17

Consommation carnée et élevage dans le quartier d'habitat nord de Briga (Eu, Seine-Maritime) - Journées régionales de Haute Normandie 2014

Embed Size (px)

Citation preview

Journées archéologiques de Haute-Normandie

Alizay, 20-22 juin 2014

Presses un ivers ita ires de Rouen et du Havre

3 3

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

A n t i q u i t é

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é »

ARCHÉOZOOLOGIE, GALLO-ROMAIN, BRIGA, VILLE, ANIMAUX, ALIMENTATION

L’analyse des ossements animaux exhumés dans le quartier nord de la petite ville de Briga (Eu, « Bois l’Abbé », Seine-Maritime) a débuté fin 2012. Il est d’ores et déjà possible de proposer un premier aperçu de ce que fut l’alimentation carnée dans ce quartier d’habitation, entre la fin du ier et le milieu du iiie siècle de notre ère. L’approche chronologique montre une augmentation des proportions de caprinés, à la fois dans le sanctuaire et dans le quartier d’habitat, au cours du iie siècle, bien que les porcs restent majoritaires dans les zones résidentielles. Cette consommation accrue de jambons contraste beaucoup avec les carcasses quasi complètes de moutons et de chèvres retrouvées dans les différents secteurs.

Meat consumption and livestock in the northern dwelling area of Briga, “Bois l’Abbé” (Eu, Seine-Maritime)Analysis of animal bones exhumed in the northern area of the small town of Briga began in late 2012. It is already possible to offer an initial insight into the meat supply in the dwelling area between the end of the 1st and mid-3 rd century A.D. The chronological approach shows an increase in the numbers of caprinae, both in the sanctuary and the dwelling area, over the course of the 2 nd century, while pigs predominated in the residential areas. This increased ham consumption contrasts markedly with the almost whole sheep and goat carcasses found in the various areas.

Alice Bourgois

Consommation carnée et élevage dans le quartier d’habitat nord de Briga, « Bois l’Abbé » (Eu, Seine-Maritime)

Présentation de l’échantillonL’ensemble présenté ici est composé de près de 3 570 ossements animaux. Ces restes sont issus des campagnes de fouilles programmées menées de 2010 à 2012 par Étienne Mantel (SRA Haute-Normandie) sur un secteur d’habitation de la petite ville de Briga1 : le sondage 7, désormais désigné comme une partie du « quartier nord2 » (fig. 1). Cette agglomération gallo-romaine d’une cinquan-taine d’hectares fut implantée sur un plateau culmi-nant entre deux vallées3. Installée sur la pointe nord de l’actuelle Seine-Maritime, elle était située durant l’Antiquité près de la frontière entre les provinces de Gaule Belgique et de Lyonnaise.Pour cette étude, seuls les éléments osseux découverts à l’intérieur des bâtiments ont été pris en compte4, ainsi que les rares fosses et autres structures en creux observées sur le terrain. La conservation du maté-riel dans ce secteur est très irrégulière. En dehors de l’emprise des « terres noires » du sanctuaire (fin du iie siècle avant J.-C.-milieu du ier siècle après J.-C.), situées au sommet du plateau, le sol au « Bois l’Abbé » est très acide, comme dans le reste de la

1 Le terme Briga a été accepté comme nom officiel de l’agglomération suite à la découverte d’une plaque dédicatoire mentionnant le dieu « Mercurio Brigensi » (Mantel et al., 2007).

2 Le sondage 7 ne représente en effet qu’une petite partie du dense maillage d’habitats implantés au nord-est du centre monumental, fouillé sur plus d’un hectare et qui regroupe actuellement les sondages 6, 7, 7bis et 9, en cours d’étude.

3 Vallée de la Bresle et vallon de Saint-Pierre-en-Val.4 Les espaces « ouverts », à savoir les cours et les voiries,

n’apparaissent donc pas dans cet article.

région. De fait, dans certaines zones du quartier nord, les os sont très mal conservés. Cette conser-vation différentielle, couplée à la grande variabilité des formes et tailles des bâtiments (fig. 2), donne une série d’échantillons d’importances inégales. Le plus riche correspond au bâtiment 1-21, avec 1 325 restes, tandis que les bâtiments 7, 10, 12 et 14 n’ont fourni aucun ossement5. Le bâtiment 17 ne compte que 22 restes, dont 16 de porcs, 4 de bœufs et 2 de caprinés. Le bâtiment 6, lui, n’a révélé que 10 restes, dont 3 éléments porcins, les 7 autres demeurant indéterminés. Enfin, le bâtiment 13 com-porte 14 restes et le bâtiment 15 un seul (de porc). Ces constructions n’apparaissent donc pas dans le tableau de synthèse (tableau 2). Malgré tout, 71,6 % des restes ont pu être déterminés, soit 95,8 % du poids total (tableau 1). La zone a essentiellement été fouillée à la truelle et la terre, trop argileuse, n’a pas été tamisée6.Cette étude s’inscrit d’une part dans le cadre plus large d’une thèse de doctorat, financée par un contrat ministériel, préparée à l’université de Picardie Jules-Verne (Amiens) sous la direc-tion de Marie-Laurence Haack (professeur des universités, laboratoire Textes, représentations, archéologie, autorité et mémoires de l’Antiquité à la Renaissance, EA 4284) et de Sébastien Lepetz (chargé de recherche, CNRS, UMR 7209), traitant

5 Du moins pas avant les campagnes de fouilles de 2013 et 2014.

6 Le tamisage présentait peu d’intérêt en raison des difficultés liées à la composition du sol mais aussi de l’état médiocre du mobilier et de l’absence de matériel dans certaines zones.

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

3 4

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

decumanus Adecumanus A decumanus Adecumanus A

decumanus Bdecumanus B

cardo

A

cardo

A

cardo

A

cardo

A

Légères dépressionsmares (dépotoirs ou fosses rituelles ?)

Clavicule ?

puits ?

decumanus Cdecumanus C

cellier ?fosse

segm

ent d

'une

ENCLOS PRÉCOCE avec habitat

(fin Ier s. av. J.-C. - 70-80)

GRANDE PLACE(fin Ier - fin IIIe s.)

Doub

le fo

ssé

d'enc

einte

Sondage 5

Sondage 9

Sondage 14

Sondage 12

Sondage 13

Sondage 6

Sondage 7

Sondage 15

Sondage 8

Sondage 10

Sondage 4

ENC

EIN

TE

BâtimentOuest

Fanum 7Enceinte de la place

Fossé d'enceinte

HABITAT- quartier Nord(fin Ier - fin IIIe s.)

THÉATRE(fin Ier - IIIe s.)

BASILIQUE

GRAND TEMPLE

BâtimentEst

Habitatprécoce

portique

3

0

25 m

N

0

Belgica

GalliaLugdunensis

EuBriga Amiens

Vendeuil-Caply

VieilÉvreux

Rouen Beauvais

ParisSeine

Somme

La Manche

Oise Aisne

Marne

Dieppe

Abbeville

de l’approche archéozoologique des campagnes et les villes de l’Ouest septentrional, entre la Seine et la Somme, à la période romaine. D’autre part, elle fait partie du programme de recherches pluridisci-plinaires de « Bois l’Abbé », coordonné par Étienne Mantel7, responsable du site et de la fouille pro-grammée depuis 2004.

Le « quartier nord » : un habitat urbain de la fin du ier au iiie siècleDéjà présenté et publié lors des journées régio-nales de 2011, 2012 et 2013 par Étienne Mantel

7 Je tiens d’ailleurs à les remercier, Étienne Mantel pour ses précieux conseils et sa confiance, Marie-Laurence Haack et Sébastien Lepetz pour leur soutien et le suivi scientifique de cette étude.

et Stéphane Dubois (INRAP), le sondage 7 corres-pond à un quartier résidentiel, composé de plusieurs îlots (insulae), situé au nord–nord-est du complexe monumental de la ville et organisé autour de trois axes de circulation principaux (Mantel et Dubois, 2014, p. 114). Les premiers habitats de cette zone sont installés à la fin du ier siècle de notre ère, après « évacuation » de ceux qui étaient enserrés dans l’enclos augusto-néronien, au sud-est du centre monumental (ibid., 2014, p. 126). Le quartier reste occupé jusque dans la deuxième moitié du iiie siècle.Bien que les bases des constructions paraissent plu-tôt sommaires (assises de silex montées à sec, éléva-tion en bois et torchis), l’étude du mobilier a révélé une certaine richesse, au moins dans quelques mai-sons, notamment par les découvertes de sigillées, dont deux encriers du iie siècle dans les grands bâti-ments 1-21 et 17-18 (Mantel et al., 2012, p. 90).

Fig. 1. Plan du centre monumental de

« Bois l’Abbé » et de ses alentours, état des connaissances à la fin de la campagne 2012

(DAO : É. Mantel et A. Bourgois).

A n t i q u i t é

3 5

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

À l’instar de la céramique, les ossements ont été retrouvés mélangés, la plupart du temps dans un seul niveau stratigraphique (parfois deux et rare-ment trois) arasé et difficilement interprétable (niveau d’occupation, remblais de construction ou de destruction…) mais uniforme sur l’ensemble du secteur8 (Mantel et Dubois, 2014, p. 113). Cette stratigraphie très limitée bloque toute ana-lyse chronologique fine et oblige à raisonner sur des périodes très larges, de près de deux siècles, couvrant l’extrême fin du ier siècle jusqu’au milieu du iiie siècle de notre ère. La contextualisation est donc difficile, hormis dans quelques structures : la

8 Les tentatives d’étude de la faune assemblée par couches stratigraphiques (01, 02 ou 03) se sont soldées par un échec. Elles montraient inexorablement une homogénéité atypique et non représentative, aucune évolution n’a donc été perçue. Par ailleurs, les autres études mobilières (céramiques en particulier, mais également marbres et enduits peints) ont montré qu’il y avait eu des mouvements de remblais en provenance de l’habitat précoce, près du centre monumental, pour l’aménagement des terrasses du quartier nord.

structure 13 (bâtiment 6), interprétée comme un probable cellier, et une fosse dépotoir située dans l’angle nord-est du bâtiment 5. Cette dernière, peu profonde, très riche en ossements, a d’ailleurs dans un premier temps été traitée séparément du reste du mobilier, car elle contenait plusieurs squelettes de caprinés9 quasi complets.

Premiers résultats archéozoologiquesLes résultats de cette étude sont présentés ci-après sous forme de tableaux ou de graphiques, exprimés en NR (nombre de restes), en NR % (pourcentage de nombre de restes par rapport au total donné), en PR (poids des restes en grammes), en PR % (pour-centage des restes par rapport au total donné) et en NMI (nombre minimum d’individus).

9 Le terme capriné regroupe les moutons (ovis aries) et les chèvres (capra hircus), lorsqu’il n’est pas possible de faire la distinction.

16-19

17-18

1-21

3

1413

2

4

11

5-10

7

ODRAC

A

DECUMANUS A

B SUNAMUCED

98

Puits

Puits ?

Cour

12

Caniveaux

6

Cellier

Fosse

Fossé 1

Limite du sondage 70 25 m

N

Fig. 2. Plan du quartier nord (sondage 7), état des connaissances à la fin de la campagne 2012 (DAO : S. Dubois et É. Mantel).

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

3 6

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

GénéralitésLe tableau 1 correspond au spectre faunique général du quartier nord10. La première remarque à faire sur ce décompte concerne le rapport entre les faunes domestique et sauvage. En effet, l’essentiel du mobi-lier (99,8 %) est constitué d’espèces domestiques (mammifères et volailles). Les animaux sauvages sont anecdotiques (6 restes) bien que cinq espèces

10 La fosse retrouvée dans l’angle du bâtiment 5 contenait les squelettes disloqués de quatre caprinés, soit 452 os comptabilisés comme quatre restes (ou ensembles anatomiques) dans le décompte général (tableau 1).

différentes soient attestées : trois gibiers (le lièvre-lepus capensis, le cerf-cervus elaphus et le sanglier-sus scrofa scrofa) et deux oiseaux, la corneille (corvus corone) et le goéland (larus argentatus). Notons que le seul reste de sanglier découvert est un gros tibia pathologique, présentant une fracture ressoudée déformée, ce qui signifie que l’animal était boiteux.Pour les espèces domestiques, ce sont les animaux de consommation courante, porcs (sus scrofa domes-ticus), bœufs (bos taurus), moutons (ovis aries) et chèvres (capra hircus), qui sont surreprésentés (fig. 3). Les équidés (equus sp.) et les chiens (canis familiaris) sont très discrets, avec respectivement

ESPÈCES NR % NR PR (g) % PR NMI

Boeuf 217 9,7 4728,5 17,4 5

Porc 1172 52,4 12171 44,8 33

Caprinés* 689 30,8 9389,5 34,5 16

Équidés 13 0,6 569 2,1 2

Chien 2 0,1 6,5 < 0,1 2

Coq 123 5,5 178,5 0,7 10

Oie 8 0,4 26,5 0,1 2

Canard 4 0,2 5 < 0,1 2

Pigeon 2 0,1 1 < 0,1 1

Cerf 1 < 0,1 23 0,1 1

Sanglier 1 < 0,1 87,5 0,3 1

Lièvre 2 0,1 4 < 0,1 1

Corneille 1 < 0,1 1 < 0,1 1

Goéland 1 < 0,1 1 < 0,1 1

Déterminés 2236 71,7 27192 95,8 78

Indéterminés 886 28,3 1205 4,2 -

TOTAL 3122 100 28397 100 -

BÂTIMENT NR triade Porc Caprinés Bœuf

Bât. 1-21 877 57 % 35 % 8 %

Bât. 2 139 32 % 56 % 12 %

Bât. 3 55 60 % 15 % 26 %

Bât. 4 48 59 % 33 % 8 %

Bât. 5 (sans fosse) 99 39 % 52 % 10 %

Bât. 6 (structure 13) 91 55 % 11 % 33 %

Bât. 8-8 bis 67 68 % 16 % 17 %

Bât. 9 53 17 % 83 % 0 %

Bât. 11 80 50 % 24 % 27 %

Bât. 18 190 60 % 36 % 5 %

Bât. 19 185 58 % 37 % 6 %

Tableau 2. Espèce dominante (fond

beige) et répartition de la triade domestique

(porcs, bœufs, caprinés) ou % NR3

par bâtiment.

Tableau 1. Décompte des restes osseux

sur l’ensemble des bâtiments du

quartier nord.

* Les 4 caprinés retrouvés dans la fosse

dépotoir du bâtiment 5 comptent chacun

comme un seul reste.

A n t i q u i t é

3 7

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

13 et 2 restes. Les restes d’équidés, très dispersés, sont surtout des éléments crâniens. Deux tibias, une scapula et un fémur incomplets ont également été retrouvés. Pour information, un crâne de cheval a été découvert en 2013, près des bases de poteaux de renforts nord du bâtiment 1-21. Il n’apparaît pas dans le décompte proposé ici car, pour rappel, il s’agit du mobilier de 2010 à 2012. Le chien n’est attesté que par un atlas (bâtiment 11) et un radius (bâtiment 1-21) fragmentés.La part de la volaille, surtout du coq (gallus gallus), n’est pas négligeable, 5,5 %, ou plus de 6 % des restes déterminés, en comptant les autres espèces, oies, canards et pigeons (fig. 4). Près de la moitié des restes de coq a été retrouvée dans la fosse dépo-toir du bâtiment 5. La préservation exceptionnelle dans cette structure explique sans doute en partie cet état de fait.Le tableau 2 illustre la répartition de la triade domes-tique (porc/bœuf/caprinés) dans les différents bâti-ments du quartier. Malgré des différences parfois très importantes de taille des échantillons (maxi-mum 1 325 restes pour le bâtiment 1-21 et mini-mum 68 restes pour le bâtiment 4), les résultats paraissent relativement homogènes et cohérents. Il n’est cependant pas inutile de rappeler que tous les bâtiments ne sont pas contemporains11.Le porc domine dans la plupart des maisons, à raison de 50 à 68 % de la triade domestique, et il n’existe qu’une petite variation au niveau de la hiérarchie entre caprinés et bœufs. De manière générale, les caprinés sont plus fréquents que les bovins, excepté dans les bâtiments 3 et 11. Dans le bâtiment 8-8bis, ils se rencontrent en proportions égales (10 restes de caprinés et 11 restes de bœufs). Trois maisons se démarquent néanmoins des autres, les bâtiments 2, 5 et 9. Leur caractéristique particulière est leur forte concentration en restes caprinés, respectivement 56 % et 51,5 % de la triade. En poids des restes cependant, l’importance des bœufs et des caprinés est égale, sauf lorsque l’on prend en compte la fosse dépotoir derrière le bâtiment 5 (fig. 5). Peut-on pour autant conclure que les quantités de viandes four-nies pour les bœufs et les caprinés sont proches ? Pour cela, il faut d’abord prendre en compte une deuxième information : la répartition anatomique des restes découverts.

11 Le phasage du quartier est disponible dans les rapports de fouilles annuels (dernier en date : Mantel et al., 2014) et dans la monographie qui sera publiée en 2015 (Mantel et Dubois dir., à paraître).

Répartitions anatomiquesCes répartitions anatomiques, c’est-à-dire les propor-tions des différentes parties ou os du corps animal en présence, donnent sur l’ensemble de l’échantillon trois profils diamétralement opposés pour chaque espèce de la triade. Pour des raisons de lisibilité, le choix a été fait d’exprimer ces répartitions anato-miques en poids des restes plutôt qu’en nombre de restes, et de les pondérer selon la méthode propo-sée par Sébastien Lepetz et Tarek Oueslati (2003,

Fig. 4. Distribution des volailles dans le quartier nord, sans la fosse.

Fig. 3. Distribution de la triade domestique dans le quartier nord, sans la fosse.

Basse cour

85 %

8 %5 % 2 %

Coq (n=73)Oie (n=7)Canard (n=4)Pigeon (n=2)

54 %

35 %

11 %

Porc (n=1047)Bœuf (n=216)Caprinés (n=685)

0

2 000

4 000

6 000

8 000

10 000

12 000

14 000

Porc

Caprin

ésBoe

uf Coq

Equidé

sChie

n

PR (g

)

Sans fosse (20 981 g)Avec fosse (27 043 g)

Fig. 5. Répartition du poids des restes, avec et sans la fosse dépotoir du bâtiment 5.

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

3 8

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

p. 54-55) en fonction d’une répartition « normale » (naturelle) d’un squelette de référence.Ainsi, la répartition des ossements de porcs est beaucoup plus déséquilibrée que celle des moutons

et des chèvres (fig. 6 et 7). Bien que pour ces trois espèces, les membres (humérus, radius, ulna, fémurs et tibias) soient surreprésentés, dans le cas des porcs cette démesure représente presque 150 % d’un squelette ordinaire, soit une quantité une fois et demi supérieure à la normale. Ces écarts entre les répartitions anatomiques mettent en exergue un traitement différencié des carcasses de suidés et de caprinés dans le quartier.Toutefois, le décalage le plus flagrant s’observe pour les bovins, puisque la quantité d’os des pieds est quatre fois supérieure à la normale (fig. 8). Il s’agit surtout des métapodes et dans une moindre mesure des phalanges. La caractéristique particu-lière de ces métacarpes et métatarses concerne leur fragmentation. Ils sont systématiquement brisés au niveau de la diaphyse, sauf dans quelques cas où ils sont plutôt fendus dans le sens de la lon-gueur, et ces fracturations semblent volontaires. Les métapodes sont souvent utilisés en tabletterie, mais lorsque c’est le cas, ils sont généralement sciés proprement pour obtenir des tronçons circulaires, et non pas brisés grossièrement au risque d’abîmer la matière première. Cette forte concentration de métapodes pourrait alors renvoyer à un autre type d’artisanat de l’os comme l’extraction d’huile de pieds de bœuf. En revanche, elle n’est en aucun cas représentative d’une activité alimentaire ou bouchère classique. Une telle répartition n’est pas courante dans les habitats, elle est tout de même avérée dans certains sites, comme dans le quartier d’habitat des iiie-ive siècles d’Estrées-Saint-Denis dans l’Oise (Lepetz et Frère, 2002, p. 360) ou dans

Fig. 7. Répartition anatomique des

caprinés, exprimée en poids des restes pondérés.

Formule % = (Poids restes-Poids référence)/

Poids référence.

Tableau 3. Décompte des

restes osseux dans le bâtiment 1-21.

P = 12 172 g

-1.0

-0.5

0.0

0.5

1.0

1.5

2.0

Crâne

Vertèb

res

Ceintur

esCôte

s

Membre

sPied

s

P = 9 389,5 g

-1.0-0.5

0.00.5

1.01.5

2.0

Crâne

Vertèb

res

Ceintur

esCôte

s

Membre

sPied

s

ESPÈCES NR % NR PR (g) % PR NMI

Boeuf 71 7,6 1741,5 22,5 4

Porc 502 53,5 3763 48,7 12

Caprinés 304 32,4 2079,5 26,9 9

Chien 1 0,1 3 < 0,1 1

Équidés 6 0,6 75,5 1 1

Coq 46 4,9 53,5 0,7 4

Oie 3 0,3 8 0,1 1

Pigeon 1 0,1 0,5 < 0,1 1

Lièvre 2 0,2 4 0,1 1

Goéland 1 0,1 1 < 0,1 1

Corneille 1 0,1 1 < 0,1 1

Déterminés 938 70,8 7730,5 94,1 36

Indéterminés 387 29,2 483 5,9 -

TOTAL 1325 100 8213,5 100 -

Fig. 6. Répartition anatomique des porcs, exprimée en poids des restes pondérés. Formule % = (Poids restes-Poids référence)/Poids référence.

A n t i q u i t é

3 9

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

Fig. 8. Répartition anatomique des bœufs, exprimée en poids des restes pondérés. Formule % = (Poids restes-Poids référence)/Poids référence.

Fig. 9. À gauche, malformation observée sur un métacarpe de capriné du bâtiment 1 (espace 15) : le doigt vestigial s’est complètement développé. À droite : un métacarpe normal retrouvé dans le sanctuaire de « Bois l’Abbé » (clichés : A. Bourgois).

l’habitat du lieu-dit « l’Aubue », au Vieil-Évreux dans l’Eure12. En l’état actuel des recherches, il est difficile de savoir si ces restes dispersés de pieds de bœufs proviennent d’un même atelier ou de petites productions occasionnelles et familiales.Bien qu’il soit impossible d’élaborer une chrono-logie précise, pour les raisons déjà évoquées précé-demment, on peut s’interroger sur l’homogénéité de ces résultats. Certains bâtiments se distinguent des autres (tableau 2), notamment les bâtiments 2 et 5, avec la fosse dépotoir sur laquelle nous revien-drons. Mais qu’en est-il du plus gros échantillon sélectionné, à savoir celui du bâtiment 1-21 ?

Le bâtiment 1-21Le tableau 3 représente le spectre faunique obtenu pour le plus grand échantillon osseux de l’étude, le bâtiment 1-21, qui est également, dans son second état, le plus vaste du quartier (11,80 m par 19,90 m en œuvre ; Mantel et al., 2013, p. 74-75). Le bâtiment 1 correspond à l’état le plus ancien (des années 60-70 au début du iie siècle) et le 21 à l’état le plus récent (fin du iie siècle-deuxième moitié du iiie siècle). Fait remarquable, cet échantillon reflète à plus petite échelle ce qui s’observe sur l’ensemble du quartier : une dominance des restes de porcs (53,5 %), suivis d’assez près par les restes de caprinés (32,5 %), et selon les pièces (espaces), la tendance s’inverse et les caprinés deviennent plus nombreux que les suidés. C’est le cas dans l’espace 3bis, une petite pièce près d’une sole de foyer, ainsi que dans les espaces 10bis, 15, 16 et 17, quatre pièces succé-dant au long couloir de la galerie nord. Le record est détenu par les espaces 15-16, où les caprinés représentent 77 % de la faune déterminée. En revanche, l’étude des différentes unités stratigra-phiques (01, 02 et 03) n’a révélé aucune évolution notable de la faune.C’est également dans ce bâtiment qu’a été retrouvé un reste de chien de très petite taille. Il s’agissait d’un radius gauche adulte, incomplet, que sa morpholo-gie, assez courte et trapue, empêchait de confondre avec un os de renard. Une estimation approximative de sa hauteur au garrot via le coefficient Koudelka (cité dans Chaix et Méniel, 2001, p. 58) donne un animal haut de 20 à 25 cm. Il ferait ainsi partie des plus petits répertoriés par Sébastien Lepetz pour le nord de la Gaule (Lepetz, 1996, p. 60). L’espace 5 a lui aussi fourni un élément atypique, un méta-carpe de capriné (chèvre ?) présentant une patho-logie rare, le développement d’un troisième doigt

12 Étude actuellement en cours.

dans sa partie distale (fig. 9). A priori, l’animal avait atteint sa taille adulte, il a donc pu vivre plusieurs années avec cette anomalie.

La fosse dépotoir (bâtiment 5)La fosse dont il est question se situe dans l’angle est du bâtiment 5. Peu profonde (0,2 à 0,3 m), creu-sée sous un radier en partie récupéré ou arraché du bâtiment 9 (fig. 10), elle n’a probablement pas été employée en même temps que le bâtiment 5 mais plutôt après, peut-être au moment de la construc-tion du bâtiment 8. La période d’utilisation de la fosse a pu être estimée grâce à la présence, parmi les restes de faune, d’un pot à cuire de la seconde moitié du iie siècle (Mantel et al., 2013, p. 58).La fosse contenait deux types de déchets osseux. D’une part, elle comprenait des restes d’au moins

P = 4 728,5 g

-1.0

0.0

1.0

2.0

3.0

4.0

5.0

Crâne

Vertèb

res

Ceintur

esCôte

s

Membre

sPied

s

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

4 0

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

0 2,5 m

N

Espace D Pilette d'hypocauste

4 43

3 bis

Bâtiment 5

Espace E

Bâtiment 10Bâtiment 10

Bâtim

ent 5

2Fosse dépotoir

Radier2

2

2 Bâtim

ent 8

Bâtiment 9

Bâtiment 5

radier

Ossements de caprinés

1

Espace G

3

Fragment demeule

Espace E'

Espace

F

Bâtiment 8bis

Espace I

Trottoir

Latrine ?

Puisard ?4

Radier

Voirie antiq

ue

radier

Fig. 10. Relevé en plan pierre à pierre des bâtiments 5, 8, 8bis, 9, 10 et de la fosse dépotoir (dessin : É. Mantel ; DAO : A. Bourgois).

A n t i q u i t é

4 1

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

cinq jeunes porcs, dont deux porcelets de moins d’un an, découpés franchement, surtout représentés par des membres (jambons et jarrets), majoritairement concentrés dans la partie nord-ouest, et accompa-gnés de restes épars de poulets, eux aussi découpés. Ces restes sont attribuables à des déchets d’assiettes. D’autre part, la fosse contenait dans la partie sud-est de nombreux éléments de squelettes de chèvres, pour certains encore en connexion anatomique : une colonne vertébrale et un train de côtes, visibles au premier plan (fig. 11), trois pieds, un membre anté-rieur gauche et un membre postérieur droit13. Ces ossements portaient occasionnellement des traces de prélèvement de la peau et des tendons sur les bas de pattes, de fréquentes traces de désarticulation, voire de mise en pièce, et quelques incisions, plus discrètes, laissées par la décarnisation. Un fragment de corne de chèvre a également été retrouvé scié dans les environs de la fosse. Ce deuxième type de vestige est plus difficile à interpréter. De prime abord, il s’agit d’une carcasse de chèvre, quasi complète mais démembrée par la main de l’homme (désarticula-tion), associée aux restes disloqués de trois autres individus, deux autres chèvres et un capriné indé-terminé. La consommation est probable mais pas certaine, surtout pour la chèvre presque complète. Ces animaux ont très probablement été dépecés et découpés in situ.La fosse contenait également trois restes de pois-sons indéterminés qui n’apparaissent pas dans le décompte (tableau 4), ils sont associables à la pre-mière catégorie de restes, celle des déchets d’as-siettes. Le fragment de côte de bœuf, très altéré, sans doute plus ancien, et le tarso-métatarse d’oie récoltés dans la fosse sont considérés par leur aspect, plus usé et altéré, comme erratiques (conservation

13 Il existait probablement d’autres ensembles mais l’arasement dans ce secteur, lié aux reconstructions successives et aux intempéries, a sans doute bouleversé des connexions anatomiques.

différentielle) mais pourraient tout aussi bien cor-respondre à d’autres rejets alimentaires.Au début de l’étude avait été formulée l’hypothèse d’un cadavre de chèvre, découpé non pas pour sa viande mais pour être démembré aux dimensions de la fosse, dépouillé de sa peau et de ses tendons, puis rejeté dans le creusement qui servait jusqu’alors de dépotoir domestique. Il aurait été scellé pour enterrer la carcasse (Mantel et al., 2013, annexe 3). L’absence de traces de carnivores et la bonne conservation des os semblent confirmer l’hypothèse d’un enfouis-sement rapide. Cependant, la suite de l’analyse a révélé de nouvelles traces de décarnisation, y compris sur les ensembles en connexion. De plus, les trois autres individus incomplets, bel et bien découpés, semblent avoir été déposés sur une période relati-vement courte, voire simultanément. L’idée d’une

Fig. 11. Fosse dépotoir en cours de fouille (cliché : É. Mantel).

ESPÈCES NR % NR PR (g) % PR NMI

Boeuf 1 0,2 7 0,1 1

Porc 126 20 1767,5 29,2 5

Caprinés 452 71,7 4175,5 69 4

Coq 50 7,9 97 1,6 5

Oie 1 0,2 3 < 0,1 1

Déterminés 630 83,2 6050 97,4 16

Indéterminés 127 16,8 159 2,6 -

TOTAL 757 100 6209 100 -

Tableau 4. Décompte détaillé des restes osseux de la fosse dépotoir du bâtiment 5 (espace 2).

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

4 2

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

mort due à la maladie ou à un accident est désormais à rejeter, d’autant plus que les quatre caprinés de la fosse sont de jeunes adultes, à peu près du même âge, entre 24 et 36 mois, sauf un immature de 12 à 18 mois14. Il se dessine progressivement un profil d’animaux destinés à la boucherie.Puisque le dépeçage et la découpe assez précise et délicate des caprinés semble avoir eu lieu in situ, il est légitime de s’interroger sur l’origine de ces ani-maux : ont-ils été élevés dans le quartier ou à proxi-mité ? Ou bien proviennent-ils de la campagne et sont-ils arrivés sur pied en ville puis ont été ache-tés au marché ?

Essai d’analyse et interprétationsLa domination du porc dans le spectre faunique est habituelle, et c’est une caractéristique majeure des dépotoirs domestiques urbains (Lepetz, 1996, p. 89 ; King, 1999, p. 178). De nombreuses domus de grandes ou moyennes agglomérations de Gaule romaine présentent des taux similaires en restes de cochons et de caprinés au cours du Haut-Empire : à Meaux (Seine-et-Marne), rue Alfred-Maury (Lepetz et Oueslati, 2003, p. 46), à Amiens (Somme), « Palais des sports » (Lepetz, 2010, p. 41315) ou bien encore à Bourges (Salin, 2010, p. 136-139), à Javols en Lozère (Ferdière et Trintignac, 2013, p. 58) et Grand dans les Vosges (Gazenbeek et al., 2013, p. 105) pour prendre des exemples plus lointains. On pourrait juste s’étonner de la relative-

14 Évaluations d’après l’usure dentaire.15 Pour Amiens : la maison 1 (couche 11 059), la maison 2

(couche 20 098) et la maison 4 (couche 63 049) du « Palais des sports » présentaient des taux de porcs et de caprinés quasi équivalents, relativement élevés (aux alentours de 35 %).

ment faible quantité de la volaille, habituellement très abondante dans les résidences urbaines, riches ou modestes16. Cependant, il est plus difficile de trouver des analogies pour les fortes quantités de caprinés observées dans certaines zones du quartier nord. La présence des moutons et des chèvres semble concentrée sur trois bâtiments particuliers (2, 5 et 9), et sur une partie du bâtiment 1-21 (espaces 3bis, 10bis, 15-16 et 17). L’absence de stratigraphie rend l’analyse délicate. De même, on ne peut en aucun cas être certain que la présence de ces ossements de caprinés dans les différents bâtiments cités précé-demment est directement liée à l’occupation de ces maisons, ce qui pose un problème pour une interpré-tation plus détaillée. Éventuellement, le pot à cuire de la fosse dépotoir, daté de la deuxième moitié du iie siècle, pourrait être un indicateur de la période à laquelle les caprinés ont commencé à prendre de l’importance dans le quartier. La chronologie et l’évolution de la faune seraient alors relativement cohérentes avec ce qui s’observe dans le reste de la ville, notamment au niveau du sanctuaire (Méniel, 2008) et dans les dépressions du sondage 9, au sud du quartier résidentiel, où les restes de moutons étaient particulièrement abondants, avec environ 64 % du spectre faunique (Mantel et al., 2012, p. 69 ; id., 2014, annexe 4). Enfin, il faut rappeler que la présence marquée des caprinés est l’une des caractéristiques mises en évidence dans certaines agglomérations secondaires gallo-romaines du Nord de la France comme Beaumont, Étaples, Vendeuil-Caply, etc. (Lepetz, 1996, p. 117-118).

Chèvres ou moutons ?La différenciation entre mouton (ovis aries) et chèvre (capra hircus) n’est pas aisée. Il existe néanmoins un certain nombre de critères micromorphologiques, visibles sur les os longs ou sur les dents (Zeder et Lapham, 2010 ; Zeder et Pilaar, 2010 ; Fernandez, 2001 ; Halstead et al., 2002 ; Boessneck, 1969). Ces critères ne sont pas tous aussi fiables les uns que les autres et ils dépendent également de l’œil de l’observateur. La méthode de détermination la plus facile est celle qui repose sur les crânes et les chevilles osseuses (cornes).Habituellement très discrète dans le Nord de la Gaule (6 % de la population des caprinés, contre 94 % pour le mouton ; Lepetz et Matterne, 2003, p. 31) et sur le reste du site de « Bois l’Abbé », la chèvre paraît bien attestée dans le quartier nord.

16 Rappelons toutefois l’acidité du sol dans cette zone et les conditions de conservation parfois mauvaises.

Fig. 12. Répartition des âges d’abattage des caprinés, basée

sur les épiphysations (en pourcentages).

n=158

0

5

10

15

20

25

30

35

40

0-10 m

ois

10-18

mois

18-30

mois

30-40

mois

40-60

mois

+ de

60 m

ois

%

A n t i q u i t é

4 3

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

Huit fragments de crânes ou chevilles osseuses de chèvres et boucs ont ainsi été repérés dans le maté-riel du quartier, contre une seule d’ovin17, en plus des quatre individus identifiés comme des chèvres dans la fosse dépotoir.Une corrélation d’indices permet de suggérer l’exis-tence d’un modeste élevage de chèvres (voire de moutons) sur le site. La présence d’au moins un indi-vidu sénile et d’au moins un nouveau-né, la grande variabilité des âges allant du juvénile à l’adulte âgé de plus de 60 mois (fig. 12), la présence de plusieurs individus complets, notamment dans le bâtiment 5, et la répartition anatomique équilibrée des restes de caprinés sur l’ensemble du sondage vont dans ce sens. Il existe également des indices mobiliers comme la découverte d’une faisselle à fromage en céramique et d’un abreuvoir18 attenant au bâtiment 26 (Mantel et al., 2014, p. 79, fig. 72). L’étalonnement des âges d’abattage, avec un pic d’abattage avant 10 mois, fait d’ailleurs penser à un élevage mixte, privilégiant la boucherie et plus secondairement le lait (fig. 12). Dans la littérature latine, les chèvres sont généra-lement associées aux productions laitières, surtout dans les zones défavorables aux brebis19, mais leur chair n’est pas très prisée et souvent dédaignée dans le monde romain20, sauf dans le cas des chevreaux, vendus au même prix que les agneaux dans l’édit du Maximum de Dioclétien en 301 (André, 2009, p. 139-140 et 150).Si un élevage in situ de caprinés, même de taille modeste, semble possible, pour les porcs les élé-ments ne vont pas dans ce sens.

Jambons de porcs : importés ? Frais, fumés ou salés ?À l’inverse des caprinés, dont toutes les parties ana-tomiques sont présentes, y compris les éléments du rachis et les pieds, les porcs de l’habitat sont essentiel-lement représentés par les os composant le membre postérieur (fémurs, tibias, une partie des tarses : calcanéum et talus) et dans une moindre mesure les humérus (fig. 13). Ces éléments traduisent une préférence pour les jambons et les jarrets. D’après l’étude des épiphysations21, 90 % des porcs semblent

17 Au niveau du squelette postcrânien, 49 restes ont été attribués, sans certitude absolue, à la chèvre, contre 21 au mouton, mais la détermination n’a pas été systématique.

18 Bien entendu, ces éléments ont pu être employés pour d’autres espèces (bœufs ou moutons par exemple).

19 Columelle, De re rustica, 7, 6, 4.20 Varron, De re rustica, 2, 3, 9-10.21 Chez les mammifères, les extrémités des os longs (épiphyses)

se soudent à la diaphyse au cours de la croissance. Les âges

Fig. 13. Répartition détaillée du poids des restes de porcs.

P = 12 172 g

0

500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Crâne

Vertèb

res

Scapu

laRad

ius

Métaca

rpe

Phalan

ges

Fémur

Fibula

Tarse

PR (g)

n=329

0

10

20

30

40

50

60

0-12 m

ois

12-30

mois

30-42

mois

42-48

mois

+ de 48

mois

%

avoir été abattus avant leurs deux ans et demi, tan-dis que deux animaux sur cinq l’ont été avant la fin de leur première année (fig. 14). Il n’y a donc presque aucun reproducteur dans cet ensemble, contrairement à ce qui s’observe pour les caprinés.Autre élément remarquable, le ratio mâles/femelles est anormalement disproportionné, à la fois par rap-port aux autres secteurs de Briga, mais également en comparaison avec ce que l’on trouve habituelle-ment dans les habitats ruraux et urbains. L’examen des canines adultes isolées récoltées dans le quar-tier nord donne un NMI de six mâles pour une femelle. Les mandibules montrent trois mâles mais aucune femelle. Certes, les conditions de récolte du mobilier influent généralement sur le ratio et il

d’épiphysation varient selon les membres et les espèces (Barone, 1986, p. 76).

Fig. 14. Répartition des âges d’abattage des porcs, basée sur l’épiphysation (en pourcentages).

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

4 4

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

est fréquent d’avoir plus de mâles que de femelles, mais l’écart est ici très important. Pour comparai-son, dans le premier état du sanctuaire de « Bois l’Abbé », entre les ier siècles avant et après J.-C., il y avait en moyenne une femelle pour trois mâles (Bourgois, 2010, p. 67).Nous sommes donc en présence d’une sélection exclusivement bouchère, de très bonne qualité. La consommation de jambons et les carences rela-tives des autres éléments (fig. 6) semblent indiquer que les quartiers de viande de porc arrivaient déjà préparés dans la zone résidentielle. Impossible en revanche de savoir si ces viandes étaient fraîches, de conserve (salée ou fumée) ou les deux. Seul un talus découvert dans le bâtiment 1 présentait une altération spécifique, en plus des traces de désarti-culation, ce qui signifie qu’au moins une partie de l’os était exposée, sans chair. Ce type de trace est parfois interprété comme le stigmate d’une tech-nique de conservation par fumaison ou salaison (Fercoq-du-Leslay et Lepetz, 2008, p. 20422) mais constitue un bien maigre indice dans le cas présent.

ConclusionCet échantillon osseux nous renseigne donc sur deux points principaux, l’alimentation carnée et l’éle-vage, donc par extension sur l’approvisionnement en viande dans ce quartier résidentiel. À ce titre, les quatre espèces domestiques principales semblent traitées différemment. Le bœuf, grand absent du spectre faunique, n’est attesté que par quelques restes de pieds. Cela ne signifie pas que la viande bovine n’était pas consommée dans les habitations de Briga mais plutôt qu’elle était probablement vendue désossée, comme c’est le cas dans la plu-part des agglomérations (Lepetz, 2007, p. 75-76). La hiérarchie des espèces consommées instaurée ici à partir des ossements est donc très probablement faussée. Les métapodes de bœufs pourraient relever d’une autre activité artisanale, comme l’extraction d’huile de pieds de bœufs, pratiquée sur place ou à proximité, dans un atelier spécial ou au sein des unités familiales, et plus secondairement un atelier ponctuel de tabletterie.Les porcs, qui dominent le faciès, sont surtout représentés par des restes de jambons et quelques jarrets. L’hypothèse principale concernant les sui-dés est donc celle d’un approvisionnement extérieur au quartier, probablement auprès d’un boucher ou d’un charcutier situé ailleurs en ville, voire en

22 Élément de surcroît remis en cause récemment par l’archéologie expérimentale.

périphérie. Bien qu’il soit actuellement impossible de déterminer si ces jambons étaient frais ou de conserve, le choix spécifique de ces pièces de viande et leur quantité importante soulèvent la question d’une réserve préparée pour l’hiver. L’absence très marquée des pieds et des vertèbres, ainsi que la sur-représentation des mâles dans cette zone, excluent pour l’instant l’hypothèse d’un élevage, sinon occa-sionnel, de cochons dans l’environnement du bâti.Pour les caprinés (moutons et chèvres), la gestion est complètement différente. La répartition anato-mique relativement équilibrée dans ce quartier et la découverte de plusieurs squelettes presque complets dans le bâtiment 5 signifient probablement que les animaux ont été amenés sur pied et abattus sur place ou à proximité. Bien qu’il s’agisse majoritairement d’animaux destinés à la boucherie, la présence d’in-dividus séniles, juvéniles et néonataux, et quelques indices archéologiques plus subjectifs, permettent d’aller plus loin dans l’interprétation et de suggé-rer l’existence d’un élevage de chèvres, sans doute modeste, pour le lait23 et la viande, dans les environs immédiats du quartier, peut-être dans la pente au nord, près du thalweg ou même directement dans les espaces de cour entre les maisons. Le choix de cette espèce, la chèvre (capra hircus), relativement rare en Gaule Belgique, dans ce quartier de Briga pourrait être lié à des contraintes topographiques et agronomiques24.La continuité des fouilles et des prospections pédestres à « Bois l’Abbé », ainsi que le relevé topo-graphique de la zone, devraient dans les années à venir nous apporter de nouvelles informations. Elles permettront de confirmer ou d’infirmer ces pre-mières hypothèses encore fragiles sur la gestion des animaux et la consommation des viandes à Briga. Mais au final, le faciès présenté par cet échantillon de faune demeure cohérent avec la nature du sec-teur : un quartier d’habitation urbain dynamique du Haut-Empire. g

23 Si des moutons accompagnent les chèvres, la laine fera également partie des productions.

24 Le plateau du « Bois l’Abbé » possède un sous-sol sablo-argileux, très caillouteux et un contexte humide, de type marécageux, qui contraste avec le sol dans le reste de la région. Ce sous-sol atypique se traduit en surface par la présence de genêts, prêles d’hiver, mûriers et ronces : si les chèvres peuvent brouter ce type de végétation, ce n’est pas le cas des moutons.

A n t i q u i t é

4 5

J o u r n é e s a r c h é o l o g i q u e s d e H a u t e - N o r m a n d i e – A l i z a y , 2 0 - 2 2 j u i n 2 0 1 4

BibliographieAndré J. (2009) – L’alimentation et la cuisine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 253 p.Barone R. (1986) – Anatomie comparée des mammifères domestiques, I, Ostéologie, Paris, Vigot frères, 761 p.Boessneck J. (1969) – Osteological differences between sheep (ovis aries-Linné) and goat (capra hircus-Linné). Brothwell D. et

Higgs E. (dir.), Science in archaeology, a survey of progress and research, Londres, Thames and Hudson, p. 331-358.Bourgois A. (2010) – Étude de la faune de l’espace II, du site archéologique du « Bois l’Abbé » (Eu, 76). Mémoire de master 1 d’histoire

et archéologie des mondes anciens et médiévaux sous la direction de S. Bourdin, université de Picardie Jules-Verne, Amiens.Chaix L. et Meniel P. (2001) – Archéozoologie, Paris, Errance, 240 p.Fercoq du Leslay G. et Lepetz S. (2008) – Salaisons et viande fraîche à Ribemont-sur-Ancre. Lepetz S. et Van Andringa W.

(dir.), Archéologie du sacrifice animal en Gaule romaine : rituels et pratiques alimentaires, Montagnac, M. Mergoil, p. 201-206.Ferdière A. et Trintignac A. (2013) – La cuisine d’une domus de Javols/Anderitum (Lozère), chef-lieu de cité des Gabales : l’ali-

mentation d’une demeure aisée dans la seconde moitié du iie s. après J.-C. Gallia, 70, 1, p. 39-70.Fernandez H. (2001) – Ostéologie comparée des petits ruminants eurasiatiques sauvages et domestiques (genres rupicapra, ovis, capra

et capreolus) : diagnose différentielle du squelette appendiculaire. Thèse de doctorat de biologie sous la direction de L. Chaix et V. Mahnert, université de Genève, Museum d’histoire naturelle de Genève.

Gazenbeek M., Bellavia V., Braguier S., Pillard-Jude C. et Wiethold J. (2013) – La cuisine d’une maison de maître au Haut-Empire à Grand (Vosges). Gallia, 70, 1, p. 97-112.

Halstead P., Collins P. et Isaakidou V. (2002) – Sorting the Sheep from the Goats: Morphological Distinctions between the Mandibles and Mandibular Teeth of Adult Ovis and Capra. Journal of Archaeological Science, 29, p. 545-553.

Helmer D. (2000) – Discrimination des genres ovis et capra à l’aide des prémolaires inférieures 3 et 4 et interprétation des âges d’abattage : l’exemple de Dikili Tash (Grèce). Anthropozoologica, 31, p. 29-38.

King A. (1999) – Diet in the roman world: a regional inter-site comparison of the mammal bones. Journal of Roman Archaeology, 12, p. 168-202.

Leguilloux M. (1997) – À propos de la charcuterie en Gaule romaine, un exemple à Aix-en-Provence (ZAC Sextius-Mirabeau). Gallia, 54, p. 239-259.

— (2003) – Les bergeries de la Crau : production et commerce de la laine. Revue archéologique de Picardie, 1-2, p. 339-346.Lepetz S. (1996) – L’animal dans la société gallo-romaine de la France du nord. Revue archéologique de Picardie, no spécial 12, 172 p.— (2007) – Boucherie, sacrifice et marché à la viande en Gaule romaine septentrionale : l’apport de l’archéozoologie. Food and

History, 5, 1, p. 73-106.— (2010) – Pratiques alimentaires dans un quartier d’Amiens. Revue archéologique de Picardie, no spécial 27, p. 406-422.Lepetz S. et Frere S. (2002) – Les restes animaux du site d’habitat d’Estrées-Saint-Denis (Oise). Revue archéologique de Picardie,

3-4, p. 355-366.Lepetz S. et Matterne V. (2003) – Élevage et agriculture dans le nord de la Gaule durant l’époque gallo-romaine : une confron-

tation des données archéozoologiques et carpologiques. Revue archéologique de Picardie, 1-2, p. 23-35.Lepetz S. et Oueslati T. (2003) – La consommation de viande dans les villes romaines d’Île-de-France au ier siècle : les cas de

Meaux et de Paris (Seine-et-Marne et Seine). Revue archéologique du Centre de la France, 42, p. 41-59.Lignereux Y. et Peters J. (1996) – Techniques de boucherie et rejets osseux en Gaule romaine. Anthropozoologica, 24, p. 45-98.Mantel É., Devillers S. et Dubois S. (2007) – Une agglomération antique sort de l’anonymat (Eu, « Bois l’Abbé », Seine-

Maritime) : BRIGA ressuscitée. Revue archéologique de Picardie, 3-4, p. 31-50.Mantel É. et Dubois S. (2012) – Premier éclairage sur l’agglomération antique de Briga (Eu, « Bois l’Abbé », Seine-Maritime).

Fenêtres ouvertes sur un quartier d’habitation au nord-est du centre monumental. Journées archéologiques de Haute Normandie, Évreux, 6-8 mai 2011, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, p. 151-160.

— (2014) – L’agglomération gallo-romaine de Briga (Eu, « Bois l’Abbé », Seine-Maritime) au Haut-Empire : mise au jour des premiers îlots d’habitation. Journées archéologiques de Haute-Normandie, Rouen, 24-26 mai 2013, Rouen, Presses universi-taires de Rouen et du Havre, p. 109-126.

— (à paraître) – Briga (« Bois l’Abbé », commune d’Eu, Seine-Maritime). Une agglomération secondaire antique du Sud-Ouest de la Gaule Belgique. Des sources protohistoriques au démantèlement au haut Moyen Âge, vol. 1.

Mantel É., Dubois S. et Bourgois A. (2012) – Agglomération antique d’Eu, Briga, « Bois l’Abbé » (Seine-Maritime, 76 255 011 AH). Fouille programmée pluriannuelle 2010-2012, campagne de fouilles 2011. Rapport intermédiaire, Rouen, Service régional d’ar-chéologie, 106 p.

— (2013) – Agglomération antique d’Eu, Briga, « Bois l’Abbé » (Seine-Maritime, 76 255 011 AH). Fouille programmée pluriannuelle 2010-2012, campagne de fouilles 2012. Rapport intermédiaire, Rouen, Service régional de l’archéologie, 123 p.

Mantel É., Dubois S. et Jonvel R. (2014) – Agglomération antique d’Eu, Briga, « Bois l’Abbé » (Seine-Maritime, 76 255 011 AH). Fouille programmée pluriannuelle, campagne de fouilles 2013. Rapport intermédiaire, Rouen, Service régional de l’archéologie, 194 p.

C o n s o m m a t i o n c a r n é e e t é l e v a g e , « B o i s l ’ A b b é » A n t i q u i t é

4 6

< T I T R E d ' O U V R A G E >

Maune S., Monteix N. et Poux M. (2013) – Cuisines et boulangeries en Gaule romaine. Gallia, 70, 1, 274 p.Meniel P. (2005) – Porc et sanglier en Gaule septentrionale, entre archéozoologie et imaginaire collectif. MUNIBE (Antropologia-

Arkeologia), 57, p. 5-10.— (2008) – Les restes animaux du sanctuaire du Bois l’Abbé. Mangard M., Le sanctuaire gallo-romain du Bois l’Abbé à Eu (Seine

Maritime), Lille, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, p. 291-294.Salin M. (2010) – Animaux et territoire. L’apport des données archéozoologiques à l’étude de la cité des Bituriges Cubi (ier s. av.

J.-C.-ve s. après J.-C.). Revue archéologique du Centre de la France, 36e supplément, 313 p.Zeder M. et Lapham H. (2010) – Assessing the reliability of criteria used to identify postcranial bones in sheep, ovis, and goats,

capra. Journal of Archaeological Science, 37, p. 2887-2905.Zeder M. et Pilaar S. (2010) – Assessing the reliability of criteria used to identify mandibles and mandibular teeth in sheep, ovis,

and goats, capra. Journal of Archaeological Science, 37, p. 225-242.