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(Version corrigée)
LE CONTRÔLEUR BULGARE ET LA CAISSIÈRE HONGROISE
Dans l’une des nouvelles les plus drôles de l’écrivain hongrois Dezső Kosztolányi, le
narrateur passe toute une nuit à bavarder avec un contrôleur bulgare dans le couloir
de son wagon. Pourtant le voyageur hongrois ne connaît que deux mots de bulgare :
« oui » et « non ». Mais en plaçant à bon escient ces deux adverbes, il se débrouille
pour relancer indéfiniment la conversation, se basant au pif sur les mimiques du
contrôleur sans que jamais ce dernier ne soupçonne que son interlocuteur n’y
entrave que pouic.
Pour des raisons trop longues à expliquer ici, et qui d’ailleurs ne regardent que ma
pomme, je passe une bonne partie de ma vie à Budapest. En dépit de 80 leçons du
« Hongrois sans peine » (tu parles !) de la méthode Assimil, je ne possède toujours
qu’une pincée de mots de vocabulaire magyare. Malgré tout j’arrive à me dépatouiller
dans les commerces et les cafés. M’inspirant du tour de force du personnage de
Kosztolányi, j’ai développé un petit jeu avec les caissières hongroises. Par exemple,
j’essaie de ne pas trahir ma qualité d’étranger en demandant du pain à la
boulangerie. Exercice périlleux, car la vendeuse, pensant avoir affaire à un Magyar
pure souche, me pose soudain une question. Aïe, aïe, il s’agit de déduire presto du
contexte et de sa mine interrogative, s’il convient de répondre par « igen » (oui) ou
par « nem » (non). Avec le temps, j’ai compris que ce « mas valamit ? » signifiait
« autre chose ? » ; à quoi je réponds sans sourciller « nem ». Plus ardu : la première
fois qu’une caissière de la chaîne DM m’a décoché d’une traite « Uram,
megkérdezhetem hogy van DM kártyája ? », là, j’ai chancelé. Par chance, en me
raccrochant au seul mot identifiable de la phrase, « kártya », j’ai deviné qu’elle me
demandait simplement si j’avais la carte du magasin. La réponse correcte était donc :
« nem ». Pfffffouuuu, j’avais eu chaud !
Tout récemment, j’ai cru que je n’allais pas m’en tirer à si bon compte : je venais de
payer à la caisse du supermarché Spar, place Moricz Zsigmond, et je glissais mes
forints trébuchants dans ce qui me sert de porte-monnaie, une vieille boîte en
plastique noir de film Kodak. Le vigile qui se trouvait à deux mètres de là s’avance
brusquement vers moi et m’entreprend. Panique ! Heureusement, je remarque qu’il
désigne mon porte-monnaie improvisé. Là, je pige. Il n’est pas le premier à me dire :
« Tiens comme c’est astucieux et pratique, bien moins encombrant qu’un vrai porte-
monnaie, et comme ça on ne troue pas ses poches… » Tout en rangeant mes
courses, j’opine donc vigoureusement du bonnet, « igen, igen », avec force sourires
complices, et je m’esquive en lui lançant un cordial « viszontlátásra ! ».
N’empêche, je sens bien qu’un de ces quatre, je serai confondu, et il ne me restera
plus qu’à bredouiller piteusement : « nem blablatek magyarul ». Et là, ce sera le
goudron et les plumes.
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