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FAISABILITÉ D’UNE MONNAIE UNIQUE ET INTÉGRATION PAR LE MARCHÉ DANS LA CEEAC1 : une application de l’estimateur Poisson du Pseudo-Maximum de
Vraisemblance au modèle de gravité en données de panel
Introduction
Créer une monnaie unique est avantageux au moins pour deux avantages directs : la réduction
du risque de change et des coûts de couverture contre ce risque. D’autres effets moins directs
sont relevés par la littérature, entre autres l’atténuation des chocs asymétriques (Bayoumi et
Eichengrenn, 1993), la synchronisation des cycles réels (Frankel et Rose, 1998),
l’augmentation du commerce bilatéral (Rose, 2000) et la création d’un cadre propice à la
croissance (Vickers, 2000). Ainsi donc, la monnaie unique stabilise l’environnement
macroéconomique, subventionne les échanges bilatéraux, diminue les coûts de transaction,
favorise la transparence des prix, accroît la crédibilité des pays membres et génère des
bénéfices externes. Dans cette optique, étudier la faisabilité d’une monnaie unique en tant que
catalyseur de l’intégration par le marché en Afrique centrale se présente comme une
préoccupation intéressante. Sur le plan factuel, cet intérêt se justifie par deux arguments : les
travaux sur la rationalisation des sous-régions en Afrique, et le projet de création d’une
monnaie africaine en 2028, la CEEAC ayant été choisie comme un pôle d’intégration par
l’Union Africaine (UA).
La question de la monnaie unique est d’autant plus intéressante que la CEEAC est une sous-
région hétérogène de par la culture historique et socioculturelle de ses États membres. À cet
effet, chaque pays aurait tendance à annexer sa politique monétaire à celle de sa métropole.
Mais il est prévu dans le cadre des accords signés avec l’UA qu’ils puissent former une seule
union monétaire selon la future architecture monétaire africaine. En effet, depuis sa relance en
1999 sous l’initiative de l’UA, l’activité de la CEEAC peut être mesurée par le nombre de
traités et protocoles signés dans plusieurs domaines. Toutefois, ceux-ci ne concernent que le
secteur réel, les aspects monétaires ayant été plus ou moins effleurés. Dans ses statuts,
l’objectif objectif ultime de la CEEAC est la création d’un marché commun en Afrique
centrale autour de quatre priorités : (i) la paix, la sécurité et la stabilité ; (ii) le développement
1 Le Traité instituant la CEEAC (Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale) signé en octobre 1983 à Libreville, est entré en vigueur en décembre 1984. La CEEAC comprend dix États : l’Angola, le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la RD Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, Sao Tome & Principe et le Tchad. Son objectif est la promotion et le renforcement d’une coopération harmonieuse et un développement dynamique, équilibré et autoentretenu dans tous les domaines de l’activité économique et sociale.
1
de l’intégration physique, économique et monétaire ; (iii) le développement de la culture et de
l’intégration humaine ; (iv) l’établissement d’un mécanisme de financement autonome.
Pourtant, l’intégration en Afrique en général et en Afrique centrale en particulier doit être
totale, c'est-à-dire qu’elle devrait intégrer la dimension monétaire. C’est donc l’occasion
d’imaginer un spectre long et large de l’intégration et épouser une logique au-delà de la
sphère réelle. Bien plus, il faut inscrire les priorités selon les visées de l’UA, structurée autour
de cinq Communautés Économiques Régionales (CER) circonscrites dans le Traité d’Abuja.
Étant donné que la monnaie unique n’a pas encore été expérimentée dans la CEEAC, il
convient d’adopter une approche prospective par simulation en y étudiant la faisabilité d’une
monnaie unique et son impact sur l’intégration commerciale.
Sur le plan empirique, Masson et Patillo (2004) distingue cinq catégories d’unions
monétaires : (i) l’union monétaire à taux de change informels, dans laquelle les pays gardent
leurs monnaies selon une parité fixe, mais seulement à l’intérieur des marges ; (ii) l’union
monétaire à taux de change formels, dans laquelle les pays gardent leurs monnaies, les marges
de fluctuation étant très petites ou nulles ; (iii) l’union monétaire totale, dans laquelle les pays
membres adoptent une monnaie unique et une Banque Centrale commune ; (iv) la
dollarisation, qui consiste pour un pays d’adopter la monnaie d’un autre pays ; (v) la caisse
d’émission, système monétaire dans lequel les monnaies des pays sont rattachées à celle d’un
pays-ancre suivant un taux de change fixe.
Au-delà de l’intégration monétaire, la littérature distingue plusieurs autres formes
d’intégration qu’on a tendance à hiérarchiser (De Grauwe, 2007). Il s’agit de : (i) l’intégration
commerciale, qui se distingue à travers l’existence d’une zone de libre échange ou d’une
union douanière ; (ii) l’intégration économique, qui se matérialise par la formation d’un
marché commun ; (iii) l’intégration financière, qui consiste en une unification des marchés
financiers. Dans le cadre de ce travail, c’est l’intégration commerciale qui est mise en relation
avec la faisabilité d’une monnaie unique dans la CEEAC. Elle se définit comme l’abolition
des barrières nationales dans les transactions économiques entre les États membres, afin que
les facteurs de production puissent y circuler librement.
Sur le plan empirique, le lien entre monnaie unique et intégration par le marché a opposé deux
thèses : la thèse du « cercle vertueux » et la thèse du « cercle vicieux ». La première thèse
indique que l’entrée d’un pays à une union monétaire augmente ses échanges bilatéraux d’au
2
moins 3 fois que s’il avait gardé sa monnaie nationale. Cette thèse est notamment soutenue
par Rose (2000). Cette intensification commerciale induirait par la suite une forte corrélation
des cycles à cause des chocs symétriques inhérents (Frankel et Rose, 1998). Par contre, La
thèse du « cercle vicieux » soutient que le choix d’une monnaie unique encourage la
spécialisation des pays en fonction de leurs avantages comparatifs, ceci grâce au jeu des
forces centrifuges et centripètes. Cet argument puisé dans la nouvelle théorie de l’économie
géographique est l’œuvre de Krugman (1993). La spécialisation ainsi causée par la monnaie
unique induit des cycles asynchrones et une réaction asymétrique aux chocs.
À la lumière de ce clivage, l’objectif de cet article est de tester la validité empirique du débat
suscité par le choix d’une monnaie unique et son impact sur l’intensification commerciale
dans l’espace CEEAC.
Après cette introduction, la suite de l’article se s’articule en quatre points : (i) une synthèse de
l’existant théorique, (ii) la présentation du modèle empirique, (iii) le choix de la technique
d’estimation, (iv) le protocole d’estimation et l’interprétation des résultats.
1. La théorie des zones monétaires optimales : essai de synthèse
Le cadre théorique qui sous-tend le débat suscité dans cet article est la théorie des zones
monétaires optimales (ZMO). En effet, l’intérêt porté aux unions monétaires s'est ravivé ces
dernières années grâce à deux événements majeurs. Il s’agit d'un côté de la concrétisation de
l'intégration monétaire en Europe qui a montré que la constitution d'une union monétaire était
possible alors que la théorie traditionnelle des ZMO était assez pessimiste. D’un autre côté,
les crises financières qui se sont multipliées dans les années 1990 et tout récemment ont
conduit de nombreux économistes à défendre les régimes de change tels que les caisses
d'émission ou l'union monétaire, considérés comme étant les seuls régimes viables avec le
régime de changes flexibles (Lochard, 2005).
La littérature théorique des ZMO est fondée sur deux paradigmes : le paradigme exogène ou
statique qui analyse les critères définissant une ZMO et le paradigme endogène ou dynamique
qui s’intéresse à l’impact macroéconomique ou au rôle de la monnaie unique sur l’économie.
1.1. Le paradigme exogène de la théorie des ZMO
Les premiers travaux sur les unions monétaires remontent aux années 50 sur les arrangements
monétaires en Europe (Scitovsky, 1958) et la politique de change au Canada (Meade, 1955).
3
Mais c’est à Mundell (1961) que revient la paternité de la théorie des ZMO, à la suite de
l’introduction du débat sur les critères d’optimalité monétaire. Pour Mundell, une zone
monétaire est optimale si en son sein, les facteurs de production sont mobiles, les prix et les
salaires flexibles et surtout si les pays adoptent un taux de change fixe. Les conclusions de
Mundell ont inspiré ses contemporains, qui à leur tour sont restés dans la logique d’arbitrage
des régimes de changes tout en proposant d’autres critères.
Ainsi, pour McKinnon (1963), l’optimalité monétaire doit être fondée sur le degré d’ouverture
intra-zone des économies. Puisqu’une économie ouverte qui utilise sa propre monnaie est
fortement exposée au degré d’élasticité de la demande étrangère, il propose la formation
d’une zone monétaire. Mais l’une des hypothèses implicites du modèle de Mundell est que
chaque région est mono-productrice, ce qui induit des chocs importants de demande. Pour
cela, Kenen (1969) pense qu’une région produisant une grande variété de produits doit avoir
des exportations diversifiées. Dans ces conditions, les ajustements se font uniquement par les
quantités et non par la monnaie, d’où la nécessité de former une ZMO. Pour Johnson (1970)
et Ingram (1973), les critères avancés sont l’intégration fiscale et l’intégration financière. Le
modèle de Johnson montre que seules des politiques de transferts financiers permettent
d’éviter de grandes variations des taux de change, ce qui faciliterait la formation d’une ZMO.
Pour Ingram, Il faut tenir compte de la mobilité du travail et du capital.
Se déconnectant des conditions microéconomiques, un autre paradigme s’est développé
autour des critères qualifiés de modernes à travers l’harmonisation des conditions macro-
économiques, notamment le parallélisme de l’inflation, de la productivité et des salaires réels.
Ce paradigme est basé sur l’hypothèse des préférences identiques des pays (Harberler, 1970 ;
Fleming, 1971 ; Magnifico, 1974).
Au total, il ressort du modèle exogène une indétermination et l’inconsistance de la définition
des ZMO, car les développements manquent d’un cadre unifiant dans la mesure où selon les
approches, les critères changent radicalement. C’est à la lumière de ces insuffisances que
s’est forgé le paradigme endogène des ZMO.
1.2. Le paradigme endogène de la théorie des ZMO
Selon ce paradigme, la monnaie unique devient une variable causale. Il implique que
l’optimalité monétaire peut être assurée ex post, même si ex ante, elle ne l’est pas. Pour cela,
deux conditions sont nécessaires, à savoir l’augmentation du commerce bilatéral (Rose, 2000)
4
et la synchronisation des cycles (Frankel et Rose, 1998). L’intérêt de cet article est de simuler
la première condition.
On se pose la question de savoir si le partage d’une monnaie unique est une subvention aux
échanges sous-régionaux. En réponse à cette question, Rose (2000) montre que les pays qui
adoptent une monnaie unique voient leurs échanges bilatéraux tripler en moyenne. En plus, il
montre que réduire la volatilité du taux de change à zéro n'implique pas les mêmes effets sur
le commerce qu’adopter une monnaie unique. Ce dernier résultat est important puisqu'il
signifie que l'on ne devrait plus confondre les unions monétaires aux régimes de change fixes.
Ces résultats fondateurs ont ouvert un nouveau champ de recherche très fécond, malgré des
spécificités spatio-temporelles.
D’autres études plus étendues intègrent d’autres variables que la monnaie unique, notamment
la frontière et la distance. Les tests empiriques concluent qu’il existe une grande réduction des
flux commerciaux due aux frontières internationales (McCallum, 1995 ; Head et Mayer,
2001 ; Helliwell et Schembri, 2005 ; Daumal et Zignago, 2010). Ce résultat qui cadre avec les
pays ne faisant pas partie de la même zone d’intégration a connu une variante avec Lochard
(2005). Pour lui, les États qui partagent la même frontière commerceraient davantage par
rapport aux autres, car le facteur « proximité » entre en jeu, combiné à la disparition de
certaines barrières nocives au commerce. Ceci peut être la résultante de nombreux accords
régionaux passés entre ces pays. Ce travail fait suite à ceux d’Anderson et van Wincoop
(2003) et Combes et al. (2005). La distance quant à elle est une approximation des coûts de
transaction, car en toute logique, ceux-ci sont fortement liés à l’éloignement entre deux pays.
Presque toutes les études empiriques rencontrées aboutissent au même résultat en ce qui
concerne l’impact déprimant et toujours significatif de cette variable sur le commerce. Ainsi
dans les modèles de gravité, la distance reflète l’une des frictions les plus importantes du
commerce bilatéral, même en contexte africain (Carrere, 2002 ; Avom, 2005 ; Gbetnkom et
Avom, 2005 ; Gbetnkom, 2006 ; Agbodji Akoété, 2007 ; Avom et Mignamissi, 2013).
De manière générale, le modèle de Rose souffre de deux principales insuffisances. Sur le plan
théorique, la thèse de l’endogénéité se retrouve radicalement contrastée par la thèse de la
spécialisation développée par Krugman (1993). Sur le plan empirique, le modèle de Rose
présente plusieurs biais qui ont inspiré les travaux récents. Pour Krugman, la parité
irrévocable des taux de change pousserait à la spécialisation des pays et donc favoriserait
l’apparition de chocs asymétriques. Il s’appuie sur les enseignements des théories du
5
commerce international selon lesquelles l’intégration a pour corolaire une intensification des
avantages comparatifs, conduisant à une plus grande spécialisation productive. Celle-ci réduit
les corrélations des cycles et rend les pays membres de l’union plus vulnérables aux chocs
asymétriques. Krugman a même montré que la mise en place d'une union douanière allait
accroître la polarisation des activités et donc l'hétérogénéité de l'espace économique européen.
À la suite de la critique théorique de Krugman, Lochard (2005) axe ses critiques sur les biais
empiriques qui ressortent du modèle de Rose. Il recense à cet effet trois principaux biais, à
savoir : (i) un biais d’agrégation, car Rose agrège et compile en une seule variable les unions
monétaires multilatérales, unilatérales et dollarisées ; (ii) un biais d’auto-sélection, qui
s’explique par le fait que les pays membres d’une union monétaires sont généralement
pauvres, petits et proches géographiquement. Dans ce contexte, les pays membres peuvent
être conditionnés dans leur commerce par d’autres caractéristiques que le partage d’une
monnaie commune ; (iii) un biais d’endogénéité qui s’explique par le fait que des variables
endogènes se retrouvent dans la matrice des variables explicatives.
Ainsi, les causes de la faible intégration par le marché dans la CEEAC sont multiples
(concentration des échanges, hyperspécialisation des pays, commerce informel, etc.). Une des
principales seraient le risque de change et les coûts de couverture contre ce risque.
L’application du modèle de gravité nous informe comment l’annulation de ce risque, à travers
l’adoption d’une monnaie unique impacterait sur l’augmentation du potentiel commercial de
la sous-région.
2. Le modèle de gravité : justification et spécification empirique
De manière générale, l’équation de gravité s’applique dans un contexte monopolistique qui
suppose des rendements d’échelle croissants et la différentiation des produits. Le cadre
d’analyse est sous-tendu par trois hypothèses fondamentales : (i) la maximisation des profits
par les firmes en concurrence monopolistique, (ii) la maximisation sous contrainte de l’utilité
par les consommateurs, (iii) la spécialisation de l’offre de biens entre pays (Bergstrand, 1989 ;
Anderson, 1979 ; Anderson et van Wincoop, 2003 ; Helliwell et Schembri, 2005). Mais ce
cadre d'analyse est inapproprié avec la réalité du commerce bilatéral de la CEEAC, en raison
notamment de l’inexistence de grands groupes monopolistiques appartenant à ces pays. Pour
cette raison, d’autres fondements sont mobilisés dans cet article. Ainsi, pour Oguledo et
MacPhee (1994), le modèle de gravité trouve ses fondements dans l'analyse microéconomique
6
à l’aide d’un système linéaire de dépenses. Deardorff (1998) démontre pour sa part que le
modèle de gravité peut dériver d’un contexte général indépendant de tout modèle de
commerce international. Quant à Evernett et Keller (2002), c’est la théorie de la spécialisation
de Heckscher-Ohlin dans un contexte de rendements d’échelle croissants qui justifie
l’équation de gravité. Harrigan (2003) justifie les fondements de l’équation de gravité par le
volume de commerce entre les pays concernés, pendant que Helpman et al. (2008) s’inspirent
d’un contexte d’hétérogénéité des firmes.
À la suite de cette diversité de fondements, il ressort que l’application du modèle de gravité
dans la CEEAC serait plus liée à un contexte général indépendant de tout modèle de
commerce international (Deardorff, 1998), ou au niveau du (faible) volume de commerce
bilatéral entre les pays concernés (Harrigan, 2003).
Empiriquement, l’équation de gravité est dérivée de la physique newtonienne de gravitation
qui énonce que « deux corps s’attirent en raison proportionnelle de leurs masses et en raison
inverse du carré de la distance qui les sépare »2. La première application en économie a été
l'œuvre de Tinbergen (1961). Dans ce travail, nous utilisons un modèle de gravité selon la
spécification théorique proposée par Anderson et van Wincoop (2003). Pour ces auteurs, les
consommateurs ont des préférences de type CES avec une élasticité de substitution commune
à tous les biens et supérieure à l’unité (σ>1). Dans cette perspective, l’équation de gravité
peut prendre la forme suivante :
X ij=Y i Y j
Y w [ t ij
∏i
P j ]1−σ
(1)
Y i et Y j sont les PIB des pays partenaires au commerce etY w le PIB mondial.t ij représente les
coûts du commerce du pays i vers le pays j. Si l’hypothèse de la symétrie des coûts est
vérifiée, c'est-à-dire si t ij=t ji, impliquant que ∏i
¿P i, l’équation de gravité peut se réécrire
comme suit :
X ij=Y i Y j
Y w [ t ij
Pi P j ]1−σ
(2)
2 Cette équation se note comme suit : F ij=gM i M j
Dij2 . F est la est la force d’attraction, M i( j ) la masse du corps
i( j), g la constante de gravitation et Dij la distance qui sépare les deux corps.
7
Pi et P j, les indices de prix des pays i et j, sont des indicateurs de résistance multilatérale,
c'est-à-dire les coûts moyens liés au commerce entre un pays et tous ses partenaires.
Intuitivement, le modèle de gravité explique l’intensité des flux commerciaux bilatéraux des
pays par leurs masses respectives (les PIB) et par la distance qui les sépare. Ainsi, la
transposition économétrique originelle simplifiée du modèle de gravité inspirée de Tinbergen
(1962) prend la forme suivante :
Comij=β0Y i
β1 Y jβ 2
Dijβ3
exp (ε ij)(3)
Comij représente le commerce total bilatéral entre les pays iet j, Y i et Y j les PIB respectifs des
pays, et Dij la distance qui les sépare. Les β i sont des paramètres à estimer et ε ij est un facteur
de nuisance.
La forme précédente du modèle de gravité n'a jamais été appliquée en l'état. Selon les auteurs
et en fonction des objectifs poursuivis et des sensibilités théoriques, certaines variables
quantitatives et/ou qualitatives sont généralement ajoutées. Ainsi, en suivant Rose (2000), la
spécification de la forme log-linéaire augmentée adoptée dans le cadre de cet article est la
suivante :
log ( X ijt )=β0+ β1 ln Y ¿+β2 ln Y jt+β3 ln Pop¿+β4 ln Pop jt+β5 ln Dij+β6 P¿+β7 P jt+β8 MU ij+β9 Ouvij+β10 LCij+β11 UE j+β12BRICS j+β13CEDEAO j+εijt (4 )
avec X ijt la valeur des exportations bilatérales du paysivers le pays j à la période t , Y i ( j)t les
PIB réels desdits pays, Popi ( j) t les populations respectives, Pi ( j)t les indices de prix à la
consommation etDij la distance qui sépare les deux pays. MU ij est une variable indicatrice
simulée qui prend la valeur 1 si les pays i et j appartiennent à la CEEAC. Ouvij est une
variable qui prend en compte l’ouverture simultanée des pays à la mer. LCij est une variable
muette qui vaut 1 si les pays i et j partagent une langue commune. UE j, BRICS j, et CEDEAO j
sont des variables d’intégration qui captent la création ou le détournement de commerce. Ces
variables prennent la valeur 1 si le pays j, c'est-à-dire le pays de destination appartient à l’une
ou l’autre des communautés indiquées par la variable hyponyme. ε ijtest une perturbation.
3. Les techniques d’estimation du modèle de gravité
8
3.1. Les méthodes jusqu’alors utilisées
Les modèles de gravité sont des modèles complexes à estimer à cause de leur spécification
tridimensionnelle (transversale, longitudinale et bilatérale). La première approche
d’estimation consiste à appliquer les MCO sur les données empilées. Mais l’application de
cette technique pose d’énormes problèmes, les plus importants étant la non-prise en compte
de l’hétérogénéité du panel, car elle stipule que les pays de l’échantillon possèdent des effets
communs et donc sont parfaitement homogènes. Pour tenir compte de ce dernier biais, les
auteurs ont fait recours à la modélisation en panel tout en spécifiant la nature des effets. Cette
approche a posé la difficulté de discrimination entre effet individuels et effets bilatéraux
(Feenstra, 2004). Toutefois, si on suppose que les perturbations aléatoires croisées satisfont
aux hypothèses des MCO (centrées, homoscédastiques, indépendantes et normales), les
estimations sont optimales. Malgré cela, les données de panels ont également montré leurs
limites, notamment lorsque la variable dépendante contient une grande proportion de zéros et
lorsque le vecteur des explicatives contient des variables invariantes dans le temps.
Bien plus, étant donné que la variable dépendante du modèle de gravité est par définition
toujours positive ou nulle (car il n’existe pas de commerce négatif), il s’est posé un nouveau
problème de définition de domaine de variation de cette dernière. Sous l’hypothèse d’une
censure à zéro, on a pensé à une technique d’estimation qui tient compte de cet aspect, à
savoir le TOBIT. Cette dernière trouve rapidement des limites lorsque les variables sont
transformées en logarithme, certaines observations devenant ainsi indéterminées. Ainsi,
l’interprétation des zéros dans la variable dépendante pose un problème important dans la
modélisation économétrique, aussi longtemps qu’on n’est pas fixé sur leur nature. S’agit-il
d’une erreur d’enregistrement ou d’une véritable absence de commerce ? Le TOBIT essaie de
répondre à cette préoccupation lorsque l’on contraint certaines observations négatives à être
nulles. Or en censurant la variable dépendante à ne prendre que des valeurs positives, on crée
un biais additionnel, qui pourrait rendre les estimateurs moins robustes. Le TOBIT pose deux
autres problèmes soulignés dans la littérature, à savoir le choix du Pseudo-R carré3, le choix
de la variante du TOBIT (Amemiya (1985) identifie 5 variantes) avec la définition des seuils
de censure et de troncature (qui ne repose sur aucune logique théorique).
Une autre spécificité des équations de gravité c’est qu’ils sont caractérisés par la présence de
variables invariantes dans le temps, à cause de multiples dummies qu’elle modélise. À cet
3 Il existe au moins une dizaine de pseudo-R2, celui de McFadden étant le plus usité.
9
effet, l’application des techniques jusqu’ici exposées donnent des estimateurs biaisés à cause
de cette invariance et de l’endogénéité de certaines variables explicatives. Une méthode qui
tient compte de ces aspects a été proposé par Hausman et Taylor (1981). Toutefois, si cette
méthode corrige avec efficacité le biais lié à l’invariance des variables, elle a du mal à
distinguer entre les différents biais d’endogénéité (le biais de variables omises, le biais
d’erreurs de mesure et le biais de simultanéité). Bien plus, cette méthode qui est une extension
des variables instrumentales pose le problème de choix et de validité des instruments utilisés,
qui tantôt sont des variables retardées, tantôt des variables en différences, l’ordre du retard et
de la différence choisi manquant généralement de fondement théorique.
Enfin, Arellano et Bond (1991), Arellano et Bover (1995) puis Blundell et Bond (1998) ont
développé l’estimateur des moments généralisés en panels dynamiques. Il a la particularité de
tenir compte du biais d’endogénéité et peut être spécifié en différences ou en système sous les
hypothèses de quasi-stationnarité des variables et d’absence d’autocorrélation des résidus. Si
cet estimateur résout avec une efficacité reconnue le biais d’endogénéité, il n’en demeure pas
moins que le problème posé par les zéros de la variable dépendante et celui de
l’hétéroscédasticité des erreurs demeurent.
Toutefois, Santos Silva et Tenreyro (2006) démontrent que le problème de l’estimation du
commerce dans le modèle de gravité n’est pas l’endogénéité des variables, mais la robustesse
des estimateurs avec des bonnes propriétés, notamment celle écart-types minimum. Ils
recommandent à cet effet d’utiliser l’estimateur Poisson du Pseudo-Maximum de
Vraisemblance (PPMV) pour contrôler davantage l’hétéroscédasticité et la question des zéros
dans la variable dépendante.
3.2. L’estimateur Poisson du Pseudo-Maximum de Vraisemblance
L’estimateur PPMV a été introduit et dérivée des lois de Poisson par Gourieroux et al. (1984).
À la suite de ce travail pionnier, l’estimateur Poisson, qui suppose que la variance
conditionnelle de la variable dépendante soit proportionnelle à son espérance, a été développé.
Toutefois, c’est Santos Silva et Tenreyro (2006, 2010 et 2011) qui justifient la pertinence d’un
tel estimateur pour le modèle de gravité. Ils montrent que la spécification sous forme log-
linéaire du modèle de gravité donne des estimateurs baisés en accord avec l’inégalité de
Jensen4, à cause de l’hétéroscédasticité des niveaux de commerce. Ils parviennent à montrer
4 Dû au fait que E ( logComij ) ≠ log ( E (Comij )), la valeur ajustée du logarithme des flux commerciaux dépend généralement des moments d’ordre supérieur, y compris la variance. Étant donné que la variance du terme
10
en plus que l’estimateur du PPMV est plus efficient que l’estimateur des moindres carrés non
linéaires (MCNL) lorsque le commerce est spécifié en niveau. Ils rappellent aussi que pour
s’assurer de la consistance de l’estimateur PPMV, les données ne doivent pas suivre une
distribution de Poisson. C’est ce qui justifie le préfixe « pseudo ». Cet estimateur corrige trois
principaux : (i) un biais induit par la transformation logarithmique, (ii) l’échec de l’hypothèse
d’homoscédasticité et (iii) la façon dont les zéros de la variable dépendante sont traités.
En appliquant la fonction de densité de la loi de Poisson au modèle de gravité (Wooldridge,
2002), on obtient :
Prob (Com ij=C / x ij)=e−μ ( x ij β ) μ ( x ij β )Comij
(Comij ) !(5)
Comij est le commerce bilatéral, μ ( x ij β ) la moyenne de la loi de Poisson et (Comij)! le
factoriel du commerce bilatéral. Il faut rappeler que Comij=0,1 ,2 ,…
Le modèle de poisson stipule théoriquement une dispersion égalitaire, c'est-à-dire que et la
variance conditionnelle de Comij est égale à la moyenne μ ( x ij β ) :
Var (Comij∨x ij)=E (Comij∨x ij )=μ ( x ij β ) (6)
Si cette hypothèse fondamentale n’est pas vérifiée, il faut ré-spécifier le modèle ou l’estimer
par d’autres techniques qui relâchent cette hypothèse, notamment la loi binomiale négative
(voir la sous-section sur le test de robustesse).
La fonction de log-vraisemblance de l’équation (6) se note donc comme suit :
log L ( β )=∑i=1
N
∑j=1
N
[−e( x ij β )+Comij ( x ij β )−log (Comij ) !](7)
La condition de premier ordre de maximisation de log L ( β ) en fonction de β donne5 :
∂ log L ( β )∂ β
=0→∑i=1
N
∑j=1
N
[Comij−e ( x ij β) ] x ij=¿∑i=1
N
∑j=1
N
( εij x ij)=0(8)¿
La condition de second ordre pour un maximum est donnée ci-dessous :
d’erreur dépend des variables explicatives, l’estimation issue de la log-linéarisation est baisée.5 Dans cette relation, ε ij=Comij−e ( xij β ).
11
∂2 LogL ( β )∂ β2 =−∑
i=1
N
∑j=1
N
[e ( x ijβ ) ] x ij
2<0 (9)
Étant donné que l’espérance conditionnelle du terme d’erreur est nulle, c'est-à-dire
E (ε ij∨xij )=0, l’expression ∑i=1
N
∑j=1
N
(εij x ij )=0 peut s’interpréter comme l’ensemble des
conditions de moment ou d’orthogonalité. Dans ce cas, l’estimateur qui maximise le log-
vraisemblance est en général consistant. Puisque la seule propriété essentielle à la suite de ces
dérivations est celle de la consistance des estimateurs et rassurée par le fait que
E (Comij∨xij )=e( x ij β ), les données ne doivent pas forcément suivre un processus de Poisson et
la variable dépendante peut observer des zéros. L’estimateur Poisson s’obtient
numériquement comme une solution de la maximisation de la log-vraisemblance log L ( β ):
β̂Poisson=ArgMax {∑i=1
N
∑j=1
N
[−e ( x ij β )+Com ij ( x ij β )− log (Com ij) ! ]}(10)
Ainsi, même en présence d’hétéroscédasticité, l’estimateur Poisson est consistant et plus
efficient que les estimateurs jusque-là développés.
4. Protocole d’estimation, interprétation et robustesse des résultats
4.1. Estimation et interprétation des résultats
L’échantillon considéré dans cette étude couvre tous les pays de la CEEAC, les pays de la
CEDEAO, les BRICS, les pays de l’UE et certains pays africains (voir le liste en annexe). Cet
échantillon fait un total de 54 pays sur la période 1995-2010, c'est-à-dire 10*16*54 = 8 640
observation. Le choix de cet échantillon assez large s’explique par deux principaux
arguments: contrôler le « piège à variable muette » et assurer la consistance de l’estimateur.
Toutefois, seuls les pays de la CEEAC sont les pays reporters, c'est-à-dire que la variable
dépendante est constituée uniquement des flux bilatéraux des pays de la CEEAC vers tous les
autres pays de l’échantillon. Les données utilisées sont issues de trois bases principales, à
savoir la base de la CNUCED, la base de la Banque Mondiale et la base du CEPII. Les
résultats obtenus par application de la méthode du PPMV sont consignés dans le tableau 1.
Tableau 1. Résultats du modèle de gravité estimé par le PPMV.Variable dépenda
Modèle sans monnaie unique Modèle avec monnaie unique simulée
Modèle Modèle Modèle Modèle
12
nte :standard augmenté standard augmenté
Coef z-Stat Coef z-Stat Coef z-Stat Coef z-StatConstante -1,44 (-0,72) -5,20 (-
2,82)*-1,52 (-0,76) -4,77 (-
1,75)***
LogPIBi 0,19 (3,33)* 0,16 (3,36)*
0,19 (3,35)* 0,17 (2,66)*
LogPIBj 0,56 (46,76)*
0,47 (22,86)*
0,56 (46,74)*
0,48 (22,96)*
LogPopi -0,63 (-1,77)**
*
-0,19 (-0,60)
-0,64 (-1,81)**
*
-0,34 (-0,72)
LogPopj 0,05 (3,65)* 0,21 (8,50)*
0,05 (3,70)* 0,20 (8,29)*
LogDistij -0,56 (-22,30)
*
-0,46 (-16,12)
*
-0,52 (-16,76)
*
-0,38 (-10,75)
*LogPi -0,03 (-
2,13)**
-0,03 (-1,81)**
*LogPj 0,12 (4,40)
*0,13 (4,69)*
MU 0,07 (2,06)**
0,18 (4,03)*
OUVij 0,31 (8,59)*
0,33 (9,04)*
LCij 0,41 (20,71)*
0,40 (20,37)*
UEj 0,17 (6,62)*
0,20 (7,48)*
BRICSj -0,12 (-3,73)*
-0,10 (-3,09)*
CEDEAOj -0,02 (-0,99)
0,07 (1,82)***
Observations
8 262 8 059 8 262 8 059
Wald Chi 2
5 178,9
5
5 403,8
6
5 184,2
4
5 444,9
5Prob > Chi 2
0,0000
0,0000
0,0000
0,0000
Note : *, ** et *** significatif à 1%, 5% et 10%.
13
Source : Construit par l’auteur, à partir de l’estimation.
Les estimations révèlent que les coefficients associés aux PIB ont des signes attendus. En
effet, le PIB du pays i est positivement corrélé au commerce bilatéral de ce pays avec ses
partenaires j, ce qui traduit le fait que plus un pays produit, plus il dégage une forte
propension à exporter, et plus il est intégré dans le commerce international. En termes de
demande, ce signe stipule qu’un pays commerce avec ses partenaires proportionnellement à
son pouvoir d’achat. À cet effet, l’estimation prouve qu’une augmentation de 1% du PIB du
pays i entraine une augmentation de l’ordre de 0,16 à 0,19 de ses exportations bilatérales vers
ses partenaires j. Le signe du PIB du pays j s’inscrit dans la même logique, avec un effet et
une significativité plus forts que celui du PIB du pays i. En effet, le revenu du pays partenaire
lui donne un pouvoir d’achat en termes de produits du pays i. Ainsi, une augmentation d’un
point du PIB du pays j induit une augmentation de l’ordre de 0,47 à 0,56 des exportations
bilatérales du pays i vers ce pays.
Les coefficients associés aux populations affichent un signe négatif pour le pays i et positif
pour le pays j. En effet, pour le pays i, sa population est un déterminant de l’absorption
nationale, c'est-à-dire qu’elle exprime une forte demande de la production locale et limite les
exportations vers les partenaires. Toutefois, le coefficient est non significatif lorsque l’on
augmente le modèle. Le signe affecté à la population du pays j est positif, traduisant le fait
que l’augmentation de la population du pays partenaire augmente les exportations bilatérales
du pays i. Cette situation stipule que parmi les moteurs externes de la demande nationale, la
population des pays partenaires joue un rôle positif. L’effet est significatif à 1% quelle que
soit la spécification de l’estimation.
La distance donne le signe attendu. Ainsi, une distance croissante entre deux pays déprime
leur commerce bilatéral. L’effet de cette dépression, significative à 1%, varie de -0,38 à -0,56
selon les spécifications retenues, pour une augmentation d’une unité de la distance. Ces
résultats rentrent globalement en cohérence avec ceux établis par Avom (2005), Gbetnkom et
Avom (2005), Gbetnkom (2006), Avom et Mignamissi (2013).
La résistance multilatérale est captée dans la modélisation gravitaire par les prix. Ainsi, le
niveau des prix dans le pays i déprime son commerce bilatéral. En effet, l’augmentation du
prix d’une unité dans le pays i diminue significativement ses exportations bilatérales de 0,03.
Un prix domestique qui augmente diminue les exportations, cette augmentation s’apparentant
14
à une appréciation de la monnaie. À cet effet, qu’importe la qualité, les partenaires substituent
les produits du pays i par ceux des autres pays, l’objectif étant d’éviter d’importer l’inflation.
Par contre, un niveau de prix élevé dans le pays j encourage le pays i à exporter vers ce pays.
L’estimation révèle que les exportations sont susceptibles d’augmenter de l’ordre de 0,12 à
0,13 suite à une augmentation du prix d’une unité dans le pays j. Cette dernière relation
implique que les exportateurs du pays i ont tendance à capter la rente ou la marge induite par
l’augmentation des prix chez leurs partenaires.
Pour tester la thèse endogène des unions monétaires dans la CEEAC, nous avons voulu savoir
quel serait par simulation l’effet du partage d’une monnaie unique dans cette Communauté. À
cet effet, deux modèles ont été estimés, à savoir un modèle sans monnaie unique et un modèle
avec monnaie unique. L’estimation dévoile que le passage à la monnaie unique dans la
CEEAC booste le commerce bilatéral des pays membres. Toute chose étant égale par ailleurs,
l’option d’une monnaie unique dans la CEEAC augmente le commerce bilatéral des pays
membres de 0,07 à 0,18 selon les spécifications retenues. Ce résultat confirme entre autres
ceux de Rose (2000), Avom (2005), Avom et Mignamissi (2013).
L’estimation dévoile également que l’ouverture simultanée des pays de la CEEAC avec leurs
partenaires explique positivement leur commerce bilatéral total. Cette variable montre que
moins les pays sont enclavés, plus ils sont enclins à augmenter leur commerce bilatéral, à
cause du fait que les coûts de transaction diminuent considérablement. L’effet sur les
exportations bilatérales est de l’ordre de 0,31 à 0,33 et significatif à 1%. Bien plus, partager
une langue commune pousse deux pays à échanger davantage. L’estimation montre que
comparativement aux pays qui utilisent des langues différentes, le partage d’une langue
commune augmente les exportations bilatérales de l’ordre de 0,40 à 0,41 selon qu’on utilise
une même monnaie ou non.
Trois zones d’intégration ont été privilégiées dans cette étude, à savoir l’UE, les BRICS et
l’UEMOA. Toute chose égale par ailleurs, si le pays partenaire à la CEEAC est de l’UE, les
exportations bilatérales augmentent de 0,17 à 0,20. De ce résultat, il ressort que garder en
l’état les relations commerciales avec les pays de l’UE crée des courants d’échanges pour les
pays de la CEEAC, spécifiquement les courants d’importations, la CEEAC étant un
importateur net vis-à-vis de l’Europe. Ce signe significatif à 1% implique une sortie de
ressources pour la CEEAC. L’effet est contrasté lorsqu’il s’agit des BRICS ou de la
CEDEAO. En effet, l’estimation montre que, le commerce bilatéral de la CEEAC diminue
15
significativement à 1% pour les BRICS dans toutes les hypothèses et à 10% pour la CEDEAO
en présence d’une monnaie unique. Ce signe pourrait s’expliquer par le fait que les pays de la
CEDEAO sont reconnus pour leur extraversion commerciale. En effet, ces pays seraient
moins intégrés sur le plan commercial avec ceux de la CEEAC en raison du fait qu’ils
possèdent des dotations assez similaires. Le seul paradoxe est celui qu’affiche le groupe
BRICS. Toutefois, ce paradoxe pourrait être levé à cause de la période considérée dans cette
étude (1995-2010). En effet, les relations commerciales des pays de la CEEAC avec ce
groupe ne sont accélérées que ces dernières années. L’utilisation de données récentes
produirait sans doute un signe positif.
Sans se limiter aux effets partiels, il importe de tester si le passage à une monnaie unique
augmente véritablement le potentiel commercial des pays membres. À cet effet, nous
calculons les potentiels des exportations sans monnaie unique et avec monnaie unique. Nous
comparons par la suite pour chaque pays ces deux indicateurs en rapportant le second sur le
premier, un ratio supérieur à 1 impliquant le gain commercial apporté par l’introduction de la
monnaie unique (voir graphique 1).
Graphique 1 : Ratio moyen du potentiel des exportations avec monnaie unique au potentiel des exportations sans monnaie unique vers la CEEAC.
COG ZAR CMR AGO TCD BDI CAF GAB GNQ STP0.000
0.500
1.000
1.500
2.000
2.500
3.000
3.500
0.000
0.337
1.021 1.037 1.091 1.152 1.202
1.806
2.638
3.044
Source : Calculs et construction de l’auteur, à partir de l’estimation.
Il ressort de ce graphique qu’en termes de gains, STP serait le premier pays à bénéficier de
l’union monétaire, car son potentiel commercial est trois fois plus que s’il garde sa monnaie.
Le second pays bénéficiaire est la Guinée Équatoriale, avec un ratio de 2,638, c'est-à-dire un
potentiel commercial équivalent au plus du double s’il garde l’utilisation du CFA. Les pays
16
tels que le Gabon, la Centrafrique, le Burundi, le Tchad, l’Angola et le Cameroun seraient
également des gagnants si la monnaie unique est instituée dans la CEEAC, avec toutefois un
effet moindre. Seuls les deux Congo (la République du Congo et la République Démocratique
du Congo) affichent un ratio inférieur à 1, impliquant un potentiel commercial insuffisant
suite à l’introduction de la monnaie unique. Toutefois en cohérence avec Rose (2000), la thèse
de l’endogénéité des unions monétaires stipule que des mécanismes endogènes génèrent à
terme des potentiels commerciaux même pour les perdants. En effet, l’utilisation d’une
monnaie unique crée un cercle vertueux, la monnaie unique pouvant jouer le rôle de
subvention aux échanges à travers les bénéfices et les externalités positives qu’elle génère.
4.2. Test de robustesse
Le test de robustesse mené dans le cadre de cette étude consiste à faire recours à une autre
technique d’estimation. Nous choisissions à cet effet d’estimer l’équation (4) par la loi
Binomiale Négative (NEGBIN). La loi NEGBIN se présente comme une technique
d’estimation concurrente à la spécification en Poisson. L’estimateur Poisson n’est consistant
que si l’égalité moyenne-variance est respectée6. Dans le cas où la variance est supérieure à la
moyenne, les données sont dispersées et c’est l’estimateur NEGBIN qui est indiqué7. Les
résultats du modèle spécifié en effets fixes et aléatoires sont reportés dans le tableau 2.
Tableau 2. Estimation du modèle de gravité avec la loi Binomiale Négative.Variable dépenda
nte :Xij
NEGBIN-Effets fixes
NEGBIN-Effets aléatoires
Coef t-Stat Coef z-Stat
Constante 7,17 (3,29)*
-0,07 (-0,01)
LogPIBi 0,32 (5,79)*
0,16 (2,49)**
LogPIBj 0,50 (23,45 0,48 (22,90)*
6 La moyenne de la variable dépendante est de 1,83 et la variance de 3,36.7 La log-vraisemblance d’une NEGBIN est donnée par :
l ( β , η )=∑i=1
N
y i log (η2 μ ( x i β ))−( y i+1η2 ) log (1+η2 μ ( x i β ))+ log Γ ( yi+
1η2 )−log ( y i !)−log Γ ( 1
η2 ).
η2 est un paramètre de variance à estimer conjointement avec la moyenne conditionnelle de β . y i est la variable dépendante, x i le vecteur des explicatives, μ la moyenne et Γ le symbole de la loi Gamma. La loi NB stipule qu’il y a une grande dispersion des données (v ( x i , β )>μ ( x i , β )). Les moments d’ordre 1 et 2 sont donnés par
les expressions suivantes : E ( y i∨x i , β )=μ ( xi , β ) et var ( y i∨xi , β )=μ ( xi β ) (1+η2 μ ( x i , β )). En général, la NEGBIN converge vers la Poisson (Hilbe, 2007).
17
)*LogPopi -1,63 (-
4,55)*-0,28 (-0,57)
LogPopj 0,20 (7,97)*
0,20 (8,26)*
LogDistij -0,39 (-10,90)
*
-0,38 (-10,72)*
LogPi -0,005 (-0,36) -0,03 (-1,86)***
LogPj 0,15 (5,56)*
0,13 (4,62)*
MU 0,20 (4,25)*
0,18 (3,94)*
OUVij 0,34 (8,91)*
0,33 (9,01)*
LCij 0,40 (20,17)*
0,40 (20,12)*
UEj 0,19 (7,27) 0,20 (7,46)*BRICSj -0,09 (-
2,91)*-0,10 (-3,09)*
CEDEAOj 0,08 (2,23)**
0,06 (1,80)***
Observations
8 059 8 059
Wald Chi 2
5 075,49
4 959,83
Prob > Chi 2
0,0000
0,0000
Note : *, ** et *** significatif à 1%, 5% et 10%.
Source : Construit par l’auteur, à partir de l’estimation.
Les résultats affichent une stabilité de signe et de significativité quant à la variable d’intérêt (à
savoir MU). Toutefois, il apparait une modification de signe pour la variable « CEDEAO ».
La NEGBIN avec effets aléatoires confirme l’effet simulé de la monnaie unique sur le
commerce bilatéral des pays de la CEEAC par l’estimateur Poisson (à savoir 0,18), la seule
différence résidant au niveau de la significativité du coefficient. Par contre, la NEGBIN avec
effets fixes a tendance à le sur-estimer l’effet simulé de la monnaie unique, avec une semi-
élasticité significative à 1% de 0,20.
18
Conclusion
Cet article simule l’effet du passage à une monnaie unique sur l’intensification du commerce
bilatéral dans la CEEAC. Cette simulation s’insère dans le clivage théorique et empirique
soulevé par les deux principales conclusions de la théorie des ZMO, à savoir que l’adoption
d’une monnaie unique peut créer soit un cercle vicieux (Krugman, 1993), soit un cercle
vertueux (Rose, 2000). Le cadre méthodologique pour tester la validité de ce clivage a
consisté, après avoir rappelé le débat théorique, à procéder à une estimation économétrique. À
cet effet, le modèle de prédilection est le modèle de gravité, la principale innovation étant
l’application d’une technique d’estimation nouvelle, l’estimateur Poisson du Pseudo-
Maximum de Vraisemblance (PPMV). Pour un souci de robustesse des résultats établis, cet
estimateur est comparé à l’estimateur de la loi Binomiale Négative. À la suite de cette
démarche, nous aboutissons aux principaux résultats suivants :
l’estimation du modèle de gravité dans sa version augmentée laisse entrevoir que les
variables traditionnelles et les variables muettes de contrôle observent globalement les
signes attendus ;
si les pays de la CEEAC avaient adopté une monnaie unique depuis 1995, leur
potentiel commercial se serait considérablement accru, comparativement à la situation
actuelle où les pays commercent avec leurs monnaies nationales ;
le test de robustesse adressé à l’aide de l’estimateur NEGBIN spécifiée en effets
aléatoires confirme le signe et la significativité du paramètre d’intérêt. Cette
confirmation traduit la validité de la simulation menée dans le cadre de cette étude.
Ces résultats appellent les autorités de la sous-région, en cohérence avec les objectifs de
création d’une monnaie unique africaine indexée sur les monnaies sous-régionales à l’horizon
2028, à accélérer le processus de rationalisation des entités de la CEEAC à de mettre sur pied
un projet d’union monétaire. Enfin, le potentiel commercial que provoquerait le choix d’une
monnaie unique ferait que l’Afrique centrale ne soit plus considérée comme le maillon faible
de l’intégration africaine.
Annexe
Liste des pays de l’échantillon
19
CEEAC CEDEAO UE BRICSAutres pays
africainsAngola,
Cameroun, Burundi, Congo,
République Démocratique du
Congo, Gabon, Tchad, République
Centrafricaine, São-Tomé et
Principe, Guinée Équatoriale
Benin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte-d’Ivoire,
Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Libéria,
Mali, Mauritanie,
Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra
Léone, Togo
Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne,
Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg,
Pays-Bas, Portugal, Grèce, Slovénie, Chypre, Malte, Slovaquie,
Estonie
Brésil, Inde
Russie, Chine, Afrique du Sud
Algérie, Égypte, Maroc, Kenya, Tunisie
Source : Construit par l’auteur.
20
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