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Chronologie israélite synchronisée (partie 1) La chronologie israélite, qui est l'une des plus anciennes connues, est encore régulièrement étudiée dans des thèses 1 . La difficulté majeure, comme dans toutes les chronologies, est d'établir des dates absolues obtenues grâce à des synchronismes datés par l'astronomie. Or les règnes de David et de Salomon se situent dans une période (1100-750) la plus obscure de l'histoire 2 . La chronologie égyptienne fait exception, mais reste très lacunaire 3 . Il y a cependant un obstacle encore plus redoutable à franchir: les préjugés religieux. En effet, la chronologie israélite repose essentiellement sur les textes bibliques qui sont aussi des textes religieux, ce qui entraîne fréquemment des réactions irrationnelles. Lorsque je lui ai soumis mon mémoire de thèse, la première réaction de mon ancien directeur de thèse a été de me demander de retirer tout ce qui concernait les datations directement liées à la Bible (datation de la mort d'Hérode, datation de la mort de Jésus et datation de la domestication du chameau à l'époque d'Abraham), ce que j'ai fait. Puis, lorsque mon directeur a appris mon appartenance religieuse, la soutenance de ma thèse a été suspendue, puis annulée. J'ai donc recherché un nouveau directeur de thèse en lui expliquant la situation. Surprise, Daniel Bodi était particulièrement intéressé par la chronologie israélite, il écrivait d'ailleurs dans sa lettre du 5 juin 2009: Par la présente, j'accepte de diriger la recherche de M. Gérard GERTOUX en vue d'une thèse de doctorat de l'INALCO. Le candidat prépare une thèse de doctorat relevant du domaine de l'histoire ancienne. Sa recherche porte sur la chronologie d'Israël ancien selon la Bible hébraïque à la lumière des données comparatives proche-orientales. Nouvelle déconvenue au moment de fixer la soutenance, la directrice de l'INALCO a refusé mon transfert, ne voulant pas que son école soit classée comme fondamentaliste. Pour justifier scientifiquement ce refus, Daniel Bodi m'écrivait dans son courriel du 14 septembre 2009: Le problème principal avec votre travail c'est de trouver un jury qui accepte de siéger à votre soutenance. Le jury que vous m'avez proposé n'est pas prêt à siéger pour cette thèse. Il faut trouver des professeurs qui acceptent les positions fondamantalistes que vous défendez. Il ne suffit pas de dire que l'astronomie fournit la preuve scientifique que Jacob a vécu en 1878 av. J.-C. ; de placer les patriarches dans un ordre "scientifique" grâce au présupposé de l'astronomie ; d'affirmer que la rédaction de la Genèse s'est faite par Moïse en 1493! En quelle langue Moïse écrivit-il la Genèse? en égyptien hyéroglyphique, en 1 M.C. TETLEY – The Reconstructed Chronology of the Divided Kingdom Winona 2005 Ed. Eisenbrauns pp. 179-180. F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament Texas 2005 Ed. Master Books pp. 170-173,326. 2 Plusieurs empires "s'évanouissent" durant cette période, comme l'élamite et le mycénien (grec), le babylonien devenant lacunaire. 3 R.K. RITNER – The Libyan Anarchy: Inscriptions from Egypt's Third Intermediate Period Atlanta 2009 Ed. Society of Biblical Literature pp. 1-8.

Chrono israelite1

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Travail de Gertoux Gérard http://chronosynchro.net/base.php?page=auteur

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Page 1: Chrono israelite1

Chronologie israélite synchronisée (partie 1) La chronologie israélite, qui est l'une des plus anciennes connues, est encore

régulièrement étudiée dans des thèses1. La difficulté majeure, comme dans toutes les

chronologies, est d'établir des dates absolues obtenues grâce à des synchronismes datés par

l'astronomie. Or les règnes de David et de Salomon se situent dans une période (1100-750)

la plus obscure de l'histoire2. La chronologie égyptienne fait exception, mais reste très

lacunaire3. Il y a cependant un obstacle encore plus redoutable à franchir: les préjugés

religieux. En effet, la chronologie israélite repose essentiellement sur les textes bibliques qui

sont aussi des textes religieux, ce qui entraîne fréquemment des réactions irrationnelles.

Lorsque je lui ai soumis mon mémoire de thèse, la première réaction de mon ancien

directeur de thèse a été de me demander de retirer tout ce qui concernait les datations

directement liées à la Bible (datation de la mort d'Hérode, datation de la mort de Jésus et

datation de la domestication du chameau à l'époque d'Abraham), ce que j'ai fait. Puis,

lorsque mon directeur a appris mon appartenance religieuse, la soutenance de ma thèse a

été suspendue, puis annulée. J'ai donc recherché un nouveau directeur de thèse en lui

expliquant la situation. Surprise, Daniel Bodi était particulièrement intéressé par la

chronologie israélite, il écrivait d'ailleurs dans sa lettre du 5 juin 2009: Par la présente, j'accepte

de diriger la recherche de M. Gérard GERTOUX en vue d'une thèse de doctorat de l'INALCO. Le

candidat prépare une thèse de doctorat relevant du domaine de l'histoire ancienne. Sa recherche porte sur la

chronologie d'Israël ancien selon la Bible hébraïque à la lumière des données comparatives proche-orientales.

Nouvelle déconvenue au moment de fixer la soutenance, la directrice de l'INALCO a

refusé mon transfert, ne voulant pas que son école soit classée comme fondamentaliste. Pour

justifier scientifiquement ce refus, Daniel Bodi m'écrivait dans son courriel du 14

septembre 2009: Le problème principal avec votre travail c'est de trouver un jury qui accepte de siéger à

votre soutenance. Le jury que vous m'avez proposé n'est pas prêt à siéger pour cette thèse. Il faut trouver des

professeurs qui acceptent les positions fondamantalistes que vous défendez. Il ne suffit pas de dire que

l'astronomie fournit la preuve scientifique que Jacob a vécu en 1878 av. J.-C. ; de placer les patriarches

dans un ordre "scientifique" grâce au présupposé de l'astronomie ; d'affirmer que la rédaction de la Genèse

s'est faite par Moïse en 1493! En quelle langue Moïse écrivit-il la Genèse? en égyptien hyéroglyphique, en

1 M.C. TETLEY – The Reconstructed Chronology of the Divided Kingdom Winona 2005 Ed. Eisenbrauns pp. 179-180. F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament Texas 2005 Ed. Master Books pp. 170-173,326. 2 Plusieurs empires "s'évanouissent" durant cette période, comme l'élamite et le mycénien (grec), le babylonien devenant lacunaire. 3 R.K. RITNER – The Libyan Anarchy: Inscriptions from Egypt's Third Intermediate Period Atlanta 2009 Ed. Society of Biblical Literature pp. 1-8.

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2 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

cunéiforme akkadien comme les lettres d'El-Amarna. L'alphabet démarre seulement avec Ugarit au XIIIe

siècle avant J.-C. et le linéaire phénicien deux siècles plus tard. Ces considérations de l'écriture utilisée ne

semblent pas vous poser de problème. En dépit de ma bonne volonté je ne peux pas vous défendre, car je ne

partage pas ce point de vue. Je vous propose donc de vous adresser aux facultés de théologie fondamantalistes

baptistes comme Vaux-sur-Seine ou chez les ultra-calvinistes d'Aix-en-Provence. Je suis vraiment désolé

mais je comprends maintenant la réaction de la commission doctorale de l'INALCO. Mes collègues ne

voulaient pas que l'INALCO soit taxé d'école fondamentaliste. Il faudrait mettre pratiquement chaque

page en perspective et en contexte historique. L'astronomie est votre seule référence extérieure et cela ne suffit

pas. Bien cordialement et bonne chance dans votre recherche d'un jury approprié.

P.S. Donner une appréciation "scientifique" à votre ms est très difficile: - d'un côté, vous faites preuve de

beaucoup de connaissances et d'une érudition certaine dans les problèmes chronologiques, toujours difficiles,

du Proche-Orient ancien, à tel point qu'une telle thèse ne peut être appréciée que par des spécialistes dans

différents domaines: en particulier assyriologie et historiographie grecque pour la période achéménide,

égyptologie et Bible/ancien Israël... - de l'autre, il est clair que votre travail souffre de deux maux: il est

apparemment en grande partie autodidacte (d'où de graves lacunes dans la littérature secondaire et, d'une

façon générale, très peu de discussions sérieuses des opinons différentes de la votre, vous avez tendance à

répéter pour convaincre) et, surtout, vous avez nettement une approche "fondamentaliste" par rapport au

texte biblique en ce qui concerne les problèmes de chronologie: vous savez vous montrer critique par rapport

aux chronologies akkadiennes ou égyptiennes, et à leur interprétation actuelle, mais jamais vis-à-vis du

texte biblique à quelque époque que cela ait pu être écrit: l'archéologie ou les autres textes du Proche-Orient

ancien "confirment" toujours finalement le texte biblique ou "concordent" avec lui. Juste deux exemple

flagrants de votre manque de sens critique vis-à-vis du texte biblique: p. 489: "Jacob (1878-1731), mort à

l'âge de 147 ans, a passé 20 ans en Mésopotamie (à Harrân). Joseph étant né dans la 91e année de Jacob

(en -1788)"... Cela ne pose aucun problème !... p. 484: "le texte de la Genèse a été rédigé par Moïse,

autour de -1493".

Conclusion de ce courrier expéditif: l'astronomie n'est pas suffisante pour dater le

texte (sans préciser par quel autre moyen), et le fait d'accepter que Jacob ait vécu 147 ans,

était scandaleusement fondamentaliste. À cause de ces deux remarques, j'ai trouvé judicieux

d'ajouter un long préambule à cette chronologie israélite synchronisée, pour examiner en

détail quelques points contestés comme: peut-on considérer la Bible comme un document

historique et est-il scientifiquement impossible de vivre 147 ans et d'être père à 91 ans?

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 3

LA BIBLE EST-ELLE UN DOCUMENT HISTORIQUE?

La chronologie des peuples de l'Antiquité (Égyptiens, Babyloniens, Assyriens,

Élamites, etc.) n'a été reconstituée qu'à partir de documents, dont la plupart sont des écrits

fortement influencés par la religion. La question de savoir s'il s'agit d'une chronologie

"religieuse" ne se pose même pas, vraisemblablement parce que tous ces cultes antiques

sont tombés en désuétude. Il n'en va pas de même avec la chronologie israélite, car le texte

biblique, qui sert principalement à l'élaboration de cette chronologie, contient un

enseignement religieux qui est encore pratiqué. Cette ambiguïté est source d'un paradoxe

incroyable. En effet, depuis Hérodote les historiens savent que "la chronologie est l'œil de

l'histoire", or la plupart des universitaires actuels refusent d'examiner la chronologie israélite

parce qu'ils craignent (de manière irrationnelle) qu'en validant scientifiquement cette

chronologie, ils cautionneraient en retour l'enseignement religieux des textes bibliques, ce

qui les amène à dénier à la Bible tout caractère historique. Cette attitude est déraisonnable

pour deux raisons: 1) il ne peut exister une chronologie "laïque" d'un côté et une

chronologie "religieuse" de l'autre, scientifiquement cela est absurde, et 2) la chronologie

israélite constitue un pilier de la chronologie du monde oriental. Les deux seules thèses

consacrées à la chronologie lui ont d'ailleurs accordé un volumineux chapitre4.

Quelles sont les raisons qui poussent la plupart des universitaires à refuser de

reconstituer une chronologie israélite à partir du texte biblique? Voici les principales:

Il est absurde, d'une part, de prendre le texte biblique pour un document historique, d'autre part

d'inverser l'importance des protagonistes: Israël n'est mentionné qu'une seule fois sur une stèle de

Mérenptah, alors que le mot Égypte est utilisé 680 fois dans la Bible (...) Les allusions à l'Égypte

dans la Bible servent essentiellement à nourrir l'histoire interne des Hébreux, en donnant un vague

décor à certains épisodes, et sont sans rapport avec ce que l'histoire actuelle enseigne5. Christiane

Desroches Noblecourt, égyptologue, conservateur en chef honoraire des Antiquités

égyptiennes du Louvre et ancien professeur d'archéologie à l'École du Louvre.

D'une façon générale, aucun archéologue sérieux ne croit plus aujourd'hui que les événements rapportés

dans le livre de Josué ont un fondement historique précis. Des prospections archéologiques, au début des

années 1990, en particulier, ont révélé que la culture israélite a émergé dans les collines du centre du

4 Mais aucune de ces thèses n'utilise une datation des synchronismes par l'astronomie: O.A. TOFFTEEN – Ancient Chronology Chicago 1907 The University of Chicago Press P.J. FURLONG - Aspects of ancient Near Eastern Chronology (c. 1600-700 BC) 2008 The University of Melbourne. 5 C. DESROCHES NOBLECOURT - Symboles de l'Égypte Paris 2004 Éd. Desclée de Brouwer pp. 125-126.

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4 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

pays, en continuité avec la culture cananéenne de l'époque précédente6. Pierre de Miroschedji,

archéologue, directeur de recherche au CNRS, centre de Jérusalem.

Puisque l'histoire des impurs est dépourvue de toute base historique, il est difficile d'admettre avec

Manéthon et Flavius Josèphe que l'expulsion manu militari du pharaon d'Avaris et de ses congénères

soit le même événement que la libération des Hébreux arrachée par Moïse avec l'aide de Dieu... La

grossière invention des scribes égyptiens, digne de la poubelle, ne saurait demeurer dans le dossier des

historiens des temps de la Bible (...) Le travestissement apologétique imaginé par Flavius Josèphe ne

vaut pas mieux que le travestissement diffamatoire de l'Égyptien7. Jean Yoyotte, égyptologue,

titulaire de la chaire d’égyptologie du Collège de France de 1992 à 2000, directeur

d'études à l'École pratique des hautes études.

Cette sortie d'Egypte, connue depuis sous le nom d'Exode, constitue une péripétie essentielle du récit

[Exode 13:14] (...) On en vient presque à oublier un fait fondamental: rien dans l'état actuel de la

documentation égyptienne plus ou moins contemporaine de ces événements, ne vient confirmer ce récit, ni

même faire allusion, ne serait-ce que fugitivement, à l'un des épisodes ou des personnages mentionnés.

Rien!8 Alain Zivie, égyptologue, directeur de recherche au CNRS.

La plupart des historiens prennent le texte biblique de la conquête de Canaan pour une pieuse légende,

une relecture idéologique et théologique des origines d'Israël (...) Ces cités sont, d'après la Bible,

puissamment fortifiées. Or les fouilles archéologiques révèlent le contraire. Donc, aujourd'hui, les fouilles

des cités cananéennes et la lecture des tablettes de Tell el-Amarna révèlent que les victoires de Josué

n'ont eu lieu que sur le papier9; Pour conclure laissons la parole à ces archéologues: “Il n'y a pas eu

d'exode de masse en provenance de l'Egypte. Le pays de Canaan n'a pas été conquis par la violence.

La plupart de ceux qui ont constitué le premier noyau d'Israël étaient des gens du cru. Les premiers

Israélites étaient d'origine cananéenne!”10 Richard Lebeau, égyptologue et historien des

religions au Proche-Orient ancien.

L'archéologie moderne a donc prouvé que le concept d'archives à Jérusalem ayant conservé des écrits du

Xe siècle, est une absurdité fondée sur un témoignage biblique et non sur une évidence factuelle11. Les

récits bibliques se rangeraient donc parmi les mythologies nationales, et n'auraient pas plus de

fondement historique que la saga homérique d'Ulysse, ou celle d'Énée, le fondateur de Rome, chantée

6 P. DE MIROSCHEDJI – Les archéologues réécrivent la Bible in: La Recherche n°391 (novembre 2005) p. 32. 7 J. YOYOTTE – En Égypte, le faux mystère des dynasties hyksos in: Le monde de la Bible n°146 (novembre 2002) pp. 44-45. 8 A. ZIVIE – Les Hébreux en Egypte: réalités et fantasmes in: Historia n°698 (février 2005) p. 59. 9 R. LEBEAU – La Terre promise était acquise in: Historia n°698 (février 2005) pp. 64, 65. 10 R. LEBEAU – L'Exode une fiction théologique in: Histoire Antique n°41 (février 2009) p. 79. 11 I. FINKELSTEIN – Le grand roi? Rien qu'un potentat local in: Historia n°698 (février 2005) p. 73.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 5

par Virgile12. Israel Finkelstein, archéologue israélien, directeur de l'Institut

d'Archéologie de l'Université de Tel-Aviv, auteur du célèbre ouvrage La Bible dévoilée.

L'histoire ne corrobore pas le fabuleux et miraculeux récit de l'Exode tel que nous le conte la Bible.

Maintenant que nous sommes en possession de la récente documentation archéologique sur l'émergence

de l'Israël primitif en Canaan, cette série d'événements survenus dans une terre lointaine et étrangère ne

nous est d'aucune utilité. L'explication historique des origines d'Israël n'a plus besoin de l'Exode.

Aussi dramatique soit-elle, et quel que soit le rôle central que cette histoire ait pu jouer dans l'auto-

identification ultérieure de l'Israël biblique —voire dans la construction de notre identité occidentale—,

elle doit être considérée comme un mythe. Elle représente le type même du mythe fondateur,

caractéristique de nombre de peuples passés ou présents (...) Plutôt que de tenter vainement de défendre

l'historicité de l'Exode, je suggère qu'il vaut mieux interpréter le récit comme un mythe, ou plutôt

comme une “métaphore pour une libération”. William G. Dever, archéologue américain

(université d'Arizona), spécialiste et défenseur (sic) de l'histoire de l'Israël biblique13.

Les raisons invoquées sont les suivantes: absurde; aucun archéologue sérieux ne croit plus

les événements rapportés dans le livre de Josué; digne de la poubelle; fait fondamental: rien; pieuse légende; il

n'y a pas eu d'exode de masse en provenance de l'Egypte; absurdité fondée sur un témoignage biblique; type

même du mythe fondateur. Par ces remarques cinglantes, qui apparaissent à partir de 198014, le

texte de l'Ancien Testament est considéré comme étant sans valeur historique. Cela

implique une conséquence importante: le Nouveau Testament est lui même sans valeur

puisqu'il cautionne intégralement le texte de l'Ancien Testament, on lit en effet: Car si vous

croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit. Mais si vous ne croyiez pas à ce

qu'il a écrit, comment croirez-vous à mes paroles?15. Mais les pharisiens objectèrent: Pourquoi alors Moïse

a-t-il commandé à l'homme de remettre à sa femme un certificat de divorce quand il la répudie? Il [Jésus]

leur répondit: Moïse vous a permis de renvoyer vos épouses parce que vous avez des cœurs de pierre16. Vous

mettez de côté ce que Dieu a prescrit, pour vous attacher à la tradition des hommes! Puis il ajouta: Ah!

vous vous entendez à merveille pour contourner et annuler la Loi de Dieu au profit de votre tradition!

Ainsi, par exemple, Moïse a dit: “Honore ton père et ta mère” (...) n'avez-vous jamais lu dans le livre de

Moïse, lorsqu'il est question du buisson ardent, en quels termes Dieu lui a parlé: Je suis le Dieu

d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob17. Le texte biblique n'est-il qu'une pieuse légende? 12 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée Paris 2002 Éd. Bayard pp. 51-53. 13 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai Paris 2005 Éd. Bayard pp. 255-256. 14 J.K. HOFFMEIER – Israel in Egypt. The Evidence for the Authenticity of the Exodus Tradition New York 1996 Ed. Oxford University Press pp. 3-5. 15 Jean 5:46-47 Pirot et Clamer. 16 Matthieu 19:7-8 Kuen. 17 Marc 7:8-10; 12:26.

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6 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

En rangeant le récit de Moïse parmi les fables pieuses, comme l'enseignent les

égyptologues, on aboutit à un paradoxe étonnant, car les rédacteurs des textes évangéliques,

qui condamnent invariablement les mythes, présentent aussi le récit de Moïse comme

authentique: C'est à ce moment-là que naquit Moïse. C'était un enfant d'une beauté exceptionnelle. Dieu

y prenait plaisir. Pendant trois mois, il fut élevé en cachette dans la maison de son père. Lorsque,

finalement, les parents l'exposèrent (sur le Nil), il fut recueilli par la fille de Pharaon qui l'adopta et le fit

élever comme son propre fils. C'est ainsi que Moïse fut initié à toute la science des Egyptiens et qu'il devint

un habile orateur, aussi bien qu'un homme d'action remarquable. Lorsqu'il eut atteint la quarantaine,

l'idée lui vint de voir dans quelles conditions vivaient ses frères de race, les Israélites. Il désirait leur venir en

aide. Un jour il vit de ses yeux comment on maltraitait l'un d'eux. Il prit sa défense et, pour venger ce frère,

tua l'Egyptien qui l'opprimait. Il pensait que ses frères comprendraient que Dieu voulait se servir de lui

pour les libérer. Mais ils ne comprirent pas. Le lendemain, il survint au moment où deux d'entre eux se

querellaient. Il s'interposa et essaya de réconcilier les adversaires. Mes amis, leur dit-il, n'êtes-vous pas frères

de même race? Pourquoi, alors, vous faites-vous réciproquement du mal? Celui qui était en train de frapper

l'autre et qui était dans son tort le repoussa en disant: De quoi te mêles-tu? Qui t'a demandé d'être notre

chef ou de jouer au juge? Voudrais-tu par hasard aussi me tuer, comme hier tu as tué l'Egyptien? Quand

Moïse entendit cela, il prit la fuite et alla vivre en exilé dans le pays de Madian où il eut deux fils.

Quarante années passèrent. Alors un ange lui apparut dans le désert du Mont Sinaï, au milieu d'une

flamme, dans un buisson de feu. Saisi d'étonnement à ce spectacle, Moïse s'approchait pour le considérer de

plus près, lorsque la voix du Seigneur se fit entendre: “Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d'Abraham,

d'Isaac et de Jacob”. Moïse, tout bouleversé et tremblant, n'osait plus lever les yeux. Alors le Seigneur lui

dit: Ote tes sandales, car l'endroit où tu te tiens est une terre sainte. J'ai regardé et j'ai vu la misère de mon

peuple en Egypte. Je sais qu'il est opprimé et qu'il souffre. J'ai entendu ses gémissements et je suis descendu

pour le délivrer. Et maintenant, je viens: C'est toi que je veux envoyer en Egypte”. Ainsi donc, c'est bien ce

même Moïse —celui que ses frères avaient repoussé en lui disant: De quoi te mêles-tu? Qui t'a demandé

d'être notre chef ou de jouer au juge?— c'est lui que Dieu a envoyé comme chef et libérateur du peuple avec

l'assistance de l'ange qui lui était apparu dans le buisson. Ce fut effectivement lui qui les a fait sortir du

pays de l'esclavage en accomplissant des prodiges et des miracles en Egypte, au passage de la Mer Rouge et,

pendant quarante ans, durant la traversée du désert (Actes 7:20-36). Le Nouveau Testament

retransmet donc fidèlement le Moïse de l'Ancien Testament.

Si Moïse n'était qu'une pieuse légende, il devient difficile d'expliquer pourquoi tous

les rédacteurs chrétiens, tout en retranscrivant sa vie, ont tant insisté pour dénoncer la

futilité des mythes: Je t'ai encouragé à demeurer encore quelques temps à Éphèse pour avertir certains de

ne pas introduire dans leur enseignement des nouveautés qui devient de la vraie doctrine. Qu'ils ne se

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 7

mettent pas à étudier des récits forgés de toutes pièces, à s'occuper de mythes (...) Mais ferme ton esprit aux

mythes impies et sans valeur, ne t'occupe pas de ces contes de bonnes femmes qui n'ont rien à voir avec la

vraie religion (...) Ayant la démangeaison d'entendre des paroles qui chatouillent agréablement leurs oreilles,

ils se détourneront de plus en plus de la vérité et se rabattront vers des mythes (...) C'est pourquoi n'hésite

pas à les reprendre ouvertement pour qu'ils aient une foi saine et cessent de s'intéresser à des légendes juives,

des commandements d'origine purement humaine ou des préceptes formulés par des gens qui tournent le dos à

la vérité (...) En effet, lorsque que nous vous avons fait connaître la puissance de notre Seigneur Jésus-Christ

et que nous vous avons annoncé son Retour, nous ne nous sommes pas laissé berner par des histoires

inventées ou des mythes ingénieusement arrangés18. Condamner les mythes pour mieux propager

celui de Moïse et de l'Exode serait d'une extrême perversité et cette tromperie serait

d'autant plus répréhensible que, selon les ultimes chapitres de la Bible19, les menteurs sont

condamnés à la disparition éternelle. Quel serait le but d'un rédacteur qui condamnerait la

fausseté pour mieux la répandre? Les rédacteurs bibliques seraient-ils tous schizophrènes?

Un croyant rationnel, pour éviter l'incohérence d'avoir une vérité s'appuyant sur des

mythes, pourrait supposer que l'épisode de l'Exode fut en fait un événement mineur dont le

récit fut exagéré par la tradition. Cette dernière explication ne tient pas, car la Cène,

instituée par Jésus lors de la Pâque, constitue la célébration fondamentale du christianisme,

le Christ étant même "l'agneau pascal" de cette Pâque. La foi chrétienne dépend ainsi de cet

événement central: Or il est écrit: “Celui qui est juste à mes yeux et qui me restera fidèle accèdera à la

Vie par la foi (...) Au moment de la naissance de Moïse, ce fut la foi qui donna à ses parents le courage de

le cacher durant trois mois. Frappés par la beauté de l'enfant, ils ne se laissèrent pas intimider par le décret

du roi (ordonnant la mise à mort de tous les enfants mâles). Poussé par cette même foi, Moïse lui-même, une

fois devenu grand, renonça au titre de “fils de la fille de pharaon”. Il choisit de partager les souffrances du

peuple de Dieu plutôt que de jouir —pour bien peu de temps— des joies et des avantages d'une vie dans le

péché. Subir le mépris et les outrages comme le Messie (à venir) lui paraissait un bien plus précieux que tous

les trésors de l'Egypte. Pourquoi? Parce qu'il avait les yeux fixés au loin sur la rétribution finale. Fortifié

par la foi, il brava la fureur du roi et quitta l'Egypte, aussi intrépide et ferme que s'il avait vu de ses yeux

le Dieu invisible. Dans cette même foi, il institua la Pâque et fit répandre (sur les portes) le sang (des

agneaux immolés), pour que l'ange exterminateur épargnât les fils aînés des Hébreux. C'est la foi qui fit

traverser les Israélites la Mer rouge comme on marche sur la terre ferme; les Egyptiens ont bien essayé de les

imiter, mais ils périrent engloutis par les flots20. L'épisode de l'Exode, commémoré par la

célébration de la Pâque, est bien un enseignement fondamental du Nouveau Testament.

18 1Timothée 1:3-4; 4:7; 2Timothée 4:3-4; Tite 1:13-14; 2Pierre 1:16 . 19 Révélation 21:8; 22:18,19. 20 1Corinthiens 5:7; Hébreux 10:38; 11:23-29.

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8 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

L'enseignement de la Bible sur l'Exode et celui des égyptologues sont inconciliables:

mythe d'un côté, vérité historique de l'autre. Si c'est un mythe, l'enseignement de la Bible

n'est plus qu'une gigantesque imposture que l'historien doit dénoncer, si par contre l'Exode

est un fait historique, au même titre que la destruction du temple de Jérusalem en 70 par les

armées romaines, pourquoi le refuser? En effet, même si le récit de l'Exode des Israélites

avait été transmis de façon très déformée à cause d'un antisémitisme latent, il était connu

des historiens de l'Antiquité21. Ce refus n'est pas nouveau puisque après avoir cité les récits

sur l'Exode de Manéthon (-280), de Chaerémon (-100) et de Lysimaque (50), Flavius

Josèphe, historien juif du 1er siècle, précise les raisons de ce refus: Les calomnies à notre adresse

vinrent d'abord des Égyptiens, puis, dans l'intention de leur être agréables, certains auteurs entreprirent

d'altérer la vérité; ils n'avouèrent pas l'arrivée de nos ancêtres en Égypte telle qu'elle eut lieu, ni ne

racontèrent sincèrement la façon dont ils en sortirent. Les Égyptiens eurent bien des motifs de haine et

d'envie: à l'origine la domination de nos ancêtres sur leur pays, et leur prospérité quand ils l'eurent quitté

pour retourner chez eux. Puis l'opposition de leurs croyances et des nôtres leur inspira une haine profonde,

car notre piété diffère de celle qui est en usage chez eux autant que l'être divin est éloigné des animaux privés

de raison. Toute leur nation, en effet, d'après une coutume héréditaire, prend les animaux pour des dieux,

qu'ils honorent d'ailleurs chacun à sa façon, et ces hommes tout à fait légers et insensés, qui dès l'origine

s'étaient accoutumés à des idées fausses sur les dieux, n'ont pas été capables de prendre modèle sur la dignité

de notre religion, et nous ont jalousés en voyant combien elle trouvait de zélateurs. Quelques-uns d'entre eux

ont poussé la sottise et la petitesse au point de ne pas hésiter à se mettre en contradiction même avec leurs

antiques annales, et, bien mieux, de ne pas s'apercevoir, dans l'aveuglement de leur passion, que leurs

propres écrits les contredisaient (Contre Apion I:223-226).

Ce qui est paradoxal c'est que, bien qu'il soit l'inventeur de la chronologie

synchronisée (méthode élaborée en réaction des critiques portées à l'encontre de ses

Antiquités juives), Flavius Josèphe est toujours classé, par certains universitaires, parmi les

apologistes dont l'édifice chronologique manque de base solide22(!), plutôt qu'un historien.

Bien qu'Hérodote soit, lui, le "père de l'histoire", car il est le premier à avoir compris

l'importance de la chronologie dans l'établissement de la vérité historique, ce sont

cependant les copistes Juifs qui furent les premiers à reconstituer une chronologie fondée 21 P. SCHÄFER – Judeophobia. Attitudes toward the Jews in the Ancient World Massachusetts 1997 Ed. Harvard University Press pp. 15-33 J.G. GAGER – Moses in Greco-Roman Paganism New York 1972 Ed. Abingdon Press pp. 113-133. 22 T. REINACH, L. BLUM – Contre Apion Paris 2003 Éd. Les Belles Lettres pp. v, xxix, xxxv. L'auteur reconnaît cependant (ce qui le contredit et en dit long sur les préjugés) que la fidélité des citations de Josèphe est attestée par la comparaison avec des citations indépendantes dues à d'autres compilateurs. De plus, il était dans l'intérêt de Josèphe d'être exact dans sa polémique, car les antisémites alexandrins étaient aux aguets et, comme ils disposaient de bibliothèques bien fournies, la moindre altération volontaire aurait vite été décelée, dénoncée, et aurait porté une atteinte grave à la crédibilité de l'auteur et au succès de sa thèse.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 9

sur une "ère du monde (débutant avec Adam)" au lieu de chronographies nationales. En

effet, les chronologies de Démétrius (220-200), Eupolème (-160) et du Livre des Jubilés (160-

140) indiquent que, dès la fin du 4e siècle avant notre ère, ce type de calculs chronologiques

existait23 (mais n'était pas encore standardisé)24:

Démétrius Eupolème Josèphe

année d'Adam ère chrétienne année d'Adam ère chrétienne ère chrétienne Adam 1 -5307 1 -5307 -5101 Déluge 2264 -3043 994 -4037 -2545 Naissance d'Abraham 3334 -1973 2064 -3243 Entrée de Jacob en Égypte 3624 -1683 2354 -2953 Exode sous Moïse 3839 -1468 2569 -2738 -1650 Destruction du Temple -587

Ces calculs, même s'ils comportent d'importants écarts dus au choix du texte

biblique de référence (Septante au texte massorétique), prouvent que le texte biblique

permet la reconstitution d'une chronologie. Fort de cette évidence, Flavius Josèphe25 avait

lui-même effectué ses propres calculs: Telle fut la fin des rois issus de la famille de David; ils

avaient été au nombre de vingt et un jusqu’au dernier roi et avaient régné en tout 514 ans, 6 mois et 10

jours. Pendant 20 de ces années, le pouvoir avait appartenu au premier de leurs rois, Saül, qui était d’une

tribu différente. Le Babylonien envoie à Jérusalem son général Nabouzardan pour piller le Temple; il avait

ordre aussi de l’incendier ainsi que le palais royal, de raser la ville jusqu’au sol et de transporter le peuple en

Babylonie Nabouzardan, arrivé à Jérusalem la 11e année du règne de Sédécias, pille le Temple, emporte les

vases d’or et d’argent consacrés à Dieu, ainsi que le grand bassin dédié par Salomon; il prit même les

colonnes d’airain avec leurs chapiteaux, les tables d’or et les candélabres. Après avoir enlevé ces ornements,

il mit le feu au Temple le 1er jour du 5e mois, la 11e année du règne de Sédécias, 18e de Nabuchodonosor. Il

incendia également le palais et rasa la ville. Le Temple fut incendié 470 ans, 6 mois et 10 jours après son

édification: il y avait alors 1062 ans, 6 mois, 10 jours que le peuple était sorti d’Égypte. Depuis le déluge

jusqu’à la destruction du Temple, il s’était écoulé en tout 1957 ans, 6 mois, 10 jours. Et depuis la

naissance d’Adam jusqu’aux événements relatifs au Temple, 4513 ans, 6 mois, 10 jours. Voilà pour le

compte des années: quant à ce qui s’est accompli dans cet intervalle, nous l’avons indiqué événement par

événement. Flavius Josèphe va se servir de cette chronologie pour prouver l'historicité de ses

Antiquités juives. Il s'agissait bien d'une démarche scientifique et non religieuse (même si

l'origine de l'ère fait référence à un personnage biblique). Il expose la raison et la manière

de ses démarches: J'ai déjà suffisamment montré, je pense, très puissant Épaphrodite, par mon histoire

23 É. PUECH – Qumrân grotte a XXVII in: Discoveries in the Judaean Desert XXXVII 2009 Ed. Clarendon Press pp. 263-267. 24 J. FINEGAN - Handbook of Biblical Chronology Massachusetts 1999 Ed. Hendrickson Publishers p. 145. 25 Antiquités juives X:127-130.

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10 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

ancienne, à ceux qui la liront, et la très haute antiquité de notre race juive, et l'originalité de son noyau

primitif, et la manière dont elle s'est établie dans le pays que nous occupons aujourd'hui; en effet 5000 ans

sont compris dans l'histoire que j'ai racontée en grec d'après nos Livres sacrés. Mais puisque je vois bon

nombre d'esprits, s'attachant aux calomnies haineuses répandues par certaines gens, ne point ajouter foi aux

récits de mon Histoire ancienne et alléguer pour preuve de l'origine assez récente de notre race que les

historiens grecs célèbres ne l'ont jugée digne d'aucune mention, j'ai cru devoir traiter brièvement tous ces

points afin de confondre la malveillance et les mensonges volontaires de nos détracteurs, redresser l'ignorance

des autres, et instruire tous ceux qui veulent savoir la vérité sur l'ancienneté de notre race. J'appellerai, en

témoignage de mes assertions, les écrivains les plus dignes de foi, au jugement des Grecs, sur toute l'histoire

ancienne; quant aux auteurs d'écrits diffamatoires et mensongers à notre sujet, ils comparaîtront pour se

confondre eux-mêmes. J'essaierai aussi d'expliquer pour quelles raisons peu d'historiens grecs ont mentionné

notre peuple ; mais, d'autre part, je ferai connaître les auteurs qui n'ont pas négligé notre histoire à ceux qui

les ignorent ou feignent de les ignorer (...) Ainsi, c'est l'absence, à la base de l'histoire, de toutes annales

antérieures, propres à éclairer les hommes désireux de s'instruire et à confondre l'erreur, qui explique les

nombreuses divergences des historiens. En second lieu, il faut ajouter à celle-là une cause importante. Ceux

qui ont entrepris d'écrire ne se sont point attachés à chercher la vérité, malgré la profession qui revient

toujours sous leur plume, mais ils ont fait montre de leur talent d'écrivain; et si par un moyen quelconque ils

pensaient pouvoir en cela surpasser la réputation des autres, ils s'y pliaient, les uns se livrant aux récits

mythiques, les autres, par flatterie, à l'éloge des cités et des rois. D'autres encore s'adonnèrent à la critique

des événements et des historiens, dans la pensée d'établir ainsi leur réputation. Bref, rien n'est plus opposé à

l'histoire que la méthode dont ils usent continuellement. Car la preuve de la vérité historique serait la

concordance sur les mêmes points des dires et des écrits de tous; et, au contraire, chacun d'eux, en donnant

des mêmes faits une version différente, espérait paraître par là le plus véridique de tous. Ainsi pour

l'éloquence et le talent littéraire nous devons céder le pas aux historiens grecs, mais non point aussi pour la

vérité historique en ce qui concerne l'antiquité, et principalement quand il s'agit de l'histoire nationale de

chaque pays26. La méthode est excellente, et c'est d'ailleurs grâce à Flavius Josèphe que nous

est parvenue la chronologie des dynasties égyptiennes établies par le prêtre Manéthon.

Sans les travaux chronologiques de Flavius Josèphe sur la Bible, et malgré ses

défauts, nous ne pourrions établir la chronologie égyptienne actuelle. En effet, par une

ironie de l'histoire, les égyptologues qui refusent la chronologie israélite ne sont pas

conscients d'une double inconséquence: 1) si la chronologie israélite devait être rejetée à

cause d'un manque de fiabilité il faudrait aussi rejeter, pour les mêmes raisons, la

chronologie égyptienne fondée sur les chiffres de Manéthon et 2) il faudrait retirer le seul

26 Contre Apion I:1-5,23-27.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 11

point d'ancrage de la 3e période intermédiaire puisque celui-ci dépend du règne de Chéchanq Ier

(945-924) qui est lui-même calé sur la 5e année de Roboam calculée par Thiele!

De façon surprenante une des rares dates pivots en égyptologie (-945) provient d'un

synchronisme avec la chronologie biblique calculée par Thiele27! En effet, selon Kitchen28

l'attaque de Jérusalem par Chéchanq Ier qui coïncide avec sa campagne en Palestine

(mentionnée sur une stèle datée de sa 21e et dernière année de règne) doit être datée de la 5e

année de Roboam29. En s'appuyant ensuite sur la chronologie de Thiele, datant le règne de

Roboam (930-913), il date sa 5e année en 925 (= 930 - 5), en supposant que la campagne

dut se dérouler juste avant l'an 21 de Chéchanq Ier (accession en 945 = 925 + 20). Si la

coïncidence avec l'an 21 est supposée30, celle avec l'an 5 est attestée31. La chronologie

biblique de Thiele est erronée (!), car il l'a ancrée sur un synchronisme supposé et non réel

ce qui l'a décalée d'environ 45 ans. En effet, il a supposé que le tribut payé au roi assyrien

Pul par Ménahem était le même que celui mentionné dans les annales du roi babylonien

Pulu (surnom de Tiglath-phalazar III). Or, cette équivalence est impossible, Ménahem

ayant régné (771-760), 40 ans avant Pulu (728-727). Selon le texte biblique, le roi assyrien

Pul a précédé le roi assyrien Tiglath-phalazar III, car on lit32: Le dieu d'Israël excita l'esprit de

Phul, roi d'Assyrie, et l'esprit de Thelgathphalnasar, roi d'Assyrie, il n'y a donc pas d'équivalence.

Pulu est présenté comme un roi babylonien et non comme un roi assyrien et ce nom ne fut

jamais employé dans les textes babyloniens et assyriens33. Autre paradoxe, le tribut de

Ménahem (Me-ni-hi-im-me alSa-me-ri-na-a-a) apparaît dans les annales de Tiglath-phalazar III

avant sa 9e campagne34, soit en -737, presque 10 ans avant qu'il ne devienne roi de Babylone

sous le nom de Pulu. Ce synchronisme est donc anachronique et ne peut être utilisé pour

ancrer la chronologie israélite. Les thèses universitaires actuelles sur la chronologie israélite

montrent donc que le règne de Roboam doit débuter vers 980, avec un règne de 981-96435

27 E.R. THIELE – The Mysterious Numbers of the Hebrew Kings Grand Rapids 1983 Ed. The Zondervan Corporation p. 10. 28 K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans pp. 30-34,108-110. 29 1Rois 14:25,26; 2Chroniques 12:2-9. Le nom Chéchanq est écrit Šyšq et vocalisé Shishaq dans le texte massorétique, mais Šš(n)q dans les cartouches égyptiens. Le n devait vraisemblablement être nasalisé car il manque dans certains cartouches, ce qui induirait une prononciation Chéchanq. Ce nom a été vocalisé Su-si-in-qu dans les annales d'Assurbanipal (en -668), laissant supposer une prononciation Shoshenq, mais les transcriptions akkadiennes des noms égyptiens sont souvent peu fidèles à l'original. 30 Le pylône où apparaît la scène de triomphe a été achevé par Ioupout un fils du roi, le II Shemou [?] de l'an 21, soit peu avant la mort de Chéchanq Ier (R.A. CAMINOS – Gebel Es-Silsillah n°100 in: Journal of Egyptian Archaeology 38 (1952) pp. 46-61), ce qui n'implique pas de lien immédiat avec la campagne en Palestine, mais plutôt un délai de plusieurs années avant cet an 21, durée nécessaire à la construction à la construction du bâtiment commémorant le triomphe. 31 K.A. WILSON – The Campaign of Pharaoh Shoshenq I into Palestine 2005 Tübingen Ed. Mohr Siebeck pp. 97-99. 32 1Chroniques 5:26 (Bible de Pirot-Clamer). 33 G. FRAME – Babylonia 689-627 B.C. Istanbul 1992 Ed. Nederlands Historish-Archaeologish Instituut pp. 303-305. 34 D.D. LUCKENBILL – Ancient Records of Assyria and Babylonia Chicago 1926 Ed. The University of Chicago Press pp. 276,277. 35 M.C. TETLEY – The Reconstructed Chronology of the Divided Kingdom Winona 2005 Ed. Eisenbrauns pp. 179-180.

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12 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

ou de 975-95936 et non de 930-913, soit un décalage de 45/50 ans. Malgré les progrès dans

la précision de la chronologie israélite, les égyptologues actuels (dans leur immense

majorité), ainsi que les archéologues, refusent toujours d'en tenir compte. Quelles sont les

raisons de ce refus? La réponse de Christiane Desroches Noblecourt dans son courrier,

daté du 9 août 2002, est révélatrice, elle écrit: Votre documentation sur ce que l'on peut s'imaginer

de l'Exode est impressionnante et m'a beaucoup intéressée. En ce qui me concerne, comme vous devez le

savoir, je ne suis absolument pas spécialiste de la question, mais j'ai dû m'y intéresser "de loin" lorsque j'ai

organisé l'exposition Ramsès II puis, par la suite au moment où j'ai écrit mon livre sur Ramsès. A cette

époque, il me fallait faire au moins allusion à l'Exode puisque certains auteurs en avaient parlé. Vous

avez dû constater que j'avais été prudente et qu'il s'agissait surtout de situer le contexte correspondant à

certains détails du récit biblique. Mais rien ne pouvait me permettre d'être réellement affirmative. Et, depuis

cette époque, je me range de plus en plus aux côtés de mon excellent collègue et ami, le Prof. Claude

Vandersleyen qui place le contexte éventuel de la légende, j'écris bien la légende de l'Exode autour du départ

d'Égypte des Hyksos (...) Enfin pour répondre à certains intégristes qui veulent absolument que David et

Salomon aient existé, faut-il se référer au travail de deux archéologues israéliens Israël Finkelstein et Asher

Silberman. Les nouvelles révélations de l'archéologie (Bayard Éditions). Les précisions de cette

éminente égyptologue sont sidérantes, bien qu'elle ne soit "absolument pas spécialiste de la

question" et qu'elle prétende ne pas être affirmative, elle se contredit immédiatement en

affirmant de façon dogmatique "l'Exode est une légende" et elle accuse même ceux qui

croient à l'existence de David et de Salomon d'être des intégristes (le monde est donc plein

d'intégristes, à l'exception bien sûr des égyptologues et des archéologues). Quels sont les

arguments permettant des conclusions aussi provocantes? Aucun, sinon la référence à deux

universitaires. Quels sont les arguments invoqués par les spécialistes pour refuser à la Bible

sa prétention à être un document historique ?

LA "VERITE" EST-ELLE HISTORIQUE OU ARCHEOLOGIQUE?

Dans son livre La Bible dévoilée, l'archéologue israélien Finkelstein expose les raisons

de douter de l'authenticité de la Bible. Le titre même du livre "dévoile" son caractère

subversif, et le sous-titre "Les nouvelles révélations de l'archéologie" est une prétention

quasi religieuse. Il écrit: Les savants qui prêtaient foi au compte rendu biblique commettaient l'erreur de

croire que l'ère des patriarches devait à tout prix être considérée comme la phase première d'une histoire

séquentielle d'Israël. Les spécialistes de la critique textuelle, qui avaient identifié les sources distinctives sous-

36 F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament Texas 2005 Ed. Master Books pp. 170-173,326.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 13

jacentes du texte de la Genèse, répétaient avec insistance que le récit des patriarches avait été couché par écrit

à une date relativement récente, qu'ils situaient à la période monarchique (Xe-VIIIe siècles av. J.C.) ... Les

récits bibliques se rangeraient donc parmi les mythologies nationales, et n'auraient pas plus de fondement

historique que la saga homérique d'Ulysse, ou celle d'Énée, le fondateur de Rome (...) L'histoire des

patriarches est pleine de chameaux (...) Or, l'archéologie révèle que le dromadaire ne fut pas domestiqué

avant la fin du IIe millénaire37. Finkelstein fait référence à la critique biblique de Wellhausen,

pour dater les récits du Pentateuque, or cette "critique" est sérieusement critiquée38 (ce qui

est un comble). De plus, bien qu'il connaisse l'excellent travail de Bulliet sur la

domestication du chameau à la fin du 3e millénaire avant notre ère, il ne le cite jamais (on

comprend pourquoi). Concernant l'existence de David et Salomon39, après avoir précisé

Posée de façon aussi abrupte, cette question risque de paraître intentionnellement provocatrice, il écrit:

David et Salomon ont été élevés, au cours des siècles, au rang d'icônes religieuses auréolées d'un tel prestige

—tant par le judaïsme que par le christianisme— que les déclarations récentes de certains biblistes

radicaux, qui affirment que le roi David n'a pas davantage « de validité historique que le roi Arthur », ont

été accueillies dans les cercles religieux et scientifiques avec un mépris hautain et scandalisé. Des historiens

de la Bible comme Thomas Thompson et Niels Peter Lemche, de l'université de Copenhague, et Philip

Davies, de l'université de Sheffield, que leurs détracteurs surnomment les « minimalistes bibliques », n'ont

en effet pas hésité à déclarer que David et Salomon, la monarchie unifiée, en réalité l'entière description

biblique de l'histoire d'Israël, n'étaient rien de plus que des montages idéologiques, habilement élaborés,

effectués par les différents cercles sacerdotaux de Jérusalem, durant la période postexilique, voire

hellénistique. D'un point de vue purement littéraire et archéologique, certains arguments plaident en faveur

des minimalistes. La lecture attentive de la description biblique du règne de Salomon démontre clairement

qu'il s'agit de la peinture d'un passé idéalisé, d'une sorte d'âge d'or, nimbé de gloire. Le compte rendu de ses

fabuleuses richesses (...) abonde en détails trop excessifs pour être crédibles. En outre, en dépit de leurs

prétendues richesses et pouvoirs, ni David ni Salomon ne figurent dans aucun texte égyptien ou

mésopotamien. Enfin, Jérusalem ne contient pas le moindre vestige archéologique des célèbres constructions de

Salomon. Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour et sur la colline du Temple, au cours du XIXe siècle

et au début du XXe siècle, n'ont pas permis d'identifier ne serait-ce qu'une trace du Temple de Salomon et

de son palais (...) Quant aux édifices monumentaux attribués jadis à Salomon, les rapporter à d'autres rois

paraît aujourd'hui beaucoup plus raisonnable. Les implications d'un tel réexamen sont énormes. En effet,

s'il n'y a pas eu de patriarches, ni d'Exode, ni de conquête de Canaan —ni de monarchie unifiée et

37 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée Paris 2002 Éd. Bayard pp. 50, 51. 38 P. GUILLEMETTE, M. BRISEBOIS – introduction aux méthodes historico-critiques Québec 1987 Éd. Fides pp. 232-238. 39 La Bible dévoilée pp. 150, 154-156.

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14 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

prospère sous David et Salomon—, devons-nous en conclure que l'Israël biblique tel que nous le décrivent

les cinq livres de Moïse, et les livres de Josué, des Juges et de Samuel, n'a jamais existé. Pour résumer

cette argumentation nihiliste: en dehors des vérités archéologiques point de salut, car toute

histoire ne peut être que mythique. Cette conception du passé est extrêmement subversive.

En effet, du point de vue archéologique, l'existence des chambres à gaz, par exemple (que

j'ai choisi à dessein pour illustrer les conséquences dramatiques de cette idéologie), ne

peuvent être prouvées, ce qui conduirait à la conclusion choquante d'un "mythe des

chambres à gaz". Finkelstein40 explique le but de son travail: Tout ceci démontre le pouvoir

extraordinaire de l'archéologie, témoin en temps réel des événements. L'archéologie doit prendre l'initiative

dans l'écriture de l'histoire de l'ancien Israël; non pas l'archéologie biblique traditionnelle, qui a assujetti

l'archéologie au texte et l'a surtout utilisée de manière « décorative » pour illustrer les histoires bibliques,

mais l'archéologie moderne, débarrassée de toute influence, indépendante (...) l'archéologie est le seul témoin

de l'histoire du Xe siècle avant notre ère. En réalité, l'archéologie va bien plus loin que cela. Elle peut aussi

largement nous renseigner sur les textes eux-mêmes (...) Me considérant comme un « historien qui pratique

l'archéologie », je traiterai avant tout d'histoire politique (...) Il faut reconnaître que nous manquons

cruellement de documents historiques pour le fer I, période allant de la fin du XIIe à la fin du Xe siècle av.

J.C. Bien que le texte biblique ait pu préserver des parcelles de souvenirs anciens, le matériau utilisé dans

les livres de Josué et des Juges n'a que peu de rapport avec cette histoire formative de l'histoire de l'ancien

Israël (...) Il va sans dire que je vais utiliser le système de la chronologie basse pour la datation des strates de

l'âge de fer (...) Je pense que la notion de grand État pan-israélite au Xe siècle av. J.C. est une invention des

historiens deutéronomistes et a été dictée par l'idéologie de Juda pendant la monarchie tardive.

Il faudrait, selon Finkelstein, remplacer les historiens par les archéologues pour

écrire l'histoire d'Israël. Formidable retour en arrière41. En effet, depuis Hérodote, les

historiens se sont efforcés d'améliorer la chronologie afin de trier entre les fables et

l'histoire, les archéologues, qui ne peuvent dater leurs objets bien souvent qu'à un siècle

près, voire pas du tout dans le cas des édifices en pierres, prétendent refaire l'histoire. Sans

chronologie, l'histoire ne serait qu'une branche de la philosophie, sans les historiens,

l'archéologie ne peut être qu'une nouvelle branche de la mythologie. Dever42 résume le

processus actuellement en cours: À la relecture de tout ce que Finkelstein a écrit sur le sujet, trois

choses en particulier me surprennent. Premièrement, contrairement aux autres savants que j'ai mentionnés,

40 I. FINKELSTEIN – Un archéologue au pays de la Bible Paris 2008 Éd. Bayard pp. 32, 33, 52, 53. 41 Les historiens savent depuis longtemps que les faits n'existent pas en eux-mêmes, il faut se servir des témoignages historiques, puis les replacer dans le temps grâce à une chronologie précise, afin de dissocier les causes des conséquences. Les archéologues qui prétendent faire parler les pierres ‘oublient’ qu'ils en deviennent les ventriloques, comme le prouvent les querelles entre leurs différentes chapelles. 42 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai Paris 2005 Éd. Bayard pp. 171-173, 245, 263..

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 15

il ne donne aucune description claire et digne d'être citée de l'entité qu'il a jadis appelée l'« Israël primitif »

(...) Deuxièmement, dans les débats d'après 1995 (ceux de 1996, 1997, 1998, en particulier), il ne cesse

de se répéter, parfois mot pour mot. Troisièmement, Finkelstein rejette systématiquement toutes mes critiques

dans ses publications, mais il ne trouve à leur opposer que des attaques personnelles au lieu de données

concrètes, qu'elles soient anciennes ou nouvelles. Non content de déformer mes propos (je n'ai jamais été un«

gottwaldien »), il me prend pour un « archéologue biblique », alors que je critiquais déjà cette approche

quand Finkelstein allait encore à l'école. Ces remarques illustrent les motivations derrière le débat

dit "scientifique", dans lequel le fait d'être qualifié "d'archéologue biblique" constitue une

insulte insupportable. En fait, contrairement à leur prétendue neutralité, les archéologues

sont les parties prenantes d'un débat idéologique. Dever conclut ainsi son analyse: Ce qui

précède se voulait une analyse critique des données archéologiques et bibliques en notre possession sur les

origines d'Israël. Tout au long de cet exposé, j'ai tenté de démontrer que les témoignages archéologiques les

plus récents, dont certains représentent une révolution dans ce domaine, doivent être dorénavant considérés

comme notre source primordiale pour l'écriture (ou la réécriture) de l'histoire des débuts d'Israël. Cette

affirmation catégorique de la primauté de l'archéologie en matière de recherche historique n'en pose pas

moins un problème: elle relègue le texte biblique, avec ses hautes traditions, à un rang subalterne en tant que

source. On pourrait même l'interpréter comme un rejet global de la Bible. Il devient en effet tentant d'ignorer

les récits bibliques sur les origines d'Israël et son émergence historique en les prenant pour des textes de

propagande théocratique trop tardifs, parfois divertissants, quelquefois édifiants, mais entièrement fictifs.

Une porte est ouverte à travers laquelle ne manqueront pas de s'engouffrer les révisionnistes, déjà trop enclins

à se servir du scepticisme des archéologues pour justifier leur programme nihiliste. Qu'est-ce qui motive

cette démolition programmée de l'histoire biblique (et aussi par extension de l'histoire en

général)? Dever en dévoile les raisons: Balter introduit avec soin la façon dont les diverses idéologies,

religieuses ou politiques, se servent de l'archéologie à des fins douteuses. Comme je lui ai dit: « Nous nous

sommes tellement battus pour faire de l'archéologie une discipline respectable, pour la libérer de ce genre de

problème émotionnels... Nous y voilà de nouveau plongés jusqu'au cou ! » Balter fait correctement le lien

entre le révisionnisme biblique originel et le nouveau révisionnisme archéologique. Il explique comment

Hamid Sali, un jeune archéologue palestinien de l'université de Birzeit, se disait ravi de pouvoir enfin

fouiller le sol de sa propre patrie (...) Khaled Nashef est un partisan fervent et redoutablement efficace de

l'engagement de l'archéologie locale dans la cause palestinienne. Il déclare que l'histoire de la Palestine a été

trop longtemps écrite et définie par les « archéologues bibliques », chrétiens ou israéliens. À présent, dit-il, il

appartient aux Palestiniens de réécrire cette histoire, en commençant par la redécouverte archéologique de

l'ancienne Palestine. Effectivement, selon le texte biblique, c'est Dieu qui autorise les Israélites

à expulser des Cananéens de leur terre. S'agit-il d'une interprétation religieuse?

Page 16: Chrono israelite1

16 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

On le voit, l'interprétation archéologique n'est jamais neutre, ni religieusement, ni

politiquement. De plus, sans chronologie précise, les objets archéologiques sont souvent

ininterprétables, ce qui laisse donc place à toutes les spéculations43. Dans ces conditions,

comment reconstituer l'histoire d'Israël ? Il faut laisser l'affaire aux mains des historiens, et

la meilleure méthode, instaurée par Hérodote, est celle qui s'appuie sur des synchronismes

historiques qui peuvent être datés par l'astronomie.

COMMENT RECONSTITUER L'HISTOIRE D'ISRAËL?

Roland de Vaux44 expose en préface la méthode utilisée pour reconstituer l'histoire

d'Israël, il écrit: J'ai longtemps hésité sur le titre qu'aurait cet ouvrage. Le nom d'« Histoire d'Israël »,

donné souvent à des travaux analogues, a semblé inadéquat. En effet, « Israël » n'émerge dans l'histoire que

comme le nom collectif donné à un groupe de tribus après leur installation en Canaan. Devenu une entité

politique par l'institution de la monarchie sous Saül, réduit au royaume du Nord après la mort de

Salomon, cet « Israël » a cessé d'exister politiquement lorsque la chute de Samarie a consommé la réduction

du royaume du Nord en provinces assyriennes (...) D'un autre côté, le nom d'« Israël », avec sa connotation

religieuse, est à partir du retour de l'Exil en compétition avec celui de « Judaïsme », désignant un

mouvement qui, malgré toutes ses attaches avec le passé, est assez original pour justifier un nom nouveau

(...) Puisque l'Ancien Testament est la source principale de cette histoire, la recherche doit partir de l'étude

de son texte (...) La critique historique, enfin, travaille sur les éléments ainsi rassemblés. Elle recourt à

l'Ancien Testament lui-même mais elle fait appel à des témoignages externes : la géographie humaine et

historiques des territoires externes ; les textes anciens du Proche-Orient qui, par milliers, nous renseignent

sur les peuples voisins d'Israël et permettent de reconstruire leur histoire, ou qui, rarement, contiennent une

référence directe à un personnage ou à un événement de la Bible, ou qui, trouvés en Palestine ; l'archéologie

qui illustre ces textes orientaux et ceux de l'Ancien Testament qui les complète lorsqu'ils sont défaillants.

Aucun historien ne conteste la nécessité de tenir compte à la fois du texte biblique et de tout l'apport des

découvertes récentes. Il paraît effectivement raisonnable de restreindre l'histoire de l'ancien

Israël à une période commençant au plus tôt avec Abraham, puisque avant lui il n'y a pas de

peuple (et donc pas de trace), et finissant au plus tard avec Bar-Kokhba, puisque après ce

personnage il n'y a plus de peuple localisé mais seulement une diaspora juive. La méthode

consistant à comparer les textes anciens avec les inscriptions et les données archéologiques

est excellente, même si les résultats sont généralement limités.

43 A. MAZAR – Archeology of the Land of the Bible New York 1990 Ed. Doubleday pp. 28-34, 232-530. 44 R. DE VAUX – Histoire ancienne d'Israël Paris 1986 Éd. Gabalda pp. 7-10.

Page 17: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 17

Selon le texte biblique, Abraham était originaire d'Ur, personnage puissant45, il

aurait vécu autour de -1900. Le livre de la Genèse46 donne les noms de ses ancêtres

immédiats: Térah, Nahôr et Seroug. Selon l'archéologie la ville d'Ur a bel et bien existé.

C'était une ville prestigieuse de Sumer qui eut son apogée vers la fin du 3e millénaire avant

notre ère. Les noms très rares des ancêtres d'Abraham ont été retrouvés dans le nord de la

Mésopotamie, sous la forme Ša-ru-gi (Seroug) dans un document de Tello daté de la IIIe

dynastie d'Ur III (2020-1912), et sous la forme Na-ḫa-rum (Nahôr) dans un document de la

même époque à Nippur47. Un document de Mari48 précisant même que la ville de Nahour

était proche de Harrân49. L'archéologie a montré que Harrân fut une ville prospère à la fin

du 3e millénaire avant notre ère, période durant laquelle la Genèse place la vie d'Abraham,

puis cette ville végéta entre -1800 et -700.

Même s'il est le plus souvent difficile de dater avec précision les événements

bibliques par l'archéologie, car ils sont nécessairement lacunaires sur ces époques reculées,

certains détails donnent des renseignements que l'on peut comparer à des empreintes

digitales. C'est d'ailleurs grâce à ces détails insoupçonnés que l'on peut déterminer si un

récit peut être classé comme historique ou mythologique du type "il était une fois". Trois

éléments apparemment anodins (à l'époque de la rédaction), permettent ainsi de dater un

événement de manière assez précise, soit:

1) Le taux d'inflation du prix d'un esclave. 2) La proportion de certains noms dans les documents. 3) La structure des traités connus. 4) La présence de mots rares liés à une époque précise.

1) Le premier élément de vérification de la chronologie israélite est fourni par

l'évolution du prix d'un esclave. Celui-ci a augmenté avec le temps50, phénomène qu'on

appelle inflation. Il est de 10 à 15 shekels à Akkad (-2200), de 10 shekels à Ur III (-2000),

de 20 shekels dans le code d'Hammurabi et à Mari (-1700), de 30 shekels à Nuzi (-1400),

entre 20 et 40 shekels à Ugarit (-1300), de 50 à 60 shekels en Assyrie (900-800), et entre 90

et 120 shekels au début de l'époque perse (600-500). 45 Genèse 11:31; 14:14. 46 Genèse 11:22-26. 47 R. DE VAUX - Histoire ancienne d'Israël des origines à l'installation en Canaan Paris 1986 Éd. Gabalda p. 185. 48 G. ROUX - La Mésopotamie Paris 1995 Éd. Seuil p. 256. The Biblical Archaeologist 1948 p. 16. 49 Genèse 29:4,5. 50 E.M. BLAIKLOCK - The New International Dictionary of Biblical Archaeology Michigan 1983 Ed. Zondervan Publishing House p. 417. P. GARELLI, J.M. DURAND, H. GONNET, C. BRENIQUET - Le Proche-Orient Asiatique Paris 1997 Éd. P.U.F. pp. 278-288.

Page 18: Chrono israelite1

18 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

La corrélation entre la datation biblique et la période où les événements sont censés

se produire est excellente. Le prix de 20 shekels fixé pour acheter Joseph (à l'âge de 17 ans)

comme esclave51 est en accord avec la période où il fut vendu (-1770), comme celui de 30

shekels en Exode52 avec la période où Moïse est censé avoir vécu (-1500). De même, le prix

de 50 shekels53 correspond à la période où régna Ménahem (-770). Enfin, le prix de 90

shekels (3x30) se déduit à partir du texte de Zacharie54 qui écrivit vers -520. La somme de

30 shekels représentait un mois de salaire soit le tiers du prix d'un esclave. En effet, un

shekel valait 3 deniers, et un denier correspondait à une journée de travail au 1er siècle55.

2) Le deuxième élément de vérification de la chronologie israélite provient de la

proportion des noms amorites comportant une forme conjuguée à l'imparfait (commençant

souvent par un i ou un y) par rapport à l'ensemble des noms à une période donnée. Il est

évident que certains noms (ou prénoms) sont caractéristiques d'une époque, ce qui permet

de les dater. Une étude56 portant sur 360 noms akkadiens du 3e millénaire avant notre ère, a

montré une proportion de 20% de noms à l'imparfait, dont 80% commençant par y/i. Une

autre étude57 portant sur 6000 noms a révélé que vers -1800 il y en avait 16% à l'imparfait,

dont 55% commençant par y/i. Autour de -1300 sur 4050 noms il n'y en a plus que 2% à

l'imparfait, dont 30% commençant par y/i. Au début du 1er millénaire avant notre ère, sur

5000 noms, il n'en reste que 0,25% à l'imparfait, dont 1,6% commençant par y/i: 51 Genèse 37:28. 52 Exode 21:32. 53 2Rois 15:20. 54 Zacharie 11:8,12. 55 Matthieu 20:2. 56 R.A. DI VITO - Studies in Third Millenium Sumerian and Akkadian Personal Names Roma 1993 Ed. Pontificio Istituto Biblico pp. 306-317. J. BRIGHT - A History of Israel London 1980 ED. SCM pp. 77, 78. K.A. KITCHEN - Ancient Orient and the Old Testament Chicago 1966 Ed. IVP pp. 48, 49. D.J. WISEMAN F.E. GAEBELEIN - Archaeology & The Old Testament in: Expositor’s Bible Commentary, Vol. 1, Grand Rapids 1983 Ed. Zondervan p. 316. 57 K.A. KITCHEN - Ancient Israel. A Short History from Abraham to the Destruction of the Tem. 1989 in: Themelios 15:1 Ed. H. Shanks pp. 25-28.

Page 19: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 19

Dans les chapitres 16 à 50 du livre de la Genèse apparaissent vingt-quatre

descendants d'Abraham, dont quatre ont un nom commençant par y/i (Ismaël, Isaac,

Jacob, Joseph), soit une proportion de 16%. La période où ces personnages ont vécu

s'étend de -2000 à -1750 selon la Bible, ce qui est effectivement en très bon accord avec ces

données archéologiques. Détail digne d'intérêt, toutes les divinités dont le nom commence

par y/i sont très anciennes, en fait avant le 2e millénaire avant notre ère; par exemple:

Ishtar, Il, Igigi, Inanna, Ishkur, Ishara, Inshushinak, etc.

3) Le troisième élément de vérification de la chronologie israélite provient de la

structure des traités, également caractéristique de chaque époque. Une étude58 portant sur

cinquante-sept traités a montré que ceux-ci comportaient des parties spécifiques (témoins,

titres, serments, engagements, malédictions, bénédictions, rappels historiques) présentés

dans un ordre caractéristique propre à chaque époque.

La Bible rapporte trois traités conclus à l'époque patriarcale: celui d'Abraham avec

Abimélek en Genèse 21, celui d'Isaac avec Abimélek en Genèse 26, et celui de Jacob avec

Laban en Genèse 31. Ces trois traités ont la même structure:

1) des témoins59;

2) un serment60;

3) des engagements61;

4) des malédictions et des bénédictions62.

58 K.A. KITCHEN - The Patriarchal Age: Myth or History 1995 in: Biblical Archaeology Review 21:2 pp. 48-57, 88-95. K.A. KITCHEN, R.S. HESS - Genesis 12-50 in the Near Eastern World Cambridge 1993 in: He Swore an Oath Ed. Tyndale House pp. 67-92. 59 Genèse 21:22; 26:28; 31:44-52. 60 Genèse 21:23; 26:28; 31:44. 61 Genèse 21:24,30; 26:29; 31:52. 62 Genèse 21:33; 26:29; 31:53.

Page 20: Chrono israelite1

20 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Les trois traités bibliques de l'époque patriarcale cadrent exactement avec ceux qui

existaient au début du 2e millénaire avant notre ère, d'après les données archéologiques et

linguistiques. Cette confrontation est pertinente puisqu'elle compare des données

sensiblement du même lieu et de la même époque.

4) Le quatrième élément de vérification de la chronologie israélite provient de la

présence de mots rares liés à une époque déterminée dans le temps. Cette méthode de

datation par l'analyse linguistique n'est possible que si le corpus est bien documenté, ce qui

est rarement le cas. Le mot manne, par exemple, est traduit par "qu'est-ce [que c'est]?63". Or

ce mot "manne" est légèrement différent de sa définition hébraïque mâ-hou. Certains

linguistes expliquent cet écart en invoquant une étymologie populaire basée sur le syriaque

ou l'araméen tardif. Cette explication érudite n'est pas satisfaisante puisque le mot manne

signifie "qui" et non "qu'est-ce" dans ces deux langues. La forme des pronoms interrogatifs

dans les langues sémitiques anciennes64, est la suivante:

Qui Quoi Langue attestée de - à: Égyptien ancien/moyen m m -2500 -1500 Akkadien ancien man min -2500 -2000 Assyro-Babylonien mannu(m) mînu(m) -1900 -600 Amorite manna ma -2500 -1500 Ugaritique my mh, mn -1500 -1100 Cananéen ancien miya manna -1800 -1100 Phénicien my m -1000 300 Hébreu mî mâ -1000 500 Araméen ancien/moyen man mâ -900 200 Syriaque ancien man mâ 0 200

63 Exode 16:15. 64 E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 336,337.

Page 21: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 21

Le mot manne existait en cananéen ancien et avait le sens de "qu'est-ce", il se trouve

écrit sous la forme ma-an-na dans une lettre à El-Amarna (EA 286), datée autour de -1350.

Cette vocalisation est conservée par la Septante et par le Nouveau Testament. Le cananéen

ancien est un hébreu teinté d'akkadien65, utilisé par des scribes dans leur correspondance

avec Canaan. Or, cet ancien dialecte a disparu après -1100. Un autre exemple d'étymologie,

attestant de la très haute antiquité du texte biblique, est fourni par le mot hanikayw "ses

hommes d'élite" en Genèse 14:14. Cet hapax, dont on ignorait encore le sens exact il y a

peu, fut découvert dans des textes égyptiens d'exécration datés en 1900-1800 pour qualifier

"les hommes d'élite" des princes cananéens. Ce mot rare66 apparaît ensuite, pour la dernière

fois, dans un texte trouvé à Taanach daté en 1500-1400. Comment un rédacteur tardif du

texte biblique aurait-il pu connaître un mot disparu depuis -1400? L'explication la plus

simple de cette étonnante précision n'est-elle pas d'admettre que l'auteur du texte ait vécu à

l'époque des faits? La datation obtenue grâce à la linguistique est cependant balbutiante à

cause du corpus très restreint sur lequel elle opère. Les mots rares de la Bible ont souvent

été supposés tardifs, et donc anachroniques. Ces conclusions, qui reposaient en fait sur

notre ignorance des langues anciennes, ont régulièrement été démenties. Par exemple, selon

un dictionnaire de référence67, les mots ketem "or" (Job 28:16,19), pardes "parc" (Cantique

des cantiques 4:13; Ecclésiaste 2:5; Néhémie 2:8) et karoz "héraut" (Daniel 3:4) sont tardifs

puisque pardes et karoz auraient été empruntés au grec (paradeisos "paradis" et kerux

"héraut"), soit autour de -400. Selon un dictionnaire plus récent68, ces mots rares existaient

en akkadien: kutîmu viendrait du sumérien KU-DIM "orfèvrerie" (avant -2000), pardêsu

"enclos" du vieux perse "muret autour" (vers -600) et kirenzi "proclamation" serait

emprunté à la langue hourrite (vers -1500). Selon une étude plus approfondie, le mot vieux

perse pari-dîdâ "muraille autour", viendrait du mède pari-daiza. Or, la langue mède était

parlée à Ecbatane et remonte au début du 1er millénaire avant notre ère69. Les affirmations

d'anachronismes sont donc maintenant devenues anachroniques, elles reposaient en fait sur

une illusion, les mots disparus étant en fait des mots hibernants70.

65 S. IZRE'EL - Canaano-Akkadian Munich 2005 Ed. Licom Europa pp. 1-4. 66 R. DE VAUX - Histoire ancienne d'Israël des origines à l'installation en Canaan Paris 1986 Éd. Gabalda pp. 208-209. 67 F. BROWN, S.R. DRIVER, C.A. BRIGGS – A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament Oxford 1951 Ed. Oxford University pp. 508, 825, 1097. 68 J. BLACK, A. GEORGE, N. POSTGATE – A Concise Dictionary of Akkadian Wiesbaden 2000 Ed.Harrassowitz Verlag pp. 159, 171, 266. 69 F. JOANNES – Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne Paris 2001 Éd. Robet Laffont p. 517. 70 A.R. MILLARD - The Tell Fekheriyeh Inscriptions in: Biblical Archaeology Today 1990. Jerusalem 1993, Ed. Israel Exploration Society p. 523 A.R. MILLARD - A Lexical Illusion in: Journal of Semitic Studies 31 (1986) pp. 1-3.

Page 22: Chrono israelite1

22 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Les fouilles de ras Shamra (en 1929), qui ont exhumé l'antique ville d'Ugarit détruite

en -1185, ont permis de démentir plusieurs préjugés de l'archéologie. En effet, cette ville de

Syrie connaissait déjà l'alphabet (en cunéiforme) au 14e siècle avant notre ère71, sa langue

étant très proche de l'hébreu. Cela a d'ailleurs permis d'éclairer des expressions bibliques

obscures72: šebîsîm "petits soleils" en Isaïe 3:18, šeta‘ "craindre/ terrifier" en Isaïe 41:10, bêt-

hahopšît "maison de réclusion" en 2Rois 15:8, rokeb ba‘arabôt "chevaucheurs de nuées" en

Psaumes 68:5, etc. Les connaissances archéologiques n'en sont donc qu'à leur début.

Les conclusions linguistiques sont encore faussées par d'autres difficultés:

Selon le Talmud73, le texte biblique en paléo-hébreu a été réécrit en caractère araméen

(appelé "hébreu carré") par Esdras (vers -400). Certains termes techniques archaïques

ont été réactualisés, ce qui a généré des anachronismes artificiels. Le mot "darique"

(1Chroniques 29:7), par exemple, est anachronique, puisque cette unité monétaire,

apparue seulement au 6e siècle avant notre ère, était inconnue à l'époque de David,

quatre siècles plus tôt. Esdras, l'auteur présumé du livre des Chroniques, a donc

effectué la conversion d'une ancienne unité, inusitée à son époque, en une autre plus

courante et familière: "la darique", comme il le fait en Esdras 8:27. Par contre, la qesitah

(Genèse 33:19; Josué 24:32; Job 42:11) n'a pas été convertie par Esdras (les traducteurs

de la Septante, eux, l'ont traduite par "agneau", créant ainsi un nouvel anachronisme).

Les aires géographiques de l'Antiquité, dont le nom a été conservé, ont changé avec le

temps. Selon le Nouveau Testament, le Sinaï (au nord de l'Égypte) était une montagne

située en Arabie (Galates 4:25; Ac 7:29,30). De même, les traducteurs de la Septante

situaient aussi (en -280) le pays de Goshèn en Arabie74. Il semble donc y avoir un

anachronisme, cependant cette définition de l'Arabie recoupe celle des historiens de

l'époque. Strabon75 (-64 21), historien grec du Pont, décrivait les frontières de l'Arabie

comme allant du Golf persique à l'Est jusqu'au Nil à l'Ouest, ce qui signifie que pour

lui la péninsule arabique et la péninsule du Sinaï étaient incluses dans l'Arabie. De

même, l'historien grec Hérodote76 (495-425) appelait Arabie toute cette région allant de

l'Est du Nil à la Mer Rouge. L'Arabie de la Septante et du Nouveau Testament est

donc différente de celle de l'Ancien Testament (qui correspond à la définition actuelle),

mais était en accord avec celle des géographes grecs de leur époque. 71 Les archives d'Ugarit avant -1350 ont malheureusement disparu, peut-être parce que le support utilisé pour l'écriture était la tablette de bois recouverte de cire (S. LACKENBACHER – Textes akkadiens d'Ugarit, in: LAPO 22, Éd. Cerf 2002, pp. 22-23). Les archives d'Ébla (vers -2300), éclairent aussi l'hébreu (M. DAHOOD – Eblaite and Biblical Hebrew in: Catholic Biblical Quaterly 44:1, 1982, pp. 1-24). 72 A. SCHOORS - Ugarit, in: Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Éd. Brepols 1987 pp. 1287-1290. 73 Talmud de Babylone: Baba Batra 14b; Sanhédrin 4:7 21b. 74 Genèse 45:10, 46:34. 75 Géographie 16:4:2; 17:1:21-31. 76 Enquête 2:8, 15, 19, 30, 75, 124, 158.

Page 23: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 23

Les liens entre l'ethnicité et l'aire géographique ont évolué avec le temps. La précision

"Ur des Chaldéens77" de l'époque d'Abraham (autour de -2000), par exemple, est jugée

anachronique puisque les Chaldéens n'apparaissent que 1000 ans plus tard. La Chaldée

désigne une région au sud de la Babylonie. La Septante à traduit l'expression "Ur des

Chaldéens" par "territoire des Chaldéens", ce qui est une précision géographique et

non ethnique. Le mot grec kaldaiôn "Chaldéens" vient de l'assyrien kaldu et provient du

babylonien kašdu78 (avant -900). Or, le mot hébreu n'est pas kaldu mais kašdim,

l'équivalent de kašdu. Ce mot pourrait provenir de kiššatu, qui désignait à la fois "la

totalité" et "[l'empire de] Kiš". Selon Joannès79: Les Chaldéens restent une population

relativement mal connue. Il s'agit vraisemblablement de sémites occidentaux, originellement nomades,

dont on constate l'apparition et l'installation dans l'extrême sud de la basse Mésopotamie au début du

Ier millénaire av. J.-C., au même moment que les Araméens auxquels ils sont peut-être apparentés.

C'est dans une inscription d'Aššurbanipal II qu'ils apparaissent pour la première fois en 872 av. J.-

C. Si l'on trouve des Chaldéens dans certaines grandes villes babyloniennes (Sippar, Kuta, Kiš,

Nippur, Uruk), leur habitat privilégié semble avoir été le sud de la Babylonie et le pays des marais,

où ils fondèrent des établissements permanents, que les rois assyriens eurent à conquérir (...) De la

même manière que le terme Akkad renvoie à la capitale et au pays qu'elle dominait, le nom Kiš a

désigné plusieurs siècles auparavant et dans la même région, à la fois la ville éponyme et l'ensemble

géographique constitué entre les cours parallèle de l'Euphrate et du Tigre à leur entrée en basse

Mésopotamie. "Ur des Chaldéens" pourrait donc se référer à "Ur [de l'empire] de Kiš".

Bien que, selon la Liste royale sumérienne, Kiš fut la première ville à recevoir la royauté

après le Déluge, le corpus provenant de cette antique civilisation80 reste encore très

faible par rapport à celui de Sumer, le Shinéar de la Bible81.

Les archéologues supposent "par principe" que le texte biblique est tardif. Ainsi

lorsque la tablette XI de L'épopée de Gilgamesh, donnant la version en sumérien du récit

biblique du Déluge (chapitres 7 et 8 de la Genèse), fut découverte en 1872, l'explication qui

s'est vite imposée fut de considérer la version biblique comme un plagiat, Ziusudra, "vie de

longs jours" en sumérien, devenant le modèle du Noé biblique. Une analyse critique82 de ce

célèbre récit aboutit à une conclusion inverse. En effet, le récit sumérien comporte 77 Genèse 11:28,31; 15:7. 78 J. BLACK, A. GEORGE, N. POSTGATE – A Concise Dictionary of Akkadian Wiesbaden 2000 Ed.Harrassowitz Verlag pp. 152, 162. 79 F. JOANNES – Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne Paris 2001 Éd. Robet Laffont pp. 175-176, 448-449. 80 E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 51-52. 81 Bien que les empires d'Uruk, d'Akkad et de Babylone soient présentés comme anciens (Genèse 10:10), celui de Kiš a pu les précéder. 82 R.J. TOURNAY, A. SHAFFER – L'épopée de Gilgamesh Paris 1994 Éd. Cerf pp. 222-247.

Page 24: Chrono israelite1

24 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

plusieurs invraisemblances, absentes du texte biblique83. Le récit biblique du Déluge est

donc plus conforme à la logique et contient une version plus proche de l'original. Enfin, la

différence majeure concerne le monothéisme strict du texte biblique par opposition au

polythéisme grossier du récit sumérien. Or, les seuls monothéistes connus, à cette époque,

sont les Hyksos. Selon les informations du prêtre égyptien Manéthon, rapportées par

Flavius Josèphe84, les Hyksos vivaient à Avaris, une ville consacrée à Typhon/Seth (Seth est

le nom égyptien de Baal, le "Seigneur" de Canaan)85. Apopi, le dernier Hyksos, est d'ailleurs

le premier monothéiste connu86, un adorateur du seul "Seigneur". En fonction de ces

quelques critères, la version monothéiste du Déluge n'a chronologiquement pu naître, ou

être rapportée, qu'en milieu hyksos de l'époque d'Apopi.

Ainsi, les conclusions linguistiques sont souvent utilisées à charge contre le texte

biblique. Lorsqu'elles confirment la chronologie israélite, elles ne sont généralement pas

retenues, les archéologues assimilant alors ces synchronismes à des "coïncidences" en se

focalisant sur de prétendus anachronismes rédhibitoires. L'anachronisme le plus grave,

selon Finkelstein étant celui-ci: L'histoire des patriarches est pleine de chameaux (...) Or, l'archéologie

révèle que le dromadaire ne fut pas domestiqué avant la fin du IIe millénaire87. Alors que dit réellement

l'archéologie et quelles sont les preuves disponibles?

Les chameaux dans le récit d'Abraham sont-ils anachroniques? Plusieurs études

mentionnent des vestiges, des textes et des restes animaux, qui appuient une domestication

du chameau commençant en Arabie88 avant -2000. De nombreux pétroglyphes89

apparaissant sur des roches en Arabie appuient ce fait90. S'y ajoute la présence d'ossements

de chameaux91 datés aux mêmes époques (fin du 3e millénaire).

83 1) Ziusudra construit un coffre cubique de 120 coudées de côté. Les grands pétroliers actuels, conçus pour transporter de gros volumes en toute sécurité et de manière stable, ont exactement les proportions que l'arche biblique (300, 50 et 30 coudées), soit un rapport longueur sur largeur de 6 à 1, ce qui constitue un rapport idéal pour la flottabilité d'après les spécialistes de la construction navale, alors qu'un cube est très instable; 2) Ziusudra lance une colombe qui revint vers l'arche, puis une hirondelle qui fit de même, et enfin un corbeau qui ne revint pas. Noé, lui, lâche un corbeau qui va et vient, puis une colombe qui revient, puis de nouveau la colombe qui revient avec une feuille d'olivier, et enfin la colombe qui ne revient pas. Selon les naturalistes, l'astucieux corbeau est un des oiseaux les plus capable de s'adapter et un des plus ingénieux. Il était donc avisé de commencer par le corbeau pour tester l'état du pays et de terminer par la colombe, un oiseau peu astucieux; 3) Ziusudra était un homme immortel et vivait dans une contrée appelée Dilmun (l'actuelle île de Bahreïn). Même si les jours de Noé furent prolongés à 950 ans, il finit, lui, par mourir. 84 Contre Apion I:237-238. Typhon est le nom grec de Seth, selon Diodore (Bibliothèque historique I:21, I:88). 85 N. ALLON - Seth is Baal — Evidence from the Egyptian Script in: Ägypten und Levante XVII Wien 1997 pp. 15-22. 86 O. GOLDWASSER – King Apophis and the Emergence of Monotheism in: Timelines Studies in Honour of Manfred Bietak Vol. I (2006) pp. 129-133, 331-354. 87 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée Paris 2002 Éd. Bayard pp. 50, 51. 88 S. AD SAUD ABDULLAH - The Domestication of Camels and Inland Trading Routes in Arabia in: Atlas. The Journal of Saudi Arabian Archaeology Vol. 14, Riyadh 1996 pp. 129-131. 89 E. ANATI - Rock-Art in Central Arabia Vol. 1 1968 Louvain Ed. Institut Orientaliste pp. 109-111. 90 E. ANATI - Rock-Art in Central Arabia Vol. 4 1974 Louvain Ed. Institut Orientaliste pp. 128, 234. 91 J. ZARINS - Camel in: The Anchor Bible Dictionary. New York 1992 Ed. Doubleday pp. 824-826.

Page 25: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 25

En dehors de ces gravures sur pierre, les bédouins (transitant principalement sur la

route de l'encens) n'ont apparemment laissé aucun texte. L'opinion courante veut que cet

animal ait été introduit en Syrie par les Araméens vers la fin du 2e millénaire pour prendre

de l'importance à l'époque néo-assyrienne à la fois comme animal de bât et animal de

monte utilisé pour la guerre, en particulier par les Bédouins. Le roi arabe Gindibu aurait

envoyé 10 000 hommes à dos de chameau à la bataille de Karkar remportée en -853 par

Salmanazar III. En -652, Šamaš-šum-ukîn, roi de Babylone, reçoit le renfort de troupes

arabes montées à dos de chameau pour affronter Aššurbanipal. De telles troupes sont aussi

représentées sur les bas-reliefs du palais d'Aššurbanipal.

En fait, les pétroglyphes de chameaux sont assez fréquents, mais la principale

difficulté est leur datation car la pierre ne peut être datée par le C14. Il n'y a en fait que

deux autres moyens qui permettent de les dater:

L'étude de l'environnement immédiat (poterie typée ou objet en bois datable par le

C14) donne une datation approximative. Des études sur l'art rupestre du Hemma

(Djezireh syrienne), par exemple, ont révélé au moins une quinzaine de pétroglyphes de

chameaux dont certains remonteraient au 12e siècle avant notre ère92.

Il arrive de façon exceptionnelle que certains pétroglyphes soient accompagnés d'un

texte contenant les noms de personnages qui peuvent être situés dans le temps. C'est le

cas de cette représentation (ci-dessous) découverte en Nubie93 dont l'inscription se lit:

Le guide des bons chemins, pilote Imai. Le nom Imai (’Im3i) est peu courant et n'apparaît que

sous le règne de Pépi II (2196-2136), ce qui situe l'inscription vers 2200-2100.

92 http://www.espasoc.org/2004/he4_18drom.html 93 ZBYNEK ZABA - The Rock Inscriptions of Lower Nubia Prague 1974 Ed. Tzechoslovak Institute of Egyptology pp. 237, 238, Fig. 409 CCXXIX.

Page 26: Chrono israelite1

26 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

En dehors des bédouins, les autres civilisations du passé ont peu apprécié ce type

d'animal. Les Sumériens et les Égyptiens, par exemple, ont toujours considéré le chameau

(ou le dromadaire) comme un animal exotique. Ils ne s'y sont guère intéressés (aujourd'hui,

de fait, à part les gens de cirque, qui s'intéresse aux chameaux?). Il subsiste cependant

quelques vestiges94. Les fouilles effectuées en Égypte ont livré d'autres confirmations. Ainsi

une corde tressée en poil de chameau, datée autour de -2500, a été exhumée à Pi-Ramsès

dans le Fayoum. Un récipient en forme de chameau portant quatre amphores a été exhumé

à Abusir el-Meleq95 (dans le Fayoum 10 kilomètres au sud du Caire). Au Wadi Nasib dans le

Sinaï, une caravane de chameaux dont l'un est tiré par un homme, apparaît sur des

rochers96. Une statuette en forme de chameau portant des amphores a été trouvée à Rifeh.

Abusir el-Meleq (Égypte, vers -2000) Wadi Nasib (Sinaï, vers -1500)

Rifeh (Égypte, 13e siècle avant notre ère) Ces découvertes archéologiques fortuites montrent que si l'Égypte pharaonique ne

mentionne pas le chameau elle ne l'ignorait pas. Les chameaux apparaissent à cette époque

dans plusieurs cités97 qui se situent toutes autour de la célèbre Via Maris "route de la mer",

un tronçon de la "route de l'encens" qui reliait le Golf persique à l'Égypte en longeant la

mer Méditerranée.

94 K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans pp. 338, 339, 640. 95 L. PIROT, A. CLAMERT - La Sainte Bible Tome I Paris 1953 Éd. Letouzey et Ané pp. 242, 243. F. VIGOUROUX - Dictionnaire de la Bible Tome 2 Paris 1899 Éd. Letouzey et Ané p. 525. 96 RANDALL W. YOUNKER - Late Bronze Age Camel Petroglyphs in the Wadi Nasib, Sinai in: Near East Archaeological Society Bulletin 42 (1997) pp. 47-54. 97 R.W. BULLIET - The Camel and the Wheel Cambridge Massachusetts 1975 Ed. Harvard University Press pp. 57-71.

Page 27: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 27

Byblos (autour de -2000)

Suse (autour de -2300)98 Ur (1900-1700)

Sceau syrien (1800-1400) [dessin de la partie droite]

Sceau d'Asie centrale (autour de -2000)99 On a aussi retrouvé à Ur100, ville d'où Abraham est parti, un petit chameau en or en

train de s'agenouiller. Ce bijou faisait partie d'un collier daté dans la IIIe dynastie soit autour

de -2000. Toutes ces découvertes prouvent donc que la domestication des chameaux101

remonte sans conteste au début du 3e millénaire, du moins en Arabie. Même si les textes

mentionnant cette domestication sont rares, ils ne sont pas inexistants. Un texte en vieux

babylonien trouvé à Nippur, daté entre -2000 et -1700, fait explicitement allusion au lait de 98 E. VILLENEUVE - Archéologie: Bitume au natuel 2002, in: Le monde de la Bible n°145 pp. 57-59. 99 J. ARUZ Art of the First Cities. The Third Millenium B.C. from the Mediterranean to the Indus New York 2003 Ed. The Metropolitan Museum of Art pp. 374, 375. 100 E.M. BLAIKLOCK R.K. HARRISON - The New International Dictionary of Biblical Archaeology Michigan 1983 Ed. Zondervan Publishing House pp. 115,116. 101 G. RACHET -Dictionnaire des civilisations de l'Orient Paris 1999 Éd. Larousse-Bordas p. 109.

Page 28: Chrono israelite1

28 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

chamelle102 (comment obtenir du lait d'un animal sauvage?) Le chameau est en fait appelé le

"pachyderme d'Harrân". Toujours à Nippur, une liste sumérienne d'animaux exotiques,

remontant au babylonien ancien (daté entre 1900 et 1500), classe le chameau103 avec le tigre

et l'éléphant d'Asie. Un texte trouvé à Alalakh, daté entre 1800 et 1700, évoque le fourrage

des chameaux104 (la lecture du mot [ANŠE]-GAM-MAL "chameau" est discutée). À partir du

11e siècle avant notre ère, les textes assyriens citant des chameaux domestiqués, comme

celui du roi Assur-bêl-kala (1073-1056), sont de plus en plus nombreux105.

Notre mot "camélidés" dérive de l'akkadien gammalu, venant lui-même du sumérien

[ANŠE]-GAM-MAL. La signification d'un autre mot sumérien pour désigner le chameau, soit

[ANŠE]-A-AB-BA "âne de la mer", est éclairante sur le rôle de cet animal à cette époque

reculée. Ce classement sommaire du chameau par les Sumériens dans la catégorie de l'âne

montre que cet animal était peu commun. De plus, la précision surprenante "de la mer" est

une confirmation indirecte de son origine arabe. En effet, les chameaux étaient surtout

utilisés par les caravaniers arabes pour vendre de l'encens106. Or ces marchands

empruntaient une "route de l'encens" qui reliait le Golfe persique à l'Égypte en passant le

long de la mer Méditerranée107, d'où son nom ultérieur de Via Maris108 (route de la mer),

citée sous cette forme par le texte d'Isaïe109. Une lettre du roi assyrien Shamshi-Adad Ier

atteste de l'utilisation de cette voie par son armée110 vers -1700 et la vente de Joseph à des

marchands ismaélites est une bonne illustration du rôle de cette antique route

commerciale111. Les découvertes112 archéologiques ont ainsi confirmé une domestication

précoce du chameau en Arabie113 même si son développement fut très lent. 102 The Assyrian Dictionary Vol. 7 Chicago 1960 Ed. The Oriental Institute p. 2. 103 M. CIVIL - "Adamdun", the Hippopotamus, and the Crocodile in: Journal of Cuneiform Studies 50 (1998) p. 11. 104 A. GOETZE - Remarks on the Ration Lists from Alalakh VII in: Journal of Cuneiform Studies 13. New Haven 1959 pp. 29, 37. W.G. LAMBERT - The Domesticated Camel in the Second Millenium in: BASOR 160 (dec. 1960) pp. 42, 43. 105 A. KUHRT - The Exploitation of the Camel in the Neo-Assyrian Empire in: Studies on Ancient Egypt London 1999 Ed. The Egypt Exploration Society pp. 179-184. 106 Isaïe 60:6. 107 2Chroniques 20:2. 108 É. STERN - La Via Maris in: Les routes du Proche-Orient. Des séjours d'Abraham aux caravanes de l'encens Paris 2000 Éd. Desclée de Brouwer pp. 58-65. 109 Isaïe 8:23. 110 J.C. MARGUERON, L. PFIRSCH - Le Proche-Orient et l'Égypte antique Paris 2005 Éd. Hachette Supérieur p. 199. 111 Genèse 37:25. 112 JOHN J. DAVIS -The Camel In Biblical Narratives, in: A Tribute To Gleason Archer. Chicago 1986, Ed. Moody Press A.E. DAY R.K HARRISON G.W. BROMILEY - International Standard Bible Encyclopedia, Vol. 1 1979 Grand Rapids: Eerdmans: pp. 583-584. D.J. WISEMAN F.E. GAEBELEIN - Archaeology & The Old Testament in: Expositor’s Bible Commentary, Vol. 1, 1979 Grand Rapids: Zondervan p. 316. J.P. FREE - Abraham's Camels in: Journal of Near Eastern Studies 3, 1944, pp. 187-93. 113 I. KÖHLER-ROLLEFSON - Camels and Camel Pastoralism in Arabia in: Biblical Archaeologist 56 (1993) pp. 180-188.

Page 29: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 29

La lecture du récit biblique donne parfois l'impression que les chameaux étaient

abondamment utilisés en Mésopotamie dès l'époque patriarcale. Ce n'est pas le cas.

Quelques points permettent de le vérifier. Abraham eut des chameaux seulement après être

parti d'Harrân et être passé par le Négueb114. Les propriétaires de ces animaux étaient des

bédouins arabes115 pour la plupart. La possession de chameaux était un signe de richesse

surtout pour les peuples arabes116 comme les Madianites et les Edomites. En fait, les

données bibliques concernant les chameaux concordent avec les découvertes

archéologiques. Les propriétaires de chameaux sont essentiellement en Arabie. Job, qui

mentionne les caravanes de Téma117, est un Oriental. La reine de Saba, arrivant avec ses

chameaux, séjournait dans le sud de l'Arabie118. Abraham, bien que propriétaire de

chameaux ne le devint en fait qu'après le départ d'Harrân119 sa ville d'accueil. Ce riche

propriétaire, originaire de la prospère ville d'Ur, opéra un choix judicieux en acquérant une

caravane de chameaux, probablement auprès de marchands arabes, car ces animaux sont

très bien adaptés pour la vie nomade. Abraham, bien que résidant sous les tentes, n'est pas

présenté comme un bédouin, mais comme un chef prestigieux, éleveur de bétail

sédentarisé, se déplaçant parfois à cause d'événements extérieurs.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces éléments provenant de l'archéologie

sont ignorés par la plupart des égyptologues. Lorsque j'ai envoyé mon dossier à Claude

Obsomer, il m'a renvoyé aux livres de Finkelstein. J'ai donc insisté en lui livrant mon

dossier sur la domestication des chameaux. Il m'a répondu dans son courriel daté du 2

septembre 2004: Cher Monsieur Gertoux, je vous remercie d'avoir persévéré. Effectivement, vous avez 114 Genèse 12:9,16. 115 Genèse 32:3,15; Juges 6:3,5. 116 Job 1:3. 117 Job 6.19. 118 2Chroniques 9:1. 119 Genèse 12:5.

Page 30: Chrono israelite1

30 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

une série de documents intéressants en ce qui concerne les chameaux pour réfuter une idée largement diffusée.

S'il s'avère que les datations indiquées sont correctes, ce que vous avez eu à cœur de vérifier en consultant les

publications originelles et études sur la question, il va de soi que la question des chameaux ne pourra plus

être proposée comme objection à une datation haute du récit biblique. Ceci n'exclut pas non plus une

datation basse, bien entendu, et il revient dès lors de réexaminer les autres objections archéologiques avancées

par Finkelstein.

En fait, de nombreux spécialistes ne veulent pas changer d'avis même quand ils

connaissent les preuves archéologiques. Cécile Michel, par exemple, dans sa lettre datée du

25 mars 2004 m'a répondu: En ce qui concerne le chameau, gammalu en akkadien (Dictionnaire

entrée animaux domestiques), son terme sumérien [ANŠE]-GAM-MAL est un emprunt tardif à

l'akkadien. En effet, les Akkadiens utilisent encore le sumérien dans certains contextes aux IIe et Ier

millénaires et il leur arrive de créer des mots sumériens parfois décalqués sur leur propre langue. Rien ne

prouve donc que les Sumériens connaissent les chameaux qui n'apparaissent d'ailleurs dans les textes qu'à

la fin du IIe millénaire. Je ne crois donc pas en l'existence du lait de chamelle ou du fourrage des chameaux

dans les textes du début du IIe millénaire. Ce que vous identifiez comme un chameau sur une plaque

rituelle retrouvée à Suse n'y ressemble guère. Surpris par tant de mauvaise foi, j'ai de nouveau

consulté le dictionnaire akkadien120. Ce dictionnaire cite bien un texte en vieux babylonien

trouvé à Nippur, daté entre -2000 et -1700, faisant explicitement allusion au lait de

chamelle. Il s'agit bien du début et non de la fin du IIe millénaire. De plus, les chameaux

qui sont équipés avec des jarres ne peuvent être classés parmi les animaux sauvages, mais

bien parmi les animaux domestiques.

Pour bien comprendre la question du chameau et de sa domestication, j'ai consulté

un spécialiste réputé des langues sémitiques. Dans sa lettre datée du 2 août 2004, Edward

Lipinski m'a répondu: Vous avez certainement raison de rappeler que le chameau semble avoir été

domestiqué en Arabie dès le IIIe millénaire av.n.è. En sud-arabique, il porte le nom de gml, certainement

le même que ǧamal en arabe classique, gəmoul en copte, et que le pluriel GIMLN, ou GMIL des

inscriptions numides du 2e siècle av.n.è. ("dromadaires", peut-être "chameliers"). Le pseudo-idéogrammes

sumérien et mot akkadien sont manifestement des emprunts à l'arabe ancien des régions du Golfe Persique.

Le déterminatif ANŠE indique qu'il s'agit d'un animal de bât, tout comme l'âne. Le redoublement du m

dans un mot d'emprunt ne me paraît pas significatif ; l'hébreu redouble ainsi le l au pluriel sans raison

apparente. La forme ANŠE-GAM, sans le signe MAL, n'est toutefois pas attestée, à ma connaissance. La

structure primitive du mot, antérieure à la domestication du dromadaire, dont on a retrouvé des traces en

Tunisie dès le IVe millénaire av.n.è., avait cependant une base monosyllabique : gam ou kam. On la

120 The Assyrian Dictionary Vol. 7 Chicago 1960 Ed. The Oriental Institute p. 2.

Page 31: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 31

trouve en égyptien (qm3), paléo nubien, bedja et même sous la forme -l+ġem dans les dialectes berbères

modernes. Vous trouverez plus d'informations à ce sujet dans mon livre Itineraria Phoenica (Leuven

2004), p. 205-212. Il est impossible de préciser la période à laquelle le suffixe –al a été ajouté à la base du

mot, mais son emploi avec les noms d'animaux domestiqués suggère de dater la forme gml au plus tôt du

IIIe millénaire, peut-être seulement du IIe.

Affirmer que les chameaux dans le récit d'Abraham sont anachroniques, comme le

font la plupart des égyptologues, reflète leur méconnaissance des données archéologiques

et linguistiques. En fait, cette critique récurrente d'anachronisme est souvent reprise par pur

conformisme en milieu académique. Les autres anachronismes mentionnés par Finkelstein

sont du même acabit. Il est instructif de vérifier sur quels arguments il s'appuie pour réfuter

l'existence de personnage comme David ou Salomon. Finkelstein écrit: David et Salomon ont

été élevés, au cours des siècles, au rang d'icônes religieuses auréolées d'un tel prestige —tant par le judaïsme

que par le christianisme— que les déclarations récentes de certains biblistes radicaux, qui affirment que le

roi David n'as pas davantage « de validité historique que le roi Arthur », ont été accueillies dans les cercles

religieux et scientifiques avec un mépris hautain et scandalisé (...) D'un point de vue purement littéraire et

archéologique, certains arguments plaident en faveur des minimalistes. La lecture attentive de la description

biblique du règne de Salomon démontre clairement qu'il s'agit de la peinture d'un passé idéalisé, d'une sorte

d'âge d'or, nimbé de gloire. Le compte rendu de ses fabuleuses richesses (...) abonde en détails trop excessifs

pour être crédibles. En outre, en dépit de leurs prétendues richesses et pouvoirs, ni David ni Salomon ne

figurent dans aucun texte égyptien ou mésopotamien. Enfin, Jérusalem ne contient pas le moindre vestige

archéologique des célèbres constructions de Salomon. Les fouilles entreprises à Jérusalem, autour et sur la

colline du Temple, au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, n'ont pas permis d'identifier ne

serait-ce qu'une trace du Temple de Salomon et de son palais (...) Quant aux édifices monumentaux

attribués jadis à Salomon, les rapporter à d'autres rois paraît aujourd'hui beaucoup plus raisonnable. Les

implications d'un tel réexamen sont énormes. En effet, s'il n'y a pas eu de patriarches, ni d'Exode, ni de

conquête de Canaan —ni de monarchie unifiée et prospère sous David et Salomon—, devons-nous en

conclure que l'Israël biblique tel que nous le décrivent les cinq livres de Moïse, et les livres de Josué, des Juges

et de Samuel, n'a jamais existé121. Sur quoi reposent ces déclarations fracassantes: sur des

spéculations, car la plupart de ses accusations, ou insinuations, peuvent être démenties.

Concernant les fabuleuses richesses de Salomon, le texte de 1Rois 10:14 précise qu'il

recevait exactement 666 talents d'or chaque année, soit 21,5 tonnes (= 666 x 32,4 kg).

Le chiffre paraît époustouflant, mais il faut se rappeler qu'à la même époque (début du

121 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée Paris 2002 Éd. Bayard pp. 150, 154-156.

Page 32: Chrono israelite1

32 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

1er millénaire), les temples du pharaon Osorkon Ier recevaient, eux, à peu près 51 tonnes

d'or chaque année122. Si on rapporte les tonnages d'or aux tailles de l'empire égyptien et

du royaume israélite les chiffres sont comparables. Ainsi, à cette époque (le fait est

présenté comme unique), un roi israélite a pu rivaliser avec un pharaon.

Concernant le silence des textes123 non israélites sur David et Salomon, l'explication est

élémentaire: le règne de ces deux rois s'est déroulé pendant une période de déclin des

deux grands empires égyptien ou mésopotamien. Malgré l'étendue de leur empire, on

ne connaît que très peu d'actions de la plupart des rois babyloniens et égyptiens durant

cette période (excepté leur nom et la durée de leur règne):

Égypte Dates du règne

Israël Assyrie Dates du règne

Babylonie

Dates du règne

Psousennes Ier 1064 - David Aššur-bêl-kala 1074-1056 Adad-apla-iddina 1070-1048 1057 - Erîba-Adad II 1056-1054 Marduk-ahhê-erîba 1048-1047 Šamšî-Adad IV 1054-1050 Marduk-zêr-[…] 1047-1035 -1018 -1017 Aššurnaṣirpal Ier 1050-1031 Nabû-šum-libur 1035-1027

Aménémopé 1018 - Salomon Salmanazar II 1031-1019 Simbar-šipak 1027-1009 -1009 1017 - Aššur-nêrârî IV 1019-1013 Ea-mukîn-zêri 1009-1008

Osorkon l'Ancien 1009-1003 Aššur-rabi II 1013 - Kaššu-nâdin-ahi 1008-1006 Siamon 1003 - 994 Eulmaš-šakin-šumi 1006 -989 Psousennes II 994 - Ninurta-kudurri-uṣur Ier 989-986

Širiki-šuqamuna 986-985 -980 -977 -972 Mâr-bîti-apla-uṣur 985-980

Le seul fait marquant durant cette période est la prise de Gézèr, brûlée par le pharaon

Siamon, peu après l'an 20 de Salomon124 (en -997). Le pharaon n'est pas nommé dans la

Bible, mais comme le remarque Kitchen, la seule campagne égyptienne en Palestine

attestée à cette époque est celle de Siamon. De plus, la XXIe dynastie se distingue par le

fait que certains de ses pharaons ont donné leur fille en mariage à des étrangers (ce qui

fut le cas de Salomon cf 1Rois 3:1, 9:10). L'exactitude des données chronologiques du

texte biblique garantit donc indirectement son authenticité.

Si les grands empires, Égypte, Assyrie et Babylonie, n'eurent pas de conflit avec Israël

durant les règnes de David et Salomon (et donc pas de document), ce ne fut pas le cas

des nombreux royaumes aux alentours: Phénicie et Syrie au nord, Ammon, Moab et

Édom à l'est, Philistie au sud, pour ne citer que les plus importants. Ces royaumes ayant

tous disparu après le règne de Nabuchodonosor II (605-562), leurs archives n'existent

122 A. MILLARD – King Solomon in his Ancient Context in: The Age of Solomon (Brill 1997) Ed by L.K. Handy pp. 38-41. 123 Sur les 113 rois du Levant répertoriés durant la période 1000-600 (y compris ceux de la Bible), seulement 16 sont mentionnés dans des inscriptions (A. MILLARD – King Solomon in his Ancient Context in: The Age of Solomon (Brill 1997) Ed by L.K. Handy p. 46). 124 1Rois 9:10,16,17.

Page 33: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 33

plus depuis bien longtemps, cependant, deux rois (ceux de Syrie et de Moab) ont érigé

des stèles attestant qu'à cette époque (9e siècle avant notre ère) la présence d'un

royaume d'Israël était largement connu sous le nom de Maison-de-David. La première

stèle est celle de Mésha, roi de Moab, qui donne sa version des événements relatés en

2Rois 2:4-27. On note la présence des expressions "roi d'Israël" à la ligne 5, "Yehowah"

le dieu d'Israël, à la ligne 18 et "Maison de [D]avid" à la fin de la ligne 31125:

La lecture "Maison-de-[D]avid126" est contestée mais, comme le remarque Lemaire,

la seule lettre qui fasse sens, dans la phrase de la ligne 31, est un D127. L'autre stèle est celle 125 E. LIPINSKI – On the Skirts of Canaan in the Iron Age in: Orientalia Lovaniensia Analecta 153 pp. 336-337. 126 Orthographié BT[D]WD (BYTDWD dans la stèle de Dan) sans le point de séparation, ce qui suppose une expression connue. 127 A. LEMAIRE - House of David" Restored in Moabite Inscription. A new restoration of a famous inscription reveals another mention of the "House of David" in the ninth century B.C.E. in: Biblical Archaeology Review 20:03 (Mai/Juin 1994) pp. 30-37. K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans p. 615.

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34 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

d'Hazaël, roi de Syrie, qui donne sa version des événements relatés en 2Rois 8:28-9:16. On

note la présence des expressions "roi d'Israël et "Maison de David" aux lignes 8 et 9:

1. [.....................].......[...................................] et coupa/coupé [.............] 2. [.........] mon père partit vers [....................c]ombattant à/contre Ab[....] 3. Et mon père succomba; il alla vers ses [pères]. Et le Roi d'I[s-] 4. raël pénétra dans la terre de mon père[. Et] Hadad me fit moi-même roi. 5. Et Hadad alla devant moi[, et] je partis de ...................[.................] 6. de mes rois. Et je tuai sept ro[is] [puis]sants, qui avaient sous leurs ordres deux mil[le cha-] 7. riots et deux milles cavaliers. [Je tuai Yeho]ram fils d'A[hab] 8. roi d'Israel, et je tuai [A'haz]yahou fils de [Yehoram r]oi 9. de la Maison de David. Et je plaçai [................................................] 10. leur pays ...[........................................................................................] 11. autre ...[........................................................................... et Jéhu ré-] 12. gnait sur Is[raël..................................................................................] 13. siège sur [Samarie?............................................................................]

Ces deux stèles, celle du roi de Moab et celle du roi de Syrie, montrent qu'il existait

déjà, au 9e siècle avant notre ère, un puissant royaume d'Israël dont les rois étaient

considérés comme appartenant à une Maison-de-David, selon le nom de son fondateur.

Concernant l'absence de vestige archéologique du célèbre temple de Salomon, là encore

l'explication est simple: ce temple a été entièrement détruit par les Babyloniens lors de

la chute de Jérusalem128. De plus, lorsque le roi Hérode le Grand restaura le deuxième

temple construit sur les restes du précédent, il recommença par les fondations, ce qui a

dû éliminer les derniers vestiges salomoniens car, selon Flavius Josèphe129, Hérode

effectua une reconstruction complète de ce temple.

128 2Chroniques 36:19. 129 Antiquités juives XV:354, 380, 421.

Page 35: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 35

En fait, l'archéologie n'est pas complètement muette

sur l'existence du temple de Salomon. L'ostracon

d'Arad130 18 (ci-contre) contient le texte suivant131:

1. À mon maître Elya- 2. –shib. Que Yehowah veille 3. sur ta prospérité. Et maintenant: 4. donne à Shemaryahu 5. un éphah; et au Qérosite 6. tu donneras un éphah. Et quant à 7. l'ordre que tu m'as 8. prescrit, il a été accompli: 9. le temple de Yehowah, 10. lui, il habite. [verso]

Cette inscription étant datée vers -600132 (strate VI), si le temple de Salomon n'avait pas

existé, comme le sous-entend l'archéologue Finkelstein, comment expliquer cette

mention du temple de Yehowah à cette époque. Il s'agit bien du temple de Jérusalem133

et non du temple d'Arad, car ce dernier, construit au 10e siècle, a été détruit vers -609

(strate VII) vraisemblablement par les Égyptiens. De plus, le nom "Qérosite" désigne

un clan des Nétinim, "les donnés" qui travaillaient au temple de Jérusalem134. Le

personnage inconnu ("lui") auquel il est fait allusion aux lignes 9 et 10 pourrait être un

Lévite d'Arad qui avait choisi de s'installer à Jérusalem135, suite à la réforme entreprise

par Josias dans la 18e année de son règne136 (en -622).

Grâce à l'évolution des systèmes de calendriers utilisés en Palestine, il est aussi possible

de dater la construction du Temple de Salomon du 10e siècle avant notre ère. En effet,

ces calendriers antiques servaient à fixer les échéances des contrats mais surtout à

organiser les célébrations religieuses. Ces calendriers étaient donc sous la responsabilité

d'une classe de prêtres astronomes. Au 2e millénaire avant notre ère, il n'y avait que

deux grands systèmes de datation: 1) le calendrier mésopotamien d'inspiration

babylonienne avec des noms de mois et un cycle lunaire débutant au 1er croissant

lunaire et 2) le calendrier civil égyptien avec des mois anonymes de 30 jours numérotés

130 Y. AHARONI – Arad Inscriptions Jerusalem 1981 Ed. The Israel Exploratio Society pp. 1-35. 131 A. LEMAIRE – Inscriptions hébraïques Tome I Les ostraca in: Littératures Anciennes du Proche-Orient n°9 pp. 179-184. 132 G.I. DAVIES – Ancient Hebrew inscriptions, corpus and concordance Cambridge 1991 Ed. Cambridge University Press p. 17. 133 A. LEMAIRE – Inscriptions hébraïques Tome I Les ostraca in: Littératures Anciennes du Proche-Orient n°9 pp. 149-151, 227-232. 134 Esdras 2:43-44, Néhémie 7:46-47. 135 Psaumes 23:6. 136 2Rois 22:3; 23:9-10.

Page 36: Chrono israelite1

36 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

côtoyant un calendrier lunaire débutant à la pleine lune. L'absence de temple avec sa

prêtrise obligeait les Israélites à utiliser les calendriers de l'endroit où ils séjournaient. Il

est ainsi possible de dater leurs pérégrinations grâce aux divers calendriers utilisés.

Selon le texte biblique, les Israélites ont séjourné en Égypte de -1750 à -1500, puis en

Canaan après cette date. Le 1er temple, achevé en -997, sera détruit en -587. Les

Israélites, déportés à Babylone pendant 50 ans (587-537), reviendront construire le

temple qui sera fonctionnel vers -517, les mois du calendrier seront alors traduits par

leur équivalent babylonien. Le calendrier babylonien s'était progressivement imposé

dans tout l'ouest de l'orient, la ville d'Alalakh137, par exemple, l'avait adopté vers -1500.

Ce calendrier était donc utilisé en Palestine, mais le nom des mois était cananéen138.

Calendrier n° mésopotamien standard n° cananéen équivalent 1 Nisannu 7 1 Abib Mars/avril 2 Ayaru 8 2 Ziv Avril/mai 3 Simanu 9 3 ? Mai/juin 4 Tamuzu 10 4 ? Juin/juillet 5 Abu 11 5 Tsakh? Juillet/août 6 Ululu 12 6 ? Août/septembre 7 Tashritu 1 7 Ethanim Septembre/octobre 8 Arahsamnu 2 8 Bul Octobre/novembre 9 Kissilimu 3 9 ? Novembre/décembre 10 Tebetu 4 10 ? Décembre/janvier 11 Shabatu 5 11 Pe‘ulot? Janvier/février 12 Addaru 6 12 ? Février/mars

Le texte biblique utilise les mots yèraḥ et hodèš pour désigner les mois lunaires. Le mot

hodèš, utilisé pour désigner la nouvelle lune, provient d'une racine hadaš ("nouvelle",

comme dans le mot Carthage, Kart-hadèsht "ville nouvelle" en phénicien), et signifie

"renouvellement", d'où le sens dérivé de "nouvelle [lune]". Le mot yèraḥ "mois", venant

du mot yaréaḥ "lune" peut se traduire par "lunaison". Le mot "pleine lune (Proverbes

7:20)" en hébreu est kèsè ou lebanah "la blanche (Isaïe 30:26)". Les deux mots hodèš et

yèraḥ, employés dans le sens de "mois", ne sont pas synonymes puisqu'on trouve des

inscriptions cananéennes139 avec les mots hodèš yèraḥ Ethanim, que l'on peut traduire par

nouvelle lunaison d'Ethanim (1Rois 8:2). Si les deux mots étaient synonymes, la traduction

serait mois du mois d'Ethanim, ce qui n'a pas de sens. Cette nuance sémantique est 137 M.E. COHEN – The Cultic Calendars of the Ancient Near East maryland 1993 Ed. CDL Press pp. 1-309. 138 J.A. WAGENAAR - Post-Exilic Calendar Innovations in: Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 115 (2003) pp. 1-24. 139 H. DONNER, W. RÖLLING - Kanaanäische und Aramäische Inschriften Wiesbaden 2002 Ed. Harrassowitzp. 9 N°3.

Page 37: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 37

importante. En effet, dans un calendrier lunaire débutant à la nouvelle lune, les deux

mots "nouvelle [lune]" et "lunaison" pour désigner un mois peuvent convenir, mais

dans un calendrier débutant à la pleine lune, seul le mot "lunaison" est approprié.

L'archéologie montre que les Juifs de Judée n'ont employé, pour désigner les mois, que

le mot hodèš "nouvelle [lune]" et les Juifs d'Égypte que le mot yèraḥ "lunaison140. On lit

par exemple sur l'ostracon n°7 d'Arad, daté autour de -600 pour le 10e [mois], le 1 du mois

jusqu'au 6 du mois141. Lorsqu'ils sont entrés en Canaan, les Israélites ont utilisé le

calendrier cananéen, le 1er mois devenant Abib (le 2e mois Ziv, le 7e mois Ethanim, le 8e

mois Bul, etc). Les Cananéens utilisaient le mot yèraḥ pour désigner le "mois" ce qui

pouvait être ambigu pour les Israélites, car ce terme désignait aussi le "mois" débutant à

la pleine lune (en Égypte). Le terme hodèš, "mois" débutant au 1er croissant lunaire, fut

donc privilégié en Palestine à partir de -1000. En plaçant les mois en fonction de la

chronologie déduite du texte biblique, on obtient l'évolution suivante:

période événement yèraḥ hodèš nom du mois référence

X numéro Genèse 7:11; 8:4,13,14 1800-1700 séjour en Égypte X X ? Job 3:6; 7:3; 14:5; 21:21; 29:2; 39:2 1700-1600 1600-1500

1500-1400 séjour en Canaan X X cananéen Deutéronome 21:13, Exode 23:15

1400-1300 X numéro Josué 4:19 1300-1200

1200-1100 X Juges 11:37-39 1100-1000 X X cananéen 1Rois 6:37,38; 2Rois 8:2

1000 - 900 1er Temple X numéro 1Rois 12:32 900-800 royaume israélite 800-700 X numéro 2Chroniques 30:15 700-609 domination égyptienne 609-587 destruction du 1er Temple *X* X numéro 2Rois 25:27 *Éléphantine* 587-537 séjour à Babylone *X* X babylonien Zacharie 7:1 *Éléphantine*

537- 2e Temple *X* X babylonien Esther 2:16 *Éléphantine* X babylonien

70 destruction du 2e Temple X babylonien

L'archéologie a confirmé ce schéma chronologique142 puisque le terme yèraḥ apparaît

pour la dernière fois dans le calendrier de Gézèr, daté du 10e siècle avant notre ère, et que le

nom des mois cananéens disparaît en Palestine à cette époque. La datation "cananéenne"

140 B. PORTEN A. YARDENI - Textbook of Aramaic Documents from Ancient Egypt, 3 1993 Ed. Israel Academy of Sciences and Humanities pp. XXXVI. 141 A. LEMAIRE -Inscriptions hébraïques Tome I, Les Ostraca In: Littératures anciennes du proche orient n°9 Paris 1977 Ed. Cerf pp. 168,231. 142 A. LEMAIRE – Les formules de datations en Palestine au premier millénaire avant J.-C. in: Proche-Orient ancien, temps vécu, temps pensé (Paris 1998) Éd. J. Maisonneuve pp. 53-82.

Page 38: Chrono israelite1

38 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

en 1Rois 6:1 implique de dater la construction du temple au 10e siècle avant notre ère. S'il

ne reste rien du temple construit par Salomon, par contre, le texte biblique143 donne une

information qui en confirme la date: Voici ce qui concerne la corvée que le roi Salomon leva pour

construire le Temple de Yahvé, son propre palais, le remblai et le mur de Jérusalem, Haçor, Megiddo,

Gézèr. Or, les fouilles archéologiques ont révélé que ces trois cités avaient effectivement été

fortifiées et, de plus, en même temps. En effet, l'existence sans parallèle connu d'une porte

en "triple tenaille" à l'entrée de chacune des cités suppose une construction simultanée.

Yadin avait fort logiquement attribué toutes ces constructions à Salomon, mais

Finkelstein144 a montré que la datation de ces bâtiments n'était pas certaine et pouvait

aussi être plus tardive, sous le règne d'Omri (la datation de ces édifices est difficile à

établir, car ces cités ont été réaménagées à plusieurs reprises par les rois successifs. De

plus, la datation des pierres par le Carbone 14 étant impossible, toutes les spéculations

archéologiques sont possibles). Cependant, les fouilles de Tell Qeiyafa145, situé à 20

kilomètres au sud de Gézèr, ont permis d'identifier la ville de Shaarayim "les deux

portes". Selon le texte biblique, cette ville fut habitée jusqu'au règne de David146. Grâce

à des noyaux d'olive retrouvés sur le site et datés par le carbone 14, on peut dater la fin

de cette ville en -1010 +/- 40 ans. Non seulement la construction date de l'époque de

David, mais ces fouilles ont aussi exhumé une inscription hébraïque de 5 lignes. Bien

que cette inscription à l'encre soit en partie effacée, on peut encore y lire certains mots

comme: ".א.ל. .ת.ע.ש." ne fait pas, "שפט" juge "ע.ב.ד" esclave et "מלך" roi.

143 1Rois 9:15. 144 I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN - La Bible dévoilée Paris 2002 Éd. Bayard pp. 164-170. 145 Y. GARFINKEL, S. GANOR -Khirbet Qeiyafa: Sha’arim in: The Journal of Hebrew Scriptures 8 (2008) article 22. 146 1Samuel 17:52; 1Chroniques 4:31.

Page 39: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 39

Les plus anciennes inscriptions hébraïques sont toutes datées du 10e siècle avant

notre ère (l'ostracon de Qeiyafa, le calendrier de Gézèr, l'abécédaire de Zayit147 et quelques

ostraca d'Arad148), soit l'époque où est apparu le royaume de Salomon. Cette coïncidence

n'est pas fortuite car, selon le texte biblique, le royaume d'Israël n'a possédé une réelle

administration qu'à partir de ce roi149 et l'activité littéraire « faire des livres »150 n'est

mentionnée qu'à l'époque de Salomon151. Les inscriptions hébraïques datées de cette

époque sont peu nombreuses, mais il faut se rappeler que les prestigieux et antiques

royaumes de Tyr et de Byblos n'en ont guère laissé plus. Les rois de Tyr de cette période ne

sont connus que par Flavius Josèphe152, ce qui permet de vérifier certains synchronismes153

(Hiram154/Salomon, Ithobaal155/Achab, etc.). Enfin, il semble que les Israélites aient

privilégié le rouleau (en peau ou en papyrus) pour rédiger les instructions officielles ou les

contrats156 (comme en Égypte). Or, la conservation des rouleaux n'est possible qu'en deux

endroits au monde: en Égypte et autour de la Mer morte (qui est désertique).

Les assertions de Finkelstein sont donc erronées. Elles reposent sur une méthode

qui consiste à remplacer les témoignages historiques par des interprétations archéologiques

sans fondement chronologique sérieux, il s'agit d'une réécriture de l'histoire. En remplaçant

abusivement les quelques témoignages historiques par des spéculations archéologiques,

fondées sur des datations elles-mêmes hypothétiques, Finkelstein utilise la même méthode

“d'analyse historique” que celle prônée par le célèbre professeur Faurisson157. Selon le texte

biblique, par exemple, le roi Salomon renforça les trois villes d'Haṣor, de Megiddo et de

Gézèr mais, selon Finkelstein, en se fondant sur des datations incertaines, ce fut l'œuvre du

roi Omri. Cela contredit le texte biblique de 1Rois 16:23-28 qui n'attribue à ce roi que la

construction de Samarie.

147 R.E. TAPPY; P. KYLE MCCARTER; M.J. LUNDBERG; B. ZUCKERMAN -An Abecedary of the Mid-tenth Century B.C.E. from the Judaean Shephelah in: Bulletin of the American Schools of Oriental Research no344 (2006) pp. 5-46. 148 J. NAVEH – Early Naveh History of the Alphabet Jerusalem 1982 Ed. The Hebrew University pp. 63-67. 149 1Rois 4:1-7. 150 Ecclésiaste 12:12. 151 Avant Salomon, seulement trois livres sont mentionnés (Job 19:23, Nombres 21:14, Josué 10:13). 152 Contre Apion I:117-127. 153 La chronologie des rois de Tyr donnée par Josèphe semble assez fiable En tenant compte des synchronismes, le règne du premier Hiram (1025-991), riche roi de Tyr, est en accord avec les règnes de David (1057-1017) et de Salomon (1017-977). 154 1Rois 5:1-18. 155 1Rois 16:31. 156 Deutéronome 17:18; Jérémie 32:11-14; 36:17-32. 157 Faurisson résume ainsi sa méthode: En temps de guerre, la prolifération des « bobards » atteint des proportions gigantesques. Ces « bobards » persistent souvent la paix revenue. [...] La Seconde Guerre mondiale a suscité des mythes encore plus extravagants mais il ne fait pas bon s'y attaquer. Une entreprise comme celle de Norton Cru, si on l'appliquait à la dernière guerre, serait encore prématurée, semble-t-il. Certains mythes sont sacrés. Même en littérature, on court quelque risque à vouloir démystifier (...) Je les entraîne [les étudiants] à la critique de textes et de documents (littérature, histoire, médias, etc.). Si, dans un texte réputé historique (mais ces réputations ne sont-elles pas de l'ordre du préjugé?), ils relèvent les mots de « Napoléon » ou de « Pologne », j'interdis que leur analyse fasse état de ce qu'ils croient savoir de Napoléon ou de la Pologne; ils doivent se contenter de ce qui est écrit dans le texte. Un texte ainsi examiné, à cru et à nu, avec les yeux du profane et sans chiqué, prend un relief intéressant. Excellent moyen, d'ailleurs, de détecter les falsifications et fabrications en tous genres. Mes étudiants appellent cela la méthode « Ajax » parce que ça récure, ça décape et ça lustre (on devrait plutôt l'appeler la méthode « Alzheimer »). V. IGOUNET – Histoire du négationnisme en France Paris 2000 Éd. Seuil pp. 202,203.

Page 40: Chrono israelite1

40 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

L'existence d'un roi judéen nommé David découle aussi de l'existence de sa lignée

royale. Les sceaux au nom de ces rois, ainsi que leur mention dans les annales (assyriennes

ou babyloniennes) attestent leur existence (noms surlignés):

Roi de Juda

Dates du règne # Roi d'Israël Dates du règne # Référence

Saül 1097-1057 40 Actes 13:21

David 1057-1017 40 2Samuel 5:4 Salomon 1017 - 977 40

1Rois 11:42

Roboam 977-960 17 Abiyam 960-957 3

Jéroboam 10/977 - -05/955

22 1Rois 14:20,21

Nadab 06/955-05/954 2 1Rois 11:25 Baasha 06/954-04/931 24 1Rois 15:28,33 Elah 05/931-04/930 2 1Rois 16:8

Zimri 05/930 1 m. 1Rois 16:10-16 Omri/ 06/930-05/919/ 12 1Rois 16:21-23

Asa 957 -

-916

41

[Tibni] [06/930-01/925] 6 Achab 06/919-01/898 22 1Rois 16:29 Josaphat 916 -

-891 25

Achaziah 02/898-01/897 2 1Rois 22:51

Josaphat/Joram [893-891] [2] Joram fils d'Achab 02/897-09/886 12 2Rois 3:1 [Achaziah]/ Joram [07/887-09/886] 1 2Rois 9:29 Joram 893 -

-885 8

Achaziah 10/886-09/885 1 2Rois 9:24,27 [Athalie] Yehoyada 885-879 6 Jéhu 10/885-03/856 28 2Rois 10:36

Joachaz 04/856-09/839 17 2Rois 10:35; 13:1 Joas 879 - -839

40 [Joachaz/ Joas] [01/841-09/839] 2 2Rois 13:10 Joas 01/841-09/825 16 2Rois 13:10 Amasiah 839 -

-810 29

Jéroboam II 01/823-05/782 41 2Rois 14:23 [Zacharie] 06/782-02/771 [11] 2Rois 14:29

Zacharie 03/771-08/771 6 m. 2Rois 15:8 Shallum 09/771 1 m. 2Rois 15:13

Ozias 810 -

-758

52

Ménahem 10/771-03/760 10 2Rois 15:17

[Azariah] [797-745] [52] Peqayah 04/760-03/758 2 2Rois 15:23 Yotham 758-742 16 Péqah 04/758-05/738 20 2Rois 15:27

Achaz 742-726 16 [Osée] 06/738-01/729 9 2Rois 15:27-30 Ézéchias 726-697 29 Osée 02/729-09/720 9 2Rois 17:1,3

Manassé 697-642 55 2Rois 21:1 Amon 642-640 2 2Rois 21:19

Josias 640-609 31 2Rois 22:1

Joachaz 609 3 m. 2Chroniques 36:2

Joiaqim 609-598 11 2Chroniques 36:5 Joiakîn 598 3 m. 2Chroniques 36:9 Sédécias 598-587 11

2Chroniques 36:11 Ainsi parmi un total de 44 rois, 17 ont été "confirmés" par l'archéologie, ce qui

constitue un bon résultat vu la petitesse de ces deux royaumes par rapport aux empires

voisins. Il serait déraisonnable de conclure que les rois non attestés n'ont jamais existé.

Page 41: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 41

Bien que l'archéologie ne puisse dater correctement le règne de ces rois judéens ou

israélites (la paléographie situe ces sceaux entre le 8e et le 6e siècle avant notre ère)158, leur

mention par un souverain étranger159, dont le règne est connu, permet cependant de

conclure que ces rois (ont existé et) les ont précédés dans le temps:

Nom du roi règne Document attestant l'existence de ce roi David 1057-1017 Stèle de Mésha (900-870), Stèle de Dan, Hazaël (880-840) Omri 930-919 Annales de Salmanazar III (859-824) Jéhu 885-856 Annales de Salmanazar III (859-824) Joas 841-825 Stèle d'Adad-nêrârî III (811-783) Jéroboam II 823-782 Sceau n° 1 (8e-6e siècle) Ozias 810-758 Sceaux n° 2 et 3 (8e-6e siècle) Ménahem 771-760 Liste de tributaires de Tiglath-phalazar III (745-727) Yotham 758-742 Sceau n° 4 (8e-6e siècle) Péqah 758-738 Annales de Tiglath-phalazar III (745-727) Achaz 742-726 Liste de tributaires de Tiglath-phalazar III (745-727), sceau n° 4 Osée 738-720 Annales de Tiglath-phalazar III (745-727), sceau n° 6 Ézéchias 726-697 Annales de Sennachérib (705-681), sceau n° 6 Manassé 697-642 Inscription d'Esarhaddon (680-669), sceau n° 8 Josias 640-609 Sceau n° 9 (8e-6e siècle) Joachaz 609 Sceau n° 9 (8e-6e siècle) Joiaqim 609-598 Sceau n° 10 (8e-6e siècle) Joiakîn 598 Liste de Nabuchodonosor II (605-562), sceau n° 11

La chronologie des rois de Juda et d'Israël est ainsi confirmée par les chronologies

synchronisées assyrienne et babylonienne. 158 K.A. KITCHEN - On the Reliability of the Old Testament Cambridge 2003 Ed. W.B. Eerdmans p. 604. 159 J. BRIEND M.J SEUX - Textes du Proche-Orient ancien et histoire d'Israël Paris 1977 Éd. Cerf pp. 88-146.

Page 42: Chrono israelite1

42 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

On pourrait se demander pourquoi les arguments de Finkelstein impressionnent

autant. Les principales raisons sont les suivantes:

“Chacun sait qu'un témoignage contient toujours une part d'oubli ou d'erreur”. Les

historiens en sont parfaitement conscients, mais ils peuvent les déceler en recoupant les

sources. De plus, paradoxalement, même un affabulateur doit produire un mensonge

proche de la vérité, car il court toujours le risque d'être démasqué par un de ses

interlocuteurs (qui peuvent vérifier ses affirmations).

“La Bible est complètement dépassée”. Les historiens ne sont que des hommes, ils sont

donc aussi victimes de préjugés, d'autant plus s'ils sont allergiques à la religion (surtout

depuis que la science a remplacé la religion pour expliquer l'origine de l'homme).

“L'absence de preuve est une preuve de l'absence”. Certes, il n'y a pas de texte issu de la

période des Juges (1500-1000), mais il faut noter, à titre de comparaison, que la célèbre

dynastie cassite, qui a aussi duré 5 siècles (1650-1150), n'a laissé aucun texte, elle fut

pourtant largement plus puissante que la juridiction israélite. De même, les rois d'Élam

"disparaissent" complètement sur la période 1100-770. Si des empires aussi puissants

n'ont laissé aucune trace pendant plusieurs siècles, il est illogique d'espérer d'un petit

royaume, comme l'était celui d'Israël, d'en avoir plus.

“La datation au carbone 14 utilisée par les archéologues est plus fiable que celle des

historiens”. La datation des pierres est impossible par cette méthode, elles ne peuvent

l'être que par leur position dans les strates, à condition que les remblaiements ne les

aient pas déplacées et que la datation de ces strates (par les poteries) soit correcte.

Sans datation précise (à l'année près) et sans texte

historique les inscriptions découvertes par les archéologues

restent généralement aphones (même sous la torture).

Deux exemples illustreront ce constat déplaisant.

L'ostracon de Beth-Shemesh (ci-contre), par exemple,

contient seulement 4 noms propres qui sont inexploitables. Naveh situe cette inscription au

début du 12e siècle avant notre ère160 en s'appuyant sur des critères épigraphiques et conclut

qu'il s'agit de proto-cananéen. En fait, même cette conclusion, peu éclairante, est discutable

car, étant donné le très faible nombre d'inscriptions anciennes, les critères épigraphiques

sont incertains ce qui engendre des datations variables (à +/- 1 siècle) d'un épigraphiste à

l'autre. De plus, selon le texte biblique161, cette ville resta en territoire israélite depuis la

160 J. NAVEH – Early Naveh History of the Alphabet Jerusalem 1982 Ed. The Hebrew University p. 35. 161 Josué 21:16; 1Samuel 6:15; 1Rois 4:9.

Page 43: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 43

conquête de Josué jusqu'à sa reprise par les Philistins durant le règne d'Achaz162, ce qui

classerait l'inscription dans le paléo-hébreu plutôt que dans le proto-cananéen. Le deuxième

document présente un roi cananéen passant en revue deux prisonniers163:

Cette plaque d'ivoire a été trouvée

à Megiddo dans le niveau VIIA daté entre

-1200 et -1125. Même en supposant que

cette représentation date effectivement du

12e siècle, elle ne fournit que peu

d'éléments historiques. Le roi n'est pas

identifié, toutefois comme son trône est identique à celui d'Ahiram (ci-dessus), roi de

Byblos vers -1000164, et qu'il tient lui aussi une fleur de lotus dans la main gauche et une

coupe dans la main droite, on peut l'identifier à un roi de Byblos165. Les deux captifs sont

vraisemblablement des Israélites car à cette époque, et dans cette région, ils sont les seuls à

être circoncis. Les lettres d'El-Amarna appuient cette conclusion. En effet, Rib-Addi, roi de

Byblos et vassal du roi d'Égypte (durant la période 1350-1300), se plaint régulièrement dans

ses lettres166 d'être en difficulté dans la guerre de conquête des Apiru [Hébreux]. Selon ce

roi cananéen, tout le pays risquait de basculer aux mains des Apiru. Il semble que Rib-Addi

dramatisait à l'excès la situation pour recevoir une aide militaire du pharaon, mais sa

description recoupe assez bien celle du texte biblique. En effet, les villes conquises par

Josué, au nord de la Palestine, avaient rapidement été perdues par les Israélites. La ville de

Megiddo, par exemple, bien que conquise (vers -1490) fut ensuite laissée aux mains des

Cananéens167. Cette ville, dirigée par un maire vassal de l'Égypte, ne sera reconquise qu'à

l'époque de David, puis rebâtie par Salomon168. De même, la célèbre ville de Jérusalem, qui 162 2Chroniques 28:16-18 (Megiddo fut finalement détruite en -732 par Tiglath-Phalazar III). 163 J. B. PRITCHARD - The Ancient Near East in Pictures Princeton 1969 Ed. Princeton University Press p. 111, 157, 288, 302. 164 La datation du règne d'Ahiram est controversée puisque le sarcophage semble être du 13e siècle avant notre ère alors que l'inscription l'accompagnant est datée, elle, autour de -1000. 165 Byblos est le nom grec de l'ancienne Gubla, ou Gebal (Josué 13:5). 166 W.L. MORAN - Les lettres d'El Amarna in: LIPO n°13 Paris 1987 Éd. Cerf pp. 248, 257, 264. 167 Josué 12:1, 21; Juges 1:27-28. 168 1Rois 4:1-12; 9:15-19.

Page 44: Chrono israelite1

44 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

était une place forte selon la lettre de Abdi-Ḫeba169, le maire (Jébusite), n'appartiendra en

fait aux Israélites qu'à partir de David170 (vers -1050). Selon le texte biblique, les Israélites

furent effectivement vaincus par des royaumes voisins durant le 12e siècle avant notre ère,

au moins à deux reprises (de 1211 à 1193 puis de 1162 à 1122)171, toutefois, le texte ne

mentionne pas la Phénicie. Un roi de Byblos, ou peut-être de Tyr, a pu être associé à ces

conflits avec les Israélites en tant que vassal de l'Égypte.

Selon le texte biblique, les rois de Tyr et de Byblos étaient des associés: Les ouvriers

de Salomon et ceux d'Hiram et les Giblites [venant de Byblos] taillèrent et mirent en place le bois et la

pierre pour la construction du Temple (1Rois 5:32). Cette association particulière est confirmée

par la forme des trônes royaux. En effet, les rois de Byblos ont utilisé des trônes

d'inspiration égyptienne (sphinx à pattes de lion, par exemple, comme celui de

Toutankhamon), or ce type d'objet raffiné a visiblement influencé les ouvriers de Salomon

puisqu'on lit: Le roi fit aussi un grand trône d'ivoire et le plaqua d'or raffiné. Ce trône avait six degrés,

un dossier à sommet arrondi, et des bras de part et d'autres du siège; deux lions étaient debout près des bras

et douze lions se tenaient de part et d'autre des six degrés. On n'a rien fait de semblable dans aucun

royaume (1Rois 10:18-20). On le voit les textes historiques éclairent les découvertes

archéologiques, mais vouloir réécrire l'histoire à l'aide de l'archéologie est aussi

déraisonnable que chercher à reconstituer le curriculum vitae d'une célébrité en se

contentant de fouiller sa poubelle. Le résultat est prévisible: il sera très lacunaire. Par

exemple, lorsque le souvenir de la reine du Sud [Saba] et de Salomon (Matthieu 12:42) est

évoqué au 1er siècle, cette reine avait disparu depuis dix siècles à cette époque (selon la

chronologie biblique)172. Les archéologues estimaient qu'il s'agissait d'un mythe puisque les

premières attestations de reines et du royaume de Saba n'apparaissent seulement qu'à partir

de -750. Tiglath-Phalazar III, par exemple, mentionne: Samsi, la reine d'Arabie (...) Arabie au

pays de Sa[ba’]173, Sargon: It’amar le Sabéen et Sennachérib: Karibilu roi de Saba. Cependant, des

fouilles plus récentes ont montré que l'écriture sudarabique (principal témoin de la culture),

dont les plus anciens témoins archéologiques connus avant 1970 remontaient seulement au

5e siècle avant notre ère, devait en fait remonter au 12e siècle avant notre ère174 (soit 7

siècles plus tôt!). De plus, certains temples de cette région, comme celui d'“Almaqah,

169 Il précise dans sa lettre (EA 287) au pharaon que, malgré les attaques des Apirou [Hébreux] contre les villes voisines, sa maison n'avait rien à craindre car elle était bien fortifiée. 170 Josué 12:1, 10; 15:63; 1Chroniques 11:4-8. 171 Juges 10:3-13; 12:15-13:1. 172 La reine de Saba est située entre l'an 25 et 30 de Salomon (1Rois 9:10-10:1), soit entre -990 et -985. 173 J.B. PRITCHARD - Ancient Near Eastern Texts Princeton 1969 Ed. Princeton University Press p. 283. 174 E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 81-83.

Page 45: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 45

Seigneur de Bar’ân (près de Mârib, à l'ouest de l'Hadramaout)”, ou celui de Raybun175 (à

l'est de l'Hadramaout), ont été fondés dès le 10e siècle avant notre ère. Les premières

affirmations des archéologues n'étaient donc que le fruit de leur ignorance. Comme le

reconnaît Dever lui-même, l'archéologie est souvent dépendante des idéologies religieuses

et politiques, elle résulte plus des émotions (secrètes) que de la raison176.

L'absence de chronologie précise concernant les documents archéologiques interdit

donc aux archéologues une interprétation vérifiable. Finkelstein177 reconnaît lui-même

qu'on ne peut rien dater, en Israël, entre le 12e et le 8e siècle avant notre ère. De plus, la

démarche des archéologues est à l'opposé de celle des historiens. Les historiens supposent,

par principe, qu'il y avait au commencement "une vérité", plus ou moins altérée par l'erreur,

voire le mensonge, alors que les archéologues croient plutôt qu'au commencement il y avait

déjà l'erreur, voire le mensonge, dont on ne peut s'affranchir qu'avec l'aide de l'archéologie.

Les archéologues prétendent ainsi “faire parler les pierres”, mais ils ne sont en fait que

d'habiles ventriloques. En somme, les historiens croient aux témoignages178— jusqu'à

preuve du contraire — alors que les archéologues, eux, n'y croient pas — jusqu'à preuve du

contraire. Les philosophes grecs avaient déjà compris, il y a déjà 25 siècles, l'aspect

paradoxal d'une telle position, car si l'on croit, par principe, que "les hommes mentent",

alors on ne peut croire une telle affirmation, puisqu'elle provient des hommes.

J'ai proposé mon dossier à Claude Vandersleyen, un égyptologue réputé, et je lui ai

demandé de me donner son avis concernant les données bibliques sur l'Égypte, notamment

le récit de l'Exode. Il m'a répondu, dans sa lettre datée du 20 mai 2004: Votre exposé révèle une

grande érudition et beaucoup de lectures, mais une absence totale de méthode. Vous pourrez intéresser le

lecteur, s'il est, comme la grande majorité, prêt à tout croire. Vous traitez la Bible comme un « document »,

ce qu'elle n'est pas. Il y a dans le récit biblique des éléments concrets, comme vous en trouveriez dans la

Chanson de Roland sur Charlemagne. Les auteurs, Manéthon, Josèphe et d'autres, mais repose aussi

sur des traditions que le temps peut avoir déformées. Mais le plus dangereux, c'est que vous joignez à la

Bible des écrits d'époques très diverses et aussi des écrits qui, comme la Bible, ne sont pas des documents.

Qu'il y ait eu des Asiatiques en relation constante avec l'Égypte, c'est bien connu et nul ne le contestera,

mais les relier historiquement au récit biblique est une autre histoire. A ce point de vue, votre texte mélange

175 J.F. BRETON – Le Yemen du royaume de Saba à l'islam. Les sanctuaires de la capitale de Saba, Mârib in: Dossiers d'Archéologie n°263 mai 2001 pp. 2, 15, 48. A.V. SEDOV – Temples of Ancient Hadramawt Pisa 2005 Ed. Edizioni Plus pp. 1, 187-191. 176 W.G. DEVER – Aux origines d'Israël. Quand la Bible dit vrai Paris 2005 Éd. Bayard pp. 261-265. 177 I. FINKELSTEIN – Un archéologue au pays de la Bible Paris 2008 Éd. Bayard pp. 103-104. 178 Les historiens du passé ne devaient pas être plus naïfs que nous, ils ne croyaient vraisemblablement pas aveuglément à tout.

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46 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

tout, quelles que soient la date et la nature des textes, et cela peut faire rêver, mais ne peut rien produire

d'utile. Qu'il y ait des erreurs de détail dans votre exposé est tout à fait secondaire ici ; c'est votre façon de

travailler qui nuira au sérieux de vos recherches. Si on ignore les attaques personnelles, la seule

critique sérieuse concerne la transmission des sources. En effet, il est évident que les

multiples copistes, qui ont recopié les textes anciens, les ont vraisemblablement modifié

(souvent involontairement). Il est cependant possible de réfuter cette objection grâce aux

éditions critiques. Fait intéressant, la critique textuelle, telle que nous la connaissons, est née

au moment de la Réforme à cause des polémiques entre chrétiens et protestants. En effet,

les divergences dogmatiques de l'époque, et source de querelles, ne pouvaient s'imposer que

si le texte, sur lequel on s'appuyait pour les prouver, était irréprochable.

LA BIBLE EST-ELLE HISTORIQUEMENT FIABLE?

Pour ce qui est de la fiabilité, la Bible est-elle à mettre au même rang que la Chanson

de Roland ou L'Illiade et l'Odyssée ? Deux questions se posent: 1) les renseignements recueillis

par les écrivains bibliques sont-ils exacts, et 2) ces renseignements ont-ils été transmis

correctement? Première difficulté, la Bible étant réservé au culte du Temple, elle n'était

donc pas consultable en dehors de Jérusalem. Les auteurs grecs ignoraient donc son

existence. Le premier qui ait mentionné une Loi de Moïse dans ses écrits est l'auteur grec

Hécatée d'Abdère (vers 315-305), cité par Diodore179. Par contre, grâce aux fragments de

texte biblique exhumés par les archéologues, il est possible de remonter plus haut:

Document

Date Texte biblique

Ostraca (Kuntillet Ajrud et Nahal Yishai)180 750-700 [Psaumes 28:6-7?] Lamelles d'argent (Ketef Hinnom)181 650-600 Nombres 6:24-25 Octracon n° 1793 (Éléphantine)182 440-430 [Exode 12:27] Papyrus AP 21 (Éléphantine)183 419/418 Exode 12:18-19 Fragment de vélin 4QSamb (Qumrân)184 250-200 1Samuel 16:1-11; 19:10-17; 21:3-10; 23:9-17 Rouleau en vélin 1Qa (Qumrân)185 150-100 Isaïe

179 Bibliothèque historique I:28,94 XL:3. 180 G. GERTOUX – The Name of Y.eH.oW.aH Which is Pronounced as it Written I_Eh_oU_Ah. Its Story. Lanham 2002 Ed. University Press of America pp. 82-84. 181 G. BARKAY – The Priestly Benediction on Silver Plaques From Ketef Hinnom in Jerusalem in: Tel Aviv Vol. 19 n°2 (1992). R. MARTIN-ACHARD – Remarques sur la bénédiction sacerdotale in: Études Théologiques & Religieuses tome 70 (1995/1) pp. 75-84. 182 A. VINCENT – La religion des Judéo-araméens d'Éléphantine Paris 1937 Éd. Librairie orientaliste Paul Geuthner pp. 265-270. 183 P. GRELOT – Documents araméens d'Égypte in: Littératures Anciennes du Proche-Orient 5 (1972) Éd. Cerf pp. 95-96. 184 D.N. FREEDMAN – Studies in Hebrew and Aramaic Orthography in: Biblical and Judaic Studies Vol 2 (1992) Ed. Eisenbrauns pp. 189-210. E. TOV – The Texts From Judaean Desert in: Discoveries in the Judaean Desert XXXIX Ed. Clarendon Press (2002) p. 361. 185 I. FINKELSTEIN – Un archéologue au pays de la Bible Paris 2008 Éd. Bayard pp. 103-104.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 47

La deuxième difficulté concerne la datation des inscriptions anciennes, celle-ci ne

repose en effet que sur la paléographie et sur le Carbone 14, or ces deux méthodes donnent

souvent des résultats différents, le Carbone 14 vieillissant les dates de un à deux siècles (par

exemple, le Pentateuque réécrit est daté entre -339 et -324 par la datation calibrée du

Carbone 14, mais entre -125 et -100 par la paléographie)186. Malgré ces difficultés, il est

possible de conclure que la composition de certains textes doit remonter autour de -1000.

Les égyptologues estiment qu'il y a un anachronisme entre la tradition biblique qui

fixe la composition du Pentateuque autour de -1500 et l'archéologie qui ne peut remonter

au delà de -1000. En fait, cette critique devrait s'adresser à tous les auteurs anciens, car on

ne connaît aucun des leurs originaux. Pour illustrer l'aspect insensé de cette critique, il est

utile de confronter la Bible au plus vieux livre de la culture occidentale:

Texte d'Homère (en grec) Pentateuque (en hébreu) Plus ancienne trace de la langue écrite 1250-1150 (linéaire B)187 1700-1500 (proto-cananéen)188 Date de rédaction supposée du texte -850 -1500 Plus ancienne trace de la langue orale -850 (syllabaire chypriote)189 -1350 (cananéen ancien)190 Plus ancienne inscription -725191 -1200192 Plus ancien fragment du texte -300 -600 Plus ancien livre complet du texte 900 -100

Selon la tradition, le texte homérique fut rédigé vers -850. Hérodote, par exemple,

écrit (entre -455 et -430)193: J'estime en effet qu'Hésiode et Homère ont vécu quatre cents ans avant moi

(Histoire II:53), ce qui place Homère autour de -850. La chronique du Marbre de Paros

(rédigée en -263)194 place la naissance d'Homère vers -905, accréditant de nouveau une

rédaction des œuvres de cet auteur vers -850. Or, selon l'archéologie, l'écriture grecque n'est

apparue que vers -750, soit un siècle après la rédaction supposée du texte d'Homère. Pour

éviter cette difficulté, la date traditionnelle de la composition est abaissée à -750. Certains

archéologues abaissant même cette date jusqu'en -550, considérant que l'œuvre originale

devait être transmise oralement et ne fut mise par écrit définitivement que vers cette date, 186 L.H. SCHIFFMAN – Les manuscrits de la mer morte et le judaïsme Québec 2003 Éd. Fides pp.35-37. 187 M. LEJEUNE – Phonétique historique du mycénien et du grec ancien Paris 1987 Éd. Klincksieck pp. 5-16. 188 J. NAVEH – Early Naveh History of the Alphabet Jerusalem 1982 Ed. The Hebrew University pp. 23-42. 189 R. ÉTIENNE, C. MÜLLER, F. PROST – Archéologie historique de la Grèce Paris 2006 Éd. ellipses p. 53. 190 E. LIPINSKI - Semitic Languages Outline of a Comparative Grammar in: Orientalia Lovaniensia Analecta 80. Leuven 2001 Ed. Peeters pp. 59-60. 191 C. ORRIEUX, P. SCHMITT PANTEL – Histoire grecque Paris 1995 Éd. PUF p. 81. 192 H. LA MARLE – L'aventure de l'alphabet Paris 2000 Ed. Librairie P. Geuthner pp.53-94. 193 P.E. LEGRAND - L'Égypte. Histoires, livre II Paris 1997, ÉD. Les Belles Lettres, Classique en poche, p. XV. 194 V. BERARD, P. DEMONT, M.P. NOËL - L'Odyssée 1996 Librairie Générale Française , Le Livre de Poche p. 12.

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48 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

car les auteurs grecs anciens citant des vers d'Homère n'apparaissent qu'à partir du 6e siècle

avant notre ère195. Cette façon de procéder illustre la différence de conception entre les

archéologues et les historiens, les premiers s'appuient d'abord sur les témoignages

archéologiques et les seconds d'abord sur les témoignages historiques. Comme les

archéologues considèrent qu'une absence de preuve est une preuve de l'absence, les

datations sont donc différentes. Cette conception des preuves est erronée, car les origines

des œuvres du passé sont toutes dans l'obscurité (et le resteront peut-être à tout jamais) à

cause de l'usure du temps. Entre l'original et les premières copies attestées, il y a toujours

plusieurs siècles. Les œuvres actuelles de la littérature grecque classique (Euripide,

Sophocle, Eschyle, Aristophane, Thucydide, Platon, Démosthène), proviennent toutes de

copies qui sont séparées de plus de 1000 ans avec les originaux. L'auteur latin le plus

avantagé est Virgile, mais l'écart dépasse encore largement 3 siècles avec l'original196. Dans

ces conditions la seule façon de dater ces œuvres est de recourir: aux témoignages

historiques des auteurs anciens eux-mêmes et aux témoignages internes de l'œuvre, grâce à

la mention de certains événements historiques qui peuvent être datés précisément.

Si on applique la méthode des historiens pour dater le paléo-hébreu, plutôt que

celle des archéologues qui donnent une date autour de -1200, on obtient une date beaucoup

plus haute. Selon les premiers historiens, le paléo-hébreu, appelé par eux écriture

phénicienne ou cadméenne, devait remonter autour de -1500.

Selon Hérodote197 (vers -450): En s'installant dans le pays, les Phéniciens venus avec Cadmos,

— et parmi eux les Géphyréens —, apportèrent aux Grecs bien des connaissances nouvelles, entre

autre l'alphabet, inconnu jusqu'alors en Grèce à mon avis: ce fut d'abord l'alphabet dont usent encore

les Phéniciens, puis avec le temps les sons évoluèrent ainsi que les formes des lettres. Leurs voisins

étaient pour la plupart des Grecs Ioniens; ils apprirent des Phéniciens les lettres de l'alphabet et les

employèrent, avec quelques changements; en les adoptant ils leur donnèrent,— et c'était justice puisque

la Grèce les tenait des Phéniciens —, le nom de caractères phéniciens.

Selon Artapan198 (vers -200): Ce fut Moïse le maître d'Orphée. Une fois adulte, il transmit aux

gens beaucoup de connaissances utiles (...) il confia aux prêtres les lettres sacrées, et il y avait aussi des

chats, des chiens, des ibis (...) C'est donc pourquoi Moïse fut aimé des foules et, par les prêtres, qui le

jugeaient digne des honneurs divins, appelé Hermès, vu qu'il interprétait les lettres sacrées.

195 E. LASSERRE - Iliade Paris 2000 Éd. GF Flammarion pp. 1,22. 196 L. VAGANAY, C.B. AMPHOUX - Initiation à la critique textuelle du Nouveau Testament Paris 1986 Éd. Cerf pp. 18,19. 197 Enquête V:58. 198 Préparation évangélique IX:27.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 49

Selon Eupolème199 (vers -160): Moïse a été le premier à acquérir la sagesse et à transmettre

l'écriture aux Juifs; les Phéniciens la reçurent, puis des Phéniciens les Hellènes, et Moïse a le premier

rédigé des lois pour les Juifs.

Selon Diodore200 (vers -50): Les Muses ont reçu de leur père le don de l'invention des lettres et des

compositions poétiques. Quant à ceux qui soutiennent que les Syriens sont les inventeurs des lettres

qu'ils ont transmises des Phéniciens aux Grecs, par l'intermédiaire de Cadmos, qui arriva en Europe,

et que c'est pourquoi les Grecs nomment Phéniciens les caractères de l'écriture : on leur répond que les

Phéniciens n'ont point primitivement inventé les lettes, et que la dénomination que les Grecs leur ont

donnée vient de ce que les Phéniciens ont seulement changé le type de ces caractères dont la plupart des

hommes se sont servis.

Selon l'historien Tacite201 (vers 100): après avoir découvert que l'alphabet grec non plus n'avait

pas été entrepris et achevé en même temps. Les premiers, les Égyptiens représentaient les conceptions de

leur esprit à l'aide de silhouettes d'animaux; ces témoignages les plus anciens de l'histoire des hommes

se voient, gravés dans la pierre; et ils se prétendent les inventeurs de l'écriture; ensuite les Phéniciens,

parce qu'ils avaient la maîtrise de la mer, l'introduisirent en Grèce et en recueillirent la gloire, comme

s'ils avaient eux-mêmes découvert ce qu'ils avaient reçu d'autrui. Le fait est que l'on raconte que

Cadmos, arrivé avec une flotte phénicienne, enseigna cet art aux peuples grecs encore incultes. (...) la

forme des lettres latines est la même que celle des plus anciennes chez les Grecs.

Malgré leur aspect tardif, les témoignages d'Hérodote et d'Eupolème se recoupent:

un nommé Cadmos/Moïse a transmis l'alphabet [d'origine égyptienne selon Tacite] aux

Phéniciens, puis aux Grecs. La mythologie202 grecque présente Cadmos comme un

descendant d'Épaphos (fils de Zeus) et de Memphis (fille de Nilos, le Nil). Or, la vie

d'Épaphos ressemble beaucoup à celle de Moïse (sous le nom Apopi) puisqu'il naquit près

du Nil et fut caché à sa propre mère quelques temps en Syrie, puis fut élevé en Égypte où il

devint roi203. Cadmos et Moïse sont d'ailleurs souvent mis en parallèle. L'auteur grec,

Hécatée d'Abdère204 décrit (vers -300), comme le fait aussi Diodore205, l'Exode biblique

avec son chef Moïse et le départ d'Égypte des Hyksos sous la conduite de Cadmos et de

Danaos. Tacite (Histoire V:2-5) rapporte, lui aussi, cette version déformée de l'Exode.

199 Préparation évangélique IX:26. 200 Bibliothèque historique V:74. 201 Annales XI:13-14. 202 P. GRIMAL - Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine Paris 1999 Éd. Presses Universitaires de France pp. 71-73,141. 203 J. BERARD – Les Hyksos et la légende d'Io in: Comptes-rendus des scéances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres n°95:4 (1951) pp. 445-447. J. BERARD – Les Hyksos et la légende d'Io. Recherches sur la période mycénienne in: Syria n°29:1 (1952) pp. 1-43. 204 M. STERN - Greek and Latin Authors on Jews and Judaism Jerusalem 1976 Ed. Israel Academy of Sciences and Humanities pp. 26-34. 205 Bibliothèque historique I:28,94 XL:3.

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50 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Selon Hécatée d'Abdère, lorsque les Hébreux furent expulsés la plus grande partie fut

conduite en Judée par Moïse et une petite partie alla vers la Grèce avec Cadmos et Danaos

à leur tête. Homère206 affirmait (vers -850) que les ancêtres des Grecs furent les Danaens,

les fils de Danaos. Le Marbre de Paros (daté de -264) fixe l'arrivée de Cadmos à Thèbes en

-1519 et le départ de Danaos en Égypte pour la Grèce en -1511. L'historien Paul Orose207

(en 417) datait cet épisode en 775 avant la fondation de Rome, soit en -1528. Diodore de

Sicile, tout en reprenant le récit d'Hécatée, écrivait que Cadmos vécut à Thèbes208, en

Égypte, et que son histoire fut adaptée et modifiée par les Grecs209. Le nom Cadmos ne

signifie rien en grec, mais ‘Est’ ou ‘Oriental’ en hébreu210. Les anciens historiens donnent

donc des précisions concordantes: un Oriental en contact avec les Phéniciens vécut en

Égypte peu avant -1500 et légua l'alphabet aux Grecs. Moïse et Cadmos sont des Sémites

ayant vécu aux mêmes endroits, à la même époque, et ayant accompli des actions

identiques. Il semble donc légitime d'identifier les deux personnages.

La paléographie211 a confirmé indirectement cette trame chronologique. Il est en

effet admis que le premier alphabet appelé proto-sinaïtique (qui devint le proto-cananéen),

apparut entre 1700 et 1500 dans la région du Sinaï (Serabit el Khadim) où se trouvaient des

princes hyksos venus de Syrie-Palestine. Cet alphabet d'origine sémitique, peut-être sous

l'influence des hiéroglyphes égyptiens, évolua vers l'alphabet phénicien212 que les Grecs ont

ensuite adopté en le modifiant avec le temps. Selon Homère, les Grecs d'avant la guerre de

Troie connaissaient l'écriture213. Le paléo-hébreu est une écriture que l'on rencontre déjà sur

des jarres et des pots datés du 13e siècle avant notre ère. En fait, selon le texte d'Isaïe 19:18,

l'hébreu et l'araméen, formaient la "langue de Canaan", et étaient assez proches (classée

aujourd'hui dans le groupe sémitique du nord-ouest). Les tablettes de Tell el-Amarna

parlent de "langue de Canaan" (Kinaḫna), un terme déjà utilisé à Mari214 vers -1800 (Ki-na-

aḫ-nu). Selon un texte biblique215, au temps de Josias (vers -630), une antique copie du

Pentateuque fut retrouvée, suggérant qu'elle avait été écrite dans le paléo-hébreu de

l'époque. Selon ce récit, Moïse serait ainsi celui qui officialisa l'utilisation du paléo-hébreu,

206 L'Odyssée V:306 (le nom Danaens semble provenir de l'akkadien dananu(m) "puissant"). 207 Histoire contre les païens I:11:1-I:12:7. 208 Selon Hésiode (vers -700), Thèbes fut construite par Cadmos (Thèbes devint capitale égyptienne au début de la XVIIIe dynastie). 209 Bibliothèque historique XL:3; I:23. 210 Les habitants du Sinaï sont appelés "fils de l'Est/ Orientaux" (Job 1:3; Genèse 29:1) ou "Qadmonites" (Genèse 15:19). Ce terme Qedem (qdmw) est ancien, car il apparaît déjà dans une stèle du pharaon Mentouhotep II (2045-1994). 211 J. F. HEALEY - Les débuts de l'alphabet in: La naissance des écritures. Paris 1994 Éd. Seuil pp.257-279. 212 H. LA MARLE – L'aventure de l'alphabet Paris 2000 Ed. Librairie P. Geuthner pp. 57-76. 213 Iliade VI:169. 214 G. DOSSIN – Une mention des Cananéens dans une lettre de Mari in: Syria n°50 1973, pp. 277-282. 215 2Chroniques 34:14,15.

Page 51: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 51

le premier alphabet connu. L'histoire du Cadmos phénicien ou d'Apopi, un prince de

Palestine et tout premier monothéiste (le pharaon Séqenenrê lui en fait le reproche, ce qui

confirme l'aspect original de cette croyance), ressemble à celle du Moïse israélite auteur du

‘Livre’, selon le texte d'Exode 17:14. Il est donc raisonnable de conclure216, selon les

témoignages des anciens historiens, qu'un "oriental" appelé Cadmos (Moïse ou Apopi) soit

l'auteur d'un récit en paléo-hébreu écrit vers -1500. Cette entreprise ayant sans aucun doute

ouvert la voie dans la transmission de l'alphabet tel que nous le connaissons aujourd'hui217.

En fait, la polémique lancée par les archéologues sur l'origine de la Bible, -250 au

lieu de -1500 (pour le Pentateuque), est trompeuse. En effet, ce qui compte pour un

historien ce n'est pas de connaître la date d'une source, mais la fiabilité et l'exactitude de

cette source. Par exemple, le Canon royal de Turin, rédigé sous Ramsès II (1283-1216),

donne une liste (très lacunaire) des rois d'Égypte de la Ière à la XVIIe dynastie. Comme la Ière

dynastie est datée par les archéologues218 approximativement entre -2950 et -2780, cela

signifie que cet ancien document, qui est considéré comme fiable, est séparé d'environ 1500

ans des premières informations qu'il a transmises. Malgré cet écart important dans le temps,

les données chronologiques de ce document sont acceptées, en dépit aussi de certaines

erreurs manifestes (noms copiés deux fois, règnes intervertis, etc.) et du fait que la XVIIe

dynastie soit constituée d'environ 60 rois ayant régné en moyenne 3,5 ans, ce qui est

manifestement invraisemblable.

Concernant la transmission des informations, la Bible constitue un cas unique dans

toute la littérature. En effet, les éditions critiques révèlent que les textes antiques ont tous

été altérés plus ou moins gravement par les multiples copistes qui se sont succédés, or, la

Bible constitue une exception impressionnante219. On lit en effet: Nous présentons quelques uns

de nos derniers travaux en date. Les résultats obtenus viennent un peu bousculer certaines idées a priori que

l'autorité excessive du manuscrit B19a a contribué à développer. Ainsi, la parfaite isomorphie

consonantique (c'est-à-dire du texte littéral dont on exclut les matres lectionis) des manuscrits orientaux

vient ébranler le dogme des divergences entre les manuscrits bibliques (...) Il nous semble beaucoup plus

pertinent de considérer ce manuscrit comme reflétant une méthode de vocalisation à l'aide des matres

lectionis, plutôt que de considérer l'écriture de ces lettres comme révélant des différences sémantiques.

L'abus de cette méthode a empoisonné la critique biblique pour encore un certain temps (correspondance 216 J. COHEN - L'écriture hébraïque Lyon 1997 Éd. du Cosmogone pp. 39-61. 217 M. BERNAL - On the Transmission of the Alphabet to the Aegen before 1400 B.C. in: Bulletin of the American Schools of Oriental Research 267 (1987) pp. 1-19. 218 J. YOYOTTE – Dictionnaire des pharaons Paris 1998 Éd. Noésis pp. 177-178. 219 P. CASSUTO – Isomorphie consonantique et hétéromorphie vocalique in: Actes du second Colloque international Bible et informatique. Paris 1989 Éd. Champion, Slatkine pp. 179-207.

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52 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

entre les versions, à la mode BHS, absolument injustifiée, sinon par un fervent désir de trouver à tout prix

des divergences) (...) Cette catégorisation permet aussi de faire le point sur plusieurs débats de la critique

biblique. En effet, contrairement à l'idée reçue, les trois codices orientaux sont absolument identiques au

niveau consonantique ainsi défini, ce qui relève d'une transmission absolument hors du commun et dont on

ne connaît par ailleurs aucun exemple en dehors du champ biblique. Le texte du rouleau d'Isaïe

trouvé à Qumrân (1Qa et 1Qb, daté paléographiquement entre -150 et -50), par exemple,

est absolument identique (à la lettre près!) au texte actuel des Bibles hébraïques.

La Bible, à la différence de la Chanson de Roland ou de L'Illiade et l'Odyssée, a transmis

des centaines de données qui sont historiquement identifiables et parfaitement datables.

Comme on l'a vu, 10 rois judéens et 7 rois israélites ont été attestés par l'archéologie, de

plus, la chronologie de tous ces règnes a été confirmée par les chronologies synchronisées.

Selon les critères des historiens, cela aurait dû être une garantie d'historicité du texte

biblique, mais la plupart des spécialistes continuent à prétendre, sans en apporter la

moindre preuve, que le texte biblique n'est pas un document, phrase répétée ad nauseam y

compris par les biblistes (ce qui conforte les préjugés des archéologues!). Dans sa lettre

datée du 12 juillet 2004, Lucien-Jean Bord me précise: Ce n'est point uniquement le sumérologue

qui vous écrit cela mais aussi le bibliste. N'oubliez pas que la Bible ne prétend aucunement à l'historicité

(sinon dans la pensée de certains fondamentalistes), mais se place sur le plan d'une historiographie

théologique particulièrement formulée lors de la période exilique et post-exilique : c'est la majorité du texte

vétérotestamentaire dont nous disposons. Ce bibliste sait-il que la Bible somme en permanence ses

lecteurs de refuser les fables et les tromperies (1Timothée 4:1-7)

La Bible a la prétention d'être la "vérité", y compris sur le plan historique. La

"vraie" question pour l'historien n'est pas de nature théologique ou religieuse, mais de

savoir si le texte biblique peut-être utilisé comme un document historique. J'ai posé cette

question de l'historicité de la Bible à l'égyptologue Jean-Claude Goyon qui m'a répondu

dans sa lettre datée du 18 avril 2001: Dans votre courrier du 4 de ce mois, vous soulevez à nouveau la

question de l'Exode, de la crédibilité des récits bibliques et des problèmes que ceux-ci créent sur le plan

historique dans le monde des égyptologues (...) Mais, comme je le disais, il me faut faire part de mon

scepticisme total envers les récits qui n 'ont ri en d'hi s torique de la Bible (en gras dans le texte)

yahviste ou massorétique! Ce que je souhaite montrer, pour être clair, c'est qu'aucune source égyptienne ne

mentionne les Hébreux (...) En allant au bout de ma pensée, je dirais simplement que pour un Égyptien

antique, à la question "Israël ?", la réponse est "Connais pas !" (...) Tout sonne faux dans le conte des

relations entretenues par Moïse avec la cour du "Pharaon". Pour résumer ces quelques arguments:

"l'absence de preuve dans les archives égyptiennes est une preuve de l'absence de l'Exode,

Page 53: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 53

de plus, la Bible n'est pas un document historique, car tout sonne faux". Quand on sait que

les annales égyptiennes ont presque entièrement disparu (en fait, à la question: "Annales

égyptiennes ?", la réponse de l'historien est "Connais pas"), l'argumentation de cet

égyptologue repose donc essentiellement sur ses préjugés. Les actes de Moïse se produisent

durant la brève période des 10 plaies, or la Stèle de la tempête d'Ahmosis et les Admonitions

d'Ipuwer décrivent sensiblement de la même façon cette période catastrophique de l'Égypte.

Après avoir vérifié que la Bible était un document historique fiable pour la période

des royaumes judéens et israélites, et avant d'examiner si l'historicité de la Bible reste

valable pour l'ancienne Égypte, il est utile de vérifier si les données historiques de la Bible à

propos des souverains étrangers sont confirmées et exactes chronologiquement. Le texte

biblique cite les rois suivants (les dates de règnes proviennent des chronologies

synchronisées, celles qui sont en désaccord avec les chronologies moyennes "classiques"

ont été surlignées. Les rois non encore identifiés portent une étoile et ceux qui sont

orthographiés différemment, suivant les sources, ont été placés entre parenthèses):

Roi règne référence Éléments d'identification

Babylonie 1-[non nommé] 2038-1912 Genèse 11:31 Ur III finit en -1912 2-Merodachbaladan II 722-710 Isaïe 39:1 3-Nabuchodonosor II 605-562 Esdras 5:14 4-Amêl-Marduk 562-560 2Rois 25:27 5-Nériglissar 560-556 Jérémie 39:13 6-Bêl-šar-uṣur 551-539 Daniel 5:30 Corégence de 14 ans avec Nabonide 7-Ugbaru (Darius le Mède) 539-538 Daniel 5:31 Corégent de 1 an avec Cyrus II

Élam 8-Kutir-Lagamar* 1980-1955 Genèse 14: Fin de la dynastie d'Awan II en -1955 9-[non nommé] 605-585 Jérémie 49:37-38 Atta-hamiti-Inšušinak

Égypte 10-[non nommé] 1975-1946 Genèse 12:14-15 Amenemhat Ier 11-[non nommé] 1762-1747 Genèse 41:41-46 Amenemhat VI ? 12-[non nommé] 1685-1676 Genèse 46:6-7 Sébekhotep IV 13-[non nommé] 1544-1533 Psaumes 136:15 Mort violente de Taa Séqenenrê 14-[non nommé] 1003 - 984 1Rois 9:16 Siamon prend Gézèr en -993 15-Chéchanq Ier (Shishaq) 980-959 1Rois 11:40; 14:25 Campagne en Palestine en -972 16-Osorkon IV (Sô) 730-712 2Rois 17:4 17-Taharqa 712-663 2Rois 19:9 Corégence de 23 ans avec Chabataka 18-Nékao II 609-594 2Rois 23:29 19-Apriès (Hophra) 588-567 Jérémie 44:30

Assyrie 20-[non nommé] 1833-1820 Genèse 25:18 Ikunum 21-[non nommé] 1515-1490 Nombres 24:22-24 Aššur-nêrârî Ier 22-Pulu 782-746 1Chroniques 5:26 Bar Gaiah roi assyrien du Bît Adini

Page 54: Chrono israelite1

54 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

23-Tiglath-Phalazar III 745-727 2Rois 15:29 24-Salmanazar V 727-722 2Rois 17:3 25-Sargon II 722-705 Isaïe 20:1 26-Sennachérib 715-681 2Rois 18:13 Corégence de 10 ans avec Sargon 27-Esarhaddon 681-669 2Rois 19:37 28-Aššurbanipal 669-627 Esdras 4:10

Moab 29-Balaq* 1510-1490 Genèse 23:7 Sutéen (Nombres 24:17) 30-Églon* 1404-1386 Juges 3:12 Sutéen 31-Mésha 900-870 2Rois 3:4 fils du roi Kémoshyat 32-Shalman 740-720 Osée 10:14 Salamanu

Mitanni 33-Kushân-Rishataïm* 1452-1444 Juges 3:8 Vraisemblablement Šauštatar Ier

Haṣor 34-Yabîn* 1366-1346 Juges 4:2 [Ibni?] (lettre EA 148)

Philistie 35-[non nommé] 1162-1122 Juges 13:1 Arrivé en l'an 8 de Ramsès III 36-Akish 1060-1020 1Samuel 21:11 [Anchise?] roi de Gat

Tyr 37-[non nommé] 1045-1025 1Rois 5:5 Abibaal 38-Hiram Ier 1025 - 991 1Rois 5:1-18 39-Ithobaal Ier 944-912 1Rois 16:31

Byblos 40-[non nommé] 1020-1000 1Rois 5:32 Ahiram

Syrie 41-Hadadézer 1050-1010 1Chronique 18:3-5 (Adad-idri) 42-Rezôn 1010 - 980 1Rois 11:23-25 (Rahianu) 43-[Héziôn]/ Tabrimmôn 980-950 1Rois 15:18 [Hadianu?]/ Ta[brimmôn] 44-Ben-Hadad Ier 950-920 2Chroniques 16:2,3 Bar-Hadad 45-Ben-Hadad II 920-880 2Rois 20:1,2; 6:24 Adad-idri 46-Hazaël 880-840 2Rois 10:31,32; 13:22 Haza’ilu 47-Ben-Hadad III 840-800 2Rois 13:24,25 Bar-Hadad, Mari’ 48-Rezin 760-732 2Rois 16:5-9 Rahianu

Urartu 49-[non nommé] 625-606 Jérémie 51:27 Erimena

Ammon 50-Baalis 594-582 Jérémie 27:3, 40:14 Baalyasha

Médie 51-[non nommé] 585-550 Daniel 8:1-3,20 Astyage 52-[non nommé] 530-539 Isaïe 13:17-19 Harpage (Oibaras) 53-Darius le Mède 539-538 Daniel 5:31 Ugbaru (Oibaras)

Perse 54-Cyrus II 539-530 Esdras 6:3 55-Darius Ier 522-486 Esdras 4:24 56-Xerxès Ier (Assuérus) 496-475 Esther 1:3 Corégence de 10 ans avec Darius Ier 57-Artaxerxès Ier 475-424 Esdras 7:1 Corégence de 8 ans avec Darius B 58-Darius II 424-405 Néhémie 12:22 (Darius le Perse)

Page 55: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 55

Parmi les 43 rois nommés, 38 ont depuis été confirmés par l'archéologie. De plus, si

on compare la chronologie israélite synchronisée avec les autres chronologies synchronisées

tous les synchronismes entre ces chronologies concordent eux aussi, sans exception. Ce qui

est encore plus impressionnant c'est que, dans onze cas (règnes surlignés), la chronologie

israélite est en accord avec les autres chronologies synchronisées, alors que les chronologies

moyennes, habituellement utilisées, sont mises en défaut. Ces onze cas constituent un

excellent critère de fiabilité du texte biblique (ils seront examinés en détail lors de

l'établissement de la chronologie israélite synchronisée). La chronologie historique prime

sur la chronologie archéologique. Les études archéologiques récentes220 ont débouché sur

une mise au point des problèmes de datation: L'essentiel de la chronologie absolue pour l'archaïsme

grec repose sur un texte de Thucydide (...) pour déterminer une date, ce sont les textes qui éclairent les

données de fouilles, plus que les données de fouilles n'éclairent les textes. Le matériel archéologique n'a que

très rarement une autonomie de datation (...) La chronologie du matériel archéologique relève d'un perpétuel

« bricolage », dont les fondements sont souvent remis en cause (...) Récemment, E.D. Francis et M.

Vickers s'en sont pris à la validité même de ce système, et ont voulu abaisser l'ensemble des dates jusque-là

admises de 30 à 50 ans. Leurs critiques ont pris des voies multiples, dont l'une concerne la céramique

attique, clef de voûte de la chronologie des années 550-490 av. J.-C. (...) leur révision a eu un mérite,

obliger les archéologues à revoir au plus le grand château de cartes sur lequel se fonde la chronologie de cette

période. L'archéologie ne peut donc être utilisée pour dater précisément l'Exode.

COMMENT DATER L'EXODE?

La datation de récits très anciens pose un problème redoutable à l'historien. En

1863, par exemple, Oppert faisait commencer le règne d'Hammurabi en -2394, Thureau-

Dangin (en 1927) abaissait cette date à -2003 et Gasche proposait (en 1998) de l'abaisser

jusqu'à -1696. Hammurabi a donc rajeuni d'environ 700 ans durant le 20e siècle! La

chronologie grecque n'est pas mieux lotie puisque l'écart est cette fois de presque 1000 ans:

la bataille fait rage entre les tenants de la chronologie haute (2100), moyenne (1900 ou 1600) ou basse

(jusqu'à 1100 pour les extrémistes)221. La chronologie égyptienne n'est pas épargnée non plus,

comme le reconnaît Grimal222 au début de son Histoire de l'Égypte ancienne: la tradition

classique rejetait la civilisation égyptienne dans un flou dont les grandes querelles chronologiques, passées du

220 R. ÉTIENNE, C. MÜLLER, F. PROST – Archéologie historique de la Grèce Paris 2006 Éd. ellipses pp. 26-29. 221 C. MOSSE, A. SCHNAPP-GOURBEILLON - Précis d'histoire grecque Paris 1999 Éd. Armand Colin p. 33. 222 N. GRIMAL - Histoire de l'Égypte ancienne Paris 1988 Éd. Fayard p. 7.

Page 56: Chrono israelite1

56 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

XIXe siècle au nôtre, portent encore témoignage. Ces querelles opposent les partisans d'une chronologie dite «

longue », généralement les plus éloignés d'un usage scientifique des sources documentaires, aux tenants d'une

histoire moins poétique et plus tributaire des données de l'archéologie. Elles ont fini par s'apaiser, et l'on

s'en tient généralement aujourd'hui à une chronologie « courte » sur laquelle tout un chacun, ou presque,

s'accorde, à quelques générations près. Cette remarque montre que l'utilisation scientifique des

sources documentaires a produit un rajeunissement des chronologies classiques que Grimal

qualifie fort justement de "poétiques". En introduction de sa chronologie égyptienne,

Clayton223 précise encore: Avec toutes les informations chronologiques disponibles, on s'étonnera peut-

être qu'il soit extrêmement difficile d'établir des dates absolues dans la chronologie égyptienne (…) Cela

montre le flottement de la chronologie égyptienne qui est calculée essentiellement à partir des années de règne

de chaque roi, lorsqu'elles sont connues. Ces périodes sont ancrées, en amont et en aval, aux trois levers

héliaques de Sirius mentionnés ci-dessus. On reconnaît en général que la chronologie égyptienne est sur un

terrain sûr à partir de 664 av. J.-C., c'est-à-dire au début de la XXVIe dynastie. Le constat est clair:

les chronologies actuelles (non synchronisées) ne sont pas satisfaisantes, de plus, se

contenter de lire les textes anciens uniquement muni d'une critique des sources n'est pas

acceptable. Sans chronologie rigoureuse, l'histoire n'est qu'une branche de la philosophie.

C'est pourtant cette chronologie incertaine qui est utilisée par les archéologues pour

attaquer l'authenticité de la Bible.

Certains égyptologues datent pourtant certaines batailles au jour près , comme celle

de Qadesh sous Ramsès II ou celle de Megiddo sous Thoutmosis III, donnant ainsi

l'illusion d'une très grande exactitude, alors que chaque égyptologue possède en fait sa

propre chronologie, qui peut s'écarter de celle de son collègue jusqu'à 40 ans.

Dates de la XVIIIe dynastie

Durée selon: Dates de la XVIIIe dynastie

Durée selon:

1579-1321 258 ans O.A. Toffteen 1552-1295 257 ans N. Grimal 1575-1308? 267 ans A. Gardiner 1550-1295 255 ans K.A. Kichen 1570-1292 278 ans E.F. Wente 1540-1295 245 ans J. Màlek 1569-1315 254 ans D.B. Redford 1540-1299 241 ans C. Aldred 1554-1304 250 ans R.A. Parker 1539-1292 247 ans R. Krauss 1552-1306 246 ans E. Hornung 1530-1292 238 ans H.W. Helck

La chronologie égyptienne est non seulement imprécise mais, de façon surprenante,

de nombreux égyptologues préfèrent évaluer l'historicité des textes bibliques à la lumière

des étymologies populaires, combinées à la psychanalyse freudienne (!), au lieu d'utiliser les

synchronismes historiques et chronologiques. Ce n'est pas une démarche scientifique 223 P.A. CLAYTON - Chronique des Pharaons Paris 2000 Éd. Casterman pp. 12,13.

Page 57: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 57

objective. Assman224 écrit, par exemple: J'ai toujours eu conscience du défi que représentait le livre de

Freud pour l'égyptologie (…) L'objectif d'une étude d'histoire de la mémoire ne réside pas dans

l'établissement d'une vérité potentielle des transmissions —en l'occurrence les différentes traditions qui

appréhendent la figure de Moïse—; il s'agit bien plutôt d'étudier ces formes de transmission elles-mêmes en

les considérant comme des manifestations de la mémoire collective, ou plutôt de la mémoire culturelle. Les

souvenirs peuvent être faux, déformés, inventés ou implantés artificiellement comme l'ont montré de récents

débats dans le domaine de la psychanalyse (...) J'ai baptisé “Moïse l'Égyptien” cette trace verticale de la

mémoire que j'ai suivie depuis Akhenaton jusqu'au XXe siècle. Je ne cherche pas pour autant à poser la

question de l'origine égyptienne, hébraïque ou madianite de Moïse, a fortiori pas à y répondre. Cette

question concerne le Moïse historique, et c'est donc à l'histoire de la poser (…) Moïse l'Égyptien est un cas

typique de contre histoire (…) il existe de bonnes raisons (et je crois en effet que ces raisons existent, mais

c'est une autre histoire) à ce que Moïse, si jamais il a vraiment existé, ait réellement été égyptien. Assman

est considéré comme une référence, mais un critique a remarqué que: L'auteur s'oppose en

leitmotiv à la prétention du monothéisme à s'ériger en vérité unique (...) l'égyptologue estime probable

l'appartenance de Moïse à l'Egypte, sans pouvoir l'établir. Tout au plus note-t-il dans le dernier chapitre du

livre —le seul qui mobilise ses compétences d'égyptologue au sens usuel du terme— de frappantes similitudes

entre quelques hymnes datant du pharaon Akhenaton-Aménophis IV, qui tenta de substituer à la religion

de l'Egypte un culte solaire et certains psaumes. A l'en croire, une telle analogie s'explique225. Krauss226,

un autre égyptologue faisant autorité, écrit: Deux articles parurent en 1937, l'un sous le titre de

“Moïse, un Égyptien”, l'autre sous celui de “Si Moïse était un Égyptien”. En 1939, quelques mois avant

sa mort à l'âge de 83 ans, Freud réunit, dans un livre intitulé L'Homme Moïse et la religion

monothéiste, les deux essais de 1937, augmentés d'un troisième, “Moïse, son peuple et la religion

monothéiste”, dans lequel il exposait une théorie psycho-religieuse touchant à la genèse du monothéisme (…)

De mon côté je ne puis, en tant que chercheur, qu'acquiescer à la conclusion de Freud. Mais du point de vue

historique, a-t-il touché juste en faisant de Moïse un Égyptien. Krauss répond ensuite à sa propre

question quand il identifie, grâce à la similitude des noms, Moïse au pharaon Amon-masesa

ainsi qu'à Masesaya le vice-roi de Nubie. Le fait que des égyptologues réputés utilisent la

psychanalyse freudienne pour appuyer leurs conclusions est très étonnant quand on

connaît les propos du célèbre psychanalyste Lacan227. 224 J. ASSMAN – Moïse l'Égyptien Paris 2001 Éd. Flammarion pp.24,29-33. 225 N. Weill in: journal Le Monde du 27/09/2001 226 R. KRAUSS – Moïse le pharaon Monaco 2005 Éd. Rocher pp.14-19,113-158. 227 Lors d'une conférence prononcée à Bruxelles, le 26 février 1977, Lacan a précisé: Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué (…) Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi, dans très peu de temps, tout le monde s'en foutra de la psychanalyse. C. MEYER, M. BORCH-JACOBSEN, J. COTTRAUX, D. PLEUX – Le livre noir de la psychanalyse Saint-Amand-Montrond 2005 Éd. Les arènes p. 89.

Page 58: Chrono israelite1

58 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Le critère le plus élémentaire pour dater l'Exode serait d'utiliser les données

chronologiques contenues dans le texte biblique, mais les égyptologues préfèrent utiliser

l'onomastique et les étymologies pour obtenir cette datation, même si cette méthode est

très hasardeuse. L'Exode est ainsi placé durant le règne du prestigieux Ramsès II,

uniquement en s'appuyant sur l'homonymie de ce pharaon avec la ville du même nom.

Cette assertion ne tient pas car l'homonymie n'est pas bonne. En effet, la ville s'appelle

Ra‘amsés228 et non Pi-Ra‘msés et ensuite rien ne prouve qu'il y ait eu un lien entre cette

ville, qualifiée de ville-entrepôt selon le texte biblique et non de capitale, et le pharaon très

connu Ramsès II. Redford écrit: La Raamsès de la Bible et la capitale Pr R‘mśśw [Per-Ramsès],

excepté le nom propre, semblent ne rien avoir en commun. En l'absence complète d'indications corroborantes,

il est absolument essentiel d'être circonspect quant à assimiler les deux229. En fait, le nom de Ra‘amsés

ne désigne pas un pharaon mais une ville entrepôt: C'est ainsi qu'il bâtit pour Pharaon les villes

entrepôts de Pithom et de Ra‘amsés. Si le pharaon avait été Ramsès la lecture la plus logique

aurait été: C'est ainsi qu'il bâtit pour Ramsès les villes entrepôts de Pithom et celle de son nom. De plus,

la mention du nom d'un pharaon aurait constitué l'unique exception dans tout le

Pentateuque, car le premier pharaon nommé dans le texte biblique n'apparaît qu'à partir du

roi Salomon (Chéchanq Ier). Le seul renseignement historique sur la localisation de la ville

de Ramsès230 est donné par Flavius Josèphe231, qui fait commencer l'Exode par la ville de

Létopolis (proche de Memphis) qui est sans lien notable avec Ramsès II. De même, le nom

qui apparaît dans l'expression: pays de Ramsès désignait une région particulière à l'époque de

Joseph, le fils de Jacob (soit deux siècles avant Moïse), aussi appelée pays de Goshèn232, et non

un pharaon précis. En fait, les termes égyptiens Ra "soleil" et mes "engendré de" sont tous

les deux très anciens, puisque le nom de naissance des pharaons était toujours précédé de

l'expression sa Ra‘ "fils du Soleil" dans leur titulature. Lorsque ce titre était utilisé en nom

propre, le nom du dieu était placé en antéposition honorifique: Ra‘-mes "Ramsès" au lieu

de mes-Ra‘ "Mesore" désignant le dernier mois de l'année égyptienne. L'expression "pays

de Ramsès" pouvait être comprise comme "pays de fils du Soleil [pharaon]".

Vraisemblablement ce pays de Goshèn devait correspondre au 14e nome de Basse Égypte,

appelé "nome de l'Orient", car la ville de Tanis (et aussi celle d'Avaris) en faisait partie selon

le texte biblique233. 228 Exode 1:11. 229 D. REDFORD - Vestus Testamentum Leyde 1963 p. 410. 230 E.P. UPHILL - Pithom and Raamses: Their Location and Significance in: Journal of Near Eastern Studies 27 (1968) pp. 292-316. 231 Antiquités juives II:315. 232 Genèse 45:10; 47:11. 233 Psaumes 78:12,43.

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CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 59

Vandersleyen objecte à juste titre qu'il n'y a aucune trace archéologique de l'Exode

sous Ramsès II234, ce qui entraîne une conclusion logique: l'Exode biblique serait une

histoire pieuse, écrite après coup, enjolivée pour la postérité235! En fait, cette conclusion

était prévisible en fonction des hypothèses présupposées. Krauss236 écrit, par exemple: Si

l'on veut retrouver le Moïse biblique dans l'histoire de l'Égypte ancienne, il convient dans tous les cas de

chercher un Égyptien ayant porté le même nom ou du moins un nom très proche, et précise concernant

la chronologie: On sait que les écrits bibliques ne fournissent aucune réponse directe à la question de la

position chronologique de Moïse. Il est certes dit, dans le premier livre des Rois, que Salomon a édifié le

Temple de Jérusalem 480 ans après la sortie d'Égypte, soit en l'an 4 de son règne (…) D'après les Rois, le

règne de Salomon a commencé vers ≈ 970; la sortie d'Égypte du peuple d'Israël ayant eu lieu 480 ans, la

4e année de son règne, Moïse aurait vécu vers ≈ 1450. Toutefois, d'après les listes généalogiques des prêtres,

incluses dans la Bible, cette date approximative devrait être avancée d'environ 200 ans, ce qui nous amène

aux alentours de ≈ 1250. Il va de soi que ces généalogies sacerdotales n'ont aucune authenticité historique,

mais ce point est sans conséquence dans le cadre de notre enquête. Il nous importe peu que ces documents

soient des inventions pieuses; l'essentiel est que Moïse y ait été situé à une époque déterminée. Le premier

livre des Chroniques, qui a probablement été rédigé vers ≈ 200 et ne donne nulle part l'impression de

toucher à la vérité historique, contient les généalogies. Pour résumer l'argumentation de Krauss

"d'après les écrits bibliques, Moïse aurait vécu vers ≈ 1450, mais selon des généalogies, sans

authenticité historique, la date qu'il conviendrait de retenir est située vers ≈ 1250, période

pendant laquelle il faut rechercher un nom égyptien proche de Moïse". Ce raisonnement,

bien qu'illogique, est adopté par beaucoup d'égyptologues et les avis de la célèbre

égyptologue Desroches Noblecourt sont représentatifs de l'ignorance de cette profession

en ce qui concerne la chronologie israélite. Elle écrit: Le nom biblique de la ville Ramsès peut

naturellement être rapproché de celui de Pi-Ramsès, pour la construction de laquelle on sait que furent

enrôlés les Apirous, avec les soldats du roi, à tirer les pierres vers le pylône du palais de Ramsès

II, et bien d'autres monuments. Le nom de Moïse, issu de Mosé (mès = enfant, mésy = mettre au

monde, etc.), constitue également la déviation du nom très égyptien dont la première partie est constituée d'un

nom divin Thotmès, Ramès, etc. Beaucoup d'Égyptiens, à la XIXe dynastie, portaient le nom de Mès (…)

Une impression se dégage maintenant d'elle même : il apparaît, après cette brève analyse, que le récit en

question est le résultat d'un brassage de faits indépendants les uns des autres, remontant à diverses époques 234 C. VANDERSLEYEN - L'Egypte et la vallée du Nil Tome 2 Paris 1995 Éd. Presses Universitaires de France pp. 232-237. 235 E. BLOCH-SMITH - Israelite Ethnicity in Iron I: Archaeology preserves what is remembered and what is forgotten in Israel's history in: Journal of Biblical Literature 122/3 (2003) pp. 401-425 R. HENDEL - The Exodus in Biblical Memory in: Journal of Biblical Literature 120/4 (2001) pp. 601-622. 236 R. KRAUSS – Moïse le pharaon Monaco 2005 Éd. Rocher p. 113.

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60 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

recueillis très tardivement et recouvrant probablement un événement très mineur, en tout cas aux yeux des

Égyptiens (…) Quant à D. Redford, il en est même arrivé à penser que les «historiographes bibliques» ne

connaissaient pas très bien l'histoire en général, et particulièrement la façon dont les Égyptiens gouvernaient

la Palestine. Il estime que la légende de l'Exode ne reflète pas la situation de l'Égypte des XVIIIe et XIXe

dynasties, mais plutôt la période de la XXVIe dynastie (…) Dans l'état actuel de nos connaissances, où

l'on ne peut mettre en regard la chronologie, pratiquement fiable, établie pour le règne de Ramsès, et celle du

récit biblique à ce jour inexistante, il paraît donc bien hasardeux de fixer l'Exode à une date précise. Les

quelques indices relevés permettraient de placer l'événement au début du règne de Ramsès II. Pour

résumer l'argumentation de Desroches Noblecourt: "la chronologie biblique est inexistante

(sic), mais le nom de Moïse qui est d'origine égyptienne sous la forme Mès apparaît surtout

durant la XIXe dynastie, ce qui permet de situer l'Exode probablement au début du règne

de Ramsès II237". Cependant, comme le remarque Vandersleyen: Tous ces calculs nous amènent

bien avant Ramsès II, et précisément au XVIe siècle. Sans doute la fiabilité de ces chronologies n'est pas

prouvée, mais elles sont écartées –alors qu'elles existent- parce qu'elles contredisent la datation basse de

l'Exode qui ne repose sur aucun document (…) Ne faudrait-il pas plutôt remonter l'Exode au XVIe

siècle? (…) On a noté que toutes les solutions proposées aux problèmes de l'Exode sont spéculatives et font

abstraction des rares données chiffrées conservées dans la Bible et dans Manéthon. Or la date donnée par

Manéthon –que l'Exode aurait eu lieu sous Amosis- est la seule qui soit vraiment précise (…) En somme,

quelles que soient les objections des exégètes d'aujourd'hui, il ne faut pas refuser a priori d'étudier le

problème de l'Exode en liaison avec l'expulsion des hyksos238.

L'hypothèse classique de l'homonymie est-elle fondée? La réponse est non, car le

rapprochement entre le nom de Moïse et la forme mosis signifiant "fils" en égyptien, que

l'on trouve fréquemment à cette époque dans les noms égyptiens Thoutmosis, Ahmosis,

etc., est tentant, mais non fondé. En effet, les adeptes de ces étymologies exotiques

"oublient" de signaler que la vocalisation des noms égyptiens est très hypothétique, certains

préférant plutôt utiliser les formes Thoutmès, Ahmès, etc. Cet éclairage égyptien contredit

l'étymologie biblique239 qui relie ce nom au verbe hébreu [rare] mashah "tirer [de]". De plus,

Moïse ne reçu ce nom que 3 mois après sa naissance, soit un nom de baptême, ce qui sous-

entend un nom de naissance différent (généralement donné au 8e jour). Le nom de

naissance de Moïse, qu'il n'a porté qu'après ses 40 ans, devait être Apopi240. 237 C. DESROCHES NOBLECOURT – Ramsès II La véritable histoire Paris 1996 Éd. Pygmalion pp. 248-256. 238 C. VANDERSLEYEN - L'Egypte et la vallée du Nil Tome 2 (1995 PUF) pp. 232-237. 239 Exode 2:2-10. 240 Moïse devait vraisemblablement s'appeler "très beau, magnifique" à sa naissance, selon Exode 2:2, soit Apopi en hébreu (ce terme apparaît, par exemple, en Jérémie 46:20). Selon le prêtre égyptien Manéthon, le dirigeant juif changea son nom égyptien, qui était Osarseph (Aaousseré-Apopi) en Égypte, en celui de Moïse lorsqu'il arriva en Palestine (Contre Apion I:250, 265, 286). Ce point est examiné en détail dans la partie 2.

Page 61: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 61

Bien qu'il y ait un lien évident entre la définition biblique et l'étymologie (au sens

grammatical), il n'y a pas d'équivalence absolue241, car l'étymologie biblique est souvent

fondée sur un jeu de mots. Le nom Moïse, par exemple, peut s'expliquer comme "tirant de

[l'eau]", en supposant un rapprochement avec la forme mashouy "étant tiré [de]". Ce nom est

mis en parallèle avec le peuple qui allait être "tiré de [l'eau]" par celui qui deviendrait

l'homme moshèh "tirant [son peuple de l'eau]242". La première voyelle du nom Moïse est "o"

dans le texte hébreu et "ou" dans le texte grec, mais jamais "a" ou "e", ce qui empêche un

rapprochement avec le mot égyptien mes signifiant "fils", que l'on trouve dans le nom Ra-

mes-ès. Le texte biblique a préservé la vocalisation égyptienne du mot mes "fils" dans le

nom de Ra-mes-ès243, qui est donc différent du nom Moshèh. Si le nom Moïse provenait de

l'égyptien, le texte biblique l'aurait préservé sous la forme exacte Mes (ou Mesh, car les sons

s et sh sont fréquemment intervertis).

Nom Transcription

égyptienne Prononciation

conventionnelle LXX MT

Ramsès r‘-ms-s-sw Ra‘mesesou Raméssè Ra‘mesés [?]Moïse [?]ms-s-sw [?]mesesou [?]môusè [?]moshèh

En fait, l'hypothèse égyptienne du nom de Moïse est très ancienne puisque Flavius

Josèphe écrivait déjà au 1er siècle: C'est d'après cet incident qu'il reçut ce nom, rappelant son

immersion dans le fleuve: les Égyptiens appellent l'eau môu et ceux qui sont sauvés ysès. Ils lui donnèrent

donc ce nom, composé de deux mots244. Cette explication est cependant inexacte car, en égyptien,

ces mots auraient dû être mw-ḥsy "eau – favorisé (?)". Si son explication provenait du copte:

môu-ouṣai "eau - sauver", elle contredit toutefois l'étymologie biblique qui relie ce nom à

"tirer hors de" et non à "sauver". Philon245 d'Alexandrie rattachait aussi l'étymologie du

nom de Moïse au mot égyptien môu "eau", sans expliquer le sens de la partie finale du nom.

De toute façon, ces auteurs anciens sont d'accord pour vocaliser le début du nom de Moïse

en môu-se et non mes, et ils n'évoquent jamais un lien avec le mot égyptien mes "fils" alors

que Philon vivait en Égypte. La fille de pharaon a vraisemblablement appelé le bébé Mousa

(mw s3) signifiant "fils d'Eau", nom qui fut ensuite adapté à l'hébreu en moshèh "tirant [de]"

(d'un verbe hébreu très peu usité). L'utilisation de l'onomastique et de l'étymologie ne

permettent donc pas d'établir une datation fiable. Les égyptologues n'utilisent pas la

chronologie biblique, parce qu'ils la connaissent mal, voire pas du tout. 241 A. STRUS - Nomen Omen in: Analecta Biblica 80. Rome 1978 Éd. Biblical Institute Press pp. 82-89 242 'Isaïe 63:11,12 243 Genèse 47:11. 244 Les Antiquités juives II:228. 245 De vita Mosis I:17.

Page 62: Chrono israelite1

62 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

Une autre raison qui peut expliquer l'ignorance de certains égyptologues concernant

le texte biblique est une sorte de dévotion religieuse à l'Égypte. Dans sa lettre du 30 mai

2005, Goyon m'a répondu: Je vous dénie le droit d'écrire que les "récits égyptiens sont bourrés d'une

mythologie grossière avec ses dieux, mi-humains, mi-animaux", si je vous fais grâce de la "vantardise" et

des "perpétuelles victoires". La théologie antique de l'Égypte n'est pas une "mythologie" encore moins

"grossière" et son système d'image/écrit est le plus élaboré de l'histoire humaine pour traduire l'omniprésence

et puissance du divin. La vision étriquée du judéo-christianisme conduit à des expressions ineptes et

insultantes. Visiblement la défaite d'un antique pharaon devant Moïse a laissé des traces.

Quelques rares égyptologues connaissent cependant les rudiments de la chronologie

biblique. Paul Barguet246, me précisait dans sa lettre datée du 1er avril 2001: Merci pour votre

lettre; les renseignements qu'elle m'apporte sur l'Exode et les discussions que provoque son temps, m'ont

intéressé. Je suis seulement égyptologue, mais les problèmes que pose son histoire m'ont depuis longtemps

intéressé, et j'avais essayé, il y a de cela quelques années, d'y voir plus clair car le sujet est très intéressant et

même passionnant, et je m'étais rédigé, pour y voir plus clair moi-même, une sorte d'état des choses; je me

permets de vous le communiquer; naturellement je peux me tromper totalement, mais je crois, comme vous,

que situer l'Exode sous Ramsès II est une erreur (...) Le point de départ important qu'il convient de situer

est la date de naissance de Moïse. En suivant de près le texte de la Bible, j'arrive aux conclusions suivantes:

Moïse aurait été recueilli par la fille de Thoutmosis Ier, Hatchepsout, vers -1500. Les calculs de cet

égyptologue sont assez bons, mais dépendaient de la chronologie biblique de l'époque, or

les biblistes, qui ont établi cette chronologie, ont procédé comme les égyptologues, non à

partir du texte, mais à partir de l'onomastique et des étymologies! De Vaux247 écrit: C'est

aussi le dernier et le principal des rédacteurs deutéronomistes qui a donné au livre son cadre chronologique.

Les indications temporelles sont fréquentes (...) Cette chronologie fait partie d'un système plus vaste qui

s'étend à d'autres livres historiques. D'après la rédaction deutéronomiste de I Rois 6:1, il s'est écoulé 480

ans entre la sortie d'Égypte et le début de la construction du temple en la 4e année de Salomon, mais à

cause de nombreuses erreurs dans ses propres calculs, il conclut: Certains chiffres peuvent

provenir d'une bonne tradition, mais le système dans lequel ils sont intégrés est certainement une construction

du rédacteur et il nous faudra chercher à établir par d'autres moyens la chronologie de la période des Juges.

Valeur historique [du livre des Juges]: Nous venons de dire que le cadre historique que le Deutéronomiste a

donné au livre ne peut servir l'historien. Cette conclusion de non historicité de la Bible, repose en

fait sur de grossières erreurs dans la durée de plusieurs règnes248.

246 Le seul égyptologue, que j'ai connu, à ne pas mépriser les données bibliques. Beaucoup d'égyptologues m'ont tenu des propos virulents contre la Bible et ceux qui ont appris par la suite que j'étais Témoin de Jéhovah ne m'ont plus adressé la parole. 247 R. DE VAUX – Histoire ancienne d'Israël 2 Paris 1973 Éd. Gabalda pp. 14-15, 100-104. 248 2 ans de règne à Saül (1Sam 13:1) au lieu de 40 (Actes 13:21), 80 ans à Ehoud (Juges 3:20-30) au lieu de 20 (Juges 4:3; 5:30), etc.

Page 63: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 63

Les biblistes actuels ne sont pas meilleurs en calcul, Soggin249 écrit, par exemple:

Nous voici arrivés à la question des données chronologiques contenues dans le récit, qui constitue un autre

problème complexe. Dans Genèse 15,16 et suiv. (un passage dtn ou dtr) et dans Ex 12,40 et suiv. (P),

sont respectivement mentionnés 400 et 430 ans écoulés entre l'époque d'Abraham et celle de l'exode.

Cependant, dans Genèse, il n'est question que de quatre générations, donc d'une période de maximum 60-

120 ans. La chronologie de 1 R 6,1 essaie de rattacher aux deux premières chiffrées (400 et 430 ans, cf.

infra, chap. 8, 1e): la chronologie de la construction du temple est fixée par l'historien dtr à 480 ans après

l'exode Sur le plan historiographique, ces derniers chiffres sont tous problématiques et ne peuvent en aucune

façon de base à une reconstruction de la chronologie de la préhistoire d'Israël. On peut les expliquer dans

une perspective non pas historiographique, mais théologique et idéologique, tandis que les deux premières

données chiffrées ne semblent avoir, pour l'heure, aucun sens précis pour nous. La conclusion est qu'il serait

sage de renoncer à l'élaboration d'une chronologie, étant donné l'insuffisance des éléments dont nous

disposons. Soggin laisse croire que les chiffres du texte biblique sont contradictoires, alors

qu'il n'effectue aucun calcul. En fait, s'il avait effectué une addition des durées pour calculer

le séjour en Égypte il aurait trouvé 215 ans, résultat déjà connu de Flavius Josèphe250, au 1er

siècle. De plus, s'il avait bien lu la Bible, il aurait vu que les quatre générations sont

mentionnées en Exode 6:16-20, par exemple, puisqu'on lit: Voici les noms des fils de 1) Lévi (à

l'entrée en Égypte) avec leurs descendances: Gershôn, 2) Qehat (...) fils de Qehat: Amram (...) 3) Amram

épousa Yokébed, sa tante, qui lui donna Aaron et 4) Moïse (à la sortie d'Égypte). Amram vécut 137 ans.

Il y a bien quatre générations, d'une durée moyenne de 54 ans, il n'y a donc aucune

contradiction, mais plutôt un excellent accord des données chronologiques entre elles. La

dernière question qui gêne les spécialistes actuels: les âges aberrants de la Bible, comme les

137 ans d'Amram, les 147 ans de Jacob, etc., sont-ils acceptables?

LES AGES DES PATRIARCHES SONT-ILS ERRONES?

Lorsque l'historien rencontre une durée aberrante, avant de la rejeter comme

invraisemblable, il doit vérifier que 1) cette donnée a été correctement transmise, 2) qu'elle

n'est pas contredite par d'autres, et 3) qu'elle est scientifiquement possible. Cette démarche

n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît. Pour illustrer cette difficulté, le cas d'Habib Miyan251,

mort le 19 août 2008, est un bon exemple, car cet indien du Rajasthan prétendait avoir 138

ans au moment de sa mort. Cet âge aberrant doit-il être rejeté? On sait, que cet homme 249 J.A. SOGGIN – Histoire d'Israël et de Juda Paris 2004 Éd. Cerf p. 104. 250 Antiquités juives II:318. 251 http://en.wikipedia.org/wiki/Habib_Miyan

Page 64: Chrono israelite1

64 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

avait pris sa retraite à 68 ans, selon ses dires (ce qui paraît plausible, mais en Inde, à cette

époque, il n'y avait pas d'âge de la retraite imposé), et touchait sa pension depuis 1938. Le

document officiel enregistré par la caisse de retraite, date sa naissance du 20 mai 1878, au

lieu de 1870. Cet homme aurait donc prit sa retraite à 58 ans, au lieu de 68 ans, ce qui lui

donnerait un âge "plus réaliste" de 130 ans. Cette valeur de 130 ans, plus du double de

l'espérance de vie à la naissance (62,5 ans en 2000 en Inde), est aberrante, cependant elle

n'est pas invraisemblable. De même, le Canon royal de Turin donne une valeur de [1]53 ans

pour la durée totale de la XIIIe dynastie, et cette durée est acceptée252, car les 50 rois

supposés de cette dynastie ont effectivement eu un règne d'une duré moyenne d'environ 3

ans253. Cette valeur est pourtant aberrante. En effet, si on suppose qu'un homme devient

père au bout de x années, puis devient roi au bout de y années, puis meurt au bout de z

années, on peut facilement montrer que si son fils monte sur le trône à la mort de son père

et que ce processus se reproduit à l'identique, on obtient mathématiquement l'équation: x =

y = z. Cela signifie qu'un roi règne en moyenne le tiers de sa vie. En utilisant la valeur de 3

ans, cela impliquerait qu'il serait devenu père à 6 ans et serait mort à 9 ans, ce qui "paraît"

impossible. Malgré cette impossibilité apparente, les chiffres du Canon sont acceptés, car

on suppose l'existence d'une explication que l'on ne connaît pas encore.

La durée de vie de quelques personnages bibliques sur la période des deux premiers

millénaires avant notre ère est la suivante:

durée de vie personnage devient

père à: meurt à: écart:

(80 ans) règne référence

2038-1863 Abraham 86 ans 175 ans +95 - Genèse 16:16; 25:7 1938-1758 Isaac 60 ans 180 ans +100 - Genèse 25:6; 35:28 1878-1731 Jacob 91 ans 147 ans +67 - Genèse 47:28 1788-1678 Joseph 30 ans 110 ans +30 - Genèse 41:46-50; 50:22

[1643-1506] Amram [30 ans?] 137 ans +57 - Genèse 6:20 1613-1493 Moïse 40 ans 120 ans +40 - Deutéronome 34:7 1573-1463 Josué ? 110 ans +30 - Juges 2:8

[1280-1211] Yaïr [30 ans?] [70 ans?] -10 22 ans Juges 10:3-5 1087-1017 David 30 ans 70 ans -10 40 ans 2Samuel 5:4 1035 - 977 Salomon 17 ans 58 ans -22 40 ans 1Rois 11:42; 14:21 1018 - 960 Roboam [20 ans?] 58 ans -22 17 ans 1Rois 14:21 751-697 Ezéchias 39 ans 54 ans -26 29 ans 2Chroniques 29:1

[617-537] Daniel ? 80 ans 0 - Daniel 1:1; 11:1-12:13 [485-405] Néhémie ? [80 ans?] 0 Néhémie 1:1-2:1; 12:22 [ 84 - 1] Veuve ? 84 ans +4 - Luc 2:36,37

252 N. GRIMAL -Histoire ancienne de l'Égypte Paris 1988 Éd. Fayard p. 596. 253 C. VANDERSLEYEN – L'Égypte et la vallée du Nil Paris 1995 Éd. PUF p. 660.

Page 65: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 65

Les chiffres des durées de vie ne paraissent aberrants que sur la période 2000-1500.

Première question: ces chiffres ont-ils été correctement retransmis? Le fait qu'il n'y ait

aucun écart entre le texte massorétique, la Septante et le Pentateuque samaritain est un fort

indice d'authenticité. Une deuxième façon d'en tester l'exactitude est de vérifier s'ils

induisent des contradictions chronologiques (du type de celles que l'on trouve dans la

Septante pour la période des Rois)254. Reconstitution de la période (examinée en détail dans

la partie 2) allant de 2000 à 1500, selon les chiffres du texte biblique:

2038 1963 1938 1933 1878 1788 1748 1678 1573 1533 1493 1488 a b c d e f g h i j

5 400 75 25 (3x50) 40 215 40 5

100 60 90 110 105 40 430 (2x50) 450 (9x50)

a) Arrivée d'Abraham en Canaan à l'âge de 75 ans255 et début des 430 ans de résidence en

terre étrangère256 (la naissance d'Abraham remonte en -2038).

b) Abraham à 100 ans257, naissance d'Isaac l'ancêtre du peuple d'Israël et début d'une

période de 450 ans258 (le fils d'Agar est âgé de 14 ans)259.

c) Isaac sevré à 5 ans260, période de 400 ans d'afflictions261 débutant avec les persécutions

sur Isaac262 par le fils d'Agar et se terminant à la sortie d'Égypte, la fin de la servitude263.

d) Naissance de Jacob quand Isaac à 60 ans264.

e) Naissance de Joseph dans la 91e année de Jacob puisque ce dernier a 130 ans quand

Joseph a 39 ans (= 30 ans + 7 ans d'abondance + 2 ans de famine)265.

f) Arrivée des Israélites (Jacob et sa famille) en Égypte dans la 40e année de Joseph266,

début du séjour de 215 ans (période de la présence des Hyksos, de 1748 à 1533).

g) Mort de Joseph à l'age de 110 ans. Des chefs israélites sont établis par Joseph, puis par

les pharaons, et administrent alors le pays de Goshèn267 pendant 105 ans (règne des

princes Hyksos). Les 40 dernières années de cette période sont attribuées à Moïse.

254 Il ne s'agit pas, en fait, d'erreurs, mais de valeurs recalculées pour se conformer à un modèle chronologique différent. F. NOLEN JONES – The Chronology of the Old Testament Texas 2005 Ed. Master Books p. 12. 255 Genèse 12:4,5. 256 Exode 12:40,41. 257 Genèse 21:5. 258 Actes 13:17-20. 259 Genèse 16:16. 260 Selon 2Maccabées 7:27, l'allaitement durait habituellement au moins 3 ans (voir 2Chroniques 31:16). 261 Genèse 15:13. La période de 400 ans débute avec l'oppression d'Isaac et non à sa naissance (voir notes suivantes). 262 Genèse 21:8,9. Le sens du verbe hébreu est "se moquer " et non "jouer". Le Talmud (Sota 6:6) évoque même des sévices. 263 Galates 4:25-29. Selon Maimonide (Epître au Yémen III) et Rashi, les 400 ans vont de la naissance d'Isaac à la sortie d'Égypte. 264 Genèse 25:26. 265 Genèse 41:46,47,53,54; 45:11; 47:9. 266 Genèse 45:11; 46:5-7. 267 Genèse 47:6; Exode 5:14.

Page 66: Chrono israelite1

66 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

h) Moïse fut le dernier Grand personnage en Egypte, car bien que "fils de pharaon" 40 ans

durant, il fut ensuite banni pendant 40 ans avant de revenir en Égypte268.

i) Sortie d'Égypte juste après la mort du pharaon (Séqenenrê Taa) et début des 40 ans

d'errance dans le désert du Sinaï avant d'entrer en Canaan269.

j) Sortie du Sinaï, entrée en Canaan et mort de Moïse à 120 ans, période de pacification de

5 ans270 qui se termine en -1488 et qui fixe le début des jubilés (tous les 50 ans).

La période de 430 ans est controversée, car on lit: Et la résidence des fils d'Israël, qui

avaient habité en Egypte, fut de quatre cent trente ans271, ce qui pourrait impliquer un séjour de 430

ans en Egypte. Or cette lecture possible serait contradictoire. Les traducteurs juifs de la

Septante, conscients de cette ambiguïté, ont préféré ajouter une incise pour prévenir tout

quiproquo: Le séjour que les fils d'Israël firent en séjournant dans le pays d'Egypte [et dans le pays de

Canaan] fut de quatre cent trente ans. Cette incise, que l'on trouve aussi dans le Pentateuque

samaritain, est conforme au contexte indiquant que cette période de 430 ans représente la

durée totale du séjour des fils d'Israël en dehors de l'alliance mosaïque272. Cette période

comporte deux parties: la première qui commence en Canaan par l'alliance abrahamique

suivie rapidement par les brimades d'Esaü sur Isaac273 et qui s'achève par la sortie de Jacob

en Egypte, et une deuxième période débutant par cette servitude en Egypte et se terminant

par l'Exode. Le verset incriminé devrait donc se lire: Et la résidence des fils d'Israël, qui avaient

habité en Egypte [215 ans], fut de 430 ans. Cette considération chronologique était connue dans

l'Antiquité, puisque Flavius Josèphe lui-même la mentionne dans ses écrits274.

Une confirmation indirecte de cette période de 215 ans provient de la généalogie de

Josué275. En effet, la durée de vie moyenne était de 60 ans à cette époque276. Josué ayant 40

ans à la sortie d'Égypte277 (en -1533), sa naissance devait remonter en -1573. En supposant

un écart moyen de 20 ans entre chaque génération278 (ce qui correspond bien au 1/3 de la

durée moyenne de vie), on obtient la succession suivante des dates de naissance:

Josué 1573 Ladân 1653 Beriah 1733

Noun 1593 Tahân 1673 Ephraïm 1753 Elishama 1613 Résheph-Télah 1693 Joseph 1773

Ammihoud 1633 Réphah 1713 Jacob

268 Exode 2:15; 11:3; Hébreux 11:24; Actes 7:21-23, 29-36; Deutéronome 34:7. 269 Exode 16:35. 270 Deutéronome 34:1-7; Josué 14:7,10. 271 Exode 12:40. 272 Galates 3:17. 273 Genèse 21:9. 274 Antiquités juives II:318. 275 1Chroniques 7:23-28. 276 Nombres 32:11-13; Deutéronome 2:14. 277 Josué 14:7. 278 Lévitique 27:3.

Page 67: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 67

Joseph étant arrivé en Égypte à l'âge de 17 ans279, la période qui court de son

arrivée, soit vers 1756 (= 1773 - 17), jusqu'à l'Exode (en -1533) couvre 223 ans, en très bon

accord avec les 215 ans calculés.

Tous les chiffres des durées, pour la période 2000-1500, sont donc cohérents, ils

n'induisent aucune contradiction. Comment la Bible explique-t-elle la présence de ces

chiffres aberrants? Ils sont présentés comme anormaux. Les Lévites, par exemple, devaient

commencer à travailler à l'âge de 20 ans et devaient prendre leur retraite à 50 ans280. Moïse

qui a vécu 120 ans écrit pourtant en Psaumes 90:10: Le temps de nos années est de 70 ans, de 80

pour les plus vigoureux, et leur plus grande part n'est que peine et malheur, car bien vite elles passent et

nous nous envolons (Osty). Les 120 ans de Moïse sont donc anormaux. David qui est

seulement âgé de 70 ans, ou Barzillaï de 80 ans, sont tous deux présentés comme étant des

vieillards281. Les durées exceptionnelles du texte biblique ne sont donc pas représentatives

du reste de la population, elles sont en fait limitées à la parenté immédiate d'Abraham. Ces

durées sont présentées comme étant miraculeuses. Lorsque Sara, la femme d'Abraham,

apprend qu'elle va avoir un enfant à l'âge de 90 ans, son mari étant lui âgé de 100 ans, elle

part dans un fou rire nerveux282. De même, Job qui aurait vécu 210 ans, selon la Septante, a

en fait reçu un supplément miraculeux de 140 ans283. Le fait de dépasser l'âge de 100 ans est

ainsi présenté comme n'étant fréquent que dans le monde messianique à venir284. Dernière

question, la plus difficile, ces durées aberrantes sont-elles scientifiquement impossibles?

LES AGES DES PATRIARCHES SONT-ILS SCIENTIFIQUEMENT IMPOSSIBLES? Contrairement à ce que le bon sens populaire laisse croire, les limites humaines sont

difficiles à fixer par la science. Il semble, par exemple, impossible qu'un homme puisse être

père à 91 ans (cas de Jacob), pourtant ce cas a été observé, puisqu’en 1992, Les Colley un

mineur australien âgé de 92 ans (et mort a 100 ans) a eu avec sa seconde épouse un petit

Oswald285. A l'exception des miracles, présentés comme tels, la Bible ne contient aucune

information contraire à la science actuelle: l'univers est né d'un Big Bang (Genèse 1:1), puis

sont apparus dans l'ordre: les végétaux, les poissons, les mammifères, et enfin les hommes,

il n'y a pas de générations spontanées (Genèse 1:25), il n'y a pas de croisement possible

entre espèces (Genèse 1:21), il y a autant d'étoiles que de grains de sable sur la terre 279 Genèse 37:2. 280 Nombres 8:25. 281 1Rois 1:1; 2Samuel 19:32. 282 Genèse 18:12-14. 283 Job 42:16. 284 Isaïe 65:20. 285 http://www.mothers35plus.co.uk/older-fathers.htm

Page 68: Chrono israelite1

68 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

(Genèse 22:17), les animaux sont régis par les lois de Mendel (Genèse 31:8-12), la terre ne

repose sur rien (Job 26:7), il faut enterrer les excréments [pour éviter le choléra]

(Deutéronome 23:13), il faut appliquer la quarantaine aux malades (Lévitique 13:46-59), les

maladies psychosomatiques existent (Proverbe 14:30), les mariages co-sanguins sont

déconseillés (Lévitique 18:6) ainsi que l'astrologie et le spiritisme (Deutéronome 18:10-11),

il y a un cycle de l'eau (Ecclésiaste 1:7). La plupart de ces données étaient encore inconnues

au Moyen Age, et pourtant l'Ancien Testament a été écrit bien avant cette époque.

Les études286 sur la longévité

humaine sont rares, mais elles

fournissent des données étonnantes,

contraires au bon sens et en accord avec

la Bible. Cette étude, sur l'âge maximal

au décès, a porté seulement sur deux

pays (France et Suède), et à partir de

1860, pour des raisons de fiabilité287

(vérifications des certificats de

naissance). Deux conclusions sont

apparues, pour des raisons inexpliquées

1) l'âge maximal au décès n'est pas

constant mais augmente régulièrement

et 2) depuis 1960, il y a une accélération

de cette augmentation. Par exemple en

1960, l'âge maximal au décès était de

104 ans en Suède et de 108 ans en 2000,

soit une augmentation de 1 an tous les

10 ans. Pour la France en 1960, l'âge

maximal au décès était de 104 et de 112

ans en 2000, soit une augmentation de 2

ans tous les 10 ans. En extrapolant ces

résultats, il devrait y avoir en France un

âge maximal au décès de 132 ans en 2100 et de 152 ans en 2200. L'âge de Jacob (147 ans)

qui est invraisemblable en 2000 deviendra vraisemblable en 2200.

286 J. VALLIN, F. MESLE – Vivre au-delà de 100 ans in: Population et Sociétés n°365, février 2001 pp. 1-4. 287 Les résultats du recensement de 74, avec un record de 150 ans, selon Pline l'Ancien (Histoire naturelle VII:49), est déjà questionnable.

Page 69: Chrono israelite1

CHRONOLOGIE ISRAELITE SYNCHRONISEE 69

Une autre étude288 sur la longévité a non seulement confirmé l'étude précédente,

mais a montré que cette augmentation de la longévité est un phénomène ancien qui existe

au moins depuis 750 de notre ère, soit depuis 1250 ans.

L'augmentation continuelle de la durée de vie est un phénomène constaté et mesuré

mais dont l'explication reste une énigme pour les scientifiques. Contrairement à ce qu'on

croyait dans le passé, la longévité humaine ne semble ne pas avoir de limite. Une étude289 a

même établi une projection pour le siècle à venir. L'espérance de vie à la naissance était en

France de 23,8 ans290 pour les hommes en 1750 et de 75,2 ans en 2000, soit une valeur

extrapolée de 91,3 ans en 2100. Cet accroissement de 0,16 an par an permet d'extrapoler

une espérance de vie à la naissance de 155 ans en 2500. Selon les scientifiques, la durée de

vie de Jacob, soit 147 ans, sera devenu une banalité en 2500! Pour affirmer qu'un âge

maximal de 150 ans était impossible en -1900 il faudrait connaître les facteurs qui

influencent la longévité, or nous les ignorons. Nous savons seulement qu'ils existent.

Certains chercheurs estiment que l'enzyme de la télomérase, présente uniquement

dans les cellules germinales et cancéreuses, pourrait réparer les télomères, ce qui conférerait

aux cellules une capacité de division infinie. Michael Fossel, professeur de médecine de

l'université de l'État du Michigan, en conclut que l'homme pourrait vivre plusieurs siècles si

cette télomérase était débloquée291. Le récit biblique, avec ses longévités antédiluviennes dix

fois plus grandes que les longévités actuelles, ne sera alors plus considéré comme

extraordinaire. En fait, les plus anciennes chroniques royales mésopotamiennes avaient déjà

mentionné ces longévités hors du commun292. 288 J.M. LEGAY, A. HEIZMANN, N. GAUTIER, J.L. CHASSE – La longévité des hommes célèbres. Évolution séculaire des hommes célèbres. in: Natures Sciences Sociétés vol. 9 (2001) Éditions scientifiques et médicales pp. 19-28. 289 F. MESLE, J. VALLIN – Montée de l'espérance de vie et concentration des âges au décès Paris 2002 Institut National d'Études Démographiques n°108 pp. 1-6. 290 Cette valeur semble être un minimum. À l'époque d'Hérodote (Enquête I:32), vers -450, une vie de 70 ans était déjà un maximum. 291 Le vieillissement est un processus d'une grande complexité qui fait intervenir de multiples facteurs génétiques et environnementaux. Il existe,par exemple, des liens complexes entre apport calorifique, répartition des sucres et des graisses dans l'alimentation et longévité. 292 J.J. GLASSNER – Chroniques mésopotamiennes Paris 2004, Éd. Les Belles Lettres pp. 137-153.

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70 APPROCHE SCIENTIFIQUE D'UNE CHRONOLOGIE ABSOLUE

CONCLUSION

Contrairement à ce que qu'affirment de façon dogmatique les archéologues, la Bible

est un document historique, puisqu'il en remplit tous les critères. La transmission du texte

est même d'une qualité exceptionnelle et unique, parmi tous les textes de l'Antiquité,

puisque l'on possède des rouleaux complets dès la fin du deuxième siècle avant notre ère,

identiques aux éditions critiques (à la lettre près), alors qu'il faut attendre l'an 900 pour les

œuvres d'Homère, le premier livre de la culture occidentale. Dès le premier siècle de notre

ère, le texte biblique a été attaqué ce qui a conduit Flavius Josèphe à le défendre par la mise

en parallèle des différentes chronologies, ce qui est la base de la chronologie synchronisée.

Bien qu'elle contienne un enseignement religieux, les données historiques de la Bible

peuvent être traitées par l'historien comme n'importe quel autre document du passé,

puisqu'il contient des noms de personnes et de lieux, des durées et de événements

mémorables, autant d'éléments qui sont aisément vérifiables. Les fouilles archéologiques

ont d'ailleurs permis d'en confirmer une bonne partie. Contrairement à une idée répandue,

la Bible ne contient aucun anachronisme, la domestication des chameaux, par exemple, est

bien datée de la fin du IIIe millénaire avant notre ère (époque d'Abraham). Contrairement à

ce que prétendent certains archéologues, l'existence archéologique du roi David est attestée

(stèles de Moab et de Dan). La datation de l'origine de l'écriture est impossible par

l'archéologie à cause du manque de preuve. Par contre, selon les historiens du passé, le

paléo-hébreu (appelé par eux: lettres phéniciennes ou cadméennes) est apparu vers -1500,

de plus, l'inventeur de cette écriture est appelé soit Cadmos "oriental", soit Moïse. Le texte

biblique contient de nombreuses indications de durée qui permettent la reconstitution

d'une chronologie complète et précise (qui sera traitée dans la deuxième partie). Le seul

critère de vérité à la disposition de l'historien est la chronologie "l'œil de l'histoire". Cette

méthode doit rester la règle pour le texte biblique. Sans chronologie, l'histoire serait restée

une branche de la philosophie avec ses écoles et ses interprétations. En dénigrant les

témoignages historiques, l'archéologie redeviendra une branche de la mythologie. Enfin, la

présence dans le texte biblique de longévités anormales, uniquement durant les périodes

reculées (avant -1500), ne peuvent être rejetées comme impossibles, tant que les

scientifiques ne connaîtront pas les facteurs qui entrent en jeu (climat, nourriture,

génétique, âge de la paternité, etc.). Dans l'état actuel de nos connaissances, ces variations

restent une énigme, on ne peut donc s'en servir pour disqualifier le texte biblique d'autant

que toutes ses données chronologiques ont une grande cohérence entre elles.