces dernières années.
En effet, l’extorsion étant définie comme la remise de fonds ou de valeurs par l’emprise ou par la
force33, cette catégorie de faits infractionnels englobe également les vols à main armée, par
agression physique ou par menace de faire usage de la violence qui constituent les faits les plus
violents dont peuvent être victimes le personnel des pharmacies d’officine. S’il est manifeste que les
vols dans leur ensemble sont prédominants au sein des pharmacies d’officine en Belgique, il est
néanmoins impossible de déterminer si ces vols sont simples ou s’ils sont accompagnés de violence,
la nomenclature employée dans les statistiques policières dont nous disposons ne faisant pas de
distinction entre ces deux formes de vols34. L’amalgame des faits d’extorsion et de vol simple au sein
d’une seule et même catégorie nous empêche de déterminer le poids relatif de chacun de ces deux
types de phénomènes criminels à l’intérieur de celle-ci et de jauger l’importance de la violence en
pharmacie d’officine par la même occasion. Nous pourrions poser l’hypothèse d’une absence
d’égalité entre ces deux phénomènes criminels, les vols simples tels que les vols à l’étalage ou les
vols par ruse pouvant largement dépasser les vols à main armée en valeur absolue. Cette limite
méthodologique propre aux statistiques de la police fédérale belge nous laisse dans une certaine
impasse qui nécessitera la mobilisation d’autres sources statistiques afin d’évaluer la part des vols
avec violence dans la criminalité affectant les pharmacies d’officine.
Toujours dans la perspective d’évaluer la violence s’exerçant à l’égard du personnel des
pharmacies d’officine, nous avons également inclus au graphique 3 deux autres catégories de faits
infractionnels potentiellement liées à la violence, à savoir les « infractions contre l’intégrité
physique » et la catégorie des faits référencés « drogues » dont nous ne pouvons malheureusement
pas déterminer les contours de façon précise. Ces deux catégories de faits doivent nous renseigner
sur des types de faits non encore abordés ici, à savoir les agressions physiques non-motivées par le
32
DELRUE, Geert, « Faux en écritures », Maklu, 2007, p.12-14. 33
KUTY, Franklin, « Principes généraux du droit penal belge: tome 1 – la loi pénale », Larcier, 2009, p.228-229. 34
Voir graphique 3.
19
vol ainsi que les faits infractionnels impliquant le vol ou l’usage illégal de stupéfiants. Ces deux types
de faits étant régulièrement identifiés par les rares études scientifiques35 ou statistiques36 sur la
sécurité des pharmacies d’officine comme étant des menaces potentielles pour les pharmacies
d’officine, nous avons fait le choix de les extraire des statistiques policières générales afin d’en
évaluer la magnitude au niveau national ainsi que de déterminer si, et dans quelle mesure, ils
constituent un risque de violence effectif pour les pharmacies d’officine en Belgique.
A notre grand étonnement ces deux catégories se sont révélées quasiment insignifiantes, ne
contenant que des nombres très limités de faits effectivement constatés par les services de police.
Ainsi, tant les agressions physiques que les infractions liées aux stupéfiants dans les pharmacies
d’officine ont été très peu constatées entre l’année 2005 et l’année 2011, évoluant de manière très
stable au cours du temps à des niveaux comparativement très bas au regard de ceux enregistrés par
les catégories de faits infractionnels « vols et extorsion » et « infraction contre la foi publique ». Les
agressions physiques, de même que les infractions liées à l’usage de stupéfiants, constituant des faits
relativement graves sur le plan pénal, nous pouvons légitimement supposer que ceux-ci sont de
nature à susciter une réaction policière quasi-systématique, les pharmaciens d’officine ayant tout
intérêt à ne pas laisser pareils types de faits méconnus de leurs directions ou des services de police. Il
est donc fort probable que les chiffres contenus dans ces catégories statistiques reflètent en grande
partie les nombres de ces faits se déroulant effectivement au sein des pharmacies d’officine. Le
chiffre noir pour ces deux types de faits serait dès lors relativement faible, essentiellement en ce qui
concerne les vols à main armée37 même si d’autres études viennent relativiser38 ou infirmer39 cette
hypothèse. Si cette hypothèse était néanmoins valide, cela impliquerait que les pharmacies d’officine
en Belgique seraient relativement peu exposées à ces types de faits infractionnels et violents, malgré
le fait qu’elles présentent des résultats relativement identiques à ceux de leurs homologues français,
abstraction faite des différences méthodologiques existantes entres les statistiques belges et
françaises dans ce domaine.40
35
PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia : incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p267-269; WINSTOCK, Adam R. & LEA, Toby & SHERIDAN, Janie, “Problems experienced by community pharmacists delivering opioid substitution treatment in New South Wales and Victoria, Australia”, Addiction, Vol.105, 2010, p.337-339; SHERIDAN, Janie & BUTTERWORTH, Gihan & GLOVER, Christine, “Professional conflicts for the front-line pharmacist” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.127-129. 36
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.5-6. 37
WEISEL, Deborah Lamm, « Bank robbery », Problem-oriented guides for police. Problem-specific guides series, n°48, US Department of Justice, 2007, p. 2-4, 22. 38
DESROCHES, Frederik, John, « Force and fear », Canadian Scholars’ Press, 2002, p.4-8. 39
SKOGAN, Wesley, G, « Dimensions of the dark figure of unreported crime », Crime and delinquency, 1977, p.45-46. 40
Ordre National des Pharmaciens, op.cit., p.5-6.
20
Graphique 3 : principaux types de faits criminels commis à l’égard du personnel des pharmacies
d’officine en Belgique, entre 2005 et 2013.
Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Police fédérale – Direction DRI (Information
policière & ICT) – Business Politique et Gestion. Données transmises le 17/06/2015.
2. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine en Belgique : le cas des vols à main
armée et des vols avec violence :
Comme il a été mentionné précédemment, les statistiques de la police fédérale, si elles nous
ont permis de préciser les contours de la situation sécuritaire au sein des pharmacies d’officine en
Belgique et de souligner l’importance des faits de vols en général à leur égard, ne nous ont
néanmoins pas permis de cerner avec précision les dimensions de la violence effectivement
constatée au sein des pharmacies d’officine. Tout au plus sommes-nous parvenus à déterminer avec
plus ou moins d’assurance le caractère statistiquement négligeable des faits d’agression physique et
d’infractions liées aux stupéfiants sur l’ensemble de la Belgique, cela alors que plusieurs études en
soulignaient l’importance relative dans d’autres contextes nationaux.
Ce point sera consacré à l’évaluation des dimensions des phénomènes infractionnels les plus
violents pouvant survenir au sein des pharmacies d’officine, à savoir les vols à main armée ainsi que
les vols avec violence mais se déroulant sans l’usage d’armes. Les statistiques policières mobilisées
jusqu’à présent étant méthodologiquement inadaptées pour parvenir à cet objectif, nous avons
décidé de recourir aux statistiques délivrées par le Service Public Fédéral (SPF) Intérieur dans le cadre
des réponses aux questions parlementaires. Si ces statistiques proviennent également de la Banque
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Drogues 39 24 21 32 36 35 33 18 23
Infraction contre l'intégrité physique 13 21 15 17 19 15 19 13 20
Dégradation de la propriété 80 91 91 84 82 101 83 85 55
Infraction contre la foi publique 159 166 194 212 186 260 311 210 276
Vol et extorsion 791 618 636 654 752 800 916 912 674
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
No
mb
re d
e fa
its
enre
gist
rés
Types de faits criminels commis à l'encontre du personnel des pharmacie d'officine en Belgique
Vol et extorsion Infraction contre la foi publique
Dégradation de la propriété Infraction contre l'intégrité physique
Drogues
21
de données Nationale Générale (BNG)41 et sont établies sur base des procès-verbaux établis par les
services de police, se trouvant dès lors sujettes aux mêmes limites et nécessités de précaution que
celles mises en exergue précédemment42, elles se trouvent néanmoins reformulées avec plus de
clarté et en dehors de la nomenclature policière, supposément afin d’être conformes aux questions
posées par les parlementaires. Ces statistiques se trouvent dès lors affinées par rapport aux
statistiques policières brutes utilisées jusqu’à présent et nous permettent de pallier à certaines de
leurs limites que nous avions pu constater dans les premiers points de cette partie de notre
recherche, telles que, principalement, l’impossibilité de déterminer l’importance des vols avec
violence en raison de leur amalgame avec les différentes formes de vols simples.
Cet écueil se trouve en effet dépassé par les statistiques offertes par le SPF Intérieur et nous
offrent la possibilité de déterminer avec précision les dimensions des formes violentes de vols
commises à l’encontre du personnel des pharmacies d’officine. De par son importance en termes
statistiques et par rapport au sujet de cette recherche, nous nous intéresserons essentiellement au
phénomène de vols à main armée en Belgique représenté graphiquement au sein du graphique 4 ci-
après.
Graphique 4 : nombre de vols à main armée commis à l’encontre des pharmacies d’officine en Belgique,
par Région, entre 2009 et 2012.
Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,
« Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril
2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 152,
consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf
41
Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril 2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 151, consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf 42
PILLON, Véronique, « Normes et déviances », Bréal, 2003, p.79-82 ; MINE, Benjamin, « L’absence d’identifiant unique et d’harmonisation entre les nomenclatures relatives aux infractions : deux obstacles majeurs à la production en Belgique d’une statistique « criminelle » intégrée » dans VANNESTE, Charlotte & VESENTINI, Frédéric & LOUETTE, Julie (ed.) « Les statistiques pénales belges à l’heure de l'informatisation. Enjeux et perspectives », Academia Press, 2012, p.63-64.
2009 2010 2011 2012
Région Bruxelles-Capitale 74 48 52 50
Région flamande 48 36 38 54
Région wallonne 97 84 99 79
Belgique 219 168 189 183
0
50
100
150
200
250
Vols à main armée commis à l'encontre des pharmacies d'officine par Région
Région Bruxelles-Capitale Région flamande Région wallonne Belgique
22
Comme nous l’avions supposé précédemment, les chiffres des vols à main armée à l’échelle
de la Belgique se révèlent être nettement inférieurs à ceux des vols et extorsions présentés dans le
graphique 3. En partant du postulat que les vols à main armée correspondent, en tout ou en partie,
aux extorsions reprises dans la catégorie des « vols et extorsions « et en y rapportant les chiffres des
vols à main armée repris dans le graphique 4, nous pouvons supposer que les vols simples
constituent le principal type de fait délictuel auquel sont confrontés les personnes travaillant au sein
des pharmacies d’officine de Belgique, représentant deux à trois fois plus de faits enregistrés par
rapport aux vols à main armée. Ces observations sont à considérer avec grande prudence dans la
mesure où, ne connaissant pas les définitions employées par la police fédérale pour constituer sa
catégorie statistique de « vols et extorsions », nous ne pouvons être certains que les vols à main
armée repris dans les statistiques du SPF Intérieur au sein du graphique 4 puissent correspondre aux
« extorsions » enregistrées par les services de police. Il est en effet possible que les extorsions
reprises dans la catégorie « vols et extorsions » puissent être plus larges que les vols à main armée et
englober d’autres phénomènes violents similaires. Il est néanmoins probable que les chiffres des vols
à main armée, repris dans le graphique 4, se retrouvent en tout ou en partie dans la catégorie « vols
et extorsions » des statistiques policières brutes que nous mobilisions précédemment, limitant de ce
fait les risques de distorsions dans nos observations.
Au-delà de la supposition que les vols simples constituent la principale forme de délinquance
à laquelle soit confronté le personnel des pharmacies d’officine que nous évoquions dans notre
analyse du graphique 3, nous pouvons observer ici une relative importance des vols à main armée au
niveau national ainsi qu’une certaine stabilisation de leur niveau ces dernières années. Malgré le fait
que nous ne disposions pas des données statistiques pour ce type de phénomène délictuel pour les
années 2013 et 2014, les données existantes pour la période 2009-2012 dépeignent une situation où
presque 200 faits de vols à main armée étaient commis chaque année en Belgique au sein des
pharmacies d’officine. Ce nombre de cas de vols à main armée, ramené au nombre total de
pharmacies d’officine, indique que ce type de phénomène ne concerne qu’une part très réduite de
personnes travaillant au sein de pharmacies d’officine, leur taux de victimisation pour ce type de fait
criminel s’établissant, à titre d’exemple, autour de 3% pour l’année 201243. Cependant, nous pouvons
constater que la Région-Bruxelles Capitale affiche un taux de victimisation largement supérieur à la
moyenne nationale et aux taux présentés par les autres Régions, indiquant une plus grande
exposition des pharmaciens bruxellois aux risques de vols à main armée44. De manière plus générale,
cela n’empêche néanmoins pas les pharmacies d’officine de constituer l’une des principales cibles
des vols à main armée parmi les petits commerces en Belgique. Ainsi, selon le directeur général de
l’Association Pharmaceutique de Belgique (APB), les pharmacies d’officine figureraient toujours
parmi les trois types de commerces les plus ciblés par les braqueurs en Belgique, déclarant à ce
sujet :
43
Voir annexe B. 44
Voir annexe B.
23
« Quand on voit dans leurs statistiques [de la police fédérale] quels sont….les types de magasins qui
sont le plus sensibles c’est a) les nightshops, b) les joailliers et troisièmement c’est les pharmacies, donc
on est dans leur top trois quand même… »45
Il convient de noter que ces chiffres avaient déjà été avancés, en 2013, par certains observateurs des
activités des petits commerces et des professions libérales, attestant que cette situation perdure
déjà depuis un certain temps46.
Egalement, afin de jauger l’importance relative des vols à main armée dirigés contre les
pharmacies d’officine nous pouvons ramener ces chiffres à ceux de l’ensemble des vols à main armée
enregistrés dans le secteur commercial par les services de police en Belgique sur la même période. A
l’issue de ce calcul nous pouvons constater que les vols à main armée affectant les pharmacies
d’officine représentent en moyenne 3.5% de l’ensemble des vols à main armée commis en Belgique
et effectivement constatés par les services de police entre 2009 et 201247. Si ce taux n’est pas
démesuré nous ne pouvons néanmoins pas le considérer comme inexistant et, potentiellement, non-
problématique pour les acteurs de la sécurité publique et, principalement, pour les pharmaciens
d’officine.
Une dernière observation, que nous développerons en détails plus loin, constitue
indéniablement la proportion relativement forte de vols à main armée enregistrés au sein de la
Région de Bruxelles-Capitale, comparativement aux chiffres présentés par les autres Régions. Si en
termes absolus la Région wallonne dépasse largement les deux autres Régions, la Région de
Bruxelles-Capitale affiche cependant des niveaux élevés de vols à main armée au regard de sa
population ainsi qu’au regard du nombre total de vols à main armée enregistrés sur son territoire. En
effet, de manière étonnante, nous pouvons constater que le taux moyen de vols à main armée
commis à l’égard des pharmacies d’officine sur le territoire de Bruxelles-Capitale par rapport au
nombre total de faits de vols à main armée commis sur ce même territoire entre 2009 et 2012
s’élève à 3.6%, soit un taux très légèrement supérieur à celui enregistré au niveau national pour la
même période48. Le fait que la Région de Bruxelles-Capitale présente un taux moyen de vols à main
armée commis à l’égard des pharmacies d’officine sur son territoire quasi identique à celui applicable
à l’ensemble du territoire de la Belgique indique clairement le poids proportionnellement important
de ce phénomène au sein de cette Région. Plus étonnant encore, la Région de Bruxelles-Capitale
présente un nombre très important de cas de vols à main armée pour la population qu’elle abrite sur
son territoire. En effet, si nous rapportons les chiffres des vols à main armée commis à l’égard des
pharmacies d’officine de chaque Région à leur population totale pour une année de référence, nous
constatons que la Région de Bruxelles-Capitale se détache clairement des autres Régions et du
niveau national dans son ensemble. Ainsi, pour l’année 2012, la Région Bruxelles-Capitale affichait un
taux de vols à main armée commis à l’égard des pharmacies d’officine par 10.000 habitants près de
trois fois supérieur à celui de la Belgique dans son ensemble au même moment comme cela peut
être constaté dans le tableau 1 ci-après. Ce dernier élément statistique vient confirmer et renforcer
45
Entrevue avec le Directeur Général de l’Association Pharmaceutique de Belgique, Luc Adriaenssens, réalisée le 09/06/2015. 46
Retail Detail, « Bijoutiers, pharmaciens et night shops, cibles préférées des braqueurs », créé le 30/09/2013, consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.retaildetail.be/fr/f-belgique/bgq-general/item/16652-chaque-jour-au-moins-un-bijoutier-un-pharmacien-ou-un-night-shop-est-victime-d%E2%80%99un-braquage 47
Voir annexe D. 48
Voir annexe D.
24
la thèse, que nous développerons plus loin, d’une situation particulière et plus grave en termes de
risques de violences et de vols à main armée pour les pharmaciens d’officine à l’intérieur de la
Région Bruxelles-Capitale.
2012
Bruxelles-
Capitale
Région
wallonne
Région
flamande
Belgique
Population totale
1.138.854
3.546.329
6.350.765
11.035.948
Nombre de vols à mains armée commis
à l’égard des pharmacies d’officine
50
79
54
183
Taux de vols à main armée commis à
l’égard des pharmacies d’officine par
10.000 habitants
0.44
0.08
0.22
0.16
Tableau 1 : taux de vols à main armée commis à l’égard des pharmacies d’officine par 10.000 habitants,
en Belgique et par Régions, pour l’année 2012.
Tableau réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,
« Réponse de la vice-première ministre et ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril
2014, à la question n°1371 de monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 152,
consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0159.pdf
Avant de clôturer ce point consacré à l’analyse des vols, et particulièrement des vols avec
violence, commis à l’encontre des pharmacies d’officine en Belgique, nous pouvons également
mentionner rapidement le cas des vols violents sans armes commis à l’égard de ceux-ci au niveau de
la Belgique. Dans la mesure où les chiffres pour ce type de faits s’inscrivent dans les observations
déjà réalisées dans les paragraphes précédents, n’apportant pas de grande plus-value à notre
analyse, nous ne nous attarderons pas longuement sur ceux-ci. A l’instar des agressions physiques
non-motivées par le vol, les vols avec violence sans utilisation d’armes ne semblent pas concerner un
nombre important de pharmaciens d’officine en Belgique49. Deux observations peuvent être
réalisées cependant à partir de ces chiffres. Premièrement, même si les cas de vols avec violence
demeurent très limités en termes absolus, la Région Bruxelles-Capitale concentre également des
niveaux très importants de vols avec violence à l’égard des pharmaciens d’officine, affichant des
niveaux équivalents à celui de la Région flamande et comptant pour près de la moitié des cas
rapportés sur l’ensemble de la Belgique en 201250. Ce type de fait criminel conserve donc une
certaine prégnance dans la Région Bruxelles-Capitale, et est susceptible d’avoir un impact réel sur le
travail des pharmaciens d’officine et sur les risques de violence auxquels ils doivent faire face.
Dernièrement, si ces chiffres corroborent ceux contenus dans une étude statistique du SPF Intérieur
sur la sécurité des pharmaciens d’officine, réalisée en 2006, et indiquant qu’une majorité des faits
violents répertoriés dans cette étude au cours de l’année 2005 ont impliqué l’usage d’une arme ou
une menace d’utilisation d’une arme51, ils se distinguent dans une certaine mesure des chiffres
enregistrés auprès des pharmaciens d’officine français. En effet, si les statistiques de l’Ordre National
49
Voir annexe C. 50
Voir annexe C. 51
Service Public Fédéral Intérieur, « Etude sur la sécurité auprès des indépendants et des professions libérales. Résultats concernant le secteur des pharmaciens », 2006, p.5.
25
des Pharmaciens de France indiquent que les vols à main armée demeurent toujours supérieurs aux
autres faits impliquant des actes de violence physique, la tendance est aujourd’hui à une évolution
de ces types de faits criminels vers des proportions plus équivalentes, les pharmaciens agressés pour
la première fois en 2014 ayant fait l’objet dans leur extrême majorité d’agressions sans armes52.
C. La violence à l’égard des pharmaciens d’officine : l’apparente spécificité de
Bruxelles :
Par l’analyse des données statistiques délivrées par le SPF Intérieur en 2013, nous avons pu
constater que la Région de Bruxelles-Capitale se distinguait des autres Régions par des niveaux élevés
de vols à main armée commis à l’égard de pharmaciens d’officine lorsque comparés au nombre total
de vols à main armée sur son territoire et au regard de sa population. La concentration d’un nombre
relativement élevé de vols à main armée commis à l’égard des pharmaciens d’officine au sein de la
plus petite Région du pays semble indiquer l’existence d’une situation sécuritaire particulière pour ce
type d’acteurs, les risques d’être victime de vols violents semblant nettement exacerbés au sein de
cette Région. Ces données nous ont amenés à considérer la situation des pharmaciens d’officine en
termes de risques de violence dans la Région Bruxelles-Capitale comme une spécificité de cette ville-
Région. Le territoire couvert par les 19 communes de Bruxelles ainsi que sa périphérie constituerait
un espace beaucoup plus risqué pour les pharmaciens d’officine en termes de violence que n’importe
quel autre territoire au sein de la Belgique. Afin de vérifier cette hypothèse et de déterminer dans
quelle mesure Bruxelles se distingue, non seulement des autres Régions, mais également des autres
grandes villes du pays en termes de risques de violence pour les pharmaciens d’officine, nous avons
entrepris de nous intéresser aux niveaux de vols à main armée commis à l’égard des pharmaciens
d’officine enregistrés dans les différents arrondissements judiciaires de Belgique. Par cela, nous
devrions être en mesure de comparer les niveaux enregistrés à Bruxelles avec ceux enregistrés par
les autres grandes villes du pays et de déterminer si Bruxelles se distingue effectivement des autres
Régions et des autres principales grandes villes de Belgique sur le plan des risques de violence pour
les pharmaciens d’officine.
L’hypothèse avançant la particularité de Bruxelles sur le plan des risques de violence pour les
pharmaciens d’officine semble clairement confirmée au regard des données statistiques du SPF
Intérieur. Bruxelles, ainsi que sa périphérie, se démarquent nettement des autres grandes villes et
arrondissements judiciaires belges par les niveaux comparativement très élevés de vols à main
armée commis à l’égard des pharmaciens d’officine. Les enseignements de la littérature scientifique
au sujet de la relative faiblesse du chiffre noir pour ce type de phénomène criminel53, ou pour la
plupart des faits violents en général54, nous permettent également d’inférer que ces chiffres ne
souffrent pas d’une distorsion majeure et reflètent, en toute probabilité, la réalité de ce phénomène
criminel.
Comme nous pouvons le constater dans le graphique 5, Bruxelles et sa périphérie
concentreraient des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmacies d’officine dépassant
52
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.4. 53
WEISEL, Deborah Lamm, « Bank robbery », Problem-oriented guides for police. Problem-specific guides series, n°48, US Department of Justice, 2007, p. 2-4, 22. 54
TIBBETTS, Stephen G., « Criminological theory: the essentials », SAGE, 2011, p.13-14.
26
largement les autres grandes villes belges. Seules quelques villes d’importance font montre de
niveaux relativement élevés pour ce type de faits et parfois proches des niveaux enregistrés à
Bruxelles lors de certaines années. Néanmoins, une fois cumulés et considérés sur l’ensemble de la
période 2011-2014, ces niveaux demeurent deux ou trois fois moins importants que ceux enregistrés
à Bruxelles. Seul l’arrondissement de Liège a semblé, pendant un temps, connaître une situation
analogue à celle vécue à Bruxelles sur le plan des risques pour les pharmaciens d’officine de faire
l’objet d’un vol à main armée, relativisant légèrement l’hypothèse d’une situation particulière et
propre à Bruxelles et à sa périphérie. Cependant, force est de constater que cette similarité ne s’est
pas maintenue dans le temps. Ainsi, si l’arrondissement de Liège présentait en 2011 un niveau de
vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine très proche de celui enregistré à Bruxelles
pouvant laisser penser à une certaine équivalence en termes de risques d’être victime de violence
pour ce type d’acteurs, ces chiffres n’ont cessé de décroître par la suite. Si Liège a continué d’afficher
des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine relativement importants
jusqu’à récemment, ceux-ci ne sont nullement comparables à ceux expérimentés en 2011 et ceux
enregistrés par Bruxelles et sa périphérie.
De façon plus étonnante encore peut-être, nous pouvons constater que, si les niveaux de vols
à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine a globalement baissé sur l’ensemble des
arrondissements judiciaires de Belgique entre 2011 et 2014, ces niveaux ont baissé à un rythme
moins rapide à Bruxelles et dans sa périphérie qu’ailleurs en Belgique, contribuant ainsi à y maintenir
des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine comparativement beaucoup
plus élevés. Une observation pouvant indiquer une potentielle future aggravation, ou du moins une
stabilisation, des niveaux de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine à Bruxelles peut
être réalisée à partir des chiffres de l’année 2014. Dans la mesure où il ne s’agit que des chiffres du
premier semestre de l’année 2014, ceux-ci ne donnent qu’une représentation provisoire de la
situation des vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine et sont plus que probablement
amenés à augmenter dans l’avenir lorsque l’ensemble des données statistiques pour l’ensemble de
l’année 2014 seront disponibles. Cependant, nous pouvons déjà constater que ces chiffres sont déjà
relativement élevés au premier semestre pour Bruxelles et sa périphérie, se rapprochant déjà du
niveau de vol à main armée enregistré au cours de l’année 2013 et laissant imaginer une possible
égalisation avec ce dernier, voire son dépassement. Il ne s’agit pas, sur ce dernier point uniquement,
d’une exception propre à Bruxelles, l’arrondissement de Charleroi affichant une augmentation du
nombre de vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine au premier semestre de l’année
2014 par rapport au niveau enregistré pour ces vols au cours de l’année 2013. L’arrondissement de
Charleroi subirait donc une croissance des vols à main armée à l’égard des pharmaciens d’officine
déjà confirmée sur le plan statistique, alors que nous ne pouvons que la supposer en ce qui concerne
Bruxelles et sa périphérie.
27
Graphique 5 : nombre de vols à main armée enregistrés par arrondissement judiciaire en Belgique entre
2011 et 2014. En raison de l’extrême faiblesse statistique des chiffres pour l’arrondissement judiciaire
de Halle-Vilvoorde, et afin de faciliter notre démonstration, nous avons procédé à la fusion de ce dernier
avec l’arrondissement de Bruxelles dans ce graphique.
Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,
« Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes
et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel
du 05 mars 2015 », 2015, p.110, consulté en ligne le 07/07/2015 sur
http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf
Ces mêmes observations pour Bruxelles et sa périphérie sont également applicables au
phénomène de vols avec agression physique, comme nous pouvons le voir dans le graphique 6. Face
à ce phénomène criminel, Bruxelles et sa périphérie demeurent encore le territoire le plus exposé sur
l’ensemble de la Belgique, dépassant encore largement les autres villes et arrondissements
judiciaires du pays, quoique dans des proportions ici moins grandes qu’en ce qui concerne les vols à
main armée comme nous l’avons vu précédemment. Ces données viennent confirmer certaines
observations déjà réalisées dans des points précédents quant à la prégnance des vols avec violence
en Belgique. Même si ce type de phénomène semble plus prégnant à Bruxelles et dans sa périphérie
qu’ailleurs en Belgique, nous ne pouvons le considérer comme étant un phénomène de premier plan
au regard de son poids statistique relatif. La possibilité de l’existence d’un chiffre noir relativement
conséquent et distordant la représentation statistique de ce phénomène n’est certes pas à écarter,
néanmoins certaines études déjà mobilisées nous poussent à considérer que le rapport de pareil
phénomène criminel par les pharmaciens en étant victimes est relativement important et que, dès
AnversBrabantwallon
Bruxelles(Capitaleet BHV)
Charleroi Mons Louvain Liège LimbourgLuxembo
urgNamur
Flandreorientale
Flandreoccident
ale
2014 4 0 26 13 3 1 5 1 0 0 1 0
2013 9 3 35 12 18 0 20 3 2 1 10 3
2012 21 9 62 22 19 0 25 4 1 3 9 8
2011 19 11 57 27 8 5 47 3 1 5 4 2
020406080
100120140160180200
Vols à main armée par arrondissement judiciaire
2011 2012 2013 2014
28
lors, les statistiques obtenues reflètent en partie la réalité de ce phénomène55. A l’instar des
agressions physiques « simples », n’impliquant pas de vols, les vols avec violence physique à l’égard
des pharmaciens d’officine représenteraient donc un phénomène criminel relativement marginal sur
le plan statistique, particulièrement au regard des chiffres très importants enregistrés en ce qui
concerne les vols à main armée. Si nous n’éludons nullement ces phénomènes criminels moins
développés, nous ne nous étendrons pas dans une analyse extensive de ceux-ci.
Graphique 6 : nombre de vols avec violence sans utilisation d’arme enregistrés par arrondissement
judiciaire en Belgique entre 2011 et 2014. Les arrondissements de Halle-Vilvoorde et de Bruxelles ont
été fusionnés pour les mêmes raisons que dans le graphique 5.
Graphique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Source : Chambre des Représentants de Belgique,
« Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes
et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel
du 05 mars 2015 », 2015, p.110, consulté en ligne le 07/07/2015 sur
http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf
Nous sommes parvenus jusqu’ici à exprimer ce qui nous semblait constituer une spécificité
de Bruxelles en termes de violence à l’égard des pharmaciens d’officine, les vols avec violence et les
vols à main armée affectant un plus grand nombre de pharmaciens d’officine sur le territoire de
Bruxelles et de sa périphérie que n’importe où ailleurs en Belgique. Cependant, nous devons prendre
garde aux formulations des observations réalisées jusqu’à ce point. En effet, ayant fait abstraction
jusqu’à présent des différences de tailles entre les populations des arrondissements judiciaires
étudiés, nous n’avons pu raisonner que de manière hypothétique, ne parvenant pas à affirmer que le
personnel des pharmacies d’officine bruxelloises aurait une plus grande probabilité d’être victime de
faits violents que leurs homologues établis dans d’autres arrondissements judiciaires en Belgique.
55
PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267.
AnversBrabantwallon
Bruxelles(Capitaleet BHV)
Charleroi Mons Louvain LiègeLimbour
gNamur
Flandreorientale
Flandreoccident
ale
2014 1 0 2 1 0 0 1 1 0 2 0
2013 6 0 4 1 2 0 1 3 1 1 0
2012 3 0 13 4 1 3 1 1 0 1 3
2011 3 2 7 2 0 0 4 1 0 2 0
0
5
10
15
20
25
30
Vols avec violence sans arme par arrondissement judiciaire
2011 2012 2013 2014
29
Il nous faut, dès lors, veiller à prendre en compte les différences importantes au niveau de la
taille et de la densité de population entre Bruxelles et sa périphérie et les autres villes et
arrondissements judiciaires pris en considération. Bruxelles présente la particularité démographique
de disposer d’une population dépassant largement celle des autres grandes villes de Belgique ; dès
lors, il nous faut prendre garde à l’écueil d’une comparaison entre les niveaux de vols à main armée
ou de vols avec violence des différentes villes belges en valeurs absolues, non-corrigées par la taille
de leur population respective et non-exprimées en taux. Pareille comparaison en valeurs absolues,
bien que n’invalidant nullement la particularité d’une forte concentration de crimes violents à l’égard
des pharmaciens à Bruxelles, tend à créer une distorsion dans l’élément mesuré explicable par la
simple différence du nombre d’habitants résidant dans chaque unité géographique à l’étude.
Chamlin et Cockran, se fondant sur les écrits de Gibbs et d’Erickson, soulignaient l’importance de
prendre en compte cet écueil en rappelant que
« macro-criminologists use rates in lieu of raw numbers because more populous social units contain a
greater number of potential victims and offenders. Hence, “[w]ithout such control, the incidence of
crime is virtually certain to be greater for California than for, say, Wyoming.” »56
Ces remarques ne s’appliquent bien évidemment pas à toute tentative de mesure des effets
relatifs d’une variable sur une autre57 mais demeurent pertinentes si nous tentons de jauger les
risques de violence pesant sur une population donnée et, ainsi, sur sa propension à la victimisation58.
Dans la mesure où nous ne disposons de données complètes que pour l’année 2012, nous nous
devons de faire preuve de prudence dans les observations que nous pouvons avancer. Comme il a
été rapidement mentionné précédemment, il semblerait que les pharmaciens de la Région Bruxelles-
Capitale soient plus exposés aux risques de vols à main armée, si l’on en croit les taux de
victimisation par vol à main armée chez les pharmaciens que nous avons établis pour l’année 2012.
En effet, alors que la moyenne nationale est de 3.5% pour l’ensemble des pharmaciens du pays, les
pharmaciens de Bruxelles-Capitale présentent le taux de victimisation très supérieur de 8%59. Pareil
résultat est la conséquence d’une très forte concertation de pharmacies sur le territoire de la Région
Bruxelles-Capitale, générant une forte population de pharmaciens, ainsi que de la relative
importance du nombre de vols à main armée commis à leur encontre. Cependant, pour cause de
manque de données nous ne pouvons pousser l’exercice de calcul du taux de victimisation plus loin
et nous ne pouvons l’appliquer aux différents arrondissements judiciaires, nous empêchant de jauger
avec précision l’importance relative des vols à main armée commis à l’égard des pharmaciens
bruxellois par rapport aux autres arrondissements judiciaires.
Nous devons dès lors nous contenter d’un raisonnement en valeurs absolues et nous ne
pouvons que supposer l’existence d’une situation relativement plus risquée pour les pharmaciens
d’officine situés à Bruxelles face aux vols violents sans toutefois pouvoir la prouver sur le plan
statistique. Cela n’empêche toutefois pas de constater un rythme de décroissance apparemment
relativement plus lent des niveaux de vols à main armée à Bruxelles et dans sa périphérie, ainsi
qu’une concentration importante de cas de vols à main armée en valeurs absolues dans ces
territoires.
56
CHAMLIN, Mitchell B., « An excursus on the population size-crime relationship », Western Criminology Review, 2004, p.119-120. 57
Ibid., p.120. 58
Ibidem. 59
Voir annexe B.
30
Quels enseignements pouvons-nous tirer de l’exploitation que nous avons faite des
différentes sources statistiques sur la criminalité à l’égard du personnel des pharmacies d’officine en
notre possession ? Premièrement, nous sommes parvenus à l’établissement d’un aperçu global et
précis de la situation des pharmacies d’officine en Belgique sur le plan de la sécurité ou, selon
d’autres termes, du risque général de victimisation auquel leur personnel s’est trouvé confronté
depuis plusieurs années. Deuxièmement, si les statistiques de l’Ordre National des Pharmaciens de
France nous ont indiqué que l’importance, aux yeux du personnel des pharmacies d’officine, de
certaines formes de violence de plus basse intensité ou d’apparence moins grave ne devaient pas
être négligées, il est apparu que les pharmacies d’officine en Belgique et leur personnel semblaient
bien plus affectés par les faits de vols et d’extorsions, sans que nous puissions clairement distinguer
les proportions respectives de ces deux types de phénomènes criminels dans les statistiques
policières brutes dont nous disposons. Dernièrement, nous avons pu identifier une relative
importance du phénomène de vols à main armée à l’égard du personnel des pharmacies d’officine en
Belgique et, plus particulièrement, au sein de la région bruxelloise, bien que nous n’ayons pas été en
mesure de pouvoir prouver la plus grande propension des pharmaciens d’officine bruxellois à être
victimes de vols violents.
Si ces démonstrations statistiques successives ont pu paraître redondantes ou maladroites,
elles nous ont semblé nécessaires afin de parvenir à dresser un aperçu complet des risques de
criminalité et de violence auxquels le personnel des pharmacies d’officine était confronté dans les
différents territoires de la Belgique. En raison du peu d’informations complètes et systématisées
disponibles sur ce sujet, ainsi qu’en raison du caractère méconnu des risques de sécurité auxquels le
personnel des pharmacies d’officine, en Belgique et dans l’absolu, est confronté, cet exercice nous
est apparu comme un prérequis nécessaire au développement de notre problématique et de notre
recherche empirique. La prochaine partie de ce mémoire sera consacrée à l’introduction et au
développement de notre problématique. Pour ce faire, nous aborderons dans un premier temps les
initiatives des pouvoirs publics et des différentes organisations professionnelles du secteur
pharmaceutique face aux différentes menaces criminelles et aux risques de sécurité et de violence
affectant le personnel des pharmacies d’officine. Dans un second temps, nous aborderons les enjeux
sous-jacents à la question de la sécurisation des pharmacies d’officine, en portant notre intérêt sur
les logiques d’action et les dynamiques professionnelles à l’œuvre chez le personnel officinal.
31
II. Problématique :
A. Les initiatives des pouvoirs publics et des organisations professionnelles de
pharmaciens face aux risques de violence :
Les efforts déployés par les pouvoirs publics et les différentes organisations professionnelles
du secteur pharmaceutique compétentes face aux risques de victimisation du personnel des
pharmacies d’officine ne sont pas inexistants, en dépit du fait qu’ils soient méconnus de par la
faiblesse de l’intérêt médiatique et du grand public pour ceux-ci. Ils s’avèrent également
relativement récents, développés en parallèle de la croissance de la criminalité visant spécifiquement
les pharmacies d’officine et de la prise de conscience par les différents acteurs intéressés de
l’urgence d’une réaction et de stratégies préventives destinées à juguler ce phénomène. Ce n’est
respectivement qu’à la fin des années 90 et au début des années 2000 que peuvent être datées, en
France et en Belgique, les premières initiatives concrètes en matière de sécurité pour les pharmacies
d’officine, ainsi que la formulation des premières stratégies de collaboration et de prévention
destinées à répondre efficacement à la progression de la criminalité à l’égard des pharmacies
d’officine et de leur personnel.
C’est à ces initiatives et à ces efforts que nous nous intéresserons dans ce premier point et
cela pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu’il s’agit d’initiatives destinées à servir d’outils au
personnel des pharmacies d’officine pour se prémunir des risques de violence que fait reposer sur lui
la criminalité. Tant les pouvoirs publics et les différents services de l’Etat que les organisations
professionnelles des pharmaciens compétentes en la matière se sont ingéniés à concevoir des
stratégies préventives se voulant complètes et cohérentes, ainsi que des mesures pratiques devant
pouvoir être assimilées et mobilisées par le personnel des pharmacies d’officine afin qu’il puisse se
prémunir des risques de violence dans le cadre de leur travail ou qu’il puisse y réagir dans les cas où
ces risques n’auraient pu être prévenus et qu’ils se seraient matérialisés en actes violents concrets. Il
y a donc eu une volonté, que nous pourrions qualifier de « politique » même si non limitée aux
structures de l’Etat et portée également par des acteurs intimement liés au secteur des pharmacies
d’officine, d’intervenir au niveau des pratiques professionnelles du personnel officinal et d’influer sur
celles-ci afin qu’elles se conforment au maximum à des logiques de prévention de la délinquance et
de défense par rapport à celle-ci. Il s’agit donc de cumuler des logiques qui, si elles ne sont pas
antagoniques les unes par rapport aux autres, n’ont a priori que peu en commun et n’ont pas
vocation à se mêler et à se confondre. Fruit de la collaboration des services policiers et préventifs de
l’Etat ainsi que des responsables du secteur des pharmacies d’officine, ces stratégies et initiatives
sécuritaires et de prévention seraient assimilables à des créations exogènes se destinant à être
captées et intégrées par le personnel officinal sur le terrain. En cela, leur analyse ne constitue pas
simplement un intérêt anecdotique mais bien un élément central pour la suite de notre
problématique.
Deuxièmement, il convient de nous intéresser à ces stratégies et à ces mesures concrètes car,
en dépit du fait qu’elles soient relativement récentes, elles existent depuis maintenant près de dix
ans voire plus et sont susceptibles d’avoir laissé leurs premières marques sur les logiques
professionnelles et comportements effectifs du personnel officinal dans le cadre de leur travail. Tout
du moins s’agit-il là d’une possibilité car il n’est pas à exclure que ces initiatives aient été en tout, ou
seulement en partie intégrées, voire même qu’elles ne l’aient absolument pas été, manquant dès lors
32
totalement d’effectivité et relevant plus de l’abstraction et de l’intention politique, bien que nous
pouvons supposer qu’il s’agisse là d’une supposition trop radicale pour être crédible. En définitive, il
convient de nous intéresser à ces initiatives car nous ne savons pas quels ont été, et quels sont
toujours, leurs effets potentiels sur les pratiques du personnel officinal dans l’absolu et face aux
risques de violence plus particulièrement. Nous tâcherons donc d’analyser les types d’initiatives
créées afin de prévenir les risques de violence et de délinquance à l’égard du personnel officinal en
nous basons sur des données issues des contextes nationaux belge et français, ceux-ci constituant les
deux seuls Etats pour lesquels suffisamment de données en la matière ont pu être rassemblées. Ces
initiatives peuvent, selon nous, être regroupées en plusieurs catégories que nous nous attacherons à
présenter successivement ci-après.
1. Les initiatives de prévention situationnelle : un arsenal de mesures techno-
préventives :
Une grande partie des initiatives prises par les pouvoirs publics afin de protéger les
pharmacies d’officine des risques de violence et de délinquance peut être considérée comme
découlant de l’approche situationnelle de la prévention. Plus précisément et comme nous le verrons
plus loin, ces initiatives constitueraient un vaste ensemble de mesures techniques suivant les
ressorts de la prévention situationnelle, ce qui nous permettrait de les qualifier de mesures de
techno-prévention. La prévention situationnelle pourrait être définie sommairement comme une
approche particulière de la prévention centrée sur la réduction des opportunités de passage à l’acte
criminel plutôt que sur l’acte criminel per se et sur ses différents déterminants60. L’approche
situationnelle de la prévention procède donc d’une analyse des différentes circonstances, plus ou
moins récurrentes, favorisant la commission de certains types de crimes61. Ce type de prévention
prétend agir sur les possibilités de passage à l’acte criminel dans leur globalité, réduisant ainsi à la
fois les conditions de réalisation de tous les types de crimes sans distinction et pouvant, selon la
prétention de ses théoriciens, également être déclinée en des dispositifs extrêmement précis et
limités en échelle d’action pour cibler des faits criminels bien définis62.
En cohérence avec son ancrage dans l’ensemble théorique du choix rationnel63, la prévention
situationnelle véhicule une représentation du délinquant comme une personne dont le choix du
passage à l’acte criminel est conditionné par l’existence de structures d’opportunités lui permettant
d’agir à l’encontre d’une cible et de retirer un avantage de son acte64. Le délinquant est donc
considéré comme une personne rationnelle et sensible à l’évolution des opportunités de
délinquance, celles-ci pouvant s’étendre autant que se contracter. Le passage à l’acte est donc, dans
cette perspective, le résultat d’un calcul rationnel réalisé par une personne opportuniste et, a priori,
non-prédestinée à la délinquance dans l’absolu, celle-ci se contentant de « saisir l’occasion » pour
60
CLARKE, Ronald V., “Introduction” in CLARKE, Ronald V., “Situational crime prevention. Successful case studies. Second edition”, Harrow and Heston, 1997, p.2-3. 61
Ibid., p.2. 62
Ibid., p.4-5. 63
Ibid., p.6, 9-10. 64
CUSSON, Maurice, « Prévenir la délinquance. Les méthodes efficaces », Presses Universitaires de France, 2002, p.45-47.
33
passer à l’acte65. A partir de pareilles conceptions de la personne délinquante et du passage à l’acte,
il est aisé de comprendre pourquoi la prévention situationnelle se donne pour tâche d’agir sur les
opportunités de passage à l’acte en complexifiant celui-ci par divers moyens ou en en réduisant les
bénéfices qu’une personne délinquante peut en escompter66. Les principaux théoriciens de la
prévention situationnelle ont dressé des listes successives, et régulièrement sujettes à extension et à
complexification67, des différents types de mesures et techniques de prévention situationnelle68 ; il
n’est pas étonnant, comme nous pourrons le voir plus loin, que l’essentiel des mesures promues à
l’égard des pharmaciens d’officine par les acteurs publics et corporatifs pour se prémunir des risques
de violence et de délinquance se retrouvent dans pareilles listes, confirmant sans peine le caractère
situationnel de ces mesures de protection à destination des pharmaciens d’officine.
Cette inscription des mesures de sécurité à destination des pharmaciens d’officine dans une
approche situationnelle de la prévention n’est guère étonnante et est assez aisément constatable, en
ce qui concerne les principaux Etats européens en tout cas. Comme l’ont noté Hebberecht et Duprez,
on constate une réorientation et une recomposition des politiques de prévention et de sécurité dans
la plupart des Etats européens dans la période charnière des années 80 et 9069, ces politiques
intégrant massivement les principes des théories de la prévention situationnelle nouvellement
apparues dans le monde anglo-saxon70. Réorganisations des services de police, nouveaux types de
partenariats entre entités étatiques et avec de multiples intérêts privés, et surtout prévention de la
victimisation et du passage à l’acte dans les espaces publics et semi-publics par le biais d’une
panoplie de mesures techniques remodelant l’espace physique et les interactions sociales, la
prévention situationnelle s’impose dans tous les aspects des politiques de prévention71. Les deux
principaux Etats qui ont servis de cadres d’étude à ce mémoire jusqu’à présent, à savoir la Belgique
et la France, ne dérogent pas à cette lame de fond. Si la France s’est maintenue dans une optique de
prévention sociale pendant les premiers temps de la mise en œuvre et de l’étoffement de sa
politique de prévention, s’attachant à l’intervention sur les conditions sociales favorables à la
délinquance et à la désaffiliation sociale72, elle a également semblé basculer progressivement vers
l’approche situationnelle au sein de ses politiques de prévention et de sécurité, essentiellement par
le biais des Contrats Locaux de Sécurité et par la rénovation de l’action policière au niveau local73. En
Belgique, les nouvelles politiques de prévention, s’inscrivant dans le mouvement de réformes
profondes apportées aux systèmes policier et judiciaire74, ont été immédiatement et fortement
65
CUSSON, Maurice, « Prévenir la délinquance. Les méthodes efficaces », Presses Universitaires de France, 2002, p.46. 66
CLARKE, Ronald V., “Introduction” in CLARKE, Ronald V., “Situational crime prevention. Successful case studies. Second edition”, Harrow and Heston, 1997, p.4. 67
WORTLEY, Richard, “Guilt, shame and situational prevention”, in HOMEL, Ross, “The politics and practice of situational crime prevention” Criminal Justice Press, 1996, p.115-120. 68
CLARKE, Ronald V., op. cit., p.15-25; CUSSON, Maurice, op.cit., p.40-41. 69
HEBBERECHT, P & DUPREZ, Dominique, « Sur les politiques de prévention et de sécurité en Europe : réflexions introductives sur un tournant », Déviance et Société, 2001, p.371-374. 70
CRAWFORD, A., « Les politiques de sécurité locale et de prévention de la délinquance en Angleterre et au pays de galles : nouvelles stratégies et nouveaux développements », Déviance et Société, 2001, p.432-433. 71
HEBBRECHT, P. & DUPREZ, Dominique, op.cit., p.374-376. 72
BODY-GENDROT, Sophie & DUPREZ, Dominique, « Les politiques de sécurité et de prévention dans les années 1990 en France », Déviance et Société, 2001, p.380-381. 73
Ibid., p.377, 389-390. 74
CARTUYVELS, Yves & HEBBERECHT, P., « La politique fédérale belge de sécurité et de prévention de la criminalité (1990-1999) », Déviance et Société, 2001, p.405-406.
34
marquées par une approche technique et situationnelle de la prévention. Si ces nouvelles politiques
intégrées et intégrales se veulent holistiques et également tournées vers l’intégration sociale et
l’intervention sur les causes sociales de la délinquance, elles demeurent néanmoins à dominante
situationnelle et policière75.
L’objet de ce mémoire n’étant pas la prévention situationnelle per se ainsi que son évolution
dans les politiques de prévention des divers Etats européens, nous laisserons là cette introduction à
la notion de prévention situationnelle pour nous recentrer sur l’analyse des initiatives de sécurité et
de prévention orientées vers les pharmaciens d’officine en Belgique ainsi que, de façon plus
résiduelle, en France. Dans la prochaine sous-section, nous tenterons de déterminer l’influence de la
prévention situationnelle dans les initiatives de sécurité développées par les pouvoirs publics et les
organisations professionnelles du secteur pharmaceutique à l’égard des pharmaciens d’officine ; cela
dans la mesure où nous pensons que le secteur pharmaceutique et les initiatives de sécurité
développées à son égard n’ont pas échappé à l’influence de la prévention situationnelle et, plus
particulièrement, de sa déclinaison technique, la techno-prévention.
a. Les mesures fiscales et réglementaires :
En Belgique les premières initiatives fédérales visant la sécurité des pharmacies d’officine et
de leur personnel peuvent être liées aux efforts entrepris par le Ministre de l’Intérieur, Patrick
Dewael, dans le domaine de la sécurisation des indépendants76. Investissant largement ce dossier, le
Ministre de l’Intérieur de l’époque a impulsé certaines mesures destinées à soutenir les efforts du
personnel officinal, entre autres, pour se prémunir des risques de délinquance. Les principales
mesures observables dans ce domaine à l’époque s’inscrivent dans la théorie de la prévention
situationnelle et dans son application techno-préventive, ainsi que dans une philosophie libérale de
l’action étatique en matière de prévention77. En effet, ces initiatives ont pris la forme de mesures
fiscales destinées à amortir les coûts d’achat et d’installation des équipements et systèmes de
sécurité et, ainsi, servir d’incitants à l’amélioration de la sécurité des pharmacies d’officine. Le SPF
Intérieur, à l’initiative du Ministre Dewael, a élaboré plusieurs mesures fiscales générales, applicables
à tout indépendant ou profession libérale, prenant la forme de réductions d’impôts78 ou de
déductions de frais professionnels liés aux investissements pour la sécurisation79. Dans le cadre de
ces deux mesures, des arrêtés royaux modifiant le code des impôts sur les revenus de 1992
précisaient, dans l’article 49/1, les types de matériels de sécurité pour lesquels ces mesures
s’appliquaient ainsi que les montants pouvant être perçus80. L’Institut National d’Assurance Maladie
Invalidité (INAMI) et le gouvernement fédéral ont élaboré, en 2006, une mesure fiscale destinée à
75
CARTUYVELS, Yves & HEBBERECHT, P., « La politique fédérale belge de sécurité et de prévention de la criminalité (1990-1999) », Déviance et Société, 2001, p.408-410. 76
Service Public Fédéral Intérieur, « Sécurité et Prévention. Rapport d’activités 2006 », 2006, p.28-29, 64-65. 77
VAN OUTRIVE, Lode, « Duiding als misdaad in toekomstperspectief», Fondation Roi Baudouin, 1998, p.56-62. 78
Le Soir, « Les investissements en sécurisation », 7 juin 2003, consulté en ligne le 10/07/2015 sur http://archives.lesoir.be/fisc-les-investissements-en-securisation_t-20030607-Z0N78Z.html 79
G4S, « Réductions d’impôts importantes pour les particuliers et les indépendants investissant dans leur sécurité », consulté en ligne le 10/07/2015 sur http://www.livios.be/files/pressbulletins/1047_1.pdf 80
Fisconetplus, « Arrêté royal d’exécution du code des impôts sur les revenus 1992», consulté en ligne le 10/07/2015 sur http://ccff02.minfin.fgov.be/KMWeb/document.do?method=view&nav=1&id=a1234cde-2c30-4167-9d72-93711ac3992f&disableHighlightning=true#findHighlighted
35
améliorer le niveau de sécurité au sein de ce type de commerce. Etablie officiellement par l’Arrêté
royal du 1er juillet 2006 portant application de l'article 36undecies de la loi relative à l'assurance
obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, cette mesure stipulait que
« une intervention unique de 500 euros est accordée à chaque pharmacien-titulaire d'une officine
ouverte au public pour les frais relatifs à la sécurité et à l'informatique. »81. Dans l’ensemble de ces
mesures l’objectif, clairement affiché par les pouvoirs publics, était d’inciter les pharmaciens
d’officine à prendre la responsabilité de l’amélioration de la sécurité de leurs locaux en recourant à
un large panel de mesures techno-préventives, confirmant ainsi l’orientation techniciste et
situationnelle de la politique de prévention et de sécurité développée par les pouvoirs publics à
l’égard des pharmacies d’officine.
Les pharmacies d’officine françaises ont pu bénéficier de mesures d’inspiration similaire
quoiqu’ayant pris une forme différente, plus réglementaire. Comme l’ont noté, en 2001, les
inspecteurs généraux des affaires sociales à l’origine d’un rapport sur les violences subies par le
personnel de santé en France, les pouvoirs publics français ont été amenés assez rapidement à
considérer les pharmacies d’officine comme des établissements à risque et à adopter à leur égard
une politique de sécurité et de prévention similaire à celle pronostiquée pour les banques82. Les
propriétaires de pharmacie se sont vus appliquer certaines dispositions légales relatives aux
obligations de surveillance ou de gardiennage pour les établissements présentant un risque pour la
sécurité, devenant ainsi contraints d’assurer une surveillance constante de leur officine sous peine de
sanctions83. Le décret à l’origine de cette obligation comprend également une liste de moyens de
surveillance, techniques ou humains, précisant les contours de cette obligation, allant du simple
« dispositif de vidéosurveillance autorisé asservi à un dispositif d'alerte » à des mesures beaucoup
plus lourdes et sécuritaires telles que des rondes quotidiennes d’un ou de plusieurs agents de
gardiennage ou à leur présence en faction à l’intérieur de l’établissement84. Le Ministre de l’Intérieur
Jean-Pierre Chevènement requérait à cet égard, au travers d’une circulaire ministérielle du 26 juin
2000, qu’en parallèle d’une mise en œuvre opérationnelle d’un dispositif policier adapté85 soient
appliquées les dispositions réglementaires susmentionnées, précisant que « les pharmaciens dont les
officines ne répondront pas à ces obligations seront invités à se mettre en conformité avec les textes
en vigueur »86 et que les préfets pourront demander aux directeurs départementaux de la sécurité
81
Institut National d’Assurance Maladie Invalidité, « Arrêté royal du 1er
juillet 2006 portant application de l’article 36undecies de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 », consulté en ligne le 10/07/2015 sur https://www.inami.fgov.be/webprd/docleg/sp/63122-136?1&tmpl=kdoc&OIDN=500418&-DTRF=16/03/2015&-VIEW=1 82
COSTARGENT, Georges & VERNEREY, Michel, « Rapport sur les violences subies par les professionnels de santé », Inspection Générale des Affaires Sociales, 2001, p.31-32 83
Legifrance, « Décret n°97-46 du 15 janvier 1997 relatif aux obligations de surveillance ou de gardiennage incombant à certains propriétaires, exploitants ou affectataires de locaux professionnels ou commerciaux », article7, dernière modification réalisée 4 octobre 2012, consulté en ligne le 10/07/2015 sur
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000381545&dateTexte=20131231 84
Ibid., art. 4. 85
Ministère de l’Intérieur, « Circulaire sur la sécurité des pharmaciens d’officine », 26 juin 2000, NOR/INT/C/00/00140/C, art.1, consulté en ligne le 10/05/2015 sur http://www.interieur.gouv.fr/content/download/6505/61672/file/INTC0000140C.pdf 86
Ministère de l’Intérieur, « Circulaire sur la sécurité des pharmaciens d’officine », 26 juin 2000, NOR/INT/C/00/00140/C, art.2, consulté en ligne le 10/05/2015 sur http://www.interieur.gouv.fr/content/download/6505/61672/file/INTC0000140C.pdf
36
publique de désigner des agents de police pour conseiller les pharmaciens d’officines dans leur mise
en conformité avec ces dispositions87.
b. Les systèmes de télésurveillance policiers :
Si ces types de systèmes ne sont pas propres à la Belgique et s’ils existent également en
France sous une forme différente, ils semblent néanmoins avoir fait l’objet de beaucoup moins
d’investissements par les pouvoirs publics français laissant ainsi, à notre connaissance, une nette
avance à la Belgique dans ce domaine. Le principal système belge de télésurveillance policier est le
système « Télépolice », système d’appel direct entre un commerce et le dispatching de sa zone de
police88. Ce système repose sur le principe de l’établissement d’une liaison directe entre les services
de police et un commerçant victime d’un acte délinquant, à la demande de ce dernier. Cette liaison
directe offre la possibilité aux forces de police d’observer directement la situation en cours dans le
commerce ayant signalé une urgence et, ainsi, d’évaluer au mieux la menace encourue par le
commerçant et de récolter directement les premiers éléments nécessaires à l’enquête policière89.
Testée en 1995 au sein de certains commerces considérés « à risques » dans la commune
bruxelloise de Koekelberg90, le système Télépolice a connu un succès conséquent en Région
wallonne91 et au sein de la Région Bruxelles-Capitale tout particulièrement. En effet, depuis le début
de l’année 2015, le système s’est quasiment généralisé à l’ensemble de la Région, rassemblant 17
des 19 communes bruxelloises à l’exception notable des communes de Bruxelles-Ville et d’Ixelles92.
Les pouvoirs communaux bruxellois se sont avérés être, en majorité, des promoteurs actifs de ce
système auprès de leurs concitoyens opérant dans des établissements considérés « à risques » et de
ceux désireux d’améliorer le niveau de sécurité de leurs locaux, prenant à leur charge une large part
des frais d’installation et de fonctionnement du système dans certains cas, à l’instar d’Etterbeek93 et
de Woluwe-Saint-Lambert94 entre autres.
A titre d’exemple, nous pourrions également mentionner le cas plus particulier et
relativement précurseur du système « Liaison Police – LIPOL » développé dans la Ville de Liège avec
le concours actif des différents services de sécurité et de prévention. Ce vaste système de
sécurisation des commerces à risques, basé également sur une technologie similaire et des principes
87
Ministère de l’Intérieur, « Circulaire sur la sécurité des pharmaciens d’officine », 26 juin 2000, NOR/INT/C/00/00140/C, art.2, consulté en ligne le 10/05/2015 sur http://www.interieur.gouv.fr/content/download/6505/61672/file/INTC0000140C.pdf 88
Voir annexe E. 89
Voir annexe E. 90
Le Soir, « Les magasins à risque reliés au commissariat, Télé-police à Koekelberg », 15 mai 1995, consulté en ligne le 11/05/2015 sur http://archives.lesoir.be/les-magasins-a-risque-relies-au-commissariat-_t-19950515-Z09HXF.html?queryand=%22tele-police%22&firstHit=0&by=10&when=-1&sort=dateasc&pos=1&all=25&nav=1 91
Télépolice Vision, « 17 communes bruxelloises sur 19 adoptent le Télépolice », 27 décembre 2014, consulté en ligne le 11/07/2015 sur http://www.telepolice.be/telepolice_vision_belgique/fr/component/search/?searchword=17%20communes&searchphrase=all&Itemid=482 92
Ibidem. 93
Commune d’Etterbeek, « Système Télépolice Vision », consulté en ligne le 11/07/2015 sur http://www.etterbeek.irisnet.be/nos-services/classes-moyennes/systeme-telepolice-vision 94
Le Soir, « « Télépolice-Vision » : sécuriser le commerce », 28 mars 2012, consulté en ligne le 01/07/2015 sur http://archives.lesoir.be/-telepolice-vision-securiser-le-commerce_t-20120328-01VW9X.html
37
analogues à ceux de Télépolice, a été développé en 2000 et mis en œuvre par le Plan de prévention
de la Ville de Liège95 et est toujours en application en dépit des différentes crises que celui-ci a pu
connaitre96. A la différence du système Télépolice en vigueur dans la Région Bruxelles-Capitale, les
coûts afférents au système « LIPOL » sont entièrement supportés par les services communaux de la
Ville de Liège, ne semblant requérir, a priori, aucun effort financier de la part des commerçants y
souscrivant97. Pareille intervention financière de la part des pouvoirs communaux dans les coûts
impliqués par l’installation et l’entretien du système Télépolice ne semble, à l’inverse, pas être
généralisée au sein des différentes communes bruxelloises y ayant souscris, certaines d’entre-elles
prenant à charge une partie des frais98 tandis que d’autres, à l’instar de Koekelberg99, en assurant la
gratuité totale. Ce système semble également être mis prioritairement à disposition des commerces
« à risques » tels que les librairies, les pharmacies d’officine et les cabinets médicaux, exception faite
des bâtiments publics100. Les données relatives aux installations du système « LIPOL » auprès de ces
trois catégories de commerces « à risques » semblent démontrer une utilisation relativement
importante de ce système par les pharmacies d’officine à Liège. En effet, comme le montre le
graphique 7 ci-après, les pharmacies d’officine représentent les premiers utilisateurs de ce système,
le nombre de pharmacies y ayant souscris demeurant stable dans le temps et dépassant largement
celui des libraires et les cabinets médicaux.
Graphique 7 : nombre d’utilisateurs du système « LIPOL » par catégorie d’utilisateurs, entre 2008 et
2014.
95
The Global Network on safer cities, « 100 promising practices on safer cities. Collation of urban safety practices », 2014, p.165, consulté en ligne le 30/06/2015 sur http://efus.eu/files/2014/12/FINAL_-100-PROMISING-PRACTICES-ON-SAFER-CITIES-WORK-IN-PROGRESS.pdf 96
Collège communal de la Ville de Liège, « Communiqué Collège du 28/10/2011. Sécurisation des commerces à Liège : jugement rendu », communiqué de presse du 28 octobre 2011, consulté en ligne le 01/07/2015 sur http://www.liege.be/vie-communale/le-college-communal/college-communal-archives-communiques/communiques-college-2011/copy_of_communique-college-du-28-10-2011 97
The Global Network on safer cities, op.cit., p.165. 98
Voir supra notes 67, 68. 99
Commune de Koekelberg, « Rapport annuel 2011-2012 », 2012, p.142, consulté en ligne le 01/07/2015 sur https://www.koekelberg.be/p4w/user_files/Secretariat/rapport_annuel/Annees%20precedentes%20-%20vorige%20jaren/FR_2011_2012.pdf 100
Ville de Liège, « Rapport administratif 2008 », 2008, p.14.
2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014
Librairies 51 46 44 42 39 32 27
Pharmacies 63 63 60 60 57 66 59
Médecins 0 32 31 31 31 31 35
0
10
20
30
40
50
60
70
Nombre d'utilisateurs du système "LIPOL"
Librairies Pharmacies Médecins
38
Graphique et tableau statistique réalisés par l’auteur du présent mémoire. Sources : Ville de Liège,
Rapports administratifs 2008-2014.
Cette utilisation relativement élevée du système « LIPOL » par les pharmaciens d’officine
liégeois peut, selon nous, trouver deux explications hypothétiques. Il est possible que cette tendance
soit le reflet d’un sentiment d’insécurité et d’un risque de victimisation plus élevés chez les
pharmaciens d’officine que chez les autres propriétaires de commerces « à risques », les
pharmaciens d’officine liégeois étant vraisemblablement réceptifs à pareils types de systèmes de
sécurité. Néanmoins, il est également possible que ce système de télésurveillance policier ait été
particulièrement investi par les commerçants à risques et par les pharmaciens d’officine en raison
des avantages relatifs qui y étaient liés et des efforts des autorités publiques pour le développer.
Nous avions déjà mentionné la gratuité du système « LIPOL » rendue possible par le soutien financier
des autorités communales de la Ville de Liège, attestant selon nous d’une volonté manifeste de la
part de celles-ci d’assurer le développement de ce système et une nette orientation en faveur des
mesures techno-préventives. Si l’adhésion des autorités communales et provinciales liégeoises à ce
système semble manifeste en raison de la promotion en étant faite, l’orientation techno-préventive
des politiques préventives et de sécurité liégeoises pourrait être avancée face à l’apparente faiblesse
du nombre de mesures préventives non-strictement techniques et situationnelles à destination des
pharmaciens d’officine. En effet, durant l’année 2013 seules 3 séances d’information ont été
dispensées aux étudiants en pharmacie de Liège101 , impliquant des conseils en matière de
sécurisation des pharmacies d’officine102, tandis qu’aucune n’a été dénombrée pour les pharmaciens
d’officine titulaires. Si ces informations ne nous permettent pas de conclure à une absence de
formations ou de mesures non-strictement techno-préventives dans les programmes de prévention
de la Ville de Liège à destination des pharmaciens d’officine, attestant d’une orientation des
autorités et services publics liégeois dans la prévention situationnelle, nous ne pouvons l’exclure non
plus. Les explications hypothétiques développées dans ce paragraphe n’étant pas antagoniques et
mutuellement exclusives, il se pourrait également que celles-ci soient en tout ou en partie valides et
combinées, ce que nous ne pouvons là encore ni démontrer ni exclure.
Enfin, pour conclure ce point consacré aux systèmes de télésurveillance policiers, nous
pouvons également faire une rapide mention des données fournies par l’Ordre National des
Pharmaciens de France à ce sujet. Nous indiquions précédemment que ce type de système ne
semblait pas particulièrement développé parmi les pharmacies d’officine françaises, celles-ci étant
incitées à souscrire à d’autres types de systèmes de télésurveillance ou à d’autres types de mesures
de protection103, ce que semble confirmer l’Ordre français dans son dernier rapport sur la sécurité au
sein des pharmacies d’officine françaises. En effet, si un nombre croissant de pharmacies d’officine,
ayant participé à l’enquête annuelle diligentée par l’Ordre français, semblent avoir adopté un
système de télésurveillance policier, celles-ci demeurent toujours minoritaires par rapport aux autres
pharmacies d’officine ayant opté pour d’autres types de mesures de protection104. La majorité des
pharmacies d’officine continue d’opter pour des mesures plus traditionnelles et moins lourdes et
contraignantes, à l’instar des simples systèmes de vidéosurveillance non reliés à la police ou à des
101
Ville de Liège, « Rapport administratif 2013 », 2013, p.29. 102
Ibidem. 103
Voir supra note 58. 104
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.14.
39
sociétés de gardiennages, quand elles ne choisissent pas de se passer de toute mesure de protection
tout simplement105.
2. Les incitations à la déclaration des faits violents et au dépôt de plainte : situer la
violence chez les pharmaciens d’officine et lutter contre l’impunité :
Ce point concernera un type d’initiative largement répandu en France et porté par les
organisations professionnelles du secteur des pharmacies d’officine depuis maintenant plusieurs
années. Il s’agit des efforts déployés essentiellement par l’Ordre National des Pharmaciens de France
pour inciter le personnel officinal à déclarer systématiquement aux services compétents les faits de
violence dont il serait victime. Comme nous l’avons mentionné précédemment dans ce mémoire106,
l’Ordre français déplore depuis maintenant plusieurs années la tendance de nombre de personnes
issues du personnel officinal à ne pas déclarer les faits violents dont ils sont pourtant victimes. Cette
tendance aurait deux conséquences principales. Premièrement, et de manière assez évidente, elle
entrainerait une sous-représentation statistique des faits violents à l’égard des pharmaciens
d’officine et, de ce fait, une sous-estimation de la violence ou des risques de violence subis par ceux-
ci107. Ces phénomènes dont est victime le personnel officinal ne pourraient dès lors être jaugés
correctement par les autorités publiques et les représentants professionnels du personnel des
pharmacies d’officine, renvoyant dès lors des signaux distordus et aux conséquences potentiellement
graves, dans la mesure où l’on ne pourrait connaitre les risques réels d’exposition à la violence de ces
professionnels et où l’on pourrait involontairement en minimiser les effets.
La deuxième conséquence à laquelle nous pourrions penser découle plus spécifiquement de
la faiblesse de dépôt de plainte par le personnel officinal subissant des violences. Car si le nombre de
déclarations de faits violents, d’incidents, en officine aux organisations professionnelles est inférieur
au nombre réel de faits se déroulant en officine, le nombre de plaintes formulées par les
pharmaciens victimes est encore plus faible. En effet, comme le démontre le graphique ci-après
réalisé à partir des données de l’Ordre français, la disparité entre le nombre de déclarations
d’agressions communiquées à l’Ordre et le nombre de plaintes déposées est énorme. Pire, alors que
le nombre de déclarations à l’Ordre de la part de pharmaciens agressés demeure assez stable, le
nombre de plaintes déposées par ces mêmes pharmaciens ne cesse de chuter depuis 2011 pour
s’effondrer et atteindre un seuil relativement insignifiant en 2014. Face à cette situation alarmante,
d’aucuns parmi les représentants professionnels du personnel officinal pointent le risque d’une
absence de réaction judiciaire et politique108 et le développement d’un sentiment d’impunité chez les
infracteurs ciblant les pharmacies d’officine109.
105
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmacies d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.14. 106
Ibid., p.2 107
FITZGERALD, Deirde & REID, Alex, « Frequency and consequences of violence in community pharmacies in Ireland », Occupational Medicine, 2012, p.662-663. 108
Ordre National des Pharmaciens, « Sécurité : sensibiliser, déclarer, agir », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, 2011, p.8. 109
BRIOT, Aline, « Pharmaciens d’officine, face à la délinquance dont vous pouvez être victimes, êtes-vous bien préparés ? », thèse universitaire, Faculté de Pharmacie Université de Lorraine, 2013, p.58.
40
Graphique 8 : évolution du nombre de déclarations d’agressions communiquées par les pharmaciens
d’officine à l’Ordre National des Pharmaciens de France et du nombre de plaintes déposées, entre 2011
et 2014.
Graphique et tableau statistique réalisé par l’auteur du présent mémoire. Sources : Ordre National des
Pharmaciens, «Déclarations à l’Ordre d’agression des pharmaciens d’officine de France métropolitaine »,
2012, 2013 ; Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmaciens d’officine », 2014, 2015.
Les organisations professionnelles françaises des pharmaciens d’officine ont, depuis
maintenant près de vingt ans, tenté d’endiguer ces tendances à la sous-déclaration et au sous-dépôt
de plainte parmi le personnel officinal victime de faits violents. Nous pouvons faire remonter les
premières initiatives visant à inciter les pharmaciens d’officines victimes à notifier ces faits et à les
faire suivre par un dépôt de plainte formel auprès des services de police à la fin des années 90,
période durant laquelle la criminalité à l’égard des pharmaciens d’officine était forte et où
virtuellement rien, ou très peu, semblait exister pour aider les victimes à réagir sur le plan judiciaire
et sur le plan de l’assistance professionnelle. Ainsi, sous la pression des pharmaciens d’officines d’Ile-
de-France semble-t-il110, le Conseil Régional de l’Ordre National des Pharmaciens a entrepris de
mettre en place les premières fiches de déclaration d’agression devant permettre aux pharmaciens
d’officine victimes d’alerter les organes centraux de l’Ordre sur leur situation et de réagir par des
procédures formelles agréées111. Si le bilan tiré en 2011 était plus que mitigé, l’Ordre a opté pour une
tentative d’actualisation et redynamisation de ces fiches afin de les rendre plus accessibles et surtout
de « mobiliser les confrères afin qu’ils déclarent systématiquement les agressions dont ils sont
victimes. »112. Comme nous en avons fait mention précédemment, l’Ordre fait toujours référence à
l’urgence de la situation du manque de déclarations de faits violents et de dépôts de plainte dans ses
110
COSTARGENT, Georges & VERNEREY, Michel, « Rapport sur les violences subies par les professionnels de santé », Inspection Générale des Affaires Sociales, 2001, p.18. 111
Ordre National des Pharmaciens, « Sécurité : sensibiliser, déclarer, agir », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, N°3, mai 2011, p.8. 112
Ibidem.
2011 2012 2013 2014
Déclarations d'agressions 176 142 161 152
Dépôts de plainte 115 84 78 28
0
20
40
60
80
100
120
140
160
180
200
nombre de déclarations d'agressions communiquées à l'Ordre français des pharmaciens et nombre de plaintes déposées
Déclarations d'agressions Dépôts de plainte
41
publications annuelles sur l’état de la sécurité des pharmaciens d’officine en France113, de même qu’il
accorde toujours une vaste publicité dans chacune des éditions mensuelles de son journal
professionnel114. Dernière réaction de l’Ordre face à ce problème crucial et à la situation toujours
sombre vécue par le personnel officinal sur le plan des risques d’agressions et de violence, Alain
Marcillac, conseiller ordinal et référent national sécurité de l’Ordre National des Pharmaciens,
rappelait, dans un communiqué de presse de mai 2015, l’importance de la déclaration d’agression et
du dépôt de plainte pour les victimes car « il est indispensable que les pharmaciens déposent plainte
afin que les autorités prennent en compte le phénomène. »115.
Ces initiatives prises par l’Ordre National des Pharmaciens ne sont pas sans rappeler des
initiatives similaires, mais plus radicales, prises dans d’autres contextes nationaux et dans d’autres
secteurs de la santé confrontés aux mêmes problèmes de violence endémique et de manque de
réaction des victimes face à des faits violents. Ainsi, les organisations professionnelles des secteurs
infirmiers britannique et américain, tous deux confrontés à des niveaux très importants de
victimisation ainsi qu’à un manque de déclarations d’incidents et de dépôts de plainte de la part des
victimes, ont entrepris de réagir depuis plusieurs années. Au Royaume-Uni, le National Health Service
(NHS) a, depuis les années 90 et avec le concours actif des syndicats et organisations professionnelles
du secteur, lancé une campagne de « zero tolerance » destinée à inciter le personnel infirmier
victime de faits violents à les rapporter aux services compétents, ainsi qu’à développer une politique
d’engagement systématique de poursuites judiciaires à l’égard des infracteurs116. Pareille position
radicale vis-à-vis des faits violents exercés à l’égard du personnel infirmier a été également adoptée
par des organisations professionnelles et des administrations publiques sectorielles dans d’autres
Etats, à l’instar de la province australienne du New South Wales qui a également fait sienne la
politique du « zero tolerance » à l’encontre des auteurs de faits violents ou d’infractions dirigés
contre le personnel hospitalier et, plus particulièrement, infirmier117. De la même façon, les
organisations professionnelles américaines du secteur infirmier, l’American Nurses Association et
l’Emergency Nurses Association, requéraient, il y a quelques années, plus de soutien de la part des
administrations hospitalières et des autorités politiques face au problème de la violence en milieu
hospitalier, et rappelaient la nécessité pour le personnel infirmier de déclarer les incidents violents
dont ils étaient victimes et de leurs donner suite sur le plan judiciaire118. Ces appels, de la part des
organisations et syndicats professionnels du secteur hospitalier et médical, ne sont pas restés sans
réactions des pouvoirs politiques et judiciaires, ceux-ci se conjuguant à une tendance au
durcissement des peines encourues par les auteurs de faits violents à l’égard du personnel médical
ainsi qu’à un développement de législations spécifiquement dédiées à la protection de plusieurs
113
Ordre National des Pharmaciens, « La sécurité des pharmaciens d’officine. Panorama 2014 », 2015, p.2. 114
Idem, « Pourquoi et comment déclarer une agression auprès de l’Ordre ? », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, N°49, juillet-août 2015, p.14. 115
Idem, « Les tensions économique et sociale en France se répercutent sur les pharmaciens d’officine », communiqué de presse du 26 mai 2015, p.1-2, consulté en ligne le 04/07/2015 sur http://www.ordre.pharmacien.fr/Communications/Communiques-de-presse/Les-tensions-economique-et-sociale-se-repercutent-sur-les-pharmaciens-d-officine 116
House of Commons Committee of Public Accounts, « A safer place to work: protecting NHS hospital and ambulance staff from violence and aggression », 39
th Report of Session 2002-2003, 2003, p.5, 8-9, 13-14.
117 MORPHET, Julia (ed.) & al., « At the crossroads of violence and aggression in the emergency department:
perspectives of Australian emergency nurses », Australian Health Review, 2014, p.195. 118
RAY, Mercer Melinda, « The dark side of the job: violence in the emergency department », Journal of Emergency Nursing, 2007, p.258-259.
42
métiers du secteur médical. Mentionnons, à titre illustratif, l’implémentation, en 2008 au Royaume-
Uni, du « Criminal Justice and Immigration Act » prévoyant des amendes et des peines
d’emprisonnement renforcées pour les auteurs de faits violents à l’encontre du personnel
hospitalier119, ou le « West Virginia Health Care Protection law » renforçant la sévérité des peines
criminelles pour les auteurs de toute agression sur un professionnel de la santé, quel que soit le
cadre où ces faits ont pris place120.
Les organisations professionnelles françaises dans le secteur des pharmacies d’officine
sembleraient s’orienter, quoique dans une perspective moins radicale et de façon moins aboutie que
les organisations professionnelles des travailleurs hospitaliers évoqués précédemment, vers une
attitude « judiciarisante » à l’égard des faits de violence subis par le personnel officinal. En effet, que
cela soit au sein du secteur pharmaceutique ou du secteur hospitalier, l’attitude des directions, des
syndicats et des organisations professionnelles semble être clairement une attitude réactive dans
laquelle la volonté de signaler et de condamner les faits de violence et leurs auteurs est manifeste. Il
s’agirait donc d’une volonté de mobiliser les procédures judiciaires pour garantir le respect des droits
des professionnels victimes d’agressions dans le cadre de leur travail et de sanctionner les infracteurs
entretenant l’important risque de victimisation de ces professionnels. En ce sens, nous assisterions à
une poursuite du phénomène de judiciarisation du domaine de la santé et des rapports entre
professionnels de la santé et patients ou extérieurs121, à la différence près qu’il couvrirait des
dimensions juridiques peu développées jusqu’à présent et mobiliseraient de nouvelles logiques. En
effet, si le phénomène de judiciarisation de la santé a déjà été étudié et décrit, c’est bien souvent en
termes de litiges portant sur des erreurs médicales s’inscrivant dans le droit privé et le droit des
patients122. Dans le cas qui nous intéresse il s’agirait plutôt d’une plus grande mobilisation du droit
pénal par les professionnels de la santé à l’égard des patients ou des extérieurs qui auraient porté
atteinte, ou menacé de porter atteinte, à leur intégrité physique et morale, inversant la dynamique
judiciaire habituelle où le professionnel de la santé serait attaqué en justice par l’un de ses patients.
Avec le développement, ou les tentatives de développement, de législations et de règlements
professionnels fondés sur le principe de la tolérance zéro et du dépôt de plainte systématique pour
les faits d’agression sur les professionnels de la santé, ces derniers se voient investis de la capacité de
mobiliser le droit et les instances judiciaires en leur faveur et se voient également vivement incités à
le faire. Ce la relève, à nos yeux, d’une certaine judiciarisation du médical, dans une perspective et
avec des dynamiques qui sont néanmoins encore peu répandues jusqu’à présent.
3. La coopération entre organisations professionnelles pharmaceutiques et les pouvoirs
publics :
Un dernier grand type d’initiatives pour lutter contre les risques de victimisation auquel le
personnel des pharmacies d’officine doit faire face est incarné par les accords de coopération établis
119
YORK, Tony W. & MACALISTER, Don, « Hospital and healthcare security. Sixth edition », Butterworth-Heinemann, 2015, p.523. 120
Ibidem. 121
ROUSSET, Guillaume, « Judiciarisation et juridicisation de la santé : entre mythe et réalité », Carnets de bord, N°16, 2009, p.23-28. 122
LAUDE, Anne & PARIENTE, Jessica & TABUTEAU, « La judiciarisation de la santé. Synthèse », Mission de recherche Droit et Justice, 2011, p.5-8.
43
entre les pouvoirs publics et les organisations professionnelles du secteur pharmaceutique. Ces
accords, bien que relativement peu nombreux, s’inscrivent clairement dans l’optique d’élaborer une
stratégie cohérente et complète impliquant l’ensemble des services publics affectés à la thématique
de la sécurisation des pharmacies d’officine et les organisations professionnelles du secteur, jouant le
rôle de relai auprès des pharmacies d’officine sur le terrain et leur personnel. Dans la mesure où ces
initiatives relèvent plus de la stratégie inter-organisationnelle et n’affectent pas directement les
pharmacies d’officine et leur personnel sur le terrain, nous n’en ferons qu’un rapide survol.
Néanmoins, il nous apparaît nécessaire d’en faire mention dans la mesure où elles déterminent, en
partie, le contenu des dispositifs d’action face aux risques de faits violents pesant sur le personnel
officinal et, surtout, leur orientation générale et leur portée.
La France devance largement la Belgique sur le plan de la coopération entre instances
représentatives du secteur des pharmaciens d’officine et les pouvoirs publics, présentant une
coopération plus institutionnalisée et largement antérieure à celle observable en Belgique, même si
elle reste relativement récente au demeurant. La pierre angulaire de la coopération entre l’Ordre
National des Pharmaciens et les pouvoirs publics s’avère être un protocole d’accord entre différents
ministères de l’Etat français et les conseils nationaux des différents ordres des professionnels de la
santé, portant sur la sécurité de ces professionnels et conclu le 10 juin 2010123. Cet accord s’inscrit
très fortement dans une approche policière, techno-préventive et judiciaire de la lutte contre les
risques de victimisation des pharmaciens d’officine et, au demeurant, de tous les professionnels de la
santé. Ce protocole désigne un certain nombre de fonctionnaires de police comme interlocuteurs
privilégiés avec les instances territoriales, sous-nationales, des divers ordres signataires à l’instar de
l’Ordre National des Pharmaciens124. Le texte fait de ces acteurs les échelons privilégiés d’un dialogue
et d’une collaboration « égale » ou « horizontale » entre représentants des pharmaciens d’officine
et pouvoirs publics dans la mesure où les demandes et informations peuvent émaner de n’importe
quel type d’acteur formellement désigné comme compétent125. Cependant les représentants des
pouvoirs publics et des forces policières semblent demeurer clairement avantagés et menant la barre
de la politique de sécurisation des pharmacies d’officine sur le terrain. En effet, ceux-ci s’avèrent
compétents pour dispenser des conseils de sûreté auprès des professionnels de la santé qui, selon les
dispositions du protocole, doivent être appliqués avec le concours des instances compétentes des
différents ordres126. Ces conseils s’avèrent extrêmement larges mais également fortement marqués
par l’optique de la techno-prévention et de la prévention situationnelle, ceux-ci devant :
« permettre aux professionnels de santé d’envisager les adaptations organisationnelles et matérielles
nécessaires à la prévention ou au rétablissement de la sécurité et de la tranquillité. Ces préconisations
doivent être de nature à répondre aux problèmes propres à chaque catégorie professionnelle, qu’ils
aient trait à la sécurité de leurs déplacements, à l’état de la réglementation, à la sécurisation des lieux
où ils exercent, à l’installation de dispositifs d’alarme ou de vidéo-protection. A cet égard, il sera
123
Ordre National des Pharmaciens, « Sécurité : sensibiliser, déclarer, agir », Le Journal de l’Ordre National des Pharmaciens, N°3, mai 2011, p.8-9. 124
Ministère de la Justice et des Libertés &Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé & Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités Territoriales et de l’Immigration, « Protocole d’accord relatif à la sécurité des professionnels de santé » [abrégé « Protocole d’accord], 10 juin 2010, art. 3, consulté en ligne le 07/07/2015 sur http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/protocole_professions_de_sante_ordres.pdf 125
Ibid., art.2, art.4. 126
Protocole d’accord, art.2.
44
recommandé aux maires d’intégrer les abords des cabinets et officines exposés au risque de
malveillance dans le périmètre couvert par le dispositif de vidéo-protection implanté dans leur
commune. ».127
Finalement le protocole d’accord prévoit également la facilitation du dépôt de plainte en cas de fait
délictuel commis à l’égard d’un membre du personnel d’une pharmacie d’officine128 et, surtout,
confère à l’Ordre National des Pharmaciens « la faculté d’exercer tous les droits réservés à la partie
civile et donc de mettre en mouvement l’action publique », lorsque les faits sont de nature à porter
préjudice aux intérêts de la profession129. On le voit, les pouvoirs publics, assistés par les
organisations professionnelles concernées, se sont activés à développer un cadre devant permettre
une déclinaison de dispositifs de prévention et de sécurité adaptés à la réduction des risques de
délinquance à l’égard des professionnels de la santé, en ce compris les pharmaciens d’officine. De
même, une coopération beaucoup plus étroite et systématique est recherchée entre acteurs issus
des forces de police, du pouvoir judiciaire et des secteurs de la santé, conférant une orientation
sécuritaire relativement marquée et assumée à cette coopération.
La situation belge s’avère tout autre, marquée par une certaine ébauche de coopération
entre organisations professionnelles et pouvoirs publics mais qui, pendant plusieurs années, s’est
avérée extrêmement ténue et épisodique, ne survenant que sur des points extrêmement précis.
Ainsi, l’APB a collaboré avec le SPF Intérieur à l’occasion de la campagne menée par ce dernier pour
la sécurisation des pharmacies d’officine, participant, en 2012, à la rédaction d‘un manuel pratique
de techno-prévention à destination des pharmaciens d’officine dénommé « Toolbox de sécurisation
des pharmaciens »130 et participant à sa diffusion parmi les pharmaciens d’officine. Cette coopération
s’est limitée, pour l’essentiel, à cela et n’a pas été renouvelée et redynamisée pendant plusieurs
années, en dépit des importantes variations que le secteur a pu connaitre sur le plan de la criminalité
comme nous avons pu le constater précédemment.
Cette coopération a néanmoins subi plusieurs changements récents, s’orientant vers le
développement d’une action commune et concertée plus importante et plus systématisée. En effet,
comme l’annonçait le 5 mars 2015 à la Chambre le Ministre de l’Intérieur Jan Jambon, un plan
d’action a été constitué par la police fédérale et l’APB afin de répondre à la criminalité affectant les
pharmacies d’officine et leur personnel131. Ce plan d’action se décompose en quatre axes principaux
devant former un ensemble cohérent ; interrogé à ce sujet par nos soins, le Directeur Général de
l’APB nous en faisait une description détaillée dont nous avons isolé les points essentiels :
« Et donc j’ai pris contact avec la police fédérale alors […] et ensemble avec la Région, avec l’Union
professionnelle bruxelloise nous avons établi un plan d’action qui contient quatre axes. Donc, premier
volet traite sur une enquête qu’on veut lancer, qu’on va lancer le quinze juin, donc prochainement. Une
127
Protocole d’accord, art.4. 128
Ibid.,art.6. 129
Ibidem. 130
Service Public Fédéral Intérieur, « Sécurisation des pharmaciens. Toolbox », 2012, consulté en ligne le 07/07/2015 sur https://www.besafe.be/sites/besafe.localhost/files/u1056/TOOLBOX%20SECURISATION%20DES%20PHARMACIENS.pdf 131
Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel du 05 mars 2015 », 2015, p.110-111, consulté en ligne le 07/07/2015 sur https://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf
45
enquête basée sur un questionnaire que nous avons élaboré ensemble avec la police fédérale […]le but
de ce questionnaire c’est a) de quand même montrer que l’Union fédérale des pharmaciens est quand
même sensible au problème de criminalité […b) c’est de demander à nos pharmaciens « tiens qu’est-ce
que vous avez déjà vécu comme incidents, comme expériences mais aussi, c), qu’est-ce que vous avez
déjà entrepris, ou qu’est –ce que vous avez pris comme mesures préventives ou réactives après un
cambriolage par exemple…et d) bien sûr le but de l’enquête c’est donc d’avoir un maximum
d’informations pour pouvoir se diriger vers des actions ponctuelles et donc surtout sur base de l’input
que nous avons reçu de la part des pharmacies. […] Le deuxième volet où nous allons organiser, l’APB
va organiser, des soirées d’information…au niveau local, donc de manière très décentralisée…où on va
donc donner les résultats de l’enquête a) ; b) on va donner, et c’est la police fédérale qui va collaborer
d’ailleurs, qui sera aussi sur place, qui va donner ses statistiques…troisièmement c’est…il y a quelques
mesures préventives qu’on va donner, on va aussi parler du fameux « Toolbox » que le SPF intérieur a
établi en 2012 et qui était très bien fait mais malheureusement pas encore assez bien connu je trouve
[…]Troisième axe de ce plan traite sur une collaboration que je voudrais faire avec des acteurs privés,
cela veut dire des sociétés privées qui ont…une offre de…ou un gamme technologique tout à fait
appropriée à l’officine donc…donc je vais leur demander d’établir des paquets spécifiques pour les
officines, pour la sécurité toujours bien sût…donc au niveau formations pour le personnel des officines,
au niveau technologique, au niveau du gardiennage, au niveau des télésurveillances, enfin donc il y a
toute une panoplie de services que plusieurs acteurs privés…que leur spécialisations peuvent offrir et je
voudrais donc négocier avec eux d’offrir des prix préférentiels pour les membres APB. […] Alors ça c’est
le troisième axe et le quatrième axe, ça sera pour plus tard dans l’année, à la demande de la police
fédérale d’installer un point permanent de contact entre l’ABP et la police fédérale et…pour justement
voir…s’il y a des nouvelles tendances, modus operandi au niveau de la criminalité, ou certaines vagues
qui se font par exemple au niveau de la criminalité. »132.
La coopération entre instances du secteur pharmaceutique et les pouvoirs publics en
Belgique, si elle est d’une taille et d’un degré de systématisation bien plus modeste qu’en France,
n’en présente pas cependant l’orientation sécuritaire et judiciaire affichée par la coopération
française. Si la volonté d’assurer le développement des mesures techno-préventives au sein du
réseau de membres de l’APB nous semble claire et si une coopération plus approfondie avec les
forces de police est recherchée, ce plan d’action se concentre principalement sur l’acquisition
d’informations relatives à la sécurité des pharmaciens d’officine par le biais d’une méthode de
victimisation rapportée et à leur diffusion, ainsi que d’autres informations plus générales relatives
aux risques de sécurité pesant sur les pharmaciens d’officine. A l’inverse du cas français, nous
pouvons noter que les organisations professionnelles des pharmacies d’officine, les services de police
et le pouvoir judiciaire belges ne collaborent pas au sein d’un cadre institutionnel et formel aussi
développé et de manière aussi active. Au-delà de ces différences, la prégnance des doctrines de la
prévention situationnelle et de la techno-prévention semble relativement forte à l’intérieur de ces
cadres de coopération inter organisationnels, influençant fortement la teneur des dispositifs
opérationnels destinés à lutter contre la délinquance à l’égard des pharmacies d’officine et de leur
personnel.
132
Entrevue avec le Directeur Général de l’Association Pharmaceutique de Belgique, Luc Adriaenssens, réalisée le 09/06/2015.
46
B. Des logiques d’action en apparence difficilement conciliables : la réaction des
pharmaciens face aux risques d’agressions et de violence :
Comme nous avons pu le constater jusqu’à ce point, les risques d’agressions et de violences à
l’égard du personnel officinal revêtent une réalité que l’on ne saurait ignorer, nombre de
pharmaciens d’officine étant chaque année victimes de faits infractionnels et, plus particulièrement,
de faits violents et cela quel que soit le pays à l’étude. De la même manière nous avons également pu
constater, qu’en ce qui concerne la Belgique et la France du moins, les pouvoirs publics ainsi que les
organisations professionnelles du secteur des pharmacies d’officine ont tenté de développer des
structures de coopération aboutissant à des dispositifs opérationnels de sécurité fortement marqués
par une approche situationnelle et techno-préventive. Les conséquences apparentes en sont, dès
lors, une tentative de prémunir les pharmacies d’officine des risques de faits infractionnels et de faits
violents par l’adoption de moyens techniques particuliers, par l’adaptation de leur organisation
interne et de leur environnement immédiat, ainsi que par une plus grande collaboration avec les
différents services des forces de police, qu’ils soient préventifs ou réactifs. C’est à partir de ces
éléments que nous élaborerons la problématique de ce mémoire, en tentant de mettre en exergue
ce qui nous semble constituer des logiques d’action et des référents contradictoires à l’œuvre au sein
des dynamiques professionnelles du personnel officinal.
Le personnel des pharmacies d’officine présente la singularité de devoir exercer des missions
qui, de par la nature même de la pharmacie, s’avèrent relativement difficilement conciliables, ou du
moins qui répondent à des logiques pour le moins divergentes et pouvant s’avérer contradictoires.
Ce personnel est amené à remplir quotidiennement plusieurs missions médicales et sociales au sens
large nécessitant une ouverture aux clients et patients ; ouverture et accessibilité des lieux, de la
pharmacie en elle-même mais également du personnel en lui-même qui se doit de se mettre à
l’écoute du client-patient.
1. La dimension sociale et la dimension médicale du métier de pharmacien d’officine :
Le personnel officinal se doit, premièrement, d’accomplir certaines missions sociales et
médicales, d’utilité publique, à l’égard des patients. Les missions médicales semblent prioritaires, de
prime abord, car il appartient par définition à la pharmacie d’officine et à son personnel d’agir
comme une sorte d’auxiliaire médical, complétant logiquement le travail de diagnostic et de
prescription du médecin en rendant possible la délivrance de produits médicamenteux133. Le
personnel officinal ne se cantonne cependant pas un simple rôle d’exécuteur des prescriptions
médicales et agit, à plus d’un titre, également comme service médical de première ligne amené à
poser les premiers éléments de diagnostic et les premiers conseils sur le plan d’un traitement, cela
dans la perspective des soins pharmaceutiques dépassant le rôle traditionnellement dévolu au
pharmacien134. Ainsi, outre les cas relevant de l’urgence médicale et pour lesquels le personnel
133
BOND, Christine M., « The role of pharmacy in health care » in REES, Judith A. & SMITH, Ian & WATSON, Jennie (eds.), « Pharmaceutical practice », Elsevier Health Sciences, 2014, p.3-4, 7-8. 134
WIEDENMAYER, Karin & al., « Elargir la pratique pharmaceutique. Recentrer les soins sur les patients. Manuel-édition 2006 », Organisation Mondiale de la Santé et Fédération Internationale Pharmaceutique, 2006, p.28-43.
47
officinal est tenu légalement et déontologiquement d’intervenir135, il est également appelé à agir sur
des cas d’une gravité bien moindre, un nombre conséquent de patients préférant vraisemblablement
demander certains conseils de santé au personnel officinal avant de se rendre chez un médecin136. Le
personnel officinal se voit donc revêtu d’une mission médicale très large, recouvrant un nombre de
cas potentiels a priori indéterminable, et pour lesquels la loi, dans certains cas137, mais surtout le
public le tiennent pour compétent et dans l’obligation d’agir.
Le personnel officinal est également amené à remplir des missions de conseil, à mi-chemin
entre le domaine médical et le domaine social. Pour bon nombre de personnes le pharmacien
d’officine incarne encore aujourd’hui un acteur disposant de conseils avisés, ou tout du moins
appréciables, sur l’attitude à adopter face à des problèmes ou des situations dépassant parfois
largement son domaine de compétence médicale, au sens strict comme au sens large. Si l’on attend
évidemment de lui qu’il soit capable d’aiguiller les patients vers des services médicaux, sanitaires ou
sociaux compétents en fonction du problème donné138, plusieurs personnes semblent attendre
également des conseils sur des problèmes sociaux ou familiaux dépassant totalement le cadre strict
du métier de pharmacien d’officine139. Ces situations et ces missions « atypiques » que le public
confère au personnel officinal semblent néanmoins être totalement assimilées par ce dernier, si bien
qu’elles constituent une dimension à part entière du métier de pharmacien d’officine. Plus
généralement et si l’on en croit certaines études réalisées sur le sujet, il semblerait que les
pharmaciens d’officine, par un mouvement de construction d’une identité professionnelle, soient
prompts à étendre le nombre de rôles associés à leur statut professionnel, se considérant comme
étant en droit et dans l’obligation « morale » ou éthique de prendre en charge des tâches d’ordre
médical et social qui, a priori, n’ont pas directement trait à leur métier140.
En tout état de cause, les pharmacies d’officine sont appelées pour ces raisons à maintenir un seuil
d’accessibilité très bas. Afin de pouvoir rencontrer au mieux les attentes des patients, le personnel
des pharmacies d’officine se doit de maintenir une ouverture constante vers l’extérieur141. Ouverture
physique de l’officine mais également, comme nous l’avons dit, ouverture du personnel qui se doit
de faire montre de qualité d’accueil, d’écoute, d’empathie par exemple. Car il ne suffit pas pour le
personnel officinal d’accepter d’endosser des missions sociales et médicales étendues, encore faut-il
adapter leurs dynamiques professionnelles et comportementales en conséquence pour pouvoir
remplir ces missions. Le personnel officinal se doit alors d’investir pleinement le domaine relationnel
et communicationnel et d’adopter une attitude d’ouverture et de bienveillance systématique à
l’égard des patients.
135
ESSE, Magali, « Les services rendus par le pharmacien d’officine en dehors de la délivrance de médicaments », thèse universitaire, Faculté de Pharmacie Université Henri-Poincaré-Nancy 1, 2005, p.19-25. 136
Ibid., p.26-34. 137
Voir supra note 109. 138
ESSE, Magali, op.cit., p.32-35. 139
Université de Genève, « La pharmacie d’officine comme lieu de premier recours du système de santé », 2004, p.4-5. 140
HEPLER, Charles D. & STRAND, Linda M., « Opportunities and responsibilities in pharmaceutical care », American Journal of Hospital Pharmacy, Vol.47, 1990, p.533-535 ; TAYLOR, Kevin M.G. & NETTLETON, Sarah & HARDING, Geoffrey, « Sociology for pharmacists : an introduction », CRC Press, 2004, p.28-31 ; HARDING, Geoffrey & TAYLOR, Kevin, « Responding to change : the case of community pharmacy in Great Britain », Sociology of Health and Illness, Vol.19, N°5, 1997, p.547-549, 555-557. 141
WATSON, Jennie, « Public health and pharmacy interventions » in REES, Judith A. & SMITH, Ian & WATSON, Jennie (eds.), « Pharmaceutical practice », Elsevier Health Sciences, 2014, p.465.
48
2. La dimension commerciale du métier de pharmacien d’officine :
Les dimensions médicale et sociale du métier de pharmacien d’officine, si elles sont
importantes, ne sont néanmoins pas les seules à l’œuvre. En effet, nous ne saurions saisir l’économie
générale d’une pharmacie d’officine et des logiques agissant sur son personnel si nous ne prenions
pas en considération sa dimension commerciale inhérente. La pharmacie d’officine est un lieu de
commerce dans lequel s’exerce une profession libérale. Les notions économiques et pécuniaires de
rentabilité et de chiffres d’affaires sont bien réelles et le personnel officinal, loin de ses missions
médicale et sociale, est appelé à assurer la viabilité économique de la pharmacie au sein de laquelle il
exerce à titre d’employé ou de titulaire. Dans cette optique, la pharmacie d’officine est amenée, par
définition, à exercer des activités commerciales et à disposer de sommes d’argent en espèces
potentiellement importantes. Si des changements, intervenus ces dernières années dans les modes
de paiement au sein des pharmacies d’officine, ont modifié grandement cette situation en
privilégiant les règlements par paiements électroniques, les pharmacies d’officine semblent
néanmoins toujours associées à des établissements disposant de liquidités et de revenus
importants142. Dans la mesure où les pharmacies d’officine, à l’instar de tous les commerces, sont
tenues légalement de permettre à quiconque de régler ses achats en liquidités, cette croyance n’est
pas dénuée de fondements, en dépit du fait que les sommes entreposées en pharmacie d’officine et
les conditions d’entreposage soient sans commune mesure avec celles en vigueur par le passé.
Plusieurs auteurs ont mis en évidence le décalage entre les logiques « médico-sociale » et
économique dans laquelle le personnel officinal occupe un rôle cantonné à la gestion économique de
la pharmacie. Parmi ceux-ci Reyes s’affiche incontestablement comme l’un des auteurs de référence,
ayant étudié en détail cette dualité de logiques et leur incidence sur les identités et comportements
professionnels au sein du secteur des pharmacies d’officine 143 . Le pharmacien d’officine se
caractériserait, par définition, par une dualité de rôles, celui-ci- étant partagé entre un rôle médical
dérivé de son statut de personnel de santé et un rôle gestionnaire ou commercial dérivé de son
statut d’indépendant144. De cette double identité naîtrait une ambiguïté et un conflit de rôles, ceux-ci
répondant à des logiques difficilement conciliables et poussant le pharmacien dans des modes de
fonctionnement contradictoires145. Cette dualité caractéristique du métier de pharmacien serait
également exacerbée par le contexte affectant le secteur des pharmacies d’officine, en France tout
du moins. En effet, la démonopolisation de la vente de produits médicamenteux par les pharmacies
142
COSTARGENT, Georges & VERNEREY, Michel, « Rapport sur les violences subies par les professionnels de santé », rapport n°2001.110, IGAS, 2001, p.18-19. 143
REYES, Grégory, « Les mutations du métier de pharmacien titulaire : le cas d’officines de centre commercial », Revue Management & Avenir, 2011, p.79-99 ; idem., « L’ambiguïté des rôles du pharmacien titulaire d’officine française : une lecture par l’identité de métier », Management international / International Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 4, 2013, p. 163-177 ; idem., « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, 26 p. ; idem., «Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, 26 p. 144
Idem., « L’ambiguïté des rôles du pharmacien titulaire d’officine française : une lecture par l’identité de métier », Management international / International Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 4, 2013, p.164-165. 145
Idem., “Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.9-10.
49
d’officine, ainsi que le recul du prix de vente des médicaments et la réduction recherchée du nombre
d’officines viennent placer les professionnels du secteur dans une situation économique délicate, les
contraignant à une attention particulière à l’aspect gestionnaire et économique de leur métier146. Ces
évolutions, causées par un contexte économique global et des réformes successives des politiques de
santé en France motivées par l’état de la sécurité sociale147, affectent directement les conditions de
travail des pharmaciens d’officine même si elles prennent leur origine dans des sphères sur lesquelles
ils n’ont aucune prise et qui échappent à leur connaissance. D’autres phénomènes, plus proches ou
du moins se manifestant à plus petite échelle, viennent également renforcer la détérioration de la
situation économique des pharmacies d’officine. Ainsi, la modification des comportements du
patient, privilégiant la recherche de l’avantage monétaire et les pratiques de consommateurs dans
ses rapports à la pharmacie d’officine, vient également participer à la prise d’importance de la
logique commerciale au sein du métier de pharmacien148. Pareille situation du secteur vient
transformer l’identité professionnelle prévalant auprès des pharmaciens d’officine et transformer ses
rapports à la patientèle, celle-ci étant de plus en plus perçue comme une clientèle qu’il faut appâter
et convaincre en termes pécuniaires et avec laquelle une distanciation et une dépersonnalisation
s’opèrent, le pharmacien délaissant les missions et pratiques afférentes à son rôle médical de
personnel de santé149. Les conséquences organisationnelles sont, lorsque le pharmacien d’officine se
situe dans cette logique commerciale, qu’il
« se focalise sur la rationalisation de son entreprise, l’animation des équipes et la relation avec ses
partenaires comme ses fournisseurs. Il est moins en contact avec le client car il se consacre aux tâches
stratégiques ce qui l’oblige à déléguer d’avantage. Il développe une réflexion sur l’avenir de son
entreprise en recherchant les moyens de s’affranchir des contraintes économiques et réglementaires
qui pèsent sur lui. ».150
De cela apparait également, toujours selon Reyes, une modification des rapports du
pharmacien à son officine, Reyes soutenant que la dualité identitaire du pharmacien d’officine et le
pôle identitaire ayant prévalence affectent le mode d’organisation appliqué à la pharmacie d’officine.
Ainsi, suivant le fait que le pharmacien s’identifie plus à un rôle de gestionnaire ou de professionnel
de santé, les fonctions attribuées à l’officine et l’agencement de l’espace suivront des logiques
radicalement différentes. Si dans le cas de la logique et du rôle médical l’officine doit pouvoir
favoriser le contact humain entre patient et pharmacien et répondre au mieux à ses besoins
médicaux au sens large, il n’en est pas de même dans le cas de la logique commerciale où l’officine
est vue comme un espace de commerce dont les fonctions sont de favoriser la vente et la réalisation
d’économies d’échelle 151 . Il s’agit ici de manifestations poussées à l’extrême, présentées
schématiquement et dans l’abstrait comme étant antagoniques et mutuellement exclusives, ce qui
n’est pas le cas dans la réalité empirique, ces logiques étant souvent amenées à agir de concert et à
146
REYES, Grégory, « Les mutations du métier de pharmacien titulaire : le cas d’officines de centre commercial », Revue Management & Avenir, 2011, p.89-91. 147
Idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.79, 82-84. 148
Ibid., p.85. 149
Idem., « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, p.13. 150
Idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.86-87. 151
Idem., «Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.17-18.
50
prendre l’avantage de manière fluctuante et contextuelle 152 . Néanmoins, au travers de ce
développement reposant sur un dualisme radical, on peut observer que chacune de ces deux
logiques véhicule des représentations du métier de pharmacien, du public et des types de rapports
devant être développés entre eux qui sont radicalement différentes.
Chiarello se distancie légèrement de ces conclusions dans la mesure où, si elle identifie une forte
tendance à la « commercialisation » des pharmacies d’officine et au développement d’une logique
économique de recherche de profit et de rentabilité chez les pharmaciens153, elle souligne que cela
ne constitue nullement une voie unique, un processus de transformation engageant l’ensemble de la
profession et renversant les logiques professionnelles sociales et médicales. Comme Reyes, quoique
de manière moins équivoque, Chiarello soutient que les logiques structurantes à l’œuvre au sein de
la profession de pharmacien d’officine sont de nature contingentes et ne sont nullement
mutuellement exclusives 154 . Chiarello identifie d’ailleurs un nombre bien plus important de
dimensions, ou de « contingences » selon sa terminologie, soulignant qu’il est impossible qu’une
seule d’entre elles en vienne à occulter complètement les autres, celles-ci se combinant en un
ensemble mouvant et dont les signaux dissonants créés sont réconciliés dans la pratique de façon
pragmatique155. Néanmoins, cet auteur rejoint Reyes en reconnaissant l’importance de deux grandes
logiques structurantes, à savoir la logique médicale et la « fiscale » ou commerciale156. De même,
l’auteur identifie également une tendance de fond à la commercialisation des pharmacies d’officine
et, plus largement, du secteur de la santé dans son ensemble157. Dans ce contexte et face à ce
phénomène, les différents types de pharmacies ne sont pas également exposés aux aléas et aux
pressions économiques, les pharmacies d’officine y étant vraisemblablement plus sensibles en raison
de la taille limitée de leur exploitation et de leur clientèle158. Les pharmaciens d’officine se voient
donc contraints de balancer précautionneusement intérêts médicaux des patients et intérêts
économiques de leur établissement, alternant en permanence entre logique socio-médicale et
logique gestionnaire et recherchant un point d’équilibre le plus optimal et le plus stable possible
entre celles-ci
3. La logique sécuritaire, élément sous-jacent à la dimension commerciale :
La problématique de la possession de stupéfiants par les pharmaciens, et des
comportements délinquants que pareilles substances peuvent occasionner, a mobilisé un nombre
relativement conséquent d’études criminologiques, surtout dans le monde anglo-saxon. Dans une
perspective très « normativiste » et pratique, Roberts a dressé une liste non-exhaustive des
différentes obligations légales et éthiques afférentes à l’exécution des services pour lesquels les
152
REYES, Grégory, «Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.20-21 153
CHIARELLO, Elizabeth, « Medical versus fiscal gatekeeping: navigating professional contingencies at the pharmacy counter », Journal of Law, Medicine and Ethics, 2014, p.527-531. 154
Ibid., p.531-532. 155
Ibid., p.522-525, 531-532. 156
Ibid., p.518-519. 157
Ibid., p.519-520. 158
Ibid., p.522-523.
51
pharmaciens d’officine sont habilités au Royaume-Uni159. Si cette liste est loin d’être exhaustive et ne
constitue qu’une entrée en la matière, elle n’en demeure pas moins relativement importante,
traduisant la volonté de régulation des services officinaux concernant certains types de substances
dont l’usage pourrait être détourné, exprimée par les pouvoirs publics et les organisations
professionnelles du secteur pharmaceutique160. Ces régulations traduisent également, à notre sens,
un réel sentiment de méfiance, voire de crainte, vis-à-vis des toxicomanes se répercutant sur les
attitudes des pharmaciens d’officine à l’égard de ce type d’usagers, ceux-ci étant appréhendés en
termes de risques de délinquance ou de violence. En effet, comme l’indique Roberts, les pharmaciens
britanniques sont invités à faire preuve de prudence et à gérer de manière spécifique certains profils
de toxicomanes, dans l’optique que ceux-ci peuvent constituer une réelle menace pour leur propre
sécurité mais également pour la sécurité du personnel officinal amené à interagir avec eux161. Le
pharmacien britannique serait, mais cela peut également être valable pour d’autres contextes
nationaux, tiraillé entre plusieurs obligations émanant de la loi et de codes de conduite
professionnels, celles-ci faisant jaillir des « dilemmes éthiques et légaux » avec lesquels celui-ci doit
composer162. Si cette analyse manque incontestablement de profondeur sociologique, l’auteur se
cantonnant à un exposé de surface des obligations normatives affectant les pharmaciens d’officine
britanniques dans l’exercice de leur profession, particulièrement à l’égard de certains types
d’usagers, elle laisse néanmoins entrevoir une certaine logique sécuritaire sous-jacente à la gestion
de certaines substances pharmaceutiques et de leurs utilisateurs.
D’autres auteurs ont également tenté d’analyser les effets de la problématique du contrôle
de la délivrance de produits stupéfiants ou assimilés sur les attitudes et les comportements des
pharmaciens d’officine dans l’exercice de leur profession. Sheridan, Butterworth et Glover ont ainsi
soutenu l’existence de situations éthiquement conflictuelles dans le chef du personnel officinal en ce
qui concerne la gestion des usagers de drogues, soulevant les problèmes de la présence de
substances stupéfiantes en pharmacie et de la délicate attitude du pharmacien à adopter par rapport
aux utilisateurs de pareilles substances163. Plusieurs situations problématiques peuvent émerger des
interactions entre personnel officinal et utilisateurs de produits stupéfiants et sont évoquées par les
ces auteurs. Au-delà des questions de confidentialité et d’intimité entourant les achats et les
administrations de substances stupéfiantes164, les pharmaciens d’officine peuvent êtes confrontés à
des situations sensibles ayant trait à ces substances et dans lesquelles les usagers toxicomanes
feraient peser de réels risques pour la sécurité des personnes dans l’officine165. Ces risques ne
seraient pas nécessairement et inextricablement liés à la personnalité des toxicomanes, dans une
perspective presque déterministe, mais pourraient advenir à partir d’attitudes stigmatisantes, ou
perçues comme telles, exprimées à leur égard par le personnel officinal ou de l’incompréhension de
159
ROBERTS, Kay, « Legal and ethical considerations for community pharmacists in the United Kingdom » in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.97-110. 160
Ibid., p.98-100. 161
Ibid., p.102-103. 162
Ibid., p.110-111. 163
SHERIDAN, Janie & BUTTERWORTH, Gihan & GLOVER, Christine, “Professional conflicts for the front-line pharmacist” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.125-126. 164
Ibid., p.126-127. 165
Ibid., p.127, 132-134.
52
règles et de procédures appliquées de façon strictes au sein de la pharmacie d’officine166. Encore une
fois, on peut souligner l’existence d’une certaine méfiance à l’égard des usagers consommateurs de
certaines substances dans le chef des pharmaciens d’officine, résultant en une certaine approche
sécuritaire de la problématique de la gestion de ces substances et de leurs consommateurs.
D’autres auteurs ont mis en évidence l’existence de représentations stigmatisantes dont les
usagers de substances stupéfiantes feraient l’objet par les pharmaciens d’officine et de l’impact de
celles-ci sur les interactions entre ces deux catégories d’acteurs. Ainsi, Matheson a fait ressortir, au
travers d’entrevues réalisées auprès d’usagers consommateurs de méthadone, que ces usagers
tendaient à voir dans l’attitude des pharmaciens d’officine à leur égard une association quasi
systématique aux stéréotypes des « junkies »167. Pareille association était, selon les données
collectées par cet auteur, potentiellement source de comportements négatifs, voire violents, de la
part de ces usagers à l’égard des pharmaciens d’officine168. Luty, Kumar et Stagias ont démontré
qu’une proportion non-négligeable de pharmaciens d’officine britanniques refusait l’accès de
patients sous traitement de substitution par méthadone à ces services au sein de leur pharmacie, de
crainte de voir survenir des incidents impliquant des déprédations ou des faits de violence169. Bien
des années plus tôt, Sheridan et d’autres auteurs avaient pointé le fait que près de la moitié des
pharmaciens d’officine de Grande Bretagne adoptaient ce type d’attitude à l’égard des usagers
toxicomanes, justifiant cela par le fait que ces usagers seraient à l’origine d’un risque accru de
« petits larcins, crimes violents et d’intimidation des autres clients »170.
Conséquence extrême de cette logique de méfiance et de volonté de se prémunir de risques
supposés de faits violents de la part de catégories spécifiques d’usagers, 50% des pharmaciens
d’officine interrogés par Morrison et établis dans des quartiers défavorisés de la Ville de New York
habités par des minorités hispanophones ou afro-américaines ne disposaient pas de stocks de
certains médicaments pouvant être utilisés comme stupéfiants de substitution171. Cette pratique, loin
de constituer le résultat de problèmes d’approvisionnement contingents, découlait d’une volonté
délibérée de ne pas disposer d’opioïdes afin de ne pas constituer, entre autres, une cible pour les
fraudes et les attaques172. Des résultats identiques ont été également confirmés pour l’Etat du
Michigan par Green et ses collaborateurs, bien que la crainte de fraude et d’attaques pour des
raisons liées à la détention de stupéfiants par les pharmaciens d’officine soit apparemment moins
forte173. Ces études, en dépit de leurs méthodes et de leurs sujets forts différents, témoignent de
166
SHERIDAN, Janie & BUTTERWORTH, Gihan & GLOVER, Christine, “Professional conflicts for the front-line pharmacist” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.126-127. 167
MATHESON, Catriona, “Drug users and pharmacists: the clients’ perspectives” in SHERIDAN, Janie & STRANG, John (eds), “Drug misuse and community pharmacy”, Taylor & Francis, 2003, p.91-92. 168
Ibid., p.92. 169
LUTY, Jason & KUMAR, Pramod & STAGIAS, Konstantinos, « Stigmatised attitudes in independent pharmacies associated with discrimination towards individuals with opioid dependence », The Psychiatrist, 2010, p.512. 170
SHERIDAN, Janie & al, op.cit., p.1746-1747. 171
MORRISON, Sean R. & al., « « We don’t carry that » - Failure of pharmacies in predominantly nonwhite neighborhoods to stock opioid analgesics », The New England Journal of Medicine, Vol.342, N°14, 2000, p.1023-1026 172
Ibid., p.1025. 173
GREEN, Carmen R. & al., “Differences in prescription opioid analgesic availability: comparing minority and white pharmacies across Michigan”, The Journal of Pain, Vol.6, N°10, 2005, p.694-696.
53
l’existence, à nos yeux, de ce que nous identifiions précédemment comme une logique sécuritaire
influençant les attitudes et les comportements des pharmaciens d’officine, ici à l’égard des
catégories de personnes associées à certaines substances stupéfiantes ou à certains médicaments et
considérées principalement et dans de nombreux cas en termes de risques pour la pharmacie
d’officine et pour la sécurité du personnel officinal.
Cette logique sécuritaire s’est également traduite sous d’autres formes, moins liées à
l’organisation de l’espace et des biens de la pharmacie d’officine, ayant plus trait à la coopération
avec des institutions et des services poursuivant des missions radicalement différentes de celles
assumées par les pharmacies d’officine. Il a été fait démonstration, particulièrement dans les Etats
anglo-saxons, du développement de partenariats larges visant le contrôle des usagers de substances
strictement réglementées et la lutte contre leur détournement174. Ces partenariats impliquent un
ensemble relativement large d’entités et d’acteurs, faisant intervenir divers services policiers et
institutions publiques mais également les pharmaciens d’officine ainsi que leurs corporations175. Il en
va ainsi pour plusieurs provinces australiennes où pareils types de partenariats entre services de
police et pharmaciens d’officine ont été développés au cours des dernières années176. Dans le cadre
de ces accords, les pharmaciens d’officine sont appelés à jouer un rôle de premier plan dans la
surveillance des usagers désirant obtenir certains produits amphétaminiques ou d’autres produits
soumis à des mesures de contrôle, devant vérifier la validité des prescriptions, enregistrer les
données de chaque usager et collaborer activement avec les services de police en cas de soupçons
sur la validité d’une prescription ou sur des activités illicites d’une personne qui seraient liées à des
produits contrôlés177.
Dans pareils cas, la frontière entre travail policier et travail de soins et de services
pharmaceutiques semble s’atténuer pour entraîner une certaine confusion des rôles et des tâches. A
bien des égards le pharmacien est appelé à devenir une sorte d’auxiliaire de police dans le domaine
particulier de la vente de certaines substances soumises à des régimes de contrôle spécifiques ; la
tâche de surveiller l’usage qui va être fait, voir même de le déduire à partir des informations
obtenables lors de l’interaction avec l’usager, revêt une grande importance aux yeux de la loi et des
services de police chargés de l’appliquer178. Il n’est alors pas difficile pour le pharmacien d’officine de
s’abandonner complètement à ces tâches dérivant du travail policier et d’adopter une logique
d’action et un mode de réflexion éloignés de la logique socio-médicale. Webster, dans le cadre de sa
thèse sur ces partenariats trans-sectoriels de lutte contre les détournements de produits stupéfiants
dans certaines provinces d’Australie, semble montrer la diffusion de cette logique d’action policière
parmi les pharmaciens d’officine de la province du Queensland ainsi que, de façon plus étonnante, la
satisfaction et le zèle avec lesquels les tâches de contrôle sont appliquées sur les usagers179. Si les
174
RANSLEY, Janet & al., « Reducing the methamphetamine problem in Australia: evaluating innovative partnerships between police, pharmacies and other third parties », National Drug Law Enforcement research Fund, 2011, 59 p.; WEBSTER, Julianne Louise, “Innovative police responses to drug problems: exploring a third-party policing partnership between police and community pharmacy”, university thesis, Faculty of Arts, Education and Law Griffith University, 2012, 350 p. 175
WEBSTER, Julianne Louise, op.cit., p.8-11, 29-34, 98-110. 176
Ibid., p.66-67, 99-110. 177
Ibid., p.59-63. 178
CHIARELLO, Elizabeth, “The war on drugs comes to the pharmacy counter: frontline work in the shadow of discrepant institutional logics”, Law & Social Inquiry, Vol.40, N°1, 2015, p.88-91. 179
WEBSTER, op.cit., p.148-157.
54
pharmaciens de cette province concevaient la difficulté de combiner ces tâches de contrôle avec
celles découlant de leur statut de personnel de santé, une grande majorité de ceux ayant été
interrogés semblaient désirer une plus grande coopération avec la police et un durcissement des
procédures de contrôle qu’ils pourraient exercer180.
De manière plus approfondie et suivant une analyse plus sociologique, Chiarello met en
évidence le développement de logiques analogues parmi les pharmaciens d’officine américains
soumis aux législations « antidrogues » de l’Etat fédéral181. L’auteur met en évidence la tentative des
pouvoirs publics et des services de police américains d’utiliser la proximité du pharmacien d’officine
par rapport aux usagers consommateurs de produits stupéfiants régulés, ainsi que sa position
unique de contrôleur et de dispensateur de ces substances, afin pouvoir détecter et agir au plus près
des personnes tentant d’en faire un usage illicite182. Les pharmaciens américains se trouveraient
confrontés à une tension résultant de logiques contradictoires, à savoir une logique médicale,
amenant à concevoir l’usager et sa demande en termes de besoins et de traitements médicaux, et
une logique judiciaire, amenant à concevoir l’usager et sa demande en termes de légalité et de
ressources légalement accordables ou non183. Ces deux logiques mobilisent des épistémologies, des
référents et des pratiques radicalement différentes, induisant des antagonismes se traduisant par
des tensions dans le travail du pharmacien et dans l’attitude à adopter face à ces usagers et aux
situations problématiques pouvant survenir184.
Ces logiques ne sont pas séparées l’une de l’autre et tendent à agir de concert dans les
pratiques du pharmacien d’officine, bien qu’à des intensités variables185 ; et si des attitudes
divergentes sont constatables vis-à-vis de l’application de la logique légale et des tâches de contrôle
et d’investigation de nature quasi-policière, certains les appliquant avec plus ou moins
d’enthousiasme et de zèle186, la majorité des pharmaciens d’officine semblent adopter une attitude
ambivalente, proche de la résignation apathique, voire une attitude pouvant être conçue comme une
forme de résistance187. En effet, si la confirmation aux dispositions légales et la coopération
systématique avec la police en cas de soupçons s’avère être une stratégie et une attitude possible,
d’autres existent également. Ainsi, les pharmaciens d’officine américains peuvent également opter
pour l’évitement du problème, pour sa déflection, en choisissant une solution désengageant leur
responsabilité légale188, ou peuvent également opter pour l’attribution du traitement demandé,
s’inscrivant alors dans la logique médicale propre à leur profession189. Si l’auteur n’est pas clair sur la
logique dominante parmi les pharmaciens interviewés, il met en évidence deux phénomènes
extrêmement enrichissants au regard des enseignements théoriques précédemment cités.
180
WEBSTER, Julianne Louise, “Innovative police responses to drug problems: exploring a third-party policing partnership between police and community pharmacy”, university thesis, Faculty of Arts, Education and Law Griffith University, 2012, p.157-163. 181
CHIARELLO, Elizabeth, “The war on drugs comes to the pharmacy counter: frontline work in the shadow of discrepant institutional logics”, Law & Social Inquiry, Vol.40, N°1, 2015, p.86-88. 182
Ibid., p.87, 91. 183
Ibid., p.97-98. 184
Ibid., p.98-99. 185
Ibid., p.99-102 186
Idem., « Medical versus fiscal gatekeeping: navigating professional contingencies at the pharmacy counter », Journal of Law, Medicine and Ethics, 2014, p.531-532. 187
Idem., “The war on drugs(…)” op.cit., p.102-103. 188
Ibid., p.110-112. 189
Ibid., p.103-105.
55
Premièrement, il met en évidence la pluralité de logiques à l’œuvre dans le cadre de la profession de
pharmacien d’officine, aux Etats-Unis du moins, ainsi que les tensions pouvant résulter de leur
incompatibilité mutuelle. De ces logiques naissent des référents moraux et organisationnels, ainsi
que des schémas de lecture et des attitudes particulières qu’il s’agit de prendre en compte pour
comprendre l’économie générale de cette profession et, plus précisément, les comportements des
pharmaciens face à ce qu’ils conçoivent comme étant des risques de violence. Deuxièmement, il
identifie clairement l’une des logiques dominantes comme étant une logique de nature judiciaire,
très proche de ce que nous dénommions logique sécuritaire dans les paragraphes précédents.
L’auteur procède aux manifestations de cette logique chez les pharmaciens d’officine de certains
Etats mais en dresse également une analyse des ressorts sociologiques, certains éléments
conditionnant le développement de cette logique étant mis en évidence, de même que les
implications cognitives et comportementales induites chez les pharmaciens d’officine se conformant,
en tout ou en partie, à cette logique ou s’y opposant franchement.
Ces études attestent, selon nous, de la réalité d’une coexistence de logiques d’action
opposées, difficilement conciliables, entre lesquelles le personnel officinal est partagé. Celui-ci
semble être tiraillé en permanence entre des logiques d’aide et d’assistance au public, issues du
domaine médical et du domaine social, et une logique plus sécuritaire découlant de la nature
commerciale des pharmacies d’officine et d’une méfiance à l’égard de certains types de patients-
clients. C’est sur base de cette tension résultant de ces logiques difficilement conciliables, ainsi que
des politiques et stratégies de nature techno-préventives développées et promues par les pouvoirs
publics pour sécuriser les pharmacies d’officine, que nous développerons notre problématique et
notre question de recherche. Nous entamions ce mémoire en partant du constat apparent que les
pharmaciens d’officine semblaient, en Belgique et en général, plus exposés aux risques de violence
que d’autres catégories socioprofessionnelles et nous nous interrogions sur la magnitude de cette
exposition. Cela étant fait, nous nous interrogerons, dans la suite de cette recherche, sur les
conséquences de cette exposition aux risques de violence sur les comportements et dynamiques
professionnelles des pharmaciens d’officine, ainsi que sur leurs représentations et appréhensions de
ces risques. Notre démarche se veut compréhensive et exploratoire dans la mesure où, tout comme
Bonnet le présente brillamment dans son étude sur l’emploi de prévention situationnelle dans
certains espaces semi-publics, « il ne s’agit pas d’évaluer « l’efficacité » de ces dispositifs de
prévention situationnelle, mais de comprendre les rationalités pratiques des organisations concernées
par les politiques de sécurité, et de voir comment leur travail et les dispositifs de prévention qu’elles
utilisent permettent de définir en creux leurs problèmes, leurs enjeux et leurs objectifs."190. A cette
fin, nous formulons cette interrogation sous la forme de la question de recherche suivante, qui
déterminera la direction de la suite de notre recherche : « quelles sont les stratégies mises en place
par le personnel des pharmacies d’officine vis-à-vis des risques de violence et quelle influence
exercent-elles sur leurs dynamiques professionnelles ?».
Il n’est pas impossible, face aux risques de faire l’objet de faits violents et de vols pour les
pharmaciens d’officine et aux fortes incitations à s’en prémunir sur le plan de la techno-prévention,
que la logique commerciale et la logique sécuritaire l’emportent relativement sur la logique socio-
médicale, affectant ainsi les représentations des pharmaciens d’officine du public, des patients et
190
BONNET, François, « Contrôler des populations par l’espace ? Prévention situationnelle et vidéosurveillance dans les gares et les centres commerciaux », Politix, N°.97, 2012, p.30.
56
modifiant leurs comportements à leur égard. La pharmacie d’officine et son personnel auraient alors
tendance à se centrer sur leur propre protection, sur la réduction ou la minimisation des risques de
survenance de faits de violence, éludant ou atténuant l’ouverture physique des lieux et l’ouverture
relationnelle du personnel. Cette fermeture relative de la pharmacie d’officine et de son personnel,
le repli de celui-ci sur des bases sécurisées, si ces phénomènes sont avérés, entraîneraient
corrélativement une modification des représentations du public dans le chef du personnel officinal.
Le public pourrait être perçu en termes de risques, la notion de patient laissant la préséance à la
notion de client potentiellement dangereux, pouvant constituer une menace en puissance, un risque
pour l’intégrité physique et psychique du personnel officinal ainsi qu’un risque pour les avoirs et les
valeurs de la pharmacie. Sur un aspect plus pratique, et en accord avec les approches technologique
et situationnelle de la prévention prégnante au sein des politiques et stratégies de sécurisation des
pharmacies d’officine, le personnel officinal pourrait être amené à développer des stratégies de
protection d’inspiration techno-préventive, s’inscrivant dans le mouvement de fermeture des
pharmacies d’officine et d’appréhension du public en termes de risques que nous évoquions plus
haut. Ces phénomènes, qu’il s’agisse de la modification des représentations et des référents des
pharmaciens d’officine autant que de la modification de leurs logiques d’action et de leurs
comportements au sein de l’officine, ne constituent ici que de vagues possibilités théoriques,
certaines données empiriques et statistiques précédemment mobilisées nous laissant cependant
penser qu’elles puissent être partiellement vérifiées dans les faits. Nous ferons néanmoins de ces
possibilités théoriques nos principales hypothèses de recherche, en dépit de leur caractère
extrêmement large et de leur imprécision et de la nature inductive de notre recherche, afin de nous
aider dans l’interprétation et la mise en forme des données de terrain. Nous aborderons plus en
détail les implications méthodologiques et les aspects pratiques de cette partie de notre recherche
dans la prochaine partie de ce mémoire consacrée à la méthodologie adoptée.
57
III. Méthodologie :
A. Un recentrage sur les méthodes qualitatives :
Nous avons fait le choix de faire reposer la suite de notre recherche sur les connaissances
détenues par les acteurs de terrain à l’étude, en l’occurrence les pharmaciens d’officine. En effet, en
plus de notre volonté de dresser un état des lieux relativement précis concernant les risques de
violence et de délinquance auxquels les pharmaciens d’officine en Belgique, et ailleurs, étaient
confrontés, nous avons également émis la volonté de nous intéresser aux conséquences vécues de
ces risques. En demeurant dans une perspective méthodologique centrée sur l’analyse statistique et
l’analyse de textes officiels, les observations réalisées jusqu’à présent ont souffert de certaines
limitations épistémologiques, ne nous permettant de concevoir les risques de violence et de
délinquance s’exerçant à l’égard des pharmaciens d’officine que d’un point de vue extérieur,
objectivé et non neutre, a priori. Si nous avons d’emblée souligné l’existence de certaines limites
méthodologiques inhérentes aux méthodes statistiques, ainsi qu’aux types de statistiques que nous
avons mobilisés dans la première partie de notre recherche, nous ne nous sommes guère intéressés
à leurs limites épistémologiques et aux divers biais que celles-ci pouvaient véhiculer. En effet, comme
l’a justement signalé Groulx, en se fondant sur plusieurs décennies de critiques de l’analyse
statistique en sociologie, l’analyse statistique s’accompagne nécessairement d’un certain
« emprisonnement » des acteurs et des connaissances dont ils sont seuls dépositaires dans un
ensemble de catégories prédéfinies et utilisées à des fins administratives191. Ainsi, les statistiques
officielles, et par extension la méthode analytique leur étant liée, « ont pour seul mérite de
décontextualiser les situations et de les réinterpréter dans un langage administratif, les individus se
trouvant dès lors entièrement définis selon leur handicap, leur incapacité ou leur déficience. »192. Ces
statistiques ne refléteraient que de façon imparfaite et partielle les dimensions recouvertes par un
phénomène étudié, en en sublimant certaines à l’excès ou, à l’inverse, en en occultant d’autres193.
Citant Merton, Kitsue et Cicourel évoquaient, bien avant la vision transversale de Groulx sur les
différentes critiques formulées à l’encontre de l’analyse statistique sur base de données officielles, la
critique selon laquelle les statistiques officielles pouvaient difficilement être employées dans le cadre
d’une analyse sociologique en raison de leur mode de production vicié194. Selon Merton, ces
statistiques, dans le domaine criminel, pèchent par une définition non-sociologique de la déviance et
par une succession de couches d’erreurs d’origine organisationnelle195. Si Kitsue et Cicourel
partagent en partie le diagnostic de Merton, soulignant le caractère socialement construit des
définitions à la base des statistiques criminelles et leur institutionnalisation, ils ne remettent pas
foncièrement en cause leur valeur analytique, à partir du moment où cette nature construite est
191
GROULX, Lionel-Henri « Contribution de la recherche qualitative à la recherche sociale » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.57-58. 192
Ibid., p.58. 193
Ibid., p.58-63. 194
KITSUE, John J. & CICOUREL, Aaron V., “A note on the uses of official statistics”, Social Problems, Vol.11, N°2, 1963, p.132-134. 195
Ibid., p.133-134.
58
prise en considération196. Ces deux auteurs dressent d’ailleurs une conclusion fort juste en soutenant
que
“The question of whether or not the statistics are « appropriately organized » is not one which is
determined by reference to the correspondence between the sociologist’s definition of deviant behavior
and the organizational criteria used to compile the statistics. Rather the categories which organize a
given set of statistics are taken as given – the ”cultural definitions”, to use Merton’s term, of deviant
behavior are par excellence the relevant definitions for research. […] Thus the question to be asked is
not about the appropriateness of the statistics, but about the definitions incorporated in the categories
applied by the person of the rate-producing social system to identify, classify and record behavior as
deviant.”.197
En dépit de cette limitation épistémologique des statistiques officielles, la question que nous devons
nous poser ici est de savoir si celles-ci constituent des instruments suffisants pour atteindre les
dimensions cognitives et comportementales des acteurs sociaux que nous souhaitons étudier. Force
est de devoir admettre que non et que d’autres méthodes, d’un autre ordre, doivent être mobilisées
à leur place. C’est afin de pallier aux limites de l’analyse statistique et de l’analyse de textes que nous
avons opéré un recentrage méthodologique et épistémologique vers la recherche qualitative. Ce
recentrage répond également à certains impératifs imposés par la perspective de recherche que
nous nous sommes fixés dans notre problématique. Dans la mesure où nous souhaitons découvrir et
évaluer les comportements des pharmaciens d’officine face aux risques de sécurité, cela nécessite de
mettre en œuvre des méthodes qualitatives afin de pouvoir interroger les acteurs à ce sujet dans un
premier temps, et récolter les données brutes dont ils sont dépositaires et les transformer en
données empiriques exploitables dans un second temps. Une nouvelle orientation épistémologique
de notre recherche intervient à ce point, dans la mesure où il nous faut atteindre des sources de
savoirs inatteignables par le biais des méthodes employées jusqu’à présent et appartenant à un
domaine radicalement autre. En effet, il s’agit d’atteindre des savoirs, des concepts, des objets qui
sont sensitifs et, a priori, indéterminés. Il nous faut atteindre, afin de pouvoir réaliser complètement
notre perspective de recherche, un type de savoir qui nous est difficile d’appréhender dans la mesure
où nous n’appartenons pas au monde des acteurs sociaux que nous étudions ici198. Ce type de savoir
est sensitif, comme Groulx le soutient, dans la mesure où il correspond à la manière dont l’acteur vit
l’action et la situation auxquelles elles se rapportent199 ; néanmoins, ce type de savoir est également,
selon nous, en partie performatif dans la mesure où il ne peut se révéler que lorsque que l’acteur est
directement interrogé à ce sujet et lorsque, par ce biais, il en prend réellement conscience200. Pareil
type de savoir ne peut être atteint que par d’autres méthodes que nos méthodes d’analyse
statistique et d’analyse de textes qui objectivent, a priori et de l’extérieur, les phénomènes sociaux et
qui ne s’attachent pas à leur compréhension dans l’optique de l’acteur. Notre sujet de recherche
196
KITSUE, John J. & CICOUREL, Aaron V., “A note on the uses of official statistics”, Social Problems, Vol.11, N°2, 1963, p.134-137. 197
Ibid., p.136. 198
POUPART, Jean, « L’entretien de type qualitatif : considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.193-195. 199
GROULX, Lionel-Henri « Contribution de la recherche qualitative à la recherche sociale » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.59. 200
ANADON, Marta, « La recherche social et l’engagement du chercheur qualitatif : défis du présent », Recherches Qualitatives, N°14, 2013, p.5-14.
59
n’ayant, jusqu’à présent, reçu qu’un intérêt très faible et limité au monde anglo-saxon, nous ne
saurions demeurer dans cette optique de conceptualisation et d’analyse de données extérieure à
l’objet que nous souhaitons étudier. De surcroît, ces études ayant toutes été réalisées dans une
démarche empirique ayant recours aux analyses statistiques ou dans le cadre de projets politiques,
leur exploitation dans le cadre de la constitution de notre méthodologie de recherche aurait
inévitablement soulevé certains problèmes de compatibilité, et d’éthique scientifique même dans un
certain sens.
B. Une démarche essentiellement inductive :
Nous avons souhaité interroger les acteurs qui sont les pharmaciens d’officine, au centre de
notre objet de recherche, à propos de certaines de leurs représentations et attitudes, ainsi qu’à
propos des terrains, de l’environnement auxquels ils se rapportaient. Nous avons voulu laisser
émerger les représentations développées par ces acteurs et conduisant leurs comportements, leurs
attitudes dans le cadre de leur métier et, plus spécifiquement, dans ses aspects liés à la violence ou
aux risques de violence du moins. Pour ce faire, nous avons préféré adopter une démarche
essentiellement inductive, nous contentant de baliser légèrement le cadre de notre recherche par
une certaine problématique, comme il a pu être fait démonstration précédemment. Par démarche
inductive, nous entendons la définition classique qui a pu être donnée par plusieurs auteurs, à
l’instar de Deslauriers, et qui peut se résumer par « un mode de collecte et d’analyse de données qui
a pour but de mettre au jour les éléments fondamentaux d’un phénomène et d’en déduire [sic], si
possible, une explication universelle »201. Cressey a développé la marche à suivre pour parvenir au
développement d’une démarche inductive dans une recherche en sciences sociales. Si nous ne
développerons pas toutes ces étapes en détails202, nous pouvons néanmoins en retenir les principes
essentiels dans la mesure où nous serons amenés à les employer plus tard dans ce mémoire. Cette
démarche implique la définition d’un phénomène étudié ainsi que la formulation d’une hypothèse
provisoire visant à l’expliquer. Cette hypothèse est éprouvée et affinée, voire reformulée
complètement, jusqu’à ce que l’ensemble des cas négatifs puissent être inclus dans cette hypothèse
et expliqués par celle-ci. En somme, il s’agit de développer, par étape, des propositions explicatives
entre chaque composante d’un phénomène détaillé de façon exhaustive. Le résultat final, si la
démarche a correctement été maîtrisée et transposée dans la recherche, devrait être la formulation
d’une explication hypothétique du phénomène à l’étude, explication vérifiée par son processus
même de création dans le sens où elle a émergé des données empiriques étudiées et où elle parvient
à englober celles-ci dans leur ensemble et à leur donner une portée, a priori, universelle203.
Le choix de cette démarche est délibéré et découle de la conviction que, au regard de la
faiblesse des connaissances accumulées sur le sujet des réactions des pharmaciens d’officine aux
risques de violence, nous ne pouvions prétendre à constituer un cadre théorique suffisamment
éprouvé et cohérent pour diriger notre recherche. Le risque aurait été grand de nous donner un
semblant de cadre théorique formulé à partir d’un nombre très restreint de théories et pour
201
DESLAURIERS, Jean-Pierre, « L’induction analytique » dans POUPART, Jean (ed) & al., « La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques », Gaëtan Morin, 1997, p.295-296. 202
SUTHERLAND, Edward Hardin & CRESSEY, Donald Ray & LUCKENBILL, Daniel F., “Principles of criminology”, Rowman & Littlefield, 1997, p.82-83. 203
DESLAURIERS, Jean-Pierre, op.cit., p.297-299.
60
lesquelles nous n’aurions pu déterminer le caractère approprié ou non. Il en aurait découlé alors,
vraisemblablement, une mise en forme a priori de notre terrain et de nos objets de recherche qui
aurait entrainé une occultation de dimensions et d’aspects que nous aurions été incapables
d’anticiper. Dans un autre registre, mais constituant un danger tout aussi important pour l’intégrité
scientifique de notre recherche, il aurait été hasardeux de notre part de nous inscrire uniquement
dans le prolongement des différentes études empiriques et statistiques réalisées par des acteurs
politiques ou corporatifs telles que celles mobilisées dans les premières parties de notre recherche.
Une adhésion trop prononcée à ces recherches aurait pu induire le risque que notre méthodologie et
notre épistémologie en viennent à se calquer totalement, ou du moins fortement, sur celles
adoptées par les auteurs de ces études. Si nous ne dénigrons nullement la nature scientifique des
méthodes mobilisées dans ces études, il nous faut néanmoins prendre en compte le fait que celles-ci
s’inscrivent dans certaines optiques institutionnelles qui constituent des points de vue d’acteurs à
part entière. Dès lors, leur mobilisation sans distanciation critique pourrait induire certains transferts
pouvant biaiser ou, du moins, orienter notre recherche. Glaser et Strauss avaient été les premiers à
évoquer la possibilité d’une contamination d’une analyse par des concepts issus de théories qui ne
conviendraient pas, ou peu204. Les auteurs indiquaient que certains emprunts théoriques étaient
possibles, y compris lors des premiers temps de l’analyse où le travail de conceptualisation et de
constitution des catégories analytiques est réalisé, mais s’accompagnaient de la possibilité de
manquer l’identification de nouvelles propriétés et de créer des catégories analytiques ne
correspondant pas entièrement aux données récoltées205. Ainsi, selon eux,
« As he discovers new categories, the sociologist realizes how few kind of behaviors can be coped with
by many of our concepts, straying out of traditional research areas into the multitude of substantive
unknowns of social life that never have been touched. »206
Dès lors, ils pronostiquaient de faire usage de la théorie déjà existante et de ne l’intégrer dans
l’ensemble d’observations et d’hypothèses constituées qu’à partir du moment où elle « émerge » et
qu’elle convienne à l’ensemble des propriétés et des catégories issues des données207. A l’instar de
ces auteurs, nous optons également pour une émergence de sens à partir des données empiriques
abordée dans une perspective d’ouverture et d’orientation théorique indéfinie, cela afin de nous
donner les meilleures chances d’en appréhender au mieux la diversité.
Nous avons préféré laisser la liberté aux acteurs de terrain de livrer leurs connaissances
relatives à leurs représentations des risques de violence et à leurs comportements face à ceux-ci.
Outre que la richesse des connaissances ainsi mises au jour serait bien plus importante que dans le
cadre d’une démarche hypothético-déductive, et que le risque de biais provenant d’études
épistémologiquement orientées et non-neutres serait moindre, la démarche inductive présenterait
selon nous l’avantage supplémentaire de permettre une mise en forme, une mise en cohérence
progressive des données au fur et à mesure de leur récolte. En faisant émerger progressivement des
tendances, des régularités parmi les données récoltées, la démarche inductive nous aurait permis de
ne pas forcer l’analyse des données dans un sens théorique bien précis, déterminé préalablement à
l’étude du terrain et de l’objet de recherche. Ainsi, cette démarche offrirait deux potentialités
204
GLASER, Barney G. & STRAUSS, Anselm L., “The discovery of grounded theory: strategies for qualitative research”, Aldine Publishing Company, 1979, p. 37. 205
Ibid., p.36-38. 206
Ibid., p. 38. 207
Ibid., p.40-42.
61
intéressantes pour le type de recherche que nous souhaitons conduire. Premièrement, elle
permettrait de laisser émerger des données dont nous ne pouvons a priori cerner les limites. Il nous
est impossible, même avec une mobilisation extensive des données disponibles sur la sécurité des
pharmaciens d’officine ou d’autres professions présentant certaines similitudes avec celle-ci, de faire
ressortir un nombre suffisant de caractéristiques et de dimensions pour arriver à une
prédétermination relativement complète de notre objet de recherche. Deuxièmement, elle
permettrait la constitution progressive d’un ensemble théorique approprié, émergeant des données
empiriques, permettant d’expliquer les tendances ayant émergé des données récoltées. En ce sens,
elle permettrait de définir a posteriori les théories les plus cohérentes et les plus adaptées à la
compréhension de l’objet de recherche à l’étude, ce qui est hautement nécessaire dans notre cas.
C. Etablissement du protocole de recherche :
1. Choix de l’échelle de la recherche :
Afin de pouvoir réaliser notre recherche sur les stratégies mobilisées par les pharmaciens
d’officine face aux risques de violence, ainsi que sur les représentations sous-jacentes de ces risques,
nous avons dû constituer un protocole de recherche précis ayant impliqué plusieurs difficultés
méthodologiques. La première difficulté méthodologique a été de déterminer le niveau auquel serait
menée notre recherche, la détermination de celui-ci conditionnant de facto le terrain d’observation
que nous aurions à investiguer par la suite. S’il était manifeste, pour des raisons de faisabilité et de
moyens, que cette recherche ne pourrait être réalisée à trop grande échelle, le choix du niveau
auquel elle serait réalisée demeurait relativement étendu. En effet, plusieurs unités géographiques,
d’échelles différentes, pouvaient être utilisées comme zones délimitant notre terrain de recherche,
sans que ne soient affectées les conditions de faisabilité de notre recherche. Ainsi, le choix de
conduire notre recherche à l’échelle des Régions, des arrondissements judiciaires, d’un ensemble de
communes, d’une commune spécifique ou de quartiers appartenant à une ou plusieurs communes
s’est imposé à nous. Ce choix n’est en aucun cas trivial car il charrie de nombreuses implications pour
la recherche, tant en termes de qualités des données récoltées qu’en termes de possibilité
d’inférences des résultats obtenus. Bromberger nous donne un aperçu des différents enjeux
épistémologiques liés au choix de l’échelle de l’objet et de la recherche dans son analyse historique
de l’évolution de la question de l’échelle dans l’ethnologie en France, soulignant que chaque
changement d’échelle s’accompagne également d’un changement d’optique, le type d’analyse
réalisé sur l’objet se transformant radicalement.208
2. Justifications empiriques et théoriques de notre choix d’échelle :
Nous avons fait le choix, pour plusieurs raisons, de situer notre recherche à l’intérieur de la
Région de Bruxelles-Capitale. La raison la plus évidente est également la raison la moins motivée sur
208
BROMBERGER, Christian, « Du grand au petit. Variations des échelles et des objets d’analyse dans l’histoire récente de l’ethnologie de la France », dans CHIVA, Isac & JEGGLE, Utz (dir), « Ethnologies en miroir. La France et les pays de langue allemande », Editions de la Maison des sciences de l’Homme, 1987, p.67-94.
62
le plan théorique, car elle procède des contraintes physiques et organisationnelles qui s’imposaient à
nous et avec lesquelles nous avons dû composer. Nous trouvant face à la difficulté de pouvoir assurer
de longs déplacements en dehors de Bruxelles et de pouvoir assurer une présence suffisante dans
d’autres endroits de la Belgique pour récolter une quantité suffisante de données, il nous est apparu
préférable de conduire notre recherche au sein de cette Région. Ce choix ne procède cependant pas
entièrement des contraintes ayant pesé sur notre recherche. En effet, comme il a été fait la
démonstration dans les premières parties de notre recherche, la Région de Bruxelles-Capitale nous
est rapidement apparue comme étant une zone géographique au sein de laquelle les faits de
violence à l’égard des pharmaciens d’officine semblaient relativement nombreux en nombre absolu,
laissant penser que la perception des risques d’en être un jour victime développée par les
pharmaciens de cette Région pouvait être relativement importante. En sus de cette justification
formulée à partir de nos observations personnelles, plusieurs autres justifications théoriques et
empiriques peuvent être formulées quant au choix de la Région de Bruxelles-Capitale comme
« méta-unité de recherche ».
Sur le plan empirique, plusieurs études, principalement réalisées dans le contexte américain,
ont souligné la propension des villes, et particulièrement des grandes villes, d’être sujettes à des
niveaux importants de vols à main armée. D’aucuns ont souligné ce caractère urbain du vol à main
armée en mettant en exergue le fait que les six plus grandes villes américaines concentraient jusqu’à
un tiers du total des vols à main armée ayant cours aux Etats-Unis, présentant une corrélation nette
entre la taille des villes et le taux de vols à main armée209. L’auteur américain Cooks, à l’origine de
plusieurs études sur les facteurs influençant les taux de vols à main armée aux Etats-Unis, a mis en
évidence l’influence de la densité de population sur les taux de vols à main armée210, désignant ce
phénomène criminel comme étant « urbain par essence »211. D’autres auteurs américains ont appuyé
cette thèse d’une influence de facteurs démographiques et géographiques sur les taux de vols à main
armée, soulignant que près de 96% des vols à main armée survenaient au sein de zones
métropolitaines, c’est-à-dire au sein de territoires accueillant plus de 50.000 habitants212, et que la
grande majorité des petites villes de moins de 10.000 habitants échappaient totalement ou quasi
totalement à ce phénomène.213 Bien que ce type d’étude soit bien moins répandu en Europe qu’aux
Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon, certains auteurs ont également concouru à la défense de
la thèse d’un lien entre démographie urbaine et taux de vols à main armée dans le contexte des Etats
européens. Ainsi, analysant la distribution de la criminalité entre plusieurs provinces italiennes,
certains auteurs ont également établi l’existence d’apparentes fortes corrélations entre
l’urbanisation, la densité de population et les taux de vols à main armée214. Ce premier ensemble
d’études nous a convaincu que le choix de Bruxelles-Capitale, en tant que Ville-Région, pour étudier
les conséquences des faits de violence à l’égard des pharmaciens d’officine était empiriquement
fondé, les grandes villes semblant présenter un nombre de faits de violence plus élevé que dans des
209
HAGAN, Frank E., “Introduction to criminology: theories, methods, and criminal behavior”, SAGE Publications, 2012, p.229. 210
COOK, Philip J., “Robbery in the United States: an analysis of recent trends and patterns”, National Institute of Justice, 1983, p.11-12. 211
Ibid., p.11. 212
Federal Bureau of Investigation, “Crime in the United States 2004. Uniform Crime Reports”, 2004, p.32. 213
Ibid., p.34. 214
SOLIVETTI, Luigi M., “Old and new criminality: territory, society and immigration in Italy”, in CANEPPELE, Stefano & CALDERONI, Francesco (eds), “Organized crime, corruption and crime prevention: essays in honor of Ernesto U. Savona”, Springer Science and Business Media, 2013, p.105-107.
63
villes de moindre importance. Si Bruxelles-Capitale s’inscrit bien dans cette tendance, il se pourrait
bel et bien que la propension des pharmaciens d’officine y travaillant soit relativement plus
importante, rendant dès lors le terrain a priori plus riche en termes d’expériences vécues et
d’appréhensions des risques de faits de violence par les acteurs de terrain.
Certaines théories viennent confirmer ces observations de nature exclusivement empiriques.
Si certains sociologues ont rejeté la théorie d’une association entre criminalité et taille de population,
d’autres ont, au contraire, suivi cette théorie et ont entrepris d’en démontrer la validité. Au regard
du volume d’études réalisées à partir de cette théorie, nous n’en citerons que quelques-unes à des
fins illustratives et, surtout, afin d’offrir une base de justification théorique à notre choix de
Bruxelles-Capitale comme « méta-unité de recherche » pour mettre à l’épreuve notre question de
recherche. Etudiant le phénomène d’urbanisation aux Etats-Unis dans le courant des années 1930,
Wirth soutenait déjà que certaines propriétés de ce phénomène pouvaient influer fortement sur les
modes de vie de chacun et sur les rapports sociaux se nouant entre individus215. Ainsi, la taille de la
population, de même que la densité de population et l’hétérogénéité sociale tendent, selon lui, à agir
de concert pour transformer radicalement le mode d’interaction et les rapports sociaux traditionnels
liant les individus216. Ces transformations des structures sociales et des modes d’interaction
traditionnels s’accompagnent de nouveaux comportements collectifs et d’évolution des consciences
pour nombre de nouveaux citadins. Face à un affaiblissement des mécanismes de solidarité
traditionnels ainsi que de mécanismes de contrôle institutionnels, et à de nouveaux types de
problèmes d’ordre social ou économique, certaines franges de la population citadines pourraient se
voir contraintes à de nouvelles formes de collaborations afin d’œuvrer dans leur intérêt et
pourraient, entre autres, être amenées à la déviance et au crime dans des proportions bien plus
grandes qu’en milieu rural217. Shaw, dans une perspective plus expérimentale, s’est inscrit dans la
continuité de la réflexion théorique de Wirth. Plus spécifiquement, cet auteur a tenté de déterminer,
au travers d’une étude sur la criminalité au Minnesota, si les taux de criminalité enregistrés
pouvaient être liés à certaines caractéristiques démographiques218. A l’issue de son étude de 87
comtés de cet Etat, Shaw concluait que les comtés les plus peuplés et les plus urbanisés tendaient
également à présenter des taux de criminalité plus importants219. Braithwaite avait également
soutenu sur le plan théorique, et démontré empiriquement, une thèse similaire voulant que la taille
d’une ville soit proportionnelle à son taux de criminalité enregistré220. En mettant en avant divers
facteurs propres à la vie en milieu urbain, tels que l’anonymat des individus et le faible degré de
contrôle social interindividuels221, Braithwaite est parvenu à la conclusion théoriquement motivée et
empiriquement démontrée que les Etats et les villes les plus peuplés semblaient enregistrer des taux
de criminalité plus élevés qu’ailleurs222.
215
WIRTH, Louis, « Urbanism as a way of life », The American Journal of Sociology, Vol.44, N°1, 1938, p.1-3. 216
Ibid., p.10-18. 217
Ibid., p.22-23. 218
SHAW, Van B., “Relationship between crime rates and certain population characteristics in Minnesota counties”, Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.40, N°1, 1949, p.43. 219
Ibid., p.45-49. 220
BRAITHWAITE, John, “Population growth and crime”, Australian & New Zealand Journal of Criminology, 1975, p.57-58. 221
Ibid., p.57. 222
Ibid., p.58-60.
64
3. Sélection des terrains de recherche :
Au-delà de la détermination de cette « méta-unité de recherche » dans lequel allait se tenir
notre recherche, nous avons dû déterminer avec plus de précision les différents lieux à partir
desquels seraient prélevées nos données empiriques. Si, dans un premier temps, nous avons songé à
couvrir l’ensemble des communes de la Région-Bruxelles Capitale afin d’obtenir des résultats
reflétant la diversité d’expériences et de points de vue des pharmaciens d’officine de cette Région,
cette possibilité fut rapidement écartée. Les faits de violence à l’égard des pharmacies d’officine et
de leur personnel n’étant certainement pas distribués de façon relativement égale parmi les
différentes communes de la Région, voire même entre différents quartiers d’une même commune, la
volonté de couvrir l’ensemble du territoire de la Région Bruxelles-Capitale se justifiait difficilement.
Un risque corrélatif à la volonté de couvrir l’ensemble de la Région était de multiplier la probabilité
d’obtenir des points de vue « non-pertinents », ou du moins complètement étrangers à notre sujet
de recherche, en incluant un grand nombre de pharmaciens d’officine qui ne se seraient pas sentis
concernés par les risques de violence ou qui n’en auraient jamais fait l’expérience concrète. Si nous
ne nous sommes pas positionnés dans l’optique de récolter des expériences et des points de vue
intrinsèquement liés à la violence subie et aux risques de violence, désirant au contraire confronter
une grande variété de points de vue divergents, nous ne pouvions prendre le risque de sélectionner
au hasard des acteurs de terrain sur le seul critère de leur appartenance à une commune de la
Région de Bruxelles-Capitale, le risque étant trop grand, par cela, que nous portions atteinte à la
diversité à l’intérieur de notre échantillonnage.
Pour tenter d’atténuer ce risque, nous avons décidé de procéder à une sélection des
pharmacies devant intégrer notre échantillon en deux étapes, allant vers un degré de sélectivité et
de précision de plus en plus important. Nous avons décidé de recourir à certains indicateurs
socioéconomiques et démographiques pour lesquels plusieurs instituts bruxellois ont accumulé et
compilé des données. Parmi l’ensemble des indicateurs disponibles nous avons choisi deux
indicateurs socioéconomiques, à savoir les revenus médians par déclaration de ménage223 et la part
des 18-64 bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale224, ainsi qu’un indicateur démographique à
savoir la densité de population par commune et par quartier225. Si nous ne nous situons pas dans un
raisonnement étiologique ou déterministe où ces facteurs constitueraient des éléments
conditionnant la commission de faits délictueux et de faits de violence à l’égard des pharmacies,
nous pensons néanmoins que ces indicateurs sont susceptibles de nous permettre de resserrer notre
sélection des terrains de recherche afin d’inclure des terrains présentant des situations
socioéconomiques et sociodémographiques contrastées, mais également des situations où des
facteurs pouvant influer sur le passage à l’acte délinquant sont présents. Si les enseignements de
Wirth laissaient déjà présager les théories de la désorganisation sociale et, plus généralement, à
l’ensemble des théories appartenant à l’Ecole de Chicago et se rapportant à l’étude des déterminants
223
Observatoire de la santé et du social Bruxelles, «Table ronde rapport pauvreté 2014. 3 mars 2015. Baromètre social 2014 », 2015, p.15. 224
Institut Bruxellois de Statistique et d’analyse, « Part des 18-64 ans bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale 2007 (%) », consulté en ligne le 12/07/2015 sur https://monitoringdesquartiers.irisnet.be/maps/statistiques-revenus-bruxelles/condition-sociale-region-bruxelloise/part-18-64-ans-revenu-integration-sociale/0/2007/ 225
Idem, « Densité de population 2012 (hab/km²) », consulté en ligne le 12/07/2015 sur https://monitoringdesquartiers.irisnet.be/maps/statistiques-population-bruxelles/densite-region-bruxelloise/densite-de-population/1/2012/
65
socio-économiques de la criminalité, c’est véritablement Shaw et McKay à qui l’on doit la formulation
de la première théorie d’ensemble à ce sujet. Fondant leur étude de référence sur la délinquance
juvénile dans les espaces urbains, les deux auteurs notaient l’existence d’une relation apparente
entre précarité socioéconomique et criminalité, en soutenant en ces termes que
“It may be observed, in the first instance, that the variations in rates of officially recorded delinquents
in communities of the city correspond very closely with variations in economic status. The communities
with the highest rates of delinquents are occupied by those segments of the population whose position
is most disadvantageous in relation to the distribution of economic, social, and cultural values. Of all
the communities in the city, these have the fewest facilities for acquiring the economic goods indicative
of status and success in our conventional culture.”226
Afin d’expliquer ce phénomène, Shaw et McKay ont soutenu l’existence de systèmes de valeurs et
de modes de socialisation, ou d’organisation sociale plutôt, à l’œuvre dans différentes communautés
au sein d’un même cadre urbain227. Si dans certaines communautés sociales la conjonction de ces
systèmes de valeurs et de ce mode d’organisation sociale inhibent les comportements délictueux,
dans d’autres l’effet est inverse228. En dépit de l’ancienneté de cette théorie, plusieurs auteurs ont
successivement entrepris d’en revérifier les postulats et les principaux aspects, assurant ainsi son
enrichissement scientifique et sa longévité229. Merton, dans sa théorie de l’anomie, a soutenu
également que la situation socioéconomique d’un individu pouvait influer sur sa propension à
développer des comportements déviants, tout en soutenant cependant qu’elle ne constituait qu’une
variable parmi un ensemble interdépendant de variables sociales et culturelles230. A ce titre, Merton
soulignait l’importance pour les sociologues de ne pas se laisser tenter par des explications simplistes
et étiologiques des corrélations entre pauvreté et criminalité, soutenant que
“Poverty as such, and consequent limitation of opportunity, are not sufficient to induce a conspicuously
high rate of criminal behaviour. Even the often mentioned “poverty in the midst of plenty” will not
necessarily lead to this result. Only insofar as poverty and associated disadvantages in competition for
the culture values approved for all members of the society is linked with the assimilation of a cultural
emphasis on monetary accumulation as a symbol of success is antisocial conduct a “normal” outcome.
[…] It is only when the full configuration is considered, poverty, limited opportunity and a commonly
shared system of success symbols, that we can explain the higher association between poverty and
crime in our society than in others where rigidified class structure is coupled with differential class
symbols of achievement.”.231
Forts de ces enseignements nous avons sélectionné, dans cette première étape fondée sur la
triangulation des données obtenues grâce à ces indicateurs, quatre communes bruxelloises
présentant des situations contrastées en termes de niveaux de revenus, d’intégration sociale et de
densité de la population. Ces communes peuvent être classées en différentes catégories selon nous.
226
SHAW, Clifford R. & MCKAY, Henry, D., “Juvenile delinquency in urban areas” in CULLEN, Francis T. & AGNEW, Robert (eds), “Criminology theory: past to present. Essential readings. Fourth edition”, Oxford University Press, 2011, p.99. 227
Ibid., p.99-104. 228
Ibid., p.103-104. 229
CULLEN, Francis T. & AGNEW, Robert, “The Chicago School: the city, social disorganization, and crime” in CULLEN, Francis T. & AGNEW, Robert (eds), “Criminology theory: past to present. Essential readings. Fourth edition”, Oxford University Press, 2011, p.91-93. 230
MERTON, Robert K., “Social structure and anomie”, American Sociological Review, Vol.3, N°5, 1938, p.680-681. 231
Ibid., p.681.
66
Dans une première catégorie nous pouvons retrouver les communes où se concentrent un nombre
important d’habitants et qui présentent, en majorité, une situation socio-économique relativement
précaire, les indicateurs socioéconomiques indiquant qu’une part importante de la population
bénéficient de revenus d’intégration sociale et que les revenus médians sont faibles. Nous avons
sélectionné, parmi ces communes, les communes de Molenbeek-Saint-Jean et d’Anderlecht. Si
d’autres communes s’offraient à notre choix et auraient également pu être sélectionnées afin
d’isoler des terrains de recherche précis, nous avons fait le choix de ces deux communes
spécifiquement par un mélange d’hasard et d’une relative connaissance de certaines parties de ces
communes. S’il y a indéniablement une part d’arbitraire dans le choix des communes, même s’il est
aiguillé par l’usage d’indicateurs précis, nous l’assumons et le signalons d’emblée comme limite
potentielle à notre procédure de sélection. La deuxième catégorie de commune ne contient qu’une
seule commune dont l’importance est centrale, tant en raison de son positionnement géographique
qu’en raison de ses propriétés socio-économiques et sociodémographiques. Il s’agit de la commune
de Bruxelles-Ville dont nous ne pouvions faire abstraction pour les raisons précédemment évoquées.
Cette commune a la particularité de présenter des situations très contrastées entre ses différents
quartiers, contenant tant des quartiers que l’on pourrait qualifier de « huppés » ou de quartiers
riches, que des quartiers que l’on pourrait qualifier de défavorisés ou de quartiers pauvres, au regard
des valeurs affichées par nos indicateurs. Ces valeurs extrêmement inégales témoignent de
l’existence de situations très différentes pour les acteurs, pouvant se traduire, a priori, par des
représentations subjectives contrastées. La dernière catégorie de communes ne regroupe également
qu’une seule commune dont les indicateurs témoignent d’un niveau de richesse et d’une qualité de
vie relativement élevée sur la très grande partie de son territoire. Il s’agit de la commune d’Ixelles
que nous avons sélectionné afin de constituer un groupe de pharmaciens d’officine expérimentant, a
priori, des conditions de travail et des rapports aux risques de violence plus avantageux que ceux
expérimentés par les groupes issus des autres communes sélectionnées, faisant office de groupe
contrôle dans notre recherche.
La seconde étape de la sélection de nos terrains de recherche a nécessité un degré de
précision plus important, dans la mesure où il s’agissait, dans ces quatre communes, de sélectionner
les pharmacies d’officine au sein desquelles nous réaliserions les entrevues avec le personnel
officinal. Nous avons également tenté de suivre, dans la mesure du possible, les valeurs affichées par
nos trois indicateurs pour les différents quartiers de ces communes. Si ces indicateurs ont pu,
pendant un temps, nous permettre d’isoler certains quartiers potentiellement intéressants au regard
de leur situation socio-économique et sociodémographique, cette méthode a rapidement rencontré
des limites dans son application concrète. En effet, ayant constitué des listes de pharmacies
d’officine potentiellement intéressantes à étudier dans différents quartiers et ayant tenté
d’interroger les pharmaciens y travaillant, nous avons été rapidement confronté à un nombre de
refus important ayant comme conséquence immédiate de rendre ces listes inutiles, ne pouvant les
suivre dans leur ensemble et ne pouvant en garantir la cohérence d’ensemble. En conséquence du
fait que cette partie de notre protocole de constitution de notre échantillon n’ait pas fonctionné tel
que nous le désirions, nous avons été contraints d’innover. A partir des adresses que nous avions
isolées dans un premier temps, et où nos demandes d’entrevue avaient été déclinées par le
personnel officinal, nous avons entrepris de rechercher d’autres pharmacies d’officine dans des
quartiers connexes en procédant par une visite de ces quartiers en suivant des cercles concentriques.
Chaque pharmacie rencontrée était notée et une demande d’entrevue était adressée au personnel y
67
travaillant. Cet exercice était répété jusqu'à ce que le personnel officinal de l’une de ces pharmacies
accepte notre demande d’entrevue ; dans ce cas nous considérions que nous avions obtenu des
données exploitables pour le quartier originellement visé, à moins que notre procédé alternatif de
sélection ne nous ait contraints à trop nous en éloigner, et que ces données étaient représentatives
de la réalité vécue par les pharmaciens d’officine de ce quartier. Ce procédé a été appliqué tout au
long du processus de sélection des pharmacies d’officine constituant notre échantillon d’étude et n’a
pas connu de défauts majeurs en dépit de son caractère très improvisé et l’incertitude qu’il
impliquait.
4. Caractéristiques de l’échantillon constitué :
Notre échantillon d’étude a présenté, dans sa version définitive, les caractéristiques
suivantes. Douze pharmacies d’officine ont été sélectionnées parmi les quatre communes choisies
dans la Région Bruxelles-Capitale. Parmi ces douze pharmacies d’officine trois provenaient de
différents quartiers de la commune d’Ixelles, deux provenaient de la commune de Molenbeek-Saint-
Jean, de même que deux provenaient de la commune d’Anderlecht. Les cinq pharmacies restantes
provenaient de différents quartiers de la commune de Bruxelles-Ville. Comme nous le précisions
précédemment, nous avons veillé à ce que chaque pharmacie d’officine sélectionnée appartienne à
un quartier en particulier. Nous avons veillé à ne pas interroger des pharmaciens issus de mêmes
quartiers, cela afin d’éviter les répétions d’expériences ou de faits ayant concerné tout un quartier et
le risque de données trop similaires. Les pharmacies sélectionnées ne sont dès lors pas issues de
quartiers proches les unes des autres et présentent toutes une distance importante entre elles. Le
nombre de pharmacies sélectionnées par commune répond tant à une limite pratique qu’à un
raisonnement fondé sur certains paramètres sociodémographiques. En effet, au vu de notre temps
limité pour constituer notre échantillon et réaliser nos entrevues, ainsi qu’en raison de l’important
nombre de refus d’entrevue que nous nous sommes vus signifier, nous avons préféré nous limiter à
un nombre total d’entrevues relativement restreint. Nous avons néanmoins tenté de répartir ces
entrevues entre les différentes communes sélectionnées en fonction de leur poids démographique
relatif, bien que cette règle n’ait pas été appliquée de manière stricte. Cette règle a surtout été
d’application dans la constitution du contingent de pharmacies d’officine de la commune de
Bruxelles-Ville, dans la mesure où nous avons veillé à ce qu’un plus grand nombre de pharmacies
appartenant à cette commune soit inclus dans notre échantillon. En ce qui concerne les trois autres
communes, celles-ci étant d’un poids démographique relativement similaire et d’une importance
égale à nos yeux, nous avons tâché de maintenir un équilibre entre leurs contingents respectifs de
pharmacies d’officine, le nombre de pharmacies appartenant à la commune d’Ixelles étant
relativement proche de celui appartenant aux communes d’Anderlecht et de Molenbeek-Saint-Jean
combinées. La taille relativement plus importante du contingent de la commune d’Ixelles s’explique
principalement par le fait qu’il occupe la fonction de contingent de contrôle, les pharmacies
d’officine s’y trouvant, évoluant dans un environnement socioéconomique et démographique
radicalement différent de ceux s’appliquant aux pharmacies des autres contingents et devant donc, a
priori, générer des résultats forts différents de ceux qui seront obtenus pour les autres contingents.
En nous basant sur la typologie des officines faisant autorité dans le secteur pharmaceutique232, nous
avons choisi de nous focaliser uniquement sur les pharmacies de quartier et de centre-ville, à
232
CHARLAS, Cédric, « Le guide de l’officine de pharmacie. Management », Publibook, 2009, p.21-22.
68
l’exclusion des pharmacies de centre-commercial qui constituent un cas particulier au regard de leur
taille et de leur implantation dans une vaste structure commerciale.
Au niveau du nombre et des caractéristiques des pharmaciens d’officine faisant partie de cet
échantillon, nous nous sommes donné comme consignes de base d’interroger un pharmacien, ou
membre du personnel officinal au sens large, par pharmacie sélectionnée, de même que nous
souhaitions conserver des proportions relativement égales entre hommes et femmes. Ces deux
consignes, en dépit de leur simplicité apparente, ont posé rapidement d’importants problèmes qui
nous ont suivis tout au long de la constitution de notre échantillon. Premièrement, il s’est
rapidement avéré que les pharmaciens d’officine ayant accepté de donner suite à notre demande
d’entrevue ne constituaient pas des acteurs dépourvus de revendications relatives au déroulement
des entrevues et acceptant, d’emblée, de se plier au pouvoir de l’enquêteur de définir les règles de
l’entrevue. Ainsi il est arrivé que, dans plusieurs cas, les pharmaciens d’officine interrogés fassent
intervenir d’autres membres du personnel officinal dans le cadre de l’entrevue ou que ces derniers
entrent, eux-mêmes, dans l’entrevue en cours en prenant l’initiative d’intervenir ou de répondre à
une question qu’ils avaient entendue. Ainsi, à titre d’illustration, l’assistante pharmacienne avec qui
nous avions convenu notre première entrevue nous imposa, de facto, la participation de son collègue
à l’entrevue en lui proposant de venir y assister et de répondre également aux questions. Au final, au
lieu des douze pharmaciens d’officine ou autre membre du personnel officinal que nous avions
initialement prévus d’interroger, nous en avons interrogé trois de plus, quoiqu’à des niveaux très
inégaux de participation, portant le nombre total de personnes interrogées à quinze.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’équilibre relatif entre les sexes au sein de notre
échantillon, la difficulté est venue du fait que nous ne pouvions pas connaitre le sexe de la personne
susceptible de répondre à nos questions avant d’entrer dans la pharmacie d’officine. De plus, la
possibilité existait également que la personne à qui nous demandions une entrevue accepte notre
demande mais se fasse remplacer par un ou une collègue à la dernière minute à cause d’une tâche
urgente à effectuer ou, comme nous en faisions mention précédemment, qu’elle se fasse
accompagner par quelqu’un d’autre. Dès lors nous n’avons eu que peu de contrôle sur cette variable
au sein de notre échantillon, nous contentant d’essayer au maximum de renverser les déséquilibres
entre les proportions de chaque sexe lorsque ceux-ci menaçaient de trop se creuser, avec le peu de
contrôle dont nous disposions pour ce faire. Au final nous sommes parvenus à un quasi équilibre
entre proportions d’hommes et de femmes au sein de notre échantillon, celui-ci se composant de
sept hommes et de huit femmes. Le même type de difficulté s’est posée lorsque nous avons envisagé
la variable des différents statuts. Si nous avions pleinement conscience que le personnel officinal se
répartissait entre différents statuts professionnels, allant de l’assistant pharmacien au pharmacien
titulaire, il nous aurait été difficile, voire impossible, de contrôler les proportions de personnes
interrogées appartenant aux différents statuts existants. En effet, au regard des rapports de
collaboration relativement difficiles à mettre en place entre nous et les pharmaciens abordés, nous
ne trouvions pas en position pour imposer de telles conditions, et pour requérir de pouvoir
interroger un profil bien précis de membre du personnel de l’officine. Bien souvent d’ailleurs, les
entrevues réalisées n’ont pu l’être que grâce à la délégation de tâches par le pharmacien interrogé à
ses employés subordonnés, les assistants pharmaciens prenant à leur charge la gestion de la
pharmacie pendant la durée de l’entrevue. Néanmoins, la répartition des statuts au sein de notre
échantillon ne souffre pas de profonds déséquilibres ; en effet, nous sommes parvenus à rassembler,
sur les quinze personnes interrogées, huit pharmaciens titulaires, deux gérants et cinq assistants
69
pharmaciens. Soit au final, si nous resserrons les catégories ainsi constituées, huit pharmaciens
titulaires/propriétaires et sept employés, de statuts différents cependant.
70
IV. Analyse des données empiriques:
Cette seconde partie de notre mémoire sera consacrée à l’analyse des données issues des
différentes entrevues réalisées auprès de pharmaciens d’officine de la Région Bruxelles-Capitale,
selon la méthodologie que nous avons détaillée précédemment. Cette partie se décomposera en
différents grands points que nous allons rapidement introduire ici à des fins de clarté. Si ces
différents points nous amènerons à aborder de nombreux éléments forts différents les uns des
autres liés aux représentations et aux attitudes des pharmaciens par rapport aux risques de violences
et d’agressions, gardons à l’esprit que ceux-ci doivent nous permettre de mettre en exergue les
stratégies développées par les pharmaciens d’officine vis-à-vis de ces risques et les effets de celles-ci
sur leurs logiques et comportements professionnels. Cela étant dit, notre démarche de recherche
inductive nous amènera certainement à faire surgir des résultats connexes, plus ou moins liés à notre
question de recherche mais nous permettant d’enrichir notre compréhension des représentations
des risques de violence chez les pharmaciens.
Il en va ainsi particulièrement pour le contenu du premier grand point de notre analyse qui
portera sur les expériences de victimisation et sur les représentations des risques de violence au sein
de notre échantillon de pharmaciens d’officine. Bien que les données présentées dans ce premier
grand point ne permettent pas directement de répondre à notre question de recherche, elles offrent
néanmoins la possibilité d’explorer en détails les conceptions subjectives des risques de violence et
des figures de la violence créées par les pharmaciens d’officine, nous amenant ainsi à saisir celles-ci
au travers de la vision des acteurs du terrain grâce à leurs expériences et non plus seulement au
travers de statistiques. Une fois ces représentations établies et analysées, nous aborderons les
conséquences de ces risques de violence ainsi que les attitudes et comportements qui en dérivent
chez les pharmaciens d’officine. C’est au sein de ces différents points que nous trouverons les
stratégies développées par ceux-ci pour prévenir et répondre aux différents types de risques de
violence identifiés. Ainsi, le second grand point sera consacré aux diverses stratégies développées
par les pharmaciens d’officine à l’égard du principal type de violence identifié, à savoir le vol à main
armée, ainsi qu’aux différentes conséquences induites par ce type de violence sur les personnalités
des pharmaciens et sur leurs attitudes professionnelles. Nous tenterons de déterminer les
différentes manières de réagir vis-à-vis des risques de vol à main armée, ainsi que les possibles
transformations du mode d’interaction avec la patientèle des pharmacies d’officine que ces
différentes formes de réactions pourraient entraîner.
A. Victimisation et représentations des risques de violence :
1. L’évaluation de la profession de pharmacien d’officine en termes de risques de
sécurité :
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a. Une profession très exposée aux risques de violence :
Les pharmaciens d’officine interrogés dans le cadre de nos entrevues ont manifesté des
représentations divergentes de l’exposition de leur profession aux risques de violence et de la
dangerosité de celle-ci. Rapidement, de nombreux pharmaciens d’officine interrogés nous ont fait
part d’une conception générale de leur métier où les risques de violences et d’agressions occupaient
une position importante, voire centrale. Pour ces pharmaciens, le métier de pharmacien d’officine
n’est pas simplement considéré comme dangereux en soi, il est également comparé à d’autres
professions jugées moins exposées aux risques de violence, donnant lieu à une certaine
hiérarchisation de professions en termes d’exposition aux risques de violence, hiérarchisation où le
métier de pharmacien d’officine serait le plus exposé, ou du moins l’un des plus exposés. Interrogée
sur sa conception du métier de pharmacien d’officine sur le plan de la sécurité, Sylvie, assistante
pharmacienne dans la commune d’Ixelles, développe cette conception du métier de pharmacien
d’officine comme étant relativement plus exposé aux risques de violence que d’autres métiers :
Sylvie : « …Je ne sais pas…moyen. Par exemple, dans tous mes copains, dans tous les métiers de mon
entourage, des gens de mon âge…élevé. Si je me compare à des profs, si je me compare à…à un avocat
dans son cabinet, si je me compare à…dans mes copains, j’ai l’impression d’être une personne à risques
et je ne le vis pas toujours comme ça en même temps. ».
Jean, pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht, s’inscrit également dans cette
conception du métier de pharmacien d’officine comme un métier plus exposé aux risques de
violence ; interrogé, lui aussi, sur sa vision de son métier sur le plan de la sécurité, celui-ci nous
répond qu’il le considère :
Jean : « Comme l’un des métiers les plus dangereux… [rire] C’est triste mais euh…je crois que…avant
c’était stations-service, librairies et pharmacies, stations-service c’est fini parce que tout se fait de
manière automatique…et donc il reste pharmacies et librairies. Et d’après moi si on regarde les
statistiques ça fait partie des commerces les plus attaqués…donc on a un métier dangereux pour lequel
au départ on est pas du tout formé. »
Dans une perspective légèrement différente, certains pharmaciens ont également souligné
que l’exposition de leur métier aux risques de violence n’a fait que se renforcer au cours du temps,
rendant celui-ci de plus en plus dangereux pour ceux qui l’exercent. Evoquant ce renforcement des
risques de violence dans sa profession, Chantale, gérante de pharmacie dans la commune de
Bruxelles-Capitale, ne parvient néanmoins pas à y trouver une explication rationnelle :
Chantale : « Je pense oui que c’est un métier qui devient plus risqué, oui…oui mais je ne comprends
pas pourquoi, il n’y a pas plus d’argent chez nous que chez le boucher…le boucher ici plus loin il a
certainement des caisses plus importantes que moi le soir, mais je ne sais pas. »
a. Une relativisation de l’exposition de la profession aux risques de violence :
Ces trois pharmaciens précédemment cités convergent dans une conception de leur
profession où les risques de violence sont extrêmement prégnants, traduisant une réelle crainte de
faire l’objet de violence dans le cadre de l’exercice de leur métier. Cependant, d’autres pharmaciens
ont développé une conception de leur métier en termes d’exposition aux risques de violence plus ou
moins nuancée par rapport à la conception précédente. Ainsi, selon certains pharmaciens interrogés,
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le métier de pharmacien d’officine ne serait pas plus exposé aux risques de violence que d’autres
métiers, même si les risques de violence conservent toute leur réalité. Ces risques sont d’autant plus
réels que, en raison de la sécurisation d’autres cibles potentielles pour les délinquants et auteurs de
faits violents, la violence se déplacerait vers des cibles plus vulnérables telles que les pharmacies,
entre autres. Linh, pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville, explique cette
conception en ces termes :
Linh : « Non parce que libraire c’est le même problème. C’est des…c’est des petites pharmacies, des
petits commerces où il y a une personne ou deux qui…où il n’y a pas beaucoup de systèmes, enfin les
banques sont maintenant tellement sécurisées qu’il n’y a plus moyen alors ils visent les petits
commerces et ceux qui sont…il n’y a pas que les pharmacies, il y a tous les petits commerces, enfin les
petits commerçants…les « night shops » je suppose qu’ils ont des problèmes aussi donc…donc voilà. »
Dans le cadre de cette conception plus relativiste, plus nuancée que la conception plus
radicale que nous présentions dans sous-point précédent, le métier de pharmacien d’officine
s’accompagne toujours d’une forte exposition aux risques de violence mais uniquement parce qu’il
constitue une cible potentielle facilement atteignable, à l’instar de nombreux autres types de
commerces. Si ce métier est donc un métier qui demeure dangereux, il n’impliquerait pas une
quelconque spécificité qui le rendrait intrinsèquement plus exposé aux risques de violence.
D’autres pharmaciens ont encore été plus loin dans la relativisation de l’exposition de leur
métier aux risques de violence, s’écartant radicalement d’une représentation globale de la sécurité
de leur profession, et prenant appui sur leur seule expérience personnelle au sein de leur pharmacie.
Dans pareils cas, seule semble réellement importer l’expérience personnelle des risques de violence,
les pharmaciens concernés ne se prononçant pas explicitement sur la sécurité en général de leur
exposition ou sur l’exposition de cette dernière à des risques de violence. Même s’ils n’en font pas
mention explicitement, leur expérience personnelle de la violence et leur appréhension personnelle
des risques de violence semblent être les éléments réellement importants. Dans certains cas même,
ces pharmaciens semblent projeter leurs expériences des risques de violences et d’agressions sur la
profession dans son ensemble, considérant peut-être, implicitement, que ces expériences sont
représentatives de ce à quoi la majorité des pharmaciens d’officine est confrontée.
Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Bah moi je trouve que c’est
assez sûr [le métier de pharmacien], moi j’ai pas beaucoup de problèmes de sécurité, je vais vous dire
moi j’emploie pas de guichet de garde c’est déjà pour vous dire hein. »
S’il semble manifeste que la majorité des pharmaciens d’officine interrogés considère que
leur profession implique des risques certains de violence, il s’agit de nous intéresser à quoi cette
notion de violence renvoie. En effet, nous avons jusqu’à présent isolé certains types de faits
délictueux affectant les pharmaciens d’officine et les avons identifiés comme des risques de violence
auxquels ceux-ci étaient exposés, cependant nous avons réalisé cet exercice par le biais de méthodes
statistiques très éloignées du vécu des acteurs de terrain. Il s’agira maintenant d’analyser, au travers
des données issues des entrevues réalisées avec les pharmaciens d’officine, ce que ceux-ci identifient
subjectivement comme des risques de violence voire même, plus généralement, ce à quoi la notion
de violence renvoie chez eux.
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2. Le vol à main armée comme principale forme de violence expérimentée par les
pharmaciens d’officine :
Sans réel étonnement, la très large majorité des pharmaciens d’officine interrogés a désigné
le vol à main armée, le braquage, comme étant le principal type de violence auxquels les
pharmaciens étaient confrontés dans le cadre de leur métier. Spontanément, lorsque ceux-ci ont
abordé la place de la sécurité dans leur métier, les pharmaciens d’officine ont indiqué que le principal
risque de violence pesant sur leur établissement était celui du braquage, mentionnant également
souvent le fait qu’ils ont été victimes à répétition de braquages ou de tentatives de braquage. Ainsi, il
n’est pas inutile de mentionner le fait que, sur quinze membres du personnel officinal interrogés,
neuf ont indiqué avoir déjà fait l’objet d’un ou de plusieurs braquages ou de tentatives de braquage
au cours de leur carrière, confirmant l’importance que l’on devinait de ce type de violence. Dernière
observation relative à la victimisation de nos pharmaciens par des braquages, sur ces neuf personnes
deux d’entre elles ont rapporté avoir fait l’objet de violences physiques à l’occasion d’un braquage,
en laissant l’une d’entre elles dans une profonde détresse psychologique et en occasionnant des
blessures physiques permanentes pour l’autre. Pour la quasi-totalité des pharmaciens d’officine
interrogés, le braquage constitue donc la figure de la violence par excellence, celle-ci étant du moins
celle à laquelle ils font d’emblée référence et qui occupe le plus de place dans leurs récits. Dès les
premiers moments des entrevues, ces deux pharmaciens d’officine nous ont confié :
Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Ben c'est-à-dire que...malgré que le
quartier ait une très mauvaise réputation...je n'ai jamais eu aucun problème mais ces trois dernières
années j'ai quand même eu plusieurs braquages...donc c'est vrai que, mais c'est pas des gens du
quartier...donc c'est, mais comme c'est près de la Gare **** et que c'est une fuite assez facile...j'ai
quand même eu trois attaques assez, dont deux à main armée et une à l'arme blanche, donc ça, ça
refroidit un peu... »
Chantale [gérante de pharmacie dans la commune Bruxelles-Ville] : « Oui, ben moi je suis
retombée de haut, de très, très haut parce que j’ai…j’ai presque trente-cinq ans de carrière et…je…j’ai
été braquée deux fois, pour la première fois fin janvier, fin février. Auparavant, à la pharmacie où je
travaillais à Woluwe Saint-Pierre, on a été…on a été volé, enfin braqué oui, mais en pleine nuit. Une
voiture a foncé [une voiture bélier ?], oui une voiture bélier a foncé dans la vitrine et…évidemment c’est
un peu choquant mais ce n’est pas la même chose, on ne le vit pas de la même façon. »
Si tous n’ont pas été victimes d’un vol à main réussi, le risque demeure néanmoins bien
présent et s’impose d’une façon ou d’une autre aux pharmaciens de notre échantillon ; parfois sous
des formes triviales vues de l’extérieur, mais où le pharmacien peut néanmoins voir l’intention de
recourir au braquage. Ainsi, Ahmed, pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-
Jean, après avoir expliqué le développement des attaques de pharmacies d’officine dans son quartier
au cours des dernières années et souligné qu’il n’en avait pas été victime, ajoute :
Ahmed : « Une fois il y avait quelqu’un il…je, je regardais de l’autre côté il me dit « la caisse ! » et puis
je me retourne et je dis…moi je rigole, je dis « la caisse et bien il faut venir demain ou bien quelque
chose » [rire]…et puis, je sais pas s’il a essayé ou, je te jure…il est venu comme ça il m’a dit « la caisse »,
mais il n’avait rien dans ses mains, mais le ton de « la caisse » etcetera…et puis je me retourne je lui dis
« il faut revenir demain parce que maintenant elle est encore vide » ou je sais pas quoi…et puis, je sais
pas, il y a eu quelque chose qui se passe, et puis il sort et il me dit… « ouais mais Ahmed moi je rigole
avec toi », je lui dis « moi aussi je rigole avec toi », donc je ne sais pas si…moi j’avais l’impression qu’il a
essayé pour voir ma réaction…»
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a. Une crainte générale du braquage, y compris chez les pharmaciens n’en ayant jamais été
victimes :
Même pour les pharmaciens d’officine n’ayant jamais fait l’expérience d’une quelconque
forme de vol à main armée, la possibilité d’en être victime représente une réelle crainte pour ceux-ci.
Plusieurs pharmaciens interrogés ont souligné qu’en dépit du fait qu’ils n’aient jamais été confrontés
directement à un braquage ou à une tentative de braquage, ils considéraient cela comme un risque
réel avec lequel il fallait compter et qui, dans une certaine mesure, les préoccupait dans l’exercice
courant de leur métier.
Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Je touche du bois on n’a jamais
été braqués. Donc ça c’est le pire du pire parce qu’on…allez c’est notre crainte je pense à tous, parce
que c’est quand même beaucoup braqué les pharmacies. Mais comme on est sur une place on n’a
jamais été braqués. »
Félix [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais vous imaginez vous êtes
à deux heures, trois heures du matin et il y a quelqu’un qui arrive, il rentre et vous lui dites « ah non
moi je ne peux pas vous donner parce que vous n’avez pas la prescription », ou bien « je ne veux pas
vous donner ça » hein ? Sincèrement, il te colle derrière une armoire…tu peux courir hein. En plus vu la
quantité de pharmacies qui se font braquer, qui se font agresser, etcetera, parce qu’il y en a une
série…lui [son collègue] c’est « ça va », il est au pays des merveilles, jusqu’au moment que il se fera
cogner dedans…Regardez, l’autre pharmacie à Vilvoorde elle s’est faite braquer trois fois en un an !
Alors comment on peut…en plus deux fois c’était à main armée avec les gens dedans, tout le monde à
terre, avec des pistolets. Comment on peut avoir la…naïveté. Vous êtes d’accord avec moi ? Je ne veux
pas voir le mauvais partout, mais il y a un minimum… »
b. La diffusion de la crainte du vol à main armée par les expériences des collègues ou des
proches :
L’ensemble des pharmaciens d’officine interrogés a indiqué avoir eu connaissance
d’expériences de collègues ou de proches en lien avec les vols à main armée. Si certains pharmaciens
n’ont pas semblés particulièrement affectés par ces expériences, en particulier ceux ayant été eux-
mêmes déjà victimes de faits du même type, il n’en a pas été de même pour tous. Ainsi, tous les
pharmaciens d’officine n’ayant pas personnellement subi de vols ou de tentative de vols à main
armée ont néanmoins fait part des expériences de vols à main armée, souvent accompagnés de
violence physique grave, que des collègues ou des proches leur ont transmises. Dans pareils cas, les
collègues et de proches victimes ont semblé avoir joué le rôle de vecteurs de diffusion de la crainte
de ce type de violence parmi les pharmaciens de notre échantillon qui n’en avaient pas été victimes
jusqu’alors, aidant à matérialiser un risque abstrait et à le rendre plus proche d’eux.
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Braqués non. Dans mes collègues
actuels non. J’en ai une qui n’est pas là aujourd’hui…je crois qu’elle, elle a été braquée une fois et
d’anciennes oui…clairement braquées et la pharmacie où j’ai fait mon stage à l’époque il y en avait eu
trois je pense…dont certains assez violents. J’ai une amie du côté de Charleroi qui a été…oui braquée
aussi par un gars armé. Oui, oui j’en connais quelques-uns quand même oui. »
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Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Bon déjà moi dans ma famille
perso, il y a mon papa qui a déjà été braqué quand j’étais plus jeune, j’étais aux études…et ils ont eu,
comme quoi c’est vraiment dans le trou du cul de la Belgique, c’était un tout petit village et ils ont eu
quand même un braquage armé, le flingue sur la tempe, un truc euh…Donc comme quoi voilà, nous on
est à Bruxelles on pourrait croire que et pourtant il ne nous est jamais rien arrivé, et là-bas même si
c’est reculé, bon ben il n’y a rien à faire…c’est paumé, il y a moins de passage, c’est plus…parfois il y a
des choses plus bizarres qui arrivent dans les villages. Enfin moi j’avais un collègue de mon père qui a
été ligoté, enfin il y a parfois des trucs un peu bizarres mais ça peut être partout, dans une librairie
comme dans une pharmacie… »
Cette diffusion de la crainte de devenir victime braquage auprès de certains pharmaciens
d’officine par le biais d’expériences de collègues ou de proches a pu être observée in situ alors que
nous interrogions une assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville. Tandis que celle-
ci nous faisait part d’un vol à main armée ayant concerné l’une de ses connaissances, une autre
assistante pharmacienne plus jeune a été invitée à écouter l’expérience racontée. Le court dialogue
suivant illustre notre point :
Caroline [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « J’en connais pas mal, oui j’en
connais pas mal. Dans mes amis proches quasiment tous. J’ai une amie…qui elle est à Huy, dans un
petit patelin, elle ils sont carrément rentrés à trois avec des kalachnikovs. »
Sophia [assistante pharmacienne dans la même pharmacie] : « Non ?! (…) Et elle a fait quoi ? »
Caroline : « Ben elle a rien fait, elle a donné ce qu’il fallait et puis ils sont partis et puis elle a mis des
caméras partout. Et…oui, non il y en a un qui a arrêté qui est devenu inspecteur à l’INAMI, il a vendu sa
pharmacie parce qu’il s’est fait braquer trois fois pendant qu’il était de garde, et on l’a ligoté à l’arrière
et la dernière fois, la troisième fois, on lui a carrément mis les doigts dans le nez et on a fait sortir sa
tête par…par le truc de garde quoi. (…) Voilà…mais ils ont quasiment tous été agressés hein, tous. »
Sophia : « Heureusement que tu ne m’as pas raconté ça avant la garde ! »
c. Un forme extrême mais marginale de l’anticipation du vol à main armée : la banalisation du
risque de vol à main armée :
L’une des entrevues réalisées avec les pharmaciens d’officine de notre échantillon a fait
apparaître un phénomène lié à la crainte du vol à main armée ou du moins à son anticipation sous
une forme extrême. Ce phénomène n’a pu être observé qu’à une occasion, une seule des
répondantes manifestant ce type d’attitude vis-à-vis du risque de vol à main armée, mais peut
traduire, selon nous, une appréhension réelle et extrême du risque d’en devenir victime, malgré le
fait que cette forme d’agression ait été présentée de façon relativement rationnalisée et objectivée.
Cette rationalisation très poussée du risque de faire l’objet d’un vol à main armée dans le cadre
professionnel pourrait également constituer une forme de protection psychologique par rapport à ce
type de violence, la personne tentant de se préparer au mieux à ce risque en se convainquant qu’il
est inéluctable. Les extraits suivants illustrent ce phénomène :
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Maintenant
j’avoue, quand j’ai fait mes études, le braquage c’était le truc qui allait m’arriver pendant le boulot…et
là tout le monde me dit « mais enfin, mais c’est scandaleux, on commence pas à faire un boulot en se
disant qu’on va avoir des tuiles »…(…) Ah déjà durant les études pour moi c’était un truc, oui ça allait
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d’office m’arriver sur ma carrière, me faire braquer…c’est comme avoir une maison et se dire qu’on ne
va jamais se faire cambrioler, enfin c’est...non, non, on va un jour te piquer ton portefeuille dans la rue,
il y a toutes les chances qu’un jour…on se fasse voler, il y a toutes les chances qu’un jour je sois braquée
dans ma pharmacie, pour moi c’était un risque pris au départ…mais j'ai plusieurs collègues que ça a
choqué quand j'ai dit ça, "ah non moi je suis pas d'accord", oui c'est pas que ça m'arrange mais il faut
être réaliste, c'est comme quand tu fais la médecin tu es sûr d'avoir un jour une tuile avec quelqu'un qui
va essayer de t'extorquer soit du fric, soit des substances...des stupéfiants quoi, enfin c'est, c'est...non
ça fait partie des risques du métier quoi c'est...le gars qui bosse sur les toits il prend le risque de se
casser la gueule un jour et j'ai envie de dire qu'ils sont tous tombés une fois...ils ont su se rattraper, ils
ont porté plainte mais ils ont quasiment tous eu des grosses galères les ouvriers; le menuisier sait qu'il
va y perdre un doigt...un menuisier sur deux perd un doigt à mon avis sur sa carrière, alors pas
forcément après deux ans, parfois après 25 mais...c'est le grand classique, j'en connais plus d'un qui ont
perdu une phalange ou deux quoi...c'est la vie et donc pour moi le braquage je mettais ça dans les
risques du métier mais les gens ne sont pas d'accord avec moi... »
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht » : « Moi c’est quelque chose que
j’avais intégré dès le départ parce que, mon père s’étant fait attaqué à l’époque…plusieurs fois aussi,
ça a toujours fait partie des choses…du métier. »
3. Les faits de violence commis par les toxicomanes ou d’autres catégories de
personnes marginales : une violence d’importance secondaire mais néanmoins
relativement répandue :
Si le braquage représente indubitablement le type de violence le plus répandu et le plus
craint parmi les pharmaciens d’officine que nous avons pu interroger, d’autres formes de violence
émanant de certaines catégories de personnes ont également été identifiées, bien que celles-ci aient
souvent été présentées comme d’importance et de gravité moindres. Ces formes de violence ont
souvent manifesté une forte hétérogénéité dans les données récoltées, allant de la simple
déprédation à la tentative d’agression. Cependant, chose intéressante, celles-ci ont souvent été
désignées comme émanant de toxicomanes ou de personnes en état de dépendance par rapport à
certains médicaments. Dans de nombreuses entrevues, ces personnes nous ont été rapidement
dépeintes par la représentation générique du « toxicomane », source de nuisance et pouvant, dans
certains cas, recourir à la violence. Interrogé sur les facteurs favorisant l’agressivité, un pharmacien
nous déclare :
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Clairement l’usage de stupéfiants.
C’est des gens avec qui il y a plus de problèmes parce que…parce qu’ils sont en manque, parce qu’ils
sont nerveux, c’est clairement l’abus de médicaments. Parce que sans parler de toxicomanes il y a des
gens qui abusent d’autres produits…ça peut être des benzodiazépines, des anxiolytiques, donc des
médicaments, des antidouleurs assez puissants, des dérivés morphiniques mais qui ne sont pas des
stups même pas. Des gens qui abusent de ça…à l’époque, maintenant ils sont tous sous prescr iption,
mais à l’époque il y avait simplement les sirops contre la toux à la codéine et il y a des gens qui
descendaient, en étant sur dix pharmacies, une bouteille par jour…donc c’est gens-là sont des
dépendants, pas des toxicomanes, ils sont plus à classer dans, comme des alcooliques ou quelque
chose comme ça, ils sont clairement dépendants. Ces gens-là si on leur refuse quelque chose ils vont
beaucoup plus vite dans l’agressivité clairement…voilà. Donc des gens qui viennent avec des
ordonnances, des fausses ordonnances, des ordonnances trafiquées ou…ces gens quand ils voient que
ça ne prend pas ou qu’ils sont pris au piège oui ils sont fort dans l’agressivité clairement. »
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Pour certains pharmaciens d’officine, cette agressivité ne se cantonne pas à une attitude
générale limitée à l’intimidation verbale mais peut prendre la forme d’une menace à l’aide
d’armes diverses pouvant faire craindre aux pharmaciens pour leur intégrité physique. Ainsi ces
deux pharmaciens nous déclaraient :
Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Oui…une fois
c’était aussi pendant la garde…donc la porte était ouverte et il m’a fait « machin, bazar, etcetera », j’ai
dit « non, demain » et puis…il me sort une seringue remplie de sang et…donc ça c’est une intimidation
ça c’est…et donc voilà, moi je suis, et puis il me parle de SIDA etcetera, ça c’est une intimidation
etcetera, donc tu te dis…tu te dis que t’aurais dû fermer la porte. Parce que là…SIDA, seringue remplie
de sang, je sais pas pourquoi d’ailleurs…c’est, c’est comme un flingue quoi ! »
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : «Il y a une certaine violence parfois
avec les toxicomanes…ça arrive, j’ai déjà eu quelques fois, mais alors c’est, en général ils ne sont pas
armés, juste un couteau ou…(…) Une des fois la personne avait vu, pensait avoir vu une boîte qui
l’intéressait…m’a menacé d’un couteau. »
Dans certains cas, relativement peu nombreux, ces formes de violence ne font l’objet
d’aucune réaction de la part des pharmaciens en étant victimes, cela en dépit de la gravité qu’elles
peuvent parfois impliquer. Une certaine forme de lassitude ou de banalisation de ces formes de
violence provenant des toxicomanes peut être observée chez certains pharmaciens d’officine. Ainsi,
une pharmacienne titulaire développe cette attitude :
Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ah ben avec des gens, avec
des drogués, mais ça, ça fait partie du métier. Donc quand…quand ils viennent avec des ordonnances
falsifiées on refuse, là il faut faire face quand même. J’ai déjà reçu le ramasse-monnaie en plein visage
[rire] enfin non, je l’ai quand même évité à temps mais…ou ils arrachent le parlophone du guichet de
garde parce qu’ils n’ont pas…quand on ne délivre pas ce qu’ils veulent mais bon les documents ne sont
pas en ordre, ils viennent chercher la dose avant la date prévue et qu’on refuse ça c’est difficile aussi,
mais voilà…ça fait partie du métier. »
4. L’agressivité générale des patients comme violence latente :
L’agressivité générale des patients, si elle n’a pas été désignée comme un risque de violence
important par les pharmaciens d’officine interrogés, a toujours été abordée plus ou moins
extensivement au détour de l’une de nos questions, il n’est donc pas inutile d’en faire mention.
Nombre de pharmaciens d’officine ont évoqué le fait d’être confrontés régulièrement à une
agressivité plus ou moins latente de la part de patients, demeurant très souvent à un niveau de faible
intensité et s’exprimant par certaines attitudes générales qui ne sont pas réellement détaillées par
les pharmaciens interrogés. Les pharmaciens d’officine suivants nous évoquent cette forme
d’agressivité :
Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « L’agressivité c’est la réalité
hein. L’agressivité des fois vient du client, du patient…L’impatience ça c’est déjà un. L’impatience, les
gens deviennent moins…patients donc ça donne aussi une agressivité qui augmente. (…) Oh c’est déjà
arrivé. C’est déjà arrivé qu’ils se gueulent dessus hein…même les clients entre eux ! Oui ! Parce que l’un
a dépassé l’autre, ça arrive. »
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Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Oui…des gens qui…qui sont, qui
exigent ou qui prétendent à des choses auxquelles ils n’ont pas droit ou…qui n’acceptent pas qu’on
applique quelque chose, enfin qui veulent un médicament et qu’on ne veut pas leur donner parce que
voilà ils n’ont pas l’ordonnance et parce qu’ils ne sont pas en règle, il y a des gens qui ont un caractère
plus nerveux et qui ont tendance à plus s’énerver…donc le ton peut monter. Généralement quand on
montre de l’assurance ou qu’on est droit dans ce qu’on fait ça se passe généralement bien, il y en a qui
partent en claquant la porte…il y en a qu’il faut un peu pousser dehors mais c’est rare, c’est très rare.
Mais ça peut arriver oui, des gens qui sont…qui s’énervent rapidement hein ça clairement. Il faut de la
psychologie quoi. »
Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Là c’est…c’est zéro respect, c’est
une fois de plus une question de religion parce que c’est une question de…respect de la
femme…c’est…c’est…j’aime pas dire ça mais on le constate malheureusement, « si tu ne me donnes pas
ça c’est que t’es une connasse… ». Jamais nous on nous parle comme ça, jamais on ne m’a insulté,
jamais…jamais, jamais, jamais. Même si on a des altercations, même si on se dispute, jamais on ne va
être insulté. On reste d’égal à égal, il y a quand même un minimum. Elle c’est pas le cas dans son
quartier. »
Cette agressivité n’est cependant pas limitée à des formes d’aussi faible intensité. Dans
certains cas, plus rares, cette agressivité latente et souvent exprimée dans le registre verbal se
décline en des formes plus graves impliquant un recours à la force et à la violence physique à l’égard
des pharmaciens d’officine ou de leur établissement.
Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ça arrive souvent des
gens qui vous traitent de tous les noms d’oiseaux et tout, ça arrive souvent hein parce que vous n’êtes
pas d’accord, parce que vous ne donnez pas le médicament qu’il faut , par exemple les toxicomanes, ça
arrive oui…ça arrive aussi des gens qui ne sont pas toxicos hein, j’ai déjà été agressée par un médecin
hein, parce que je ne parlais pas flamand…oui…(…) On essaye d’être patient, essayer…essayer de ne
pas répondre pour que ça ne dégénère pas…voilà…mais quand bien même c’est déjà arrivé il y a un, à
l’époque j’avais une table…de vitrine, tout ça était en vitre les bureaux…il y en a un qui me l’a cassée,
avec un coup de poing, oui j’ai dû porter plainte à la police, la police est venue…et jusqu’à présent je ne
sais même pas où en est le…ça, ça arrive. »
Les attitudes des pharmaciens à l’égard de cette agressivité divergent. Si la plupart, comme
on a pu le voir, tentent de gérer au mieux cette agressivité et les différentes formes qu’elle peut
revêtir, d’autres finissent également par la considérer comme une propriété quasi-inhérente au
métier de pharmacien avec laquelle il faut composer. Ainsi, une certaine forme de « normalisation »
de l’agressivité des patients a pu être observée dans plusieurs entrevues, celle-ci pouvant même aller
jusqu’à une banalisation assez radicale où, a priori, les pharmaciens pensent que rien ne peut être
fait et acceptent cette agressivité. «
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Oui ben ça
dégénère rarement hein. Parfois ils crient un peu et ils me balancent quelques injures et puis ils s’en
vont. Je vais pas appeler les flics parce qu’on m’injurie, si, il y en a sûrement qui perdent leur temps à ça
hein quand je vois comme ils peuvent prendre la mouche parce qu’on a critiqué leur mère ou leur frère
ou je ne sais pas quoi…mais euh…non objectivement je ne vois pas l’intérêt, on passerait notre temps
alors à les appeler, enfin dans le sens où…oui, il y a au moins une fois par semaine un épisode un peu
plus compliqué ou un peu plus violent…si dès qu’on me dit « pauvre conne » je dois appeler la police on
est pas sorti de l’auberge hein [rire]. »
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5. Les facteurs de risques de violence en pharmacie d’officine identifiés par les
pharmaciens :
Les pharmaciens interrogés ont tous présentés différentes analyses sur les facteurs de
risques de violence existant au sein des pharmacies d’officine. Si des explications variées ont été
données, certaines ont été plus récurrentes que d’autres et ont semblé emporter l’adhésion d’une
large part des pharmaciens de notre panel. Ces explications présentent également un point commun
important, dans la mesure où elles ont toutes été formulées en termes d’opportunité. Ainsi, selon
l’ensemble des pharmaciens interrogés, les risques de violence au sein des pharmacies trouveraient
leur origine dans diverses propriétés organisationnelles ou « humaines » de la pharmacie d’officine
qui en ferait un lieu propice à l’apparition de comportements violents.
a. Des éléments matériels incitant les vols avec violence :
Parmi ces multiples raisons, la première et la plus évidente serait certainement la présence
d’objets ou de valeurs ayant un effet incitant pour nombre de personnes susceptibles de recourir à la
délinquance et à la violence. La présence de liquidités surtout, mais également de médicaments et de
substances stupéfiantes pouvant être consommées ou revendues, sont identifiés comme des
facteurs de risques de violence dans les pharmacies d’officine. Ces pharmaciens nous l’expliquent en
ces termes :
Sébastien [assistant pharmacien dans la commune d’Ixelles] : « On est quand même exposé par
le fait qu’on manipule de l’argent. Les drogues j’ai jamais…enfin, entendu si, mais eu des patients avec
qui on a eu des problèmes pour des stupéfiants ou autres non. Les gens râlent parce qu’ils veulent leurs
médicaments, sans ordonnance ou autre mais bon voilà…de là à avoir un toxicomane qui veut vraiment
sa dose et qui menace pour son médicament, ça non. En général les gros problèmes c’est pour
l’argent. »
Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean]: « Ben les risques
d’abord ben c’est l’argent, mobile pharmacie ou n’importe quel commerce c’est l’argent…peut-être les
pharmacies c’est peut-être les drogues, tu sais ils croient que…nous on a plein de trucs, mais moi j’ai
pas grand-chose c’est pour ça qu’ils savent, peut-être…peut-être la drogue aussi, ils rentrent et ils
cherchent des… »
Certains pharmaciens d’officine interrogés, s’ils ne nient pas que des risques réels de violence
soient engendrés par la présence d’argent et de certaines substances en pharmacie, relativisent
néanmoins fortement les fondements de ces facteurs de risques, soulignant les dimensions
exagérées que les délinquants prêtent aux sommes d’argent et aux substances présentes en
pharmacie. Plusieurs pharmaciens démythifient la représentation du métier de pharmacien comme
métier financièrement porteur, surtout dans une conjoncture sectorielle impliquant une baisse
tendancielle de la rentabilité des pharmacies d’officine. Ainsi, deux pharmaciens nous expliquent, à
très juste titre :
Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais…maintenant
honnêtement je ne sais pas ce qu’ils cherchent ! Parce que…parce qu’il n’y a plus de drogues en
pharmacie, vous ne trouvez plus de cocaïne, ici vous ne trouvez même pas de méthadone. Avant on
trouvait ce genre de choses, donc je peux comprendre que les gens allaient parce que…pour revendre
80
de la cocaïne ou des choses comme ça oui, ça on peut…bon maintenant oui on pourrait prendre les
produits Laroche Posay, des produits ceci, mais vous allez ressortir avec un sac comme le Père Noël
bon…Et la caisse il y a quoi ? Il y a 400 euros…franchement. »
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Je pense
que l’image que le pharmacien gagne très bien sa vie et que donc les caisses sont très bien remplies…je
crois que c’est ça qui reste…c’est pas le cas, d’abord il y a des Bancontact, en suite le coût des
médicaments dégringole…les gens ne s’en rendent pas compte parce qu’ils ne regardent que la partie
qu’ils payent à la mutuelle à leur charge et donc ça diminue moins, mais les plus grosses baisses que
moi j’ai connues c’est un médicament quand j’ai commencé à travailler il était à 1650 euros et il est à
1100 euros aujourd’hui…et un mois il a baissé de 300 euros…donc le truc que t’as stocké dans ton stock
et que t’as acheté 1500 euros et que le lendemain on te le rembourse que 1200 et bien les 300 euros tu
les as perdus hein »
b. La féminisation de la profession comme facilitateur des vols avec violence :
Plusieurs des pharmaciens de notre panel s’étant exprimés sur les facteurs de risques de
violence en pharmacie ont identifié la forte proportion de femmes parmi le personnel officinal
comme l’un de ces facteurs. La seule présence de femmes dans une pharmacie d’officine n’est, bien
souvent, pas suffisante pour générer des comportements violents et n’est donc pas perçue comme
une cause de violence. Cependant, la forte présence de femmes parmi le personnel officinal semble
être considérée comme un facteur facilitant le déclenchement de comportements violents et
délictueux, les auteurs de ces faits identifiant vraisemblablement cette présence comme une
opportunité pour réaliser certains méfaits avec moins de risques ou, plus simplement, pour prendre
avantage sur le personnel officinal. De façon peut-être assez étonnante, cette analyse des risques de
violence en termes de genre est formulée tant par des hommes que par des femmes au sein de notre
panel d’étude, les pharmaciennes s’identifiant très clairement comme une catégorie de personnes
plus vulnérables et ayant une plus grande propension à attirer des comportements violents à leur
encontre ou à l’encontre de leur établissement. Deux pharmaciens interrogés expliquent ces
différents cas de figure possibles :
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « C’est facile,
la pharmacie c’est souvent des nénettes…oui c’est souvent des nanas, pour moi c’est 90% de femmes
les pharmaciens, c’est quand même souvent des nanas alors il n’y a rien à faire on n’a pas forcément la
même force physique. »
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Mais je crois que la raison principale
c’est que c’est vrai que si moi je devrais braquer un commerce je penserais peut-être pharmacie dans le
sens où c’est une profession très féminine…et je crois que ce n’est pas dangereux de braquer une
pharmacienne…»
Dans des cas plus rares, il s’avérerait que le simple fait d’être une pharmacienne puisse
constituer une cause de violence, le genre ne se limitant plus à être un simple facteur facilitant
l’exécution de certains délits ou faits violents mais devenant alors une cause directe à part entière. Si
un seul de nos pharmaciens a évoqué cette possibilité, elle traduit néanmoins l’impact réel qu’exerce
le facteur du genre sur la perception des risques de faire l’objet de violence pour le personnel
officinal.
81
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Au niveau pharmaciens,
maintenant je ne sais pas quel pourcentage mais je crois qu’on est à…plus de 70, voire plus de 80% de
pharmaciennes…ça dépend comment elles réagissent mais…pour moi oui je crois qu’on est à
80%...c’est pas évident. (…) Moi j’ai toujours su réagir et en étant un homme…la violence peut être là
plus vite qu’avec une femme…mais malgré tout ça en dissuade certains. Donc là ça joue déjà. Mais il ne
faut pas oublier qu’il y a quelques années, et c’était passé à la télévision, pour rentrer dans certaines
bandes il fallait…attaquer une pharmacie, tabasser quelqu’un et violer quelqu’un. C’était les trois
choses, ça a été dit à la télévision par plusieurs bandes, c’est ce qu’il fallait faire. Et il y en a qui
essayaient de faire les trois en même temps…entrer dans une pharmacie, c’est une femme, c’est la
pharmacie, c’est la frapper et tenter de la violer…et quand ça passe à la télévision je peux vous dire que
certaines pharmaciennes quand elles entendent ça euh…on se dit mais dans quel monde est-ce qu’on
vit ? »
c. Le manque de protection en comparaison avec d’autres types de commerces :
Le dernier facteur de risques de violence identifiés par les pharmaciens de notre échantillon
serait la relative faiblesse des pharmacies en termes de protection face à la criminalité. La pharmacie
d’officine est bien souvent vue comme un type de commerce mal protégé, ou du moins faiblement
protégé au regard des moyens de protection mobilisés par d’autres types de commerces. Ainsi, les
pharmacies d’officine seraient victimes d’un déplacement de la criminalité et de la violence, celles-ci
s’exerçant moins à l’égard des commerces investissant largement dans leur protection et se
concentrant plus sur des cibles moins protégées, à l’instar des pharmacies d’officine.
Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Ben je crois que c’est des, des, en
général les…ceux qui s’attaquent aux pharmacies et aux libraires ce sont des petites frappes…donc
c’est facile quoi c’’est, c’est…on va attaquer un petit commerce…mais en général ils leur faut aussi une
petite somme, c’est pour…pour leur dose journalière ou…donc c’est facile en fait, donc c’est vrai que
maintenant les banques, les grandes surfaces, il y a beaucoup de protection, tandis que la pharmacie
on ne sait pas se payer un…un vigile devant donc c’est simplement ça, c’est des attaques faciles…et
c’est vrai que tout ce qui est gros est bien protégé donc on s’attaque, on s’attaque aux faibles…tout
simplement. »
Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : On a quand même du cash, pas
mal et…et le fait qu’ils savent que ce sont des petites équipes aussi. On est pas…enfin il n’y a pas
personne, il n’y a jamais personne qui va se cacher derrière, voilà on est deux et si les deux sont devant
et bien il n’y a plus personne. C’est très facile, enfin je trouve, de braquer une pharmacie dans le sens
où…c’est pas comme dans une banque où on se dit « waw, ils vont mettre le système de sécurité, les
portes vont se fermer », ils savent que chez nous, il n’y a pas des trucs de fou quoi. Oui on a un système
de surveillance, on a quand même Télépolice., on a un système où t’appuie sur un bouton et…mais
euh…c’est pas pareil quoi, c’est pas le même niveau de sécurité. »
6. Conclusions sur la perception des risques de violence chez les pharmaciens
d’officine :
Quels enseignements peuvent être retenus de cette analyse des représentations des risques
de sécurité et de violence afférents au métier de pharmaciens des membres de notre échantillon ?
Nous avons pu constater que les pharmaciens interrogés concevaient leur métier comme étant
82
fortement exposé aux risques de délinquance et de violence, y compris au regard d’autres
professions réputées « à risques ». Pour la plupart d’entre eux, le métier de pharmacien d’officine
implique un certain niveau de dangerosité et un certain degré de violence, quoique des divergences
relativement fortes aient pu être observées sur ces points, nos pharmaciens se partageant entre ceux
convaincus d’être fortement exposés aux risques de violences et d’agressions et ceux relativisant ces
risques. Plus important, le vol à main armée, ou plutôt le « braquage » selon l’expression employée
de façon récurrente, s’est imposé dans les discours des pharmaciens comme la forme de délinquance
et de violence revenant le plus régulièrement dans l’évocation les risques de sécurité des
pharmacies. Le vol à main armée constitue indéniablement la principale figure de la violence et de la
délinquance dans les représentations des risques de sécurité des pharmaciens, celle-ci étant
considérée comme étant la forme la plus grave et la plus préoccupante de violence et de délinquance
à laquelle ils peuvent être exposés. Si d’autres formes de violence, telles que les agressions physiques
simples et des formes plus latentes d’agressivité émanant des patients, ne sont pas absentes des
représentations des pharmaciens sur les risques de violence et la sécurité en général, elles sont
néanmoins sans commune mesure avec le vol à main armée qui occupe une place beaucoup plus
importante et qui est évoqué en des termes traduisant une plus grande préoccupation. Dans la
plupart des cas, comme on a pu le constater, l’incidence et la gravité des autres formes de violence
étaient généralement minimisées ou partiellement éludées, laissant toute la latitude au vol à main
armée pour s’imposer comme principale figure de la violence et de la délinquance dans les discours
des pharmaciens sur les risques de violence et de sécurité.
Les implications de ces observations sont multiples. Premièrement, elles viennent confirmer
notre intuition de départ, issue de l’analyse statistique de la délinquance affectant les pharmacies
d’officine, que le vol à main armée constitue un risque de violence perçu comme étant très
important. Malgré le fait que ce phénomène délictuel ne soit pas celui qui affecte le plus les
pharmacies d’officine, statistiquement et objectivement parlant, c’est néanmoins celui qui est perçu
comme étant la forme de violence la plus redoutée. En d’autres termes la prévalence statistique
relativement modérée des faits de vol à main armée commis à l’égard des pharmaciens ne l’empêche
pas d’être le risque de violence et de délinquance suscitant le plus d’appréhension chez les
pharmaciens. Ces implications vont à rebours des conclusions de nombreuses études statistiques
réalisées sur la sécurité et les risques de victimisation chez les pharmaciens menées dans plusieurs
Etats233. Celles-ci avaient mis au jour des tendances relativement similaires à celles que nous avons
obtenues pour la Belgique sur le plan de l’incidence de différentes formes de délinquance et de
violence dans les pharmacies, constatant que les pharmaciens n’étaient que modérément exposés
aux vols à main armée, à l’inverse de ce qu’il en était pour d’autres types de faits d’agression ou de
violence comme les menaces ou les insultes. S’arrêtant à cette approche statistique, ces études
relativisaient les risques objectifs pour les pharmaciens de faire l’objet de vols à main armée, sans
s’intéresser à la perception de ces risques par les pharmaciens ce qui, comme on l’a vu, génère des
résultats pour le moins différents.
233
FITZGERALD, Deirde & REID, Alex, « Frequency and consequences of violence in community pharmacies in Ireland », Occupational Medicine, 2012, p.633-636; PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, « Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications », International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.267-272; LENELL, Amy Nicole, “Pharmacy security: a survey on pharmacists’ perceptions and preparedness ton handle prescription fraud and pharmacy robbery”, University thesis, College of Pharmacy and Health Science of Butler University, 2007, p.9-11.
83
La deuxième implication majeure est que, à l’inverse des acteurs des secteurs hospitalier et
para-hospitalier, les pharmaciens semblent relativement peu confrontés, sur le plan objectif, et
concernés par les risques d’agressions physiques. Alors que ces risques sont omniprésents dans le
cadre hospitalier, influant grandement sur les perceptions de la violence chez les personnes y
travaillant, ils ne sont que faiblement présents chez les pharmaciens, ceux-ci n’en faisant que très
peu mention dans leurs discours sur leurs représentations des risques de violence. Il n’est pas
étonnant de constater que l’essentiel des stratégies de prévention des risques de sécurité en milieu
hospitalier, de même que l’essentiel des études réalisées sur la victimisation et les représentations
de la violence du personnel hospitalier, soient tournées vers les risques d’agressions physiques234.
Dès lors, peu de liens peuvent être tracés entre la prévention et la gestion des risques de violence en
milieu hospitalier et au sein des pharmacies, ces risques étant qualitativement différents et n’étant
pas perçus de la même façon par les acteurs de terrain. Les pharmaciens semblant plus concernés
par les risques de vols à main armée que par les risques d’agressions physiques, ou encore d’autres
formes d’agressions et de violences, il est fort à parier que la manière dont ceux-ci tenteront de se
protéger et de prévenir les risques de violence et de sécurité en sera fort influencée ; la situation est
exactement inverse au sein des milieux hospitaliers, les stratégies de prévention se concentrant sur
les risques d’agressions sous diverses formes et ne traitant absolument pas des risques de vols à
main armée, risques virtuellement inexistants dans ces milieux. En reprenant les catégories et la
terminologie de la principale typologie des violences au travail, développée l’Occupational Safety and
Health Administration du Département de la Santé américain, nous pourrions dire que nous nous
situons dans l’étude des perceptions et de réactions d’acteurs face à une « violence intrusive »235,
englobant les vols à main armée, et non face à une « violence liée au consommateur »236, englobant
les réactions agressives d’usagers ou de patients à l’instar de ce à quoi le personnel hospitalier est
confronté237. Cette dernière remarque est particulièrement importante dans la mesure où nous nous
intéresserons, dans la prochaine section et dans les prochains points, aux stratégies de prévention
des risques de violence et plus particulièrement de vol à main armée développées par les
pharmaciens d’officine.
B. Les stratégies de prévention des risques de vol à main armée développées par les
pharmaciens :
234
WINSTANSLEY, Sue & WHITTINGTON, Richard, “Aggression towards health care staff in a UK general hospital: variation among professions and departments”, Journal of Clinical Nursing, 2013, p.3-10; RIPPON, Thomas, “Aggression and violence in healthcare professions”, Journal of advanced Nursing, Vol.31, N°.2, p.452-460; CRILLY, Julia & al., “Violence towards emergency department nurses by patients”, Accident and Emergency Nursing, 2004, p.67-73. 235
BOWIE, Vaughan, “Defining violence at work: a new typology” in GILL, Martin & FISHER, Bonnie & BOWIE, Vaughan (eds), “Violence at work. Causes, patterns and prevention”, Willan Publishing, Newcastle-under-Lyme, Staffordshire, 2002, p.6-7. 236
Ibid., p.7-8. 237
LEATHER, Phil, “Workplace violence: scope, definition and global context” in COOPER, Cary L. & SWAMSON, Naomi (eds), “Workplace violence in healthcare sector. State of the art”, International Labour Organization, 2002, p.14.
84
1. Une domination des mesures de prévention « classiques » issues de la techno-
prévention :
Le vol à main armée incarne clairement, pour les pharmaciens d’officine de notre panel, le
principal type de violence auquel ils sont ou pourraient être confrontés dans le cadre de leur
profession. Comme nous avons pu le voir, le risque de faire l’objet d’un vol à main armée domine les
discours des pharmaciens d’officine, celui-ci étant mis en évidence dans la plupart des cas lorsque la
problématique de la sécurité des pharmaciens d’officine et des risques de violence est abordée. Pour
cette raison nous faisons la supposition que les pharmaciens d’officine de notre panel auront
largement investi dans le domaine de la techno-prévention et auront développé des stratégies de
prévention orientées vers les risques de vols à main armée et visant, directement, à les réduire.
Sans réelle surprise nous avons pu observer que les mesures de techno-prévention ont fait
l’objet d’un large investissement par les pharmaciens d’officine que nous avons pu interroger. En
effet, sur l’ensemble des pharmacies d’officine visitées et sur l’ensemble des pharmaciens interrogés,
la totalité a présenté un certain investissement dans la techno-prévention, faisant apparaître des
mesures classiques de nature techno-préventive auxquelles nous pouvions déjà penser dans le
développement de notre problématique. Cependant, si ces mesures sont largement répandues au
travers de toutes les pharmacies d’officine que nous avons pu étudier, elles présentent
d’importantes différences en termes de degrés de développement, d’extension et de cohérence ; les
pharmaciens d’officine ne considérant pas identiquement ces types de mesures de prévention et
développant, vis-à-vis de celles-ci, des attitudes pour le moins divergentes. Nous présenterons, dans
un premier temps, les principaux types de mesures de techno-prévention investis par les
pharmaciens d’officine de notre panel ; dans un second temps nous montrerons que ceux-ci ont
développé des attitudes divergentes vis-à-vis de ces types de mesures et que différents modes
d’utilisation des mesures de techno-prévention peuvent être dégagés.
a. Les principaux types de mesures techno-préventives mobilisés :
Au cours de nos entrevues, quatre grands types de mesures techno-préventives ont pu être
identifiés. La plupart d’entre eux correspondaient à des types de mesures techno-préventives
classiques que l’on pouvait s’attendre à retrouver dans la plupart des commerces. Ainsi, il n’est pas
surprenant de voir des pharmacies d’officine massivement dotées de systèmes de télésurveillance et
de systèmes d’alarme, les données statistiques laissant déjà largement prévoir ces résultats. Deux
autres types de mesures se sont avérés plus intéressants. Premièrement, le système de Télépolice ou
de bouton pressoir établissant une liaison directe entre un pharmacien d’officine et un point de
contrôle policier ou une centrale d’alarme. Si nous avons pu présenter les grands principes de ce
système dans la première partie de ce mémoire, nous ne pouvions savoir dans quelle proportion ce
type de mesure allait être répandu au travers des pharmacies d’officine à Bruxelles. De manière
relativement étonnante nous avons pu constater que ce type de système était relativement bien
implanté au travers des pharmacies d’officine que nous avons pu étudier, en dépit des contraintes
financières et techniques afférentes à ce système et, surtout, de par le caractère relativement invasif
que certains peuvent lui prêter.
85
Deuxièmement, un type de mesure particulier et que nous n’avions pas anticipé s’est
détaché des entrevues, à savoir les systèmes de verrouillage des portes d’entrée de la pharmacie
pouvant être déclenchés à distance et étant utilisés afin de filtrer les entrées. Ce type de mesure
tranche par sa radicalité et par le fait qu’à l’inverse des autres types de mesures, il fasse du
pharmacien un acteur de la sécurité, lui permettant immédiatement et directement d’agir sur
l’accessibilité et la sécurité de sa pharmacie. Si ce système revêt une dimension préventive en
permettant le filtrage des personnes ayant accès à la pharmacie, il revêt également une dimension
réactive dans la mesure où un pharmacien peut décider de bloquer quelqu’un en dehors ou à
l’intérieur de sa pharmacie selon son appréciation d’une situation et des risques de sécurité. De plus,
ce type de mesure est le seul permettant une action physique sur les personnes, les autres types de
mesures identifiés ne permettant que l’avertissement des autorités et la facilitation éventuelle du
travail d’enquête a posteriori. En dépit de sa radicalité, nous avons pu constater qu’un certain
nombre de pharmacies de notre panel étaient dotées de pareil type de mesure de techno-
prévention, laissant penser à une appréciation positive de celui-ci ou à une nécessité de le mettre en
œuvre pour certains pharmaciens d’officine.
Nous avons compilé les différents résultats verbatim issus de l’analyse des entrevues
réalisées avec nos pharmaciens d’officine et les avons présentés, à des fins de clarté, sous une forme
schématique offrant une vue d’ensemble de la répartition des différents types de mesures de
techno-prévention au sein des pharmacies de notre échantillon. Cette présentation ne nous sert que
d’indication sur les tendances apparentes et objectives relatives à l’usage des mesures techno-
préventives dans les pharmacies mais ne nous permet pas encore d’accéder aux différences
d’attitudes existantes chez les pharmaciens de notre échantillon par rapport à celles-ci. Tout au plus
nous permet-elle d’en deviner certains contours de façon vague, en mettant en évidence certaines
différences au niveau du nombre de types de mesures mises en œuvre à l’échelle de la pharmacie
d’officine, mais sans que nous en connaissions les motivations profondes et que nous puissions les
expliquer. C’est ce que nous tâcherons de mettre à jour dans les prochains points de cette section.
Systèmes de
télésurveillance
Systèmes
d’alarme
Bouton pressoir/
Télépolice
Système de
verrouillage des
portes d’entrée
Pharmacie de Luc
[Anderlecht] Oui
Pas
d’indication Pas d’indication Non
Pharmacie de
Jean
[Anderlecht]
Oui Pas
d’indication Oui Oui
Pharmacie
d’Ahmed
[Molenbeek-
Saint-Jean]
Oui Oui Oui Non
86
Tableau 2 : répartition des principaux types de mesures techno-préventives identifiées entre les
pharmacies de notre échantillon.
b. Différents profils d’utilisateurs de mesures techno-préventives :
Une analyse plus détaillée des choix des pharmaciens d’officine au niveau des types de
mesures de techno-prévention mises en œuvre dans leur pharmacie nous ont permis de faire
ressortir certaines tendances divergentes. Tous les pharmaciens de notre échantillon ne concevraient
pas la techno-prévention et son usage concret de manière identique, lui accordant plus ou moins
d’importance dans le processus de sécurisation de leur pharmacie. Nous avons pu constater
l’existence de certaines régularités dans les données issues de nos entrevues en ce qui concerne les
conceptions du recours à la techno-prévention pour assurer la sécurité d’une pharmacie d’officine. A
partir de ces conceptions nous avons pu procéder à l’établissement de catégories, ou profils
Pharmacie de
Mélanie
[Molenbeek-
Saint-Jean]
Oui Pas
d’indication Oui Oui
Pharmacie de
Linh
[Bruxelles-Ville]
Oui Oui
Télépolice
remplacé par un
autre système
Oui
Pharmacie de
Pierre & Félix
[Bruxelles-Ville]
Oui Non Non Non
Pharmacie de
Chantale
[Bruxelles-Ville]
Oui Oui Oui mais désactivé Oui
Pharmacie de
Caroline &
Sophia
[Bruxelles-Ville]
Non Oui Non Non
Pharmacie de
Thérèse
[Bruxelles-Ville]
Oui Pas
d’indication Pas d’indication Oui
Pharmacie Sylvie
& Sébastien
[Ixelles]
Oui Oui Oui Non
Pharmacie de
Nicolas
[Ixelles]
Oui Oui Oui Non
Pharmacie de
Nathalie
[Ixelles]
Oui mais
désactivés Oui Oui Non
87
d’utilisateurs des mesures techno-préventives parmi les pharmaciens de notre échantillon. Ces
profils sont définis en fonction du degré d’extension de l’usage de mesures techno-préventives,
allant de l’utilisation la plus minime à l’utilisation maximale. Pour chaque profil nous avons pu
déterminer un degré d’extension de l’utilisation des mesures techno-préventives allant crescendo,
mais également des motivations récurrentes pouvant expliquer ces différences d’utilisation. Nous
développons ces catégories dans les sous-points suivants. Dans les points suivants, nous
développerons le contenu de ces différents profils à l’aide des données issues de nos entrevues. Afin
de faciliter la lecture de notre développement, nous introduisons déjà les termes qui serviront à
référencer ces différents profils d’utilisateurs, nommément les « utilitaristes », les « réalistes » et les
« absolutistes ». Nous tenterons également de mettre nos observations en correspondance avec
l’ensemble théorique élaboré par Reyes sur les profils managériaux et les stratégies
organisationnelles des pharmaciens d’officine, cela afin de déterminer l’existence de liens éventuels
entre les conceptions identitaires des pharmaciens marquées par l’importance des considérations
économiques et leurs attitudes dans le domaine de la sécurité.
i. La conception « utilitariste » de la techno-prévention: une utilisation minimale de la
techno-prévention et ses motivations :
Une oscillation entre l’absence de besoin ressenti et la conformation à des obligations:
Plusieurs pharmaciens de notre échantillon ont présenté une utilisation des mesures de
techno-prévention pour se prémunir contre les risques de sécurité et de vols à main armée que nous
avons qualifiée d’utilitariste. Pour parvenir à cette qualification, comme à celles que nous
mobiliserons pour les autres catégories de pharmaciens identifiées, nous nous sommes basés sur
deux groupes d’indicateurs, objectifs et liés au nombre de mesures mises en œuvre, et subjectifs et
liés aux motivations des pharmaciens quant à leurs choix relatifs à l’usage de mesures techno-
préventives. Premièrement, cette qualification dérive d’une utilisation d’un nombre très réduit de
types de mesures techno-préventives, les pharmaciens appartenant à cette catégorie se contentant
de quelques types de mesures bien spécifiques, en évitant d’avoir recours aux types de mesures les
plus extrêmes à l’instar des mécanismes de verrouillage à distance des accès de la pharmacie. Nous
avons considéré qu’une utilisation pouvait être objectivement qualifiée de minimale lorsqu’elle
n’impliquait que l’usage de deux types, ou moins, de mesures techno-préventives. Cependant, ces
indicateurs ne sont pas suffisants pour qualifier généralement un recours aux mesures techno-
préventives. En effet, deuxièmement, nous considérons qu’une utilisation des mesures techno-
préventives n’est utilitariste que lorsque qu’elle s’accompagne également de motivations qui ne
procèdent pas d’une réelle adhésion à la philosophie sous-jacente des mesures techno-préventives,
et relèvent d’une logique marquée par la recherche d’une utilité subjective ou, du moins, de la
meilleure solution. Nous procéderons au développement en détails de ces groupes d’indicateurs
d’une utilisation minimale des mesures techno-préventives dans les prochains paragraphes, ne
s’agissant ici que d’une explication relativement sommaire de notre méthode de conceptualisation et
de la teneur de la première qualification mobilisée.
La plupart des pharmaciens que nous avons qualifiés « d’utilitaristes » dans leur approche
des mesures techno-préventives se caractérisent par une utilisation minimale des mesures techno-
88
préventives pour se protéger des risques de vols à main armée et motivent ce choix par une absence
de nécessité de recourir à pareils types de mesures. Plusieurs raisons précises ont été avancées pour
expliquer le fait que seulement quelques types de mesures techno-préventives soient utilisés dans
les pharmacies d’officine de notre échantillon, mais celles-ci semblent toutes se rapporter à la
conviction des pharmaciens que ces types de mesures ne sont pas nécessaires pour assurer la
sécurité au sein de leurs établissements. Cette conviction, ainsi que les raisons plus précises qui en
dérivent et qui expliquent la faible utilisation des mesures techno-préventives, peut provenir d’une
croyance subjective mais elle peut également procéder d’une analyse objective des risques de
sécurité d’une pharmacie et d’un raisonnement rationnel, le pharmacien réalisant une sorte de
diagnostic de sécurité de son établissement. Les pharmaciens se rapportant à ce dernier cas de
figure justifient leur choix de n’utiliser que faiblement les mesures techno-préventives en mettant en
avant les avantages objectifs, les externalités positives, en termes de sécurité fournis par
l’implantation particulière de leur pharmacie.
Auteur du mémoire : « Mais ici c’est vrai, vous m’avez dit que vous êtes dans un quartier déjà plus
sécurisé… »
Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais oui c’est ça. Il y
a des gardes à côté…même si c’est…même si c’est pas leur boulot, je m’entends bien avec eux donc je
sais que si j’ai un problème je peux faire appel à eux. »
Dans certains cas, les avantages de l’implantation particulière de la pharmacie d’officine et la
protection « naturellement » assurée par le quartier, ou par certains acteurs y étant implantés, se
complète par une disposition de l’établissement, une organisation particulière de l’espace, réduisant
les risques de vols à main armée et d’actes délictueux.
Auteur du mémoire : « En plus la disposition des lieux est assez bien faite »
Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ah oui, il faut
d’abord descendre l’escalier en colimaçon et le temps qu’ils descendent [les voleurs] moi je suis déjà
là…Ils croient qu’on ne les voit pas mais ils n’ont pas de chance. »
Les mesures techno-préventives sont également, parfois, considérées avec circonspection
quant à leur efficacité à prévenir la survenance de faits violents et de vol à main armée. Les
pharmaciens relativement sceptiques quant à l’efficacité des différents types de mesures techno-
préventives pour assurer leur sécurité ont souvent développé cette attitude à l’issue d’une
expérience malencontreuse où ces mesures se sont révélées décevantes, les convainquant par la
suite de leur relative inefficacité pour prévenir les risques de vols à main armée, voire même pour
faciliter tout travail d’enquête pouvant être réalisé par la suite.
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Il y a des systèmes comme ces
systèmes de caméras qui enregistrent qui sont, comme je disais tantôt, plus pour accumuler des
preuves dans un dossier…que pour servir à l’instant…parce que moi, l’un des derniers que j’ai eu était
euh…à visage découvert, il attendait son tour comme tout le monde et tout ça ! Or le caméra il l’a
vu…et après la centrale d’alarme m’a tout de suite dit « ah oui c’est le même qui a attaqué une autre
pharmacie il y a une demi-heure, hier il a fait une pharmacie et…un hôtel »…donc ces caméras étant
reliées à un endroit, la personne qui visionne les images a tout de suite reconnu la personne…Ils s’en
fichent ! Ça permet parfois de retrouver les gens, d’avoir leur description plus complète même si ça n’a
pas encore une valeur légale…»
89
Dans pareils cas, la volonté d’entretenir ces types de mesures s’en trouve souvent fortement
affectée, les pharmaciens choisissant de ne pas renouveler leurs systèmes de protection et se
contentant d’arrangements de façade, maintenant une apparence de sécurité des lieux à destination
des personnes qui seraient tentées de commettre des agressions ou des vols à main armée. A cette
perception de la relative inefficacité des mesures techno-préventives viennent s’ajouter des frais liés
à l’utilisation et l’entretien de ces mesures qui, pour plusieurs pharmaciens, peuvent devenir
prohibitifs et en justifier une réduction de leur utilisation.
Nathalie [pharmacienne titulaire d’Ixelles] : « Et autre chose, Mme. **** avait installé une caméra,
ça coûtait une plombe donc…ben j’ai été obligée de continuer le contrat, j’ai continué le contrat…ça a
toujours été compliqué de voir les images et puis de toute façon quand j’ai été braquée la caméra
fonctionnait et j’ai quand même été braquée, on n’a quand même pas retrouvé le gars puisqu’il était
cagoulé et donc…ben voilà, la caméra est toujours là mais je n’ai plus de contrat…on a l’impression
qu’elle fonctionne parce qu’elle est toujours allumée en vert mais en fait elle ne fonctionne pas, donc je
trouve que son pouvoir dissuasif est très, très bien et largement suffisant, et je n’ai pas envie de
dépenser plus d’argent là-dedans pour de toute façon…en 2012 elle fonctionnait et ça n’a servi à rien,
j’ai quand même été braquée, on n’a pas su, enfin les images n’étaient pas potables, pas positives donc
voilà… »
La plupart des pharmaciens de notre échantillon rattachés à ce profil ont mis en lumière des
effets, relativement ambigus et paradoxaux par moments, des polices d’assurance sur leur gestion
des risques de certains phénomènes délictueux comme le vol et, par extension, sur leurs choix de
stratégies pour s’en prémunir. Il semblerait, au moins pour deux de nos pharmaciens, que les polices
d’assurance auxquelles ils aient souscrit influent fortement sur leur choix de faire un usage minimal
des mesures techno-préventives existantes, justifiant un détachement relativement prononcé de leur
part vis-à-vis des risques de vols. Ces deux pharmaciens, ne disposant respectivement que d’un
système de vidéosurveillance et d’un système d’alarme, déclarent au sujet des risques de vols et de
leurs polices d’assurance :
Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « [une fraude] Aux faux
billets on a jamais…on a eu une fois…deux fois. Deux fois sur toute la pharmacie c’est pas énorme hein,
et puis on a une assurance pour ça et pour les vols donc on s’en fout énormément, on contrôle même
pas les billets. C’est pas comme dans la plupart où ils ont des petites machines, nous on a une
assurance globale dans les pharmacies, on s’en fout de tout ça. Et tous les pharmaciens vous allez voir,
tous les pharmaciens, il n’y en a jamais un ou pas beaucoup qui…comme ils ont cette assurance elle
couvre tout ! Et donc…ils s’en foutent !»
Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Maintenant il y
aurait quelqu’un qui rentrerait ici avec un…avec un fusil ou quoi et qu’il dirait « la caisse ! », mais qu’il
prenne la caisse hein ! C’est…Mais psychologiquement à mon avis ça sera très difficile à passer, mais
au sinon je lui donne la caisse voilà, et je vais lui donner 400 euros que je déclare à mon assurance. »
La police d’assurance offrirait une certaine facilité pour ces pharmaciens d’officine, leur
permettant d’éviter de devoir investir dans de nombreuses mesures techno-préventive de différents
types et de maintenir un niveau de protection relativement bas, les risques matériels liés aux
différentes formes de vols, y compris les vols violents comme le vol à main armée, étant couverts par
l’assurance. Un autre cas a renforcé cette impression que les compagnies d’assurance influenceraient
fortement les attitudes de ces a-pharmaciens vis-à-vis des risques de sécurité et sur leurs stratégies
pour s’en prémunir. En effet, il semblerait qu’au moins un des pharmaciens interrogés, et
90
appartenant à cette catégorie des faibles utilisateurs des mesures techno-préventives, n’ait installé
des mesures techno-préventives dans sa pharmacie que par obligation imposée par sa compagnie
d’assurance, nous laissant présumer que rien, ou très peu, aurait été appliqué en matière de techno-
prévention en dehors de cette obligation. Si l’on peut supposer que ce type d’attitude à l’égard des
risques de sécurité et de leur prévention est minoritaire, il n’empêche qu’il traduit un état d’esprit
particulier de certains pharmaciens pour lesquels ces risques ne constituent pas une source
d’inquiétude particulière et ne justifient, dès lors, pas de traitements et d’aménagements spéciaux.
L’échange suivant en fournit une illustration :
Caroline [assistante pharmacienne dans la commune de Bruxelles-Ville] : « De l’argent il n’y en
a quasiment plus. Ici oui, oui c’est vrai ça, on a défoncé la porte deux fois en un an et demi. Les gens
ont pris la monnaie qu’il y avait, mais même les cents hein, ils ont tout mis dans un sac et puis…mais en
attendant ils ont foutu ma porte en l’air et… »
Auteur du mémoire : « C’est pour ça que vous avez mis des alarmes ? »
Caroline : « Non, ça c’est une obligation légale, rapport aux assurances… »
Une utilisation proportionnée à certains phénomènes délictueux de moindre gravité, une
utilisation partiellement influencée par l’opportunité :
Même si le risque du braquage constitue le risque le plus important et le principal avatar de
la violence pour l’énorme majorité des pharmaciens de notre échantillon, tous ne semblent pas
désirer modifier l’organisation de leur pharmacie et y intégrer certaines mesures de techno-
prévention pour faire face à ces risques. Certains pharmaciens, quoique minoritaires, semblent ainsi
plus préoccupés par d’autres types de phénomènes délictueux que par les risques de braquages,
délaissant largement ces derniers sans pour autant en faire complètement abstraction dans leurs
discours lorsqu’interrogés sur les risques de sécurité pesant sur les pharmacies d’officine. Les risques
de vols à main armée, de braquages, ne sont néanmoins pas vus comme étant suffisamment
importants pour justifier le développement de stratégies particulières articulées autour de
nombreuses mesures de techno-prévention au sein de leur pharmacie. Les rares mesures techno-
préventives qui peuvent y être trouvées sont alors motivées par le besoin de lutter contre des
phénomènes délictueux bien moins importants en termes de gravité et dont on pourrait penser, a
priori, qu’ils seraient relégués au bas des priorités des pharmaciens dans le domaine de la sécurité.
Néanmoins, certains pharmaciens d’officine interrogés ont explicitement justifié la mise en œuvre de
rares mesures techno-préventives par le but de prévenir, ou de réagir face à certains types de
phénomènes délictueux communs à l’instar des vols à l’étalage. Le développement de systèmes de
protection extensifs n’apparaît pas comme étant justifié à ces pharmaciens, dans la mesure où ce
sont des phénomènes délictueux communs et relativement plus faciles à prévenir qui occupent le
haut de la hiérarchie des priorités de sécurité. L’utilisation de mesures techno-préventives se veut,
dans ces cas, relativement proportionnée face aux besoins de prévention induits par les phénomènes
délictueux identifiés comme prioritaires, les pharmaciens ne semblant pas désireux d’investir alors
plus que nécessaire dans le développement de mesures techno-préventives qu’ils ne considèrent pas
comme étant utiles pour réaliser leurs objectifs. L’échange suivant illustre cette attitude particulière
vis-à-vis des risques de sécurité :
Auteur du mémoire : « …il y a quand même des caméras. »
91
Pierre [pharmacien titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Des caméras, oui des
caméras. Oui, c’est vrai des caméras ! Peut-être qu’on les a installées aussi pour ça…mais c’est pour
différentes… »
Auteur du mémoire : « Pourquoi vous les avez installées alors ? »
Pierre : « Mais pour différents trucs, pour les vols…pour les vols, pour enregistrer les gens au cas où
quelque chose est volé comme ça on peut regarder sur les caméras. Parce que si c’est quand même des
gros blocs il faut quand même faire attention. Si c’est un produit on s’en fout encore mais si c’est…des
gros blocs qui ont disparu, qui a volé ça quoi? Parce qu’alors il faut quand même qu’on se re-mémorise
cette personne, que si elle re-rentre « buiten ! », plus envie de la voir quoi. Des trucs pareils mais…aussi
pour éviter des vols dans la caisse, des vols dans…ouais il y a plein d’autres raisons, et en même temps
aussi un peu l’agressivité aussi vu que ça montre que c’est enregistré quoi…donc ils vont se calmer. »
De façon plus simple, certains pharmaciens semblent s’être dotés de certains types mesures
de techno-prévention uniquement parce que l’opportunité de le faire s’est présentée à eux. Cette
décision ne procède alors nullement d’une réflexion ayant porté sur les risques de sécurité auxquels
leur pharmacie serait plus exposée ou d’une stratégie rationnelle et ciblée dans le but d’y répondre
le plus efficacement possible, ces pharmaciens s’étant contentés de saisir un avantage passager sans
plus de précisions sur les motivations sous-jacentes les ayant conduits à ce choix.
Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Par rapport aux vols qui avaient
eu lieu pendant la nuit…aux cambriolages, elle a installé une alarme sur le volet et donc…cette alarme
sur le volet ça fonctionne avec une télécommande et sur cette télécommande il y avait un plus, l’appel
à la police…il y avait la possibilité de mettre en plus l’appel à la police. »
L’opportunité de développer certains types de mesures techno-préventives, même
lorsqu’elle est réelle et pouvant sembler a priori avantageuse, ne conditionne pas mécaniquement le
choix des pharmaciens de saisir cette opportunité et de la concrétiser. D’autres éléments semblent
entrer en jeu dans la réflexion des pharmaciens sur le niveau de sécurité à adopter et sur les types de
mesures techno-préventives dans lesquelles il conviendrait d’investir. Ainsi, lorsque ces pharmaciens
se trouvent dans une optique favorable à une utilisation minimale des mesures techno-préventives,
les chances sont grandes que ceux-ci ne saisissent pas d’emblée les opportunités de sécurisation se
présentant à eux et, même, qu’ils ne favorisent nullement le développement de pareilles
opportunités.
Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Ben pour la sécurité des
pharmaciens il y a des communes qui travaillent déjà avec un système d’appel à la police pendant les
gardes par exemple…Je ne sais pas franchement si ça change quelque chose mais…donc ça c’est une
chose, ça n’existe pas ici, personnellement j’en ressens pas le besoin, les pharmaciens dans mon rôle de
garde je pense qu’ils n’en ressentent pas le besoin non plus parce qu’au sinon c’est quelque chose
qu’on pourrait mettre très facilement en place, et on a des réunions très régulières, enfin au moins
deux fois par an…et donc on en a déjà discuté et ça n’est pas…voilà. »
Auteur du mémoire : « Vous en avez déjà parlé donc ? »
Nathalie : « De faire appel à la police ? Oui en réunion de garde on en a déjà parlé. Voilà, on n’a pas
mis ça en place parce que…Non, on trouve qu’on peut être agressés n’importe quand…enfin voilà, ça
n’évite pas tous les risques et finalement on ne se sent pas plus menacé en garde et…et en plus vous
allez encore passer une plus mauvaise nuit parce que vous allez être appelé par la police et puis
92
seulement les gens vont arriver une demi-heure ou une heure après donc…qu’est-ce que vous faites
pendant cette heure-là ? Et donc voilà, on trouve que ce n’est pas très intéressant. ».
L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des
interactions avec les usagers
Comment ces pharmaciens se représentent-ils leur métier et les fonctions qui en dérivent ?
De même, comment considèrent-ils les usagers de la pharmacie et la façon d’interagir avec ceux-ci ?
Nous pourrons peut-être trouver dans ces interrogations une piste d’explication aux attitudes des
pharmaciens, vis-à-vis des mesures techno-préventives et de la gestion des risques de sécurité,
présentées précédemment. Nous nous rattachons ici directement aux travaux de Reyes sur
l’approche identitaire des attitudes et des pratiques professionnelles des pharmaciens, seul auteur à
avoir, à notre connaissance, traité de ce sujet jusqu’à présent. Dans son approche, Reyes a développé
la théorie voulant que l’identité professionnelle duale du pharmacien affecte directement la manière
dont celui-ci conçoit ses stratégies et ses pratiques organisationnelles dans le cadre de son métier.
Comme on a pu le voir dans notre problématique, selon Reyes, les logiques médicale et commerciale
à l’œuvre dans l’identité professionnelle sont engagées dans une dynamique de compétition influant
sur les pratiques et « l’identité » organisationnelles du pharmacien, l’amenant à privilégier soit la
dimension commerciale, soit la dimension médicale de son métier238. Nous allons voir dans quelle
mesure les concepts et typologies développés par Reyes dans le domaine du management des
pharmacies peuvent s’appliquer au domaine de la sécurité, et contribuer à l’explication des attitudes
développées par les pharmaciens par rapport à l’usage des mesures techno-préventives.
Construisant sur la typologie des profils de dirigeants de très petites entreprises, développée
par Jaouen239, Reyes a établi sa propre typologie de titulaires de pharmacies d’officine dans le
domaine des stratégies de gestion. Si de nombreux éléments au sein de cette typologie ne nous
intéressent pas dans la mesure où ils sont liés à des représentations et des comportements
managériaux du pharmacien, celle-ci nous renseigne néanmoins sur les visions développées par les
pharmaciens vis-à-vis de leur métier ainsi que les compétences professionnelles que ceux-ci
privilégient pour les réaliser240. Ainsi, pour différents types de pharmacies, séparées par leurs zones
d’implantation, correspondraient différents profils de pharmaciens titulaires, développant
différentes représentations de leur métier et différentes compétences professionnelles. Deux de ces
profils nous apparaissent particulièrement intéressants et susceptibles d’éclairer les attitudes des
pharmaciens dans le domaine de la sécurité que nous avons précédemment mis en exergue. En
l’occurrence il s’agit de ce que Reyes nomme les pharmaciens titulaires « hédonistes-artistes » et
« hédonistes-carriéristes », appartenant essentiellement aux pharmacies rurales et pharmacies de
quartier241. Ces deux profils de pharmaciens sont intéressants car ils impliquent une identification à
238
REYES, Grégory, « L’ambiguïté des rôles du pharmacien titulaire d’officine française : une lecture par l’identité de métier », Management international / International Management / Gestión Internacional, vol. 17, n° 4, 2013, 165-166, 168-170 ; Idem, « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale du Management Stratégique, 2013, p11-21. 239
JAOUEN, Annabelle, « Typologie des dirigeants de très petite entreprise », Journal of Small Business and Entrepreneurship, Vol.23, N°.1, 2010, p.142-147. 240
REYES, Grégory, « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p.303-307. 241
Ibid., p306-307.
93
la mission de professionnel de la santé incombant au pharmacien et le développement de pratiques
centrées sur la proximité avec le patient. Si la dimension économique du métier et la volonté de
développer l’activité commerciale propre à la pharmacie n’est pas absente chez ces pharmaciens,
celle-ci demeure inféodée dans les deux cas à la volonté de maintenir un rapport de proximité avec le
patient et de satisfaire au mieux ses besoins, par croyance dans la mission de santé consubstantielle
à l’identité professionnelle du pharmacien ou par volonté d’assurer sa fidélisation242. Ces différents
profils impliquent également différentes manières pour le pharmacien de considérer le mode
d’organisation de sa pharmacie et de projeter sa vision stratégique sur celle-ci. Le mode
d’organisation de la pharmacie traduit alors, outre la logique dominante dans son identité
professionnelle, la manière dont un pharmacien se représente son métier et la fonction qu’il assigne
à sa pharmacie, comme nous le verrons en détails plus loin.
Les pharmaciens que nous avons identifiés comme appartenant au profil « utilitariste » de
l’utilisateur de mesures de techno-prévention semblent manifester une représentation de leur
métier et du mode d’interaction avec les usagers de la pharmacie étonnamment similaire avec celle
identifiée par Reyes pour ce qu’il nomme les « titulaires hédonistes » et, plus particulièrement, les
« hédonistes-carriéristes » travaillant majoritairement dans des pharmacies de quartier. Ainsi, tous
les pharmaciens de notre échantillon faisant preuve d’un usage limité des mesures de techno-
prévention ont mis en avant une volonté de cultiver une proximité relationnelle avec les usagers de
leur pharmacie, demeurant à l’écoute de leurs besoins mais également de leurs problèmes et tentant
d’y apporter des réponses non-strictement pharmacothérapeutiques.
Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Il y a le côté de l’expérience, il y a le
côté…ils me disent ça parfois…donc la manière de parler, d’écouter, donc…mais moi aussi je fais toujours
très attention à l’accueil, j’essaie d’accueillir les gens d’une manière souriante et donc ils se sentent
déjà…même s’ils sont parfois totalement déprimés je les accueille donc ils sont déjà un peu déconcertés de
voir « tiens quelqu’un me dit bonjour »…je vois qu’il y a aussi la manière d’aborder les gens, la façon de les
regarder aussi donc…s’intéresser quand même à ce qu’ils racontent donc… »
La logique commerciale et l’aspect managérial, entrepreneurial du métier de pharmacien est
pour le moins évanescent dans leurs discours lorsqu’ils présentent leur manière de concevoir leur
métier et les implications de celui-ci. Elle n’est, bien évidemment pas complètement absente, ces
pharmaciens ayant conscience qu’ils ont un commerce à gérer ; cependant, elle n’est qu’une logique,
une dimension parmi d’autres et la notion de patient demeure toujours au centre de leur
représentation, celle-ci définissant nombre de leurs pratiques professionnelles qui ne dérivent pas
réellement d’une approche centrée sur la maximisation du chiffre d’affaire ou la fidélisation du
client.
Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « J’essaie de leurs donner un maximum
de conseils, j’essaie de…d’être le plus à l’écoute possible et d’être…oui de répondre à leurs questions, à leurs
attentes sans les bourrer de médicaments. Et c’est au fur et à mesure des années qui passent que je peux de
mieux en mieux les connaître et donc je peux proposer de plus en plus de produits en fonction de leurs
besoins et ça c’est sûr que par rapport il y a dix ans, il y a dix ans je…je donnais des conseils sur des
questions très ciblées et maintenant je sais aller plus loin parce que je connais les gens et je connais leurs
besoins ».
242
REYES, Grégory, « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p.304-305.
94
Le choix de ces pharmaciens de recourir à des niveaux d’utilisation de mesures techno-
préventives très bas pourrait se comprendre comme produit de cette conception particulière du
métier de pharmacien centrée sur la proximité avec le patient. Ces pharmaciens sembleraient vouloir
demeurer proches de leurs patients afin de pouvoir mieux les comprendre et cibler leurs besoins
médicaux et pharmacothérapeutiques. Au regard de cette conception du métier de pharmacien, de
cette identité professionnelle particulière, il se pourrait que les mesures techno-préventives soient
considérées comme autant d’éléments inutiles et entravant l’établissement de rapports de proximité
avec le patient ou, du moins, créant une impression de distanciation du pharmacien par rapport à
ses patients. Le mode d’organisation de la pharmacie, de son espace, correspondrait à celui que
Reyes identifie sous le concept de « design organisationnel » : « la structure est agencée pour faciliter
l’accueil et favoriser la convivialité. Toutes ses activités sont organisées en fonction de sa volonté à
assumer sa mission de santé. (…) Le conseiller expert s’appuie sur cet attrait lié à la proximité (le
quartier) pour organiser le maximum de services au client afin de le fidéliser. Le titulaire multiplie les
marchés complémentaires au médicament susceptible d’améliorer la qualité de la prestation. Le
temps consacré aux patients est plus long afin de favoriser le contact et le conseil. »243. Ce mode
d’organisation de la pharmacie semble se retrouver parmi nos pharmaciens faisant faiblement usage
des mesures techno-préventives.
Il semble y avoir une proximité entre ce que Reyes identifie comme les « titulaires hédonistes »
et nos pharmaciens « utilitaristes » dans leur utilisation des mesures de techno-prévention, les
individus appartenant à ces deux types de profils semblant démontrer des représentations du métier
de pharmacien très similaires, de même que pour les pratiques professionnelles et organisationnelles
dont ils font preuve. De cette similarité que pouvant nous dire ? Nous pouvons avancer, avec
prudence, qu’il existe une corrélation entre les propriétés afférentes au profil établi par Reyes et les
propriétés de notre présent profil, ce qui pourrait impliquer que les pharmaciens faisant prévaloir
une logique médicale dans leur profession et un style de gestion fondé sur la proximité avec le
patient privilégient un usage « utilitariste », minimal des mesures techno-préventives. Cette
proposition hypothétique s’inscrit néanmoins dans la continuité des observations de certaines
études ayant porté sur les rapports entre pharmaciens et patients et leurs conséquences
organisationnelles pour la pharmacie244. En effet, si la littérature scientifique existante est d’un faible
recours en raison du fait que les pharmacies aient peu été étudiées sous l’angle sociologique ou du
management, il semblerait que certains éléments liés au mode d’organisation de la pharmacie tels
que la taille et l’ouverture des espaces offerts à la clientèle ou encore l’agencement de comptoirs,
qui sont autant d’éléments dont la fonction première est détournée afin de réduire les risques de
sécurité245, affectent les rapports entre le pharmaciens et usagers246. Certains pharmaciens semblent
conscients de ces effets et tentent de les amoindrir tant que faire se peut, voire même de les éviter
243
REYES, Grégory, « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°.248, 2015, p.87-88. 244
ALBEKAIRY, Abdulkareem M., “Pharmacists’ perceived barriers to patient counselling”, Journal of Applied Pharmaceutical Science, Vol.4, N°.1, 2014, p.70-73; FORTNER, Kim, “Physical barriers to the practice of pharmaceutical care in the retail setting”, CAPSI University of Saskatchewan, 2008, 15 p.; EMMETT, Dennis & al., “Pharmacy layout: what are consumers’ perceptions?”, Journal of Hospital Marketing & Public Relations, 2006, p.67-77. 245
WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.24-25 246
ALBEKAIRY, Abdulkareem M., op.cit., p.71-72.
95
totalement en procédant à une organisation de leur pharmacie pour satisfaire au mieux les attentes
et besoins des usagers247.
ii. Une conception intermédiaire, « réaliste » : l’utilisation modérée de mesures techno-
préventives et ses motivations :
Un autre profil de pharmaciens, au regard de l’utilisation faite des mesures techno-
préventives pour se protéger des risques de sécurité et de braquages, a été qualifié de « réalistes».
Comme pour la catégorie précédente de pharmaciens, nous avons procédé à une analyse des
données et à un découpage de celles-ci en recourant à des indicateurs objectifs et subjectifs, la
combinaison de ceux-ci nous permettant finalement d’arriver à la qualification de « réalistes » sur le
plan de leur recours à des mesures de techno-prévention pour un certain nombre de pharmaciens
issus de notre échantillon. Nous avons considéré, sur le plan objectif, que les pharmaciens pouvaient
être qualifiés de « réalistes » lorsque ceux-ci faisaient montre d’un investissement plus important
dans les mesures techno-préventives, se traduisant par l’utilisation d’au moins trois types de
mesures techno-préventives. Nous avons également pu constater, sur le plan des indicateurs
subjectifs, l’existence de motivations relativement plus élaborées dans cette catégorie d’utilisateurs
que chez les pharmaciens réalisant une utilisation minimale des mesures techno-préventives. Parmi
ces motivations peuvent se retrouver une volonté d’anticiper et de prévenir les risques de sécurité
de manière large, de même que de pallier aux faiblesses de sécurité détectées. Néanmoins cette
volonté de rechercher la sécurité n’est pas disproportionnée, certaines limites étant fixées à cette
volonté et au processus de sécurisation de leur pharmacie, de sorte que la recherche de la sécurité
absolue ne constitue pas une priorité.
Une utilisation motivée par la prudence :
Les pharmaciens appartenant à cette catégorie ont, pour la plupart, axé leurs justifications de
recourir à un nombre relativement important de mesures de techno-prévention autour de la notion
générale de prudence. Ces pharmaciens semblent avoir réalisé une analyse plus ou moins étendue et
complète de l’exposition de leur pharmacie à certains risques de sécurité et à certains phénomènes
délictueux violents tels que le braquage et ont, en conséquence, adapté l’organisation de leur
pharmacie afin de prévenir ces risques le mieux possible. Ces pharmaciens présentent la particularité
de tenir un raisonnement abstrait, une anticipation de risques de sécurité hypothétiques se fondant
sur une inclinaison personnelle à la prudence d’un côté, mais également sur certaines informations
concernant la sécurité d’autres pharmacies qu’ils ont pu obtenir. Il y a donc un raisonnement logique,
rationnel à l’œuvre chez ces pharmaciens visant à se prémunir au mieux des risques éventuels
pouvant apparaître dans le domaine de la sécurité, ce qu’aucun des pharmaciens appartenant à la
première catégorie n’a démontré.
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « On a un système d’alarme, [du style
bouton pressoir ?] non ça c’est Télépolice, non on a un système d’alarme pour quand c’est fermé,
contre les cambriolages parce que pendant un moment on cambriolait beaucoup les pharmacies de
247
WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.24-25.
96
façon assez violente juste pour prendre la caisse quand c’était fermé. On a des volets…parce qu’il y a
une époque il doit y avoir sept, huit ans de ça la tendance était de forcer les portes électriques des
pharmacies…qui n’avaient pas de volets, ils forçaient les portes, ils arrachaient les caisses, ils partaient
avec, ils n’avaient pas plus de 200 ou 300 euros de fond de caisse…voilà, pour ça nous on a des volets,
quand on a transformé on a mis des volets pour ça, donc ça fait partie de la prévention…euh…Voilà,
c’est une serrure de sécurité sécurisée à l’arrière…et le système d’alarme, plu Télépolice donc oui je me
sens relativement en sécurité. »
Auteur du mémoire : « Et ces mesures vous les avez…vous les avez implémentées après…à un
moment précis, par rapport à un certain fait ? »
Nicolas : « Non. Non, je…j’ai toujours été convaincu qu’il fallait des volets mais je suis quelqu’un
d’assez prévoyant et de méfiant, donc je me suis équipé comme ça. Dès qu’il y a eu Télépolice et que
j’ai pu le faire j’ai pas attendu qu’il se passe quelque chose. Je connais trop de gens qui ont mis une
alarme après leur troisième cambriolage et pas avant, voilà c’est… »
L’effet dissuasif et rassurant semble être également recherché, ou du moins apprécié, par les
pharmaciens mettant en œuvre un nombre relativement plus conséquent de mesures techno-
préventives de différents types. Le but recherché est autant d’essayer de dissuader de potentiels
assaillants de passer à l’acte que de parvenir à l’établissement d’un environnement de travail
sécurisant. Cette volonté d’agir sur le climat au sein de la pharmacie et de dissuader, autant que faire
se peut, les assaillants et voleurs potentiels s’inscrit dans cette attitude générale marquée par la
prudence que nous évoquions précédemment.
Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Ben nous, le jour où ça été mis en
place au tout début là après le…Ben oui, parce qu’on a quand même eu…qu’est-ce qu’on avait eu en
fait…on a quand même eu un truc, j’avais déjà oublié cette histoire…Il y a deux types qui étaient venus
nous demander la même chose. On a déjà appelé la police mais je ne sais plus pourquoi c’était…mais il
y avait eu en tout cas un suspect, je sais plus c’était pour du vol, un vol ou je ne sais plus quoi. Et on
avait pu revisionner les images quand on les appelle, bah ils nous disent faites le lien et on peut
revisionner…mais bon ça prend quatre heures, faut généralement avoir l’envie de faire ça, mais on peut
le faire si on veut. Et je trouve qu’on se sent plus…je sais pas comment expliquer…il y a une preuve quoi.
Même s’il ne s’est rien passé on se dit ben on l’a peut-être dans la boîte quoi, « on a ton visage »…Je
trouve que…ouais c’est rassurant. On se dit « bon ben il y a quelque chose au moins », on a son visage,
on a les preuves quoi. Après on se sent moyennement rassuré, enfin ça n’a pas vraiment d’effet sur les
gens parce qu’on a normalement une affiche dans un but dissuasif où il est marqué Télépolice, ici c’est
filmé. Mais vu que notre femme de ménage l’a tellement lavé et que c’était en lambeaux elle s’est dit
c’est tout moche je vais l’enlever. Finalement on a plus l’affiche mais normalement le but, la caméra
elle est jaune enfin ça se voit, le but c’est d’être vu en fait. Au début moi j’avais même pas compris, je
disais « m’enfin c’est vraiment »…oui mais le but c’est de dissuader avant de corriger quoi. Donc, si on
est content quand même. On se sent…pas en sécurité, mais ils vont voir qu’on a une caméra et moi
j’aime mieux quoi. Même pour les petits vols quoi. »
Une volonté de sécurisation de la pharmacie qui rencontre certaines limites :
Si les pharmaciens faisant preuve d’une utilisation modérée des mesures techno-préventives
existantes manifestent une volonté claire de se prémunir des risques de faits délictueux ou violents,
réels ou supposés, celle-ci n’est pas absolue. En effet, pour certains pharmaciens que nous avons
classés dans cette catégorie, si assurer la sécurité de sa pharmacie est une nécessité et s’il est normal
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pour cela d’investir dans plusieurs types de mesures techno-préventives, cela n’implique par le
développement d’un ensemble de systèmes de sécurité parfaitement cohérent et systématisé. Leur
investissement dans les mesures de techno-prévention demeure relativement important,
particulièrement au regard des attitudes présentées par nombre de pharmaciens de notre
échantillon que nous avons présentés précédemment, mais souffre de quelques défauts néanmoins,
certains de ces pharmaciens semblant s’accommoder relativement bien de failles dans leurs
dispositifs de sécurité tant que celles-ci demeurent limitées. Cependant, il convient de noter qu’à
l’inverse des pharmaciens appartenant à la première catégorie, ces failles de sécurité sont comblées
lorsque celles-ci ont permis la matérialisation d’un fait violent ou délictueux. Cela traduit à notre
sens, comme nous le disions précédemment, une volonté d’assurer une sécurisation continue de la
pharmacie ainsi qu’une gestion rationnelle des risques de sécurité.
Auteur du mémoire : « Et toutes les…les mesures, les caméras etcetera vous les avez installées
euh…par rapport à quelque chose, un fait spécifique ou les avez installées comme ça ? »
Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Non, par rapport
à un fait spécifique ! Dans le temps il y a, quand on est venu ici c’est vrai qu’ils nous ont cambriolé, ça
c’est le…le…la bienvenue ça, voilà ils ont cambriolé etcetera, nous on avait fait installé un système
d’alarme mais on voulait le changer parce qu’il tombait en panne…donc il est tombé en panne, on
voulait le changer et…je ne sais pas s’ils sont malins ou je ne sais pas si c’est par hasard…donc entre
le…le…vendredi et le lundi il n’y avait pas d’alarme et ils sont entrés, cassé, le problème c’est qu’ils ont
cassé, cassé, cassé, cassé…donc…la porte était ouverte, voilà c’est pour ça qu’on a changé de
système. »
De même, certains pharmaciens issus de cette deuxième catégorie d’utilisateurs de mesures
techno-préventives affichent ouvertement un certain scepticisme face à l’opportunité de faire usage
des types les plus radicaux et les plus « invasifs » des mesures de techno-prévention. Ces mesures, si
elles sont considérées comme appréciables de par l’effet rassurant qu’elles peuvent amener, ne sont
néanmoins pas accueillies sans équivoque par tous les pharmaciens d’officine, certains d’entre eux
les concevant comme des solutions partielles aux problèmes de sécurité, dont l’efficacité et la
justesse pourraient être questionnées.
Ahmed [pharmacien titulaire dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Mais c’est vrai
qu’avec Télépolice on était rassuré…c’était rassurant psychologiquement mais je ne sais pas si j’appuie
sur le bouton est-ce qu’ils vont venir dans dix minutes ou dans deux heures, ou bien ils ne vont pas venir
du tout…mais c’est vrai que psychologiquement tu te dis « voilà, j’ai un bouton si jamais il y a quelque
chose » mais…je reste à dire que ce n’est pas la meilleure solution si vous vous faites attaquer…donnez
et…ayez une assurance et restez calme. »
Les mesures les plus extrêmes, agissant physiquement sur la pharmacie et ses accès tel que
les systèmes de verrouillage à distance des portes d’entrée, ne sont généralement pas considérées
favorablement par les pharmaciens ayant été identifiés comme appartenant aux utilisateurs modérés
de mesures techno-préventives. En effet, s’ils abordent la possibilité de mettre en œuvre ce type de
mesure, ou s’ils en font usage effectivement, ils en soulignent néanmoins les effets néfastes en
termes de contact avec les patients et le fait qu’il s’agisse d’une mesure imparfaite imposée par les
contraintes de sécurité. Le recours à ce type de mesure techno-préventive, à ce type de modification
de l’organisation et des pratiques professionnelles au sein de la pharmacie, n’est pas réalisé de gaité
de cœur par ces pharmaciens qui, il est intéressant de le noter, semblent également tentés de s’en
départir dès que cela s’avère possible.
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Auteur du mémoire : « C’est juste, je rebondis par rapport à ce que vous disiez, vous adaptez vos
heures d’ouverture en fonction de…la période de l’année et du… »
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Heures d’ouverture non, maintenant
en garde clairement, si on est en hiver, qu’il fait noir, qu’il fait dégueulasse, qu’il fait froid, je vais
fermer mon volet et servir par le guichet, je vais dire…au plus tard à vingt heures, même si c’est pas
évident pour les clients. En été, quand il fait chaud, quand tout le monde se promène en short et en
tongs parce qu’ils vont au restaurant et tout…je vais rester ouvert au moins jusqu’à 21 heures voire
plus parce que s’il est 21H30 et que les gens ils font leur shopping parce que c’est une ambiance
différente et que je sers au guichet ils vont me regarder comme un fou. »
La possibilité d’appliquer ce type de mesure en permanence, par défaut, est rejetée, avec
plus ou moins de virulence, par la plupart de ces pharmaciens. La perspective d’utiliser des systèmes
de verrouillage à distance des portes d’entrée et de ne plus conserver d’accès libre à la pharmacie est
considérée comme une dénaturation du métier qui ne peut être acceptée. Dans certains cas, cette
perspective a clairement été présentée comme la limite ultime imposée par les pharmaciens à la
sécurisation de leur établissement, la restriction générale de l’accès à la pharmacie semblant être
considérée comme une concession trop importante pour être acceptée et comme l’antithèse de leur
représentation du métier de pharmacien.
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Non, travailler comme ça je ne
voudrais pas. Si demain on me dit que je dois fermer mon volet comme dans une bijouterie avec un sas
et faire sonner les gens, j’arrête. Je ne veux pas travailler comme ça. Guichet de garde la nuit on le fait
parce qu’on n’a pas le choix…les gens râlent déjà la moitié du temps, « et pourquoi ? J’ai une tête
honnête pourtant », oui mais je dois leur expliquer qu’on ne sait pas qui entre derrière eux, c’est ça le
problème hein. Dans les cas exceptionnels où quelqu’un entre vous ouvrez le volet pour laisser sortir,
vous voyez un peï qui rentre derrière et voilà on est coincé et il faut être strict, donc…les gens n’aiment
pas, pour nous c’est pas gai non plus de travailler comme ça, être dans un petit…un guichet de garde,
c’est pas gai, donc travailler comme ça toute la journée je ne voudrais pas. Je…voilà. Je ne le ferais
pas. »
L’identité professionnelle de ces pharmaciens : la représentation de leur métier et des
interactions avec les usagers
Les représentations de ces pharmaciens de leur métier et de l’usager ne diffèrent que peu de
celles que nous avons identifiées chez les pharmaciens employant très peu de mesures techno-
préventives pour assurer leur sécurité. Dès lors, les comparaisons avec les typologies et autres
enseignements issus des théories de Reyes semblent plus limitées dans le cas présent qu’elles ne
l’étaient avec la catégorie des pharmaciens « utilitaristes », même si certaines observations
relativement intéressantes peuvent être faites. Nous nous attendions cependant à ce que l’exercice
de comparaison soit plus complexe avec la présente catégorie de pharmaciens, ceux-ci présentant
une similarité relativement importante avec les pharmaciens « utilitaristes », ne s’en distinguant que
par une utilisation plus extensive des mesures techno-préventives et par certaines motivations leur
étant propres. Dans ce cas, et si le mode d’utilisation des mesures de techno-prévention est lié à la
façon dont le métier de pharmacien est envisagé et concrètement organisé comme nos
comparaisons avec les utilitaristes semblent l’avoir montré, il est relativement peu probable que
99
nous puissions faire correspondre un autre type de profil de pharmacien gestionnaire à notre présent
profil de pharmacien utilisateur de mesures techno-préventives.
Dans leur grande majorité, les quelques pharmaciens appartenant à la catégorie des
« réalistes » semblent concevoir globalement leur métier et leur mode d’interaction avec les usagers
de pharmacie de façon analogue aux pharmaciens que nous avons qualifiés « d’utilitaristes ».
Comme eux, et à l’instar de ce qu’avait observé Reyes, ils accordent une grande importance à la
satisfaction des besoins du patient et à l’écoute de celui-ci. Cependant, certaines divergences
peuvent également être observées. Au premier plan de celles-ci, se trouve la place relativement plus
importante qu’occupe la figure du client et les autres notions connexes se rapportant à la dimension
commerciale du métier de pharmacien. Alors que chez les pharmaciens ne faisant que faiblement
usage de mesures techno-préventives la figure du patient est omniprésente, régissant les pratiques
du pharmacien dans tous les aspects de son métier, elle est ici plus ténue, se conjuguant avec celle
du client entre différents discours de pharmaciens interrogés, et même au sein d’un même discours
parfois. Certains concepts, certains aspects du métier de pharmacien sont ainsi mis en avant dans
leurs discours réflexifs sur leur profession, même si ils en relativisent la portée. Leur simple mention,
et le fait que le discours du pharmacien soit construit autour d’elles, indique à yeux une importance
plus grande accordée à ces aspects.
Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Je pensais que ce métier c’était
plus…Mon père était pharmacien indépendant et donc j’ai toujours eu cette image de…de
l’indépendant. Moi moyen, c’était plus…Ici on fait partie d’un groupe donc c’est différent, ça n’a rien à
voir, c’est même pas une seule officine dont on fait partie, donc c’est vraiment très différent. Et quelque
part on fait partie d’un groupe d’indépendants qui…c’est pas Multipharma et compagnie, donc il
respecte très fort le…enfin le statut de pharmacien et de choix en fait, donc on a aucune obligation de
vendre ceci- cela en temps normal. Donc moi ça ne correspond pas ce que…à mes espérances mais c’est
pas plus mal, ni mieux. C’est différent. »
Les impératifs de vente, s’ils sont niés dans leur effet contraignant, font néanmoins partie de
la conception de cette pharmacienne de son métier, attestant de l’importance relativement plus
importante de la dimension commerciale au sein de celui-ci. De même, plusieurs de ces pharmaciens
nous ont fait part de leur expérimentation, dans certains lieux où ils ont été amenés à exercer, de
certaines interactions avec les usagers de pharmacie très impersonnelles et marquées par une
logique commerciale, l’usager occupant le rôle de consommateur. Ces expériences semblent avoir
atteint leur représentation du métier de pharmacien, ou du moins semble leur en avoir dévoilé la
dimension commerciale, même si elles ne semblent pas avoir eu un réel effet structurant.
Sylvie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « Effectivement, il n’y a pas de…il
n’y a pas de fantaisies. Bon nous c’est tous les jours fermés...ben c’est comme tout commerce, on
ferme à la même heure on ouvre à la même heure. On finit assez tard mais je trouve qu’on fait un
métier où on a encore de la chance, parce qu’on est respecté…même si ça change. Etre pharmacien il y
a cinquante ans c’était vraiment…enfin voilà, après le curé dans le village et le médecin
c’était…maintenant c’est plus comme ça, on est plutôt caissier. Mais je trouve qu’ici, heureusement
comme les gens sont « éduqués »…je trouve qu’on nous respecte encore beaucoup. Ils nous prennent
pas trop pour des…ben je trouve qu’on a encore un certain respect de leur part et…je pense que dans
les plus petites aussi parce qu’on est quand même d’une utilité certaine. Puisqu’on est quand même la
barrière avant le médecin donc ça permet d’éviter des rendez-vous chez le médecin et ça aide quand
même pas mal. Mais je pense que par exemple à Uccle les gens sont plus…parvenus. On est parfois
moins bien traité. C’est-à-dire que…on est qu’un pharmacien, « de toute façon on n’a même pas besoin
100
de vous ». Ça devient comme aux Etats-Unis, c’est du self-service quelque part. « Ma boîte de Dafalgan
je peux l’acheter sans vous », enfin on nous considère un peu plus comme ça je pense tandis qu’ici je
trouve qu’on a encore de la chance. »
Sébastien [assistant pharmacien dans la commune d’Ixelles] : « C’est vrai que le métier évolue
surtout…et c’est vrai qu’en fonction des quartiers…enfin, je pense à Rue des Tongres surtout, ou c’est
vrai que De Fré où ils n’hésitent pas à dire « oui mais je le paye cash le médicament. Pas besoin
d’ordonnance »…[tu me le donnes] oui c’est ça, « tu me le donnes en main et puis voilà je te donne
l’argent et puis… ». Or que voilà, on a quand même une obligation légale à respecter…et, voilà…les
gens n’ont plus le même respect qu’avant, ils pensent qu’avec leur argent on ne peut rien leur refuser,
leur donner tout ce qu’ils veulent. Et c’est vrai qu’après quand tu travailles dans d’autres petits villages
comme Brugelette ou d’autres, vraiment au fond du Hainaut, ben là…c’est un peu différent, c’est
vraiment…On est, les gens nous considèrent plus vraiment plus…avant le médecin, vraiment…[l’intello
du village]. Oui voilà c’est un peu ça. »
Ces quelques témoignages sont le reflet de l’évolution des structures du marché des produits
pharmaceutiques qui déteignent sur la représentation du pharmacien de son métier et, par ricochet,
sur le mode d’interaction développé avec les usagers et les pratiques organisationnelles suivies. Face
à ces difficultés, Reyes soutient que deux formes principales de réactions sont possibles de la part du
pharmacien ; celui-ci peut décider de résister à la pression instituée par les mutations des structures
du marché, se retranchant dans son rôle de professionnel de santé en refusant, par exemple, de
jouer à fond les avantages concurrentiels en termes de prix248. Il peut également décider de
s’adapter, adoptant une vision stratégique centrée sur le maintien de la compétitivité de son activité,
ainsi que des pratiques et des instruments correspondant à un autre profil de pharmacien
gestionnaire249. Dans ce denier cas de figure, l’usager est perçu essentiellement comme un client
qu’il s’agit de fidéliser et de satisfaire. A l’inverse des pharmaciens gestionnaires « hédonistes »,
semblant pouvoir correspondre à nos pharmaciens utilitaristes dans le domaine de l’utilisation de
mesures techno-préventives, ces pharmaciens plus réceptifs aux pressions du marché identifiés par
Reyes ne correspondent que très partiellement aux pharmaciens faisant un usage modéré des
mesures techno-préventives dont nous parlions plus haut. Hormis le fait que nos pharmaciens
« réalistes » semblent plus influencées par la dimension commerciale du métier de pharmacien,
accordant plus ou moins d’importance à la logique commerciale et aux pratiques organisationnelles
afférentes, et qu’ils partagent une vision stratégique où la satisfaction du client est relativement
présente250, nous ne sommes en mesure d’identifier d’autres correspondances avec d’autres
catégories de pharmaciens gestionnaires identifiées par Reyes, cela dans la mesure où nous
manquons de données quant aux stratégies organisationnelles et managériales développées par nos
pharmaciens.
Nous ne sommes donc pas en mesure d’explicitement relier les pharmaciens d’officine
réceptifs aux pressions du marché, ou de profil « alimentaire » et portés sur la survie de leur
entreprise selon Reyes251, et les pharmaciens développant une attitude « réaliste » par rapport à
248
REYES, Grégory, « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, p.16-17 ; idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.85. 249
Idem., « Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie », Revue Française de Gestion, N°248, 2015, p.85. 250
Idem., « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p.304-307. 251
Ibidem.
101
l’emploi de mesures techno-préventives, ne pouvant soutenir que l’une complète vraisemblablement
l’autre par plus que nous ne pouvons l’écarter dans l’absolu. Si quelques attitudes relativement
résistantes manifestées par certains de nos pharmaciens face aux pressions croissantes du marché et
des consommateurs tendent à plaider pour les considérer comme des pharmaciens attachés à la
défense de la dimension médico-sociale de leur métier, à l’instar des pharmaciens « hédonistes »,
cela n’est pas le cas de tous. Ainsi, quand certains pharmaciens de notre présente catégorie
réaffirment leur rôle de professionnel de santé face aux comportements jugés « inappropriés » des
usagers, les rapprochant des observations de Reyes, d’autres éludent complètement toute référence
au patient dans leurs discours réflexif sur leur métier, laissant imaginer que d’autres figures et
notions ont plus d’importance à leurs yeux. Devant pareille hétérogénéité de représentations au sein
de notre catégorie de pharmaciens, abstenons nous de conclusions trop radicales et trop incertaines.
Par prudence, nous pouvons raisonnablement avancer l’hypothèse que notre catégorie de
pharmaciens rassemble aussi bien certaines formes de pharmaciens résistants aux pressions du
marché («pharmaciens « hédonistes artistes ») que de pharmaciens y étant plus sensibles
(pharmaciens « hédonistes carriéristes », « alimentaires ») ; il est dès lors possible, toujours de
manière hypothétique, qu’en matière de sécurité ces deux sortes de pharmaciens gestionnaires
s’orientent, à des degrés variables, vers une attitude de prévention des risques de sécurité telle que
celle développée pour les pharmaciens « réalistes », optant pour un recours modéré aux mesures
techno-préventives motivé par la conscience des risques et de la nécessité de les réduire.
iii. La conception « absolutiste » de la techno-prévention : l’utilisation maximale des mesures
techno-préventives et ses motivations :
La dernière catégorie d’utilisateurs de mesures techno-préventives identifiée est, de loin,
celle qui a le plus retenu notre intérêt, au regard de notre sujet de recherche. En effet, certains
pharmaciens semblent se caractériser par une utilisation très extensive et très « radicale » des
différents types de mesures techno-préventives existants, établissant des stratégies de protection à
l’égard des risques de sécurité influant grandement sur l’organisation de la pharmacie et sur
l’accessibilité de celle-ci. Sur le plan strictement objectif et matériel, ces pharmaciens font preuve
d’une utilisation extensive des différents types de mesures techno-préventives existants en
investissant massivement en temps et en capital dans l’achat et l’entretien de divers systèmes de
protection. Nous avons également considéré comme indicateur d’un mode d’utilisation
« absolutiste » des mesures techno-préventives le choix volontaire de contrôler directement les
entrées au sein de la pharmacie et de réduire la libre accessibilité de celle-ci, cela se traduisant par
l’installation de systèmes de verrouillage à distance des portes d’entrée. Ce type particulier de
mesure étant le plus extrême que nous ayons pu observer dans le domaine de la techno-prévention
au sein des pharmacies, nous avons considéré que celui-ci était susceptible de traduire une volonté
de sécurisation de l’officine poussée à l’extrême. Sur le plan des motivations, nous avons supposé
que cette utilisation extensive et radicale des mesures techno-préventives devait nécessairement
s’accompagner d’une recherche de la plus grande sécurité possible, au prix de concessions
potentiellement importantes dans l’organisation de la pharmacie et dans la conduite des pratiques
professionnelles du métier. Les pharmaciens ayant recours aux types les plus radicaux de mesures
techno-préventives devraient manifester une réelle volonté, voire un réel besoin, d’assurer leur
protection vis-à-vis de certains types de faits délictueux et, selon toute probabilité, violents.
102
Une utilisation maximale des mesures techno-préventives marquée par la renonciation à
l’accès libre à la pharmacie :
Une caractéristique majeure des stratégies de prévention des risques de sécurité
développées par cette catégorie de pharmaciens est, incontestablement, le recours à des mesures
empêchant l’accès libre à la pharmacie. Si nous avons fait de cette mesure la propriété charnière des
pharmaciens manifestant un conception « absolutiste » des mesures techno-préventives c’est bien
parce qu’elle ne constitue pas une simple mesure techno-préventive d’un genre particulier venant
s’ajouter à un arsenal de prévention déjà mis en œuvre par un pharmacien, mais qu’elle vient
profondément altérer l’un des principes fondamentaux de la pharmacie, à savoir l’accessibilité et
l’ouverture au public. Il y a ici un antagonisme entre un principe de base de fonctionnement d’une
pharmacie et la logique de sécurisation incrustée dans cette mesure, le pharmacien étant contraint
de consentir à la renonciation, ou du moins à la profonde altération, d’un des principes élémentaires
de sa profession pour favoriser sa sécurité et celle de son établissement. Dès lors, nous avons fait de
l’application d’un système de verrouillage à distance des portes d’entrée de la pharmacie un
indicateur particulier, conditionnant le regroupement des pharmaciens au sein de cette catégorie de
pharmaciens « absolutistes » dans leur approche de la sécurité et de la techno-prévention. Tous les
pharmaciens rassemblés dans cette catégorie ont donc appliqué, volontairement et en connaissance
de cause, ce type de mesure à leur pharmacie. Par le biais de ce regroupement nous pouvons
espérer parvenir à isoler et mettre en lumière les motivations de ces pharmaciens pour recourir à ce
type de mesure, ainsi que la manière dont ils le conçoivent. Au final, nous pourrions alors être en
mesure de déterminer en quels termes ces pharmaciens considèrent la limitation de l’accessibilité de
leur pharmacie et les conséquences que cela implique sur leur mode d’interaction avec les usagers.
Cette catégorie est composée de quatre pharmaciens d’officine présentant tous une utilisation
effective d’un système de verrouillage à distance des portes de la pharmacie. Il est à noter que,
même si un autre pharmacien de notre échantillon (Jean) disposait également de ce type de mesure
dans sa pharmacie, nous ne l’avons pas retenu et inclus dans la présente catégorie en raison du fait
qu’il s’agissait d’un héritage du temps de son père et qu’il ne lui conférait qu’une valeur
« symbolique », ne le gardant que par habitude et par accommodation.
Le recours à ce type de mesure particulier procède d’une progression vers un degré de
sécurisation toujours croissant pour l’ensemble des pharmacies appartenant à cette catégorie. Il
s’agit, en quelque sorte, de l’étape la plus aboutie à notre connaissance d’un continuum de
sécurisation de la pharmacie. La mise en œuvre de systèmes de contrôle à distance des accès de la
pharmacie ne s’est pas réalisée soudainement mais procède d’un ajustement par étape, les
pharmaciens ayant procédé à des renforcements successifs de la sécurité au sein de leur officine par
la multiplication des types de mesures techno-préventives employés et du nombre de dispositifs de
protection en fonction. La décision de réguler les entrées dans la pharmacie serait donc
l’aboutissement d’un processus de sécurisation marqué par un renforcement progressif du niveau de
sécurité au sein de l’officine, en réaction à plusieurs épisodes délictueux et violents. On peut noter,
au préalable, les tentatives des pharmaciens de consolider leurs dispositifs de sécurité déjà existants
pour en maximiser l’efficacité, avant de prendre la décision de recourir aux systèmes restreignant
l’accès à la pharmacie et de changer ainsi radicalement leur stratégie de prévention.
103
Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ben quand je suis
arrivée, il y avait trois caméras, il y en a une à l’extérieur, il y en a une là et là [différents endroits à
l’intérieur de la pharmacie] et…donc il y a l’écran derrière qui, qui…l’ordinateur qui enregistre et
puis…après le premier braquage on a commencé à discuter de voir ce qu’on pouvait améliorer, on a
donc installé l’ouvre-porte, le système magnétique…et alors une quatrième caméra, ça c’est moi qui l’ai
demandée parce que les trois caméras on ne voit pas bien le visage, là il est vraiment, la caméra est
vraiment mise sur l’entrée…bon, en gros, la personne se met là, moi j’ai pas d’autre ordinateur [caisse],
donc la personne se met là et c’est là qu’on peut voir son visage…Donc on ne sait pas faire grand-chose
de plus. »
La mise en place de ce type de mesure, en plus d’intervenir à l’issue d’un processus de
renforcement et d’extension des dispositifs de sécurité déjà existants, s’inscrit également dans la
constatation d’une certaine faillite des dispositifs de sécurité déjà implémentés, ou du moins de leur
relative incapacité à juguler les risques de phénomènes délictueux et violents au sein de la
pharmacie. Certains types de mesures techno-préventives plus répandus, mais néanmoins
relativement avancés, ne semblent pas à même d’assurer une protection suffisante de la pharmacie
pour certains de ces pharmaciens, ne parvenant ni à dissuader le passage à l’acte délictuel, ni à
permettre une réaction de défense lorsque celui-ci se concrétise en actes.
Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Au fur et à mesure, après
chaque agression, je me dis « qu’est-ce que je pourrais faire pour améliorer [la sécurité] ? ».
Donc…donc j’ai mis une caméra qui enregistre au-dessus et…et une sonnette quoi…et le guichet de
garde pour la garde, mais ça je l’ai toujours mis dès le départ donc…c’est tout. »
Auteur du mémoire : « Vous n’avez pas…pas un bouton d’alerte ? »
Linh : « Avant j’avais ça, parce que 1000 Bruxelles faisait ça pour les petits commerçants et puis un
moment ils ont arrêté le contrat donc…donc j’ai un système d’alarme ici que j’ai financé moi-même et
donc en cas de problème on peut appuyer quoi mais…mais on n’a pas le temps, même si on sait qu’on a
ça, c’est trop tard…ils pointent l’arme, qu’elle soit factice ou pas…on ne bouge pas quoi, donc on n’a
pas le temps de bouger vers l’endroit où on a mis le bouton pour appuyer quoi, donc c’est bien pour se
rassurer mais quand ça arrive on n’a pas le temps…d’appuyer sur ce bouton-là. »
Sur le plan des « attitudes psychologiques » des pharmaciens, liées à la restriction de l’accès
à la pharmacie, on peut constater la prégnance d’un sentiment de méfiance très général. En effet, les
pharmaciens regroupés dans cette catégorie nous ont tous fait part d’une crainte aux contours
imprécis les animant dans l’exercice de leur profession. Dans pareille disposition mentale, toute
personne requérant l’entrée à la pharmacie est a priori suspecte et fait l’objet d’une méfiance
générale, « par défaut », les pharmaciens craignant une attaque de braqueurs qu’aucune
caractéristique physique ou attitude ne permet d’identifier avant le passage à l’acte.
Chantale : [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-ville] : « Une fois que je suis
dans la pharmacie il n’y a aucun problème mais c’est vraiment les gens sur le chemin, à l’allée, au
retour c’est vraiment…Je rencontre probablement des gens qui…qui pourraient, qui auraient pu me
braquer, et alors je ne supporte plus de voir…quelqu’un avec un capuchon. Les gens qui
sonnent…maintenant, aujourd’hui j’ai encore demandé à un jeune homme, ce ne sont pas tous des
voyous évidemment mais…je me fais force et je me dis, voilà, je fais signe qu’il l’enlève et s’il ne l’enlève
pas je n’ouvre pas. »
104
Cette méfiance générale se voit bien souvent justifiée ex post par nombre de cas de vols à
main armée et d’agressions de pharmaciens dans lesquels la bonne foi et la bienveillance de ceux-ci
ont directement permis à ce que ces vols et agressions se concrétisent. En effet, la méfiance générale
semble, pour ces pharmaciens, une nécessité au regard du nombre de figures, a priori inoffensives,
dont les braqueurs et agresseurs de pharmaciens ont pu faire usage afin de réaliser leurs méfaits.
Dans pareils cas de figure où les apparences extérieures sont trompeuses, et sont susceptibles de
servir à masquer des intentions criminelles et d’être utilisées comme « cheval de Troie » par les
criminels afin de pénétrer au sein des pharmaciens, la méfiance extrême et générale devient une
attitude naturelle de laquelle le pharmacien ne peut s’éloigner. Les nombreux récits circulant dans la
profession de pharmaciens s’étant fait agresser et braquer car n’ayant pas fait preuve d’assez de
prudence témoignent de la pénalisation de la bienveillance et de l’ouverture à l’égard du public, et
confirment nos pharmaciens dans leur attitude de méfiance générale et systématique.
Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Donc…je savais, j’étais
à côté, une fois pendant la…un samedi…il pleuvait…et il y a un couple qui vient…avec…une poussette et
la femme était enceinte, pour un produit ils voulaient rentrer dans la pharmacie, je dis « je l’ai pas, je
l’ai pas mais allez à la pharmacie… », je leur indique la pharmacie et tout ça…c’était une fausse
grossesse, et ils ont braqué la pharmacie qui était là ! La pharmacienne les a fait entrer parce qu’elle a
vu que la femme était enceinte et tout, c’était une fausse grossesse et…elle a été agressée ! (…) Et cette
fois-là on a eu beaucoup de chance, beaucoup de chance ! Parce que d’habitude quand il y a quelqu’un
qui vient comme ça à…quand je ferme, je les laisse entrer, je dis toujours « ah elle est enceinte et
tout », je compatis…mais je sais pas, j’ai dit non, j’ai dit « c’est pas possible, vous devez aller, il y a une
pharmacie de garde, allez à la pharmacie de garde »…et j’ai bien fait, ils sont allés à la pharmacie de
garde, il pleuvait, la femme les a fait entrer et ils l’ont…ils l’ont agressée. »
Autre conséquence, les pharmaciens ayant recours à la commande à distance du verrouillage
des accès semblent développer une méfiance générale à l’égard de l’ensemble de leur quartier,
procédant à une surveillance de ce qu’il se passe dans les endroits adjacents à leur établissement.
Dans les cas les plus extrêmes, où la victimisation répétée et la crainte des risques d’agressions et de
braquages ont miné la confiance dans le quartier, les pharmaciens semblent se retrancher dans leur
pharmacie et se donnent pour tâche la surveillance des abords de leur officine, considérés
apparemment comme une zone tampon devant être sécurisée, cela afin d’essayer de voir venir les
dangers potentiels.
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Et donc je
suis plus méfiante. En journée je regarde quand même beaucoup plus les gens qui entrent et qui
sortent qu’avant…Il m’arrive de checker un peu ce qu’il se passe dehors, je faisais jamais ça avant, rien
à cirer de ce qu’il se passe sur le trottoir dans ma pharmacie, c’est le cadet de mes soucis, je suis dans
la pharma pour bosser, ce qu’il se passe devant…ça me concerne pas, mais je regarde quand même
plus qu’avant et euh…oui ça, ça…oui, j’ai une certaine méfiance mais plus de ce qu’il se passe dehors
quelque part…une fois que les gens sont dans la pharmacie…soit je les identifie dès la porte comme
ennemi et voilà, mais c’est trop tard…soit c’est juste des clients et par rapport au client je ne pense pas
que ça change quoi que ce soit. Mais je suis oui…globalement plus méfiante, à plus guetter ce qu’il se
passe dehors. »
Ces pharmaciens apparaissent victimes, dans un certain sens, de leur stratégie de prévention
des risques de sécurité et des dispositifs ou politiques qu’ils ont mis en œuvre afin de se protéger.
Sans dénier l’utilité de ces stratégies et dispositifs, les pharmaciens semblent en effet conscients que
ceux-ci affectent grandement leurs comportements et leurs schèmes cognitifs et redessinent
105
complètement leurs habitudes de travail. L’attitude de méfiance systématique, ainsi que les
stratégies de prévention qui la soutiennent, paraissent parfois être considérés par les pharmaciens
comme un poids limitant leur liberté et participant à la dégradation des relations sociales avec les
usagers. Comme certaines études qualitatives sur la victimisation des commerçants l’ont indiqué, ce
sentiment d’une perte en liberté est un effet déjà connu de la victimisation. Certains commerçants
victimes de crimes, en tentant de se préserver d’une répétition de la victimisation, en viennent à
sacrifier à contrecœur une part de leur temps et de leur liberté, ajoutant ainsi un sentiment de
contrainte à leur crainte de la nouvelle victimisation252. De même, la méfiance développée à l’égard
du monde extérieur, procédant d’une crainte difficilement personnalisable et identifiable, conduit
bon nombre de victimes, à l’instar de nos pharmaciens, à éviter le contact avec de personnes
inconnues ou certaines situations jugées suspectes ou dangereuses253, conduisant ainsi à leur
isolement et à un délitement des rapports sociaux courants ou de courtoisie254.
Une stratégie de prévention sujette à certaines limites… :
En dépit du recours effectif et extensif à cette stratégie de prévention particulière, centrée
sur la restriction de l’accès à la pharmacie par le biais de systèmes de contrôle des portes, par nos
pharmaciens, ceux-ci s’avèrent parfois critiques quand à celui-ci, en soulignant clairement qu’il ne
parvient pas à leur assurer une protection optimale en dépit de leurs efforts pour y parvenir.
Plusieurs failles ou effets secondaire regrettables ont ainsi identifiés par les pharmaciens ayant
recours à ces systèmes limitant l’accès à leur pharmacie. En premier lieu, nous pouvons mentionner
le fait que le contrôle exercé par le pharmacien sur les entrées de la pharmacie est loin d’être absolu,
certaines personnes parvenant à entrer dans la pharmacie sans que le pharmacien ne puisse faire
quoique ce soit pour l’en empêcher et sans qu’il puisse jauger si la personne constitue ou non un
danger pour lui et son établissement.
Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Quoi que c’est pas sûr
à 100% parce que quand la porte, quand quelqu’un rentre il faut un laps de temps pour qu’elle se
referme et pendant ce temps-là quelqu’un peut rentrer. Ou bien mes clients ouvrent aussi…ça, ça
arrive, pour faire plaisir…ils se permettent d’ouvrir. Bon, j’ose pas trop leur dire que ça ne se fait pas
mais… »
S’ils ne peuvent empêcher, dans tous les cas, l’entrée de personnes potentiellement
malveillantes dans la pharmacie, ces systèmes de contrôle des accès s’avèrent également
susceptibles d’augmenter le danger auquel le pharmacien peut être confronté, contribuant parfois à
l’augmentation de la tension qui, à son tour, pourrait susciter des comportements violents de la part
d’un délinquant qui ne saurait s’échapper de la pharmacie.
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Alors
même la pharmacie fermée hein, l’autre pharmacie en fait, suite aux multiples braquages, elle a
installé un système où il faut sonner pour pouvoir rentrer...le problème c’est qu’ils tiennent la porte et
le suivant passe...donc c’est qu’à moitié sécurisant parce que si on ne rouvre pas ils ne savent pas
252
BARIL, Micheline, « Ils n’ont plus la liberté : réactions à la victimisation et ses conséquences », Criminologie, Vol.13, N°.1, 1980, 97-99. 253
Idem., « Une illustration de la peur concrète : le cas des victimes », Criminologie, Vol.16, N°.1, 1983, p.34-36. 254
BARIL, Micheline & MORRISSETTE, Anne, “Du côté des victimes, une autre perspective sur le vol à main armée“, Criminologie, Vol.18, N°2, 1985, p.A26-127.
106
sortir, ça c’est le détail qui me déplaît hein...je me dis je ne suis pas à côté, ils ont fini, ils ont pris leurs
trucs, ils veulent sortir, ils n’y arrivent pas, il se passe quoi ? C’est moi qui suis enfermée dedans
hein...et ça, son système à elle moi j’en suis pas fan... »
En tout état de cause, les pharmaciens ayant opté pour une stratégie de prévention
restreignant l’accès à leur pharmacie semblent s’être fait à l’idée que les systèmes de contrôle des
accès ne peuvent leur garantir une sécurité absolue. Certains de ces pharmaciens vont jusqu’à,
implicitement, reconnaître un état de faiblesse relatif contre lequel virtuellement rien ne peut être
fait. La sécurisation de leur officine et la recherche de la prévention des risques d’agressions et de
braquages prend la forme, dans les discours de ces derniers, comme une entreprise sisyphéenne où
chaque avancée dans le domaine de la sécurité n’est que provisoire et est appelée à être dépassée
par l’innovation criminelle.
Linh : [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « En fait au début, la
première fois je n’avais pas de sonnette donc c’était…ils rentraient avec des casques de moto et des
gants…et ça je n’ai pas fait attention, et là ils ont pointé une arme et ils ont pris la caisse. La deuxième
fois c’était quoi ? Je n’avais pas encore de sonnette encore, j’avais une caméra et…mais ça n’a servi à
rien, on ne les a pas trouvé. Et la troisième fois j’ai mis une sonnette et ils ont demandé à un petit
garçon de sonner…ils sont cachés derrière la porte et ils sont rentrés à trois. Voilà, donc je pense que
quoi qu’on fasse ils trouveront toujours la faille pour rentrer s’ils veulent vraiment et…bon moi je fais
tout ça pour moi, pour me sentir en sécurité mais…ils trouveront toujours la manière de rentrer en fait
et…et voilà, quoi qu’on fasse. »
Sur le plan psychologique, si nous pouvions penser a priori que pareille stratégie de
prévention devait parvenir à rassurer les pharmaciens dans l’exercice de leur métier, il semblerait
que les effets ne soient pas univoques. Certains pharmaciens, ayant subis des assauts à répétions et
ayant été contraints d’adapter l’organisation de leur pharmacie en restreignant considérablement
son accès, nous ont ainsi fait part d’un malaise par rapport aux systèmes de verrouillage des portes,
démontrant une certaine ambiguïté dans la manière dont ils les conçoivent.
Chantale [gérante de pharmacien dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Mais ici…en fait je me
sens en prison. C’est plutôt ça. C’est pas que je me sens en sécurité, en même temps je suis enfermée
c’est plutôt ça mais je…je sais qu’il y a cette porte qui est fermée et…bon c’est moi qui décide qui
entre. »
Le malaise peut également porter sur la profonde modification du mode d’interaction avec
les usagers que la stratégie de prévention fondée sur la restriction de l’accès induit. Le malaise ne
porte alors plus sur la limitation de la liberté du pharmacien mais sur la détérioration de la qualité de
l’accueil réservé à l’usager et de la qualité des relations sociales qui en découlent. Le pharmacien
expérimentant pareil malaise semble partagé entre des sentiments contradictoires d’empathie pour
l’usager et de méfiance vis-à-vis de celui-ci et de l’environnement extérieur. Néanmoins, ce malaise
demeure confiné au stade de ressenti émotionnel ou de réflexion abstraite, nos pharmaciens
interrogés ne changeant en rien leur stratégie de prévention et appliquant les politiques qu’ils se
sont fixées en matière de contrôle de l’accès à la pharmacie de façon rigide.
Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Le problème c’est que
après huit…il y a toujours des petits attroupements le soir pour la drogue et ça, moi quand je suis de garde, c’est
horrible parce que les gens n’osent pas descendre de leur voiture, ils voient des petites troupes là et ils ne
viennent pas, ils passent, ils téléphonent pour passer à la pharmacie et ils ne viennent jamais parce que ça fait
107
peur, ils n’osent pas descendre de la voiture et donc ils vont à une autre pharmacie de garde. Donc moi je perds
mon temps et…bon je les comprends parce que rester à l’extérieur…parce que moi je n’ose pas ouvrir non plus
donc ils doivent rester à l’extérieur…(…) Ou il y a des femmes que je laisse dehors et elles râlent aussi, je
comprends aussi parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité et qu’elles voudraient rentrer…mais il y a des
situations où on met une femme devant, on ouvre et ceux derrière ils se cachent, ils rentrent et on ne sait pas,
on ne sait pas comment…[interruption téléphone] »
…mais susceptible d’être encore radicalisée :
Face à la perspective de faire encore évoluer cette stratégie de prévention vers un contrôle
renforcé du public désireux d’accéder à la pharmacie pour assurer plus de sécurité au personnel
officinal, les pharmaciens de la présente catégorie semblent pour le moins divisés. Pour certains, la
perspective d’un approfondissement des dispositifs techniques de sécurité, de cette stratégie de
prévention où l’accès à la pharmacie est déjà restreint et où le public est déjà filtré, demeure une
possibilité qui n’est pas éludée. Et bien que cette perspective d’avenir ne semble pas susciter un
grand enthousiasme chez les pharmaciens qui nous l’ont présentée en des termes relativement plus
positifs, celle-ci ne peut être considérée comme une simple spéculation n’ayant jamais été
considérée sérieusement. En effet, certains pharmaciens semblent avoir déjà envisagé sérieusement
la possibilité de modifier leur stratégie de prévention vers un renforcement des contrôles exercés sur
les usagers de pharmacies ou, du moins, semblent avoir déjà discuté cette possibilité.
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Ah mais on
s’était dit que l’idéal c’était de mettre un sas comme dans les banques…mais euh…c’est pas
faisable…autant matériellement ce, ça prend de l’espace, machin et puis euh…si on doit faire rentrer
des gens dans des sas, maintenant il paraît qu’en Espagne par contre ils reçoivent comme à la banque
avec, avec des vitres blindées etcetera ! (…)Mais le coup de la porte à sas, souvent on en a déjà reparlé
plusieurs fois en disant ben en fait ça serait l’idéal mais nous on le fera pas parce que c’est « too
much »…mais euh…mais on se dit quand même que c’est un idéal…on pense que ça serait la meilleure
option…mais…mais c’est pas faisable, enfin c’est pas faisable, ça me semble difficilement
réalisable…humainement parlant déjà…matériellement aussi, ça doit quand même être assez
exorbitant. »
Tous ne semblent pas prêts à adopter des mesures aussi radicales et à renforcer le contrôle
exercé sur les accès de la pharmacie. En effet, pour certains, la stratégie de prévention impliquant
une restriction du libre accès à la pharmacie et, surtout, l’amputation de l’ouverture sur l’extérieur
du métier de pharmacien est une concession déjà lourde qui ne saurait être encore renforcée. Dès
lors, l’idée de l’implémentation de mesures additionnelles visant à accentuer le contrôle du
pharmacien sur les personnes entrantes dans la pharmacie et, ainsi, à le couper un peu plus du
monde extérieur est une phase du processus de sécurisation qui viendrait rompre un certain
équilibre au sein de leur identité professionnelle. Dans ces cas où l’accord de la primauté à la logique
sécuritaire par rapport aux autres logiques et dimensions du métier de pharmacien paraît
inacceptable, le retrait de la vie professionnelle semble devenir une possibilité envisagée. La
littérature scientifique sur les réactions à la victimisation a mis en exergue cette possibilité, certaines
108
victimes se révélant prêtes à résister au risque de victimisation jusqu’à un certain point mais pouvant
recourir à la fuite au-delà de celui-ci.255
Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ben travailler avec un
guichet comme à la banque…ne pas avoir de contact direct avec les gens…enfin je ne vois pas d’autre
solution. Pourtant, ma banque j’y suis allée justement hier chez Belfius, à Stockel, maintenant ils ont
comme dans un hall d’aéroport ils ont un…allez, un comptoir avec un grand siège où le client se
présente devant, il n’y a pas de…de contact…[interruption] »
Auteur du mémoire : « Est-ce que vous sauriez faire ce dont vous parliez, enfin, devoir mettre un
guichet…est-ce que vous trouveriez ça compatible avec votre manière de travailler ? »
Chantale : « Ben non parce que justement c’est à partir de ce moment-là que je pourrais arrêter de
travailler. C’est…ça…j’aime beaucoup, vraiment beaucoup mon métier mais je me dis, parce que
justement les conditions sont telles, déjà cette sonnette ça m’énerve et j’ai travaillé avec la porte
ouverte toute l’année dernière, l’été était beau, la porte grande ouverte…et…maintenant rester la
porte fermée ça me…ça m’ennuie donc…j’aime bien, parce que ce sont des conditions telles…mais je ne
suis pas faite pour être une employée derrière un guichet. »
Une caractéristique significative dans le parcours des pharmaciens « absolutistes » : le
traumatisme des épisodes de victimisation
L’analyse détaillée des discours des pharmaciens que nous avons catégorisés « absolutistes »,
au regard de leur conception particulière de l’utilisation de la techno-prévention, a révélé une
particularité dans leurs parcours et dans leurs expériences concrètes du braquage que les autres
catégories de pharmaciens n’ont pas démontré. Il s’agit d’une expérimentation particulièrement
traumatique du braquage, la quasi-totalité de ces pharmaciens nous ayant fait part d’avoir vécu
personnellement un ou plusieurs braquages traumatisants. L’important, dans leur discours, semble
moins être le nombre d’épisodes de braquage auxquels ils ont été confrontés que la violence
ressentie lors de ces braquages. En effet, le traumatisme découlant de ces expériences ne semble pas
particulièrement lié au taux de victimisation, les pharmaciens ne mettant pas particulièrement en
évidence le nombre de braquages vécus comme élément central dans leur explication de leur
traumatisme, mais s’attardant beaucoup plus sur la vision qu’ils en ont eue et la violence qu’ils en
ont perçue, même dans les cas où celle-ci n’est demeurée que situationnelle et non traduite en
atteinte physique.
Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Ben la première fois
c’était…c’était…c’était dramatique, enfin j’étais enceinte déjà, j’étais en fin de grossesse et avoir ça, ça
m’a un peu…j’avais peur de recommencer, de revenir travailler et d’un côté je me suis dit « si je ne le
fait pas tout de suite, après ça sera trop tard », donc je me suis forcé à y aller et…c’était, c’était dur la
première fois. La deuxième fois on commence à être habitué [rire]. Et la troisième fois c’était pas moi
c’était ma collègue, et elle était quand même traumatisée quoi. Donc…et…elle a dû quand même suivre
un petit…enfin je crois qu’elle a quand même été voir un psy un certain moment pour pouvoir
débloquer la peur mais…mais voilà, c’est beaucoup de…c’est pas vraiment la perte en elle-même mais
255
BARIL, Micheline, « Ils n’ont plus la liberté : réactions à la victimisation et ses conséquences », Criminologie, Vol.13, N°.1, 1980, p.97, 100-101 ; SKOGAN, Wesley G. & BLOCK, Richard, “Resistance and injury in non-fatal assaultive violence”, Victimology, Vol.8, N°.3-4, 1983, p.220
109
c’est…l’aspect psychologique après, on doit avoir la force d’aller travailler, se sentir, et dès que
quelqu’un rentre avec…un chapeau, une cagoule en hiver on a peur en fait. »
Comme on peut le voir, et contrairement à ce que certaines études pouvaient nous laisser
imaginer256, le nombre d’épisodes de braquage vécus et la violence objective déployée n’est pas
toujours fonction du degré de traumatisme vécu par la victime. En l’occurrence, notre pharmacienne
semble avoir été marquée essentiellement par le premier braquage auquel elle a été confrontée,
probablement pour la raison contextuelle de sa grossesse, en dépit du fait qu’il n’ait pas impliqué de
coups et blessures et qu’il ait été suivi par d’autres braquages par la suite. Relativisons néanmoins la
portée de ce cas particulier car les autres pharmaciens appartenant à cette catégorie semblent,
quant à eux, avoir subi une grande violence dans les braquages auxquels ils ont été confrontés ; ce
qui semble également être à l’origine de l’aspect traumatique de ces braquages aux yeux de ceux-ci.
Dans ces cas, la violence n’est plus seulement situationnelle mais elle se traduit objectivement par
diverses formes d’atteintes à l’intégrité physique du pharmacien, le traumatisme dérivant alors
vraisemblablement de ce caractère violent du braquage et des blessures portées à la victime.
Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Non ça a toujours été
un quartier très gentil…une forte mixité mais une mixité dangereuse, j’ai déjà été agressée, j’ai une
cicatrice encore, j’ai fermé pendant un temps, j’ai eu le visage fracassé hein…ici ! Oui, oui, ici en
2008…donc c’est vous dire que…voilà quoi (…) et depuis que j’exerce c’est…c’est la seule fois où j’ai été
agressée physiquement…donc, les agressions verbales ça il y a toujours hein…mais physiquement c’est
la seule fois et c’était assez grave hein, je pouvais y laisser ma vie hein ! »
Chantale [gérante de pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Donc moi je…je ne
m’attendais pas…à ce que ça, parce que surtout c’est arrivé déjà un an après que je sois arrivé ici donc
je me sentais tout à fait à en confiance et…euh…là c’est…je dirai que je me suis rendue compte
que…que le choc était important…pas sur le moment, évidemment la première semaine je ne me
sentais pas mal, je me disais « bon ça va, ça va aller, ça va aller », et puis ça a commencé mais…une
fois…la deuxième fois quand c’est arrivé euh…ça a été la catastrophe, c’est…(…) Oui, en plus moi j’ai
été brûlée par le gaz lacrymogène, parce que je ne savais pas ce que c’était. Je suis vraiment naïve
parce qu’il avait son révolver et quand je lui ai donné l’argent il l’a levé et…je…je me suis mise comme
ça…il a tiré, pour moi il a tiré, mais j’avais pas vu qu’il avait un spray, en fait il a fait aller son spray sur
mon visage et je me dis « tiens, il a un pistolet à eau », je ne savais pas ce que c’était ! Donc j’ai
attendu, je ne me suis même pas lavé la figure…vingt minutes après donc ça puait dans toute la
pharmacie et…je ne savais pas, je ne savais pas. »
L’identité professionnelle de ces pharmaciens : une attitude de prévention s’inscrivant dans
le prolongement d’une logique économique mais n’en favorisant pas la réalisation
A bien des égards, les pharmaciens présentant les visions les plus positives des stratégies de
prévention centrées sur la restriction du libre accès aux pharmacies sont également ceux qui
semblent s’inscrire le plus dans une logique d’action économique et managériale, au sens défini par
Reyes. La lecture qu’ils réalisent de leur exposition aux risques de violence et de délinquance, ainsi
que de leurs stratégies afin d’y répondre, semble mobiliser activement des notions commerciales et
256
BARIL, Micheline & MORRISSETTE, Anne, “Du côté des victimes, une autre perspective sur le vol à main armée“, Criminologie, Vol.18, N°2, 1985, p.A26-127 ; WYNNE, Tom, « An investigation into the fear of crime : is there a link between the fear of crime and the likelihood of victimization ? », Internet Journal of criminology, 2008, p.17-20.
110
économiques, celle-ci se centrant sur la figure du client et sur l’impact négatif de la restriction de
l’accès à la pharmacie sur le chiffre d’affaire. Ces pharmaciens semblent difficilement assimilables
aux autres catégories de pharmaciens abordées précédemment, au regard de la manière dont ceux-
ci semblent interagir avec les usagers de pharmacie et considérer le mode d’organisation de leur
pharmacie. Si dans les deux catégories précédentes la figure du patient était fort présente, à des
degrés variables, dans les discours tenus sur le métier de pharmacien et ses implications
fonctionnelles, celle-ci est ici considérée de manière plus ambigüe. Les pharmaciens que nous avons
identifiés comme développant une conception « absolutiste » de la techno-prévention nous ont fait
part, dans leur majorité, de la réalité de la dimension commerciale dans l’exercice de leur métier,
abordant le mode d’interaction avec les usagers en des termes inédits jusqu’alors. Dans ces discours
revenait de façon récurrente le problème de distanciation de l’usager par l’effet de la stratégie de
prévention fondée sur la restriction de l’accès à la pharmacie ; problème présenté, uniquement et à
notre grand étonnement, sur le plan de l’impact sur les ventes.
En effet, pour la majorité de ces pharmaciens, si l’adoption de mesures techno-préventives
restreignant l’accès à la pharmacie s’avère être une nécessité au regard des risques de sécurité
auxquels ils se considèrent confrontés, ces mesures ne facilitent pas le déroulement de l’activité
commerciale de la pharmacie. Ces pharmaciens semblent confrontés à une tension entre plusieurs
logiques et, principalement, entre deux logiques particulières dont nous n’avions pas anticipé la
possible opposition. Il ne s’agit plus ici d’une tension entre une logique médico-sociale liée à
l’identité professionnelle du pharmacien et une logique sécuritaire, bien qu’elle ne soit pas tout à fait
absente, mais bien d’une tension entre une logique commerciale poussant à la vente et à la
satisfaction du client et une logique sécuritaire poussant au repli et à la distanciation par rapport au
client. Cette tension s’avère particulièrement visible lorsque, comme dans l’extrait suivant, le
pharmacien désire exercer son métier en se prémunissant de risques de sécurité qu’il considère
comme réels et nécessitant une réaction de sa part, mais que cette stratégie de prévention implique
une distanciation par rapport à ses clients.
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune d’Ixelles] : « **** donc la pharmacienne
dans l’autre pharmacie qui a une sonnette, dit « mais oui mais pourquoi vous ne bloquez pas votre
porte ? »…mais il y a trop de gens ! Je ne peux pas passer mon temps à pousser sur ce bouton pour
ouvrir et fermer quoi ! Déjà chez elle ça me rend dingue…mais…mais chez nous on a 30 ou 40% de
clientèle en plus, non, non ! Je…Ah non, pour moi c’est pas faisable passer mon temps à pousser sur le
bouton quoi. Sans compter qu’il sonne, tu pousses, ah mais ils ouvrent pas, faut pousser une deuxième
fois, t’es occupé avec quelqu’un, il râle parce que c’est pas ouvert…non, non c’est…trop…enfin, trop
compliqué à mes yeux d’aller mettre ce système-là dans la grande pharmacie, dans la petite ça
m’énerve déjà mais dans la grande…impossible. Ça m’énerverait moi et ça énerverait les clients »
La figure du client semble occuper une place centrale dans cette réflexion sur les stratégies
de prévention à adopter pour sécuriser la pharmacie et sur leurs conséquences sur les activités s’y
déroulant. Dans certains cas, cette figure semble prendre un poids écrasant, occultant en grande
partie la figure du patient qui, comme on l’a vu précédemment, mobilise des logiques et des
pratiques différentes. Certains pharmaciens de la présente catégorie semblent s’être parfaitement
identifiés à la logique commerciale, révélant, du moins lorsqu’ils évoquent les implications de leurs
modes de protection, une conception de l’interaction avec l’usager de pharmacie où celui-ci occupe
avant tout le rôle d’un client. Dans ces cas, l’éloignement de certains usagers par la fermeture
relative de la pharmacie est présenté comme un effet secondaire malencontreux de la stratégie de
111
prévention adoptée, créant certaines pertes financières. La figure de patient et les notions de
besoins sociaux ou médicaux, ou d’éthique pharmacienne, ne sont pas abordées, ces pharmaciens
préférant aborder ces situations en termes de complexification de l’activité commerciale et d’un
manque à gagner dans leur chiffre d’affaire.
Linh [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : «Ben…si un jour j’enlève la
sonnette je me sentirais en sécurité et que n’importe quel q-client pourra pousser la porte je n’aurais
pas peur et…ce n’est pas encore le cas, c’est loin d’être le cas donc…le jour où j’arriverais à faire ça
c’est que je me sentirais en sécurité. C’est tout. Parce qu’une pharmacie normalement c’est ouvert au
public et on ne met pas de sonnette, c’est pas, ce n’est pas non plus…Mais ça fait baisser ma clientèle
ça aussi, mais je n’ai pas le choix donc…oui j’aimerais enlever mais, mais ce n’est pas le moment. »
Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-ville] : « Il y a une diminution de
la clientèle, tu perds des clients parce que quand quelqu’un pousse la porte il s’en va, tu n’as pas
toujours le temps de…parfois tu es sur l’ordinateur, tu peux être occupé à faire du rangement, si la
personne sonne et pousse la porte et que tu ne la vois pas, la personne s’en va, donc ça cause une
diminution de la clientèle…mais est-ce que la vie…vaut la peine si, si tu passes de l’autre côté ? Non !
Peut-être gagner moins mais être en vie ! »
Ces observations nous permettraient-elles d’inférer sur le mode de gestion de ces
pharmaciens et de les relier aux typologies établies par Reyes ? Probablement pas car le même
problème de manque de données que soulevé précédemment interdit pareil exercice d’inférence.
Nous pouvons seulement constater que plus les pharmaciens semblent se doter de stratégies de
prévention étendues et radicales, plus ils semblent accorder de l’importance à la figure du client et
aux implications commerciales et financières de la criminalité et de sa prévention. Si nous savons que
cette figure revêt une grande importance dans le mode de gestion et les stratégies managériales
déployés par certains profils de pharmaciens, réceptifs aux signaux du marché et à la logique
économique257, identifiés par Reyes, nous sommes bien incapables de déterminer si l’une de ces
catégories correspond, dans le domaine managérial, à nos pharmaciens « absolutistes ». Si la
possibilité demeure ouverte, nous ne sommes malheureusement pas en la possession de données
suffisamment détaillées pour l’évaluer, ne disposant que de très peu d’indications sur les modes de
gestion et les stratégies et pratiques managériales des pharmaciens appartenant à notre échantillon.
Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est que les personnes composant notre dernière catégorie de
pharmaciens semblent privilégier une identifié professionnelle plus portée sur la dimension
économique du métier de pharmacien et accordant plus d’importance à la figure de client.
En outre, ces pharmaciens ne semblent pas capables, malgré eux et malgré leur inclinaison à
privilégier l’aspect commercial de leur métier, de développer un mode d’organisation de leur
pharmacie favorisant la vente de produits et la pleine exploitation de la dimension commerciale du
métier de pharmacien, comme Reyes l’avait soutenu. En effet, Reyes avait soutenu que les
pharmaciens privilégiant cette dimension adaptaient leur mode d’organisation de la pharmacie en
correspondance dans le sens suivant « Le cœur de l’activité s’articule autour de la vente de
médicaments et de produits hors médicament en s’appuyant sur des compétences managériales. (…)
Ils sont moins en contact avec le client mais ne délaissent pas pour autant leur mission de
professionnel de santé. (…) Le client est au cœur de leur préoccupation car ils s’inscrivent dans une
257
REYES, Grégory, « Les pratiques de gestion du pharmacien titulaire pour mesurer et piloter son officine », Revue Internationale P.M.E, Vol.25, N°3-4, 2012, p. 304-305, 310-311.
112
relation commerciale avec celui-ci. Ainsi, l’identité de commerçant est très présente dans leur
conception du métier. L’orientation stratégique des titulaires est la croissance de l’activité en
développant leur entreprise par la distribution de produits. »258. Plus tard, Reyes a complété cette
description en ajoutant « Le titulaire qui s’identifie comme le gestionnaire d’un commerce se repose
davantage sur l’aspect distribution de son métier. Dès lors, le design de son officine est orienté pour
faciliter la distribution. Cela suppose que l’espace de vente soit strictement étudié pour maximiser la
rentabilité du linéaire et faciliter la fréquentation de l’officine. »259.
Comme on a pu le constater, le mode d’organisation de la pharmacie adopté par nos
pharmaciens présente une différence flagrante avec le modèle « idéal-typique » de Reyes. Dans le
cas de nos pharmaciens « absolutistes », ceux-ci développent et n’organisent nullement leur officine
dans l’optique de maximiser leurs ventes. Si ceux-ci semblent très attentifs à la dimension
commerciale de leur métier et à ce que cela implique sur le plan organisationnel, ils semblent
néanmoins organiser leur pharmacie par rapport à un référent sécuritaire, même si cela revient à
entraver la bonne marche du commerce. Les effets dépressifs sur les ventes des dispositifs de
sécurité relativement lourds et invasifs ont déjà été constatés par certains auteurs, même s’ils ne
font pas consensus. En effet, alors que certains n’ont pas constaté d’effets apparents sur les ventes
et sur les rapports avec les usagers découlant de l’introduction de portes sécurisées contrôlées à
distance260, à l’inverse d’autres types de mesures261, d’autres auteurs ont rapporté que les
commerçants avaient pleinement conscience des effets commerciaux négatifs liés à l’utilisation de ce
type de mesure de prévention, acceptant la perte de clients potentiels au nom de leur sécurité262. Ce
référent, cette dimension, sécuritaire joue selon nous un rôle essentiel auprès de certains
pharmaciens dans leurs stratégies managériales et leurs pratiques organisationnelles, celui-ci
conditionnant le degré d’ouverture de la pharmacie et le mode d’interaction du pharmacien avec les
usagers.
Les pharmaciens les plus réceptifs à cette dimension sécuritaire sont, corrélativement, ceux
qui ont le plus tendance à considérer les usagers de pharmacie en termes commerciaux et par le
prisme de la figure du client. De cela nait deux projets contradictoires qui tendent à s’annuler
mutuellement, contraignant le pharmacien à un choix entre les deux : privilégier la dimension
commerciale de la pharmacie en augmentant le volume des ventes et le nombre de clients, ce qui
implique un plus grand flux de personnes dans la pharmacie, ou privilégier la dimension sécuritaire
en réduisant les risques d’exposition à la délinquance et la violence, ce qui implique la restriction de
l’accès à la pharmacie. Au regard de nos données, il semblerait qu’objectivement les pharmaciens
« absolutistes » aient tranché en faveur de l’option sécuritaire mais sans pour autant avoir renoncé à
en accepter totalement les implications commerciales ; la résultante en serait le développement
d’une tension dans le chef du pharmacien entre ces deux projets, ces deux logiques de
fonctionnement, se traduisant dans leurs discours par une déploration de la baisse de la clientèle par
258
REYES, Grégory, « La stratégie du pharmacien en environnement incertain : une question d’identité ? », Association Internationale de Management Stratégique, 2013, p.21. 259
Idem., “Identité professionnelle du pharmacien et identité organisationnelle de la pharmacie », Association Internationale de Management Stratégique, 2014, p.20. 260
WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.26. 261
Ibid., p.24. 262
BARIL, Micheline, « Une illustration de la peur concrète : le cas des victimes », Criminologie, Vol.16, N°.1, 1983, p.39-40.
113
le fait de leurs stratégies de prévention des risques de sécurité limitant le libre accès à la pharmacie,
mais également par une totale absence de volonté de les modifier.
Il est assez étonnant, à notre sens, d’observer un établissement médical-commercial où
l’accessibilité devrait occuper une place centrale, opter pour un mode de contrôle de l’espace aussi
radical. Les pharmacies constitueraient, hormis de très rares exceptions, le seul type de commerce
pratiquant la restriction de l’accès afin de se protéger des risques de sécurité, cela au mépris des
principes commerciaux et sociaux les plus élémentaires. Ainsi, mêmes les commerces ou zones
constituant des cibles privilégiées pour plusieurs formes de délinquance en raison de leur caractère
« semi-public » et de leur grande accessibilité adoptent un mode de contrôle de l’espace plus subtil
et plus modéré dans leurs stratégies de prévention des risques de délinquance263. Si la plupart de ces
espaces commerciaux, auxquels nous faisons référence, bénéficient indéniablement d’avantages
d’échelle dont les pharmacies ne peuvent disposer leur permettant d’exercer un contrôle total mais
plus diffus sur leur espace, ceux-ci semblent néanmoins toujours attacher une grande importance à
ce que leurs stratégies de prévention ne portent pas atteinte au climat propice au commerce264.
Comme le soulignaient plusieurs auteurs à propos des centres commerciaux, la logique commerciale
l’emporte sur la logique sécuritaire dans le contrôle de l’espace et la gestion des risques de sécurité,
chaque usager étant considéré comme un client potentiel plutôt qu’une menace potentielle265. Tant
les centres commerciaux, ou galeries de tailles plus réduites, que les pharmacies poursuivent un
objectif relativement similaire que Goss définit comme l’établissement d’un “strategic space, owned
and controlled by an institutional power, which, by its nature, depends upon the definition,
appropriation and control of territory. Its designers seek to deny the possibility of tactics, an
oppositional occupation by everyday practices; that is, activities which do not require a specific
localization or spatially but which may temporarily use, occupy or take possession of strategic
space.”266 Cependant, la différence d’échelle entre ces entités rendrait ces pratiques de contrôle plus
visibles et plus directes dans les pharmacies, celles-ci ne disposant pas d’une grande marge de
manœuvre pour assurer un contrôle discret des flux de personnes et devant agir au plus près de
celles-ci afin de contrôler leurs comportements.
263
ANDRE, Pascal & al., « Quelle gestion des incivilités dans les entreprises accueillant du public ? », Lien Social et Politiques, N°.57, 2007, p.151-162 ; BONNET, François, « Les effets pervers du partage de la sécurité. Polices publiques et privés dans une gare et centre commercial », Sociologie du Travail, 2008, p.505-520 ; Idem., « Contrôler des populations par l’espace ? Prévention situationnelle et vidéosurveillance dans les gares et les centres commerciaux », Politix, N°.97, 2012, p.25-46 ; 264
Idem., « Les effets pervers du partage de la sécurité. Polices publiques et privés dans une gare et centre commercial », Sociologie du Travail, 2008, p.509-510. 265
Idem., « Contrôler des populations par l’espace ? Prévention situationnelle et vidéosurveillance dans les gares et les centres commerciaux », Politix, N°.97, 2012, p.43-44 ; WYVEKENS, Anne, «Espace public et civilité : réinventer un contrôle social ? Perspectives pour la France », Lien Social et Politiques, N°.57, 2007, p.41. 266
GOSS, Jon, “The “magic of the mall”: an analysis of form, function, and meaning in the contemporary retail built environment”, Annals of the Association of American Geographers, Vol.83, N°.1, 1993, p.35.
114
2. Des stratégies de protection « offensives » fondées sur la confrontation directe des
assaillants :
a. L’opposition aux assaillants ou le recours à la force :
Au-delà du recours massif aux différents types de mesures techno-préventives pour assurer
la défense de leur personne et de leur établissement, certains pharmaciens semblent avoir
développé d’autres types de stratégies qui ne visent pas à prévenir les risques de sécurité mais bien
à contrer directement ceux-ci lorsqu’ils se matérialisent en menaces concrètes. Dans ces stratégies
plus directes et offensives, les pharmaciens ne développent pas une approche passive des risques de
sécurité et de violence, souhaitant agir sur les opportunités de passage à l’acte délictuel au moyen de
mesures techno-préventives, mais semblent bien se voir comme des acteurs à part entière capables
de réagir face au danger et de confronter directement les individus identifiés comme menaçants. Ces
pharmaciens, s’ils font également usage de mesures techno-préventives à des degrés différents, se
distinguent néanmoins par leur recours à des moyens d’action de nature offensive et impliquant
l’usage de la force physique. Pour cette raison nous privilégierons l’emploi du concept de protection,
au lieu du concept de prévention, nous inspirant des définitions conceptuelles de Smith et de Yu sur
la sûreté et la sécurité. Dans cette perspective, la protection serait liée à la neutralisation des risques
d’atteintes directes et délibérées à l’intégrité d’un individu ou de sa propriété par un acte criminel267.
En cela, la protection agirait sur la menace elle-même et non plus sur les conditions, les opportunités
de sa réalisation.
Alors que la grande majorité des pharmaciens semble ne pas considérer la confrontation de
leur assaillant comme une possibilité, les pharmaciens présents font montre d’une volonté de
pouvoir atteindre physiquement la menace et de la neutraliser, ce que nous n’avions pas considéré
comme étant une attitude courante et pouvant être anticipée. Le moyen d’action le plus simple, et
recourant le moins à la force physique, mobilisé par certains de ces pharmaciens s’est avéré être,
tout simplement, le refus d’obtempérer aux injonctions des braqueurs et la confrontation verbale de
ces derniers. Si l’on peut douter de l’efficacité de pareil type de moyen d’action, le rare cas présent
dans nos données nous démontre que ce moyen s’est avéré suffisant pour déstabiliser et mettre en
défaut les braqueurs.
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Une des premières fois
euh…c’était juste avant la fermeture…je servais un patient, il y a quatre jeunes qui rentrent, cagoulés,
un qui s’est mis devant moi avec son arme pointée, il m’a juste dit « la caisse ! »…j’ai…je l’ai juste
regardé dans les yeux, je me suis dit « là il y a quelque chose qui ne va pas », et j’ai dit « non ! »…j’ai
avancé, je suis passé au-dessus du comptoir, mais dès que j’ai commencé à avancer en disant non celui
qui était armé, j’ai même pas regardé les autres…n’a pas su quoi faire, il a détalé, les autres l’ont imité
aussi vite. »
Toutes les réactions « offensives » de pharmaciens face à une tentative de braquage ne se
réalisent pas par le biais de moyens d’action non-violents. Dans certains cas, dont il faut néanmoins
souligner la très grande rareté, le pharmacien s’engage dans une utilisation de la force physique à
267
NEWTON, Andrew & CECCATO, Vania, “Aim, scope, conceptual framework and definitions” in NEWTON, Andrew & CECCATO, Vania (eds), “Safety and security in transit environments: an interdisciplinary approach”, Palgrave Macmillan, 2015, p.10-11.
115
l’égard de son assaillant, répondant à la violence du braqueur par une violence qui, parfois, s’avère
être de même nature et de même niveau.
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « L’une des dernières fois, là c’est
quelqu’un qui a attendu que la pharmacie était pleine avec euh…même euh…deux grand-mères avec
leurs filles et les petits enfants dans les bras, d’autres personnes…et il a aussi sorti son arme, au
moment où il l’a sortie j’ai bloqué l’arme et je ne l’ai plus lâchée…si bien que c’est moi qui l’aie
eue…donc la police quand elle est arrivée ben…elle a pris l’arme et…qui finalement était un…une arme
factice de Beretta mais qui était lourde et avec tout…et il a fallu que la police l’ouvre pour le voir. »
Ce type de réaction extrême et relativement irréfléchi est, implicitement du moins, défendu
par le pharmacien en question qui semble avoir considéré agir pour la sécurité de sa personne et
surtout, plus particulièrement, des autres personnes se trouvant au sein de sa pharmacie, celui-ci
évoquant d’emblée la présence de personnes vulnérables au moment des faits. Ces cas sont, on peut
s’en douter, aussi extrêmes que rares, dans la mesure où aucun autre pharmacien ne nous a
rapporté avoir effectivement engagé physiquement leur assaillant lors d’une tentative de braquage.
Cependant, d’autres pharmaciens ont rapporté avoir pensé ou voulu recourir à pareil type de
réaction à l’occasion d’un braquage, sans toutefois oser le concrétiser. Le fait que plusieurs
pharmaciens aient fait part de cette éventualité envisagée de recourir à la force en plein braquage,
plutôt que de préférer la coopération ou le recours à une mesure techno-préventive, nous indique
que l’attrait de ce type de réaction auprès de certains pharmaciens est plus fort que nous ne
l’imaginions à la base. Plusieurs études empiriques tendent néanmoins à confirmer cette volonté de
confronter l’assaillant parmi une part non-négligeable des victimes268. Ainsi, l’une de ces études a
démontré que, si plus ou moins 7% des victimes interrogées choisissaient instinctivement la
résistance face aux braqueurs, ils étaient 34% à avoir envisagé de changer d’attitude en plein
braquage et de confronter les braqueurs, sans néanmoins parvenir à en cerner précisément les
raisons269.
Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Mais c’est vrai que parfois, quand
c’est un gamin par exemple, on est tenté à intervenir…on dit ben oui celui-là je pourrais lui prendre son
arme mais je…je préfère ne pas le faire, c’est vrai qu’il y a moyen, le…l’attaque à l’arme blanche c’est
vrai que je me suis dit après…il y a peut-être moyen de l’assommer mais…est-ce que ça vaut la peine ?
Chacun son métier hein ? [rire] »
Nathalie [pharmacienne titulaire dans la commune d’Ixelles] : « C’est comme quand j’ai été
braquée, j’avais juste envie de foutre un coup de pied dans sa main et…j’étais pas…maintenant je me
suis dit que peut-être quand même c’était une vraie mais sur le coup j’étais persuadée que c’était une
fausse…et c’est…après quand je me dis, quand je me rends compte de la manière dont j’ai réagi, je me
dis « et si ça avait été une vraie, en étant encore plus agressive et encore plus sûre de toi, c’est encore
plus dangereux donc il faudrait réfléchir un petit peu avant d’agir quoi »…mais oui ça c’est vraiment…le
problème, c’est qu’instinctivement j’ai envie de rentrer dedans… »
268
SKOGAN, Wesley G. & BLOCK, Richard, “Resistance and injury in non-fatal assaultive violence”, Victimology, Vol.8, N°.3-4, 1983, p.220; WOLFGANG, Marvin E., “A tribute to a view I have opposed”, Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.86, N°.1, 1995, p.189-190. 269
BARIL, Micheline & MORRISSETTE, Anne, “Du côté des victimes, une autre perspective sur le vol à main armée“, Criminologie, Vol.18, N°2, 1985, p.122-123.
116
b. La question de l’usage d’armes par les pharmaciens d’officine :
Si nous entamions notre recherche de terrain avec l’appréhension assez naïve que les
données récoltées pourraient faire apparaître certains comportements relatifs à l’emploi d’armes
diverses, réelles ou improvisées, en prévision de braquages, force est de constater que peu de cas de
ce genre ont pu être observés. Néanmoins, certains cas de ce type ont bien été constatés à l’issue de
notre recherche, en dépit du fait que ceux-ci soient demeurés extrêmement marginaux et, somme
toute, de faible gravité. Ces observations s’avèrent relativement interpellantes, à plusieurs égards. En
effet, premièrement, le simple fait que certains professionnels de santé soient amenés à se tourner
vers la possibilité d’emploi d’armes, de quelconque catégorie officielle, dans le cadre de leur
profession soulève d’emblée plusieurs interrogations.
Ethiquement parlant il est difficile de ne pas questionner le choix de s’armer lorsqu’il émane
de professionnels chargés de mener des missions de santé publique et d’assistance aux personnes.
Dans la mesure où ceux-ci peuvent être amenés à devoir entrer en contact avec des personnes
malades, mentalement instables, ne disposant plus de la maîtrise de leurs facultés ou en situation de
grande détresse psychologique, la possibilité de développement de situations tendues et
potentiellement dangereuses s’avère bien réelle, comme nous avons pu le démontrer
précédemment dans ce mémoire. La présence d’armes, même non-létales, dans la pharmacie
laisseraient la possibilité au pharmacien, confronté à pareils types de situations complexes sur le plan
de la gestion des risques de violence et du patient, de les utiliser à l’encontre des patients identifiés
comme dangereux, surtout en cas de panique ou de perte de contrôle de la situation, aboutissant à
un résultat incertain et vraisemblablement condamnable.
De même, la présence d’armes au sein de la pharmacie pourrait, à bien des égards, renforcer
les risques de violence pour le pharmacien plutôt que de les réduire, le risque existant toujours que
ces armes soient retournées contre celui-ci par des assaillants. Sans verser dans l’alarmisme et faire
prendre à ses observations des proportions injustement gonflées, les seules armes dont il nous a été
fait mention étant des armes non-létales, nous estimons relativement interpellant et problématique
le fait que certains pharmaciens s’orientent vers le choix délibéré de se doter d’armes dans leur
pharmacie. Cela traduit, à notre sens, toute l’importance des risques de sécurité, pour une frange des
pharmaciens d’officine du moins.
Auteur du mémoire : « Comment est-ce que…vous faites pour vous protéger alors vis-à-vis des
risques d’agressions, de violence… »
Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Pendant longtemps j’ai
gardé une bombe…une bombe lacrymogène…oui, pendant longtemps j’ai gardé cette bombe
lacrymogène…mais maintenant je ne l’ai plus.(…) »
Luc [gérant de pharmacie dans la commune d’Anderlecht] : « Moi je…moi je ne sais pas travailler
comme ça, je connais des pharmacies où il y a des guichets…je connais des pharmaciens qui utilisent
des chiens d’attaque…mais moi je ne sais pas travailler comme ça non, c’est…c’est pas possible. »
D’autres pharmaciens tiennent, à l’égard de l’usage des armes en pharmacie, un discours
plus mesuré et plus proche de l’attitude dominante sur cette question. Ainsi, abordant les moyens
d’action mis à la disposition des pharmaciens pour se défendre, et soulignant la différence entre
ceux-ci et des opérateurs d’autres types de commerces, certains de nos répondants font valoir le fait
117
que l’usage d’armes par les pharmaciens est une pratique improbable, quoique non réfutée ou
récusée explicitement, laissant planer une zone d’ombre sur l’étendue de cette pratique.
Nicolas [pharmacien titulaire dans la commune d’Ixelles] : « Mais je crois que la raison principale
c’est que c’est vrai que si moi je devrais braquer un commerce je penserais peut-être pharmacie dans le
sens où c’est une profession très féminine…et je crois que ce n’est pas dangereux de braquer une
pharmacienne…un pompiste ou un bijoutier il va vous sortir un flingue de derrière le comptoir plus
facilement, un pharmacien non; un pharmacien est quelqu’un de plus calme qui est censé quand même
avoir un niveau d’étude supérieur, donc il va peut-être plus réfléchir avant et donner plus facilement,
(…) »
Parmi les pharmaciens affichant une volonté de résister à leurs assaillants et de s’opposer
physiquement à l’accomplissement de leur délit, l’usage semble plus répandu d’utiliser le mobilier de
la pharmacie ou différents éléments du décor, non comme armes improvisées mais plutôt comme
éléments devant incommoder ou retarder la progression des braqueurs. Différents pharmaciens ont
ainsi fait état de l’utilisation de ces éléments, a priori anodins, comme faisant partie intégrante de
leurs stratégies de défense, avec certains succès dans les cas rapportés.
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Bon j’ai déjà eu une ou deux fois
des personnes dont je ne savais vraiment pas les intentions…et là il faut juste, je garde, comme j’ai dit,
distances de sécurité…ne pas rentrer par-là, ne pas rentrer par-là…parce que là…ils comprennent que là
ça ne va pas…il faut garder les distances parce qu’avec le comptoir, un pas et…ça bloque, impossible de
passer et je ne les laisse pas passer au-dessus…et ça ils comprennent aussi, parce qu’un jour il y en a un
qui a quand même essayé et j’ai…il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas parce que je le
bloquais. [rire] »
c. La motivation de cette volonté de confronter l’agresseur : refuser l’impuissance :
A bien des égards, ces moyens « offensifs » mobilisés par les pharmaciens, que nous avons
présentés jusqu’à présent, semblent difficilement procéder d’une analyse rationnelle des risques et
des conséquences pouvant potentiellement en émaner. En effet, comme nous l’avons déjà
mentionné précédemment, la résistance à un assaillant fait toujours peser de graves risques sur la
personne faisant ce choix et peut se terminer, dans les cas les plus graves, par des conséquences
terribles pour l’intégrité physique de celle-ci. Si les pharmaciens faisant usage de moyens d’action
impliquant l’usage de la force physique semblent savoir et reconnaître implicitement que ces moyens
comportent des risques inhérents à leur utilisation, ceux-ci ne regrettent pas pour autant leur choix
d’utiliser pareils moyens et ne considèrent nullement leur utilisation comme étant problématique.
Dans la majorité des cas que nous avons pu observer, la résistance aux agresseurs, sous quelque
forme qu’elle puisse prendre, constituerait la clé de voute d’une stratégie psychique pour éviter les
effets psychologiques de la victimisation. Cette résistance procéderait d’un refus de perdre le
contrôle de la pharmacie dont le pharmacien à la possession, ainsi que de ses activités et de son
métier. Par cela, le pharmacien refuserait tant d’endosser le statut de victime que la dépossession de
ses moyens et de sa volonté. L’opposition physique du pharmacien à son agresseur, à son braqueur,
constituerait, selon nos données, la manière pour lui de réaffirmer son contrôle sur son
environnement et de refuser une emprise d’autrui fondée sur la coercition. Ces résultats sont
118
corroborés par ceux d’études empiriques et qualitatives réalisées sur les victimes de vols à main
armée dans d’autres Etats270.
Jean [pharmacien titulaire dans la commune d’Anderlecht] : « Donc j’ai chaque fois réagi, de
façon différente à chaque fois en fonction de la façon dont ça se passait mais le fait de réagir, même si
certains diront que ce n’est pas l’idéal, c’est ce qui m’a toujours permis de…de ne pas être marqué…et
la plupart du temps, quand la police arrivait moi je travaillais déjà…les choses continuaient. »
Auteur du mémoire : « C’est pas courant comme…manière de réagir je vais dire. »
Jean : « Non ! Et toujours en restant calme ! (…) Mais ça permet psychologiquement malgré tout de ne
pas être marqué…on n’a pas été victime, on n’a pas subi, on a réagi…et les choses se passent, en tous
cas pour moi, beaucoup mieux. »
Auteur du mémoire : « Vous avez gardé le contrôle sur la…sur la situation… »
Jean : « Oui, calmement et…sans subir…parce que c’est souvent pour moi ça qui doit poser à beaucoup
de personnes le plus de soucis…c’est l’impuissance…et là…moi ça ne m’a jamais, jusqu’à présent, pas
posé de gros problèmes. [rire] »
Cette volonté du pharmacien de réinstaurer son contrôle sur une situation qui lui échappe
totalement est présentée ici comme une solution aux problèmes psychologiques liés à la
victimisation mais elle peut, néanmoins, manquer tous ces buts et aboutir à des conséquences
terribles pour le pharmacien résistant. En effet, si la résistance aux agresseurs semble avoir payée
dans certains cas issus de nos entrevues, les pharmaciens évitant ainsi la victimisation et les
conséquences psychologiques pouvant éventuellement en résulter, dans d’autres cas bien plus
nombreux elle semble avoir été durement sanctionnée par les agresseurs, générant une violence
bien plus importante que celle manifestée dans les premiers temps du braquage.
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « Maintenant
j'étais contente que ça soit ma cheffe parce qu'elle avait jamais fait derrière le comptoir, malgré toutes
ses années de carrière elle ne s'était jamais faite braquer elle directement...elle en était victime
quelque part, deux fois où j'ai été braquée elle était là...mais c'était pas elle directement, et quelque
part je me suis dit c'est bien elle va comprendre parce que c'était à chaque fois "bon pas grave, on s'en
fout", je dis "oui on s'en fout on voit bien que c'est pas toi qui fait trois nuits pourries, c'est pas toi
qui...", après j'aurais pas voulu être à sa place parce qu'elle s'est quand même pris des coups et tout,
j'ai jamais eu ça, il faut être réaliste...je pense que ça change aussi la donne ne fut-ce que parce qu'elle
avait mal pendant quelques jours et puis...et puis moralement...mais voilà, c'était des gamins, elle les a
regardé, elle a cinquante ans , elle a refusé d’obéir…"attends je vois trois voyous débarquer, j'ai
cinquante balais, ils vont se calmer les enfants hein" [rire] oui ben ça n'a pas bien marché hein sur ce
coup-là. »
De nombreuses études empiriques ont démontré que le choix d’une attitude résistante par la
victime en cas de braquage, si elle semble permettre de mettre plus souvent en défaut les
assaillants271, implique également un risque plus élevé d’une réaction violente de la part des
270
BARIL, Micheline, « Ils n’ont plus la liberté : réactions à la victimisation et ses conséquences », Criminologie, Vol.13, N°.1, 1980, p.100-101 ; MANSEAU, Hélène & GRENIER, Hélène, « Les petits commerçants victimes de vol à main armée en quête de justice », Criminologie, Vol.12, N°.1, 1979, p.59-61. 271
BLOCK, Richard, “Victim-offender dynamics in violent crime”, The Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.72, N°.2, 1981, p.748-751; KLECK, Gary & GERTZ, Marc, “Armed resistance to crime: the prevalence and nature of self-defence with a gun”, The Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.86, N°.1, 1995, p.151-152;
119
braqueurs pouvant se traduire par des blessures pour la victime résistante272 voire même, dans les
cas les plus extrêmes, par la mort273. Même certaines études sur les modes de résistance des
victimes, aux conclusions non-conventionnelles ayant bouleversé certaines conceptions établies274 ,
sont parvenues à démontrer que les probabilités que les victimes optant pour une résistance passive
ou à l’aide de certains armes fassent l’objet de violences étaient élevées275 , à l’inverse des victimes
optant pour une résistance accompagnée d’un usage d’armes à feu276. Si ces conclusions ont ouvert
un débat sur la justification de l’emploi des armes dans la prévention du crime qui dépasse le cadre
de ce mémoire, notons que ces résultats ne concernent que les Etats-Unis et qu’ils ne reflètent
qu’une certaine tendance statistique. D’autres études, au demeurant, ont démontré l’inutilité
relative de l’usage d’armes dans les secteurs médicaux pour prévenir les risques de violence,
indiquant même que la présence de certains types d’armes était corrélée avec des risques accrus de
sécurité et d’agressions physiques277. De même, que 10 à 18% des homicides issus de fusillades
enregistrées dans les services de soins aux Etats-Unis entre 2000 et 2011 ont été rendus possibles
grâce à la présence d’armes sur place, les assaillants parvenant à les dérober aux employés ou agents
de sécurité en ayant la garde278.
3. Des stratégies de prévention innovantes :
L’analyse des données issues de notre recherche nous a finalement permis de mettre au jour
des stratégies de prévention des risques liés aux braquages auxquelles nous ne nous attentions pas
et correspondant difficilement aux catégories traditionnelles de mesures de protection. Ces
stratégies, présentant d’importantes différences entre elles, nous ont semblé constituer une classe à
part entière nécessitant que nous nous y attardions quelque peu. Nous les avons qualifiées
« d’innovations » en matière de prévention pour plusieurs raisons. Premièrement, nous ne sommes
pas parvenus à les rattacher à l’une ou l’autre type de stratégies, types de mesures de prévention
que nous avons utilisées jusqu’à présent. Deuxièmement, parce que ces stratégies présentent
comme caractéristique commune le fait de combiner différents types de mesures, de
comportements et jouent de plusieurs ressorts, très différents les uns des autres. Ces stratégies
viendraient compléter des dispositifs de prévention déjà existants, mais sans représenter une simple
nouvelle couche, ou strate de mesures ajoutée à ceux-ci. Dans bien des cas ces stratégies viennent
articuler ces dispositifs d’une autre façon ou, du moins, viennent offrir de nouvelles façons de les
utiliser et ouvrir de nouvelles dimensions à la prévention des risques de sécurité en pharmacie.
WOLFGANG, Marvin E., “A tribute to a view I have opposed”, Journal of Criminal Law and Criminology, Vol.86, N°.1, 1995, p.189-190; TARK, Jongyeon & KLECK, Gary, “Resisting crime: the effects of victim action on the outcomes of crimes”, Criminology, Vol.42., N°.4, 2004, p.900-904. 272
SKOGAN, Wesley G. & BLOCK, Richard, “Resistance and injury in non-fatal assaultive violence”, Victimology, Vol.8, N°.3-4, 1983, p.223-224; WOLFGANG, Marvin E., op.cit., p.189-191. 273
ZIMRING, Franklin E. & ZUEHL, James, “Victim injury and death in urban robbery: a Chicago study”, Journal of Legal Studies, Vol.XV, 1986, p.17-19. 274
WOLFGANG, Marvin E., op.cit., p.188. 275
KLECK, Gary & GERTZ, Marc, op.cit., p.150-152. 276
Ibid., p.172-177. 277
SCHOENFISCH, Ashley & POMPEII, Lisa, “Weapons used among hospital security personnel”, International Health Care Security and Safety Foundation, 2014, p.12-13, 15-16, 34-38. 278
KELEN, Gabor D. & al., « Hospital-based shootings in the United States: 2000 to 2011”, Annals of Emergency Medicine, Vol.60, N°.6, 2012, p.792-794.
120
Troisièmement, ces stratégies semblent développées par des pharmaciens ayant opté pour des
dispositifs de prévention et de sécurité très élaborés. Dans la totalité des cas répertoriés, il s’agit
d’ailleurs des pharmaciens que nous avons identifiés comme ayant développé une conception
« absolutiste » de l’emploi de la techno-prévention, pouvant dès lors difficilement accroître leur
niveau de sécurité par de nouvelles mesures techno-préventives. Ces stratégies « innovantes »
devraient pouvoir être comprises comme une tentative d’aller plus loin que le continuum du
développement de la techno-prévention dans leur pharmacie ; dans ce cas les pharmaciens ne se
contentent plus, selon nous, d’appliquer des méthodes classiques de prévention, mais innovent en
en inventant des nouvelles, adaptées aux risques auxquels ils sont confrontés, aux limites de leurs
dispositifs de prévention déjà éprouvés et aux atouts qu’ils peuvent mobiliser.
Pour illustrer notre propos nous pouvons prendre en exemple le cas de Chantale, gérante de
pharmacie dans la commune de Bruxelles-Ville. Chantale a fait l’objet de deux braquages
relativement violents, car ayant impliqué l’usage d’armes sur sa personne, et considérés comme
particulièrement traumatisants. En conséquence de quoi elle a développé un dispositif de prévention
très avancé, faisant un usage extensif des mesures techno-préventives existantes et allant également
jusqu’à adopter un système de verrouillage à distance des accès de sa pharmacie. Au cours de
l’entrevue, cette pharmacienne révèle avoir recherché divers moyens pour assurer au mieux sa
protection et celle de sa pharmacie, adoptant toutes les mesures techno-préventives s’offrant à elle
mais cherchant, également, à les utiliser au mieux. Abordant les bons rapports qu’elle entretient
avec son voisinage, elle nous présente la façon dont elle est parvenue à augmenter les effets de la
dernière mesure techno-préventive installée, en utilisant celle-ci en collaboration avec des voisins
s’étant proposés de l’aider et d’assurer en partie la surveillance de sa pharmacie.
Chantale [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Et bon, parfois je
passe… devant une maison ou un magasin et on me dit « attendez, attendez », on vous donne un
paquet de dattes ou…donc je crois qu’il y a une certaine…il y a un respect parce que…ils m’ont déjà dit
plusieurs fois « tu fais mettre une alarme qui sonne dans la rue comme ça s’il y a quelque chose qui ne
va pas, nous on arrive ». D’ailleurs c’est ce qu’on a…il y a une alarme qu’on a installée après le
deuxième braquage et…qui va sonner dans la rue si…si je l’actionne quoi ».
Ce système n’a, à notre connaissance, pas été employé par la pharmacienne au moment de
notre entrevue, nous empêchant de déterminer son effectivité et son efficacité. Cependant, certains
éléments livrés dans le discours de cette pharmacienne tendent à laisser penser que les habitants du
quartier ont déjà commencé à contribuer activement à la protection de la pharmacie par rapport aux
risques de braquages et d’agressions.
Chantale [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « alors il y a mes deux
clochards qui viennent et qui sont quand même un peu…un peu louches quand on les voit comme ça
euh…et il y a toujours un voisin qui fait les cent pas devant ma pharmacie, je leur ai déjà dit « mais
ceux-là ils ne sont pas dangereux, ceux-là je les connais…c’est mes amis », j’ai une photo d’eux derrière,
c’est vraiment…c’est…Mais bon, ils me surveillent quoi, je suis une petite bonne femme…c’est…et
euh…enfin, tout le monde le dit « oh on est désolé, on s’est sentis agressés dans le quartier », oui, ça
c’est vraiment…pour eux euh…s’ils avaient su…ils auraient couru, s’ils avaient pu courir ils l’auraient
attrapé…parce que c’était, parce que c’est moi mais aussi parce que c’est le quartier…voilà c’est,
voilà. »
S’il s’agit d’une mesure techno-préventive classique, en la figure d’un système d’alarme,
l’usage qui en est fait par cette pharmacienne est relativement peu commun, ou du moins procède
121
de ce qu’on pourrait qualifier d’une innovation. En effet, les avantages inhérents au système
d’alarme sont ici couplés à l’intervention du voisinage solidaire avec la pharmacienne. Celle-ci
bénéficiant d’une forte insertion dans le tissu social du quartier a pu compléter son dispositif de
prévention, associant les avantages d’une mesure techno-préventive particulière et la surveillance
sociale naturelle exercée par les habitants du quartier dans un même ensemble. En cela, cette
pharmacienne est parvenue à capter à son avantage tous les éléments participant à assurer la
sécurité d’une rue279, en particulier en parvenant à s’assurer de l’attention et l’intervention effective
des habitants du quartier en cas de danger.
Tous les pharmaciens ne peuvent pas compter sur le soutien d’un réseau de voisins à l’instar
de cette pharmacienne, certains ne bénéficiant pas d’aussi bons rapports de voisinage ou ne
considérant pas leur quartier de façon aussi favorable, identifiant ce dernier même plus comme une
source d’insécurité et de risques que comme une ressource potentielle. Dans ces cas, les
pharmaciens semblent néanmoins avoir tenté de rechercher d’autres atouts présents dans leur
environnement, dans leur entourage, afin de les utiliser pour améliorer leur sécurité et réduire les
risques d’être confrontés à de nouveaux braquages. Comme dans le cas de la pharmacienne
recourant en partie à l’assistance de personnes issues de son voisinage, la participation de tiers
semble jouer un rôle primordial, les systèmes de sécurité et les mesures de techno-prévention étant
complétées par des techniques de prévention collectives et sociales. Ainsi Thérèse, pharmacienne
titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville et victime d’une attaque l’ayant laissée physiquement et
psychologiquement marquée, indique avoir complété son important arsenal de prévention au sein de
sa pharmacie en embauchant ses enfants comme auxiliaires, ceux-ci venant l’assister dans son travail
et veiller à ne plus la laisser seule dans sa pharmacie.
Thérèse [pharmacienne titulaire dans la commune de Bruxelles-Ville] : « Pendant longtemps j’ai
gardé une bombe…une bombe lacrymogène…oui, pendant longtemps j’ai gardé cette bombe
lacrymogène…mais maintenant je ne l’ai plus…parce que…j’ai cette porte qui fait, où il faut sonner et
de plus j’ai…j’ai fait venir mon fils, mes enfants pour m’aider…j’ai mes enfants qui viennent…souvent,
donc j’ai souvent du monde, je ne suis plus tout à fait seule comme avant. »
Les simples employés semblent également recourir à pareils types de techniques, même si
leur marge de manœuvre et leur emprise sur la sécurisation de leur pharmacie sont bien plus
limitées que celles des pharmaciens titulaires. On constate néanmoins, de leur part, des tentatives
de s’organiser au mieux, de développer des comportements collectifs afin de renforcer la sécurité au
sein de la pharmacie ou, du moins, de réduire l’impression de vulnérabilité et d’impuissance face aux
risques de braquage. Leur approche de la prévention n’est pas entièrement « technique » et passive,
s’en remettant entièrement aux dispositifs de sécurité d’inspiration techno-préventive, mais est
également coopérative et humaine, les employés de la pharmacie étant amenés à jouer un grand
rôle dans la définition de nouvelles façons de se protéger des risques de braquage.
Mélanie [assistante pharmacienne dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean] : « On est
jamais seule, on s’arrange pour toujours être à plusieurs et la pharmacie est conçue de manière à ce
qu’on puisse toujours surveiller...et on voit entre le labo et l’avance, ça a l’air fermé mais en fait il y a
une vitre tout le long, on voit hein c’est, c’est...mais ça permet de surveiller et de garder un œil sur ce
qui se passe...euh...On n’a plus de clés sur les portes...pour éviter d’être enfermé dans les toilettes, dans
la réserve, pas de clés. Il y a...les téléphones, donc on a plusieurs téléphones...portables, enfin les fixes
279
JACOBS, Jane, « Déclin et survie des grandes villes américaines », Pierre Mardaga, 1991, p.46-47.
122
qui sont portables, pas nos GSM...on ne met pas les deux téléphones au même endroit...dans l’optique
justement qu’en fonction de l’endroit où on est dans la pharmacie on puisse essayer d’appeler au
secours discrètement...l’autre jour j’ai une collègue qui me fait « je passerais bien aux toilettes, mais tu
vas être toute seule » et c’était un peu une heure de merde donc je dis « mais t’as qu’à prendre le
téléphone » [rire] c’est de l’humour mais c’est qu’à moitié de l’humour...et puis elle l’a quand même
mis juste devant la porte de la toilette donc elle a quand même veillé à ce qu’il y en ait un juste à la
sortie pour pouvoir si...personnellement je l’aurais carrément pris avec dans la toilette...parce que d’un
autre côté on est planqué et on entend tout ce qui se passe, donc faut éteindre la ventilation pour
vraiment tout entendre mais on entend vaguement et si j’ai un doute j’éteins les lum ières, je tends
l’oreille si j’entends un truc, il faut peut-être deux secondes pour qu’il se rende compte que, que...avant
qu’il se rende compte que je suis là et voilà ça me permet d’agir de là aussi, donc ça on essaye quand
même de...dispatcher...mais il n’y a pas mille mesures possibles non plus hein, voilà, ne pas être seule,
rester prudente et puis maximiser les zones de...de possibilités d’appel au secours...et puis
objectivement je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre. »
4. Conclusions sur les stratégies de prévention et de protection développées par les
pharmaciens d’officine :
Nous sommes parvenus à démontrer la présence d’une certaine diversité dans les stratégies
développées par les pharmaciens d’officine pour se prémunir des risques d’agressions et
principalement des risques de vols à main armée. Si la plupart se sont orientés vers le
développement de stratégies fondées sur la techno-prévention, tous n’y ont pas recours de façon
identique et pour les mêmes motivations. A partir de l’extensivité de l’utilisation des mesures
techno-préventives et des attitudes exprimées par rapport à celles-ci, nous sommes parvenus à
distinguer plusieurs profils d’utilisateurs de la techno-prévention parmi nos pharmaciens, allant des
utilisateurs les plus sceptiques quant à la nécessité et l’utilité des mesures techno-préventives pour
se prémunir des risques de vols à main armée, aux utilisateurs les plus radicaux et les plus convaincus
de la nécessité d’un usage extensif de ces mesures. Nous avons pu constater que la conception du
métier de pharmacien d’officine, et particulièrement, les implications du métier par rapport à
l’usager, de même que l’appréhension des risques de vol à main armée semblent jouer dans le choix
de recourir à une utilisation de la techno-prévention plus ou moins extensive et radicale. En effet, si
la volonté de maintenir un contact aisé avec l’usager semble contribuer au choix de ne pas utiliser
largement la techno-prévention et surtout de ne pas se couper de celui-ci par des mesures limitant
l’accès à la pharmacie, le fait d’avoir été victime de vol à main armée et de considérer les risques
d’en être à nouveau victime comme étant réels semblent pousser le pharmacien à utiliser toutes les
potentialités de la techno-prévention pour se prémunir du vol à main armée. Nous avons également
pu constater que certains pharmaciens recouraient, ou semblaient prêts à recourir, à des moyens de
protection plus « offensifs » et fondés sur la confrontation directe des assaillants. Les facteurs
influençant le choix de recourir à pareilles stratégies sont difficiles à isoler, mais il semblerait que la
motivation première soit le refus de la victimisation et de la perte de contrôle sur la situation au sein
de la pharmacie. Finalement, nous avons également observé le développement de stratégies
« innovantes » de la part de certains pharmaciens particulièrement marqués par des expériences de
victimisation et concernés par les risques de vols à main armée, ceux-ci inventant des stratégies
mobilisant des logiques transversales et des moyens de prévention ou de protection très différents.
123
Afin d’expliquer les raisons ayant pu amener les pharmaciens de notre échantillon à
s’orienter vers un type de stratégie de prévention ou de protection particulier nous avons
premièrement tenté de mobiliser les différentes théories managériales et sociologiques sur le
fonctionnement des pharmacies d’officine réalisées par Reyes. Partant du présupposé théorique
voulant que l’identité professionnelle construite par le pharmacien détermine, du moins en partie, la
logique d’action qu’il suivra ainsi que ses pratiques professionnelles, nous avons émis l’hypothèse
que les stratégies de prévention et de protection qu’il développe puissent également procéder de la
manière dont il construit son identité professionnelle. La typologie développée par Reyes sur les
différents profils managériaux de pharmaciens a servi de référent dans la mesure où une vision des
objectifs à atteindre, des stratégies organisationnelles et des pratiques professionnelles, traduisant
une certaine identité professionnelle, étaient identifiés pour chacun de ces profils. Nous avons pensé
pouvoir confronter cette typologie et celle que nous avons développée pour les utilisateurs de
stratégies de prévention techno-préventives afin de déterminer les possibles liens entre celles-ci. Ces
deux typologies se fondant en partie sur le mode d’interaction avec l’usager comme indicateur, pareil
exercice de comparaison a été rendu possible bien que relativement limité. En effet, si nous sommes
parvenus à démontrer que nos pharmaciens développant une conception « utilitariste » de la
techno-prévention partageaient, avec certains profils de pharmaciens issus de la typologie de Reyes,
la même volonté de demeurer proches de leurs patients et organisaient leur pharmacie et leurs
pratiques professionnelles à cette fin, nous ne sommes pas parvenus à pousser plus loin la
comparaison.
Si pendant un temps, forts de ces premières convergences entre notre typologie et celle de
Reyes, nous avons pensé pouvoir démontrer l’hypothèse d’une propension à utiliser des stratégies
de prévention plus développées qui serait croissante en fonction de l’importance accordée par le
pharmacien à une logique d’action commerciale, cela dans la mesure où les pharmaciens semblent se
distancier de leurs patients lorsqu’ils s’orientent vers l’aspect commercial de leur métier. Le
raisonnement sous-jacent à cette hypothèse voulait que, l’investissement dans des stratégies de
prévention et de protection plus élaborées et radicales étant freiné par la volonté de conserver une
proximité optimale avec les patients, les pharmaciens qui choisiraient de privilégier d’autres aspects
de leur métier que le contact très poussé avec leurs patients seraient moins dissuadés à investir plus
largement dans des stratégies de prévention des risques de sécurité. Cependant, par manque de
données, nous ne sommes pas parvenus à évaluer cette hypothèse, la typologie de Reyes étant trop
précise et recourant à des indicateurs complétement étrangers à nos données. Pour parvenir à une
comparaison nous permettant de tester notre hypothèse nous aurions dû pouvoir disposer de
données sur les pratiques gestionnaires des pharmaciens, traduisant des degrés de
« commercialisation » et de « managérialisation » de la profession de pharmacien, ce qui n’était pas
le cas. Ne disposant que de données sur les modes d’interaction avec l’usager développés par les
pharmaciens et sur les modes d’organisation de leurs pharmacies, ces données ne nous
renseignaient que très généralement sur l’identité professionnelle construite par ces pharmaciens
mais ne nous disaient rien sur leurs styles de gestion des affaires. L’évaluation de cette hypothèse
étant définitivement bloquée, nous nous sommes contentés de certaines observations a minima.
Nous ne sommes parvenus à mettre évidence qu’un certain rapport entre l’utilisation importante et
radicale de stratégies de prévention par certains pharmaciens et l’importance qu’ils accordent à la
notion de client, ceux-ci semblant manifester une plus grande propension à identifier les usagers de
leurs pharmacies comme des clients et à vouloir s’assurer de leur fidélisation. Si cette observation
124
suggère une corrélation possible entre logique d’action commerciale, caractérisée par certaines
pratiques professionnelles centrées sur la recherche de l’efficacité économique, cette dernière ne
peut néanmoins être prouvée au regard du peu d’indicateurs des pratiques commerciales et
managériales des pharmaciens appartenant à notre échantillon.
Comment pouvons-nous expliquer, dès lors, l’orientation des pharmaciens vers telle ou telle
sorte de stratégie de prévention ou de protection, vers une recherche plus ou moins grande de
prévention des risques d’agressions et de vols à main armée ? D’autres hypothèses peuvent être
avancées pour expliquer ces pratiques différentielles en matière de prévention de ces risques. La
première hypothèse envisagée, qui est également la plus évidente, serait que le choix de mettre en
œuvre des stratégies de prévention plus développées dépend du nombre d’épisodes de victimisation
subis par les pharmaciens. Les pharmaciens ayant été le plus souvent attaqués seraient donc les plus
susceptibles de faire un usage extensif des mesures de prévention pouvant être adoptées. Cette
hypothèse est soutenue par diverses études portant aussi bien sur les stratégies de prévention des
pharmaciens280 que celles développées par les PME281, celles-ci suggérant que la victimisation
répétée incite grandement les victimes à se doter de stratégies de prévention extensives afin de
minimiser les risques de faire l’objet d’une nouvelle attaque. Cependant, cette hypothèse ne semble
que partiellement vérifiée dans le cadre de notre analyse. En effet, si tous les pharmaciens faisant un
usage extensif des mesures techno-préventives, correspondant au profil des pharmaciens
« absolutistes » dans notre typologie, ont été sujets à des épisodes de victimisation répétée, toutes
les victimes n’appartiennent pas à ce profil et n’adoptent pas des stratégies de prévention aussi
développées. Plusieurs cas sont apparus au cours de notre analyse où des pharmaciens ayant subis
plusieurs tentatives de braquage ou plusieurs braquages réussis ne changeaient rien à leurs
stratégies de prévention et se contentaient d’adopter des stratégies « minimales », se rangeant dans
la catégorie des pharmaciens « utilitaristes » et n’appliquant que très peu de mesures techno-
préventives à leur pharmacie. Au regard de ces résultats cette hypothèse ne semble pas totalement
appropriée pour expliquer les choix de stratégies de prévention des risques d’agressions et de vols à
main armée. De même, une seconde hypothèse, relativement proche de celle évoquée
précédemment, voulant que la victimisation répétée affecte la radicalité des stratégies de prévention
et de protection mises en œuvre par les pharmaciens s’est révélée décevante pour les mêmes
raisons que celles avancées dans la première hypothèse. Malgré le fait que certains pharmaciens
ayant fait l’objet de nombreuses attaques aient été plus prompts à développer des stratégies
reposant sur des mesures radicales, à l’instar des dispositifs reliés directement à la police ou de
systèmes de verrouillage à distance des accès de la pharmacie, tous les pharmaciens ayant subis des
attaques ne se sont pas résolus à adopter des stratégies aussi radicales.
La victimisation ne semble pas, à elle seule, constituer un indicateur suffisant pour expliquer
les choix de stratégies de prévention et de protection des pharmaciens. Dès lors, nous nous sommes
orientés vers l’appréhension des risques d’agressions et de braquages, qui dérive en partie des
épisodes de victimisation subis. Bien que plus difficilement déterminable avec précision,
280
WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, p.25; PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, “Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications”, International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.271-272. 281
SURLEMONT, Bernard & LEMAITRE, André & WACQUIER, Hélène, « La criminalité contre les PME : étude exploratoire de victimisation et de prévention en Belgique francophone », Revue internationale P.M.E. : économie et gestion de la petite et moyenne entreprise, vol. 16, n° 2, 2003, p.22-24.
125
l’appréhension de ces risques semble constituer un indicateur plus approprié pour expliquer les choix
des pharmaciens quant aux stratégies de prévention et de protection à employer. Ainsi, l’hypothèse
voulant que le degré d’appréhension, ou de crainte des risques de braquage conditionne le degré de
développement de la stratégie de prévention mise en œuvre semble vérifiée. En effet, nous avons
pu constater dans notre analyse que les pharmaciens semblaient adapter leurs stratégies de
prévention en fonction de leur appréhension des risques de braquages, ceux-ci investissant plus
largement dans de nombreuses mesures techno-préventives lorsque que leur appréhension de ces
risques était plus grande. Pour chacun des profils d’utilisateurs de mesures techno-préventives nous
pouvons observer un degré différent d’appréhension vis-à-vis des risques de braquages et
d’agressions, les pharmaciens « utilitaristes » se caractérisant par un degré très bas d’appréhension à
l’exact inverse des pharmaciens « absolutistes » pour qui ces risques sont bien réels et suscitent une
véritable crainte. Plus étonnant encore, l’invention de stratégies de prévention « innovantes »,
combinant des logiques et des mesures préventives multiples dans un même ensemble, semble
également corrélée avec le degré d’appréhension des risques de braquages et d’agressions, certains
pharmaciens désirant améliorer par des moyens non-conventionnels leurs chances de prévenir la
réitération de braquages à l’encontre de leur pharmacie.
Le degré d’appréhension des risques de braquages et d’agressions n’est pas sans lien avec la
victimisation, comme nous avons également pu le constater. Si le nombre d’épisodes de braquages
ne semble pas être l’élément central dans la crainte de braquages futurs, la violence subie ou perçue
ainsi que le traumatisme qui en ressort semblent déterminants au regard de nos données. En effet,
plus le traumatisme accompagnant un épisode de victimisation par braquage est important, plus les
pharmaciens semblent s’orienter vers des stratégies préventives extensives, se dotant d’un nombre
important de mesures techno-préventives. De même, ce traumatisme semble jouer un rôle
déterminant dans la décision du pharmacien d’avoir recours à des mesures de prévention plus
radicales telle que la restriction de l’accès à la pharmacie ou, dans les cas plus rares, à des mesures
de protection telle que la détention d’armes ou d’éléments permettant de se défendre
physiquement. Ces observations viennent apporter un nouvel éclairage à certaines études
empiriques quantitatives ayant porté sur la sécurité des pharmacies d’officine. Ces études, abordant
entre autres les divers types de mesures de prévention et de protection utilisées par les
pharmaciens, ont conclu à une utilisation relativement faible des mesures les plus radicales telles que
les systèmes de fermeture à distance des portes de la pharmacie en dépit de taux de victimisation
parfois importants282. Celles-ci ne s’étant pas intéressées aux motivations sous-jacentes à l’emploi de
ces types de mesures et aux facteurs « qualitatifs », liés aux personnalités des pharmaciens, elles ne
parviennent pas à expliquer pourquoi ces mesures sont relativement peu utilisées, y compris par les
pharmaciens ayant déjà été victimes de braquages, se contentant seulement de constater cette
tendance. Cependant, si comme nous le pensons, ce n’est pas le taux de victimisation ou le
sentiment général d’insécurité seul mais bien le traumatisme vécu qui détermine, du moins
partiellement, la propension des pharmaciens à développer des stratégies de prévention radicales,
ces résultats ne sont pas étonnants. En effet, si cette hypothèse est correcte, le nombre de
282
WEIGALL, Fiona M. & BELL, Alison F., “Trends in improved security measures – reducing armed robberies in pharmacies”, Workcover NSW, 2008, 25-26; PETERSON, Gregory M. & IM TAN, Sean & JACKSON, Shane L. & NAUNTON, Mark, “Violence in community pharmacy in Australia: incidence and implications”, International Journal of Clinical Pharmacy, 2011, p.272; LENELL, Amy Nicole, “Pharmacy security: a survey on pharmacists’ perceptions and preparedness ton handle prescription fraud and pharmacy robbery”, University thesis, College of Pharmacy and Health Science of Butler University, 2007, p.11, 21.
126
pharmaciens utilisant des mesures techno-préventives radicales ne sera probablement jamais très
élevé comparativement au nombre de pharmaciens ayant été victimes de tentatives de braquage ou
de braquages réussis, tous n’étant pas appelés à réagir de façon équivalente face à ces épisodes de
victimisation et encore moins face à la crainte subjective d’en être un jour victimes. Dès lors, il n’est
pas étonnant que les études réalisées dans divers endroits du monde n’indiquent, jusqu’à présent,
qu’une utilisation des systèmes de verrouillage à distance des portes ou des systèmes d’alerte de la
police qui oscille en moyenne autour des 20%. L’unique étude statistique réalisée dans ce domaine
en Belgique vient également corroborer cette tendance, indiquant par exemple qu’à peine 19% des
pharmaciens feraient un usage d’un système de verrouillage à distance des portes et que seulement
6% recourraient à des mesures plus radicales telle que l’utilisation d’un sas de sécurité283.
Nous sommes parvenus à trouver une proposition d’explication relativement satisfaisante en
ce qui concerne le recours aux stratégies de prévention impliquant un large usage de mesures
techno-préventives et marqué par un caractère pour le moins radical. Cette proposition pourrait être
entendue comme une proposition en deux temps, prenant la forme suivante : les pharmaciens
d’officine seraient d’autant plus incités à développer des stratégies de prévention et de protection
impliquant un usage extensif de la techno-prévention, ainsi que des mesures non-conventionnelles ou
compliquant l’accès à la pharmacie et l’établissement d’un contact direct avec le pharmacien, que
leur appréhension des risques de faire l’objet d’un vol à main armée est importante. Cette
appréhension serait, quant à elle, d’autant plus forte que les pharmaciens auraient été confrontés à
des épisodes de victimisation par vol à main armée impliquant une violence vécue de manière
traumatique. Ajoutons à cette proposition explicative une dernière partie portant, quant à elle, sur la
volonté de ne pas recourir ou de recourir de manière extrêmement limitée à des stratégies de
prévention fondées sur diverses mesures de techno-prévention. En effet, si la proposition
susmentionnée fournit les raisons dominantes expliquant le choix des pharmaciens de recourir aux
différentes formes de stratégies de prévention des risques de vol à main armée, elle ne fait pas
vraiment état de la multiplicité de raisons contribuant partiellement au choix inverse des
pharmaciens de ne pas se protéger par le biais de ces stratégies. Nous pouvons, dès lors, ajouter une
proposition d’explication complémentaire quant à ce choix et aux comportements concrets qu’il
recouvre, de sorte de parvenir à une explication hypothétique globale des pratiques des pharmaciens
dans le domaine de la définition de stratégies de prévention et de protection vis-à-vis des risques de
vols à main armée et d’agressions. Cette dernière proposition pourrait être présentée sous la
forme suivante : a contrario, les pharmaciens seraient d’autant moins incités à investir dans le
domaine de la prévention des risques de sécurité en général qu’ils seraient convaincus qu’aucune
stratégie préventive ne serait efficace ou opportune pour prévenir ces risques, ou qu’ils pourraient y
faire face par d’autres moyens. Ainsi se trouvent expliqués, de façon hypothétique et selon nos
données, les choix des pharmaciens de développer, à des degrés d’extensivité et de radicalité
différents, des stratégies de prévention des risques de vols à main armée fondées sur la techno-
prévention ou, au contraire, de choisir de ne pas développer de stratégie de prévention particulière
et de préférer exercer leur métier avec peu ou pas de mesures techno-préventives, ou en recourant à
des moyens d’un type radicalement différent à l’instar des armes ou d’autres éléments remplissant
une fonction de défense.
283
Service Public Fédéral Intérieur, « Etude sur la sécurité auprès des indépendants et des professions libérales. Résultats concernant le secteur des pharmaciens », 2006, p.20-21.
127
V. Conclusions générales :
En entamant ce travail nous nous interrogions sur la manière dont les pharmaciens se
représentaient la violence et sur les stratégies qu’ils mettaient en place pour prévenir les risques
d’en être un jour victimes. Cette interrogation très large nous a requis plusieurs éclaircissements
préalables ainsi qu’un important travail de recherche multidisciplinaire. En effet, ne pouvant nous
appuyer sur des nombreuses études préexistantes et ne disposant que peu d’informations sur la
situation sécuritaire des pharmaciens en Belgique, nous avons dû, tout d’abord, réaliser un état des
lieux des risques de sécurité auxquels ces pharmaciens étaient confrontés. Pareil exercice s’est révélé
complexe et a nécessité la collecte de multiples données statistiques et leur croisement, mais nous
ne pouvions pas, selon nous, nous permettre d’en faire l’économie. Dans la mesure où aucune étude
n’était susceptible de nous éclairer sur les types de faits violents et délictueux auxquels les
pharmaciens belges étaient confrontés, ou sur la magnitude cette violence, il nous a fallu réaliser une
analyse statistique à partir de chiffres officiels, cela afin de solidifier les bases de notre recherche. A
l’issue de cette analyse nous sommes parvenus à établir un aperçu global et exhaustif de la situation
des pharmaciens sur le plan de la sécurité en Belgique. Nous avons également pu identifier les
formes de violence les plus recensées au sein des pharmacies. Si le vol, sans plus de distinction, peut
être considéré comme le principal phénomène délictuel affectant les pharmaciens, c’est bien le vol à
main armée qui constitue la forme de violence à laquelle ceux-ci sont le plus souvent confrontés, sur
le plan statistique du moins. Ces statistiques étant marquées par certains biais résultants des
méthodes de production employées, nous ne pouvions exclure que celles-ci masquaient l’importance
d’autres types de phénomènes délictueux ou de violence de moindre gravité et que les
représentations de la violence chez les pharmaciens soient plus riches.
En nous aidant de certains apports théoriques de la sociologie des métiers, nous avons
constaté l’existence de logiques d’action relativement contradictoires et potentiellement
conflictuelles dans la profession de pharmacien d'officine, à savoir une logique « socio-médicale » et
une logique « économique et commerciale ». Ces logiques, procédant de l’identité professionnelle
développée par les pharmaciens, influencent l’ensemble de leurs pratiques professionnelles, de
même que leurs représentations des usagers et la façon dont ils interagiront avec eux. A partir de
cette perspective théorique, nous avons envisagé que les pharmaciens puissent être influencés, dans
leurs pratiques professionnelles et leur mode d’interaction avec les usagers, par une autre logique,
diamétralement opposée à la logique socio-médicale et plus proche de la logique commerciale, à
savoir une logique sécuritaire. Nous avons spéculé sur la possibilité que les choix des pharmaciens en
matière de stratégie de prévention des risques de violences et d’agressions puissent s’établir sur un
fond de tensions identitaires, résultant de logiques d’action contradictoires auxquelles les
pharmaciens seraient soumis. Cette spéculation n’étant que le produit d’une réflexion amorcée à
partir des rares études sociologiques portant sur le métier de pharmacien d’officine que nous avons
pu nous procurer, nous ne l’avons pas poussée plus loin dans son développement. Cependant, au
regard des niveaux de faits délictueux et violents affectant les pharmaciens et de la multiplication
des initiatives étatiques ou corporatives en matière de sécurité et de prévention à destination des
pharmaciens, nous avons été confirmés dans notre supposition que ceux-ci devaient être amenés à
adapter leurs pratiques professionnelles dans une magnitude inconnue et à développer un certain
nombre de stratégies pour assurer leur protection et éviter les risques de violences et d’agressions.
Les apports théoriques évoqués nous laissaient également imaginer que le développement de ces
128
stratégies pouvait résulter d’un processus complexe et non-exempt de conflictualité « axiologique »,
la probabilité étant alors grande que nos résultats démontrent l’existence d’une importante diversité
dans les stratégies de prévention développées et les attitudes des pharmaciens les sous-tendant.
Après avoir restreint notre champ de recherche à douze pharmacies indépendantes issues de
certaines communes de la Région Bruxelles-Capitale, essentiellement pour des raisons pratiques
ayant trait à la faisabilité, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec quinze personnes
appartenant à la profession de pharmacien d’officine, ayant néanmoins des statuts différents. Si nous
avons veillé à ce que les différentes grandes caractéristiques sociodémographiques et socio-
professionnelles soient réparties dans des proportions relativement équitables, afin d’assurer une
certaine diversité équilibrée au sein de notre échantillon, nous devions admettre d’emblée que nos
résultats ne seraient applicables qu’au contexte bruxellois, ce qui représente une limite de taille mais
néanmoins indépassable de notre recherche. Des données issues de ces entretiens qu’avons-nous pu
découvrir ? Premièrement, nous avons constaté la prégnance du vol à main armée dans les discours
des pharmaciens sur les risques de sécurité encourus. Si d’autres formes de violences ont pu
également être constatées et analysées, c’est bien le vol à main armée ou le « braquage » qui a
incarné la principale figure de la violence pour l’extrême majorité des pharmaciens interrogés. Le vol
à main armée n’est donc pas seulement apparu comme un risque objectif de sécurité, de violence
mais également comme une source de crainte plus ou moins forte chez les pharmaciens. Que ceux-ci
y aient été confrontés directement ou non, le vol à main armée a été identifié comme le phénomène
délictuel et la forme de violence les plus craints. A partir de cette observation, confirmant les
tendances issues de notre analyse statistique de départ, nous avons pu raisonnablement avancer
l’hypothèse que l’ensemble des stratégies de prévention, ou du moins leur très grande majorité,
serait développé dans l’optique de se prémunir des risques perçus de vol à main armée. Cette
hypothèse a été rapidement confirmée et nous avons fait le choix de nous focaliser sur les stratégies
développées par rapport à cette forme de violence particulière, écartant de notre analyse les autres
formes de violence de moindre importances ou les situations problématiques mentionnées par les
pharmaciens, mais néanmoins moins récurrentes dans leurs discours. Ce choix constitue une seconde
limite de notre recherche mais est néanmoins fondé à nos yeux dans la mesure où il procède de
l’importance écrasante qu’a pris le phénomène du vol à main armée dans les discours des
pharmaciens et dans leurs représentations des risques de violence et de sécurité afférents à leur
profession. Dans pareilles circonstances nous ne pouvions faire abstraction de cette tendance ayant
émergé de nos données, pas plus que nous ne pouvions risquer de nous perdre dans une analyse
trop extensive des risques de violence auxquels les pharmaciens de notre échantillon étaient
confrontés.
Deuxièmement, nous avons pu rapidement constater la prédominance des stratégies de
prévention fondées sur l’utilisation de mesures de techno-prévention. Cependant, au-delà de ce
résultat prévisible, nous avons observé une certaine diversité parmi ces stratégies ; diversité fondée
sur le degré d’utilisation de mesures techno-préventives, sur les types de mesures techno-
préventives utilisées, ainsi que sur les représentations de ces mesures et les motivations sous-
jacentes à leur utilisation. A partir de ces différents indicateurs, trois profils de pharmaciens utilisant
des stratégies de prévention fondées sur des mesures techno-préventives ont pu être établis. Pour
chacun de ces profils correspondaient une manière particulière de concevoir la techno-prévention
ainsi qu’une utilisation plus ou moins importante de mesures techno-préventives. Ainsi, aux côtés
des pharmaciens que nous avons qualifiés « d’utilitaristes », faisant un usage minimal de la techno-
129
prévention et ne souhaitant pas investir plus que ce qui leur semblait nécessaire dans leurs stratégies
de prévention, se trouvaient également les catégories de pharmaciens « réalistes », cherchant à
anticiper rationnellement les risques de subir un vol à main armée, et de pharmaciens
« absolutistes », faisant un usage maximal et radical de la techno-prévention dans le but de s’assurer
d’un niveau de sécurité aussi grand que possible. Dans chacun de ces profils nous avons également
pu observer des conceptions différentes de l’usager et de la manière qui convenait pour interagir
avec lui. Les pharmaciens recourant à des stratégies de prévention moins développées et moins
radicales ont parus, en partie du moins, motivés par la volonté de maintenir un contact aussi étroit
que possible avec des usagers qu’ils identifiaient principalement comme des patients, méritant soins,
conseils et attention. A l’inverse, les pharmaciens faisant usage de stratégies de prévention très
développées et très radicales, impliquant un accès très restreint à la pharmacie, ont fait preuve d’une
nette focalisation sur les implications commerciales de leur métier, considérant les usagers comme
des clients plutôt que comme patients et ayant tendance à s’en méfier dans un plus grand nombre
d’occasions, par crainte des risques de vols à main armée. Si ces observations ont réactivé notre
croyance d’une filiation entre logiques d’action procédant de l’identité professionnelle et attitudes
dans le domaine de la sécurité, nous ne sommes pas parvenus à exploiter cette piste d’analyse. La
vérification d’une hypothèse avançant une corrélation entre logique d’action commerciale, traduite
par des pratiques gestionnaires et managériales concrètes, et type de stratégie de prévention adopté
n’a pu être complétée faute de données suffisantes et pertinentes, même si certains éléments
tendent à laisser penser que cette corrélation n’est pas complètement infondée et impossible.
En marge de cette identification de plusieurs manières de concevoir et d’appliquer des
stratégies de prévention fondées sur la techno-prévention, nous avons également pu identifier deux
autres grands types de stratégies destinées aux risques de vols à main armée et de violences,
quoique d’une importance relative marginale. Certains pharmaciens semblent avoir eu recours à des
stratégies fondées sur la réponse directe et physique à des risques matérialisés en menaces
objectives, négligeant ainsi une approche plus préventive de ceux-ci ; pour cette raison nous avons
qualifié ces stratégies de stratégies de « protection », plutôt que de prévention. Typiquement, ces
stratégies ont impliqué l’usage d’armes diverses mais également d’autres moyens de protection, tous
présentant la particularité d’impliquer le recours à un certain degré de force physique et de chercher
à neutraliser une menace concrète. Le dernier type de stratégies de prévention a été caractérisé par
le recours à « l’innovation », la combinaison de mesures de prévention de différents types et
répondant à des logiques différentes dans le but d’atteindre un résultat non-conventionnel marqué
par la transversalité et semblant, a priori, plus à même d’assurer une meilleure réponse aux risques
de violences et de vols à main armée.
Cherchant à expliquer, à partir de nos données, les choix des pharmaciens de privilégier le
développement de l’une ou l’autre de ces stratégies identifiées, nous avons initialement privilégié
une explication fondée sur les épisodes de victimisation subis ce qui, malheureusement mais de
manière relativement prédictible, s’est avéré insuffisant. L’élément central ne semble pas tant être le
nombre d’épisodes de victimisation vécus personnellement, mais bien le degré d’appréhension du
vol à main armée, élément bien plus difficile à cerner avec plus ou moins d’exactitude et encore plus
à mesurer avec précision. Nous sommes parvenus à établir une proposition d’explication sur les choix
des pharmaciens en matière de stratégies de prévention vis-à-vis des risques de vols à main armée,
englobant l’ensemble des cas constituant notre échantillon. Cette proposition est hypothétique et
n’est applicable, ceteris paribus, qu’à la population des pharmaciens de Bruxelles-Capitale. Ainsi, il a
130
été proposé que les pharmaciens d’officine seraient d’autant plus incités à développer des stratégies
de prévention et de protection impliquant un usage extensif de la techno-prévention, ainsi que des
mesures non-conventionnelles ou compliquant l’accès à la pharmacie et l’établissement d’un contact
direct avec le pharmacien, que leur appréhension des risques de faire l’objet d’un vol à main armée
est importante. Cette appréhension serait, quant à elle, d’autant plus forte que les pharmaciens
auraient été confrontés à des épisodes de victimisation par vol à main armée impliquant une violence
vécue de manière traumatique. A contrario, les pharmaciens seraient d’autant moins incités à investir
dans le domaine de la prévention des risques de sécurité en général qu’ils seraient convaincus
qu’aucune stratégie préventive ne serait efficace ou opportune pour prévenir ces risques, ou qu’ils
pourraient y faire face par d’autres moyens.
Quelles dernières observations et pistes de réflexion pouvons-nous avancer pour clore cette
recherche ? Premièrement il est notable que les pharmaciens sont confrontés à des formes de
violences relativement différentes de celles auxquelles les autres professions des secteurs médical et
paramédical sont confrontées. Au-delà de la question de savoir si les pharmaciens présentent une
plus grande exposition aux risques de violences que ces autres professions, il est manifeste qu’ils
sont plus exposés aux risques de vols à main armée et de vols avec violence. A l’inverse des
personnels infirmiers et hospitaliers devant faire face à formes de violence plus « réactives » et
spontanées causées par des patients agressifs, les pharmaciens sont principalement concernés par
des formes de violences motivées par le vol. En raison de cette différence qualitative importante, il
est donc illusoire de considérer que la situation des pharmaciens sur le plan de la sécurité et de la
violence puisse être comparée à celle des autres professions de santé. Si ces deux situations
présentent certaines convergences et certaines propriétés communes, elles sont néanmoins
caractérisées par des formes de violence dominantes radicalement différentes.
Dès lors, le fait que les pharmaciens se comportement de plus en plus comme n’importe quel
type de petit commerçant devient moins intriguant. En effet, en étant confrontés aux mêmes risques
que les autres types de commerces régulièrement visés par les braqueurs, il est logique que les
pharmacies se voient dotées de mesures techno-préventives classiques et également mises en
œuvre dans d’autres types de commerces. De même, la relative méfiance vis-à-vis des usagers et la
volonté de s’en distancier, au mépris de l’éthique pharmaceutique traditionnelle mais en accord avec
la psychologie de n’importe quel professionnel se considérant particulièrement exposé aux risques
de braquages et de violences, devient plus compréhensible, les pharmaciens se recentrant sur leur
sécurité personnelle et sur une conception « minimale » des missions et services qu’ils sont amenés à
réaliser. Cependant, si ces phénomènes sont compréhensibles, ils n’en sont pas pour autant anodins
et dépourvus d’un aspect problématique. Il est paradoxal de voir une profession de santé, à la
dimension sociale non-négligeable, adopter une logique idoine à celle poursuive par des
établissements à vocation strictement commerciale, même si celle-ci est limitée au domaine de la
sécurité. Si nous ne sommes pas parvenus à démontrer que l’adoption de stratégies de prévention
similaires, mais parfois même plus importantes et plus radicales, à celles développées par certains
types de petits commerces, ainsi que par les centres commerciaux ou autres grands types
d’établissements commerciaux, s’accompagnaient de l’adoption d’une logique d’action et de
pratiques motivées par des intérêts strictement commerciaux, nous avons néanmoins maintenu
cette hypothèse ouverte.
131
Nous ouvrions ce mémoire par la présentation d’un exemple, aux apparences triviales, d’une
pharmacie américaine se transformant peu à peu en place forte dans le but de réduire son exposition
aux risques de braquages et d’autres actes délictueux. A ce titre, nous évoquions un phénomène de
« fortification » latente et progressive des pharmacies américaines, un nombre croissant d’entre elles
semblant se diriger vers pareille extrémité. Nous évoquions cet exemple pour illustrer les
conséquences d’un processus de sécurisation poussé à son paroxysme, la pharmacie ne conservant
de ses fonctions traditionnelles que celle de dispenser les médicaments, ayant fait disparaître tout
contact direct et spontané entre usagers et personnel officinal et limitant, au final, la pharmacie à un
vulgaire commerce de produits médicamenteux et para-médicamenteux. Si les pharmacies que nous
avons étudiées au cours de cette recherche ne semblent pas soumises à un phénomène de
« fortification » aussi poussé, certaines de ces caractéristiques ont pu néanmoins être observées,
traduisant peut-être la progression d’une logique assez proche dans les stratégies de prévention
développées par les pharmaciens belges. En effet, le recours à des systèmes de verrouillage à
distance des accès de la pharmacie, de même que la concentration de nombreuses mesures techno-
préventives effectives dans la pharmacie ou le recours à des moyens « offensifs » tels que les armes
ou les chiens dressés, constituent à nos yeux autant d’avatars amoindris de ce phénomène de
fortification des pharmacies. A ce titre, nous avons trouvé étonnant de trouver, au sein de notre
échantillon réduit, une proportion aussi importante de pharmaciens recourant à des stratégies de
prévention impliquant la renonciation d’un accès libre à leur pharmacie. Si ce type d’attitude était
rendue compréhensible par les récits de ces pharmaciens, le fait que ceux-ci aient renoncé à l’idéal
professionnel et éthique d’une proximité et d’une mise à disposition vis-à-vis du patient au profit
d’une sécurisation relative de leur personne et de leurs biens, et que certains se déclarent prêts à
repousser encore les limites de leurs stratégies de prévention, soulève certaines interrogations
légitimes. Dans quelle mesure les pharmacies pourront-elles encore servir de lieu de santé à part
entière et jusqu’où s’étendent les conséquences des processus de sécurisation que certains
pharmaciens ont initiés ? Ou encore, ces stratégies de prévention étant connues, dans quelle mesure
les pharmaciens sont-ils amenés à adopter des attitudes et des comportements différentiels face aux
personnes qu’ils identifient, à tort ou à raison, comme des menaces potentielles pour leur sécurité et
celle de leur établissement ? Voilà autant d’interrogations que nous n’avons pu aborder dans le cadre
de cette recherche, nous contentant de mettre en lumière l’existence de schémas organisationnels,
comportementaux et cognitifs développés par les pharmaciens vis-à-vis des risques de violences et
de vols à main armée, et rassemblés au sein de stratégies de prévention concrètes.
132
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general/item/16652-chaque-jour-au-moins-un-bijoutier-un-pharmacien-ou-un-night-shop-est-
victime-d%E2%80%99un-braquage
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cessent-d-augmenter?id=5045753
143
VII. Annexes :
A. Statistiques complètes de la Police fédérale sur la criminalité commise à l’égard des
pharmaciens d’officine en Belgique, par Région :
Source : Police fédérale – Direction DRI (Information policière & ICT) – Business Politique et
Gestion. Données transmises le 17/06/2015.
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Législation sur les étrangers 1 2 1 1 2 3 4 3
Drogues 5 1 2 4 2 7 1
Infraction contre autres valeurs morales etsentiments
6 2 7 5 2 4 1 1
Infraction contre l'intégrité physique 2 6 8 8 2 4 4 2 3
Fraude 8 4 5 5 3 7 3 4
Infraction contre la sécurité publique 3 4 12 6 15 5 8 3 4
Criminalité informatique 2 11 15 6 14 20 5
Dégradation de la propriété 19 19 24 15 14 20 22 23 13
Infraction contre la foi publique 20 21 20 31 17 36 23 29 32
Vol et extorsion 259 171 173 201 196 153 192 176 141
0
50
100
150
200
250
300
350
Faits criminels commis à l'égard des pharmaciens d'officine - Bruxelles-Capitale
Vol et extorsion Infraction contre la foi publique
Dégradation de la propriété Criminalité informatique
Infraction contre la sécurité publique Fraude
Infraction contre l'intégrité physique Infraction contre autres valeurs morales et sentiments
Drogues Législation sur les étrangers
144
Source : Police fédérale – Direction DRI (Information policière & ICT) – Business Politique et
Gestion. Données transmises le 17/06/2015.
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Législation sur les étrangers 4 1 5 2 2 2 1 1 1
Infraction contre autres valeurs morales etsentiments
3 4 4 1 6 3 7 4 2
Infraction contre l'intégrité physique 9 5 4 3 10 3 8 5 6
Infraction contre la sécurité publique 1 6 4 6 15 15 3 8 4
Criminalité informatique 3 1 5 1 3 6 31 11 13
Drogues 27 16 14 26 30 25 18 14 20
Dégradation de la propriété 36 37 32 33 36 44 35 26 18
Fraude 31 27 21 31 36 39 39 48 37
Infraction contre la foi publique 94 105 101 122 126 161 181 153 177
Vol et extorsion 252 183 229 243 338 339 292 320 270
0
100
200
300
400
500
600
700
Faits criminels commis à l'égard des pharmaciens d'officine - Région flamande
Vol et extorsion Infraction contre la foi publique
Fraude Dégradation de la propriété
Drogues Criminalité informatique
Infraction contre la sécurité publique Infraction contre l'intégrité physique
Infraction contre autres valeurs morales et sentiments Législation sur les étrangers
145
Source : Police fédérale – Direction DRI (Information policière & ICT) – Business Politique et
Gestion. Données transmises le 17/06/2015.
B. Taux de victimisation par vol à main armée des pharmaciens d’officine de Belgique,
par Région et pour l’année 2012 :
Année 2012 Région
Bruxelles-Capitale
Région flamande
Région wallonne
Belgique
Nombre d’officines
624 2703 1859 5186
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Armes et explosifs 1 2 3 1 6 1
Drogues 7 7 5 2 4 3 14 4 3
Infraction contre autres valeurs morales etsentiments
6 3 3 6 7 6 6 6 12
Infraction contre l'intégrité physique 2 10 3 6 7 8 7 6 11
Infraction contre la sécurité publique 4 8 5 5 6 7 6 10 6
Fraude 12 13 11 11 6 14 9 20 15
Dégradation de la propriété 25 35 35 36 32 37 26 36 24
Criminalité informatique 2 25 39 21 77 23 47 46 48
Infraction contre la foi publique 45 40 73 59 43 63 107 28 67
Vol et extorsion 280 264 234 210 218 308 432 416 263
0
100
200
300
400
500
600
700
Faits criminels commis à l'égard des pharmaciens d'officine - Région wallonne
Vol et extorsion Infraction contre la foi publique
Criminalité informatique Dégradation de la propriété
Fraude Infraction contre la sécurité publique
Infraction contre l'intégrité physique Infraction contre autres valeurs morales et sentiments
Drogues Armes et explosifs
146
Nombre de vols à main armée à
l’encontre de pharmaciens
50 54 79 183
Taux de victimisation
8% 2% 4.2% 3.5%
Sources : Chambre des Représentants de Belgique , « Réponse du vice-premier ministre et
ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes et de la Régie des
bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel du 05
mars 2015 », 2015, consulté en ligne le 07/07/2015 sur
http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf ; Sénat de Belgique, « Réponse de
la vice-première ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et
des Institutions culturelles fédérales du 08 mai 2012, à la question n°5-5988 de Louis Ide du
29 mars 2012 », consulté en ligne 07/07/2015 sur
http://www.senate.be/www/?MIval=/Vragen/SVPrint&LEG=5&NR=5988&LANG=fr
C. Vols avec violence sans arme à l’égard de pharmaciens d’officine, par
arrondissement judiciaire :
AnversBrabantwallon
Bruxelles(Capitaleet BHV)
Charleroi Mons Louvain Liège Limbourg NamurFlandre
orientale
Flandreoccident
ale
2014 1 0 2 1 0 0 1 1 0 2 0
2013 6 0 4 1 2 0 1 3 1 1 0
2012 3 0 13 4 1 3 1 1 0 1 3
2011 3 2 7 2 0 0 4 1 0 2 0
0
5
10
15
20
25
30
Vols avec violence sans arme à l'égard de pharmaciens
147
Sources : Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse du vice-premier ministre et ministre
de la Sécurité et de l’Intérieur, chargé des Grandes Villes et de la Régie des bâtiments du 28 avril
2015, à la question n°231 de monsieur le député Olivier Chastel du 05 mars 2015 », 2015, consulté
en ligne le 07/07/2015 sur http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/54/54K0021.pdf
D. Taux moyens de vols à main armée à l’encontre de pharmaciens, par Région et sur
la période 2009-2012 :
Période 2009-2012
Nombre total de vols à main
armée
Nombre total de vols à main armée sur des
pharmaciens
Taux moyens de vols à main armée à l’encontre de
pharmaciens
Région de Bruxelles-Capitale
6109 224 3.6%
Région flamande
6737 176 2.6%
Région wallonne
8901 359 4%
Belgique 21747 759 3.5%
Sources : Chambre des Représentants de Belgique, « Réponse de la vice-première ministre et
ministre de l’Intérieur et de l’Egalité des chances du 29 avril 2014, à la question n°1371 de
monsieur le député Peter Logghe du 23 janvier 2014 », 2014, p. 152, consulté en ligne le
07/07/2015 sur « Réponse du vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur,
chargé des Grandes Villes et de la Régie des bâtiments du 28 avril 2015, à la question n°231 de
monsieur le député Olivier Chastel du 05 mars 2015 », 2015, consulté en ligne le 07/07/2015 sur
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fedpol.be/crim/crim_statistieken/app_crimestat/app_crimestat_dashboard_crimfig_misdrijve
n_fr.php
E. Principes du système Télépolice communiqués par Eurovigilance :
On retrouvera ces principes sur l’ensemble du territoire. Nos systèmes ont été
spécialement développés pour la lutte contre les VMA (Vols à Main Armée). Ils connaîtront,
ici, en 2015 une évolution adaptative significative en réponse aux nouveaux phénomènes
criminogènes.
148
Un avantage que nous retirons de notre couverture nationale est ainsi d’identifier des modes
opératoires existants déjà dans les pays de nos partenaires. La criminalité ne connaît pas les
frontières, de même que les modus operandi ! Couplés à l’expertise de nos partenaires, cela
permet à la police d’appliquer des techniques préventives de dissuasion et de répression en
lien avec l’évolution de la criminalité.
Télépolice Vision offre aux zones de police depuis de nombreuse années de pouvoir
bénéficier d’un système d’appel direct entre le commerce et le dispatching de la police
zonale. Les avantages sont multiples : Premièrement d’un point de vue policier cela permet
de limiter les risques pour les équipes, d'obtenir une évaluation en temps réel, d'obtenir un
contact direct avec la victime, d'obtenir les outils et supports à l’identification rapide d'un
suspect.
Côté commerçant : pouvoir mettre en avant une dissuasion forte d’un lien direct avec la
police, avoir un appel direct avec le service de police, avoir un dispositif simple et efficace
permettant l’envoi du son et des images lors d’un appel. Cela permet également au
commerçant de visualiser son commerce à distance pour évaluer une situation
potentiellement à risques. Par exemple, lors d’un cambriolage ou toute information dans
laquelle il peut courir un danger, il limitera le risque avec une levée de doute.
Un suspect qui passe devant les caméras Télépolice est figé dans le système et ne pourra se
soustraire à l’identification visuelle qui est protégée. Un exemple concret, lors d’un
cambriolage un commerce a été incendié. Les caméras Télépolice ont permis au service de
police d’obtenir des pistes, une description de la situation, des auteurs, du nombre et une
heure exacte,... Des informations qui permettent de débuter une enquête avec du concret…
Dans une autre situation l’enquêteur aurait reçu un dossier d’incendiaire sans le moindre
début de piste.
Le taux d’agression sur les commerces équipés par le système permet d’apprécier la
dissuasion qu’il apporte sur des commerçants habituellement ciblés par des agressions. Il est
bien évidemment impossible d’avoir une statistique de VMA évitée par la présence de
Télépolice !
Télépolice permet aux services de police d’obtenir plus de chances d’arrêter, d’identifier un
agresseur et donc de limiter l'impact sur les ressources de la zone en devoir
d’enquête.