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b
c
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po
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r
2
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2/68
LA
BANQUISE
Revue de
critique
sociale
Resp
publ . : G. Dauv
Parait quatre fois l an
Abonnement 1 an : 65 F
Pour toute correspondance :
LA BANQUISE
B P
n 214
75263 Paris Cdex 13
Crdit photos : Dazy ; Roger Viollet
Imprimerie S.P.M.
14, rue Charles V
75004 Paris
Premier trimestre 1983
Les textes publis dans
la
B NQUISE
peuvent
l tre librement reproduits, s ns
indication
d origine.
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vant
l
dbcle
Sous les pavs, la
plage>>
disions-nous avant la grande
g l a c i a ~ i o n
Aujourd hui la banquise a recouvert
tout
cela. Dix, vingt, cent mtres de glace par-dessus les pavs. Alors, la plage ..
Contre l nouveaut
oyen de
transport
et d organisation des hommes de cette fin de sicle, l automobile
l incarne
merveille.
Un
nouvel engin
parat
tous
les ans, aussi
peu
nouveau que
les
prcdents et qui
s use
plutt
plus
rapidement
encore.
Et
il en.
est de mme pour
les
ides, tant l
est
vrai que la nouveaut, le progrs, le changement, la
modernit sont
les mythes fon
damentaux
du
capitalisme et le sont d autant plus que ce capitalisme montre chaque
jour
davantage
son insatisfaisante dsutude.
Nous vivons dans
un
monde qui s est
tellement autocritiqu,
sans _mme
tenter
de se
rvolutionner, comme ce
fut
le cas vers 1918,
qu il
a plus chang d idologie
que
de ralit. A l obses
sion sociale de la
modernit est
venue se surajouter, ces dernires annes la mode de la dsillusion.
L chec
du
rformisme de ce que
l on
appelait aux Etats-Unis le mouvement>>,
en
France plus brive
ment
Mai>> a engendr une srie
de modes,
du
hippy
contre-culturel
au
jeune homme
moderne la
dfroque satanique. La faillite de
68
clate
quand
ses aspects les plus rformistes (donc les plus rpan
dus)
prennent
enfin le
pouvoir,
treize ans
jour pour jour
aprs les barricades
de
la
rue
Gay-Lussac.
En
1983, la
rforme>>
ressemble
tant
la raction qui triomphe en Angleterre, aux tats-Unis, etc,
que la tendance
la plus gnrale, dans les
pays
dvelopps, est
de
ne croire
en rien
mais de
tout
accepter. Ailleurs, dans
cette
partie du
monde
que le capital n arrive ni rentabiliser ni pacifier sous
les
bombes ou
par l argent, les rvoltes populaires successives, incapables seules de soulever le poids
trop
lourd
d un
systme
mondial
d exploitation
et
de rpression,
aboutissent
de nouvelles oppres
sions. L attitude la plus novatrice dans ces rgions consiste croire
aux
plus incroyables vestiges du
pass (l Islam, la vierge
noire de
Cracovie,
un
nationalisme)
pour
ne pas
tout
accepter.
Il est vrai que la plus grande multitude, celle des
hommes
qui ne se rvoltent pas, se
bricole au
jour
le
jour
une mixture de croyances incolores
et
d incrdulits limites. (Coquetle
occidental : 1/3 de cynisme en face des dirigeants, 1/3 de foi en la science, ou en l horoscope, ou au
vgtarisme, ou les trois, 1/3 de foi en
la
dmocratie. Coquetle tiers-monde : 1/3 de dbrouillardise
en
face des
bureaucrates
ou
des curs,
1/3
de
gris-gris,
1/6
d adhsion
la
communaut
tribale
ou
villageoise, 1/6 de coca-cola rv). Les intellectuels la
mode
de c h ~ z nous auront russi ce
tour
de
force de runir les illusions nationalistes, religieuses
ou
lectoralistes des affams et le renoncement
des consommateurs la rvolte
contre l ordre
capitaliste. Dans
cette
synthse rside toute la nouveau-
t
de
ce qu ils
ont
dire.
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Parmi cette nouvelle vague de chiens
de garde du capital, une race incon
nue a prolifr : les chercheurs
militants.
Cette excellente description du par
tage des pouvoirs dans la France d au
jourd hui
est extraite
du Monde
Diplomatique ... d octobre
1979. Nous
nous sommes contents de remplacer
dans extrait socit librale avan-
ce
par
socit socialiste. Si le
discours de l annexe tiers-mondiste du
journal officiel de
tous
les pouvoirs
s appliquait ds
cette
poque ce que
nous avons sous les yeux, c est que
l Etat
et
la socit capitaliste
n ont
pas
attendu
l lection de Mitterrand
pour
fai:r:e
une place aux jeunes loups de la
contestation et leurs ides. Le 10
mai 1981 a apport la sanction des
lecteurs ce phnomne : le gau
chisme s est impos
un
peu plus
chaque
jour
comme avant-garde du
capital.
C est ainsi que
le
fminisme, loin
de remettre en question l ordre moral,
a
abouti
le renforcer. Poussant leur
corporatisme clitoridien l extrme,
les femmes des classes moyennes, les
cadresses
et
les
p r o f e s s e u s ~ s
ont
fait
entendre raison aux proltaires qui ne
s taient pas encore aperu que le
capitalisme a substitu au mode tra
ditionnel de soumission de la femme
le
mode
moderne de soumission di
recte au salariat. Confirmes dans leur
galit
d objet du
capital
par
la con
damnation vingt ans de tle de
quelques misrables, elles
ont
clbr
avec des chants
et
des danses la
victoire de cette revendication pouja
diste : Mon corps m appartient.
N en dplaise l ineffable Halimi qui
croit l exemplarit de la peine dans
le seul cas
du
viol, leur action
n aura
nullement
abouti
supprimer les
violences de la misre sexuelle. Elles
n auront
fait
qu y
surajouterlaviolence
glace de l Etat*.
Lip
et
Plogoff
ont
illustr les limites
des deux projets les plus vastes dont le
norformisme ait accouch : l auto
gestion
et
l cologisme. Loin de librer
le proltaire
de
1 esclavage salarial,
l autogestion le fait participer sa
propre exploit ation. L cologisme,
ds
qu il
est efficace, quivaut
envoyer la pollution chez le voisin.
Quant
la crise du systme duca
tif
et aux pdagogies nouvelles ..
Au
sicle prcdent,
non contents
de leur infliger la naissance, les
hommes
* Voir dans
ce
numro
:
Pour un monde
sans morale.
squestraient et martyrisaient les en
fants dans les familles
et
les collges.
C tait franc. On les savait un danger
social, alors on les emprisonnait
jusqu au
complet
abrutissement, jus
qu
l instant o le malheureux crtin
dclarait de lui-mme : J ai t lev
la dure mais j en suis trs heureux :
cela m a permis de devenir un hom
me. Sinistre parodie d un esclave qui
prterait serment de fidlit. Mettre
hors d tat de nuire un individu
dangereux est une loi de conservation
sociale d une logique irrfutable. La
seule rponse possible c est l aboie
ment de
la
dynamite.
Mais qu est-ce que l hypocris ie
actuelle de cette pseudo-libration
que prchent les modernes ducateurs?
Seul
un automate
pourrait juger
agrables les occupations dulcorantes
que l on inflige l enfant pour lui faire
oublier, refouler en lui son activit
naturelle de vols, de viols, d assassinats
et d incendies clatants.
Librer les enfants, mais ce serait
plus beau que d ouvrir les cabanons h
(Roger Gilbert-Lecomte,
Le
Grand
Jeu, 1928)
On serait
tent
de dire que ces li
gnes auraient d faire taire jamais
les rformateurs de l cole. Ce serait
croire que ce
qu on
prend
pour
la
vrit n (l qu tre dit haute voix
pour
branler le monde. Idalisme
naf qui
a malheureusement affect
ces dernires annes quelques esprits
qu on
aurait crus plus solides. Mais il
est vrai que ce
texte
de Gilbert-Lecom
te reflte
une bonne part
de la ralit,
celle qui aurait tendance nous rendre
optimistes sur les ressources de l huma
nit. Quiconque lit attentivement les
journaux
aura remarqu avec quelle
rgularit ils
rapportent
des saccages
nocturnes d coles primaires
ou
mater
nelles
par
des enfants trs jeunes.
L colier
qui
mit le feu au CES Pail
leran
en 1972 ne fit que raliser le
souhait ancestral
qui
sera quelque
jour
satisfait sur une chelle bien plus
vaste : Les cahiers au feu, les
matres
au milieu. Cependant Gilbert-Lecomte
mythifiait l enfant : il en fait dans ce
texte un
tre
purement
subversif,
alors que tout
enfant,
ct
de
pulsions dangereuses pour
l ordre
social, est aussi travaill
par
le dsir
angoiss de conservatipn. Enfin, il
n y
aurait rien de beau se
contenter
d ouvr ir les cabanons : ceu.x
qui
l ont
fait
ont
install la psychiatrie de sec-
teur, c est--dire transfr l asile
la maison.
On n en
finirait pas
d numrer
5
LA BANQUISE
tout
ce que la contestation a touch
et qu elle a contribu renforcer en
le
rformant
jusqu
l idologie de
M Prudhomme qu elle a renouvel
au profit des nouvelles classes moyen
nes.
Le
petit
bourgeois d aujourd hui,
ce n est plus Homais, c;est le jeune
homme moderne, troisime
et
lointain
rejeton
du
gauchisme. L organe central
de la pense peti te-bourgeoise d au
jourd hui,
c est
Actuel.
Les lecteurs de ce
torchon,
ex-tu
diants
et
nouveaux cadres
qui
ont
gard de l agitation contesta trice de
Les limites de
la
dmocratie
l cole.
es lves
onnent le nom
de Mesrine
leur ES
la
majori t des lves de Saint
Arnoult-en-Yvelines ont choisi
le nom de Jacques Mesrine
pour le nouveau CES qu ils
occuperont
bientt,
a-t-on
appris
vendredi de bonne
source.
les 600 lves du CES qui
abandonneront leurs bAtiments
prfabriqus actuels pour leurs
nouveaux locaux la mi-janvier,
se sont en effet prononcs
48 pour le nom de l ancien
ennemi public
n
t, les
52
autres pour cent ayant rparti
leurs voix entre les noms propo
ss par l a d m i n i s t r a t i o n ~ dans
l ordre, Georges Brassens, John
Lennon, Ren Goscinny et Elsa
Triolet.
le comit d tablissement du
CES sera appel se prononcer
trs prochainement sur le choix
dfinitif du nom du nouveau
coHge
e t ~
prcise-Fon
de
mme source, ne tiendra certai
nement pas compte
du
rsultat
du vote des lves.
Le Quotidien de Paris,
28-29 sep
tembre 1981.
l aprs-68
un
certain dtachement
l gard des idologies politiques com
me -l gard de l ordre moral tradition
nel veulent pouvoir contempler avec
le ricanement de ceux qui
on
ne la
fait plus les horreurs
d un monde
qu ils
n ont
pas su davantage compren
dre qu ils
n ont
t en mesure de le
transformer. Un monde c est leur
courte morale - les torturs finiraient
toujours
par
devenir tortionnaires.
Ayant peu ou
prou
got aux liqueurs
fortes des stalinismes maostes
ou
tiers-mondistes comme aux fades
bouillies des nouveaux curs philoso
phes, ils ont besoin d informations
bizarrodes qui violent leur got
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LA
BANQUISE
pression, satisfera ces intrts en fonc
tion des rapports de force entre les
diffrents groupes. (Rapports de force
qui apparaissent en pleine lumire ds
que ces groupes disputent l'tat son
monopole de la violence : la diffrence
de
traitement
des contrevenants est
trs instructive l-dessus. Si vous
affirmez votre identit en cognant des
flics, il vaudra mieux
pour
vous tre
viticulteur
ou
camionneur
que
fils
d'immigr).
Ce que nous disons
du
processus
de cration d un
nouvel objet de con
trle est illustr
par
une affaire rcente.
Des gens bien intentionns ont fait
paratre un ouvrage : Suicide,
mo e
d emploi, qui
est devenu
un
succs
d'dition. Des voix de spcialistes,
psychologues
et
mdecins
se
sont
leves
contre,
ce qui tait leurs
yeux,
une
intervention aventuriste
dans le champ des suicidants,
mot
lanc
pour
l'occasion. S'il est vrai
qu une
socit qui interdit ses mem
bres de
mourir
se disqualifie, on .peut
trouver
douteux
ce besoin d'offrir aux
autres la possibilit d une
mort
douce.
e
besoin de lnifier
qui
fait appeler
non-voyants les aveugles,
qui
fait pren
dre des cachets contre l'angoisse
et
occulter
la mort,
ce besoin est
l un
des
plus inhumains que
notre
monde
inhumain ait
produit.
Si le suicide
devait avoir
un
sens ce devrait tre
celui
d une
rupture et d un scandale.
En
offrant
la possibilit de mourir
en douceur,
on
se
contente
de prolon
ger
jusqu
la
mort
cet
tat
de som
nambulisme dans lequel
la
socit
moderne plonge la plupart de ses
membres, et qui est le seul remde
qu'elle propose aux souffrances qu'elle
fait natre.
A la faveur des dbats suscits
par
le succs
d dition,
les spcialistes,
les pouvoirs publics, les militants
et
les
candidats au suicide se runiront
peut-tre quelque
jour
dans
une
structure de dialogue, afin de
mettre
fin aux excs des suicides sauvages.
Dans 1 hypothse
o
l'Etat prendrait
en charge la liquidation des dsesprs,
le Parti socialiste, restreignant son
programme un objet plus sa por
te, pourrait se vanter, faute d'avoir
chang la vie, d'avoir chang la mort.
Aujourd'hui,
Arthur
Rimbaud qu
terait-il son identit au MLH
ou
au
Front
de libration de Charleville
?
Il y
eut un
brasier potique,
un
trafi
quant
d'armes,
l amant
de Verlaine
et
de l un
l autre, point
de solutioR
de continuit, mais
une
ralit contra
dictoire
et
fluide comme la vie.
L'essentiel de ce qu'il a transmis
jusqu
nous
par
le canal de la culture n'appar
tient pas ses papiers d'identit, ni
mme ce corps, ou cet inconscient
produits comme objets d'tudes ainsi
que
tant
d'autres objets du pouvoir.
L'artiste, aussi bien que le capitaine
d'industrie
ou
que le
chef
militaire ou
politique,
n auront
t que des figures
transitoires. Avec son aura
d homme
de lettres, le prsident franais a
un
petit air vieillot bien de chez nous.
Qu un
individu comme Reagan, ancien
cow-boy de cinma devenu expert en
petite cuisine politicienne mais rest
Un crtin notoire dans les questions
conomiques
et
internationales,
qu un
.individu pareil se trouve plac la
tte de la plus puissante nation du
monde
et
qu'il y remplisse son rle
sans difficult, dmontre s'il tait
encore besoin de le dmontrer, que
les chefs d'Etat ne sont plus depuis
longtemps
que
des rouages comme
les autres, aussi peu puissants que
les autres,
et dont
la principale fonc
tion
est
d offrir une
image. Dans le
monde moderne, il
n y
a plus que des
rouages anonymes
ou
des vedettes
galement interchangeables lisez
n importe
quelle ptition, vous
verrez bien
qu une
fois accept dans
les mdias, le parvenu du sport,
tout
autant
que celui de la philosophie,
a dsormais son
mot
dire sur le
destin de ses semblables. De fait,
quand
on
voit o en sont les philo
sophes,
q
regrette qu'il
n y
ait pas
davantage de foutebolleurs
pour
parler
leur place.
Jeune vedette connue
pour
avoir
tir les cheveux de la vieille vedette
Aragon, Daniel Cohn-Bendit est revenu
en France pour apprendre Jos
Artur et
Ivan Leva, porte-coton
des vedettes, qu'il existe en France
un
mouvement alternatif. Dans la
mauvaise traduction de la langue
de l'imprialisme dominant qui sert
de langage
tant
de nos contempo
rains, un mouvement alternatif,
cela ne signifie pas, hlas, un
mouve-
.
ment qui
n'apparatrait que de temps
en temps, mais bien
un
mouvement
pour
une vie diffrente. Ces jeunes
gens diffrents habitent des logements
diffrents avec leur famille diffrente
qui se
fournit
dans des boutiques
diffrentes. Ils
ont,
merveille des
merveilles, rcemment fond une
banque diffrente. Mais dj les
femmes - diffrentes - de leur
mouvement, songent fonder une
banque - diffrente - des femmes.
n
se prend rver
du jour o
des
7
homosexuels diffrents viendront
commettre
un braquage diffrent
dans cet tablissement. Qui les jugera,
s'ils se font prendre ? On serait
tent
de suggrer ces braves gens de fonder
une espce d institu i6n charge de
rgler les ... diffrends qui pourra ient
surgir entre les diffrents groupes de
leur mouvement. Une sorte de super
groupe, quoi. Ils pourraient appeler
a
un
Etat,
par
exemple: Faut-il prci
ser que
cette
bouillie
pour
les chats
nous laisse, au mieux, indiffrents ?
Les malheureux norformistes qui
s'expriment dans Libration et ailleurs
ne se sont pas encore aperus que la
socit de leurs rves, avec ses com
munauts dfendant leur identit, ses
groupes de pression revendiquant une
spcificit sexuelle
ou
autre,
cette
socit existe : c'est la nation qui s'est
construite sur le gnocide des Peaux
Rouges, l'esclavage des Noirs et l'ex
ploitation forcene d une
partie de
son propre peuple. C'est la nation
dont la richesse est garantie par la
misre des deux-tiers de
la
plante,
ce sont les Etats-Unis d'Amrique.
L-bas,
en
effet, les Hispano
Amricains,
par
exemple,
ont
dj
ralis le rve des Radio-J
et
au tres
Frquence-Gay. Ils
ont
c o n s ~ i t u
un
milieu socio-culturel unifi
d abord et
avant
tout par
l'change marchand
d'objets
et
de signes
:le
rseau
Spanish
International
(possd
~ r o i s ~
arts
par
une chane
d Etat
m e X i c a i ~ est
devenu une puissance tlvis'uene.
comparable aux trois grands rseaux
privs des Etats-Unis.
La fascination de l'intelliget'itsht
franaise pour les tats-Unis s'explique
sans
doute
par
une attirance
qui
refuse
de voir
tout
fait
que
l
est bel
et
bien l objet du dsir.
e pays de l'extrme modernit
leur
montre
d'ailleurs
un
avenir
possible. Les vtrans de divers no
rformismes s'y intressent
un
phnomne qu'ils s'efforcent d'orga
niser sur une base populaire
et
librale:
les comits de surveillnce de voisins,
milices de quartiers qui
combattent
la dlinquance en liaison avec les for
ces de l'ordre officielles. Aux derniers
. militants franais en mal de luttes,
nous, conseillerons vivement d'viter
de s'aventurer dans l'autogestion de la
police. Ils risqueraient
un
jour
d entrer
en collision avec la ralit sociale ou
de dcouvrir, au cours
d une
de ces
crises de conscience auxquelles ils nous
ont
habitu, qu'ils
sont trop peu
diffrents de ces
SS
qu'ils traitaient
autrefois de CRS. S'ils divaguaient au
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LA BANQUISE
point
de
se
vouloir noflics, nous les
inviterions avec la dernire nergie
rester franais, dfendre la catgo-
rie la
mode
sur
notre
sol : celle des
suicidants. Et puisqu ils cro ient
la
vertu de l exemple ...
Dans un monde domin par l co
nomie, deux tendances
se
confortent
en
se
contredisant : la massification
et
la concurrence, la rduction des vies
humaines des quivalents abstraits
et
la
production
exponentielle de
fausses diffrences concurrentes. Con
tre l universalisation rductrice, la
revendication
d une
identit ne peut
tre que ractionnaire
et
sans avenir
ou l avant-garde du capital et pro
ductrice d un nouveau rle dans son
spectacle. Dans ce monde monstrueux,
vouloir tre homme, c est
se
poser en
monstre : c est refuser
d tre
Franais,
mais aussi Breton, antiquaire diffrent,
pisseur
debout
ou couch, intellectuel
ou jeune
cadre. C est refuser de s Iden
tifier quelque rle social que ce soit,
y compris celui d ouvrier. Car,
si
la
lut-
te de classes reste le
moteur
de l his
toire, ce n est pas en revendiquant
un meilleur
statut
dans la socit
actuelle que la classe ouvrire devien
dra la seule communaut laquelle
nous nous identifions : une classe de
la socit civile qui
n est
pas une
classe de la socit civile ;
qui
ne
revendique pas
un
droit particulier
parce
qu on n a
pas commis envers
elle
une
injustice particulire mais
l injustice
pure et
simple ;
qui
n est pas
en opposition particulire avec les
consquences, mais
ea
opposition
globale avec les prsuppositions de
pouss
jusqu
la caricature la logique
des Gros Cocos qui rgnent sur le
monde. En l occurence, les intrts
de son gouvernement ne se confondant
point avec les intrts de
tout
le camp
occidental, le
chef d tat
isralien
n a
pu
imposer que les mdias reprennent
sans
murmure
le terme de grigno-
l tat
prsent du monde ; une sphre
de la socit qui ne
peut
s manciper
sans s manciper de
toutes
les autres
sphres et
par
l les manciper toutes ;
perte totale de l homme qui ne
peut
se
reconqurir
qu
travers la rac
quisition complte de l homme. Cette
communaut des hommes qui agissent
pour
dtruire le mode de production
capitaliste, c est le
proltariat.
Mots des monstres et
maux des hommes
-
Mais :
gloz.re , ne
szgnzfz e
pas : un bel argument sans
rplz.que
-
Quand,
moz,
j emploze
un
mot
dclara le Gros Coco d un
ton assez ddazgneux,
z1 veut
dire
exactement ce
qu
z1 me
plat
qu
z1
veuille dz.re.
nz
plus
ni
mozns.
--
La question est de savoir si
vous pouvez
oblz ger
les mots
voulozr dire des choses diff-
rentes.
La question
est
de savoir
qui sera le matre,
un
poz nt
c est
tout.
(Lewis Caroll, Ce
qu Alice trouva
de l autre ct du miroir, traduction
de Jacques Papy)
E n prtendant
interdire
qu on
parle
d offensive gnralise quand ses chars
envahissaient Beyrouth-ouest, Begin a
tage. Il faut prendre au srieux les
chefs
d tat
pittoresques
dont
les
joUfilalistes
font
leurs choux gras :
quand
Kadhafi annonce grand
fracas qu il va liquider ses opposants
rfugis l tranger,
l n a
que le
tort
de
donner
de la publicit
une
prati
que devant laquelle maints gouverne-
8
ments dmocratiques
n ont
pas recul.
Quand Amin Dada tranglait de ses
propres mains, l
commettait
l erreur
de
se
les salir, la diffrence
d un
Mitterrand qui se
c o n ~ n a i t d tre
ministre de la Justice
quand on
dca
pitait des rebelles algriens. De mme,
le terrorisme verbal d un Begin n est-il
que l aspect voyant
d un
phnomne
universel : le sens des mots est le fruit
d un
rapport de force, leur sens domi
nant
est toujours le sens que lui
ont
donn
les forces sociales dominantes.
C est parce
que
nous pensons
que
le communisme est possible,
et qu il
est radicalement tranger au sens que
les bolcheviks
et
les staliniens
ont
donn ce
mot,
c est parce que nous
pensons cela
que
nous prenons la
peine de parler. Une telle pense
n a
pas
attendu
nos cerveaux
pour
se
former. La rupture de soixante-huit
a permis le ressurgissement des l
ments
d une
thorie proltarienne
pilonne
par
cinquante ans de contre
rvolution social-dmocrate et stali
nienne. Notre effort critique se situe
dans la ligne de ce
qu on
appelait
vers 1840 le communisme thorique,
qui a
connu un
renouveau
un peu
par
tout
dans le
monde
au cours des
quinze dernires annes. Si, contre la
prtention
des
tenants
de divers capi
talismes d tat se
nommer
commu
nistes, ne s est pas impos
un
retour
au sens originel, subversif, de ce mo.t,
c est que
toute
la question de la ralit
ou de la non ralit
du
sens
d un mot,
isole de la pratique,
une
question
purement scholastique. Seule la vie
relle permet un sens et la pratique le
vrifie. Il a fallu l crasement des
soulvements proltariens qui
ont
s uivi 1914-19 18, il a fallu la terreur
des polices et le dcervelage par les
mdias,
pour
que ce
mot en
vienne
dsigner son contraire. Il faudra des
luttes longues
et
difficiles
pour
que
le communisme s affirme dans la pra
tique, et
qu on
le reconnaisse
pour
ce
qu il est : abolition du salariat et de
la production marchande, et donc de
l tat
et
de toute conomie.
Aucun centre rie dtient le mono
pole
d une
vision thorique subversive
qu il lui suffira ensuite de diffuser dans
les masses. t conscience ne
nat
jamais en premier, elle ne prcde pas
l action. C est parce
que
le mouvement
communiste est encore dans les limbes
qu il ne s est manifest
thoriquement
qu
travers des groupes
dont
le man
que d effectifs
n tait
ni la seule, ni l
principale faiblesse. Comprendre leurs
(lpports et leurs limites sera
un
de nos
7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983
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points de dpart (dans
un
prochain
numro,
on
lira une critique de l Inter
nationale situationniste).
Parce que les crits signalent
l avance
et
les limites de la pratique,
la critique des textes est insparable de
la critique
du
prsent. La citation de
Roger Gilbert-Lecomte a au moins le
mrite de montrer ce que d autres
crits que nous citerons, montreront
aussi : dans notre monde qui cultive
l amnsie slective, maintes nouveauts
sont en ralit en rgression par rap
port
des ides
ou
des pratiques
anciennes. Si nous voulons parler de
notre poque, ce ne sera pas
pour
nous
perdre dans l actuali t, ce f lux de
pseudo-vnements
et
d vnements
vrais slectionns suivant
une
logique
qui n'est pas la ntre. Ce que nous
disions plus
haut
sur la rduction du
temps
un
droulement linaire
s applique
tout
particulirement au
mode de fonctionnement des mdias.
La
Banquise n'est
pas
un
nouvel or
gane de presse.
La presse politique
ou
d'opinion
s puise dans l instant. Elle est bien
fille de l'poque moderne, en ce qu elle
se dvore elle-mme, Moloch sans
mmoire
et
sans pass. La presse
politique se nourrit de scandale.
Quand
France-Soir
parle des terroristes,
l Humanit
des ouvrires surexploites,
quand, propos de l crasement de
la Fracti on de l Arme Rouge
par
l Etat allemand,
Libration
titre : La
guerre des monstres, la dmarche est
identique : profiter du choc cr chez
le. lecteur pour
passer son message, par
ler de
l'effet
de faon ne pas traiter
la cause.
Charlie-Hebdo
ne procdait
pas
autrement
: il prenait chaque se-
maine
un
fait divers ou
une
nouvelle
choquante
et
le
ou
la retournait
avec cynisme. Ce qui aurait pu tre
clairant
et
subversif devenait, force
de rptition,
un
procd
dont
l'effet
dcapant se
perdit
et
qui se transforma
trs vite en entreprise
d'accoutumance
l ignoble. L'humour permet de dire
et
de saisir bien des choses. Cultiv
systmatiquement, il
tord
tellement
le rel,
qu'on n'y
comprend plus rien.
Il
n'en
reste
qu'un moyen
de
supporter
l'horreur du monde dans une drision
de
tout et
de tous, y compris de soi.
Cela dit, nous
n'en
sommes que plus
l aise
pour
faire remarquer l extraor
dinaire hypocrisie de la
condamnation
de
Hara-Kiri pour
ses plaisanteries sur
la catastrophe a:utoroutire de Beaune:
l insulte la douleur
tait du ct
des
photographes qui se battaient
pour
mettre dans la
bote
les larmes des
parents,
plutt
que
du
ct
d'un
jour
nal qui se contente de rire de tout.
Nous pensons nous aussi qu'on a le
droit de rite de
tout, que
c est mme
une des forces des humains de plai
santer des pires malheurs. Mais nous
n avons pas envie de rire sans cesse :
ce monde n'est vraiment pas assez
marrant. Une des conditions de com
prhension du monde qui nous entou
re est de ne pas cultiver avec lui une
relation de scandale, ou
.de
ricanement
(si nous .
i ~ n o n s
de lui, il
se
moque
de nous).
A quoi servent les effets spciaux
du spectacle ? A ne pas voir ce qui
crve les yeux. Un monde libre qui
ne l est pas plus que les Commu
nistes ne sont communistes. Des
rformateurs (PS
et UDF)
et
des
conservateurs (PC
et
RPR} galement
capitalistes, mais tous incapables de
rformer ou de conserver autre chose
que ce qu'autorisent les mcanismes
capitalistes. Des progressistes qui
ont
tout
soutenu, surtout des chefs d'Etat,
et
dnonc comme allis objectifs du
Pentagone ceux qui comme nous ne
se
reconnaissaient pas
(et
ne se recon
naissent toujours pas) dans les mouve
ments de libration nationale. Des
ex-staliniens comme les Daix, les
Desanti, les Garaudy, les Sollers, qui
se font
un
plaisir,
un honneur
et une
nouvelle carrire de raconter en dtail
jusqu' quels bas-fonds ils sont descen
dus. Des figures emblmatiques de
l intelligence franaise comme Sartre
qui
n'a pour
ainsi diro jamais rat une
nerie ds
qu'il
a prononc
un
juge
ment
sur son temps. Une presse
et
des
consciences qui prsentent rgulire
ment
les terroristes comme une
menac mortelle
pour
l'humanit,
alors que le
monde
repose depuis
Photos tmoignages
Dans le cadre du mois de la photographie, le
grand Prix Paris-Match du reportage pho
tographique a t attribu Gilles Ouaki
trente-six ans, reporter au Parisien Libr.
Juif pied-noir, comme il se dfinit lui-mme,
il a tmoign d une belle conscience protes
sionnelle et d un sens aigu de l histoire
en
photographiant les scnes atroces de
l at
tentat de la rue des Rosiers, prfrant
aux
larmes et aux cris le tmoignage silencieux
de l image, qui survi t
la douleur et
la
colre. Ces photos, dans leur brutalit, sont
actuellement exposes au 56 tage de la
.Tour Maine Montparnasse avec celles
de
nombreux autres photographes, slection
nes-pour ce prix du reportage. Jusqu au 16
janvier. Tlj de 10h
22h. Entre: 15
F
tarif
rduit: 9
F.
Pariscope
du mercredi 24 au mardi 3 )
novembre.
9
LA BANQUISE
trente
ans sur
l
quilibre de la ter
reur nuclaire ..
Si
l'on
veut
voirl'horreur du
monde,
il
suffit de
se tourner
vers les mdias :
ils ne la montrent pas, ils en sont cons
titutifs. La vraie
horreur.n'est
pas que
des Noirs btonnent d'autres Noirs
quelque part en Afrique mais qu'on
en fasse
une
affiche publicitaire
avec cette lgende : Lisez
Actuel
vous serez tonn.
La vraie horreur de notre monde, la
vraie dgradation n'est pas
qu'on
meurt
de faim : on ne
peut
pas exclure
absolument la possibilit de famines
locales, mme aprs la disparition
du
capitalisme(
L inhumain de
notre
vie
se.
manifeste 'en ceci qu'une partie
de \
l espce humaine
regarde
l'autre
mou-
rir de faim sur
un
cran. L'horreur
profonde est
notre
dpossession de
nous-mmes. Les proltaires modernes
en arrivent au point o mme leurs
sentiments, leurs motions, sont pro
duits extrieurement leur vie, puis
leur sont transmis par des relais sur
lesquels ils
n'ont
aucun pouvoir. Qui
contrle la tlvision ? Politiquement,
le pouvoir en place. Mais, dans sa
nature profonde de mdiation entre
la vie
et
le spectacle, personne. Qui a
tu
les enfants de la catastrophe de
Beaune
?
Personne. Le capitalisme est
le systme qui a rendu les activits
productives et ducatives
Si
pnibles,
qui les a ce
point
spares des autres
sphres de la vie, que,
pour
la premire
fois dans l histoire humaine, est apparu
ce besoin trange
et
vide : le besoin de
vacances. Le capitalisme est le systme
qui a surdvelopp la circulation 2Uto
mobile
jusqu'
ses consquences les
plus absurdes
et
les plus meurtrires ;
le systme qui produit les photographes
de
Paris-Match
survolant en hlicop
tre le cimetire o l'on enterre les
enfants victimes de l industrie auto
mobile
et
des vacances. Le capitalisme
est le systme
qui produit
les
yeux
qui
ont
besoin
du choc
des
photos et qui
fait plier les esprits sous le poids des
mots.
Le capital est
un
rapport social qui
se nourrit
de la
mort
de millions
d'hommes
et
organise sa mise en image
pour
des millions d autres. Aux uns
comme aux autres, il vole leur tre.
C est ce qui a t quelque peu perdu
de vue, et qui tait
pourtant
l essentiel,
lorsque,
il
y
a
deux
ans,
cette
question
fut
agite dans les mdias : des cham
bres gaz ont-elles fonctionn dans les
cmps de concentration nazis ?
Face tous ceux qui l ~ s s u r e ~ t
et
aux quelques uns qui rclamaient
7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983
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LA
BANQUISE
qu on les laisse expliquer le contraire,
nous affirmons que ce qui nous proc
cupe davantage, c'est qu'il en existe
aujourd'hui dans la plus grande dmo
cratie du monde, les tats-Unis. e
qui importe, bien plus encore, c'est
que les chambres gaz existent dans
la
tte
de nos contemporains comme
image d une
horreur
radicalement
plus horrible que toutes celles
que
produisent le monde moderne et le
cur mme de ce
monde,
la dmocra
tie capitaliste. Le monde moderne met
en scne la misre et l'l1orreur qu'il
produit
pour
se dfendre contre la
critique relle de cette misre et de
cette
horreur. Cette mise en scne
entretient
et
conforte
le besoin d'ex
clure
et
d'liminer
une
partie des
membres du corps social, besoin qui
est lui-mme la matrice de
toutes
les
horreurs. Les camps de concentration
sont l enfer d un mon e ont le
paradis est le supermarch.
On dit avec raison
que
les pays du
tiers-monde
sont
forcs de vivre
l tat
d'assists. Que penser des pays
dvelopps ? La majorit de la popula
tion (pas plus :ne
sont
pas du
nombre,
par
exemple,
une
grande partie des
vieillards, aux tats-Unis, comme en
France), est peu prs assure d tre
correctement loge, nourrie, vtue,
soigne. Mais
cette population
a rom
pu pour de
bon
avec toute possibilit
de production de sa propre vie. A
commencer
par
des ralits fort sim
ples : quel ouvrier ou employ pourrait
aujourd hui produire, seul ou en grou
pe,
sa nourriture, son habitat, quitter
son lieu de vie pour un autre ? Le
capitalisme
moderne
a
triomph l
o
les bourgeois, les partis ouvriers, les
militants, les curs, les enseignants
nous rptent
que
nous l'avons huma-
nis, amlior par
rapport
au XIXme
sicle : il s'est rendu indispensable, il
a cr
un monde o l on
ne
peut
vivre
sans argent et
donc
sans salaire (direct
ou social), il a fait de nous des assists,
l a
coup
toutes racines, l a difi
un
monde son image o les marchandi
ses se contemplent indfiniment dans
ces interM.DIAires obligs que sont la
politique, la tlvision, la presse, l art,
la philosophie, etc ..
Jamais l'espce humaine
n a
t
aussi dpendante. Tous les lments de
notre vie
nous sont
dsormais apports
par
le capital et son tat. L est le
totalitarisme le plus implacable, celui
auquel nul n'chappe, parce qu'il est
tendu
toute
la plante - hors du
mode
de production
capitaliste,
point
de salut. Les m i s r e u ~ des bidonvilles
du
tiers-monde en savent quelque
chose. Quand le capital ne peut int
grer - salarier - des populations, l les
clochardise.
Le handicap, nouvelle
catgorie, nouveau statut dans le mon
de
moderne,
en passe de devenir en
France la premire minorit (avant les
Algriens), est le
citoyen
idal de
l'tat moderne.
Il
a toujours besoin
d'assistance, de
protection,
d'aide
sociale, et peut tout de mme travil
ler : le travail est mme
sa
faon de
prouver son humanit.
Au sein de ce totalitarisme-l,
lutter
pour les droits de
l homme
signifie
sauver quelques vies en renforant
1 idologie justificatrice de 1asservis
sement de plusieurs milliards de vies.
Par cette affirmation qui attaque de
front l'idologie de notre temps,
nous
nous exposons aussitt une mise
l cart
totalitaire. On
nous
appliquera
des qualificatifs, des mots-ftiches, qui
visent non pas critiquer, mais faire
taire. Pourtant, il nous faut prciser :
nous ne sommes pas dmocrates.*
Qu'est-ce dire ? Nous ne sommes
certes pas partisans
d un ordre
muscl,
cela n aura pas chapp au critique le
plus malveillant ou le plus inattentif.
Si
nous
voulons dtruire les prisons, ce
ne sera pas pour les reconstruire, m
me
plus vastes et plus ares. Et
c est
cela mme que nous reprochons aux
socits rgime dmocratique :
tre
des prisons plus vastes
et
mieux
ares et tirer toute leur justification
du fait
que
les prisons d ct
sont
troites
et
sombres. Nous ne nierons
pas pour autant que, au moins pour
une fraction de sa population, la
dmocratie prsente quelqus avanta
ges indniables :
par
exemple, lisser
paratre La Banquise sans grand risque
(pour l instant)
pour
ses auteurs. Mais
l'Est, on ne peut rien dire,
l Ouest,
on peut tout dire mais a ne sert
rien.
C'est prcisment parce
que
nous
voulons que
chaque
individu ait la plus
grande matrise possible sur
sa vie,
que
la matrise individuelle de
chaque
vie
ne s'oppose pas (et suppose au con
traire) des relations avec d autres vies,
parce que nous voulons que l'espce
humaine
tout
entire matrise son
histoire, qu'i l
nous
faut bi en voir com
bien est limite et gnratrice d'illu
sions la
qute
de garanties juridiques
la libert individuelle dans
un
monde
qui n'autorise que ce q u a u t o r i s ~ n t les
mcanismes capitalistes. Qui oserait
nier, par exemple, que la libert d'ex-
Le paragraphe
se
termine
ici, permettant
toutes les manipulations crapuleuses. Hros
de la
dmocratie, vos plumes
10
pression est
un
droit qui recouvre des
ralits trs dissemblables, selon que
ce
droit
s'applique un quelconque
basan ou bien
un
journaliste ra
ciste ? Tant que les
moyens
la
porte
de l un et de
l autre
seront aussi in
gaux,
nous
continuerons
de trouver
utile
et
souhaitable
toute
entreprise du
basan qui viserait restreindre la
libert d'expression dudit journaliste.
Pour faire mentir la sentence dsa
buse
sur
ce qu on peut dire l Est et
l'Ouest,
pour
que ce que
nous
disons
serve quelque chose, il faudra
que
la
ralit
tende
vers la thorie, c'est-
dire que se dploie une dynamique qui
n a rien voir avec les mouvements de
l'lectorat. Si elle ne doit pas reculer
devant la critique des armes, la rvolu
tion communiste n est pas
pour
l'es
sentiel
une
opration
militaire. On ne
dtruira pas l tat en l affrontant sur
son terrain. e n est pas une loi dmo
cratiquement vote ni non plus l'acti-
Quelle ait votre m._.
thode t
n systme
carcral
dmocratique, bas 8ur
l'au
togestion.
Ce
qui
permet
. aux
dtenus
-d'avoir une vie
sociale
peu
prS
identique
celle qui
les attend
l extrieur.
Aprs
tout, ce
sont eux qui font
tourner
1a
prison
:
nourriture,
blan
chissage, chauffage, comp-
tabilit, agriculture lev
Qu'ilS-
se. mettent en
grve et fout s lllTte.
Le
grdiens
ne ontrlent
que
ls procduresde routine, et
let
directeur
n
est. qu un
gestionnaire.
Interview
d un
ancien direc
teur de prison de l'Illinois
par Libration, 14 janvier
1981.
vit de commissaires du peuple qui
mettra fin au dlire automobile ; c est
bel
et
bien
l arrt de
l'industrie auto
mobile et sa reconversion ventuelle
dans
une
activit productive moins
stupide - arrt et reconversion qui ne
peuvent
tre
que l'uvre des produc
teurs eux-mmes. Ce n est pas une cen
sure
tatique
qui
mettra
fin aux activi
ts des vautours de Paris-Match, c est
l'utilisation par
d autres
qu eux des
moyens t e c h n i q u ~ s
dont
ils
ont
la
proprit privativ. C'est en utilisant
les richesses matrielles immdiatement
disponibles que les proltaires pour
ront
supprimer
la sparation
entre
activit productive
et
ducative, qu'ils
pourront
dtruire les clapiers
o
on
les entasse
pour
retrouver le bonheur
d habiter quelque part, qu'ils
pourront
dcouvrir
pour
eux
et
leurs enfants le
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Les films de gu.erre nazis sont pau
vres en dtails techniques, ils illustrent
une nergie, une volont. Les films
amricains
montrent l union
d hom
mes et de machines. On ne fera jamais
plus la guerre
pour
la seule patrie, mais
aussi
pour
les conqutes sociales
et
la
libert. Les thmes bellicistes subissent
une double transformation : ils sont
.repris par tous les partis, et enrobs de
dmagogie sociale. En septembre 1939,
si l on excepte la Pologne plus arrire,
les pays belligrants (Allemagne nazie
comprise) ne sont pas le thtre des
scnes d enthousiasme chauvin
qu on
avait vues
en
1914.
La socit capitaliste a commenc
par dvelopper des structures l int
rieur desquelles certaines valeurs et
certaines pratiques
taient
prserves :
cole, arme, domaine culturel, etc.
Chacun de ces systmes institution
nels
et
intellectuels entretenait un
aspect distinct de la vie sociale. Cer
tains, comme l cole,
ont
t longs
s imposer. Aujourd hui, ayant
tout
en
vahi
et tout
absorb, le capital lui
mme remet en cause la sparation
entre ces domaines. La socialisation
capitaliste unifie les activits
et
les
modes de vie : les fonctions de ces
structures (ducatives, rpressives,
etc.) se
rpandent partout. Toujours
l avant-garde
du
capital, la critique
gauchiste dnonce
la
sparation de la
structure mais pas
sa
fonction
et
exige
sa prise en charge par tous : fusion
cole-socit, art populaire, libert des
murs, autogestion, autocontrle,
droits
et
syndicats dans l arme.
Le militarisme traditionnel s efface,
mais l arme ne
peut
pas plus perdre sa
spcificit militaire que l tat ne peut
se dissoudre dans la socit. L arme
ne
peut
devenir
tout
fait une gigan
tesque entreprise dans laquelle
on
fe
rait son boulot plus que son devoir.
Mais il lui faut vivre en symbiose avec
la vie civile, non
pour
la contrler,
mais pour garantir la continuit
d un
support technique de plus en plus
large. Incapable de vivre sur elle-mme,
elle a besoin de la socit. Elle
tente
aussi de s en manciper.
De
mme que
l tat tend absorber la socit entire,
l arme tend devenir un monde en
soi, avec ses moyens de transport, de
ravitaillement, son
carburant,
etc.
Les socialistes d autre fois s imagi
naient avoir raison de la guerre en in
trodui sant dans l arme le plus grand
nombre possible de conscrits socialis
tes, comme ils croyaient conqurir
l tat
en
envoyant beaucoup de dpu
ts
s o c ~ l i s t e s
sur les bancs
du
parle
ment. Engels escomptait un clate-
ment
du militarisme
par
l intrieur
grce aux appels socialistes (c est
-dire aux lecteurs
du
SPD).
Vers 1900, l arme ( ... ) sera socia
liste dans sa majorit (. ) le gouverne
ment de Berlin (. .. ) est impuissant.
L arme lui chappera.
Le nationalisme d un Jules Guesde
(patriote jusqu en 1895, puis de nou
veau aprs 1914) est assez fruste et
colle au bellicisme de l poque. Jaurs
dpasse son temps ; dsireux de rdui
re
l cart entre
arme
et
nation, il
annonce l volution ultrieure.
Tout
ce
qui tend rapprocher l arme du peu
ple contribue implanter mieux enco
re le capitalisme dans la vie sociale.
Tous les partis sont favorables la
dfense nationale. En 1975-76, lors
des poursuites engages
contre
des an
timilitaristes, on a vu la dfense finir
par nier leur antimilitarisme
(
l excep
tion des inculps du P.C. I nternational
qui se dclarrent partisans d un anti
militarisme de classe). Faut-il citer les
prises de position du PCF en faveur de
l arme nuclaire, du .PC italien en fa
veur de l OTAN, garant d une exp
rience socialiste en Europe occiden
tale?
Les divers projets de la gauche et
des gauchistes qui tous, sous divers
prtextes opposs;
tendent
rappro
cher
l arme
de la
population,
repr
sentent
un
daiJ,ger, mais pas parce
qu ils pourraient ventuellement tre
raliss. On ne risque pas de voir
l arme en autogestion. Ici encore, la
gauche
n a
_pas
pour
fonction de pro
poser
un
rel programme au capital,
mais de faire tenir les gens tranquilles,
d tre une force d englobement des
contestations qui viennent s y perdre
et y mourir.
Il est en
effet
ncessaire d accrotre
la confusion de manire ce
que
tous
ceux -
et
ils sont nombreux - qui
refusent la guerre, n y comprennent
plus rien, voire
entreprennent de
la
combattre sous la houlette
d un
quel
conque groupe politique qui, en fait,
accepte la guerre. La guerre serait
donc
ventuellement accepte alors que tant
d idologies sont compltement dva
lues ? La question ne se pose pas
tout
fait en ces termes. Le capitalisme
moderne ne se passe pas d idologie,
mais
l
ne justifie plus sa nature
et
ses
actes comme le faisait celui de 1914. Il
se
contente
d tre
et
voil
tout.
La
guerre arrivera ;
on
la fera
d autant
mieux que seule une minorit combat
tra
; le reste aura affaire la police
et
la gendarmerie.
Au front, au combat, l enthousias
me patriotique cde la place .comme
19
LA
BANQUISE
moteur de l action la ncessit
pragmatique de survivre en faisant ce
qu il y a faire (cf. le rcit des deux
mutineries dans u connatras des
jours meilleurs de W Groom, sur la
gJlerre
du
Vietnam), voire n envoyant
d autres
faire
sa
place le boulot le
plus dangereux (cf. la scne
du
dbar
quement
dans The Big ed One de
Fuller). Le chauvinisme contribue
faire partir les gens au front ;
l, une
autre logique les prend. L idologie ne
mne pas le monde.
Certains films de propagande de
l entre-deux-guerres annonaient l vo
lution : on
n y
glorifiait plus la guerre,
on
n y
accablait plus l ennemi,
c tait
la guerre elle-mme qu on justifiait,
et non plus ses justifications. Quand la
guerre vient, sa meilleure justification,
celle
qui emporte
la dcision, c est son
existence mme. Il
n en
demeure pas
moins que l une des difficults du capi
tal est de faire surgir devant nos
yeux
le monstre qui
permet
de dlimiter les
camps. Toute activit qui contribue
gripper ce mcanisme est subversive -
quand bien mme elle n empche pas
la guerre, elle prpare un sursaut ult
rieur.
Le dfaitisme rvolutionnaire
En
1868, le congrs
de
Bruxelles de
l AIT prconise de faire cesser le tra
vail au cas o une guerre viendrait
clater dans les pays respectifs
de
ses
membres. Marx critique la
sottise(.
)
de vouloir faire la grve contre la
guerre. Comment,
en
effet, empcher
la consquence d un mouvement social
capitaliste sans dtruire ce mouvement
lui-mme?
Quant croire que la survenue
d une ralit aussi affreuse que la guer
re provoquerait enfin
une
raction
de rejet que
n aurait
pas provoque
l exploitation normale de la priode
antrieure (parce que pas suffisamment
affreuse
justement),
c est de l ida
lisme pur, du pacifisme. La rsolution
de 1868 ne fut pas applique
et
ne
pouvait videmment pas l tre. Devant
la propagande de guerre prsente
et
surtout
venir, on ne
peut
raisonner
ni agir comme si
la
guerre devait tre
une catastrophe sans prcdent
pour
l humanit. Elle le sera peut-tre (en
core que les guerres puniques
pour
Carthage, la guerre de Trente Ans qui
liquida
un
tiers environ de la popula
tion allemande constituent probable
ment des prcdents). Mais on ne peut
raisonner ni agir partir de l ide que
la guerre serait une catastrophe. Car
c est l image mme de cette horreur
7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983
22/68
LA BANQUISE
qu il
s apprte
dclencher que le
capital utilise comme pivot de la pro
pagande de guerre. Le choc cr
par
sa
seule
vocation
est
la condition
premire de la domestication mentale ;
en tat
de
choc, on acceptera
n impor
te
quoi
et,
prcisment, la ralit
dont
la seule image avait suffi
crer le
choc.
On
serait presque
tent de
rpondre
la
propagande
sur le dan
ger de guerre : Mais allez-y, faites
la Vous avez peut-tre plus y
perdre que nous.
Car c est aprs le dclenchement de
la guerre que quelque chose peut se
jouer -
pendant
le conflit
ou
aprs le
retour de
la paix.
Et
la guerre
n est
pas
uniqu m nt synonyme de souffrance
pour
les proltaires.
Pendant
la Deu
xime Guerre mondiale, si des soldats
amricains
mouraient
au
front,
les
salaires rels des ouvriers amricains
augmentaient
nettement et
le chmage
diminuait.
En
1914-18, au contraire,
la hausse des salaires aux tats-Unis
compensait peine celle des prix.
Dans l tat gnral d essoufflement
du
apital,
l
est probable
qu un
conflit
entranerait une
baisse gnrale
du
niveau de vie. Mais la guerre
n est
pas
l arme suprme
du
capital, elle rveille
les contradictions sociales tout autant
qu elle les touffe.
e
qui empche de
prvoir les for
mes concrtes
du
dfaitisme rvolu
tionnaire dans
une
guerre gnralise
de l avenir,
c est
qu on
ignore les for
mes que revtira cette guerre elle-m
me. Personne
ne sait comment s imbri
queront les stratgies des camps en
prsence, sous la pression des circons
tances,.
pour aboutir
tel
ou
tel degr
de nuclarisation,
d extension
gogra
phique, et ainsi de suite. Il est vident
que c est le degr
atteint qui
dtermine
ce
qu il
est possible de faire
contre
l effort
de guerre de
son
pays.
Ce
qui
est sr,
c est que
cette
guerre
faite
surtout par
des professionnels,
offrira moins d occasions de fraterni
sation
et
subira moins l influence de
l arr ire . Mais
l
ne faut pas
non
plus
surestimer le professionnalisme des
militaires. L URSS est
apparemment
intervenue
en
Afghanistan avec des
appels,
et
les fusiliers-commandos
franais susceptibles d agir partir
de Djibouti
sont eux
aussi des appels.
De
toute
manire, force est de consta
ter
que
les armes de citoyens
ont
tou
jours
fait preuve
d une
remarquable
endurance
et
d une vive rpugnance
fraterniser avec ceux
d en
face. Les
armes
qui
se
sont
dcomposes taient
celles d tats faibles (Italie aprs Ca
poretto) ou rduits en miettes
(Russie
de 1917),
dots
d une conomie ex
sangue
et
d une
structure
politique
malade
ou
agonisante.
Comme tout
et
tout le
monde,
l arme est ce qu elle fait.
Elle
produit
une
communaut spcifique
dont
le
propre
est
prcisment
de ne pas voler
en
clats au
premier
massacre - sinon,
l n y
aurait jamais
eu
de guerre. Ce
n est
pas
quand
ses
conditions de
vie
ou de
mort sont
trop affreuses que
l arme
commence
s effriter, mais
quand cette
vie
et cette
mort
perdent
leur
sens. Les mutineries franaises de
1917
n ont
pas t le fait de citoyens
rvolts par des combats meurtriers,
20
mais de soldats rvolts par des com
bats meurtriers
qui
ne menaient rien.
Elles n allrent pas plus loin. C tait
un
mouvement
militaire,
interne
la com
munaut
arme (les grves l influenc
rent peut-tre
mais
ne
le
conduisirent
pas
dborder
ce cadre). De
mme
qu il est frquent de voir les ouvriers
se
battre
en
tant
que tels
pour
une
amlioration de leurs conditions de
travail,
de
mme les soldats
obtinrent
ils en
l occurence,
aprs la rpression,
une autre manire de faire la guerre,
une amlioration matrielle.
On parle d antimilitarisme de clas
se. S il s agit de la classe ouvrire
7/21/2019 La Banquise N1 - Printemps 1983
23/68
alors seule une minorit de soldats
pourrait
s y
reconnatre. Mais aux
yeux de tous ceux qui le prennent au
srieux, ce thme quivaut
un
anti
militarisme radical, liant la
lutte contre
l'arme la perspective rvolutionnai
re.
Le
fait militaire dpasse l'analyse
sociologique ; on peut difficilement
assimiler les simples soldats des
proltaires exploits
par
l'arme-pa
tron. On ne saurait attendre des ou
vriers mobiliss qu'ils pratiquent
un
antimilitarisme ouvrier, ni largir la
notion d'ouvrier celle de travailleur
(comme font les gauchistes) de manire
s'adresser
tout
le monde et per
sonne.
La formule : Travailleur Sous
l'uniforme, tu restes un travailleur
n'est
qu un
vu pieux qui ne recouvre
aucune ralit. C'est mme l'inverse
qui est vrai
:sous
l'uniforme, le travail
leur cesse d'tre le mme. L'arme,
comme toute
activit
transforme ceux
qui l'exercent.
Entre fvrier et octobre 1917,
si
les
conseils de soldats russes
jouent un
r
le rvolutionnaire, c'est qu'il existe
une si tuation de double pouvoir
et
que
tout le contexte social les fait sortir de
leur problme strictement militaire. En
Allemagne, aprs novembre 1918, les
conseils de soldats sont le produit de la
dcomposition de l'arme, puis de sa
re-composition sur d'autres bases.
Mais
ils agissent en syndicats de soldats et
ne s'intressent qu au problme des
soldats. S'ils s'intgrent l'arme,
ce
n'est pas pousss par l'idologie, mais
parce qu'ils participent une
tche mi-
litaire
:
le
rapatriement. des troupes en
Allemagne.
Le
consil du haut-com
mandement exhorte d'ailleurs les rgi
ments mutins maintenir l'ordre
et la discipline et les menace de
sanctions trs svres.
Et
c'est
l'Etat-Major lui-mme qui proposera
un
congrs de tous les conseils de sol
dats afin d isqler les extrmistes berli
nois.
En
Pologne, fin 1918, aprs la d
faite allemande, les conseils de soldats
s'entendent avec Pilsudski, le chef du
nouvel Etat, et lui remetteq.t leurs ar
mes (qu'il utilisera bien sr contre les
ouvriers insurgs), lui fournissant ainsi
la fois
un
armement
et
une recon
naissance politique. Rien de plus nor
mal
:leur
objectif n'tait pas la rvolu
tion en Pologne (ni ailleurs) mais
tout
simplement de rentrer chez eux. Peu
leur importe la gloire de l'Allemagne et
sa dfaite, peu leur importe le commu
nisme. En
tant
que tel, l soldat est
aussi peu rvolutionnaire que le salari
qui lutte en
tant
que salari.
La condition d un mouvement rvo
lutionnaire, c'est que les diffrents
mouvements, ns sur des terrains
distincts, y prennent suffismment de
force
pour
en sortir. Jusqu' prsent,
cela ne s'est gure prsent. Il a fallu
une crise sociale gnralise
pour
unir
(et encore) ouvriers, paysans,
et
sol
dats russes. Aujourd'hui, le front int
rieur a peut-tre acquis une importance
beaucoup plus grande, dans la mesure
o l'arme est devenue
un
immense
complexe technique dpendant de la
socit. L'arrire jouera donc
un
rle
plus grand. Dans ce cas, la guerre serait
plus politique, l'action de l'Etat et des
partis serait ncessaire. Dans
toute
guerre, la surveillance
et
la matrise
des civils posent plus de problmes
que celles des militaires, eux-mmes
engags dans une action contraignante
en soi. Il faut donc s'attendre
un
univers la fois plus policier et plus
instable que
par
le pass; La rsistanc
se
dveloppera, sera rabsorbe par des
mouvements pacifistes
et,
en France,
se
heurtera probablement l'action
du
PC
qui
se
prsentera comme la
seule vritable force de paix.
Si jamais_
il tait interdit, sa clandestinit polari
serait
autour
de lui nombre des protes
tations, grves
et
sabotages larvs qui
ne manqueraient pas de surgir.
Le
dfaitisme objectif seulement
ngatif est pratiqu depuis toujours.
Dans chaque camp, il existe- des l
ments qui ont intrt pour eux-mmes
ou le groupe qu'ils reprsentent la
dfaite de leur propre pays. On peut
d'ailleurs tre nationaliste t dfai
tiste,
si
l on estime par exemple que
la guerre propose dessert les intrts
du pays.
Le
fameux mourir pour
Dantzig de 1939 a t repris en 1980
par des groupes d'extrme-droite qui
estimaient que mourir
pour
Kaboul
ferait le jeu des Etats-Unis
et
de
l'URSS mais pas de la France.
Le
dfaitisme rvolutionnaire,
lui,
n a
de signification communiste
que s'il est li l'effort de transformer
la guerre en rvolution - voire la paix
en r\'olution, quand ce sera possible.
On voit aujourd'hui une foule de
marxistes adopter une position dfai
tiste comme si
l on
pouvait assister
une rptition de 14-18. Ils ne parti
ront plus en guerre contre
l
Allema
gne...
Mais
ils ont renonc.
tout
internationalisme face la Chine et
l'URSS, comme devant la ncessit de
la destruction du mouvement ouvrier
organis,
pourtant
plus patriotard que
les patriotes
et
1 des meille_ l_rs s e n ~
21
LA
BANQUISE
tiens de l'arme.
Ce
sont tous les
Etats existant aujourd'hui, tous les
partis et tous les syndicats qu'il faut
dtruire.
Le
dfaitisme rvolutionnaire est
l'unique solution dans une situation
sans issue rvolutionnaire immdiate.
Il
se
fonde sur la conviction que, puis
qu on
n a
pas fait la rvolution qui
aurait interdit la guerre, il ne reste
qu lutter contre son propre Etat. Le
renouveau du mouvement est cette
condition.
La critique permanente et exclusi
ve
des Etats-Unis
par
les trotskystes
ou
Action Directe, aussi bien que l'atta
que du monstre totalitaire que les d
f e n s e u ~
des droits de l'homme voient
seulement l'Est,
entrent
dans le ca
dre de la prparation idologique
d une
nouvelle guerre.
Pour
ceux qui
ne s'identifient pas avec l'Etat de la
dmocratie capitaliste, une victoire de
l'Union sovitique serait-elle plus grave
qu'une dfaite de cette dernire ? l
dessus, point de certitude. Face
l'Occident, l'URSS reprsente le capi
tal le plus faible, celui qui aurait le
plus de mal digrer ses conqutes
et
dominer les contradictions sociales
exacerbes par la rencontre d'une
socit plus riche.
Mais
on peut aussi
considrer qu'une dfaite ou des revers
de l'URSS branleraient une socit o
l'arme tient une
si
grande place. Une
seule chose est sre : la dnonciation
systmatique
d un
des imprialismes
l'exclusion des autres fait le jeu de
l'imprialisme dans sa totalit, comme
systme mondial.
Nous devons favoriser autant que
faire
se
peut les difficults occidentales
dans ie tiers-monde,
sans
soutenir les
mouvements de libration nationale,
ni faire le jeu de l'URSS. (Pendant la
guerre d'Algrie, c'tait une chose de
c o m ~ t t r e
l'effort de guerre franais,
une autre d'appuyer le FLN en tant
qu'appareil politico-militaire et em
bryon de futur tat.
Il
en allait de
mme
pour
les rvolutionnaires amri
cains lors de la guerre du Vietnam. Il
en va de mme de la
lutte
entre la
SWAPO et
l'Afrique
du
Sud aujour
d'hui, etc.) Sinon nous nous con
damnerions soutenir des fronts de
libration nationale
jusqu au jour
o
ils prennent le pouvoir :
ce
jour-l,
nous dcouvririons en eux des op
presseurs, des Etats,
et
prendrions
contre eux le parti des masses.
Cette logique est celle du gauchis
me, du progressisme, justement rsu
me
par un
intellectuel de gauche
vers 1970 : Nous soutenons la venue
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L B NQ
UISE
L
A
M NI
RE DE JO
U R
Ail
DIAB
LE
4
l
j
l
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que la projection de
l horreur
prsente
sur l cran du pass, c est videmment
qu elles ne sont
qu une
seule et mme
horreur, fruit de la mme matrice.
L imagerie des camps, la mytholo
gie
du
nazisme
se
nourrissent d angois
ses trs anciennes et trs modernes :
horreur de la dpossession, du draci
nement, de la dshumanisation,
peur
de la pnurie, de la folie, de la mort,
de la dmarchandisation -
du
com
munisme. Peur de la peur.
Le discours anti-nazi -
et
les pen
daisons symboliques de Nuremberg
font partie intgrante de ce discours,
fondant en droit l opration d exor
cisme
par
lequel les dirigeants vain
queurs
se sont
dchargs sur quelques
vaincus de l ensemble des responsabili
ts horrifiques
qui
leur incombaient au
mme titre (ce
sont
videmment
Churchill, Roosevelt, Staline et con
sorts
que
les dirigs du monde entier
auraient souhait voir se balancer au
bout d une
corde
ct
de Kalten
brunner et
Ribbentrop} - a t jus
qu
aujourd hui le principal discours
sur la barbarie antidmocratique, le
principe unificateur charg de rsorber
l inquitude moderne. Sur la mytho
logie nazi s est
bti
le discours de tou
tes nos angoisses.
Quand les idologues parlent
d urbanisme concent rationnaire, ils
ont
recours un rituel de d n o n c i ~
tion, de maldiction, semblable celui
qui consiste crier au fascisme
devant
tout
abus
d autorit.
Il se trouve
qu en mettant
ainsi l accent sur des
ressemblances formelles, on vite de
voir l ident it relle des
prG cessus
sociaux
qui
ont
abouti
dans le pass
la concentration en camps, dans le
prsent
un
urbanisme de ghetto.
Quand ils contemplent, fascins,
une
image centre sur le sadisme des
bourreaux
et
l amoncellement des
ca.davres, les hommes
d aujourd hui
prouvent
une horreur
qu ils croient
suscites
par
un objet radicalement
tranger. En ralit, cette mise en
spectacle des camps vite au specta
teur
de saisir ce
qui donne
au pass son
poids de terreur
toute
actuelle. Car les
hommes
d aujourd hui
prfrent ou
blier
une terreur
ne avec l tat
et
amplifie avec le dveloppement capi
taliste. Ils prfr ent oublier qu ils
viennent de reconnatre dans les
camps
une horreur familire
C est
l horreur
que suscitent
toutes
les concentrations,
tous
les grands
rassemblements d hommes privs de
pouvoir sur
leur
vie. Elle est ne avec
l Etat moderne
et
la cration de l hpi-
tal gnral et des
workhouses.
Elle a
pris
toute
son ampleur avec la rvolu
tion industrielle
et
la
dportation
de
millions d hommes de la campagne
vers les usines. C est l horreur de la
caserne, de la prison, des
hpitaux et
des asiles modernes.
Que l Etat planifie la dpor tation
des populations ou se contente de la
sanctionner, qu elle soit l aboutisse
ment d une
logique idologique,.
d un
processus conomique
ou d un
fait
de guerre, elle suscite toujours la m
me horreur, celle
du
dracinement
et
de la dpossession de l tre commu
nautaire. Le Juif dport
par
les
nazi
et
le proltaire dracin
par
l accumula tion primitive ont en com
mun
d prouver dans
leur
chair le
dchirement des liens affectifs
et
sociaux, la perte des rles,
qui
don
naient leur vie son contenu. Qu elle
soit l effet
d une
volont mauvaise ou
le rsultat
d une
froide rationalit
conomique, la destruction du tissu
social est
l horreur qui contien t toutes
les autres : extermination massive des
Indiens
et
des Juifs, exploitation
esclavagiste des noirs
aux
Etats-Unis,
extrme limitation de l esprance de
vie des dports comme des proltaires
du
XIXme sicle en Occident et
du
XXme dans le Tiers-monde.
Parqu la priphrie des mtropo
les (en Europe} ou l intrieur mme
des ghettos urbains ( aux Etats-Unis), le
proltaire occidental prouve aujour
d hui
dans
tous
les aspects de sa vie ce
que signifie l assignation un espace
structur et contrl
par
des forces
qui
lui chappent. Quand il ne
se
rvolte
pas,
l
refoule la mmoire de la dpor
tation
de sa classe
(et
ce refoulement
peut
aller
jusqu
prendre la forme
luxueuse de la nostalgie campagnarde).
Mais que sa rvolte en vienne remet
tre en cause la concentration de sa
classe
en
clapiers et 1
on
vrifiera dans
la pratique ce que nous affirmons :
c est Sarcelles qui permet de compren
dre les camps
et non
l inverse.
Le camp nazi figure
l enfer d un
monde
dont
le paradis est
le
super
march. Nous vivons dans
une
socit
qui a fait de l assurance de ne pas
crever de faim et du maximum de
contrle social les objets
d une
mme
qute forcene. Elle est donc hante
par
la
terreur
du manque. Dans le
camp rgnent la pnurie, l arbitraire,
l inscurit absolue, la
lutte
mort
pour
. la conservation de quelques
pluchures
un tat
d angoisse
permanent. Dans le supermarch c est
l abondance, la libert de choisir qui
27
LA
BANQUISE
se
prsente immdiatement comme
illimite, la confiance (en-dea des
caisses, le vol n exis te pas), l eupho
rie consommatoire.
D un
ct, les
barbels
qu on
ne
peut
franchir, de
l autre, une
seule obligation : l arrt
aux caisses enregistreuses qui tire
brivement de
l hbtude
pour rappe
ler aux ncessits
du
salariat. Au camp,
on est enferm vie, tandis
qu au
supermarch, on est simplement dans
une de ces zones contrles par une
logique sur laquelle on n a aucun
pouvoir et
qui occupent dsormais
tout l espace de la vie. Que les progrs
de l informatisation suppriment
toute
circulation montaire relle et l on au
ra rduit au strict minimum le dsa
grment
du
passage d un cercle d en
fermement
un
autre. On
se
sera
rapproch de
cette
utopie capitaliste :
un
monde dans lequel l homme ne
sortirait plus jamais de l hypnose
du
consommateur de supermarch - ce
qui
rendrait dfinitivement caduque
toute
mythologie horrifique. Il cesse
rait enfin
d tre
ncessaire de faire
croire -
et
de croire - que l horreur
de se
heurter
au pouvoir de l argent
qu on n a
pas est moins horrible que
l horreur
de se
heurter
au pouvoir
d un chef
de block.
Mais derrire la
peur du
manque
et
de l inscurit s en cache
une
autre
plus vague et plus gnrale : celle de la
dshumanisation ou, plus concrte
ment, de la dmarchandisation.
La dshumanisation est
l un
des
thmes centraux de la littrature
concentrationnaire. Pour
certains au
teurs, elle tait mme le
but
sciem
ment
poursuivi
par
les nazis. Le dport
devenait un numro. Mis en fiches et
cartes
par
la scurit sociale
et
tous les
organismes tatiques
et p a r a ~ t a t i q u e s
l homme
moderne juge particulire
ment
horrible
et
barbare le numro
tatou
sur le bras des dports. Il est
pourtant
plus facile de s arracher
un
lambeau de peau que de dtruire
un
ordinateur.
Projetant dans le pass leur hantise
bien prsente de la dshumanisation,
les hommes ne parviennent la domi
ner qu en
y succombant
:pour
dresser
le bilan
du
nazisme, ils
adoptent une
technique
typiquement
capitaliste
et
parfaitement dshumanise, celle
des statistiques.
Les passions souleves
par
la mise
en
question du
nombre
des victimes
juives
du
nazisme rvlent
un
mode
de pense
commun
aux bourreaux et
leurs contempteurs.
Pour
les chefs
nazi, les Juifs
n taient qu un quota
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30/68
LA
BANQUISE
de
population
qui devait subir une
rduction considrable.
Pour
un
historien comme
L.
Poliakov, on ne
peut sans danger discuter du chiffre
des morts. Le
meurtrier dtachement
du chef
nazi vis--vis des ralits que
recouvrent les statistiques engendre
chez l'histbrien, non, comme on serait
en droit de
s y
attendre, l'exigence
d une meilleure comprhension de ces
ralits, mais un
attachement
quasi
religieux au dogm.e des statistiques.
Pour le nazi,
une
montagne de six
millions de cadavres est
un
rempart
dress contre l'ennemi
intrieur
dix
fois plus lev que s'il se composait
de six cent mille morts seulement
- et
c est
aussi dix fois moins de
parasites. Pour l'historien, c'est six
fois plus horrible
qu un
million -
et
une muraille six fois plus leve contre
le retour de la barbarie. L un
et
l autre
ont besoin de
quantifier
le monde
pour s'y retrouver. Comme l arpenteur
qui ne peroit
que
des
rapports
de
proprit et ne voit plus
sur
le sol les
arbres ni les hommes, le statisticien ne
peroit plus que des relations abstrai
tes entre les hommes et les choses,
vides de leur contenu concret et
isoles des rapports sociaux
qui
les
font exister. Le capitalisme est une
communaut de chiffres organiss en
sries (les statistiques), sa langue est
celle des chiffres.
Il
s'puise poursui
vre la qualit travers la quantit,
l'essence des tres et des choses tra
vers
leur
quantification. Il ramne tou-
te valuation unemesure. Pourtant,
on voit bien que, quand
on
compte,
a ne ompte pas. Dans son optique
ractionnaire, Balzac l'avait fort bien
peru qui crit propos du concierge
du Pre Lachaise : .. il a vu six mil
lions de douleurs ternelles ( ... ) les
morts sont des chiffres
pour
lui. Son
tat
est d'organiser la
mort.
(Ferra-
gus, 1833).
Les 'statistiques mentent, non
parce qu'elles seraient
truques
-
elles les sont parfois - mais .par leur
fonction. mme. Elles font perdre de
vue - et les tats perdent eux-mmes
de vue l a nature du phnomne
dont
elles sont censes rendre
compte.
Que
sait-on de la guerre
du
Vietnam
quand
on nous dit que les tats-Unis y ont
dvers plus de bombes qu il
n en
a t
utilis pendant la Deuxime Guerre
mondiale ? Il est permis
de
penser
qu une simple grenade
explosant
dans
une salle manger familiale 1heure
du repas est concrtement plus atroce
que cent
tonnes
de T 'JT ct de
l'objectif. (Et, puisque
nous
parlons
ombien
de
morts
de
faim
par n
par
JOSEPH KLATZMANN (
*)
J
Al
failli commencer cet article
en
crivant qu'on ne dfend
pas efficacement une cause
juste avec des chiffres faux. Mais la
ralit dment cette affirmation : d&
puis des annes, on meut les foules,
on les aide
prendre conscience du
problme
en
rptant sans cesse que
50 millions d'hommes meurent de
faim chaque anne il existe au moins
une variante : 160 000 morts par
jour, ce qui correspond
58 millions
par an). Est-ce une raison pour ac
cepter
un
chiffre aussi manifestement
absurde?
Qu'on ne se mprenne pas : je
suis de ceux qui considrent que la
perptuation de la faim et de la sous
nutrition dans le monde est un scan
dale,
une poque o ces flaux
pourraient enfin tre pargns
l'hu
manit. Je n'en
ai
pas moins sur- .
saut, lorsque j'ai lu pour la premire
fois, sur le titre
en
gros caractres
d'un luxueux document publi par
une institution europenne, que
50 millions d'hommes par an meu
rent de faim dans le monde. J 'ignore
qui a,
Je
premier, lanc . ce chiffre.
Mais, par la seule vertu de la
r pti-
tion, il est devenu une vrit officielle
qu'il ne viendrait l'ide personne
de
contester.
J ai
retrouv
ces
50 millions jusque sur une affiche de
la campagne pour l'lection prsiden
tielle.
.
Ce
qui est dans cette affaire
stu-
pfiant
e ~ t
que personne apparem
ment
-
J exception d Alfred
Sauvy - ne
s
et
tonn de ce chif
fre, ne s'est demand
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