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Aux lendemains des élections présidentielles et législatives, un constat s'impose à nous, au-delà des commentaires purement politiques : la montée en puissance médiatique du Front National et de ses dirigeants. Pourtant, la relation entre le parti et le monde du journalisme reste un terrain miné. L'équipe du projet "In Other Words" a tenté de décrypter les rapports tendus qu'entretiennent les journalistes avec le Front National. Bonne lecture !
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B U L L E T I N M E N S U E L D E L ' U N I T É L O C A L E E U R O C I R C L E
Marseille, 05-2012 nº8
In Other Words
NEWS
« In Other Words » est un projet de l'Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques
Sommaire
Editorial
• L’Observatoire « Autrement dit » en Estonie
• Extrême droite, une banalisation dangereuse ?
• Interview d’un journaliste sur le rapport entre les médias et le FN
• Pour aller plus loin, un point de vue sociologique sur la question
• Où sortir ? Que voir ? Que lire ? Récapitulatif de l’actualité marseillaise du mois
“Milestones”
D ifficile d’ignorer la montée en
puissance –médiatique en tout cas –
du Front National au lendemain du premier
tour des élections législatives de juin. En
faisant défiler les pages d’accueil des sites
Internet des principaux quotidiens français,
le nombre d’articles ayant trait au parti et à sa
présidente, Marine Le Pen, donnait presque
le vertige.
Lorsqu’il est question de stratégie dans les
rangs de la droite classique, par exemple, il
devient presque impossible de ne pas au
moins mentionner le Front National. Idem
souvent pour les partis d’extrême-gauche, qui
auraient perdu le soutien populaire dont ils
jouissaient à l’origine au profit de leur
opposant d’extrême-droite.
L’époque ne semble pourtant pas si lointaine,
quand le père de l’actuelle présidente et lui-
même ancien président du parti, Jean-Marie
Le Pen, criait à un complot ourdi par le
monde médiatique à son égard. Sa fille
s’aventure parfois dans ce sillon. On ne se
hasardera pas ici à tenter d’établir si le parti
en lui-même et ses dirigeants ont eux aussi
changé, mais une chose en tout cas a bel et
bien changé : la représentation et
représentativité du Front National dans le
paysage médiatique français.
Aborder la question du Front National en
dehors du simple rapport de résultats
électoraux et de déclarations lors des
campagnes continue cependant de poser un
dilemme presque moral à de nombreux
journalistes.
Je me rappelle ainsi avoir refusé de réaliser un
entretien avec Marine Le Pen pour un
magazine en ligne. L’idée aurait été de
présenter Marine Le Pen de manière plus
incongrue, de lui poser des questions plus
personnelles. J’ai trouvé la mission périlleuse,
pas tant dans la réalisation que dans la
réception du produit fini, c’est à dire la
lecture pour le public.
Dans un pays démocratique, tout personnage
légalement reconnu comme un intervenant
politique doit trouver sa place dans le paysage
médiatique, et je ne critiquerai jamais un
confrère s’aventurant sur le terrain que j’ai
personnellement évité. Mais il me reste des
doutes quant à l’intérêt final d’une telle
entreprise. Dans un travail journalistique, on
peut et doit même être amené à rencontrer et
échanger avec des personnes de tout bord,
dont les idées et convictions sont en
contradiction avec les nôtres. Mais il faut
avoir confiance dans le travail que l’on réalise.
Et je ne l’avais pas dans ce cas.
Comme quoi, même banalisé, officiellement
aseptisé et démocratisé, rajeuni,
politiquement "corrigé", le Front National
entretient une relation avec les journalistes
qui est encore loin d'être une évidence.
Elif KAYI
Coordinatrice de l’équipe
Editorial 1
Vie de l’équipe ! 2-3
Point presse 4-5
Recadrage 6-7
Pour aller plus loin
8-9
Agenda 10
Page 2
In Other Words NEWS
In Other Words
NEWS
Edité mensuellement à
Jaén y Almeria (Espagne),
Mantova (Italie),
Mortagua (Portugal),
Marseille (France),
Timisoara (Roumanie)
et Tallin (Estonie) avec
l'approbation et le soutien
de la Commission des
Affaires Juridiques de
l'Union Européenne.
L'édition française est
assurée par Eurocircle
L'entreprise éditrice ne
peut être tenue responsa-
ble pour les commentaires
de ses collaborateurs
Vie de l’équipe
« Une démocratie est
d’autant plus stable qu’
elle peut supporter un plus
grand volume
d’information de qualité. »
Louis ARMAND
(1905-1971)
L es partenaires du projet européen « In Other Words » se sont réunis
début mai à Tallinn
La troisième rencontre du projet européen
« In Other Words », auquel participe
Eurocircle par la biais de l’Observatoire
« Autrement Dit », réunissant tous les
partenaires des différents pays, a eu lieu les 3
et 4 mai à Tallinn, en Estonie. Toutes les
équipes étaient présentes : l’Estonie, la
Roumanie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la
France.
Le séminaire a commencé par une matinée de
conférences concernant des travaux réalisés
autour de la représentation des minorités
dans les médias.
Dans l’ordre chronologique, voici les sujets
qui ont été présentés :
• La présentation des résultats principaux
sur l’analyse des médias en Estonie par
Mari-Liis JAKOBSON, (Politology lecturer,
Institute of Governance and Political
Science, Tallinn University),
• La représentation des minorités dans les
médias par le docteur Myria GEORGIOU
(London School of Economics, Dept. of
Media and Communications)
Front National et médias, une relation complexe
Tallinn, Estonie
• L’image des minorités dans les médias en
France, en Allemagne et au Royaume-Uni
par Claire Frachon, journaliste et
consultante en média
• Pour clôturer la matinée, l’image des
minorités dans les médias estoniens avec
plusieurs représentants d’associations
œuvrant pour lutter contre les
discriminations, entre autres, des LGBT
ou encore des personnes handicapées.
A u lendemain des présidentielles, en
épluchant la presse, un constat est
flagrant, les articles sur le FN sont nombreux.
L’équipe s’interroge et décide de s’intéresser à
la relation entre les médias et le FN. Ce sujet
et la question des discriminations ne sont pas
si éloignés, particulièrement si on s’intéresse
au thème de l’immigration. Pourquoi ce sujet
est-il plus présent dans la presse ? Comment
en parle t’on ? Le point presse de ce mois-ci
réfléchit à ces questions en s’appuyant
directement sur des articles du quotidien La
Provence. Nous avons trouvé judicieux de
compléter ces commentaires en recueillant
l’avis d’un journaliste de ce même quotidien.
Jawad Rhazi, étudiant en journalisme et
nouveau volontaire sur cette newsletter a
cherché à mieux comprendre la position du
journaliste face à ce sujet délicat. Pour aller
plus loin, le point de vue sociologique de
Madalina Stroilescu, étudiante en sciences
humaines, tentera de nous éclairer sur la
relation complexe entre les médias et le Front
National, à travers, notamment, une analyse
chronologique. L’agenda de ce mois-ci sera,
quant à lui, tourné vers l’autre, la culture de
cet « autre », parfois si proche de nous mais
que l’on ne voit pas et ne connaît pas. Vous
trouverez également dans la rubrique « Vie de
l’équipe », la présentation de la troisième
rencontre européenne de l’observatoire
« Autrement dit » qui a eu lieu à Tallinn en
Estonie, début mai.
Nous vous souhaitons à toutes et à tous une
bonne lecture !
Rencontre en Estonie de “In Other Words”
Page 3
Marseille, 05-2012 nº8
Vie de l’équipe
Il est intéressant ici de souligner qu’une des
conférencières, Claire Frachon, a collaboré à la rédaction
d’une étude, sous la coordination de Virginie Sassoon,
intitulée « Médias et diversité : de la visibilité aux
contenus, Etat des lieux en France, au Royaume-Uni, en
Allemagne et aux Etats-Unis » (Ed. Karthala/Institut
Panos, 2008). Ce livre s’interroge sur la place qu’occupe la
diversité culturelle dans les médias au sein de ces pays et
présente un bilan révélant les liens entre les médias,
l’opinion publique et les institutions privées, durant les
vingt dernières années.
Après cette matinée enrichissante, un point sur le travail
réalisé par chaque partenaire et sur le travail à réaliser pour
les prochains mois a été fait. Chaque partenaire a pu
présenter son équipe de volontaires, sa façon de travailler,
la méthodologie mise en place dans son pays. Certaines se
concentrent sur les médias web, d’autres sur la presse
nationale ou d’autres, comme notre équipe, travaillent sur
la presse locale. A Tallinn, la recherche est menée par
l’Université. La plupart des volontaires sont donc des
étudiants. Le dernier après-midi du séminaire a d’ailleurs
été consacré à une visite de l’Université et une rencontre
avec des volontaires estoniens. D’autres se mettent en lien
avec des associations représentant certaines minorités et
luttant contre les discriminations.
Une des questions centrale du projet « In Other Words »
est la recherche de volontaires. Où trouver les volontaires ?
Qui peut être motivé(e) pour travailler sur ce projet ?
Comment la participation à ce projet peut-elle être
communiquée comme une expérience riche, utile et
valorisante pour les volontaires ? Autant de questions qui,
durant le séminaire, ont nécessité un vrai temps de
réflexion.
L’échange entre partenaires européens est toujours
intéressant, permet d’élargir les points de vue et de croiser
les différentes manières de fonctionner.
Un même sujet pourra être traité différemment en
fonction du contexte socioculturel et politique du pays
concerné. Si on prend le sujet de l’immigration, il est
certain que la manière de l’aborder diffèrera clairement si
celui-ci est étudié, par exemple, en Estonie, en France ou
encore en Roumanie. La problématique ne sera pas la
même et les répercussions dans les médias non plus. Les
discriminations vécues par les personnes immigrées et les
stéréotypes véhiculés ne sont pas identiques et n’ont pas le
même impact, le même poids. L’histoire de la France ou
de l’Estonie en matière d’immigration et le rapport qu’elle
entretient avec elle sont différents. Si l’équipe estonienne
ou française se concentre sur ce sujet dans le cadre du
projet, la méthodologie employée et le travail réalisé ne
pourront être comparables.
A l’échelle européenne, des éléments peuvent cependant
se recouper et chacun peut apporter sa petite pierre à
l’édifice. Ainsi, à titre d’exemple, un glossaire va être
constitué reprenant tous les termes et les définitions
importantes abordées au cours du projet. Des vidéos vont
également être réalisées. A Eurocircle, une vidéo a, par
exemple, été produite sur le sujet de la communication.
Comment parler des minorités dans les médias en restant
objectifs ? Comment un journaliste doit-il œuvrer lorsqu’il
aborde un nouveau sujet ?
Quels paramètres sont à prendre en considération quand
on aborde un thème délicat pour pouvoir communiquer
« efficacement » et de manière équilibrée ? Voici quelques-
unes des questions auxquelles ont répondu dans cette
vidéo Ursula Nagy-Duplantier, journaliste indépendante,
et Adele, membre de SOS Homophobie.
Vous pourrez visionner cette vidéo sur le site européen du
projet « In Other Words » : www.inotherwords-project.eu
La rencontre de clôture du projet aura lieu chez les
partenaires espagnols, à Almeria, en Andalousie, au mois
d’octobre.
Réunion à Tallinn
Présentation de notre travail
Page 4 Point presse In Other Words NEWS
L a presse parle du Front National (FN).
Normal. Normal ? Alors que ce parti
prône des valeurs plutôt anti-républicaines et
peut aussi se montrer discriminant envers
certaines minorités - les immigrés, au sens
large du terme, pour ne citer qu’eux - une
partie du monde des médias semble s’être
accoutumée à la présentation de cette
idéologie et être moins encline à montrer du
doigt cet aspect, pourtant problématique. Le
Front National est traité comme tout autre
parti. Après tout, nous vivons dans une
démocratie.
La presse participe t’elle à la banalisation de
ce parti en légitimant sa place dans les médias
et en le traitant comme un parti quelconque ?
N’est-il plus « choquant » aujourd’hui de voir
un parti extrémiste appelant à la non-
acceptation de la différence, voire au rejet de
certaines minorités présentes sur le territoire
national, qu’il accuse d’être – tout au moins
en partie - la source de tous les maux des
français ?
En feuilletant la presse locale, on observe, la
plupart du temps, des rapports sur la montée
du Front National, constat peu ou pas
questionné. Est-ce qu’une simple
présentation de ce constat peut amener le
lecteur lambda - averti ou non - à se poser
certaines questions ? En se familiarisant avec
le parti, ne le rend-on pas finalement plus
acceptable, plus proche, plus banal ?
Dans les commentaires suivants, nous nous
concentrerons sur une partie de la couverture
effectuée par le quotidien régional La
Provence.
Le 23 mai dernier, un petit article de La
Provence du 23 mai titrait : « Marine Le Pen
tempérée ». L’article présentait « une Marine »
prête à faire gagner « très
exceptionnellement » (sic !) des candidats des
partis de l’UMP, voire du PS, au second tour,
en fonction de leur « valeur humaine ».
Un autre article du même quotidien
et datant du 4 juin titrait quant à
lui : « Je suis de gauche mais je vote
Front National ». Au vu de ces deux
articles, on ressent une certaine
confusion qui nous amène presque
à nous demander si l’on parle bien
d’un parti d’extrême droite.
Une place non négligeable est
accordée au sujet du Front National.
Toujours dans le quotidien La
Provence, le 28 mai, celui-ci fait la
une : « La grande offensive
provençale du FN ». Les pages deux
et trois sont entièrement consacrées
au parti. Page 2, le sous-
titre indique : « Fort des 23,9 %
obtenus en Paca à la présidentielle,
le FN rêve de faire élire des députés.
Une première depuis 1997 ». Le
lecteur est-il appelé à partager ce
rêve ? Quelques jours plus tard, le 8
juin, nouveau titre : « Le FN fait
monter la tension entre le PS et
l’UMP ».
Au niveau du fond, il est aussi
question du style des candidats :
ceux-ci auraient changé depuis
l’époque de Jean-Marie Le Pen. Le
Front National lui-même aurait
changé et serait « moins agressif ».
Exemples :
« Le look de Paul Cupolati, le
candidat du FN pour ces législatives
de 2012, avec ses cheveux gominés,
son costume anthracite trop large et
sa cravate rose criarde assortie à sa
chemise, c’est plutôt celui d’un
VRP. »
Extrême droite, une banalisation dangereuse ?
Des pages entières consacrées au FN
Suite Page 5...
Page 5
Marseille, 05-2012 nº8
Point presse
« Son style décontract’, sa taille mannequin, sa beauté
timide et diaphane donnent au parti diabolisé un visage
angélique qui intrigue furieusement. Marion Maréchal - Le
Pen repousserait même les avances des télés françaises,
officiellement parce qu’elle refuse de se laisser "pipoliser"
ni de prendre une place qui n’est pas la sienne. La jeune
fille a l’air plutôt discrète mais elle se soigne. » « La voix
qui ne tremble pas, l’œil déterminé, elle a la même
mécanique de mots que sa tante, l’aisance en moins. »
(La Provence, 28 mai, p. 2-3)
L’image qui ressort de cette couverture est celle d’un Front
National fort, légitimé et adouci. Mais qu’en est-il des
valeurs que le parti continue de prôner, et qu’on peut
qualifier d’anti-républicaines, voir sectaires ? Bataille des
dirigeants, espoirs, ambitions du parti sont les points forts
de cette couverture médiatique. Les questions de fond
tournant autour de l’essence même du parti sont absentes.
Une banalisation, une normalisation du parti s’est bien
mise en place.
Quelques exemples de titres...
Recadrage In Other Words NEWS
Page 6
Propos recueillis par Jawad RHAZI
L es rapports entre le Front national (FN) et les
médias ont souvent été ambigus. Denis Trossero,
chef du service Fait-divers/Justice au quotidien La
Provence a accepté d’éclaircir certaines zones d’ombre
qui planent sur la relation entre le FN et le milieu du
journalisme. Rencontre.
- Les journalistes travaillent-ils différemment lorsqu’ils
évoquent la question du Front National ?
Je ne suis pas journaliste politique, mais j’ai une pratique
du traitement du Front national parce que j’ai souvent
côtoyé ce phénomène. Dans une société démocratique, on
est sensé donner la parole à tous les partis, que l’on
partage ou non leur idéologie. La question du FN est pré-
connotée, il faut être prudent dans le traitement de
l’information relative à ce parti et essayer d’avoir
suffisamment de recul. Le FN représente une partie de la
population, et à ce titre, ces dirigeants ont le droit d’être
entendus même si leur parole est souvent polémique.
« L’analyse du rapport entre journalistes et FN a changé »
Suite Page 7... Denis Trossero, chef du service Fait-divers/Justice au quotidien La Provence
Il faut prendre de grandes précautions pour ne pas dériver
vers une certaine banalisation du calembour, de l’humour
déplacé, des éléments qui peuvent devenir
discriminatoires.
- Le FN a enregistré son meilleur score lors de la dernière
élection présidentielle. Comment expliquez-vous la
percée de ce parti d’extrême-droite ? Les médias y sont-ils
pour quelque chose ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, le Front National
représente une partie non négligeable de la population
française. La question qu’on peut vraiment se poser est la
suivante : est-ce que c’est le citoyen qui fait le pouvoir du
FN ou est-ce que ce sont les médias qui lui donnent une
certaine audience ? Je pense qu’il y a un peu des deux, il ne
faut pas tomber dans la banalisation. Dans une société qui
se revendique démocratique telle que la société française,
c’est difficile de concevoir qu’on parle de François Bayrou,
de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy sans évoquer
Marine Le Pen. Quand ce parti a commencé à prendre de
Page 7
Marseille, 05-2012 nº8
Recadrage
l’ampleur, il y a une dizaine d’années, j’ai eu des
discussions assez tendues avec des confrères qui ne
voulaient pas qu’on aborde le sujet, car c’était le parti
scandaleux. Aujourd’hui, l’analyse du rapport entre le
journaliste et le FN a nettement évolué.
-Le discours frontiste est considéré comme un discours
qui véhicule des valeurs antirépublicaines. De quelle
manière le journaliste peut-il aborder le sujet tout en
conservant la neutralité qu’impose sa déontologie ?
C’est très difficile, ça représente une angoisse pour les
journalistes. Il ne faut pas tomber dans l’agressivité mais
être dans le professionnalisme, c’est-à-dire poser des
questions bien fondées. Ceci n’empêche pas le journaliste
d’être critique, voir pertinent. A titre d’exemple, quand
Marine Le Pen est l’invitée d’une émission de télévision,
elle attend que le présentateur l’attaque. En l’attaquant, le
public va sentir que le journaliste est anti-FN, et de ce fait,
Marine Le Pen va tomber dans la mise en cause
personnelle du journaliste, ce qui légitimera forcément sa
prise de position. Il est plus difficile d’interviewer un
représentant du FN qu’un représentant d’un autre parti
politique.
- Finalement, le FN est-il victime de l’affront
médiatique ? Ou est-ce un rôle joué par ce parti afin
d’entamer un processus de dédiabolisation ?
Je pense que c’est une stratégie. Il ne faut pas oublier que
depuis 20 ans, le discours de Jean-Marie Le Pen est très
complotiste. Il reprochait aux médias de ne pas donner la
parole à son parti. Si le FN ne récoltait pas assez de voix,
s’il n’était pas représenté à l’Assemblée nationale, c’était la
faute des journalistes. La stratégie de sa fille aujourd’hui,
c’est de dédiaboliser. Elle a compris qu’il fallait banaliser
son parti pour gagner des voix. Elle emploie rarement le
terme d’extrême-droite et parle plutôt de droite
nationaliste, mais c’est vrai que les médias sont souvent
tombés dans le panneau du FN, les deux sont mis en
cause.
Jawad RHAZI
Né au Maroc, je me
suis installé en France
il y a trois ans pour
poursuivre mes études
après l’obtention de
mon baccalauréat.
J’ai suivi une formation
en Droit et en Sciences
Politiques à l’Université de Nice Sophia Antipolis avant
d’intégrer l’Ecole de Journalisme et de Communication de
Marseille il y a un an. Durant ma courte période de
formation journalistique, j’ai été amené à rencontrer des
personnes de divers horizons : hommes politiques, artistes,
chefs d’entreprises ou encore journalistes.
C’est par le biais d’une de ces personnes rencontrées, Elif
Kayi, journaliste et membre de l’équipe coordinatrice du
projet européen « In Other Words », que j’ai découvert
l’existence d’un observatoire des médias installé à
Marseille. Ce qui m’a intéressé en premier lieu, ce sont les
causes pour lesquelles se bat « Eurocircle » à travers ses
divers projets. Lutter contre la discrimination sous toutes
ses formes, œuvrer pour l’instauration d’une paix sociale
et répandre les valeurs humaines et démocratiques
représentent mes idéaux.
A travers le projet « In Other Words », j’aurai
l’opportunité d’œuvrer, ne serait ce que partiellement,
pour l’établissement d’une société où tolérance,
mansuétude et cohabitation sont les maîtres mots.
A propos de l’auteur
Page 8
Marseille, 05-2012 nº8
Pour aller plus loin
La droite radicale a subi une phase de renouvellement
suite à la modernisation sociale et culturelle suivant les
changements après-guerre en Europe. Même si cette
période reste marquante pour le concept de droite
extrême, ceci n'est que vaguement lié aux précédentes
versions d’extrêmes droites fascistes et antisémites. On
peut cependant souligner que le racisme et la xénophobie
ont alimenté le succès électoral en Europe occidentale des
partis national-populistes. Ces derniers ont souvent été
définis à travers leurs positions anti-immigration et ont
généralement été caractérisés comme étant « exclusivistes ».
C’est ainsi que les médias - et pas seulement eux - ont
attribué aux partis d’extrême droite des étiquettes comme
fascistes, racistes ou pétainistes, le modèle normatif des
médias s’inscrivant dans la représentation des « droits de
l’homme ». Le discours destructif et totalitaire était de
moins en moins agréé, voir toléré par le large public.
Le bon camp est devenu celui des « droits de l’homme »,
de la normalité consensuelle démocratique, et le mauvais
celui du totalitarisme et de la haine.
La course électorale fait qu’il faut attirer et maintenir un
maximum d’adhérents et, comme tout parti politique
dépend des votes et des postes, le but repose surtout sur le
succès électoral. A force de vouloir gagner leur électorat
pendant les élections présidentielles, les partis d’extrême
droite, comme le Front National, doivent se rallier aux
règles du jeu politique et médiatique. Comme dans toute
forme de discours politique, il faut enchanter l’électorat et
les militants, l’utilité ultime étant de faire gagner des voix
aux partis représentés. La parole politique télévisée
s’inscrit dans un certain nombre de règles à suivre. De
même, le populisme du Front national, par sa nature,
implique l'ajustement à l'évolution des préoccupations, des
demandes et des besoins du public. Cette « contextualité »
du Front National fait qu’on parle d’un parti qui doit
s’inventer constamment et qui doit s’adapter le plus vite
possible à son public. Dans sa tentative pour rester
contemporain, le Front National a du changer le discours
et s’adapter à l’environnement actuel.
Il est évident que le sujet de l’immigration reste un
élément central du positionnement politique du Front
National. Mais en reliant la question de l'immigration à la
droite radicale, il y a le risque d’exercer un effet négatif sur
la légitimité perçue. Cette légitimité, cependant, est
importante pour les chances électorales du Front National,
surtout que la plupart des électeurs ne sont pas disposés à
adhérer à un parti qui n'est pas favorable à la démocratie
libérale.
Au début de sa carrière politique Jean Marie Le Pen s’est
fait remarquer pour ses propos choquants. Un parti pris
qu’il assume peut-être dans l’esprit qui veut « qu’il n’existe
pas de mauvaise publicité ». En conséquence, certaines
chaînes ont refusé de l’accueillir sur leurs plateaux. Le
paradoxe réside dans le fait que pour avoir du succès
électoral, il faut passer par les médias afin de capter son
public, et aussi pour gagner sa légitimation sur la scène
politique. Pour obtenir ce succès, il est important que les
leaders du Front National apparaissent sur les chaînes de
télévision.
Les médias, alliés et ennemis du Front National
L ’extrême droite est un sujet extrêmement présent
dans la recherche contemporaine, et qui suscite
toujours un questionnement sur la normalité de ce
phénomène. Le processus de « dédiabolisation » du Front
national mis en œuvre par Marine Le Pen s’est avéré un
pari réussi. Cette stratégie s'est réalisée progressivement
dans le temps, tout au long de la trajectoire électorale de
Jean-Marie Le Pen.
Au premier tour des élections présidentielles de 2012,
Marine Le Pen est arrivée en troisième position, réalisant
un score historique pour le Front National avec 17,9 %
des voix. La banalisation du phénomène FN est liée à un
changement structurel sociopolitique car il s’associe à un
retour vers des valeurs plus traditionnelles.
Marine Le Pen
Par Madalina Stroilescu
Page 9
Marseille, 05-2012 nº8
Pour aller plus loin
Les enjeux sécuritaires des élections de 2002 ont mis au
centre du débat politique des sujets chers à la rhétorique
lepéniste, comme l’insécurité et l’immigration. Les sujets
ont gagné plus de saillance et de visibilité sur la scène
publique. Ce contexte porteur va être invoqué chaque fois
que Jean-Marie le Pen expliquera la modération du Front
National. La modération du discours se fait avec une
certaine légitimation de la part du public et laisse la
possibilité aux leaders frontistes de se positionner comme
des sortes de prophètes visionnaires. Il est évident que le
contexte sociopolitique a mis en avant de la scène
médiatique des sujets galvaudés par le Front National.
Ce qui est intéressant, c’est qu’un discours lepéniste, très
ciblé, très contextuel et très concret au départ, devienne de
plus en plus conceptuel et abstrait. Celui-ci utilise
beaucoup les termes des journalistes ou des académiciens
qui ont étudié le parti, comme dans l’affirmation « vous
êtes victimes de la lepénisation des esprits » (« lepénisation
des esprits : les électorats choisiraient de voter pour le FN
parce qu’ils ont fini par adhérer aux thèses que ce parti et
son leader déclament sur différentes thèses »1). Jacques Le
Bohec remarquait dans son étude de la sociologie du
phénomène Le Pen : « Il faut également tenir compte du
travail de construction symbolique. Les scores électoraux
du FN ne s’expliquent pas uniquement par un dialogue
entre les électeurs et candidats. Les représentations des
réalités font partie intégrante de la réalité.
Elles résultent d’un travail involontaire et non orchestré,
où sont impliqués des agents sociaux en apparence
extérieurs (adversaires, journalistes, savants, etc.). En
reconnaissant le FN comme adversaire à combattre,
comme dangereux pour la démocratie, comme digne
héritier d’un courant politique, ils ont fait grandir ses
dirigeants. En prenant au sérieux ses thèses, ils se sont
placés sur le même terrain et les ont légitimées. »2.
Les leaders du Front National ont intégré dans leur
discours l’étiquetage abstrait fait par les professionnels, ce
qui est devenu une source d’argumentation dans leur
rhétorique. Pour conclure, il faut souligner que la
modération du discours du leader frontiste est le sujet
d’un débat qui s’est imposé depuis une décennie, et que ce
qu’on appelle maintenant la banalisation du Front
National n’est que le résultat d’un processus graduel de
légitimation.
Vous pourrez trouver en ligne le mémoire « Les
métamorphoses du Front National » de Madalina
Stroilescu sur le serveur :
h t t p : / / d l . t r a n s f e r . r o / t r a n s f e r _ r o - 2 5 m a y -
c35f03a391adf2.zip
1 LE BOHEC, Jacques, Sociologie du phénomène Le Pen, Paris, La Découverte, 2005, p.51 2 LE BOHEC, Jacques, Sociologie du phénomène Le Pen, Paris, La Découverte, 2005, p.96
Madalina STROILESCU
J’ai grandi en Roumanie, où
j’ai obtenu mon diplôme à la
Faculté de Sciences Sociales
Babes Bolyai. J’ai ensuite
voyager et je suis partie étudier
à l’étranger, aux Etats-Unis,
puis en France. Après une
licence de Sociologie en tant
qu’étudiante Erasmus à
Nantes, j’ai décidé de continuer mon cursus à Paris. Je suis
actuellement étudiante en Master de Sciences Sociales à la
Sorbonne.
Ma recherche constitue le point de départ d’une étude
portant sur les différentes transformations qui ont eu lieu
au sein du principal parti de droite radicale en France : le
Front National. La caractéristique de mon approche est
d’étudier ce sujet à travers une analyse visuelle parmi les
discours télévisés des leaders frontistes pendant les années
électorales de 2002, 2007 et 2012. Je souhaite surtout
examiner les changements importants qui se sont opérés
dans le discours du Front National au cours de cette
dernière décennie. Je suis passionnée de voyages, j’adore
découvrir des cultures différentes et partager la différence.
La haine de l’autre m’indigne et m’étonne toujours. J’en ai
fait mon sujet d’étude afin de mieux comprendre les
raisons et les sources profondes d’un tel rejet.
A propos de l’auteur
www.inotherwords-project.eu
Agenda
L’équipe d’Autrement Dit recommande...
E U R O C I R C L E
Eurocircle, 47 rue du Coq
13001 Marseille
Tel: +33-(0)491429475
Fax: +33-(0)491480585
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autrement.dit.13@inotherworproject.eu
Exposition photo : « Un an de révolutions arabes »
Pour marquer le 1er anniversaire des révolu-
tions arabes, Alain Mingam organise
une exposition qui réunit le travail de plu-
sieurs correspondants. Cette initiative de la région PACA est un hommage à
ceux qui luttent pour leurs droits ainsi qu’aux journalistes, en première
ligne sur l’actualité.
Hôtel de Région
27, place Jules Guesdes
13481 Marseille
Horaires : du lundi au samedi de 9h à 19h (fermeture les jours fériés)
Jusqu’au 28 juin
Renseignements et inscriptions des groupes : 04 91 57 52 78
Pour plus d’infos : www.regionpaca.fr
Exposition photo : « Femmes d’Egypte au cœur de la révolte »
Les photos sont de Rabha Attaf, grand reporter,
spécialiste du monde arabo-musulman. De retour
du Caire où elle a couvert les événements depuis
février 2011, Rabha Attaf présente un choix de
photos prises au jour le jour, au fil des événe-
ments, photos de femmes en hommage à toutes celles qui sont descendues
dans la rue afin de demander le respect des droits humains.
du 7 au 19 juin
Maison d’Amnesty de Marseille
159 bd de la Libération
13001 Marseille
Soirée théâtre "Comment je suis arrivée là !" de Zohra Aït Abbas et Farid Ferragui Samedi 23 juin à 20h30
Dans le cadre du Festival Tamazgha #7, musiques berbères et populaires
d’Afrique du Nord, ce spectacle théâtral, accompagné par la musique de
Farid Ferragui (chant, luth et percussions), met en avant la diversité artisti-
que de la culture kabyle.
Un rendez-vous unique en son genre traversant frontières et générations…
Théâtre de la Sucrière
Parc François Billoux
246 rue de Lyon
13015 Marseille
A voir aussi :
Ces 3 petites vidéos pour lutter contre les idées reçues sur l’immigration sur
le site Médiapart :
http://www.mediapart.fr/content/immigration-trois-films-danimation-contre-les-idees-recues
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