La politique, une science ? Le concept de « politique » La politique est une activité qui vise la...
Preview:
Citation preview
- Page 1
- Page 2
- La politique, une science ?
- Page 3
- Le concept de politique La politique est une activit qui vise
la conqute, lexercice est la conservation du pouvoir. Essayons
maintenant de dfinir le pouvoir. Peut-tre trouverez-vous une
dfinition qui est meilleure que celle que je propose sur la
diapositive suivante ? 2
- Page 4
- Le pouvoir dtermine les normes Le pouvoir est la capacit faire
agir autrui, donner des injonctions coutes, assigner des buts.
Lorsque je dis quelquun ce quil faut faire ou ce quil doit faire et
que je suis suivi, jai du pouvoir. Le pouvoir peut sexercer sur un
individu (le pouvoir du pater familias ), sur un groupe ou sur une
nation. Dans tous les cas, ceux qui ont du pouvoir imposent des
normes* aux autres. * Rgles, prescriptions, principes de conduite,
de pense, imposs par la socit, la morale, qui constituent l'idal
sur lequel on doit rgler son existence sous peine de sanctions plus
ou moins diffuses. Empr. au lat. norma querre, rgle, loi. (Atilf)
3
- Page 5
- Les sources primitives du pouvoir Pour faire agir un individu
selon un plan quil na pas lui-mme dtermin, il convient de
distribuer des rcompenses ou des punitions. Les sources du pouvoir
seront donc la force rpressive brutale (larme) et la capacit
doffrir une rmunration (le capital). 4 Une fois admis que laccs au
pouvoir passe par la distribution de rcompenses ou de punition, on
reconnatra que l'exercice du pouvoir a un cot : celui qui veut
donner une rcompense ou infliger une punition devra, d'une manire
ou d'une autre, le payer. La menace est une faon de faire l'conomie
de la punition tout en obtenant le mme rsultat. Mais dans le cas o
la menace ne serait pas suivie de l'effet escompt, celui ou celle
qui l'utilise devra absolument appliquer la sanction faute de
perdre toute crdibilit et donc tout pouvoir sur le rcalcitrant.
Symtriquement, la promesse non tenue disqualifie celui qui
l'utilisait pour obtenir un certain pouvoir.
- Page 6
- Le pouvoir de la persuasion et de la foi Le pouvoir le plus
subtil sexercera lorsque lindividu qui suit une norme ou une
injonction sera convaincu quil agit pour son propre bien. En
dautres termes, plutt que te menacer si tu ne fais pas ou te
promettre si tu fais, je peux te persuader que cest ton intrt de
faire. Tu nobis donc plus pour moi mais pour toi- mme 5 La magie de
la rhtorique morale et religieuse est prcisment de permettre
linternalisation des normes. Nous obissons mieux une norme dont on
nous a persuad quelle tait bonne pour nous-mmes. Notre intrt se
confond avec notre devoir. Le paradis est linvention dune rcompense
virtuelle et absolue, le bnfice imaginaire dune promesse qui ne
sera jamais honore. Exercice : reformuler la phrase prcdente en
commenant par Lenfer .
- Page 7
- Qui mrite le pouvoir ? Sil faut que quelquun fasse les lois,
les rgles, quil impose ses volonts aux autres, ne conviendrait-il
pas quil soit un sage ? 6 Pour Platon, celui qui connat la vrit
connat galement le bien et pratique la vertu. Le philosophe
contemple lide de bien qui est lordre juste de lunivers. Il semble
donc naturel que la race des purs philosophes , vritables
dpositaires du savoir de ce qui est le bien pour tous, gouverne la
socit. Nous retrouverons cette ide dans le communisme ou les
membres du Comit central du parti seront les seuls connatre le
vritable bien de la population.
- Page 8
- Texte : PLATON, 428-347 av. J.-C. Finalement, je compris que
tous les tats actuels sont mal gouverns, car leur lgislation est
peu prs incurable sans d'nergiques prparatifs joints d'heureuses
circonstances. Je fus alors irrsistiblement amen louer la vraie
philosophie et proclamer que, sa lumire seule, on peut reconnatre o
est la justice dans la vie publique et dans la vie prive. Donc, les
maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs
et authentiques philosophes n'arrive au pouvoir ou que les chefs
des cits, par une grce divine, ne se mettent philosopher
vritablement. Lettre VII, 325, 326, trad. J. Souilh, Ed.
Belles-Lettres 7
- Page 9
- Lquation platonicienne du Bien et du Vrai 8 Platon a labor une
ide qui est encore reue aujourdhui comme une vidence : le Bien nest
quune forme particulire de Vrit. Le Bien ne peut tre que Vrai et
inversement. Cette ide est profondment enracine dans la tradition
qui part de lidalisme platonicien pour conduire au spiritualisme
chrtien. Lorsque nous sommes vraiment persuads quune norme ou une
prescription est bonne , nous avons tendance croire quelle est
aussi vraie . Cest ainsi que presque tout le monde en Europe est
persuad que les propositions normatives suivantes sont vraies : Il
faut interdire lapplication de la peine de mort ; Les hommes et les
femmes doivent avoir des droits gaux Vous trouverez bien dautres
exemples.
- Page 10
- ALLOCUTION DU PAPE BENOT XVI POUR LA RENCONTRE AVEC LES
TUDIANTS DE L'UNIVERSIT "LA SAPIENZA" DE ROME L'homme veut connatre
- il veut la vrit. La vrit est avant tout un lment en relation avec
le fait de voir, de comprendre, avec la theora, comme l'appelle la
tradition grecque. Mais la vrit n'est jamais seulement thorique. En
tablissant une corrlation entre les Batitudes du Discours sur la
Montagne et les dons de l'Esprit mentionns dans Isae 11, Augustin a
affirm une rciprocit entre "scientia" et "tristitia" : le simple
savoir, dit-il, rend triste. Et de fait, celui qui voit et qui
apprend seulement tout ce qui survient dans le monde finit par
devenir triste. Mais la vrit signifie davantage que le savoir : la
connaissance de la vrit a pour objectif la connaissance du bien.
Tel est galement le sens de l'interrogation socratique : Quel est
le bien qui nous rend vrais? La vrit nous rend bons, et la bont est
vraie : tel est l'optimisme qui est contenu dans la foi chrtienne,
car celle-ci a t accorde la vision du Logos, de la Raison cratrice
qui, dans l'incarnation de Dieu, s'est en mme temps rvle comme le
Bien, comme la Bont elle-mme. (Texte extrait du discours que le
Pape aurait d prononcer l'Universit "La Sapienza" de Rome, le 17
janvier 2008. La visite a t annule le 15 janvier 2008.) 9
- Page 11
- L'AMALGAME DE LA VRIT ET DU BIEN DANS L'GLISE D'AUJOURD'HUI En
matire de confusion conceptuelle, nul ne peut rivaliser avec
lancien patron des catholiques. Peu importe que le prestigieux
concept de vrit soit dnatur pourvu que cela nous serve ! Dans cette
perspective dogmatique, la vrit est seulement ce qui peut servir
NOTRE conception du bien. Les philosophes soucieux de bon sens et
de clart conceptuelle ont depuis longtemps reconnu que le vrai na
rien voir avec le bon ou le bien. La vrit est la proprit dnoncs
descriptifs de certains tats du monde, pass, prsent ou futur. Sont
vrais les noncs qui ne sont pas en contradiction avec les
observations qui les concernent. La langue ordinaire nourrit la
confusion en attribuant la vrit, par mtonymie, des personnes. Du
fait que les noncs il est libraire , il est croyant sont vrais,
nous insisterons sur lexclusivit de ces vrits en utilisant les
expressions un vrai libraire et un vrai croyant . Le vrai libraire
vend exclusivement des livres et le vrai croyant a une foi
authentique. La bont et le bien, en revanche, sont des proprits
dtres ou dactions utiles des objectifs que nous partageons, des
fins que nous dfendons. Sils ntaient pas crits par un pape se
revendiquant de Socrate, les noncs La vrit nous rend bons et la
bont est vraie constitueraient une double sottise sans
signification. Tel est, en effet, loptimisme de la foi chrtienne.
10
- Page 12
- De la vrit des jugements normatifs Une proposition telle que Il
faut abolir la peine de mort peut-elle tre dite vraie ? La vrit
dune proposition tient ce quelle nonce certains faits observables.
Pour justifier une norme, nous nous appuyons sur les consquences
prvisibles de son application. Mais que ces consquences soient
souhaitables, est-ce l un fait ? 11 Considrons un autre exemple :
Les cologistes suisses ont propos dadopter la norme suivante : Il
faut imposer une taxe supplmentaire importante aux carburants.
Pourquoi ? Parce que si les carburants sont trs chers les gens
utiliseront moins leur vhicule ce qui rduira la pollution de lair.
Mais seuls les pauvres rouleront moins. Faut-il ds lors accepter
une rduction du taux de particules dans lair la seule charge des
moins favoriss? Nous sommes ici devant un conflit de valeurs : une
norme (protger lenvironnement) soppose une autre norme (les plus
dmunis ne doivent pas payer pour les riches).
- Page 13
- Texte : Kant, in Magnard page 113 Aux visions totalitaires de
Platon, je prfre de beaucoup la sagesse mesure de Kant lorsquil
envisage les rapports du philosophe avec le pouvoir : [...] Que les
rois deviennent philosophes ou les philosophes rois, on ne peut
gure s'y attendre et l'on ne doit pas non plus le souhaiter, parce
que la possession du pouvoir corrompt invitablement le libre
jugement de la raison. Mais que les rois ou les peuples
(c'est--dire les peuples qui se gouvernent eux-mmes d'aprs les lois
de l'galit) ne souffrent pas que la classe des philosophes
disparaisse ou soit rduite au silence, mais qu'ils la laissent
parler tout haut, c'est ce qui leur est indispensable pour
s'clairer sur leurs propres affaires. Cette classe est d'ailleurs,
par sa nature mme, incapable de former des rassemblements et des
clubs, et par consquent elle chappe au soupon d'esprit de
propagande. Essai philosophique sur la paix perptuelle, trad. J.
Barni in lments mtaphysiques de la doctrine du droit Ed. A. Durand,
p.316. 12
- Page 14
- La tyrannie, forme naturelle du pouvoir ? Cependant, que les
rois soient philosophes ou quils ne le soient pas, lhistoire nous
les montre presque toujours seuls au pouvoir. De toutes les formes
de gouvernement, la tyrannie est sans aucun doute la plus frquente.
Cest vrai dans lhistoire mais cest aussi vrai, malheureusement,
aujourdhui. Savez-vous combien dtats sont reprsents lONU ? Combien
parmi eux sont des dmocraties ? Combien Voil sans doute pourquoi
lami de Montaigne, tienne de la Botie, se demandait dj au 16 e
sicle si les hommes naimaient pas leurs tyrans. 13
- Page 15
- Texte :Etienne de LA BOTIE, 1530-1563, in Magnard, page 128
Pour le moment, je dsirerais seulement qu'on me ft comprendre
comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de
nations supportent quelquefois tout d'un Tyran seul, qui n'a de
puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a pouvoir de leur nuire
qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur
faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui, que
de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si
commune, qu'il faut plutt en gmir que s'en tonner)! c'est de voir
des millions de millions d'hommes, misrablement asservis, et soumis
tte baisse, un joug dplorable, non qu'ils y soient contraints par
une force majeure, mais parce qu'ils sont fascins et, pour ainsi
dire, ensorcels par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient redouter,
puisqu'il est seul, ni chrir, puisqu'il est, envers eux tous,
inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes !
Discours de la servitude volontaire, Payot, pp. 174-175. 14
- Page 16
- La scurit de la tyrannie Pour Thomas Hobbes lhomme est un loup
pour lhomme. Le pouvoir absolu dun souverain est ds lors ncessaire
la constitution dune socit civile qui garantira la scurit des
citoyens. Les gens aiment la scurit que leur apporte la servitude.
Une grande libert laisse aux hommes les plonge dans un capharnam
anarchique dangereux. 15 Dans le texte suivant, Hobbes dfend la
ncessit de la socit civile en lui opposant limpressionnante srie
des catastrophes qui rsulteraient de son absence. Cest lternelle
justification des dictateurs : vous avez le choix entre moi et le
chaos !
- Page 17
- Texte : Thomas Hobbes, 1642, in Magnard, page 135 Hors de l'tat
civil, chacun jouit sans doute d'une libert entire, mais strile ;
car, s'il a la libert de faire tout ce qu'il lui plat, il est en
revanche, puisque les autres ont la mme libert, expos subir tout ce
qu'il leur plat. Mais, une fois la socit civile constitue, chaque
citoyen ne conserve qu'autant de libert qu'il lui en faut pour
vivre bien et vivre en paix, de mme les autres perdent de leur
libert juste ce qu'il faut pour qu'ils ne soient plus redouter.
Hors de la socit civile, chacun a un droit sur toutes choses, si
bien qu'il ne peut nanmoins jouir d'aucune. Dans une socit civile
par contre, chacun jouit en toute scurit d'un droit limit. Hors de
la socit civile, tout homme peut tre dpouill et tu par n'importe
quel autre. Dans une socit civile, il ne peut plus l'tre que par un
seul. Hors de la socit civile, nous n'avons pour nous protger que
nos propres forces ; dans une socit civile, nous avons celles de
tous. Hors de la socit civile, personne n'est assur de jouir des
fruits de son industrie ; dans une socit civile, tous le sont. On
ne trouve enfin hors de la socit civile que l'empire des passions,
la guerre, la crainte, la pauvret, la laideur, la solitude, la
barbarie, l'ignorance et la frocit ; dans une socit civile, on
voit, sous l'empire de la raison, rgner la paix, la scurit,
l'abondance, la beaut, la sociabilit, la politesse, le savoir et la
bienveillance. Hobbes, T., Le Citoyen, chap. X, 1 in R. Derath,
Rousseau et la science politique de son temps, Vrin, p. 312.
- Page 18
- TEXTE : ENGELS, LORIGINE DE LTAT L'Etat n'est donc pas un
pouvoir impos du dehors la socit ; il n'est pas davantage la ralit
de l'ide morale , l'image et la ralit de la raison , comme le
prtend Hegel. Il est bien plutt un produit de la socit un stade
dtermin de son dveloppement ; il est l'aveu que cette socit
s'emptre dans une insoluble contradiction avec elle- mme, s'tant
scinde en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante
conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intrts
conomiques opposs, ne se consument pas, elles et la socit, en une
lutte strile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, plac en
apparence au-dessus de la socit, doit estomper le conflit, le
maintenir dans les limites de l' ordre ; et ce pouvoir, n de la
socit, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en
plus tranger, c'est l'Etat Engels, Lorigine de la famille, de la
proprit prive et de ltat, d. sociales 1971. (Cit par Andr
Comte-Sponville, in Le mythe dIcare, P.U.F., p. 89 17
- Page 19
- Lanarchisme* Lanarchiste dteste le pouvoir et son incarnation
institutionnelle : ltat. Il est convaincu que lhomme, une fois
dlivr du joug des institutions alinantes* exercera sa libert
retrouve dans le sens que lui dicte sa gnrosit naturelle..
Ltymologie du mot est explicite : Empr. au gr. absence de chef, tat
d'un peuple sans chef . On doit lanarchiste franais Jean Grave le
clbre mot dordre : Ni Dieu, ni matre ! 18 * Doctrine politique ou
attitude intellectuelle rejetant l'autorit de l'tat et prconisant
un individualisme absolu. (atilf)
- Page 20
- Texte : M. A. BAKOUNINE, 1872, in Magnard page 137 Qu'est-ce
que l'tat? C'est, nous rpondent les mtaphysiciens et les docteurs
en droit, c'est la chose publique ; les intrts, le bien collectif
et le droit de tout le monde, opposs l'action dissolvante des
intrts et des passions gostes de chacun. C'est la justice et la
ralisation de la morale et de la vertu sur la terre. Par consquent,
il n'est point d'acte plus sublime ni de plus grand devoir pour les
individus que de se dvouer, de se sacrifier, et au besoin de mourir
pour le triomphe, pour la puissance de l'tat [...]. Voyons
maintenant si cette thologie politique, de mme que la thologie
religieuse, ne cache pas, sous de trs belles et de trs potiques
apparences, des ralits trs communes et trs sales.() (Lide mme de
ltat cest) l'immolation de chaque individu comme de toutes les
associations locales, l'abstraction destructive de la socit
vivante, la limitation ou, pour mieux dire, la complte ngation de
la vie et du droit de toutes les parties qui composent tout le
monde, pour le soi-disant bien de tout le monde : c'est l'tat,
c'est l'autel de la religion politique sur lequel la socit
naturelle est toujours immole : une universalit dvorante, vivant de
sacrifices humains [...]. uvres, tome I, in Henri Arvon: Michel
Bakounine, d. Seghers, 1966, pp.98-99. 19
- Page 21
- LA MTAPHORE FAMILIALE DU POUVOIR On comprend ds lors
linclination des dictateurs, des rois et des prtres emprunter le
vocabulaire de la famille: ils seront des pres de la nation ou des
pres spirituels qui sadresseront aux individus soumis comme sils
taient des enfants. Qui a raison de Hobbes ou de Bakounine ? Lhomme
a-t-il besoin dune autorit lui imposant ses tches et ses valeurs ?
Jusqu une poque rcente, on pensait quun chef simpose la famille :
le pre. Son autorit tait naturelle et ne pouvait tre remise en
question jusqu sa mort. 20
- Page 22
- TEXTE :JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 1762, IN MAGNARD, PAGE 138. La
famille est donc si l'on veut le premier modle des socits
politiques; le chef est l'image du pre, le peuple est l'image des
enfants, et tous tant ns gaux et libres n'alinent leur libert que
pour leur utilit. Toute la diffrence est que dans la famille
l'amour du pre pour ses enfants le paye des soins qu'il leur rend,
et que dans l'tat le plaisir de commander supple cet amour que le
chef n'a pas pour ses peuples. Du Contrat Social Livre 1 chap. 1
21
- Page 23
- LE LEADERSHIP EST-IL UNE NCESSIT ? La conviction de lanarchiste
quun homme ne devrait jamais obir aucun chef se heurte au fait que
les associations coopratives ne fonctionnent tout simplement pas si
leur action nest pas coordonne. partir de combien de musiciens un
groupe a-t-il besoin dun chef ? 22 Cependant, au contraire du pater
familias le chef de bureau, le chef de compagnie ou le chef
datelier, le gouverneur de province, le ministre ou le prsident ne
sont pas dans leur position par nature . Le patron peut galement
tre une assemble, un conseil. Lessentiel est que le leadership soit
fonctionnel. Mais il se peut quune personnalit charismatique domine
le groupe des dcideurs et commence exercer lune des formes de la
tyrannie dsastreuse pour la collectivit.
- Page 24
- Les tyrannies et la dmocratie Les formes de la tyrannie sont
nombreuses : monarchie autoritaire, rgime imprial, dictature
militaire, thocratie*, totalitarisme* particratique. Elles ont en
commun de rprimer toute manifestation dopposition. 23 Lessence mme
de la dmocratie rsiderait dans cette possibilit fondamentale de
manifester une opinion oppose au projet du gouvernement et, dans le
cas o cette opposition deviendrait majoritaire, de contraindre les
gouvernants sen aller.
- Page 25
- Texte : Popper, Libert et galit Il faut prendre garde ici au
pige du langage : les pires tyrannies se sont appeles elles-mmes
des dmocraties. En particulier, les communistes parlaient de
dmocraties populaires ou de rpublique dmocratique alors mme que les
polices politiques radiquaient toute vellit dexpression libre. 24
Si la conjonction du socialisme et de la libert individuelle tait
ralisable, je serais socialiste aujourd'hui encore. Car rien de
mieux que vivre une vie modeste, simple et libre dans une socit
galitaire. Il me fallut du temps avant de raliser que ce n'tait
qu'un beau rve ; que la libert importe davantage que l'galit ; que
la tentative d'instaurer l'galit met la libert en danger; et que,
sacrifier la libert, on ne fait mme pas rgner l'galit parmi ceux
qu'on a asservis. Karl R. Popper, La qute inacheve, Unended Quest-
(1974), Calman- Lvy, 1981, p. 56.
- Page 26
- LE POUVOIR PTRIFI Karl Popper a labor un critre de dmarcation
permettant de sparer les thories possdant une valeur empirique des
autres : la falsifiabilit*. Il est tentant de comparer le destin
des rgimes politiques celui des thories. Comme une thorie qui
nexplique rien, un rgime tyrannique serait en quelque sorte
infalsifiable et ne pourrait donc en aucun cas voluer. 25 Mais la
Dmocratie - qui devrait nous garantir contre lasphyxie dune socit
ferme - est une valeur perptuellement menace. Elle ne peut en effet
se constituer que par des procdures dlection ou de consultation
populaire qui peuvent leur tour tre manipules. La ploutocratie est
toujours possible et elle est une forme cache de despotisme.
Ploutocratie :de richesse et de force, domination, puissance
- Page 27
- SI LA DMOCRATIE DEVENAIT TYRANNIQUE Le texte qui suit est
prmonitoire dune situation que nous vivons quotidiennement au XXIe
sicle. 26 La dmocratie peut-elle, engendrer insidieusement une
sorte de tyrannie subreptice* ?subreptice Cest ce quenvisageait dj
Alexis de Tocqueville, un des penseurs fondateurs du libralisme
politique.libralisme
- Page 28
- Texte : de TOCQUEVILLE, 1835, in Magnard page 138. Je veux
imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se
produire dans le monde: je vois une foule innombrable d'hommes
semblables et gaux qui tournent sans repos sur eux-mmes pour se
procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur
me. Chacun d'eux, retir l'cart, est comme tranger la destine de
tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour
lui toute l'espce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens,
il est ct d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les
sent point ; il n'existe qu'en lui-mme et pour lui seul, et, s'il
lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus
de patrie. Au-dessus de ceux-l s'lve un pouvoir immense et
tutlaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de
veiller sur leur sort. Il est absolu, dtaill, rgulier, prvoyant et
doux, il ressemblerait la puissance paternelle si, comme elle, il
avait pour objet de prparer les hommes l'ge viril; mais il ne
cherche au contraire, qu' les fixer irrvocablement dans l'enfance ;
il aime que les citoyens se rjouissent, pourvu qu'ils ne songent
qu' se rjouir. Il travaille volontiers leur bonheur ; mais il veut
en tre l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit leur scurit,
prvoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit
leurs principales affaires, dirige leur industrie, rgle leurs
successions, divise leurs hritages ; que ne peut-il leur ter
entirement le trouble de penser et la peine de vivre ? C'est ainsi
que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du
libre arbitre ; qu'il renferme l'action de la volont dans un plus
petit espace, et drobe peu peu chaque citoyen jusqu' l'usage de
lui-mme. L'galit a prpar les hommes toutes ces choses : elle les a
disposs les souffrir et souvent mme les regarder comme un bienfait.
27
- Page 29
- de TOCQUEVILLE, (suite) Aprs avoir pris ainsi tour tour dans
ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir ptri sa guise, le
souverain tend ses bras sur la socit tout entire ; il en couvre la
surface d'un rseau de petites rgles compliques, minutieuses et
uniformes, travers lesquelles les esprits les plus originaux et les
mes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dpasser la
foule; il ne brise pas les volonts, mais il les amollit, les plie
et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans
cesse ce qu'on agisse ; il ne dtruit point, il empche de natre; il
ne tyrannise point, il gne, il comprime, il nerve, il teint, il
hbt, et il rduit enfin chaque nation n'tre plus qu'un troupeau
d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. J'ai toujours cru que cette sorte de servitude, rgle, douce
et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se
combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes des formes
extrieures de la libert, et qu'il ne lui serait pas impossible de
s'tablir l'ombre mme de la souverainet du peuple. De la Dmocratie
en Amrique, UGE, 10-18, pp. 361-362. 28
- Page 30
- LA LIBERT SACRIFIE La victime dune socit dmocratique fonde sur
la volont du plus grand nombre pourrait bien tre la libert
individuelle. Une majorit peut en effet sacharner rduire les
espaces de libert que saccordent quelques individus qui ont le
vilain dfaut de ntre pas conformes la pense dominante. 29 Dans le
texte qui suit, John Stuart Mill sattaque cette tyrannie de la
majorit qui peut prendre la forme dun paternalisme tatique que
dnonce, de nos jours encore, le philosophe et moraliste Ruwen
Ogien.
- Page 31
- Texte : La tyrannie de la majorit De mme que les autres
tyrannies, la tyrannie de la majorit inspirait et inspire encore
gnralement de la crainte d'abord parce qu'elle transparaissait dans
les actes des autorits publiques. Mais les gens rflchis s'aperurent
que, lorsque la socit devient le tyran lorsque la masse en vient
opprimer l'individu ses moyens de tyranniser ne se limitent pas aux
actes qu'elle impose ses fonctionnaires politiques. La socit
applique les dcisions qu'elle prend. Si elle en prend de mauvaises,
si elle veut ce faisant s'ingrer dans des affaires qui ne sont pas
de son ressort, elle pratique une tyrannie sociale d'une ampleur
nouvelle diffrente des formes d'oppression politique qui s'imposent
coups de sanctions pnales tyrannie qui laisse d'autant moins
d'chappatoire qu'elle va jusqu' se glisser dans les plus petits
dtails de la vie, asservissant ainsi l'me elle-mme. Se protger
contre la tyrannie du magistrat ne suffit donc pas. Il faut aussi
se protger contre la tyrannie de l'opinion et du sentiment
dominants, contre la tendance de la socit imposer, par d'autres
moyens que les sanctions pnales, ses propres ides et ses propres
pratiques comme rgles de conduite ceux qui ne seraient pas de son
avis. Il faut encore se protger contre sa tendance entraver le
dveloppement sinon empcher la formation de toute individualit qui
ne serait pas en harmonie avec ses murs et faonner tous les
caractres sur un modle prtabli. Il existe une limite l'ingrence
lgitime de l'opinion collective dans l'indpendance individuelle :
trouver cette limite et la dfendre contre tout empitement ventuel
est tout aussi indispensable la bonne marche des affaires humaines
que se protger contre le despotisme politique. STUART Mill, John,
De la libert,Gallimard, Folio, 1990, pages 66 67. 30
- Page 32
- Texte : Paternalisme de lEtat Dans certaines de ces socits, on
continue de stigmatiser ou de pnaliser le suicide assist mme
lorsqu'il est rclam de faon insistante par des malades incurables,
l'usage des drogues mme lorsqu'elles sont dites douces, les changes
sadomasochistes mme lorsqu'ils sont le fait d'adultes consentants,
les grossesses pour autrui mme sans compensations financires, la
prostitution quelles que soient les conditions dans lesquelles elle
est exerce, etc. Bref, la libert de faire ce qu'on veut de sa
propre vie du moment qu'on ne nuit pas autrui y est toujours
fortement conteste, tantt au nom de la dignit humaine tantt au nom
de la nature humaine. Pour qualifier ces interventions rpressives
de l'tat (la pnalisation) et ces ingrences plus informelles de
chacun et de tout le monde (la stigmatisation), on peut parler de
police morale la faon image de Mill, mais aussi, ce qui revient au
mme en un certain sens, de paternalisme moral. Ogien, Ruwen,
Lthique aujourdhui, Gallimard, Folio, 2007, pp.195- 196. 31
- Page 33
- 32