Libéralisme et protectionnisme. Ahmed Midhat et les questions économiques de l’Empire ottoman

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Anatoli n°5 Configurations économiques dans l'espace post-ottoman Deniz AKAGÜL Collection : Anatoli Publication date : 25/09/2014 Auteurs : Deniz AKAGÜL ISBN : 978-2-271-08222-0 Format : 15 x 23 cm Pagination : 313 Prix : 32! http://www.cnrseditions.fr/geographie/6952-anatoli-n5.html

Anatoli est une publication annuelle consacrée à l’étude pluridisciplinaire de l’espace qui s’étend de l’Adriatique à la Caspienne. Elle s’intéresse aux cultures – grecque, latine, slave, turque, persane, géorgienne, arménienne, juive, etc. – qui l’ont habité et façonné. Les territoires de cet espace, aujourd’hui fragmenté, furent jadis unifiés, au moins partiellement, par des pouvoirs impériaux, dont le dernier fut l’Empire ottoman. Ils en gardent bien des traits communs, souvent sous forme latente. L’importance de cet espace pour l’Union européenne est une évidence.

Ce numéro s’interroge sur l’impact de l’héritage économique ottoman en méditerranée orientale, un siècle après la dislocation d’un espace impérial plus que millénaire d’abord romain, puis byzantin et enfin ottoman. Après avoir analysé les éléments constitutifs de cet héritage, à partir des dynamiques externes et internes à l’Empire, les contributions tentent de saisir ses conséquences actuelles dans le cadre de la problématique de la production des biens publics dans l’espace post-ottoman. Peut-on désigner cet héritage comme responsable des difficultés économiques que connaissent les États successeurs ? Les États-nations qui se sont émancipés ont-ils réussi à s’affranchir de cet héritage ? Quel est son impact du point de vue de la coopération économique régionale ? Quelle est la portée du courant « néo-ottoman » qui vise à reconstituer l’unité perdue de cet espace économique ? Les analyses menées ici s’efforcent d’apporter des éclairages à ces questionnements qui, même un siècle après la disparition de l’espace économique impérial, continuent de garder leur actualité.

Sommaire : Introduction par Deniz Akagül Partie I - Dynamiques de la périphérisation de l'économie ottomane

Immanuel Wallerstein L'Empire ottoman et l'économie-monde capitaliste : quelques questionnements pour la recherche Ça!lar Keyder Les villes-port et la politique à la veille de la Grande Guerre Timur Kuran Bénéfice inattendu des capitulations : facilitation de l'échange impersonnel Document : Accord Sykes-Picot Partie II - Dynamiques économiques internes de la dislocation de l'espace impérial

Stefania Ecchia La politique économique à la fin de l'Empire ottoman (1876-1922) Diren Çakmak Émergence de la pensée économique ottomane à l'époque moderne : état des lieux Erdal Kaynar Libéralisme et protectionnisme : Ahmed Midhat et les questions économiques de l'Empire ottoman Ragip Ege Pertinance et limites du concept de « mode de production asiatique » appliqué à l'espace ottoman Partie III - Émancipation des États-nations et développement économique

Valentina Dimitrova-Grajzl Héritage économique dans les Balkans Jean Batou L'industrialisation de l'Égypte avant le canal de Suez : développement économique et rôle de l'État Georges Corm L'influence ottomane dans les structures socio-économiques des pays arabes et leur mode de développement Partie IV - Production de biens publics internationaux dans l'espace post-ottoman

Dilek Yankaya International Business Forum : une tentative de régionalisation par la bourgeoisie islamique turque en « Afro-Eurasie » ? Deniz Akagül Nouvelles orientations de la politique commerciale turque : entre pragmatisme et ambitions « néo-ottomanes » Deniz Akagül, Fatma Do!ruel et Suut Do!ruel Gestion des ressources naturelles et performances économiques au Moyen-Orient post-ottoman : malédiction « des ressources » ou de « l'histoire » ?

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Libéralisme et protectionnisme : Ahmed Midhat et les questions

économiques de l’Empire ottoman Erdal Kaynar

Peu d’intellectuels de la ! n de l’Empire ottoman ont porté un intérêt aussi développé à l’économie qu’Ahmed Midhat (1844-1912). Midhat est présenté comme le premier Ottoman ayant formulé des idées protectionnistes à une époque dominée par les concepts économiques libéraux 1. Mais son cas est encore plus singulier. Faisant partie des intellectuels les plus populaires des dernières décennies de l’Empire, il est surtout connu de nos jours pour son œuvre littéraire. Or, sa personne incarne l’archétype du penseur réformiste ottoman de la seconde moitié du "#"e$ siècle. Animé par un désir de savoir totalisant, il se mit à ré% échir sur des moyens scienti! ques pour sortir la société ottomane de son état d’infériorité vis- à- vis de l’Europe. Ainsi, il ! t preuve pendant toute sa vie d’une volonté pédagogique infaillible visant à éclairer les Ottomans sur les bienfaits des sciences modernes, un fait qui lui a valu le titre de « premier instituteur » (Hace- i Evvel) de la nation ottomane.

Fidèle à sa vocation encyclopédiste, sa production de livres témoigne de sa large gamme d’intérêts. Au sein de son œuvre comportant plus de cent soixante livres, le nombre de quatre ouvrages dédiés explicitement aux ques-tions économiques peut paraître dérisoire. Cependant, on constate dans les livres en question un degré de sophistication que l’on ne trouve pas dans la plupart de ses autres études 2. Pour trouver des économistes plus compétents,

1. SAYAR A., Osmanlı .Iktisat Düsüncesinin Çagdaslasması, Istanbul, Ötüken, 2000, p. 380-389 ;

GEORGEON F., « L’économie politique selon Ahmed Midhat », in SAYAR A., Des Ottomans aux Turcs. Nais-sance d’une nation, Istanbul, Isis, 1995. ÇAKMAK D., Osmanlı

.Iktisat Düsüncesinin Evrimi, Istanbul,

Libra, 2011, p. 181-193. L’argument du protectionnisme est poussé à l’extrême dans GEYIKDAG N., « The Economic Views of a Nineteenth Century Ottoman Intellectual : The Relationship Between Interna-tional Trade and Foreign Direct Investment », Middle Eastern Studies, no 47/3, 2011, p. 529-542.2. ÜLKEN H. Z., Türkiyede Çagdas Düsünce Tarihi, Istanbul, Ülken, p. 120. Les livres en ques-tions sont Sevda- yı Sa’i- ü- Amel, Istanbul, Kırkanbar Matbaası, 1296 (1879) ; Tesrik- i Mesa’i, Taksim- i Mesa’i, Istanbul, Kırkanbar Matbaası, 1296 (1879) ; Ekonomi Politik, Istanbul, Kırkanbar Matbaası, 1297 (1880) ; Hallü’l Ukad, Istanbul, Tercüman- ı Hakikat Matbaası, 1307 (1890). Dans nos analyses,

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il faudrait regarder auprès des économistes professionnels, comme Sakızlı Ohannes ou Mehmed Cavid. La ré% exion économique tient donc une impor-tance particulière dans la pensée de cet homme de lettres ottoman. La date de publication de ses traités nous donne des indications supplémentaires sur la nature de ses interrogations. Trois des quatre ouvrages ont été publiés en 1879 et 1880, dont le principal porte le titre volontairement moderne qu’il n’est pas besoin de traduire$ : Ekonomi Politik. Autrement dit, dans une période très courte, Midhat eut une production riche d’idées sur l’économie.

Cette période courte correspond à un temps de crise. L’année 1876 connut la succession de trois sultans et le début de la guerre turco- russe aux effets désastreux pour l’Empire ottoman. Le sultan Abdülhamid II déçut l’opinion libérale lorsqu’il ajourna le parlement qui s’était réuni suite à la promulgation de la Constitution ! n 1876. Par la suite, il établit un régime autocratique qui prit ! n avec la révolution jeune- turque de 1908. Pour les opposants, le régime d’Abdülhamid se présentait comme une régression par rapport à l’étape du développement politique de l’époque des Tanzimat et de la première période constitutionnelle. Ahmed Midhat avait lui- même appartenu au mouvement libéral des Jeunes Ottomans depuis les années 1860 et avait été envoyé en exil pour ses activités politiques entre 1873 et 1876. Mais en 1878, il ! t le choix de s’aligner sur le nouveau régime et écrivit des livres de soutien au sultan Abdülhamid II 3. Publiant trois ouvrages sur l’économie en moins de deux ans, Midhat semble avoir estimé que les problèmes de son temps étaient plus d’ordre économique que politique. Mais peut- on dire qu’il avait tort ?

Confronté à la supériorité économique de l’Europe de la révolution indus-trielle, la condition de l’Empire ottoman fut délicate tout au long du "#"e$siècle. Mais la ! n des années 1870 eut une spéci! cité. La spirale de l’endettement commencée par le gouvernement ottoman dans les années 1850 avait mené à la déclaration de faillite de l’État en 1875, aggravant une condition écono-mique déjà désastreuse pour la population ottomane. Une certaine stabilisa-tion se pro! la vers la ! n des années 1870, mais le problème de la gestion des dettes internationales restait encore sans réponse. Cette crise fut aggravée par le contexte global de la Grande Dépression. L’ébranlement des certitudes

nous nous concentrons principalement sur les deux derniers livres. Ils sont désormais facilement accessibles grâce à une réédition réussie sous le titre

.Iktisat Metinleri préparée par Erdogan Erbay

et Ali Utku (Konya, Çizgi, 2005). Dans la version que nous avons pu consulter, les deux premiers ouvrages sont reliés dans un seul livre avec pagination continue.3. KIRMIZI A., « Authoritarianism and Constitutionalism Combined : Ahmed Midhat Efendi Between the Sultan and the Kanun- i Esasi », in HERZOG C./SHARIF M. (dir.), The First Ottoman Experiment in Democracy, Würzburg, Ergon, 2010.

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économiques établies par le début de la Seconde révolution industrielle en Europe et aux États- Unis mena aux recherches de nouvelles voies écono-miques dans le monde entier pour trouver une sortie de crise.

Autrement dit, le fait d’avoir abandonné son opposition au gouvernement permit à Ahmed Midhat de développer une vision plus large des problèmes de la société ottomane et aussi une compréhension plus globale de la réforme nécessaire de l’Empire. Dans sa quête de réforme, la question économique tenait visiblement une place centrale.

Développement du libéralisme ottoman

Les concepts de l’économie politique moderne circulaient dans l’Empire ottoman depuis les années 1830 et accompagnaient des changements radicaux dans l’orientation économique de l’État. La réforme du système légal menait à l’élaboration d’un code garantissant la propriété privée tandis que la sup-pression des monopoles étatiques et l’ouverture du marché intérieur à la pénétration commerciale européenne cimentaient les nouveaux principes du libre- échange. Les idées libérales de « l’école classique », initiée par Adam Smith et développée par la suite par David Ricardo et Jean- Baptiste Say, exer-cèrent une in% uence hégémonique 4. C’est le nom du dernier qui marqua l’ap-prentissage scienti! que de l’économie dans l’Empire ottoman. Le premier livre en ottoman sur l’économie imprimé fut une traduction libre du Catéchisme de l’économie politique de Say, un bestseller de l’édition française de la première moitié du "#"e$siècle 5. La majorité des écrits ottomans sur l’économie suivait sa doctrine, en particulier dans ses formes vulgarisées, presque à la lettre.

Dans la question du commerce extérieur, on suivait le dogme formulé depuis David Hume selon lequel le commerce est pro! table à tous les pays impliqués. Les diplomates des pays européens, les hommes politiques otto-mans et aussi les premiers économistes ottomans partageaient ainsi la

4. SAYAR A., Osmanlı .Iktisat Düsüncesinin Çagdaslasması, p. 248.

5. Voir DOGANALP- VOTZI H., « Aspekte der Rezeptionsgeschichte der Theorien der Moderne im Osma-nischen. Das erste osmanische Werk zur Nationalökonomie : Sehak Abrus Übersetzung des Caté-chisme d’économie politique von Jean Baptiste Say », dans NEWEKLOWSKY G. (dir.), Herrschaft, Staat und Gesellschaft in Südosteuropa aus sprach- und kulturhistorischer Sicht, Vienne, ÖAW, 2007. Sur l’importance du Catéchisme voir WHATMORE R., Republicanism and the French Revolution. An Intellectual History of Jean- Baptiste Say’s Political Economy, Oxford, Oxford University Press, 2000.

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certitude que le libre- échange était une chose positive pour l’Empire ottoman 6. Conforme à la théorie de l’« avantage comparatif » de Ricardo, le principe du laissez- faire prévoyait une spécialisation de l’Empire dans l’agriculture, pour fournir des matières premières aux puissances euro-péennes et recevoir en échange leurs produits manufacturés –$une idée qui correspondait à la nature agricole de l’Empire ottoman 7. L’orientation libé-rale fut marquée par l’optimisme général qui accompagna les grandes réformes ottomanes connues sous le nom de Tanzimat. La libéralisation de l’économie allait créer un dynamisme qui augmenterait automatiquement la production des richesses du pays, menant à une société plus prospère et à des ! nances publiques saines. La plupart des hommes politiques ottomans considéraient que l’intégration de l’Empire dans l’économie mondiale dominée par les puissances européennes lui serait béné! que et se traduirait par le développement de l’économie ottomane et, à terme, par l’industriali-sation du pays. À l’instar d’Ali Pasha, l’un des meneurs des Tanzimat, plu-sieurs hommes d’État estimaient même que la dépendance vis- à- vis de l’Europe résultant de cette division du travail renforcerait ! nalement la situation de l’Empire ottoman. Les intérêts de l’Europe impérialiste et de l’Empire ottoman ne pouvaient diverger 8.

Chez Ahmed Midhat, nous voyons que l’acceptation du principe de laissez- faire avait trouvé ses limites. L’historiographie constate qu’il fut le pre-mier représentant du protectionnisme dans l’Empire ottoman et s’interroge sur son lien avec la politique protectionniste d’« Économie nationale –$Millî ktisad », mise en place après 1912, qui tira son in% uence de « l’école histo-

rique » de l’économie politique représentée en particulier par Friedrich List 9. Toutefois, les idées de Midhat s’inscrivent pour l’essentiel parfaitement dans la lignée du libéralisme ottoman. L’enracinement de sa pensée dans l’école classique de l’économie politique est tellement net qu’il rend l’orientation critique concernant le libre- échange pratiquement secondaire. Il importe donc$ de s’arrêter sur la nature libérale de ses idées avant de venir à son protectionnisme.

6. Hume mit en avant cette thèse surtout dans son essai Of the Jealousy of Trade de 1742. Voir HONT I., Jealousy of Trade. International Competition and the Nation- State in Historical Perspective, Cambridge, Harvard University Press, 2005.7. GÜRAN T., 19. Yüzyıl Osmanlı Tarımı, Istanbul: Eren, 1998, p. 45-54 passim.8. DAVISON R., Reform in the Ottoman Empire, Princeton, Princeton University Press, 1963, p. 260-264.9. TOPRAK Z., Türkiye’de Milli

.Iktisat 1908-1918, Ankara, Yurt, 1982.

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L’amour du travail et la théorie de la valeur

L’essentiel de la pensée économique d’Ahmed Midhat s’exprime dans le titre de son premier ouvrage de 1879 menant des interrogations économiques$: L’amour du travail –$Sevda- yı Sa’i- ü- Amel 10. Midhat ! t de l’idéal de « l’amour du travail » la devise de sa vie et se ! xa la mission de le propager dans l’Em-pire ottoman. Dans l’ensemble de son œuvre, à commencer par son livre men-tionné, Ahmed Midhat exaltait l’esprit d’entreprise individuelle qu’il présentait comme la clé de la réussite personnelle. Il incitait les Ottomans à la persévérance, au travail et à la productivité. Cet idéal correspondait à sa propre expérience. Venant d’un milieu modeste de petits artisans, Midhat avait fait l’expérience d’une mobilité sociale important qui lui avait permis de s’établir comme un personnage respecté de la ! n de l’Empire. Son parcours semblait incarner l’image d’un monde dans lequel par l’effort personnel tout devient possible. Cependant, cette notion se référant dans un premier temps aux individus avait surtout une portée sociétale. Derrière l’idéal de l’amour du travail se cachait une dimension plus globale qui se rapporte directement à sa conception de l’économie.

Dans son livre, Ahmed Midhat note que l’amour du travail est un amour aussi important que l’amour de la patrie ou de la liberté. C’est cet amour du travail qui a permis aux Européens d’augmenter leur productivité et leur richesse. Or, il souligne que cet amour du travail n’est pas spéci! que aux Européens, mais est dans la nature même de l’être humain. La différence entre l’Empire ottoman et l’Europe consiste dans le fait que les Européens ont su déve-lopper cet instinct naturel par l’éducation et ont par conséquent atteint des niveaux de richesse inconnus 11. Par l’évocation de la nature, Midhat se posi-tionne contre des visions européennes orientalistes établissant une dichotomie essentialiste entre l’Orient paresseux et léthargique et l’Europe laborieuse et dynamique. Mais surtout, il présente l’amour du travail, autrement dit, l’activité économique, comme une chose naturelle. Dé! nissant l’amour du travail comme un instinct humain, Midhat dé! nit l’homo œconomicus comme la norme qui doit diriger les Ottomans dans leur quête de développement personnel et national.

Il donne un cadre plus théorique à cette dé! nition dans son Ekonomi Politik. Ici, son inspiration libérale devient explicite. Dans l’introduction, il note que

10. Sur l’ouvrage voir FINDLEY C., « Ahmet Midhat’ın Sevda- yı Say- ü Amel’i », Tarih ve Toplum, no 203 (2000), p. 23-28.11. AHMED MIDHAT, Sevda- yı Sa’i- ü- Amel, p. 5-6, 12-13.

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le plan d’un ouvrage préparé par Charles de Brouckère en 1851, un écono-miste libéral et homme politique belge, lui sert de modèle pour développer sa théorie économique. Cependant, la volonté de donner une présentation des principes économiques plus adaptée aux conditions de l’Empire ottoman, le pousse à diverger du plan du livre de Brouckère si nécessaire. À côté de ce nom, il cite plusieurs autres représentants de l’école classique qui ne ! gurent pas dans le livre en question, dont Sismondi, Rossi et l’incontournable Say 12. Dès l’introduction, Ahmed Midhat dé! nit la science de l’économie politique comme l’impératif de l’époque. D’après lui, les lois de l’économie politique déterminent le monde. Leur maîtrise est obligatoire pour toute vie dans une société civilisée et lie les gouvernements et les monarques les plus puissants 13.

La base du raisonnement économique d’Ahmed Midhat est donc bien l’idée de l’existence des lois économiques universelles. Il reprend ainsi l’idée de l’existence de « l’ordre naturel » de l’économie que le physiocrate François Quesnay avait formulé en premier et qu’Adam Smith avait alors élevé comme le fondement de l’économie politique. Dans Hallü’l Ukad (Défaire les nœuds), Midhat présente effectivement Quesnay comme le premier économiste, et Smith comme le dernier, notant que la science de l’économie politique découle des théories du dernier 14. Autrement dit, estimant que les solutions de l’époque sont clairement plus économiques que politiques, Midhat essaye d’expliquer aux Ottomans les vérités abstraites de l’économie politique a! n qu’ils puissent reconnaître le fonctionnement des lois économiques.

Sa conception de l’amour du travail se situe parmi ces vérités. Dans Ekonomi Politik, suivant une méthodologie établie par Say, il s’interroge dans les premiers chapitres sur les origines de la richesse en traitant de la produc-tion. En accord avec la théorie de la valeur de Smith et de ses successeurs, Midhat argumente que pour produire il faut du capital –$ mais la véritable source des richesses est le travail humain. Car c’est uniquement par l’effort des hommes qu’une matière peut se transformer en une chose utile à l’usage et à la consommation, et gagner ainsi une valeur$: « La richesse générale n’a aucune valeur, la chose qui lui donne de la valeur, c’est le travail [sa’i],

12. Ekonomi Politik, p. 3, 6-7. Le livre de Brouckère en question (Principes généraux d’économie politique, Bruxelles, A. Jamar, 1851) est un ouvrage de vulgarisation paru dans une série de biblio-thèque populaire.13. Ekonomi Politik, p. 14-15, 185, 190.14. Hallü’l Ukad, p. 183. Sur la référence à l’ordre naturel et aux lois économiques de Quesnay, voir aussi ibid., p. 172-173.

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c’est- à- dire le fait de labourer, qui s’ajoute à cette richesse 15. » Midhat articule ainsi son insistance sur l’effort personnel en lien avec la théorie de la valeur- travail de l’école classique. Dans sa glori! cation du travail humain, il se rap-proche même de la fameuse théorie d’Adam Smith selon laquelle l’individu poursuivant ses propres intérêts enrichit à son insu –$par la célèbre main invi-sible$– la société entière 16$: « L’homme doit veiller$à être un personnage béné-! que$pour sa patrie, sa nation, son État et en particulier pour lui- même. » Celui qui ne travaille pas nuit, de fait, plus à la société que celui qui s’engage pour son intérêt égoïste. Et Midhat conclut$: « Il faut exclure de la société civilisée ce personnage paresseux et nocif 17. »

Ahmed Midhat n’embrasse pas entièrement le concept de l’égoïsme éco-nomique et sa référence au bien- être de la société reste centrale. Dans son ouvrage Te rik- i Mesa’i, Taksim- i Mesa’i (Coopération et Division du travail) qui$donne un cadre organisationnel à l’idéal de l’amour du travail, on voit qu’il situe les individus au sein de la société et de leurs obligations vis- à- vis de la communauté. Toutefois, le point de départ de son interrogation écono-mique reste bien l’individu et l’effort personnel. La coopération et la division du travail se présentent comme des moyens qui s’imposent aux individus pour leur permettre de trouver une entente sur leurs intérêts individuels et collectifs et réussir ainsi dans leur engagement économique au pro! t de la société 18.

Par leur correspondance avec l’idéal de l’amour du travail, les théories de base de l’économie politique reçoivent chez Ahmed Midhat une portée particulière qui se rapporte au décalage de l’Empire ottoman vis- à- vis de l’Europe industrialisée. En fait, elles se présentent comme une condition pour dynamiser la société, autrement dit, comme une nécessité en vue de rattraper le degré de développement de l’Europe. Midhat n’a pas d’illusion sur le pouvoir économique de l’Empire et note que, dans l’agriculture, l’in-dustrie et le commerce, l’état de l’économie ottomane est délabré 19. Dans ces conditions, la théorie de la valeur- travail permet d’élever le labeur

15. Ekonomi Politik, p. 29. Midhat reprend explicitement la théorie de valeur de l’école classique. Selon lui la valeur d’un bien se mesure à sa valeur d’usage et le temps de travail qu’il a fallu pour le produire (p. 31).16. Il existe une littérature riche sur l’importance historique de la pensée d’Adam Smith dans la façon de concevoir l’être humain comme un acteur dans l’histoire. Voir par exemple PERROT J.- C., Une histoire intellectuelle de l’économie politique, Paris, Éd. EHESS, 1992, p. 5-10.17. Ekonomi Politik, p. 42. C’est nous qui soulignons.18. Tesrik- i Mesa’i, Taksim- i Mesa’i, p. 88-91 ; Ekonomi Politik, p. 48-49.19. Ekonomi Politik, p. 117-118.

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comme une compensation du manque de possibilités matérielles. Par cela, le concept de l’effort personnel reçoit une dimension temporelle tournée vers l’avenir.

L’appel à l’engagement économique d’Ahmed Midhat comporte cepen-dant encore une autre spéci! cité. Effectivement, il ressort de ses écrits qu’il s’adresse d’abord aux Ottomans musulmans. Pour Midhat, les Ottomans les moins en accord avec les exigences de l’économie politique sont musulmans. Les Ottomans non musulmans ont toujours été économiquement plus engagés, dit- il, et ont su avancer grâce à cette tradition, tandis que les musul-mans n’occupent que les échelons les plus bas dans la hiérarchie économique 20. Midhat reprend ainsi un leitmotiv du discours moderniste ottoman établi par les Jeunes Ottomans et opère une distinction entre les non musulmans qui progressent et les musulmans qui régressent, dans le cadre d’une interpréta-tion conforme aux principes de l’économie politique. C’est aussi dans ce contexte qu’il situe sa critique fréquente selon laquelle les musulmans pré-fèrent entrer au service d’État au lieu de s’engager dans l’économie, et s’adonnent à des activités futiles pour « tuer le temps » au lieu de s’investir dans des activités économiques 21.

Pour résumer, ce qu’Ahmed Midhat demande est un élan économique en conformité avec les besoins économiques des temps modernes. Ses argu-mentations ne sont pas dépourvues de références à l’islam et à la culture ottomane, en particulier dans sa volonté de légitimer la devise de l’amour du travail comme une chose naturelle, et par cela familière à la communauté musulmane 22. Toutefois ce qu’il propose est une réorientation radicale de la société ottomane. Dans Ekonomi Politik, il en fait la démonstration par une étude de l’histoire ottomane à la lumière de l’économie politique. L’Empire est à l’origine une nation guerrière, nous dit Midhat, mais l’économie poli-tique est la science la plus désireuse de paix. La richesse accumulée par la force militaire est ponctuelle contrairement$à la richesse basée sur le travail humain qui ne connaît pas de limites. L’Empire a perdu son ancienne force militaire, mais n’a pas encore su acquérir la nouvelle puissance économique. L’histoire militaire de l’Empire est une source de ! erté, mais non plus de puissance$:

20. Ibid., p. 111, 116.21. Sevda- yı Sa’i- ü- Amel, p. 28-30. Midhat écrivit spécialement un manuel pour critiquer l’habitude de « tuer le temps » (Vakit Geçirmek, Istanbul, Tercüman- ı Hakikat, 1886) alors que la devise de l’époque fut pour lui time is money. Cf. FINDLEY C., « Ahmet Midhat’ın Sevda- yı Say- ü Amel’i », art. cit.22. Voir Sevda- yı Sa’i- ü- Amel, p. 19.

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« La richesse qui perdure véritablement, c’est la richesse des nations industrielles et commerciales ; même si leur grandeur est détruite, leur richesse ne l’est pas. Voilà que les Juifs, alors qu’ils n’ont jamais acquis une grandeur, détiennent la majorité des richesses du monde et que des grands États et des grandes nations sont endettés auprès de quelques Juifs 23. »

Rendre la société économique, l’adapter aux exigences abstraites de l’éco-nomie politique, devient ainsi un impératif pour la survie même de l’Empire ottoman. Mais est- ce que cela implique aussi l’adoption d’une maxime- clé d’économie politique, celle du laissez- faire ?

Le libre- échange et ses limites

Depuis le milieu du "&###e$siècle, la dé! nition théorique d’un ordre naturel de l’économie stipulait la suppression des régulations susceptibles d’entraver les lois économiques. Cette idée avait établi la base de la réorientation écono-mique de l’Empire ottoman depuis les années 1820$ : L’économie ottomane, qui dans la conception traditionnelle ne pouvait exister indépendamment du dirigisme étatique, entra dans un processus de dérégulation 24. À nouveau, Ahmed Midhat était en majeure partie dans la lignée du libéralisme et reprit l’ensemble des présupposés sur lesquels se fondaient au niveau épistémolo-gique les changements radicaux de l’économie ottomane.

Dans ses écrits, la propriété privée se présente comme la précondition du principe de l’amour du travail, c’est- à- dire de l’activité économique produc-tive. Il se réjouit par conséquent qu’elle soit désormais garantie dans l’Empire ottoman 25. Il af! rme aussi que la production doit être entièrement libéralisée. La concurrence est pour lui la condition du progrès technique, de la qualité des produits et des bas coûts de production, permettant la prospérité de l’en-

23. Ekonomi Politik, p. 110-115, pour la citation 114-115. La comparaison entre les nations militaires et la nation juive était très présente dans la pensée ouvertement antisémite d’Ebüzziya Tevfi k, compagnon d’Ahmed Midhat. TÜRESAY Ö., « Antisionisme et antisémitisme dans la presse ottomane au début de l’époque jeune turque (1909-1912). L’exemple d’Ebüzziya Tevfi k », Turcica, no 41, 2009, p. 147-178.24. Quataert D., « The Age of Reforms, 1812-1914 », dans Halil

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Economic and Social History of the Ottoman Empire, 1300-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 764-765. Pour la conception ottomane traditionnelle de l’économie voir GENÇ M., Osmanlı

.Imparatorlugu’nda Devlet ve Ekonomi, Istanbul, Ötüken, 2002.

25. Ekonomi Politik, p. 51-56.

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semble de la population. Les monopoles et les restrictions sur la production entravent la concurrence et poussent les producteurs à la paresse 26. Midhat se positionne aussi contre des impôts excessifs qui asphyxient la production et représentent un fardeau pour les consommateurs 27. En! n, il s’exprime en faveur du libre- échange qu’il désigne comme l’objectif principal de l’éco-nomie 28. Partant de l’idée selon laquelle les producteurs et les consommateurs se trouvent dans une relation naturelle d’échange, il estime que le libre- échange seul peut assurer le bon fonctionnement du marché, donc garantir la qualité des produits et leur distribution. Mais ce principe du libre- échange, est- il aussi valable pour le commerce entre les pays ?

Il s’agit d’une question que les Ottomans s’étaient posée depuis que la nouvelle orientation économique était devenue manifeste. Déjà dans les années 1850, l’économiste britannique William Nassau Senior nota lors d’un voyage à Istanbul les bonnes connaissances économiques des hommes poli-tiques ottomans et une certaine inclinaison pour le protectionnisme, éprou-vant du mal à défendre l’hostilité de l’Angleterre aux mesures protectionnistes vis- à- vis de ses partenaires ottomans 29. Dans les années 1860 et 1870, l’opposi-tion au libre- échange devint manifeste au sein du mouvement jeune- ottoman. Dans leurs journaux, il s’ajoutait à des sujets économiques comme l’endette-ment de l’État, la politique monétaire, le système d’impôts, ou le gaspillage des fonds publics parfois aussi la critique du libre- échange 30. On voit nette-ment dans les articles de Namık Kemal que ce dernier ne partageait pas l’orientation of! cielle de l’État ottoman et doutait des effets positifs du libre- échange sur le développement de l’Empire. Pour lui, les accords du libre- échange, loin d’apporter la richesse matérielle, détruisaient l’artisanat du pays dont les produits ne pouvaient concurrencer sur le marché ottoman envahi des produits européens à bas coût 31. De même, le système de capitula-tions et la préférence des Européens pour les commerçants non musulmans dégradaient la condition des marchands musulmans, mettant en danger l’équilibre entre les Ottomans. C’est ainsi que l’on voit dans les articles de Namık Kemal, et dans une moindre mesure dans ceux du Jeune Ottoman

26. Ibid., p. 73-75.27. Ibid., p. 55 ; Hallü’l Ukad, p. 119.28. Ibid., p. 92-96.29. SENIOR W. N., A Journal Kept in Turkey and Greece in the Autumn of 1857 and the Beginning of 1858, Londres, Longman, 1859, p. 14-15, 108-109.30. Voir par exemple les articles (sans titres) du journal Hürriyet : no 7, 10 août 1868, p. 3 ; no 23, 30 novembre 1868, p. 2 ; no 35, 22 février 1869, p. 1 ; no 62, 30 août 1869, p. 1.31. Hürriyet, no 7, 10 août 1868, p. 3

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Ziya, des appels à l’intervention de l’État et à la protection de l’économie otto-mane vis- à- vis de la concurrence étrangère 32.

L’attention aux sujets économiques montre que les Jeunes Ottomans essayaient de comprendre ce que n’allait pas dans la société ottomane. Or, dans leur logique, il était évident que les problèmes de l’Empire furent d’abord et surtout d’ordre politique. En effet, leur approche de l’économie prenait sens uniquement par rapport à la critique qu’ils énonçaient d’une façon générale à l’égard de la politique of! cielle de l’époque des Tanzimat. Ainsi, leurs idées économiques dévoilent moins une véritable ré% exion économique qu’une volonté d’appuyer dans l’absolu la dénonciation du gouvernement ottoman. En analysant la critique énoncée par Namık Kemal du libre- échange et de ses effets sur la société ottomane, on voit qu’il eut un penchant protectionniste plutôt circonstanciel. Il s’agissait pour lui non pas d’af! rmer une orientation économique, mais principalement d’incriminer le gouvernement de ne pas faire valoir la souveraineté de l’État.

À la ! n des années 1870, le cas d’Ahmed Midhat fut sensiblement diffé-rent. Son choix politique de s’aligner sur le régime en vigueur et de se décon-centrer ainsi des préoccupations politiques immédiates, le mena à développer une compréhension plus complexe de la situation économique ottomane. Nous constatons chez lui une émancipation de l’idée protectionniste. Pour lui, la cible n’est pas le gouvernement –$mais le dogme universel du libre- échange. Dans Ekonomi Politik, un quart de l’ouvrage est dédié à la question du com-merce extérieur qui prend visiblement une place centrale au sein de ses ré% exions économiques 33. La critique du laissez- faire est plus subtile dans son Hallü’l Ukad!où la structure du plan mène vers un plaidoyer en faveur des mesures protectionnistes. L’argument principal d’Ahmed Midhat apparaît dès l’introduction de Ekonomi Politik$ : Le libre- échange ne peut s’appliquer d’une façon égale à tous les pays ; plutôt, les principes de l’économie politique doivent être « écrits d’une façon à correspondre au degré de développement du pays 34 ».

Adoptant cette maxime, Ahmed Midhat conclut que, compte tenu de la situation économique désastreuse du pays, le libre- échange est néfaste pour l’Empire. À cause de son faible niveau de développement, l’industrie otto-mane ne pourrait jamais concurrencer les produits européens d’une qualité

32. SAYAR A. G., Osmanlı .Iktisat Düsüncesi, p. 304-305 ; Çakmak D., Osmanlı

.Iktisat Düsüncesinin

Evrimi, p. 123-128.33. GEORGEON F., « L’économie politique selon Ahmed Midhat », art. cit., p. 15134. Ekonomi Politik, p. 3-4.

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supérieure et à bas prix. La supériorité économique européenne menace ainsi d’asphyxier l’industrie ottomane encore dans ses débuts et d’exclure en conséquence toute possibilité de redressement productif de l’Empire 35. Le libre- échange est certes une valeur importante, mais devrait se réaliser sur un pied d’égalité. Il peut s’appliquer dans les relations entre des pays ayant un degré de développement similaire, comme la France, l’Angleterre, ou la Belgique, mais même là il n’existe pas entièrement. Admettre le principe du laissez- faire dans un pays économiquement en retard, alors même que les pays industrialisés recourent aux restrictions quand ils les jugent néces-saires, est une aberration qui empêche le développement économique 36$ : « Si, dans les conditions actuelles, on continue à permettre la liberté d’expor-tation et d’importation (…), toute la richesse du monde s’accumulera en Europe qui a su conquérir les cinq continents dans les domaines industriel et commercial 37. »

Le détour mercantiliste

C’est par ces mêmes raisonnements que naquit dans la première moitié du "#"e$siècle le protectionnisme contre le libre- échange. En particulier en France et dans les pays germaniques, le protectionnisme prit forme comme un mou-vement opposé à la supériorité industrielle et commerciale de l’Angleterre 38. Les représentants de ce qui est devenu « l’école historique » de l’économie politique, identi! ée notamment au nom de Friedrich List, se dressaient contre l’école classique libérale et son postulat de déduction abstraite. À sa place, ils faisaient valoir la doctrine selon laquelle il faut prendre en compte l’histoire et la géographie d’un pays, avant de chercher à imposer les principes écono-miques universels.

Ahmed Midhat ne cite dans aucun de ses écrits des noms associés à l’école historique. Or, le protectionnisme jouissait d’une grande popularité politique et intellectuelle en Europe et commença à connaître une résonance globale à partir des années 1870, de sorte qu’il faut conclure qu’il s’en est inspiré au

35. Ibid., p. 126-128.36. Ibid., p. 123-124, 128-129 ; Hallü’l Ukad, p. 190.37. Ekonomi Politik, p. 130-131.38. TODD D., L’identité économique de la France. Libre- échange et protectionnisme 1814-1851, Paris, Grasset, 2008.

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moins d’une façon indirecte 39. Effectivement, c’est en partie par des formes d’argumentation identiques à celles de l’école historique qu’Ahmed Midhat légitime sa volonté de réconcilier les principes de l’économie libérale avec les conditions locales de l’Empire. À l’instar de List, il s’offusque de l’omnipré-sence d’Adam Smith dans les écoles ottomanes et dans le débat intellectuel. Il critique les économistes ottomans qui ne font que traduire des ouvrages étrangers, sans essayer d’adapter les théories économiques à la condition spé-ci! que de l’Empire. Être en faveur du libre- échange dans l’état actuel de l’Em-pire revient pour lui à agir contre ses intérêts 40. Prôner toujours les principes du libre- échange alors que l’on peut voir les ravages que cette politique a provoqués revient à prêcher la devise chrétienne « Tendez l’autre joue ! », précise- t-il 41.

Cependant, Ahmed Midhat diverge sur un point crucial de la pensée de l’école historique. List avait rédigé son ouvrage principal Le Système national d’économie politique contre la doctrine du libre- échange d’Adam Smith, mais aussi contre la théorie de la valeur qu’il identi! ait comme l’origine de l’idée du laissez- faire. Il mit à sa place le concept des « forces productives –$Produktivkräfte »$: La richesse provenait pour lui non pas du travail humain, mais des forces productives qui dé! nissent le travail humain 42. La notion- clé de List est effectivement l’idée des forces productives opposée à la théorie de la valeur 43. Pour Ahmed Midhat, assimiler cette idée de List aurait cependant contredit la devise de sa propre vie et la condition pour le redressement de l’Empire$: l’amour du travail.

Il n’est donc pas entièrement étonnant que Midhat préfère remonter dans l’histoire de la pensée économique pour légitimer ses positions protection-nistes par des références aux mercantilistes français. C’est ainsi qu’il se livre dans Hallü’l Ukad à de longues présentations des politiques économiques de Sully, Colbert et, dans une moindre mesure, Quesnay, des noms susceptibles

39. GRIMMER- SOLEM E. & ROMANI R., « The Historical School, 1870-1900. A Cross National Reassess-ment », History of European Ideas, no 24 (1998), p. 267-299. Des références aux controverses sur le libre- échange au parlement allemand montrent qu’il suivait effectivement le débat protectionniste. Ekonomi Politik, p. 130.40. Ibid., p. 119 ; Hallü’l Ukad, p. 55, 75. Pour LIST voir, Das nationale System der Politischen Oekonomie, Jena, Fischer, 1910, p. 29-39, passim.41. Hallü’l Ukad, p. 193.42. LIST F., Das nationale System, p. 229-231, passim.43. Karl Marx l’avait déjà soulevé après la lecture de l’ouvrage de List dans un manuscrit de 1845 resté non publié jusqu’aux années 1970 (« Über F. Lists Buch “Das nationale System der politischen Ökonomie” »).

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d’être familiers à l’intelligentsia ottomane francophile. Les références sont cependant peu orthodoxes, et très modernes, et soulignent une conception protectionniste plus qu’elles ne renvoient aux considérations mercantilistes. Tandis que les politiques du mercantilisme visaient à obtenir un excédent de la balance commerciale et une augmentation de la productivité, elles partaient d’une conception cyclique de l’économie qui s’appuyait sur la doctrine de la nature limitée des ressources économiques et, donc, de la richesse. Des mesures comme l’imposition des taxes à l’importation et la subvention des industries nationales visaient en premier lieu à améliorer les ! nances éta-tiques et étaient accompagnées d’un fort dirigisme à travers lequel l’État essayait de contrôler, et non pas d’encourager, l’économie 44.

Ahmed Midhat présente Sully et Colbert comme d’excellents gestionnaires qui ont su mettre de l’ordre dans les ! nances publiques par un nouveau sys-tème d’imposition et de protection douanière. Mais il lie le succès de leurs politiques principalement au fait qu’ils auraient développé une perception générale de l’importance de l’économie pour en venir à un concept de la richesse nationale. À en suivre ses écrits, Sully et Colbert avaient une concep-tion autonome de l’économie et se mettaient d’abord$à comprendre la situa-tion de la France avant de proposer leurs réformes pour améliorer non seulement les ! nances de l’État, mais surtout la richesse nationale à travers le développement du commerce, de l’agriculture et de l’industrie par des mesures protectionnistes 45.

La volonté de Midhat de faire des économistes français de l’époque moderne des précurseurs du protectionnisme le pousse même à des manipu-lations linguistiques$ : « Labourage » et « pâturage » qui ! gurent dans la célèbre phrase du traité Œconomies royales de Sully « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée », deviennent l’agricul-ture (zirâat) et l’industrie (sanayi’) ; et l’image de la vache qu’il en dresse se réfère à l’économie nationale 46. « Voilà, Messieurs, ce qu’on appelle un écono-miste ! » lance Midhat à ses lecteurs, résumant les résultats béné! ques pour la nation française des politiques protectionnistes de Sully, tandis qu’Adam Smith avec son principe du libre- échange n’a, d’après lui, rien fait pour la nation anglaise 47. C’est ainsi que la référence aux penseurs économiques

44. TODD D., L’identité économique de la France, p. 9-11,.45. Hallü’l Ukad, p. 121-124, 132-134, 144, 171.46. Ibid., p. 101-102.47. Ibid., p. 128-129. Il faut noter que Midhat reprend une vision très dix- neuvièmiste d’Adam Smith, alors que la maxime du laissez- faire de Smith fut dans l’original bien plus circonstanciée que

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d’avant les apôtres du laissez- faire devient un plaidoyer pour protéger l’éco-nomie nationale.

Midhat note clairement qu’il n’est pas un expert en économie et qu’il ne possède que des notions vagues sur les mesures protectionnistes à mettre en place. Les propositions concrètes qu’il fait sont effectivement simples et immédiates et peuvent se résumer en trois points. Premièrement, la lutte contre les traités inégaux qui favorisent des commerçants étrangers par un statut d’extraterritorialité et obligent des entrepreneurs ottomans à chercher à obtenir une nationalité étrangère pour pouvoir béné! cier des mêmes avantages juridiques. Deuxièmement, la protection de l’industrie et du com-merce ottomans par l’imposition des droits de douane dégressifs sur les importations en fonction de l’utilité qu’elles représentent pour l’économie ottomane. Et troisièmement, une politique active en matière d’apprentissage des compétences techniques pour pouvoir tirer béné! ce des richesses natu-relles de l’Empire par l’envoi d’étudiants en Europe et le recours aux experts étrangers dans des conditions bien encadrées 48. Mais la conclusion princi-pale à tirer de sa critique du libéralisme est d’une autre nature$: C’est l’appel à comprendre la situation du pays et à établir une médiation entre les vérités universelles de l’économie politique et les conditions nationales de l’Empire ottoman a! n de lui permettre de dépasser son état économique désolant et sortir de son statut d’infériorité vis- à- vis de l’Europe de la révolution industrielle.

Conclusion

Pendant des décennies après les premières interventions d’Ahmed Midhat, le libéralisme a gardé son hégémonie dans l’Empire ottoman. Mais les idées protectionnistes allaient se répandre vers la ! n du "#"e$siècle. Différents jour-naux dans plusieurs régions de l’Empire, donnaient voix aux entrepreneurs et marchands qui réclamaient l’intervention de l’État contre la concurrence euro-péenne. Les appels protectionnistes trouvèrent leur écho aussi dans la littéra-ture spécialisée. Dans les ouvrages de Musa Akyi itzâde, on voit les premières évocations explicites de l’école historique, du nom de List, voire, en ! ligrane,

les libéraux postérieurs ont voulu le présenter. Voir ROTHSCHILD E., Economic Sentiments. Adam Smith, Condorcet, and the Enlightenment, Cambridge, Harvard University Press, 2001.48. Ekonomi Politik, p. 120-122, 131-134.

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la notion des forces productives, opposée à la théorie de la valeur 49. Mais c’est sous la seconde période constitutionnelle qu’un seuil qualitatif fut franchi.

Ahmed Midhat ne fut pas le promoteur le plus important et le plus cohé-rent du protectionnisme dans l’Empire. Mais en tant que « premier institu-teur » de la société ottomane de la ! n du "#"e$siècle, il donna au protectionnisme en premier une forme reconnaissable à une époque où la critique du libre- échangisme commença à se manifester dans le monde entier. Surtout, on voit chez lui comment l’idée protectionniste naquit du libéralisme. Aucun intellec-tuel ottoman n’a autant que lui insisté sur la nécessité de l’engagement écono-mique de l’individu dans le cadre d’une pensée moderne, considérant les règles de l’économie capitaliste comme des lois naturelles. Sa pensée protec-tionniste reposait effectivement sur une af! rmation des présupposés de l’éco-nomie politique moderne. Son appel à l’intervention protectionniste ne fut donc ni un appel à l’isolement, ni au dirigisme étatique. Il signi! ait un refus de la division internationale du travail et une tentative d’appliquer le concept universel de l’économie nationale à la condition de l’Empire ottoman aux prises avec l’impérialisme européen.

Or, la nature de l’appel à l’intervention pour protéger l’économie nationale de l’Empire ottoman et pour permettre son épanouissement dépendait néces-sairement de la façon de concevoir la nation ottomane. Malgré un penchant islamiste évident selon lequel les non musulmans s’étaient mieux adaptés aux exigences économiques modernes, Ahmed Midhat af! chait encore une dé! ni-tion universaliste de la nation ottomane. Son appel interventionniste se diri-geait contre la domination étrangère de l’économie nationale ottomane. Mais de fait, la critique de l’Occident ne reçut jamais une véritable dimension éco-nomique cohérente pour se développer en une pensée anti- impérialiste 50. Peu après la mort d’Ahmed Midhat en 1912, l’idéal interventionniste reçut avec le programme de Millî ktisad une dé! nition particulariste, pour favoriser le développement d’une bourgeoisie turco- musulmane, au détriment d’autres segments de la population ottomane.

L’économie politique ottomane, et plus tard turque, a gardé une orientation de base libérale, mise à part, jusqu’à un certain degré, la parenthèse étatiste des années 1930 et 1940. Mais elle s’alliait très bien avec un appel à

49. AKYIGITZÂDE MUSA, .Ilm- i Servet yahut

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.Iktisad [Science des richesses ou Science de l’éco-

nomie], Istanbul, Harbiye Matbaası, 1898, p. 4-7, 32, 164.50. Voir KAYNAR E., « Les Jeunes Turcs et l’Occident. Histoire d’une déception programmée », in GEORGEON F. (dir.), L’ivresse de la liberté. La révolution de 1908 dans l’Empire ottoman, Louvain, Peeters, 2012.

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l’interventionnisme étatique pour donner une coloration spéci! que à l’ordre libéral universel. Cette combinaison entre orientation libérale et intervention-nisme étatique témoigne d’une continuité manifeste entre le "#"e$siècle ottoman et le ""#e$siècle turc dans laquelle Ahmed Midhat tient une place historique.

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