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LA « SOCIÉTÉ CIVILE » ENTRE PROTESTATION ET PRESTATIONS.ORGANISATIONS DE VICTIMES, COMPÉTITION PARTISANE ETNÉO-CORPORATISME EN BOSNIE-HERZÉGOVINECécile Jouhanneau

De Boeck Supérieur | « Politix »

2015/2 n° 110 | pages 85 à 110 ISSN 0295-2319ISBN 9782807300941

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-politix-2015-2-page-85.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cécile Jouhanneau, « La « société civile » entre protestation et prestations. Organisations devictimes, compétition partisane et néo-corporatisme en Bosnie-Herzégovine », Politix 2015/2(n° 110), p. 85-110.DOI 10.3917/pox.110.0085--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Volume 28 - n°110/2015, p. 85-110 DOI: 10.3917/pox.110.0085

La « société civile » entre protestation et prestations.

Organisations de victimes, compétition partisane

et néo-corporatisme en Bosnie-Herzégovine

Cécile JouHanneau

Résumé – Prenant pour objet une organisation de victimes de guerre omniprésente dans la Bosnie-Herzégovine des années 2000, cet article s’émancipe du débat relatif à la contribution de la « société civile » à la démocratisation et lui préfère une étude empirique des liens entre État, partis politiques et organisations collectives. En pointant le rôle que joue l’Union serbe de détenus de camps dans les entreprises partisanes de conquête et d’exercice du pouvoir, puis en dévoilant la place occupée par cette organisation dans le système pyramidal de représentation des intérêts et de répartition des ressources publiques en Republika Srpska, cet article met au jour les logiques partisanes et néo-corporatistes de cer-taines mobilisations de victimes de guerre. Si ce mode de gouvernement reflète les continuités relatives du néo-corporatisme yougoslave dans la Bosnie-Herzégovine post-socialiste, il est également affecté par les modalités de l’intervention internationale de construction de la paix.

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Suite à son entrevue avec la procureure du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) en 20031, le représentant de l’Union serbe des détenus de camps2 déclare : « Le Tribunal de La Haye est une institu-

tion des Nations Unies et nous devons l’accepter3. » La simple tenue de cette rencontre et une telle affirmation publique de la légitimité du TPIY de la part du représentant d’une association basée en Republika Srpska4, cette entité dont les dirigeants politiques ont longtemps refusé de coopérer avec le Tribunal, pour-rait se prêter à une interprétation trompeuse. En fournissant à la procureure de la documentation sur des crimes de guerre et en réclamant de nouvelles incul-pations, cette association de victimes de guerre semble donner à voir l’investis-sement de la « société civile » dans le travail de la justice pénale internationale et l’émergence de formes de participation politique plus démocratiques dans la Bosnie-Herzégovine post-socialiste.

« Les tribunaux internationaux peuvent ainsi contribuer à faciliter l’enga-gement démocratique. Les activités des associations de familles et de survi-vants ont représenté une forme de participation politique de la part de ceux qui auraient probablement eu plus de difficultés à s’organiser en l’absence du Tribunal5. »

On retrouve ici le débat désormais familier sur l’articulation entre « société civile » et démocratisation6. Or ce serait aller vite en besogne que d’appliquer un tel raisonnement aux organisations bosniennes7 telles que l’Union serbe des détenus de camps8. Nos matériaux d’enquête9 interdisent en effet de supposer

1. Des versions intermédiaires de cet article ont été présentées dans le cadre de l’atelier « Post-Conflit » de l’université Paris I, du séminaire « Les épreuves de la mémoire collective » (EHESS) et du séminaire géné-ral du CERI-Sciences Po. Je tiens à remercier les organisateurs et les participant.e.s pour leurs commen-taires, et tout particulièrement Isabelle Delpla, Gilles Favarel-Garrigues, Marie-Emmanuelle Pommerolle et Daniel Sabbagh pour leur lecture attentive, ainsi que Xavier Bougarel et Nathalie Duclos pour leurs précieux conseils. Ce travail a également bénéficié des commentaires et suggestions des relecteurs anonymes de la revue, qu’ils en soient remerciés.2. Savez logoraša Republike Srpske, littéralement l’Union des détenus de camps de Republika Srpska.3. Bižic (S.), « Ne pravimo državni udar, a ja znam kako se to radi [Nous ne faisons pas de coup d’État, et je sais de quoi je parle] », Reporter, 26 novembre 2003.4. Cf. encadré n° 1.5. Nettelfield (L.), Courting democracy in Bosnia and Herzegovina : The Hague’s tribunal impact in a postwar state. New York, Cambridge University Press, 2010, p. 143.6. Cf. Keane (J.), Democracy and Civil Society, Londres, University of Westminster Press, 1998. Pour une cri-tique de l’omniprésence de ce débat, cf. Michel (H.), « La “société civile” dans la “gouvernance européenne”. Éléments pour une sociologie d’une catégorie politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 166-167, 2007.7. L’adjectif « bosnien » renvoie à tout habitant de la Bosnie-Herzégovine, tandis que celui de « bosniaque » désigne les Bosniens de tradition musulmane.8. Sur les associations de victimes civiles de guerre en Bosnie-Herzégovine, voir notamment Delpla (I.), La justice des gens. Enquête dans la Bosnie des nouvelles après-guerres. Rennes, PUR, 2014 et sur les associations d’anciens combattants, voir Bougarel (X.), « L’ombre des héros : Après-guerre et anciens combattants en Bosnie-Herzégovine », International Social Science Journal, 189, 2006.9. Cet article s’appuie sur des matériaux empiriques recueillis dans le cadre d’une recherche docto-rale sur les mémoires de guerre en Bosnie-Herzégovine, et plus précisément sur la communication des

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que les interactions entre cette association et les acteurs de la justice pénale internationale contribueraient à l’avènement de la démocratie libérale Bosnie-Herzégovine. Ils invitent plutôt à se défaire des questionnements sur la contri-bution de la « société civile » à la démocratisation et à la réconciliation afin d’interroger à nouveaux frais le rôle des organisations collectives dans les pro-cessus de sortie de conflit.

À défaut de restituer la généalogie de la notion de « société civile10 », rappe-lons que la vaste littérature consacrée aux changements de régimes en Europe méridionale, en Amérique latine et en Europe centrale et orientale dans les années 1980-1990 a accordé une place de choix à sa contribution aux « tran-sitions » et autres « consolidations démocratiques11 ». Sans pour autant faire l’objet d’une définition claire et stabilisée, cette notion y renvoyait essentielle-ment aux associations volontaires supposées « contrôl[er] le pouvoir de l’État », « complét[er] le travail des partis dans la stimulation de la participation poli-tique », « multipli[er] la capacité des groupes à améliorer leur propre bien-être », en somme « résist[er] à l’autoritarisme12 ». En dépit des critiques adressées à la « transitologie13 » et malgré les remises en question de la corrélation entre l’exis-tence d’un tissu associatif et la vitalité démocratique14, le succès de la notion de « société civile » ne se dément pas. Catégorie savante devenue catégorie de la pratique, elle est désormais érigée par les organisations internationales non

souvenirs de la détention en camps (à paraître en 2015 sous le titre Les silences de la sortie de guerre. Mémoires, nationalisme et civilité en Bosnie-Herzégovine (1992-2010), Paris, Karthala). En ce qui concerne spécifiquement les organisations serbes d’anciens détenus de camps étudiées ici, on recourt à un cor-pus d’archives de la presse bosnienne publiées entre 1992 et 2010, aux écrits de ces organisations, aux autobiographies publiées de leurs membres, ainsi qu’à des entretiens semi-directifs avec le président de l’organisation de Republika Srpska (Banja Luka, 2007), avec le président d’une association municipale éloignée géographiquement et politiquement du pouvoir central de l’entité (Istocno Sarajevo, 2007) et avec plusieurs membres aux responsabilités plus ou moins élevées de la branche associative du District de Brcko (Brcko, 2008).10. Cf. Colas (D.), Le glaive et le fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile, Paris, Grasset, 1992.11. Cf. notamment O’Donnell (G.), Schmitter (P.), Whitehead (L.), dir., Transitions from the authorita-rian rule, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986 et Linz (J.), Stepan (A.), Problems of democratic transition and consolidation. Southern Europe, South America and post-communist Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996.12. Diamond (L.), The democratic revolution : Struggles for freedom and pluralism in the developing world, New York, Freedom House, 1992, p. 7-11 cité dans Pirotte (G.), La notion de société civile, Paris, La Découverte, p. 73. Larry Diamond note toutefois que « toutes les associations de la société civile ne pré-sentent le même potentiel pour favoriser et approfondir la démocratie » (« Civil society and the develop-ment of democracy », Estudio/Working Paper, 101, Center for Advanced Studies in the Social Sciences, Juan March Institute, Madrid, 1997).13. Cf. notamment Dobry (M.), « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », Revue française de science politique, 50 (4-5), 2000.14. Cf. Eliasoph (N.), L’évitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quo-tidienne, Paris, Economica, 2009.

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seulement en « sésame de la démocratie et de la démocratisation15 », mais égale-ment en atout pour la prévention et la résolution des conflits armés16.

Or se questionner sur la contribution de la « société civile » à la démocratisa-tion semble vain car, d’un point de vue analytique, l’ambiguïté et la charge nor-mative du premier terme n’ont d’égal que le biais téléologique du second. Qu’il s’agisse de reproduire la « vulgate de la société civile17 » ou bien de dénoncer comme « société incivile18 » les organisations dont les pratiques semblent insuf-fisamment démocratiques, ce raisonnement taxinomique est de peu de secours face aux complexités de la réalité sociale. En effet, d’un point de vue empi-rique, les travaux consacrés aux politiques volontaristes de structuration de la « société civile » ont montré qu’elles pouvaient participer moins de la démo-cratisation ou, inversement, de l’incivilité que d’une « paradoxale oppression », pour reprendre le titre de l’ouvrage consacré par Françoise Daucé aux associa-tions de défense des droits humains dans la Russie de Poutine19. Pourtant, s’il est préférable d’éviter ici d’utiliser comme une catégorie d’analyse ce « terme piégé20 », cet article avance que les organisations de victimes de guerre en Bosnie gagnent à être appréhendées de la façon dont certains historiens et politistes ont saisi la « société civile21 ». On pense notamment aux travaux qui explorent les interactions entre les représentants des groupes d’intérêt et de l’État dans la production de l’action publique22. Ainsi, se pencher sur ces organisations col-lectives constitue un moyen non pas de reproduire l’opposition État-société qui

15. Cf. Camau (M.), « Sociétés civiles “réelles” et téléologie de la démocratisation », Revue internationale de politique comparée, 9 (2), 2002, p. 215.16. Par exemple, dans sa résolution du 3 juillet 2003, l’Assemblée générale des Nations Unies « considère que la société civile est d’un grand soutien dans la prévention des conflits armés » (« Conclusions et recom-mandations de l’Assemblée générale relatives à la prévention des conflits armés », Annexe à la Résolution 57/337 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 3 juillet 2003). Sur ce point, cf. aussi Pouligny (B.), « Civil society and post-conflict peacebuilding: ambiguities of international programmes aimed at building “new” societies », Security Dialogue, 36 (4), 2005.17. Leca (J.), « De la lumière sur la société civile », Critique internationale, 21, 2003, p. 62.18. Kopecky (P.), Mudde (C.), dir., Uncivil Society? Contentious Politics in Post-Communist Europe, Londres, Routledge, 2003.19. Prenant pour objet une dimension libérale de la politique de Vladimir Poutine qui vise à structurer et financer la « société civile », elle montre que « les dispositifs administratifs et financiers concrets [que cette politique] engendre […] [créent] des formes de coercition “douces” qui permettent de contrôler l’activité des acteurs associatifs sans recourir systématiquement à la violence ». Daucé (F.), Une paradoxale oppression. Le pouvoir et les associations en Russie, Paris, CNRS Editions, 2013, p. 14-15.20. Lemercier (C.), « La France contemporaine : une impossible société civile ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 52 (3), 2005, p. 168.21. Cf. Offerlé (M.), dir., « La société civile en question », Problèmes politiques et sociaux, 888, 2003 ; Rosanvallon (P.), Le modèle politique français : la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2004 ; Charle (C.), Vincent (J.), dir., La société civile : savoirs, enjeux et acteurs en France et en Grande-Bretagne, Rennes, PUR, 2011. 22. Par exemple Jobert (B.), Muller (P.), L’État en action. Politiques publiques et corporatismes. Paris, PUF, 1987. Cf. Michel (H.), « Pour une sociologie des pratiques de défense : le recours au droit par les groupes d’intérêt », Sociétés contemporaines, 52, 2003.

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est au fondement de bien des travaux sur la « société civile23 », mais au contraire de mettre au jour les liens complexes entre État, partis politiques et organisa-tions militantes et de contribuer in fine aux recherches sur les ancrages sociaux des entreprises politiques24.

Plutôt que de considérer les interactions entre les associations de victimes de guerre et les acteurs de la justice pénale internationale comme une forme de participation politique d’une « société civile » aux vertus démocratiques libérales, en prenant pour objet l’Union serbe des détenus de camps cet article entend signaler dans un premier temps les logiques partisanes et dans un second temps les logiques néo-corporatistes25 de l’action collective d’une organisation de victimes de guerre parmi les plus actives dans la Bosnie-Herzégovine post-socialiste. Ce déplacement du regard permet de montrer que les prises de parole militantes sur la guerre, loin de faire advenir un espace autonome de la « société civile » affranchi des logiques politiques et des pesanteurs du passé, s’inscrivent au contraire dans l’ordinaire de la vie politique et sociale26. Parce que ces mobi-lisations de victimes ne modifient pas fondamentalement, quand elles ne les reproduisent pas, les principes de structuration hérités de l’avant-guerre et de la guerre, elles constituent l’un des leviers par lesquels, en Bosnie-Herzégovine, le passé se trouve produit, sinon, pour partie, reproduit dans le présent.

Encadré 1. La Bosnie-Herzégovine depuis 1990 : une chronologie

1990 : Dans le contexte de la désintégration de la Yougoslavie socialiste, les premières élections pluripartistes organisées en novembre-décembre 1990 dans la République fédérée de Bosnie-Herzégovine voient la victoire de la coalition de trois partis nationalistes fraîchement créés : le Parti démocratique serbe (SDS), la Communauté démocratique croate (HDZ) et le Parti de l’action démocratique (SDA), bosniaque. Rapidement, ces derniers privilégient le recours à la violence armée pour réaliser leurs projets politiques. Ainsi, la guerre

23. Comme le déplore notamment Fariba Adelkhah, « Islamophobie et malaise dans l’anthropologie. Être ou ne pas être voilée en Iran », Politix, 80, 2007.24. Cf. « Ancrages politiques », Politix, 92, 2010. Sur les interactions, voire les porosités, entre espaces mili-tant et politique, voir aussi Aït-Aoudia (M.), Heurtaux (J.), « Partis politiques et changement de régime », Critique internationale, 30, 2006 ; Corcuff (P.), Mathieu (L.), « Partis et mouvements sociaux : des illusions de “l’actualité” à une mise en perspective sociologique », Actuel Marx, 46, 2009 et Dechezelles (S.), Luck (S.), dir., Voix de la rue ou voie des urnes ? Mouvements sociaux et partis politiques, Rennes, PUR, 2011.25. Le néo-corporatisme peut être défini comme « une forme spécifique de représentation des intérêts, sous une forme monopolistique et jouant un rôle d’intermédiation au niveau de la conduite des politiques publiques », cf. Hassenteufel (P.), « Où en est le paradigme corporatiste ? », Politix, 3 (12), 1990, p. 75. Cf. aussi Lehmbruch (G.), Schmitter (P.), eds., Trends Towards Corporatist Intermediation. Londres, Sage, 1979 et Jobert (B.), « Actualité des corporatismes », Pouvoirs, 79, 1996.26. Cf. Lefranc (S.), Mathieu (L.), Siméant (J.), « Les victimes écrivent leur histoire », Raisons politiques, 30, 2008 ; Lefranc (S.), Mathieu (L.), dir., Mobilisations de victimes. Rennes, PUR, 2009 ; Latté (S.), « La “force de l’événement” est-elle un artéfact ? Les mobilisations de victimes au prisme des théories événementielles de l’action collective », Revue française de science politique, 62 (3), 2012.

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de 1992-1995 en Bosnie-Herzégovine a pour principal enjeu la mise en œuvre de projets nationalistes par la territorialisation de groupes ethnonationaux et l’homogénéisation ethnonationale des territoires revendiqués. Ses modalités sont celles du nettoyage ethnique que pratiquent systématiquement les forces militaires, paramilitaires, policières et politiques serbes et croates de Bosnie-Herzégovine, plus ponctuellement l’armée de la République de Bosnie-Herzégovine (principalement bosniaque). Les civils sont soumis à des violences extrêmes ; les massacres, les viols, la détention en camps, la destruction des habitations et les pillages sont censés provoquer voire rendre irréversible le déplacement de populations visées selon un critère ethnonational. La guerre fera plus de 100 000 morts, dont environ 40 % de civils, et plus de 2 300 000 déplacés.1995 : Les accords de paix négociés à Dayton (Ohio) et signés à Paris en décembre 1995 mettent fin au conflit armé. Hautement ambivalente, la constitution adoptée en annexe des accords fait sien le principe de la partition de la Bosnie et entérine les résultats du nettoyage ethnique en créant deux entités plus ou moins séparées par l’ancienne ligne de front, la Republika srpska (République serbe), majoritairement serbe, et la Federacija Bosne i Hercegovine (Fédération de Bosnie-Herzégovine) dont huit des dix cantons présentent une forte majorité bosniaque ou croate. À ces deux entités s’ajoute le District autonome de Brcko. Cependant, en conservant la Bosnie-Herzégovine dans ses frontières d’avant-guerre, en encourageant le retour des personnes déplacées au travers de la ligne de séparation inter-entités et en créant des instances étatiques communes chargées des questions de politique étrangère, de monnaie et de citoyenneté, la constitution adoptée à Dayton énonce également l’objectif de réintégration de la Bosnie. Les accords de paix prévoient en outre la création d’un bureau du haut représentant chargé de veiller à la mise en œuvre de leur volet civil aux côtés des agences des Nations Unies et d’organisations internationales. Les parties s’engagent également à coopérer avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies en 1993. Toutefois, jusqu’à la fin des années 1990, la Bosnie-Herzégovine reste sous la domination plus ou moins autoritaire des trois partis nationalistes qui ont formé dans et par la guerre de véritables partis-États sortis victorieux des élections générales de septembre 1996.2000 : À partir de la fin des années 1990, les trois grands partis nationalistes sont toutefois affaiblis par la pluralisation du système partisan, par la pression croissante des acteurs internationaux et par la stabilisation du contexte régional suite au décès du président de la Croatie Franjo Tud-man en 1999 et au renversement de Slobodan Miloševic, président de la République fédérale de Yougoslavie, en octobre 2000. En Bosnie, les hauts représentants successifs soutiennent les partis considérés comme modérés et font adopter plusieurs lois favorisant les retours des personnes déplacées et la restitution des propriétés spoliées, ainsi que des réformes renforçant les institutions de l’État central. Or, au début des années 2000, les partis politiques qui s’affirment respectivement en Republika Srpska et en Fédération – le Parti des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) de Milorad Dodik et le Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBiH) de Haris Silajdžic – radicalisent progressivement leurs discours et leurs positions. Milorad Dodik se campe en défenseur des prérogatives de l’entité serbe tandis que Haris Silajdžic, partisan d’un État bosnien unitaire, réclame la suppression des entités.

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2006 : Extrêmement virulente, la campagne pour les élections générales de 2006 marque un tournant dans la vie politique bosnienne. Les partis d’opposition initialement modérés proposent désormais des discours et des projets plus ou moins ouvertement nationalistes. Le parti de Milorad Dodik s’installe au pouvoir en Republika Srpska où il affermit ses relations clientélaires. Dans la Fédération de Bosnie et au niveau de l’État de Bosnie-Herzégovine, en revanche, les coalitions gouvernementales sont instables lorsqu’elles ne sont pas introuvables, ce qui alimente une atmosphère de crise politique permanente. Fondées sur des quotas et des droits de veto ethnonationaux, les institutions consociationalistes mises en place lors des accords de Dayton étaient censées faire émerger des élites politiques promptes à la coopération trans-ethnonationale. Or tous les projets de changements constitutionnels achoppent sur les réticences partisanes au compromis. Les élites politiques maintiennent les incertitudes institutionnelles héritées de la guerre, entre partition et centralisation. En outre, les espoirs de développement économique qu’entretenaient les promoteurs du passage au capitalisme de marché sont largement déçus dans un pays désindustrialisé, rongé par la pauvreté et par un chômage avoisinant les 40 % de la population active. Nés hors de l’espace partisan autour de revendications d’une « vie normale », les mouvements sociaux qui ont pris de l’ampleur dans les principales villes bosniennes en 2008, 2013 et 2014 ont suscité de vibrants espoirs avant de s’essouffler. Quant aux acteurs internationaux, ils ont renoncé à imposer des réformes et encouragent désormais les élites politiques bosniennes à se rapprocher des structures euro-atlantiques. Bien que l’Accord de stabilisation et d’association signé par la Bosnie-Herzégovine avec l’Union européenne en 2008 ait vu son entrée en vigueur retardée pendant plusieurs années du fait de l’échec des changements constitutionnels, le 16 mars 2015 le Conseil de l’Union européenne renonce finalement à cette condition institutionnelle. Se réjouissant de la déclaration d’intentions de réformes économiques et sociales adoptée par le Parlement de Bosnie-Herzégovine en février, il accepte l’entrée en vigueur de l’Accord de stabilisation et d’association qui ouvre la voie à une demande de statut de candidat à l’adhésion27.

La conversion d’une association de victimes en organisation para-partisane

L’Union serbe des détenus de camps fait irruption dans les débats publics de Republika Srpska et plus largement de Bosnie-Herzégovine peu après sa for-mation en décembre 2002, véhiculant des protestations publiques toujours plus virulentes au nom des victimes de guerre serbes. Se légitimant par sa coopéra-tion avec le Tribunal de La Haye, cette organisation se convertit en un allié de

27. Sur les développements récents, voir notamment Bougarel (X.), « Bosnie-Herzégovine : une guerre toujours si présente », P@ges Europe (La Documentation française), 12 novembre 2013 et International Crisis Group, « Bosnia’s future », Europe Report, n° 232, 10 juillet 2014.

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Milorad Dodik28 dans son opposition acharnée contre le Parti démocratique serbe qui avait constitué pendant les années 1990 un véritable parti-État en Republika Srpska. En invoquant son émanation du peuple et sa défense de la nation, cette organisation de victimes désectorise ses revendications et donne à voir les ressorts partisans intra-serbes de la radicalisation des discours nationa-listes dans la Bosnie des années 2000.

User de la justice internationale pour rentrer dans la compétition partisane

Lors de sa formation en décembre 2002, l’Union serbe des détenus de camps ne prend pas explicitement position dans la compétition partisane et privilégie un recrutement et un discours largement consensuels en Republika Srpska. Elle opte pour un recrutement géographique – et partant politique – large allant de la Bosnie occidentale, où l’Union des sociaux-démocrates indépendants de Milorad Dodik est bien implantée, jusqu’à la Bosnie orientale, bastion tradi-tionnel du Parti démocratique serbe. Ce recrutement large s’accompagne de l’adoption d’une définition des détenus de camps (logoraši) qui inclut les pri-sonniers militaires de guerre (ratni vojni zarobljenici), y compris ceux de la Seconde Guerre mondiale. L’organisation privilégie en outre au début de l’an-née 2003 un discours consensuel – en Republika Srpska – sur la défense du peuple serbe et de cette entité contre les attaques supposées des Bosniaques et des Croates. Face aux revendications de l’Union bosniaque de détenus de camps formée à Sarajevo en 1996, les représentants de l’Union serbe menacent de lan-cer une initiative sur

« un référendum sur la séparation de la Republika Srpska et de la Bosnie, si jamais les pressions bosniaques sur le peuple serbe et tout ce qui est serbe se poursuivent. […] Nous, en tant qu’anciens détenus de camps, nous n’accepte-rons jamais que la Republika Srpska et le peuple serbe finissent dans un nou-veau camp, qui s’appelle la Bosnie-Herzégovine unitaire, car sans Republika Srpska il n’y a pas de Bosnie, et cela doit être clair pour tous et notamment pour les Bosniaques29. »

Or l’usage d’une rhétorique agressive envers les Bosniaques révèle moins des tensions inter-ethnonationales que l’incursion de cette organisation dans une

28. Milorad Dodik est un entrepreneur et homme politique serbe de Bosnie-Herzégovine apparu dans le paysage partisan yougoslave au sein de l’Union des forces réformatrices de Yougoslavie puis, pendant la guerre, à la tête du Club des députés indépendants opposé au Parti démocratique serbe (de Radovan Karadžic) au sein de l’Assemblée de Republika Srpska. Il forme ce qui deviendra l’Union des sociaux-démo-crates indépendants (SNSD) en 1996 et parvient au pouvoir entre 1997 et 2000 avec un fort soutien des chancelleries et des organisations internationales qui voient en lui un nationaliste modéré capable d’offrir une alternative au Parti démocratique serbe. Soupçonné de corruption, après une brève traversée du désert au cours de laquelle il renforce l’infrastructure locale de son parti, il redevient le chef du gouvernement de Republika Srpska en 2006 et assoit alors son pouvoir dans l’entité.29. « Na pritiske bošnjacke strane odgovoriti referendumom [Aux pressions bosniaques, répondre par réfé-rendum] », Nezavisne Novine, 21 août 2003.

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compétition partisane intra-serbe en cours d’intensification. Ceci transparaît principalement dans l’usage que l’Union serbe des détenus de camps fait de la question de la coopération des autorités de Republika Srpska avec le Tribunal de La Haye (TPIY).

Encadré 2. Le TPIY et les acteurs politiques et associatifs bosniens

Lorsqu’il crée le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (par les résolutions 808 et 827 adoptées le 22 février 1993 et le 25 mai 1993), le Conseil de sécurité des Nations Unies l’enjoint non seulement à rendre justice face aux violations graves du droit pénal international (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide), mais également à contribuer au rétablissement et au maintien de la paix dans la région. La mission de pacification assignée à cette instance judiciaire est d’autant plus irréaliste qu’initialement le TPIY n’est doté que de moyens minimaux de fonctionnement. Pendant les années 1990, non seulement les enquêteurs du bureau du procureur rencontrent l’obstruction des autorités politiques serbes et croates qui ne leur donnent pas accès aux scènes des crimes, mais les militaires et les policiers internationaux ne coopèrent pas davantage avec le Tribunal. Il faudra attendre 1997 pour que la force militaire multinationale dirigée par l’OTAN ne commence à procéder aux arrestations des inculpés. D’où l’orientation initiale de la politique d’inculpation du bureau du procureur30 : après avoir inculpé pour génocide Radovan Karadžic et Ratko Mladic en juillet 1995 pour s’assurer que les négociateurs de la paix ne leur accorderont pas l’amnistie, le Tribunal se concentre sur les exécutants de bas rang – le « small fry » plutôt que les « big fish ». En l’absence de coopération de la part des autorités politiques locales, il dépend en effet essentiellement de témoins oculaires plus à même d’identifier les exécutants notoires du nettoyage ethnique que leurs commanditaires politiques, policiers et militaires de moyen et haut rangs. Les relations entre le TPIY et les organisations de victimes de guerre en Bosnie sont par conséquent cruciales, dès les années 1990, pour identifier les témoins potentiels. Parce qu’il s’inscrit dans un cadre juridique hybride entre le système judiciaire romano-germanique et le système de common law, le TPIY ne prévoit pas un statut de victime, mais seulement de témoin-victime (et de témoin-expert). Pourtant les victimes des crimes jugés à La Haye sont construites par les acteurs judiciaires, au moins discursivement, comme des acteurs cruciaux des procès, des acteurs dont la voix doit être entendue.En 2003-2004, l’adoption de la stratégie d’achèvement des travaux du TPIY par le Conseil de Sécurité des Nations Unies vient affecter les liens tissés entre le Tribunal et certaines organisations bosniennes de victimes de guerre. Prévoyant que le TPIY achève ses enquêtes à la fin de l’année 2004 (ce qui a été respecté) et l’ensemble de ses travaux à la fin 2010 (ce qui a été retardé), cette stratégie invite les institutions judiciaires nationales et locales en Bosnie à prendre le relais. Aussi, depuis le milieu des années 2000, la Cour de Bosnie-Herzégovine et sa chambre pour les crimes

30. Cf. Maupas (S.), « Bref historique. Le TPIY et la politique pénale du bureau du procureur », in Delpla (I.), Bessone (M.), dir., Peines de guerre. La justice pénale internationale et l’ex-Yougoslavie, Paris, Presses de l’EHESS.

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de guerre sont devenues les principaux points de cristallisation des controverses bosniennes sur les responsabilités et les victimes de la guerre de 1992-1995. Ceci apparaît tout particulièrement à partir de la fin 2008, lorsque le Conseil des ministres bosnien adopte une stratégie étatique relative aux crimes de guerre. Les juristes internationaux membres de la section spéciale sur les crimes de guerre du bureau du procureur de Bosnie-Herzégovine qui sont à l’origine de cette stratégie font alors l’objet de virulentes critiques de la part des acteurs politiques et associatifs des deux entités. C’est tout particulièrement le cas en Republika Srpska où les organisations de victimes de guerre réclament le départ des juristes internationaux, boycottent la cour de Bosnie-Herzégovine et appellent à résister à tout transfert de prérogatives judiciaires du niveau des entités vers le niveau étatique – et ce d’autant plus le bureau du procureur de Bosnie-Herzégovine dispose d’une section de lutte contre le crime organisé et la corruption dont certaines enquêtes visent l’homme fort de l’entité, Milorad Dodik.

Après avoir fermé les yeux sur la non-coopération de la Republika Srpska avec le Tribunal pendant le premier mandat de Milorad Dodik (1998-2000), les chancelleries internationales ont remis cette question à l’agenda après la vic-toire électorale du Parti démocratique serbe en novembre 2000. Tout en accep-tant de créer un bureau de coopération avec le TPIY en 2000, le gouvernement de Republika Srpska a persisté à adresser une fin de non-recevoir aux demandes du Tribunal, notamment en ce qui concernait l’arrestation des principaux inculpés Radovan Karadžic et Ratko Mladic. Or, en juillet 2003, l’Union serbe des détenus de camps se démarque clairement de cette posture de non-coopé-ration avec le Tribunal lorsque ses représentants acceptent de rencontrer la pro-cureure Carla Del Ponte. Critère de véridiction dans l’antagonisme nationaliste sur les qualifications de la guerre – « génocide » ou « guerre civile » – le travail du TPIY devient aussi une source de légitimation pour l’Union serbe des déte-nus de camps et un moyen de critiquer le gouvernement du Parti démocratique serbe au pouvoir en Republika Srpska. La coopération de cette organisation avec le Tribunal ne relève donc pas d’une pure imposition de la conditionnalité européenne et américaine sur les acteurs politiques locaux, mais d’une instru-mentalisation réciproque. Pour la procureure, l’instauration de relations avec cette organisation s’inscrit dans les stratégies des chancelleries et des organisa-tions internationales visant à affaiblir le Parti démocratique serbe et à renforcer la coopération entre la Republika Srpska et le TPIY. Pour ce faire, le bureau de la procureure se cherche des alliés parmi les associations de victimes serbes et tente de légitimer le Tribunal auprès des acteurs politiques et des citoyens serbes en Bosnie. Quant aux représentants des anciens détenus serbes, ils pro-fitent de leur rencontre avec Carla Del Ponte pour justifier leurs prises de parole publiques en tant qu’association de victimes créée tardivement, sept ans après la fin de la guerre. À l’automne 2003, leurs rencontres avec la procureure sont l’occasion d’opérations de légitimation réciproque : l’organisation reconnaît

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pleinement le Tribunal et peut quant à elle revendiquer efficacement une légi-timité juridique et internationale. Commentant sa visite à La Haye, le co-pré-sident de l’Union Slavko Jovicic31 affirme ainsi que

« En nous invitant à La Haye, …] Carla Del Ponte a compris pour la première fois la position de nos membres martyrs, ces témoins vivants qui peuvent défendre des affaires, pour lesquelles nous disposons de preuves. Nous sommes restés au Tribunal deux fois plus longtemps que ne le prévoyait le protocole, ce qui révèle que nous avons été des invités estimés. La déclaration de Carla Del Ponte selon laquelle elle ne viendra plus en Republika Srpska et en Bosnie sans nous rencontrer prouve qu’elle a compris qu’elle a en face d’elle des per-sonnes sérieuses et responsables pour qui il est important que la vérité se sache. Malheureusement, en ce qui concerne les Serbes, cette vérité voit tardivement le jour32. »

L’Union serbe de détenus de camps fait aussi usage de sa coopération avec le TPIY pour critiquer le Parti démocratique serbe, jugé responsable de la lenteur du châtiment des crimes commis contre les Serbes. Elle dénonce à l’envi la non-coopération avec le Tribunal de la part du gouvernement, tantôt en déclinant une invitation du président de l’Assemblée nationale de Republika Srpska car aucun « briefing » ne pourrait les empêcher de « démontrer l’indifférence des autorités de RS à ce que la vérité sur les souffrances du peuple serbe se sache33 », tantôt en demandant la démission des responsables de la liaison de cette entité avec le TPIY34. Ainsi, au cours de sa première année d’existence, l’Union serbe des détenus de camps associe un discours agressif à l’encontre des acteurs politiques et militants non serbes à des prises de position de plus en plus critiques contre le Parti démocratique serbe. Ses usages de la justice pénale internationale prennent donc sens dans ses incursions dans la compétition partisane intra-serbe.

La désectorisation des revendications de victimes de guerre

À sa création, l’Union serbe des détenus de camps s’était donné pour mis-sion de « démontrer enfin la vérité sur la souffrance du peuple serbe, la vérité

31. Dans les années 1980, Slavko Jovicic était inspecteur de police ; au début des années 1990 il est chargé de la sécurité de parlementaires et de ministres serbes de Bosnie-Herzégovine. Pendant la guerre, il est fait prisonnier par les forces bosniaques et détenu à Silos. Après sa libération, il reprend ses activités de policier à Pale, capitale de la Republika Srpska à l’époque. Il publie ses mémoires de la détention en 1997 et prend la tête d’une organisation municipale serbe de détenus de camps à « Srpsko Sarajevo ». En 2002, il est élu vice-président de l’Union serbe des détenus de camps et devient en 2006 député du parti de Milorad Dodik à l’Assemblée nationale de Republika Srpska. En 2003, le président de la Republika Srpska a révélé que Slavko Jovicic avait également travaillé comme agent des services secrets.32. Bižic (S.), « Ne pravimo državni udar, a ja znam kako se to radi [Nous ne faisons pas de coup d’État, et je sais de quoi je parle] », Novi Reporter, 26 novembre 2003.33. Popovic (V.), « Logoraši RS odbili sastanak sa Kalinicem [Les détenus de camps de RS ont refusé un rendez-vous avec Kalinic] », Nezavisne Novine, 5 juillet 2003.34. Popovic (V.), « Jovicic i Miletic nisu radili ništa [(Trivun) Jovicic et Miletic n’ont rien fait]», Nezavisne Novine, 14 juillet 2003.

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sur l’existence de nombreux camps bosniaques et croates où des Serbes ont été détenus et torturés35 ». Or, en 2003, ses représentants interviennent dans le débat médiatique de Republika Srpska sur des thèmes liés à la justice, on l’a vu, mais également à la corruption, à la criminalité organisée ou encore à la pauvreté. À partir de l’été 2003, ils entreprennent de justifier publiquement ces prises de position sur des sujets aussi éloignés de la question des camps. Pour ce faire, ils arriment la cause des détenus de camps serbes à l’opposition au gouvernement actuel : « Le statut des anciens détenus de camps ne peut pas être réglé, explique le vice-président de l’Union, tant que l’on ne se libérera pas de l’effroyable malhonnêteté [qui règne] en Republika Srpska36. »

En novembre 2003, suite à un scandale relatif à la privatisation de Telekom RS, leur opposition à la politique gouvernementale se fait explicite : l’Union serbe des détenus de camps réclame la démission du Premier ministre, la dis-solution de l’Assemblée nationale de Republika Srpska et la tenue de nouvelles élections. Le président de l’entité réagit en affirmant son soutien « aux per-sonnes victimes de tortures et de mauvais traitements dans des camps » tout en déniant à l’Union serbe des détenus de camps toute habilitation à s’exprimer sur des « thèmes politiques qui ont des implications pour le système politique. Que les personnes qui ont été dans des camps ne soient pas satisfaites de leur statut mérite notre attention, mais dans le cas présent il s’agit de diverses reven-dications politiques qui n’ont rien à voir avec l’existence de l’Union des détenus de camps37 ». C’est bel et bien la délimitation du politique qui est alors en jeu. Pour légitimer leurs prises de position dites « politiques », relevant de politique générale et non pas sectorielle, les représentants de l’Union serbe des détenus de camps invoquent leur émanation du « peuple (narod)38 ». L’évocation de sa trajectoire personnelle opère ainsi comme une ressource que le vice-président de l’organisation Slavko Jovicic mobilise fréquemment dans ses prises de parole publiques. Or ces évocations de son expérience de la détention alimentent avant tout des figures rhétoriques dans ses argumentaires politiques : « Nous ne laisserons pas les autorités nous rendre fous, car nous n’étions pas dans un asile, mais dans des camps », déclare-t-il par exemple à l’appui de sa critique du gouvernement SDS39. Surtout, l’évocation de son expérience personnelle lui

35. Site internet de l’Union des détenus de camps de Republika Srpska [en ligne : http://www.logorasi.rs.sr/], consulté le 7 mars 2009.36. Popovic (V.), « Status logoraša bice riješen kada se raskrinkaju lopovi [Le statut des détenus de camps sera réglé une fois que l’on aura démasqué les voleurs] », Nezavisne Novine, 20 juin 2003.37. Popovic (V.), « Logoraši traže ostavku premijera i raspuštanje Narodne skupštine RS [Les détenus de camps réclament la démission du Premier ministre et la dissolution de l’Assemblée nationale de RS] », Nezavisne Novine, 11 novembre 2003.38. Le terme « narod » est hautement polysémique : il peut désigner la nation, mais aussi le peuple ou encore les gens. Cf. Sorabji (C.), « Une guerre très moderne. Mémoire et identités en Bosnie-Herzégovine », Terrain, 23, 1994.39. Popovic (V.), « Vlast bojkotuje skup Saveza logoraša RS [Les autorités boycottent la réunion de l’Union des détenus de camps de RS] », Nezavisne Novine, 19 novembre 2003.

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permet de se présenter comme « un homme ordinaire (obicni covjek) » qui, en tant qu’ancien détenu, se soucie des souffrances du « peuple » :

« Nous, nous disons la vérité au peuple, nous nous battons pour la vérité sur les souffrances de notre peuple, nous ne mentons pas à ce peuple et nous ne le ferons jamais. […] Nous sommes les plus à même d’apprécier la liberté, car nous avons connu toutes les souffrances. Pour cette raison, nous ne voulons pas que ce peuple souffre et meure aujourd’hui de faim40. »

Dans une série de longs entretiens publiés dans la presse de Republika Srpska, Slavko Jovicic poursuit son entreprise de légitimation des incursions de son organisation dans la compétition partisane. Il rappelle les objectifs sym-boliques et matériels de protection des détenus de camps serbes – objectifs considérés comme légitimes pour une association de victimes –, mais les arti-cule avec l’impératif de défense de la Republika Srpska et, in fine, il désectorise la cause des détenus de camps en faisant des logoraši serbes une synecdoque de la communauté serbe dans son ensemble. Il présente en effet les victimes de guerre serbes comme un échantillon représentatif du peuple serbe, et leur défense comme la défense de la nation. Cet exemple invite à affiner l’analyse des usages des discours dits populistes : dans ce cas, l’invocation du « narod », au double sens de peuple et de nation, sert à légitimer la conversion de la cause de victimes de guerre, redevable de politique sociale ou de justice pénale, en une cause ethnonationale et donc enjeu de politique générale. Ceci apparaît de façon éloquente dans un long entretien de Slavko Jovicic publié au début de l’année 2004 par Nezavisne Novine, un quotidien proche du parti de Milorad Dodik, et qui mérite d’être retranscrit in extenso :

« Toutes les idées proposées par l’Union des détenus de camps de Republika Srpska, et par mon humble personne, ont eu pour but d’améliorer le niveau de vie d’une partie colossale du peuple pillé, qui peine aujourd’hui à survivre bio-logiquement à cette situation cataclysmique. […] Seuls ceux qui sont mal infor-més, et nous pensons qu’ils sont peu nombreux, nous ont demandé, et bien sûr, à moi, pourquoi nous nous mêlons de tout et n’importe quoi. La réponse est claire et simple. Notre but principal est la protection de la Republika Srpska, et ce faisant du peuple serbe et, bien sûr, de tous ses citoyens, quelle que soit leur appartenance nationale ou autre […]. Mais, nous avons choisi, logiquement, de présenter la vérité sur les souffrances du peuple serbe durant le conflit tragique dans la région. C’est d’ailleurs notre droit légitime. Il est encore plus compré-hensible et facile de justifier toutes nos activités au nom des raisons suivantes. Tout simplement, nous ne pouvons plus permettre que les individus au pouvoir prononcent les mots “détenu de camp” avec cynisme et mépris, les rares fois où ils les prononcent. La question se pose alors de savoir qui ont été les détenus de camps. La réponse est simple : les détenus de camps ont été toutes les catégories

40. Bižic (S.) (2003). « Ne pravimo državni udar, a ja znam kako se to radi [Nous ne faisons pas de coup d’État, et je sais de quoi je parle] », Novi Reporter, 26 novembre 2003.

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de population. En vérité, dans les camps ont été détenus, en termes de sexe, des femmes et des hommes ; en termes d’âge, des enfants, des jeunes, des personnes d’âge moyen, et même des individus de plus de 90 ans ; en termes d’éducation, des ouvriers et des paysans, jusqu’aux docteurs, ingénieurs, avocats, écono-mistes et tous les profils d’éducation, et bien sûr des professeurs d’université et des intellectuels. Dans notre organisation se trouvent aussi toutes les caté-gories de statuts sociaux différents : les détenus de camps sont presque tous des réfugiés et des déplacés ; des individus qui ont combattu dans l’Armée de Republika Srpska et ont malheureusement fini dans les nombreuses prisons ou des individus qui grâce à des échanges [de prisonniers] ont gagné le territoire libre et ont immédiatement rejoint [cette armée] ; il y a aussi parmi nous des familles de défunts et de disparus, car les détenus de camps déclarés disparus se comptent par centaines ; presque tous les détenus de camps sont plus ou moins invalides ; nos membres comptent aussi des fillettes et des jeunes filles violées, devenues aujourd’hui des femmes mariées fières et sans honte ; il y a parmi nous une immense majorité de détenus de camps aujourd’hui chômeurs ; il y a parmi nous des retraités ; les anciens détenus de camps sont aujourd’hui, hélas, la population émigrée la plus nombreuse dans la diaspora et elle se trouve dans de nombreux pays dans le monde entier. Voilà, il est évident qu’il n’existe pas aujourd’hui de pareille organisation dont les membres soient issus de toutes les catégories et les structures de la société, comme c’est le cas de la population des détenus de camps41. »

Préparée discursivement par la transfiguration de la défense de victimes de guerre en la défense du peuple serbe, la conversion de l’Union serbe des détenus de camps en alliée du parti de Milorad Dodik dans sa reconquête du pouvoir se manifeste en pratique lors du meeting organisé par les partis d’opposition et différentes organisations militantes le 23 mars 2004 à Banja Luka. En dépit de l’opposition que Slavko Jovicic rencontre au sein de sa propre organisation et malgré les critiques que cette dernière échange avec les organisations d’anciens combattants restées proches du Parti démocratique serbe, l’Union serbe des anciens détenus de camps poursuit son alliance avec l’opposition partisane et renforce sa coopération avec d’autres organisations alliées au parti de Milorad Dodik. Le passage d’une organisation militante dans l’espace de la compéti-tion partisane repose donc ici sur un travail discursif de désectorisation de la cause, mais aussi sur des pratiques de formation de coalitions : il s’agit en effet d’apporter aux alliés partisans la « force du nombre42 » qui servira non seule-ment d’outil de légitimation, mais aussi et surtout d’armée de réserve pour les mobilisations partisanes à venir.

41. Jovicic (S.), « Da razjasnimo do kraja [Eclaircissons les choses jusqu’au bout] », Nezavisne Novine, 20 février 2004. Les italiques ont été ajoutées à l’original. 42. Offerlé (M.), Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, p. 70.

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Encadré 3. Le système partisan bosnien

Dans la première moitié du XXe siècle, la vie politique en Bosnie-Herzégovine se structure selon des lignes ethnonationales43. Dans la Yougoslavie socialiste (1945-1992), en l’absence de pluripartisme, la Ligue des Communistes tente d’asseoir sa légitimité en distribuant les postes au sein de l’État et du parti selon une « clé ethnique », alors même qu’au sein de la société yougoslave les identifications ethnonationales deviennent moins saillantes. Lorsque sont autorisées les premières élections pluripartistes dans la Yougoslavie socialiste, aux côtés de partis non ethnonationaux comme la Ligue des Communistes et l’Union des forces démocratiques, des partis politiques ethnonationaux sont formés en Bosnie-Herzégovine : le Parti de l’action démocratique (SDA, bosniaque), le Parti démocratique serbe (SDS) et la Communauté démocratique croate (HDZ). Leur alliance électorale leur confère une large avance face aux partis non nationalistes lors des premières élections pluripartistes de novembre 1990. Or cette coalition vole rapidement en éclats et fait basculer la Bosnie-Herzégovine dans la guerre en 1992. Pendant le conflit, ces partis mènent par la violence leurs projets nationalistes et mettent en œuvre des modes de gouvernement autoritaires, marginalisant leurs opposants et en particulier les forces non nationalistes. Ces dernières avaient en outre été négligées avant même l’éclatement du conflit par des diplomates internationaux essentiellement soucieux de la médiation entre les forces nationalistes. Les élections générales organisées quelques mois à peine après la fin des combats en septembre 1996 confirment donc la domination qu’exercent ces dernières sur leurs territoires respectifs. Or la fin des années 1990 voit l’hégémonie des grands partis nationalistes remise en question. D’une part, ils connaissent des scissions portées par des courants plus modérés tels que celui de Haris Silajdžic qui quitte le SDA pour créer le Parti pour la Bosnie-Herzégovine (SBiH) en 1996. Les grands partis nationalistes se voient aussi concurrencés par des forces plus radicales telles que le Parti radical serbe (SRS) qui réalise une percée électorale en 1998. S’ajoutent à ces partis nationalistes des formations se revendiquant de la social-démocratie : le Parti des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) de Milorad Dodik créé en 1996 et le Parti social démocrate (SDP) issu du Parti communiste. Ces derniers sont soutenus par les chancelleries internationales et parviennent au pouvoir au tournant de l’an 2000.Les années 2000 voient ainsi une redistribution du système partisan bosnien autour de nouveaux partis dominants. Le SNSD assoit sa domination en Republika Srpska : Milorad Dodik est nommé Premier ministre de l’entité en 2006, il en est élu président en 2010 et réélu en 2014 en dépit d’un sursaut de l’opposition. En Fédération, le SBiH de Haris Silajdžic devient le nouveau parti-pivot et accède au pouvoir au niveau étatique en 2006, avant de connaître de cuisants revers depuis 2010. Il est notamment affaibli par l’Union pour un futur meilleur (SBB) fondée en

43. Cf. Bieber (F.), « La communautarisation du politique en Bosnie-Herzégovine », Revue d’études com-paratives Est-Ouest, 38 (4), 2007. Sur le système partisan bosnien, voir aussi Šedo (J.), « The party system of Bosnia and Herzegovina », in Stojarova (V.), Emerson (P.), eds., Party politics in the Western Balkans, Londres, Routledge, 2010 et Armakolas (I.), Karabairis (A.), « A changing party landscape ? An analysis of the October 2010 elections in Bosnia and Herzegovina », Southeastern Europe, 38, 2014.

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2009 par le magnat des médias Fahrudin Radoncic. À partir de 2006, le HDZ-1990 vient en outre concurrencer le HDZ pour les votes nationalistes croates. Quant au SDP, il connaît des succès électoraux en Fédération et au niveau étatique en 2010, avant que sa crise idéologique interne ne se solde par le départ du membre de la Présidence Željko Komšic en 2012.Les grilles de lecture du système partisan bosnien en termes de partis nationalistes radicaux ou modérés et des partis citoyens sont désormais bouleversées. En effet, dans leurs entreprises de conquête et de conservation du pouvoir politique, les nouveaux partis dominants, précédemment considérés comme nationalistes modérés, ont considérablement radicalisé leurs discours et leurs réticences au compromis sur l’avenir institutionnel de la Bosnie, contrairement aux anciens partis tels que le SDA. La distinction entre partis nationalistes et partis citoyens se brouille en outre lorsque le SDP adopte à partir de 2010 un discours « patriote ». Reflets de l’instabilité des discours et des prises de position partisanes, les coalitions gouvernementales en Fédération et au niveau étatique sont introuvables et parfois improbables. Ainsi, il a fallu attendre pas moins de quatorze mois avant que ne soit formé le conseil des ministres de l’État de Bosnie-Herzégovine suite aux élections générales de 2010.Pour autant, plusieurs traits de la vie partisane bosnienne restent stables. Tout d’abord, la compétition partisane se déploie principalement au niveau des entités et de façon intra-ethnonationale. Par ailleurs, la conquête et l’exercice du pouvoir politique reposent sur de puissantes relations clientélaires : les partis politiques jouent un rôle crucial dans la répartition des ressources publiques (emplois dans les institutions et les entreprises publiques, accès à la protection sociale et au logement, etc.). Les acteurs politiques entretiennent en outre des liens étroits avec les acteurs économiques et financiers. Enfin, la compétition intra-partisane pour le leadership est intense. En effet, les acteurs internationaux invitent régulièrement les présidents des six à huit partis considérés comme majeurs à négocier sur l’avenir constitutionnel de la Bosnie-Herzégovine, parfois indépendamment de leur participation au gouvernement. Cela ne manque pas d’alimenter la personnalisation des ressources partisanes et le déploiement des débats politiques hors des institutions démocratiques.

Coalition, division du travail partisan et radicalisation nationaliste

Une fois l’Union serbe des détenus de camps désectorisée, une fois légitimées ses prises de parole sur « tout et n’importe quoi44 », ou plus précisément sur des enjeux dépassant le seul statut des anciens détenus de camps, ses représentants prennent en charge une partie du travail discursif de l’opposition partisane en Republika Srpska. Ce sont en effet les organisations para-partisanes, et non les représentants officiels du parti de Dodik, qui endossent les positions les plus

44. L’expression « sve i svašta » est utilisée par Slavko Jovicic lui-même dans l’interview « Da razjasnimo do kraja [Éclaircissons les choses jusqu’au bout] », Nezavisne Novine, 20 février 2004.

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radicales durant les débats du début de l’année 2005 autour de la réforme de la police, en adressant de fortes critiques contre la « communauté internationale » et les acteurs politiques bosniaques, et en rouvrant la perspective d’un référen-dum sur l’indépendance de l’entité. La radicalisation du discours nationaliste que prennent en charge ces organisations para-partisanes repose sur l’escalade des tensions avec certains acteurs politiques bosniaques comme Haris Silajdžic dont le Parti pour la Bosnie-Herzégovine devient le nouveau « parti-pivot » dans la Fédération à partir de 200645. Or la radicalisation nationaliste joue principalement un rôle dans la compétition partisane intra-serbe : le discours sur les menaces supposées des Bosniaques contre les Serbes permet en effet de maintenir le thème de la défense de la Republika Srpska au sommet de l’agenda politique et d’éviter que d’autres partis ne mobilisent l’électorat sur des thèmes socio-économiques ou judiciaires par exemple, comme le parti de Dodik avait pu le faire lui-même en 2003-2004.

Pour porter plus efficacement ce discours, l’Union serbe des détenus de camps participe aux transformations des organisations militantes alliées au parti de Dodik. Depuis la fin de la guerre en 1995, c’étaient les organisations d’anciens combattants et d’invalides militaires de guerre qui jouaient pour le Parti démocratique serbe ce rôle clé d’organisations pouvant mobiliser physi-quement des milliers d’individus dans des situations où le gouvernement choi-sissait de recourir à la force du nombre, ou à la force tout court, comme lors des protestations organisées en 2001 à Trebinje et à Banja Luka contre la recons-truction de mosquées détruites durant la guerre. Les organisations d’anciens combattants étaient restées proches du Parti Démocratique Serbe jusqu’en 2004, refusant par exemple de réclamer des élections anticipées. Or à la fin de l’année 2005, elles rejoignent une coalition de six organisations militantes de Republika Srpska : l’Union serbe des détenus de camps, l’Organisation combat-tante, l’Organisation républicaine des familles de soldats défunts et prisonniers et de disparus, l’Union des réfugiés et déplacés, l’Union étudiante et l’Associa-tion de retraités. Baptisée Mouvement serbe d’associations non gouvernemen-tales (SPONA46), cette coalition est dirigée par le président de l’Union serbe des détenus de camps, Branislav Dukic47. Le vice-président de l’Union, Slavko Jovicic, se lance quant à lui de plain-pied dans l’arène partisane en se présentant comme candidat du parti de Dodik aux élections générales d’octobre 2006. Les

45. Bougarel (X.), « Fin de l’hégémonie du S.D.A. et ancrage institutionnel du néo-salafisme », Politorbis, 43, 2007, p. 46.46. Srpski pokret nevladinih asocijacija, SPONA. Le terme « spona » signifie également « le lien ». 47. Originaire de Hrasnica près de Sarajevo, Branislav Dukic a milité avant-guerre au sein du modéré Conseil citoyen serbe de Bosnie-Herzégovine – ce qui le prédispose peut-être à soutenir le SNSD plutôt que le SDS après la guerre. Il est arrêté par les forces armées bosniaques et détenu dans la prison Viktor Bubanj à Sarajevo en 1994, avant d’être échangé et de s’installer en Republika Srpska en 1995. Il prend la tête de l’Union serbe des détenus de camps lors de sa formation en 2002.

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trajectoires de ces leaders associatifs donnent à voir de façon éloquente la poro-sité entre les espaces militant et partisan en Bosnie-Herzégovine.

La coalition para-partisane SPONA jouera un rôle important, principale-ment discursif, durant la campagne électorale de 2006 qui apparaît comme un moment clé de la radicalisation nationaliste du discours politique dans la Bosnie-Herzégovine d’après-Dayton. Elle se positionne sur la seule question ethnonationale en se donnant pour cause « la défense des positions constitu-tionnelles de la Republika Srpska et du socle d’intérêts nationaux du peuple serbe en Republika Srpska et en Bosnie48 ». Elle s’oppose à tout « transfert de souveraineté (prenos nadležnosti) » des entités vers l’État de Bosnie-Herzégovine, et refuse par conséquent la réforme de la police même si cela devait coûter à la Bosnie son intégration dans les structures euro-atlantiques. SPONA tient un discours radical à l’égard des acteurs internationaux et des représentants politiques bosniaques : « Sarajevo ne décidera plus jamais au nom du peuple serbe », déclare Slavko Jovicic à la télévision publique de Republika Srpska en mai 200649.

Les usages et la radicalisation des discours nationalistes à partir de 2005-2006 prennent donc sens dans la compétition partisane intra-serbe dans la mesure où ils permettent au parti de Milorad Dodik – avec l’aide des organisations para-partisanes et des médias loyaux – de centrer le débat électoral sur la question ethnonationale, coupant l’herbe sous le pied de partis plus modérés tels que le Parti du progrès démocratique qui privilégient les thèmes socio-économiques, et ôtant leur fonds de commerce aux concurrents ultra-nationalistes tels que le Parti radical serbe. Or les organisations de victimes telles que l’Union serbe des détenus de camps qui alimentent quotidiennement, par leurs revendications et prises de parole, « l’imprégnation de la société bosnienne par la guerre50 » n’ont pas uniquement acquis une omniprésence publique en raison de ce rôle para-partisan. En interaction avec les autorités politiques et les acteurs de l’inter-vention internationale, elles ont également obtenu une place cruciale dans le mode de représentation des intérêts et d’intermédiation sociale en vigueur en Republika Srpska et plus largement en Bosnie-Herzégovine.

48. « Ocuvati ustavnu poziciju RS [Conserver la position constitutionnelle de la RS] », Oslobod-enje, 13 février 2006.49. « Izmed-u Kosova i RS-a ne postoji nikakva veza [Il n’y a aucun lien entre le Kosovo et la RS », Oslobod-enje, 29 mai 2006.50. Bougarel (X.), « Bosnie-Herzégovine : Rentrer dans l’Europe pour sortir de la guerre? », Dossiers du CERI, avril 2011, p. 4.

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« Dodik est pour nous un père et une mère » : néo-corporatisme, ethnocratie et intervention internationale

Après les élections générales de 2006, le parti de Dodik affirme sa mainmise sur le gouvernement de la Republika Srpska et l’on observe alors une institu-tionnalisation de la relation entre les autorités publiques et des organisations collectives, dans une logique néo-corporatiste contribuant à stabiliser l’ordre politique et social ethnocratique dans cette entité51. Si ce mode de représenta-tion des intérêts reflète les continuités relatives du néo-corporatisme yougoslave dans la Bosnie-Herzégovine post-socialiste issue de la guerre, il est également affecté par les modalités de l’intervention internationale.

Un mode néo-corporatiste de représentation des intérêts

En Republika Srpska et plus largement en Bosnie-Herzégovine, les organi-sations issues de la guerre – regroupant des personnes déplacées, des anciens combattants, des invalides militaires de guerre, des anciens détenus de camps ou encore des familles de disparus et de défunts – sont inscrites dans un mode de régulation qui rappelle le corporatisme de la Yougoslavie socialiste52. Ce dernier reposait sur de puissantes organisations de masse. Parmi elles, l’Union des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale (SUBNOR) était incluse dans les instances représentatives de l’autogestion yougoslave et char-gée de répartir notamment les pensions des « victimes civiles de guerre » et des « victimes de la terreur fasciste53 ». Par son monopole de la représentation des intérêts des catégories de population issues de la guerre et par sa position d’intermédiaire dans la redistribution pyramidale des prestations sociales, le SUBNOR incarnait le néo-corporatisme yougoslave.

En Republika Srpska, depuis 2005, la loi sur les associations et les fonda-tions prévoit que soient financées par le gouvernement les organisations qui

51. La notion d’« ethnocratie » a été popularisée par la controverse entre les politistes O. Yiftachel et S. Smooha sur la nature du régime israélien, entre « ethnocratie » et « démocratie ethnique » ; cf. Renno (P.), « Classifier le régime israélien : le concept d’ethnocratie à l’épreuve du terrain », in Benbassa (E.), dir., Israël-Palestine, les enjeux d’un conflit, Paris, CNRS Éditions, 2010. Mais ici, nous l’employons pour décrire une forme d’ethnicisation du politique où non seulement l’espace partisan, mais aussi l’accès à l’État, sont structurés par le clivage ethnonational. Durant la guerre de 1992-1995, les forces politiques et militaires contrôlées par le Parti démocratique serbe ont établi en Republika Srpska des structures ethnocratiques offrant un accès privilégié à l’État aux seuls Serbes, et ont assis la domination de leur parti sur ces structures. Si le contrôle de ce parti sur les structures ethnocratiques de Republika Srpska a été ébranlé à partir de 1997-2000 et par les amendements constitutionnels de 2002, on observe toutefois un entretien des structures ethnocratiques dans la Republika Srpska contrôlée par le parti de Milorad Dodik.52. Sur le corporatisme dans l’espace yougoslave, voir notamment Denitch (B.), Limits and possibilities. The crisis of Yugoslav socialism and state socialist systems. Minneapolis, University of Minnesota Press, 1990 et Allcock (J.), Explaining Yugoslavia, New York, Columbia University Press, 2000. 53. Cf. Blagojevic (B.), dir., Recueil des lois de la RSF de Yougoslavie. Vol. VI. Le statut des combattants et victimes de guerre. Belgrade, Imprimerie de l’Union des associations de juristes de Yougoslavie, 1964.

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obtiennent le statut d’association d’intérêt public (udruženje od javnog inte-resa54) attribué pour une durée de trois ans. Jusqu’à la fin de l’année 2010, seules treize associations disposent de ce statut55. Cette loi permet au gouverne-ment de Republika Srpska dirigé depuis 2006 par Milorad Dodik de distribuer d’importantes ressources publiques aux organisations qui lui sont loyales, mais aussi de coopter les organisations potentiellement critiques, comme cela a été le cas avec l’organisation régionale d’anciens détenus de camps bosniaques de Banja Luka. Depuis 2007, plusieurs organisations de victimes civiles de guerre non serbes émargent ainsi au budget de la Republika Srpska : en 2009, elles ont reçu 200 000 KM56. Or ce montant ne saurait faire oublier le fait que la même année, les organisations serbes de victimes civiles de guerre se sont quant à elles vu attribuer 756 000 KM57. Ni le fait que lors de la fête de Vidovdan de 2008, le président de la Republika Srpska décore d’une médaille Branislav Dukic, le représentant de l’Union serbe des détenus de camps58. De tels liens matériels et symboliques signalent bien les fortes relations de réciprocité qui unissent cette organisation au gouvernement de Milorad Dodik, mais aussi l’institutionnali-sation de ces relations – autrement dit, le mode de gouvernement néo-corpora-tiste qui prévaut en Republika Srpska59.

Quoique relevant d’une définition large, le statut d’association d’intérêt public et la canalisation des ressources publiques qu’il permet suscitent bien des tensions parmi les organisations militantes, tensions dont l’intensité reflète l’importance cruciale de ce mode de représentation des intérêts et de répar-tition des ressources publiques. Même si certaines organisations refusent de solliciter ce statut afin de préserver leur indépendance vis-à-vis du gouverne-ment, nombre d’entre elles luttent au contraire pour accéder aux ressources publiques et aux espaces de production des politiques publiques auquel ce sta-tut donne accès. Le président de l’association serbe des familles de disparus de la région de Sarajevo-Romanija énonce clairement, en entretien et dans la presse indépendante sarajévienne, qu’il refuse ce statut afin de ne pas rejoindre les

54. Zakon o izmjenama i dopunama Zakona o udruženjima i fondacijama Republike Srpske, Journal Officiel de Republika Srpska, 42/05, 6 avril 2005.55. Compte-rendu de la 196e réunion du Gouvernement de la Republika Srpska, 4 novembre 2010, en ligne : http://www.vladars.net/sr-SP-Cyrl/Vlada/media/vijesti/Pages/Odrzana_196_redovna_sjednica_Vlade_ Republike_Srpske.aspx, consulté le 21 janvier 2014.56. 1 mark convertible (KM) équivaut environ à 0,5 euro. Budget de la Republika Srpska pour l’année 2009, adopté le 23 décembre 2008, en ligne : http://www.narodnaskupstinars.net/latn/?page=137&kat=19&vijest=1610, consulté le 30 avril 2012.57. Katana (G.), « Logoraši ce pisati zakon [Les détenus de camps vont élaborer une loi] », Oslobod-enje, 13 septembre 2010.58. « Kuzmanovic dijeli ordenje [Kuzmanovic remet des décorations] », Nezavisne Novine, 14 juillet 2008.59. La régulation politique est ici abordée au prisme des interactions entre organisations catégorielles et partis politiques, mais la « capture de l’État » par les partis au pouvoir dans les entités mériterait une analyse approfondie. Cf. Grzymala-Busse (A.), « Beyond clientelism: incumbent state capture and state formation », Comparative Political Studies, 41(4-5), 2008 et, à titre de comparaison, Dorronsoro (G.) et Gourisse (B.), « Une clé de lecture du politique en Turquie : les rapports État-partis », Politix, 107, 2014.

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organisations « qui n’ont de non gouvernemental que le nom (nevladine samo po deklarisanju)60 ». Inversement, certaines organisations militantes convoitent ce statut dont l’attribution est sélective : l’Union des organisations et des asso-ciations d’invalides militaires de guerre de Republika Srpska, par exemple, en fait la demande, sans succès, depuis 2007, et va jusqu’à organiser des grèves de la faim dans le but que, selon les mots de son président, leur « soit reconnu le statut dont bénéficient les familles de combattants défunts, l’Union des déte-nus de camps et l’Organisation combattante, et que [leurs] représentants soient inclus dans le travail des commissions qui décident du sort des invalides mili-taires de guerre61 ». L’inclusion dans les espaces réservés où sont produites les politiques sectorielles, caractéristiques du mode néo-corporatiste de représen-tation des intérêts, est en effet un enjeu majeur pour les organisations mili-tantes. En Republika Srpska (comme dans la Fédération) rares sont les séances du Parlement ouvertes au public. C’est le Kolegijum de l’Assemblée nationale de Republika Srpska qui publie chaque année la liste sélective des organisations sectorielles autorisées à assister aux séances des différents groupes de travail (radna tijela) au sein l’Assemblée62.

Il convient de signaler une seconde source de tensions entre les organisations militantes, relative cette fois aux modalités de la redistribution pyramidale des ressources publiques – du gouvernement de Republika Srpska aux échelons centraux puis aux échelons municipaux de ces organisations, ces derniers étant chargés d’attribuer les biens financiers et matériels aux membres individuels63. Ainsi, un jeune membre de l’association serbe de détenus de camps du District de Brcko habitant le village de Bukvik se plaint de l’absence de soutien matériel aux anciens logoraši de son village de la part des instances centrales de l’Union serbe des détenus de camps :

« En ce qui concerne Bukvik, je ne suis pas satisfait ; je ne suis pas satisfait parce qu’eux [les représentants de l’Union serbe des détenus de camps] ils considèrent aujourd’hui encore que Bukvik ferait partie de la Fédération [entité croato-bosniaque]. Il ne le considèrent pas comme le territoire d’une communauté locale serbe. Ils le considèrent comme faisant partie de la Fédération, comme

60. Pour créer sa modeste association, il a opté pour l’extraversion et recouru à la seule aide de la Commission Internationale pour les Personnes Disparues (ICMP). Entretien avec Milan Mandic, président de l’association serbe des familles de disparus de la région de Sarajevo-Romanija, Istocno Sarajevo, 22 mai 2007 et Bacanovic (V.), « Krst na Zlatištu je provokacija [La croix à Zlatište est une provocation] », Dani, 25 avril 2008.61. « Štrajkuju RVI [Les invalides militaires de guerre font la grève] », Nezavisne novine, 19 septembre 2007. 62. Par exemple, en 2014, seules dix organisations sont autorisées à assister aux séances de l’Assemblée nationale de Republika Srpska ; la liste des organisations accréditées pour assister aux réunions des groupes de travail de l’Assemblée est disponible à l’adresse suivante, en ligne : http://www.narodnaskupstinars.net/lat/novost/4810/odluka-o-prisustvu-sjednicama-odbora-i-sjednicama-narodne-skupstine-nevladinih-organizacija-udruzenja-sindikata-i-drugih-subjekata-u-2014-godini, consulté le 21 janvier 2014.63. Dans le cas de l’Union bosniaque des détenus de camps basée à Sarajevo, ce mode pyramidal de répar-tition des ressources publiques inclut l’échelon crucial des organisations cantonales.

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perdu. Et eux ils traitent beaucoup mieux l’association de détenus de camps de Krepšic par exemple, s’il y en a une, je ne sais pas, mais bon ils soutiennent beaucoup mieux [l’association de Krepšic] ou de Grbavica que celle de Bukvik, car ils considèrent [notre village] comme perdu. Mais nous on considère qu’il a été vendu (prodano), on le considère vendu64. »

Ce membre d’une association locale serbe de détenus de camps préside la communauté locale (mjesna zajednica)65 de Bukvik, un village majoritaire-ment serbe situé au milieu d’une zone majoritairement non-serbe du district (autonome) de Brcko. Ce village à la population vieillissante est isolé des autres communautés locales majoritairement serbes du district, comme Krepšic ou Grbavica, que les autorités de Republika Srpska ont longtemps considérées comme leurs. Lorsqu’il déplore l’absence de soutien matériel de l’Union serbe des détenus de camps envers les membres de Bukvik, il dénonce avant tout l’abandon supposé de ce village de la part des autorités de Republika Srpska. Le soutien de l’Union serbe des détenus de camps est donc assimilé à une prise en charge publique. Privé du soutien matériel de l’Union serbe des détenus de camps, cet habitant de Bukvik se sent exclu de la communauté politique de Republika Srpska. Les disparités territoriales constatées dans la redistribution néo-corporatiste des ressources publiques en Republika Srpska reflètent en effet les dynamiques spatiales et démographiques de la compétition partisane intra-serbe et les zones considérées comme prioritaires pour le travail de mobilisa-tion des partis politiques. Cet extrait d’entretien ne signale donc pas seulement le rôle crucial joué par les organisations sectorielles dans la répartition des res-sources publiques, mais aussi le fait que ce mode de régulation néo-corporatiste peut être perçu comme une forme de contrôle politique sur un territoire et une population donnés – que ce contrôle politique soit souhaité, comme dans le cas cet ancien détenu de camps de Bukvik, ou refusé, comme dans celui du président de l’association de disparus de Sarajevo-Romanija. Or cet « échange politique66 » se trouve affecté, et souvent alimenté, par les logiques de l’inter-vention internationale.

Intervention internationale et consolidation ethnocratique

Alors que l’Union serbe des détenus de camps avait légitimé ses prises de parole publiques et son incursion dans la compétition partisane de Republika Srpska en 2003 par sa coopération avec le Tribunal de La Haye, elle déploie à partir de 2006 un discours de plus en plus agressif contre les juristes et autres

64. Entretien avec N. B., membre de l’association serbe de détenus de camps du District de Brcko et pré-sident de la mjesna zajednica de Bukvik, Brcko, 10 juillet 2008.65. Les mjesne zajednice, les communautés locales, sont le plus petit échelon de gouvernement en Bosnie-Herzégovine post-socialiste. Disposant d’un président et d’un conseil élus, elles sont de la taille d’un village ou du quartier d’une ville.66. Pizzorno (A.), « Political exchange and collective identity in industrial conflict », in Crouch (C.), Pizzorno (A.), eds., The Resurgence of Class Conflict in Western Europe since 1968. Londres, MacMillan, 1978.

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acteurs internationaux présents en Bosnie-Herzégovine. Pourtant ces der-niers ne remettent pas profondément en cause le mode néo-corporatiste de représentation des intérêts dans lequel s’inscrit cette organisation militante. Au contraire, sous certains aspects et indirectement, les logiques de l’inter-vention internationale en Bosnie-Herzégovine contribuent à perpétuer le néo-corporatisme et, partant, à entretenir l’ordre ethnocratique en Republika Srpska.

En 2009, le président de l’Union serbe des détenus de camps réclame que les juges et procureurs internationaux quittent la cour de Bosnie-Herzégovine. Dans le meeting de protestation qu’il organise en septembre 2009 devant les locaux de ce tribunal, il déclare : « Dodik est pour nous un père et une mère (Dodik nam je otac i mati)67. » Cette remarque est significative. La lutte enga-gée par les représentants de l’Union serbe des détenus de camps contre les juristes internationaux de la cour de Bosnie-Herzégovine est en effet en lien direct avec l’entreprise politique de Milorad Dodik. Depuis la victoire élec-torale de 2006, celle-ci consiste à la fois à consolider la Republika Srpska en tant qu’ethnocratie et à renforcer le contrôle de son parti sur ces structures ethnocratiques. Pour ce faire, Milorad Dodik – et ses alliés para-partisans tels que Branislav Dukic – s’opposent systématiquement à tout transfert de com-pétences du niveau des entités vers le niveau étatique, notamment en matière judiciaire :

« Nous n’avons pas de couleur partisane, mais je considère que le Premier ministre Dodik est la seule personnalité politique qui, en ce moment, jusqu’à présent, n’autorise pas le transfert de compétences du niveau des entités vers le niveau de la Bosnie-Herzégovine. Nous, nous le soutenons, et nous le soutien-drons aussi, bien entendu, si le haut représentant adresse la moindre menace au Premier ministre de Republika Srpska. Ils doivent comprendre que, dans un délai de douze heures, plus de 200 000 personnes peuvent se réunir à Banja Luka, qui n’accepteront pas le remplacement du Premier ministre de Republika Srpska ou d’autres fonctionnaires dont elles pensent qu’ils ne cèdent pas face à la néfaste réforme de la police ou à des changements constitutionnels de ce genre68. »

67. Omeragic, (D.), « Više policajaca nego demonstranata [Plus de policiers que de manifestants] », Oslobod-enje, 12 septembre 2009.68. Bižic (S.), « Straha nema i ne smije ga biti [Nous n’avons pas peur, et ne devons pas avoir peur] », Reporter, 29 août 2007. Milorad Dodik fait à l’époque l’objet de suspicions de corruption. Les préten-tions numéraires du président de SPONA Branislav Dukic doivent être prises avec précaution : lorsqu’il a organisé un grand meeting de soutien à Milorad Dodik à Banja Luka à la fin octobre 2007, il a réuni environ 10 000 personnes. On dispose de peu d’éléments sur le recrutement social de l’Union des détenus de camps de Republika Srpska, en revanche sur les propriétés sociales des adhérents et les logiques para-administratives de l’engagement dans une association locale rattachée à l’Union des détenus de camps de Bosnie-Herzégovine, voir Jouhanneau (C.), « The discretion of witnesses. War camp memories between politicization and civility », in Brkovic (C.), Celebicic (V.), Jansen (S.), eds., Negotiating socialities in Bosnia and Herzegovina, Farnham, Ashgate, à paraître en 2016.

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108 La « société civile » entre protestation et prestations

En septembre 2009, sous la pression du parti de Dodik, le Parlement de Bosnie-Herzégovine ne renouvelle pas le mandat des juges et procureurs inter-nationaux au sein de la cour de Bosnie-Herzégovine. C’est le haut représen-tant qui imposera en décembre 2009 la prolongation de leur mandat au sein de la chambre spéciale pour les crimes de guerre69. L’Union serbe des détenus de camps poursuit toutefois la lutte contre les juristes internationaux et annonce en décembre 2009 qu’elle rompt toute relation avec le bureau du procureur de la cour de Bosnie-Herzégovine et qu’elle s’adressera désormais à celui de son voisin la Serbie. En somme, les prises de parole des représentants des anciens détenus de camps serbes contre les juristes internationaux présents en Bosnie-Herzégovine relèvent d’une démarche d’obstruction vis-à-vis de tout transfert de compétences du niveau entitaire au niveau étatique.

La consolidation ethnocratique en Republika Srpska repose non seulement sur l’affirmation de la domination du parti de Milorad Dodik sur l’entité, mais aussi sur des logiques néo-corporatistes qui, comme en Fédération, portent la marque de l’intervention internationale. D’une part, l’extraversion de certains acteurs bosniens tels que les organisations de victimes de guerre peut leur four-nir des ressources matérielles et symboliques qui influencent la hiérarchie des habilitations à participer aux processus de décision politique. L’investissement de l’espace judiciaire international par les représentants de l’Union serbe des détenus de camps à sa création en 2003 a ainsi pu les légitimer comme locuteurs dans le débat public en Republika Srpska et comme participants de la fabrique des politiques publiques relatives aux anciens détenus de camps. On en veut pour exemple l’inclusion de cette organisation – et celle de ses homologues basés à Sarajevo et à Mostar – dans le groupe de travail chargé de l’élaboration d’une loi étatique sur les victimes de la torture et les victimes civiles de guerre au début de l’année 2006.

D’autre part, les modalités de l’intervention internationale n’ont pas pour seul effet de renforcer le poids de certaines organisations militantes dans la fabrique néo-corporatiste des politiques relatives aux victimes de guerre en Bosnie-Herzégovine. Elles favorisent dans une certaine mesure le mode de régu-lation néo-corporatiste lui-même en encourageant un processus décisionnel en aparté, fondé sur le recours à l’« expertise » et sur la quête du consensus entre élites70. En effet, les groupes de travail et autres commissions souvent formés suite à une injonction internationale impliquent fréquemment des « experts » (strucnjaci ou eksperti) nationaux et souvent internationaux. Ce fut le cas dans

69. En revanche il ne renouvelle pas le mandat des juristes internationaux de la section de lutte contre la corruption qui visait particulièrement Milorad Dodik.70. Dans une certaine mesure seulement, car dans le domaine des politiques relatives aux anciens combat-tants et aux victimes de guerre, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont plutôt cherché à entraver la régulation néo-corporatiste en exigeant des autorités publiques bosniennes qu’elles réduisent drastiquement les prestations allouées à ces ressortissants de politique sociale.

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le groupe de travail pour l’élaboration d’un projet de loi sur une commis-sion Vérité et réconciliation, où siégeaient des représentants du United States Institute for Peace et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 2005-2006. Tout l’enjeu pour les organisations militantes est d’être inclus à ces groupes de travail. C’est en effet en leur sein que se déploient la négociation et le débat politique autour des projets de lois. En d’autres termes, les politiques relatives aux victimes sont produites en aparté, hors du débat par-lementaire – une pratique dont certains observateurs dénoncent la « tentation autoritaire71 ». Non seulement les groupes de travail sont un lieu privilégié pour l’intervention des « experts » internationaux et nationaux qui prennent part à cette négociation en aparté caractéristique du mode néo-corporatiste de repré-sentation des intérêts, mais ils sont aussi marqués par une quête du consen-sus entre élites qui renforce l’ethnocratie. Comme le remarque incidemment la responsable du PNUD chargée de coordonner le groupe de travail expert pour la Stratégie de justice transitionnelle de la Bosnie-Herzégovine fondé en janvier 2010, lors du premier « training » du groupe de travail ses membres ont dû statuer sur le mode de prise de décision : ils se sont alors prononcés pour le consensus72. Il s’agit là d’une pratique qui prévalait déjà dans la Yougoslavie socialiste où « les acteurs politiques étaient censés négocier jusqu’à ce qu’ils parviennent à une position acceptable pour tous73 ». La perpétuation de cette pratique dans la Bosnie d’après-guerre s’explique précisément par les modalités de l’intervention internationale. Le système politique bosnien issu de l’ingénie-rie daytonienne est en effet un système consociationaliste74 où les mécanismes incitant au consensus entre élites politiques dans les institutions étatiques – tels que le droit de veto pour défendre les « intérêts vitaux nationaux » – conduisent à préserver les intérêts des blocs de pouvoir nationalistes au sein des entités.

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Pour rendre compte de l’action collective d’une organisation de victimes de guerre omniprésente dans le débat public bosnien et la production, dans les mobilisations présentes, d’interprétations du passé, cet article a tenté de dépasser le débat dominant sur la contribution de la « société civile » à la

71. European Stability Initiative, Governance and democracy in Bosnia and Herzegovina. Post-industrial society and the authoritarian temptation. Berlin/Bruxelles, 2004.72. Entretien avec la responsable du projet « Access to Justice: Facing the Past and Building the Confidence for the Future », PNUD, Sarajevo, 12 novembre 2010.73. International Crisis Group, Federation of Bosnia and Herzegovina. À parallel crisis, Bruxelles, Europe Report, 209, 28 septembre 2010, p. 5.74. Développé par Arend Lijphart pour désigner des démocraties stables ne reposant pas sur le principe majoritaire, le concept de consociationalisme désigne un système politique censé être adapté aux sociétés divisées, encourageant le consensus entre élites politiques par le principe proportionnel et des dispositifs de véto mutuel. Cf. Lijphart (A.), « Typologies of democratic systems », Comparative Political Studies, 1 (1), 1968.

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démocratisation pour centrer son questionnement sur les liens complexes entre État, partis politiques et organisations collectives. En pointant le rôle que joue l’Union serbe de détenus de camps dans les entreprises partisanes de conquête et d’exercice du pouvoir, en analysant la place qu’occupe cette organisation dans un système pyramidal de représentation des intérêts et de répartition des ressources publiques, on a mis au jour les logiques partisanes et néo-corpo-ratistes de certaines mobilisations de victimes. Ces dernières jouent un rôle crucial dans l’entretien du système politique ethnocratique façonné à la fois par le processus d’ethnicisation du politique entamé avant la guerre et par une intervention internationale qui prend en considération les « intérêts vitaux » de « nations constitutives ». Signaler les continuités relatives du mode néo-cor-poratiste de représentation des intérêts dans la Bosnie post-socialiste contribue enfin à une compréhension continuiste de la guerre qui se montre attentive aux recombinaisons de certaines dynamiques et catégories sociales avant, pendant et après le conflit.

Cécile JouHanneau est maîtresse de confé-rences en science politique (Université Paul Valéry Montpellier/ART-Dev). Elle travaille à une sociologie politique de la sortie de guerre et des politiques internationales de construction de la paix à partir du cas de la Bosnie-Herzégovine. Ses publications incluent notamment Les silences de la sortie de guerre. Mémoires, nationalisme et civilité en Bosnie-Herzégovine (1992-2010), Paris, Karthala, coll. « Meydan » (à paraître en 2015) ; « La fabrique euro-péenne des politiques de réconciliation », Revue d’Études Comparatives Est-Ouest,

n° 3-4, 2014 (avec L. Neumayer) ; « The discretion of witnesses. War camp memo-ries between politicization and civility », in Brkovic (C.), Celebicic (V.), Jansen (S.), dir., Negotiating socialities in Bosnia and Herzegovina, Farnham, Ashgate (à paraître en 2016) et « Would-be guardians of memory. An association of camp inmates of the 1992-1995 Bosnian war under ethnogra-phic scrutiny », in Mink (G.), Neumayer (L.), dir., History, Memory and Politics in Central and Eastern Europe, Londres, Palgrave/Macmillan, 2013.

jouhanneau.c@gmail.com

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