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Directeur de mémoire: Prof. Dr E. Tollens Dr P. Jouve Maître de stage : Ir. J. Stessens Jury : E. Tollens P. Jouve M. Tallec M. Brochet
Mémoire réalisé dans le cadre du cycle ESAT du CNEARC
(échange ERASMUS) présenté par
Matty DEMONT
en vue de l’obtention du diplôme de
Formation Supplémentaire en Développement Agricole
Universiteit Gent
Trajectoire d’évolution des systèmes de production sénoufo
Le cas de Dikodougou, Nord Côte d’Ivoire
En décembre 1998, ce mémoire a reçu summa cum laude (18/20) du Jury du CNEARC et en octobre 1999, il a été attribué le Prix de la
Fondation Xavier-Bernard par l’Académie d’Agriculture de France.
Décembre 1998
KATHOLIEKE
UNIVERSITEIT
LEUVEN
Centre National d’Etudes Agronomiques des Régions Chaudes, MONTPELLIER U N I V E R S I T E I T
G E N T
Institut Des Savanes Bouaké, Côte d’Ivoire
i
Préface
« Trajectoire d’évolution des systèmes de production Sénoufo : le cas pour Dikodougou, Nord Côte d’Ivoire ». Sans aucun doute, le lecteur sera d’accord avec
moi : la recherche d’un titre reste une tache difficile. Il ne peut pas être long, mais en même temps, il doit refléter le contenu de l’essai. Voilà pourquoi je vous montre les
titres alternatifs qui ont été l’objet de mes considérations, sans toutefois avoir franchi la ligne d’arrivée : « Les systèmes de production au Nord de la Côte
d’Ivoire : dynamique ou paralysie? »; « Le moteur de l’évolution des systèmes
de production au Nord de la Côte d’Ivoire ». Néanmoins, tous ces titres,
ces mots restent vains à côté de cette image, prise le 27 juin 1998 pendant des funérailles à Tiégana. Elle
représente un jeune « poro » jouant du balafon pendant la cérémonie. Deux
pôles sont représentés main dans la main : d’une part le poro, symbole de la tradition Sénoufo et d’autre part la
CIDT (Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles), symbole
de la modernisation. Peut-être le jeune homme ne s’est-il pas rendu compte de cette symbolique en bricolant son chapeau. Pour moi par contre, cette photo réunit une
vérité, une histoire et en même temps toute la philosophie de cet essai : la tradition, face à un moteur de développement et de modernisation : chat et chien ou Romeo et Juliette?
Cette étude s’est effectuée lors d’un stage de quatre mois, notamment du 28 avril
jusqu’au 7 septembre 1998, en Côte d’Ivoire. Ce stage s’intègre au programme ESAT (Etudes Supérieures en Agronomie Tropicale) enseigné au CNEARC (Centre National
d’Etudes Agronomiques en Régions Chaudes) à Montpellier (France). L’objectif
principal du CNEARC consiste en la formation d’ingénieurs agronomes capables d’étudier et analyser des régions tropicales en vue de l’accompagnement des
dynamiques agraires contemporaines. La formation s’appuie sur l’approche systémique, une approche tout à fait récente (Roca, 1987).
ii
La formation au CNEARC a été suivie dans le cadre d’un programme Erasmus, organisé par le Prof. Dr R. Verhé de l’Université de Gand (Universiteit Gent),
encadrant le programme « Formation Supplémentaire en Développement Agricole ».
Puisqu’en juillet 1997, l’auteur a obtenu son diplôme d’Ingénieur Agronome (Master in Agricultural Engineering), spécialisation agro-économie – agronomie tropicale, à
l’Université Catholique de Leuven (Katholieke Universiteit Leuven), les contacts avec cette Université ont été entretenus durant la recherche du sujet de stage.
C’est là où commencent mes remerciements, dont une bonne partie est destinée au Prof. Dr E. Tollens, directeur de mémoire, pour cette deuxième occasion de découvrir
la problématique des pays en voie de développement à travers le cas de la Côte d’Ivoire. Evidemment, en se plongeant dans cette problématique, il me semble impossible de faire abstraction de l’apport à la fois théorique et méthodologique de
« l’école Tollens », qui oriente pour une grande partie mon approche.
Particulièrement je veux exprimer ma gratitude à l’Ingénieur Johan Stessens, son épouse Veerle et son fils Tomas pour l’accueil et l’accompagnement professionnel.
Qu’il retrouve dans ce document une partie de la réponse sur la « Grande Question ». J’adresse ensuite mes remerciements aux chercheurs de l’IDESSA, notamment
Doumbia Sékou et Ildefonse Ndabalishye. Les études seraient impossibles sans l’aide de l’interlocuteur Fabrice à qui je dois beaucoup de gratitude. Je remercie monsieur
Eugène Koffi pour l’accueil à Bouaké et mes ami(e)s Norbert, Laurent, Marie-Ange, Dimitri et Noël pour l’amitié et l’ambiance.
Au niveau des institutions, je veux remercier d’abord le VLIR (Vlaamse Interuniversitaire Raad) et le KUL (Katholieke Universiteit Leuven) pour le
financement du séjour. Ce document doit aussi refléter une bonne partie de mes
remerciements envers « l’école CNEARC », qui a réussi à compléter ma vision et ma
méthodologie sur le terrain. J’espère que cette école se retrouve dans cette interface entre l’approche anglophone et francophone, les deux écoles qui teintent ce rapport.
Evidemment, je dois beaucoup à mes parents sans lesquels je ne serais pas qui je suis
aujourd’hui. Merci beaucoup pour la confiance et l’aide morale pendant mes
premières vingt-cinq années de ma vie.
Matty Demont
iii
Table des matières
Préface ....................................................................................................................... i Table des matières .................................................................................................... iii
Résumé .................................................................................................................... vi Abstract.................................................................................................................... vi
Samenvatting........................................................................................................... vii Resumen ................................................................................................................. vii Liste des figures ..................................................................................................... viii
Liste des tableaux..................................................................................................... xi Sigles, abréviations et symboles ............................................................................. xiii
Lexique sénoufo .......................................................................................................xv
Chapitre 1 : Introduction...............................................................................................1
1.1 Problématique ....................................................................................................1
1.2 Délimitation de l’objet d’étude ..........................................................................5
1.2.1 Délimitation géographique (délimitation spatiale ou horizontale) ............5
1.2.2 Délimitation de l’échelle d’étude (délimitation verticale) .......................14
1.3 Objectifs ...........................................................................................................17
1.4 Méthodologie ...................................................................................................18
1.5 Présentation de l’étude......................................................................................19
Chapitre 2 : Le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois sénoufo ........20
2.1 Introduction......................................................................................................20
2.2 Méthodologie ...................................................................................................20
2.2.1 Choix des villages, des exploitations et élaboration des enquêtes...........20
2.2.2 Fondement de l’analyse ...........................................................................22
2.3 Les facteurs indépendants ................................................................................24
2.3.1 Introduction..............................................................................................24
2.3.2 La densité démographique .......................................................................24
2.3.3 La variabilité des prix agricoles ...............................................................31
2.3.4 L’accès au marché....................................................................................42
iv
2.4 La transformation du milieu biophysique et ses conséquences culturales.......49
2.4.1 Introduction..............................................................................................49
2.4.2 Impact de l’intensité des cultures sur l’enherbement et la fertilité ..........49
2.4.3 Une transformation du milieu biophysique..............................................52
2.4.4 Le choix de la charrue : le résultat d’une synergie de facteurs...............54
2.4.5 D’autres facteurs qui entrent en jeu .........................................................55
2.5 L’adaptation du milieu technique ....................................................................57
2.5.1 La surface agricole utilisée (SAC) et utilisable (SAU) par actif agricole .57
2.5.2 L’intensité des systèmes de culture..........................................................59
2.5.3 Les cultures ..............................................................................................60
2.5.4 Les systèmes de culture ...........................................................................67
2.5.5 La relation entre les SC et les zones morpho-pédologiques ....................70
2.5.6 Le développement du coton : la controverse entre 2 thèses opposées ....79
2.5.7 La dimension économique des exploitations agricoles............................81
2.5.8 L’adaptation de l’outillage .......................................................................83
2.5.9 L’utilisation des intrants ..........................................................................85
2.5.10 Le système d’élevage ...............................................................................86
2.6 La mutation du milieu humain.........................................................................90
2.6.1 Introduction..............................................................................................90
2.6.2 Les unités économiques de base ..............................................................90
2.6.3 L’évolution des systèmes matrimoniaux .................................................91
2.6.4 L’organisation économique, la gérontocratie et le contrôle social ..........97
2.6.5 L’évolution des rapports sociaux et la féminisation de l’agriculture.....101
2.6.6 La monétisation des facteurs de production...........................................105
2.6.7 L’accès aux facteurs de production et l’inégalité sociale ......................108
2.6.8 La redistribution sociale.........................................................................120
2.6.9 La symbiose et le conflit inter-ethnique.................................................121
v
Chapitre 3 : Trajectoire d’évolution des systèmes de production sénoufo ...............125
3.1 Introduction....................................................................................................125
3.2 Méthodologie .................................................................................................125
3.2.1 L’approche inductive de l’analyse économique.....................................125
3.2.2 La dimension économique de l’exploitation (actif agricole) .................126
3.2.3 Le produit brut (PB) ...............................................................................127
3.2.4 Les consommations intermédiaires et la valeur ajoutée brute ...............128
3.2.5 Les amortissements (Am) et la valeur ajoutée nette (VAN)..................131
3.2.6 Les affectations (Aff) et le revenu agricole (REV)................................131
3.2.7 L’analyse économique ...........................................................................132
3.3 L’approche inductive et la controverse Malthus-Boserup ...............................134
3.3.1 Les conditions de renouvellement économique des exploitations ........134
3.3.2 La dynamique des exploitations agricoles .............................................137
3.3.3 Une typologie pour les exploitations de la région de Dikodougou........140
3.3.4 La comparaison des systèmes de production : une méthode inductive 142
3.3.5 La trajectoire d’évolution des SP : la controverse Malthus-Boserup ...149
3.3.6 La trajectoire d’évolution des systèmes de production à Tiégana .........159
Chapitre 4 : Conclusions et perspectives ..................................................................163
4.1 Conclusions ....................................................................................................163
4.2 Perspectives....................................................................................................169
Bibliographie..............................................................................................................175
Logiciels utilisés ........................................................................................................183
Annexe 1 : Tableaux complémentaires ......................................................................... a
Annexe 2 : Zoom sur le nord de la Côte d’Ivoire ......................................................... c
Annexe 3 : Liste des thèmes d’entretien ....................................................................... e
Notes ............................................................................................................................... i
vi
Résumé Un échantillon de quatre villages de la région de Dikodougou (Nord de la Côte
d’Ivoire) illustre remarquablement une évolution du type boserupienne. La densité démographique, la genèse historique et l’accès au marché (variables indépendantes)
diffèrent fortement d’un village à l’autre. En comparant (I) leurs milieux biophysiques, (II) techniques et (III) humains (variables dépendantes), une hypothèse
sur les mécanismes d’évolution des systèmes agraires a été élaborée. La pression démographique et l’accès au marché auraient déclenché une occupation du sol plus intense, une baisse de la fertilité et un développement croissant d’adventices. Ces
changements ont un impact important sur les exploitations agricoles ; la baisse des rendements et l’augmentation du temps de travail entraînant un abandon du système
traditionnel de production manuelle pour passer à la traction animale. De plus, ce passage a des répercussions importantes sur le milieu humain : il accentue les
inégalités sociales et entrave le statut de la femme.
Mots clé : Côte d’Ivoire, pression démographique, accès au marché, systèmes de
production, agroécosystèmes villageois.
Abstract A sample of four villages in the Dikodougou region (North of Ivory Coast) illustrates
in a remarkable way an evolution of the Boserupian type. Demographic density, historical genesis and market access (independent variables) differ considerably from one village to another. By comparing their (I) biophysical, (II) technical and (III)
social environments (dependant variables), one could construct a hypothesis relating to the mechanics of the evolution of the agrarian systems. Demographic pressure and
market access would have introduced a more intensive soil occupation, a reduction in soil fertility and a proliferation of weeds. These changes have an important impact on
the farming systems. Traditional manual farming has gradually been replaced by ox-drawn farming as yields decrease and labour bottlenecks appear. Moreover, this transition has important repercussions in the social environment: social differences are
accentuated and women’s status is threatened.
Key words: Ivory Coast, demographic pressure, market access, production systems, village farming systems.
vii
Samenvatting Een steekproef van vier dorpen in de regio Dikodougou (Noord-Ivoorkust) illustreert
duidelijk een evolutie van het Boserupiaanse type. De bevolkingsdichtheid, ontstaansgeschiedenis en markttoegang (onafhankelijke variabelen) verschillen sterk
van dorp tot dorp. Door hen onderling te vergelijken op basis van (I) hun biofysische omgeving, (II) de gebruikte landbouwtechnieken en (III) hun sociale omgeving
(afhankelijke variabelen), kon een hypothese worden opgesteld voor de evolutiemechanismen van de landbouwsystemen. Bevolkingsdruk en markttoegang zouden een intensiever grondgebruik, een daling van de bodemvruchtbaarheid en een
toenemend onkruidprobleem met zich meebrengen. Deze veranderingen hebben een belangrijke impact op de landbouwexploitaties die, tengevolge van de ermee gepaard
gaande rendementsverlagingen en het verscherpen van de arbeidspieken, zich genoodzaakt voelen het traditionele manuele productiesysteem te verlaten om over te
schakelen op ossentractie. Deze omschakeling heeft bovendien belangrijke repercussies op de sociale omgeving: zij accentueert de sociale ongelijkheden en ondermijnt het statuut van de vrouw.
Sleutelwoorden: Ivoorkust, bevolkingsdruk, markttoegang, productiesystemen, landbouwsystemen.
Resumen Una muestra de cuatro poblaciones en la región de Dikodougou (Norte de Costa de Marfil) illustra una evolución llamativa del tipo Boserup. La densidad demográfica, la génesis histórica y el acceso al mercado (variables independientes) difieren
considerablemente de una población a otra. Comparando (I) los medios biofísicos, (II) técnicos y (III) humanos (variables dependientes), se elabora una hipótesis sobre los
mecanismos de evolución de los sistemas agrarios. La presión demográfica y el acceso al mercado reflejarían una ocupación más intensa del suelo, una bajada de la
fertilidad y una proliferación de las malezas. Estos cambios tienen un impacto importante en las explotaciones agrícolas; la bajada de los rendimientos y el aumento del tiempo de trabajo llevan a la transición del sistema tradicional de producción
manual al sistema basado en la tracción animal. Esta transformación tiene además repercusiones importantes en el medio humano: acentúa las diferencias sociales y
mina el estatus de la mujer. Palabres clave: Costa de Marfil, presión demográfica, acceso al mercado, sistemas de produción, agroecosistemas de influencia aldeana.
viii
Liste des figures
Chapitre 1 : Introduction Figure 1.1 : Afrique de l’Ouest
Figure 1.2 : Les trois principales zones agro-écologiques de la Côte d’Ivoire Figure 1.3 : Les neuf principales régions agro-climatiques homogènes de la Côte
d’Ivoire Figure 1.4 : Répartition géographique des principaux groupes ethniques en Côte
d’Ivoire
Figure 1.5 : Stratification de la région de Korhogo Figure 1.6 : Zonage de la région de Korhogo
Figure 1.7 : Semis fondamental du peuplement dans la région de Korhogo Figure 1.8 : Répartition géographique des sous-groupes sénoufo dans la région de
Korhogo Figure 1.9 : Modèle de fonctionnement d’un système de production Figure 1.10 : Modèle simplifié du fonctionnement d’un système agraire
Chapitre 2 : Le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois sénoufo Figure 2.1 : Evolution des systèmes agraires et pression démographique Figure 2.2 : Evolution de la population dans quelques villages au sud de la sous-
préfecture de Dikodougou
Figure 2.3 : Prix réels (en FCFA/kg) des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo
Figure 2.4 : Prix réels (en FCFA/kg) du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo
Figure 2.5 : Moyenne mobile centrée et tendance des prix réels (en FCFA/kg) des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo
Figure 2.6 : Moyenne mobile centrée et tendance des prix réels (en FCFA/kg) du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le
marché de gros de Korhogo Figure 2.7 : Indice saisonnier moyen (en %) des prix des principales variétés
d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de
Korhogo Figure 2.8 : Indice saisonnier moyen (en %) des prix du maïs, du riz et de
l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo
ix
Figure 2.9 : Composante irrégulière des prix des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo
Figure 2.10 : Composante irrégulière des prix du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo
Figure 2.11 : Prix nominaux (en FCFA/kg) du coton payés par la CIDT (Compagnie ivoirienne pour le développement des textiles) aux agriculteurs
Figure 2.12 : Répartition géographique des principaux marchés du réseau de commercialisation en interaction dans la région de Dikodougou
Figure 2.13 : Représentation graphique de l’intégration du réseau de
commercialisation Dikodougou – Korhogo pour six produits Figure 2.14 : Evolution d’une parcelle mise en jachère
Figure 2.15 : Evolution de la fertilité globale à long terme lors d’un changement de l’intensité des systèmes de culture
Figure 2.16 : Comparaison des coûts de travail entre la culture manuelle et la culture
attelée Figure 2.17 : La superficie agricole cultivée (SAC) et utilisable (SAU) moyenne par
actif agricole familiale (AAf) d’un échantillon d’exploitations pour quatre villages dans la région de Dikodougou
Figure 2.18 : Fréquence (en % du nombre total des parcelles) et proportion (en % de la superficie totale des parcelles) des cultures pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou (assolement
villageois moyen) Figure 2.19 : Fréquence (en % du nombre total des parcelles) et proportion (en % de
la superficie totale des parcelles) des cultures pour les quatre villages Figure 2.20 : Proportion de la superficie d’igname destinée aux différentes variétés
d’igname pour quatre villages dans la région de Dikodougou en 1997 Figure 2.21 : Consommation moyenne du maïs par personne et par an pour les
différents groupes ethniques résident en Côte d’Ivoire
Figure 2.22 : Schéma simplifié du fonctionnement du système de culture IRA
retrouvé au village de Tapéré dans la région de Dikodougou
Figure 2.23 : Relation entre la présence des cultures et la topographie pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou
Figure 2.24 : Relation entre la présence des cultures et les sols
Figure 2.25 : Relation entre la présence des cultures, la topographie et les sols
Figure 2.26 : Transect type et spatialisation des systèmes de culture à Dikodougou
Figure 2.27 : Relation entre les précipitations (histogramme), la température (ligne), la composante temporelle des systèmes de culture et la composante
spatiale (terroirs) à Dikodougou
x
Figure 2.28 : Dimension économique moyenne des exploitations pour quatre villages dans la région de Dikodougou
Figure 2.29 : Comparaison de la structure moyenne des amortissements pour un échantillon d’exploitations dans quatre villages de la région de
Dikodougou Figure 2.30 : Comparaison de la structure moyenne des coûts d’intrants par unité de
surface pour un échantillon d’exploitations dans quatre villages de la région de Dikodougou
Figure 2.31 : Importance (%) des résidents familiaux sur l’exploitation agricole
selon le lien de parenté Figure 2.32 : Carte du terroir de Tiégana de 1998 (échelle : 1/10.000) (numérisée à
partir d’un plan obtenu auprès du chef du village de Tiégana) Figure 2.33 : Courbe Lorentz pour la répartition du capital animal entre les
exploitations de l’échantillons à Tiégana
Figure 2.34 : Courbes Lorentz et coefficients GINI pour les facteurs de production Figure 2.35 : Coefficients GINI des facteurs de production pour les échantillons
d’exploitations des quatre villages dans la région de Dikodougou
Chapitre 3 : La trajectoire d’évolution des systèmes de production sénoufo Figure 3.1 : Représentation schématique du calcul économique Figure 3.2 : Revenu agricole végétal de 30 exploitations pendant la campagne 1995
– 1996 dans la région de Dikodougou Figure 3.3 : Revenu agricole total de 47 exploitations pendant les campagne 1995 –
1996 et 1996 – 1997 dans la région de Dikodougou Figure 3.4 : Evolution des revenus végétaux par actif familiale et de la surface
agricole cultivée par actif agricole familial au cours des campagnes 1995 – 1996 – 1997 pour quatre villages dans la région de Dikodougou
Figure 3.5 : Espace d’existence des différents systèmes de production observés
dans la région de Dikodougou
Figure 3.6 : Les trois phases de l’évolution des systèmes de production dans la
région de Dikodougou présentées selon le point de vue de Malthus Figure 3.7 : Les trois phases de l’évolution des systèmes de production dans la
région de Dikodougou présentées selon le point de vue de Boserup
Figure 3.8 : Reconstruction de la trajectoire d’évolution des systèmes de production
à Tiégana
xi
Chapitre 4 : Conclusions et perspectives Figure 4.1 : Processus d’évolution des agroécosystèmes villageois dans la région de
Dikodougou Figure 4.2 : Mouvement du front pionnier de défrichement par les Sénoufo
Annexe 2 : Zoom sur la région Nord de la Côte d’Ivoire Figure 1 : Zoom sur la région nord de la Côte d’Ivoire
Liste des tableaux
Chapitre 2 : Le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois sénoufo Tableau 2.1 : Taux d’accroissement de la population c et relation entre la densité
démographique d et le facteur R pour quatre villages dans la région de
Dikodougou Tableau 2.2 : Principales caractéristiques des quatre agroécosystèmes villageois
Tableau 2.3 : Caractéristiques des prix réels des principaux produits agricoles Tableau 2.4 : Intégration interne entre trois marchés dans la région de Dikodougou
Tableau 2.5 : Intégration externe entre les trois marchés dans la région de
Dikodougou et le marché central de Korhogo Tableau 2.6 : L’accès au marché de quatre villages dans la région de Dikodougou
Tableau 2.7 : Comparaison entre les indicateurs R et J/C pour quatre villages dans la région de Dikodougou
Tableau 2.8 : Fréquence (en % du nombre total des parcelles) des principaux
systèmes de culture pour quatre villages dans la région de Dikodougou Tableau 2.9 : Caractéristiques des différents types de sols
Tableau 2.10 : Utilisation de la production animale pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou
Tableau 2.11 : Proportion de la superficie totale dirigée par les membres du groupe familial pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou
Tableau 2.12 : Proportion de la superficie totale des parcelles selon le mode de transmission pour les quatre villages étudiés dans la région de
Dikodougou
Chapitre 3 : La trajectoire d’évolution des systèmes de production sénoufo Tableau 3.1 : Facteurs mensuels (%) pour le calcul du prix de référence du produit
brut (PB) des différentes cultures
xii
Tableau 3.2 : Caractéristiques statistiques des quantités de semences appliquées Tableau 3.3 : Facteurs mensuels (%) pour le calcul du prix de référence des
consommations intermédiaires (CI) des différentes cultures Tableau 3.4 : Comparaison des limites techniques entre les exploitations à culture
manuelle et les exploitations à culture attelée Tableau 3.5 : Typologie des systèmes de production de la région de Dikodougou
Tableau 3.6 : Résultat du test de Tukey pour les coefficients techniques α et β
Chapitre 4 : Conclusions et perspectives Tableau 4.1 : Comparaison entre les quatre villages étudiés
Annexe 1 : Tableaux complémentaires Tableau 1 : Indices à la consommation (en %) de la Côte d’Ivoire (base 100 =
novembre 1992 – octobre 1993)
Tableau 2 : Coût moyen de la main-d’œuvre dans la région de Dikodougou Tableau 3 : Calcul des amortissements de l’équipement et des bâtiments utilisés
par les agriculteurs dans la région de Dikodougou
xiii
Sigles, abréviations et symboles
A : arachide a : anacarde α : degré de signification du test statistique degré d’investissement du système de production AAf : nombre d’actifs agricoles familiaux AAns : nombre d’actifs agricoles non salariés AAs : nombre d’actifs agricoles salariés AAt : nombre d’actifs agricoles total Aff : affectations Am : amortissements du capital AmCnp : amortissements du capital non proportionnel à la surface AmCp : amortissements du capital proportionnel à la surface AESV : agroécosystème villageois AVB : Autorité pour l’aménagement de la vallée du Bandama (Côte d’Ivoire) β : coefficient de la tendance du prix degré de rentabilité du système de production C : durée de la période de culture surface en culture
composante cyclique coton capital
CA : culture attelée communauté d’accumulation CAITACI : Compagnie Agricole et Industrielle des Tabacs de Côte d’Ivoire CC : communauté de consommation CFDT : Compagnie Française pour le Développement des Textiles CI : consommations intermédiaires CIDT : Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles CM : culture manuelle chef de ménage CNEARC : Centre National d’Etudes Agronomiques des Régions Chaudes
(Montpellier) Cnp : capital non proportionnel à la surface corr. coefficient de corrélation Cp : capital proportionnel à la surface CP : communauté de production CR : coton – riz pluvial CR+(CA) : coton – riz pluvial enrichi, culture attelée CR+(CM) : coton – riz pluvial enrichi, culture manuelle CRM : coton – riz pluvial - maïs CV : coefficient de variation d : densité démographique ESAT : Etudes Supérieures en Agronomie Tropicale (enseigné au CNEARC) f : fonction FCFA : unité monétaire de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest FSR : Farming systems research
xiv
g : gombo GVC : Groupement à Vocation Coopérative hiérarch. hiérarchie HSD : honest significant difference I : igname IAM : Institut Agronomique Méditerranéenne (Montpellier) IC : indice cyclique intervalle de confiance IDESSA : Institut Des Savanes (Bouaké, Côte d’Ivoire) IR : igname – riz pluvial IRA : igname – riz pluvial – arachide IRAC : igname – riz pluvial – arachide – coton IRC : igname – riz pluvial - coton IRmA : igname – riz pluvial, maïs - arachide IS : indice saisonnier ISM : indice saisonnier moyen J : durée de la jachère surface en jachère KUL : Katholieke Universiteit Leuven (Université Catholique de Leuven) M : maïs MMC : moyenne mobile centrée MMCP : moyenne mobile centrée pondérée MO : main-d’œuvre MR : maïs – riz pluvial n : nombre NPK : engrais basé sur azote (N), phosphore (P) et potassium (K) obs. observation OCPV : Office d’Aide à la commercialisation des Produits Vivriers (Côte
d’Ivoire) P : prix
P-value (degré de signification d’un test statistique) proportion (%) PA : prix ajusté PB : produit brut PBan : produit brut animal PBvég : produit brut végétal PED : pays en développement Q : proportion (%) R : R-factor (degree of residence) composante irrégulière riz pluvial r : riz inondé de bas-fond r(CA) : riz inondé de bas-fond, culture attelée r(CM) : riz inondé de bas-fond, culture manuelle REV : revenu agricole Rm : riz pluvial - maïs S : composant saisonnière
superficie SA : système agraire SAC : surface agricole cultivée
xv
SAU : surface agricole utile SC : système de culture SG : système de gestion SP : système de production SPA : système de production animale SPV : système de production végétale SEDES : Société d’Etudes pour le Développement Economique et Social (Paris) SODEPRA : Société pour le Développement des Productions Animales SODERIZ : Société de Développement de la Riziculture T : tendance VAB : valeur ajoutée brute VAN : valeur ajoutée nette VLIR : Vlaamse Interuniversitaire Raad
Lexique sénoufo Bètè-Bètè : variété d’igname tardive daba : outil traditionnel pour travailler la terre déowa : sorcier Dioula : commerçant Faha : sol hydromorphe de bas-fond Florido : variété d’igname tardive Gnaligué : variété d’igname précoce Gnan : variété d’igname précoce golon : « travail à crédit », groupe d’entraide réciproque jardima : jour de repos pour tout le village kagon : champ individuel katiolo : quartier katiolofolo : chef de quartier kékourougo : « petit mariage », système matrimonial où la femme reste dans son
propre narigba Kouflo : consommateur d’igname Kponan : variété d’igname précoce Krenglè : variété d’igname tardive léhéré : groupe d’entraide organisé par les jeunes lors du wonodig Lofogou : voir Faha Meninghue : sol ferralitique remanié avec recouvrement narigba : matrilignage naro : neveu utérin poro : cycle d’initiation des jeunes sandogo devin segbotio : système matrimonial où le mariage se passe entre des couples du
même katiolo segui tiandin : jour de repos dû à l’interdiction de travail sur un champ sekbo : « grand champ », champ collectif sekpoque : groupe de travailleurs d’un katiolo qui travaillent sur le sekbo sizeng : bois sacré
xvi
sizengfolo : chef du bois sacré Sopéré : variété d’igname précoce Tadja : sol ferralitique remanié modal Tadjaha : voir Tadja Tagoun : sol ferralitique remanié rajeuni Tagoungo : voir Tagoun tarfolo : chef de terre Tedjac : voir Tadja tiandin : jour de repos personnel Tjèn : voir Meninghue ton : société des jeunes tuotégue : groupes de jeunes du dernier cycle du poro qui travaillent dans les
champs de la classe âgée tuowa : un tuotégue organisé par les jeunes pour compenser une ammende
imposée par la classe âgée tyeporogo : système matrimonial où la femme quitte son narigba pour s’installer
dans celui de son époux Wacrou : variété d’igname précoce wonodig : travail dans les champs du narigba des beaux-parents pour compenser
la cession d’une femme lors d’un mariage de type tyéporogo Yarabogo : voir Tagoun
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Chapitre 1 : Introduction
1.1 Problématique Nous voudrions commencer le débat en citant une note, écrite par Y. Bigot, agro-économiste à l’IDESSA (Institut Des Savanes) à Bouaké, le 19 janvier 1981 :
NOTE Les études en cours montrent que mises à part la diffusion du maïs CJB et
l’introduction de la culture attelée localisée du point de vue géographique, aucune évolution significative des cultures vivrières ne s’est produite dans la région Nord
(Ferké, Korhogo, Boundiali) de 1962 à 1980 concernant aussi bien les surfaces, les rendements que les modes de culture (associées, défriche etc. …)
C’est ce que certains appellent à juste titre l’absence de résultats, en faisant abstraction des publications scientifiques, en amalgant le secteur recherche et le
secteur développement vivrier, et en les comparant à d’autres puisque la production cotonnière est passée dans le même temps de 16 à 45.000 tonnes avec des rendements multipliées par 10 (cotonnier associé 1962 1 q/ha, cotonnier pur 1980 10 qx/ha).
Cette stagnation ne procède pas seulement des travaux de recherche mais elle n’est
pas indépendante de leurs orientations ; réunion donc le 31 janvier à 10 heures en vue de se définir par rapport au bilan en cours et à la poursuite de l’identification
d’un projet qui sera mis en œuvre vers 1982 après une phase volontairement longue d’évaluation.
Y. BIGOT
Six ans plus tard, en 1987, ce même auteur participera à la publication d’un ouvrage de 204 pages, notamment « La mécanisation agricole et l’évolution de systèmes
agraires en Afrique subsaharienne » (Pingali P., Bigot Y. et Binswanger H. P., 1987).
Le ton a changé. Deux auteurs semblent avoir inspiré le cadre d’analyse : « Le présent ouvrage a une grande dette intellectuelle envers Ester Boserup et Hans Ruthenberg.
Dans son livre Conditions of Agricultural Growth, Boserup a esquissé les hypothèses évolutives qui nous ont donné le cadre nécessaire pour analyser les liens qui existent
entre la densité de population, l’accès aux marchés et l’évolution des systèmes de cultures, à partir des systèmes à jachère longue fondés sur l’utilisation de la houe à
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main jusqu’aux systèmes de cultures permanentes basés sur la charrue. L’ouvrage de Ruthenberg, Farming Systems of the Tropics, marque également un point de départ
important en ce qu’il retrace cette évolution dans un grand nombre d’environnements agroclimatiques et pédologiques spécifiques, en donnant par le menu tous les détails
utiles si l’on veut comprendre les tendances de l’évolution dans des régions spécifiques. » (PINGALI, P., BIGOT, Y., BINSWANGER, H.P., 1987, p. vi)
C’est en se fondant sur cette base théorique qu’ils ont cherché à répondre à la question qui est le thème central de leur étude :
« Pourquoi l’Afrique subsaharienne n’est-elle pas plus mécanisée? ».
Ils continuent : « On ne peut répondre à cette question ni en appliquant la méthode microéconomique standard de l’analyse du choix des techniques, ni en élargissant ce
cadre microéconomique aux progrès techniques, comme le fait le modèle d’innovation induite. Comme la terre est un facteur abondant en Afrique
subsaharienne, ces méthodes conduiraient à conclure que la région devrait être beaucoup plus mécanisée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pour résoudre l’énigme et
poser le cadre plus large dans lequel l’analyse du choix des techniques et le modèle d’innovation induite permettent d’avancer, nous nous sommes inspirés de la perspective évolutive de Boserup et de Ruthenberg. En dépit de leur importance, les
ouvrages de Boserup et de Ruthenberg n’ont jusqu’à présent guère retenu l’attention des économistes spécialisés dans le développement agricole. »
C’est dans cette philosophie que s’inscrit la problématique de ce rapport. Souvent les
systèmes de production semblent « paralysés », « inertes » pour toute innovation proposée par les politiciens, scientistes, vulgarisateurs, agronomes, … Des slogans ambitieux comme « Intensification, Mécanisation et Motorisation » ne touchent guère
les paysans, mis à part quelques enclaves géographiquement isolées. Le « paysan
têtu » persévère dans l’utilisation de la daba, symbole de la tradition maintenue.
Effectivement, c’est souvent à la tradition que l’on a recours pour expliquer ce phénomène. Il est vrai que pour la population, la tradition représente une valeur précieuse qui nécessite d’être conservée à tous égards. Or, où sera sa place en période
de crise? Prenons comme exemple une société qui, traditionnellement, interdit la
culture du manioc, féculent qui, par opposition à d’autres vivriers, réussi encore bien
sur sols appauvris. Supposons que la pression démographique s’élève jusqu’à un certain seuil, l’appauvrissement des sols empêchera la culture de certains vivriers
populaires, tout en favorisant la culture du manioc. Souvent on a constaté qu’en cas de
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crise, les anciennes règles de la tradition sont revues et actualisées aux conditions englobantes et aux besoins de la société en mutation. Dans ce rapport, un des objectifs
sera l’identification des facteurs qui semblent dominer des forces anciennes comme par exemple « la tradition ».
Une bonne connaissance de ces forces nous semble indispensable parce qu’en matière
d’aménagement et de développement rural dans les pays en voie de développement (PED), la liste des échecs est bien plus longue que celle des projets ayant été couronnés de succès (Roca, 1987). Ce ne sont pas tant les réalisations pratiques qu’il
faut remettre en cause, que l’esprit même des études qui les ont précédées et les méthodes qui ont été employées. Dans la partie suivante nous allons approfondir cet
aspect, auquel nous attribuons une importance considérable. Nous voulons déjà accentuer que rares sont les cas où l’on a fait du système d’exploitation pratiqué par les communautés rurales, un objet d’étude spécifique. Ce sont plutôt d’autres niveaux
d’étude (itinéraires techniques, conditions du milieu biophysique, l’environnement économique, …) qui ont été privilégiés. Or, qu’il s’agisse de recherche ou de
développement, ce sont bien les pratiques des agriculteurs que l’on se propose de transformer ou d’améliorer.
Laurent (1993) note que les politiques de développement agricole mises en œuvre mettent trop l’accent sur « l’exploitation moyenne », une notion tout à fait fictive, et
ignorent des fractions plus ou moins larges de la paysannerie. De nombreuses études de cas offrent des arguments solides pour étayer cette thèse, et ce constat a largement
contribué au développement des travaux de l’approche française « systèmes agraires » ou l’approche anglo-saxonne « farming systems ». Une partie de ces travaux se
donnent en effet pour objectif d’identifier la diversité des systèmes de production afin que toutes les catégories de producteurs puissent être prises en compte par les politiques de développement agricole, et que des solutions adaptées leur soient
proposées.
Enfin, nous sommes d’accord avec Bassett (1991), sur le fait que des études à long terme deviendront indispensables eu égard aux changements agraires importants auxquels le monde rural contemporain de certains pays en voie de développement
étaient, sont et seront sujets. Les cas de Dikodougou, ainsi que Katiali (Bassett, 1991),
Karakpo (Le Roy, 1983) et d’autres régions au nord de la Côte d’Ivoire illustrent
clairement le besoin d’études de longue durée permettant de comprendre la dynamique et surtout l’orientation des changements agraires. Néanmoins, de
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nombreuses études continuent à se concentrer sur le moment t et fournissent une vue statique qui doit servir de base à des décisions qui ont des effets à long terme.
Le dernier point que nous voulons aborder concerne l’importance excessive accordée
par beaucoup d’études à des problèmes et phénomènes de court terme. Ainsi une place trop importante est souvent accordée à la dévaluation du Franc CFA en 1994,
étant essentiellement un choc monétaire à court terme, vis à vis la mondialisation qui aura une portée beaucoup plus longue dans l’histoire. Un autre exemple, abordé par l’équipe de Pingali et al. (1987), illustre que les problèmes les plus communément
cités comme étant les principales causes de l’absence de traction animale en Afrique subsaharienne proviennent d’une méconnaissance du problème. Ainsi, il existe des
opinions qui avancent l’aversion que susciterait dans certaines sociétés l’utilisation des animaux, et qui accordent une importance excessive à des problèmes de court terme comme la difficulté de mise en place de services de réparation et de
d’apprentissage de techniques d’élevage. Or, les problèmes de la première catégorie ne constituent pas des contraintes sérieuses, et ceux de la seconde peuvent être
surmontés.
Nous avons déjà révélé une partie de la philosophie générale qui enveloppe cette étude. La section suivante nous permettra de bien délimiter les échelles dont elle fera usage. Egalement, quelques concepts fondamentaux seront définis.
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1.2 Délimitation de l’objet d’étude La délimitation est nécessaire pour situer la problématique dans un ensemble dynamique et pour orienter la méthodologie appropriée. Elle sera effectuée sur
différentes échelles et dimensions et utilisera différents critères. Ainsi, deux dimensions peuvent être distinguées :
• la dimension horizontale (spatiale ou géographique) ;
• la dimension verticale (l’hiérarchie des systèmes présents sur différentes échelles).
1.2.1 Délimitation géographique (délimitation spatiale ou horizontale)
Cette section ne doit pas être considérée comme une simple introduction. Elle nous fournit les bases sur lesquelles le reste de l’étude est construit. Le but d’une
délimitation géographique consiste en l’identification de régions qui peuvent être considérées comme homogènes selon certains critères. Cette approche nous permettra
de faire un zoom vers notre zone d’étude, la région de Dikodougou, et de la caractériser en utilisant des critères agro-écologiques, démographiques, sociologiques et historiques. Dans l’annexe 2, nous avons présenté quatre cartes géographiques
détaillées, enchaînées comme un « zoom », qui permettent de situer les régions, les villes et les villages mentionnés dans ce rapport.
Avant tout, il est nécessaire d’expliquer pourquoi la région de Dikodougou a été
retenue comme objet d’étude. Dans le passé, l’introduction de nouvelles techniques n’était pas accompagnée d’une évaluation économique. Des technologies expérimentées avec succès en station de recherche n’étaient pas adoptées par les
agriculteurs. Il est évident que plusieurs facteurs influencent les décisions du paysan. Une étude préliminaire du terrain est nécessaire afin de cerner ces facteurs. Le projet
IDESSA – KULeuven (Institut des Savanes – Université Catholique de Leuven), intitulé « Renforcement des études agro-économiques à l’IDESSA », vise à démontrer
l’importance d’une connaissance profonde des éléments socio-économiques. Des
agro-économistes sont formés à l’IDESSA et une région est choisie afin de tester les résultats de la recherche en milieu paysan. Un des objets d’étude est la production, la
conservation et la commercialisation d’igname en Côte d’Ivoire. Après une étude bibliographique, trois éventuelles zones d’étude ont été retenues.
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La région de Dikodougou a été choisie après une prospection du terrain par une équipe multidisciplinaire de cinq chercheurs. Les raisons principales pour le choix de
cette zone d’étude sont :
• Dikodougou est un des principaux pôles de production d’igname en Côte d’Ivoire. Cette culture est destinée à l’autoconsommation ainsi qu’à la commercialisation ;
• l’importance du coton augmente dans le système de production ;
• cette zone connaît plus de problèmes par rapport à d’autres. Petit à petit, la pression foncière se fait sentir et cause des conflits entre les Peuhls et les agriculteurs d’une part et même entre les agriculteurs eux-mêmes, d’autre part.
Le projet a été programmé sur une période de quatre ans, allant de janvier 1995 jusqu’à novembre 1998. Pendant cette période le projet a été actif dans quatre
villages, choisis arbitrairement dans la région de Dikodougou. Par conséquent, une banque de données est déjà disponible faisant du présent rapport une étude
postliminaire plutôt qu’une étude préliminaire.
La figure suivante nous montre la situation de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest avec la région de Korhogo (cadre), contenant la sous-préfecture de Dikodougou (contournée), dans la région Nord.
Figure 1.1 : Afrique de l’Ouest (source : Microsoft Encarta World Atlas 1998)
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En Côte d’Ivoire, trois zones agro-écologiques (figure 1.2) et neuf zones agro-climatiques homogènes (figure 1.3) peuvent être distinguées (Ndabalishye, 1995).
Figure 1.2 : Les trois principales zones agro-écologiques de la Côte d’Ivoire (source : Ndabalishye, 1995)
Figure 1.3 : Les neuf principales régions agro-climatiques homogènes de la Côte d’Ivoire (source : Ndabalishye, 1995)
zone soudanienne
zone soudano-guinéenne
zone guinéenne
Nord
Nord-Est
Centre-Ouest
Ouest
Sud-Ouest Sud-Est
V Baoulé
Littoral
Centre-Est
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Notre zone d’étude est donc située dans la zone soudanienne dont la région Nord fait partie. La figure 1.4 nous montre que cette zone s’étale sur deux territoires ethniques :
une partie Voltaïque (Nord) et une Mandé (Sud). Dans ces deux groupes, des subdivisions ethniques peuvent être distinguées dont les Sénoufo (Nord) et les
Malinké (Sud) correspondent à la zone de notre étude.
Figure 1.4 : Répartition géographique des principaux groupes ethniques en Côte d’Ivoire (source : Fusillier, 1991)
Après ce zonage au niveau national, dans la figure 1.5 nous faisons un zoom sur la
région de Korhogo (cadre blanc dans la figure 1.4). Désormais, le zonage se concentrera sur cette région.
L’étude SEDES (1965) distingue trois strates agro-écologiques : une strate mil, une strate igname et une strate dense. Selon cette subdivision, une partie de la zone
étudiée contenant le village Tiégana, appartiendrait à la strate dense (figure 1.5). Les trois autres villages, Tapéré, Ouattaradougou et Farakoro sont tous compris dans la
strate igname. La division en strates est fondée sur le respect des limites
administratives, mais n’utilisent peut-être pas des critères suffisamment précis. Dans la figure 1.6, pour mieux rendre compte de la réalité, la région a été découpée en
zones. En suivant ce zonage, notre objet d’étude est entièrement compris dans la zone igname.
Groupe Mandé
Groupe Akan
Groupe Krou
Dioula
Groupe Voltaïque
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Figure 1.5 : Stratification de la région de Korhogo (source : SEDES, 1965)
Figure 1.6 : Zonage de la région de Korhogo (source : SEDES, 1965)
Tiégana
Tapéré
Ouattaradougou Farakoro
Tapéré
Farakoro Ouattaradougou
Tiégana
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Un deuxième coup d’œil sur les figures 1.5 et 1.6 nous apprend que, outre l’igname, le coton occupait déjà une place importante en 1965 dans notre zone d’étude, donc
bien avant la période d’expansion du coton, mise en route par la CIDT à partir de la deuxième moitié des années 70. L’importance de l’igname et du coton apparaît
donc comme une spécificité de la région de Dikodougou.
Après ce zonage agro-écologique, nous voulons mettre l’accent sur la démographie, choisie comme critère de différenciation et maillon central de notre approche « Evolution des systèmes agraires ». L’étude SEDES (1965) parle de la notion de
« semis fondamental du peuplement ». Il s’agit du constat que la population n’est pas répartie également et qu’il y a une certaine structure dans le « semis du peuplement »
qui semble avoir son origine dans l’histoire de la région. En somme, trois types de semis ont été distingués :
• une population dispersée à l’extrême avec comme seules petites agglomérations les chefs-lieux administratifs. La majorité de la population réside dans des villages
de moins de 300 habitants (zone dense) ;
• une population groupée à plus de 50 % dans les villages de 700 habitants et plus (zone igname) ;
• enfin une population dont le tiers au moins vit dans les localités de plus de 700 habitants, mais où les résidents des petits villages (moins de 300 habitants) sont plus nombreux que ceux des villages moyens (300 habitants à 699 habitants)
(zone mil). Dans la figure 1.7 cette répartition est visualisée. Dikodougou semble être compris
dans le secteur à densité moyenne et habitat groupé, une deuxième spécificité pour cette région. Ce secteur couvre approximativement la zone productrice
d’igname. Le semis fondamental de ce secteur révèle une armature de gros bourgs reliés par des routes carrossables. Les hameaux de moins de 100 habitants regroupent
à peine 3 % de la population et les villages de 100 à 300 habitants ne comptent que 15
% de l’effectif total. Il s’agit donc d’un secteur composé en majorité de gros villages et de bourgs (SEDES, 1965). Ce phénomène n’est pas sans conséquence pour les
systèmes agraires ; il nous semble tellement important qu’une explication historique est nécessaire. L’influence sur le système agraire sera approfondie dans le paragraphe
2.3.2.
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Figure 1.7 : Semis fondamental du peuplement dans la région de Korhogo (source : SEDES, 1965)
L’explication historique pour le semis fondamental du peuplement s’appuie sur une hypothèse proposée par l’étude SEDES (1965). La figure 1.8 montre les mouvements
migratoires des mandés islamisés au début du dix-huitième siècle. Cette invasion serait à la base des mouvements de Nanguin, Sénoufo « captif », et de ses partisans, vers le Sud-Ouest puis vers le Nord où ils ont fondé la ville de Korhogo. Le
mouvement des Nafara vers l’interfleuve Bandama – Solomogou (figure 1.8), a la même origine.
Le début du dix-neuvième siècle semble avoir été pour toutes les tribus une période calme. Cette situation devait changer à partir de 1870. Dans toute la zone pré-
sahélienne, une sorte de fièvre générale gagne le monde musulman. Les conquérants se multiplient, des empires ou royaumes s’édifient et s’affrontent. Au milieu de ce
bouleversement général, la politique sénoufo peut se résumer dans le message que le
jeune chef des Kiembara, Gong Coulibaly adressait en 1894 à l’almamy Samory : « Je
ne suis pas un guerrier, mais un cultivateur, je ne veux pas la guerre, je me confie à vous. »
Kadioha
Habitat groupé en gros villages permanents Migrations peu importantes Exploitation au niveau de la famille étendue Stabilité matrimoniale
Habitat en nébuleuse Migrations importantes en parties provisoires Individualisation fréquente de l’exploitation agricole Très forte mobilité matrimoniale
Habitat groupé en gros villages mais avec résidence saisonnière sur campements Migrations importantes Individualisation peu avancée de l’exploitation agricole Mobilité matrimoniale assez forte
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Dans l’ensemble, cette prudence devait être payante. Et toutes les tribus sénoufo ne furent pas frappées de la mêm façon par les guerres, les massacres, les déportations et
les exodes. La puissance militaire de Tieba, roi de Sikasso, se fit sentir jusqu’au delà de Guiembé, détruit vers 1875 ; Sinématiali fut « cassé » par le même Tieba vers
1883. Enfin, à partir de 1883, Samory et ses lieutenants dominèrent militairement la région. Si Gong Coulibaly parvint à maintenir les pays Kiembara et Nafara à l’abri
des razzias et des massacres, par contre, de Nafoun à Kanoroba, de Sirasso à Guiembé, de Dikodougou à Kiemou (annexe 2), les villages furent souvent mis à feu et à sang, et leur population décimée ou déportée quand elle n’avait pas la possibilité
de gagner la zone de sécurité garantie au chef de Korhogo. Voilà une raison pour le fait que la zone sud de Dikodougou est restée « sous-peuplée », jusqu’aux années ’80
(paragraphe 2.3.2). Les enquêtes dans la zone Nord (Tapéré et Tiégana) ont confirmé que cette partie de l’histoire est bien gravée dans la mémoire du village. Pendant ce temps, la zone dense bénéficiait d’un afflux de réfugiés dont beaucoup, l’alerte passée,
ne purent regagner leur résidence primitive, les chefs des villages d’accueil ayant parfois tendance à les considérer comme des captifs.
Figure 1.8 : Répartition géographique des sous-groupes sénoufo dans la région de Korhogo (source : SEDES,1965)
mouvement migratoire des
Tiégana
Tapéré
Ouattaradougou Farakoro
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L’important pour notre analyse est dans l’hypothèse que l’effervescence guerrière de
la fin du dix-neuvième siècle serait à la base de la distribution géographique de la population. Ainsi les sous-préfectures touchées par les guerres contre Sikasso ou Samory, notamment Ouangolodougou, Sirasso, Dikodougou et Guiembé (annexe 2)
répondent tous au semis fondamental type 2. Or, ceux qui sont resté à l’écart des conflits ont gardé une répartition type 1 (zone dense). Des considérations stratégiques
paraissent, seules, avoir provoqué localement l’adoption de l’habitat groupé : l’habitat dispersé reste la forme d’implantation humaine spontanément adoptée et maintenue par l’ensemble du groupe Sénoufo (SEDES, 1965).
Une conséquence directe et nouveau critère de zonage est l’importance très différente
du tarfolo1 dans les trois zones (SEDES, 1965). Elle constitue une bonne illustration du lien qui existe entre la rareté du sol et certaines institutions traditionnelles. En zone dense, l’autorité du chef de terre qui portait essentiellement sur les secteurs non
défrichés tend à s’annuler par extinction progressive de la réserve de brousse. En zone de très faible densité démographique, en zone Mil par exemple, la terre est abondante,
sa valeur tend vers zéro, les conflits fonciers n’existent pas, chacun occupe la terre qui lui convient après accord facile avec les voisins : la fonction de tarfolo s’annule
d’elle-même par excès de sols disponibles.
La fonction de tarfolo ne se maintient vraiment qu’en zone igname, ce qui nous révèle une troisième spécificité pour cette région. La densité médiocre y laisse une réserve de terre tout en donnant au sol une valeur qui justifie un certain contrôle dans
la distribution. Mais d’après les enquêtes, les conflits qui peuvent se rencontrer dans ce cas sont plutôt des rivalités entre villages que des contestations entre personnes
d’une même localité. L’enquête statistique SEDES (1965) révèle une dernière spécificité pour la région de
Dikodougou. En zone Dense, on constate que la partie du terroir formée de grandes
exploitations est pratiquement marginale. En zone Igname par contre, cette même
catégorie couvre plus de la moitié du terroir, la zone Mil constituant une situation intermédiaire. Apparemment, en zone Igname le domaine de la famille étendue est resté, pour une part importante de la population, le cadre agricole normal.
1 Le chef de terre ou tarfolo exerce un droit éminent sur toute la terre dans sa région. Il a une fonction d’intermédiaire entre le groupe d’un côté et la terre et les ancêtres qui reposent dans celle-ci. Cette fonction permet au tarfolo d’exercer un pouvoir et une autorité extrêmes.
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La figure 1.4 nous a déjà montré que la partie nord de Dikodougou est constituée du groupe ethnique Sénoufo et le Sud du groupe Malinké1. Ceci correspond aux villages
Tapéré et Tiégana, respectivement Farakoro et Ouattaradougou. La figure 1.8 ajoute que la partie sénoufo est dominée par les sous-groupes Kouflo, signifiant
« consommateur d’igname », et Fodonon. Notre zone d’étude est donc divisée en deux sous-zones ethniques. Cette différence ethnique se reflète au niveau des
systèmes de production et est discutée ultérieurement. La zone igname, dont notre objet d’étude fait partie, peut donc être délimitée et
caractérisée par six critères de différenciation spatiale. Nous résumons que c’est une zone
• où l’igname et le coton occupent une place importante ;
• à densité démographique moyenne ;
• composée en majorité de gros villages et de bourgs ;
• où la fonction de tarfolo se maintient ;
• où les grandes exploitations aux familles étendues occupent une place importante ;
• composée de deux grands groupes ethniques, notamment les Sénoufo et les Malinké ;
1.2.2 Délimitation de l’échelle d’étude (délimitation verticale)
L’approche à la base de cette étude est basée sur l’apport de deux écoles : l’approche
anglo-saxonne « Farming Systems Research (FSR) » combinée à la méthodologie de l’analyse économique de l’Université Catholique de Leuven (KUL) et l’approche
française « systèmes agraires » du CNEARC. Outre la multidisciplinarité, l’analyse sur différentes échelles consiste en un aspect important de l’approche systémique. Puisque le présent rapport est basé pour une grande part sur cette approche, il nous
convient de définir ces différentes échelles et celles qui seront privilégiées dans le
cadre de cette étude.
Ainsi d’après Jouve (1992) nous définissons le système de culture (SC) comme
l’ensemble de parcelles faisant l’objet d’un mode d’exploitation relativement homogène et en particulier soumis au même type de succession culturale. Il constitue l’expression la plus manifeste de la liaison entre la composante technique d’un
système agraire et les caractéristiques physiques de son espace (figure 1.10).
1 Les Malinké constituent un des rameaux du groupe Mandé. Comme ils exercent souvent la profession de commerçants (Dioula), ils sont la plupart du temps désignés sous ce nom par les Sénoufo. Les deux termes seront employés ici indifféremment.
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L’échelle d’analyse du système de culture est le terroir, défini comme l’ensemble de parcelles homogènes caractérisé par une même structure et une même dynamique
écologique, ainsi que par un même aménagement agricole (Jouve, 1992). On voit bien, à travers cette définition, la relation qui peut exister entre terroirs, unités
morpho-pédologiques d’un paysage, et systèmes de culture. La mise en correspondance de ces notions est un moyen privilégié de décrire les modes
d’exploitation agricole de l’espace. Le système d’élevage (SE) peut être défini comme le résultat des relations qui
s’établissent entre un troupeau, un éleveur, l’espace et les ressources pastorales utilisées par les animaux. Le système de culture (SC) et le système d’élevage (SE)
font partie respectivement d’un système technique de production végétale (SPV) et animale (SPA) qui sont compris dans le système de production (figure 1.9). Jouve (1992) le définit comme un ensemble structuré de moyens de production (travail,
terre, capital, …) combinés entre eux pour assurer une production végétale et/ou animale en vue de satisfaire les objectifs et besoins de l’exploitant (ou du chef de
l’unité de production) et de sa famille.
Figure 1.9 : Modèle de fonctionnement d’un système de production (figure adaptée, source : Jouve, 1992)
Contraintes et possibilités du milieu physique de
l’exploitation
Objectifs du chef d’exploitation
Système technique de production
STP = SPV + SPA Processus techniques
de production SPV
SPA
SC1
SC2
...
Système de gestion (SG)
Formes et modalités de mobilisation des
moyens de production
Productions végétales et animales
Contraintes et possibilités de l’environnement socio-économique
Groupe
familial
Moyens de production disponibles • Terre • Travail • Capital • etc.
Décisions techniques
Décisions de gestion
Achats
Ventes
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Le concept adapté à l’échelle régionale est celui de système agraire. Il peut se définir comme « le mode d’organisation adopté par une société rurale pour exploiter son
espace et gérer ses ressources. Ce mode d’exploitation du milieu résulte des interactions entre les contraintes et possibilités du milieu physique, les
caractéristiques socio-économiques du peuplement humain et les acquis techniques de la société rurale, l’ensemble de ces interactions étant soumis à l’influence de
facteurs externes liés à l’environnement du système. Par ailleurs, un système agraire est le produit de l’histoire d’une société rurale, au cours de laquelle se sont façonnés des paysages et ont été définies des « règles » techniques, économiques et sociales
concernant les modes d’exploitation de son milieu » (Jouve, 1992). Pour une bonne compréhension du fonctionnement du système agraire donc, l’analyse des
interrelations entre les trois pôles qui le constituent est indispensable (figure 1.11).
Figure 1.10 : Modèle simplifié du fonctionnement d’un système agraire (figure adaptée, source : Jouve, 1992)
« règles » d’utilisation et d’organisation du travail
les pratiques et le
savoir-faire technique
Systèmes techniques de production (systèmes de culture et d’élevage)
MODE D’EXPLOITATION DU MILIEU PAR UNE SOCIETE RURALE
« règles » et pratiques d’utilisation des ressources naturelles : • foncier • parcours • eau • …
Caractéristiques du milieu naturel
conditions bio-écologiques sol, climat, végétation
Caractéristiques techniques de l’exploitation de l’espace
matériel biologique, outillage technique d’aménagement du
milieu
Caractéristiques du milieu humain
conditions socio-économiques démographiques et culturelles
CONDITIONS DE BASE (marchés & systèmes de commercialisation, prix, politiques, densité démographique, histoire, …)
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Après ces définitions, il nous reste à délimiter les échelles qui seront privilégiées dans notre analyse du processus d’évolution. Pour le système agraire, différents critères
avancent le village comme échelle d’étude. Ceci s’explique par le constat discuté ultérieurement, notamment que les principaux facteurs d’évolution se différencient
d’un village à l’autre. Dans cette démarche, le village n’est pas simplement la somme des exploitations qui le constituent, mais il est considéré comme une entité territoriale
et humaine ayant sa propre identité et sa propre cohérence (Jouve, 1992). C’est pour traduire ce choix méthodologique que nous allons utiliser le concept d’agrosystème villageois (ASV), comme c’était le cas dans les régions de Maradi au Niger (Jouve,
1984) et Notse au Togo (Tallec, 1986).
Le système de production est l’objet d’étude par excellence dans l’analyse de la trajectoire d’évolution et de la dynamique des exploitations agricoles, le thème central de cette étude. Tout au long de l’histoire, chaque innovation, cohérente ou pas, est
toujours passée par le chef d’exploitation qui juge de son intérêt. L’évolution ne peut donc être déconnectée de son acteur principal, le système de production.
1.3 Objectifs La présente étude, effectuée dans le cadre du projet IDESSA – KULeuven, est donc pourvue d’un fil conducteur économique assisté par un fond statistique. En outre elle
est basée sur l’approche systémique et fait appel à d’autres disciplines comme la sociologie, l’agronomie et l’histoire. Le rapport s’inscrit dans les objectifs suivants :
• une revue de la littérature sur tous les travaux économiques, agronomiques, sociologiques et historiques qui ont été publiés concernant le Nord de la Côte d’Ivoire ;
• l’identification des facteurs responsables de l’évolution du village de Tiégana. Ceci constituait l’objectif de départ, mais pour obtenir un ensemble dynamique,
nous avons opté pour l’élargissement de l’objet d’étude aux quatre villages étudiés par le projet ;
• une compréhension du processus d’évolution des systèmes agraires, des systèmes de production et des systèmes de culture dans la région de Dikodougou. Une bonne compréhension nous semble prioritaire par rapport à une description complète de tous les changements qu’ont connu les systèmes agraires, parce
qu’elle nous permet de faire des projections dans l’avenir ;
• l’identification de la dynamique des systèmes de production dans la région de Dikodougou ;
18
• une modélisation pour la trajectoire d’évolution probable des systèmes de production dans la région de Dikodougou ;
• la réalisation de projections sur l’avenir et la recherche - développement.
1.4 Méthodologie Chaque chapitre est introduit par une méthodologie détaillée. Dans ce paragraphe, nous nous limitons à la présentation des trois principaux étapes suivies lors de ce travail, à savoir :
1. une importante étude bibliographique : dans un premier temps, elle nous a permis de situer l’étude dans un ensemble dynamique tant au plan géographique qu’au
plan historique. Dans un deuxième temps, elle a guidé notre travail quant à l’identification des paramètres pouvant être l’objet d’une analyse approfondie. Enfin, elle a orienté pour une large part la méthodologie et le contenu des enquêtes
de terrain ; 2. une étude sur le terrain, effectuée à Tiégana : ce village a en effet été identifié
comme « le plus évolué » (exposé ultérieurement). L’étude s’est intéressée aux aspects anthropologiques, sociologiques et historiques des systèmes de production
et de l’agrosystème villageois. Le recueil des données a été organisé autour d’entretiens ouverts, tant individuels que collectifs. Aucun questionnaire n’a été réalisé, mais plutôt une liste de thèmes (annexe 3) à aborder et de mots
vernaculaires de référence. L’avantage de cette démarche est que l’on s’aperçoit vite de l’importance du thème pour l’individu ou pour le groupe et de la relation
vis-à-vis de ce sujet. Le plus souvent possible, les termes vernaculaires sont
utilisés. De cette façon, on découvre plus facilement le fonctionnement des
systèmes locaux sans s’adonnant à l’abstraction de la réalité. Après tout, s’il existe un « système », il est nommé, délimité, normé, réglementé, symbolisé, parce qu’il est décrit, compris et perçu à travers des signes, qui sont aussi bien des repères
physiques que des mots du langage courant. Dans cette démarche, nous nous sommes appuyés sur l’apport méthodologique des auteurs Gastellu (1979),
Benoit-Cattin (1982), Le Roy (1983) et Jouve (1992) ; 3. une étude économique et statistique basée sur une banque de données collectées et
mises à notre disposition par Ir. J. Stessens, représentant belge du projet IDESSA
– KULeuven (IDESSA-KUL). A partir de ces données, étalées sur trois ans, des analyses économiques et statistiques ont été effectuées. Les auteurs qui ont inspiré
cette dernière étape de notre démarche sont : Boserup (1965), SEDES (1965), AVB (1974), Ruthenberg (1980), Pingali et al. (1987), Bigot (1991), Léonard
(1993), Dufumier (1996) et Mazoyer (1997).
19
1.5 Présentation de l’étude A la suite de cette introduction qui vise à nous « immerger » dans la problématique et la philosophie générale, nous voulons présenter ainsi les trois chapitres suivants :
Le chapitre 2 se situe sur le plan ∆t et accentue le processus d’évolution des systèmes
de production et des agrosystèmes villageois à long terme, à partir de la diversité observée entre quatre villages situés dans la région de Dikodougou.
Le chapitre 3 pourrait être situé sur le plan dt à cause de son cadre d’analyse à très court terme, une période de trois ans, et de son caractère « dynamique » ou « direction
des évolutions ».
Le chapitre 4 finalement s’inscrit sur le plan t+1, de l’avenir. Quels changements pourrons-nous attendre? Quelles leçons en pouvons-nous tirer sur le plan de la recherche – développement?
21
Chapitre 2 : Le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois sénoufo
2.1 Introduction
Tapéré, un des quatre villages du projet, est souvent considéré comme un village en retard, une attraction pour les touristes parce qu’il a su garder son caractère traditionnel. Tiégana par contre, un village plus proche de 27 km de Korhogo, se
présenterait plutôt comme exemple, vue la dynamique dont il fait preuve depuis dix ans. Les paysans s’y précipitent pour adopter la technique de la culture attelée, qui
constitue une innovation récente, alors qu’à Tapéré, les villageois restent fixés sur la culture d’igname. Les deux autres villages, Ouattaradougou et Farakoro, semblent
occuper une place intermédiaire entre les deux extrêmes mentionnés. Ce constat est rapidement devenu la question centrale de la démarche suivie et le fil
conducteur de ce chapitre. Pourquoi deux villages relativement proche peuvent représenter une telle diversité quant à plusieurs critères. Est-ce qu’un village peut
rester « traditionnel » et résister à toute forme d’innovation, dans un environnement économique et démographique en mutation? Pourtant, les enquêtes montrent que c’est
bien le mot « tradition » auquel ont recours les villageois pour expliquer le retard de l’Altérité, notamment leurs villages voisins.
2.2 Méthodologie
2.2.1 Choix des villages, des exploitations et élaboration des enquêtes
Lors de la mise en place du projet, les villages ont été choisis par une équipe
multidisciplinaire de sorte qu’ils représentent la diversité de la zone par rapport aux activités agricoles. Le choix était fondé sur les deux critères majeurs qui déterminent
la zone et l’agriculture, notamment la différence physique et humaine entre le Nord et le Sud et l’importance relative de deux systèmes de culture : celui basé sur l’igname et
celui dominé par le coton. La zone de Dikodougou a d’abord été divisé en deux sous-zones, le Nord et le Sud (séparation à la hauteur de Kadioha sur la figure 1.7). L’importance de la culture du coton diffère fortement d’un village à l’autre. La culture
de coton est bien implantée dans presque la moitié des villages. Pour les autres, le coton peut être présent, mais seulement quelques agriculteurs sont impliqués dans
22
cette culture (Stessens, 1996b). De ce fait, deux villages produisant beaucoup de coton, un dans le Nord et un dans le Sud, et deux autres villages de chaque zone
produisant peu de coton avaient été choisis. L’échantillon concerne donc quatre villages.
L’échantillon des exploitations doit représenter la réalité du village. Les différents
types d’exploitation doivent être représentés en proportion de leur présence. Un recensement, au niveau des villages, était nécessaire pour déterminer et quantifier les différents types d’exploitations. Sur la base des informations disponibles nous avons
supposé que trois facteurs majeurs déterminent les types d’exploitations : autochtone/allogène, grande/petite exploitation et coton/igname comme principale
culture de rente. Ces facteurs ont guidé le choix des exploitations. Pendant la période du projet les exploitations retenues ont été l’objet d’analyse au
moyen des enquêtes1 suivantes :
• l’enquête « Identification des ménages » visait à relever les caractéristiques des ménages comme le nombre de résidents, leur age, le lien généalogique, le nombre
d’étudiants, l’origine du chef de famille, l’ethnie, etc. ;
• l’enquête « Identification des parcelles » a été effectuée une fois par an sur toutes les parcelles de l’exploitation. Les cultures précédentes, l’organisation du champ,
et d’autres paramètres de la parcelle sont enregistrés dès les premiers activités champêtres. La superficie de chaque parcelle était mesurée avec une boussole et un mètre quand les opérations de semis ou de plantation étaient achevées. La
superficie des parcelles laissées en jachère n’a pas été mesurée : les bordures deviennent en effet très floues une fois la parcelle abandonnée ;
• l’enquête « Identification des outils » donnait une idée du coût de l’équipement des exploitations ;
• l’enquête « Identification des intrants » relevait la quantité d’intrants utilisée par parcelle ainsi que son coût ;
• l’enquête « Temps des travaux » a été effectuée une fois par semaine. Là, les
différentes opérations culturales de chaque membre de l’exploitation, l’utilisation des intrants et l’utilisation de main d’œuvre non familiale sont relevées.
1 Les différents questionnaires utilisés sont présentés dans le document de travail n°6 « Questionnaires et fiches d’enquêtes » (Stessens, 1995).
23
2.2.2 Fondement de l’analyse
Nous disposons donc d’une banque de données étalée sur trois ans et sur quatre
agroécosystèmes villageois. Parallèlement aux cas de Maradi au Niger (Jouve, 1984) ou Notsé au Togo (Tallec, 1986), cette situation nous a permis d’utiliser une
approche, dont le principe de base consiste à « valoriser la diversité géographique des modes d’exploitation agricole du milieu pour reconstituer leur évolution historique »
(Jouve, 1996). L’auteur résume cette approche comme suit : « Utiliser la synchronie des situations pour connaître leur diachronie ».
Mais l’opérationnalité de cette méthode nécessite qu’un certain nombre de conditions soient réunies. Il faut tout d’abord qu’il y ait une diversité intrarégionale des modes
d’exploitation du milieu. Il faut ensuite s’assurer que cette diversité n’est pas due à des facteurs conjoncturels ou liée à des stratégies individuelles, mais plutôt associée à des facteurs historiques d’évolution des systèmes agraires. Parmi ces facteurs, la
densité de population, et donc la pression foncière qui en résulte, constitue, dans les sociétés pré-industrielles, un des facteurs les plus importants de leur évolution agraire,
comme a pu le montrer Boserup (1965). En Afrique sub-saharienne, du fait des conflits interethniques et de la présence dans le passé d’Etats suffisamment puissants
pour assurer la protection de leurs populations, notamment vis-à-vis des ravages de la traite, mais aussi du fait de l’existence d’endémies affectant certaines régions, la densité d’occupation de l’espace est loin d’être homogène et ne reflète qu’en partie les
plus ou moins grandes potentialités agricoles du milieu. Cette hétérogénéité de peuplement se traduit par une diversité des modes d’exploitation du milieu, qui
permet d’en repérer les différents stades d’évolution au fur et à mesure de l’accroissement démographique et de l’augmentation de la pression foncière (Jouve,
1996). Dans ce chapitre, l’agroécosystème villageois est l’objet d’étude et c’est donc jusqu’à
ce niveau que nous allons assembler les données. Le fait de parler de
« l’agroécosystème villageois » (AESV) et non du « système agraire » est lié au fait
que certains paramètres, surtout ceux que nous avons identifié comme constituant les maillons principaux de l’évolution, diffèrent d’un village à l’autre. Dans cette démarche donc, le village n’est pas simplement la somme des exploitations qui le
constituent mais il est considéré comme une entité territoriale et humaine ayant sa
propre identité, sa propre cohérence (Jouve, 1992), démarche également suivie par
les auteurs mentionnés antérieurement.
24
Néanmoins, outre les paramètres inhérents au fonctionnement villageois, comme la pression foncière, l’accès à la terre, etc. nous avons été amenés à calculer certains
paramètres au moyen d’une moyenne, et donc d’une somme, établie sur un échantillon d’exploitations du village, comme par exemple le coût moyen des intrants
utilisés par exploitation. L’unique contrainte reste donc la représentativité de l’échantillon des exploitations par village.
L’objectif est donc d’identifier les variables indépendantes (causes) et dépendantes (conséquences) de l’évolution des agroécosystèmes villageois, les systèmes de
production et les systèmes de culture à base de trois volets, à savoir :
• une vaste étude bibliographique préliminaire, nécessaire pour dégager tous les paramètres que nous devons prendre en compte dans notre analyse de l’évolution
des agroécosystèmes villageois ;
• une banque de données mise à la disposition par le projet ;
• une étude de terrain pour vérifier certains éléments de nos résultats, fournir des analyses supplémentaires et identifier les paramètres inhérents au fonctionnement
de l’agroécosystème villageois. Pour cette analyse, nous reprenons la figure 1.10 comme cadre de référence. Cette
figure montre clairement comment le mode d’exploitation du milieu par une société rurale est déterminé par l’interaction de trois pôles principaux : un milieu humain, un
milieu bio-physique et un milieu technique (exploitation de l’espace, aménagement du milieu, outillage, …). En nous limitant sur un niveau inférieur à celui de la société, notamment le niveau du village (AESV), certains paramètres deviennent externes à
notre analyse : l’histoire de la politique agricole, la pression démographique, la variabilité des prix agricoles et l’accès au marché. Ces facteurs, quoique dépendant
des niveaux supérieurs (système agraire, système de commercialisation, système politique, …), entrent comme des facteurs indépendants dans notre modèle
d’évolution des AESV. En fin de compte, un AESV, concentré sur un seul village, est incapable de changer ces paramètres dans son système : ces paramètres lui sont imposés par les niveaux supérieurs.
Rappelons-nous que le fait de considérer la pression démographique comme variable
indépendante des changements agraires consiste en une hypothèse boserupienne. Avancer le contraire est adopter la vision Malthusienne (Boserup, 1965). Après
l ‘identification et la quantification des facteurs indépendants à l’évolution des AESV (partie 2.3), l’évolution des trois pôles des AESV et leurs interrelations sont analysés (parties 2.4, 2.5, 2.6).
25
2.3 Les facteurs indépendants
2.3.1 Introduction
Dans cette partie, nous visons à identifier les facteurs qui nous semblent les moteurs ou freins principaux dans l’évolution qu’ont connue les agroécosystèmes villageois.
Quoique nous les appelions « facteurs indépendants », notamment indépendant de la manière dont l’évolution se présente dans la réalité agraire, ces facteurs peuvent être
dépendants de plusieurs autres variables, exogènes à notre analyse.
2.3.2 La densité démographique
La densité démographique, et donc la pression foncière qui en résulte, ont été
identifiées comme facteurs principaux de l’évolution des systèmes agraires des sociétés préindustrielles dans l’ouvrage « Evolution agraire et pression
démographique » par Esther Boserup (1965). A sa suite, plusieurs auteurs, comme Ruthenberg (1980) Pingali, Bigot et Binswanger (1987), Jouve (1984) etc. se sont inspirés de cette théorie pour expliquer la diversité et la dynamique agraire en Afrique
subsaharienne. Il en va de même pour cette étude, de sorte que nous allons développer les idées principales de Boserup qui sont nécessaires à la construction du modèle
d’évolution. Boserup distingue deux façons, fondamentalement différentes, d’aborder la relation
entre la croissance démographique et la production alimentaire : d’une part la façon dont les changements dans les conditions agricoles affectent la situation
démographique et d’autre part, la façon dont les changements survenant dans la population orientent l’agriculture.
Poser la première de ces questions, c’est adopter l’attitude de Malthus et de ses disciples, ceux-ci plus ou moins fidèles au maître. Leur raisonnement part de la
conviction que la quantité de nourriture offerte aux hommes est, par nature, peu extensible et que ce manque d’élasticité est le facteur essentiel qui commande le taux
de croissance de la population. C’est de faire de la croissance démographique la variable dépendante, déterminée par des changements préalables de la productivité
agricole. A leur tour, ces changements s’expliquent comme le résultat de facteurs
extérieurs, tels que celui, tout fortuit, de l’invention et de la diffusion de la technique (Boserup, 1965).
26
Le point de départ de l’étude de Boserup est exactement l’opposé. Elle admet l’hypothèse que le principal enchaînement de causes suit la direction inverse : la
croissance de la population est regardée comme la variable indépendante, laquelle à son tour est un des facteurs importants commandant le développement de
l’agriculture. Elle y ajoute que l’explication de la pression démographique n’est pas à rechercher dans une amélioration des moyens de la production alimentaire, mais dans
d’autres facteurs socio-culturels. Une conséquence directe de la pression démographique dans une société agraire, c’est
l’augmentation de l’occupation du sol, présenté par le facteur R, appelé « the degree of residence » par Ruthenberg (1980) ou « l’intensité des cultures » par Pingali et al.
(1987) :
100''
'
100
×+
×=
×+
×=
jachèredeannéesdNombreculturedeannéesdNombreanparculturedecyclesdeNombreculturedeannéesdNombre
jachèreenterresdesSuperficiecultureenterresdesSuperficieanparculturedecyclesdeNombrecultureenterresdesSuperficie
R (2.1)
La figure 2.1 schématise le cadre de référence central de l’évolution des systèmes agraires selon Boserup. Un premier constat est la corrélation étroite qui existe entre la
densité démographique d et sa répercussion directe sur la mise en valeur des terres cultivables, représentée par le facteur R (tableau 2.1 et figure 2.1).
Systèmes d’occupation du sol
(Systèmes de culture)
Outillage (Système
technique)
Productivité Intensité du travail
Tenure du sol statut foncier
Investissements, capitalisation du
surplus du travail de la terre Système I Système à jachère longue arbustive SC itinérante sur défriche forestière
hache machette bâton à fouir pas de labour pas de sarclage
Forte défriche par le feu peu de façons d’entretien récolte, gardiennage
Moyenne à faible cueillette
faible 2-4 h./jour défriche gardiennage + chasse, pêche
appropriation collective lâche droit d’usage
quasi nuls peu de réserves
Système II Système à jachère buissonnante agriculture en voie de fixation – tubercules
machette houe sarclages labour du sol transhumance
Bonne défriche par le feu (malgré interdictions)
Modérée 4-6 h./jour défriche sarclages récolte
idem mais début de pratiques de marquage de terre par cultures pérennes
très faibles (mariages)
Système III Système à jachère herbacée céréales – élevage
houe (sarclages) labour du sol charrue araire traction animale
Faible à très faible entraide amélioration avec culture attelée (CA)
Moyenne à faible
(fertilité)
travail intensif 6-8 h./jour par périodes (morte saison)
appropriation individuelle des terres de culture prêts de terre chef de terre
faibles attelage bétail matériel de culture
Système IV Système à récolte annuelle agriculture fixée
traction animale traction mécanique sarclages – labour fertilisation minérale
S’améliore avec le recours à la CA et la traction mécanique
Moyenne à forte
travail très intensif 10-12 h./jour cultures pour animaux
vente – achat – location de terre disparités sociales
forts terre élevage équipement traction
d
< 10
64
256
R
10
33
66
100 Système V
Système de culture à récoltes multiples/an
labour du sol sarclages irrigation fertilisation traction animale et mécanique
Moyenne à faible Forte à très forte
travail très intensif peu de temps morts
coût très élevé de la terre paysans sans terre
variable terre matériel
Figure 2.1 : Evolution des systèmes agraires et pression démographique (source : Boserup, 1965 ; Ruthenberg, 1980 ; Pingali et al., 1987 ; Jouve, 1998)
Evo
lutio
n de
la d
ensi
té d
e po
pula
tion
d (h
abita
nts/
km2 )
28
Dans le tableau 2.1, ces deux variables sont représentées pour les quatre villages étudiés. Les facteurs R ont été estimés à partir de la moyenne du nombre d’années de
culture et de jachère pratiquée par les paysans. Il s’agit d’un chiffre qui est difficile à estimer, dû au fait que les paysans ont des difficultés à se souvenir du nombre
d’années pendant lesquels ils ont laissé leurs parcelles en jachère. La décision de reprise d’une jachère est plutôt établie à la suite de l’apparition de certaines plantes
dans la végétation. Il en va de même pour le nombre d’années pendant lesquelles ils ont cultivé ou comptent cultiver une parcelle. La décision d’abandon de celle-ci est prise en fonction de sa fertilité.
Pour le calcul du facteur R, un problème se pose au niveau des parcelles de bas-fonds
qui sont mises en valeur continuellement, sans jachère. Ce système de culture fixe correspond à un facteur R de 100 %. Il en va de même pour les vergers de manguiers et d’anacardiers. Puisque cette fixation des cultures est un phénomène important dans
le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois, nous avons adapté le calcul du facteur R afin d’intégrer cet aspect. Soit f la proportion de la superficie cultivée en
cultures fixes, nous calculons R par la moyenne des R calculés pour les cultures itinérantes et fixes (R = 100), pondérée par les superficies relatives :
100)1()1( ×+×−=×+×−= fRfRfRfR sitinéranteculturesfixesculturessitinérantecultures (2.2)
Tableau 2.1 : Taux d’accroissement de la population c et relation entre la densité démographique d et le facteur R pour quatre villages dans la région de Dikodougou Village Croissance
démographique c Densité (hab./km2) démographique d
Rcultures itinérantes
R
Tapéré - 37 % a 14 b 12 b 16 b
Ouattaradougou 421 % a 17 b 24 b 24 b
Farakoro 142 % a 31 c (28 b) 27 b 28 b
Tiégana - 20 % a 38 d (40 b) 31 b (32 d) 39 b a calcul basé sur les données de population de 1975 à 1990, transmises par la sous-préfecture de
Dikodougou b estimation pour 1997 basée sur les données du projet IDESSA-KUL, 1998 c estimation pour 1997 effectuée par Poppe (1998) à base d’un recensement démographique et des
photos aériennes d estimation pour 1998 faite à base d’un recensement démographique et une carte du terroir, fournie
par le chef du village de Tiégana
29
Alors que les villages de Tapéré et Tiégana dans le nord de notre zone d’étude sont caractérisés par un taux de croissance démographique négatif, les villages au Sud
présentent des taux de croissance considérables (tableau 2.1). La figure 2.2 montre que cette « explosion » apparaît à partir des années ’85. Seydou (1993) mentionne la
création entre 1988 et 1992 de nombreux campements. Pour Farakoro, le rapport de Poppe (1998) parle d’une stagnation de la population pendant les dernières années due
à une saturation du terroir (figure 2.2). 19 % des agriculteurs interrogés déclarent aussi posséder un « grand champ »1 en dehors du terroir villageois.
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
1800
2000
1975 1980 1985 1988 1990 1995 1997
Pop
ulat
ion
(hab
itant
s)
OuattaradougouFarakoroBissidougouGbondougouBoron
Figure 2.2 : Evolution de la population dans quelques villages au Sud de la sous-préfecture de Dikodougou (source : sous-préfecture de Dikodougou)
Poppe (1998) et Touré (1998) décrivent comment la partie sud a été progressivement colonisée par des migrants à partir de la fin des années ’60. Le mouvement du front pionnier vers le Sud qui en résulte se déplacerait à une vitesse de 50 km en 25 ans et
se trouverait actuellement dans le département Mankono au Sud de notre zone d’étude (Poppe, 1998). Les villages Farakoro et Ouattaradougou sont donc composés pour une
large part d’immigrants venant du nord de la Côte d’Ivoire (Dikodougou, Napié, Guiembé, Boundiali, …) et même du Mali. Outre une faible proportion de Maliens (9
%), le groupe ethnique Sénoufo est le plus représenté (91 %). Les exploitations autochtones ne représentent que 9 % (Farakoro) et 8 % (Ouattaradougou) de la
population totale, alors qu’au Nord, ce pourcentage est de 97 % (Tapéré) et 91 %
(Tiégana) (Touré, 1998).
1 l’appellation utilisée par les agriculteurs pour une mise en culture en dehors du terroir villageois
30
Il en résulte que les villages du Sud sont relativement récents par rapport aux villages du Nord. D’après Poppe (1998), le village de Farakoro a été créé en 1962-1963. Il en
va autrement pour la partie Nord, où nos propres enquêtes ont démontré que l’effervescence guerrière sous la conduite de Samory à la fin du dix-neuvième siècle
est encore présente dans la mémoire des villages. Rappelons-nous la répercussion de ce fait historique sur la distribution géographique de la population, notamment
l’adoption de l’habitat groupé. Ce phénomène a des conséquences importantes sur les agroécosystèmes villageois. En outre, il accentue la pression foncière « ressentie » par les habitants, contrairement à une organisation à habitats dispersés. Deux effets
semblent dominer l’explication : une baisse de la fertilité plus importante des champs aux alentours du village et l’éloignement progressif qui en résulte, nécessaire pour
trouver de nouvelles terres à défricher. Deuxièmement, la fonction de tarfolo semble se justifier et se maintenir dans l’organisation du terroir (paragraphe 1.2.1).
La disponibilité de terre au Nord se présente comme une constante. Les seules possibilités d’expansion sont une diminution de la jachère et une mise en valeur des
bas-fonds, jusqu’à maintenant relativement peu exploités. Au Sud, l’offre en terre paraît encore élastique. A Ouattaradougou, 32 % de la superficie des parcelles résulte
d’un défrichement d’une forêt vierge. Dans le village de Farakoro, suite à un début de saturation, ce taux ne représente que 4 % de la superficie totale. Ce constat nous mène à un septième élément de différenciation spatiale, à côté des six critères développés
dans le paragraphe 1.2.1. Tant qu’il existe une telle élasticité comme au Sud, la pression foncière ne sera pas « sentie » pleinement par les villageois. Ceci change dès
que l’équilibre est atteint suite à une saturation de l’espace. Dans le tableau 2.2 nous avons résumé les caractéristiques des quatre agroécosystèmes villageois.
Tableau 2.2 : Principales caractéristiques des quatre agroécosystèmes villageois Village Histoire d Migrations Expansion
Tapéré longue (avant fin 19e siècle)
faible et décroissante
faible émigration
faible expansion par défrichement des
bas-fonds Ouattaradougou récente
(années ’60)
moyenne et fort croissante
forte immigration
en pleine expansion expansion par défrichement des
forêts vierges Farakoro récente
(années ’60)
forte et légèrement croissante
immigration stabilisée
vers saturation expansion par défrichement des
forêts vierges Tiégana longue
(avant fin 19e siècle)
forte et légèrement décroissante
très faible émigration
faible expansion par défrichement des
bas-fonds (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998 ; Poppe, 1998 ; Touré, 1998)
31
Suivant l’ouvrage de Boserup et d’autres ouvrages sur l’Afrique subsaharienne, nous avons retenu la densité démographique comme facteur clé de l’évolution des
agroécosystèmes villageois. Nous avons rangé les quatre situations agraires par ordre croissant de pression foncière dans le tableau 2.2. Selon la figure 2.1 et d’après les
facteurs R que nous avons calculés, les quatre agroécosystèmes villageois se trouveraient dans le système II et à l’interface des systèmes II et III, soit un passage
d’un système à jachère buissonnante à un système à jachère herbacée. C’est sur cette transformation que la partie 2.4 se concentrera.
32
2.3.3 La variabilité des prix agricoles
La variabilité des prix agricoles est une expression fréquemment utilisée pour illustrer
le contexte d’incertitude dans lequel l’agriculteur se trouve. S’agit-il de la variation saisonnière des prix des produits agricoles, phénomène bien connu et communément
mis à profit via le stockage spéculatif, ou s’agit-il plutôt de la variation cyclique, née de la lenteur d’adaptation de la réaction paysanne aux signes du marché? Finalement,
on peut se demander s’il ne vaut pas mieux prendre en compte la variation aléatoire, qui est la partie des fluctuations des prix qui reste inexpliquée par les phénomènes économiques précédents, après élimination de toutes les autres variations.
Ce paragraphe vise donc à identifier les variations des principaux produits agricoles
pour en tirer des conclusions concernant les risques de prix auxquels sont exposés les agriculteurs. Le projet a rassemblé les prix hebdomadaires sur les marchés de Dikodougou et de Farakoro pendant trois ans, une période trop courte pour calculer
les variations saisonnières et cycliques. Néanmoins, nous disposons d’une série de prix de 1987 à 1998 des grossistes et des détaillants du marché de Korhogo, mise à
notre disposition par l’OCPV (Office d’aide à la Commercialisation des Produits Vivriers) de Korhogo. En effet, pour la région Nord de la Côte d’Ivoire, ainsi que
notre zone d’étude, le marché de Korhogo et, dans un moindre degré, le marché de Bouaké, sont les principaux centres de groupage et de réexpédition des produits agricoles. Dans le paragraphe 2.3.4 nous allons démontrer qu’il existe une bonne
intégration entre les marchés de Dikodougou et le marché de Korhogo, de sorte que les prix de gros et de détail observés à Korhogo reflètent les mêmes fluctuations qu’à
Dikodougou. Cependant, les prix à Korhogo, puisque les offreurs et les demandeurs sont plus concentrées, connaissent un cours un peu plus stabilisé que ceux à
Dikodougou. Par conséquent, les indices de variation « sous-estimeront » la vraie variation en milieu rural.
Pour l’analyse, nous utiliserons les prix de gros puisque ce sont ceux qui se trouvent
« le plus proche » des prix obtenus par les paysans. Dans une première étape, les
séries des prix nominaux sont « nettoyés » des effets d’inflation. Pour cela, les prix sont divisés par l’indice à la consommation, représenté dans le tableau 1 de l’annexe n° 1. Les prix obtenus sont les prix réels, calculés en franc constant, avec comme base
la période novembre 1992 - octobre 1993. Dans les figures 2.3 et 2.4 les prix réels des
principales variétés d’igname, du riz, du maïs et de l’arachide sont représentés.
33
Bètè-Bètè Florido Krenglè
FCFA
/kg
0
50
100
150
200
250
300
0
50
100
150
200
250
300
janv-87 janv-88 janv-89 janv-90 janv-91 janv-92 janv-93 janv-94 janv-95 janv-96 janv-97 janv-98
Figure 2.3 : Prix* réels (en FCFA/kg) des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 – 1998
Maïs Riz Arachide
FCFA
/kg
0
50
100
150
200
250
300
0
50
100
150
200
250
300
janv-87 janv-88 janv-89 janv-90 janv-91 janv-92 janv-93 janv-94 janv-95 janv-96 janv-97 janv-98
Figure 2.4 : Prix* réels (en FCFA/kg) du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998 Ces graphiques donnent déjà une première impression concernant la tendance et les
variations saisonnières. Pour l’arachide par exemple, la récolte commence en juin-
34
juillet et c’est à ce moment que les cours atteignent leur maximum. L’analyse des prix réels est basée sur le modèle classique, un modèle multiplicatif décomposant les séries
en quatre composantes (Scott, 1995) :
RSCTP ×××= (2.3) avec T = tendance (en FCFA/kg)
C = composante cyclique (sans dimension) S = composante saisonnière (sans dimension)
R = composante irrégulière (sans dimension)
Dans la deuxième étape nous éliminons la variation saisonnière des prix réels en calculant la moyenne mobile centrée1, représentée par le symbole MMCi
12. La courbe qui en résulte n’est composée que de la tendance et de la composante cyclique :
iii CTMMC ×=12 (2.4)
Cette moyenne a été représentée dans les figures 2.5 et 2.6. Les tendances ainsi que les variations cycliques ressortent nettement. La dévaluation du FCFA (Franc CFA),
qui a eu lieu le 11 janvier 1994, semble causer une distorsion nette au niveau de la tendance linéaire à la baisse des prix réels. Cependant, la dévaluation est encore trop
récente pour connaître déjà la réaction au niveau de la tendance. Les cours semblent insinuer une remontée, mais il est également possible qu’après une période de transition à court terme, un « choc », les prix réels poursuivent leur tendance à la
baisse. La recherche d’une tendance linéaire a donc peu de sens, sauf si elle est faite en deux parties, notamment une partie avant et une après la dévaluation, et si la
période de post-dévaluation est assez longue pour en isoler la tendance des prix réels. Néanmoins, la période avant la dévaluation semble être caractérisée par une tendance
linéaire à la baisse des prix réels des produits agricoles, sauf pour les variétés d’igname Florido et Bètè-Bètè.
1 La MMCi
12 est la moyenne des prix d’un intervalle de 12 mois, centrée dans cet intervalle. C’est-à-dire, qu’elle est placée dans la moitié du sixième mois, où elle représente la moyenne des six mois précédents et des six mois suivants. Elle est appelée « mobile » parce qu’elle est calculée pour des intervalles qui se déplacent mois après mois (i = 1,…n). Un grand avantage d’un intervalle de 12 mois, c’est l’élimination complète d’effets saisonniers, désignée par le terme anglais « smoothing ».
35
Bètè-Bètè Florido Krenglè
FCFA
/kg
0
50
100
150
200
250
0
50
100
150
200
250
janv-87 janv-88 janv-89 janv-90 janv-91 janv-92 janv-93 janv-94 janv-95 janv-96 janv-97 janv-98
Figure 2.5 : Moyenne mobile centrée et tendance des prix* réels (en FCFA/kg) des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998
Maïs Riz Arachide
FCFA
/kg
0
50
100
150
200
250
0
50
100
150
200
250
janv-87 janv-88 janv-89 janv-90 janv-91 janv-92 janv-93 janv-94 janv-95 janv-96 janv-97 janv-98
Figure 2.6 : Moyenne mobile centrée et tendance des prix* réels (en FCFA/kg) du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998
36
La variation cyclique des prix peut être définie comme une fluctuation systématique qui se répète après un certain intervalle de temps. La durée du cycle est mesurée en
prenant l’intervalle entre un pic (ou creux) et le prochain pic (ou creux). Les pics sont indiqués au moyen d’une flèche sur les figures 2.5 et 2.6. Ainsi, les courbes semblent
insinuer des cycles de 2 à 3 ans pour le Krenglè, 4 ans pour le Florido et le Bètè-Bètè, 1,5 à 3 ans pour l’arachide et 2,5 ans pour le maïs. L’indice cyclique IC (en %) d’une
série de prix peut être calculé ainsi :
100/100/ ×==×= iiiiii TMMCCTTCIC (2.5)
Trouver une explication pour les variations cycliques est plus difficile que pour les variation saisonnières. Il en va de même pour isoler la vraie variation cyclique de la
variation irrégulière. La présence de cycles pour un produit suppose la capacité des agriculteurs à réagir aux fluctuations des prix. D’après Scott (1995), les causes
peuvent être endogènes ou exogènes. Les causes endogènes sont nées chez le producteur, qui adapte son assolement en
fonction des prix de marché. Evidemment, ceci suppose une bonne diffusion d’informations vers les producteurs. Puisque dans la réalité ceci n’est pas toujours le
cas, l’adaptation s’effectuera avec un certain délai de temps. Par conséquent, une augmentation (ou diminution) du prix d’un produit agricole sur le marché causera une
augmentation (ou diminution) de la superficie emblavée et donc de la production de ce produit et cette réaction n’aura des répercussions sur le marché qu’après un certain temps. En fonction du produit et de la vitesse de réaction des producteurs, ce délai
peut varier de moins d’une année à plusieurs années. Puisqu’il s’agit d’une multitude de producteurs qui réagissent plus ou moins au même moment, le prix n’atteindra
jamais un équilibre, mais sera caractérisé par une fluctuation cyclique autour d’une tendance (cf. le cycle du porc).
Comme causes exogènes peuvent être cités des variations climatiques ainsi que des
variations cycliques dans le marché des animaux. Ce dernier cycle est né chez les
éleveurs-vendeurs d’animaux qui augmentent leur cheptel quand le prix de la viande est élevé. Cet investissement se reflètera par une augmentation de la demande et du
prix des aliments. L’augmentation de l’offre des animaux n’aura ses répercussions sur le marché des animaux qu’après un certain délai. Elle causera une baisse du prix de la viande, une diminution de la demande et du prix des aliments, comme par exemple le
maïs.
37
Pour isoler la composante saisonnière, nous calculons l’indice saisonnier ISi en divisant les prix réels (équation 2.3) ou nominaux sur le moment i (i = 1,…, n) par la
moyenne mobile centrée sur i (équation 2.4) :
( ) ( ) 100// 12 ×=== iiiiii MMCPSRTCTCSRIS (2.6)
Outre les variations saisonnières, cet indice comprend aussi les fluctuations
irrégulières de la composante irrégulière. En prenant la moyenne de la période 1987 – 1998 pour chaque mois j d’un cycle saisonnier, nous obtenons l’indice saisonnier
moyen ISMj pour le mois j (j = 1, …, 12) du cycle. Cet indice est représenté pour les principaux produits agricoles dans les figures 2.7 et 2.8. On constate que le prix des variétés d’igname connaît des variations saisonnières plus importantes que celui des
céréales (maïs et riz) et de l’arachide. Ceci est logique puisque dans le premier cas il s’agit de produits périssables dont le coût de stockage est beaucoup plus élevé dû à
des pertes considérables. Dans les deux autres cas, les céréales ainsi que l’arachide sont plutôt considérées comme des produits semi-périssables, caractérisés par un taux
de perte moins élevé. Finalement, le logiciel STATISTICA propose une méthode afin de quantifier la
composante irrégulière. Notons qu’il s’agit d’une approche approximative qui n’a qu’un sens comparatif. Dans une première étape, un prix ajusté (PAi) est calculé en
divisant les prix réels par l’indice saisonnier moyen du mois j (j = 1, …, 12) correspondant au mois i (i = 1, …, n). Il en résulte une série où les variations
saisonnières moyennes ont été éliminées.:
j
ii ISM
PPA = (2.7)
Dans la deuxième étape, les prix ajustés sont lissés (« smoothing ») en calculant une moyenne mobile centrée sur un intervalle de cinq mois et pondérée respectivement
par les poids 1, 2, 3, 2 et 1. La composante irrégulière est ensuite « approchée » en divisant les PAi par cette moyenne mobile centrée pondérée MMCPi
5(1,2,3,2,1) :
)1,2,3,2,1(5i
ii MMCP
PAR = (2.8)
38
Bètè-Bètè Florido Krenglè
%
70
80
90
100
110
120
130
140
70
80
90
100
110
120
130
140
Janv Févr Mars Avril Mai Juin Juil Août Sept Oct Nov Déc
Figure 2.7 : Indice saisonnier moyen (en %) des prix* des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998
Maïs Riz Arachide
%
70
80
90
100
110
120
130
140
70
80
90
100
110
120
130
140
Janv Févr Mars Avril Mai Juin Juil Août Sept Oct Nov Déc
Figure 2.8 : Indice saisonnier moyen (en %) des prix* du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998
39
Bètè-Bètè Florido Krenglè
0.6
0.7
0.8
0.9
1
1.1
1.2
1.3
1.4
0.6
0.7
0.8
0.9
1
1.1
1.2
1.3
1.4
janv-87 janv-88 janv-89 janv-90 janv-91 janv-92 janv-93 janv-94 janv-95 janv-96 janv-97 janv-98
Figure 2.9 : Composante irrégulière des prix* des principales variétés d’igname pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998
Maïs Riz Arachide
0.6
0.7
0.8
0.9
1
1.1
1.2
1.3
1.4
0.6
0.7
0.8
0.9
1
1.1
1.2
1.3
1.4
janv-87 janv-88 janv-89 janv-90 janv-91 janv-92 janv-93 janv-94 janv-95 janv-96 janv-97 janv-98
Figure 2.10 : Composante irrégulière des prix* du maïs, du riz et de l’arachide pendant la période 1987 – 1998 sur le marché de gros de Korhogo (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 – 1998
40
Dans la figure 2.9 et 2.10, les composantes irrégulières des principaux produits agricoles sont représentés. Notons qu’ils ont été obtenus par une division de deux
prix, de sorte qu’ils n’ont pas de dimensions. Parallèlement aux observations faites concernant l’indice saisonnier, on observe une fluctuation aléatoire plus importante
pour les variétés d’igname par rapport aux produits maïs, riz et arachide. Une explication possible est le fait que ces derniers produits sont plus « standardisés ». Les
mêmes mesures (sac, cuvette, coupelle, …) au moyen desquelles ils sont commercialisés se retrouvent partout, de sorte que la diffusion du prix se fait plus efficacement. L’igname par contre est commercialisée par tas, méthode qui ne facilite
pas la comparaison des prix. Il en résulte que son prix connaît des fluctuations à court terme plus importantes.
Enfin, la figure 2.11 représente l’évolution des prix réels du coton payés par la CIDT (Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles) aux agriculteurs pendant
la période 1990 – 1998.
Coton (1e choix)Coton (2e choix)
FCFA
/KG
50
70
90
110
130
150
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998
Figure 2.11 : Prix réels (en FCFA/kg) du coton payés par la CIDT (Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Textiles) aux agriculteurs (source : données IDESSA-KUL, 1998)
41
La CIDT permet aux agriculteurs d’acheter les intrants à crédit, notamment les engrais, les herbicides et les pesticides. L ‘accès au matériel de culture attelée est
aussi possible par un crédit accordé par la CIDT. Les semences du coton sont fournies gratuitement par la CIDT. En échange les paysans sont obligés de leur vendre le
coton. Des camions en assurent le ramassage. Un fait important pour notre analyse est que le coton est payé à un prix national, connu d’avance. Par conséquent la culture du
coton n’implique aucun risque sur le prix. L’absence d’une variation saisonnière ainsi que d’une composante irrégulière limite les risques jusqu’aux risques techniques (semences tardives, mauvais démariage, …) et aux risques climatiques. Un deuxième
avantage de la culture du coton est le fait que la vente se pratique en une seule fois, diminuant considérablement le temps et le coût de commercialisation. Sur ce point, le
coton s’oppose aux vivriers. La vente des vivriers se fait soit en petites quantités (cuvettes, tas, …), transportées par le paysan au marché, soit en grandes quantités aux grossistes ou aux collecteurs (Demont, 1997a). Ces formes de commercialisation
impliquent un risque de prix considérable.
Le tableau 2.3 résume les caractéristiques que nous devons prendre en compte en analysant les cours des prix réels des principaux produits agricoles commercialisés
dans la région de Dikodougou.
Tableau 2.3 : Caractéristiques des prix réels des principaux produits agricoles Variation saisonnière Produit Tendance1
(coefficient β) Variation cyclique2 Amplitude4 Minimum5 Maximum6
Variation irrégulière3
Bètè-Bètè 0,347 4 ans 44,1 % mars août 4,73 % Florido 0,160 4 ans 55,0 % mars août 8,44 % Krenglè -0,480 2 à 3 46,1 % décembre juillet 5,22 % Kponan7 -0,590 2 à 3,5 40,8 % octobre juillet-août 4,57 % Assawa8 -0,910 2 à 3 51,9 % nov-déc juillet 3,45 % Maïs -0,340 2,5 33,7 % novembre juin 3,43 % Riz -0,500 . 6,7 % novembre-avril sept 1,87 % Arachide 0,032 1,5 à 3 32,5 % octobre juillet 3,30 % Coton 0,926 - 0 % - - 0 % (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) * données OCPV, 1987 - 1998
1 La tendance a été approchée au moyen d’une régression linéaire, dont β représente le coefficient directeur de la droite. S’il s’est avéré significatif (α = 5 %), il est mis en caractère gras. 2 Pour la variation cyclique, la période d’un cycle complet (en ans) a été estimée. 3 la différence absolue moyenne entre 1 et l’indice irrégulier 4 indice saisonnier moyen maximal – indice saisonnier moyen minimal 5 le mois où l’indice saisonnier moyen est minimal 6 le mois où l’indice saisonnier moyen est maximal 7 une variété d’igname précoce 8 une variété d’igname précoce
42
Peut-être cette analyse semble-t-elle un peu éloignée de l’aspect « évolution des systèmes agraires ». Néanmoins, elle nous semble fondamentale à la compréhension
de l’évolution que nous observons. Dans beaucoup de rapports, les raisonnements sont basés sur un « prix moyen » du type « les vivriers sont devenus plus intéressants
depuis la dévaluation ». Or, ce qui est souvent négligé, c’est la variabilité autour de la tendance, qui peut avoir une influence beaucoup plus importante sur les décisions des
agriculteurs. L’aversion aux risques des agriculteurs, est un aspect non négligeable qui en constitue la base. Le coût de la commercialisation est un deuxième aspect souvent négligé.
En comparant les différents produits dans le tableau 2.3, il est facile de comprendre le
succès qu’a connu le coton depuis la fondation de la CIDT. D’abord, l’absence de variation cyclique, saisonnière ou irrégulière élimine complètement le risque de prix. En plus elle implique un écoulement sûr, immédiat et efficace, ce qui réduit
énormément les coûts de commercialisation. Finalement, elle permet un accès facile aux intrants dont les effets rémanents dans le sol profitent aux cultures vivrières1.
La variation du prix des produits vivriers justifie le succès du coton. Parmi les
vivriers, les céréales (maïs et riz) et l’arachide sont caractérisées par une variation moins importante par rapport à l’igname dont le prix semble exposé à des variations saisonnières ainsi qu’irrégulières d’une amplitude importante. Rappelons-nous que la
variation saisonnière est bien connue et même mise à profit par les agriculteurs par le stockage spéculatif. Ce sont donc surtout la composante cyclique à long terme et la
composante irrégulière à court terme qui seront ressenties par le paysan comme variabilité.
Nous attendons donc que, indépendamment d’autres facteurs, une augmentation des
prix agricoles aura plus de répercussions sur l’offre des produits dont le prix est caractérisé par une variabilité plus faible, comme par exemple le coton, le riz, le maïs et l’arachide. Cependant, outre la variabilité, il existe de nombreux autres
facteurs qui entrent en jeu : la fertilité des sols, l’exigence des cultures (eau, fertilité, travail), le degré de commercialisation, le degré de faiblesse dans la négociation du
prix avec les commerçants (Demont, 1997a), etc.
1 Ce phénomène peut être contesté et a donné la naissance à deux thèses opposantes : la thèse de la complémentarité et celle de la compétition (Bassett, 1988a). Ces deux théses sont discutées ultérieurement (paragraphe 2.5.6).
43
2.3.4 L’accès au marché
Outre la pression démographique, l’accès au marché a été retenu par Boserup (1965)
comme deuxième principal facteur de l’évolution des systèmes agraires. Il s’agit d’un terme fréquemment utilisé de sorte qu’il nous semble indispensable de le définir et de
le quantifier. S’agit-il de l’accessibilité ou de la distance entre le paysan, la route et le marché le plus proche ou bien des coûts de transport, de la relation paysan –
collecteur, de la performance du système de commercialisation ou du degré de commercialisation?
Quelque soit la définition adoptée, un « bon » ou « mauvais » accès au marché se reflètera toujours par une bonne ou mauvaise intégration de deux marchés. Le premier
marché est représenté par le paysan ou le groupement de paysans. Le deuxième consiste en un collecteur, un grossiste ou bien un véritable marché comme le marché rural ou urbain.
L’intégration des marchés, représentant l’indicateur par excellence pour juger la
performance1 du système de commercialisation, peut être définie ainsi : « Deux marchés sont intégrés si les différences de prix entre ces marchés ne dépassent pas les
coûts de transaction, y compris les coûts de transport. » (Tollens, 1995). Au fur et à mesure que le nombre d’opérateurs et de transactions commerciales de produits entre deux marchés augmente, les différences de prix entre ces marchés se nivellent sur la
base d’une marge incompressible : le coût de la commercialisation. Tant que les différences de prix excèdent ce coût, des opportunités de spéculation se présentent et
incitent des spéculateurs à leur mise à profit. Dans une situation idéale de concurrence parfaite, les différences reflètent les coûts de commercialisation.
Même si le modèle de concurrence parfaite n’est pas applicable, comme dans le cas de Dikodougou, un bon drainage d’un produit entre deux marchés se traduira par une
corrélation élevée entre les prix du produit sur ces marchés. Une augmentation de la
demande d’un produit dans le marché 2 par exemple, entraîne une hausse du prix sur
le marché. Cette hausse incite les opérateurs à augmenter leurs transactions entre le marché 2 et un autre marché fournisseur du produit, par exemple le marché 1. Ce dernier marché se trouve confronté à une demande accrue, ce qui fait augmenter le
prix sur le premier marché. La vitesse d’adaptation dépendra de la performance du
système de commercialisation mis en place entre les deux marchés.
1 La performance à son tour est dépendante de toute une série d’indicateurs rassemblés dans le modèle « Structure, comportement et performance » de Bain, Pritchard et Sherer (Demont, 1997a).
44
Une analyse de corrélation des prix constitue une des méthodes qui permettent de mesurer cette performance et donc l’intégration des marchés. Entre les autres
méthodes, nous citons la méthode de Ravaillon (Dissou, 1991) et la méthode de cointégration (Demont, 1997b) qui ont été appliquées sur la commercialisation du
maïs respectivement au Bénin et en Côte d’Ivoire. Quoique ces dernières méthodes soient plus précises quant au calcul de l’intégration des marchés, nous sommes
contraints d’utiliser la méthode de corrélation des prix pour deux raisons. D’abord, nous ne disposons pas de séries de prix hebdomadaires pour le marché de Korhogo, conseillés pour la méthode de Ravaillon. Deuxièmement, pour la méthode de
cointégration, étant une « analyse de long terme », les séries de prix des marchés de Dikodougou qui sont étalées sur trois ans, sont trop courtes.
Nous proposons donc de quantifier l’accès au marché par le biais de l’intégration du système de commercialisation. D’ailleurs le concept « accès au marché », ne peut pas
être limité à la performance d’un seul marché, mais il est le résultat des interactions de tout un réseau de commercialisation qui absorbe la production locale. Dans ce réseau,
les marchés centraux de Korhogo et de Bouaké occupent une place importante comme maillon central de groupage et de réexpédition de la production agricole de la région
Nord. Par conséquent, le degré d’intégration de ces marchés dans le réseau de commercialisation influence beaucoup sur « l’accès au marché » auquel le paysan est confronté.
Les marchés de la sous-préfecture de Dikodougou sont du type rural hebdomadaire.
Chacun des marchés intéresse un certain nombre de villages en fonction de la distance et du mode de déplacement (à pied et à vélo). Les jours de marché coïncident avec les
jours de repos des paysans de la localité où ils se tiennent. Seydou (1993) distingue sept marchés, dont ceux de Dikodougou et de Farakoro sont les plus importants. Le marché hebdomadaire de Dikodougou est organisé tous les sept jours. Il est fréquenté
par les habitants des villages aux alentours, comme Tapéré qui se trouve à 10 km. Les
villageois de Tiégana se rendent plutôt vers le marché hebdomadaire de Guiembé à 3
km de Tiégana, qui a lieu tous les six jours. Par conséquent, ce marché est fréquenté pendant 17 % plus de jours par rapport à celui de Dikodougou. Le marché de Farakoro est approvisionné par Farakoro et les villages aux alentours. Le village de
Ouattaradougou enfin ne possède pas un véritable marché. Néanmoins, des grossistes
ruraux se sont installés au village. En plus, le village se trouve à 15 km du marché
hebdomadaire de Tortiya. La figure 2.12 représente la répartition géographique des principaux marchés en interaction avec notre zone d’étude.
45
Figure 2.12 : Répartition géographique des principaux marchés du réseau de commercialisation en interaction dans la région de Dikodougou (source : Demont, 1997a ; Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
Les enquêtes nous ont révélé un huitième critère de différenciation1, basée notamment sur le réseau de commercialisation (flèches sur la figure 2.12). Ainsi, la partie nord
(Tapéré, Tiégana) de notre zone d’étude est surtout intégrée au marché central de Korhogo, alors que la partie sud (Farakoro, Ouattaradougou) approvisionne
aussi bien le marché de Korhogo, que les marchés du circuit Tortiya – Katiola – Bouaké.
Pour mesurer l’intégration du réseau de commercialisation, nous disposons d’une part des séries de prix mensuels du marché central de Korhogo : il s’agit des prix de gros
et de détail de 1987 jusqu’en juin 1998. Les grossistes ont été identifiés comme maillons principaux dans l’approvisionnement et la redistribution de produits entre les
marchés (Demont, 1997a). Par conséquent, les prix de gros reflèteront plutôt les adaptations interrégionales des prix par rapport aux prix de détail, ces derniers prix étant dérivés des prix de gros. Les prix de gros ont été relevés chez les grossistes trois
fois par semaine par l’OCPV.
1 à côté des sept critères développés dans le paragraphe 1.2.1 et 2.3.2
Tiégana
Tapéré
Ouattaradougou
Farakoro
Marché central (journalier) de Korhogo
Marché hebdomadaire (6 j.) de Guiembé
Marché hebdomadaire (7 j.) de Dikodougou
Marché hebdomadaire (7 j.) de Farakoro
Marché hebdomadaire (7 j.) de Tortiya
Marché central (journalier) de Katiola
Marché central (journalier) de Bouaké
46
D’autre part, nous disposons d’une série de prix hebdomadaires sur les marchés de Dikodougou et de Farakoro collectée par le projet IDESSA-KUL durant la période
1995 – 1998. Le prix d’achat et de vente des grossistes ainsi que le prix de vente des détaillant(e)s ont été recensés. Nous avons retenu comme variable le prix d’achat par
les grossistes. Ce prix est plus intéressant dans la mesure où il se rapproche des prix « bord de champ » obtenus par le paysan. Pour Ouattaradougou, à cause de l’absence
d’un marché, les grossistes rurales fixés au village, formant « un marché rural de gros », ont été recensés pendant deux ans. Nous disposons donc des prix d’achat des grossistes de ce village.
Enfin, pour mesurer l’intégration, nous calculons pour chaque produit le coefficient de
corrélation entre les prix sur deux marchés différents. En prenant seulement les combinaisons de marchés situés dans notre zone d’étude, nous obtenons l’intégration interne de la région de Dikodougou, représentée dans le tableau 2.4. Le tableau 2.5
représente l’intégration externe, notamment l’intégration entre la zone d’étude et le
marché central de Korhogo. Les coefficients de corrélation non significatifs (α = 5 %)
sont mis entre parenthèses. Pour chaque coefficient, le nombre d’observations (n) et la valeur p (P-value) sont représentés. La figure 2.13 est une représentation
géographique des valeurs dans les tableaux 2.4 et 2.5.
Tableau 2.4 : Intégration interne entre trois marchés dans la région de Dikodougou
Intégration (coefficient de corrélation) Produit Dikodougou - Farakoro Farakoro – Ouattaradougou Dikodougou - Ouattaradougou
Krenglè 0,9451 n = 67 ; p = 0,000
0,8824 n = 65 ; p = 0,000
0,9368 n = 61 ; p = 0,000
Wacrou 0,7523 n = 11 ; p = 0,008
. .
Florido 0,8336 n = 35 ; p = 0,000
0,7553 n = 28 ; p = 0,000
0,7027 n = 27 ; p = 0,000
Bètè-Bètè 0,8651 n = 31 ; p = 0,000
0,6181 n = 25 ; p = 0,001
0,6868 n = 24 ; p = 0,000
Riz 0,7619 n = 58 ; p = 0,000
0,8290 n = 30 ; p = 0,000
0,6159 n = 41 ; p = 0,000
Riz local blanchi 0,9385 n = 44 ; p = 0,000
0,7879 n = 12 ; p = 0,002
0,6844 n = 13 ; p = 0,010
Maïs 0,8370 n = 94 ; p = 0,000
0,7098 n = 65 ; p = 0,000
0,7441 n = 53 ; p = 0,000
Arachide 0,9779 n = 64 ; p = 0,000
(0,9436) n = 4 ; p = 0,056
0,9712 n = 9 ; p = 0,000
Anacarde . . 0,7829 n = 15 ; p = 0,001
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
47
Tableau 2.5 : Intégration externe entre les trois marchés dans la région de Dikodougou et le marché central de Korhogo
Intégration (coefficient de corrélation) Produit Dikodougou - Korhogo Farakoro – Korhogo Ouattaradougou - Korhogo
Krenglè 0,8625 n = 21 ; p = 0,000
0,8733 n = 18 ; p = 0,000
0,8724 n = 14 ; p = 0,000
Florido 0,8198 n = 14 ; p = 0,000
0,7518 n = 15 ; p = 0,001
0,7968 n = 9 ; p = 0,010
Bètè-Bètè 0,6119 n = 12 ; p = 0,034
(0,4861) n = 11 ; p = 0,130
(0,6937) n = 8 ; p = 0,056
Riz 0,6980 n = 20 ; p = 0,001
0,7959 n = 27 ; p = 0,000
0,8001 n = 15 ; p = 0,000
Riz local blanchi 0,7198 n = 18 ; p = 0,001
0,6711 n = 19 ; p = 0,002
(0,5002) n = 12 ; p = 0,098
Maïs 0,5932 n = 30 ; p = 0,001
0,8069 n = 35 ; p = 0,000
0,9499 n = 19 ; p = 0,000
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998 ; données OCPV, 1987 - 1998)
Figure 2.13 : Représentation graphique de l’intégration du réseau de commercialisation Dikodougou – Korhogo pour six produits (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998 ; données OCPV, 1987 - 1998)
KORHOGO Krenglè
DIKODOUGOU
FARAKORO
OUATTARADOUGOU
KORHOGO Florido DIKODOUGOU
FARAKORO
OUATTARADOUGOU
KORHOGO Bètè-Bètè DIKODOUGOU
FARAKORO
OUATTARADOUGOU
KORHOGO Riz DIKODOUGOU
FARAKORO
OUATTARADOUGOU
KORHOGO Riz local blanchi
DIKODOUGOU
FARAKORO
OUATTARADOUGOU
KORHOGO Maïs DIKODOUGOU
FARAKORO
OUATTARADOUGOU
LEGENDE 0,7 ≤ corr. < 0,8
pas de ligne : corrélation < 0,7, inconnue 0,8 ≤ corr. < 0,9
ou pas significative (α = 5 %) 0,9 ≤ corr. < 1
48
Les tableaux 2.4, 2.5 et la figure 2.13 nous montrent que l’intégration du système de commercialisation de l’igname varie d’une variété à l’autre. Le réseau du Krenglè se
révèle comme le plus intégré. La région Sud semble y occuper une place importante. Nous verrons plus loin que le Krenglè est la variété dominante à Ouattaradougou. Le
système du Florido, quoique moins intégré, semble plutôt être axé sur les villages à haute densité démographique, notamment Farakoro et Dikodougou. La faible
intégration du réseau du Bètè-Bètè enfin, s’oppose aux variétés précédentes. Pour les céréales, les calculs insinuent une bonne intégration externe entre le Sud et le
marché de Korhogo, surtout pour le maïs. Les enquêtes avec les grossistes venant de Korhogo, Guiembé et Dikodougou ont effectivement montré que c’est surtout le Sud,
et plus spécifiquement les villages de Farakoro et de Ouattaradougou, qui est fréquenté pour l’approvisionnement en maïs.
Même si les produits vivriers se caractérisent par un bon accès au marché, le coton les surpasse encore par un accès supérieur dans un double sens. Premièrement, l’achat du
coton se fait en une seule fois par les camions de la CIDT. Ce mode de vente est perçu par le paysan comme très efficace. Le temps de vente reste limité, ainsi que le coût de
commercialisation. Deuxièmement, la culture du coton permet un accès facile aux crédits de campagne (intrants) puis aux crédits pluriannuels (équipement) fournis par la CIDT.
Deux séries de prix, non obtenues, auraient pu affiner notre analyse. D’abord les prix
sur le marché de Guiembé auraient été intéressants puisqu’il s’agit d’un marché fréquenté par les villageois de Tiégana. Deuxièmement, nous ne disposons pas des
prix du marché central de Bouaké pour la période 1995 – 1998. Ces prix auraient permis de calculer l’intégration du deuxième circuit, représenté par la flèche descendante sur la figure 2.12, notamment le circuit Farakoro – Ouattaradougou –
Tortiya – Katiola – Bouaké.
Dans le tableau 2.6 les principaux constats entre les quatre villages sont comparés et résumés. Nous estimons qu’au Sud, l’accès au marché est renforcé par le circuit mentionné. Ainsi, nous supposons que l’accès au marché à Tiégana est plus élevé que
celui de Tapéré du fait que Tiégana se trouve à 3 km du marché de Guiembé. Par
rapport à Dikodougou, ce marché se trouve 17 km plus proche de Korhogo, il est situé
à côté d’une bonne route et il a 17 % de jours de marché de plus.
49
Tableau 2.6 : L’accès au marché de quatre villages dans la région de Dikodougou Accès au marché Village
Krenglè Florido Bètè-Bètè Riz Maïs Coton
Tiégana bon bon mauvais moyen mauvais excellent Tapéré bon bon mauvais moyen mauvais excellent
Farakoro excellent moyen mauvais moyen bon excellent Ouattara. excellent moyen mauvais bon excellent excellent
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998 ; OCPV, 1987 - 1998)
La connaissance de l’intégration du réseau de commercialisation est importante pour estimer l’impact d’une pénurie à court terme. Un système intégré doit être capable d’amortir des chocs de prix suite à des pénuries qui se produisent dans le système. Vu
l’intégration interne et externe généralement élevée que nous observons à Dikodougou, le système répond à cette condition. Toutefois, l’analyse d’intégration
ne permet pas de faire des projections à long terme.
Le fait que nous retrouvions un réseau de commercialisation intégré pour les produits Krenglè, Florido, riz et maïs insinue que ce système est déjà mis en place depuis un certain temps. Il s’agit donc de cultures considérées depuis longtemps comme
« cultures de rapports ». Alors que le Sud s’avère concentré sur le maïs comme
culture de rente, le Nord semble maintenir l’orientation traditionnelle vers l’igname.
Finalement, il nous semble indispensable de souligner le fait que l’accès au marché pour un produit est très dépendant de la disponibilité du produit. Certaines régions peuvent démontrer une intégration très faible dans le réseau de commercialisation
d’un produit, seulement à cause du fait que le produit occupe une place peu importante dans la production de sorte qu’un système de commercialisation ne s’est
pas encore mis en place. Le même raisonnement peut être fait pour une région où il y
a une faible demande pour le produit. Un circuit de commercialisation ne se met pas en place à court terme. A long terme, il s’adapte aux possibilités des différentes zones
et aux besoins de la demande. Nous proposons donc comme définition de l’accès au marché : « L’accès au marché est le résultat d’une offre, qui résulte des contraintes et
des possibilités du milieu, et d’une demande, qui résulte des besoins d’une société,
entre lesquelles s’est installé un système de commercialisation. La performance du
système de commercialisation détermine donc le degré d’accès au marché ». L’accès au marché est donc une variable tant indépendante (à court terme) que dépendante (à long terme) de l’évolution des systèmes agraires.
50
2.4 La transformation du milieu biophysique et ses conséquences culturales
2.4.1 Introduction
Dans le paragraphe 2.3, nous avons déjà souligné (figure 2.1) que les agroécosystèmes
villageois étudiés répondent essentiellement aux caractéristiques du système II (système à jachère buissonnante) et plus précisément à l’interface des systèmes II et
III (système à jachère herbacée). Il est remarquable que le passage de la houe à main à la charrue semble suivre de près le passage du système II à III. Le passage d’un
agroécosystème villageois à un autre coïncide donc avec le changement des systèmes de production.
Le principal objet de cette partie est d’expliquer une contradiction apparente : Pourquoi une technique qui permet apparemment d’économiser de la main-d’œuvre, à
savoir la charrue à traction animale, n’est pas utilisée dans le cadre des systèmes à jachère arbustive? Ces systèmes correspondent notamment à des zones à faible densité démographique et donc dépourvues de main-d’œuvre. Pourquoi la traction animale ne
devient-elle intéressante que lorsque l’intensité des cultures augmente par suite de l’accroissement démographique?
2.4.2 Impact de l’intensité des cultures sur l’enherbement et la fertilité des sols
De Rouw (1991) examine l’influence d’un raccourcissement de la jachère sur l’enherbement et la conduite des systèmes de culture. L’étude a été faite sur le riz
pluvial dans la zone forestière de la Côte d’Ivoire. Le riz pluvial est en effet très sensible à l’enherbement. Le graphique suivant est fondamental pour comprendre
l’importance d’une jachère suffisamment longue :
Figure 2.14 : Evolution d’une parcelle mise en jachère (source : De Rouw, 1991)
graines dans le sol
21 durée de la jachère (ans)
“vrais mauvaises herbes” arbres pionniers
forêt secondaire
51
Les « vraies mauvaises herbes » (herbacées vivaces, Graminées, Cypéracées, etc.) déposent leurs graines lors de la dernière mise en culture. Ce n’est qu’après 21 ans de
jachère que le nombre de ces graines par unité de surface est faible. A ce moment, les graines des arbres pionniers dominent dans le sol. Pendant les premières années après
le défrichement, les cultures, les pionniers et les rejets empêchent que les vrais mauvaises herbes dominent le champ.
La figure 2.14 illustre clairement que si la jachère est raccourcie, plus de graines survivantes resteront dans le sol. En outre, la végétation ligneuse ne sera que très peu
développée. La biomasse produite sera ainsi plus faible. Par conséquent, le feu appliqué par le paysan pour défricher sa parcelle sera moins intense et plus de graines
seront conservées. Les cultures, moins fertilisées à cause d’une plus faible quantité de cendres, seront moins compétitives et soumises à la germination et la concurrence de nombreuses mauvaises herbes. Plus les jachères courtes sont répétées, plus la
proportion des herbacées par rapport aux ligneux est grande. La fertilité du sol diminue et les cultures exigeantes (igname) sont remplacées par des cultures moins
exigeantes, comme le riz pluvial et l’arachide.
La pression foncière a une influence directe sur la durée de la jachère et la durée de la période de culture. La jachère se raccourcit et évolue d’une phase arborée vers une phase herbacée, perdant petit à petit sa capacité de contrôler les adventices. Le
sarclage et l’utilisation d’herbicides deviennent nécessaires. En même temps, la période de culture est prolongée, les risques de lessivage augmentent et la fertilité
globale baisse. Cette évolution est marquée par une modification des cultures pratiquées et notamment celles de tête de rotation.
Ruthenberg (1980) illustre graphiquement comment le raccourcissement des jachères et le prolongement des cycles de culture décalent l’équilibre de restauration de la
fertilité à un niveau inférieur (figure 2.15). Le tableau 2.7 montre que les exploitants
de Tapéré, le village à plus faible densité démographique, appliquent en moyenne une
jachère de 22 ans et une période de culture de 3 ans. Cette durée de jachère suffit justement pour restaurer une végétation ligneuse et pour contrôler la repousse des mauvaises herbes (figure 2.14). Selon les enquêtes, les agriculteurs déterminent sa
durée en fonction de l’apparition de certaines plantes. Le système d’exploitation du
sol à Tapéré se trouve donc dans un équilibre durable (I sur la figure 2.15).
52
A Ouattaradougou et Farakoro, suite à un accroissement de la population, les systèmes de culture se sont intensifiés. La période de culture a été doublée (5 à 6 ans)
et les jachères ont été raccourcies jusqu’à 18 et 16 ans (tableau 2.7). La prolongation du cycle de culture provoque une exploitation du sol plus intense, mais permet aussi
la constitution d’un stock de graines de mauvaises herbes dans le sol. Ces deux phénomènes nécessitent alors une période de jachère plus longue pour restaurer la
fertilité et contrôler l’enherbement. Pourtant, dans ces villages, la jachère est diminuée de sorte que cette restauration ne s’effectue que partiellement. Ce raccourcissement entraîne donc un déséquilibre dans l’ancien système. Ce système n’est plus capable de
se reproduire et l’équilibre se déplace de la situation I à II (figure 2.15). A Tiégana enfin, souvent une période minimale de jachère (21 ans) est respectée, mais le cycle
de culture s’est tellement prolongé (9 ans soit trois fois celui à Tapéré) que la reproduction de l’ancien système n’est plus assurée. Le changement d’équilibre qui en résulte s’accompagnera par toute une série d’adaptations des techniques de
l’exploitation de l’espace (partie 2.5), qui, à leur tour, auront des répercussions sur l’équilibre du milieu biophysique.
Figure 2.15 : Evolution de la fertilité globale à long terme lors d’un changement de l’intensité des systèmes de culture (source : Ruthenberg, 1980)
I
I
I
J C J C J C C J
C C J J C J C
Fertilité globale
Fertilité globale
Temps (ans)
Temps (ans)
3 22
6 18
53
Une telle augmentation de la durée de culture peut être accompagnée d’un apport de fertilisants afin de ne pas épuiser le sol. La végétation devient de plus en plus
herbeuse, de sorte que l’apport de nutriments au sol diminue lors du défrichement par brûlis. Il est à remarquer que les engrais doivent être bien appliqués afin d’obtenir les
effets souhaités. La capacité d’échange en cations est très basse, ce qui provoque un drainage rapide des engrais appliqués. L’apport doit donc être fractionné. Un
inconvénient est le fait que les engrais favorisent le développement des mauvaises herbes1. C’est pourquoi les paysans préfèrent, tant que la pression foncière le permet, la pratique de la jachère, aux procédés d’intensification (Poppe, 1998).
2.4.3 Une transformation du milieu biophysique
La figure 2.15 montre comment l’intensification de l’occupation du sol provoque un déséquilibre de l’ancien système (I). Un nouveau système d’occupation du sol avec un
nouvel équilibre (II) s’installe, caractérisé par une végétation plus herbeuse et une fertilité globale inférieure. Ce changement correspond au passage du système II
(système à jachère buissonnante) au III (système à jachère herbacée). Le tableau 2.1 et la figure 2.2 confirment nos observations à savoir que le système d’occupation du sol
à Tapéré s’approche le plus au système II, alors que ceux des villages de Ouattaradougou, Farakoro et Tiégana se trouvent à l’interface des systèmes II et III. Mis à part l’apparition de jachères plus herbeuses, ce changement n’est pas
visuellement frappant. En revanche, tous les mécanismes qui se mettent en marche, et qui coïncident avec cette évolution sont considérables, de sorte qu’on peut parler
d’une véritable « transformation ».
Une première conséquence est le développement intense de pointes de travail dues au sarclage (« weeding bottleneck »). De nombreuses analyses, fidèles au mode « étude de genre », signalent la correspondance entre ce « weeding bottleneck » et
l’accroissement considérable du travail féminin2 (Bigot, 1981 ; Bassett, 1988b). Malgré le fait que ce phénomène coïncide avec l’augmentation de la population et
donc de la main-d’œuvre disponible, l’offre en force de travail n’est pas capable de compenser la demande accrue. La culture manuelle se heurte à sa limite technique, privilégiant la pratique de la culture attelée parce qu’elle permet d’économiser de la
main-d’œuvre et d’augmenter la productivité du travail. Ceci explique donc la contradiction apparente postulée dans le paragraphe 2.4.1.
1 Pour les paysans, le stade final correspond à l’envahissement de la parcelle par le « chiendent » ou Imperata Cylindrica. 2 ce qui est logique compte tenu du fait que le sarclage est un travail typiquement féminin
54
Une des contraintes au développement de la culture attelée dans les systèmes à jachère arbustive est la présence de nombreuses souches d’arbres dans le sol. Le couvert
d’arbres disparaît, mais les souches sont laissées dans le sol pour que la végétation puisse se régénérer rapidement lorsque la terre sera mise en jachère. Pour utiliser la
charrue dans le cadre d’un tel système, il faudra non seulement défricher la terre, mais aussi en retirer les souches et les racines, tâche beaucoup plus ardue que le simple
défrichage de la végétation superficielle. Ceci nous révèle une deuxième conséquence du changement du milieu biophysique : au fur et à mesure que la jachère devient plus herbeuse, le développement de la culture attelée est de moins en moins limité par
le problème de dessouchage. Notons la synergie entre le système d’occupation du sol et l’igname. Cette culture est très exigeante en fertilité, de sorte qu’elle est très
présente dans les systèmes à jachère arbustive, où une période minimale de jachère est respectée pour restaurer la fertilité initiale. En même temps, beaucoup de troncs d’arbres sont disponibles pour l’igname qui les utilise comme « tuteurs naturels ».
Une troisième conséquence de l’évolution vers un système à jachère herbacée est le
développement d’un milieu propice pour l’élevage. Ainsi, les coûts d’alimentation (fourrage) des animaux sont considérablement diminués, favorisant le passage de la
houe à la charrue. Toutefois, un éventuel surpâturage peut accélérer le processus de dégradation de la fertilité des sols.
Un obstacle majeur au développement de l’élevage est constitué par la trypanosomiase, une maladie chronique transmise par la mouche Tsé-Tsé (Glossina
palpalis, Glossina morsitans). Cette mouche vit exclusivement en Afrique tropicale. Elle aime l’ombre et ne survit que sous un couvert forestier ou arbustif (Pingali et al.,
1987). Tout recul de ce couvert végétal s’accompagne d’un recul de la mouche Tsé-Tsé, par conséquent d’une réduction de l’incidence de la maladie. Ceci nous mène à une quatrième conséquence de la transformation du milieu biophysique, notamment la
réduction du couvert forestier et arbustif et la disparition de l’obstacle majeur au développement de l’élevage et de la traction animale : la trypanosomiase.
Les quatre conséquences illustrent les interactions entre le milieu biophysique et les systèmes de production qui passent d’un système manuel à la houe à un système
mécanisé par la culture attelée.
55
2.4.4 Le choix de la charrue : le résultat d’une synergie de facteurs
Le passage de la houe à main à la culture attelée résulte donc d’une synergie de
facteurs, étroitement liés à la transformation du milieu biophysique. La figure 2.16, adaptée d’après Pingali et al. (1987), résume le mécanisme qui explique la
contradiction apparente que nous avons formulée dans le paragraphe 2.4.1.
Figure 2.16 : Comparaison des coûts de travail entre la culture manuelle et la culture attelée (source : Pingali et al., 1987) La progression d’un type de matériel au suivant se produit lorsque les avantages qu’elle présente du point de vue de l’économie de main-d’œuvre dépassent les coûts
variables et les coûts fixes de l’adoption d’un nouveau type d’outillage. Les frais généraux de main-d’œuvre que suppose le passage d’un travail manuel à l’énergie
animale sont le coût de dressage des animaux, le coût du dessouchage et du nivellement des champs et le coût d’entretenir les animaux pendant toute l’année. Le coût de dressage est indépendant de l’intensité des cultures (ligne AB). Le coût du
dessouchage est extrêmement élevé dans les systèmes de jachère forestière et aux
Coût par unité d’output
Tm
Ta
F
B D A
K
C
E
G
Coût pour la préparation de la terre et le sarclage
Coût de dessouchage Coût total de l’utilisation d’animaux de trait
facteur R (Intensité de l’AESV)
R*
Tapéré Ouattaradougou, Farakoro, Tiégana
Système à jachère
forestière
Système à récoltes
multiples
Système à jachère arbustive
Système à jachère herbeuse
56
premiers stades des systèmes de jachère arbustive en raison de la haute densité des souches et de l’existence de racines nombreuses et très développées. A mesure que la
durée des jachères se raccourcit, le coût du dessouchage diminue car la densité des arbres et des racines se trouve progressivement réduite. Au stade de la jachère
herbeuse, il n’est plus nécessaire de dessoucher (ligne CD). Les coûts de l’alimentation et des soins des animaux de trait – la différence entre les lignes EF et
CDB – sont aussi élevés dans les systèmes de jachère forestière et aux premiers stades des systèmes de jachère arbustive, en raison de l’absence de pâturages et de l’incidence de maladies comme la trypanosomiase. A mesure que les jachères se
raccourcissent, des pâturages commencent à apparaître et la trypanosomiase recule, ce qui se traduit par une diminution des coûts qu’entraînent les animaux de trait. Au-delà
du stade des cultures annuelles, toutefois, les pâturages deviennent un facteur limitatif et il faut alors cultiver des plantes fourragères, ce qui entraîne à nouveau une élévation des coûts de l’alimentation des animaux de trait. Le coût total de l’utilisation
d’animaux de trait pour la préparation de la terre, le désherbage en début de saison et l’épandage de fumier est représenté par la courbe GTa.
Comme nous l’avons indiqué antérieurement, les coûts de main-d’œuvre dans le cas
d’une culture manuelle augmentent rapidement à mesure que l’intensité des cultures s’accroît. L’effort requis pour préparer la terre, désherber et maintenir la fertilité du sol (Tm) augmente. Les charrues à traction animale prédominent dès que les coûts
d’une culture manuelle (Tm) dépassent ceux d’un passage à la traction animale (Ta). Ceci est le cas dès qu’une intensité critique R* est atteinte (figure 2.16). Selon nos
observations, les villages de Ouattaradougou, Farakoro et Tiégana s’approchent de ce seuil, alors que Tapéré s’en éloigne.
2.4.5 D’autres facteurs qui entrent en jeu
Deux autres aspects du milieu biophysique influencent le choix entre la houe et la charrue. D’une part, le type de sol et les caractéristiques du terrain sont des facteurs
déterminants. Plus le sol sera lourd, plus le matériel à traction animale sera
intéressant. Des sols plus lourds feront remonter, et la courbe KTm et la courbe GTa ; mais l’augmentation est plus rapide dans le cas de la houe, ce qui repoussera vers la
gauche le seuil R*. La topographie joue aussi un rôle important. Il est plus difficile d’utiliser des animaux sur des pentes montagneuses.
57
D’autre part, la rentabilité du matériel à traction animale est fonction de la durée de la saison de culture. La longueur de la période de préparation de la terre détermine
directement le taux d’utilisation possible d’une charrue à traction animale. Plus cette période est brève, plus les taux d’utilisation sont faibles (Pingali et al., 1987). Dans les
régions tropicales arides et semi-arides, elle est extrêmement courte. Il est crucial de labourer ponctuellement si l’on veut donner aux récoltes le temps de pousser avant
que le manque d’eau ne devienne un problème. Comme le labour se pratique à un moment bien précis, il est difficile d’organiser une location de matériel car les usagers potentiels en ont besoin en même temps. Les coûts du matériel ne peuvent pas être
amortis sur une région étendue. Or, au nord de la Côte d’Ivoire, les périodes de labour sont suffisamment longues pour organiser une location de matériel. Ces locations se
retrouvent à Dikodougou soit sous une forme rémunérée, soit sous la forme d’entraide.
58
2.5 L’adaptation du milieu technique
2.5.1 La surface agricole utilisée (SAC) et utilisable (SAU) par actif agricole
Dans beaucoup de travaux de recherche, les concepts « surface agricole utilisée, développée ou cultivée » (SAC) et « surface agricole utilisable, cultivable ou utile »
(SAU) sont confondus. Souvent, la dimension d’une exploitation est réduite à la superficie mise en valeur, négligeant une grande partie de la terre mise à l’écart avec
l’objectif sa réutilisation : la jachère. Ne pas prendre en compte la jachère est nier le fait qu’elle fait partie intégrante du système de culture itinérante. Elle consiste en un
capital important de l’exploitation agricole, comme l’a accentué De Rouw (1991). Boserup (1965) décrit comment en Afrique de l’Ouest, les colons, ignorant les systèmes agraires locaux, se sont progressivement installés sur les jachères des
autochtones. La diminution de celles-ci était catastrophique pour la population locale. Désormais, elle se voyait contrainte de retourner plus vite sur des anciennes terres,
aboutissant à des baisses de production considérables. Nous pouvons récrire l’équation 2.2 en fonction des concepts SAC et SAU :
SAUSAC
jachèredeannéesdNombreculturedeannéesdNombreanparculturedecyclesdeNombreculturedeannéesdNombre
jachèreenterresdesSuperficiecultureenterresdesSuperficieanparculturedecyclesdeNombrecultureenterresdesSuperficie
R
=+
×=
+×
=
'''
(2.9)
L’enquête « identification des parcelles » nous a fourni la superficie, ainsi que la durée de la jachère précédente et la mise en culture totale envisagée pour chaque
parcelle emblavée de l’échantillon d’exploitations. Ceci nous a permis de calculer la SAC et le facteur R moyen pour chaque exploitation et chaque village (paragraphe
2.3.2). Par conséquent, en utilisant l’équation 2.10, la SAU pouvait être calculée ainsi :
RSAC
SAU = (2.10)
Ensuite, les moyennes de la SAC et la SAU par actif agricole familial (AAf) ont été calculées à base d’un échantillon d’exploitations pour les quatre villages. Les résultats
sont représentés dans la figure 2.17.
59
1.09
1.531.64
1.08
8.708.40
6.64
3.88
0.00
1.00
2.00
3.00
4.00
5.00
6.00
7.00
8.00
9.00
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Sup
erfic
ie (
ha)
SAC/AAfSAU/AAf
Figure 2.17 : La superficie agricole cultivée (SAC) et utile (SAU) moyenne par actif agricole familiale (AAf) d’un échantillon d’exploitations pour quatre villages dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Dans le tableau 2.2 nous avons rangé les quatre situations agraires par ordre croissant de pression foncière. Suivant notre hypothèse boserupienne, nous attendons que les
quatre agroécosystèmes villageois représentent des stades d’évolution différents et plus spécifiquement selon l’ordre suivant : Tapéré < Ouattaradougou < Farakoro < Tiégana, comme nous l’avons fait dans la figure 2.17. Cette figure illustre clairement
la relation directe entre la densité démographique (d), le taux d’occupation du sol (R), et la SAU par actif agricole familiale. Alors que la dernière variable est négativement
corrélée avec le facteur R, il en va autrement pour la SAC par actif agricole familiale, qui semble passer par un maximum pour les villages Ouattaradougou et Farakoro.
Ce constat nous paraît logique avec les observations faites dans le paragraphe 2.3.2. Ces deux villages jeunes constituent des villages d’accueil pour des immigrants
venant du nord de la région. Souvent, il s’agit d’un fils du chef de ménage qui part avec une partie de la famille et une partie des bœufs pour défricher une terre dans
cette zone. La désignation vernaculaire sekbo, ou « grand champ », révèle qu’il s’agit
d’une « zone d’espoir » en pleine expansion attirant les agriculteurs des zones saturées à cause de la fertilité supérieure des terres. L’élasticité de l’offre des terres qu’on y
rencontre se reflète par une mise en valeur par actif élevée.
Dans un village comme Tiégana, situé dans la strate dense, la densité démographique
diminue tellement la SAU par actif, qu’une expansion de la SAC n’est plus possible
sans avoir des répercussions considérables sur le système agraire existant. Or, à
60
Tapéré, la faible pression foncière aboutit à un taux d’occupation (R) tellement faible que la fertilité du sol a le temps de se régénérer au moyen des jachères longues et des
mises en valeur courtes. Par conséquent, un produit exigeant (comme l’igname) peut être cultivé. L’igname fournit une valeur ajoutée à l’hectare cultivé supérieure aux
autres cultures, mais en même temps elle exige un apport considérable en travail, difficilement mécanisable. Quoiqu’une expansion de la superficie cultivée par actif
soit donc fortement limitée, elle n’est pas nécessaire. La valeur ajoutée élevée à l’hectare permet de dépasser le seuil de survie avec peu d’espace cultivé (chapitre 3). Deuxièmement, le faible R correspond à des terres cultivables portant une végétation
arbustive et buissonnante, difficilement mécanisable et exigeant en travail quant au défrichement. Les deux facteurs mentionnés limitent notablement les superficies
cultivées par actif agricole dans un village à faible pression foncière, comme Tapéré.
2.5.2 L’intensité des systèmes de culture
A côté du facteur R, proposé par Ruthenberg (1980), l’étude SEDES (1965) utilise un
autre ratio pour illustrer l’intensité de l’occupation du sol :
cultureenterresdesSuperficiejachèreenterresdesSuperficie
culturedeannéesdNombrejachèredeannéesdNombre
CJ ==''
(2.11)
Cet indicateur donne le nombre d’années de jachère possible par année de culture pour les cultures itinérantes. L’étude SEDES (1965) obtient ainsi une valeur moyenne
de 4,2 pour la strate dense et 1,6 pour la zone dense. Le tableau 2.7 nous montre que le village de Tapéré dépasse les autres villages avec une possibilité de jachère deux à trois fois plus élevée par année de culture. Cette différence se reflète dans les
conditions de reproduction des agroécosystèmes villageois et sera à la base du passage du système à jachère arbustive – buissonnante au système à jachère courte herbacée.
Tableau 2.7 : Comparaison entre les indicateurs R et J/C pour quatre villages dans la région de Dikodougou Village Rcultures itinérantes J (années) C (années) J/C
Tapéré 12 22 3 7,2 Ouattaradougou 24 18 6 3,2
Farakoro 27 16 6 2,6 Tiégana 31 (32 a) 21 9 2,2 (2,1 a) (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) a estimation pour 1998 sur la base d’une carte du terroir, fournie par le chef du village
61
2.5.3 Les cultures
Les systèmes de culture mis en place actuellement sont le résultat des contraintes et
des possibilités du milieu biophysique, de la tradition, de l’interaction avec d’autres populations, de l’évolution de la densité démographique et de l’influence du marché.
La figure 2.18 nous montre l’importance relative des cultures que nous avons
rencontrées dans les quatre villages. Pour cela, nous utilisons deux indicateurs. Premièrement, le graphique de droite nous donne cette importance en termes de superficie. Deuxièmement, la fréquence des cultures (graphique de gauche) illustre la
fragmentation de la culture. Une culture peut être moins importante en terme de superficie, mais indispensable pour le bon fonctionnement du ménage. L’arachide par
exemple représente 10 % de la superficie totale, mais en terme de fréquence, il faut compter le double. Ceci est lié au fait que l’arachide, ainsi que le riz inondé sont le plus souvent les cultures des femmes. Pour faire les sauces ainsi que pour se procurer
un revenu, la majorité des femmes dispose d’un champ individuel d’arachide et/ou de riz inondé. Néanmoins, les superficies restent limitées du fait que les femmes n’ont
pas le même accès à l’équipement et à la main-d’œuvre par rapport aux hommes. Le même raisonnement est valable pour la patate douce, le gingembre et le pois de terre.
Coton11%
Riz pluvial11%
Riz pluvial - Maïs12%
Maïs8%
Riz inondé15%
Pois de terre1%
Anacarde1%
Arachide21%
Igname19%Gingembre
1%
Patate douce0,5%
Igname21%
Riz pluvial11%
Riz pluvial - Maïs18%
Coton28%
Riz inondé3%
Maïs8%
Arachide10%
Anacarde1%
Gingembre0,1%
Pois de terre
0,05%Patate douce0,01%
Figure 2.18 : Fréquence (en % du nombre total des parcelles) et proportion (en % de la superficie totale des parcelles) des cultures pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou (assolement villageois moyen) (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998) L’autre extrême est constitué par le coton. Dans la plupart des cas, cette culture de
rente est le fait des hommes. De grandes superficies augmentent la rentabilité et la
possibilité de mécanisation de cette culture. Par conséquent, on retrouve peu de parcelles (une fréquence de 11 %), mais de grandes superficies (une proportion de 28
%). Les autres cultures (igname, riz pluvial, maïs et l’anacarde) révèlent une correspondance nette entre leur fréquence et leur proportion. Après cette impression globale, nous allons examiner dans quelle mesure ces deux
indicateurs changent dans des villages exposés à des contraintes foncières différentes.
62
Dans la figure 2.19 nous avons rangé les quatre villages selon l’ordre hypothétique d’évolution. La première chose que nous constatons, c’est le phénomène de
diversification qui s’impose au fur et à mesure que nous nous dirigeons vers les villages à haute pression foncière. Ceci peut être compris du point de vue de
l’agriculteur qui est exposé à des baisses de fertilité progressives et qui cherche des cultures alternatives qui lui permettent de maintenir le seuil de survie et de combler
les risques. L’igname, le produit central de notre zone d’étude, est une culture dont l’usage est
certainement récent. Ce tubercule constitue la base de l’alimentation en pays Baoulé et en pays Agni (groupe Akan sur la figure 1.4). C’est sans doute au contact de ces
deux ethnies qu’il a été progressivement adopté par les Sénoufo. Comme sa culture requiert des sols riches et profonds, meubles et frais, on peut penser que son aire d’extension reflète assez bien les potentialités agricoles régionales. Selon l’étude
SEDES (1965), la zone la plus favorisée serait la « zone igname ».
Néanmoins, là où la pression démographique est élevée, la culture d’igname s’avère difficile du fait de la baisse de la fertilité des sols. La figure nous montre
qu’effectivement, la superficie d’igname se rétrécie progressivement au fur et à mesure que la pression foncière augmente. Un deuxième constat est la diminution progressive de la taille des champs d’igname. A Tapéré, la proportion de sa superficie
est nettement supérieure à la fréquence, alors qu’à Farakoro et à Tiégana, l’inverse est observé. La superficie diminue donc, mais comme il s’agit d’une culture très
appréciée par les Sénoufo, un minimum de petites parcelles par exploitation est maintenu.
Si l’igname peut être maintenue malgré la contrainte de la fertilité, c’est grâce à l’adaptation de la gamme des variétés plantées par le paysan. Nous distinguons deux
groupes principaux de variétés : les ignames tardives (Krenglè, Bètè-Bètè, Florido),
fournissant une récolte au terme de six à neuf mois de végétation, et les ignames
précoces à deux récoltes (Wacrou, Gnan, Gnaligué, Sopéré, Kponan). Alors que le Krenglè et le Bètè-Bètè sont très exigeants au niveau de la fertilité des sols, ceci n’est pas le cas pour le Florido. Cette variété a été introduite de Puerto Rico en 1972. En
Côte d’Ivoire elle a connu un succès relatif suite à son meilleur rendement dans des
sols appauvris. La figure 2.20 nous montre comment les variétés exigeantes en
fertilité (Krenglè, Bètè-Bètè) ont systématiquement été remplacées par le Florido. Le riz est lui aussi, d’introduction récente. Le foyer de cette culture ne doit pas être
cherché dans le Centre – Est de la Côte d’Ivoire comme pour l’igname, mais dans la
63
région de Man, dans le Centre – Ouest. L’aire d’extension de cette culture est approximativement limitée à la zone igname (SEDES, 1965). Il faut distinguer le riz
pluvial du riz inondé. Le premier est cultivé sur les plateaux ou les terres hautes, l’autre en bas-fonds. Au nord de notre zone d’étude, les enquêtes relèvent que les bas-
fonds étaient déjà exploités avant la deuxième guerre mondiale. L’administration coloniale exigeaient une partie de la récolte du riz de l’igname et de l’arachide. En
outre, ils ont introduit un système d’impôts pour stimuler le passage de l’économie de troc vers une économie marchande1. Les habitants âgés de Tiégana se souviennent d’un impôt de 10 FCFA par an, un montant tellement élevé qu’il leur fallait vendre
une grande partie de leur récolte de coton, de riz et d’igname. L’administration coloniale a donc eu des répercussions considérables sur le milieu rural en créant une
pression démographique induite. Des bas-fonds ont été aménagés parce que les colons n’étaient pas satisfaits de la productivité des terres hautes. En même temps, les impôts augmentaient. Le fait qu’aujourd’hui on retrouve surtout des bas-fonds
cultivés au nord de notre zone (Tapéré, Tiégana), comme la figure 2.19 en témoigne, est donc partiellement lié au fait que ces villages étaient soumis à l’autorité de
l’administration coloniale, qui avait un siège à Guiembé. Nous utilisons le mot « partiellement » parce qu’il y a deux autres explications, discutées ultérieurement,
qui s’y ajoutent. Un dernier constat concernant le riz inondé, est le fait qu’il s’agit d’une culture très
morcelée. Elle est très réduite en terme de superficie, mais très répandue. Ceci est évident vu la faible productivité du travail que caractérise cette culture. Il s’agit d’une
culture très intensive exigeant un apport en travail considérable. La limite naturelle de la superficie cultivable par actif est donc vite atteinte. En plus, il s’agit d’une culture
de femmes, qui vient s’ajouter à leurs tâches ménagères. L’arachide se rencontre dans toute la région de Korhogo. Cette extension est due à
l’introduction massive de semences par l’administration coloniale avant la deuxième
guerre mondiale (SEDES, 1965) à une époque où la culture était obligatoire.
Actuellement, l’arachide constitue surtout une culture de rente et d’autoconsommation2 pratiquée par les femmes ou les jeunes. Il s’agit d’une culture fréquemment située à la fin des rotations culturales. En effet, l’arachide est moins
exigeante que les autres cultures quant à la fertilité des sols. Dans les quatre villages,
la culture d’arachide apparaît plus ou moins comme une constante (figure 2.19). Il
1 d’après une communication personnelle avec P. Campagne (IAM, Montpellier) 2 L’arachide constitue un condiment important pour la préparation des sauces.
64
s’agit d’une culture morcelée en petites parcelles. Toutefois la proportion de la superficie d’arachide (9 à 15 %) n’est pas négligeable.
La culture cotonnière ne constitue pas en soi une innovation dans le nord de la Côte
d’Ivoire, où elle se pratique depuis longtemps. Avant 1965, le cotonnier s’intègre dans les systèmes de culture vivrière, mais il ne concerne que des surfaces réduites. Les
variétés restent peu productives. Les agriculteurs n’utilisent pas d’engrais et n’assurent aucune protection phytosanitaire. Le changement concerne tout d’abord la nouvelle fonction économique dévolue à cette culture. De production destinée à
l’approvisionnement local, le coton devient culture de rapport. Ce débouché local se tarit d’ailleurs de lui-même, suite à l’effondrement du tissage artisanal concurrencé
par les pagnes et les tissus manufacturés et importés. Produit dans le but exclusif de la vente, le coton favorise une insertion progressive dans une économie de marché.
Le changement réside aussi dans les nouvelles pratiques culturales. Les itinéraires techniques du cotonnier sont très différents de ceux suivis auparavant : culture pure,
semis en ligne, épandage d’engrais, pulvérisation d’insecticides et recours aux herbicides. La mécanisation constitue aussi un volet important de la modernisation de
l’agriculture du nord de la Côte d’Ivoire. Ces innovations techniques se caractérisent par leur origine exogène. Elles sont
introduites, diffusées et subventionnées par la société d’encadrement de la culture du cotonnier, la CFDT (Compagnie Française de Développement des Textiles), devenue
CIDT (Compagnie Ivoirienne de Développement des Textiles) en 1974. Le programme cotonnier est le fruit d’une volonté nationale en 1962 de réduire les
disparités de revenus entre le nord et le sud du pays. Contrairement à d’autres pays, le cotonnier n’a jamais eu le statut de « culture du commandant », puisqu’à l’époque coloniale sa production n’était pas obligatoire voire négligée (Le Roy, 1993).
Le maïs, originaire d’Amérique centrale, est signalé en Golfe de Guinée dès le XVIe
siècle. En Côte d’Ivoire, les foyers de production les plus importants se sont formés,
initialement, dans le Nord en pays Sénoufo, et à l’Ouest en pays Malinké. Par la suite, les migrations interrégionales conjointement avec la politique de diversification des cultures, ont eu comme conséquence, la formation de nombreux foyers de production
(Ndabalishye, 1995). Malgré sa large dispersion, le maïs semble n’avoir rien perdu de
son caractère ethnocentré, demeurant, presque partout, sous la maîtrise des
producteurs traditionnels. Ce caractère ethnocentré se reflète encore plus au niveau de
65
la consommation humaine du maïs. La figure 2.20 prouve que les groupes du Nord1, notamment les Sénoufo, Malinké, et Koulango se distinguent nettement des autres par
une consommation annuelle en maïs quatre à six fois plus élevée (Fusillier, 1991). De ces groupes, les Malinké dominent le commerce du maïs sur les principaux marchés,
formant un véritable « monopole Dioula » (Demont, 1997a).
Mais un deuxième acteur entre aujourd’hui en jeu dans cette filière maïs : l’agro-industrie. Avec l’urbanisation, l’installation d’une industrie alimentaire animale est à la base du développement considérable qu’a connu le marché du maïs au cours des
vingt dernières années (Fusillier, 1991). Selon toute vraisemblance, il s’agit du plus fort développement parmi les six produits vivriers de base1.
Sur la figure 2.19 finalement, le maïs apparaît comme une spécificité des villages du Sud (Ouattaradougou et Farakoro) sous la forme de culture pure ainsi que
d’association riz pluvial – maïs. Il s’agit d’une culture de rente alternative substituant l’igname là où la baisse de la fertilité des sols se fait ressentir au niveau des
rendements de l’igname. La zone Sud est située dans la région du groupe Malinké, consommateurs de maïs par excellence. En plus, comme nous l’avons démontré dans
la partie 2.3, cette zone révèle une bonne intégration au marché de Korhogo et probablement aussi au circuit Farakoro – Ouattaradougou – Tortiya – Bouaké, constituant tous des marchés très importants au niveau du commerce du maïs en Côte
d’Ivoire.
1 Ces groupes sont souvent désignés sous le nom Dioula, traduit « commerçant ».
66
Fréquence Proportion (% du nombre total de parcelles) (% de la superficie totale)
Tapéré
Igname27%
Riz pluvial27%
Riz inondé14%
Arachide30%
Anacarde1%
Coton1%
Igname40%
Riz pluvial40%
Riz inondé2%
Arachide15%
Anacarde2%
Coton1%
Ouattaradougou
Igname30%
Riz pluvial2%
Riz pluvial - Maïs27%
Arachide25%
Coton10%
Maïs6%
Riz inondé0,4%
Igname30%
Riz pluvial - Maïs32%
Coton24%
Riz pluvial4%Maïs
1%
Arachide9%
Riz inondé0,01%
Farakoro
Riz inondé5%
Arachide21%
Maïs14%
Riz pluvial3%
Igname16%Coton
14%
Riz pluvial - Maïs23%
Gingembre3%
Anacarde1%
Coton30%
Igname13%
Riz pluvial3%
Riz pluvial - Maïs26%
Maïs18%Riz inondé
1%
Arachide9%
Gingembre0,4%
Anacarde0%
Tiégana
Igname17%
Patate douce
1%
Riz pluvial14%
Riz pluvial - Maïs4%
Maïs5%
Riz inondé29%
Coton12%Pois de
terre2%
Anacarde1%
Arachide15%
Riz pluvial16%
Riz pluvial - Maïs6%
Maïs5%
Riz inondé11%
Coton34%
Arachide12%
Pois de terre0,2%
Anacarde1%
Patate douce0,04%
Igname15%
Figure 2.19 : Fréquence (en % du nombre total des parcelles) et proportion (en % de la superficie totale des parcelles) des cultures pour les quatre villages (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
1 l’igname, la banane plantain, le manioc, le riz, le maïs et l’arachide
67
Krenglè
Bètè-Bètè
Florido
Wacrou
GnanGnaligué
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Gnaligué 0% 0% 1% 0%
Gnan 0% 0% 2% 0%
Wacrou 22% 0% 3% 30%
Florido 9% 13% 36% 56%
Bètè-Bètè 1% 9% 13% 3%
Krenglè 68% 79% 44% 11%
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Figure 2.20 : Proportion de la superficie d’igname destinée aux différentes variétés d’igname pour quatre villages dans la région de Dikodougou en 1997 (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Figure 2.21 : Consommation moyenne du maïs par personne et par an pour les différents groupes ethniques en Côte d’Ivoire (source : Fusillier, 1991)
Autres Malien Burkinabé
Koulango &
Sénoufo Malinké Gouro Dan & Krou Akan
0
10
20
30
40
50
60
70
Con
som
mat
ion
du m
aïs
(kg/
an)
68
2.5.4 Les systèmes de culture
Dans le paragraphe 2.5.3 nous avons analysé le lien entre les cultures mises en place
et des facteurs bio-physiques (fertilité des sols) ainsi que démographiques (pression foncière, interaction avec d’autres groupes ethniques, colonialisme). L’adoption ou
l’abandon d’une culture ainsi que le raccourcissement de la jachère et la prolongation des cycles de culture ne s’effectuent pas sans répercussions sur les systèmes de culture
pratiqués depuis longtemps. Ce paragraphe vise donc à analyser comment le processus d’évolution modifie les systèmes de culture existants et fait apparaître de nouveaux systèmes de culture.
La figure 2.19 nous donne l’impression que Tapéré, un village à faible pression
démographique, est dominé par trois cultures : igname, riz pluvial et arachide. En analysant la figure, une correspondance nette se révèle entre les cultures d’igname et
de riz pluvial concernant leur superficie et leur fréquence (figure 2.19). Ceci est lié au fait que ces deux cultures sont à la base du système de culture le plus communément pratiqué dans la région de Dikodougou, notamment le système IRA (Igname – Riz –
Arachide). Comme nous l’avons montré dans le tableau 2.7, la moyenne du nombre d’années de culture pratiqué à Tapéré est 3, ce qui correspond au système IRA. Tant
que les jachères sont suffisamment longues (22 ans à Tapéré), le défrichement d’une parcelle est suivi par la culture d’igname, la tête de rotation, puis par le riz pluvial. La troisième année, une partie de la parcelle est semée en arachide. L’arachide vient donc
presque toujours en fin de cycle. Chaque année, on retrouve donc, dans l’assolement d’un exploitant, une partie en igname, une partie équivalente en riz pluvial et plusieurs
petites parcelles en arachide (figure 2.22).
Figure 2.22 : Schéma simplifié du fonctionnement du système de culture IRA retrouvé au village de Tapéré dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Igname Riz pluvial
Arachide
Jachère Jachère (22 ans)
Jachère (22 ans)
69
Une partie de la SAU est donc soumise à une rotation biennale (IR) et une autre à une rotation triennale (IRA). A base de la proportion de la superficie des cultures (figure
2.19), nous obtenons que la superficie en arachide représente 37,5 % de celle en igname ou en riz pluvial. D’autre part, si nous calculons la part des rotations
triennales IRA dans toutes les rotations observées à Tapéré, nous obtenons une proportion de 38,4 %, une valeur qui se rapproche beaucoup de la première. Si nous
attribuons une attention particulière au système de culture IRA, c’est parce que les enquêtes et les analyses montrent qu’il constitue la base évolutive pour toute une série de systèmes qui sont dérivés de l’IRA. La figure 2.19 illustre déjà comment ce
système est progressivement enrichi par l’adoption de nouvelles cultures (coton, maïs) et techniques (association riz pluvial + maïs).
Quand nous nous dirigeons vers Ouattaradougou (figure 2.19), nous retrouvons l’ancien système IRA avec quelques modifications. Premièrement, la culture du riz
pluvial a été remplacée par l’association riz pluvial – maïs. Ce constat nous semble une spécificité des villages au sud de notre zone, qui nous amène à l’explication
donnée dans le paragraphe précédent. Quoiqu’il en soit, cette association ne semble pas profondément modifier le système IRA. Elle prend la place du riz pluvial, formant
le système IRmA (Igname – Riz pluvial + maïs1 – Arachide). L’adoption du maïs semble donc passer par un stade d’association au riz pluvial. Deuxièmement, une nouvelle culture de rente apparaît : le coton. Cette culture s’insère dans la rotation aux
dépens de l’igname et de l’arachide.
Au niveau des rotations observées à Ouattaradougou, nous retrouvons une grande diversité dans laquelle nous pouvons distinguer trois groupes principaux : un système
dérivé de l’IRA, un système dérivé de l’IRA avec l’insertion du coton et un système nouveau basé sur le coton. Le tableau 2.7 nous donne une moyenne de 6 ans de culture pour Ouattaradougou. Pour le système dérivé de l’IRA, le cycle a été prolongé
jusqu’à 5 – 6 ans. Nous retrouvons comme rotations : IRmIRmA, IRmIRmI, RmIRmIA,
… Il s’y ajoute toute une gamme de variations. Le système dérivé de l’IRA avec
l’insertion du coton est basé sur le système précédent, mais le coton prend la place de l’igname ou du riz pluvial au milieu du cycle : ICIRmC, IrmCRm, IRmCAA, IRmCCC, … Pour le système basé sur le coton finalement, le coton vient en tête de rotation et
se répète en bloc sur plusieurs années, ici et là interrompu par une année de riz
1 Dans l’association riz pluvial – maïs, le maïs occupe une place secondaire. D’abord le riz est semé. Plus tard, le maïs est semé entre les lignes de riz. La quantité moyenne de semences de maïs utilisée par unité de surface est sensiblement plus faible par rapport à la culture pure : 6,3 kg/ha pour l’association,
70
pluvial. Ce système semble aller de paire avec l’insertion du maïs en culture pure, qui est presque toujours placé après quelques années de coton. Selon les enquêtes, le maïs
serait sensible aux apports d’engrais. Les effets rémanents de la culture du coton, toujours accompagnée d’épandage d’engrais, favoriseraient les rendements obtenus en
maïs. Quelques rotations retrouvées sont : CCCCCC, CCCCCM, CCCCCR, CRCMM, CRmCC, …
Dans le village de Farakoro (figure 2.19) nous retrouvons les mêmes systèmes de culture. Le cycle est souvent prolongé jusqu’à six ans, ce qui était déjà démontré dans
le tableau 2.7. Un nouveau système remarquable émerge : une monoculture de maïs d’une durée allant jusqu’à cinq ans. Pour le reste, comme nous l’avons également
constaté pour Ouattaradougou, la culture pure de maïs est presque toujours intégrée dans le système basé sur le coton, succédant à celui-ci. Finalement, on retrouve un nouveau système de rotation basé sur le gombo et le riz pluvial, absent dans les autres
villages.
Le village de Tiégana (figure 2.19) est caractérisé par les mêmes systèmes de culture, mais les cycles sont prolongés jusqu’à 9 ans en moyenne (tableau 2.7). Ceci est
possible grâce à l’utilisation d’engrais et à leurs effets rémanents dans le sol. La culture du coton, accompagnée d’un accès facile aux engrais, aux techniques et au savoir-faire, consiste en le maillon principal de ce profond changement du système de
culture. Un deuxième système de culture se développe considérablement, à savoir la monoculture du riz inondé dans les bas-fonds (r). Permettant une culture continue,
sans jachères, cette fixation du système de culture constitue une phase importante dans l’évolution des systèmes agraires au nord de la Côte d’Ivoire. Il en va de même
pour les vergers d’anacardiers (a), un système de cultures pérennes qui commence à se développer dans la région de Dikodougou.
Le tableau 2.8 illustre clairement comment l’importance du système IRA et de ses
dérivés s’affaiblit au fur et à mesure que nous nous dirigeons d’un village à faible
pression démographique vers un autre à forte pression. En même temps, il y a une expansion du système basé sur le coton (pour Tiégana il représente 34,6 % des systèmes de cultures itinérantes) et une expansion des systèmes de cultures fixées.
contre 12,1 kg/ha pour la culture pure. Suite à cette différence, nous désignons la composante maïs dans l’association avec une minuscule : m.
71
Tableau 2.8 : Fréquence (en % du nombre total des parcelles) des principaux systèmes de culture pour quatre villages dans la région de Dikodougou SC Rotations Tapéré Ouattara Farakoro Tiégana
Systèmes de cultures itinérantes
IRA IRA 79,3 % - - - dérivé de l’IRA IR(m)IR(m)A, IR(m)IR(m)I,
R(m)IR(m)IA, IR(m)IR(m)Ia, … - 53,1 % 36,1 % 17,7 %
dérivé de l’IRA avec insertion du coton
ICIR(m)C, IR(m)CR(m), IR(m)CAA, IR(m)CCC, …
1,1 % 10,8 % 9,5 % 13,0 %
basé sur le coton CCCCCC, CCCCCM, CCCCCR, CRCMM, CR(m)CC,
CCCAAA, CCCMMM, …
-
17,7 %
29,9 %
23,6 %
basé sur l’arachide AAAAA - 6,2 % - 1,9 % basé sur le maïs MMMMM, MAM - 5,4 % 2,0 % 1,4 % basé sur le riz pluvial R(m)R(m)R(m)R(m) 3,3 % 3,8 % 2,7 % 9,1 % gombo – riz pluvial gR(m)R(m)R(m), ggR(m)M - - 8,2 % - autres - 2,2 % 2,7 % 1,5 % Systèmes de cultures fixées
riz bas-fond … rrrrrr … 15,2 % 0,8 % 8,2 % 31,3 % vergers d’anacardiers … aaaaaa … 1,1 % - 0,7 % 0,5 % (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
Cette analyse illustre clairement le rôle du coton dans le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois. Les intrants (engrais, herbicides) dont cette culture
bénéfice permet de prolonger les cycles. Cette prolongation n’intervient qu’au moment où la pression foncière la rend nécessaire. La culture du riz inondé de bas-fond, quoiqu’exigeant un apport de travail considérable, est une réponse à cette
pression ressentie par les habitants. Elle permet une culture continue, sans jachères, et par conséquent, elle est très peu consommatrice d’espace. Ceci est une deuxième
explication du succès des bas-fonds dans le nord de notre zone d’étude, qui vient s’ajouter à l’explication historique donnée dans le paragraphe 2.5.3.
2.5.5 La relation entre les systèmes de culture et les zones morpho-pédologiques
Jouve (1992) souligne la correspondance qui existe entre les systèmes de culture et les unités morpho-pédologiques, c’est à dire les zones topographiques d’un paysage.
C’est cette correspondance qui fonde la notion de « terroir1 » au sens agronomique et qui explique que les systèmes de culture sont un élément important de la
caractérisation des systèmes agraires et de leur évolution. Dans ce paragraphe, nous
allons analyser dans quelle mesure le facteur « topographique » constitue une variable explicative de l’évolution des quatre agroécosystèmes villageois.
1 Dans le sens agronomique du terme, le « terroir » correspond à un mode de mise en valeur homogène d’un même milieu. Cependant, le même terme est utilisé par les géographes africanistes pour désigner le territoire exploité par une communauté rurale (Jouve, 1988).
72
Dans le tableau 2.9 nous avons résumé les caractéristiques des sols les plus communément retrouvés dans la région de Dikodougou. Puisque le comportement et
la valeur agronomique des sols sont bien connus, délimités et désignés par les agriculteurs depuis longtemps, nous retiendrons les noms vernaculaires comme base
de classification. Néanmoins, la littérature nous permet de la comparer avec des systèmes de classification normalisés. Les caractéristiques pédologiques ont été
amplement décrites dans l’étude SEDES (1965) et De Baets (1996). Nous nous limiterons à la façon dont les sols sont perçus par le paysan, la relation qu’ils ont avec les systèmes de culture et leur rôle dans l’évolution des agroécosystèmes villageois.
Tableau 2.9 : Caractéristiques des différents types de sols Nom vernaculaire Faha, Lofogou Tadja, Tadjaha,
Tedjac Tagoun, Tagoungo,
Yarabogo Meninghue, Tjèn
Classification française
sols hydromorphes
sols ferralitiques remaniés modaux
sols ferralitiques remaniés rajeunis
sols ferralitiques remaniés avec recouvrement
Classification FAO
Gleyic Acrisol Ferric Acrisol Plinthic Acrisol -
Topographie bas-fond plateau, haut de pente
plateau, haut de pente
pente et plateau
Texture sablo-argileux, chargé de humus
argilo-sableux argileux sableux
Fertilité bonne bonne moyenne excellent
Couleur jaune, beige, gris ocre rouge ou ocre jaune
rouge blanc ou noir1
Gravillons non oui peu non
Valeur agronomique perçue par le paysan
très fertile très lourd,
difficile à labourer
facile à labourer, bien drainé
relativement riche compact, difficile
au buttage et pénible en sécheresse
il « use les daba »
très bonne aptitude pour
l’igname
Rang accordé par les paysans
4 2 3 1
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998 ; Driessen & Dudal, 1991 ; SEDES, 1965 ; De Baets, 1996) Au moyen de l’enquête « Identification des parcelles », effectué de 1995 à 1998, la
position topographique ainsi que le nom vernaculaire du sol de chaque parcelle ont été recensés, ceci pour un échantillon représentatif d’exploitations par village. Dans les
figures 2.23 et 2.24, nous avons représenté la relation qui apparaît entre la présence
des cultures, la position topographique des parcelles et les sols. Les graphiques
supérieurs montrent la répartition de la surface totale cultivée selon la topographie et
1 Les sols noirs ont une teneur en matière organique plus élevée et sont donc plus fertiles.
73
le sol. La préférence quant à l’occupation du sol évolue avec la topographie : les zones « haut-de-pente » et « plateau » sont les plus recherchées. Pour les sols, la
préférence est accordée au Meninghue. En deuxième place vient le Tadja et enfin le Tagoun et le Faha. Selon les enquêtes, les Meninghue sont idéaux pour la culture
d’igname parce qu’ils sont bien drainés et permettent un labour facile pendant le buttage1. Les graphiques du milieu dans les figures 2.23 et 2.24 montrent
qu’effectivement le système de culture IRA est installé de préférence sur les plateaux, en milieu et haut de pente et sur les sols Tadja, Meninghue et Tagoun. Il en va de même pour le coton s’il est intégré dans ce système.
Le système basé sur le coton, accompagné par la culture attelée, est plutôt localisé sur
les bas-de-pente et mi-de-pente et sur les Tadja. Ces zones sont plus facilement mécanisables. Le système centré sur le maïs, culture exigeante en fertilité et sensible à la disponibilité d’eau, est plus fréquent en bas de pente, où il profite d’une
accumulation d’eau et d’éléments nutritifs. Le Tagoun, un sol argileux qui retient bien l’eau, semble approprié à ces exigences, comme nous le voyons sur le graphique.
Une comparaison entre les quatre villages, représentée dans les graphiques du bas,
révèle que dans un village à faible densité démographique comme Tapéré, la majorité de la surface cultivée est concentrée sur les haut-de-pente et les Meninghue, notamment les zones considérées comme les plus faciles à labourer et les plus
adaptées à la culture d’igname. Puisque Tapéré est essentiellement caractérisé par le système de culture IRA, les sols seront toujours choisis en fonction de ce système, tant
que la pression foncière le permet. Au moment où cette condition n’est plus remplie, les paysans sont obligés d’exploiter les sols moins intéressants, de déplacer et d’étaler
l’ancien système IRA. Ceci est le cas à Ouattaradougou, Farakoro et Tiégana où nous voyons apparaître une
utilisation de la surface mieux repartie selon le profil topographique. A côté du
Meninghue, les exploitants semblent se concentrer sur le sol qui vient au deuxième
rang au niveau de leurs préférences : le Tadja. Le succès de ce sol est aussi lié au fait qu’il s’agit d’un sol approprié pour la culture du coton, qui, au contraire de Tapéré, prend une place importante dans ces trois villages.
1 Il s’agit d’une opération spécifique à la culture d’igname. Des buttes de 30 cm sont réalisées à une densité de 9000 buttes par ha, un travail difficilement mécanisable. Par conséquent, l’igname reste la seule culture effectuée 100 % manuellement.
74
Les figures 2.23 et 2.24 nous amènent à la troisième explication quant au succès des bas-fonds dans le nord de notre zone d’étude ; les deux premiers sont discutées dans
les paragraphes 2.5.3 et 2.5.4. Comme l’ont constaté Pingali et al. (1987), les sols lourds, comme les Faha ou « bas-fond », commencent à être utilisés lorsque la densité
de population augmente. Tant qu’elle est faible, les sols à faible teneur en argile (Meninghue et Tadja), sont cultivés avant les sols profonds et argileux parce que le
travail y est moins long et moins pénible. Le Tagoun, grâce à sa teneur en argile et la cohésion qui en résulte, occupe la troisième place au niveau des préférences des agriculteurs. Le Faha finalement est placé à la dernière place. Seulement à Tiégana, la
pression démographique et l’offre de main d’œuvre sont telles que les investissements exigés par les travaux d’irrigation ont un rendement marginal supérieur aux
investissements en main-d’œuvre. Ces conditions rendent donc l’aménagement des Faha rentable.
75
Moyenne des cultures
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
bas-fonds bas de pente milieu depente
haut de pente plateau
Pro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Igname
Riz pluvial
Riz pluvial - Maïs
MaïsRiz inondé
Arachide
CotonAutres cultures
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
bas-fonds bas de pente milieu depente
haut de pente plateau
Pro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
bas-fonds bas de pente milieu depente
haut de pente plateau
Pro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
TapéréTiéganaOuattaradougouFarokoro
Figure 2.23 : Relation entre la présence des cultures et la topographie pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
76
Moyenne des cultures
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Faha, Lofogou Tadja, Tadjaha,Tedjac
Tagoun,Tagoungo,Yarabogo
Meninghue, Tjèn
Pro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Igname
Riz pluvial
Riz pl. - Maïs
MaïsRiz inondé
Arachide
Coton
Autres
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Faha, Lofogou Tadja, Tadjaha,Tedjac
Tagoun,Tagoungo,Yarabogo
Meninghue, Tjèn
Pro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
Faha, Lofogou Tadja, Tadjaha,Tedjac
Tagoun,Tagoungo,Yarabogo
Meninghue, Tjèn
Pro
port
ion
du s
ol e
n cu
lture
(%
) TapéréTiéganaOuattaradougouFarakoro
Figure 2.24 : Relation entre la présence des cultures et les sols (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
1
2
3
4
77
Topographie Sols (% de la superficie totale) (% de la superficie totale)
Tapéré
Igname
Riz pluvial
Arachide
Anacarde
Riz inondé Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
bas-fonds bas depente
milieu depente
haut depente
plateauPro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Igname
Riz pluvial
Arachide
AnacardeRiz inondé
Coton
0%
20%
40%
60%
80%
100%
Faha,Lofogou
Tadja,Tadjaha,Tedjac
Tagoungo,Tagoun,
Yarabogo
Meninghue,TjènP
ropo
rtio
n de
la s
uper
ficie
tota
le (
%)
Ouattaradougou
Igname
Riz pluvialRiz pl.-Maïs
Maïs
ArachideRiz inondé
Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
bas-fonds bas depente
milieu depente
haut depente
plateauPro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Igname
Riz pluvialRiz pluvial - Maïs
Arachide
Maïs
Riz inondé
Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
Faha,Lofogou
Tadja,Tadjaha,Tedjac
Tagoungo,Tagoun,
Yarabogo
Meninghue,TjènP
ropo
rtio
n de
la s
uper
ficie
tota
le (
%)
Farakoro
Igname
Riz pluvialRiz pl.-Maïs
Maïs
Arachide
Gingembre
Riz inondé
Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
bas-fonds bas depente
milieu depente
haut depente
plateauPro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Igname
Riz pluvialRiz pl.-Maïs
Arachide
Gingembre
Maïs
Riz inondé
Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
Faha,Lofogou
Tadja,Tadjaha,Tedjac
Tagoungo,Tagoun,
Yarabogo
Meninghue,TjènP
ropo
rtio
n de
la s
uper
ficie
tota
le (
%)
Tiégana
Igname
Riz pluvial Riz pl.-Maïs
Maïs
Arachide
AnacardeRiz inondé
Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
bas-fonds bas depente
milieu depente
haut depente
plateauPro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Igname
Riz pluvial
Riz pl.-Maïs
Arachide
AnacardeMaïs
Riz inondé
Coton
0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%
100%
Faha, Lofogou Tadja, Tadjaha,Tedjac
Meninghue, TjènPro
port
ion
de la
sup
erfic
ie to
tale
(%
)
Figure 2.25 : Relation entre la présence des cultures, la topographie et les sols (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
78
Enfin, dans la figure 2.25, l’utilisation des unités topographiques et des sols a été représentée pour les quatre villages. Une comparaison de cette représentation avec les
figures 2.23 et 2.24, nous permet d’analyser l’impact de la pression démographique et de l’introduction des cultures de rapport sur la mise en valeur des unités morpho-
pédologiques. A Tapéré, nous voyons que le coton et les vergers d’anacardiers sont introduits selectivement sur les terres préférées : les Meninghue et les plateaux.
Ensuite, à Ouattaradougou, un village à plus forte pression foncière, le coton s’insère sur les terres qui auparavant étaient destinées au système IRA. L’introduction de cette culture de rapport concerne surtout les Tadja et Tagoungo sur les haut-de-pentes, où
elle semble écarter l’igname. Néanmoins, outre ce phénomène, l’igname, l’arachide et le riz pluvial (associé au maïs ou non), composantes de l’IRA et de ses systèmes
dérivés, semblent rester en équilibre mutuel. Ce constat est valable pour tous les villages. Dans les villages à pression foncière élevée (Farakoro et Tiégana), le coton colonise toutes les unités morpho-pédologiques. Cependant, parallèlement aux
observations de Poppe (1998), une légère préférence pour les pentes inférieures s’impose pour les parcelles de culture attelée. Le maïs en culture pure, enfin, ne se
développe vraiment qu’à Farakoro où il s’étend préférentiellement sur les Tagoungo de bas de pente pour des raisons évoquées antérieurement.
A travers ces analyses, les deux dimensions du concept « système de culture » apparaissent clairement. D’une part, sa composante spatiale résulte de la relation
qu’il détient avec les unités morpho-pédologiques du paysage, ce qui a fondé la notion de « terroir ». D’autre part, sa composante temporelle reflète les pratiques
paysannes : les rotations et les durées de culture et de jachère.
Dans la figure 2.26, la dimension spatiale a été représentée au moyen d’un transect type pour la région de Dikodougou. A l’exception du riz inondé qui est presque toujours pratiqué dans les bas-fonds, la spatialisation des autres systèmes de culture
observée dans cette région ne témoigne pas d’une forte spécialisation en fonction des
terroirs. La relation entre la dimension temporelle, les précipitations, la température et
la dimension spatiale apparaît dans la figure 2.27.
79
Faha
villageparc à bœufs
bois sacré
Utilisationdu sol
pâturages,vivriers,coton,
anacardiers
pâturages,vivriers,
cotonvivriers,
cotonvivriers, coton,
anacardiersmaraîchage,
rizières
Topographie plateau haut de pente milieu de pente bas de pente bas-fond
Terroir MeninghueTadja
TagounCultures igname,
riz pluv.,maïs,arachide,coton,anacardier
igname,riz pluv.,maïs,arachide,coton
igname,riz pluv.,maïs,arachide,coton
igname,riz pluv.,maïs,arachide,coton,anacardier
riz inondé
Systèmesde culture IRA Dérivé de l’IRA Dérivé de l ’IRA avec
insertion du coton
Basé sur le coton
Basé sur le maïs riz inondé
Figure 2.26 : Transect type et spatialisation des systèmes de culture à Dikodougou (source : enquêtes et observations)
050
100150200
J M M J S N J M M J S N J M M J S N J M M J S N J M M J S N J M M J S N
Pré
c.
(mm
)
20
25
30
Te
mp
. (°
C)
Terroirtype:Meninghue
Terroirtype:Tadja
Terroirtype:Tagoun
Terroirtype:Faha
I AR(m)
C
M
I R(m) I R(m) AI R(m) I R(m) AI
CI I R(m) AI R(m) R(m) AC C C C C CC C C C CC C C C
R(m)
MM M M M M M
r r r r r r
Jachère (22 ans)J (16- 18 ans)
J
J
J
Figure 2.27 : Relation entre les précipitations (histogramme), la température (ligne), la composante temporelle des systèmes de culture et la composante spatiale (terroirs) à Dikodougou (source : données sous-préfecture de Dikodougou et enquêtes)
80
2.5.6 Le développement du coton : la controverse entre deux thèses opposées
Bassett (1988a) avance deux thèses opposées concernant les effets de l’expansion du
coton sur la production des cultures de subsistance. La thèse de compétition (Lappe & Collins ; Mkandawire ; Payer, cités par Bassett, 1988a) assure qu’il y aurait moins
de pénuries alimentaires si la terre destinée aux cultures d’exportations (coton pour le nord de la Côte d’Ivoire) était consacrée aux cultures de subsistance.
La Banque Mondiale s’y oppose en avançant la thèse de complémentarité (citée par Bassett, 1988a) qui existerait entre les cultures d’exportation et celles de subsistance.
Cette complémentarité se reflèterait au moins sur quatre niveaux, appelés « the trickle down effects ». D’abord, les cultures de subsistance qui entrent en rotation avec le
coton bénéficieraient des effets rémanents des fertilisants appliqués lors de la culture du coton. Elles profiteraient aussi de l’apport en technologie de la CIDT. Ensuite, les producteurs de cultures de subsistance recueilleraient le fruit d’arrangements
institutionnels comme l’accès au crédit, aux engrais, aux pesticides et aux services commerciaux. Enfin, la Banque Mondiale avance qu’au cas où les ménages
s’adonneraient à la culture de coton à tel point qu’ils éprouveraient une disette, ce phénomène ne serait pas forcément défavorable. Des pénuries alimentaires sont
considérées comme une impulsion au développement des marchés locaux et régionaux.
L’hypothèse des effets rémanents a été contestée par Bassett (1988a) qui se base sur le village de Katiali au nord de la Côte d’Ivoire. Il constate que les rotations basées sur
l’alternance « coton – culture de subsistance » ne représente qu’une faible partie (25 %) de toutes les rotations observées. Nous confirmons ce constat avec nos propres
observations : 22,2 % pour Ouattaradougou, 29 % pour Farakoro et 32,8 % pour Tiégana. Néanmoins, il nous semble plus approprié de calculer cette proportion par rapport aux rotations qui incluent le coton, et non par rapport à toutes les rotations,
comme l’a fait Bassett. Dans ce cas, nous obtenons des valeurs respectivement de
77,8 %, 73,8 % et 89,7 %. Cette observation nous mène à la conclusion que les
agriculteurs sont bien conscients du phénomène des effets rémanents. En plus, ce
phénomène est utilisé par les paysans comme stratégie pour pouvoir prolonger les cycles de culture.
81
Toutefois, il existe quelques arguments contraires spécifiques pour le Nord de la Côte d’Ivoire. Le premier consiste en l’acidification des sols avec comme effet secondaire
la prolifération des mauvaises herbes, qui s’ajoute à l’augmentation du temps de sarclage discuté antérieurement (Bassett, 1988a). Deuxièmement, parallèlement à nos
observations, le système basé sur le coton est souvent privilégié : il s’insère sur les meilleures terres (figure 2.25) et sur la place privilégiée, notamment en début de cycle
(tableau 2.8). Les effets positifs de l’apport technologique, la deuxième complémentarité avancée
par la Banque Mondiale, quoique contestés par Bassett (1988a), ont effectivement été constatés dans les quatre villages de notre zone d’étude. La surface cultivée moyenne
par actif agricole est passé de 1,1 ha en culture manuelle jusqu’à 1,5 ha en culture attelée, soit une croissance de la productivité de travail de 36,4 %.
La troisième complémentarité, celle des services et subventions fournis par la CIDT, peut être contestée parce que ses programmes de cultures vivrières sont réservés aux
agriculteurs qui cultivent du coton. De plus, suite aux faibles rendements, aux coûts relativement élevés et à l’exclusion des cultures du mil et du sorgho, ces programmes
ont connu un faible succès (Bassett, 1988a). Enfin, l’hypothèse du développement des marchés locaux et régionaux en cas de
disette, est contredite par le constat qu’une grande partie de la consommation des ménages est constituée de riz importé de Burma, de Thaïlande et de Chine et non de
produits locaux. L’analyse de Bassett date des années 1981-1982. La dévaluation survenue le 12 janvier 1994 a probablement changé le mode de consommation.
Demont (1997b) constatait une substitution du riz par le maïs due à l’augmentation du prix de riz juste après la dévaluation. Cependant, des analyses à long terme seront nécessaires pour déterminer s’il ne s’agit pas d’un changement à court terme.
Quoiqu’il en soit, la validité de l’hypothèse du développement des marchés locaux et
régionaux restera largement à démontrer et dépendra surtout du mode de
consommation de la population villageoise. Le débat entre les deux thèses nécessite une analyse plus fine. Dans le paragraphe
3.3.5 nous essayerons de vérifier la validité de ces thèses pour les différents systèmes
de production au moyen d’une analyse économique. Nous démontrerons que les deux
thèses sont valides, mais que chacune d’entre elles s’applique sur un groupe social différent.
82
2.5.7 La dimension économique des exploitations agricoles
Puisque le travail constitue le principal facteur de production en agriculture manuelle
ou peu mécanisée, la vraie dimension économique d’une exploitation est constituée par son nombre total d’actifs1 et non par la superficie cultivée comme le présupposent
certaines études. Néanmoins, une relation logique existe entre les deux notions (figure 2.28). La dimension économique est principalement déterminée par le groupe familial.
Un système de salariat ne semble émerger que dans le sud de notre zone d’étude (Ouattaradougou et Farakoro).
0
1
2
3
4
5
6
7
8
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Nom
bre
d'ac
tifs
agric
oles
0
1
2
3
4
5
6
7
8
Sup
erfic
ie (
ha)
Actif agricole familial(AAf)Actif agricole salarié(AAs)Surface agricolecultivée (SAC)
Figure 2.28 : Dimension économique moyenne des exploitations pour quatre villages dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
Les exploitations au sud de la zone sont caractérisées par leurs grandes dimensions économiques et leurs grandes superficies cultivées. La figure 2.17 montre que même le rapport SAC/AAf est plus élevé. Rappelons-nous la figure 2.2 qui illustre
l’expansion qu’a connue cette zone depuis les années ’80. Il s’agit de la « zone d’accueil » et de la « zone d’espoir » pour les agriculteurs venant du Nord. Les causes
de cette migration sont multiples. Le rapport de Touré (1998) mentionne comme causes, rangées selon un ordre décroissant d’importance : la recherche d’une
indépendance économique, la baisse de la fertilité des sols des villages d’origine et les
dégâts causés par les bœufs des Peuhl.
1 AAt (le nombre d’actifs agricoles totaux) = AAf (le nombre d’actifs agricoles familiaux) + AAs (le
nombre d’actifs agricoles salariés) + AAns (le nombre d’actifs agricoles non-familiaux et non-salariés : entraide, obligations coutumières, payement du fermage en heures de travail, etc.)
83
Quelles que soient les causes, le résultat de ces migrations est d’abord le fait que les exploitations au Nord se trouvent appauvries en main-d’œuvre, alors que l’inverse se
passe dans le Sud. Ensuite, puisque 77 % des migrants appartiennent à une classe d’âge relativement jeune (entre 20 et 40 ans), il en résulte un vieillissement au Nord et
un rajeunissement au Sud (Touré, 1998).
Quant aux villages d’accueil, il faut préciser que les migrations ont pour point d’arrivée les villages Malinké du Sud à majorité peuplés de musulmans (groupe Mandé sur la figure 1.4 et zone hachurée sur la figure 1.8). Ces deux populations ont
toujours cohabité avec les Sénoufo et cette cohabitation a donné naissance à des alliances entre ces deux peuples. Aussi, le paysan sénoufo préfère-t-il se diriger vers
des villages culturellement tolérants à son égard. Il sait a priori qu’il peut y trouver de la terre, même s’il s’acquitte d’une redevance.
Outre la certitude d’accéder à la terre, le choix géographique du migrant est pour une large part imitatif : la certitude de rencontrer des paysans originaires du même village
est décisive. Ce choix traduit donc la volonté des migrants de transférer certaines pratiques sociales de leur groupe d’origine, notamment les prestations de travail
communautaires tels les groupes d’entraide dont ils pourront se servir pour pallier leur déficit de main-d’œuvre.
L’ensemble de ces facteurs peut fournir une explication pour le phénomène observé dans la figure 2.28 : une classe de jeunes migrants dynamiques rentre en contact avec
une population tolérante qui est disposée à lui confier une partie de sa terredont il dispose en abondance1, sous réserve d’une redevance. Puisqu’il s’agit de terre qui n’a
pas été obtenue par l’héritage coutumier, l’utilisateur a conscience du fait qu’il ne peut pas compter sur la pérennité de ce « droit d’usage ». Le migrant qui vient de s’installer, défriche donc une surface maximale pour anticiper une augmentation de la
pression foncière suite à l’arrivée de nouveaux migrants. En plus, le jeune qui a
émigré « à la recherche d’argent » privilège les cultures de rapport et cultive des
superficies étendues. Par conséquent, on y retrouve des exploitations avec des superficies cultivées par actif très importantes, comme on le voit sur la figure 2.17. La dynamique dont font preuve les migrants peut se résumer par la phrase suivante :
« Mais dès que ce dernier se rend compte que les terres sont de moins en moins
1 L’abondance de la terre se reflète par la proportion de la superficie totale des parcelles qui résulte
d’un défrichement d’une forêt primaire. Ce taux est 32 % dans le village de Ouattaradougou, alors qu’à Farakoro il ne représente que 4 %, suite à un début de saturation.
84
fertiles, il se dirige vers un autre village où il peut trouver des terres vierges » (Touré, 1998). Ceci est le cas pour le village de Farakoro. Poppe (1998) signale la présence de
migrants qui en sont déjà à leur deuxième implantation et un début d’émigration hors de ce village.
Les groupes de migrants venant du même village d’origine se retrouvent au village
d’accueil tout en gardant une forme de solidarité et de cohérence entre eux : entraide, regroupement des membres issus d’un même lignage, etc. Par conséquent, on y retrouve des exploitations caractérisées par une force de travail considérable (figure
2.28). En même temps, les liens avec le village d’origine sont maintenus : transferts de vivres ou d’argent aux parents restés au village, échanges bilatéraux de main-
d’œuvre agricole, dons importants lors des funérailles. Les superficies étendues et les dimensions économiques (force de travail) importantes
des villages au Sud s’expliquent donc par les migrations intra-régionales dans la région de Dikodougou. En résumé les migrations, c’est à dire la « course vers les
terres vierges » et le mouvement du front pionnier, se présentent comme une vague qui mobilise temporairement une force de travail importante sur une surface étendue.
Dès que les effets d’une saturation du terroir villageois sont ressentis, cette vague se déplace vers une autre région jusque là peu exploitée.
2.5.8 L’adaptation de l’outillage
L’outillage a été identifié par Boserup (1965) comme « indicateur clé » de l’évolution des systèmes agraires. Boserup insiste sur le fait que l’introduction d’un nouvel outil ne consiste pas en un simple perfectionnement technique de l’ancien outil. Son
adoption, en l’occurrence, se produit lorsqu’une opération nouvelle devient nécessaire. Le choix et la transformation de l’outil sont donc adaptés aux conditions
biophysiques, humaines et techniques du stade d’évolution agraire (partie 2.4). La figure 2.29 résume les observations faites pour les quatre villages.
85
Capital moyen investi par actif agricole total
0
20000
40000
60000
80000
100000
120000
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
FCFA
AmCnp
AmCp
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Pro
port
ion
de l'
amor
tisse
men
t (%
)
restegreniers de stockage
semoir pulvérisateur
équipement CA
hache et machette
daba
houe
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Pro
port
ion
de l'
amor
tisse
men
t (%
)
Figure 2.29 : Comparaison de la structure moyenne des amortissements pour un échantillon d’exploitations dans quatre villages de la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
86
Les systèmes de production font l’objet d’une étude économique plus détaillée dans le troisième chapitre. Ici, nous mettons l’accent sur la comparaison des caractéristiques
générales des exploitations entre les villages. Ainsi, la figure montre une augmentation du capital moyen investi dans les exploitations au fur et à mesure que
nous nous dirigeons vers un village à forte densité démographique. Nous distinguons deux groupes de capital : le capital proportionnel à la surface (houe, daba, machette et
couteau pour récolter le riz) et le capital non proportionnel à la surface (hache, équipement de la culture attelée, charrette, pulvérisateur, semoir, etc.).
Pour la suite de l’analyse, nous nous sommes basés sur le calcul des amortissements qui reflètent mieux le coût supporté par le paysan. L’augmentation du capital moyen
résulte essentiellement d’une croissance des amortissements non-proportionnels, à savoir l’équipement de la culture attelée. Les semoirs, utilisés pour le semis du maïs, apparaissent comme une spécificité pour les villages au Sud, correspondant à la place
importante qu’y occupe le maïs. Les pulvérisateurs, utilisés pour la diffusion des herbicides semblent plus nécessaires à Tiégana. Ce constat est cohérent à
l’observation faite dans la partie 2.4. Les cycles de culture sont 1,5 à 3 fois plus longs par rapport aux autres villages. L’enherbement qui en résulte augmente le temps de
travail au point que l’investissement d’un pulvérisateur s’avère rentable. Les amortissements de l’acquisition des houes, haches et machettes apparaissent comme des constantes pour les quatre villages. La daba1, le symbole de la culture d’igname,
occupe une place centrale dans les systèmes de culture IRA de Tapéré : 55 % des amortissements proviennent de l’achat et de l’entretien des daba.
2.5.9 L’utilisation des intrants
La figure 2.30 reconfirme toutes nos observations précédentes. Au fur et à mesure que la pression foncière augmente, la diminution de la jachère qui en résulte limite à la
restauration de la fertilité des sols. L’utilisation d’engrais permet de compenser la baisse de la fertilité, mais en même temps elle provoque une prolifération des
adventices. Même sans utilisation d’engrais, le problème d’enherbement s’impose au fur et à mesure que la durée des temps de culture augmente et la durée de la jachère diminue (partie 2.4). L’utilisation des herbicides se développe donc parallèlement à ce
phénomène.
1 un outil à plusieurs fonctions : buttage et récolte de l’igname, billonnage du riz pluvial, labour à plat, semis, sarclage, etc.
87
Même si l’utilisation des intrants est étroitement liée aux services fournis par la CIDT en fonction de la culture du coton, la figure 2.30 montre qu’également les cultures
vivrières nécessitent un apport en engrais croissant au fur et à mesure que la pression foncière augmente. Cet apport s’ajoute aux effets rémanents et aux autres
complémentarités (paragraphe 2.5.6) dont bénéficient les cultures de subsistance.
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
7000
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Coû
t par
hec
tare
(F
CF
A/h
a)
intrants totalengraisinsecticidesintrants sur vivriersherbicides
Figure 2.30 : Comparaison de la structure moyenne des coûts d’intrants par unité de surface pour un échantillon d’exploitations dans quatre villages de la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
2.5.10 Le système d’élevage
Il est nécessaire dans ce domaine de séparer les caractéristiques propres à l’élevage du gros bétail d’une part et du petit bétail d’autre part. La gestion humaine du gros bétail comprend schématiquement trois échelons. Premièrement, on retrouve le propriétaire
des animaux, que le terme « d’éleveur » qualifie très mal puisqu’il ne prend aucune décision technique concernant la conduite de ses animaux1. Ce propriétaire peut être
un paysan sénoufo, mais aussi un artisan ou un commerçant dioula, un citadin de
Korhogo ou de Ferkessedougou : fonctionnaire, employé, commerçant ou artisan. Le
propriétaire se situe à l’échelon le plus éloigné du bétail puisqu’il ne s’en occupe pratiquement pas. Il se contente de posséder les animaux et d’en tirer un revenu
parfois important.
1 Cependant, pour la commodité de l’exposé, ce terme sera souvent employé. Le mot « éleveur » signifiera donc « propriétaire des animaux ».
88
Au deuxième échelon se trouve le responsable du parc. C’est très souvent un agriculteur-éleveur, résidant dans le village. Il a une fonction de surveillance.
Possédant la confiance des propriétaires, c’est lui qui les représentera vis-à-vis de l’administration, des services techniques, etc. Il se charge également des rapports avec
les bouviers. La fonction de responsable de parc est rémunérée. De façon variable et selon les différentes coutumes appliquées, elle donne droit à une partie du croît du
troupeau. Cette « fonction » est fréquemment confondue avec celle de propriétaire, tout au moins dans les zones rurales, sans que cela puisse être nettement prouvé puisque la possession des animaux est le plus souvent anonyme.
Au troisième échelon du schéma, on trouve le bouvier. Lorsque c’est un employé
salarié1, c’est toujours un Peuhl, d’origine malienne ou voltaïque, venu travailler en Côte d’Ivoire dans le but de se constituer son propre troupeau avant de retourner chez lui. Lorsque la garde des animaux n’est pas confiée à un bouvier salarié peuhl, ce sont
les enfants sénoufo ou dioula qui en sont chargés.
Dans le domaine du petit bétail, la situation est nettement différente, particulièrement lorsqu’il s’agit des porcins et de la volaille. Les propriétaires d’animaux ne peuvent
pas « déléguer leur pouvoir ». S’ils veulent voir prospérer leur élevage ils doivent s’en occuper personnellement, parfois avec l’aide de leurs enfants. On constate alors que la qualité de cette gestion n’est pas toujours aussi médiocre que pour le gros bétail et que
certains efforts sont déployés. Si le niveau technique reste très bas et les méthodes utilisées rudimentaires, le point favorable se trouve cependant dans « l’approche » des
animaux par les éleveurs (SEDES, 1965).
Dans le tableau 2.10, nous analysons l’utilisation de la production animale pour l’ensemble des quatre villages étudiés. Le petit bétail (porcins, ovins, caprins, volaille : poulets, pintades, canards) se distingue nettement du grand bétail (bovins)
par un taux de vente 2 à 5 fois plus élevé. L’autoconsommation en général semble
occuper une place secondaire : la recherche d’un revenu à court terme (les ventes) et à
long terme (la reproduction) sont les objectifs dominants. L’utilisation pour des funérailles s’avère importante pour le grand bétail et les caprins. Pour les sacrifices, les caprins et les poulets occupent une place centrale, alors que pour les fêtes, il s’agit
des porcins et des ovins. La valeur du capital investi en gros bétail diffère très
1 Généralement, un salaire de 10.000 FCFA par mois est payé par 100 têtes. La production du lait est
toujours pour son compte. La reproduction revient au propriétaire. Souvent, le bouvier est hébergé et nourri par le propriétaire.
89
fortement d’une exploitation à une autre. Par ailleurs, une analyse approfondie n’a mis en évidence aucune corrélation entre le système d’élevage et le système de culture.
Pour l’ensemble des exploitations, nous avons effectué des analyses de corrélation entre (1) le stock et le changement du stock (en FCFA) du total des animaux, du grand
bétail, du petit bétail et de chaque animal et (2) la surface cultivée, le revenu de la production végétale et l’âge du chef d’exploitation. Pour ces dernières variables nous
avons effectué l’analyse avec la valeur de l’année en cours (t), de l’année précédente (t - 1) ainsi que celle de l’année suivante (t + 1). La combinaison de chacune de ces variables a abouti à 180 analyses de corrélation dont aucune ne s’est avérée
significative (α = 5%). L’existence d’une intégration entre l’élevage et les systèmes
de culture, mis à part l’utilisation des bœufs pour la culture attelée, peut donc être
mise en question. Tableau 2.10 : Utilisation de la production animale pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou bovins porcins ovins caprins poulets pintades canards
Valeur (FCFA) 86.161 10.500 11.969 7.356 1.191 1.000 3.500
Destinations principales Ventes 21,5 54,8 48,8 64,6 64,6 75,0 100,0 Consommation 0,0 0,0 0,0 4,2 1,0 0,0 0,0 Sacrifices 0,0 0,0 2,4 0,0 2,1 0,0 0,0
Funérailles 0,0 3,2 0,0 0,0 1,0 0,0 0,0
Fêtes 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 Reproduction 21,5 41,9 48,8 29,2 31,3 25,0 0,0
Cult. attelée 47,7 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0
Autres 9,2 0,0 0,0 2,1 0,0 0,0 0,0
Destinations secondaires Ventes 27,3 5,0 28,0 16,2 8,6 37,5 0,0
Consommation 0,0 10,0 4,0 2,7 12,9 25,0 0,0 Sacrifices 9,1 5,0 12,0 21,6 34,3 12,5 0,0
Funérailles 18,2 0,0 4,0 13,5 1,4 0,0 0,0
Fêtes 4,5 30,0 20,0 5,4 12,9 0,0 0,0
Reproduction 22,7 0,0 16,0 27,0 30,0 25,0 0,0 Autres 18,2 50,0 16,0 13,5 0,0 0,0 0,0
(source : propres calculs basés sur les données de Stessens, 1998) L’attitude des éleveurs vis-à-vis du troupeau de bœufs dans le nord de la Côte d’Ivoire a été l’objet de beaucoup d’études. Les termes « élevage de cueillette » ou « élevage extensif » nous sembles appropriés pour ce système. L’élevage bovin est juxtaposé à
l’agriculture. A l’exception de l’utilisation d’animaux de trait pour la culture attelée, il n’existe pas une intégration entre le système d’élevage et les systèmes de culture.
L’intervention est réduite au minimum, tant de la part des propriétaires que de la part
90
des bouviers peuhl. Le souci unique est d’empêcher les animaux de faire trop de dégâts dans les cultures. La production essentielle du troupeau est la viande. La
production laitière est très accessoire et considérée comme « rémunération » du bouvier. La production d’engrais organique est encore très faible.
Souvent, les propriétaires ont des bovins dans dix parcs différents. Cette coutume peut
avoir différentes causes. D’une part, c’est une sorte d’assurance mutuelle contre les grandes épidémies, la maladie frappant un village épargnera les animaux confiés dans des parcs lointains. D’autre part, cette habitude renforce le secret concernant
l’importance du troupeau possédé par tel ou tel éleveur (SEDES, 1965).
La comparaison du capital animal par exploitation entre les quatre villages ne nous permet pas d’en tirer des conclusions significatives sur l’analyse de l’évolution de ces villages. Ce capital est tellement inégalement reparti (paragraphe 2.6.7), que les
moyennes prises par villages sont trompeuses. A tous égards, l’évolution des systèmes agraires sous l’influence de la pression démographique dans la région de Dikodougou
n’a pas freiné le développement d’un élevage bovin. Au contraire, elle a crée un milieu propice à l’élevage par le biais du raccourcissement de la durée des jachères
qui deviennent herbeuses.
91
2.6 La mutation du milieu humain
2.6.1 Introduction
La mutation du milieu humain a, pour une grande part, ses racines dans l’histoire récente du Nord de la Côte d’Ivoire. Cependant, une autre part résulte des mécanismes
liés à la pression démographique, que nous avons déjà abordés dans les parties 2.4 et 2.5.
Cette mutation ne doit pas être considérée comme étant uniquement une conséquence
au bout de la chaîne d’évolution. Elle donne lieu à des feedbacks importants avec le milieu biophysique (les règles et pratiques d’utilisation des ressources naturelles : le foncier, les parcours du bétail, l’eau, etc.) et le milieu technique (les règles et
pratiques d’utilisation et d’organisation du travail, la monétisation des facteurs de production, etc.). Les trois pôles du système agraire (figure 1.10) sont donc en
interaction caractérisant un mode d’exploitation du milieu. Pour comprendre l’évolution du milieu humain, il nous semble nécessaire de la situer
par rapport à la mentalité religieuse sénoufo. Dans le monde sénoufo, la vie spirituelle commandait, et commande encore d’une façon déterminante, l’ensemble du
comportement : le monde en définitive, c’est le village. Le village seul est reconnu comme être véritable : individus et familles n’existent que dans la mesure où ils sont
intégrés à cette réalité fondamentale. Néanmoins, dans cet ensemble, constitué par le village, différentes unités économiques de base peuvent être distinguées. Dans ce constat nous retrouvons donc une validation pour le concept agroécosystème
villageois (AESV) que nous avons utilisé tout au long de ce travail.
2.6.2 Les unités économiques de base
« … mais, où sont donc ces unités économiques que nos amis cherchent tant en
Afrique? » est le titre ironique d’un article de Gastellu (1979), dans lequel il fournit une méthodologie pour l’identification des unités économiques dans les systèmes
agraires africains. L’auteur souligne qu’il importe prendre en considération trois unités, fondamentales à l’organisation économique de l’Afrique subsaharienne, à
savoir :
92
• la communauté de production (CP), perçue comme le groupe de personnes qui contribuent à la création et à la fourniture du produit ;
• la communauté de consommation (CC), perçue comme le groupe de personnes qui participent à la destruction d’une partie du produit en vue de la reconstitution
de la force de travail ;
• la communauté d’accumulation (CA), perçue comme le groupe de personnes qui mettent en commun le surplus obtenu après la consommation.
L’expérience de terrain révèle qu’il existe une quatrième communauté, qui, en soi, n’a
pas de finalité économique, mais qu’il est indispensable de cerner si l’on veut définir les communautés précédentes : la communauté de résidence (CR), perçue comme le groupe de personnes qui partagent un même espace d’habitation, séparé des autres par
des repères visibles (mur, palissades, voies, …). Dans le cas de Dikodougou, cette communauté porte le nom katiolo1. Cette communauté est fondée par les personnes
issues d’un ou de plusieurs narigba2.
La communauté de consommation semble coïncider à la communauté de production, à laquelle il faut ajouter un groupe de personnes qui ne participent pas aux travaux agricoles : les âgées, les malades et les tout-petits. La communauté d’accumulation est
centrée sur le matrilignage ou le patrilignage en fonction du système matrimonial en cours (paragraphe suivant).
2.6.3 L’évolution des systèmes matrimoniaux
Dans un système agraire où le facteur de production limitant est le travail, il est facile de comprendre que tout échange de ce facteur se traduit par une perte pour un groupe
social et un gain pour un autre. Au cours de l’histoire, l’évolution des systèmes matrimoniaux s’est donc centrée sur le maintien de cette source de richesse et sur la compensation lors d’une perte.
Le système matrimonial est fondamental parce qu’il détermine les conditions
d’échange de la force de travail féminine. Ainsi, selon l’étude SEDES (1965), dans le Nord de la Côte d’Ivoire quatre systèmes peuvent être retrouvés :
1 un mot que l’on peut approcher du terme « quartier » 2 « matrilignage » On voit dès lors la différence entre narigba et katiolo. Le premier terme renvoie à une unité biologique, le second à une unité de résidence.
93
1. le segbotio : dans ce système, le katiolofolo1 marie les jeunes filles d’un lignage aux jeunes gens d’un autre lignage de son katiolo. Aucune compensation n’est
nécessaire de la part du mari : tout échange avec l’extérieur est évité puisque le mariage se fait à l’intérieur de l’unité économique, constitué, dans le cas du
segbotio, par le katiolo. Dans ce système, le statut des fils et des neveux utérins2 est pratiquement identique et l’héritage revient indifféremment à l’un ou l’autre,
au seul bénéfice de l’âge ; 2. le kékourougo : dans ce système, appelé aussi « petit mariage » ou « bonne
amitié », la femme ne cohabite pas avec son conjoint. Elle continue à demeurer dans sa famille maternelle et l’homme vient l’y rejoindre plusieurs fois par
semaine. Ses enfants considèrent leur oncles maternels comme leurs propres pères. Il s’agit donc d’un système matrilinéaire et matrilocal3, à l’opposé donc du segbotio. Cependant, un objectif commun paraît caractériser les deux systèmes :
l’esquive d’échange réel de femmes entre deux groupes non apparentés ;
3. le tyeporogo pur : au contraire des systèmes précédents, ce système est fondé sur un échange réel des femmes entre deux quartiers. Puisque la femme quitte sa
famille pour aller habiter avec l’époux (patrilocalité) et les enfants reviennent définitivement au père (patrilinéarité), la compensation matrimoniale devient très importante. Elle est faite de dons en produits, volailles et bœufs ;
4. le tyeporogo atténué : cette variante présente une sorte de compromis puisque la
patrilocalité n’exclut pas la matrilinéarité. Toute jeune, la fille aînée de l’épouse cédée retournera au narigba de son oncle maternel où son arrivée compensera le
départ de sa mère. Les fils la rejoindront plus tard, tandis que les autres filles restent près du père.
Alors que les premiers deux systèmes répondent à une volonté de « fermeture » du
groupe élémentaire en interdisant la cession, même compensée, d’une partie du capital
génétique, les derniers deux systèmes sont basés sur des échanges de la véritable source de richesse : la femme. Enfin, le système matrilinéaire est le meilleur garant du maintien d’une relative égalité entre les katiolo. Non seulement la perte de main-
d’œuvre suite au départ de la femme est compensée, mais en plus, l’héritage revient
aux neveux utérins du défunt. Ce système assure la pérennité du matrilignage, tout en
1 chef de katiolo 2 du côté maternel 3 le phénomène où l’épouse reste dans sa famille au lieu de migrer dans la famille de l’époux
94
décourageant le principe même d’un processus de capitalisation à long terme. En effet, la capacité de créer de la richesse s’y trouve dissociée de la faculté de
transmettre cette richesse à un tiers privilégié. C’est l’homme qui peut agrandir ou valoriser le patrimoine, mais c’est la femme qui assure la continuité du temps. La
séparation de ces deux fonctions rend dérisoire le projet d’accumuler des biens au-delà des besoins prévisibles pour son propre règne.
Selon l’étude SEDES (1965), le groupe ethnique sénoufo serait originellement caractérisé par le système patrilinéaire. Suite aux contacts avec le groupe Akan (figure
1.4), leurs structures familiales auraient adopté le système matrilinéaire de ce groupe. Le fait que l’héritage de la charge de tarfolo1, qui représente l’autorité la plus
ancienne dans le groupe sénoufo, ait lieu selon le schéma patrilinéaire pourrait constituer une survivance de cette structure antérieure à l’adoption de la matrilinéarité.
Les enquêtes dans le village de Tiégana ont révélé que depuis dix ans, on assiste à un
changement fondamental du système d’héritage. Auparavant, les systèmes segbotio et tyeporogo atténuée dominaient le système matrimonial. Aujourd’hui on constate une
dégradation du système matrilinéaire. Alors que pour l’héritage de la terre, les anciennes règles restent en vigueur, il en va autrement pour l’héritage des biens où le système patrilinéaire commence à prendre de l’importance. Un argument qui
confirme ce constat est le recul de l’importance de la dot. Cependant, la réticence des plus âgés d’aborder ce sujet montre qu’il s’agit d’un système qui n’est pas encore
accepté.
Selon ce système, les cultures pérennes, comme les vergers d’anacardiers et de manguiers, sont considérées comme des biens. Par conséquent, tant que les arbres sont là, le fils hérite du champ lors du décès du père. Si, ensuite, il veut agrandir son
champ, il doit demander la permission au neveu utérin qui a hérité de la terre.
Ce phénomène entraîne aussi des changements fondamentaux dans le système d’élevage bovin. Les bovins constituent les biens par excellence de l’accumulation des surplus obtenus lors des campagnes agricoles et occupent donc la place centrale
dans le système d’accumulation. Suite à l’émergence d’un système patrilinéaire
1 Le rôle du chef de terre ou tarfolo est essentiellement religieux : il est l’intermédiaire de son groupe auprès de la terre et des ancêtres qui y reposent.
95
d’héritage des biens, la communauté d’accumulation se déplace du matrilignage au patrilignage.
L’enquête « Identification des ménages » de 1997, accompagnée d’une étude
anthropologique sur le terrain, nous a permis de retracer, pour chaque exploitation de l’échantillon, le lien de parenté des résidents par rapport au chef de ménage. Ensuite,
nous avons distingué différentes catégories, selon ce lien de parenté. Dans la figure 2.31, chaque catégorie est représentée par un chiffre. Là où il est nécessaire de distinguer le sexe, le chiffre est mis dans un triangle (masculin) ou un cercle
(féminin). Le chef de ménage (CM) occupe la place centrale de l’arbre généalogique. Le système matrimonial en vigueur détermine pour une large part la localité des
différentes catégories. Dans un système patrilocal par exemple, les épouses font partie des résidents de l’exploitation. Un système matrilinéaire est caractérisé par la présence de neveux utérins ou de nièces utérines. Le but de cette analyse consiste
donc à « mesurer » l’importance des schémas matrimoniaux par le biais de la présence des différentes catégories dans les exploitations de l’échantillon. L’analyse nous
donne également une idée de la structure du groupe familial à la base du fonctionnement de l’exploitation agricole.
Pour ceci, nous déterminons l’importance de chaque catégorie dans le groupe familial. Par exploitation, nous calculons le nombre de résidents total et le nombre de résidents
par catégorie. Une famille avec 1 chef de ménage, 2 épouses, 2 filles, 1 fils, 1 frère, 2 neveux utérins et une nièce utérine, par exemple, est donc composée de 10 résidents et
6 catégories. Ensuite, nous calculons1 la part (en %) de chaque catégorie dans le nombre total des résidents. Pour notre exemple, les catégories représentent
respectivement 10 % (chef de ménage), 20 % (épouses), 20 % (filles), 10 % (fils), 10 % (frères) et 30 % (neveux utérins2). Enfin, nous calculons les moyennes par village et pour l’ensemble des quatre villages. Ces moyennes sont représentées par les
chiffres sur la figure 2.31. Le chiffre entre les catégories « fille » et « fils » constitue
la somme des deux. Cette figure permet de comparer les différents villages quant aux
structures familiales des exploitations. Pour discuter les résultats, nous adoptons le point de vue du chef de ménage. Ainsi,
nous distinguons quatre niveaux. Le niveau des parents est constitué par les parents
du chef de ménage, ses grands-parents et les parents et grands-parents de l’épouse.
1 Cette méthode est analogue à la méthode de « l’équation familiale » de Le Roy (1983). 2 Puisque les neveux utérins et les nièces utérines font partie de la même catégorie, nous désignons les deux sexes par le même terme, notamment « neveux utérins ».
96
Cependant, suite à la patrilocalité, ces derniers ne font généralement pas partie de l’exploitation.
Figure 2.31 : Importance (%) des résidents familiaux sur l’exploitation agricole selon le lien de parenté (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
2
0
0
CM 21
5 0
14 31
20
0
Tapéré AAf = 3,8
2 0
4
0 0
0
3
CM 20
8 1
2 32
19
0
Tiégana AAf = 4,1
3 0
14
0
0
0
1
CM 24
3 0
6 44
16
0
Ouattaradougou AAf = 4,9
6 0
0
0 0
0
3
CM 22
1 0
6 44
16
0
Farakoro AAf = 4,3
5 0
2
0
0
0
2
CM
22
4 0
6
38
17
0
4 0
6
0
Patrilocalité
Matrilinéarité
Légende
homme femme
mariage descendance
L’ensemble des 4 villages Parents Chef de ménage
Enfants
Petits enfants
Neveux utérins
28 10
3 29 24 8
35 9 25 19
97
Au niveau du chef de ménage (CM) ensuite, on retrouve, outre le chef, son épouse et ses frères et sœurs. On retrouve rarement des sœurs sur l’exploitation. Toute jeunes,
elles retournent déjà au narigba de leur oncle maternel (tyeporogo atténué). Une fois mariées, elles s’installent dans le narigba de l’époux. Plus tard, leurs enfants
retournent chez l’oncle maternel, notamment le chef de ménage, pour compenser le départ de leur mère. La présence de ces « neveux utérins1 » (naro) est un indicateur de
la matrilinéarité du système matrimonial : elle représente 6% pour l’ensemble des quatre villages. La proportion des frères sur l’exploitation n’est pas négligeable (4 %). Cependant, il s’agit généralement d’un frère plus jeune et célibataire. Le fait qu’on
retrouve très rarement un frère marié avec ses enfants sur l’exploitation, illustre l’importance des segmentations rapides et l’évolution vers la famille nucléaire comme
unité de production. Le niveau des enfants est constitué par les enfants du chef de ménage, les époux ou
épouses des enfants, les neveux utérins et les enfants du frère. La présence ou l’absence de ces deux derniers groupes a déjà été expliquée. Par rapport aux fils (28
%), les filles sont en minorité (10 %). L’aînée des filles retourne au narigba de son oncle maternel, notamment un des frères du chef de ménage (matrilinéarité). Plus tard,
elle rejoint le narigba de son époux (patrilocalité). Un jour, ses enfants rejoindrons l’exploitation du chef de famille ou d’un de ses fils indépendants pour compenser son départ (matrilinéarité).
Une comparaison des résultats fait apparaître une forte ressemblance entre les villages
du Nord d’une part et entre ceux du Sud d’autre part. Cependant, les villages du Sud semblent moins caractérisés par la matrilinéarité. Différents critères renforcent
cette hypothèse. Premièrement, la proportion des neveux utérins est nettement moins importante dans les villages au Sud (0 à 2 %) par rapport au Nord (4 à 14 %). Deuxièmement la plus grande proportion d’enfants rencontrée au Sud pourrait résulter
d’une reproduction plus importante, ainsi que d’un affaiblissement du système
matrilinéaire qui oblige à envoyer les enfants (d’abord les filles aînées) au narigba de
leur oncle maternel. Il en va de même pour les frères dépendants du chef de ménage qui semblent « échapper » à l’obligation d’aller rejoindre leur famille maternelle. Les villages au Sud se distinguent donc par une autonomie plus élevée vis-à-vis du
système matrimonial traditionnel. Les migrations récentes qu’ont connues ces
villages, fourniraient-elles une occasion idéale de supprimer des règles anciennes, qui
1 ou « nièces utérines »
98
s’avèrent de plus en plus inadaptées aux conditions socio-économiques contemporaines?
Les enquêtes à Tiégana illustrent clairement l’inaptitude du nouveau « système
matrilinéaire dégradé ». Le neveu utérin se voit refuser l’héritage, pour lequel il a offert son travail tout au long de sa jeunesse. Le statut du fils devient ambigu : héritier
des biens du père, il doit s’adresser au neveu utérin pour utiliser la terre de son père. Suite à des conflits, le nombre de cas où l’héritage se fait selon un schéma patrilinéaire pur n’est pas négligeable. Cependant, il est difficile de repérer l’ampleur
de ce phénomène dû à la réticence globale d’aborder ce sujet délicat. Selon les jeunes, la législation officielle concernant le droit d’héritage serait la principale cause de cette
« conversion ».
2.6.4 L’organisation économique, la gérontocratie et le contrôle social
L’organisation économique d’un agroécosystème villageois est entre autres la
résultante de la combinaison entre, un système de parenté d’une part et un système économique d’autre part (Gastellu, 1979). L’organisation des travaux agricoles et la répartition des tâches dont ce système est constitué, sont des expressions concrètes du
système des classes d’âge. L’origine de ce système doit être trouvée dans la religion sénoufo.
Dans le groupe sénoufo, le quotidien s’enracine dans le sacré et il n’est guère possible
de rendre compte du premier sans se référer au second. Le village possède un lieu privilégié, le bois sacré (sizeng) : c’est là qu’il reçoit l’influx de la divinité, là que les nouvelles promotions d’initiés accèdent à la vie authentique au cours d’une
renaissance symbolique. C’est là aussi que se trouvent les ancêtres, les intermédiaires naturels entre les hommes et la divinité. Ils représentent en somme à la fois le capital
d’humanité accumulé par la collectivité et des êtres encore capables d’intervenir dans les affaires des vivants.
La véritable frontière ne se situe pas tant entre la vie et la mort, qu’entre enfants et jeunes gens, c’est à dire entre ceux qui sont dans le village sans être du village
d’un côté et, de l’autre, tous ceux, qui au terme du poro ont accédé à la vie véritable. Initiés et non initiés constituent donc deux mondes distincts. Le second participe sans
doute à des fonctions essentielles à la survie du village, mais aucune initiative ne peut leur être laissée pour tout ce qui risque d’avoir, pour le groupe, une conséquence quelconque. Ils sont contrôlés par les anciens et toute décision leur sera imposée sans
99
qu’ils aient possibilité de s’y opposer ou même de formuler un avis. Par contre, après le poro, l’homme, désormais en pleine possession de ses facultés, est lié à un réseau
très dense d’obligations et sa conduite relève d’un code très strict.
Dans la société villageoise traditionnelle sénoufo, la puissance de la gérontocratie, justifiée et accentuée par le poro, influence pour une large part l’organisation
économique. Actuellement, dans quelques domaines cette ingérence tend à diminuer fortement.
L’étude SEDES (1965) ainsi que l’ouvrage de Le Roy (1983) signalent un phénomène de segmentation des unités économiques, accompagné d’une disparition du champ
collectif (sekbo) et d’un développement des champs individuels (kagon). Dans l’agroécosystème villageois traditionnel, le katiolo constituait l’unité économique de base. Il avait en même temps les rôles d’unité de résidence, de production et de
consommation. Le sekbo était la concrétisation du katiolo et l’expression sociale de l’autorité du katiolofolo (chef de quartier). Le grenier collectif était le symbole du
fruit du travail collectif sur le sekbo et de la solidarité du katiolo. On voit donc clairement une compatibilité avec le système matrimonial sekbotio où le refus
d’échange avec le monde extérieur résulte en une unité isolée, autarcique et centrée sur le sekbo.
Différents arguments expliquent la disparition de cette organisation économique. L’étude d’Aubertin (1980) décrit comment dans les années 20, 30 et 40 la région Nord
de la Côte d’Ivoire était considérée comme « réservoir de main-d’œuvre » pour les plantations privées de la « Basse-Côte1 » et la construction du chemin de fer Bouaké –
Ferkessedougou. Au travail « volontaire » qui désignait le recrutement administratif, succède le travail « obligatoire », puis devant la pénurie de main-d’œuvre, le travail « forcé » devenait la règle. Quoiqu’il en soit, les katiolo se trouvaient
systématiquement appauvris de leur force de travail. Une fois rentrés au village, les
« requis » avaient besoin de quelques mois de repos. Les greniers du sekbo ne
pouvaient pas toujours assurer la subsistance de ces bouches provisoirement inutiles. Dès qu’ils s’étaient rétablis, ils admettaient mal de rester mobilisés en permanence dans le cadre d’une institution qui s’était révélée incapable de leur apporter les
secours indispensables dans une occasion grave. En 1946, une loi met fin au travail
forcé en Basse-Côte. C’est aussi dans cette période que le plus grand nombre de cas
de disparition du sekbo a été signalé (SEDES, 1965).
1 le nom populaire de la région Sud de la Côte d’Ivoire
100
Un deuxième argument, avancé lors des enquêtes à Tiégana, est l’introduction en milieu sénoufo du mariage type tyeporogo. Ce système remettait en cause un des
fondements de l’organisation économique : la correspondance exacte entre la communauté de résidence et la solidarité économique. Sous les systèmes sekbotio et
kékourougo, ces deux champs coïncidaient. Suite à l’introduction du mariage tyeporogo, il fallait faire une place dans le katiolo à une épouse étrangère dont le
statut excluait toute « assimilation » puisqu’elle restait liée à son propre narigba. La solution consistait à lui accorder un droit d’usage, lié à sa position d’épouse, sur une parcelle. Ce droit d’usage permanent fondait l’autonomie économique de l’épouse qui
a servi de modèle à l’individualisation de la propriété (SEDES, 1965).
Selon nos enquêtes à Tiégana enfin, les impôts et les redevances exigées en nature par l’administration coloniale auraient rompu l’équilibre économique traditionnel. Le segbo était destiné à assurer la subsistance de ses membres et non à surproduire en
vue d’une exportation quelconque. Appauvri dans sa force de travail, privé d’une partie de sa production, le katiolo pouvait difficilement s’adapter à cette situation
nouvelle. C’est à ce moment donc que beaucoup de villages ont supprimé l’ancien système. Cependant, l’éclatement du sekbo ne s’est pas produit immédiatement. Cet
éclatement a consisté en un morcellement du patrimoine foncier en petites propriétés exploitées par un individu ou une famille nucléaire1. Entre les survivances d’exploitations collectives traditionnelles et les ménages économiquement
indépendants, une organisation économique d’une taille intermédiaire reste largement répandue (figure 2.31).
Le système traditionnel du sekbo par katiolo aboutissait donc, par segmentations
successives à un système mixte contenant un sekbo, le grand champ appartenant à la nouvelle unité économique, et plusieurs kagon, les champs individuels des épouses, des fils et des frères. La famille se coupait par groupes de frères utérins et le terroir
était réparti proportionnellement à la taille des nouveaux segments familiaux, le
katiolofolo gardant en général une portion de terres plus importante. Même lorsque le
village était formé par un seul segment de narigba, les liens de parenté ne suffisaient pas à fonder l’organisation de cette petite société. A plus forte raison, lorsque l’agglomération était composée de plusieurs katiolo, un principe de cohésion était
nécessaire pour maintenir vivante la solidarité des parties. Il fallait donc des
institutions et une autorité, dont les rôles essentiels étaient fournis par le système des
classes d’âge.
1 On appelle « famille nucléaire » le groupe constitué par un homme, son ou ses épouses et ses enfants.
101
Ce système signifie principalement que, dans ce type de société, les tâches et dignités ne sont pas distribuées selon une hiérarchie héréditaire des classes sociales, mais selon
l’âge. La vieillesse constitue le seul titre de noblesse. Dans un premier sens, étaient considérés comme vieux tous ceux qui avaient terminé le cycle d’initiation des
adultes : le poro. Le système aboutit donc à une gérontocratie égalitaire et conservatrice. Conservatrice parce qu’il s’agit de sauvegarder l’ordre originel qui
constitue la réalité intertemporelle du village. Egalitaire, parce que tous les hommes d’une même classe d’âge se considèrent comme des pairs et que tout jeune qui rentre dans le bois sacré avec ses camarades est certain d’atteindre le degré suprême de
l’initiation.
L’autorité de cette gérontocratie était mêlée à tous les niveaux et domaines de l’agroécosystème villageois traditionnel sénoufo. Mise à part son influence sur les rapports sociaux dans les systèmes de production, discutée dans le paragraphe suivant,
cette classe avait la tâche de veiller à ce que le modèle de vie transmis par les ancêtres soit respecté et renouvelé. De là provient le contrôle social permanent et le refus
permanent de compétition économique. A Tapéré, le village de plus faible densité démographique, le contrôle social s’avère très important : toute forme
d’enrichissement personnel est déclarée impropre1. L’organisation sociale ne constitue donc rien d’autre que des expressions concrètes du
système des classes d’âge qui lui-même n’est pas intelligible sans références aux conceptions « métaphysiques » de la société sénoufo. Pour nombre d’interdits, de
prescriptions et d’obligations, les représentants de ce système jouent le rôle d’intermédiaires entre la divinité et la vie villageoise. Lorsque le tarfolo attribue une
parcelle par exemple, il informera toujours l’agriculteur en ce qui concerne les interdits et les obligations qui sont liés à la parcelle. Le devin (sandogo) transmet les interdits qui reposent sur les parcelles au tarfolo : interdiction de cultiver la patate
douce, le sorgho, le mil, etc. Le sandogo désigne aussi les jours de repos dus à
l’interdiction de travail sur un champs (segui tiandin), les jours de repos personnels
(tiandin) et les jours de repos pour tout un village (jardima). Si les prescriptions ne sont pas respectées, les rendements seront faibles, ou plus grave le pouvoir du déowa2 se fera sentir. Selon Bassett (1988b), on assiste de plus en plus à une négligence vis-à-
vis ces prescriptions due à l’accroissement des pointes de travail, discuté dans le
paragraphe suivant.
1 Certains enquêtés illustrent que l’adoption de la culture du coton entraîne des réactions de moquerie. 2 sorcier
102
2.6.5 L’évolution des rapports sociaux et la « féminisation1 » dans l’agriculture
Les rapports sociaux dans le système de production, notamment au niveau de la
répartition du travail et de l’accès à l’équipement, au foncier et à la force de travail ont été l’objet de profonds changements dus à différents facteurs de l’agroécosystème
villageois : l’évolution des systèmes matrimoniaux et de l’organisation économique, l’introduction des cultures de rapport, la transformation du milieu biophysique et le
passage d’un système de production manuel à un système de production mécanisé fondé sur la culture attelée.
Rappelons-nous l’introduction en milieu sénoufo du mariage de type tyeporogo. Ce système matrimonial a des répercussions importantes sur l’autonomie économique de
la femme mariée : le droit d’usage foncier personnel lui donne une sorte de privilège dans un système collectif auparavant concentré sur le sekbo. C’est cette parcelle personnelle (champs de riz en bas-fonds, champs d’arachide, de gombo, de pois de
terre, etc.) qui assure la relative autonomie alimentaire de l’épouse. En plus, au fur et à mesure que la commercialisation des produits vivriers se développe, la femme
s’oriente sur le commerce de détail se procurant ainsi une autonomie économique. Pour compléter leurs revenus, à plusieurs reprises dans l’année, certaines femmes se
présentent comme salariées agricoles temporaires. Bassett (1988b) ajoute un deuxième « avantage » du mariage type typorogo. Ce système permet à la femme de se retirer dans son propre narigba lors des conflits avec son époux et donc « jouer de
l’un contre l’autre ». Cette indépendance de l’épouse limite fortement le contrôle que pouvait exercer l’homme sur la force de travail féminine. Cette liberté de la femme
durant les années ’60, dont l’étude SEDES (1965) témoigne, se trouve aujourd’hui enrayé suite à plusieurs évolutions.
L’introduction des cultures de rapport a entraîné une division du travail. Désormais, l’homme s’attribue les cultures de rapports alors que la femme voit sa charge de
travail accroître. Elle ne s’occupe pas seulement des cultures de subsistance ; elle doit
aussi préparer les repas, soigner les enfants et si possible, obtenir un revenu
supplémentaire pour financer l’achat des condiments, des vêtements, etc. Les chiffres dans le tableau 2.11 représentent la proportion de la superficie totale cultivée dont les
1 Ce terme a été utilisé par Bassett (1991) pour exprimer un processus contenant deux phases. La première phase constitue l’accroissement du travail féminin suite à l’expansion des cultures de rapport. La seconde phase montre que les femmes bénéficient des innovations technologiques et cherchent à réduire les pointes de travail de la main-d’œuvre. Les innovations vont affecter les barrières sociales et culturelles qui empêchent les femmes d’étendre leurs superficies cultivées. Alors que trois des quatre villages étudiés (Ouattaradougou, Farakoro, Tiégana) se trouvent dans la première phase, cette deuxième phase d’évolution n’y est pas encore atteinte.
103
travaux sont sous la direction du membre indiqué. Le tableau illustre la position très dominante de l’homme en ce qui concerne la direction des travaux, même si la femme
effectue une grande partie du travail au niveau des cultures de subsistance.
Tableau 2.11 : Proportion de la superficie totale dirigée par les membres du groupe familial pour l’ensemble des quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou Culture Chef de ménage Femmes Autres membres
Igname 100 % 0 % 0 % Coton 100 % 0 % 0 %
Anacarde 100 % 0 % 0 % Riz pluvial 100 % 0 % 0 %
Riz pluvial – maïs 99,4 % 0,6 % 0 % Maïs 95,6 % 0,5 % 3,9 % Arachide 56,7 % 41,1 % 2,2 %
Riz inondé 47,4 % 49,4 % 3,2 % (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Une partie de la dominance de l’homme observée dans le tableau s’explique par un accès inégal à l’équipement et à la force de travail. Souvent, l’homme s’approprie les
bœufs et l’attelage. Etant l’utilisateur exclusif de cet équipement, il est donc capable d’augmenter sa superficie cultivée d’une façon considérable. En plus, il exerce un droit éminent sur la force de travail du groupe familial. Différentes études décrivent
un système de division de travail où la femme se voit attribué deux jours par semaine pendant lesquels elle peut se consacrer à son champ individuel. Les autres jours sont
exigés par l’homme. Selon Bassett (1988b), il s’agirait d’un compromis réglant les conflits liés à l’introduction du mariage tyeporogo. Quant à la femme, elle n’a pas souvent accès à la main-d’œuvre familiale. Ces restrictions conduisent à l’emploi
fréquent de main-d’œuvre extérieure et à l’utilisation d’un marché locatif de traction animale dans les parcelles cultivées par les femmes. Bassett (1991) ajoute que
l’accroissement du temps de travail total des femmes aboutit même à une négligence
des champs personnels, en faveur des champs du ménage et des champs en dehors du
ménage.
Mais cet accroissement du travail n’est pas seulement lié à une monopolisation de
l’accès aux ressources par l’homme. Les facteurs comme la densité de la population et l’intensification des systèmes de culture qui en résulte, entraînent une telle
transformation du milieu biophysique, décrite dans la partie 2.4, que des travaux traditionnellement réservés à la femme, comme le sarclage, commencent à dominer le
104
travail agricole. La culture attelée permet de surmonter ce problème, à condition que les femmes aient accès à l’équipement ce qui n’est généralement pas le cas. Suite à
cette restriction, un nouveau rapport entre les mariés se développe : la femme paie son mari pour labourer son champ individuel.
L’évolution récente du système matrimonial à Tiégana montre une tendance vers la
patrilinéarité (paragraphe 2.6.3). Jusqu’à maintenant, elle n’a pénétré que le système d’héritage des biens. Si cette évolution se poursuit, quelle sera la place de la femme dans les années à venir? L’inégalité des droits entre hommes et femmes va-t-elle se
niveler ou s’aggraver, ou bien la femme, va-t-elle se retirer dans son narigba et adopter le système kékourougo?
Mais l’évolution des rapports sociaux ne s’est pas seulement effectuée dans le ménage. Durant la période pré-colonial jusqu’au milieu des années ’40, lors du
système collectif des sekbo, d’autres formes de rapports sociaux existaient. Elles se situaient dans la répartition du travail à l’extérieur du ménage et même entre les
katiolo. Aujourd’hui, ces formes ont entièrement ou partiellement disparu. Le groupe de travail « sekpoque » était composée des dépendants du katiolo qui travaillaient
régulièrement dans le sekbo et étaient nourris par les greniers collectifs du sekbo. La disparition des sekbo est allée de pair avec la disparition de cette forme de travail. Aujourd’hui, les enquêtes à Tiégana montrent que le terme concret « aller au sekbo »
est devenu archaïque.
Les tuotégue étaient des groupes de jeunes qui étaient dans la dernière phase du cycle d’initiation du poro. Ils étaient « invités » par la classe âgée qui encadrait le poro,
pour travailler dans leurs champs pendant les pointes de travail. A la fin de la journée, ils étaient récompensés par un repas. Souvent, la classe âgée imposait des amendes aux jeunes lorsqu’ils n’avaient pas respecté les règles. Si les jeunes n’étaient pas
capables de payer1, il pouvaient fournir du travail, appelé tuowa, dans les champs de
leurs aînés pour compenser l’amende. Selon les enquêtes à Tiégana, ces formes de
travail n’existent presque plus et ont été remplacées par des paiements monétaires. Cependant, une survivance des tuotégue existe : le ton ou la « société des jeunes ». Il
s’agit d’un groupe de jeunes qui aident les plus âgés du village et prennent en charge
des travaux d’intérêt collectif. A côté des activités consacrées au service du village, le
ton fonctionne comme une sorte de mutuelle. Les différences avec les tuotégue sont
1 Evidemment, il s’agissait de payer « en nature » (une chèvre, un poulet, etc.).
105
dans le fait qu’il s’agit souvent d’un service payant et qu’un président est choisi pour gérer la caisse centrale. A Farakoro et Ouattaradougou, des ton pour la récolte du riz
pluvial ont été observés1. A Tiégana, un ton a été fondé s’intéressant aux conditions sanitaires du village. Quelle que soit la forme pris par le ton, le phénomène,
relativement récent2, témoigne d’une émancipation de la jeunesse.
Le wonodig est une forme de travail qui a totalement disparu. Ce travail symbolisait une compensation pour la cession d’une femme lors d’un mariage de type tyeporogo. La période de compensation pouvait facilement atteindre 10 ans. Souvent, les jeunes
se regroupaient pour aller travailler dans les champs de leurs futurs beaux-parents. Cette forme d’entraide s’appelait « léhéré ». Selon les enquêtes, le wonodig a été aboli
suite aux conflits qui émergeaient à la fin de la « période d’investissement », à savoir au cas où les beaux-parents ou la fille n’acceptaient pas le mariage.
Une dernière forme de travail très répandue jusqu’à aujourd’hui sont les groupes d’entraide réciproque : les golon. Dans la période pré-coloniale, les golon étaient
organisés par les katiolofolo pour travailler dans les segbo d’autres katiolo qui manquaient de main-d’œuvre. La plus grande différence entre ce système et les autres
systèmes d’entraide est le fait qu’il s’agit d’une entraide réciproque. Plus tard, le golon doit donc être compensé par un golon équivalent, c’est à dire contenant le même nombre de travailleurs. La réciprocité se reflète surtout dans le terme utilisé par
les agriculteurs pour désigner cette forme d’entraide : « travail à crédit ». Malgré toutes les évolutions que nous venons de décrire, le succès des golon n’a pas diminué.
Par contre, ayant une origine d’égalisation et de solidarité collective, le caractère des golon change lors de l’introduction de la culture attelée et sera même à la base d’une
polarisation de l’agroécosystème villageois, traitée ultérieurement.
1 Les ton à Farakoro et Ouattaradougou contiennent respectivement 45 et 25 personnes. Le premier groupe demande 20.000 FCFA par journée de travail, alors que pour le deuxième groupe ce montant est de 4.000 FCFA pour les membres et 5.000 FCFA pour les autres. Les revenus sont mis dans la caisse du ton ou dans celle du village. 2 Selon l’étude SEDES (1965), le phénomène a débuté à partir des années ’60.
106
2.6.6 La monétisation des facteurs de production
Dans la période pré-coloniale, le troc réglait les échanges. Par ailleurs, l’utilisation
d’un système de cauris1, jouant le rôle de monnaie pour l’achat des animaux et des tissus, témoignait de l’existence de rapports marchands entre les populations. Mais
ceux-ci étaient très limités et surtout occasionnels. Quand un surplus de nourriture existait, il était stocké dans les greniers collectifs en prévision d’éventuelles disettes.
Cet excédent était cependant très limité. Les quelques produits agricoles échangés correspondaient à un excédent consécutif à une récolte exceptionnelle. Ils n’étaient pas le résultat d’une activité délibérée en vue de l’obtention d’un surplus échangeable
(Le Roy, 1983). Dans le paragraphe 2.5.3 nous avons décrit comment l’administration coloniale a poussé les agriculteurs, auparavant surtout basé sur l’autarcie et les
cultures de subsistance, vers une économie marchande par le biais des impôts et des redevances en nature. Le paragraphe 2.6.4 illustre comment le système collectif traditionnel basé sur le sekbo, pouvant difficilement s’adapter à cette situation
nouvelle, a été mis en déséquilibre.
Aujourd’hui, on assiste à une monétisation progressive de la société sénoufo. Les amendes du poro ont été remplacées par des sommes d’argent. Les tuotégue préfèrent
donner de l’argent aux âgés au lieu de travailler dans leurs champs. A Tiégana, l’argent a pris la place des greniers collectifs du sekbo. Lorsqu’un problème se produit, chacun fait une contribution monétaire en fonction de la superficie de ses
champs. Les tissus, les poulets, dons traditionnels lors des funérailles, ont été partiellement remplacés par l’argent. Si l’épouse, pour une quelconque raison, ne peut
travailler dans le champ de son mari, elle le paie pour compenser cette « perte ». Le service « labour à la traction animale », fourni par son mari est également payant.
Egalement, les facteurs de production sont plus ou moins l’objet d’une monétisation, en fonction de leur rareté. La main-d’œuvre, qui constitue le facteur limitant de
production, a toujours été valorisée d’une manière ou d’une autre. Les systèmes
matrimoniaux refusant l’échange de l’épouse d’une part et les systèmes de
compensation, comme la dot et les échanges matrilinéaires des neveux utérins d’autre part, témoignent d’une valorisation2 continue de la force de travail tout au long de
1 Il s’agit d’un petit coquillage (cyprae moneta) de l’Océan Indien importé au Soudan dès le XIième siècle (Le Roy, 1983). Un veau par exemple coûtait 3 sacs de 50 kg, soit 150 kg de cauris. 2 L’étude SEDES (1965) mentionne l’existence de l’esclavage chez les Sénoufo. Le prix moyen d’un homme vers 1890 semble avoir été de 4 à 5 pièces d’argent (5 francs). L’esclavage était avant tout un moyen d’agrandir le narigba ou le katiolo, c’est à dire de mettre à sa disposition davantage de force de travail ou de capital génétique. Le fait que les katiolofolo étaient disposés à payer une somme importante pour un esclave, confirme qu’il s’agissait d’un échange très valorisée.
107
l’histoire. L’utilisation de la main-d’œuvre salariée, un système en place depuis longtemps déjà, renforce aussi ce constat.
Le système « terre contre travail » existe déjà depuis les années ’60 (SEDES, 1965).
L’introduction de ce système a deux conséquences sur la société sénoufo. En premier lieu ce type d’échange ne correspond pas au libéralisme traditionnel du Sénoufo en
matière foncière. Il tend à valoriser à la fois la terre et la main-d’œuvre. En deuxième lieu, les conditions incertaines dans lesquelles cet échange s’effectue peuvent être compatibles avec une culture itinérante, mais sont généralement un frein
sérieux pour toute tentative d’intensification des systèmes de culture.
L’importance du tarfolo constitue un autre indicateur de la valorisation de la terre. Rappelons-nous qu’il s’agit d’un des critères du zonage construit dans le chapitre 1. En « zone dense » (figure 1.6), l’autorité du tarfolo, qui porte essentiellement sur les
secteurs non défrichés tend à s’annuler par extinction progressive de la réserve de terres non défrichées. En zone de très faible densité démographique, en « zone mil »
par exemple, la terre est tellement abondante que sa valeur est très faible. Les conflits fonciers n’existent pas. La fonction de tarfolo s’annule elle-même par excès de sols
disponibles. Elle ne se maintient vraiment qu’en zone igname où la densité moyenne de la population laisse une réserve de terre tout en donnant au sol une valeur qui justifie un certain contrôle de sa distribution. Les conflits qui peuvent se rencontrer
dans ce cas sont plutôt des rivalités entre villages que des tensions entre personnes d’une même localité. Dans le village de Tiégana, la pression foncière est tellement
élevée, malgré le taux d’accroissement de population négatif (tableau 2.1), qu’il existe de nombreux cas d’agriculteurs qui pour l’obtention d’une terre s’adressent au village
voisin où la pression foncière est inférieure à celle de Tiégana. Il nous faut souligner que le problème n’est pas toujours de trouver de la terre, mais de trouver de la terre fertile, c’est à dire non épuisée suite à une exploitation poussée de l’occupation du sol.
Aussi, constate-t-on des litiges fonciers entre les villages. Ceci est représenté sur la
carte de Tiégana (figure 2.32).
Dans le tableau 2.12 enfin, nous comparons l’importance des modes de transmission des terres entre les quatre villages. Les chiffres représentent la proportion de la
superficie totale des parcelles transmises selon un des trois modes d’échange :
héritage, emprunt ou location. Dans les villages au Nord (Tapéré et Tiégana), la
propriété obtenue par héritage s’avère très importante, surtout à Tiégana, alors qu’au Sud, elle est négligeable. Par contre, au Sud les échanges monétaires de terre sont
beaucoup plus fréquents. Ceci est logique compte tenu du fait que la majorité de la
108
population est constituée d’allochtones immigrés. Par conséquent, la plupart des agriculteurs n’y possèdent pas un oncle utérin de sorte qu’ils ne peuvent pas profiter
d’un droit d’héritage de la terre. Notons que pour la plupart des échanges, il s’agit d’un don en nature ou en jours de travail qui n’a pas de rapport strict avec la
superficie de la parcelle empruntée. L’étude SEDES (1965) note qu’au fur et à mesure que la commercialisation des produits s’est développée dans la zone dense, les
cultivateurs ont pu louer de la main-d’œuvre et agrandir leurs exploitations. Par conséquent, une certaine réticence apparaît à l’égard de ceux qui leur demandent de la terre et le « loyer symbolique » tend à être remplacé par un loyer réel.
Tableau 2.12 : Proportion de la superficie totale des parcelles selon le mode de transmission pour les quatre villages étudiés dans la région de Dikodougou Village Héritage Emprunt Location
Tapéré 45,8 % 54,2 % 0 %
Tiégana 65,2 % 34,8 % 0 %
Ouattaradougou 7,6 % 25,5 % 66,9 % Farakoro 5,0 % 47,6 % 47,3 % (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Rappelons-nous les conditions incertaines dans lesquelles les échanges s’effectuent au Sud. L’absence d’une sécurité d’usage à long terme pourrait constituer un frein à
l’intensification des systèmes de culture, mais elle pourrait également constituer un stimulant d’intensification à court terme du type « cultiver, commercialiser, migrer ».
Cette idée est renforcée par la présence d’immigrants qui en sont à leur deuxième
implantation successive dans la région depuis leur départ du village d’origine. Tant
qu’il existe des réserves de terre suffisantes, ils s’en vont « plus loin » (Poppe, 1998 ; Touré, 1998).
Notons que ceci peut constituer une explication pour l’orientation commerciale que l’on rencontre dans les villages du Sud. La culture du coton et du maïs, comme
culture de rapport, occupent une place importante (figure 2.19). Quant à la commercialisation du maïs, cette région semble très intégrée au marché de Korhogo
(figure 2.13) et fait partie d’un deuxième réseau de commercialisation (figure 2.12). Il
en va de même pour la variété d’igname Krenglé dont la commercialisation fait preuve d’une bonne intégration interne (région Sud – région Nord) et externe (région
Sud – marché de Korhogo), représentée dans les tableaux 2.4 et 2.5 et dans la figure 2.13. Un dernier indicateur de l’orientation commerciale du Sud est le fait qu’on y
observe une utilisation plus élevée de main-d’œuvre salariée (figure 2.28).
109
L’orientation commerciale peut donc constituer une réponse à l’absence d’une sécurité d’usage à long terme. Cependant, elle est également étroitement liée aux
mobiles des migrants. Touré (1998) note que la recherche d’une indépendance économique est un motif dominant chez les jeunes migrants. En plus, il précise que 80
% des migrations sont saisonnières, c’est à dire que le migrant retourne au village après chaque saison culturale. Le grand champ est donc son « entreprise » et le village
reste son « domicile ».
2.6.7 L’accès aux facteurs de production et l’inégalité sociale
Dans la période pré-coloniale, la société sénoufo ne comportait pas de classes
sociales, mais seulement des classes d’âge. Ce système égalitariste1 permettait donc une accumulation de créances sans accumulation de capital. Le refus permanent de compétition économique et la solidarité collective constituaient les ingrédients de
cette société de sorte que l’accumulation du capital individuel y était pratiquement rendue impossible. Aujourd’hui, l’autonomie de l’individu est certainement plus
grande qu’autrefois, mais la solidarité du groupe interdit encore souvent les initiatives individuelles en matière agricole ou économique.
Quant à la terre, le droit de sa distribution était exclusivement réservé au tarfolo, intermédiaire entre les villageois, la terre et les ancêtres qui reposent dans celle-ci.
Son pouvoir religieux lui donnait donc la haute main sur la production agricole. Au niveau du village, le chef de village a le droit d’accorder de la terre aux différents
katiolofolo. Ceux-ci sont responsables pour la distribution entre les narigba et les exploitations agricoles.
La distribution de la terre entre les exploitations dans un katiolo s’est généralement accompagnée d’une relative égalité. Mais comment en va-t-il pour la distribution de la
terre entre les katiolo? Prenons le cas de Tiégana. En étudiant la répartition des terres
entre les katiolo, nous nous sommes vite aperçus qu’elle est fonction de l’histoire et
plus précisément de la fondation du village. Ainsi, les enquêtes auprès de la classe âgée du village ont révélé que la fondation2 de Tiégana est attribuée à deux personnes : « Ké », un chasseur et forgeron qui a donné son nom au katiolo « Kéka » ;
1 Le statut d’un esclave était inconciliable avec l’esprit de la société Sénoufo et l’esclave devenait rapidement un égal. « Maîtres » et « esclaves » assuraient notamment les mêmes fonctions dans la production agricole, fournissaient le même nombre d’heures de travail, etc. (SEDES, 1965). 2 Puisque les âgées décrivent l’interaction entre les fondateurs et Samory Touré, la fondation du village de Tiégana peut être située à la fin du XIXième siècle (paragraphe 1.2.1). Si nous comptons 30 ans pour un cycle (culture + jachère), aujourd’hui les terres de Tiégana amorceraient leur 5ième cycle de culture.
110
et « Nangoun », un cultivateur qui a fondé le katiolo « Nangounka ». Ainsi, le narigba de Nangoun, composé exclusivement de cultivateurs a pris, sans toutefois se rendre
compte, un gage sur l’avenir en occupant la plus grande partie des meilleures terres, les plus accessibles, les plus proches des habitations, bénéficiant d’un apport en
fumure relativement abondant, etc. Quant aux descendants du narigba de Ké, spécialisés dans la chasse et le travail des métaux, ce n’est que plus tard qu’ils ont
commencé à s’intéresser à l’agriculture, au moment où toutes les meilleures terres étaient déjà occupées par les cultivateurs de Nangounka.
Lorsque la pression démographique a augmenté, les nouveaux katiolo qui se sont installés après les premiers, se sont probablement entendus avec le tarfolo, le chef de
village et les katiolofolo des quartiers existants pour l’obtention d’une parcelle, dont la surface restait toutefois limitée. De plus en plus, les agriculteurs étaient contraints de s’adresser au village voisin, où la pression foncière était moins élevée. Ceci est
probablement la cause d’une zone litigieuse entre les villages de Tiégana et de Tagbara, indiquée sur la figure 2.32.
Cette figure visualise clairement l’empreinte de la fondation historique du village sur
la répartition actuelle des terres. Au total, quatre détenteurs de terre, correspondant à quatre katiolo, ont été identifiés. Ils ont été indiqués sur la carte au moyen d’un chiffre cerclé. Nous voyons clairement la domination du quartier Nangounka, le premier
narigba de cultivateurs à l’origine du village. Le Kéka, le narigba des forgerons est moins favorisé quant à sa propriété foncière. Les terres appartenant au Touka s’étalent
pour une grande part sur les bas-fonds des ruisseaux Lokpoho et Lople, des terres qui intéressaient peu d’agriculteurs au moment de leur appropriation. Aujourd’hui, la
situation a nettement changé : les bas-fonds à Tiégana représentent 11 % de la superficie totale cultivée et 29 % du nombre total des parcelles (figure 2.19). Enfin, la propriété foncière du Yéka est la plus petite. L’inégalité dans la répartition des
terres ne se situe donc pas à l’intérieur des katiolo, mais plutôt entre les différents katiolo du village.
Mais cette inégalité tend à s’annuler automatiquement dans un système matrimonial caractérisé par la matrilinéarité (paragraphe 2.6.3). Tenant compte du fait que ce
système constitue le meilleur garant pour la pérennité du narigba, tout en
décourageant le principe d’une capitalisation à long terme, comment les
agroécosystèmes villageois évolueront-ils à la lumière de l’évolution actuelle vers la patrilinéarité?
111
Figure 2.32 : Carte du terroir de Tiégana en 1998 (échelle : 1/10.000) (source : numérisée à partir d’un plan obtenu auprès du chef du village de Tiégana)
Deux phénomènes s’ajoutent aux constats précédents. Au cours de l’histoire et dans
de nombreux cas, la classe âgée détenaient de plus vastes champs de coton, d’anacardiers ou d’une autre culture de rente aux dépens des autres villageois. Il n’est
pas inimaginable que les « invitations » coutumières, « au faveur » des tuotégue, permettaient à la classe âgée de transformer ces privilèges en instruments de richesses
modernes. En outre, la plantation d’arbres, comme les vergers d’anacardiers par
1
1
1
1
1
1
2
3
3
3
3
4
Katiolo 1. Nangounka
2. Kéka 3. Touka
4. Yéka
112
exemple, était souvent utilisée pour « pérenniser » le droit d’usage dans l’espoir d’acquérir un titre de propriété individuelle irrécusable. Aujourd’hui à Tiégana, suite à
l’évolution du système matrimonial vers la patrilinéarité, ce comportement commence à prendre de l’importance. Un arbre constitue aussi un bien, dont l’héritage se fait de
plus en plus selon le schéma patrilinéaire (paragraphe 2.6.5).
Mais comment en va-t-il pour l’accès aux autres facteurs de production : le travail (familial et salarié), le capital « vivant » (le grand et le petit bétail), le capital fixe (l’équipement) et le capital variable (les intrants)? Pour répondre à cette question,
nous allons « mesurer » l’inégalité entre les exploitations de l’échantillon de chaque village quant à la dotation des facteurs de production. Considérons dans un premier
temps la répartition des animaux à Tiégana. En analysant les enquêtes, nous constatons une inégalité nette, d’une exploitation à une autre, du capital animal possédé. Les études qui calculent la moyenne du capital animal par exploitation,
négligent l’existence de cette inégalité. Nous cherchons donc une autre méthode pour « visualiser » cette inégalité.
Dans une première étape, nous rangeons les exploitations selon l’ordre croissant du
capital animal. Les exploitations 1, 2, …, n de l’échantillon possèdent donc
respectivement un capital animal de C1, C2, …, Cn avec C1 ≤ C2 ≤ … ≤ Cn. Puis, nous
additionnons les capitaux animaux des exploitations pour obtenir la valeur du capital
animal total : C1 + C2 + … + Cn = Ctot. Ensuite, nous calculons la part Pi (en %) du capital de chaque exploitation Ci dans le capital total Ctot : P1 = (C1/Ctot)*100, P2 =
(C2/Ctot)*100, …, Pn = (Cn/Ctot)*100. Nous calculons également la part (en %) d’une exploitation dans le nombre total d’exploitations de l’échantillon n : Q = (1/n)*100.
Dans un deuxième temps, nous cumulons les parts Pi en ajoutant chaque fois une exploitation. Ainsi, nous obtenons la série suivante : P1, P1 + P2, P1 + P2 + P3, …, P1
+ P2 + P3 + … + Pn = 100 %. Nous faisons la même chose avec les parts Q, ce qui aboutit à la série Q, Q + Q = 2Q, 3Q, …, nQ = 100 %. En prenant la première série
comme axe vertical et la deuxième comme axe horizontal, nous obtenons le graphique
représenté dans la figure 2.33. La bissectrice, représente la situation idéale à savoir le cas ou il n’y a pas d’inégalités. Dans ce cas, chaque exploitation i possède une partie
égale du capital total (100 %), notamment 100 % / n = Q. En ajoutant chaque fois une exploitation, l’accumulation du capital évolue comme une droite, notamment la
bissectrice représentée dans la figure 2.33.
113
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
0 20 40 60 80 100Proportion cumulative du nombre total d'exploitations
(%)
Pro
po
rtio
n c
um
ula
tive
du
cap
ital
an
imal
to
tal (
%)
Figure 2.33 : Courbe de Lorentz pour la répartition du capital animal entre les exploitations de l’échantillons à Tiégana (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
La courbe concave, appelée « la courbe de Lorentz », représente la situation réelle. Plus cette courbe s’écarte de la « normale », c’est à dire la bissectrice représentant la
situation idéale, plus le capital est inégalement réparti entre les exploitations de l’échantillon. Sur le graphique, nous voyons que 80 % des exploitations ne possèdent que 29 % du capital animal total, alors que le capital animal restant (71 %), est aux
mains d’une minorité de 20 %. Le graphique nous montre également que la moitié pauvre des exploitations ne possède que 9 % du capital total, tandis que la moitié du
capital total est détenue par 8 % des exploitations.
Pour mesurer cette inégalité, nous calculons le « coefficient GINI ». Plus l’inégalité de la répartition du capital est grande, plus la superficie qui se trouve entre la bissectrice et la courbe de Lorentz sera élevée, indiquée par le numéro 1 sur la figure.
Le coefficient GINI constitue la proportion de la superficie 1 dans la superficie totale en dessous la bissectrice, soit les superficies 1 + 2. Ainsi, nous obtenons un
coefficient de 66,2 % pour la répartition du capital animal à Tiégana.
Dans la figure 2.34, nous avons représenté les résultats pour les facteurs de
production. Des exploitations qui possèdent beaucoup d’actifs agricoles sont capables
de cultiver une surface plus étendue et nécessitent un capital d’exploitation plus élevé.
Pour pouvoir comparer les résultats donc, ces facteurs, notamment la surface agricole utile, la surface agricole cultivée, le capital fixe et le capital variable ont été
« standardisés », c’est à dire que nous les avons ramenés à la valeur par actif agricole. Ceci n’est pas le cas pour le capital animal, qui n’est pas fonction du nombre d’actifs.
1
2
114
Surface agricole utile (SAU) / AAf Surface agricole cultivée (SAC) / AAf Tapéré
0102030405060708090100
0 13 25 38 50 63 75 88 100
0102030405060708090100
0 13 25 38 50 63 75 88 100 Ouattaradougou
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Farakoro
0102030405060708090100
0 20 40 60 80 100
0102030405060708090100
0 20 40 60 80 100 Tiégana
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Légende
Axe horizontal : proportion cumulative du nombre total d’exploitations (%)
Axe vertical : proportion cumulative de la superficie totale (%)
Figure 2.34 : Courbes de Lorentz et coefficients GINI pour les facteurs de production (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
GINI = 15,2 %
GINI = 19,4 % GINI = 22,1 %
GINI = 25,3 % GINI = 32,3 %
GINI = 30,6 % GINI = 31,3 %
GINI = 9,4 %
115
Grand bétail Petit bétail Tapéré
0102030405060708090100
0 17 33 50 67 83 100
0102030405060708090100
0 17 33 50 67 83 100 Ouattaradougou
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Farakoro
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Tiégana
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Légende Axe horizontal : proportion cumulative du nombre total d’exploitations (%) Axe vertical : proportion cumulative du capital animal total (%)
(suite figure 2.33)
GINI = 80,6 %
GINI = 36,9 % GINI = 58,1 %
GINI = 76,7 % GINI = 82,5 %
GINI = 44,9 % GINI = 76,9 %
GINI = 46,7 %
116
Actif agricole familial (AAf) Actif agricole salarié (AAs) Tapéré
0102030405060708090100
0 13 25 38 50 63 75 88 100
0102030405060708090100
0 13 25 38 50 63 75 88 100 Ouattaradougou
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Farakoro
0102030405060708090100
0 20 40 60 80 100
0102030405060708090100
0 20 40 60 80 100 Tiégana
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Légende Axe horizontal : proportion cumulative du nombre total d’exploitations (%) Axe vertical : proportion cumulative du nombre total d’actifs agricoles (%)
(suite figure 2.33)
GINI = 11,9 %
GINI = 92,6 % GINI = 19,7 %
GINI = 75,6 % GINI = 28,1 %
GINI = 26,9 % GINI = 76,9 %
GINI = 66,6 %
117
Capital fixe / AAf Capital variable (intrants) / AAf Tapéré
0102030405060708090100
0 13 25 38 50 63 75 88 100
0102030405060708090100
0 13 25 38 50 63 75 88 100 Ouattaradougou
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Farakoro
0102030405060708090100
0 20 40 60 80 100
0102030405060708090100
0 20 40 60 80 100 Tiégana
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100
0102030405060708090100
0 14 29 43 57 71 86 100 Légende Axe horizontal : proportion cumulative du nombre total d’exploitations (%) Axe vertical : proportion cumulative du capital total (%)
(suite figure 2.33)
GINI = 31,2 % GINI = 31,7 %
GINI = 15,3 %
GINI = 41,8 % GINI = 62,3 %
GINI = 52,4 % GINI = 65,1 %
GINI = 76,8 %
118
Enfin, tous les coefficients GINI sont rassemblés dans la figure 2.35. Cette figure nous permet d’évaluer l’inégalité des facteurs de production en fonction de la pression
démographique. Les villages ont été rangés selon l’ordre croissant de la pression foncière. Le grand bétail s’avère le capital le plus inégalement réparti. Ruthenberg
(1980) observe des inégalités analogues, typiques pour les systèmes de jachère subsahariens. Ce constat est cohérent avec l’observation affirmant que ce capital fait
plutôt partie de la communauté d’accumulation (paragraphes 2.5.10 et 2.6.2) et du milieu rituel (paragraphe 2.6.8). Le grand bétail ne constitue donc pas, mis à part l’utilisation des bœufs de traits, une constante d’une exploitation à une autre. En plus,
selon l’étude SEDES (1965), les bœufs d’un propriétaire sont souvent répartis entre plusieurs villages. Le système d’héritage et la tradition des funérailles semblent
influencer beaucoup la répartition de ce capital « vivant ». Le petit bétail, étant l’objet d’une inégalité moins élevée, s’oppose au grand bétail.
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Coe
ffici
ent G
INI (
%)
SAU/AAf 15,2 31,3 32,3 22,1
SAC/AAf 9,4 30,6 25,3 19,4
Grand bétail 80,6 76,9 82,5 58,1
Petit bétail 46,7 44,9 76,7 36,9
AAf 11,9 26,9 28,1 19,7
AAs 66,6 76,9 75,6 92,6
Capital/AAf 15,3 52,4 41,8 31,2
Intrants/AAf 76,8 65,1 62,3 31,7
Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Figure 2.35 : Coefficients GINI des facteurs de production pour les échantillons d’exploitations des quatre villages dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
L’inégalité quant à l’utilisation des intrants tend à diminuer au fur et à mesure que nous nous dirigeons vers un village à plus forte pression foncière. Ce phénomène
reflète la nécessité de compenser la baisse de la fertilité et l’enherbement du milieu biophysique suite à une intensification de l’occupation du sol. A Tapéré, les jachères
sont suffisamment longues pour permettre la restauration de la fertilité et contrôler le
développement des adventices. Néanmoins, certains agriculteurs utilisent des engrais (figure 2.30), mais il s’agit de faibles quantités appliquées par une minorité
d’exploitants. Au fur et à mesure que la pression foncière augmente, les effets sur le
AAs
Grand bétail
Petit bétail
Intrants Capital
SAU/AAf
AAf SAC/AAf
119
milieu biophysique se concrétisent par une utilisation d’intrants plus communément appliquée. Evidemment, ce phénomène est stimulé par les services de la CIDT. Quant
à l’utilisation de la main-d’œuvre salariée (AAs), nous constatons une augmentation en fonction de la pression démographique. Son utilisation s’avère dix fois plus élevée
au Sud qu’au Nord (figure 2.28). Néanmoins, par rapport au nombre d’actifs agricoles totaux, elle reste négligeable.
Un phénomène semble ressortir du graphique : l’accès à la terre et au capital s’avère plus inégal au Sud qu’au Nord. S’agit-il d’une différence Nord – Sud, ou d’une
évolution logiquement liée à l’augmentation de la pression foncière? Nous soutenons la deuxième hypothèse en supposant que ceci est lié à l’apparition d’un « dualisme » à
un certain stade de l’évolution des agroécosystèmes villageois suite à l’introduction de la culture attelée.
Les enquêtes et les observations à Tiégana révèlent une structuration dualiste de l’agroécosystème villageois. En 1986, la technique de la culture attelée a été
introduite. Dès lors, le nombre d’utilisateurs de la traction animale ne cesse d’augmenter. Evidemment, l’adoption de cette technique n’est possible que si deux
conditions sont remplies. Premièrement, l’agriculteur doit disposer d’un capital financier minimal compte tenu du fait que le coût moyen de l’équipement nécessaire pour la traction animale (les bœufs de trait et l’attelage) représente 34,2 % du revenu
agricole annuel moyen des exploitations qui cultivent à la main. Dans la plupart des cas, ce capital est acquis grâce à la culture manuelle du coton.
Deuxièmement, parallèlement aux observations de Bigot (1991) et de Bassett (1991),
les exploitations accèdent d’autant plus facilement à la culture attelée qu’elles disposent socialement, au départ, de terres cultivables abondantes et d’une force de travail conséquente. La traction animale permet d’augmenter considérablement les
superficies cultivées par travailleur et le capital d’exploitation. Par conséquent, elle
tend à exacerber les différences sociales qui existaient déjà bien avant.
En outre, les enquêtes à Tiégana ont montré que l’apparition de la traction animale va de pair avec une scission des groupes d’entraide. Les exploitations qui étaient
autrefois liés entre elles par le système réciproque d’entraide, tombent sur un nouveau
problème lors de l’introduction de la culture attelée : l’entraide inégale. Dès qu’un
membre du groupe a fait l’investissement nécessaire à la traction animale, il estime que désormais l’apport des autres membres dans le travail d’entraide ne compensera
plus sa contribution. Par conséquent, il quitte le groupe pour s’affilier au groupe
120
d’entraide constitué par les utilisateurs de la traction animale. On assiste donc à l’émergence de deux catégories de groupes d’entraide : les groupes d’entraide
manuelle et les groupes d’entraide mécanisée. Le fait de voir disparaître la cohésion de l’ancien groupe et d’appartenir désormais à un groupe « inférieur », notamment
« le groupe des dabas », est un stimulant très fort de l’adoption de la culture du coton, puis de la technique de la traction animale. L’introduction de la culture attelée est
donc à la base d’une polarisation de l’agroécosystème villageois. Cette polarisation apparaît aussi dans les rapports sociaux. L’émergence d’une classe
« d’entreprises agricoles avec culture attelée », nécessitant une force de travail importante, incite les paysans pauvres à y envoyer leurs femmes et leurs enfants
comme main-d’œuvre salariée, plutôt que de les réserver pour leurs propres exploitations. Deux classes sociales opposées surgissent donc : les grandes exploitations (les « entreprises ») et les paysans pauvres (les « ouvriers »). Jusqu’à
aujourd’hui, l’expansion des superficies de ces exploitations s’est effectuée aux dépens des jachères et donc en faveur de l’intensification. Mais, il est facile de
s’imaginer l’exacerbation de la polarisation lorsque, dans une deuxième phase, l’expansion se réalise aux dépens de la terre des autres ménages. Un tel phénomène
n’a pas encore été constaté à Dikodougou. En fin de compte, jusqu’à maintenant, la baisse de la fertilité suite à l’augmentation de la pression foncière entraîne souvent une migration vers une région moins saturée plutôt qu’une intensification du système
de production. Par conséquent, à court et moyen terme, le phénomène d’expansion aux dépens des ménages n’est pas encore envisageable. Mais, à long terme, que
passera-t-il au moment où toutes les réserves foncières seront saturées?
Nous avançons une deuxième hypothèse pour expliquer l’accès plus inégal à la terre et au capital au Sud par rapport au Nord. Il est fort probable que ceci soit lié au fait que le contrôle social, qui est un obstacle à l’enrichissement personnel (paragraphe
2.6.4), est plus élevé au Nord qu’au Sud. Les villages du Nord ont notamment pu
garder, malgré les nombreuses émigrations, leur authenticité. Puisqu’ils n’ont jamais
connu d’immigrations de groupe d’étrangers, les différents narigba et les katiolo sont liés par une histoire et une genèse communes. Touré (1998) note qu’un des motifs des jeunes émigrants est d’échapper à l’autorité de la gérontocratie et de rechercher une
autonomie économique. Les villages du Sud, pour 92 % composés d’allochtones,
n’ont pas pu garder cette authenticité qu’on retrouve au Nord. En plus, la majorité des
allochtones retournent à leur village d’origine en saison sèche. Par conséquent, l’absence d’un contrôle social permet qu’une certaine inégalité au niveau de la
répartition du capital et de la terre se développe et dont la figure 2.35 témoigne.
121
2.6.8 La redistribution sociale
Malgré ce phénomène de polarisation, certaines formes de redistribution sociale
persistent. Les enquêtes à Tiégana confirment l’existence d’un système de solidarité villageoise. Il s’agit d’une survivance des greniers collectifs de la période pré-
coloniale. Lorsqu’un problème, comme un désastre agricole par exemple, intervient dans un narigba ou un ménage, le katiolofolo s’adresse aux résidents du katiolo et, en
fonction de la superficie des champs, chacun fait une contribution financière. Le système matrilinéaire, là où il persiste, est le meilleur garant du maintien d’une
relative égalité entre les katiolo (paragraphe 2.6.3). Néanmoins, les récentes évolutions vers la patrilinéarité, observées à Tiégana, semblent éliminer cette forme
de redistribution sociale (paragraphe 2.6.7). La main-d’œuvre salariée lors de la récolte du riz pluvial est généralement bien
rémunérée quand elle est payée en nature. A la fin d’une journée de travail, les travailleurs sont payés en bottillons1 de riz. Calculée au prix de marché, cette forme
de rémunération revient en général à un salaire beaucoup plus élevé que le paiement en espèces. Les femmes kiembara, originaires du Nord de la région de Korhogo
(figure 1.8), viennent souvent en tant que main-d’œuvre temporaire dans la région de Dikodougou. Conscientes de l’avantage de ce mode de rémunération, elles exigent un paiement en nature. Souvent, elles viennent avec leurs enfants qui sont nourris en
même temps par le fermier. Ce système contient donc une forme de redistribution sociale de la nourriture vers ceux qui n’en ont pas.
Une dernière forme de redistribution sociale est constituée par les funérailles. Les
cérémonies dont les funérailles sont accompagnées, donnent lieu à une consommation collective, au profit du défunt et de son narigba, de l’accroissement des biens réalisés pendant la vie du défunt. Il s’agit donc d’une annulation brutale des richesses
patiemment accumulées pendant des années. Les enquêtes ont illustré que les
funérailles doivent concrétiser l’apothéose du défunt et le commencement d’un
« règne » nouveau. Tous les bœufs qui ont été abattus, tous les pagnes qui sont ensevelis avec le défunt et tout le riz qui a été consommé lui reviendront dans l’au-delà. Pourquoi donc investir ou accumuler indéfiniment?
1 Les bottillons de riz sont le plus souvent désignées sous le terme de « bottes ». Lors de la récolte du riz, les tiges sont coupées avec un petit couteau jusqu’à une longueur de 40 cm et rassemblées dans la main. Dès qu’une quantité suffisante (5 à 6 kg) est atteinte, l’ensemble est lié avec une corde. Le résultat constitue des « bottes ». Cette unité de vente est très appréciée parce qu’elle est facile à manipuler et à partager et elle n’exige pas d’achat de sacs.
122
La vie du Sénoufo est étroitement liée à la mort1. Les ancêtres « cohabitent » avec les villageois et « gèrent » la vie quotidienne par le biais de leurs intermédiaires : les
devins (sandogo), les sorciers (déowa), les chefs des bois sacrés (sizengfolo) et les chefs de terre (tarfolo). Le vœu le plus profond du Sénoufo, c’est que son entrée dans
le groupe des ancêtres s’effectue avec son honneur et celui de son narigba et que tout se passe dans la magnificence.
L’aspect prestigieux n’est bien sûr pas négligeable. Les funérailles découvrent en quelque sorte la « réussite » du défunt dans sa vie. Le troupeau de bœufs joue ici un
rôle important de prestige social, se résumant dans la phrase rapportée par un des villageois de Tiégana : « Celui qui est capable de tuer dix bœufs lors de ses
funérailles, doit être un homme d’importance. ». La « grandeur » des funérailles varie aussi en fonction de l’âge du défunt. En effet,
tout au long de sa vie, le Sénoufo assiste régulièrement aux funérailles organisées par son narigba, les narigba parentés, les autres katiolo du village, les amis, le cercle de
connaissances, etc. Chaque fois, sa présence exprime ses condoléances envers le narigba du défunt. En outre, il apporte sa participation qui est d’autant plus
importante qu’il est riche et proche du défunt. Cet « investissement » qui s’accumule tout au long de sa vie, lui revient le jour ou il décède. Tous les représentants des narigba qu’il a visité ainsi, seront présents et apporteront leur participation. Cette
dernière dépendra de leur richesse, du lien de parenté vis-à-vis le défunt et de la contribution aux funérailles du narigba, effectuée par le défunt durant sa vie.
Quoiqu’il en soit, les funérailles constituent donc un moment d’intense circulation de
biens. Les dépenses mortuaires ne jouent pas seulement un rôle d’égalisation des richesses, mais elles se traduisent par une redistribution d’une partie des biens qui ont été « présentés » pendant les cérémonies. En outre, toute l’économie autour du
village en bénéficie.
2.6.9 La symbiose et le conflit inter-ethnique
Le schéma classique des trois âges, une théorie communément acceptée, ferait passer
le Sénoufo de chasseur nomade à celui de cultivateur sédentaire par le relais nécessaire d’éleveur. Selon l’étude SEDES (1965), aucun élément n’indique qu’une
telle évolution aurait été à l’origine des Sénoufo. Cependant, il existe moins de doutes
1 selon une communication personnelle avec Ir. Sery Zagbai Hubert
123
quant à leur origine de chasseurs. Quoiqu’il en soit, au cours de l’histoire du Nord de la Côte d’Ivoire, l’introduction de la propriété animale puis de la culture attelée ont
été facilitées grâce à la présence des nombreux troupeaux et du savoir-faire d’un autre groupe ethnique : les Peuhl. Il s’agit d’un peuple transhumant, originaire du Mali et
du Burkina-Faso. En saison sèche, ce peuple descend jusqu’en Côte d’Ivoire à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux bovins. Certains d’entre eux, souvent des
jeunes, migrent en Côte d’Ivoire pour offrir un service de gardiennage aux propriétaires de troupeaux, cela dans le but de se constituer un troupeau et de retourner chez eux. D’autres, généralement les plus anciens, se sont installés dans des
campements, ou dans les villages hôtes, et pratiquent une forme d’élevage semi-sédentaire. Ils emploient souvent la catégorie précédente comme bouvier.
Les premiers contacts avec les Peuhl datent des années ’60 – ’70 pour les villages de Tiégana et de Tapéré. Depuis ce moment, une relation de symbiose s’est établi. Le
paysan sénoufo est caractérisé par une curieuse désinvolture à l’égard de ses bœufs et un refus permanent d’intervention, tout en les considérant comme liés d’une certaine
manière aux morts. Le contact avec un groupe ethnique, spécialisé dans l’élevage bovin, lui permet donc de déléguer une tâche qui ne lui est pas familière, et de se
concentrer désormais entièrement sur la discipline culturale. Mais actuellement, cette relation de symbiose tend à se transformer en conflits, suite
aux dégâts causés par les bovins sur les cultures. En 1991, la valeur totale des dégâts de cultures dans la sous-préfecture de Dikodougou était de 3,4 millions FCFA
(Seydou, 1993). Selon les enquêtes, le plus souvent les dégâts sont causés par les troupeaux des Peuhl transhumants, et non par les bouviers ou les Peuhl semi-
sédentaires. Quant à l’idée d’une exploitation agricole intégrée, le moins que l’on puisse dire est
qu’elle ne paraît pas naturelle au Sénoufo. Néanmoins, dès le moment où la
dégradation de la fertilité du milieu biophysique deviendra alarmante, où la
compétition sur l’espace entre les agriculteurs sédentaires et les éleveurs transhumants empêche la reproduction de l’ancien système agraire basé sur la complémentarité de ceux-ci, une intégration de l’élevage et de l’agriculture constituera pour le Sénoufo
une condition sine qua non.
125
Chapitre 3 : Trajectoire d’évolution des systèmes de production sénoufo
3.1 Introduction
Tout au long de l’histoire, le paysan sénoufo s’est continuellement adapté aux changements des conditions socio-économiques : le passage de chasseur à cultivateur, les contacts avec le groupe Akan avec l’adoption de l’igname à la place du mil ainsi
que l’adoption d’un nouveau système matrimonial ; les guerres musulmanes, l’immigration et l’influence des Dioula ; l’administration coloniale, le travail forcé, la
monétisation de l’économie villageoise, l’introduction des cultures de rapport, le développement de la commercialisation, les « grands projets » de développement, etc.
La plupart des tribus sénoufo ont trop souvent migré pour ignorer que leur salut dépendait de leur capacité d’adaptation. Ils ont donc acquis une remarquable malléabilité.
Une constante détermine l’évolution agraire des Sénoufo : chaque innovation,
cohérente ou pas, est toujours soumise au jugement du chef d’exploitation qui lui accorde de l’intérêt ou pas. L’évolution agraire ne peut donc être déconnectée de
son acteur principal : le système de production. Dans le chapitre 2, nous avons traité l’évolution des agroécosystèmes villageois. Cette évolution détermine pour une large part la trajectoire d’évolution des systèmes de production, qui constitue le thème
central du présent chapitre et la question centrale de l’étude.
3.2 Méthodologie
3.2.1 L’approche inductive de l’analyse économique
Une approche inductive1 part de la réalité observée, de laquelle elle déduit des
conclusions. Il s’agit d’une analyse statistique et descriptive. Les systèmes de production sont considérés comme des « boîtes noires ». Nous nous intéressons aux
résultats de ces systèmes, c’est à dire la façon dont ils se présentent dans la réalité observée.
1 Elle s’oppose à une approche déductive où on part d’un archétype du système de production à partir duquel on essaie d’expliquer la variation observée en réalité. Il s’agit donc d’une analyse systémique et explicative. Les systèmes de production ne sont pas considérés comme des boîtes noires, mais on essaie de modéliser leur fonctionnement.
126
Dans un premier temps, les conditions de renouvellement économique des exploitations sont analysées. Puis, la dynamique des exploitations sur une période de
trois ans est identifiée. Ensuite, les différents systèmes de production, issus d’une typologie, sont statistiquement comparés. Enfin, la reconstruction de la trajectoire
d’évolution des systèmes de production aboutit à une controverse Malthus-Boserup.
3.2.2 La dimension économique de l’exploitation (actif agricole)
La force de travail constitue le facteur de production limitant dans les systèmes de
production de la région de Dikodougou. Le nombre total d’actifs agricoles (AAt) est donc une mesure de la dimension économique de l’exploitation agricole. Il est
composé d’actifs agricoles familiaux (AAf), salariés (AAs) et non-salariés (AAns) :
AAnsAAsAAfAAt ++= (3.1)
Le travail non-salarié est représenté par l’entraide. Puisqu’il s’agit d’un service réciproque (paragraphe 2.6.5), nous le considérerons comme du travail familial. Si une personne A offre une journée de travail à une personne B, le deuxième
récompense ce « travail à crédit » plus tard. Le nombre de journées de travail de l’exploitation n’augmente donc pas lorsque cette forme de travail est appliquée.
La variable « actif agricole » doit refléter la présence sur l’exploitation, le degré de
participation aux travaux agricoles et la productivité du travail. L’enquête « Temps des travaux » permet d’identifier la présence et la participation de chaque résident de l’exploitation quant aux travaux agricoles. Ainsi, nous pouvons distinguer les actifs
qui travaillent à plein-temps, à mi-temps (les écoliers) et ceux qui travaillent irrégulièrement. En comparant mutuellement les jours de travail des résidents de
l’exploitation, il est possible de calculer le « facteur de participation » pour chaque résident de l’exploitation.
Ensuite, pour refléter la productivité du travail, nous appliquons un « facteur âge » pour chaque actif agricole (Stessens, 1996a) :
• moins de 6 ans : 0 ;
• entre 6 et 8 ans : 0,2 ;
• entre 9 et 16 ans : 0,5 ;
• entre 17 et 55 ans : 1 ;
• plus de 55 ans : 0,5.
127
En multipliant le « facteur de participation » avec le « facteur âge », nous obtenons la variable « actif agricole ». Il en va de même pour le calcul du nombre d’actifs salariés.
3.2.3 Le produit brut (PB)
Le produit brut (PB) comporte deux parties, notamment le produit brut animal (PBan) et le produit brut végétal (PBvég) :
=+= PBvégPBanPB (3.3)
Le produit brut animal a été estimé à partir des résultats de ventes, de reproduction et
d’autoconsommation et les valeurs moyennes de chaque animal (tableau 2.10).
Pour le produit brut végétal, d’abord les rendements des cultures ont été déterminés en récoltant trois carrés de 20m x 20m par parcelle. Puis, les produits récoltés ont été
séchés et pesés au moyen d’une bascule. Enfin, les résultats de l’enquête « Identification des parcelles » nous fournissent les superficies des parcelles, nécessaires pour le calcul de la production totale par exploitation.
Cette production doit être évaluée à un prix qui est représentatif pour sa valeur,
compte tenu de la période dans laquelle s’effectuent la plupart des ventes et de l’autoconsommation. Pour cette évaluation, nous construisons une matrice contenant
les « facteurs mensuels » du produit brut des différentes cultures. Pour chaque mois de l’année, un facteur est déterminé (tableau 3.1) en fonction de l’importance que le mois représente quant aux ventes et à l’autoconsommation des cultures. Ces facteurs,
dont la somme est 100 %, ont été fixés à partir des enquêtes. Ensuite, nous disposons d’une série de prix mensuels (par kg) sur les marchés1 de Dikodougou et de Farakoro
durant la période 1995 – 1998, ainsi que des prix de gros payé par les grossistes de Ouattaradougou pendant la période 1996 – 1998. La valeur de la production est calculée en multipliant les facteurs mensuels par les prix mensuels respectifs pour
chaque mois. L’addition des termes obtenus représente le « prix de référence » pour le calcul du produit brut. Enfin, ce dernier est obtenu en multipliant la production totale
par le prix de référence.
1 Pour Tapéré et Tiégana, les prix sur le marché de Dikodougou ont été utilisés.
128
Tableau 3.1 : Facteurs mensuels (%) pour le calcul du prix de référence du produit brut (PB) des différentes cultures
Janv. Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc. Total
Krenglè 8 8 23 23 23 8 2 0 0 0 2 4 100
Bètè-Bètè 0 0 9 27 27 27 9 0 0 0 0 0 100 Florido 0 0 9 27 27 27 9 0 0 0 0 0 100
Wacrou 0 0 0 0 0 0 0 13 38 38 13 0 100
Gnan 0 0 0 0 0 0 0 13 38 38 13 0 100 Gnaligué 0 0 0 0 0 0 0 13 38 38 13 0 100
Riz pluvial 4 4 4 4 8 13 13 13 4 8 13 13 100
Riz inondé 29 29 14 0 0 0 0 0 0 0 0 29 100
Maïs 5 5 5 5 5 15 15 15 5 5 10 10 100 Arachide 0 0 0 0 0 14 14 7 21 21 14 7 100
(source : Stessens, Daouda, Demont, IDESSA-KUL, 1998)
Pour l’igname, nous avons constaté que les paysans associent différentes variétés sur
un champ. Par champ d’igname, la proportion relative de la surface destinée aux différentes variétés ainsi que la densité des buttes ont été mesurées en 1997. Puisque
ces deux variables ne varient pas beaucoup d’une année à l’autre, les résultats ont été utilisés pour les calculs des campagnes 1995-1996 et 1996-1997. Egalement, l’estimation économique des rendements de toutes les variétés de chaque parcelle a
été déterminée au prix de marché.
3.2.4 Les consommations intermédiaires (CI) et la valeur ajoutée brute (VAB)
Les coûts suivants sont compris dans les consommations intermédiaires :
• le coût des engrais (NPK et urée) ;
• le coût des herbicides ;
• le coût des insecticides ;
• le coût des semences : à part le coton1, toutes les semences utilisés par les paysans sont issues de la production de la campagne précédente. L’utilisation d’une partie
de la production comme semences exclut donc l’autoconsommation et la vente, à
un moment ou généralement les prix sont le plus élevés (fin saison sèche). Par conséquent, la prise en compte d’un coût d’opportunité est nécessaire.
Les consommations intermédiaires ont été identifiées au moyen de l’enquête
« Utilisation des intrants ». Par parcelle, tous les intrants appliqués ont été recensés
durant une période de trois ans. Quant aux engrais, herbicides et insecticides, les doses appliquées ainsi que les prix sont exactement connus. Il en va autrement pour
129
les semences où la mesure des quantités utilisées par parcelle pose beaucoup plus de problèmes. D’une part, les unités appliquées (botte, cuvette, etc.) pour désigner la
quantité diffèrent fortement d’un village à l’autre et même d’un paysan à l’autre. D’autre part, même si la quantité de semences est mesurée, il arrive souvent qu’à la
fin de la journée une partie des semences reste. Inversement, les paysans retournent parfois à la maison pour compléter leurs semences, après que l’enquête ait eu lieu.
Pour le calcul du coût des semences du riz pluvial, du maïs, du riz inondé, de l’arachide et de l’association riz pluvial - maïs, nous avons été amené à utiliser la
moyenne des observations de la quantité de semences consommées. La moyenne multipliée par la superficie de la parcelle et le prix donne le coût des semences de
cette parcelle. Une analyse de normalité effectuée avec le logiciel STATISTICA, montre que tous les échantillons ont une distribution normale. Les résultats de cette analyse sont représentés dans le tableau 3.2.
Tableau 3.2 : Caractéristiques statistiques des quantités de semences appliquées Riz pluvial Maïs pur Maïs associé2 Riz inondé Arachide
Nombre d’obs. 115 39 31 34 75
Moyenne (kg/ha) 41,21 12,07 6,34 124,94 57,99 Médian 37,93 11,86 5,60 126,16 55,29 Skewness3 0,589 1,730 0,945 -0,102 0,366
Ecart type 20,38 8,08 2,17 40,18 18,97
CV4 (%) 49 67 34 32 33 IC5 (95 %) 37,49 - 44,94 9,53 – 14,61 5,58 - 7,11 111,44 – 138,45 53,69 - 62,28
(source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Le calcul est plus compliqué pour l’igname, puisque dans les champs, plusieurs
variétés d’igname sont associées. Le renouvellement des champs d’igname s’effectue par bouturage de portions de tubercules d’igname. Le poids de la bouture dépend de la
variété. Les variétés précoces (Wacrou, Gnan, Gnaligué) exigent des grandes boutures de 500 g. Ces variétés sont en effet sensibles à la déshydratation et nécessitent une réserve minimale pour la germination. Par conséquent, il est difficile pour un paysan
d’accroître considérablement, d’une année à l’autre, les superficies de ces variétés. Pour les variétés tardives, le poids des boutures est moins élevé : 100 g pour le
Florido et 250 g pour le Krenglè et le Bètè-Bètè. Les paysans sèment une bouture par
1 Les semences du coton sont fournies gratuitement par la CIDT et sont calculées dans le prix du coton. 2 associé au riz pluvial 3 Il s’agit d’une mesure du biais de la distribution statistique de l’échantillon. 4 Le coefficient de variation (en %) est obtenu en divisant écart type par la moyenne. 5 l’intervalle de confiance, α = 5 %.
130
butte. Au moyen de la proportion relative de la superficie destinée aux différentes variétés et la densité des buttes, les quantités de semences nécessaires ont été
déterminées.
Enfin, parallèlement au calcul du produit brut, nous construisons une matrice contenant les « facteurs mensuels » de la consommation intermédiaire des différentes
cultures. Puisque la semence se passe sur une période plus réduite par rapport à celle de la valorisation (vente et autoconsommation) du produit brut, les facteurs représentés dans le tableau 3.3 sont plus concentrés sur une période courte.
Tableau 3.3 : Facteurs mensuels (%) pour le calcul du prix de référence des consommations intermédiaires (CI) des différentes cultures
Janv. Févr. Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc. Total
Krenglè 0 0 25 50 25 0 0 0 0 0 0 0 100
Bètè-Bètè 0 0 14 57 29 0 0 0 0 0 0 0 100
Florido 0 0 14 57 29 0 0 0 0 0 0 0 100 Wacrou 20 40 40 0 0 0 0 0 0 0 0 0 100
Gnan 20 40 40 0 0 0 0 0 0 0 0 0 100
Gnaligué 20 40 40 0 0 0 0 0 0 0 0 0 100 Riz pluvial 0 0 0 0 50 50 0 0 0 0 0 0 100
Riz inondé 0 0 0 0 0 0 0 50 50 0 0 0 100
Maïs 0 0 0 0 0 33 33 33 0 0 0 0 100 Arachide 0 0 0 0 50 50 0 0 0 0 0 0 100
(source : Stessens, Daouda, Demont, IDESSA-KUL, 1998)
Le calcul du coût de semences, s’effectue d’une façon analogue à celui du produit
brut. La valeur des semences est calculée en multipliant les facteurs mensuels par les prix mensuels respectifs de chaque mois. L’addition des termes obtenus représente le
« prix de référence » pour le calcul du coût des semences. Ensuite, ce dernier est obtenu en multipliant la quantité de semences appliquée par le prix de référence.
La consommation intermédiaire est donc calculée en additionnant le coût des semences, des engrais, des herbicides et des insecticides. Enfin, la valeur ajoutée brute enfin est déterminée comme suit :
CIPBVAB −= (3.4)
131
3.2.5 Les amortissements (Am) et la valeur ajoutée nette (VAN)
Dans le paragraphe 2.5.8, nous avons distingué deux groupes de capital : le capital
proportionnel à la surface (houe, daba, machette et couteau pour récolter le riz) et le capital non-proportionnel à la surface (hache, équipement de la culture attelée,
charrette, pulvérisateur, semoir, etc.). Au moyen de l’enquête « Identification des outils », le nombre, le coût d’achat ou de fabrication et la « durée de vie » des outils et
des bâtiments ont été recensés. Les résultats sont représentés dans le tableau 3 de l’annexe n° 1.
Dans ce tableau, le coût moyen d’achat ou de fabrication et la « durée de vie » des principaux outils utilisés dans la région de Dikodougou, ont été représentés. Les coûts
annuels sont basés sur l’amortissement linéaire du coût d’achat avec une valeur résiduelle1 de zéro. En général, suite au faible niveau d’investissement, les amortissements annuels ne représente qu’une faible partie de la valeur ajouté brute. La
valeur ajoutée nette enfin est calculée à partir de la valeur ajoutée brute en soustrayant de celle-ci les amortissements annuels :
AmVABVAN −= (3.5)
La valeur ajoutée nette est l’indicateur par excellence pour comparer la productivité des différents systèmes de production. Evidemment, cette comparaison n’a un sens
qu’au cas où les valeurs nettes des systèmes auraient été standardisées par le nombre total2 d’actifs agricoles.
3.2.6 Les affectations (Aff) et le revenu agricole (REV)
Les affectations les plus communément utilisées dans la région de Dikodougou sont l’emploi de la main-d’œuvre et la rente foncière versée aux propriétaires fonciers. La dernière est négligeable par rapport à la première. Souvent, il s’agit d’un don
symbolique en nature, en espèce ou en jours de travail sans relation avec la superficie
de la terre empruntée. L’utilisation de la main-d’œuvre est plus élevée au Sud qu’au
Nord. Néanmoins, calculé en nombre d’actifs, elle est négligeable comparée avec le nombre d’actifs familiaux.
1 la valeur qui reste à la fin de la vie d’un outil 2 C’est bien le nombre total (les actifs agricoles salariés inclus) qu’il faut prendre en compte, sinon la valeur ajoutée nette par actif des systèmes de production utilisant beaucoup de mains-d’œuvre salariées, est systématiquement surestimée.
132
Dans le tableau 2 de l’annexe n° 1, les salaires moyens des différentes opérations agricoles de la région de Dikodougou ont été représentés. Le salaire est d’autant plus
élevé que l’opération est lourde (défrichement, labour, billonnage, buttage) et qu’elle exige un savoir-faire important (buttage, plantation d’igname).
Le revenu agricole enfin constitue la différence entre la valeur ajoutée nette et les
affectations :
AffVANREV −= (3.6)
Le revenu agricole est l’indicateur par excellence de comparaison des conditions de renouvellement des différents systèmes de production. Il existe un seuil minimal, dépendant des conditions socio-économiques du milieu qui englobe les systèmes de
production. Si le revenu agricole n’atteint pas ce seuil, l’exploitation n’arrive pas à reproduire le capital nécessaire pour maintenir sa production à un certain niveau.
L’exploitation « consomme » son capital, autrement dit, elle est en cours de décapitalisation. A court terme, une mauvaise récolte peut se traduire en un revenu agricole insuffisant, mais sans décapitalisation immédiate de l’exploitation. Mais, à
long terme, cette situation n’est pas soutenable sans un apport de capitaux extérieurs. Sans apport, ces exploitations sont contraintes à se décapitaliser et à trouver un revenu
alternatif.
Si l’on veut comparer les conditions de renouvellement des différents systèmes de production, les revenus agricoles des systèmes doivent, parallèlement à la valeur ajoutée nette (paragraphe 3.2.5), aussi être standardisés. Cette fois, le dénominateur
est constitué par le nombre d’actifs agricoles familiaux1.
3.2.7 L’analyse économique
Nous venons d’expliquer la méthodologie spécifique pour chaque élément de
l’analyse économique. Dans ce paragraphe, au moyen d’un exemple, nous résumons
la méthodologie générale du calcul économique. La figure 3.1 représente la structure
des coûts d’une exploitation à Ouattaradougou pour la campagne 1996-1997. Elle est caractérisée par une dimension économique de 2,5 actifs agricoles familiaux : un chef
1 Cette fois, c’est bien le nombre familial (les actifs agricoles salariés non inclus) qu’il faut prendre en compte, sinon le revenu agricole des systèmes de production utilisant beaucoup de mains-d’œuvre salariées, est systématiquement sous-estimée. Dans ce cas, nous tiendrions deux fois compte du travail
133
de ménage, une femme et un garçon. En outre, pendant la période des pointes de travail, l’exploitation a eu recours à une main-d’œuvre salariée : 7 jours, soit 0,04
actifs agricoles salariés (section 3.2.2), pour un prix de 6.000 FCFA. L’exploitation est basée sur la culture manuelle et elle dispose d’une surface agricole utile de 3,4 ha,
soit une surface agricole cultivée de 1,2 ha (facteur R = 36,1 %). Nous standardisons les éléments de la composition du revenu agricole, en les divisant
par la dimension économique (AAf = 2,5). Ainsi, nous obtenons une surface agricole utile de 1,4 ha par actif agricole familial, soit une surface agricole cultivée de 0,5 ha par actif agricole familial. La figure 1.3 représente donc la structure des coûts pour
« un module » de l’exploitation, c’est à dire pour un actif agricole familial. La formule du calcul économique est donc :
AffAmCIPBanPBvégREV −−−+= (3.7)
REV 78.915
VAN81.315
VAB 89.117
PBan 16.727
PBvég 82.760
10.370CI 2.400
Aff7.802Am
0
20.000
40.000
60.000
80.000
100.000
120.000
Val
eur
(FC
FA
)
Figure 3.1 : Représentation schématique du calcul économique (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
salarié : d’une part en soustrayant son coût, notamment les affectations, du revenu agricole, et d’autre part, en divisant le revenu agricole par le nombre d’actifs agricoles familiaux et salariés.
134
3.3 L’approche inductive et la controverse Malthus-Boserup
3.3.1 Les conditions de renouvellement économique des exploitations agricoles
Pour comparer les différents systèmes de production, la comparaison entre la valeur ajoutée nette, ou le revenu agricole par actif familial en fonction de la surface agricole
utile par travailleur, est particulièrement intéressante (Dufumier, 1996). L’analyse sera donc concentrée sur les fonctions :
=
=
AAtSAU
fAAt
VANet
AAfSAU
fAAfREV
(3.8)
On peut alors comparer les revenus obtenus par actif familial avec le revenu minimum indispensable pour satisfaire les besoins incompressibles de la famille dans la zone d’étude. Les systèmes de production qui procurent des revenus inférieurs à ce « seuil
de reproduction » sont logiquement condamnés à disparaître (si les exploitants ne disposent pas d’autres sources de revenus). Il s’agit des exploitations en
décapitalisation (paragraphe 3.2.6).
De même peut-on comparer les revenus obtenus par actif familial avec ceux qu’il serait normalement possible d’avoir avec d’autres emplois dans la zone concernée. Les exploitants dont les systèmes de production se manifestent par des rémunérations
inférieures à ce « coût d’opportunité », pourraient avoir intérêt à abandonner leurs systèmes pour profiter des autres occasions de revenus (sous réserves des risques ainsi
encourus). Dans les figures 3.2 et 3.3, les revenus agricoles des exploitations sont représentés
pour les campagnes 1995 – 1996 (30 exploitations), 1996 – 1997 (47 exploitations) et 1997 – 1998 (47 exploitations). Pour la première campagne, nous ne disposons pas
des données du produit brut animal, de sorte que nous nous sommes limités à calculer le revenu végétal. Le seuil de reproduction (figures 3.2 et 3.3) a été estimé au moyen
des enquêtes. Pour le coût d’opportunité du travail, aux vues du tableau 2 de l’annexe n° 1, un salaire moyen de 700 FCFA par journée de travail pourrait être pris comme référence. Toutefois, une question se pose : combien de journées de travail salarié
peuvent être fournies au long d’une campagne agricole? Tenant compte de la faible utilisation de la main-d’œuvre salariée (figure 2.28), nous constatons que le travail
salarié ne constitue pas une alternative suffisamment sure pour le travail agricole familial. Néanmoins, le salariat existe, mais il s’avère concentré durant la période des
135
pointes de travail : juin, juillet, août. Cette période est trop brève et ne permet pas l’accumulation d’un revenu suffisant pour combler la « période de soudure » entre
deux pointes de travail. En réalité, la main-d’œuvre salariée constitue toujours une activité secondaire, à côté d’une activité agricole ou commerciale.
VILLAGE=1VILLAGE=2VILLAGE=3VILLAGE=4
Ensemble des quatre villages - campagne 1995 - 1996y = 2.482e4+2.131e4*x+eps
SAU/AAf (ha)
RE
Vvé
g/A
Af (
FCFA
)
1112
1314
15
16
17
2122
23
242526
3132
33
35
36
37
3840 41
42
44 4849
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
1e6
1.1e6
1.2e6
1.3e6
1.4e6
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28
Figure 3.2 : Revenu agricole végétal de 30 exploitations pendant la campagne 1995 – 1996 dans la région de Dikodougou1 (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
Le graphique ci-dessus montre qu’une bonne partie des exploitations n’a pas atteint le seuil de reproduction pendant la campagne 1995 – 1996. Une première explication évidente est le fait que seul le revenu végétal est représenté ; alors qu’il existe un
complément « revenu animal ». Néanmoins, les enquêtes montrent qu’il s’agissait
d’une « mauvaise année », pour les cultures vivrières ainsi que pour le coton. Les
statistiques de la CIDT confirment cette hypothèse. 56,7 % des exploitations ont un revenu agricole végétal inférieur au seuil de reproduction. Les systèmes de production
basés sur la culture manuelle ont les plus été touchés : ils représentent 76,5 % des exploitations en dessous du seuil de reproduction. Pour la campagne 1996 – 1997 (figure 3.3), la proportion d’exploitations en dessous du seuil, diminue jusqu’à 23,4
%. 81,8 % de ce groupe cultivent à la main. Enfin, pour la campagne 1997 – 1998, 8,5 % des exploitations n’atteignent pas ce seuil, dont 100 % sont basés sur la culture
manuelle.
Seuil de reproduction
136
VILLAGE=1VILLAGE=2VILLAGE=3VILLAGE=4
Ensemble des quatre villages - campagne 1996 - 1997y = 8.036e4+2.543e4*x+eps
SAU/AAf (ha)
RE
V/A
Af (
FC
FA
)
11
1213
14
151617
20
21
2223
24
25
26
27
28
29
30
31
32
34
35
36
37
38 39
40
42
43
45
48
50
51
52
61
62
63
81
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
1e6
1.1e6
1.2e6
1.3e6
1.4e6
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28
VILLAGE=1VILLAGE=2VILLAGE=3VILLAGE=4
Ensemble des quatre villages - campagne 1997 - 1998y = 1.689e5+1.698e4*x+eps
SAU/AAf (ha)
RE
V/A
Af (
FC
FA
)
11
12
13 1417
18
20
2122
23
24
2526
272829
30
32
34
35
36
37
3839
40
41
42
43
45
46
47
48
49 5153
61
62
636481
82
83
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
1e6
1.1e6
1.2e6
1.3e6
1.4e6
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24 26 28
Figure 3.3 : Revenu agricole total de 47 exploitations pendant les campagnes 1995 – 1996 et 1996 – 1997 dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
1 village 1 = Tapéré ; village 2 = Tiégana ; village 3 = Ouattaradougou ; village 4 = Farakoro
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
137
3.3.2 La dynamique des exploitations agricoles
Le système d’élevage ne s’avère pas intégré aux systèmes de cultures (paragraphe
2.5.10). Il s’agit en effet d’une véritable juxtaposition de deux systèmes. En outre, il est difficile de trouver une typologie des exploitations à base du système d’élevage.
Dans presque tous les cas, les consommations intermédiaires et la force de travail allouées à ce système sont négligeables. Les systèmes de production se caractérisent
surtout en fonction des systèmes de cultures, la discipline dans laquelle les Sénoufo paraissent plus spécialisés (paragraphe 2.5.10). Par conséquent, dans la suite des analyses nous découplons le système d’élevage du système de production et nous
nous concentrons sur le « système de production végétale ».
Pour identifier la dynamique de ces systèmes, nous allons présenter l’évolution du revenu végétal par actif familial et la superficie cultivée par actif familial au cours des trois campagnes agricoles étudiées par le projet. Ceci a été fait pour les quatre villages
(figure 3.4). Dans la première partie de l’analyse, nous allons utiliser la surface agricole utilisée (SAC) et non la surface agricole utile (SAU). La SAC est plus précise
du fait qu’elle est issue de mesures de parcelles emblavées par le paysan. La SAU par contre est issue d’une estimation au moyen du facteur R appliquée par exploitation
(équation 2.10 dans le paragraphe 2.5.1). Elle constitue donc une approximation de la réelle SAU. En outre, la SAU restant plus ou moins constante sur une période de trois ans, la SAC reflète mieux la dynamique des exploitations à court terme.
Dans la figure 3.4, les exploitations sont représentées par un point sur le graphique
accompagné de deux chiffres, séparés par un point : le numéro de l’exploitation, suivi par la campagne1 agricole. Une flèche indique l’évolution de l’exploitation entre deux
campagnes. La dynamique dont les figures témoignent, peut résulter d’une expansion ou d’une contraction des superficies cultivées par actif d’une part, et du nombre d’actifs agricoles d’autre part. Quoiqu’il en soit, les exploitations font preuve d’une
forte dynamique, surtout dans la région Sud.
Deuxièmement, les figures illustrent clairement l’existence d’une limite technique pour la culture manuelle. Ces limites se reflètent au niveau des superficies cultivables par actif agricole, ainsi que pour le revenu végétal procuré par actif (tableau 3.4).
1 La campagne 1995 – 1996 par exemple est désignée sous le chiffre « 5 ».
138
Tapéré 1995-1996-1997y = -4.054e4+2.731e5*x+eps
SAC/AAf (ha)
RE
Vvé
g/A
Af (
FCFA
)
11.512.5
13.514.5
15.5
16.5
17.5
11.612.6
13.6
14.6
15.6
16.6
11.7
12.7
13.7
14.7
15.7
17.7
18.7
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 5.5
Tiégana 1995-1996-1997
y = -1.938e4+1.781e5*x+eps
SAC/AAf (ha)
RE
Vvé
g/A
Af (
FCFA
)
21.522.5
23.5
24.525.5
26.5
20.6
21.6
22.6
23.6
25.6
26.6
28.6
80.682.6
83.6
20.7
21.7
24.7
25.7
26.7
27.780.7
82.7
83.7
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 5.5
Figure 3.4 : Evolution des revenus végétaux par actif familiale et de la surface agricole cultivée par actif agricole familial au cours des campagnes 1995 – 1996 – 1997 pour quatre villages dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
CM
CM
CA
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
139
Ouattaradougou 1995-1996-1997y = 9.052e3+1.679e5*x+eps
SAC/AAf (ha)
RE
Vvé
g/A
Af (
FCFA
)
31.5
32.5
34.5
35.5
36.5
37.5
38.530.6
31.6
32.6
33.634.6
35.6
36.6
37.6
39.6
61.6
62.6
63.6
30.7
32.7
33.7
35.7
36.7
37.7
38.7
61.7
62.7
63.7
64.7
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 5.5
Farakoro 1995-1996-1997
y = 3.12e4+1.238e5*x+eps
SAC/AAf (ha)
RE
Vvé
g/A
Af (
FCFA
)
40.5
41.5
42.5
43.5 44.545.5 48.5
40.6
41.6
42.6
43.6
45.6
46.6
48.6
50.6
51.6
52.6
40.7
41.7
42.7
43.7
45.7
46.7
47.7
48.7
49.7
53.7
54.7
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
800000
900000
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 4.5 5 5.5
(suite de la figure 3.4)
Troisièmement, nous voulons attirer l’attention sur le fait que les exploitations à
culture manuelle de Tiégana se trouvent, à part deux observations, tous systématiquement en dessous du seuil de reproduction. Le revenu total moyen de ces exploitations, compte tenu de la production animale, n’atteint en effet que 78.086
FCFA par actif familial. Ce constat constitue une visualisation des limites techniques
CA
CM
CA
C
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
140
qui s’imposent (suite à l’enherbement : figure 2.16, et la baisse de la fertilité : figure 2.15), lorsque la pression foncière augmente, et qui « repoussent » les paysans en
dessous du seuil de reproduction. C’est aussi pourquoi l’on retrouve déjà le système à base de culture attelée, qui permet de franchir cette limite, à partir de faibles
superficies cultivées par rapport aux villages de Ouattaradougou et Farakoro. Puisque les facteurs R du groupe à culture manuelle sont relativement faibles (une moyenne de
27,5 %), par rapport à celui du village de Tiégana (R = 39 %), le phénomène observé ne résulte donc pas d’un mauvais accès à la terre. Le revenu végétal maximal procuré par actif familial diminue donc en fonction de la pression foncière (tableau 3.4).
Quant à la limite technique de la SAC du groupe à traction animale, elle s’impose
beaucoup plus à Tiégana, où la densité démographique empêche fortement l’expansion des superficies. L’expansion est possible, mais elle se produit aux dépens des jachères et résulte donc en un accroissement du facteur R.
Tableau 3.4 : Comparaison des limites techniques entre les exploitations à culture manuelle et les exploitations à culture attelée Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Culture manuelle (CM) Limite SAC/AAf (ha) 1,63 2,02 1,88 1,62
Limite REVvég/AAf (FCFA) 495.000 310.000 294.000 285.000
Culture attelée (CA) Limite SAC/AAf (ha) . 4,48 4,23 2,41
Limite REVvég/AAf (FCFA) . 810.000 752.000 461.000
(source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
3.3.3 Une typologie pour les exploitations de la région de Dikodougou
Une typologie des exploitations vise en premier lieu à distinguer les systèmes de production qui diffèrent au niveau de leur fonctionnement. Le coton est une culture
qui exige toute une série de prescriptions au niveau de l’itinéraire technique et qui
profite d’un encadrement et de subventions fournis par la CIDT. La présence du coton constitue donc le premier critère de distinction. Le fonctionnement de l’exploitation
agricole est ensuite déterminé par le degré de mécanisation. L’utilisation de la houe ou de la traction animale est donc le deuxième critère de distinction. Ces deux critères
nous permettent de distinguer trois groupes :
1. Un groupe basé sur la culture manuelle, sans culture de coton : 62 observations ;
2. Un groupe basé sur la culture manuelle, avec culture de coton : 13 observations ; 3. Un groupe basé sur la culture attelée, avec culture de coton : 51 observations.
141
Un éventuel groupe basé sur la culture attelée, sans culture de coton n’a pas été relevé. Dans un deuxième temps, les groupes 2 et 3 sont divisés en sous-groupes en fonction
de la place occupée par le coton, un critère qui influence beaucoup le type du système de culture appliqué. Il en résulte donc 5 types de systèmes de production. Au sud de
notre zone d’étude, on assiste à l’émergence d’un système de production basé sur le maïs comme culture de rente. En prenant ce phénomène comme dernier critère, nous
distinguons 7 archétypes de systèmes de production. Dans le tableau 3.5, nous avons désigné ces archétypes par le système de culture qui domine le système de production. Le chiffre entre parenthèses constitue le nombre d’observations.
Tableau 3.5 : Typologie des systèmes de production de la région de Dikodougou Absence du coton Présence du coton
Phase d’adoption Diversification Systèmes basés sur la culture manuelle
IRA (51), MR (6), autres systèmes (5)
IRAC (4) CR+(CM) (9)
Diversification Spécialisation Systèmes basés sur la
culture attelée
-
CR+(CA) (30), CRM (9) CR (12)
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
Le système de production IRA est concentré sur le système de culture IRA et ses
dérivés, sans insertion du coton (tableau 2.8). Parallèlement aux observations de Le Roy (1983), on peut le considérer comme « l’ancien système », c’est à dire le système
qui domine tant que la pression foncière reste faible. Une augmentation de celle-ci donne naissance à toute une série d’adaptations dont l’apparition de nouveaux systèmes de cultures dérivés de l’IRA témoigne. Le système MR (maïs – riz pluvial)
occupe une place non négligeable. Elle est caractérisée par l’apparition d’une monoculture de maïs avec un cycle de culture allant jusqu’à cinq années.
Le système IRAC, quoique peu fréquent constitue un système de transition entre l’IRA
et le CR+(CM). Une petite superficie de coton est emblavée pour « essayer » cette culture. Le coton se trouve donc dans la phase d’adoption1. En outre, toutes les caractéristiques du système IRA, ou de ses dérivés, sont présentes. Il en va autrement
pour le système CR+(CM), où dans la majorité des cas le coton a pris la place de l’igname. Il s’agit d’un système « enrichi » (indiqué par le symbole « + »), basé sur le
coton et le riz. Ce système est semblable au système CR+(CA), à la seule différence de
l’équipement.
1 Des quatre systèmes IRAC observés, deux ont aboli le coton l’année suivante. Un des deux se trouve à Tapéré. Il avance que le contrôle social et la moquerie qui en résulte lui ont fait abandonner cette culture. La troisième exploitation s’est transformée en CR. La quatrième a adopté le coton en 1997, dans la dernière année du projet. Les résultats de la campagne 1997 - 1998 ne sont pas encore connus.
142
Au Sud, une partie non négligeable des CR+(CA) « enrichissent » leur système avec des superficies importantes de l’association riz pluvial – maïs, ainsi qu’avec des
monocultures de maïs. Nous les désignons sous le terme CRM, reflétant l’importance du maïs comme culture de rente. Les systèmes de cultures qu’on y retrouve sont des
systèmes basés sur le coton et des systèmes basés sur le maïs. Le dernier archétype, caractérisé par des exploitations à grandes superficies constitue le CR. Il s’agit des
systèmes de production spécialisés dans le coton comme culture de rapport. Les systèmes de cultures sont basés sur le coton (tableau 2.8) et le riz. Suite aux larges superficies emblavées en coton, on y retrouve des monocultures de coton jusqu’à six
années de culture.
Les autres systèmes de cultures, notamment ceux basés sur l’arachide, l’association gombo – riz pluvial, les vergers d’anacardiers et le riz du bas-fond occupent, quant à leur superficie, une place peu importante par rapport aux sept archétypes mentionnés.
Mis à part les vergers d’anacardiers, il s’agit de systèmes gérés par la femme, qui constituent en effet un « sous-système de production » faisant partie du système de
production du groupe familial.
Le riz du bas-fond, quoique négligeable en termes de superficies, est très remarquable quant à l’intensité de l’occupation du sol (facteur R = 100 %) et aux itinéraires techniques. Par conséquent, nous distinguons encore deux « sous-systèmes de
production », le plus souvent gérés par les épouses du chef de ménage : le r(CM) et le r(CA), en fonction de l’accès à l’équipement de la traction animale.
3.3.4 La comparaison des systèmes de production : une méthode inductive
La valeur ajoutée nette (VAN) constitue l’indicateur le plus pertinent pour comparer la productivité de différents systèmes de production (paragraphe 3.2.5). Elle permet en
effet de comparer les exploitations, quelque soit la force de travail allouée : familiale ou salariée. En plus, par rapport à la VAB, une analyse basée sur la VAN tient compte
du niveau d’investissement de sorte que des exploitations possédant différents équipements peuvent être comparées. Dans la suite de l’analyse, nous nous concentrons sur le système de production végétal, sur lequel la typologie est basée.
L’équation 3.5 se réécrit ainsi :
AmCIPBvégVANvég −−= (3.8)
143
Les consommations intermédiaires sont toutes proportionnelles à la superficie cultivée. Il en va autrement pour les amortissements, où nous avons distingué des
amortissements du capital proportionnels à la superficie cultivée (AmCp) et non proportionnels à la superficie (AmCnp). Nous pouvons calculer le revenu donc en
distinguant très clairement les éléments proportionnels à la surface agricole cultivée (SAC) de ceux qui ne le sont pas :
AmCnpSACSAC
AmCpSACCI
SACPBvég
REVvég −×−−= )( (3.9)
βα −×= SACREVvég (3.10)
En symbolisant la partie proportionnelle par α et la partie non proportionnelle par β,
nous voyons apparaître l’équation d’une droite (équation 3.10). Les coefficients α et β
représentent respectivement la rentabilité et le degré d’investissement des systèmes de
production. Mais, les systèmes de production sont caractérisés par un troisième paramètre : la limite technique. Dans la réalité, cette limite se présente comme la
surface maximale cultivable par actif agricole avec un équipement donné. Tous les systèmes de production peuvent donc être caractérisés et comparés par ces trois coefficients techniques et peuvent être visualisés par une droite1 qui s’achève à la SAC
qui correspond à la limite technique du système.
Dans cette démarche inductive, nous calculons d’abord les coefficients techniques α
et β de chaque exploitation. Puisque nous avons identifié sept archétypes de systèmes
de production, nous disposons de sept groupes de coefficients α et β. Ensuite, nous
faisons une analyse statistique sur ces coefficients. La première analyse est une
analyse de normalité pour les populations d’observations de chaque archétype.
D’après le test de Kolmogorov-Smirnov (avec un degré de signification de 5 %) dans le logiciel STATISTICA, tous les échantillons semblent posséder une distribution
normale. Ceci implique que nous pouvons prendre des moyennes et des intervalles de confiance (IC) pour représenter les différents systèmes. En effet au cas où les données
éléments proportionnels à la SAC
= α
éléments non proportionnels à la SAC
= β
144
n’avaient pas une distribution normale, l’utilisation de ces moyennes et de ces intervalles faussait les résultats.
Dans un deuxième temps, nous calculons donc la moyenne et l’IC des coefficients α,
β et de la SAC de chaque archétype. Ceci nous permet de délimiter, par archétype,
l’aire d’existence des systèmes de production de la façon dont nous les observons
dans la réalité agraire. Elle a été construite en prenant la limite inférieure et supérieure
de l’IC des SAC de l’échantillon d’une part, et les limites de l’IC des coefficients α et
β d’autre part. Ces aires d’existence ont été représentées pour chaque archétype des
systèmes de production dans la figure 3.5. Les lignes représentent la limite inférieure, la moyenne et la limite supérieure de l’IC des droites caractérisées par un coefficient
directeur α et une intersection β. Entre ces lignes se trouvent les droites de 95 % des
exploitations. A condition que l’échantillon possède une distribution normale, une aire d’existence d’un système de production contient donc 90,25 % (soit 95 % x 95 %) des
exploitations agricoles.
Ensuite, nous faisons une analyse de variance pour identifier l’existence des différences statistiques entre les coefficients techniques des systèmes de production.
Dans STATISTICA, nous appliquons un test de Tukey2 (Neter, Wasserman & Kutner, 1990) qui donne les couples de coefficients qui sont différents à base d’un degré de signification de 10 %. Dans le tableau 3.6, les systèmes de production sont
hiérarchisés selon l’ordre croissant des coefficients α et β. La place de chaque SP,
selon cet ordre, est indiqué par un numéro dans la colonne « hiérarch. ». Les résultats
de l’analyse de variance sont représentés dans la colonne « Tukey ». Pour chaque SP, les numéros des SP qui ne diffèrent pas3 de ce premier, sont horizontalement indiqués. Verticalement, les SP liés par le même numéro ne diffèrent pas3 du SP désigné par ce
numéro.
Seul le système IRA paraît se distinguer des systèmes MR, CRM, CR+(CM) et
CR+(CA) par une rentabilité (α) supérieure. Au niveau du degré d’investissement (β),
l’IRA se distingue nettement des systèmes de culture attelée, notamment le CR+(CA),
le CRM et le CR. Le CR ressort comme le système avec le niveau d’investissement le
plus élevé. A part de l’IRA, son coefficient β diffère statistiquement des systèmes
1 En réalité, la fonction présentée dans l’équation 3.9 suit plutôt une courbe convexe suite à la loi du produit marginal décroissant (Varian, 1997). Dans notre analyse, nous nous intéressons à la comparaison des systèmes de production et les conditions d’un changement d’un système à l’autre. 2 « Tukey HSD (Honest Significant Difference) Test for unequal n (Spjotvoll/Stoline Test) » 3 avec un degré de signification de 10 %
145
CR+(CM), MR, IRAC et CR+(CA). Le MR se présente comme le système avec la plus faible rentabilité. Ceci est probablement lié au prix du maïs relativement bas (figures
2.3 et 2.4). Dans la figure 3.5, les résultats pour les différents archétypes des systèmes de production ont été visualisés. Rappelons-nous que la pente des droites reflète le
coefficient α, tandis que l’intersection avec l’axe du revenu est une mesure pour le
coefficient β.
Tableau 3.6 : Résultat du test de Tukey pour les coefficients techniques α et β Coefficient α Coefficient β
hiérarch. SP α Tukey hiérarch. SP β Tukey
1 MR 79.955 1 2 3 4 5 6 1 CR+(CM) 3.677 1 2 3 4 5 6
2 CRM 94.407 1 2 3 4 5 6 2 IRA 4.063 1 2 3 4
3 CR+(CM) 157.616 1 2 3 4 5 6 3 MR 4.362 1 2 3 4 5 4 CR+(CA) 172.629 1 2 3 4 5 6 4 IRAC 4.599 1 2 3 4 5 6
5 CR 186.596 1 2 3 4 5 6 7 5 CR+(CA) 16.728 1 3 4 5
6 IRAC 203.605 1 2 3 4 5 6 7 6 CRM 23.987 4 5 6 7 7 IRA 228.139 7 7 CR 29.710 6 7
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
146
IRA (Igname-Riz-Arachide culture manuelle)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
MR (Maïs-Riz culture manuelle)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
Figure 3.5 : Aire d’existence des différents systèmes de production observés dans la région de Dikodougou (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
IRA
M
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
147
IRAC (Igname-Riz-Arachide-Coton culture manuelle)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
CR+(CM) (Coton-Riz enrichi culture manuelle)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
(suite de la figure 3.5)
IRAC
CR+
(CM)
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
148
CR+(CA) (Coton-Riz enrichi culture attelée)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
CR (Coton-Riz culture attelée)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
(suite de la figure 3.5)
CR+ (CA)
CR
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
149
CRM (Coton-Riz-Maïs culture attelée)
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
(suite de la figure 3.5)
3.3.5 La trajectoire d’évolution des SP : la controverse Malthus-Boserup
Dans la figure 3.6, tous les archétypes des principaux systèmes de production observés à Dikodougou ont été représentés par une droite, basée sur la moyenne des
coefficients α et β. L’intervalle confiance de 95 % des SAC observées par actif
agricole a été indiqué. Nous présentons ici notre hypothèse concernant l’évolution des systèmes de production dans la région de Dikodougou.
L’ancien système IRA dans sa forme pure, c’est à dire exclusivement basé sur le système de culture IRA (figure 2.22), permet de dépasser largement le seuil de
reproduction avec un espace cultivé minimal (figure 3.5). Ce système ne se reproduit durablement, cycle après cycle, qu’à condition que la pression démographique ne soit
pas élevée. C’est donc seulement dans des villages à faible pression foncière que la forme pure de ce système a été observée : le village de Tapéré, avec une densité de 14
habitants par km2 et un facteur R de 16 %, le village de Karakpo (sous-préfecture de
Boudiali), caractérisé par une densité de 6 habitants par km2 et un facteur R de 7 % (Le Roy, 1983).
L’igname est l’aliment de base préféré dans toute la région de Dikodougou : elle a une
valeur nutritionnelle supérieure et, de plus, son goût est préféré par rapport à celui du manioc. Mais, elle est aussi une culture de rente par excellence dont témoigne
CRM
Seuil de reproduction
150
l’intégration élevée du circuit de commercialisation (surtout pour la variété Krenglè : figure 2.13). Le seul inconvénient est le fait qu’il s’agit d’un produit périssable,
limitant les possibilités de stockage, dont témoigne la variation saisonnière élevée du prix d’igname (figure 2.7). L’igname domine en tant que culture de rapport dans les
villages de Tapéré et de Ouattaradougou. Elle donne un rendement par ha très élevé et s’adapte bien à un système à longue jachère (peu d’enherbement et la présence de
beaucoup d’arbres qui peuvent servir de tuteurs). Pour ces raisons, le système IRA a donc une forte chance d’être perpétué, tant que la pression foncière permet sa reproduction durable.
Mais cette condition n’est pas remplie partout. Les migrations, les guerres religieuses,
la naissance d’une « zone dense », ont laissé leurs empreintes sur la répartition de la population (figure 1.6 et 1.7) de sorte que sa densité est loin d’être homogène et diffère beaucoup d’un village à un autre. Quoiqu’il en soit, au fur et à mesure que
cette densité augmente, les surface agricoles utiles par actif diminuent tellement (figure 2.17) que les paysans sont contraints de migrer, de prolonger leurs cycles de
culture et/ou de défricher une partie de leurs jachères. Le système IRA est « prolongé » pour subvenir aux besoins alimentaires. Toute une série de dérivés de ce
système apparaît (tableau 2.8). Néanmoins, l’ancien système est mis en déséquilibre (figure 2.15) ; il ne peut plus se reproduire durablement et on assiste à une baisse progressive des rendements, ce qui fait baisser la pente de la droite de l’IRA (figure
3.5).
Certains innovateurs, bien conscients de cette baisse de productivité, décident alors de substituer l’igname par une autre culture de rente moins exigeante quant à la fertilité.
Certains se spécialisent dans le maïs, formant un système MR. Cependant, le prix relativement bas du maïs (figures 2.3 et 2.4) oblige l’obtention d’une surface étendue pour atteindre le seuil de reproduction. C’est dans ce système de production que nous
avons relevé les exploitations les plus extrêmes. D’une part, on y retrouve la seule
exploitation qui a atteint un revenu végétal (légèrement) négatif (pour les campagnes
1995 – 1996 et 1996 – 1997). Il s’agit d’une exploitation avec une SAC de 0,83 ha par actif familial en moyenne.
D’autre part, une véritable « plantation de maïs » a été observée. Il s’agit de
l’exploitation 42 dans les figures 3.2, 3.3 et 3.4. Il est toutefois intéressant de s’arrêter
aux caractéristiques de cette exploitation. Nous calculons les moyennes pour les trois campagnes étudiées de tous les éléments de l’analyse économique. Il s’agit d’une
exploitation avec un investissement en capital plus faible que l’investissement en
151
main-d’œuvre : les amortissements n’atteignent que 9.121 FCFA par AAf alors que les affectations s’élèvent à 39.331 FCFA par AAf. Le faible facteur R (16 %) insinue un
bon accès à la terre : la SAU est de 20,14 ha par AAf, soit de 12,29 ha par AAt. Entièrement basée sur la culture manuelle et la location de la force de travail, cette
exploitation arrive à cultiver 3,19 ha par AAf, soit 1,94 ha par AAt. C’est pour cette raison que l’exploitation 42 semble dépasser la limite technique pour la culture
manuelle (figure 3.4), parce qu’elle est calculée par actif agricole familial. Ce constat illustre donc l’importance de comparer les systèmes de production par le biais de la VAN par actif agricole total, comme nous l’avons fait dans les figures 3.5 et 3.6.
D’autres innovateurs suivent les encouragements de la CIDT et s’adonnent à la
culture du coton. Souvent, ils se transforment tout de suite en CR+(CM). D’autres, plus réticents à l’égard de cette innovation, décident « d’essayer » cette culture sous forme d’un IRAC. Ce dernier système garde toutes ces caractéristiques par rapport aux
systèmes dérivés de l’IRA, excepté qu’une petite proportion de l’igname est substituée par le coton.
Les systèmes CR+(CM) ont plus été observés par rapport au système précédent. Il s’agit d’une véritable phase de « préparation » : en cultivant le coton, l’exploitant vise
à accumuler un revenu suffisant pour l’acquisition de l’équipement de la traction animale. Quoiqu’il en soit, l’adoption de la culture du coton signifie un profond changement du système de production. Désormais, l’agriculteur est lié à une
institution, la CIDT, qui l’encadre et lui assure l’achat du coton. En plus, l’itinéraire technique prescrit par la CIDT diffère beaucoup du système traditionnel. Les
semences sont « gratuites », c’est à dire calculées dans le prix du coton. Les engrais, herbicides et insecticides sont subventionnés par le biais d’un système de crédit.
Néanmoins, cette phase de changement du système de production du système IRA vers le système CR+(CM) par la transition du système IRAC, se traduit par une baisse
de la rentabilité et par un décalage de la limite technique vers des SAC inférieures
(figure 3.6). Ce dernier phénomène s’explique par le fait que le coton concurrence
avec les cultures de subsistance quant à la force de travail. Les pointes de travail du coton coïncident en effet avec ceux des cultures vivrières, notamment dans la période d’août jusqu’en novembre. C’est dans cette période que les agriculteurs ont le plus
souvent recours à la main-d’œuvre salariée.
Dans le paragraphe 3.3.4 nous avons démontré statistiquement que la rentabilité de l’IRA est supérieure à celle du CR+(CM) (tableau 3.6). Mais le passage du premier
système vers le deuxième ne doit pas être envisagé seulement comme une baisse de la
152
rentabilité, il constitue aussi une tentative afin d’empêcher que celle-ci régresse encore plus. L’accès facile aux engrais, fournis par la CIDT, permet de freiner cette
baisse dans les villages où le système traditionnel de longues jachères et de courts cycles de culture de l’IRA n’est plus respecté. En même temps, la limite technique
imposée par l’enherbement progressif du milieu biophysique et le développement des parasites et des maladies qui tend à pousser les agriculteurs en dessous du seuil de
reproduction, peut être franchie par les herbicides et les insecticides, mises à la disposition par la CIDT.
Le système CR+(CM) permet donc d’accumuler un revenu monétaire, mais en même temps une production suffisante de cultures de subsistance doit être assurée, ce qui
ressort comme une contrainte selon les enquêtes. Dès que les conditions sont favorables – souvent après une « bonne année » pour le coton ou un héritage – l’agriculteur contracte un emprunt auprès de la CIDT, de son père, d’un ami ou d’un
forgeron et se procure l’équipement pour la traction animale.
Le passage de la culture manuelle à la culture attelée ouvre la porte pour la phase d’expansion (figure 3.6). Désormais, l’agriculteur est capable de surmonter les
limites techniques de la culture manuelle et d’augmenter ses superficies cultivées d’une façon considérable. Il est clair que l’accès à la terre joue un rôle très important dans cette phase. Un ménage moins doté quant à ce facteur de production, pourrait
être capable de se procurer le capital nécessaire à la culture attelée sans qu’il puisse amortir ce capital sur une surface étendue. En outre, toute expansion de sa SAC
entraîne un accroissement du facteur R tellement fort que le ménage est obligé de changer vers un système très intensif : utilisation permanente d’engrais, de fumure
d’animaux, etc. En réalité, dans ce cas nous observons plutôt une migration qu’une telle intensification. Or, comme nous l’avons dit dans le paragraphe 2.6.7, les ménages disposant socialement au départ, de terres cultivables abondantes et d’une
force de travail conséquente, accèdent beaucoup plus facilement à la culture attelée.
Dans un deuxième temps, une fois qu’ils ont adopté cette innovation, ils ont plus de
possibilités d’expansion de leur SAC et de passer d’un CR+(CA) vers un CR, sans que le facteur R s’accroisse d’une façon considérable.
Dans la figure 3.6, le passage du système manuel à la traction animale se reflète
clairement au niveau de l’accroissement du coefficient β. Mais la figure semble
également insinuer une augmentation de la rentabilité (α) lors du passage du
CR+(CM) vers le CR+(CA) et puis de ce dernier vers le CR. La culture attelée en tant
qu’innovation technique qui permet d’augmenter considérablement la productivité par
153
travailleur, entraîne-t-elle aussi une augmentation de la productivité par unité de surface? L’analyse de variance ne trouve pas de différence significative (tableau 3.6).
Les enquêtes avancent l’hypothèse que la traction animale augmente la qualité du labour du sol. Les paysans avancent que la charrue permet un labour plus profond du
sol, qui favorise un enracinement plus profond. Ceci se reflète surtout au niveau de la solidité des tiges du coton. L’avantage comparatif de la charrue est surtout ressenti sur
les Tagoungo (tableau 2.9). Mais, ne faut-il pas renverser le raisonnement? L’augmentation apparente de la
productivité, n’est-elle pas plutôt une réflexion du fait que les exploitations à culture attelée disposent au départ des terres les plus fertiles et d’une réserve suffisante pour
maintenir cette fertilité par le biais de jachères longues? L’étude de Pingali et al. (1987) avance que trop d’études qui concernent l’étude des effets de l’introduction de la traction animale, se sont contentées de comparer les rendements des exploitations à
culture manuelle avec celles à culture attelée alors qu’il fallait plutôt comparer les rendements avant et après l’introduction de cette technique dans l’exploitation.
Quoiqu’il en soit, l’adoption de la culture attelée va souvent de pair avec une spécialisation dans une ou deux cultures de rapport. Le passage du CR+(CA) vers le
CRM (figure 3.6) signifie une concentration sur les cultures du coton et du maïs. Le tableau 2.8 illustre que ces deux cultures sont compatibles. Le maïs est souvent placé à la fin de la période de culture du coton, profitant ainsi des effets rémanents dans le
sol, suite aux intrants appliqués lors de la culture précédente. Mais, on a également observé des monocultures de maïs et de coton.
Le passage du CR+(CA) vers le CR va souvent de pair avec des expansions
considérables de la surface cultivée. Ces exploitations ont le plus souvent recours à de la main-d’œuvre salariée. Une SAC de 4,48 ha par AAf (tableau 3.4), soit 3,51 ha par AAt a été observée comme limite technique de ce système de production.
Nous distinguons donc trois phases dans l’évolution des systèmes de production dans
la région de Dikodougou (figure 3.6) : I. La phase de changement du système de production : le passage de l’IRA vers le
MR ou vers l’IRAC, puis vers le CR+(CM) ;
II. La phase du passage de la culture manuelle vers la culture attelée : le plus
souvent, ce passage s’effectue entre les systèmes CR+(CM) et CR+(CA) ;
III. La phase d’expansion : le passage du CR+(CM) vers le CRM ou le CR.
154
Mais la représentation de l’évolution comme nous l’avons fait dans la figure 3.6, n’est-elle pas un peu pessimiste (baisse de la fertilité puis de la rentabilité)? En effet,
comparer la rentabilité en termes des surfaces agricoles cultivées, c’est adopter le point de vu de Malthus. Malthus fonde sa « loi des rendements décroissants » du
constat que la tendance longue à la croissance démographique mène à des rendements décroissants dans l’agriculture (Mounier, 1992).
Boserup (1965) s’oppose au pessimisme malthusien en prenant en compte les pratiques agronomiques des agriculteurs. Ceux-ci conçoivent effectivement leur
stratégie de production dans le temps et dans l’espace, puisque la culture itinérante et la jachère se fondent sur l’observation et l’expérience des dangers d’une culture trop
intensive et trop répétitive qui entraîne l’épuisement des sols, la multiplication des mauvaises herbes et celle des maladies et des parasites. La jachère écarte ces dangers parce qu’elle est le moyen efficace de reconstitution des sols en éléments minéraux et
organiques, de lutte adventice et de réduction des risques phytosanitaires spécifiques. Cette connaissance conduit Boserup à ne pas accepter le concept de « superficie
cultivée », généralement admis dans l’analyse économique. Celui-ci est trop « technique ». Il consiste à ne prendre en compte dans le calcul que la superficie
effectivement en culture au moment de l’observation, comme si la jachère n’entrait pas dans le processus de production agricole et devait être exclue du calcul de l’efficacité de ce processus. Boserup au contraire propose une acception plus
« économique » du concept de superficie en y intégrant l’ensemble des terres qui concourent à la production : la surface agricole utile.
Que se passe-t-il lorsque nous intégrons le point de vue boserupien dans notre analyse
de l’évolution des systèmes de production sénoufo? Pour répondre à cette question,
nous recalculons les rentabilités (α) des archétypes des systèmes de production en
prenant en compte la SAU au lieu de la SAC. Les résultats ont été présentés dans la
figure 3.7. La différence de point de vue se reflète surtout dans la première phase de l’évolution : la phase de changement du système de production. La figure illustre
clairement le rôle de la pression démographique : elle « pousse » les agriculteurs
vers des SAU inférieures, de sorte que ceux-ci sont contraints de développer des systèmes plus intensifs, c’est à dire à un taux d’occupation de la SAU plus élevé afin
d’éviter d’être « poussés » en dessous du seuil de reproduction. On assiste donc à une intensification induite par la pression foncière qui se reflète par une augmentation
de la rentabilité en termes de surface utile.
155
La deuxième et la troisième phase ne sont pas tant caractérisées par des changements
de la rentabilité que par des changements du degré d’investissement (β). Dans ces
phases, c’est surtout l’accès à la terre qui commence à jouer le rôle clé et la condition sine qua non de l’expansion des surfaces cultivées allant contre le courant de
l’accroissement démographique. Il est clair que seulement une minorité privilégiée atteindra le stade du CR. Nous n’avons relevé que 6 exploitations de ce type. 4 de ces
exploitations se trouvent à Ouattaradougou1, les autres 2 se trouvent tous dans des villages plus saturés quant au foncier. Ces exploitations ont pu s’étendre grâce à une inégalité quant à la dotation du foncier. Leur entrée dans la phase d’expansion
accentue encore la polarisation qui existait déjà. Une nouvelle classe sociale apparaît, celle des propriétaires fonciers ; elle recrute le supplément de main-d’œuvre dont elle
a besoin, parmi une autre nouvelle classe sociale, celle des « ouvriers agricoles ». Mais, ce ne sont là que des tendances à plus ou moins long terme. D’abord, le Sénoufo migre à la recherche de terres vierges.
1 Rappelons-nous que Ouattaradougou constitue un village très jeune, où il y a « encore beaucoup de possibilités » : 32 % de la superficie des parcelles résulte d’un défrichement d’une forêt vierge (paragraphe 3.6). La terre se trouve encore dans une « phase élastique », la saturation n’est pas encore atteinte.
156
Systèmes de production végétale culture manuelle
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
Systèmes de production végétale culture attelée
SAC/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
0 0.4 0.8 1.2 1.6 2 2.4 2.8
Figure 3.6 : Les trois phases de l’évolution des systèmes de production dans la région de Dikodougou présentées selon le point de vue de Malthus (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
IRAC IRA
MR (CCR+
(CM)
CR+ (CA)
CR
CRM
CR+ (CM)
II. Passage CM à CA
I. Phase de changement du système de production
III. Phase d’expansion et de polarisation
157
Systèmes de production végétale culture manuelle
SAU/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
725000
825000
0 2 4 6 8 10 12 14
Systèmes de production végétale culture attelée
SAU/AAt (ha)
VA
N/A
At (
FC
FA
)
-75000
25000
125000
225000
325000
425000
525000
625000
725000
825000
0 2 4 6 8 10 12 14
Figure 3.7 : Les trois phases de l’évolution des systèmes de production dans la région de Dikodougou présentées selon le point de vue de Boserup (source : Demont, CNEARC - IDESSA-KUL, 1998)
A travers ces représentations économiques des systèmes de production pour le cas de
Dikodougou, nous retrouvons une réponse pour le débat entre les deux thèses
opposées, citées dans le paragraphe 2.5.6 : les figures 3.6 et 3.7 montrent que la thèse de compétition entre le coton et les cultures vivrières est surtout en vigueur dans la
IRAC
IRA
MR (C
CR+ (CM)
CR+ (CA)
CR
CRM CR+ (CM)
I. Phase de changement du
système de production
II. Passage CM à CA
III. Phase d’expansion et de polarisation
Seuil de reproduction
Seuil de reproduction
Pression démographique
158
première phase de l’évolution, à savoir dans la phase de changement du système de production à culture manuelle. Le fait que les paysans sont poussés vers, et en dessous
du seuil de reproduction résulte de la compétition entre le coton et les cultures vivrières au niveau de la force de travail.
Les figures illustrent également que dans les phases suivantes on ne peut plus parler
d’une compétition dans le système de production. C’est grâce à l’apport technique (traction animale) fourni par la CIDT, que désormais le paysan est capable de dépasser largement la limite technique de la culture manuelle. La culture du coton
permet ici d’accumuler le revenu nécessaire à l’adoption de cette innovation. Les intrants (engrais, herbicides et insecticides) permettent de prolonger les cycles de
culture et donc d’augmenter les superficies cultivées. Selon les enquêtes, la production de cultures de subsistance ne pose généralement pas de problèmes dans les exploitations mécanisés. Les superficies du coton et, dans une moindre mesure, celles
des cultures vivrières, augmentent d’une telle façon que les besoins alimentaires sont largement satisfaits. Souvent constate-t-on même une réduction des superficies des
cultures vivrières suite à une surproduction. La thèse de complémentarité semble donc validée dans les phases de mécanisation et d’expansion.
Si dans ces phases la thèse de compétition ne s’impose pas dans le système de production, elle s’impose nettement entre les systèmes de production. L’expansion
des superficies aggrave les inégalités foncières préexistantes. Le développement du coton peut donc constituer un obstacle à la satisfaction des besoins alimentaires des
villageois les moins dotés en terre : ceux-ci ne peuvent pas élargir leurs superficies cultivées au sein du village. Pour satisfaire les besoins alimentaires d’une famille
croissante, ils sont donc obligés, soit d’émigrer, soit de travailler comme ouvriers dans les grandes exploitations cotonnières.
Le débat entre ces deux thèses fait partie du courant « Sécurité Alimentaire » (Food
Security). Les figures 3.6 et 3.7 fournissent un bon outil pour étudier et comparer la
sécurité alimentaire des différents groupes sociaux dans des agroécosystèmes villageois, où presque la totalité de la population vit de l’agriculture. Il suffit de remplacer les prix du marché, dans la représentation économique, par les valeurs
caloriques des différents produits agricoles.
159
3.3.6 La trajectoire d’évolution des systèmes de production à Tiégana
Dans ce paragraphe, nous allons reconstruire la trajectoire d’évolution des systèmes
de production pour le village de Tiégana (figure 3.8). Selon les enquêtes, la fondation concerne deux groupes : un groupe de chasseurs et de forgerons (nargiba de Ké) et un
groupe de cultivateurs (nargiba de Nangoun) à la fin du dix-neuvième siècle. Ces groupes ont donné la naissance respectivement aux katiolo Kéka et Nangounka. Plus
tard, quatre autres katiolo se sont joints : Touka, Yéka, Silka et Kawali. Le village comptait alors six exploitations, une par katiolo, basées sur le sekbo. La première exploitation agricole, le Nangounka, s’est installé sur la plus grande partie des terres
villageoises (figure 2.32). Après, le Kéka a commencé à s’intéresser à l’agriculture et s’est procuré une partie plus petite du terroir par rapport à celle du dernier groupe.
Après, le Touka s’est contenté de la partie marécageuse qui, jusqu’à ce moment, n’était pas encore exploitée. Le Yéka a obtenu une petite portion de terre, dans une zone marécageuse aussi, entre les propriétés foncières des katiolo Nangounka et
Touka. Les katiolo qui sont venus après, se sont procurés des parcelles éparpillées sur les propriétés des autres katiolo, ainsi que dans les villages voisins (Tagbara,
Sokpoka).
La population qui a fondé le village appartient au groupe ethnique Kouflo (figure 1.8), qui signifie « consommateurs d’igname ». L’igname occupait la place centrale dans leurs systèmes de culture. Les conditions écologiques plus favorables dans la région
de Dikodougou, la proximité des foyers de la culture du riz et de l’igname, ont permis l’abandon des cultures soudaniennes moins rémunératrices (mil, sorgho, fonio). En
zone mil et en zone dense par contre, ces cultures ont persistées (figure 1.6).
Les systèmes de production étaient donc concentrés sur l’igname, le riz pluvial, le maïs et des variétés locales du coton. Il existait un artisanat développé (tissage, forge, etc.). Probablement, les systèmes de cultures étaient basés sur des associations de
deux cultures (igname – riz pluvial : IR) et de trois cultures (igname – riz pluvial –
coton : IRC).
A partir de 1903, l’administration coloniale commence à recruter des jeunes travailleurs pour les plantations privées de la « Basse-Côte » (paragraphe 2.6.4) et
pour la construction du chemin de fer Bouaké – Ferkessedougou. Les villages au Nord
de la Côte d’Ivoire, considérés comme « greniers de main-d’œuvre » étaient
systématiquement privés de leur forces de travail agricole. A partir de 1913, l’administration commence à interagir dans l’agriculture traditionnelle. Désormais, la
160
population locale doit fournir l’alimentation des travailleurs pour le chemin de fer. L’administration réquisitionne des produits agricoles (riz, arachide, igname) et prélève
des impôts. C’est à ce moment que la culture d’arachide a été massivement introduite, ainsi que le système de culture du riz de bas-fonds. Ces cultures sont rapidement
devenues des cultures obligées. Depuis lors, l’arachide a demeuré et a pris une place dans les systèmes de culture. Il en va de même pour le riz de bas-fonds (riz inondé)
qui est devenu le sous-système de production de la femme (figure 3.8). Alors que la France était un grand importatateur de coton, la culture du coton n’est pas encouragée, stagne voir régresse (Aubertin, 1980).
L’abolition du travail forcé en 1946 ne va pas, bien au contraire, réduire les
migrations vers la Basse-Côte. Selon Aubertin (1980), l’augmentation est même sensible, de l’ordre de 20 %. L’arachide est désormais négligée pour être confiée au Sénégal. On assiste à une accélération du processus de segmentation des unités de
production, de disparition des greniers collectifs et des sekbo. Une nouvelle forme d’exploitation basée sur un groupe familial avec une taille intermédiaire apparaît.
Après l’indépendance (1960), l’étude SEDES (1965) constate dans la zone d’igname
un système de production basé sur l’igname, le riz pluvial, le coton et l’arachide (IRCA) et des relations de complémentarité entre les éleveurs transhumants Peuhl et la population locale. Le système de culture était basé sur un cycle de culture de 3 à 4 ans
suivi par une jachère de 6 à 12 ans. Des associations de 2 à 3 cultures occupent une place importante dans l’assolement (figure 3.8). Le premier contact avec le groupe
Peuhl à Tiégana se situe dans les années ’60 – ’70.
L’indépendance va introduire une nouvelle logique de développement. Le nivellement des disparités économiques interrégionales constitue un de ses objectifs. Pour la première fois dans l’histoire ivoirienne, les actions proposées incluent le coton
(substitution de la variété Allen à la variété Mono). Des innovations techniques sont
introduites et diffusées par la société d’encadrement CFDT (Compagnie Française de
Développement des Textiles), devenu CIDT (Compagnie Ivoirienne de Développement des Textiles) en 1974. A partir de 1971, s’y ajoute un projet de modernisation des exploitations agricoles, par la promotion de la culture attelée (Le
Roy, 1993). C’est seulement en 1986 que cette dernière innovation a été introduite à
Tiégana. Elle a donné naissance aux systèmes de production à culture attelée que nous
y observons aujourd’hui.
161
Figure 3.8 : Reconstruction de la trajectoire d’évolution des systèmes de production à Tiégana (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998 ; SEDES, 1965 ; Aubertin, 1980 ; Ministère de l’agriculture, 1973 ; Le Roy, 1993)
katiolo Nangounka
occupe la plus grande partie du terroir villageois
cultivateurs
narigba de Ké
chasseurs forgerons
narigba de Nangoun cultivateurs
katiolo Kéka
chef de village chasseurs forgerons
cultivateurs
katiolo Touka
cultivateurs
katiolo Yéka
katiolo Silka
katiolo Kawali
1903
chasse
forge
Samory Touré Administration coloniale Recrutements pour le chemin de fer : migrations
1913
Première interaction avec l’agriculture traditionnelle : réquisitions des produits agricoles + impôts : riz
1946
cultures igname, mil, sorgho,
fonio, maïs, coton, riz
coton Mono
tissage
1960 1973 1986 1998 CIDT
fin 19ième siècle
arachide
riz inondé
SC : 3 à 4 ans C 6 à 12 ans J associations
IRC/RC/RC/A IRC/IRC/RC/A
IRC/RC/A
IRCA
Segmentation des unités de production, disparition des greniers collectifs et des sekbo, évolution du kagon
mil, sorgho, fonio ↓
coton ↓ IRA
IRA IRA
IRAC
CR+(CM)
CR+(CA)
CR+(CA)
CR
CRM
r(CM)
r(CA)
Migrations vers la zone forestière de Côte d’Ivoire et la zone Sud de Dikodougou
aujourd’hui : 57 exploitations 4 chefs de terre
exploitations basées sur un groupe familial de taille intermédiaire
introduction culture attelée
premiers contacts avec les éleveurs Peuhl
163
Chapitre 4 : Conclusions et perspectives
4.1 Conclusions
La région de Dikodougou fait partie de la zone igname, située dans la région de Korhogo au nord de la Côte d’Ivoire. Cette zone peut être caractérisée par onze
critères de reconnaissance, à savoir : 1. une importance des cultures igname et coton ; 2. une densité démographique moyenne : 15 habitants/km2 en 1990 (Poppe, 1998) ;
3. une diversité de la densité démographique d’un village à l’autre ; 4. une répartition de la population dominée par de gros villages et des bourgs ;
5. une importance accordée à la fonction de tarfolo ; 6. une place importante occupée par les grandes exploitations aux familles étendues ;
7. une dominance de deux grands groupes ethniques : les Sénoufo au Nord et les Malinké au sud de la zone. Le Nord est caractérisé par deux sous-groupes sénoufo : Kouflo et Fodonon ;
8. une migration Nord – Sud de sorte que le Nord est caractérisé par une croissance démographique négative alors qu’au Sud, la croissance est positive et élevée ;
9. une situation (provisoire) où le Sud témoigne d’une offre foncière élastique et d’une forte dynamique du terroir agricole villageois qui en résulte, contrairement
au Nord, où cette offre s’avère plus constante ; 10. une genèse historique cohérente des narigba villageois au Nord, composés en
majorité par des autochtones. Le Sud s’y oppose quant à son histoire relativement
récente (années ’60) et sa population principalement allochtone ; 11. son appartenance à un réseau de commercialisation bien intégré pour les produits
Krenglè, Florido, riz, maïs et arachide. Le Nord semble surtout intégré au marché central de Korhogo, alors que le Sud appartient à un double circuit lié aux marchés centraux de Korhogo et de Bouaké.
Mais même si la région de Dikodougou se présente comme une zone plus ou moins
homogène, l’étude de quatre villages fait ressortir la présence d’une forte diversité, d’un village à un autre, quant aux caractéristiques de l’agroécosystème villageois, des
systèmes de production et des systèmes de culture. Cette diversité a été représentée au moyen du tableau 4.1 où nous avons résumé les principaux indicateurs qui différencient entre les quatre agroécosystèmes villageois.
164
Tableau 4.1 : Comparaison entre les quatre villages étudiés Tapéré Ouattaradougou Farakoro Tiégana
Caractéristiques de l’agroécosystème villageois Localisation Nord (10 km de
Dikodougou) Sud (75 km de Dikodougou)
Sud (37 km de Dikodougou)
Nord (23 km de Dikodougou)
Histoire longue (avant fin 19e siècle)
récente (années '60) récente (années '60)
longue (avant fin 19e siècle)
Nombre d’habitants
376 1.642 1.858 396
d (habitants/km2) 14 17 31 38 ∆d (entre 1975 et 1990)
-37% 421% 142% -20%
Migrations faible émigration très forte immigration
immigration stabilisée
très faible émigration
Autochtones 97% 8% 9% 91% Allochtones 3% 92% 91% 9% Expansion du terroir villageois
faible expansion par
défrichement des bas-fonds
en pleine expansion expansion par
défrichement des forêts vierges
vers saturation expansion par
défrichement des forêts vierges
faible expansion par
défrichement des bas-fonds
Système agraire (figure 2.1)
système II interface systèmes II - III
interface systèmes II - III
interface systèmes II – III
Nombre d'exploitations
53 210 267 57
Coton comme culture de rente dominante
2% 39% 44% 33%
Igname comme culture de rente dominante
96% 61% 47% 47%
Coton – igname 6% 66% 51% 41% Coton seul comme culture de rente
2% 3% 21% 0%
Igname seule comme culture de rente
100% 31% 19% 39%
Sans coton, ni igname
0% 0% 8% 14%
Grandes exploitations
47% 48% 57% 44%
Petites exploitations
51% 52% 43% 56%
Marché fréquenté marché de Dikodougou
grossistes ruraux fixés
marché de Farakoro
marché de Guiembé
Réseau de commercialisation
Korhogo Korhogo et Bouaké Korhogo et Bouaké
Korhogo
SAU/AAf (ha) 8,7 8,4 6,64 3,88 SAC/AAf (ha) 1,08 1,64 1,53 1,09 R cultures itinérantes (%)
12 24 27 31
R (%) 16 24 28 39 J (années) 22 18 16 21 C (années) 3 6 6 9 J/C 7,2 3,2 2,6 2,2 % Krenglè 68% 79% 44% 11% % Florido 9% 13% 36% 56%
165
Mode de transmission de la terre Héritage 45,80% 7,60% 5,00% 65,20% Emprunt 54,20% 25,50% 47,60% 34,80% Location 0% 66,90% 47,30% 0% Inégalité au niveau de l’accès aux facteurs de production (coefficient GINI)
GINI SAU/AAf 15,2% 31,3% 32,3% 22,1% GINI SAC/AAf 9,4% 30,6% 25,3% 19,4% GINI grand bétail 80,6% 76,9% 82,5% 58,1% GINI petit bétail 46,7% 44,9% 76,7% 36,9% GINI AAf 11,9% 26,9% 28,1% 19,7% GINI AAs 66,6% 76,9% 75,6% 92,6% GINI capital/AAf 15,3% 52,4% 41,8% 31,2% GINI intrants/AAf 76,8% 65,1% 62,3% 31,7%
Caractéristiques des systèmes de production AAf 3,8 4,9 4,3 4,1 AAs 0,02 0,15 0,14 0,01 SAU (ha) 8,7 8,4 6,6 3,9 SAC (ha) 3,9 7,5 6,5 4,6 Dépense moyen en intrants (FCFA/ha) Engrais 316 2.858 3.646 4.224 Herbicides 0 227 482 444 Insecticides 14 978 1.752 1.983 Intrants totaux 330 4.064 5.880 6.651 Intrants sur vivriers
55 393 1.134 1.109
Limites techniques CM SAC/AAf (ha) 1,6 2,0 1,9 1,6 REVvég/AAf (FCFA)
495.000 310.000 294.000 285.000
Limites techniques CA SAC/AAf (ha) . 4,5 4,2 2,4 REVvég/AAf (FCFA)
. 810.000 752.000 461.000
SP observés IRA IRA, CR+(CM), CR+(CA), CRM, CR
IRA, CR+(CM), CR+(CA), CR
IRA, MR, CR+(CM), CR+(CA), CRM, CR
Caractéristiques des systèmes de culture Systèmes de cultures itinérantes IRA 79,30% - - - dérivé de l’IRA - 53,1% 36,1% 17,7% dérivé de l’IRA avec insertion C
1,1% 10,8% 9,5% 13,0%
basé sur C - 17,7% 29,9% 23,6% rotation C,vivriers - 77,8% 73,8% 89,7% basé sur A - 6,2% - 1,9% basé sur M - 5,4% 2,0% 1,4% basé sur R 3,3% 3,8% 2,7% 9,1% gombo - R - - 8,2% - autres - 2,2% 2,7% 1,5% Systèmes de cultures fixées riz bas-fonds 15,2% 0,8% 8,2% 31,3% vergers d’anacardiers
1,1% - 0,7% 0,5%
(source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
166
Cette diversité nous a permis de reconstituer l’évolution historique des agroécosystèmes villageois, méthode résumée par Jouve (1996) ainsi : « Utiliser la
synchronie des situations pour connaître leur diachronie ». Elle nous a également permis d’identifier et de comprendre le processus qui a engendré cette évolution, ainsi
que les facteurs qui jouent un rôle central dans ce processus. Nous avons retenu comme facteurs clés, désignés sous le terme « facteurs indépendants », la densité
démographique, la variabilité des prix agricoles et l’accès au marché. La densité démographique semble dominer en tant que variable explicative du processus d’évolution des agroécosystèmes villageois.
Il est très difficile (et contradictoire) de représenter un système complexe par un
schéma simple. Néanmoins, nous avons tenté de résumer les principaux pôles qui entrent en jeu dans le processus d’évolution des agroécosystèmes villageois et des systèmes de production à Dikodougou (figure 4.1). La figure est basée sur les trois
pôles de référence, schématisés dans la figure 1.10 ; ceux-ci correspondent aux parties 2.4, 2.5 et 2.6 du deuxième chapitre : le milieu biophysique, le milieu technique et le
milieu humain. Les principales variables indépendantes ont été indiquées entre les trois pôles. Notons que, suite à la complexité, toutes les interactions n’ont pas été
visualisées ; seules celles relevées lors des enquêtes, de l’étude bibliographique et de l’analyse des données l’ont été. Les interactions qui ont une influence dominante ont été représentées par une flèche en gras. Les signes « + » et « - » indiquent l’effet de
l’interaction. L’enchaînement d’un nombre pair d’interactions négatives résulte en une interaction positive.
Le facteur R et donc la pression démographique, jouent un rôle central dans le
démarrage d’un mécanisme qui interagit avec les trois pôles. Une augmentation du facteur R, suite à une augmentation de la pression démographique, entraîne un déséquilibre au niveau du milieu biophysique. Désormais, la reproduction du système
II (système à jachère buissonnante) n’est plus assurée et le système « dégénère » vers
une situation entre les systèmes II et III (système à jachère herbacée).
Là où cette transformation n’est pas suivie d’une émigration massive, elle entraîne, à son tour, un déséquilibre au niveau des systèmes de production. L’augmentation de la
pression foncière a notamment donné naissance à toute une série d’adaptations au
niveau des systèmes de culture. Elle aboutit également à l’apparition de pointes de
travail de sarclage qui limitent fortement les superficies manuellement cultivées par travailleur et donc le revenu obtenu par actif familial.
167
C’est là que la CIDT commence à jouer un rôle clé. Elle facilite l’accès aux intrants (engrais, herbicides, insecticides) de sorte que ces limites pourraient être surmontées.
Mais, la condition de cet accès constitue l’adoption de la culture du coton. Cette culture rentre tellement en concurrence avec les cultures vivrières quant à la force de
travail, qu’en réalité les pointes de travail exacerbent encore les limites techniques. Le passage de la culture manuelle vers la culture attelée devient là une innovation
rentable. En outre, l’investissement est encouragé par la CIDT qui prend en charge la diffusion du savoir-faire, de la technique et de l’accès au crédit. La combinaison des deux innovations techniques enfin, notamment l’application des intrants et l’emploi
de la traction animale permettent largement de dépasser les limites imposées par la transformation du milieu biophysique.
Quant au milieu humain, on assiste depuis le début du siècle à un effondrement d’anciennes règles sur lesquelles la société traditionnelle sénoufo était basée. Là où
ces règles ont été le plus érodées, comme dans les villages jeunes composés d’immigrants, toute latitude semble laissée à l’apparition d’un dualisme, d’une
polarisation et d’inégalités sociales, auparavant découragées par le contrôle de la gérontocratie et le système matrimonial. Le passage de la culture manuelle à la culture
attelée et la spécialisation des systèmes de production dans une culture de rente, comme le coton ou le maïs, paraissent exacerber les différences sociales qui existaient déjà. Le développement du système de commercialisation renforce encore cette
tendance.
Le fait que nous ayons identifié la pression démographique comme un facteur clé de l’évolution, n’implique-t-il pas une certaine forme de déterminisme? Faut-il attendre
le moment où la pression foncière atteint sa valeur critique avant que tous les changements se produisent spontanément? Dans ce rapport, nous espérons avoir montré le contraire. Il est vrai qu’une pression foncière élevée constitue une condition
favorable, peut-être une condition sine qua non, aux changements agraires. Mais la
« réaction en chaîne » n’a été mise en marche qu’après l’introduction d’un
« catalyseur », la CIDT, issu d’une intervention de l’Etat, suite à une volonté de niveler les disparités sociales entre le nord et le sud de la Côte d’Ivoire. Nous espérons également avoir illustré l’importance de la dynamique migratoire qui s’avère
au moins aussi importante que les changements agraires. Nous ne pouvons donc pas
dissocier l’histoire de la société agraire de l’évolution des systèmes de production de
la même façon que nous ne pouvons pas déconnecter le dernier acteur du premier. Les deux sont en mutuelle interaction et forment un ensemble beaucoup trop complexe
pour être « approchés » par une seule théorie simple et adéquate.
Figure 4.1 : Processus d’évolution des agroécosystèmes villageois à Dikodougou (source : Demont, CNEARC – IDESSA-KUL, 1998)
Migrations
Milieu biophysique Milieu humain
Milieu technique Adventices Maladies, parasites
Fertilité globale
Déséquilibre du système II
-
+
+ + -
-
- +
+
Abondance souches d’arbres
Fourrage naturel, pâturages
Trypanosomiase
- +
Type sol Topographie
Durée de la saison de culture
Les systèmes de culture
SAU/AAf R C/J
IRA
CR CR+(CA) IRA
Intrants
Passage CM→CA
Les cultures
C
CIDT Histoire
Evolution vers l’interface des systèmes II et III
Pointes de travail Sarclage
IRA
R
Basé sur C
-
-
Haut de pente, Meninghue
Gérontocratie, contrôle social
sekbo
+
+
AAf
AAs
-
-
-
REVvég/AAf
Accès au marché
Densité démographique Variabilité des prix agricoles
Capital, outillage Cp→Cnp
+
+
+
Matrilinéarité → patrilinéarité
Inégalité sociale
Monétisation
I
a
R M
r
Les systèmes de production
SAC/AA
Polarisation
Insertion C
CR+(CM)
CRM
Basé sur M
tyéporogo
Statut femme
Système d’élevage
Limite technique CM
A
Dérivé IRA
Dispersion
Peuhl
Milieu propice pour l’élevage
+
+
-
+
- +
-
+
+
+
-
+
-
+
-
+ -
+
+
+
+
+
+ +
+
+
+
+
+
+ +
+
+ + +
+
+ +
+
* *
(*) + : Thèse de complémentarité
- : Thèse de compétition
+
+
Travail féminin
+
-
+
-
+
170
4.2 Perspectives
Quel avenir pouvons-nous attendre pour les agroécosystèmes villageois et les systèmes de production à Dikodougou?
L’arachide est une importante ressource en corps gras alimentaire, comme les fruits
du palmier à l’huile et leur transformation artisanale en région forestière. Les besoins d’huile raffinée attirent l’attention de la CIDT en raison du coût de l’huile d’arachide : cette dernière ne peut être vendue que dans le cadre des huiles de haut de gamme.
Plusieurs évaluations de la consommation d’huile raffinée ont été réalisées par les usines Trituraf, BETPA, Blohorn et la Cellule Agro-industrielle de la DGAI. Ainsi, a-
t-on prévu que le marché d’huiles végétales serait déficitaire à partir de la fin des années ’90 (CIDT, 1987), en raison de la chute de la production du palmier à l’huile
d’une part et de l’augmentation de la consommation d’autre part. Ces analyses ont montré l’importance des investissements dans les secteurs « palmier à l’huile » ou d’autres oléagineux dont l’arachide.
Aujourd’hui, on constate1 effectivement les premiers signes d’une hausse du prix de
l’huile végétale sur les marchés de Côte d’Ivoire. Mais que se passera-t-il au moment où une structure agro-industrielle de transformation d’arachide se mettra en place? La région de Dikodougou, s’orientera-t-elle vers une nouvelle culture de rente, donc
l’arachide? L’arachide fait déjà une partie intégrante des systèmes de culture et est cultivée par presque toutes les exploitations. Elle fait aussi l’objet d’une culture de
rente typiquement commercialisée par les femmes. Sa valeur ajoutée nette par hectare, relativement élevée (après l’igname, le riz inondé et le coton), commence à attirer
l’attention des hommes aussi. Cette culture est également comprise dans le système de commercialisation du maïs, dont le groupe Dioula détient le monopole (Demont, 1997a). Ainsi, un réseau de commercialisation Nord-Sud relativement performant est
déjà mis en place. Nous attendons donc que, si une agro-industrie de transformation d’arachide se met en place, elle pourrait entraîner des modifications importantes sur
les systèmes de production sénoufo.
Une telle agro-industrie est déjà mise en place pour le maïs. Elle est en majeure partie orientée vers l’alimentation animale, notamment pour les bovins (FACI et IVOGRAIN) et les volailles (AVYCI et ALCI). Selon Fusillier (1991), le maïs a
connu au cours des vingt dernières années un développement considérable de son
1 selon une communication personnelle avec I. Ndabalishye
171
marché, le plus fort parmi les cinq produits vivriers de base de la Côte d’Ivoire (igname, manioc, banane plantain, riz, maïs, arachide). Toute analyse de long terme
devrait donc prendre en compte ce phénomène important. La figure 2.21 nous montre que la consommation humaine du maïs est presque exclusivement réservée aux
groupes voltaïques originaires du nord de la Côte d’Ivoire (les Malinké, les Sénoufo et les Koulango), les Maliens et les habitants du Burkina-Faso. Fusillier (1991) ajoute
que l’urbanisation va de pair avec une baisse de la consommation humaine du maïs, quel que soit le groupe ethnique. La dynamique de la filière maïs dans les années à venir dépendra donc pour une part croissante du développement de l’agro-industrie, à
moins que la consommation humaine ne soit pas « revalorisée1 » à grande échelle d’une ou d’une autre façon.
Pour l’igname, les récentes évolutions montrent que l’intensification des systèmes agraires va de pair avec la diminution de la culture d’igname. Il s’agit surtout d’une
réduction des superficies, les exploitations gardant toujours une petite parcelle d’igname destinée à l’autoconsommation. L’igname est en effet difficilement
mécanisable et très exigeante quant à la fertilité du sol. En plus, elle constitue un produit périssable ce qui limite considérablement les possibilités de stockage. Il en
résulte que les prix présentent des fluctuations importantes : saisonnières et irrégulières. Nous attendons donc que, si aucune innovation ne se produise au niveau du processus de stockage de l’igname, à long terme cette culture perdra son avantage
comparatif en tant que culture de rente. L’apport en travail manuel et l’exigence au niveau de la fertilité des sols sont tellement élevés que dans des villages à faible
pression foncière uniquement, le système basé sur l’igname permet d’atteindre un revenu agricole par actif familial relativement élevé. Dès que la pression
démographique augmente, les revenus baissent tellement que ce système perd toute sa compétitivité (tableau 4.1). Néanmoins, la tradition sénoufo a adopté l’igname comme aliment de base et ne l’abandonnera que si les conditions du milieu biophysique et de
l’environnement socio-économique le rendent nécessaires, c’est à dire si la pression
démographique dépasse un certain seuil. C’est ici où la culture du manioc, jusqu’à
présent souvent l’objet de nombreux interdits, pourrait constituer un substitut avec un avantage comparatif : son exigence moins élevée quant à la fertilité des sols.
1 Au Benin, par exemple, la commercialisation du maïs est caractérisée par l’existence d’une large gamme de produits de transformation et d’innovations. Ceci témoigne donc d’un fort dynamisme qui existe au niveau de la consommation humaine du maïs dans ce pays (Devautour, 1990). Or, en Côte d’Ivoire, à l’exception des groupes ethniques mentionnés ci-dessus, le maïs est considéré comme un bien inférieur, un « aliment pour les pauvres », un substitut du riz au cas où le prix de ce dernier est trop élevé (Demont, 1997b).
172
Le coton a connu le développement le plus important parmi les pays de l’Afrique de l’Ouest. Entre 1970 et 1990, les tonnages commercialisés en Côte d’Ivoire ont été
multipliés par neuf (Le Roy, 1993). Pendant cette période, dans la région de Dikodougou, les surfaces cultivées en coton sont passées de 110 ha en 1974 à 9.464
ha en 1994, avec une progression annuelle de 10 à 15 % (CIDT, 1995). Mais que passera-t-il à la lumière des Politiques d’Ajustement Structurel (PAS) imposées par
les institutions financières de Bretton Woods, qui ont pour finalité le désengagement progressif de l’Etat du secteur productif et qui impliquent donc la privatisation de la CIDT? En effet, l’abolition du système de fixation du prix du coton et le passage vers
un système où on donne libre cours au prix selon le principe de l’offre et de la demande pourrait entraîner un désintérêt des paysans pour cette culture. Dans les
années à venir le Sénoufo devra donc, une fois de plus dans son histoire, donner la mesure de son talent de permanente adaptation.
La production du riz en tant que culture de rente a été pendant longtemps découragée, suite aux importations massives de riz originaire de Burma, de la Thaïlande et de la
Chine. Le 11 janvier 1994, la dévaluation du Franc FCFA a fait passer la parité de 1 FF = 50 FCFA à une parité de 1 FF = 100 FCFA. La Banque Mondiale1 a constaté
une inflation de 30 % en 1994 pour la Côte d’Ivoire. Les années suivantes, cette inflation tombe à un niveau inférieur, jusqu’à 5,2 % en 1997. La dévaluation avait pour but de diminuer les importations massives, comme celles du riz, et d’encourager
la production locale. Plusieurs études (Fradet, 1995 ; Léonard et Oswald, 1996 cités par Touré, 1998) confirment effectivement l’existence d’un regain de compétitivité
des produits vivriers locaux et d’une véritable « explosion » des surfaces en riz, maïs et igname.
D’autres études tentent de démontrer que, suite à la dévaluation, les produits vivriers « sont devenus plus rentables » par rapport à la culture du coton. Ces études sont
basées sur une notion de « rentabilité » très étroite, notamment la comparaison des
prix agricoles moyens et de la rémunération de la journée de travail, sans en effet tenir
compte de la variabilité des prix des produits vivriers. Elles négligent également l’existence d’une complémentarité entre l’encadrement (traction animale, intrants) dû à la culture du coton et les cultures vivrières qui permet aux paysans d’intensifier
leurs systèmes de culture. Les enquêtes à Tiégana illustrent clairement que le nombre
d’agriculteurs qui adoptent le coton continue d’augmenter chaque année. Aujourd’hui,
52 exploitations sur 57 cultivent le coton, soit 91,2 %.
1 http://www.worldbank.org/data/countrydata/countrydata.html
173
Ce rapport amène à penser que l’avenir des agroécosystèmes villageois et des systèmes de production sénoufo dépend pour une large part de la dynamique
démographique. Ainsi les analyses démographiques à long terme telles que les raisons et tendances des migrations, les zones de concentration et d’exode, le
phénomène d’urbanisation et ses répercussions au niveau des habitudes alimentaires sont des études indispensables afin de comprendre et de prévoir l’évolution des
systèmes agraires. Jusqu’à aujourd’hui, l’augmentation de la pression démographique s’est souvent
accompagnée par une intensification des systèmes de culture, mais également par des migrations importantes vers la région sud de Dikodougou. Traditionnellement les
agriculteurs sénoufo cultivent « sur défriche », ils n’aiment pas revenir sur une ancienne parcelle. La migration constitue donc une « solution provisoire », mis à part d’autres motifs, pour éviter l’obligation d’intensifier considérablement les systèmes
de culture et de changer radicalement de système de production (apport de fumier, intégration agriculture – élevage). Mais, n’existe-t-il pas des limites qui s’imposent au
phénomène de migration? Le rapport de Touré (1998) illustre que les migrants se déplacent rarement au delà de 110 km. Cela est lié au fait que plus la distance qui
sépare le village d’accueil et la zone d’origine est courte plus le migrant pourra rapidement retourner au village pour résoudre un problème de famille ou pour prendre part à des cérémonies traditionnelles. La forte cohésion qui se maintient entre le
migrant et la famille constitue donc une limite au phénomène de migration.
Mais, même si cette dernière limite s’impose, le Sénoufo se heurtera un jour à une limite beaucoup plus contraignante : le manque de terres vierges. Selon Poppe (1998),
le front pionnier de défrichement sénoufo se déplace à une vitesse de 50 km par 25 ans. Actuellement, les sous-préfectures de Sarhala et Tieningboué dans le département de Mankono forment les principales zones d’accueil (figure 4.2). Il s’agit d’une zone
qui, jusqu’à aujourd’hui, est restée relativement sous-peuplée suite aux guerres
musulmanes de la fin du dix-neuvième siècle.
174
Figure 4.2 : Mouvement du front pionnier de défrichement par les Sénoufo (source : Fusillier, 1991 ; Poppe, 1998)
La figure fait ressortir une question qui concluera ce rapport. Que se passera-t-il quand le mouvement du front pionnier sénoufo se heurtera au groupe Akan et aux zones plus peuplées du Centre-Nord de la Côte d’Ivoire? Le contact avec le groupe
Mandé s’est déjà établi depuis longtemps. Les Dioula ont toujours cohabité avec les Sénoufo et leurs relations témoignent d’une tolérance culturelle. Quoiqu’il en soit, le
Sénoufo ne pourra pas continuer à éviter le changement agraire. Avec un taux d’accroissement annuel de la population de 2,9 %1 (Banque Mondiale2), la Côte
d’Ivoire se trouve au premier rang parmi les pays de l’Afrique de l’Ouest. Une intensification des agroécosystèmes villageois et des systèmes de production a donc de fortes chances d’être adoptée par le paysan sénoufo dans les années à venir. Même
si l’accroissement démographique se fera pour une large part en faveur de
l’urbanisation (entre 34 et 67 % selon l’étude IMPACT, 1990), cette intensification
sera provoquée non seulement par la pression foncière, mais aussi par l’augmentation de la demande alimentaire urbaine et l’élargissement du réseau de commercialisation.
1 Il s’agit d’une moyenne des taux d’accroissement observés entre 1991 et 1997. 2 http://www.worldbank.org/data/countrydata/countrydata.html
Groupe Mandé Groupe Akan
Groupe Krou
Dioula
Groupe Voltaïque
front pionnier
175
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184
Logiciels utilisés
Textes : Microsoft Word 1997 Dessins : Microsoft Word 1997
Microsoft Powerpoint 1997 Formules : Microsoft Equation 3.0
Cartes Côte d’Ivoire: Microsoft Encarta World Atlas 1998 Carte Tiégana : CorelScan 8
Corel OCR-TRACE 8
CorelDraw 8 Photo : Olympus C-1.0W95
CorelDraw Photopaint 8 Adobe Photoshop 5.0
Modélisation : Microsoft Excel 1997 STATISTICA Release 4.5, Statsoft inc., 1993 Graphiques : Microsoft Excel 1997
STATISTICA Release 4.5, Statsoft inc., 1993 Analyses statistiques : STATISTICA Release 4.5, Statsoft inc., 1993
Présentation soutenance : Microsoft Powerpoint 1997 Traitement des photos : Olympus C-1.0W95
CorelDraw Photopaint 8
Microsoft PhotoEditor 1997 Photos panoramiques : Livepicture PhotoVista 1.0.1
Annexes 1
Annexe 1 : Tableaux complémentaires
Tableau 1 : Indices à la consommation (en %) de la Côte d’Ivoire (base 100 = novembre 1992 – octobre 1993)
mois 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995
janvier 83,6 89,9 93,7 . 93,8 97,0 100,2 109,5 140,3
février 84,0 91,6 93,5 . 94,3 97,0 100,7 116,3 140,8
mars 84,2 91,5 92,5 92,5 94,6 96,8 100,7 122,0 144,7
avril 84,6 92,2 93,1 93,1 94,7 98,3 99,9 123,2 146,5
mai 84,6 92,9 93,5 93,4 94,1 97,7 100,9 126,5 146,8
juin 87,0 93,2 94,0 92,4 94,6 99,9 101,4 129,9 147,6
juillet 87,2 93,1 94,0 92,6 94,6 99,9 100,8 131,8 146,9
août 88,1 93,5 94,4 92,8 94,6 99,8 101,9 132,5 146,2
septembre 88,3 93,9 . 92,8 94,7 99,8 102,0 133,4 146,1
octobre 88,6 94,1 . 92,9 94,4 99,2 100,8 133,8 146,0
novembre 90,5 93,3 . 93,0 94,5 98,6 100,5 133,9 145,9 décembre 89,6 93,3 . 93,5 95,1 98,4 101,4 134,1 .
(source: Jespers, 1996)
Tableau 2 : Coût moyen de la main-d’œuvre dans la région de Dikodougou Opération Salaire (FCFA/jour) Opération Salaire (FCFA/jour)
Défrichement 1.000 Semis du riz pluvial 900
Buttage 1.000 Sarclage 400
Labour 1.000 Récolte igname 550
Billonnage 1.000 Récolte coton 350 Plantation d’igname 900 Récolte arachide 1 cuvette d’arachide
Semis du coton 400 Récolte riz 2 bottes (600)
Semis de l’arachide 400 Arracher les cotonniers 500
(source : données IDESSA-KUL, 1998 ; De Baets, 1996)
Annexes 2
Tableau 3 : Calcul des amortissements de l’équipement et des bâtiments utilisés par les agriculteurs dans la région de Dikodougou Equipement Coût d’achat (FCFA) Durée d’amortissement Amortissement (FCFA)
houe* 1.000 1 1.000
daba* 4.500 1 4.500 hache 2.500 1 2.500
machette* 2.500 1 2.500
bœufs de trait 100.000 8 12.500 charrue 69.000 8 8.625
butteur 20.000 8 2.500
charrette 163.135 8 20.392
sarcleur canadien 7.000 8 875 pulvérisateur 20.000 5 2.500
canadien 20.000 8 2.500
semoir 165.160 8 20.645 herse 50.980 8 6.372
couteau récolte riz* 250 1 250
lime 900 1 900 appareil ULVA77 9.500 5 1.900
paillote 12.150 4 3.037
appatam 5.000 3 1.667 grenier 5.000 5 1.000
claie 1.250 3 417
sacs cases (magasin) 15.000 5 3.000
(source : données IDESSA-KUL, 1998) * capital proportionnel à la superficie de l’exploitation
77 un appareil utilisé pour pulvériser des herbicides
Annexes 3
Annexe 2 : Zoom sur le nord de la Côte d’Ivoire
Dans les figures suivantes, nous faisons un zoom (cadre pointillé) sur la région nord de la Côte d’Ivoire :
Figure 1 : Zoom sur la région nord de la Côte d’Ivoire (source : Microsoft Encarta World Atlas, 1998)
Annexes 4
(suite de la figure 1)
Annexes 5
Annexe 3 : Liste des thèmes d’entretien
Histoire générale du village ou du terroir • Fondation, fondateur, toponymie
• Esclavage
• Islamisation
• Samory Touré
• Colonialisme, cultures forcées, impôts
• Introduction cultures de rapport : coton, tabac, riz de bas-fonds, vergers comme anacarde, … (ó ambition de rester?)
• Premiers contacts avec sociétés comme CIDT, SODERIZ, SODEPRA (viande), CAITACI (tabac), ONPR, ANADER, SOVANORD (anacarde), sociétés privées (tractoristes, …), GVC, d’autres
• Groupes ethniques : migration, interaction, intégration, conflits
• Prix des produits agricoles, dévaluation 1994, marché de viande
Evolution et perception des lieux anthropologiques
• Perception de l’espace, toponymie, typologie, origine, système
• Délimitation : signes, repères physiques, limites
• Perception de l’Altérité (immigration d’un étranger ; village voisin)
• Evolution de l’occupation de l’espace (selon topographie, …)
• Histoire (dynamiques sociales, conflits, ethnies, politiques agraires, conquêtes, pression foncière, migrations, mouvements de peuples, …)
• Héritage (matrilinéaire, patrilinéaire)
• Droit foncier, propriété, pérennité, droit d’usage, mode d’accès, succession, qui contrôle la terre?, terres proches, les autres terroirs, à qui appartiennent tous les
terroirs?
• Quels groupes ont des difficultés d’accès à la terre, conditions
• Histoire des droits de chacun sur les terres cultivées et habitées à généalogies foncières
• Evolution du terroir (agrandissement, rétrécissement)
• Augmentation des surfaces, comment, accès aux nouvelles terres
• Echanges, rente foncière (partie de la récolte, argent, travail, …)
• Relation avec villes, fluctuations marché vivrier, réseaux de communication
• Pacages communautaires de bétail à conflits
Annexes 6
Identification des communautés économiques (Gastellu, 1979)
• Communauté de résidence : repère géographique, ethnie, lien de parenté, activités, religion, chef de résidence : fonctions sociales
• Communauté de production : Quelles sont les personnes qui contribuent à la fourniture du produit sous la responsabilité d’un même chef de communauté?
• Communauté de consommation : Quelles sont les personnes qui sont nourries sur le produit (en nature ou en monnaie) de la communauté de production?
• Communauté d’accumulation : Quelles sont les personnes qui mettent en commun leur surplus économique? Héritage, Dote?
• Représentations généalogiques
• Segmentations : entre qui?, fréquence ↑?, formation d’une unité de résidence +
unité de commensialité après?
• Evolution de la taille : #personnes/U, #ménages/U, S/U
Evolution du système de production (S.P.) (Benoit-cattin, 1982, Le Roy, 1983)
Générale • Sekpoho ↓ à champs individuels ↑
• Greniers collectifs ↓ à greniers individuels ↑
• Puissance des vieux ↓
• Poro : évolution influence, importance, relation avec igname
• Jour de repos (personnel, champs) à exceptions (champs individuels, cultures de rapport)?
• Socialisme, solidarité à individualisme
• Objectifs : subsistance à monétarisation, rapport (juxtaposition ou intégration)
• Migrations (+ transferts d’argent?)
• Quartier central à ménage central
• Raisons pour cette évolution : colonialisme, indépendance, cultures de rapport (monétarisation), scolarisation, innovations techniques (C.A., …)
• Prix des produits agricoles, dévaluation 1994
• Influence mobiles sociales, religion, interdits (abandon igname pour C.A., cultures de rapport, compétition économique)
• Mariage : Dote, obligations (travail chez beaux-parents, …), divorce
• « Saute » de systéme C.M. à C.A. è S ↑ è aux dépens des jachères, ou aux
dépens d’autres exploitations?
• Proportion « cultures de rente/cultures totales » au cours de l’histoire?
Annexes 7
Travail
• Organisation
• Entraide
• M.O. : origine, nationalité, ethnie
• Echanges : existence, forme, conditions (p.e. : égalité)
• Travail collectif sur le Sekpoho : existence, qualité, quantité
• Pointes de travail : évolution
• Travail obligé > beaux-parents après ou avant mariage
• Travail obligé > jeunes initiés par le poro
Capital
• Origine
• Appartenance
• Accès au crédit : villageois, parents, CIDT, autres
• Crédit : remboursement : terme?, comment?
• Accès à la terre, aux nouvelles terres, S ↑, échanges, propriété, héritage, droit
d’usage
• Histoire du droit des terres cultivées et habitées : généalogie foncière
• Evolution et répartition selon topographie
• Equipement : C.A. à évolution
• Bétail
Statuts familiaux (Benoit-Cattin, 1982) STATUTS FEMININS STATUTS MASCULINS Droits et obligations
concernant Femme mariée Jeune fille active Garçon actif Dépendant célibataire Dépendant marié Chef d’exploitation Chef de quartier Nourriture
Terre
Culture
Travail
Matériel
Annexes 9
Notes
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