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7/25/2019 Fort Comme La Mort
1/13
Romantisme
Le ridicule raisonnement de Fort comme la mortM. Ren Lefbvre
Abstract
Resemblance is central to this novel. Stimulated by a painting and dramatised by a mirror, the repetition of love here is
neither like the repetition in social events, nor merely a sign of weakness in Bertin as a creative pointer. It has the depth ofPlato 's metaphysics of the archetype and its reflections, illustrating the disquieting complexity of duplication and the
difficulty in placing oneself between the visible world and the world of Forms, but also between reality and ils artistic truth.
Rsum
La ressemblance occupe une place centrale dans ce roman. Mdiatise par un tableau et dramatise par un miroir, la
rptition amoureuse ici n'est ni comparable une rptition mondaine, ni le signe d'un affaissement de Bertin comme
peintre : elle a la profondeur de la mtaphysique platonicienne de l'archtype et de ses reflets, manifeste la complexit
trouble de la duplication, voque la difficult de se situer entre le monde sensible et le monde des essences, mais aussi
entre la ralit et sa vrit artistique.
Citer ce document Cite this document :
Lefbvre Ren. Le ridicule raisonnement de Fort comme la mort. In: Romantisme, 1997, n95. Romans. pp. 69-80.
doi : 10.3406/roman.1997.3184
http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184
Document gnr le 20/10/2015
http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184http://www.persee.fr/author/auteur_roman_507http://dx.doi.org/10.3406/roman.1997.3184http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184http://dx.doi.org/10.3406/roman.1997.3184http://www.persee.fr/author/auteur_roman_507http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1997_num_27_95_3184http://www.persee.fr/collection/romanhttp://www.persee.fr/7/25/2019 Fort Comme La Mort
2/13
Ren LEFEBVRE
Le ridicule raisonnement de Fort
comme
la
mort
La critique
met
dsormais frquemment en relief
le
rle de la ressemblance
dans
l'uvre de Maupassant, souvent en liaison avec des considrations
sur
la psychologie
de
l'homme.
C est ainsi que pour tel interprte, la ressemblance sera le thme de
Maupassant
2 tandis
que pour tel
autre,
aux
yeux
de
qui l'crivain
se peroit comme
une rincarnation d'Alfred Le Poittevin, la vraie
tragdie,
pour
Maupassant, c est la
ressemblance
-\
Cette importance,
vrifie
dans
de
nombreuses
nouvelles
et
la
plupart des
romans,
est
reconnue
dans
le
cas
particulier de
Fort comme
la
mort
4.
Il
s'agit de l'amour d'un peintre pour une comtesse.
Le sentiment
nat, se renforce
de
l'habitude, devient dissymtrique
lorsque
Olivier
Bertin
se
prend
aimer,
d'un
amour impossible qui
le
conduira
la mort, Annette, la fille
mme
d Anne de
Guilleroy. On a vu dans
ce roman,
tantt une tude psychologique,
tantt la
reprsentation
satirique
de certains
milieux, tantt
une peinture
tragique
de la
condition
humaine,
le plus souvent
tout
la
fois,
juste titre. On gagne pourtant
considrer le
ddoublement d'Anne en Annette
comme
le cur du
livre, et la
structure
qu il gnre
comme l objet abstrait auquel
celui-ci est
consacr. Dans
les
pages qui suivent nous
voudrions,
aids de quelques repres philosophiques, dresser la
carte
de
cet
objet, sans
chercher
davantage
situer
le roman
dans
le
contexte
d'une
uvre
o
il
trouve
de
nombreuses
rsonnances
\ ni dans
celui d une vie
considre bon
droit
comme
1.
De
mme
que
celui de l altrit : qu'on pense
Alberto
Savinio, Maupassant et l' Autre ,
\911,
ou Pierre Bayard, Maupassant,
juste
avant
Freud,
1994, pour
qui
le double est un
autre
qui ressemble.
2.
Philippe
Bonnefls,
Comme Maupassant, Lille, 1981, p.
74. Divers
objets font office de
rvlateurs
:
Entre l tre et son double s interpose l'obstacle matriel d un
tableau
{Fort
comme
la mort), d'une
photographie
{Le Champ d oliviers, Le Horla),
d un
daguerrotype {Pierre et
Jean) [...] d un
miroir
[...]. Chacun
ragit
sa
manire
[...],
mais tous ils
ragissent
la mme chose, ne
ragissent,
au fond,
qu'
cette chose
qui prcde,
et peut-tre
commande,
la ressemblance,
et qui [...]
est ce
quoi on
en
vient,
en
dernire
instance
ressembler
[...]
(p. 131). On
a signal
de
longue
date l importance
des
redoublements dans
le
rcit
lui-mme.
3.
Jacques
Bienvenu,
Maupassant, Flaubert
et
le
Horla,
Marseille,
1991,
p.
41.
4.
Ce roman
qui prend
la
ressemblance pour un de
ses principaux thmes
(Trevor A. Le
V.
Harris,
Maupassant
et Fort comme la mort
:
le roman contrefait,
1991,
p. 40). Dans Fort comme la mort, c'est le
thme de
la ressemblance et
de
la
diffrence
qui s'impose
travers
l il
du peintre
(Joseph-Marc
Bailb,
Le peintre et la
sensibilit
fminine chez Maupassant
, dans L. Forestier
d.,
Maupassant et l criture,
Colloque
de
Fcamp, 1993,
p. 78). Ce
roman
[...], le
relire, on
ne saurait ignorer
que
c'est une uvre
sature de ressemblances,
commencer
par la rsonnance
inscrite
dans son
titre
dfinitif
(Robert
Lethbridge,
Le texte
encadr
:
les
tableaux illusionnistes dans les romans des
Maupassant
, ibid.,
p.
200).
5. La nouvelle Fini (1885), en
particulier,
annonce clairement Fort
comme
la mort.
A
la rapparition,
fascinante
sous les
yeux d'un
amoureux, de la mre dans une
fille aussi
belle
qu'elle
{M. Jocaste),
rpondent la
rapparition,
effrayante
sous ses propres yeux, du pre dans
un fils honni
{Un fils), au besoin
aggrave
d'une
ressemblance
la
mauvaise
mre
{Le Champ
d'oliviers),
ou
la tragique absence
de ressemblance
au pre de ce qu'on aimait jusque-l comme un fils {Monsieur Parent). Dans
Fort comme
la mort toutefois,
dont
le
personnage
central
est
un
peintre,
le
thme
de
la
ressemblance
familiale
prend
une
valeur
mtaphysique qu'on
ne
retrouve pas ailleurs.
ROMANTISME n
95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
3/13
70 Ren Lefbvre
marque jusqu la
folie
par la hantise
du
double personnel 6 et de l'insupportable
retour du
mme, ni non plus
dans la perspective des prolongements esthtiques de
cette
hantise
7.
Dans la
monographie
qu il consacre au roman, Trevor A. Le V. Harris estime que
Bertin, us
par la
mondanit,
est pris
au pige de
la
rptition qu appelle le vide d'un
univers
convenu, son asservissement
la
ressemblance physique
entre les deux
femmes illustrant de faon singulirement concrte
l'asservissement
des mondains en
gnral
l ide de la rptition ; la rptition
d'Any
en Annette ne serait ainsi
qu un
cas
particulier
de cette ressemblance
entre elles des belles Parisiennes
frquentes
par le
peintre.
Cet interprte estime qu Annette active l'esthtique de Bertin plus
que sa
sensibilit,
mais
que mme comme
peintre, en entreprenant le portrait
d'Annette aprs celui d'Any,
celui-ci
se rend
la
rptition , achve de
renoncer
sa propre
crativit,
tente
un
retour chimrique
en
de du
temps
de
son
impuissance.
Il
nous
semble
au
contraire
que
la
similitude
de
la
mre
et
de
la
fille
n'est
justement
pas un cas de cette universelle rptition
dont
Bertin, mme compromis,
est
le
premier
souffrir, et
que
la fascination
prouve face
au surgissement
d'Annette
l arrache
prcisment
la mdiocrit dans laquelle il
s'enfonce. Ce surgissement
rvle
un
personnage
encore
plus platonicien que mondain.
Le retour
Paris d'Annette devenue jeune fille constitue
le moment
crucial du
roman tout entier. Bertin, qui a peint la mre
il y
a
longtemps, demande
la fille de
poser. Tous deux sont ensemble se
promener,
et
la
jeune fille parle. Voici
la
ract ion d Olivier Bertin :
II
coutait,
saisi
par
un trouble croissant,
il
piait,
il
attendait,
au
milieu
des
phrases
de
cette
fillette
presque trangre
son cur, un mot, un son, un
rire, qui
semblaient
rests
dans sa
gorge depuis la jeunesse
de sa
mre. Des intonations parfois le faisaient
frmir
d'tonnement.
Certes, il y
avait entre leurs paroles
des
dissemblances
telles
qu'il
n'en avait
pas
tout
de suite
remarqu
les rapports, telles que,
souvent
mme,
il
ne les
confondait pas du tout; mais cette diffrence
ne
rendait que plus saisissants les
brusques rveils du
parler
maternel. Jusqu'ici, il avait constat la ressemblance de
leurs
visages d'un il amical et curieux, mais voil que le mystre de cette voix ressuscite
les
mlait
d'une
telle
faon qu'en
dtournant la tte pour
ne plus
voir la jeune fille il se
demandait par moments si ce
n 'tait pas la
comtesse
qui lui
parlait
ainsi,
douze ans
plus tt 8.
La raction est prmonitoire,
anticipatrice,
car
le moment
n'est pas encore venu de
voir
en
Annette, Any
jeune. Dans
toute
la
premire
partie,
il
ne
sera encore
question
que
de
la
ressemblance tout
court
de
la mre et
de
la
fille, ressemblance
contempor ine
dont le
sens n'est pas rvl. Avant de s'affirmer comme
le
sosie de la mre jeune,
Annette
affiche
sa ressemblance avec la mre actuelle. C est de cette personne
ressemblante
que
va s'amouracher
le peintre. Puisque
dans
le passage
il
est
distingu
6. Qu'on
pense
au
tmoignage du
Cahier d amour de Gisle d'Estoc,
par
exemple.
7.
Dont Sur
l'eau
donne une ide (p. 63-64
et
91-94 de l dition
Folio
). Selon Trevor A. Le
V. Harris, l un des
plus
fascinants
aspects de Fort comme
la mort est sans
aucun
doute la thmatisation
timide des
questions esthtiques - notamment une tension
entre l originalit
et
la
rptition
(ouvr. cit,
p. 69).
8. 1.3, p. 900 de l dition de la Pliade des Romans. Ici comme ultrieurement, c'est nous qui
soulignons.
ROMANTISME n 95 (1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
4/13
Le
ridicule
raisonnement de Fort comme la mort 71
entre
une
exprience assez plate de la ressemblance, et une
exprience
troublante,
voire
bouleversante,
on peut estimer que
la
raison du
trouble est,
pour
partie, la
dcouverte
que
ce n'est
pas
tellement
la
comtesse
aujourd'hui,
mais
la
comtesse
hier,
que la jeune fille
est
ressemblante. En attendant que
cette
dcouverte intervienne
dans sa plnitude,
Olivier
Bertin
peut
apprendre s'intresser cette jeune fille
ressemblante
sans que
l'histoire vire au tragique.
Quelques pages plus loin, c est la comtesse que s adresse
Olivier,
pour lui
dire
:
Je
l aime
beaucoup votre fille. Elle vous ressemble tout
fait.
Quand elle prononce
certaines
phrases,
on
croirait que vous avez oubli votre voix
dans
sa
bouche
. Il
n'est
encore
pas question du retour d'une voix teinte, et la comtesse peut
rpondre
:
Mon
mari
me
l a
dj
dit bien
souvent
(p. 904).
Si mme
un mari peut saisir cela, si la comtesse de Guilleroy ne
s'meut
pas, c est
que
la ressemblance
n'est, elle seule, ni
trs extraordinaire,
ni
trs
menaante. C est
une
certaine ressemblance seulement
qui
peut
inflchir
l'uvre
vers
son
dnouement
tragique. En attendant
cet
inflchissement,
il
convient de se demander pourquoi
Olivier
va aimer
Annette. Deux
rponses sont possibles. La premire : ressemblant
sa mre Anne, Annette
possde
les
qualits
qui incitent Olivier
l'aimer, comme elles
ont rendu sa mre aimable. Cette
rponse
revient
affirmer que
Olivier
vit
une
rptition fortuite. Mais Annette n'est pas le
sosie
d'Any, elle
en
est la fille, et
Olivier
lui-
mme
n'est
plus
l'homme qu il
a
t. Il y
a
un lien
gntique de
la
deuxime
la
premire
exprience. On est
alors
tent
de
rpondre que c est
comme double
qu'Annette exerce sa fascination, mais cette rponse est insuffisante, car
on peut
concevoir de diverses manires
la
fascination exerce
par
un double. S agit-il ici
d'exprimenter
un mixte sophistique d'tre
et
de non-tre 9, une
Any qui
ne
soit
pas
Any,
ou
Any
dans
quelqu un
qui
ne
soit
pas
elle?
S'agit-il
du
plaisir
de
vivre
deux
fois la
mme
chose, en deux occurrences diffrentes? Sagit-il d une exprience
impliquant fondamentalement
et immdiatement
la
temporalit ?
On apprciera en tous cas
l'ironie
: c est un
pourfendeur
de la
simulation
qui
tombe
ainsi
victime
d'un double,
comme on
le
voit
lorsqu'il tourne
en
ridicule,
devant
Nanette elle-mme, la
vie
d'un homme bien lev
,
et s'insurge
contre
le rire
qui
accueille sa caricature :
Oh
Madame,
dans
le
monde, on
ne
meurt
pas de
rire. C'est
peine si on
rit.
On a
la
complaisance,
par bon
got, d'avoir
l'air
de
s'amuser, et de
faire
semblant de rire.
On
imite assez
bien la grimace,
on
ne
fait jamais
la chose
[...].
Je
vous
dis
qu'on fait
simulacre de tout, mme
du
rire (I, 2 ; p. 877).
Pour Bertin,
le
monde est
une
comdie. Comme il ne
s'en
laisse pas compter, il la
rejoue
par
drision. Sa peinture, cependant, ne le tourne
pas
en ridicule et le
prend
au
srieux
quand
elle le redouble. Sa
vie
elle-mme
est
une farce, au
sens de Marx,
mais
ce ct farcesque
chappe
jusqu au bout
Bertin, dont
le srieux
va
jusqu se
dcliner
sur
le mode tragique.
Laissons le
surgissement d Annette
dans
la vie
d'Olivier. Le plus
touchant,
dans
Fort comme la
mort,
est la tragdie vcue
par
la mre,
lorsqu elle se
sent vieillir et
voit
Olivier
se dtourner d elle. Dans les premiers temps qui suivent
le
retour de sa
fille Paris,
la
comtesse
tire son profit
de sa ressemblance
avec
sa fille et
la
cultive.
9. Ce que nous disons tre
rellement
une
image,
un semblant, c'est ce qui, sans tre
rellement
non
existant,
n existe pas
cependant? (Platon, Le Sophiste, 240b).
ROMANTISME
n
95 (1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
5/13
72
Ren Lefbvre
Les deux
femmes brillent ensemble
en socit
et
la beaut de la
jeune
fille rejaillit sur
la mre, qui ne
commence
qu peine
sentir l'attrait exerc
par
Annette sur Olivier,
et
ne le juge pas menaant. Elle y voit plutt un intrt supplmentaire apport sa
propre
personne,
puisqu il
s'agit
en
sa
fille, d une ralit
sienne.
Evitant le plein
clat
de la
lumire,
la comtesse
habille Annette
avec
des
toilettes de
jeune
femme,
afin
de
porter elle-mme des robes presque pareilles
celles
de sa fille (I, 4; p. 918).
Annette se mle au jeu, heureuse de montrer par un mouvement, une
caresse,
quelque
invention ingnieuse, combien
elles taient, jolies
toutes
les deux
et
combien
elles se ressemblaient
(p.
918). Il
arrive Olivier
de les confondre, et mme
Monsieur
de Guilleroy :
A
force de s'imiter
par amusement
et de copier leurs mouvements, elles avaient acquis
ainsi une
telle similitude d'allures
et de
gestes, que
Monsieur de Guilleroy lui-mme,
quand
il
voyait
passer l'une ou l'autre
dans
le fond sombre du salon, les confondait
tout
instant
et demandait : est-ce toi Annette, ou est-ce ta maman? (I,
4;
p. 919).
C tait l poque, nous dit-on, o elle
recherchait
avec orgueil des
similitudes
de
toilette qui lui taient alors favorables (II, 5 ; p. 995).
Puis
va
venir
le
temps o la mre se dsolera de voir que dsormais, c'est Annette
seule que les
hommes regardent, sans plus la
faire
bnficier
du
charme de sa fille.
Ils taient
loin les jours, proches
pourtant, o elle
cherchait, o
elle
provoquait un
parallle
avec sa fille.
Qui
donc
aujourd'hui,
parmi ces passants, songeait
les
comparer?
Cette pratique de
la comparaison, par laquelle la
ressemblance se trouvait
recueillie,
si elle
peut
encore tre regrette, ne peut plus tre
convoite, maintenant
que
domine la dissemblance,
du
fait de l ge.
Seul
Olivier
s'y
livre encore,
dans
la
mesure prcisment o ce qui le
hante
n'est pas la ressemblance in
praesentia,
et il y
a
tout
craindre de son
regard
:
Etait-il
possible
qu'Olivier,
en les revoyant presque chaque
soir, n'et
pas
sans
cesse
l'esprit Y
obsession de les
comparer
1
Certes
il devait le faire
malgr lui, sans
cesse, hant
lui-mme par
cette
ressemblance
inoubliable
un seul instant,
qu'accentuait
encore
l'imitation nagure
cherche
des gestes
et de la parole (II, 5 ;
p.
979).
A cette
comparaison-l,
la comtesse ne pense plus qu se soustraire, en disparaissant
ou cessant du moins d'voluer au ct
d'
Annette.
Dans les
temps bienheureux
du dbut,
la
comtesse
pouvait sans doute nourrir
l'illusion d'avoir, en
la
personne de sa fille, enfante
par
elle sa ressemblance,
un
reflet, peru
comme tel
par
les regards
extrieurs.
Elle
pouvait
s'imaginer une
ressemblance
dissymtrique, de
type
plotinien ou
scolastique
l0,
de sa
fille
elle
sans
rciprocit,
trouvant dans sa propre prsence au cur de ce reflet, le signe de son rgne,
la
marque de
sa
gloire.
10. Plotin : il y
a deux
espces de
ressemblances la
ressemblance qui
exige
un
lment identique
dans
les tres semblables;
elle
existe entre les tres dont la ressemblance est
rciproque,
parce qu'ils viennent du
mme principe; la seconde
espce de
ressemblance existe entre deux choses dont l une est devenue semblable
une autre, qui
est
elle-mme primitive et dont on
ne
peut dire par rciprocit qu elle
est
semblable ; ce
second
type de
ressemblance
n exige pas la
prsence
d un lment
identique
dans les
deux,
mais plutt d un lment
diffrent, puisque la
ressemblance
s'est
opre de
la deuxime manire (Ennades, 1.2, 2).
Denys
l'Aropagite : il faut
dire
que
les
cratures mmes ressemblent
Dieu,
qu'elles sont faites "
l image et
la
ressemblance
de Dieu". Dieu pourtant ne
leur
ressemble
pas plus qu'un
homme ne ressemble
sa
propre
image
{Noms
divins,
IX, 6). Thomas
d'Aquin
il
n y
a
lieu
similitude
mutuelle
qu entre
des
tres
appartenant un mme
ordre, non
de l effet la
cause.
Ainsi, nous disons bien qu'un
portrait
ressemble son modle,
mais non
que
le modle
ressemble
au
portrait
(Somme
thologique, la, question 4, article 3, solution 4).
ROMANTISME
n 95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
6/13
Le
ridicule raisonnement de Fort
comme la
mort
73
Aprs
la
mort de sa mre,
Olivier lui
crit encore
Roncires
:
Lorsque
je
vous sais
Paris
[...],
si je
ne vous
aperois point, je
puis au moins trouver
Annette qui
est
une
manation
de
vous.
Vous
me mettez
l'une
et
l'autre
de
l'esprance
plein
les rues, l'esprance
de
vous
reconnatre [...]. Et alors
la
ville devient charmante,
et les
femmes
dont la tournure ressemble
la vtre agitent mon cur de tout le
mouvement des rues, entretiennent
mon
attente, occupent
mes yeux, me donnent
une
sorte
d'apptit de vous voir (II,
;
p. 922-923).
La comtesse ne
peut savoir encore, mme
si
Olivier
parle de
la retrouver
en sa
fille,
que
celle-ci a cess
d'tre
un
signe
et possde
dsormais
une densit
propre,
avec la
valeur
de son ct. S agissant d Olivier, on observera en passant que s'il ne
prend
plus
Annette pour un simple renvoi, il s'obstine, comme tous les
amoureux
en
un sens
mais
plus qu eux sans doute, trouver en d'autres celle
qu il
aime.
Le passage du temps va rendre la ressemblance non contemporaine, ou la rvler
telle,
et
la
lumire
solaire
de
la campagne
normande
le
fait
ressortir.
A
Roncires,
Annette a
pris
le deuil comme sa mre. Bertin s exclame :
Mais
c est votre portrait
peint par moi, c'est
mon
portrait C est vous,
telle
que je vous
ai
rencontre
autrefois
en
entrant
chez
la
duchesse
(II, 2; p. 937). Il s'agit d une
ressemblance
accrue
Anne jeune, d o l chec de la
tentative pour
constater cette ressemblance,
quand
Olivier
fait placer les deux femmes cte
cte.
II
les compara; mais il
rptait
machinalement, sans conviction
: "Oui, c'est tonnant, c'est tonnant",
car
elles se
ressemblaient
moins
cte
cte
qu'avant
de quitter
Paris
(II,
2; p. 938).
Dsormais,
dans cette
campagne
lumineuse o le chagrin affecte la mre, c est toute la jeunesse
de
la fille qui ressort.
Le grand soleil
les clairant, il
confondait moins prsent
la
comtesse avec Annette,
mais il confondait de
plus
en
plus
la fille
avec
le
souvenir
renaissant
de
ce
qu avait
t
la
mre
(p.
948).
Il
voudrait encore
embrasser
les
deux
:
la mre, parce
qu il l aime
toujours et
par
la
force
de
l'habitude, mais
la fille
maintenant
pour retrouver miraculeusement le plaisir prouv jadis
avec
la mre.
Plus tard, survient l exprience
dcisive du
tableau. Le retour
Paris
et aux
lumires
artificielles apaise l angoisse de
madame
de
Guilleroy
vieillissante,
comme
si ce petit dplacement et cicatris
ses plaies
. Bertin l accueille
par
une
exclamation
:
vous
tes
blouissante
ce soir , mais c'est, bien peu
de
temps aprs,
pour
s'tonner
Est-ce
stupfiant? - de la
ressemblance
d'
Annette
avec le tableau
reprsentant sa mre, sous lequel il vient de la
conduire.
La
duchesse fut
tellement
surprise, qu'elle semblait hors d'elle et rptait : Dieu est-
ce
possible C'est une ressuscite
Dire que
je n'avais pas vu a
en
entrant Oh ma
petite
Any,
comme
je
vous
retrouve,
moi
qui
vous
ai si
bien
connue
alors,
dans
votre
premier deuil de femme [...].
Oh
Cette Annette, en
noir
comme
a, mais c'est sa
mre
revenue
sur la terre.
Quel miracle
Sans ce portrait,
on
ne
s'en
serait
pas
aperu
Votre fille vous ressemble encore beaucoup,
en ralit,
mais
elle
ressemble
bien
plus
cette toile (II, 3
; p.
955).
Le soir, la comtesse se
sent
vieille. Ce soir-l,
pour
la
premire
fois, elle avait
compris que dans ce salon, o
jusqu alors
elle tait seule admire,
complimente,
fte,
aime, une autre,
sa
fille, prenait
sa
place
- ce
salon
d o elle carte avec
un soin discret et tenace toute redoutable comparaison (p. 956).
Tout
le pathtique
de la condition d Anne de Guilleroy clate dans la
page du
miroir
(II, 5 ; p. 997). Le personnage
assiste
son
propre ddoublement, mais
trangement,
l'existence
de
la
fille
cre
ce paradoxe
que
la
personnalit
abandonne
au
pass
par
la femme
vieillissante
est la
vraie,
celle qui habite le psent de la socit
parisienne
ROMANTISME n
95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
7/13
74
Ren Lefbvre
et de l'amour, celle qui a l'avenir devant
soi.
Any ne perd
pas
sa jeunesse, comme les
autres,
comme
Bertin; c'est sa jeunesse qui la perd, la rejette,
l expulse.
L exprience
de ne plus
exister
qu peine s aggrave ici d une affirmation
triomphante
: tout ce
dont
tu
as t
porteuse
vit et
vit bien,
ce n'est
que
toi
qui
t'en
dtaches,
ce n'est pas
ce que tu es
que la
mort menace,
mais toi. Lorsqu une femme
ge
se
regarde
dans
un
miroir, hante
par
le souvenir de la beaut perdue, elle se voit devenue une triste
ralit,
sent ce spectacle le naufrage d'une
jeunesse
abandonne au pass. L inverse
est
vrai
dans
le
cas
d'Any
: l image actuelle est
dralise,
puisque la jeunesse
vit
de
toutes
ses
promesses, et c est la personne mme de la comtesse que frappe l'inanit.
En empchant sa mre de
vieillir,
Annette l'exproprie M.
Le narrateur vient d voquer ainsi qu une
vague
dmangeaison, la marche lente
des
rides sur
son front ,
voici cette
page :
Cela devint une
maladie,
une possession. Elle
portait
dans sa poche une
mignonne
bote
poudre
de
riz
en ivoire,
grosse
comme
une noix,
dont
le
couvercle
intrieur enfermait
un
imperceptible miroir, et
souvent,
tout
en marchant, elle
la tenait ouverte
dans
sa
main
et
la
levait
vers
ses yeux.
Quand
elle s'asseyait pour
lire
ou pour crire, dans le salon aux
tapisseries, sa pense,
un instant distraite
par
cette
besogne
nouvelle, revenait bientt
son obsession. Elle
luttait,
essayait
de
se
distraire,
d'avoir
d'autres
ides,
de continuer son
travail. C'tait en
vain; la piqre du dsir la harcelait, et bientt sa
main,
lchant le livre
ou
la plume,
se
tendait
par
un
mouvement
irrsistible vers la petite glace
manche
de
vieil
argent qui
tranait
sur son bureau. Dans le cadre ovale
et cisel
son
visage
entier
s'enfermait
comme une figure d'autrefois, comme
un
portrait du sicle dernier, comme
un pastel
jadis frais
que
le soleil avait terni. Puis, lorsqu'elle s'tait longtemps contemple,
elle
reposait,
d'un
mouvement las, le petit objet sur le meuble et s'efforait de se
remettre
l'uvre,
mais
elle
n'avait
pas
lu
deux
pages
ou
crit
vingt
lignes,
que
le
besoin de
se
regarder renaissait en
elle,
invincible et
torturant;
et elle tendait de nouveau le bras pour
reprendre la
miroir.
Entreprend-elle de s'en dfaire,
on le
lui rend, elle
doit
se rsigner
et remercier
:
on ne se dfait
pas de son ombre.
Dans un
miroir, on observe sa
propre image.
Lorsqu on s est
laiss
surprendre par
l'ge,
cette
image
contredit
le souvenir qu on
avait de soi-mme,
et l on
peut prouver le
sentiment
d'tre
trahi,
puis on comprend
que le
temps
a pass, et qu on
est
devenu cela.
Anne
de Guilleroy, elle, voit dans
la
glace
la fois
une femme
vieillie, et une femme du pass.
Rsumons
le
cas
Olivier.
Dj,
il
lui
a
fallu,
pour aimer
la comtesse, la
rgularit
de sa
prsence l'atelier;
il s est en
mme
temps
familiaris avec
l'enfant, qu il
retrouve grandie avec plaisir, en la
traitant encore
en fillette. Quand la jeune fille
revient
Paris, la
ressemblance avec
la
mre le frappe,
mais
il ne
prend
d'abord
la
fille que comme une
manation de la mre
:
Voyons, ma chre Any,
mais
c'est
justement
parce
que
je
vous retrouve en
elle
que cette fillette
me
plat beaucoup. C est
vous, vous seule que j aime en la regardant , dit-il
encore
avec quelque mauvaise foi
(II, 4 ; p. 964). Puis il
la
prend comme
une
copie de
la
mre
autrefois
; ds lors,
une nouvelle confusion s'installe,
dont il
interroge le
sens : il berait son
amour
au
charme de cette
confusion
(II, 2; p. 942). Any lui prte
ce
va-et-vient comparatif
11.
Comme le
note Philippe Bonnefils, l amour de Bertin
ne
change
pas
d'objet, c'est
l'objet
qui
change de
place
(ouvr.
cit,
p.
129).
ROMANTISME n 95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
8/13
Le
ridicule raisonnement de Fort comme la mort 75
dont
elle souffre. En contemplant
la
copie du portrait de
la mre
peint
par lui, il
se
persuade de la
supriorit
de son
exprience
amoureuse actuelle
sur
celle
de ses
amours avec
la comtesse. Olivier doit reconnatre
que
c est Annette qu il aime, plus
qu il
n a
jamais
aim
Any,
mais
le sens
de
cet amour
n'est
pas
immdiatement
clair.
Qu est-ce qu Annette? Il y
a
bien
sr
la
vieillesse d'Any
qui la rend moins dsirable,
celle
d'Olivier,
qui
le rend
nostalgique de sa
propre
jeunesse, et de la jeunesse, mais
encore?
Lorsqu Any demande
Olivier
:
ce
que vous
prouvez prs d elle res-
semble-t-il
ce que
vous prouviez prs de
moi? ,
la
rponse
est
oui
et
non...
(II, 6; p.
1012).
A la fin, Any
loigne
Olivier, qui en meurt.
Fort
comme
la
mort
est
l'histoire d'un
peintre amoureux.
Qu il
soit peintre, cela
peut expliquer qu il
discerne
mieux des caractres et notamment des
ressemblances,
ou des effets de lumire sur un visage. Mais l'attitude originelle que
cela induit
l'gard
de
la
ralit est indique dans le premier chapitre du
roman.
Olivier
fait
le
portrait
d'Any,
et
l'intimit
annonant
l'amour
s'est
dj
installe
entre
eux.
Pench vers elle, piant tous les mouvements de sa
figure,
toutes les colorations de sa
chair,
toutes
les ombres de la peau, toutes les expressions et les transparences des yeux,
tous les secrets de sa physionomie, il s'tait imprgn d'elle comme une ponge se
gonfle d eau; et
transportant
sur
sa
toile
cette manation de
charme
troublant que son
regard
recueillait,
et qui
coulait,
ainsi qu'une onde, de
sa
pense son
pinceau,
il en
demeurait tourdi, gris comme s'il avait bu de la
grce
de
femme. Elle
le
sentait
s'prendre
d'elle...
Le passage reste
tributaire d'une conception
mimtique
de l'art,
dont
les origines
remontent en particulier Xnophon l2. Mais
cette conception
intgre originalement le
thme classique de l'ponge
du
peintre. On se
souvient
de
cet
artiste qui,
dsespr,
au tmoignage de Pline, d ne pouvoir rendre la ressemblance de la respiration cu-
mante d'un
chien, ne
dut de triompher de
la
difficult qu au dpit
qui
lui fit projeter
sur
la toile son
ponge
imprgne de couleur '\ Ici, c est
le peintre
lui-mme qui est
ponge,
comme
si la substance de la ralit qu il peint devait transiter
par
lui,
avant
de devenir
image
14.
12. Voir dj le bouclier
d'Achille
et
le manteau d'Ulysse, Iliade 18, 549
et Odysse
19,
229.
Pour
Xnophon (Mmorables,
III,
10,
1-8), on
peut dj picturalement xjAineaOai, jieixeiv, cponoicnjv,
depuis
ce qui
n'a
ni proportions ni couleurs, c est--dire des ralits mentales.
13.
Histoires
Naturelles,
XXXV, 102-103
de l dition
des Belles Lettres.
14. Initialement,
mimeisthai signifie
mimer
: il
s'agit
de
reprsenter
par
son corps ou par
sa voix,
sans prsence
d un
medium
distinct
(voir
G.
Sorbom, Mimesis
and
art,
Uppsala,
1966,
p.
22
et
note.
4;
G.
Else,
Imitation
in
the fifth
century
, Classical Philology, 53,
1958,
p. 78b : the original sphere
of
mimesis -
or
rather
of
niimos and mimeisthai -
was the
imitation
of
animate
beings,
animal and
human,
by
the
body
and the voice (not necessarily the singing voice) rather
than
the
artefacts
such
as statues or
pictures.
In other
words, these terms originally denoted a dramatic
or quasi-dramatic
representation, and their
extension to non-dramatic forms like painting
and
sculpture must have been a secondary development [...] ).
Platon, Rpublique
III,
s'en prend ce que les anglo-saxons appellent impersonation, lorsque des jeunes
gens jouant un
rle
risquent
leur vertu
dans
une identification
l un,
puis
l autre, a fortiori s'il s'agit de
mauvais modles. Aristote en revanche valorise,
contre
la digsis, ce que Platon condamnait sous le nom
de mimsis, faisant du pote
un (xavix, contraint
de se placer v tol kQeoiv (Potique, 55a 24-34).
Enfin,
on sait
depuis
Damon, cit par
Platon, Rp., III, 400b,
qu'il y
a
une correspondance
entre la ralit,
en l occurrence
les
mouvements de l'me,
et
les
chants, de nature
faire natre l'coute une
assimilation
de l auditeur ce
qu'il
coute (Rp.,
401d;
Lois, 656a-b) : de l une influence musicale que
Platon
observe
avec
circonspection, de mme que l Aristote
platonisant
de Politique VIII,
3, pour qui
les sons
imitatifs
entendus
rendent
aufAJtaOe
(1340al
1-13).
Ce
dont
il
s'agit
chez
Maupassant,
c'est
d un
processus
allant
de
l objet imit
l'uvre en passant
par
une imprgnation de l artiste.
ROMANTISME
n 95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
9/13
76 Ren Lefbvre
Dans l'anecdote rapporte
par Pline,
le
jet de
l ponge
fait
ressortir le
fait que
le
jeu implique un imit et un imitant, en rduisant
sa
plus
simple expression la
contribution du troisime, le
peintre. L ponge
laquelle est compar Bertin aspire au
contraire
ces
flux
que
les
anciens
faisaient circuler
de
la
ralit
au
corps
du
mime,
l me du pote,
celle de l'auditoire, mais cette ponge est
le peintre
en personne.
Bertin, homme
rserv avec
les
femmes, et
qui entend
mettre dans sa
relation
avec le
monde
de la distance, en
tant
que
peintre
s'imprgne, puis exprime.
Etre
deux
fois
paradoxal. Esprit
critique
incapable
de confondre
une
ralit
authentique
et sa reproduction factice, il se jette avidement
sur
Annette, image de sa mre.
Etabli distance
de la ralit, il
y
succombe
lorsqu elle devient
objet
peindre. Il est
vrai
que
la femme qu il veut peindre est
ici
la femme qu il
commence
aimer,
en
sorte
que
son
avidit
est
une avidit
impure, dans
laquelle on
ne sait
quelle part
revient
la
passion picturale,
et
quelle part
la
passion amoureuse.
Il
y
a
des
circonstances
o,
comme
peintre,
a
fortiori
comme
peintre
amoureux,
Bertin ne
peut
plus laisser la ralit
exister
distance, et s en empare pour la porter
en
lui,
avant d'en produire un double
pictural. L me peut-elle
cependant tout
absorber
? Si
Olivier avait
peint
Annette, peut-tre ne
serait-il
pas
mort,
mais peut-tre aussi
ne l'a-t-il pas peinte
parce
qu il devait mourir de cette rencontre. Reflet vivant d une
femme
teinte
dj peinte,
Annette n'est
plus sortie
de
lui. De
plus, il y
a des
circonstances o le
peintre
l'esprit
fort ne
sait plus reconnatre qu un double
n'est
qu un
double,
et c'est ainsi qu il succombe au charme d' Annette.
Mais pourquoi
ne la
reconnat-il plus comme double,
cesse-t-il
rapidement de
la
considrer comme telle?
Plusieurs
lments
d explication
sont
concevables,
ingalement contourns.
S
'agissant de
ces
deux femmes, la
rplique a
vite fait
de
devenir plus vivante
que
l'original
:
Any
s'efface sous
l'effet
de
l'ge,
et
Annette
se
trouve
seule
capable
d exhiber les
caractres rputs appartenir
la
mre.
Dans l ensemble des doubles, certains ont la proprit de prendre
plus
de
valeur
que les originaux : c est le cas des tableaux.
Malheureusement,
nous savons peu de
chose
de Bertin contemplateur
d'art, et ignorons s il
aurait sacrifi plus
volontiers
Any ou le
tableau.
Le jeu est compliqu
par
l'existence de ce tableau lui-mme : puisqu'Any est
dj
redouble, il
ne saute
pas
aux
yeux qu Annette
n'est
qu un double.
A l'inverse,
le
tableau qui
a fix
la
jeunesse d'Any peut
la
remplacer dans le rle d'original,
avant
d abandonner
ce rle
Annette.
Dans
tous
les
cas,
l existence
du
tableau,
sous
lequel
s accomplit
la reconnaissance
d une ressemblance
la mre
autrefois
, et se confesse la force de l'amour
nouveau
joue un rle dterminant dans l'inflchissement tragique du vieillissement de la
comtesse, et tout
d'abord, sans doute, dans
le
dclenchement
chez
son amant d une
passion aberrante.
Il
faudrait opposer
encore
la
vie
d'
Annette,
et
l'aptitude
du peintre
capter la vie,
la
force meurtrire
de l image
existante,
implacable et dfinitive, d'une
femme
pourtant figure dans sa jeunesse. Qui
est
l'intruse, Annette,
qui transforme le
couple
en
triangle tragique, ou
la toile,
qui contribue expulser Any d'elle-mme
et
aide
Annette
la vampiriser? Quel est
le
rle
exact du portrait
dans la tragdie amoureuse
vcue par Olivier
Bertin?
C est
comme
femme
peindre que lui
est apparue
son
amante,
mais comme
femme peinte,
elle
devait
finir
par
le
dcevoir,
tandis
que
la
ROMANTISME n
95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
10/13
Le
ridicule
raisonnement de
Fort
comme la mort 77
peinture, fidle au cur, allait
trouver
ailleurs
une rincarnation
paradigmatique, aprs
avoir empch les amants de vieillir ensemble. Le portrait est-il l auxiliaire d'
Annette,
ou
celle-ci son agent diabolique ?
Voici les termes dans lesquels est voqu l acte irrcusable du
naufrage
:
Dans
le placard
o il la gardait, il alla
prendre
la copie qu'il avait faite
autrefois pour
lui du portrait de la comtesse,
puis
la posa sur son chevalet, et
s'
tant assis
en
face, la
contempla. Il
essayait
de la revoir, de la
retrouver
vivante, telle qu'il l'avait
aime
jadis.
Mais
c'tait toujours
Annette qui
surgissait
sur la toile. La mre avait disparu,
s'tait
vanouie laissant
sa
place cette
autre
figure qui lui
ressemblait
trangement. C'tait la
petite [...]
et il sentait qu'il
appartenait
corps
et me
ce
jeune tre-l, comme il
n'avait
jamais
appartenu
l'autre, comme
une barque
qui coule
appartient
aux vagues (II, 5;
p.
988).
Bien
sr,
ce
n'est pas la
copie
du
tableau
qui
rend Any
dissemblante
de
ce
qu elle
fut, Annette
ressemblante
ce que fut Any. Mais le lieu dans
lequel
Annette et Any
se
substituent
l une
l'autre est, en
mme temps
que le cur d'Olivier, l espace
de la
toile, dans lequel elles occupent tour
tour
la permanence d une place. Et tandis que
dans le cur
un
amour pourrait chasser l'autre,
coexistant
au plus avec sa mmoire,
dans l espace du tableau c'est d une mme
forme
que les deux
femmes
apparaissent
comme les avatars, une forme qui perdure, et qui ne peut tendre
devenir de plus en
plus
celle
d'Annette
au
point de faire oublier
qu il s agit d'un portrait d Any.
C est dans l'amour de
la
petite qu Olivier s'engloutit,
mais la
petite
est ce qu a
t la
mre, aprs
la
mre, et dans
le
contexte nouveau du
vieillissement
du
peintre.
Si
Olivier
a chang, et
la
mre aussi, Annette
reprsente la
chance
d une
permanence
que
la
copie
du
tableau
donne
voir.
Une
occurrence
en
remplace
une
autre
dans
la
mme
forme,
comme un mme amour doit pouvoir
durer d une
hypostase l'autre.
Malheureusement, la vie n a pas la
complaisance
de l'art,
et
les personnes refusent de
sacrifier leur
singularit
au profit
d'un
eidos. Quant
Olivier, il n'est pas
net. Comme
peintre,
il a en quelque sorte ralis
l'ide,
et comme homme, il aspire
l'ternit;
mais l'ternit
picturale
ne lui suffit
pas,
et comme
homme
de chair,
il troque la
vieille
contre
la jeune l5. Ne ralise-t-il pas le tour de force d'affirmer en mme temps
ce
sophisme
rassurant
:
on n aime qu'une fois
,
et cette loi
:
on
aime un type
(II, 4 ; p.
966)
?
Que
l'art et l'amour soient
lis n'est
pas fait
pour
surprendre.
Voici
les
termes
dans
lesquels le peintre
se plaint par lettre
d'tre devenu
strile, depuis que les deux
femmes
ont
quitt
Paris
:
Autrefois, il n'y a
pas
encore longtemps, le nombre
de motifs
nouveaux
me
paraissait
illimit,
et j'avais
pour les
exprimer une
telle varit
de
moyens que
l'embarras du
choix me rendait hsitant. Or, voil que tout
coup, le
monde des sujets
entrevus s'est
dpeupl,
mon investigation est
devenue
impuissante et strile.
Les
gens
qui
passent
n'ont plus de sens pour moi ; je ne trouve
plus en
chaque tre humain ce caractre et
cette
saveur
que j'aimais
tant
discerner et rendre apparents. Je crois cependant que
je
pourrais faire un trs joli
portrait
de
votre
fille. Est-ce qu'elle vous ressemble si fort,
que
je
vous
confonds
dans
ma
pense?
Oui,
peut-tre.
15. Le peintre est
donc
un tre simple, vulnrable, un artisan qui, allant
vers
la beaut idale,
s arrte
en
chemin,
en
proie
aux
conflits
qui
dchirent
les
moments
de
la condition humaine
(Joseph-Marc Bailb,
art. cit, p.
85).
ROMANTISME n
95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
11/13
78
Ren
Lefbvre
Donc,
aprs
m'tre
efforc
d'esquisser un
homme
ou une femme qui ne
soient
pas
semblables
tous
les
modles connus,
je me
dcide
aller djeuner
quelque part, car je
n'ai plus
le
courage de m' asseoir
seul dans
ma salle
manger (11,1
; p. 924-925).
Bonne
et
mauvaise
ressemblances
:
Bertin a
commis
un
portrait
d'Any,
Annette
renchrit en beaut sur sa mre, et cependant, les deux femmes absentes, tout
est
devenu semblable. Est-ce donc dans
la
dissemblance
(des
modles entre eux) que le
peintre
aime
la
ressemblance
(picturale)?
Est-ce
dans la
multiplicit qu il
aime
l'unit ?
Et comme homme aussi ?
Plusieurs passages
le
suggrent,
encore
qu on puisse hsiter entre dire d Olivier
Bertin qu il aime
l'unit
dans
la multiplicit, ou qu il aime la multiplicit dans l'unit.
La
premire partie
s achve sur ces mots :
De
cette ressemblance naturelle
et voulue,
relle
et
travaille, tait
ne dans l'esprit et
dans le cur
du
peintre
l'impression bizarre d'un tre double,
ancien
et nouveau, trs
connu
et
presque
ignor,
de deux
corps faits
l'un
aprs l'autre
avec
la
mme
chair,
de la
mme
femme
continue, rajeunie, redevenue
ce
qu'elle
avait
t. Et il vivait
prs
d'elles,
partag entre
les
deux, inquiet,
troubl,
sentant pour la
mre
ses ardeurs
rveilles
et
couvrant la
fille d'une obscure tendresse (p. 919).
Puis c est
l vocation
d une marche
vesprale, une femme
chaque bras :
II
avanait, possd par elles, pntr par
une
sorte
de
fluide
fminin
dont
le contact
l'inondait
[...]. Elles
le guidaient, le conduisaient,
et
il
allait devant
elles, pris d'elles,
de celle de
gauche comme
de
celle
de droite, sans savoir
laquelle
tait
gauche,
l quelle
tait droite,
laquelle
tait
la
mre, laquelle tait
la
fille.
Il s'abandonnait
volontairement avec une sensualit inconsciente et raffine au trouble de cette
sensation.
Il
cherchait mme
les
mler dans son cur,
ne
plus
les distinguer dans
sa pense,
et il
berait
son
dsir au charme de cette confusion. N'tait-ce
pas une
seule
femme que
cette mre
et
cette
fille
si
pareilles?
Et
la
fille
ne
semblait-elle
pas
venue
sur
la
terre
uniquement
pour
rajeunir son
amour
ancien
pour la mre?
Quand
il rouvrit
les
yeux en
pntrant
dans le chteau, il lui sembla
qu'il
venait de
passer
les plus
dlicieuses
minutes de
sa
vie, de
subir
la
plus
trange, la
plus
inanalysable
et
la plus
complte motion
que pt goter un homme, gris d'une
mme
tendresse
par
la
sduction mane de deux
femmes (II, 2;
p. 942).
Voici le passage le plus platonicien :
II
arrivait alors souvent que, dans cette
sorte d'hallucination o il berait son isolement,
les
deux figures se
rapprochaient, diffrentes,
telles
qu'il
les
connaissait,
puis passaient
l'une
devant
l'autre, se
mlaient,
fondues ensemble,
ne
faisaient plus qu'un visage, un
peu confus, qui n'tait
plus
celui de la mre,
pas tout fait
celui de la
fille,
mais celui
d' une femme
aime
perdument,
autrefois,
encore, toujours
(II,
4;
p.
974).
Assez
clairement,
Olivier
se
rfre
un tre unique permanent dans le temps
l6.
Il
n'est cependant pas un moi
se nourrir de l essence des choses, selon le
mot
proustien,
16.
Regardez
la
premire bte venue,
regardez votre
chien
: avec
quelle
joie, avec
quelle confiance
il
se laisse
vivre
Bien
des
milliers
de chiens ont
d
mourir,
avant
que son tour
vnt
d exister. Mais la
disparition de ces milliers de
chiens
n'a nullement
entam
l'ide du chien; toutes ces morts
ne l ont pas
obscurcie
du moindre nuage. Et ainsi le
chien
existe aussi frais,
aussi
neuf, aussi
fort
que si c tait aujourd hui son
premier
jour, que si
son dernier
jour
pouvait ne
jamais venir,
et dans ses yeux luit le
principe indestructible,
la force primitive qui
l'anime. Qu'est-ce donc qui
a
pri pendant ces milliers d'annes? - Ce
n est
pas
le
chien, il se
dresse
intact devant
nous;
ce n en est que
l ombre,
que l'image reproduite dans notre mode de
connaissance li au temps. Et comment peut-on
seulement
croire la disparition de ce qui existe toujours et
toujours,
de ce
qui
remplit
le
temps
tout
entier?
(Schopenhauer, Le
monde
comme volont
et
commereprsentation,
tr.
Burdeau,
1978
l0 p.
1228).
Rappelons
que
pour
Schopenhauer,
l uvre
d art
n est
qu'un
moyen destin faciliter la connaissance de l'ide
(ouvr.
cit, p. 251).
ROMANTISME
n
95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
12/13
Le
ridicule
raisonnement de Fort
comme
la mort 79
c'est pourquoi
il lui faut exprimenter Yeidos dans la diversit de
ses
participants,
connatre
deux
femmes
et
non
pas une,
dont
il ne
faut plus
dire seulement que l une
ressemble
l'autre et
la
fait
revivre,
mais
dont il
faut
reconnatre
que
toutes
deux
incarnent
un type.
La confusion, elle,
est
lie au
fait
d'tre
l'articulation de
deux
mondes,
et de se
rfrer
l'unit eidtique, depuis la diversit mondaine,
pour en
jouir.
Ni
le type sans
ses
occurrences, ni des occurrences erratiques.
Non,
je
n aime pas la petite, je suis la victime de sa ressemblance
,
est
double
sens. En premier lieu, la dngation parat signifier
qu il
n'y
a
pas d amour pour
Annette, qu il y
a seulement pour
Any,
un amour
dbordant
jusqu
englober cette
fille qui en descend et lui
ressemble.
En un
second sens,
la
phrase
peut signifier
qu au-del des personnes, c'est une ressemblance qui happe le
peintre, et
l engage
dans une aventure mtaphysique. C est d'ailleurs
par un hommage
la
ressemblance
que dbute la proto-histoire de l'amour
pour
Annette l7, et il vaut la peine de
s interroger
sur
la
relation
exacte
d Olivier
ce
qu il
appelle
un
ridicule
raisonnement
.
Any
a
fini par prvenir Olivier : Prenez garde, mon ami, vous
allez vous prendre
de ma fille .
Comprenez.
Ma
fille
me ressemble trop, elle est trop
tout
ce que j'tais
autrefois quand
vous avez commenc m'aimer, pour que vous
ne vous
mettiez
pas
l'aimer aussi.
- Alors, s'cria-t-il, vous
osez me jeter
une chose pareille la face sur cette
simple
supposition et
ce
ridicule
raisonnement
: II m'aime, ma fille me ressemble - donc il
l'aimera (II, 3; p. 964).
Le raisonnement ne
serait qu en partie ridicule : il
y
a
bien
des choses qui se
ressemblent
par
tel ou tel aspect, sans que
telle
attitude que nous avons vis--vis de l'une
nous
l ayons
aussi vis--vis
de
l'autre;
mais
d'un autre
ct,
certaines ressemblances
peuvent
lgitimement
conduire
des
comportements
analogues.
En
va-t-il
ainsi
de
l amour?
Ce
qu il
y a de ridicule dans
le
raisonnement appliqu l'amour, c est qu il
viole
la
singularit
des
personnes, et
coup sr, un homme qui se laisserait guider par
lui serait
son tour
ridicule. Olivier
est-il
ridicule
sans le savoir? On pourrait le
penser, dans la mesure o d'Any
Annette, son
amour
bgaie. Mais la rptition n'est
qu en
partie nave : s'il se laisse
aller
aimer Annette
plus qu il
n a jamais
aim Any,
il est devenu conscient de la ressemblance de l'une
l'autre. Et il ne s'agit pas
seulement de deux femmes qui se ressemblent,
mais
d une jeune fille ressemblant
sa
mre avant de l'effacer.
Le
deuxime amour enfin n'est pas indpendant du
premier,
dont
un tableau fut l'enfant.
Jusqu
un certain point du moins, Olivier
a
raison : ce
n'est
pas
parce que
Y ressemble
X qu il aime,
qu il
doit l'aimer
aussi. Mais
c est
peut-tre
parce
qu un
deuxime
amour
trouve
l
une
occasion
de ressembler
au
premier ou
mme
de
le continuer.
C est
peut-tre
surtout parce que
la rencontre d'Annette parachve
d'enseigner ce
qu Olivier sait dj grce
la peinture : que les tres transitoires ont des
doubles
en
compagnie desquels
ils incarnent
des
types. Vue
sous cet
angle, la relation
la fille de
la
comtesse
est bien de
nature mtaphysique.
Ce
que vous prouvez prs d elle res-
semble-t-il ce que vous prouviez prs de moi ? Relisons la rponse embarrasse
d Olivier :
17.
Un
aprs-midi,
l enfant tombe
en
arrt
devant le
portrait
de
sa
mre
et
demande
:
c'est
maman,
dis?
-
Bertin
alors
la
prit
dans ses bras pour l embrasser,
flatt
de
cet
hommage naif
la
ressemblance
de son uvre (I, ; p. 850).
ROMANTISME n 95
(1997-1)
7/25/2019 Fort Comme La Mort
13/13
80
Ren Lefbvre
Oui et
non...
et c'est
pourtant
presque la mme
chose.
Je vous
ai
aime
autant qu'on
peut aimer une femme. Elle,
je
l'aime comme vous, puisque
c'est
vous;
mais
cet
amour
est
devenu
quelque chose d'irrsistible, de destructeur, de plus fort que la mort.
Je suis
lui
comme
une
maison
qui
brle est
au
feu
(II,
6;
p.
1012).
La diffrence entre
les
deux amours
frappe
par sa nature
quantitative.
Mais
la
raison de
cet
cart
d'intensit? Est-ce seulement que dans le second, il
y
a
toute la
dsesprance de l ge? Je vous ai
aime
autant qu on peut aimer une femme
signifie qu en Annette, Bertin aime
plus qu une
femme, et je
l aime comme
vous,
puisque c est vous
ne
va pas, car
je
l aime comme
vous signifie
qu il
y a deux
amours, et puisque c est vous , qu il n'y en
a
qu un. Cette dernire
vrit,
qui
aurait d sauver
Olivier
Bertin,
le
consume,
car la mre et la fille se croient deux,
encourages cela
par
le monde et la
vie.
Si
l on compare avec Platon, qui
distingue
trois niveaux d'tre (les choses, leurs
reflets,
leurs
modles
eidtiques),
il
semble
qu on
doive
retrouver
les
trois
niveaux
:
Yeidos,
le
type,
dont
Anne et
Annette sont des
participants,
les ralits concrtes
(Anne
et
Annette : leur rire par exemple est vrai), les simulacres
(et
tout d'abord
le
monde
: son
rictus).
Platon
situe
le mimme
pictural,
par exemple un lit en peinture, parmi les
simulacres. Il est
pobable qu Olivier
Bertin
le
situerait
au second niveau.
Rien
dans le
roman de
Maupassant
ne
laisse
entendre qu il privilgierait les uvres au dtriment
des personnes
ou
l'inverse,
s' agissant
du moins de personnes aimes.
Le
portrait
rvle le type en redoublant Any, comme le fait de son ct Annette
par
le
mme
procd.
Simplement,
le tableau livre une vrit implacable sur le temps,
et
dnonce le
c r ctre transitoire des participants de chair
et
d os, tout en les rattachant
Yeidos. Les
participants
de chair
et
d os,
pour leur
part,
ont
le dsir
de
la vie
et l illusion
de
l autonomie.
Au
deuxime niveau figure donc
la vie
qui, dans
la peinture,
secrte
cette
vrit sur elle-mme
qui la
concurrence et se
retourne contre
elle.
Mais
le
tableau,
comme
l ide, et bien qu il
autorise des
copies,
est lui-mme
ce
que
jamais
on ne verra deux
fois
( On ne fait pas deux fois le portrait d Any (I, 1 ; p. 841)),
tandis que le ddoublement d'Any
en Annette souligne
l'interchangeabilit des
personnes dans leur office d'incarnation
du
type.
(Lyce Les Bruyres)
ROMANTISME n
95
(1997-1)
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