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INTRODUCTION
« Les femmes d’Egypte ont toujours participé à l’écriture de l’histoire de notre nation. Elles ont montré leur compétence, leur responsabilité et leur force dans la construction de notre pays. »
M. le Président Abdel Fattah al-Sissi1
« Si vous avez un problème, plaignez-vous auprès de Dieu ».
Ancienne prisonnière interviewée par Amnesty International.
Depuis le soulèvement contre le gouvernement en janvier 2011, les Égyptiens vivent dans un état presque
permanent de troubles et d’instabilité politique, avec deux présidents destitués, deux constitutions approuvées et
une succession de gouvernements. La violence infligée aux femmes et aux filles, ainsi que l’incapacité des
autorités à mettre en place des actions significatives pour y remédier, ont été les seules constantes au milieu de
ces bouleversements. Maintenant que les autorités égyptiennes ont promis de proposer une stratégie nationale de
lutte contre la violence à l’égard des femmes, attendue lorsque le nouveau Parlement prendra ses fonctions dans le
courant de l’année, il est temps qu’elles remettent clairement les droits des femmes à l’ordre du jour politique.
Les gouvernements successifs ont mis les droits des femmes et la violence à leur égard en arrière-plan et n’ont pas
su reconnaître l’ampleur du problème ni prendre des mesures pour y remédier. Dans un contexte de division et de
violence politique, les autorités ont aussi utilisé la violence à l’égard des femmes comme enjeu politique : en
accusant leurs opposants politiques d’en être responsables sans pour autant prendre de mesures pour les faire
cesser. Aujourd’hui, les autorités continuent à se pointer du doigt. Lors du dernier examen périodique universel de
l’Égypte au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, un membre de la délégation égyptienne a blâmé les
Frères musulmans pour les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées, en mettant en avant les mesures
rétrogrades proposées par le groupe lorsqu’il était au pouvoir. Parallèlement, les Frères musulmans ont accusé le
« gouvernement militaire » d’être responsable de ces violences envers les femmes2. En vérité, indépendamment du
groupe au pouvoir, les autorités égyptiennes ont porté atteinte aux droits des femmes et causé des torts à de
nombreuses égyptiennes.
Ce sont surtout les attaques répétées envers les manifestantes aux alentours de la place Tahrir, le point
névralgique des manifestations d’ampleur nationale lors du soulèvement de 2011, qui ont marqué l’esprit du
public. Mais les violences de ce type ne se sont pas arrêtées là. Aujourd’hui, la violence à l’égard des femmes et
des filles est courante en Égypte, à la fois dans les foyers, dans la sphère publique et en prison. Les auteurs de ces
violences sont aussi bien des acteurs étatiques, comme les forces de l’ordre, que des auteurs non-étatiques,
comme les époux, les membres de la famille et des agresseurs inconnus dans la rue.
Les autorités égyptiennes ont systématiquement échoué dans l’exercice de leurs obligations juridiques
internationales et n’ont pas agi avec la diligence nécessaire pour prévenir, mener des enquêtes et punir de telles
violences à l’encontre des femmes et des filles. Elles ont aussi systématiquement échoué dans leur devoir de
fournir aux victimes de ces violences une réparation ou une indemnisation pour les préjudices subis, notamment
un suivi physique et psychologique.
1 “Listen to Egypt’s women to build a stronger economy – El Sisi”, site official de la campagne :
http://www.sisi2014.net/en/details.php?ID=135388
2 Voir l’intervention de Mervat Tellawi, présidente du Conseil national de la femme en Égypte- 20e session de l’Examen
périodique universel, le 5 novembre 2014, à 1.22.34: http://webtv.un.org/watch/egypt-20th-session-of-universal-periodic-
review/3876287212001 ; et le rapport préparé par les Frères musulmans et le Parti de la Liberté et de la Justice, para148 :
http://www.ikhwanweb.com/article.php?id=31884
VIOLENCE CONTRE LES FEMMES L’Article 1 de la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes définit la violence envers les femmes comme : « tout actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».3
L’article 2 de la Déclaration précise que :
« La violence à l'égard des femmes s'entend comme englobant, sans y être limitée, les formes de violence énumérées ci-après :
a) La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les coups, les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin au foyer, les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme, la violence non conjugale, et la violence liée à l'exploitation ;
b) La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l'intimidation au travail, dans les établissements d'enseignement et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée ;
c) La violence physique, sexuelle et psychologique perpétrée ou tolérée par l'Etat, où qu'elle s'exerce. »
Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de 1992 a décrit la violence envers les femmes comme : « …la violence exercée contre une femme parce qu'elle est une femme ou qui touche spécialement la femme. Elle englobe les actes qui infligent des tourments ou des souffrances d'ordre physique, mental ou sexuel, la menace de tels actes, la contrainte ou autres privations de liberté. La violence fondée sur le sexe peut violer des dispositions particulières de la Convention, même si ces dispositions ne mentionnent pas expressément la violence. »4
Harcèlement sexuel Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de 1992 définit en outre le harcèlement sexuel comme comportant :
« …un comportement inopportun déterminé par des motifs sexuels, consistant notamment à imposer des contacts physiques, à faire des avances et des remarques à connotation sexuelle, à montrer des ouvrages pornographiques et à demander de satisfaire des exigences sexuelles, que ce soit en paroles ou en actes. »5
Violence au sein de la famille Le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de 1992 indique de plus que :
« La violence dans la famille est l'une des formes les plus insidieuses de violence exercée contre les femmes. Elle existe dans toute société. Dans le cadre des relations familiales, des femmes de tous âges sont soumises à toutes sortes de violences, notamment sévices, viol, autres formes d'agressions sexuelles, violence psychologique et formes de violence décrites à l'article 5, qui sont perpétuées par la tradition. La dépendance économique oblige grand nombre de femmes à vivre dans des situations de violence. Les hommes qui ne s'acquittent plus de leurs responsabilités familiales peuvent aussi exercer de cette façon une forme de violence ou de contrainte. Cette violence met la santé des femmes en péril et compromet leur capacité de participer à la vie familiale et à la vie publique sur un pied d'égalité. »6
3 Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (Document ONU:
A/RES/48/104), 20 décembre 1993.
4 Comité pour l’élimination de la discrimination envers les femmes, Recommandations générales No 19 (11ème session, 1992),
para6 (violence sexiste).
5 Comité pour l’élimination de la discrimination envers les femmes, Recommandations générales No 19 (11ème session, 1992),
para18 (harcèlement sexuel).
6 Comité pour l’élimination de la discrimination envers les femmes, Recommandations générales No 19 (11ème session, 1992),
para23 (violence familiale).
Le cadre politique et juridique inadéquat et discriminatoire, ajouté à l’incapacité des autorités égyptiennes à punir
ou à répondre aux causes sous-jacentes de la violence envers les femmes et les filles, a fait naître une culture de
l’impunité, dans laquelle la violence sexuelle et liée au genre envers les femmes et les filles est omniprésente. Ces
violences sont présentes dans tous les aspects de leur vie, au sein de la famille comme dans la sphère publique.
Il est difficile d’évaluer l’étendue et la nature exacte des différentes formes de violence envers les femmes et les
filles en Égypte en raison de l’absence d’informations statistiques précises, officielles et à jour. Quand les autorités
ont communiqué des informations, celles-ci n’étaient pas répertoriées selon des facteurs pertinents, tels que la
région géographique, l’âge et la relation entre l’auteur et la victime. De plus, peu d’informations sont accessibles
au public quant au nombre de plaintes déposées auprès de la police et au taux de poursuites engagées et de
condamnations pour violences faites aux femmes et aux filles. Cependant, les informations partielles qui sont
accessibles démontrent une violence massive envers les femmes et les filles, à la fois au sein de la famille et de la
communauté.
DISCRIMINATION ET INEGALITE Comme dans tous les pays du monde, la violence sexuelle et liée au genre envers les femmes et les filles en Égypte est ancrée dans des formes de discriminations multiples et interconnectées, ainsi que dans les inégalités historiques et structurelles. De telles violences sont fortement liées à la situation sociale, économique et politique des femmes. Les femmes pauvres, peu éduquées et disposant d’opportunités d’emploi limitées sont davantage exposées à la violence et moins susceptibles de demander ou d’obtenir quelque forme de réparation.
Harcèlement sexuel 99 % : taux de femmes et de filles ayant rapporté avoir fait l’expérience d’une forme de harcèlement sexuel dans une enquête de 2013 effectuée par ONU Femmes7.
Violence conjugale 47,4 % : taux de femmes mariées, divorcées, séparées ou veuves ayant rapporté avoir subi une forme de violence physique conjugale lors de la dernière enquête officielle à ce sujet8
39 % : taux de femmes interviewées dans la dernière enquête officielle sur la violence conjugale qui pensent qu’il est
justifié pour un mari de battre sa femme dans certaines circonstances9
Mutilations sexuelles féminines
91 % : taux de femmes (âgées de 15 à 49 ans) victimes de mutilations sexuelles dans la dernière enquête officielle10
1 : nombre de poursuite pour mutilation sexuelle depuis le soulèvement de 201111
7 L’étude est basée sur un échantillon de 2 332 filles et femmes, ainsi que 1 168 garçons et hommes âgés de 10 à 35 ans, dans
les gouvernorats du Caire, d’Alexandrie, de Dakahleya, de Gharbeya, d’Ismaïlia, d’Assiout et de Qena. Voir ONU Femmes : entité
des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, Etude sur les moyens et méthodes pour éliminer le
harcèlement sexuel en Egypte (Rapport de l’ONU), 23 mai 2013 :
http://www.peacewomen.org/portal_resources_resource.php?id=1897 ; ONU Femmes, Etude sur les moyens et méthodes pour
éliminer le harcèlement sexuel en Egypte : Résultats / conclusions et résumé des recommandations,
http://www.peacewomen.org/portal_resources_resource.php?id=1897 ; et http://harassmap.org/en/wp-
content/uploads/2014/02/287_Summaryreport_eng_low-1.pdf
8 El-Zanaty, Fatma and Ann Way, “17. Domestic violence” in Egypt Demographic and Health Survey 2005, ministère de la Santé
et de la Population, Assemblée générale du peuple, El-Zanaty and Associates and ORC Macro, 2006, p221-222 :
http://www.measuredhs.com/pubs/pdf/FR176/FR176.pdf
9 El-Zanaty, Fatma et Ann Way, “3.3 Attitude des femmes envers la violence conjugale ” Enquête démographique et de santé
menée en 2008 en Egypte, ministère de la Santé, El-Zanaty and Associates and Macro International, 2009, pp42-43:
http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PNADO806.pdf
10 El-Zanaty, Fatma et Ann Way, “15. Circoncision féminine”, Enquête démographique et de santé menée en 2008 en Egypte,
p197 (Table 15.1).
Vie publique 30 – 42 : nombre approximatif de femmes juges, parmi lesquelles de nombreuses ont été directement nommées par Hosni Moubarak12
2 % : taux de femmes ayant un siège dans la dernière Assemblée du peuple (chambre basse du Parlement)
10 % : taux de femmes nommées au comité de cinquante membres ayant rédigé la Constitution égyptienne de 2014
Emploi 24,2 % / 9,8 % : taux de femmes sans emploi par rapport aux hommes sans emploi13
Analphabétisme
37,3 % : taux de femmes et de filles égyptiennes âgées de plus de dix ans qui sont analphabètes, selon les statistiques
officielles14
VIOLENCES DOMESTIQUES Les recherches et les statistiques officielles les plus récentes menées sur les violences domestiques démontrent
qu’entre un tiers et deux tiers des femmes et jeunes filles ont déjà subi des violences chez elles, sous une forme
ou une autre, de la part de leur conjoint ou d’un autre membre de la famille15. Ces études soulignent également
que ce phénomène est largement accepté par la société. La stigmatisation qui accompagne le signalement de
violences domestiques, l'absence d'une législation interdisant explicitement ces dernières, et l’insuffisance des
mécanismes de protection existants ont pour effet que des femmes souffrent en silence, pendant des années,
d'atteintes pouvant aller jusqu'à des violences qui menacent leur vie16. Amnesty International a découvert que les
femmes qui surmontent ces obstacles et dénoncent des violences domestiques sont confrontées à des
fonctionnaires qui minimisent leur plainte, se montrent négligents et parfois hostiles. Il n'existe pas de chiffres
officiels sur le nombre d'hommes reconnus coupables et emprisonnés pour violences domestiques. Aucune des
victimes de violence, aucun des avocats ou membres d'O.N.G. interrogés par Amnesty International lors de
l’élaboration de ce rapport n'a jamais vu un seul cas de succès lors de poursuites contre un partenaire responsable
de violences.
Les conclusions de l'organisation laissent penser que cette généralisation des violences domestiques est aussi
fortement liée à un de divorce très discriminatoire, ce qui dans les faits condamne de nombreuses femmes à rester
au sein d'unions marquées par les violences.
11 La poursuite a été abandonnée. Selon les médias, le médecin accusé dans l’affaire a obtenu un accord à l’amiable avec la
famille de la fille décédée suite à une mutilation sexuelle. Voir ONU Egypte, Déclaration sur la révocation du cas impliquant
Soheir El-Batei, victime de mutilation sexuelle féminine, 21 novembre 2014 :
http://www.eg.undp.org/content/egypt/en/home/presscenter/pressreleases/un-statement-on-dismissal-of-case-involving-soheir-el-
batei--vic/
12 “7.b.1. The Current Situation”, Consideration of reports submitted by States parties under article 18 of the Convention on the
Elimination of All Forms of Discrimination against Women: Combined sixth and seventh periodic reports of States parties: Egypt*
(UN Doc: CEDAW/C/EGY/7), p28 ; voir également Institut de l'ordre international des avocats pour les droits de l'homme, “Under-
representation of women in the judiciary”, Separating Law and Politics: Challenges to the Independence of Judges and
Prosecutors in Egypt, Février 2014, p30 : http://www.ibanet.org/Article/Detail.aspx?ArticleUid=b30a63ae-8066-4b49-8758-
c1684be5e9b9
13 Agence centrale pour la mobilisation du public et pour les statistiques (CAPMAS), “Labor force”, Statistical Yearbook 2014,
2014 : http://bit.ly/1BawQma
14 CAPMAS, “Public indicators”, Statistical Yearbook 2013, 2013 : bit.ly/168AGHH (Chiffres issus d’un recensement de 2006.
L’agence n’a pas publié de chiffres pour 2014.)
15 Pour d’autres informations et sources, voir le chapitre sur les “Violences Domestiques”.
16 El-Zanaty, Fatma et Ann Way, “Table 17.1 Experience of physical violence since age 15 by background characteristics”, Egypt
Demographic and Health Survey 2005, p222.
VIOLENCES CONTRE LES FEMMES DANS LE DOMAINE PUBLIC Les recherches portant sur les violences sexuelles et liées au genre contre les femmes et les jeunes filles dans le
domaine public, notamment le harcèlement sexuel, ont également donné des résultats inquiétants. Depuis très
longtemps, les agressions contre les femmes et les jeunes filles dans le domaine public sont une plaie de la
société égyptienne. Des femmes et des jeunes filles de tous âges sont confrontées au harcèlement sexuel à chaque
étape de leur vie : dans la rue et les transports publics, à l'école et à l'université ainsi que sur leur lieu de travail.
Une étude officielle publiée en 2013 a démontré que 99 % des femmes interrogées avaient subi une forme ou une
autre de harcèlement sexuel, notamment des sifflements, des injures de nature sexuelle, des attouchements, des
gestes obscènes ou l'exhibition de parties génitales masculines.
Le harcèlement sexuel est une forme de violence contre les femmes. Il contribue à un environnement fait
d’intimidation et d'hostilité, qui est dégradant et humiliant et qui présente une menace sous-jacente de nouvelles
violences de plus en plus fortes. C'est ainsi qu'il peut avoir pour effet d'entraver ou de priver les femmes et les
jeunes filles de la jouissance de leurs droits humains fondamentaux.
Ces dernières années, les agressions sexuelles en public se sont multipliées, les femmes et jeunes filles étant de
plus en plus prises pour cible dans des agressions par des groupes d'hommes et de jeunes gens, souvent dans le
cadre de manifestations, mais aussi au cours d'autres rassemblements publics importants. Les militants ont
qualifié ces agressions de « cercle infernal », par allusion à la manière dont la foule traîne une femme ou une
jeune fille au centre d'un groupe pour l'agresser. Les organisations égyptiennes de défense des droits humains ont
signalé avoir répertorié plus de 500 cas de viols en réunion et d'agressions sexuelles entre juin 2012 juin 201417.
Ce phénomène des attaques par la foule a été rapporté pour la première fois en mai 2005, date à laquelle les
autorités auraient engagé des groupes d'hommes pour agresser des femmes journalistes qui participaient à une
manifestation appelant au boycott d'un référendum sur les réformes constitutionnelles18. Depuis novembre 2012,
les agressions sexuelles collectives, allant jusqu’au viol, sont devenues courantes lors des manifestations aux
alentours de la place Tahrir au Caire. De nouvelles agressions survenues en juin 2014, alors que les manifestants
se rassemblaient autour de la place Tahrir pour fêter la prise de fonctions du nouveau président Abdel Fattah al-
Sissi, ont poussé les autorités à promettre des mesures pour lutter contre les violences à l'encontre des femmes19.
Ces agressions sont survenues quelques jours seulement après que le président sortant Adly Mansour a promulgué
une nouvelle loi visant à lutter contre le harcèlement sexuel.
En l'absence d'enquêtes adéquates, il n'est pas possible de déterminer avec certitude qui était derrière ces
agressions et surtout, si l'État y était directement impliqué. Même si depuis les tribunaux ont emprisonné un
certain nombre d'hommes en lien avec certaines de ces agressions, les enquêtes sur la plupart de ces incidents
n'ont pas abouti. Même s'il n’était pas directement impliqué, l'État s'est montré incapable d'empêcher ces
agressions ou de traduire leurs auteurs en justice, alors que ces agressions se sont répétées pendant plusieurs
années. Ces atteintes constituent clairement des violations des droits fondamentaux des femmes et des jeunes
filles, et notamment de leur droit à la vie, à la sécurité, et celui de ne pas être victimes de torture et de mauvais
traitements, ainsi que de leur liberté d'expression et de réunion. En dépit des menaces, les victimes interrogées
par Amnesty International sont résolues à ne pas laisser ces agressions les condamner au silence et les exclure de
l'espace public.
Les agressions sexuelles collectives violentes ne se limitent pas aux manifestations, elles sont commises
régulièrement au cours de fêtes religieuses et d'autres grands rassemblements de population. Malgré leur caractère
17 Déclaration commune, As part of the Events of the 16-Day Campaign for the Elimination of Violence against Women, Nazra For
Feminist Studies And the Center For Egyptian Women's Legal Assistance (CEWLA) Launch “Qanun Nashaz” For The Elimination
Of Legalized Violence Against Women, 19 novembre 2014 : http://nazra.org/en/2014/11/qanun-nashaz-elimination-legalized-
violence-against-women
18 Initiative égyptienne pour les droits individuels, Egypt held to account for failing to protect women demonstrators from sexual
assault - Commission tells Egyptian Government to compensate women as well as to investigate the assaults and punish those
responsible, 14 mars 2013 : http://eipr.org/en/pressrelease/2013/03/14/1657
19 Déclaration commune, The Mob-sexual assaults and gang rapes in Tahrir Square during the celebrations of the inauguration of
the new Egyptian president is sufficient proof for the inefficiency of the recent legal amendments to combat these crimes, 9 juin
2014 : http://nazra.org/en/2014/06/mob-sexual-assaults-and-gang-rapes-tahrir-square-during-celebrations-inauguration-new
prévisible, et le fait que l'on connaisse par expérience les schémas de fonctionnement et les lieux probables de ces
agressions, la réponse des autorités est restée symbolique, et elles ont systématiquement échoué à prendre les
mesures nécessaires pour les empêcher, pour enquêter et les sanctionner.
VIOLENCES CONTRE LES FEMMES EN DETENTION Les femmes, comme les hommes, qui sont incarcérées pour des délits ou crimes de droit commun sont également
exposées à la torture et aux autres mauvais traitements de la part des forces de sécurité. Les méthodes les plus
fréquemment rapportées comprennent passages à tabac, coups de pieds et de poings, suspensions et autres
positions douloureuses, ainsi que l'administration de chocs électriques. Certaines anciennes détenues à qui
Amnesty International a pu parler ont également signalé des actes de torture d'ordre sexuel et d'autres mauvais
traitements liés au genre, notamment des attouchements, des contacts inappropriés, et du voyeurisme de la part
des fonctionnaires masculins. Dans un cas au moins documenté par Amnesty International dans ce rapport, une
femme aurait été violée pendant son interrogatoire par la police.
Les prisons égyptiennes pour femmes, comme celles des hommes, continuent d’appliquer un régime de sanctions
qui violent l'interdiction de la torture et des autres mauvais traitements, tels que la falaqa (coups sous la plante
des pieds) et le placement en isolement prolongé dans de petites cellules sans lumière. Dans certains cas, les
conditions de détention elles-mêmes constituent une forme de torture ou d'autres mauvais traitements. Dans les
prisons pour femmes, par exemple, les autorités carcérales ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des
femmes détenues, et notamment de celles qui sont enceintes ou qui nourrissent leur bébé. Dans certains des cas
étudiés par Amnesty International, ceci s’est traduit par des situations où des femmes ont accouché en prison sans
soins médicaux adéquats et dans des conditions insalubres, ce qui contrevient aux normes et au droit
internationaux20.
Les enquêtes judiciaires sur les cas de violence contre des femmes par les forces de sécurité sont rares. Dans un
nombre réduit de cas où le procureur a promis des enquêtes, celles-ci n'ont généralement pas permis d'obliger les
coupables à rendre des comptes ni de mettre fin aux atteintes. Tant qu'elles sont en détention, les femmes n’ont
accès à aucune procédure indépendante pour déposer plainte ou exprimer leurs griefs. L'impunité endémique pour
des actes de torture et autres mauvais traitements contre des femmes commis par des agents de l'État fait
perdurer un climat dans lequel les violences contre les femmes détenues sont devenues la norme, avec en
corollaire la confiance tout à fait justifiée des agresseurs sûrs qu'on ne les obligera pas à rendre des comptes.
VIOLENCES ÉTATIQUES CONTRE LES MANIFESTANTES Dans certains cas, des agents de l'État ont été responsables de violences contre les femmes. Depuis la « révolution du 25 janvier » en 2011, Amnesty International a relevé nombre de cas dans lesquels des femmes ont subi des violences sexuelles et liées au genre de la part des forces de sécurité, y compris des actes de torture et des mauvais traitements, parmi d’autres signalements de violences sexuelles infligées à des détenus, hommes et femmes.
Sous le régime du Conseil suprême des forces armées (SCAF), de février 2011 à juin 2012, les manifestantes ont subi des actes de
torture et des mauvais traitements, par exemple en étant soumises à des « tests de virginité » invasifs21. En décembre 2011, des
soldats et des forces de sécurité ont battu des manifestantes dans les rues proches des bâtiments du gouvernement au Caire, avant de
soumettre les manifestantes à des actes de torture et de mauvais traitements en détention. Certaines femmes ont signalé avoir subi
des attouchements et été menacées de violences sexuelles.
Dans une note adressée au président Mohamed Morsi le 29 juin 2012, peu après son élection, Amnesty International le priait
instamment de mettre un terme aux violences chroniques et à la discrimination contre les femmes, et notamment au fait que les forces
20 Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux
délinquantes (Règles de Bangkok). La Règle N°10 stipule que des services de santé spécifiques aux femmes au moins
équivalents à ceux offerts à l’extérieur doivent être assurés aux détenues.
21 Amnesty International, “5. Sexual and gender-based violence against women activists”, Egypt: Brutality unpunished and
unchecked: Egypt’s military kill and torture protesters with impunity (Index: MDE 12/017/2012), 2 octobre 2012, pp27-32:
http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE12/017/2012/en
armées et de sécurité prenaient pour cible les manifestantes22. Bien que Mohamed Morsi ait promis d'être le président de tous les
Égyptiens, ces appels sont restés sans écho. Sous sa direction, les autorités n'ont guère agi pour mettre fin aux atteintes à l'encontre
des manifestantes, et les législateurs ont tenu les femmes responsables d'une série d'agressions sexuelles autour de la place Tahrir23.
Depuis l'éviction de Mohamed Morsi, le 3 juillet 2013, les forces de sécurité ont régulièrement frappé et insulté des femmes et des
jeunes filles arrêtées lors de manifestations antigouvernementales et d'autres violences politiques. Femmes et jeunes filles sont
également confrontées à des violations liées au genre par des membres des forces de sécurité, notamment le harcèlement verbal de
nature sexuelle, la torture sexualisée et les mauvais traitements tels que des attouchements et autres contacts inappropriés, menaces
de viol et procédures de fouille invasives.
Les violences sexuelles et liées au genre frappent toutes les femmes en Égypte, quel que soit leur appartenance
politique ou leur statut social. Cependant, les autorités refusent systématiquement de reconnaître l'étendue du
problème, sa gravité, et la nécessité de changements fondamentaux des lois et des pratiques permettant de s'y
attaquer. Actuellement, une législation discriminatoire piège les femmes dans des mariages abusifs, les autorités
judiciaires ne traduisent pas en justice les auteurs de violences sexuelles et liées au genre et les forces de sécurité
font subir aux femmes en détention des violations des droits humains, notamment torture et mauvais traitements.
Ces violences sont encore facilitées par une discrimination aiguë s'appliquant aux femmes dans les lois et la
pratique, les attitudes institutionnelles qui vont dans le même sens, et notamment l'idée qu'une femme doit
« obéir » à son mari ou qu’elle est d'une manière ou d'une autre responsable des violences qu’elle subit, ainsi que
par l'incapacité des autorités à empêcher, combattre et sanctionner les violences contre les femmes.
Les nouvelles autorités égyptiennes ont promis d'agir, mais parmi les initiatives qu'elles ont annoncées au cours
des six derniers mois, nombreuses n’étaient que symboliques, et n’avaient pas prévu le mandat, le personnel ou les
ressources pour que les mesures nécessaires soient prises. Le nouveau président Abdel Fattah al-Sissi, connu pour
avoir défendu les « tests de virginité » imposés aux manifestantes lorsqu'il était chef des renseignements
militaires, a déclaré la lutte contre les violences envers les femmes dans le domaine public prioritaire24.
Cependant, la réponse des autorités continue à se faire au coup par coup, les divers organismes n’étant pas
suffisamment coordonnés entre eux. Ce qu'il faut, c'est un plan cohérent pour s'attaquer aux nombreuses formes
de violences sexuelles et liées au genre et de discrimination, un plan qui soit établi en collaboration avec les
associations féminines et les défenseurs des droits humains25. Le Conseil national des femmes (NCW) a annoncé
qu'il allait mettre en place une stratégie avec le gouvernement, mais les associations pour les droits des femmes
ont déclaré que l'élaboration de ce plan manquait de transparence.
Les autorités ont longtemps retardé la mise en œuvre de réformes dans la législation et les pratiques, sous prétexte
qu'il n’y avait pas encore d’assemblée parlementaire en Égypte. Mais cet argument ne tient plus. Les élections
législatives devant commencer en mars 2015, les droits des femmes devraient être au cœur des préoccupations
politiques en Égypte. Le gouvernement et les dirigeants politiques égyptiens doivent reconnaître que les femmes
sont un élément fondamental de la solution aux nombreux problèmes auxquels le pays est confronté après des
années de troubles. Les dirigeants politiques de toutes tendances doivent cesser d'utiliser les violences contre les
femmes pour marquer des points à bon compte sur le plan politique, et commencer à prendre le problème au
sérieux.
Les femmes ne doivent plus être exclues de la vie publique, ou n’y être représentées que de manière symbolique.
Les autorités doivent faire en sorte que les femmes puissent participer à tous les niveaux lors des prochaines
élections, en tant qu'électrices, chargées de campagne et candidates. Les autorités doivent également tirer des
leçons des erreurs du passé, les dernières élections de 2011-2012 ayant été une véritable catastrophe pour les
22 Amnesty International, Egypt: Memorandum to President of the Arab Republic of Egypt (Index: MDE 12/022/2012), 29 juin
2012 : http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE12/022/2012/en
23 Amnesty International, Egypt law-makers blame women victims for sexual violence (Index: MDE 12/010/2013), 13 février
2013 : http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE12/010/2013/en
24 Amnesty International, Egypt law-makers blame women victims for sexual violence (Index: MDE 12/010/2013), 13 February
2013 : http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE12/010/2013/en
25 Au moment où nous rédigeons ce rapport, les autorités prennent des mesures répressives contre les organisations égyptiennes
de défense des droits humains, qui craignent de devoir subir de nouvelles restrictions dans un avenir proche.
femmes. Les partis politiques qui contestaient les scrutins ont refusé de se confronter aux violences et à la
discrimination contre les femmes et les jeunes filles et le gouvernement militaire intérimaire de l'Égypte a rejeté
les quotas électoraux. Par conséquent, seule une poignée de femmes a été élue au Parlement26. Au cours des mois
qui ont suivi, les femmes se sont retrouvées de plus en plus exclues des assemblées constituantes, du
gouvernement et de la vie publique.
Les autorités égyptiennes ont souvent déclaré que la situation des femmes serait meilleure avec le président Abdel
Fattah al-Sissi qu'elle ne l’était sous le président Mohamed Morsi. Jusqu'ici, l'administration a fait de grands
gestes mais en réalité elle n’a que très peu progressé dans le sens des véritables réformes. Les femmes continuent
à être confrontées aux violences chez elles, dans les rues et en détention. Si les autorités continuent à attendre
qu'un nouveau Parlement se réunisse à la fin de cette année, les mesures prises jusqu'ici ne paraîtront guère plus
qu'un écran de fumée pour masquer la colère publique.
Au moment où nous écrivons, avec de grandes promesses mais une absence totale d'actes significatifs de la part
des autorités égyptiennes, les perspectives pour les femmes en Égypte paraissent toujours aussi sombres.
LES FEMMES AU PARLEMENT ET DANS LES ASSEMBLÉES CONSTITUANTES Comme dans de nombreux pays du monde, les femmes en Égypte ont connu des décennies de sous-représentation dans les assemblées législatives du pays. Bien que les autorités aient périodiquement introduit des quotas pour augmenter le nombre de femmes au Parlement, en pratique, cela ne s'est pas traduit par une participation politique des femmes dans la durée.
Un quota électoral pour les femmes introduit en 1979 a brièvement fait augmenter la représentation féminine dans l'Assemblée du
Peuple, la chambre basse du Parlement27. Les statistiques officielles montrent que, après l'introduction des quotas par les autorités, les
femmes représentaient 9 % des membres du Parlement, mais ce chiffre a chuté immédiatement dès que les autorités ont supprimé le
quota en 198628.
En 2009, les autorités ont introduit un quota de 64 sièges pour les femmes au Parlement29. Le Conseil Suprême des forces armées a
supprimé le quota en juillet 2011 et aux élections parlementaires de 2012, les électeurs ont envoyé à peine huit femmes à l'Assemblée
du Peuple sur 498 députés élus au suffrage universel. Si la loi électorale imposait aux partis politiques d'intégrer au moins une
candidate sur leurs listes électorales, dans la pratique la plupart des partis n'ont pas placé ces candidates très haut dans leurs listes,
ce qui a limité leurs chances d'être élues par les électeurs.
Le nombre des femmes dans les assemblées législatives a considérablement varié depuis 2005 :
Assemblée du Peuple (chambre basse du Parlement) ■ 2012 : 10 (8 élues au suffrage universel, 2 nommées par le Conseil Suprême des forces armées)30. Nombre total de sièges : 508 (498
élus au suffrage universel, 10 nommés).
26 Amnesty International, Egypt: Parties pledge to end state of emergency, many stop short of committing to women’s rights, 24
janvier 2012 : http://www.amnesty.org/en/news/egypt-parties-pledge-end-state-emergency-many-stop-short-committing-women-s-
rights-2012-01-24
27 Electoral Institute for Sustainable Democracy in Africa (EISA), “3.4 Women and political representation”, EISA election
witnessing mission report the People’s Assembly and Shura Council Elections novembre 2011-février 2012: Egypt, p27 :
http://www.content.eisa.org.za/pdf/egy2012eomr.pdf ; et Fondation internationale pour les systèmes électoraux, “Women’s
Representation in Parliament”, Elections in Egypt Analysis of the 2011 Parliamentary Electoral System, novembre 2011, p10 :
http://bit.ly/1yr7j4N
28 Voir CAPMAS, “No. (22-13-1)”, “Public Indicators”, Statistical Yearbook 2013, CAPMAS, septembre 2013 (CAPMAS,
Yearbook 2013): http://bit.ly/1uc5vZt
29 CAPMAS, “No. (22-13-1)”, “Public Indicators”, Yearbook 2013.
30 Basé sur les recherches de l’Union interparlementaire (IPU), qui a sollicité des informations de la délégation égyptienne à
Genève en février 2012. Voir IPU, EGYPT Majlis Al-Chaab (People's Assembly): http://www.ipu.org/parline-e/reports/2097_E.htm.
Voir aussi CAPMAS, “No. (22-5) (Cont.)”, “Public Indicators”, Statistical Yearbook 2013.
■ 2010 : 65 (64 élues dans le cadre du quota pour les femmes, 1 nommée par Hosni Moubarak)31. Nombre total de sièges : 518 (508
élus au suffrage universel, 10 nommés, 64 réservés aux femmes par la loi).
■ 2005 : 9 (4 élues au suffrage universel, 5 nommées par Hosni Moubarak)32. Nombre total de sièges : 454 (444 élus au suffrage
universel, 10 nommés).
Conseil de la Choura (chambre haute du Parlement)
■ 2012 : 12 (5 élues au suffrage universel, 7 nommées par Mohamed Morsi)33. Nombre total de sièges : 270 (180 élus au suffrage
universel, 90 nommés).
■ 2010 : 11 (0 élue au suffrage universel, 11 nommées par Hosni Moubarak)34. Nombre total de sièges : 132 (88 élus au suffrage
universel, 44 nommés).
■ 2007 : 10 (1 élue au suffrage universel, 9 nommées par Hosni Moubarak)35. Nombre total de sièges : 132 (88 élus au suffrage
universel, 44 nommés).
Assemblées constituantes
Les autorités successives ont elles aussi nommé à peine une poignée de femmes aux assemblées constituantes. Les femmes occupaient
seulement 12 sièges sur 508 dans l'Assemblée du Peuple avant qu'un tribunal ordonne sa dissolution en juin 2012. L'Assemblée
Constituante, composée de 100 membres, qui a rédigé la constitution de 2012, comprenait tout juste sept femmes. L'assemblée formée
de 50 membres qui a rédigé la constitution de 2013 comprenait tout juste cinq femmes.
À PROPOS DE CE RAPPORT Afin d’illustrer l’ampleur des différentes formes de violences liées au genre envers les femmes et les jeunes filles,
commises tant par des acteurs étatiques que par des acteurs non étatiques, ce rapport se concentre sur les
violences conjugales, sur le viol et autres formes de violence et de harcèlement sexuel dans la sphère publique, en
particulier lors des manifestations, ainsi qu’en détention. Ce document ne couvre pas les autres formes de
violences sexuelles et liées au genre dont les femmes et les jeunes filles sont victimes, notamment les mutilations
génitales féminines, les « crimes d’honneur », les mariages forcés et précoces, le trafic d’êtres humains et la
prostitution. Ce rapport présente quelques-uns des nombreux défis auxquels sont confrontées les Égyptiennes, tout
en admettant que les femmes de ce pays doivent affronter bien d’autres abus et violations graves de leurs droits
humains.
31 Basé sur des recherches de l’IPU, qui a recueilli des informations auprès de l’Assemblée du Peuple en janvier 2011. Voir IPU,
“Elections organisées en 2010”, EGYPT Majlis Al-Chaab (People's Assembly) : http://www.ipu.org/parline-
e/reports/arc/2097_10.htm. CAPMAS indique qu’après les élections de 2010 à l’Assemblée du Peuple,12,7 % des
parlementaires étaient des femmes. Voir CAPMAS, Yearbook 2013.
32 Basé sur des recherches de l’IPU, qui a recueilli des informations auprès de l’Assemblée du Peuple en janvier 2008. Voir IPU,
“Elections in 2005”, EGYPT Majlis Al-Chaab (People's Assembly) : http://www.ipu.org/parline-e/reports/arc/2097_05.htm.
CAPMAS indique qu’en 2005, 1,8 % des parlementaires étaient des femmes. Voir CAPMAS, Yearbook 2013.
33 Basé sur des recherches de l’IPU, qui a recueilli des informations auprès du Conseil égyptien de la Choura et de la délégation
égyptienne à Genève en février 2013 et mars 2012 respectivement. Voir IPU, EGYPT Majlis Ash-Shura (Shoura Assembly) :
http://www.ipu.org/parline-e/reports/2374_E.htm. Pour les chiffres de CAPMAS , comparer : “No. (22-5) (Cont.)” et “No. (22-13-
1)”, CAPMAS, Yearbook 2013.
34 IPU, “Elections organisées en 2010”, EGYPT Majlis Ash-Shura (Shoura Assembly): http://www.ipu.org/parline-
e/reports/arc/2374_10.htms ; et notes finales dans IPU, EGYPT Majlis Ash-Shura (Shoura Assembly) : http://www.ipu.org/parline-
e/reports/2374_E.htm. CAPMAS indique qu’en 2010, 8 % des membres du Conseil de la Choura étaient des femmes, et qu’en
2011, 2,8 % des membres “élus” du Conseil de la Choura étaient des femmes. Comparer : “No. (22-5) (Cont.)” et “No. (22-13-
1)”, CAPMAS, Yearbook 2013.
35 Basé sur des recherches de l’IPU, citant des informations du Conseil égyptien de la Choura et de la délégation égyptienne à
Genève en novembre 2007 et janvier-février 2008. Voir IPU “Elections organisées en 2007” dans EGYPT Majlis Ash-Shura
(Shoura Assembly) : http://www.ipu.org/parline-e/reports/arc/2374_07.htm. CAPMAS indique qu’en 2007, environ 8 % des
membres du Conseil de la Choura étaient des femmes. Comparer : “No. (22-5) (Cont.)” et “No. (22-13-1)”, CAPMAS, Yearbook
2013.
La violence est le lot quotidien de nombreux Égyptiens, quel que soit leur sexe. Ce rapport se penche sur les
violences faites aux femmes et aux jeunes filles égyptiennes, mais reconnaît que les femmes et les jeunes filles
réfugiées ou migrantes en Égypte sont également victimes d’abus.
Les informations détaillées dans le présent rapport ont été recueillies par Amnesty International dans le cadre de
l’actuelle mission d’observation de la situation générale des droits humains en Égypte36 ou collectées par
l’organisation au cours de visites à un certain nombre de gouvernorats égyptiens en février et mai 2013 et en
février 2014, ainsi qu’à l’occasion de visites successives courant 2014 lors desquelles les délégués ont observé les
procès de défenseurs des droits des femmes. Durant ces visites, Amnesty International a pu rencontrer et
s’entretenir avec des défenseurs des droits des femmes, d’autres organisations non gouvernementales (ONG) de
défense des droits humains, des médecins, des avocats spécialisés dans le droit pénal et relatif au statut
personnel, des travailleurs sociaux et des employés des orphelinats et des refuges pour femmes.
Ce rapport repose également sur des entretiens réalisés avec d’anciennes détenues, avec des proches de femmes
toujours en détention et avec des survivantes de violences domestiques ou liées au genre subies dans la sphère
publique.
Les conclusions reposent sur des informations recueillies lors d’entretiens menés avec 16 femmes libérées entre
décembre 2009 et février 2014. Les interlocutrices étaient soit accusées, soit reconnues coupables d’infractions
pénales, notamment de vol, d’infractions liées à la drogue, d’adultère, de prostitution, de fraude, d’endettement et
de meurtre. Ce rapport s’appuie également sur l’observation des atteintes dont ont été victimes des manifestantes
et des militantes incarcérées depuis le soulèvement de 2011, y compris sur les témoignages de neuf femmes et
jeunes filles arrêtées pour des infractions « politiques » depuis la destitution de Mohamed Morsi. Les chiffres
relatifs aux violences domestiques et à l’impact des lois discriminatoires sur le divorce ont été établis à partir
d’entretiens réalisés avec 18 femmes. Sept des 16 femmes interrogées à leur sortie de prison avaient aussi subi
des violences domestiques avant leur incarcération. Amnesty International a également parlé à quatre femmes qui
ont survécu à des agressions sexuelles collectives aux abords de la place Tahrir au Caire, ainsi qu’à des militants
qui surveillaient les rassemblements afin de tenter d’empêcher de telles agressions. Ces informations ont été
complétées par une analyse de témoignages publics de survivants et par des informations fournies par d’autres
groupes enquêtant sur ces violences.
Amnesty International a conduit tous les entretiens de manière individuelle et privée. Sauf cas contraire, à la
demande des témoins, le nom des personnes interviewées et d’autres détails permettant de les identifier ont été
tenus secrets pour protéger leur identité.
Afin de mieux comprendre la réaction du gouvernement face aux violences faites aux femmes, Amnesty
International a également rencontré des représentants officiels du Conseil national pour les femmes, du Bureau du
médiateur sur l’égalité des sexes, de l’Observatoire de la violence contre les femmes, qui relève du département
des Droits humains du ministère de l’Intérieur, du ministère des Assurances et des Affaires sociales et du
département pénitentiaire du ministère de l’Intérieur. Le présent rapport reflète également leur point de vue et les
informations qu’ils ont fournies.
Amnesty International souhaite remercier tous les militants et les avocats qui ont partagé leur expertise et leur
connaissance précieuses des violences perpétrées contre les femmes en Égypte, notamment les représentants de
l’Organisation arabe pour la réforme pénale/ Association des droits de l'homme pour l'assistance aux prisonniers,
de l’Association pour le développement des femmes, de la Fondation égyptienne pour l’avancement des droits de
l’enfant, de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne, du Centre Hisham Moubarak pour le droit, du
groupe « I saw Harassment », de l’agence Maan, de la Fondation Femme nouvelle et du collectif Opération contre
les agressions et le harcèlement sexuels. Amnesty International tient tout particulièrement à remercier les ONG et
les personnes qui ont aidé l’organisation à identifier et à échanger avec les survivantes de ces violences, à savoir :
le Centre El Nadim pour la réadaptation des victimes de violences et de torture, l’Association des avocates
36 Amnesty International a enquêté et publié des rapports sur les violations des droits humains commises durant les 30 années
de présidence d’Hosni Moubarak, le soulèvement qui l’a renversé en janvier 2011, les 17 mois de gouvernement du Conseil
suprême des forces armées, l’année de présidence de Mohamed Morsi, les manifestations populaires et les violences
consécutives qui ont accompagné et suivi la destitution de Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, ainsi que sur les violations des
droits humains qui sont survenues depuis lors.
d’Égypte, l’organisation Nazra pour les études féministes, le Centre d’assistance juridique pour les femmes
égyptiennes, l’Initiative pour la réhabilitation et la formation, le Centre Shehab pour le développement global et
l’organisation Femmes contre le coup d’État.
Amnesty International craint que les mesures répressives récemment prises par les autorités à l’encontre d’ONG
indépendantes n’incitent de nombreuses organisations égyptiennes de défense des droits humains à cesser leurs
principales activités de promotion et de protection des droits humains dans le pays.
Amnesty International est particulièrement reconnaissante envers les femmes et les jeunes filles qui ont accepté
de partager leurs expériences des violences subies chez elles, dans la rue ou en prison, et qui se battent pour
obtenir justice et réparation.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS En Égypte, au cours des quatre années écoulées depuis le soulèvement de 2011, les femmes ont enduré une
violence endémique tant dans la sphère publique que privée, et ont souffert d’actes de torture et de mauvais
traitements en détention. Les gouvernements successifs ont utilisé la violence contre les femmes pour marquer un
clivage politique : ils ont rejeté la faute sur leurs opposants tout en refusant de prendre des mesures significatives
pour résoudre la situation. En juin 2014, la promesse du nouveau gouvernement égyptien de mettre sur pied une
stratégie nationale de lutte contre les violences faites aux femmes a suscité une lueur d’espoir. Malheureusement,
après plusieurs mois, le gouvernement n’a toujours pas précisé les détails de son programme.
Les élections législatives prévues en mars 2015 mettent les autorités au pied du mur. Le gouvernement doit
absolument mettre en œuvre une stratégie claire et globale de lutte contre les violences faites aux femmes. Dans le
cas contraire, la promesse de l’État de combattre ce fléau se résumera à un simple exercice de relations publiques
à seule fin d’effacer les stigmates des événements survenus lors de l’investiture du président Abdel Fattah al-Sissi
en juin 2014. Il faut maintenant entreprendre des actions concrètes, et non plus se contenter d’annonces qui
s’apparentent davantage à un écran de fumée visant à occulter le bilan médiocre des autorités en matière de droit
des femmes.
La conception et l’application d’une stratégie globale et multisectorielle est nécessaire pour éradiquer les violences
faites aux femmes et aux jeunes filles en Égypte, et pour veiller à ce que les autorités respectent leurs obligations
légales internationales en matière d’égalité entre les sexes et de prévention, de poursuites judiciaires et de
condamnation des violences contre les femmes. Cette stratégie doit pallier les manquements des systèmes
législatif et judiciaire, en s’attaquant notamment aux discriminations sexuelles implicites ou explicites et aux
causes sous-jacentes des violences sexuelles et fondées sur le genre.
Il faut mettre fin au cycle d’impunité qui caractérise les violences faites aux femmes et aux jeunes filles, qu’elles
soient commises par des acteurs étatiques ou non étatiques. Cela permettra de veiller à ce que de tels abus ne se
reproduisent jamais et d’envoyer un message clair de tolérance zéro envers les actes de violence perpétrés à
l’encontre des femmes et des jeunes filles. Il est temps pour les autorités de cesser d’utiliser les droits des femmes
comme un instrument pour marquer facilement des points contre leurs adversaires politiques, et de commencer à
agir contre la violence endémique et la discrimination envers les femmes.
Le gouvernement a reconnu les nombreux défis que l’Égypte doit relever pour pouvoir se reconstruire après ces
longues années d’instabilité politique. Les droits de la moitié de la population ne peuvent pas être relégués au
second plan sous prétexte de restaurer la « stabilité » ou de redresser l’économie. Les femmes ont entendu trop
d’excuses, trop souvent rabâchées.
Amnesty International appelle le gouvernement égyptien à :
Condamner les violences perpétrées à l’encontre des femmes et agir pour y mettre fin 1. Condamner publiquement toutes les formes de violences faites aux femmes, qu’elles soient commises par
des acteurs étatique ou non étatiques, au sein du foyer, dans la sphère publique ou en détention ;
2. Réaffirmer l’engagement du gouvernement à protéger les libertés et les droits fondamentaux des femmes
et des jeunes filles, y compris leur droit à la vie et à l’intégrité physique, à participer à la vie politique de
l’Égypte au même titre que les hommes, à la liberté d’expression et de réunion et à l’égalité devant la loi ;
3. En collaboration avec des experts, notamment des défenseurs des droits humains de la femme, des
avocats, des médecins, des psychologues et des éducateurs, concevoir et appliquer une stratégie visant à
éradiquer toutes les formes de violences envers les femmes, qui prévoie une campagne publique de
sensibilisation pour lutter contre les discriminations, les violences sexuelles et liées au genre et les
stéréotypes liés au genre.
Enquêter efficacement sur les actes de violences envers les femmes Garantir la conduite d’enquêtes complètes, impartiales et indépendantes dans tous les cas présumés de
violences sexuelles ou liées au genre et d’agressions envers les personnes ayant tenté d’intervenir pour les faire
cesser, y compris aux abords de la place Tahrir au Caire, dans la perspective d’identifier les suspects et de les faire
comparaître devant un tribunal pour un procès équitable, sans appliquer la peine de mort ;
Ces enquêtes doivent également déterminer si les agressions sexuelles survenues place Tahrir étaient
préméditées et si des acteurs étatiques ou des acteurs non étatiques organisés en étaient à l’origine.
Faire cesser les actes de violence à l’encontre des femmes en détention Réviser toutes les politiques et les directives en vigueur relatives aux règles et aux procédures pénitentiaires,
afin de garantir le respect des normes et des lois internationales, en particulier des Règles de Bangkok, dans le but
de fournir une protection maximale aux femmes détenues, y compris aux femmes incarcérées dans les
commissariats de police et à celles qui attendent leur procès ou leur jugement ;
Mettre fin aux actes de torture et aux sanctions disciplinaires cruelles, inhumaines et dégradantes, y compris
aux coups et à l’isolement prolongé dans des cellules confinées dépourvues d’accès à l’air libre, à la lumière et aux
sanitaires ;
Garantir des enquêtes diligentes, indépendantes et impartiales dans tous les cas de plaintes pour torture et
autres mauvais traitements et, lorsque suffisamment de preuves recevables ont été rassemblées, poursuivre en
justice les auteurs présumés de ces actes en leur offrant un procès équitable.
Mettre fin aux discriminations envers les femmes, en droit et en pratique, et veiller à ce que les femmes puissent prendre part à la vie publique Garantir par la loi le droit des femmes à l'égalité devant la loi et à une protection égale par la loi ;
À ces fins, abroger toutes les lois à caractère discriminatoire fondé sur le sexe ou le genre et modifier toutes
les dispositions discriminatoires des lois relatives au statut personnel, en veillant à ce que les femmes et les
hommes disposent des mêmes droits pour tout ce qui concerne le mariage, le divorce, la garde des enfants,
l’autorité sur les décisions liées à la scolarité des enfants et l’héritage, conformément aux obligations de l’Égypte
prévues par la convention CEDAW ;
Adopter de nouvelles lois et réviser les lois actuelles afin de criminaliser toutes les formes de violence à
l’encontre des femmes et des jeunes filles, notamment par le biais de dispositions légales interdisant la violence
domestique, y compris le viol conjugal, ainsi que les actes d’agression et de harcèlement sexuels, conformément
aux normes et aux lois internationales ;
Abroger les dispositions exigeant l’« obéissance » de l’épouse et obligeant les femmes qui demandent le
divorce, même lorsqu’elles sont victimes de violences conjugales, à suivre une procédure obligatoire de médiation ;
Prendre des mesures concrètes, qui passent par l’augmentation des sommes investies dans la promotion de
l’égalité des sexes, pour permettre aux femmes de participer au même titre que les hommes à la vie publique et
politique ;
Garantir que les organismes chargés de l’exécution de la loi et les entités judiciaires ne discriminent pas les
femmes en matière de recrutement, d’embauche, de formation, d’affectation, de promotion, de salaire ou de tout
autre aspect administratif ou professionnel.
Index : MDE 12/004/2015
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