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LE MUR DE L’ATLANTIQUE SUR L’ILE DE RE GRACE A L’ETUDE DES SOURCES
DOCUMENTAIRES
José Manuel PANEDA RUIZ
10 juin 2017
Texte traduit par Sandra BRAULT
1/ Plan d’une casemate M272
2/ Photographie de soldats allemands sur l’ile de Ré
3/ Plan de l’île de Ré (Archives fédérales d’Allemagne)
4/ Poste d’observation de Karola et une de ses tours d’artillerie.
Qui furent les constructeurs des dites fortifications ? Quel fut le procédé de construction des
dites œuvres ? Quelles sont les singularités des ouvrages de l’ile de ré ? Afin de répondre à
ces questions, la consultation de divers documents, souvent inédits et conservés dans divers
fonds d’archives européens et nord-américains, s’est révélée nécessaire.
Les îles proches du continent occupent une position de défense stratégique idéale et
deviennent ainsi des endroits parfaits pour aménager ce type de construction. Les îles sont
des points de contrôle ou d’entrée de la mer vers beaucoup de territoires mais aussi le passage
d’une voie commerciale. Elles sont facilement défendables car hors de portée de l’artillerie de
terre. De plus, elles sont souvent situées sur un point élevé ou bien dans un passage étroit,
ce qui leur permet d’intercepter la navigation côtière de l’ennemi. Leur isolation et l’absence
de communication terrestre font de ces territoires insulaires des lieux stratégiques pour
l’installation de positions militaires, mais aussi l’aménagement de prisons, hôpitaux,
laboratoires de recherches ou camps de concentration.
L’île de Ré est un bel exemple de ce que nous venons de citer. Par sa situation stratégique,
elle a connu une longue évolution de ses positions défensives, depuis le Moyen Age avec ses
châteaux et ses églises fortifiées, puis avec la fortification bastionnée dont Vauban est le
principal représentant. Cela en fait un témoin exceptionnel du développement militaire de
l’Europe.
Au XXe siècle, l’île de Ré entre dans une nouvelle période importante de son histoire. A la fin
du mois de juin 1940, les premières troupes allemandes débarquent sur l’île pour défendre les
côtes et protéger les accès au détroit d’Antioche. Pour ce faire, ils installent rapidement des
batteries d'artillerie côtière. Ces positions ne sont au début que de simples campements de
campagne, sans protection.
1/ Des soldats allemands posent devant le cargo grec Adamanticos échoué sur la plage de Sablanceaux
(archives départementales de la Charente Maritime).
2/ Campements primitifs à la conche des baleines (archives d’Alain Chazette).
Les premiers temps, la préoccupation des commandants allemands est de neutraliser les
positions alliées en Charente Maritime, notamment le port de La Pallice.
Par la suite, la décision prise début 1941 de convertir la Pallice en base des opérations pour
les sous-marins allemands ne fait qu’augmenter le rôle stratégique de l’île dans sa position de
défense. Suite à cela, durant les années 1941 et 1942, les défenses de l’île sont renforcées
avec de nombreuses positions armées. Mais, c’est entre les années 1942 et 1944 que l’île de
Ré est fortement fortifiée par l’occupant allemand. Pendant cette période de deux ans, on va
construire ou renforcer 37 points défensifs le long de la côte, aussi bien pour défendre l’île que
pour protéger les accès maritimes à La Rochelle.
Ces dites défenses font partie du Mur de l’Atlantique. On peut dire que ce fut la dernière grande
ligne défensive construite durant la Seconde Guerre mondiale. Sa mission principale devait
être la défense des côtes d’Europe occidentale face à une invasion alliée.
1/ Carte de l’extension du Mur de l’Atlantique
2/ Affiche de propagande
Pour réaliser une œuvre de telle envergure, on sollicite l’Organisation Todt. Cette organisation
est créé à partir d’un petit nombre d’hommes en 1933 par Fritz Todt mais elle se transforme
vite en une des plus importantes entreprises industrielles et économiques de l’Allemagne
nazie.
En 1941, l’Organisation Todt reçoit comme mission de fortifier les côtes de l’Europe occupée,
en partant de la Norvège jusqu’à la frontière franco espagnole. Pour cela, différents Groupes
d’Opération (Einsaztgruppen) sont créés pour contrôler les travaux des différentes régions.
Par exemple, le Einsatzgruppen West, basé à Paris sous le commandement de Karl Weiss,
dirige les travaux en Hollande, en Belgique et en France. Ces groupements se subdivisent en
unités appelées Oberbauleitung, avec des effectifs de 5 000 à 15 000 hommes.
Dans le secteur de la Vendée-Charente Maritime, le groupement en charge du programme de
construction du Mur de l’Atlantique depuis 1942 est le Oberbauleitung Paula. Cette Division a
son poste de commandement basé à la Rochelle sous les ordres de l’ingénieur en chef
Hoffmann et dispose de quelques postes de commandement répartis le long de la côte. Sa
structure se compose d’ingénieurs, de techniciens et de chefs de chantier de nationalité
allemande, ce qui représente 683 personnes. De plus, un grand nombre de travailleurs de
différentes nationalités viennent compléter les rangs : des Français, des Belges, des Nord
Africains, des Indochinois, des Italiens, des Espagnols, etc. recrutés par le Service du Travail
Obligatoire (STO). C’était une solution privilégiée pour éviter un transfert le plus souvent forcé
vers l’Allemagne. Cette main d’œuvre est estimée à environ 10 000 hommes.
Sur l’île de Ré, il y a peu d’habitants sur les registres du personnel déporté par le STO, le nom
de Henri de La Bigne de Saint-Martin-de-Ré apparait dans les archives. A la demande des
autorités allemandes, il doit être mis à disposition de l’armée en février 1944.
Demande du STO. Rapport où est mis en évidence la déficience du camouflage de certaines des
positions (NARA).
Cependant, ce sont essentiellement de jeunes Rétais qui sont employés par l’organisation
Todt pour travailler sur leur territoire. Beaucoup d’entre eux effectuent des travaux sans
qualification, en réparant des brouettes, en plaçant le camouflage aux défenses et d'autres
travaux similaires. Peut-être que cette inexpérience a été la cause de plaintes des
commandants allemands concernant le mauvais camouflage de certaines positions sur l’île de
Ré.
Ces jeunes Rétais qui travaillent pour les Allemands sont rémunérés pour leur travail. Peut-
être qu’à une période où le travail manquait, l’option de cette rentrée de revenus pour la famille
est considérée comme un moindre mal.
D’un autre côté, on a l’assurance que des prisonniers politiques, détenus dans l’ancienne
citadelle de Saint-Martin, ont été utilisés comme main d’œuvre pour effectuer les travaux de
construction de ces défenses. Ils étaient 800 (95% de français, 3% d’espagnols et 2% de
chinois et italiens).
La population civile a, elle aussi, été contrainte de travailler à la construction des fortifications
de campagne. Le document suivant montre une lettre du préfet envoyé au maire de Saint-
Martin-de-Ré. Ce document informe que la Feldkommandantur (Commandement militaire du
Département) ordonne la réalisation d’abris pour le personnel le long de certaines routes
principales du département. Sur la route 735, 255 abris ont été réalisés pour un coût de 25
500 francs au mois de novembre 1944.
1/ Lettre du préfet au maire de Saint-Martin
2/ Croquis des abris à réaliser
D’autres constructeurs spécialisés que ceux de l’organisation Todt s’installent sur les côtes de
Vendée et de Charente Maritime : les ingénieurs des fortifications. Le sud-ouest de la France
est placé sous l’autorité de la IVe division des ingénieurs de fortifications de Bordeaux, qui va
déployer ses deux états-majors : le 13e Festungs Pionier Stab (Génie militaire) au nord entre
Pornic et Montalivet, et le 28e Festungs Pionier Stab entre Montalivet et la frontière espagnole,
c’est la 3° compagnie de la première unité qui sera chargée des chantiers sur l’île de Ré.
Une autre organisation impliquée dans cet énorme projet de construction est le
Reichsarbeitsdienst (RD, Service de Travail du Reich). Cette organisation est fondée en juillet
1934 dans l’intention de mettre un terme à la grève, pour cela le travail obligatoire pendant 6
mois est instauré dans le RAD pour tous les hommes allemands âgés de 18 à 25 ans et avant
les deux ans du service militaire. Dans le secteur de La Rochelle, c’est le groupe 205 qui est
impliqué.
1/ Organigramme des unités des ingénieurs des fortifications et du RAD localisées dans le secteur de
la Vendée et en rouge la compagnie impliquée sur l’ile de Ré (Archives fédérales d’Allemagne)
2/ Photos des ingénieurs allemands
Tout ce potentiel de main d’œuvre est employé à la construction des fortifications allemandes,
en respectant une série de procédures communes pour la plupart.
Habituellement, la première étape d’un chantier est la reconnaissance du terrain pour pouvoir
choisir les emplacements les mieux adaptés aux besoins tactiques, aux moyens disponibles
et logiquement au terrain lui-même.
Par la suite, les unités de géologues étudient le terrain sur lequel la défense doit siéger, ils
s’assurent de la stabilité du sol, de sa composition et du niveau de la nappe phréatique et
d’autres facteurs qui peuvent affecter ultérieurement le processus de construction ou de la
structure.
Ainsi, le rapport de la position Lola aux Portes, daté du 30 juin 1942 et réalisé par les géologues
Rost et Vollrath, mentionne le besoin prioritaire en eau pour les troupes qui vont occuper la
zone : 750 litres par jour pour environ 150 hommes. Après l’étude des moyens disponibles, ils
concluent qu’en disposant des points d’eau existants et des puits pouvant être creusés, on
pourrait atteindre 3 000 litres par jour.
1/ Rapport des géologues de la position
Lola aux Portes.
2/ Graphique des points d’eau
Dès que tout est en ordre, la suite du processus consiste à réaliser des excavations, qui sont
faite avec des méthodes rudimentaires, généralement à coups de pelle et de pioche dans le
cas des petites constructions et par des moyens mécaniques pour les grandes. Souvent, ce
processus entraine la démolition de demeures afin d'y établir des secteurs de tir, ou tout
simplement pour éliminer les obstacles à la construction. Le document suivant daté du 15 juin
1944 montre la démolition d’une demeure et d’une grange situées au Préau, propriété d’Adrien
Berjon.
Sur ces terrains, était installée la position Ro 440 Anna, dont les casemates d’artillerie ont été
achevées fin août 1944, de sorte que le document est un clair témoignage des dits travaux.
1/ Photographie aérienne (archive du Service Historique
de la Défense).
2/ Plan de la batterie Anna (archive du Service
Historique de la Défense).
Le nombre important de documents conservés sur ces chantiers de construction permet de
montrer l'évolution des travaux réalisés par les Allemands sur l'île de Ré au cours du conflit.
Si au départ, les troupes allemandes installent leurs pièces d’artillerie dans de simples
ouvrages de campagne, par la suite ils perfectionnent les défenses jusqu'à la construction de
casemates d’artillerie en béton armé.
Photographies qui montrent l’évolution de la position Ro 428 Klara : Vue des premiers emplacements :
les canons en position de campagne, puis des plateformes ouvertes en béton et enfin la construction
de la casemate en béton armé.
Pour cela, chaque construction standardisée possède son manuel avec les spécificités
techniques à sa construction. Le manuel ne contient pas seulement les plans détaillés mais
aussi les besoins en matériel, le système d'aération, de chauffage. Il montre même comment
il faut placer la terre contre la construction pour l'intégrer dans le terrain environnant. De plus,
ils indiquent les données techniques de l'armement, la visée et la distance de tir.
1/ Plans de la tour de direction de tir de Kora
2/ Casemate d’artillerie d’Hertha M272
Plans d’une casemate modèle 667 pour canon de tank de 50 mm de la position Klara, sur la plage de
la Conche des Baleines. On peut voir la façon dont les poutres de renfort sont posées, les dimensions
générales, le placement d’extracteur de fumée de tir et le placement de la terre autour de l’ouvrage.
C’est au cours des années 1942 à 1944 qu’a été réalisé le plus grand effort constructif sur l’île
de Ré, ce qui en fait une sorte de cuirassé flottante.
Carte qui montre la localisation des positions allemandes dans l'île de Ré, organisées suivant un critère
fonctionnel.
1/ Ro 443 Ida, Station radar située à la pointe de Grignon.
2/ Ro 438 Nanette, petite position d’observation à l’ouest de Saint Martin.
3/ Batterie anti-aérienne Ro 409 Betty à Sablanceaux.
4/ Ro 429 Karola à Ars.
Les fonctions de ces positions s’échelonnent à partir de petits postes d’observation sur la côte
avec des détachements de dix à vingt hommes jusqu’aux batteries côtières, mais il y a aussi
des batteries anti-aériennes, des stations radar. Ce dernières sont les éléments les plus
remarquables, non seulement parce qu’elles disposent de l'armement le plus moderne et le
plus puissant, mais aussi parce qu’elles répondent à un modèle de construction bien
spécifique.
Parmi les batteries de côte, on remarque celles de Kora et de Karola à Ars. La première
dispose des pièces ayant le plus grand calibre du secteur et la deuxième a la plus grande
portée de tir. Il s'agit d'un emplacement unique puisqu'il abrite deux batteries, l'une appartenant
à la Marine et l'autre à l'Armée de Terre. C’est un cas unique de coopération inter-armées,
puisque normalement chacune d'elles possède sa propre structure de commandement et de
contrôle de tir.
La première à être mise en place est Kora en Juin 1942, date de l'arrivée de ses quatre canons
français de 22 cm. Elle est également le seul exemple de batterie côtière armée sur une île.
Jusqu’à décembre 1943, la batterie KORA est désignée sous
le code 2/746 Heeres qui signifie « 2e batterie du 746e
régiment d’artillerie de côte de l’Armée de Terre ». Puis à
partir de cette date, la batterie KORA est désignée sous le
code 2/1280, ce qui signifie qu’un nouveau régiment (le
1280e) a remplacé le premier.
L'Organisation Todt et l'Oberbauleitung Paula sont chargées
d'ériger une grande partie des défenses de cette position.
L'emplacement peut être divisé en quatre groupes de
structures : les encuvements à canons, les abris personnels,
les batteries anti-aériennes et l’ingénierie. Dans un premier
groupe sont placés les quatre grands encuvements à canon
de 220 mm., qui peuvent tourner à 360 degrés.
Plan de Kora (Archives fédérales d’Allemagne).
Encuvement à canon avec traces des munitions
Au deuxième groupe appartiennent les abris pour le personnel : les modèles H501 et H502.
Le H501 est utilisé à Kora avec six exemplaires et peut loger un groupe 10 soldats. Alors que
l'unique H502 de la position loge deux groupes de 10 soldats.
Les modèles de construction du Mur de l’Atlantique incluent une série d'éléments communs à
tous indépendamment de la fonction qu'ils occupent, ils comprennent aussi une grande
diversité tant de forme que d’équipement. Par exemple dans les systèmes d'aération : les
portes d'accès, les embrasures défensives, le chauffage, le mobilier, etc.
Sur l’image, nous voyons la porte à barreaux de l’entrée, qui permet de tirer de l’intérieur, et
aussi de protéger l’ouvrage lorsque la construction n’est pas occupée. Une embrasure
défensive qui est une porte coupée, en cas de blocage inférieur, pour permettre une sortie ;
une salle pour le personnel, des litières, une sortie de secours.
Un autre élément fondamental dans la position est sa défense antiaérienne. Etant donné
l'importance de la batterie, il est décidé qu'en cas d’attaque ennemie sur l'île, la position serait
un objectif prioritaire et il est proposé de renforcer la défense antiaérienne en décembre 1942.
On propose le transfert de deux pièces de 2 cm des positions Ella et Lola. Mais dans les
rapports allemands cela est présenté comme une mesure provisoire, puisque lesdites pièces
sont insuffisantes étant donné leur petit calibre et de plus elles affaiblissent la défense
antiaérienne des positions qui se démunissent de ces pièces.
1/ Position anti-aérienne Kora de 2cm de quatre tubes
2/ Reconstitution en 3D d’un autre emplacement de la position
Le dernier ensemble de structures à mentionner
est celui qui regroupait la logistique d'une
batterie moderne : une infirmerie, des
baraquements pour le logement du personnel,
une salle à manger, des garages.
Infirmerie
L'ensemble de dépêches mensuelles que les soldats envoient à l’administration supérieure
nous permet de faire un suivi de l'état tant du personnel que des constructions de la batterie.
En octobre 1943, ils indiquent le manque de préparation du personnel de la batterie avant
l'arrivée de nouveaux remplaçants, ou le manque des munitions pour les pièces principales
qui réduit la capacité de combat. Cependant, en Janvier 1944, en dépit des mêmes plaintes
répétées à leurs supérieurs, ils affirment que la batterie est prête.
Dans le secteur le plus occidental du bois de la Combe et non loin de la plage, se trouvent les
restes de Karola qui comme déjà mentionné est la position la plus importante, puisque c’est
celle qui est dotée des pièces de plus grande portée de toute l'île, pouvant protéger le littoral
et ses zones proches contre tout type d’attaque.
Cette disposition au plus près du front de
mer est typique des batteries de côte de la
Marine, car elle reconnait ses batteries
côtières comme une pièce à part entière de
sa flotte et par conséquent ses pièces se
déploient avec une ligne de vision directe sur
la mer, reliées par ligne téléphonique avec le
poste de contrôle de tir, qui à son tour est
doté de télémètres modernes, d’optiques et
d’instruments pour réaliser les mêmes
calculs que dans un bateau. L'armée a
critiqué ces sites d’être trop vulnérables aux
feux de l'artillerie navale et aux
bombardements en raison de sa proximité avec la côte et d'être un point de débarquement
pour l’ennemi.
Le type d’ouvrage employé est unique sur l’ensemble du Mur de l’Atlantique et il est basé sur
la combinaison de deux Regelbauten (des constructions standardisées) de type S473 et S483
réunis. A cause des problèmes du niveau phréatique, les Allemands ont décidé de construire
le premier niveau au ras du sol, tandis que la superstructure qui loge la tour navale sort du sol,
et est couverte d’une dune artificielle de six mètres de hauteur.
1/ Une des tours de Karola pendant sa construction
2/ Accès dans l’une des positions (Bundesarchiv)
Graphique ou l’on aperçoit les différentes parties de la construction de Karola.
L’objectif de tout cet effort de construction est d’installer deux tours doubles qui proviennent
du bateau désarmé Seydlitz. Cette typologie est typique de la Marine, car elle privilégie les
canons installés dans des tours blindées (comme ses homologues embarqués dans un navire)
comme une option de protection. En réalité, peu de tours de bateaux ont été utilisées et encore
moins ont été construites pour être utilisées dans des fortifications côtières à cause de
l’énorme coût qu'elles engendrent à l'industrie allemande déjà saturée.
La plupart du temps, on profite des tours
inachevées ou endommagées, comme par
exemple les tours doubles de 20.3cm du bateau
Seydlitz. Ce bateau est finalisé à 90% en mai
1942, mais Hitler le transforme en un porte-avion
dont le rôle est important dans la guerre navale.
Malgré tous les rapports négatifs de la part de
tous les commandants se basant sur le surcoût
des travaux, Hitler prend sa décision en août de
la même année.
Pour cela les tours inférieures du Seydlitz sont
démontées et installées sur la terre comme
défense de la côte. Les supérieures sont
installées sur l’île de Groix, intégrant ainsi le
système de défense de Lorient.
Secteur de feu des batteries de Ré, à noter Karola.
Grace à ses canons modernes elle pouvait défendre le littoral et les zones proches, car ils
avaient une portée de 34 kilomètres.
Un autre élément de distinction des batteries de la
marine était les postes de direction des tirs, ils imitaient
la superstructure des bateaux. Dans le cas qui nous
concerne, le poste de direction de tir est construit dans
le périmètre de Kora et partagé par les deux batteries,
dans un cadre de coopération vraiment unique comme
nous l’avons déjà mentionné.
Cette structure, en forme de tour, a une architecture
solide de plus de 23 mètres de haut. La construction au
milieu de l’installation a permis l'observation et le calcul
des données nécessaires pour le tir des canons.
Tour modèle S497
Un point à noter pour ces deux positions, mais surtout
dans le cas de Karola, est l'utilisation du chemin de fer
existant sur l'île de Ré pour transporter les matériaux
nécessaires à la construction des deux positions.
En raison des difficultés pour le transfert de ces matériaux vers les sites de construction, le
LXXX Armeekorps a demandé au printemps de 1942 la réouverture de la voie ferrée et la
concentration de toutes les fournitures disponibles pour Ré et Oléron dans la première
position.
Cependant les travaux dans Karola ont causé à la position voisine une perte considérable de
ressources. Dans un document daté de février 1943, les commandants allemands disent que
les travaux d'améliorations dans Kora sont arrêtés devant la priorité de finir les travaux dans
Karola.
Ils se demandent même si la batterie restera à son actuel emplacement lorsque les ouvrages
de la position de Karola seront finis, l’installation future pourrait être le secteur nord de l'île
d'Oléron, l'option ne sera finalement pas réalisée.
Deux particularités sont à souligner dans les constructions de défense de Ré :
La première est l'emploi de modèles peu
fréquents et nombreux. Par exemple, la
position Klara, avec trois casemates
d’artilleries doubles du type 669, lesquelles
permettent un plus grand champ de tir. A Kuni,
les défenses sont aussi basées sur des
casemates doubles, mais du modèle 612.
Sans oublier les batteries de Kora et Karola,
déjà mentionnées.
Photographie aérienne de Klara, possédant
des casemates doubles.
Montage avec les secteurs de tir.
La deuxième particularité de ces ouvrages se manifeste par différents exemples d'intégration
des anciennes fortifications de l'île de Ré avec les nouvelles constructions. Encore visibles
actuellement, les restes de ces œuvres défensives résistent au passage du temps, comme
témoignage muet de l'union parfaite entre deux techniques architectoniques totalement
opposées. La première est issue des ingénieurs du XVIIe siècle, travaillant avec précision
des blocs de pierre et la géométrie pour atteindre la défense parfaite, changeant leur travail
en art et science. La deuxième est formée par des ingénieurs allemands, lesquels disposent
du matériel de construction par excellence du XXe siècle, le béton armé, avec lequel ils
essaient de compenser la faiblesse stratégique en augmentant l'épaisseur des murs des
défenses.
De l'union du travail manuel, artisanal, minutieux et de la production industrielle avec le travail
mécanisé, froid et bureaucratique, surgissent quelques œuvres uniques dans leur genre,
exemples de deux époques et de deux façons de fortifier le terrain.
Pour citer l’un d'entre eux, la redoute du Martray, une petite œuvre défensive du XVIIe siècle,
qui au XXe siècle tombe aux mains des ingénieurs allemands et devra loger une construction
unique dans tout le Mur de l'Atlantique : une casemate double, pour canon antichar et
mitrailleuse.
Casemate modèle 139 au Martray
Vue aérienne de Martray.
Intérieur de la position d’artillerie, canon de 47mm.
Vue extérieure aujourd’hui.
Malgré que les défenses côtières ne seront pas atteintes par les opérations militaires du
débarquement de Normandie de 1944, dans un document du Fonds d’archives Britannique, il
est indiqué que le Département Topographique de l'Armée Anglaise a réalisé un rapport en
septembre 1942 sur les possibilités de débarquement dans l'île de Ré.
Dans le texte on analyse la topographie de l'île, de ses routes, de sa côte et de ses plages, on
étudie la pente de la plage sa composition, les obstacles pour les troupes qui débarqueraient,
les routes de sortie et autres facteurs qui faciliteraient ou compliqueraient une opération
amphibienne.
Comme nous pouvons le constater dans le plan, après avoir analysé tous les facteurs
antérieurs, ils ont désigné quatre plages aptes pour des opérations de débarquement de B1 à
B4. Chacune d’elles présentait des atouts et des inconvenants, la B3 c’est-à-dire la plage de
la Conche des Baleines réunissait les conditions les plus favorables dans le cas où une
mission de ce type aurait eu lieu.
Plan du document anglais montrant les plages les plus favorables pour un débarquement (The National
Archive).
Dans le rapport il est dit que l'édifice dans lequel ils
installeraient leur Poste de Commandement en cas
de débarquement serait l’Hôtel des Cadets-
Gentilshommes à Saint Martin de Ré, puisque
comme ils le soulignent l’édifice loge divers services
municipaux, parmi lesquels le bureau de poste et
probablement le standard téléphonique.
On remarque plusieurs inconvénients : la proximité
de la population et les accès à Saint-Martin.
Plan de Saint Martin ou l’on aperçoit le poste de
commandement choisi et les points vulnérables de la ville
(The National Archive).
Évidemment aucune opération de débarquement n'a été réalisée. Ainsi jusqu'à la reddition de
l’armée allemande le 9 mai 1945, les défenses construites par les troupes sont restées
intactes.
L'île de Ré présente un espace unique avec des typologies uniques dans tout le système
défensif du Mur de l'Atlantique, plusieurs d’entre elles restent les survivants des témoins muets
de l'un des pires conflits de l'humanité.
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